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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 1 avril 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 973) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Om présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Par huit pétitions, des habitants de Mons demandent le retrait de la loi du 23 septembre 1842. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le sieur Jacobs prie la Chambre de considérer comme non avenue sa pétition en date du 30 mars. »

- Pris pour information.


« Des bateliers du bassin de Tournai présentent des observations sur la réponse adressée par M. le ministre des travaux publics à la commission permanente de l'industrie au sujet des pétitions concernant la suppression des impôts des bateliers. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les pétitions ayant pour objet la suppression des impôts des bateliers.


« M. G. Nypels, professeur à l'université de Liège, fait hommage à la Chambre d'un exemplaire de la 4ème livraison de la Législation criminelle de la Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Thibaut, rappelé chez lui par la mort de sa belle-mère, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi allouant un crédit au budget du ministère des affaires étrangères

Rapport de la section centrale

M. le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi ouvrant un crédit de 250,000 fr. pour l'éclairage de l'Escaut.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1868

Discussion générale

M. Funckµ. - Les paroles que j'ai eu l'honneur de prononcer au commencement de ces débats ont eu la chance malheureuse de rencontrer des contradicteurs dans les deux partis qui divisent cette assemblée. Elles ont fortement déplu aux membres de la droite, et j'aurais mauvaise grâce à m'en plaindre. Elles n'ont pas obtenu non plus l'assentiment de M. le ministre de l'intérieur, et je le regrette beaucoup ; je le regrette surtout dans l'intérêt de l'opinion libérale, qui doit être notre seul guide en ces matières.

Malgré la protestation si vive de l'honorable M. Delcour, je n'examinerai pas aujourd'hui les doutes émis par plusieurs orateurs sur la possibilité de rendre l'enseignement primaire obligatoire. Le moment n'est pas venu de discuter ce grave problème que j'ai voulu purement et simplement signaler à l'attention de M. le ministre de l'intérieur à propos de l'étude des mesures destinées à régler le travail des enfants dans les manufactures, les mines, les usines et les ateliers. L'honorable M. Pirmez examinera toutes ces questions avec l'intérêt qu'elles méritent. Je n'ai rien à demander de plus sur ce point.

J'ai hâte d'aborder le fond de la discussion. Je tâcherai d'être court afin de ne pas prolonger outre mesure ce débat.

De quoi s'agit-il dans la discussion actuelle ?

J'ai rappelé à la Chambre les vices principaux de la loi de 1842. J'a» démontré que certaines de ses dispositions sont contraires à nos institutions constitutionnelles, ainsi qu'aux principes généraux qui forment la base de notre droit publiv.

J'ai dit : La séparation de l'Eglise et de l'Etat est un principe irrévocablement admis dans nos sociétés modernes.

Ce principe est faux ou il est juste.

S'il est faux, on doit le combattre énergiquement, le repousser, le condamner. Il faut reconnaître que la confusion entre la société laïque et la société religieuse est une chose bonne en elle-même, et il faut laisser se reconstituer tous ces abus que nous avons eu tant de peine à déraciner.

Si le principe est juste, il faut le défendre ; il faut l'appliquer chaque fois que l'occasion s'en présente ; il faut le faire pénétrer dans nos lois ou le rétablir dans les dispositions législatives qui l'ont méconnu.

Tout cela est simple, clair, et surtout logique.

Je n'entends imposer cette opinion à personne, et je comprends parfaitement que nos honorables collègues de la droite ne partagent pas ma manière de voir.

Ils croient que la confusion de la société civile et de la société religieuse n'est pas un mal. Ils ne pensent pas comme moi en matière de bienfaisance, de bourses d'étude, de sépultures, de temporel du culte, etc., ils croient que le pouvoir religieux peut intervenir dans les actes qui sont purement du domaine de l'autorité civile ; il n'y a pas plus de raisons pour que nous soyons d'accord en matière d'instruction publique.

Mais je m'inquiète beaucoup de l'opinion de l'honorable M. Pirmez, qui ne me semble pas avoir une ligne de conduite bien nette et bien définie en ce qui concerne l'intervention des ministres des cultes dans l'enseignement primaire.

M. le ministre de l'intérieur soutient qu'en matière d'enseignement deux systèmes sont en présence : le premier qui consiste à réunir l’enseignement civil et l'enseignement religieux ; le second qui consiste à séparer ces deux enseignements. L'un fonctionne en Belgique, l'autre fonctionne en Hollande.

Si mon honorable contradicteur était en Hollande, il maintiendrait le régime de la séparation ; en Belgique, au contraire, il accepte sans hésitation le régime contraire, parce qu'il est entré dans nos mœurs. « Le système de la séparation est séduisant en pure théorie, dit-il, mais il y a des danger à vouloir appliquer immédiatement la théorie sans tenir compte d'un état de choses existant. »

Eh bien, messieurs, je ne pense pas qu'il soit permis à l'homme d'Etat de mettre autant de scepticisme dans l'examen de pareilles questions.

Certes on peut et on doit même, dans ces matières, tenir compte des circonstances ; on ne doit pas brusquer certaines réformes, et c'est cette considération qui m'avait déterminé à ne faire en ce moment aucune proposition relative à la révision de la loi de 1842. Mais celui qui gouverne doit avoir un but, il doit savoir où il va, et quand deux principes sont en présence, il doit savoir quel est celui qu'il doit combattre, quel est celui qu'il veut faire prédominer aujourd'hui, demain, dans dix, dans vingt ans ; en d'autres termes, il doit avoir son objectif.

Et, en vérité, à la façon dont en parle M. le ministre de l'intérieur, il semblerait vraiment que la politique soit une affaire de fantaisie, et que les adversaires de la loi de 1842 demandent quelque chose d'inouï ; que ce soient des impatients « voulant opérer une réforme brusque par des décrets proclamant des principes et les mettant en application du jour au lendemain. »

Est-ce bien à nous qu'on peut adresser un semblable reproche ?

Il y a 22 ans... 22 ans ! que la révision de la loi de 1842 figure dans tous nos programmes ; il y a 22 ans que nous avons acclamé le principe de la séparation de l'enseignement laïque et de l'enseignement religieux ; il y a 22 ans que nous demandons l'organisation de l'enseignement primaire sans intervention du clergé à titre d'autorité, et rien n'a été fait en cette matière.

Aujourd'hui même, nous nous bornons à signaler les vices de la loi de 1842 ; nous rappelons de temps en temps ce malheureux programme de 1846 comme pour empêcher la prescription, et cependant M. le ministre (page 974) de l'intérieur nous range dans la catégorie des impatients, des gens qui veulent opérer des modifications brusques et appliquer des réformes du jour au lendemain. Tout cela, je le répète, ne me semble pas bien sérieux. Certes M. Pirmez peut avoir sur la loi de 1842 telle opinion que bon lui semble, mais, mes honorables collègues et moi, qui sommes hostiles à cette loi, nous avons le droit de lui demander qu'il ne cherche pas à justifier cette opinion en nous taxant d'exagérés.

Du reste, si nous devions accepter le reproche d'exagération, c'est en bonne compagnie que nous aurions à le subir. Nous avons comme complices de cette exagération, les conseils provinciaux du Brabant, du Hainaut et de la province de Liège, les administrations communales des principales villes du pays, telles que Bruxelles, Liège, Gand, et de bien d'autres localités que nous pourrions citer, et l’on me permettra, à mon tour, de préférer ces autorités à celles de MM. les évêques, j'ajouterais même à celle de l'honorable M. Wasseige, si je ne m'étais fait une règle d'écarter de mon langage toute parole désobligeante pour mes collègues.

