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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 21 février 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 711) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.

M. de Moorµ donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaertµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Pierre-Thomas Dimbourg, commerçant à Dinant, né à Hierges (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Des gardes civiques de Saint-Josse-ten-Noode demandent une modification à l'article 8 de la loi sur la garde civique. »

M. Couvreurµ. - Cette pétition soulève une question très intéressante pour l'organisation de la garde civique. Je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Des habitants de Waterloo demandent la construction du chemin de fer de Bruxelles à Luttre. »

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je demanderai que cette pétition, ainsi que celles qui sont parvenues à la Chambre précédemment sur le même objet, soient renvoyées à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

M. Snoyµ. - J'appuie la proposition de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu.

- Adopté.


« Des habitants d'Eecloo demandent le rejet du projet de loi sur la réorganisation de l'armée. »

« Même demande d'habitants d'Abée. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale du projet de loi sur la milice.


« Des habitants de Waterloo prient la Chambre de rejeter toute aggravation de charges militaires, d’abolir la vonscription tet d’organiser la défense du pays par l’établissement d’une milice citoyenne. »

- Même décision.


« Des habitants de Dottignies demandent la dissolution des deux Chambres avant tout vote sur la question militaire. »

- Même décision.

Projet de loi sur l’organisation de l’armée

Discussion générale

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Messieurs, avant que la clôture de la discussion générale soit prononcée, je désire reproduire quelques questions que j'ai déjà eu l'honneur d'adresser au gouvernement et de les justifier par quelques nouveaux et rapides développements. J'espère que la Chambre voudra bien m'y autoriser après avoir entendu l'honorable M. Van Humbeeck.

MPDµ. - Il s'agit d'une demande de parole ; il sera statué ultérieurement.

(page 731) MgRµ. - Messieurs, après la discussion qui vient de se développer devant vous, je ne pense pas qu'on puisse encore reprocher aux généraux les divergences d'opinion que l'on a remarquées dans les procès-verbaux de la grande commission mixte.

Nous avons entendu préconiser, dans cette enceinte, les systèmes les plus opposés et les plus disparates, tandis que, dans la commission mixte, nos généraux ne différaient d'avis que sur des détails. Ils se sont mis d'accord dans la discussion générale, et ils ont formulé le projet que je défends devant vous.

Je crois qu'il serait bien difficile d'en dire autant des propositions de nos contradicteurs ; et c'est ce que je désire constater. Je vais maintenant rencontrer quelques-unes des critiques dont le projet de loi a été l'objet.

II m'importe de prouver d'abord que la force de 100,000 hommes, pour laquelle nos cadres sont constitués, n'est pas un mythe, ainsi que l'ont avancé les honorables MM. Nothomb et Jacobs.

L'honorable M. Nothomb dit :

« Mais en supposant que vous pouvez compter avec certitude complète sur un effectif de 130,000 hommes, cet effectif n'en restera pas moins nominal pour un tiers ou pour au moins un quart. Au jour du danger, vous n'aurez à votre disposition que 86,000 à 96,000 hommes, dont 74,000 dans les places fortes et dans le grand réduit qui sert de base à notre système de défense.

« J'arrive ainsi à cette conclusion que cette armée d'observation aura un effectif insuffisant et qu'elle sera par conséquent inutile à notre défense. »

Sur ces 130,000 hommes, l'armée seule en compte 100,000. L'honorable M. Nothomb en déduit le tiers ou le quart, et il en tire la conséquence que nous n'aurons qu'une armée de campagne de 30,000 à 35,000 hommes.

Mais je ferai remarquer à l'honorable membre que la réduction du tiers et du quart a été faite pour tenir compte des pertes successives que les contingents éprouvent annuellement.

La preuve qu'on a tenu compte de ces déchets, c'est que dix classes à 12,000 hommes donnent 120,000 hommes ; en y ajoutant 8,000 volontaires, elles atteindraient le chiffre de 128,000 hommes.

Nous avons établi le jeu de nos classes avec grand soin. J'ai fait faire la statistique des contingents sous les armes ; toutes les pertes ont été compensées et je crois pouvoir affirmer que le chiffre de 28,000 hommes, estimé comme représentant les pertes de l'effectif, est suffisant et que le contingent de 12,000 hommes nous procurera 100,000 hommes présents au jour du danger.

L'honorable M. Jacobs affirme que jusqu'à présent nous n'avions pas cette armée de campagne de 53,000 hommes que nous indiquions et il en trouve la preuve dans l'obligation où nous sommes de réclamer une augmentation du contingent de 2,000 hommes.

« Réclamer cette augmentation, dit-il, c'est reconnaître le fondement de toutes les accusations du passé ; c'est en quelque sorte s'accuser soi-même de trahison. »

L'honorable M. d'Elhoungne a déjà répondu à cette accusation.

La loi de 1853 avait parfaitement prévu que 10 classes de 10,000 hommes étaient insuffisantes pour donner, lors de la mobilisation générale, une armée de 100,000 hommes.

Aussi l'article 5 de la loi de 1853 porte ce qui suit :

« Art. 6. Seront dispensés du rappel les hommes qui ont contracté mariage. »

Le Roi avait à sa disposition toutes les classes congédiées et il pouvait rappeler tel nombre d'hommes non mariés qu'il aurait jugé nécessaire pour compléter l'effectif de 100,000 hommes. Ainsi donc, lorsque nous prétendions que la loi de 1853 permettait de mettre en campagne une armée de 55,000 hommes, nous disions la vérité.

M. de Theuxµ. - En cas de guerre.

MgRµ. - Mais on ne rappelle jamais la réserve qu'en cas de guerre.

M. de Theuxµ. - Et sauf l'approbation des Chambres.

MgRµ. - Du tout ! Sauf à en rendre compte après le rappel. (Interruption.)

Je dis donc que nous avions à notre disposition 100,000 hommes ; nous les avons encore aujourd'hui et nous les aurons aussi longtemps que la loi de 1853 restera en vigueur.

Pourquoi, au lieu de cette faculté donnée au Roi de rappeler les classes congédiées, venons-nous demander une augmentation de contingent ? Mais précisément pour rendre le service moins lourd et aussi pour tenir compte du grand exemple de rapide mobilisation qui s'est produit en Europe il y a deux ans.

Rappelez-vous la situation où se trouvait l'Europe en 1853. Nous avions alors autour de nous des puissances militaires de premier ordre, dont le système du pied de paix différait considérablement de celui du pied de guerre ; ce qui exigeait un temps assez long pour mettre leurs armées sous les armes, et pouvait nous donner une certaine quiétude et l'assurance d'être prêts à notre tour. Mais depuis 1866 les choses ont complètement changé d'aspect ; toutes les nations ont pris leurs précautions pour se mettre à la hauteur de la Prusse et pouvoir réunir leurs armées en quelques semaines, alors qu'auparavant il leur fallait de longs mois. Dans cette éventualité, les classes congédiées sont-elles encore susceptibles de rendre les services qu'on attendait d'elles ?

Ces classes sont faibles ; ainsi une classe de 10,000 hommes est souvent réduite à 6,200 après dix ans, et si vous tenez compte des hommes mariés, elle ne présente plus qu'environ 3,800 hommes disponibles ; puis elle continue à décroître d'année en année. II en résulte que pour avoir 15,000 hommes, dans ce système, il nous faudrait peut-être rappeler 10 classes. Ce serait soumettre non à un service de dix ans, mais à un service de 20 ans une partie de la population.

D'ailleurs ces classes libérées que nous rappellerions ne sont plus habillées, elles ne sont plus encadrées. Il y aurait donc là toute une nouvelle organisation à faire.

Eh bien, je le demande, ne vaut-il pas mieux, n'est-il pas de l'intérêt aussi bien des populations que de l'armée d'augmenter la force des contingents annuels, afin de répartir la charge du service militaire sur un grand nombre d'individus et de compléter l'effectif général de l'armée, sans recourir à des miliciens de 35 à 40 ans pour qui la rentrée sous les drapeaux peut devenir une charge accablante.

L'augmentation du contingent nous permet de compter sur des hommes toujours présents dans nos matricules ayant leurs armes et leur habillement prêts et que nous pouvons en quelques jours réunir dans les corps. Je dis donc qu'au point de vue de la mobilisation, l'augmentation du contingent est une nécessité indispensable. Et, en outre, messieurs, je crois que la législation actuelle commet une criante injustice. Sur 45,000 hommes qui tirent au sort, 10,000 sont appelés et on dit à ces 10,000 hommes : Vous supporterez seuls toutes les charges du service militaire ; vous serez rappelables pendant 20 ans au lieu de 10 ; n'est-il pas plus équitable de libérer complètement ces hommes au bout de 10 ans et de les remplacer par des hommes plus jeunes qui n'ont aucun droit réel à s'exempter des charges de la milice ?

Je répète donc que le système nouveau améliore singulièrement à tous égards la législation actuelle et que, au point de vue de nos populations, ce système est un véritable bienfait.

D'ailleurs, messieurs, veuillez-vous-le rappeler, les 12,000 hommes que nous demandons, nous les avons eus pendant neuf ans ; jusqu'en 1840, nos levées ont été constamment de 12,000 hommes.

Nous prenions alors un homme sur 335 habitants. Aujourd'hui, grâce à l'augmentation de la population, nous ne prendrons plus qu'un homme sur 415 habitants ; voilà la différence.

Veuillez encore remarquer que de ces 2,000 hommes que nous demandons en plus, il y en a mille qui, dans toutes les hypothèses, nous sont indispensables et qu'il nous est impossible de pas lever.

En effet, il faut pourvoir à l'effectif des trente et une nouvelles batteries et des trois nouvelles compagnies de mineurs que nous avons établies. Ces nouveaux soldats d'artillerie et du génie doivent nécessairement être de même qualité que les autres. De ces 2,000 hommes en plus, il y en a donc mille qui nous sont indispensables pour remplir les nouveaux cadres et mille servant sept mois non moins nécessaires pour compléter les cinquièmes bataillons.

On a prétendu, messieurs, qu'en cas de guerre l'armée n'aurait pas le temps de se replier sur Anvers et on nous a cité, comme preuve, la campagne de 1815.

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu nous a dit que, malgré la (page 732) présence des forces alliées en Belgique, Napoléon avait pu franchir inopinément la frontière, livrer coup sur coup deux batailles et arriver à Waterloo en trois jours, à quelques lieues de Bruxelles. Il en a conclu qu'en trois jours nous ne pourrions ni mobiliser ni réunir notre armée, et qu'en conséquence au lieu de nous préparer à la guerre, il valait mieux se reposer sur la garantie des traités.

L'exemple, messieurs, me paraît bien mal choisi.

La guerre de 1815 n'a pas été inopinée. On a eu trois mois et non trois jours pour s'y préparer et l'expérience a prouvé que les alliés étaient en mesure de résister à l'invasion. Je concevrais que M. Le Hardy de Beaulieu invoquât le souvenir de Waterloo si les alliés eussent été vaincus. Leur éclatante victoire condamne d'une manière absolue son argumentation, bien loin de la fortifier.

Il est vrai que l'invasion rapide de Napoléon avait surpris les Anglais et les Prussiens dans leurs cantonnements. Ce fut une faute de leur part de n'avoir pas mieux surveillé les mouvements de l'empereur ; elle a été bien vite réparée ; mais en tout cas, on ne peut s'appuyer sur elle pour prouver que l'armée belge ne serait pas en mesure de se concentrer en temps utile.

Les irruptions soudaines sont le fait des peuples sauvages ou barbares : dans notre Europe civilisée, elles ne peuvent se produire.

Croyez-vous donc, messieurs, que du jour au lendemain on puisse lever des armées et envahir des territoires ?

Est-ce qu'avant qu'une guerre éclate, elle n'est point précédée de longs débats diplomatiques, de remontrances, d'ultimatums ? Peut-on me citer un exemple d'une guerre de bandits comme celle qu'on suppose ? Ce qu'on ne peut pas empêcher, même dans les pays les plus civilisés, c'est qu'un individu caché derrière une muraille ne tire un coup de fusil sur un autre, mais les guerres ne constituent pas de semblables guet-apens.

On dit qu'avec les moyens rapides de transport qui existent aujourd'hui, on pourrait réunir en peu de jours un nombre considérable de troupes à nos frontières.

Cela est vrai, messieurs ; mais une telle supposition n'est pas vraisemblable, ne peut pas se réaliser. Il n'est point possible que vous soyez surpris par une agression aussi rapide qu'on le suppose. Je le répète, une guerre n'éclate pas du jour au lendemain et à moins de la plus coupable imprévoyance, on ne saurait nous prendre au dépourvu. C'est, du reste, pour mettre toutes les chances de notre côté, que nous vous proposons des mesures pour rendre la mobilisation aussi rapide que possible.

Vous avez pu voir, messieurs, dans les procès-verbaux de la grande commission, avec quel soin j'ai traité cette question ; si je reste au pouvoir, elle fera l'objet de mes constantes préoccupations.

On a posé différents cas de guerre ; on nous a demandé ; Si l'ennemi attaque à l'extrémité du Luxembourg, que ferez-vous ? Si deux grandes armées, a un jour donné, à une heure donnée, franchissent notre frontière sur deux points différents, et se dirigent l'une vers l'autre, que ferez-vous ?

Véritablement, messieurs, que puis-je répondre à de pareilles suppositions ?

Est-il possible de croire que deux armées vont traverser nos frontières le même jour, à la même heure, pour lutter dans nos plaines ? .Cette espèce de rendez-vous, de duel sur terrain convenu est incompatible avec les combinaisons des guerres modernes. Les hommes d'Etat, les militaires qui ont étudié les choses en sont bien convaincus.

Soyez certains de ce fait : Si la guerre arrive, vous saurez parfaitement à l'avance quels sont ceux auxquels vous pouvez vous fier et ceux que vous devez redouter.

C'est une chose grave que la guerre, même pour les plus grands Etats. On suppute avec soin toutes les chances favorables ; on n’en néglige aucune, et on se crée pas à plaisir de nouveaux ennemis, quelques faibles qu’ils soient. Les plus grandes nations, je le répète, ne négligent pas ce soin.

Voyez ce qui s'est passé à propos de la guerre de Crimée. L'Angleterre et la France se sont empressés de recevoir le Piémont dans leur alliance, et c'est dans les champs de Traktir qu'a germé la semence de Solferino.

Il est facile de dire que l'ennemi violera la partie la plus éloignée de notre territoire, mais, pour qu'une telle supposition soit saisissable et discutable, il faudrait au moins l'appuyer de considérations politiques et militaires un peu plus développées.

Quelle nation violera notre territoire ? quelles seront ses forces ? quels seront ses ennemis ? quelle sera la cause de la guerre ? quelles seront nos alliances ? Ce sont toutes choses que le gouvernement devra connaître et apprécier avant de prendre une résolution.

Et d'ailleurs, si notre frontière était violée à l'extrême pointe du Luxembourg, loin du rayon d'action de notre armée, qui nous forcerait d'y courir immédiatement ?

Avant de se lancer à l'étourdie, le gouvernement aurait à délibérer sérieusement sur la politique à suivre, sur la conduite à tenir et la question militaire ne serait peut-être que le corollaire de questions beaucoup plus élevées.

Nous ne pouvons pas prévoir quelle part nous est réservée dans les grandes luttes européennes ; mais nous devons nous organiser en vue d'y jouer le rôle que notre situation politique et géographique nous impose.

Avec une armée de 100,000 hommes, nous pouvons répondre d'une manière absolue que nous serons en mesure de faire respecter notre neutralité et d'empêcher les belligérants de faire des diversions sur notre territoire.

Si deux grandes nations étaient en lutte sur notre frontière, elles y regarderaient à deux fois avant d'étendre chez nous le cercle de leurs opérations.

De pareilles diversions ne se font pas en présence d'une armée de 100,000 hommes.

On se crée, du reste, de la guerre défensive une étrange idée ; on croit que les armées n'ont qu'à se porter à la frontière et à entamer immédiatement la lutte.

Les choses ne se passent pas ainsi. On s'observe généralement avant de s'attaquer et ce n'est pas sans mûre réflexion que l'un des belligérants porte les premiers coups.

Etudions les guerres de l'Empire ; nous verrons que, sauf dans des circonstances exceptionnelles, Napoléon avait soin de rester en observation pour étudier la contenance de son ennemi. Voyez la guerre de 1805 ; les Autrichiens commencent le mouvement, et l'empereur y répond par sa marche sur Donawerth.

En 1806, ce sont les Prussiens qui marchent encore les premiers, et l'empereur concentré à Bamberg, leur répond également en marchant sur Iéna. Un principe de la guerre, c'est d'avoir ses troupes aussi concentrées que possible, de découvrir ce que fait l'ennemi, et de profiter par des coups de riposte des fautes qu'il peut commettre.

Si notre pays est menacé, l'armée prendra une bonne position d'observation ; elle verra à qui elle a affaire ; quelles sont les forces qui sont dirigées contre elle ; les mouvements auxquels l'ennemi se livre. Si elle n'a devant elle que des forces égales aux siennes, elle leur tiendra tête ; mais si elle se trouve en présence d'une armée trop supérieure en nombre, de 200,000 hommes, comme on l'a dit, elle ne sera pas assez insensée pour livrer une bataille perdue d'avance ; ce sera le cas pour elle de se replier, en combattant, sur Anvers, où elle attendra les événements.

On se peut pas exiger qu'une armée belge de 60,000 hommes réponde de tout, suffise à tout et dans toutes les circonstances.

Il pourra certainement arriver que notre armée soit impuissante à empêcher la violation du territoire ; mais ce n'est pas une raison pour s'en passer ou pour l'amoindrir, car ce serait folie que de supposer qu'il ne se présentera pas des éventualités, des circonstance où nous serons à même de combattre avec succès et de repousser l'envahisseur.

Voyez, messieurs, ce que peuvent faire de petites armées. Rappelez-vous le Piémont, que l'honorable M. d'Elhoungne vous a déjà cité. Certainement le Piémont qui constituait une petite nation de cinq millions d'habitants, avec une armée à peu près de la force de la nôtre, n'avait pas la prétention de renverser le colosse autrichien.

Cependant il lui a tenu tête, et fièrement.

Lorsque le danger est venu, lorsque les Autrichiens ont envahi leurs provinces, qu'ont fait les Piémontais ? ils ont cédé le terrain ; ils se sont concentrés à Alexandrie et de là ont surveillé les mouvements des Autrichiens, qui se trouvaient pris de flanc, soit dans une marche progressive sur Turin ou sur Gênes.

Cette manœuvre a pleinement réussi.

Quand les Autrichiens ont poussé en avant, il était trop tard, les Français étaient là et le premier combat livré lorsque les alliés prirent l'offensive, celui de Palestro, a été soutenu, en grande partie, par les Piémontais dégagés.

Il y a un autre exemple qui doit vous toucher, vous, messieurs de la droite, c'est celui que nous présentent les Etats de l'Eglise. Il est (page 733) certain que la petite armée romaine n'a pas la prétention de résister à l'armée italienne. Si elle a devant elle une armée d'une force égale ou peu supérieure à la sienne, elle l'abordera franchement et en campagne. Mais si l'écart est trop considérable, elle se retirera dans le camp retranché qu'on lui prépare sous les murs de Rome, et elle attendra l'arrivée des Français, pour marcher ensuite à l’avant-garde contre l'ennemi commun.

Dans la campagne de 1866, le Hanovre, malgré sa faiblesse relative, aurait pu peser d'un grand poids dans la balance des événements.

Avec un système de mobilisation parfaitement établi, et une bonne place de refuge comme Anvers, elle arrêtait le corps prussien sur place et dégageait pour quelques semaines l'armée de l'Allemagne du Sud.

Mais les Hanovriens n'étaient pas préparés ; ils n'ont pas eu le temps d'organiser leurs transports et sont partis, laissant derrière eux leurs canons, leurs trains, leur poudre. Ils sont arrivés à Göttingen sans munitions et ils ont encore fait la faute de s'y arrêter quatre à cinq jours, au lieu de continuer leur marche sur Cassel.

Ainsi, messieurs, vous voyez ce qui arrive aux petites armées. Impuissantes si elles sont mal organisées, elles peuvent, dans le cas contraire, sauver le pays, non pas en bordant la frontière, en y livrant bataille à des forces doubles, triples, mais en manœuvrant, et en manœuvrant bien.

Notre armée de 60,000 hommes est une force réelle qui n'est pas à dédaigner ; et cependant les procès-verbaux de la commission mixte vous démontrent que nous aurons en plus, dans le camp retranché, deux autres divisions, lesquelles peuvent,, dans, des cas donnés, porter nos troupes en campagne à 80,000 ou au strict minimum, à 70,000, L'armée active de 60,000, qu'on ne l'oublie pas, est celle qu'on peut détacher d'Anvers et faire manœuvrer au loin sans compromettre les destinées de notre réduit. Anvers doit dans tous les temps et en toutes circonstances se trouver à l'abri d'un coup de main. Nous pouvons avoir et il est certain que nous aurons des alliés. Dès qu'ils se seront joints à nous, il nous faudra suivre leurs opérations et leur fortune ; c'est dans ce cas que l'armée de campagne sera peut-être détachée tout entière.

Et notre place de refuge n'a pas à craindre de siège sérieux durant les opérations. On pourra l'observer, la resserrer plus ou, moins, on.ne tentera pas de la réduire par la force. Une armée, quelque puissante qu'on la suppose, n'oserait entreprendre un tel siège, alors qu'elle n'aurait pas détruit sa rivale, qu'elle ne serait pas complètement maîtresse de la campagne, car elle se priverait d'une grande partie de ses forces. En l'absence de l'armée, les deux divisions du camp retranché, l'artillerie de siège et les réserves nationales mettront Anvers à l'abri des diversions qu'on voudrait tenter contre lui. J'ai la conviction que le siège n'aura lieu que si nous sommes abandonnés de Dieu et du monde. Dans ce cas, l'armée tout entière se trouvera réunie.

Messieurs, le dernier discours de l'honorable M. Nothomb a démontré que nous sommes d'accord avec lui sur beaucoup de points, et c'est ce qui rend inexplicables pour moi les conclusions qu'il déduit de son argumentation.

Il est impossible d'admettre que, partisan du système prussien, il nous refuse le contingent que nous demandons, attendu que le système prussien, j'ai déjà eu l'honneur de le dire, amenait un contingent de plus de 16,500 hommes.

On vous a représenté l'organisation prussienne comme une organisation purement défensive. Je ne partage pas cet avis. C'est l'instrument d'offensive le plus complet qui ait été créé. Car toute la population peut servir au recrutement et au comblement des vides de l'armée active, dont les cadres sont tenus au complet aussi longtemps que la nation n'est pas épuisée.

L'année prussienne est une armée magnifique ; je ne connais rien en Europe qui lui soit supérieur ; mais pour faire entrer cette organisation dans les habitudes, il a fallu que la Prusse subît pendant 18 ans les conséquences de ce système.

La nation prussienne est digne d'admiration. En un siècle elle a fait sortir la grande monarchie que nous avons sous les yeux des sables du Brandebourg. Elle avait au début moins de trois millions d'habitants et c'est avec son armée qu'elle a accompli ce miracle. Ce n'est pas d'aujourd'hui que les Prussiens ont inauguré le système qui les a rendus si grands. Il est né avec leur monarchie, et il a été développé par Frédéric II. Il a été mis un moment en oubli, et cet oubli a amené les désastres d'Iéna.

L'esprit de l'armée prussienne, c’est l’offensive incarnée, le cri de guerre est caractéristique : « Vorwartz und drauf » ; leur devise est : « Toujours en vedette. »

Voici quelques idées de Frédéric II et vous verrez qu'elles sont aussi vraies aujourd'hui qu'au jour où elles ont été écrites.

« J'ai vu que les petits Etats peuvent se soutenir contre les plus puissantes monarchies lorsque ces Etats ont de l'industrie et de l'ordre dans les affaires ... Le bon ou le mauvais état des finances sont comme le pouls des Etats, qui influe plus qu'on ne le croit et qu'on le fait dans les opérations politiques et militaires. »

Quant à l'armée, en parlant de celle qu'il mit en œuvre, il dit :

« Ce qui contribua le plus à cette conquête (la Silésie) fut une armée qui s'était formée pendant 22 ans par une admirable discipline et supérieure au restant du militaire de l'Europe.

« ... Le prince d'Anhalt, qu'on peut appeler un mécanicien militaire, introduisit la baguette de fer ; il mit les bataillons a trois hommes de hauteur ; et le défunt roi par ses soins infinis, et un ordre merveilleux dans les troupes et une précision jusqu'alors inconnue en Europe pour les mouvements et les manœuvres. Un bataillon devint une batterie ambulante dont la vitesse de la charge triplait le feu, et donnait aux Prussiens l'avantage d'un contre trois. »

Ainsi avoir les troupes les mieux disciplinées, les mieux armées et les mieux instruites, tel était le but.

L'armée qui a vaincu à Sadowa est sortie des camps de la Prusse moderne comme l'armée de Frédéric II, qui a résisté aux trois plus puissants monarques de cette époque, est sortie des camps de Potsdam.

Celle-ci n'avait pas plus d'expérience des grands champs de bataille que sa cadette. Elle n'avait pas plus fait la guerre que l'armée de Sadowa, ; elle se battait contre de vieilles phalanges ayant l'expérience, du feu, et pourtant ces dernières ont été battues comme les Autrichiens le furent de nos jours dans les champs de la Bohême. Une instruction tactique supérieure, un armement plus complet, ont été les véritables éléments des succès, obtenus à un siècle de distance. Les mêmes moyens ont amené les mêmes effets.