L'honorable ministre de l'intérieur invoquait à l'appui de sa thèse toutes ces autorités dans la séance du 27 mars, lorsqu'il établissait la nécessité de faire droit aux légitimes exigences de l'opinion en ce qui concerne l'organisation des classes d'adultes. Je m'empare à mon tour de l'argument et je l'invoque contre lui. Dans tous les cas, il me garantira contre ce reproche d'exagération qu'on m'adresse.

Je ne puis donc pas me rallier aux raisons qui ne permettent pas à M. le ministre de l'intérieur, non pas de consentir à la révision immédiate de la loi de 1842, mais à reconnaître avec moi qu'elle soit désirable. J'aurais voulu une déclaration dans ce sens : et comme preuve de bon vouloir, je demandais à l'honorable M. Pirmez le retrait du chapitre II de l'arrêté royal de 1846 rédigé par l'épiscopat, ainsi que de la circulaire ministérielle déclarant que les instructions des évêques doivent être considérées comme des annexes à cet arrêté royal.

J'avais dit, messieurs, que les dispositions de ce chapitre sont illégales et j'avais rappelé à M. le ministre de l'intérieur la disposition de l'article 15 de la loi de 1842 qui confie aux administrations communales le soin de régler les heures d'étude et le travail des élèves.

M. le ministre de l'intérieur n'a pas répondu à ce reproche d'illégalité ; il m'a renvoyé à l'honorable comte de Theux, il m'a dit : C'est là une bien vieille histoire. Discutez cette question avec M. de Theux. Mais il me semble que cela regarde bien un peu aussi l'honorable ministre de l'intérieur d'aujourd'hui. La majorité qui soutenait M. de Theux n'est pas la même que celle sur laquelle s'appuie l'honorable M. Pirmez ; et lorsqu'il y a un changement dans la majorité parlementaire, il peut aussi y avoir une modification dans la marche du gouvernement. Sinon on pourrait faire la même réponse à propos de toutes les réformes, de toutes les modifications .proposées dans la législation existante.

D'après M. le ministre de l'intérieur, j'aurais commis une erreur fondamentale en considérant l'enseignement religieux comme accessoire dans l'école ; je voudrais diviser l'enseignement primaire en matières principales et en matière accessoires, et j'arriverais ainsi à cette conclusion fâcheuse de placer le système légal des poids et mesures au-dessus des grandes questions qui touchent le plus intimement à ce qu'il y a de plus relevé dans l'homme.

Le reproche serait grave s'il était fondé. Voyons :

J'ai dit que l'enseignement religieux n'était qu'accessoire dans l'école primaire. Je le maintiens et je le prouve.

D'abord, je citais, à l'appui de cette opinion, la disposition de l'article 6 de la loi qui stipule que les enfants n'appartenant pas à la communion religieuse en majorité dans l'école seront dispensés d'assister à l'enseignement de la religion ; et je disais : Un enseignement auquel tous les élèves ne doivent pas assister dans une classe ne peut être considéré que comme accessoire. Il est, en effet, de règle dans les écoles qu'aucun enfant ne peut être dispensé d'assister à l'enseignement d'une branche principale.

Mais est-ce à dire pour cela que je considère l'instruction religieuse comme une branche accessoire en principe ? Evidemment non. L'enseignement religieux dogmatique, et, par conséquent l'enseignement religieux principal se donne en dehors de l'école, et cela est si évident, que les enfants qui ne vont pas en classe reçoivent parfaitement cet enseignement.

En effet de quoi se compose l'instruction religieuse ?

1" Des prières du chrétien ; 2° du catéchisme ; 3° de l'Ancien et du Nouveau Testament.

Or, la prière s'apprend le plus souvent au sein de la famille, et dans tous les cas elle s'enseigne à l'église, conjointement avec le catéchisme. C'est la mission des curés et des vicaires et cela est tellement vrai et le clergé lient tellement à donner lui-même cet enseignement, que les enfants de nos écoles sont astreints à le suivre tout aussi bien que ceux qui ne vont pas à l'école, et qu'à l'approche de la première communion, par exemple, les enfants doivent souvent quitter les classes au milieu de la journée pour se rendre à l'église. L'enseignement du catéchisme à l'école n'est donc qu'un enseignement accessoire, une espèce de répétitions ou de préparation, si l'on veut, à la leçon principale, qui se donne à l'église.

Quant à l'Ancien Testament et aux Evangiles, tout cela s'explique au prône, et les parents sont libres d'y envoyer leurs enfants ou de les y conduire.

Je suis donc dans le vrai en disant que l'enseignement religieux de l'école n'est que l'accessoire de l'enseignement principal donné par le clergé lui-même à l'église.

Mais, nous dit-on, quel mal y a-t-il à parler aux enfants de Dieu, de la vie future, de la responsabilité humaine ? Quel mal ? Mais aucun. Et qui donc a jamais prétendu le contraire ? qui donc a jamais soutenu qu'il fallait préférer à ces grandes questions, l'étude du système décimal ? Et quand M. le ministre semble révoquer en doute mes intentions sur ce point, quand il va jusqu'à prétendre que j'aurais considéré l'enseignement de la morale religieuse comme funeste, il me prête gratuitement une erreur, je pourrais dire une monstruosité, pour se donner le plaisir facile de la réfuter ! Il n'y a pas, dans tout mon discours, un seul mot qui justifie cette accusation. Au contraire, j'avais été au-devant de ce reproche ; en parlant de la circulaire de M. Nothomb, je disais dans mon premier discours :

« Tout cela est bien vague, ou il s'agit d'un caractère religieux général que personne ne conteste jamais dans l'enseignement, ou bien il s'agit d'un caractère religieux spécial, et alors la circulaire me semble fort peu constitutionnelle. » Est-ce clair ?

Et quand on parlait d'un caractère religieux spécial, que nos ancêtres n'ont jamais laissé altérer, n'avais-je point le droit de demander quel était ce caractère religieux ?

Etait-ce le caractère religieux qui portait une partie de nos ancêtres à se ranger sous la bannière à jamais détestée du duc d'Albe, à traîner la liberté de conscience devant les juridictions ecclésiastiques et à allumer les bûchers destinés à détruire les hérétiques et à extirper l'hérésie ?

Etait-ce le caractère religieux qui portait une autre partie de nos ancêtres à suivre la fortune du Taciturne, à se joindre aux iconoclastes ou briseurs d'images et à opposer à l'intolérance de l'Eglise romaine, le fanatisme et les exagérations de la réforme.

Ou bien, est-ce l'esprit religieux moderne ? Est-ce l'esprit de ce culte dont les chefs condamnent toutes les libertés, qui déclarent que le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat est un principe païen et antichrétien, que la liberté de conscience est la source infecte de l'indifférentisme, enfin que toutes les libertés modernes sont fécondes en maux pour les peuples chrétiens ?

S'il en était ainsi, qu'on nous le dise. Mais alors notre enseignement serait la négation de toutes les idées qui élèvent et qui civilisent les populations.

Mais l'idée de Dieu, la vie future, le bien et le mal, les notions du juste et de l'injuste, les peines et les récompenses, la responsabilité humaine, mais tous ces grands principes qui sont de tous les temps et de tous les lieux, appartiennent à tous les cultes et à tous les peuples civilisés.

Qui donc trouve mauvais qu'on les enseigne aux enfants ? Y a-t-il un culte qui les repousse ? Y a-t-il une église qui les condamne ? Et ceux-là même, qui ne croient pas en Dieu, trouveront-ils mauvais qu'on parle à leurs enfants de la Divinité ? Non, mille fois non.

Vous le savez comme nous, M. le ministre, ce sont là de ces principes d'une morale religieuse universelle, que tout le monde accepte et qui ne portent ombrage à aucune croyance.

Aussi si l'enseignement religieux se bornait à inculquer à la jeunesse de pareils principes, toutes les opinions béniraient le clergé qui viendrait les répandre dans les écoles. Mais ces grands principes qui plaisent tant à M. le ministre de l'intérieur, et à moi aussi, ne sont le plus souvent qu'un pavillon qui couvre la marchandise, et cette marchandise c'est l'intolérance religieuse.

Or, autant j'aime la morale religieuse, autant je suis ennemi de l'intolérance.

(page 978) Certes la loi de 1842 viole un grand principe, et ce n'est pas une chose minime qu'il faille aisément accepter. Mais quelle que soit cette violation, s'imagine-t-on que la loi de 1842 aurait rencontré autant d'opposition si elle n'avait pas produit des inconvénients palpables et matériels en quelque sorte ? Est-ce à la légère que tant de voix se sont élevées pour en provoquer la révision ?

Je ne parle plus de la déclaration du Congrès libéral de 1846, où toutes les opinions étaient représentées, et où la loi de 1842 a été condamnée à l'unanimité. Mais les conseils provinciaux qui ont demandé la révision de cette loi, les conseils communaux de grandes villes qui saisissent toutes les occasions possibles de protester contre elle, toutes ces autorités persisteraient-elles dans leur opposition, si l'exécution de cette loi ne donnait pas naissance à de graves abus ?

Ces abus sont multiples. Ils se manifestent de diverses manières. Ainsi, pour ne parler que de ce qui se passe à Bruxelles, où l'exécution de la loi de 1842 n'est bien certainement pas exagérée, voyez cependant où mène cette exécution.

Quelle que soit la modération que nous ayons mise à l'application de la loi de 1842, et malgré tout ce que nous pouvons faire pour inculquer à tout le monde ces sentiments de tolérance qui sont la pierre angulaire de notre civilisation, nos écoles primaires sont devenues inabordables aux enfants appartenant aux cultes dissidents. Les consistoires ont dû créer des écoles, et malgré les subsides que nous leurs accordons, ces écoles sont nécessairement imparfaites.

Or, il résulte de cela que certains enfants ne reçoivent pas une instruction aussi complète que les autres ; c'est un mal, un très grand mal.

L'honorable comte de Theux, que j'écoute toujours avec la déférence due à son âge et à la haute position qu'il occupe, mais que je ne comprends pas toujours bien, l'honorable comte de Theux m'a semblé dire hier dans son discours que je n'ai pas trouvé ce matin au Moniteur...

M. de Theuxµ. - C'est la faute du Moniteur.

M. Funckµ. - Je ne vous en fais pas le moindre reproche ; M. de Theux m'a semblé dire hier dans son discours : Faut-il changer toute l'organisation de l'enseignement primaire, parce que quelques protestants ne peuvent pas fréquenter l'école ? (Interruption.) C'est à peu près l'idée. Mon honorable contradicteur fait bon marché des droits de la minorité.

Mais, pour moi, lorsqu'on viole les droits, ne fût-ce que d'un seul, on viole les droits de tout le monde.

Toutefois, ce qui est bien plus fâcheux encore, c'est la classification qui s'établit entre les enfants. Et n'est-il pas déplorable, comme j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire une première fois, de voir dans des grandes villes comme Bruxelles, Gand, Liège, dans ces villes qui appartiennent à un pays renommé par son amour pour la tolérance et pour la liberté, de voir les enfants classés dans les écoles d'après leur culte, et de les voir indirectement exclus de l'enseignement public à cause de leurs croyances religieuses ?

Rappelez-vous les paroles de l’archiprêtre de Frise que je citais dans une de nos dernières séances.

L'honorable M. Delcour et M. le chanoine de Haerne ont essayé d'amoindrir l'importance des citations que j’ai faites, de contester ce qui se passe chez nos voisins du Nord ; ils disent : Oui, on a pu être égaré en Hollande sur cette question, mais aujourd'hui la lumière s'est faite et une opposition formidable se manifeste contre l'exclusion de l’enseignement religieux dans les écoles primaires.

M. de Haerneµ. - J'ai dit que la loi donne lieu à une grande opposition.

M. Funckµ. - C'est une erreur profonde et je vais vous le démontrer. Dès 1806, cette séparation était décrétée.

M. de Haerneµ. - Sans doute.

M. Funckµ. - Mais en 1857 il s'est agi de réorganiser l'enseignement primaire, et la séparation a été maintenue. Et qui soutenait alors la séparation de l’enseignement religieux de renseignement civil ? Les catholiques.

M. de Haerneµ. - Quelques catholiques.

MpDµ - N'interrompez pas, M. de Haerne.

M. Funckµ. - Tous les catholiques. Ce sont les catholiques et j'ai le droit de le dire parce qu'à l'appui de mon opinion j'ai invoqué des autorités, parce que j'ai cité des paroles officielles, qui se trouvent dans les document publics, et quant à vous qui avez contredit mes assertion, vous n'avez fait jusqu'ici aucune citation, vous n'avez apporté aucune preuve à l'appui de votre allégation.

M. de Haerneµ. - J'en ferai ! (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Modérez-vous, monsieur de Haerne.

M. Funckµ. - Il y a eu, en effet, de l'opposition en Hollande contre le système actuel. Mais savez-vous d'où vint cette opposition ? Elle vint de la source où prennent naissance toutes les oppositions de cette espèce. Elle vint d'un parti religieux, intolérant par sa nature ; elle vint du parti ultra-protestant.

Celui-là voulait introduire l'enseignement religieux dans l'école, pour vous opprimer, vous et les vôtres ; il voulait qu'on y enseignât la religion de la majorité, c'est-à-dire le culte luthérien. Et pourquoi le voulait-il ? Parce qu'il espérait réaliser ce désir inavouable ; il se disait : Ou les enfants catholiques viendront à l'école et alors ils y subiront la pression de nos croyances religieuses ; nous ferons des prosélytes ; ou ils n'y viendront pas et ils seront exclus de notre enseignement public.

Voilà le but du parti qui voulait introduire l'enseignement religieux dans l'école contre vous et vos amis, M. le chanoine de Haerne. Voilà sa doctrine, et c'est contre cette doctrine que libéraux et catholiques ont protesté avec énergie dans l'intérêt des enfants appartenant au culte catholique, et ils ont eu parfaitement raison.

M. le ministre de l'intérieur me demandait de lui signaler des griefs contre la loi de 1842, il me semble que celui que je viens de lui rappeler est suffisant.

« Sans doute, dit l'honorable M. Pirmez, l'histoire montre que rien n'a provoqué autant de combats et de cruautés, que rien n'a plus ensanglanté les pages de l'histoire que les querelles de religion... C'était le produit d'une intolérance que nos mœurs non moins que les lois ont bannie de noire siècle. »

L'esprit d'intolérance religieuse n'est pas banni aussi fortement de notre siècle que mon honorable contradicteur pourrait le croire. Pour diminuer sa trop grande quiétude sur ce point, et pour répondre en même temps à une objection qui m'a été faite et qui consistait à dire : Mais pourquoi les enfants dissidents ne fréquenteraient-ils pas les écoles ordinaires ? je pourrais lui citer des faits qui, si je ne craignais d'étendre outre mesure ce débat, seraient de nature à l'éclairer sur ce qu'il faut attendre de l'intervention du clergé dans les écoles. Il y trouverait la preuve que l'intolérance religieuse n'est pas complètement bannie de ce siècle et que ceux qui réclament contre la loi de 1842 ne sont pas aussi exagérés qu'on voudrait le faire croire.