Les Prussiens ont eu à Sadowa l'avantage d'un contre cinq.

Les soldats de Frédéric II avaient sur leurs adversaires l'avantage d'un contre trois.

Vous voyez donc, messieurs, que l'armée, prussienne actuelle est une armée basée sur les anciens principes de Frédéric II, principes qui n'ont jamais été abandonnés, par eux, et qui ont fait la grandeur de la nation. La Prusse a cherché constamment à rendre son armée la mieux disciplinée, la plus manœuvrière et la mieux armée, du monde entier. Quoique faible en nombre, cette armée a toujours été victorieuse. C'est une nation comme le disait l'honorable M. Nothomb, dont on peut discuter la politique, mais qu'il faut respecter et admirer.

Je répondrai quelques mots à l’honorable M. Coomans.

L'honorable M. Coomans n'a pas épargné à l'armée de dures paroles, C'est, selon lui,, une institution qui n’a guère de sympathies.. Les officiers sont des mercenaires.

M. Coomansµ. - Comme le soldat.

MgRµ. - Le mot « mercenaire » employé par l'honorable membre, je l'ai cherché dans le dictionnaire dont il a fait usage.

Eh bien, le mot « mercenaire » est pris constamment en mauvaise part. Un homme mercenaire est un homme vil, un homme qui se vend. Aussi, j'ai été excessivement étonné d'entendre l'honorable M. Coomans s'attribuera lui-même le mot « mercenaire ». Il vous a dit : Nous sommes tous des mercenaires.

M. Coomansµ. - Non, non.

MgRµ. - Vous avez dit que vous receviez 200 florins, pour faire des discours à la Chambre.

Vous vous êtes plu même à répéter ici une définition du mot « armée » qui est outrageante. Vous, avez dit : Qu'est-ce qu’une armée ? D’après le dictionnaire de Bescherelle, c'est une, multitude d'âmes pour la plupart viles et mercenaires.

Bescherelle eût-il donné une pareille définition, il me semble que l'honorable membre aurait dû l'écarter,

M. Coomansµ. - Je l'ai désapprouvée.

MgRµ. - Vous avez dit simplement que c’était une exagération (page 734) rhétorique. Ce n'est pas là une désapprobation. Cette définition n'est pas de Bescherelle, elle est tirée de Fléchier, et de l'oraison funèbre de Turenne.

A cette époque les armées se recrutaient dans les bouges, dans les rangs les plus infimes du peuple, au moyen des sergents recruteurs. C'étaient pour la plupart des âmes viles et mercenaires, mais non des gens tirés au sort et provenant de la partie la plus pure des populations.

Mais Fléchier en parle pour glorifier son héros et nullement pour flétrir les armées.

Il loue Turenne d'avoir fait de ces âmes viles et mercenaires, des hommes accessibles à l'honneur et à la gloire.

L'honorable membre cherche sans doute à atténuer ce qu'il y a de blessant dans son langage, en nous disant qu'il reçoit 200 florins par mois pour faire des discours et que, par conséquent, il est aussi un mercenaire.

M. Coomansµ. - Je n'ai pas dit cela.

MgRµ. - Vous avez dit que vous aviez pu faire remplacer votre fils et ce sont vos paroles : « avec un mois de l'indemnité que je reçois ici pour faire des discours que vous n'approuvez pas. »

Mais, messieurs, je m'étais fait de l'indemnité du représentant une tout autre opinion.

Je n'ai jamais cru qu'on donnât 200 florins au député pour faire des discours.

J'ai toujours pensé que c'était le moyen de procurer au peuple la faculté de chercher ses représentants dans tous les rangs de la société, afin que le riche seul ne fût pas admis à venir défendre ses intérêts dans cette enceinte.

C'est une idée complètement démocratique et très louable.

Il m'est impossible, par exemple, lorsque je vois un membre de la Chambre défendre les droits de la nation, faire des lois, s'occuper de la grandeur du pays, il m'est impossible de le mettre sur la même ligne avec le mercenaire salarié qui vient tous les jours balayer la poussière que les pieds de ce membre ont laissée sur le tapis de la place qu'il occupe.

Nous autres soldats, nous avons la prétention de ne pas être des mercenaires. Ce n'est pas le lucre qui nous a poussés à nous vouer corps et âme à la défense de la patrie, de ses lois et de ses intérêts les plus sacrés.

Les deux sentiments qui nous guident sont : le sacrifice et l'abnégation.

Est-ce que le prêtre est un mercenaire par cela même qu'il reçoit une solde ?

Et le soldat que vous donne-t-il en échange de cette solde que vous lui reprochez ? Il vous donne son sang qu'il versera aussi souvent que la patrie en aura besoin ; il abandonne sa liberté ! Depuis l'instant où nous entrons au service jusqu'au moment où nous le quittons, nous sommes soumis à des lois spéciales.

Nous ne pouvons nous déplacer sans permission, notre conduite privée est soumise aux investigations de nos chefs. Quel est l'homme dans la société actuelle, quel est le fonctionnaire qui se trouve dans la même situation ? Et l'on viendra comparer nos soldats à des boueurs !

La solde qu'on nous donne est la représentation des dépenses nécessaires pour remplir là mission qui nous est confiée. Citez-moi un officier qui ait acheté des châteaux sur ses économies.

J'ai connu des boueurs millionnaires, je n'ai jamais connu un officier qui eût épargné deux sous.

L'honorable M. Coomans a taxé nos lois de milice d'un ensemble d'iniquités.

Je ne parlerai pas du remplacement.

Il est clair que vous ne trouverez aucun officier partisan de ce système.

Le remplacement est un intérêt civil. L'armée n'est pas tout dans l'Etat, et elle ne peut absorber tous les intérêts d'un pays. Le remplacement, à tort ou à raison, a été fait en vue des progrès de la civilisation, et la preuve c'est que cette loi est du ressort du ministre de l'intérieur et non du département de la guerre. C'est une nécessité, nous la subissons ; seulement nous demandons qu'on nous fournisse de bons éléments. La loi qui nous régit n'a pas atteint ce but ; les sociétés de remplacement ont pu faire entrer dans nos rangs beaucoup de gens qui corrompent les miliciens avec lesquels ils sont en contact. L'histoire de nos tribunaux militaires établit malheureusement cette vérité, nous nous sommes plaints, un peu crûment, un peu durement peut-être, mais c'est l'affection que nous portons aux miliciens qu'on nous confie qui en est cause.

C'est dans leur intérêt même que nous nous sommes élevés contre le remplacement. Pourquoi demandions-nous l'exonération ? Pour avoir la liberté de choisir les remplaçants et de leur imposer des conditions d'admissibilité. Mais dès que la loi civile nous offrira toutes les garanties que nous aurions pu prendre nous-mêmes pour atteindre le but que nous poursuivons, nous n'aurons plus de raison d'insister, et j'espère que la loi que vous ferez vous satisfera à cet égard.

D'après l'honorable M. Coomans, le remplaçant est un homme qui fait un acte honnête, tandis que le remplacé fait un acte déshonnête ; en même temps, M. Coomans nous prévient qu'il vient de faire remplacer son fils Paul...

M. Coomansµ. - Je demande la parole.

MgRµ. - Voici les paroles de l'honorable membre :

« Le remplaçant est un pauvre diable qui, d'après vous, exerce un noble métier : le noble métier des armes. Il accepte quelque argent en retour ; pourquoi pas ? Les officiers servent-ils gratis ? »

Vous l'entendez, toujours le même esprit !

Voilà les officiers mis à côté des remplaçants.

Je continue :

« ... Mais celui qu'il a remplacé, que fait-il ? Il a peur, soit de mourir sur le champ de bataille, soit de se salir, on l'a dit, dans les casernes ! Et le remplaçant qui fait un acte honnête, plus honnête que l'acte du remplacé, ce remplaçant vous l'accablez d'invectives. »

Me suis-je trompé sur les intentions de l'honorable membre !

M. Coomans accable la loi de milice de critiques amères ; c'est un ensemble d'iniquités ; il dit, par exemple : « Le privilège de l'exemption des soutiens de famille donne lieu à des abus criants. Vous connaissez comme moi ceux qui refusent un certificat au malheureux qui a droit pour empêcher qu'un autre, un heureux du monde ne marche à sa place. »

C'est une grave accusation ; et elle n'est pas fondée.

Les certificats requis pour procurer l'exemption sont signés par trois témoins voisins et notables et par les membres de l'autorité locale et délivrés sous leur responsabilité personnelle. C'est le certificat N, annexé à la loi du 8 janvier 1817. (Interruption.) Voilà la vérité.

M. Van Overloopµ. - Ce qui donne lieu à une action en dommages et intérêts en cas de délivrance d'un certificat contraire à la vérité.

MgRµ. - Une seconde accusation tout aussi grave de M. Coomans est celle-ci :

« L'enfant unique du pauvre est exempté, mais dans une famille où il y a un garçon, fils unique, chargé de gagner le pain de deux ou trois sœurs infâmes, c'est-à-dire dans une famille où la circonstance aggravante que je viens de dire devrait amener l'exemption, dans cette famille-là, l'exemption est supprimée dans le cas où elle serait la mieux justifiée. »

Cette assertion est aussi peu justifiée que la première. Ce frère unique est exempté pour un an, tout comme le fils et enfant unique. cette exemption est continuée, si la circonstance subsiste, jusqu'au jour où elle devient définitive, à l'âge de 24 ans. Voici le texte de la loi.

« Le frère unique de celui ou de ceux qui sont atteints de paralysie, de cécité, de démence complète ou d'autres maladies ou infirmités présumées incurables, de manière qu'ils doivent être entièrement perdus pour leur famille. » Paragraphe cc de l'article 94 de la loi du 8 janvier 1817.

« L'unique frère non marié d'une famille, nommément s'il habite avec ses père et mère, ou le survivant d'entre eux, s'il pourvoit à leur entretien par le travail de ses mains et s'il est pour cela indispensable. » Paragraphe dd du même article.

Voilà, messieurs, la réponse que j'avais à faire.

Il y a cependant un point sur lequel je suis d'accord avec l'honorable M. Coomans. Je veux parler de la solde et de l'habillement du soldat, et ici je réponds à quelques observations de l'honorable M. Van Overloop.

Il est évident pour moi que lorsque l'Etat enlève un enfant à sa famille, il assume par cela même l'obligation de l'habiller et de le nourrir sans qu'il en coûte rien à cette famille, et si je reste au ministère, lors du budget prochain, je développerai devant vous toutes les conséquences de nos règlements d'administration et je vous proposerai la réforme des abus qui pourraient exister.

(page 735) M. Van Overloopµ et d'autres membres. - A la bonne heure !

MgRµ. - Je m'y engage. On a déjà fait beaucoup. Depuis 1864, la première mise a été portée de 10 fr. à 36 fr. ; c'est une amélioration.

De plus, si vous approuvez la proposition que mon honorable prédécesseur et moi nous vous avons faites, proposition qui consiste à retrancher 20 centimes de la solde pour l'achat de la viande, l'argent de poche du soldat d'infanterie se trouvera portée à 50 ou 60 centimes tous les 5 jours.

Si, en ce qui concerne l'habillement, nous arrivons, en outre, à combiner les choses de telle façon que le soldat puisse acquitter sa dette à la masse, la question sera résolue.

Une remarque cependant ne peut être négligée à ce propos.

J'ai fait le relevé du doit et de l'avoir de l'armée ; le voici : il y a 49,800hommes qui ont un boni, c'est-à-dire qui non seulement ont payé toutes leurs dettes, mais qui possèdent un avoir, lequel varie de 27 à 25 francs.

M. Coomansµ. - Les remplaçants ne sont-ils pas compris dans votre chiffre ?

MgRµ. - Tout y est compris ; mais remarquez que je ne prétends pas qu'il ne reste rien à faire.

38,789 hommes ont des dettes.

Je ne dois pas cacher à la Chambre qu'une partie de ces dettes provient des congés dont les miliciens jouissent durant la durée du service.

Lorsqu'on demande un congé de trois mois, par exemple, pour un milicien et qu'on l'obtient, on lui fait contracter par cela même une dette de 27 francs. Quand il y a beaucoup d'hommes en congé, il y a donc beaucoup de dettes, mais le gouvernement ne peut en être rendu responsable.

La solde du soldat se compose, vous le savez, de deux parties : l'une sert au ménage et au prêt ; l'autre, montant à 28 centimes par jour, est versée à la masse d'habillement. Quand un soldat est en congé, il ne reçoit pas de solde ; par conséquent, il ne peut pas diminuer sa dette à la masse à concurrence de 28 centimes par jour. Or, multipliez ces 28 c. par le nombre de jours de congé et voyez à quel résultat on arrive. Ainsi, quand un jeune homme obtient, au bout de six ou sept mois de service, un congé qui, successivement renouvelé, dure jusqu'à la fin de son service, on lui fait contracter une dette de 120 francs.