Je me bornerai à le renvoyer à la lecture du bulletin communal de la ville de Bruxelles, 1er semestre 1866. II y trouvera une série de faits qui sont de nature à l'édifier sur la façon dont certaines personnes comprennent la tolérance.

Il me répondra peut-être : Mais ces faits sont réprimés.

Oui, quand ils sont portés à la connaissance de l'autorité.

Mais combien de faits de cette nature ne se passent pas avant que l'autorité parvienne à les connaître ?

En ce qui concerne le retrait du chapitre II de l'arrêté royal de 1846 et de la circulaire ministérielle qui a donné un caractère officiel aux instructions des évêques, M. le ministre pense qu'on peut me donner satisfaction sans recourir à ce moyen qu'il appelle radical. Ici encore je ne saurais être de l'avis de l'honorable ministre.

En effet, il s'agit d'une question de principe.

Personne ne saurait méconnaître que l'arrêté royal de MM. les évêques développé dans les instructions constitue l'absorption de l'enseignement primaire par le clergé d'un seul culte.

Personne ne saurait contester non plus que ces instructions sont attentatoires à la liberté de conscience de l'instituteur. Dès lors pourquoi les maintenir ? Pour ne point se lancer dans des discussions interminables, dit l'honorable M. Pirmez. Mais se figure-t-il par hasard que le système d'éclectisme qu'il se propose de suivre ne soulèvera pas de difficultés ?

« Les questions soulevées par M. Funck, dit-il, doivent être résolues dans la pratique, en mettant cette pratique en harmonie avec nos principes constitutionnels qui partout doivent avoir le pas. »

Mais la solution de ces difficultés sera inextricable. Ceux qui voudront perpétuer les abus auront constamment à invoquer un texte officiel devant lequel doivent nécessairement échouer les bonnes intentions du gouvernement. Et puis, quelle énergie ne faut-il pas pour que les abus arrivent au sommet du pouvoir ? Trouvera-t-on beaucoup d'instituteurs primaires qui ne préféreront pas mille fois mieux subir une injustice que de s'exposer au mauvais vouloir de leurs chefs en faisant des réclamations publiques ?

L'histoire de l'instituteur Lagache est encore présente à notre mémoire. Il avait pour lui le bon droit et les principes constitutionnels ; il était couvert par l'ordre qu'il avait reçu de son bourgmestre ; il pouvait (page 976) à s’abriter derrière la note ministérielle dont a parlé notre honorable collègue, M. Vandenpeereboom, note qui supprimait comme inconstitutionnelle la disposition invoquée, et malgré tout cela, l'instituteur Lagache a été frappé, et sa condamnation a été notifiée à tous les instituteurs du pays, afin qu'ils se le tiennent pour dit. (Interruption.)

On demande pourquoi cet instituteur a été blâmé. Je réponds immédiatement à cette question.

On n'aurait pas osé frapper directement l'instituteur Lagache pour le fait qu'il avait posé ; on a cherché un biais, et les explications fournies à propos de celle affaire ont été si peu claires, si tristes, si inacceptables, que l'honorable M. de Brouckere, dont personne ne contestera bien certainement l'esprit de modération, a dû blâmer le fait en plein parlement.

« Mais, dit encore l'honorable ministre, il est incontestable que dans le plus grand nombre des communes de Belgique, il n'y a pas d'enfants appartenant à des cultes dissidents, et il est évident que dans ce cas il n'y a pas d'inconvénient à ce que l'instituteur s'occupe du dogme religieux à l'occasion d'une leçon quelconque. »

Le fait est vrai, mais la conséquence qu'il en tire est fausse.

D'abord les lois sont faites le plus souvent pour sauvegarder les droits des minorités ; la majorité sait bien se faire respecter par elle-même. Mais l'honorable ministre ne s'aperçoit-il pas que le même argument s'applique à la plupart des abus, à la plupart des questions qui ont soulevé de si vifs débats dans le pays et dans cette assemblée ?

En matière de sépulture par exemple ? Croit-il que la question ne soit pas indifférente à toutes ces communes dont il parle, et où il n'y a pas de dissidents ?

Et la question de la charité, et les bourses d'étude, se figure-t-il que le maintien des principes libéraux qui doivent régir ces matières paraisse indispensable aux habitants de ces communes ?

Aussi n'est-ce pas là le langage que vous leur tenez quand vous voyiez faire prévaloir vos principes, qui sont aussi les miens. La séparation de l'Eglise et de l'Etat est une nécessité sociale, est une garantie d'ordre et de sécurité, leur dites-vous ; l'Etat doit être indépendant de l'Eglise, et l'Eglise doit être indépendante de l'Etat. Tous deux doivent rester dans leur sphère d'action. A l'Etat, tous les services publics ; à l'Eglise, l'autorité sur les âmes des croyants. En matière d'instruction publique, cette vérité se traduit par cette grande maxime, adoptée en Hollande, à la satisfaction de tous les partis, et des catholiques en particulier, quoi qu'en dise l'honorable M. de Haerne : Le prêtre dans le temple, et le maître dans l'école. En d'autres termes encore : L'indépendance complète du pouvoir civil dans tous les services publics.

Chaque fois que vous avez proclamé franchement cette doctrine, le pays vous a suivis, il ne vous a jamais marchandé son concours ; les hommes les plus sincèrement attachés à leur foi, à leurs croyances se sont ralliés à vous, ils ont compris que pour que l'Etat soit libre dans ses allures, pour que la religion soit respectée et vénérée, l'un et l'autre doivent rester dans les limites de leurs attributions. C'est dans cette séparation que réside la pacification des partis.

Je viens vous conjurer, conformément au programme de 1846, de l'appliquer à l'enseignement primaire, non pas en rompant brusquement avec le passé, ce qui serait la révision complète de la loi de 1842, mais en donnant à cette loi une exécution plus libérale, en supprimant les actes administratifs qui en ont faussé l'application.

Motion d’ordre

M. d’Elhoungneµ. - Je demande la permission à la Chambre d'interpeller le gouvernement au sujet des derniers événements qui se sont accomplis dans un des plus importants arrondissements du royaume, dans l'arrondissement de Charleroi, où l'ordre public a été gravement troublé et où, pour maintenir l'autorité, on a dû avoir recours à des mesures sanglantes dans lesquelles des ouvriers aussi égarés que coupables ont succombé, et à côté d'eux d'innocentes victimes.

Aujourd'hui que le calme est rétabli dans cette contrée, je pense qu'il y a un devoir à remplir.

Jusqu'ici, nous n'avons eu aucune communication ni publication, émanée du gouvernement, qui ait fait connaître au parlement et au pays la vérité officielle sur les faits qui se sont passés.

Si, comme il est consolant de le penser, le gouvernement, les autorités administratives et militaires n'ont fait que remplir un devoir rigoureux, en y apportant toute la modération, toute la réserve, tous les ménagements, toute la longanimité qu'on peut exiger en pareille circonstance, je crois qu'il est bon et utile que le gouvernement fasse connaître ses actes et sa conduite, afin que le pays puisse les juger en même temps que la Chambre.

S'il en était autrement, s'il y avait eu dans la répression des troubles trop de rigueur, trop de précipitation, il y aurait un motif plus impérieux pour la Chambre d'exercer son légitime contrôle sur la conduite du pouvoir exécutif.

En toute hypothèse, je pense que les représentants de la nation doivent montrer que quand des faits se passent où des citoyens perdent la vie, quand un conflit déplorable a eu lieu pour maintenir l'ordre et la sécurité publique ; je pense, dis-je, que les représentants de la nation doivent prouver qu'ils suivent ces faits avec une sollicitude vigilante.

Je fais cette interpellation, la Chambre le comprend, exclusivement au point de vue de la mission du pouvoir exécutif.

L'autorité judiciaire a également une mission à remplir, qu'elle doit accomplir dans sa sphère et dans un autre ordre d'idées. Je ne crois pas devoir étendre mon interpellation à cet ordre de faits.

Cependant je voudrais que le gouvernement pût dès aujourd'hui démentir une assertion que j'ai lue avec une pénible surprise dans un des plus importants journaux du pays, dans l’Indépendance belge.

J'y ai vu répéter à plusieurs reprises que, pour prévenir des troubles nouveaux, on avait fait incarcérer préventivement tous ceux qu'on croit pouvoir être les chefs futurs des désordres qu'on pouvait encore craindre.

Comme je ne connais pas, en Belgique, de loi des suspects, comme personne ne peut être arrêté, hors des cas prévus par les lois, que je connais, je voudrais que le gouvernement pût donner immédiatement un démenti officiel à la correspondance du journal que je viens de citer.

Je désire donc que M. le ministre de l'intérieur fasse à la Chambre les communications qu'il juge nécessaires sur les causes qui ont amené les faits regrettables dont l'arrondissement de Charleroi a été le théâtre, sur la nature des mesures que l'autorité a prises. Je désire également que M. le ministre de la justice veuille bien nous rassurer sur la mise à exécution d'une loi des suspects qui n'existe pas et qui, je l'espère, n'existera jamais en Belgique.

MiPµ. - Messieurs, je crois tout d'abord devoir déclarer à la Chambre que ceux des faits que l'honorable M. d'Elhoungne vient de signaler et qui concernent plus particulièrement M. le ministre de la justice, sont complètement inexacts ; il n'est entré ni dans les intentions du gouvernement ni dans celle des fonctionnaires qui sont placés sous son autorité, de faire arrêter qui que ce soit pour une participation éventuelle à des faits futurs. Notre législation repousse de pareilles mesures ; elles constitueraient un attentat à la liberté individuelle, et il ne peut en être question.

Si des arrestations sont faites, elles le sont uniquement conformément aux lois d'instruction criminelle, pour arriver à punir les auteurs des faits que nous avons à regretter.

Messieurs, les événements qui se sont passés près de Charleroi sont certainement profondément déplorables. Mais je crois pouvoir le dire à la Chambre : l'autorité militaire, en faisant usage de ses armes, n'a fait qu'obéir à une inexorable nécessité.

La Chambre pourra s'en convaincre par l'exposé que je vais lui faire des faits qui se sont passés.

Le 25 mars, mercredi dernier, eut lieu un commencement de grève au charbonnage du Gouffre, situé sur le territoire de Châtelineau. Les autorités, M. le procureur du roi, M. le commissaire d'arrondissement s'y rendirent. Les ouvriers avaient refusé de travailler ; aucun fait de désordre ne s'était, du reste, produit.

Ces fonctionnaires entrèrent en pourparlers avec ceux des ouvriers qui semblaient les chefs de ce mouvement. Voici les propositions que ceux-ci firent au directeur du charbonnage : ils demandaient d'abord le rétablissement de l'ancien taux des salaires ou plutôt l'adoption d'un tarif d'après lequel chaque ouvrier gagnerait au moins 4 francs par jour. Je dois dire cependant que ce salaire devait s'appliquer spécialement aux ouvriers houilleurs, aux ouvriers de la veine ; quant aux traîneurs ou hiercheurs, le salaire devait être réduit de fr. 2-75 à 2-50. La demande tendait à ce qu'il fût maintenu au taux de fr. 2-75,

Ils réclamaient, eu second lieu, une diminution de 8 fr. par 100 kil. sur les prix de la farine. Enfin ils exigeaient le payement régulier des quinzaines à certaines époques fixes et le payement immédiat d'une quinzaine due.

Le directeur déclara qu'il ne pouvait consentir qu'à la dernière de ces conditions.

(page 977) Les ouvriers parurent comprendre que leurs prétentions étaient absolument inadmissibles et ils promirent de reprendre le travail dès le lendemain malin.

La gendarmerie s'était rendue sur les lieux du rassemblement.

Nous recevions mercredi soir le rapport le plus rassurant ; M. le procureur du roi avait la confiance que la tranquillité ne serait pas troublée, et le lieutenant de gendarmerie de Hollain qui, comme vous le verrez, a été victime de ces événements, télégraphia au colonel de la gendarmerie, au général inspecteur de la gendarmerie, à l'administrateur de la sûreté publique, au ministre de la guerre, au ministre de la justice et au ministre de l'intérieur, ce qui suit :

« Je viens rentrer ; tranquillité continue régner Châtelincau ; compte travaux reprendront demain. Service assuré. »

Cette dépêche nous fut remise dans la soirée de mercredi vers neuf heures du soir. Elle arriva à Bruxelles à 8 heures 28 minutes.

Nous pensions donc, messieurs, avec les autorités de l'arrondissement que tout devait rentrer dans l'ordre.

Tout devait faire croire à ces fonctionnaires qu'il en serait bien ainsi. En effet, le jeudi matin, les ouvriers du charbonnage du Gouffre, en grève la veille, reprenaient leurs travaux sans difficulté. A l'une des deux fosses qui sont dans le village de Châtelineau, les. ouvriers étaient tous descendus dans les travaux ; à l'autre, la descente s'opérait, lorsque arriva d'un charbonnage plus rapproché de Charleroi, du charbonnage de Trieu-Kaisin, une bande de forcenés laquelle défendit aux ouvriers qui attendaient leur tour, de descendre, et de remonter les ouvriers qui déjà étaient descendus dans la mine.

Ces faits ont donc été produits par les ouvriers d'un charbonnage ou rien n'avait révélé un danger. Ce furent les ouvriers du Trieu-Kaisin qui vinrent recommencer les désordres au Gouffre.

Le lieutenant de gendarmerie prévenu aussitôt se rendit sur les lieux à la tête de 15 cavaliers, après avoir aussi convoqué quelques gendarmes à pied. Cet officier, voulant dissiper le rassemblement considérable qui s'était formé et qui avait une attitude menaçante, fit avancer sa troupe au milieu de la foule. II fut accueilli par une grêle de projectiles ; tout ce qui se trouvait sous la main des émeutiers servit à cet usage, pierres, briques, morceaux de fer. etc. ; le lieutenant reçut trois blessures ; il fut atteint d'une brique au front, d'un coussinet de chemin de fer à la nuque, il fut enfin blessé au cou par un instrument appelé picot, avec lequel les ouvriers attachent les lampes Mueseler qui les éclairent, espèce de dard long d'un pied environ.

La gendarmerie dut s'arrêter ; le lieutenant de Hollain, aveuglé par le sang qui coulait abondamment de ses blessures, dut même se retirer, en traversant un groupe, où il fut l'objet de nouveaux sévices, malgré l'état déplorable dans lequel il se trouvait déjà.

Emporté par son cheval, il arriva dans la cour du directeur du charbonnage ; là, ce courageux officier perdit connaissance pour ne la recouvrer que bien longtemps après.

La petite troupe à cheval, débordée par le nombre, fut forcée à la retraite.

Les gendarmes à pied durent aussi chercher à se soustraire aux mauvais traitements qu'on leur faisait subir. Exposé à cette grêle de pierres qui avait assailli les cavaliers, même tout meurtris, ils se réfugièrent dans une maison voisine ; l'un d'eux fut, en y entrant, grièvement blessé et ne dut la vie qu'à l'énergique défense de ses compagnons. Les émeutiers commencèrent le siège de la maison. Heureusement la présence d'esprit d'une femme sauva ceux qui s'y étaient réfugiés.