M. de Theuxµ. - Mais il peut gagner au moins trois fois autant en travaillant chez lui.

MgRµ. - Je le veux bien ; mais ne venez pas dire que l'Etat est coupable de cette situation et que c'est à lui qu'il faut s'en prendre si le milicien ne peut pas contracter mariage avant de s'acquitter envers l'Etat. C'est là le point que je voulais établir.

Maintenant, messieurs, reviendrai-je sur ce qu'a dit l'honorable M. Coomans des prétendues bêtes de somme qu'il a vues dans la rue Neuve ? (Interruption.) Permettez ; un mot seulement : jusqu'à présent nous n'avons pas trouvé le moyen de donner des domestiques à nos soldats ; ils font eux-mêmes les corvées. Il en résulte qu'ils sont bien obligés de porter et de reporter leurs lits et leurs literies aux magasins ; et ils doivent être charmés lorsqu'ils trouvent moyen de se servir de charrettes à bras au lieu de porter ces objets sur le dos.

Voilà, messieurs, ce qui a provoqué la singulière appréciation de l'honorable membre ; et, je dois le dire, il n'y a rien là qui me paraisse répréhensible.

Maintenant reste la grande affaire : le factionnaire de la rue de la Loi.

- Plusieurs voix. - Non ! non ! laissez cela.

MgRµ. - Un mot seulement, car ici je vais avoir l'occasion de faire grand plaisir sans doute à l'honorable M. Coomans. Il y a, en effet, dans la consigne quelque chose qui ressemble à ce qu'il nous a dit ; mais, encore une fois, je n'y trouve, moi chef de l'armée, absolument rien à reprendre.

Seulement il n'est pas exact que le factionnaire de l'hôtel du ministre de la guerre doive, en tous temps, tirer la sonnette pour le ministre. La consigne porte que lorsque le ministre revient d'une cérémonie publique, en grand costume officiel, le factionnaire, dès qu'il aperçoit la voiture du ministre, tirera la sonnette pour annoncer son arrivée. Eh bien, je le demande, où est le mal ?

M. Bouvierµ. - Voilà ! (Interruption.)

MgRµ. - Messieurs, l'honorable M. Coomans m'a donné une leçon d'histoire. Il paraît que j'ai commis une énormité, en prétendant que la Belgique, sous le régime de l'Espagne comme sous le régime de l'Autriche, aurait été gouvernée par des étrangers.

Je me demande, messieurs, en quoi je me suis trompé ; je me demande où l'honorable membre a jamais vu que les ministres plénipotentiaires ou gouverneurs généraux du pays auraient été des Belges. S'il avait dit que le pays a été administré par des Belges, il eût été parfaitement dans le vrai. Mais qu'est-ce que c'est que gouverner un pays ? Ces évidemment régler ses destinées. Or, en quel temps, sous le régime espagnol ou sous le régime autrichien, avons-nous jamais été maîtres de nos destinées ? (Interruption.) Je voudrais bien savoir quels sont ceux qui ont amené toutes les guerres qui ont ensanglanté notre territoire.

Qu'on me dise si ce sont des Belges qui ont déclaré les guerres sous Louis XIV et sous Louis XV. Est-ce la Belgique qui a signé les traités désastreux qui chaque fois lui arrachaient des lambeaux de son territoire ? Notre pays disposait-il de lui-même, lorsqu'une souveraine dont nous devons respecter la mémoire, car elle nous a donné des jours de tranquillité après tant d'orages, lorsque Marie-Thérèse, dis-je, méditait d'échanger notre territoire contre le duché de Parme ? Non, messieurs, nos destins ne nous ont jamais appartenu et c'est pour cela que les princes qui nous gouvernaient ne voulaient pas d'une armée belge, qui eût certainement contrarié leurs desseins.

A cet égard, messieurs, j'ai pour moi l'autorité d'un témoin oculaire, auteur très remarquable qui écrivait en 1646, je veux parler de Van der Noot. Voici, messieurs, quelques lignes d'appréciation sur notre situation militaire à cette époque. C'est tout un enseignement :

« L'acquisition de l'Espagne aux souverains des Pays-Bas a été cause de leur ruine. Ce pays, autrefois l'objet de toute leur sollicitude, n'a plus été pour eux qu'un objet secondaire. Depuis les troubles, le roi se méfiant des régnicoles a augmenté le mal en ne donnant sa confiance qu'aux étrangers qui eux-mêmes y sont arrivés sans aucune connaissance des choses et l'ont entretenu dans l'erreur. De là est venue la défiance entre le roi et la nation, dernier signe de la décadence d'un Etat, qui corrompt et altère non seulement les meilleures actions, mais aussi les meilleures intentions...

« Par suite de sa position, entourée comme elle l'est de voisins puissants, la Belgique a besoin de posséder une bonne armée placée sur des villes-frontières qui seraient contentes d'avoir des soldats si on les payait bien.

« Il y a longtemps que les Espagnols se sont attribué cette vanité que sans leur nation ce pays ne pouvait se conserver, au moyen de quoi ils ont trouvé bon d'y entretenir trois régiments montant à 5,000 hommes ; mais depuis quelques ans plus défiants dans la fidélité, ils y ont entretenu 7 à 8 régiments montant de 12,000 à 13,000 hommes et y ont de plus introduit des Allemands, des Italiens, des Irlandais, des Anglais.

« En quoi ils ont fait diverses fautes.

« La première, c'est la défiance qu'ils ont montrée et qui a été cause qu'ils ne se sont pas servis des Wallons comme ils l'auraient dû, ni en quantité, ni au degré qu'il convenait, et qui leur touche, et les employant aux fonctions les moins honorables, les logeant aux places et postes les plus pénibles, leur étant le quartier qu'ils ont toujours tenu en grande réputation, en tous sièges des villes, et les traitant avec beaucoup d'autres indignités, ce qui est cause que cette milice s'est dégoûtée et n'a rendu le service que de tout temps elle a fait, ayant été toujours la principale force des armées des ducs de Bourgogne, de Charles V, de Philippe II et de l'archiduc Albert.

« On dit que les levées d'Espagnols pour les Pays-Bas ruinent l'Espagne, mais ce n'est pas les 13,000 hommes qu'il faut qui ruinent sa population, mais la manière de les lever. Pour en avoir 13,000, on en lève 50,000 ; la plupart des hommes meurent de mélancolie, désolés qu'ils sont d'abandonner leurs femmes, leurs enfants, leurs foyers, sans pouvoir même leur dire adieu, car le plus souvent on les enlève au sortir des églises... »

Puis Vander Noot réclame une armée nationale. Il la veut de 20,000 hommes de pied, de 4,000 chevaux et de 30 bâtiments de guerre.

« Ils doivent être naturels du pays. Outre que ceux du pays ne le cèdent à aucune nation en vaillance, ils ont au moins pour mobile l'intérêt commun, tandis que c'est l'intérêt particulier qui guide les autres. (page 736) On ne devrait introduire les étrangers qu'en petit nombre et seulement par émulation. Et puis on ne pardonne pas une défaite à un soldat étranger, on le méprise et on le hait, et lui-même, privé de tout éloge, perd aussi tout désir de se distinguer.

« Bien disciplinés.

« Car la discipline est l'âme des armées, elle leur donne la vie, le mouvement, la disposition, la force. C'est le secret des conquêtes romaines. Cette discipline est d'autant plus précieuse pour un petit pays que renversée elle ruine tout...

« Que l'on compare seulement aux armées d'aujourd'hui les belles armées de Charles-Quint, Philippe II et Albert qui servaient d'école à toute l'Europe et faisaient l'admiration et l'étonnement du monde, tandis qu'aujourd'hui a succédé une dissolution et licence de tout faire, De sorte que les armées maintenant servent de moquerie et de mépris aux étrangers, ne faisant d'autres exploits que de voler, piller, brigander et tous autres excès de gens débandés, n'ayant ni la vertu ni le courage qui les faisaient redouter à leurs ennemis, qu'ils n'osent plus regarder ni même attendre, bien loin de remporter les victoires du passé qu'il ne faut pas espérer d'obtenir de Dieu qui est Celui seul qui les donne, lequel, encore que la cause soit juste, n'est accoutumé de les faire avoir par les mains des hommes mauvais, sacrilèges, blasphémateurs, déshonnêtes, larrons et désordonnés en toutes choses. Ce défaut de discipline est tel, que les habitants de ces campagnes dépouillées préfèrent voir l'ennemi que leurs soldats propres ; ils fuient à leur aspect et les champs en friche ne présagent que la misère. »

Ceci est de 1646 ; la même situation existait déjà avant cette époque Voici un document de 1622, c'est une lettre de l'audiencier Louis Verreyken :

« Le mauvais traitement fait aux Wallons les porte à s'engager à l'étranger, en Allemagne ou en France, tandis que l'on est obligé d'engager des Allemands, des Anglais et des Ecossais qui coûtent très cher, sont hérétiques et ennemis du service du roi : « Les gens du pays sont logés dans les forts ; s’ils vont en ville, ils n’ont nul service. » Il n’est pas étonnant qu’ils aillent servir au dehors, même à l’ennemi, où il y a des régiments entiers de Wallons et « grandissime nombre de gens de la Campine », et font les uns et les autres plus de service que nulle autre qu’il y ait.

a Et, m'a dit le baron d'Auchy, qu'entre l'infanterie du comte d'Anhalt seulement, il y en a bien 500 de ce pays, lesquels tous n'est croyable que s'en iroient d'icy, si ce n'estait qu'ils se voient pis traitez que nuls aultres. »

Eh bien, depuis cette époque jusqu'à Philippe V, d'odieuse mémoire selon l'honorable M. Coomans, parce qu'il a établi la conscription, notre pays a été dans une situation épouvantable. Les pillages des soldats se renouvelaient tous les jours ; et le mal en était venu à ce point que l'on constate dans les placards du temps, l'excitation des habitants à la poursuite et au meurtre des soldats vagabonds. Quant à moi, loin de blâmer Philippe V d'avoir établi la conscription, je l'en loue, car elle était un véritable bienfait pour nos provinces.

Voici le préambule de cet acte important du 5 mars 1701 :

« S. M. ayant résolu de tenir dans ses Pays-Bas certain nombre de gens de guerre ce qui suffirait seul pour leur défense, et pour ne plus être obligé de se servir des gens d'autres pays, ordonne, etc., etc. »

Je répète que c'était là un bienfait ; nous devons louer Philippe V de cette conscription, alors qu'il confiait la défense de la patrie aux enfants du pays et qu'il faisait sortir nos aïeux de la situation intolérable où ils se trouvaient depuis si longtemps.

Maintenant est-ce nous qui avons appelé la domination autrichienne ? Non, elle nous a été imposée ! Et à quelles conditions cette autorité s'est-elle implantée dans nos provinces ? Par l'infâme traité de la Barrière.

Rappelez-vous les indignations que ce traité a excitées, les désordres, les révoltes, les soulèvements que l'état d'abjection où nous étions tombés a créés dans le peuple !l Rappelez-vous Agneessens.

Le gouvernement autrichien a commencé par le meurtre juridique du héros bruxellois, et s'est terminé par la révolution de 1790. Nous n'avions pas la conscription ! Belle compensation ! Mais nos campagnes étaient dévastées par la guerre suscitée en vue d'intérêts purement autrichiens et qui ne nous concernaient pas. Pourquoi, d'ailleurs, le tirage au sort ? L'Autriche pas plus que l'Espagne ne voulait d'armée belge, et elle se contentait de quelques régiments qui, du reste, s'illustrèrent loin de leur patrie, en combattant en Bohême et en Italie.

Et puis, ce tirage au sort, dont on parle tant, a toujours existé dans notre pays. Il y avait remplacé un mode pire encore que celui-là : l'arbitraire !

Le droit de lever le ban et l'arrière-ban a toujours été un droit attribué à nos princes et dont ils ont souvent usé !

Chaque fois qu'on proclamait le ban et l'arrière-ban, on désignait tant d'hommes par clocher, an moyen d'un tirage au sort. Cette coutume remonte fort haut dans nos annales. Je possède à l'appui de ce fait un grand nombre de documents.

Antérieurement on avait recours à un autre procédé, je l'ai déjà dit, c'était l'arbitraire.

Les magistrats avaient le droit de désigner eux-mêmes ceux qui devaient faire le service militaire. Je préfère le tirage au sort à ce système-là.

J'ai retrouvé récemment deux pièces relatives au serment de Vilvorde et au serment de Malines. Quand le serment de Malines n'était pas au complet, on désignait un bourgeois pour en faire partie ; s'il refusait, il payait une amende. A Vilvorde, on peignait une grande croix rouge sur la porte de l'individu désigné et qui refusait de servir, on l'y laissait jusqu'à ce qu'il se fût exécuté.

Je crois que si nous voulions remonter plus haut, nous trouverions le tirage au sort dans la Bible. Lorsque les tribus demandaient des hommes pour marcher à l'ennemi, comment les désignait-on ?

L'histoire de l'organisation des armées est curieuse à étudier sous ce rapport. Toujours on commence par s'adresser aux volontaires, pour en arriver fatalement au tirage au sort. C'est l'esprit de la loi de 1817 qui nous régit ; voyez où nous en sommes arrivés.

Le même résultat se révèle aux Etats-Unis. Le point de départ est une armée de volontaires, on ne veut que des volontaires, et on aboutit, eu fin de compte, au tirage au sort et au remplacement.

C'est en vain qu'en 1814, les souverains alliés promirent l'abolition du tirage au sort en Belgique ; c'est en vain que Louis XVIII et plus tard Louis-Philippe font luire aux yeux des Français la même illusion.

On peut faire de semblables promesses en présence des grandes émotions populaires ; mais quand il s'agit de les tenir, on se trouve devant une impossibilité.

Il est échappé à l'honorable M. Coomans, au sujet de l'armée, des paroles malheureuses, et ceux qui ne la connaissent pas pourraient en inférer qu'elle n'est pas digne de l'intérêt du pays. En voici quelques-unes : « Des soldats, vous faites des malheureux. » Plus loin, il nous cite un père qui regrette le remplacement, parce que son gredin de fils aurait pu entrer à la caserne. Plus loin encore il s'exprime ainsi :

« Je trouverais très prudent de mettre tous les mauvais sujets dans l'armée. Je les aime mieux là que dans la vie civile... Mais les gredins dont vous parlez, dont vous dites que l'armée est pleine, ces gredins peuvent faire beaucoup plus de mal dans la vie civile que dans l'armée. »

Voilà comment l'honorable M. Coomans s'exprime en parlant de l'armée. Je n'ai pu entendre prononcer ces paroles sans une vive émotion. Je dis que l'honorable membre ne connaît pas l'armée ; je dis qu'il y a dans l'armée des vertus sérieuses et solides ; je dis que nos miliciens sont de bons et de dignes enfants qui méritent toutes vos sympathies. Si vous voulez les juger, venez les voir dans leur camp ; promenez-vous le soir autour de leurs baraques ; vous entendrez là s'ils sont malheureux ; ils ne se livrent pas à des doléances ; ils s'amusent entre eux et ils se racontent des histoires ou quelque gentil milicien épouse une belle princesse. Ils chantent et ne pleurent pas.

Messieurs ; c'est, du reste, une chose incroyable d'entendre avec quel aplomb on parle des choses qu'on ne connaît pas. Pour juger l'armée, on a cité, dans cette enceinte, un écrit émané d'un magistrat qui n'a vu de l'armée que les individus qui ont passé devant son siège d'accusateur public. Il s'est imaginé sans doute que tous les militaires ressemblaient aux hommes qu'il était obligé d'interroger. C'est absolument comme si l'on voulait apprécier la moralité de la population belge, en fréquentant les cours d'assises et les tribunaux correctionnels.

Non, messieurs, j'atteste et j'affirme que notre armée est digne de toute votre confiance. J'atteste et j'affirme que nos soldats sont bons et excellents, et au lieu de leur adresser des paroles décevantes, ce sont des encouragements qu'il faut leur donner. Il faut les relever à leurs propres yeux.

(page 737) Je préfère leur tenir ce langage :

Enfant, lève la tête, car tu dois remplir ici un noble devoir. Tu quittes ton clocher, mais le village n'est pas tout le pays et c'est lui que tu viens servir et que tu vas connaître. Tu quittes momentanément la mère que tu aimes. Mais la patrie est la mère commune et à elle aussi tu dois ton amour et ta vie. Regarde ton drapeau, c'est le symbole de la patrie. Il est confié à ton courage. Tu es chargé de le tenir haut et ferme. Ferme, pour que l'étranger ne le renverse pas ; haut, pour qu'il domine et protège de son ombre tous les partis. Que sous ses plis ceux-ci se disputent et se confondent, peu importe ; aussi longtemps que le drapeau est debout, la patrie existe et la patrie est sauvée.

J'aurais encore d'autres réponses à faire, mais j'ai pris beaucoup de temps, je suis fatigué, et je demande à la Chambre la permission d'y revenir lors de la discussion des articles.

(page 711) MpDµ. - La parole est à M. Van Humbeeck, rapporteur.

M. Coomansµ. - Je l'ai demandée.

MpD. - M. Van Humbeeck était inscrit ayant vous.

M. Coomansµ. - Soit, M. le président.

M. Jacobsµ. - On vient d'entendre deux orateurs pour le projet.

MpDµ. - Votre observation est fondée ; il a en effet été décidé qu’on entendrait alternativement un orateur pour et un orateur contre.

La parole est donc à M. Coomans.

M. Coomansµ. - Je ne serai pas long. Je ne prends la parole que pour répondre aux accusations aussi graves qu'injustes que M. le ministre de la guerre m'a prodiguées.

La tendance de son discours en ce qui me concerne est visible : je suis un ennemi de l'armée et il faut pousser l'armée contre moi ! Cela ne réussira pas. Je n'ai besoin que de rétablir les faits dans toute leur vérité, pour faire disparaître la fantasmagorie qu'on a organisée contre moi.

Est-ce moi qui, le premier, ai prononcé le mot de « mercenaire » ? Non ; c'est l'honorable ministre lui-même. Moi, qui défends les armées de volontaires, j'en ai naturellement fait un grand éloge. Là-dessus, l'honorable ministre a dit à diverses reprises : Mais les armées de volontaires sont composées de mercenaires.

MgRµ. - Je n'ai pas dit cela.

M. Coomansµ. - Vous avez parlé des mercenaires d'Annibal ; vous avez parlé des mercenaires de toute l'Europe.

MgRµ. - Des mercenaires carthaginois.

M. Coomansµ. - Pas des mercenaires carthaginois seulement. Il ne fallait pas remonter si haut pour trouver des mercenaires. Vous venez d'accuser de mercenarisme les Belges nos ancêtres ; vous venez de dire qu'ils allaient de préférence s'engager à l'étranger, en Allemagne, en France, etc. Vous venez de faire le tableau le plus affreux de nos pères, vous venez d'en faire un tableau très noir, très triste et heureusement très exagéré.

Quand vous m'avez dit que les volontaires sont des mercenaires, je vous ai répondu : Mais les officiers ne sont-ils pas aussi des mercenaires ? Vous avez répliqué : « Ceux-là ont le sentiment de l'honneur ».

Soit, je le sais bien, mais les sous-officiers et les soldats mercenaires, c'est-à-dire volontaires, d'après votre définition, n'ont-ils pas aussi le sentiment de l'honneur ? Quel intérêt peuvent avoir des officiers à flétrir leurs inférieurs ? (Interruption.) Pour moi je respecte tous nos soldats, les remplaçants y compris.

Ou votre mot : les officiers ont le sentiment de l'honneur, n'a pas de sens, ou il est une insulte pour leurs inférieurs. J'aime à croire que telle n'a pas été votre pensée, que vous reconnaissez que nos sous-officiers, la plupart volontaires et mercenaires, sont honnêtes et braves. Mais alors votre interruption : les officiers ont le sentiment de l'honneur, n'a pas de signification.

Vous voulez pousser contre moi l'armée, c'est-à-dire les officiers. (Interruption.) C'est là mon appréciation. Eh bien, je défie M. le ministre de la guerre... (Interruption.) Oui, je le défie de faire des officiers belges un éloge pareil à celui que j'en ai fait.

Il n'oserait pas le signer et il aurait raison, parce que, quelque talent qu'il ait, il est modeste, ce qui ne nuit jamais, surtout au talent.

J'ai donc dit que l'élite de la société belge, c'étaient les officiers belges.

M. Nothombµ. - Vous avez littéralement dit cela.

M. Coomansµ. - Je l'ai dit et redit et non par pour les flatter ; mon habitude n'est pas de flatter qui que ce-soit, mais parce que c'est ma conviction intime que l'élite des Belges, sous tous les rapports, se trouve dans l'armée. J'ai dit que si j'avais à tirer au sort, moi qui n'aime pas le sort, pour former un tribunal, ou une académie, ou une administration quelconque, c'est au corps des officiers belges que je donnerais la préférence.

M. Nothombµ. - C'est vrai, vous l'avez dit.

M. Coomansµ. - J'en ai été remercié par de braves officiers qui me taxaient d'une exagération trop flatteuse pour eux.

De quel droit venez-vous donc insinuer que je veux avilir nos officiers ? Du reste, ce serait impossible, Dieu merci ! Mais cette absurde et odieuse idée ne m'est jamais venue.

(page 712) Quand j'ai dit qu'eux aussi étaient des mercenaires, c'était une conséquence que je tirais de votre propre définition. Du reste, peu importent les mots, quand nous sommes d'accord sur le sens.

Quand je vous dis que je n'attache à ce mot de mercenaire aucune flétrissure, de quel droit appuyez-vous tant là-dessus ? Je déclare que, d'après moi, tous les fonctionnaires belges sont des mercenaires, que les ouvriers, les négociants, les industriels sont des mercenaires. Quiconque travaille pour de l'argent est un mercenaire. Vous dites que vont avez lu les dictionnaires les plus loués, alors vous avez dû y trouver cela,

MgRµ. - Je n'y ai pas trouvé cela du tout.

M. Coomansµ. - Alors vous avez mal lu. Il est dit que les ouvriers sont des mercenaires et qu'on ne doit pas retenir leur salaire. Or comme il y a beaucoup d'ouvriers en Belgique, Dieu merci ! il y a beaucoup de mercenaires. Ne flétrissez pas votre propre pays.

L'honorable ministre vient me dire qu'il ne s'occupera pas du remplacement C'est manquer de logique et d'esprit de suite. Le recrutement est la base de toute armée. Il n'y a pas d'officier en Belgique qui ait dit autant de mal du remplacement et des remplaçants que l'honorable général Renard.

MgRµ. - Pas du remplacement, mais des mauvais remplaçants.

M. Coomansµ. - Des mauvais remplaçants ! Dans votre pensée ils sont tous mauvais, puisque vous avez voulu supprimer le remplacement même.

Vous avez dit avec d'autres officiers (vous êtes unanimement d'accord là-dessus, vous venez de le reconnaître), que le remplacement est la lèpre de l'armée. Je vous ai entendu dire à vous qu'il est impossible d'avoir une bonne armée avec le principe du remplacement. Si donc quelqu'un a flétri l'armée, ce n'est pas moi, c'est vous, car le tiers de notre effectif se compose de remplaçants. Moi, j'ai eu soin de reconnaître avec l'honorable M. d'Elhoungne qu'on a très injustement cherché à flétrir les remplaçants.

Je suis convaincu que la plupart des remplaçants sont de très honnêtes gens et je maintiens ce que j'ai dit que l'acte du remplaçant est plus honorable que celui du remplacé.

Je répète que le remplacé a peur dans l'une ou l'autre hypothèse que j'ai indiquée, tandis que le remplaçant est au moins courageux.

Du reste je vous défie de tenir, la veille d'une bataille, le langage que vous et tous vos officiers avez tenu ; ce langage serait aussi dangereux alors qu'il est injuste aujourd'hui.

J'ai signalé diverses iniquités des lois de milice. L'honorable ministre n'a réfuté aucune de mes observations ; je les maintiens donc toutes.

Mais, dit-il, on a exagéré l'insuffisance de la solde des troupes, et la preuve c'est qu'il y a 49,000 soldats, sur un effectif de 80,000 hommes, qui n'ont point de dettes. J'ai immédiatement interrompu l'honorable ministre pour lui demander si les remplaçants et les substituants étaient compris dans ce chiffre de 49,000 soldats. Il m'a répondu affirmativement. Ce chiffre comprend donc 30,000 remplaçants et substituants et il n'est pas étonnant que ceux-ci n'aient pas de dettes puisqu'ils ont reçu, en entrant au service, le prix de leur remplacement ou de leur substitution.

Mais ce que l'honorable ministre aurait dû nous faire connaître, c'est le chiffre des miliciens forcés non endettés. Ce chiffre, vous ne le produirez pas, car il est très faible, et si vous le produisiez, il y aurait encore à en déduire les miliciens qui ont reçu de l'argent de leurs parents et qui l'ont versé à la masse. Il vous resterait alors peut-être 500 miliciens n'ayant pas de dettes. Des officiers m'ont dit qu'il est impossible au milicien de pourvoir avec sa solde aux nécessités de la vie militaire. Voilà ce qui m'a été affirmé par d'honorables officiers, et ils sont de ceux que je crois sur parole, sans me livrer à aucune enquête ultérieure.

Encore une fois, je ne comprends pas quel intérêt nous pouvons avoir à dénigrer nos ancêtres, à les dépeindre comme des mercenaires, dans le mauvais sens du mot, à prétendre qu'ils ont toujours subi le joug étranger.

- Des membres. - Très bien !