Celle-ci cacha les gendarmes et ouvrit quelques instants après la porte à la foule, elle déclara qu'ils étaient partis par une autre issue, et on ne s'occupa plus d'eux.

Cependant on avait prévenu l'autorité militaire de Charleroi. Le commissaire d'arrondissement et le procureur du roi se rendirent aussitôt par chemin de fer à Châtelineau avec des troupes d'infanterie. Ces troupes délivrèrent d'abord les gendarmes, dont la retraite pouvait être forcée ; elles traversèrent ensuite le rassemblement et entrèrent dans la cour.

Elles y étaient à peine, qu'une grêle de pierres les assaillit par dessus le mur. Le commandant fit ouvrir la porte, charger les armes et menaça d'en faire usage. Les voies de fait cessèrent.

Les autorités cherchèrent alors à entrer en pourparlers avec les ouvriers et furent surpris de leur docilité. Mais pendant que les choses paraissaient s'arranger, ils apprirent qu'ils n'avaient devant eux que les travailleurs sages et raisonnables, et que toute la fraction émeutière s'était retirée, portant le ravage dans d'autres établissements. En effet la troupe formée de cette partie mauvaise du rassemblement s'était dirigée sur différentes usines, dévastant en courant les bureaux des établissements sur lesquels elle s'abattait. De Châtelineau elle se dirigea vers le charbonnage de Trieu-Kaisin d'où elle était partie.

Les émeutiers arrivèrent ainsi, sans qu'on pût les atteindre, à une fosse de ce charbonnage, appelée fosse de Sainte-Croix située sur Montignies, où ils saccagèrent les bureaux et détruisireut.400 lampes Museler. Cependant, incroyable aveuglement ! ils faisaient tout ce qui était en eux pour rendre le travail impossible !

L'administration des mines s'est interposée depuis pour faire prêter par d'autres charbonnage, à la société de Trieu-Kaisin, les lampes qui lui manquaient.

Pendant que les troupes qui avaient protégé le charbonnage du Gouffre continuaient à occuper Châtelineau, on mandait par le télégraphe, à Charleroi, les désordres qui se produisaient à Montignies.

Pour bien comprendre les faits, la Chambre doit se rendre compte de la situation des lieux. Le charbonnage du Gouffre est à l'est de la commune de Châtelineau, à une lieue en aval de Charleroi. L'émeute, repoussée par la troupe, s'était rapprochée de Charleroi, en passant par diverses usines de l'ouest de Châtelineau ; marchant toujours vers l'occident, elle était arrivée sur Montignies, où elle avait commis, à la fosse de Sainte-Croix, les dévastations que j'ai indiquées.

Le major Quenne, envoyé avec deux compagnies, courut d'abord au charbonnage de Trieu-Kaisin. Mais, pendant qu'il y rétablissait l'ordre, une grande partie des émeutiers qui s'y trouvaient se rendit à un siège d'exploitation du charbonnage de Bonne-Espérance, appelé fosse de l'Epine.

Le major Quenne y dirige, sous les ordres du capitaine Sarrasin, une partie des hommes dont il dispose ; mais le capitaine comprend bientôt que sa petite troupe est insuffisante ; entouré d'environ 1,200 émeutiers munis de bâtons, de piques, en un mot de tous les objets dont ils avaient pu faire des armes, il fait demander des renforts à son chef ; le major Quenne se rendit alors avec toutes ses forces devant la fosse de l'Epine.

Les émeutiers étaient retranchés dans la cour du charbonnage, dont la barrière avait été fermée ; il se trouvait dans cette cour, comme dans celles de toutes les exploitations houillères, une quantité de pièces de bois. Celles-ci sont employées à barricader l'entrée. Là, les émeutiers qui étaient retranchés se livraient aux mêmes dévastations qu'ailleurs ; de plus on annonçait qu'ils allaient briser le ventilateur pour forcer les 400 ouvriers travaillant dans la mine à sortir pour se joindre à eux.

Le major ordonne à plusieurs reprises que passage soit livré ; il n'est tenu aucun compte de ses injonctions.

Il y avait lieu, dès lors, de prendre une mesure énergique et immédiate. L'ordre est donné à la troupe de pénétrer de force dans la cour de l'établissement.

De toutes parts des projectiles sont lancés sur les soldats qui veulent se frayer un passage, des coups de feu même sont tirés sur eux. C'est alors seulement que l'ordre de faire feu est donné.

Vous savez, messieurs, quel a été le résultat du feu : six hommes ont été tués ; d'autres ont été blessés ; de ceux-ci, quatre ont succombé depuis.

Cependant, malgré son acte de suprême énergie, la troupe est obligée de reculer pour se reformer quelques pas en arrière. Mais l'émeute atterrée par l'usage que la force militaire vient de faire de ses armes, et par l'attitude qu'elle prend, l'émeute cède le terrain. Le charbonnage est occupé ; les devoirs d'humanité sont remplis envers les blessés, et la troupe peut constater que déjà une partie de l'établissement est dévastée et que les livres ont été détruits.

Voilà, messieurs, le récit exact, tel que nous le trouvons dans les rapports officiels, de ce qui s'est passé. Sans doute les résultats de l'action de la force militaire sont profondément tristes, profondément déplorables, mais la Chambre reconnaîtra que la troupe n'a fait qu'exécuter ce que la nécessité commandait impérieusement.

Un lieutenant de gendarmerie avait été dangereusement blessé, un gendarme était dans la même situation ; plusieurs autres étaient couverts de contusions ; des dévastations matérielles avaient été commises en de nombreux endroits. Plusieurs soldats, parmi ceux qui devaient arrêter ces attentats, étaient blessés. Le commandant de la troupe avait été atteint de plusieurs projectiles. Il fallait vaincre une résistance agressive, dangereuse, il était impossible de laisser consommer de (page 978) nouveaux attentats, à la vue de la force publique, de permettre l'exécution des plus pernicieux projets. Il y aurait eu le plus grand danger à laisser l'émeute triompher de la troupe, et continuer son œuvre dévastatrice.

Il fallait, en un mot, que, dans des circonstances aussi graves et après les faits qui se succédaient, force restât à la loi, et qu'une résistance, qui avait déjà fait assez de victimes parmi les défenseurs de l'ordre, fût vaincue.

Messieurs, si nous ne pouvons assez regretter les résultats de l'emploi de la force, nous devons cependant dire que cet acte de rigoureuse vigueur a sans doute arrêté les troubles, auxquels de la faiblesse eût pu donner une dangereuse extension.

Il est possible que, parmi les victimes, il s'en trouve, comme il arrive presque toujours en pareils cas, qui n'ont d'autre fait à se reprocher que d'avoir été entraînés sur les lieux du désordre par cette curiosité fatale qui est si souvent un auxiliaire de la rébellion.

J'ai toutefois fait prendre les noms et domiciles des personnes tuées à Montignies même ; j'ignore où les autres victimes sont décédées.

Or, parmi ces six personnes, il n'en est pas une seule qui soit habitant de cette commune ; elles me sont signalées par le bourgmestre de Montignies comme des ouvriers appartenant aux charbonnages situés en aval de cette localité.

Cette circonstance doit faire penser que les six victimes qui ont succombé faisaient partie de la bande qui, le matin, avait commencé les désordres à Châtelineau, et qu'ainsi la mort a atteint des coupables.

L'émeute a été à peu près domptée par cette dure répression ; en effet, le lendemain vendredi, il n'y eut pas de scènes de violence ; mais le samedi une bande, partie des communes situées au levant de Châtelineau, voulut s'y rendre de nouveau pour recommencer ce qu'elle y avait fait deux jours auparavant.