M. Coomansµ. - Il est injuste de dire que les Belges aiment mieux servir à l'étranger que de servir en Belgique. Non, cela n'est pas vrai. Ce qui est vrai, c'est que les Belges ont toujours figuré parmi les meilleures troupes, parmi les moins mauvaises de l'Europe entière et je pourrais invoquer bien des témoignages à ce sujet, si j'avais le loisir de vous les soumettre et vous de les recevoir.

Mais, dit l'honorable ministre, (et ici je suis très étonné, je le croyais plus au courant de notre histoire), mais, dit-il, la Belgique a toujours été gouvernée par des étrangers, même au XVIIIème siècle, et il m'a demandé si les ministres plénipotentiaires étaient Belges. Eh i messieurs, j'ai dit, moi-même : « A part les ministres délégués directs de l'empereur-duc, de l'empereur-comte, tous les autres fonctionnaires civils et judiciaires, tous étaient et devaient être Belges. » Eh bien, j'affirme cela de nouveau. L'honorable ministre le nie, je le renvoie à la première histoire élémentaire de la Belgique.

M. Couvreurµ. - La Chambre comprendra qu'au point où la discussion en est arrivée, je n'ai pas l'intention de la rouvrir. Votre attention, à tous, est plus ou moins épuisée ; je suis moi-même assez fatigué et je fais volontiers le sacrifice de quelques observations personnelles que j'avais encore à présenter. Si je demande en ce moment la parole, c'est en partie pour permettre à l'honorable rapporteur de ne pas scinder son discours et, en deuxième lieu, pour acquitter une dette de reconnaissance, tout en apportant à la Chambre quelques indications propres à l'éclairer sur des faits qui ont été inexactement présentés dans le cours des débats.

Il y a deux ordres d'arguments qui devraient être bannis d'une discussion aussi importante, aussi solennelle que celle-ci ; ce sont d'abord les arguments qui incriminent les intentions des membres de cette assemblée, qui les accusent d'égoïsme, d'esprit mercantile, de manque de patriotisme ; ce sont en second lieu les arguments qui, présentés de bonne foi, reposent sur les erreurs de fait.

J'ai, pour rectifier ces erreurs de fait, une raison toute particulière. Il y a trois ans, un peu en prévision des nécessités qui se font jour en ce moment, j'ai fait sur place une étude approfondie du système suisse. Je voulais pouvoir en parler en connaissance de cause et non pas comme un aveugle des couleurs ou avec des préjugés et des opinions préconçues.

J'ai eu la satisfaction d'être mis en rapport, à cette occasion, avec des officiers très distingués, avec des hommes politiques de premier ordre de la confédération helvétique. Parmi ces hommes il en est qui ont lu le discours de l'honorable général Renard, il en est d'autres qui liront le discours prononcé hier par l'honorable M. Tesch.

Je leur dois de rectifier des idées erronées qui ont été formulées par ces deux orateurs. Je payerai ainsi la dette que j'ai contractée à leur égard, tout en rendant, service à mon pays.

Il a été dit hier, par l'honorable M. Tesch, et il avait été dit déjà dans le courant de la discussion, que la Suisse se défend par ses montagnes, qu'elle n'est pas convoitée par ses voisins, qu'elle n'a jamais eu l'importance stratégique de la Belgique, enfin, que ses milices n'ont pas fait leurs preuves contre des armées permanentes. L'honorable M. Tesch a ajouté que cela ne pouvait pas être contesté. Je ne veux pas rentrer, je le répète, dans le fond du débat, mais je dois dire cependant que ces appréciations sont très contestables et sont surtout très contestées par ceux qui sont le plus à même d'en juger ; elles sont très contestées par les principaux intéressés, par les Suisses eux-mêmes.

On a dit que nous étions, nous Belges, très économes, très liardeurs. Ce sont là des qualités et les Suisses les possèdent au moins, au même degré que nous. Bien certainement, s'ils étaient convaincus que les dangers qui ont été signalés ne les menacent pas, ils n'assumeraient pas les charges très lourdes qu'ils s'imposent pour leur organisation militaire. Or, ils estiment que ces charges, ils ne peuvent y renoncer, qu'ils courent des dangers très sérieux, aussi sérieux que les nôtres. Ils pensent aussi que pour s'en abriter ils ont trouvé le moyen le plus efficace et le moins coûteux ; ils voudraient en voir étendre le principe, parce qu'ils considèrent en même temps leur organisation comme ayant un caractère essentiellement pacifique. Ils s'émeuvent, par conséquent, des critiques mal fondées qu'on dirige contre leur œuvre, qui présente sur la nôtre l'avantage très grand de fonctionner sans contestation. C'est à cette émotion légitime que je veux répondre.

Je dis que la Suisse se considère comme très menacée et plus menacée que nous ne l'avons jamais été depuis un grand nombre d'années.

Habitant un pays composé de trois nationalités, un pays où l'on parle à la fois le français, l'allemand et l'italien, ils redoutent les convoitises de leurs puissants voisins.

Les cantons de Genève, de Vaud, du Valais se tiennent, à tort ou à raison, pour menacés par la France. Les Bernois ont eu plus d'une fois des inquiétudes quant au Jura français.

(page 713) Rappelez-vous quelle émotion l'annexion de la Savoie à la France fit éclater dans toute la Confédération. A cette époque, il s'en fallut de peu que la Suisse ne fit occuper militairement le Chablais et le Faucigny. La proposition en fut faite au conseil fédéral par un de ses membres. C'était une déclaration de guerre à la France. Je ne pense pas que nous ayons jamais poussé aussi loin nos préoccupations ou notre ambition.

Il y a d'autres points encore de leur territoire que les Suisses ont cru exposés plus d'une fois aux convoitises de leurs voisins ; les Italianissimes ont élevé des prétentions sur le Tessin.

Enfin, lorsque l'Autriche était encore maîtresse de la Lombardie, le patriotisme helvétique l'a plus d'une fois soupçonnée de vouloir s'emparer des Grisons, non point à cause des richesses de ce canton, mais parce qu'il donnait la possession de deux routes stratégiques très importantes vers Milan, l'une par la vallée de l'Engadine, l'autre par celle du Rhin supérieur et du Splugen.

La Suisse, messieurs, ne se regarde pas non plus d'une manière absolue à l'abri d'une agression étrangère grâce à ses montagnes. Elle reconnaît que ses montagnes présentent des obstacles réels, mais elle se souvient que ces obstacles ont été franchis. Elle se souvient que Bonaparte a traversé les Alpes, elle se souvient qu'avec plus de difficultés, mais non moins de succès, Souwaroff a pu monter des plaines de la Lombardie jusqu'au Saint-Gothard, malgré la résistance des généraux français Gudin, Lecourbe et Masséna, redescendu jusqu'au lac des Quatre Cantons et regagner son point de départ, après la perte de la bataille de Zurich, avec une armée très éprouvée sans doute, mais nullement décimée.

La preuve que les Suisses ne se considèrent pas comme à l'abri d'une agression, c'est qu'en ce moment même ils se préoccupent d'établir des fortifications spéciales à Olten, point de concentration de tous leurs chemins de fer. Pour eux, leurs montagnes sont comme le dernier refuge de leur nationalité ; mais ils savent aussi qu'avant de les attaquer dans cette retraite, avant de faire la conquête de leurs neiges éternelles, l'ennemi venant du Nord, de l'Est ou de l'Ouest s'établira dans les plantureuses vallées qu'arrosent l'Aar, la Limmat ou la Reuss inférieure, dans les villes riches et industrieuses de Genève, de Berne, de Soleure, d'Aarau, de Zurich, de Zug, de Winterthur et de Constance, lesquelles ne sont couvertes par aucune fortification naturelle.

Quant à l'importance stratégique de la Suisse, ils croient qu'elle est plus grande qu'on n'a voulu le dire dans la séance d'hier. Ainsi, ils prétendent que dans une guerre entre la France, l'Italie et l'Autriche, le Splugen d'une part, le Simplon de l'autre, sont des routes stratégiques de premier ordre. Cela est si vrai, qu'en 1859, la presse helvétique discuta longuement la destruction de la route du Simplon, afin d'éviter que les Français ne prissent à revers la capitale de la Lombardie occupée par les Autrichiens.

Les Suisses pensent également que dans une guerre entre l'Allemagne méridionale et la France, le nord-ouest de leur territoire serait au moins aussi exposé que peuvent l'être, dans notre pays, les provinces de Liège, de Namur et de Luxembourg.

Donc, messieurs, les Suisses ne se tiennent pas pour aussi protégés qu'on l'a dit dans cette enceinte, et ils considèrent la bonne organisation de leur armée comme une nécessité de premier ordre.

Trois objections ont été faites par l'honorable ministre de la guerre contre cette organisation.

Les milices suisses, à la fin du siècle dernier, n'ont pas su défendre leur pays contre les envahisseurs ; ces milices se sont révoltées, elles ont assassiné leurs officiers, elles se sont débandées. Voilà la première objection. Lors de la guerre de Sonderbund, de déplorables exemples d'incapacité et d'insuffisance ont été donnés par les milices suisses et leurs officiers. Voilà la seconde critique. Enfin, l'honorable ministre de la guerre a dit que l'insuffisance de l'armée suisse était si bien établie qu'en ce moment même ce pays se préoccupe de la modifier et qu'en 1866 des corps de volontaires se sont formés précisément pour obvier à cette insuffisance.

Messieurs, voici la réponse que les intéressés font à ces trois objections.

Sur le premier point, ils disent, et je crois que c'est avec raison, qu'il ne faut pas comparer la Suisse dégénérée de la fin du siècle dernier avec la Suisse actuelle. La plupart des cantons étaient alors aux mains d'un pouvoir oligarchique qui avait soulevé contre sa tyrannie les sentiments les plus intimes des populations.

Voilà dans quelles conditions s'est faite l'invasion de la Suisse. Là, comme dans les autres Etats de l'Europe, les armes françaises ont trouvé des alliés indirects ; cela explique leurs rapides succès. En outre, à cette cause il faut ajouter pour la Suisse l'absence de toute organisation militaire unifiée. C'étaient des milices cantonales qui se battaient et non les milices de la Confédération. Et ces milices elles-mêmes étaient désorganisées. Au lieu de les développer, comme l'exigeaient les besoins du temps et la reconnaissance pour les services qu'elles avaient rendus, lors des guerres de la Suisse contre la chevalerie, les oligarques de la république avaient cédé leurs fils aux armées permanentes des rois étrangers et ils imitaient les institutions militaires de ces potentats. De là la corruption et la ruine et l'impuissance de l'ancienne Confédération.

Je crois donc, messieurs, que cet argument puisé dans l'histoire de la fin du siècle dernier doit être écarté du débat.

Vient le second point, celui de l'incapacité et de l'indiscipline des milices pendant la guerre du Sonderbund

J'ai encore rencontré l'argument l'autre jour, dans une interruption adressée à M. Le Hardy de Beaulieu.

Lisez, disait M. le ministre des finances, lisez le rapport du commandant en chef et des officiers de l'armée fédérale et du Sonderbund.

La guerre du Sonderbund fut une guerre civile. Il serait bon de constater jusqu'à quel point les milices qui servirent dans l'une ou dans l'autre armée étaient d'accord avec les chefs qui les menaient au combat ; dans les deux camps c'étaient des milices, les unes catholiques, les autres libérales, et ces milices étaient naturellement peu disposées à combattre leurs coreligionnaires. Cela devait faire, en effet, d'assez mauvais soldats ; mais c'était une situation exceptionnelle.

D'ailleurs, il est souverainement injuste de comparer l'organisation militaire de la Suisse en 1847 avec l'organisation actuelle. L'organisation actuelle, dite de l'année 1850, a été l'œuvre du parti libéral, vainqueur des cantons catholiques. Entre les deux systèmes il y a la même différence qu'entre la nuit et le jour.

Avant 1850 l'armée fédérale n'existait pas. Chaque canton équipait ses troupes d'après des lois et des règlements particuliers. Les contingents ne se connaissaient pas, ne se mêlaient jamais. Ils étaient armés, équipés, disciplinés différemment ; les signaux, les commandements n'étaient pas les mêmes ; nulle uniformité. Ce n'était pas la Suisse, c'étaient les cantons qui faisaient marcher leurs troupes. Cet état de choses déplorable dura jusqu'après la guerre du Sonderbund. On reconnut alors la nécessité d'une réforme. Elle fut entreprise à l'époque où la constitution tout entière fut révisée, ou la Confédération d'Etats fit place à l'Etat confédéré. La constitution proclama alors l'unité fédérale, et l'organisation militaire actuelle en fut un des premiers résultats.

Mais même cette guerre du Sonderbund peut fournir des arguments aux partisans de l'organisation des milices, elle montre le tableau d'une mobilisation et d'une concentration de forces militaires presque aussi rapides, malgré les conditions les plus défavorables, que le furent les mêmes mouvements en Prusse dans la guerre de 1866. Et ici, je citerai ce fait qui mérite d'être relevé, c'est que lorsque la Suisse unifiée fut menacée par la Prusse lors de l'affaire de Neuchâtel, elle mobilisa toute son armée en trois jours de temps. (Interruption.)

En trois jours, les milices du canton de Berne furent réunies à leur point de concentration, trois jours après toute l'armée était échelonnée le long du Rhin, de Constance à Bâte, attendant l'ennemi.

J'ajoute que les Suisses, économisant considérablement sur l'entretien des hommes, ont leur matériel toujours dans le meilleur état ; deux années avant nous, avant aucun autre Etat européen, ils avaient fait des essais sur les fusils perfectionnés des Américains, ils avaient déjà à cette époque arrêté de nouveaux modèles pour l'armement de leurs troupes. Ils n'ont jamais en besoin, dans les temps de crise, de solliciter des crédits exceptionnels pour mettre leurs arsenaux au niveau des besoins. C'est là un grand résultat que nous devrions désirer dans notre pays.

Mais la guerre du Sonderbund fournit encore un autre argument que je signale à l'attention de M. le ministre de la guerre et des partisans des armées permanentes.

Le canton de Fribourg se trouvait isolé des cantons catholiques ; ses alliés furent obligés de le sacrifier, dès le début de la guerre. Ce canton a une population de cent mille âmes ; si à cette population vous appliquiez le chiffre de l'armée belge il vous donnerait un effectif de 2,800 hommes.

Or, ce canton de Fribourg a pu mettre sous les armes, lors de la guerre du Sonderbund, des forces assez considérables pour obliger les généraux des cantons fédérés à détacher une partie notable de leurs troupes (page 714) avant de pouvoir attaquer de front les cantons du centre, La grande attaque n'a pu commencer qu'après la prise de la ville de Fribourg.

Transportez cette situation en Belgique et dites-moi quelle résistance eût pu opposer à un ennemi intérieur ou étranger, un district ne disposant que d'une force de 2,800 hommes.

On a beaucoup parlé des frais qu'entraîne l'organisation suisse pour les particuliers et pour l'Etat. Je ferai observer que ce n'est pas l'équipement du soldat isolé qui constitue les frais des organisations militaires. Ces frais dépendent surtout de la durée de l'entretien du soldat sous les drapeaux, de son séjour dans les casernes. Je ne veux pas entrer dans ces calculs, ils ont déjà été présentés par M. Le Hardy de Beaulieu, je dirai seulement que l'équipement du soldat, qu'il soit à la charge du soldat lui-même ou du canton, ne coûte pas plus à la Suisse que ne coûte à la Belgique l'entretien des uniformes de la garde civique. Mais il y a une grande différence entre servir pendant huit jours en moyenne par an et servir pendant trois années consécutives.

Enfin la Suisse, dit-on, aurait éprouvé le besoin de réformer son organisation. En 1866, elle a voulu créer des corps de volontaires.

Cela est vrai. Et savez-vous quel est l'homme qui a voulu réorganiser l'armée suisse, la rendre plus forte ? C'est précisément l'homme qui avait organisé l'armée en 1850 ; c'est M. Staempff.

Etait-ce pour en modifier le principe ? Du tout. C'était, au contraire, pour donner à ce même principe plus de force et remédier à certains abus qui se sont glissés dans l'application de la loi.

Lorsque le parti qui a triomphé en Suisse en 1847, lorsque le parti libéral est arrivé au pouvoir, lorsqu'il a fait adopter le système aujourd'hui en vigueur, quel a été son premier soin ? C'a été de faire proclamer dans tous les cantons l'obligation du service pour tous les citoyens. Il a été décidé alors que le contingent serait, non pas de 3 p. c. de la population mâle, comme l'a dit M. le ministre de la guerre, mais de 4 1/2 p. c pour l'armée d'opération... (Interruption.) de 4 1/2 p. c. pour l'armée d'opération, de 1 1/2 p. c. pour les dépôts et de 3 p. c. pour la landwehr ; ce qui donne un total de 9 p. c. Or l'effectif armée d'opération, dépôts et landwehr, ne donnant qu'un total de 180 mille hommes sur une population mâle de 423 mille hommes (recensement de 1860}, il saute aux yeux que les prescriptions de la constitution ne sont pas rigoureusement observées.

D'où cela provient-il ? De la souveraineté des cantons. Dans les uns, la loi fondamentale est fidèlement observée. Dans d'autres, le contingent n'est que de 22 p. c. et moins de 12 p. c. du nombre des citoyens aptes à porter les armes.

Ce sont ces abus que l'auteur de l'organisation de 1850 a voulu corriger.

Une brochure publiée par lui, il y a deux ans, motive l'institution d'une commission d'enquête comme chez nous, pour rechercher de quelle façon on pourrait renforcer l'armée de la Confédération sans surcharger son budget. Cette commission a achevé son travail très récemment ; elle est arrivée à ce résultat qu'en tenant strictement la main à l'observation de la loi dans tous les cantons, on pouvait porter l'effectif, qui est aujourd'hui de 180,000 hommes, à 300,000 hommes pour une population qui ne dépasse pas 21/2 millions d'habitants. A ce compte-là, la Belgique aurait 600 mille hommes sous les armes.

La dépense, en moyenne, de cet armement pour toute la Suisse ne devait pas dépasser le chiffre de 8,250,000 francs, parce que des économies pourraient être réalisées sur d'autres postes du budget. Et je réponds ici à une question qui a été souvent formulée dans ce débat : Dans ce chiffre de 8,250,000 francs, quelle est la part respective de l'Etat fédéral, des cantons et des particuliers ? Voici la réponse ; La part de l'Etat fédéral dans cette dépense devait être de 2,700,000 fr. ; celle des cantons de 4,700,000 fr. ; celle des particuliers d'un million environ.

Mais, dit-on, les volontaires et la circulaire de 1866 ! Examinons ce point ; cela est aussi instructif, je pense, que tout le reste.

La circulaire relative à l'organisation des volontaires fut publiée lorsque en 1866, sur des éventualités de guerre encore fort éloignées, des corps libres se constituèrent dans toute la Suisse sans aucune participation des autorités. Celles-ci jugèrent alors de leur devoir de mettre de l'unité dans ces efforts. Ces volontaires qui étaient-ils ? C'étaient des patriotes qui ou bien n'avaient pas encore atteint l'âge du service obligatoire ou qui l'avaient dépassé.

C'étaient, des citoyens qui, pour des motifs de santé ou pour d'autres causes, avaient été exemptés. Car, et c'est un point très important à signaler, en Suisse, on se montre très sévère sur les admissions dans l'armée. On veut un effectif très solide, très consistant, qui ne donne pas de déchet, qui ne laisse pas dans les ambulances et dans les hôpitaux un grand nombre de non-valeurs après quelques jours de marche. Tous les hommes qui ne réunissent pas les qualités voulues sont écartés bien qu'ils aient, dès l'enfance, reçu dans les écoles une instruction militaire aussi développée que les autres citoyens.

Ce furent ces éléments qui vinrent se présenter pour former des corps de francs-tireurs, des compagnies d'ouvriers militaires, des société d'infirmiers pour les soins à donner aux blessés.

Que prouve ce mouvement, si ce n'est que, dans un pays où le système des milices fonctionne, le patriotisme est toujours en éveil et qu'à la moindre alerte toute la nation, l'enfance comme la vieillesse, les infirmes comme les valides se lèvent pour concourir à la défense de la patrie ?

Certes, messieurs, la situation générale de l'Europe, en 1866, n'était pas plus rassurante pour la Belgique pour la Suisse.

Avons-nous vu éclater chez nous le même élan de patriotisme ? Non. Pourquoi ? Parce ce que nous remettons notre sort dans les mains de notre armée et que l'armée n'est pas la nation.

Lorsque la France et le grand-duc de Luxembourg ont fait la transaction que vous connaissez, n'y avait-il pas là, pour nous, une situation aussi délicate que l'avait été, pour la Suisse, l'acquisition de la Savoie par la France ? Et cependant nous n'avons vu chez nous aucune manifestation. Pourquoi, je le répète, si ce n'est parce que, depuis la constitution de notre nationalité, nous n'avons pas appris à compter sur nous-mêmes ? Ce n'est pas notre patriotisme qui fait défaut, c'est son organisation.

M. de Theuxµ. - Je n'abuserai pas de la patience de la Chambre ; mais je ne puis me dispenser de présenter quelques observations en réponse au discours qu'a prononcé hier l'honorable M. Tesch.

Il cherche à établir que la situation présente offre plus de sujets d'inquiétude pour la Belgique, que la Belgique a moins de sécurité aujourd'hui qu'elle n'en avait en 1848 et en 1853, époque à laquelle remonte la loi d'organisation militaire qui nous régit encore.

Je ne puis, messieurs, attribuer cette appréciation erronée qu'à la circonstance qu'en 1848 l'honorable M. Tesch n'a point participé aux grandes affaires de l'époque.

Mais je puis prendre à témoin, entre autres, les mesures mêmes que le gouvernement a cru devoir proposer alors à la Chambre en raison des circonstances exceptionnelles de 1848. Si la Belgique a heureusement échappé aux dangers de cette époque, elle n'en a pas moins éprouvé des inquiétudes sérieuses et très graves comme, du reste, tous les autres Etats du continent.

Je pourrais, messieurs, entrer dans beaucoup de détails à cet égard ; mais il suffit, je pense, de cette protestation pour que ceux qui, en 1848, portaient leur attention sur les affaires publiques se rappellent la situation de cette époque.

Que dirons-nous, messieurs, de 1853, époque où la loi qui nous régit a été publiée ? L'empire venait d'être proclamé et on sait que l'empire voulait absolument la destruction des traités de 1815. C'était la menace la plus manifeste qui pût être adressée à l'Europe, et qui pouvait inquiéter la Belgique qui avait été organisée sur ses frontières au point de vue des grandes puissances ennemies de la France.

Depuis 1853, la situation de la France est-elle restée la même ? En aucune manière. J'ai rappelé, dans mon premier discours, les faits nouveaux qui se sont accomplis, depuis 1853, dans la politique générale ; j'ai démontré que la Belgique, considérée comme clef de voûte de la paix entre la France et l'Allemagne, est plus raffermie qu'elle ne l'était alors, parce que les pierres qui maintiennent la voûte ont acquis plus de solidité.

Les traités de 1815 ont été modifiés sur d'autres points, de manière à donner à l'empire français toute la sécurité qu'il peut désirer. L'annexion de la Savoie couvre la frontière française du côté de l'Italie ; les fortifications de Paris, les fortifications considérables qui ont été exécutées à Lille couvrent la France du côté du Nord. Donc l'invasion de la capitale de la France est un fait impossible. Comment surprendrait-on Paris, alors que cette ville pourrait fournir une armée de plusieurs centaines de mille hommes pour sa défense ?

N'effrayons donc pas la nation par cet argument qui ne peut être considéré comme sérieux.

Maintenant, quelles sont les différences entre le projet de loi qui nous est soumis et la loi de 1853 ? C'est un point essentiel à constater, (page 715) puisqu'on prétend que le projet en discussion n'entraîne pas une aggravation de charges.

Sous l'empire de la loi de 1853, aucun rappel des classes libérées n'a eu lieu.

Si les lois nouvelles avaient existé, nous aurions eu, depuis 1853, 2,000 hommes de plus tirés au sort dans la milice, mille, chaque année, pour le service permanent, et mille pour la réserve.

Je ne comprends pas qu'on puisse soutenir qu'il n'y pas là une aggravation de charges.

Maintenant on dit : le rappel éventuel des classes libérées est possible ; les classes libérées auraient une charge beaucoup plus considérable que celle des miliciens nouveaux que l'on demande en plus.

Il n'en est rien. La meilleure preuve que je puisse en fournir, c'est que ni en 1853, lors de la discussion du projet de loi, ni ultérieurement, aucune réclamation ne s'est produite contre la faculté du rappel des clases libérées. Je dirai plus : c'est que cette faculté de rappel existait sous le royaume de Pays-Bas, dans la loi fondamentale. Jamais le pays n'a fait d'opposition à ces dispositions-là. Pourquoi ? Parce que ce sont des dispositions de salut public.

Dans de pareilles circonstances, ce ne sont pas seulement les classes libérées qui seraient appelées, mais c'est le pays tout entier qui serait prêt à donner au gouvernement tout le concours en hommes et eu argent qu'il pourrait lui demander.

L'honorable M. Dumortier rappelait dernièrement que tous les miliciens en congé se sont présentés, que pas un homme n'a manqué au moment où la Belgique était sur le point d'entrer en lutte avec la Hollande.

Eh bien, s'il pouvait s'agir, dans l'esprit d'une puissance, de la conquête de la Belgique, il n'est pas douteux que, dans ce cas, les classes libérées ne se présentassent sans exception, avec enthousiasme, et que les gardes civiques ne fissent preuve du même dévouement.