Ayant appris probablement que la force armée protégeait cette commune, elle se détourna, passa la Sambre à Pont-de-Loup pour aller arrêter les travaux aux charbonnages de Châtelet ; là elle rencontra une résistance énergique. Ce fut le dernier acte de ces tristes incidents.

Tels sont, messieurs, les faits officiellement constatés. Je crois que ces explications satisferont l'honorable membre qui m'a adressé l'interpellation.

Je lui dirai que le gouvernement partage tous ses sentiments sur les obligations qui incombent aux dépositaires de l'autorité et de la force publique.

Il est, en cette matière, une double considération qu'il ne faut jamais perdre de vue.

La première, c'est que l'on a affaire à des hommes égarés, à des hommes qu'il faut blâmer, mais qu'il faut aussi savoir plaindre, et que l'usage des moyens extrêmes que la loi met à la disposition de l'autorité ne se justifie que par la nécessité ; d'où cette conséquence que la réserve, la circonspection dans l'emploi de ces moyens doit être extrême.

La seconde considération, c'est qu'il importe à l'ordre public, qui est la vie des sociétés, que la loi conserve toujours sa force. L'autorité qui fait respecter les personnes et les propriétés ne peut pas être dominée par l'émeute ; l'intérêt de tous, de ceux surtout qui attendent de l'industrie leur pain de chaque jour, l'exige impérieusement. Le gouvernement qui faillirait à cette mission, manquerait au premier de ses devoirs. Si donc le pouvoir ne peut employer la force des armes que lorsque l'absolue nécessité le lui prescrit, il ne doit pas reculer à user de ces moyens suprêmes, lorsque la sécurité publique est à ce prix.

Le gouvernement, soyez-en convaincus, a à cœur de rester dans cette voie d'extrême modération qui n'exclut pas l'énergie ; mais il saurait au besoin employer tous les moyens qui sont de nature à assurer aux citoyens paisibles et honnêtes la protection et la sécurité dont ils ont besoin.

Le gouvernement est convaincu que sa responsabilité serait également engagée, et s'il n'apportait dans l'usage de ses droits rigoureux la plus grande réserve, et s'il laissait par faiblesse compromettre la sécurité publique qui est le premier bien d'une nation civilisée.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1868

Discussion générale

M. Bouvierµ. - Partisan convaincu de la haute utilité, de l'indispensable nécessité du principe de l’organisation des écoles d’adultes, nous assistons, nous libéraux, à un rare spectacle : le combat singulier de deux ministres également libéraux, luttant d’éloquence, d’habilité, j’allais presque dire de finesse, pour faire sortir, de la loi du 23 septembre 1842, deux systèmes diamétralement opposés : l'un soumettant l'organisation des écoles d'adultes au régime de la loi de 1842, admettant le prêtre du culte catholique à titre d'autorité dans nos écoles ; l'autre ayant pour but d'y soustraire ces écoles.

Cette étrange attitude provient d'une fausse situation. S'ils avaient accepté franchement et courageusement le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, inscrit dans notre Constitution, l'arrêté du 1er septembre 1866, que je considère comme inconstitutionnel, n'eût point été attaqué.

Est-ce à dire que toutes les dispositions de cet arrêté soient mauvaises, en tous points ? Non, messieurs.

Une innovation qui nous paraît heureuse, c'est l'appel fait au public de contribuer aux dépenses que l'institution de ces écoles nécessitera.

La double création d'un fonds spécial et des sociétés de patronage chargées de recueillir les dons volontaires et les souscriptions, doivent contribuer fortement au succès de ces écoles. Un autre principe qui reçoit notre approbation, c'est celui qui porte que des certificats de capacité seront délivrés aux élèves sortant des écoles d'adultes.

II serait désirable qu'une pareille mesure fût étendue à ceux qui, quittant pour toujours les bancs de l'école primaire, veulent se soumettre à un examen. Cette sorte de diplôme attestant les connaissances acquises des jeunes gens, leur rendrait plus facile l'accès de diverses professions et deviendrait même, pour des emplois salariés dans l'agriculture, l'industrie et le commerce, un titre de préférence.

Je forme le vœu de voir annexer, au moins dans les villes, aux écoles d'adultes, un cours de dessin. D'une incontestable utilité pour les ouvriers et les patrons, l'enseignement du dessin industriel comprend celui des machines, de l'ornementation, de la perspective, etc.

Ce qu'il faut approuver également, c'est l'institution des concours cantonaux et la remise de livrets sur les caisses d'épargne ou de retraite.

Puisque j'ai parlé d'épargne, qu'il me soit permis de saisir cette occasion pour rendre un éclatant hommage à la ville de Gand, qui, la première en Belgique, a, dans ses écoles, introduit ce principe si fécond qui ne tardera pas à faire le tour du pays, comme un élément de suprême moralisation.

Au point de vue social, l'épargne augmente la richesse nationale, elle est la source d'un travail plus général, lequel amène avec lui l'aisance, origine elle-même du perfectionnement intellectuel et moral d'un peuple.

Pour faire pénétrer dans les masses les effets bienfaisants de l'épargne, il faut que l'atmosphère de l'école soit imprégnée de cette salutaire idée que l'enfant en sentant grandir dans son jeune cœur les germes moraux et religieux, s'aperçoive déjà que, grâce à l'épargne et à l'instruction, il pourra s'élever dans la société, et que, s'appuyant sur le principe démocratique de l'égalité des Belges devant la loi inscrit dans notre Constitution, il peut aspirer à toutes les positions.

Ce que je désire avant tout, c'est de voir vulgariser la science, combattre l'ignorance, mère de toutes les superstitions, de toutes les émeutes, de toutes les misères humaines.

Noire premier devoir est de pousser par l'instruction nos classes laborieuses à devenir des citoyens actifs d'un pays libre, car il n'y a que les peuples éclairés qui soient libres et qui sachent maintenir la liberté ; la servitude est fille de l'ignorance, comme l'instruction est la mère robuste de la liberté.

C'est, animé de semblables idées, que. je voyais avec bonheur l'avénement de l'institution des écoles d'adultes en Belgique. Mais après l'examen de l'esprit qui en avait dicté le principe, plaçant ces écoles sous la surveillance établie par la loi du 23 septembre 1842, qui y admet l'intervention du clergé à titre d'autorité, faisant de cette surveillance une condition de l'obtention des subsides, mon enthousiasme pour cet arrêté s'est singulièrement refroidi.

Je le considère, je le répète, comme une violation flagrante de la Constitution, ainsi que la loi de 1842 sur laquelle il est calqué, comme sacrifiant la liberté de conscience des élèves, la liberté des cultes et comme portant une grave atteinte à l'indépendance de l'instituteur ; et pourquoi la loi de 1842 est-elle inconstitutionnelle ainsi que l'arrêté du 1er septembre qui en est la conséquence ? C'est parce qu'elle établit une véritable confusion entre le pouvoir civil et le pouvoir ecclésiastique, tandis que la Constitution pose le principe de la séparation de ces deux pouvoirs, laissant à chacun son rôle distinct : au pouvoir spirituel, la suprématie religieuse ; au pouvoir temporel, celle des affaires civiles.

C'est parce que, comme le disait au Congrès national l'abbé Verbeke, (page 97) lors de la discussion de notre Constitution, le culte et l'Etat doivent être indépendants ; chacun doit gérer ses propres affaires ; chacun est souverain dans le cercle de ses attributions.

Par là même que l'Etat déclare ne professer aucun culte aux yeux de la loi, la religion lui est indifférente, le temple est un édifice, les cérémonies, les sacrements il ne les connaît pas ; le prêtre est un citoyen, et rien de plus.