A l'époque de la révolution de 1830, les gardes civiques ont fait leur service militaire avec le plus grand empressement. Qu'il me soit permis de dire ici qu'à cette époque le roi Léopold Ier se louait extraordinairement du service de la garde civique mobilisée dans la Flandre.

J'ai entendu dire que les hommes qui la composaient étaient généralement robustes, pleins de courage, et rendaient de très utiles services.

« Mais, dit-on, il y a, dans les classes libérées, des hommes mariés. »

Est-ce que la loi de 1853 n'exempte pas les hommes mariés, même ceux dont le projet de mariage a seulement été affiché ?

Maintenant quelle serait la durée du service des classes libérées que le gouvernement rappellerait ? Evidemment, cette durée serait très courte ; et dans ce cas, sans doute, on accorderait une rémunération exceptionnelle aux soldats qu'on rappellerait, après l'accomplissement de leurs huit années de services.

Maintenant quelques mots de réponse sur un autre point.

L'honorable M. Tesch, en faisant allusion au projet de loi sur le temporel des cultes, a dit : « Nous nous sommes bornés, dans ce projet, à reproduire les idées de M. Van Bommel, évêque de Liège. »

Eh bien, si le respectable prélat pouvait sortir de sa tombe, il protesterait de toute l'énergie de son âme contre une pareille allégation !

Qu'a fait Mgr l'évêque de Liège ? A une époque où plusieurs conseils de fabrique ne présentaient pas leurs comptes, l'honorable prélat a dit que les députations permanentes pouvaient être chargées d'arrêter les comptes ; mais l'évêque n'aurait jamais pu consentir à ce que la majorité des membres des conseils de fabrique fut à l'avenir nommée par le gouverneur de la province, de manière que l'élément laïque fût prépondérant pour toutes les décisions qui se rattachent à la propriété des biens de l'église.

Voilà un point capital du fameux projet de loi, et je ne pense pas que jamais une adhésion quelconque d'un membre quelconque de l'épiscopat puisse être donnée.

L'honorable M. Nothomb avait rappelé l'opinion de M. Berryer sur la mise à la retraite des magistrats.

L'honorable M. Tesch a répondu à l'honorable M. Nothomb que si M. Berryer s'était trouvé en présence de nos dispositions constitutionnelles, qui garantissent la présentation de candidats par la cour de cassation et par le Sénat, par les cours d'appel et par les conseils provinciaux, pour les principaux postes de la magistrature, il ne se serait pas élevé contre la loi de la mise à la retraite des magistrats en France.

Eh bien, je dis que si l'honorable M. Berryer avait eu à soutenir la cause que nous avons défendue ici, il aurait mis au service de cette cause son admirable éloquence, parce que nous ayons d'abord pour nous le texte précis de la Constitution, et que de plus nous avions, à l'appui de notre opinion, l'interprétation donnée à la Constitution par cette Chambre, à une très grande majorité, alors qu'on était beaucoup moins éloigné du moment où la Constitution a été promulguée. D'ailleurs la double présentation laisse une faculté de choix au gouvernement et elle ne s'applique pas aux grades inférieurs de la magistrature.

Messieurs, l'honorable membre a dit aussi qu'en Belgique on trouvait peu de générosité, que l'on y acquittait les contributions, mais que les dons étaient rares.

Je dis, moi, qu'il y a des distinctions à faire. S'agit-il de matières dans lesquelles le budget intervient ? Oh ! alors évidemment, il y à bien moins de générosité, parce que chacun sait que ce qu'il ne donnera pas, le budget le donnera. Mais que l'on veuille réfléchir à ce qui s'est passé, depuis 1830, d'actes de générosité de tous genres pour les matières auxquelles le gouvernement n'apporte pas son concours et pour les matières auxquelles il se montre opposant, et l'on sera étonné de la générosité de la Belgique.

En terminant, l'honorable membre a dit à l'honorable M. Nothomb : Mais prenez patience ; attendez que votre tour de gouvernement arrive ; imitez ce que nous ayons fait lorsque vous étiez au pouvoir.

Messieurs, j'en appelle au Moniteur ; c'est notre meilleur témoin. Qu'on se donne la peine de lire les discours qui ont été prononces dans cette enceinte et dans d'autres lieux publics, et l'on verra si l'opinion à laquelle appartient l’honorable M. Tesch était si modérée. J'en appelle, au besoin, aux hommes qui ont été au pouvoir à cette époque et qui se rappellent parfaitement ces discours et d'autres moyens qu'a employés l'opposition pour devenir majorité.

MjBµ. - On ne faisait pas appel à l'étranger.

M. de Theuxµ. - Je ne parle pas de 1857 ; je laisse de côté cette triste époque ; je parle de la généralité des sessions depuis la fondation du royaume de Belgique.

Je me bornerai à ces courtes observations. Car il n'était pas du tout dans ma pensée de dire un seul mot de politique intérieure à propos de cette discussion. J'y ai été forcé par le discours qu'a prononcé hier l'honorable M. Tesch, et qu'il ne m'était pas possible de ne pas relever, surtout en ce qui concerne l'opinion de Mgr Van Bommel, quant au temporel du culte, car on pourrait faire croire au pays qu'il avait abdiqué en quelque sorte les intérêts de l'Eglise.

M. Teschµ. - Ce n'est assurément pas à moi que l'honorable comte de Theux doit attribuer le débat rétrospectif sur notre politique intérieure ; je n'ai fait que répondre à l'honorable M. Nothomb. C’est l'honorable M. Nothomb qui a repris à peu près tous les actes un peu importants de notre politique intérieure depuis vingt ans, et il était, non seulement de mon droit, mais il était de mon devoir d'indiquer en quelques mots quelle était ma pensée, alors surtout que j'avais pris une grande part à tous ces actes, depuis la loi sur les bourses d'étude, jusqu'au projet de loi sur le temporel des cultes, jusqu'au projet de loi sur la mise à la retraite de la magistrature, représenté par moi au nombre des dispositions générales sur l'organisation judiciaire.

Messieurs, je ne puis pas, à mon tour, prendre bien au sérieux la réfutation qu'a tentée l'honorable comte de Theux.

L'honorable comte de Theux n'a rien répondu à ce que j'ai dit hier.

J'ai dit hier que notre situation militaire était changée, par cela même que la situation militaire de tous les pays voisins se trouvait modifiée, se trouvait augmentée, se trouvait fortifiée.

M. de Theuxµ. - Cela fait notre force.

M. Teschµ. - Je ne comprends pas. Il est évident que par cela seul que nos forces restent stationnaires, alors que toutes les forces autour de nous augmentent, notre situation militaire est modifiée, se trouve affaiblie. Cela ne me semble pas douteux.

Eh bien, je demande si, dans tonte l'Europe, les forces militaires n'ont pas été augmentées. Je demandais hier si notre budget de 1840, comparé à ceux des puissances voisines à la même époque, était dans le même rapport que notre budget d'aujourd'hui comparé toujours à ceux des puissances voisines.

Il est évident que non ; il est évident que, proportion gardée, notre budget actuel comparé à ceux des puissances voisines est inférieur à ce qu'il était en 1840. Je dis donc que notre situation militaire est changée, et la chose est incontestable.

Diplomatiquement, l'honorable comte de Theux dit : Mais si vous appréciez la situation de cette manière, cela tient à ce que vous n'avez pas pris part aux grandes affaires en 1848.

(page 716) Messieurs, je suis parfaitement au courant de la situation de 1848 ; mais chacun l'apprécie à sa manière. J'ai déclaré que j'avais moins peur de la guerre en 1848, qu'à des époques postérieures ; j'en ai dit le motif et l'honorable comte de Theux n'a pas répondu ; j'ai dit qu'en 1848 les pays avaient sur les questions de paix et de guerre une plus grande influence qu'aujourd'hui, et je n'ai fait que répéter ce qui se dit aux tribunes des pays voisins.

Qu'a répondu à cela l'honorable comte de Theux ? Absolument rien.

L'honorable comte de Theux dit : En 1853, la situation était plus difficile ; l'empire venait d'être proclamé. Mais on disait aussi que l'empire était la paix.

Mais, ajoute l'honorable comte de Theux : l'empire avait déclaré qu'il ne voulait plus des traités de 1815. Cela s'adressait-il à nous, M. le comte ? Cela s'adressait-il à la Belgique ? Est-ce oui ? Est-ce non ?

M. de Theuxµ. - Non. Nous pouvions, sans y être forcés, détruire ce qu'il y avait d'hostile en Belgique quant à la France.

M. Teschµ. - Alors je ne comprends pas votre argument. Si le désir dont vous parlez de voir disparaître les traités de 1815 ne concernait pas la Belgique, l'argument ne signifie rien. S'il concerne la Belgique, je prie l'honorable comte de Theux de se rappeler le discours d'Auxerre.

Ainsi sous ce rapport notre situation n'est pas modifiée en mieux. Ce que je vois depuis 1848, c'est que, tous les jours, les causes de conflit augmentent, prennent des proportions plus dangereuses. Or, quand je vois cette situation, j'ai bien le droit de demander que la Belgique soit en mesure, si une guerre éclate en Europe, de pouvoir défendre son indépendance.

L'honorable comte de Theux est venu nous parler du projet de loi sur le temporel des cultes ; il a évoqué l'ombre de Mgr l'évêque Van Bommel pour protester en quelque sorte contre les paroles que j'ai prononcées hier. Cela ne changera rien à la vérité des faits.

Quel est le principe qui domine dans le projet de loi du temporel des cultes ? C'est que tous les actes des administrations fabriciennes seront contrôlés par les députations permanentes.

M. Moncheurµ. - Il y a autre chose.

M. Teschµ. - Certainement ; mais c'est là le principe fondamental. Je ne puis discuter toute la loi. Mais c'est moi qui ai préparé et présenté la loi et je dis que ce qui domine dans cette loi, c'est que les administrations fabriciennes sont placées sous le contrôle et la surveillance des députations permanentes.

Voilà la vérité.

Eh bien, c'est ce principe qu'a proclamé en toutes lettres Mgr Van Bommel, et c'est ce que des membres très catholiques, très orthodoxes ont demandé également au Sénat.

Sous ce rapport donc, je n'ai absolument rien à retirer.

Messieurs, quant à la loi de la magistrature, l'honorable comte de Theux la trouve inconstitutionnelle. Que l'honorable M. de Theux dise que c'est là son opinion, je ne trouve rien à y reprendre ; mais si je voulais introduire des noms propres dans ce débat, je citerais des conseillers à la cour de cassation et des plus capables qui sont d'une opinion tout à fait contraire à celle de l'honorable membre. Nous avons différé d'opinion sur des textes bien plus formels. Ainsi à propos des tribunaux de commerce une grande partie de la droite proclamait qu'on ne pouvait pas supprimer les tribunaux de commerce. Ce sont de ces questions sur lesquelles nous pouvons différer, mais il n'y a pas lieu de venir y appliquer les paroles prononcées par M. Berryer à la tribune française à propos d'une loi française. Il y avait là un tout autre ordre d'idées. La pensée de M. Berryer était, je le répète, que la loi française donnait au gouvernement trop d'action sur la magistrature, qu'elle le mettait en mesure de récompenser des services.

Or, en Belgique, le gouvernement est sans action aucune sur les nominations dans la haute magistrature ; et si à charge d'un magistrat existait réellement un grief, si des reproches pouvaient lui être adressés, mais ce magistrat n'obtiendrait pas d'avancement chez nous, le gouvernement le voulût-il, parce que ce magistrat ne serait pas compris dans les présentations qui limitent le choix du gouvernement.

C'est donc à tort que vous faites au gouvernement un grief de cette loi et c'est bien plus à tort encore que vous osez venir citer ici les paroles de M. Berryer.

J'ai parlé hier des souscriptions et je ne m'attendais nullement à ce que cette observation fût relevée. La vérité est qu'il y a en Belgique comme en France, en Allemagne et en d'autres pays, beaucoup moins d'initiative particulière qu'en Angleterre. L'initiative particulière fait de grandes choses en Angleterre. En Belgique, en France, en Allemagne, elle fait très peu de chose. Et quand je parle ainsi de la Belgique, je ne fais allusion à aucun parti ; je parle de la nation entière.

Vous avez parlé des volontaires, et c'est à ce sujet que j'ai dit que les comparaisons avec l'Angleterre n'étaient pas concluantes.

Est-ce que dans un pays quelconque on est parvenu à organiser une aussi grande masse de volontaires et à les organiser de cette manière ? Vous n'oseriez pas le soutenir. Eu Belgique, qu'a-t-on fait ? Rien ou à peu près rien.

J'avais donc le droit de dire que quand vous veniez parler de la défense du pays par l'organisation des volontaires, vous vous faisiez une étrange illusion et que ce n'était pas en vue d'un système semblable que nous pouvions désorganiser notre armée.

Voilà ce que j'avais le droit de dire, et je le maintiens complètement.

- La séance est levée à 4 3/4 heures.