La religion n'a d'humain, comme le disait Royer-Collard, que ses ministres, faibles hommes comme nous, soumis aux mêmes besoins, sujets aux mêmes passions, organes mortels et comptables de la vérité incorruptible et immortelle, et vous voulez que l'Etat, à qui ces mêmes ministres ne rendent compte de rien, qui n'a le droit d'intervenir ni dans leur nomination, ni dans leur installation, eux qui jouissent cependant du droit de publier leurs actes, de correspondre avec leurs supérieurs sans subir aucun contrôle ; vous voulez que ce même Etat les admette à titre d'autorité dans ses propres établissements, tandis que ces mêmes prêtres profitent de la liberté religieuse assurée par notre Constitution qui leur permet d'ouvrir, sur toute la surface du royaume, des écoles créées à leur propre image, d'où l'Etat sera exclu parce que dans cette occurrence l'Etat ne sera plus pour eux le Dieu Etat, dont ils n'ont plus besoin, mais l'Etat athée, conspué comme tel, capable des plus grands crimes, objet des anathèmes et des foudres de l'Eglise !

En admettant le prêtre de la communion catholique à titre d'autorité dans l'école, la loi de 1842 se prononce sur la valeur d'une croyance religieuse.

Or, la loi n'a pas ce pouvoir ; elle ne peut point proclamer qu'une croyance est bonne, car en le faisant elle déclare virtuellement fausses toutes les autres ; et que deviennent alors les grands principes assurés par notre Constitution, la liberté des cultes et la liberté de conscience ? Encore une fois, je le déclare, ils sont foulés aux pieds.

Mais, dit-on, la loi de 1842 doit être considérée comme une espèce de transaction destinée à satisfaire aux exigences de l'enseignement laïque et de l'enseignement religieux.

Eh bien, de pareils traités ne satisfont jamais aucun parti. La discussion dont nous sommes témoins en est la preuve. Il est d'ailleurs imprudent et impolitique de transiger sur des principes qui sont la base de notre pacte fondamental et l'honneur de la société moderne. Avec ce système de transaction vous enfantez la lutte, si vous ne la consacrez pas, et vous n'obtiendrez jamais la paix parce que cette loi crée une fausse situation aux deux grandes opinions qui se partagent le pays.

Je vais caractériser cette loi par un mot : c'est une loi de résignation pour les deux partis ; elle ne sera jamais ni franchement, ni loyalement acceptée par aucun d'eux, chacun d'eux voulant l'absorber un peu, doucereusement, à son profit et sans trop faire crier, et le motif de ce travail d'absorption s'explique très facilement ; c'est que les lois sur l'instruction publique contiennent en germe l'avenir des idées et des principes que représentent ces deux opinions en principe. Car, qu'on ne l'oublie pas, c'est l'éducation qui fait les mœurs et ce sont les mœurs qui font les nations ; et c'est avec raison que Leibnitz a pu dire : Donnez-moi l'instruction publique pendant un siècle et je changerai la face du monde.

Eh bien, je n'hésite pas à dire que si le clergé belge avait entre les mains le monopole de l'instruction en Belgique, notre pays marcherait d'un pas rapide vers sa décadence et la ruine de ses institutions. Avant un siècle, la Belgique serait dans une situation pire que celle de l'Espagne actuelle. Et si je tiens ce langage, ce n'est pas par haine du prêtre. Non, c'est que je vois chez nous un clergé essentiellement militant, ne marchant pas à la conquête des âmes, mais à leur asservissement. La religion n'est entre leurs mains qu'un instrument pour arriver plus sûrement à la domination temporelle. Contrairement à la parole du Christ qui proclamait que son royaume n'était pas de ce monde, le clergé belge trouve que ce monde est à sa convenance et il veut le conquérir, et pour atteindre ce but tous ses efforts tendent à s'emparer de l'instruction publique.

Et quand ce même clergé vient faire accroire aux populations que nos écoles primaires, privées de leur intervention, seront des foyers d'athéisme et d'immoralité, où l'on n'entendra plus parler de Dieu ni de l'immortalité de l'âme et que les grandes et salutaires vérités qui sont la consolation du pauvre et le besoin de l'affligé en seront complètement absentes, il tient un langage qu'il sait ne pas être sincère ni vrai. Non, je le dis à l'honneur des instituteurs belges, il n'en est pas un seul parmi eux qui osât professer de pareilles doctrines subversives de toute société bien organisée.

Non, nos écoles ne sont pas des foyers d'impiété. La morale et tous ces grands principes qui rattachent l'homme à Dieu y sont l'objet de la constante sollicitude des instituteurs.

Est-ce que les écoles en Hollande et aux Etats-Unis, où les prêtres d'aucune communion n'ont accès, seraient des foyers pestilentiels ? Là, comme en Belgique, les instituteurs comprennent leur devoir.

Ils inculquent à leurs jeunes élèves les principes de morale, ils pratiquent l'amour de Dieu, le sentiment de la tolérance, ils enseignent la grandeur des vérités éternelles et immuables, enflamment leurs jeunes âmes de l'amour de la patrie, et les attachent aux institutions de leur pays. Voilà la noble et grande mission de l'instituteur moderne, ct parlant de Dieu et de patrie il ne fera pas même allusion à ces encycliques et à ces syllabus ou les grands principes qui sont l'honneur et la gloire des sociétés modernes sont bafoués et foulés aux pieds, et cependant les tendances du clergé le portent à répandre ces funestes doctrines. C'est pour soustraire mon pays à cette fatale influence que je critique l'arrêt, du 1er septembre 1866, tout en me permettant de manifester mon étonnement de ce qu'un ministre libéral dont le nom se lie si glorieusement au développement de l'instruction populaire ait cru devoir le placer sous le régime de la loi de 1842.

Je n'examinerai pas si cet honorable ministre a bien ou mal interprété cette loi.

La seule chose qu'il eût à faire, à mon avis, c'était, puisque l'enseignement doit être réglé par l'Etat, de présenter à la Chambre un projet de loi instituant les écoles d'adultes d'après les principes de notre Constitution, et je m'étonne que son honorable successeur, qui s'est donné, tant de mal pour établir qu'il rencontre dans cette loi tout ce que son honorable prédécesseur n'y voyait pas, n'ait pas cru devoir adopter la ligne de conduite que je viens d'indiquer. Je la crois la seule bonne, franche et vraiment libérale.

Ce projet de loi eût été accueilli avec une immense acclamation par l'opinion libérale, et la loi de 1842, en présence du développement de nos mœurs libérales, de l'éducation politique du pays, des progrès des principes constitutionnels, tombait d'elle-même aux applaudissements de tous ceux qui ont à cœur le développement de nos grandes institutions. Le temps aurait fait justice de cette loi.

Avant de terminer, je demanderai à l'honorable ministre de l'intérieur s'il ne songe pas à fonder en Belgique, comme il est question de le faire en France, l'enseignement secondaire des filles. Ce serait un nouveau bienfait dont je verrais avec bonheur doter mon pays.

Je ne puis mieux faire, pour en indiquer toute l'importance, que de reproduire les idées si noblement exprimées par M. Duruy, ministre de l'instruction publique en France, dans une circulaire adressée aux recteurs :

« C'est au foyer domestique, dans le sanctuaire de la famille, que la jeune fille reçoit l'éducation du cœur ct les premiers enseignements de la religion ; son instruction religieuse se poursuit et s'achève à l'église ou au temple, sous la direction des ministres de son culte. Mais pour fortifier son jugement et orner son intelligence, pour apprendre à gouverner son esprit et se mettre en état de porter avec un autre le poids des devoirs et des responsabilités de la vie sans sortir du rôle que la nature lui assigne, il faut à la femme une instruction forte et simple qui offre au sentiment religieux l'appui d'un sens droit et aux entraînements de l'imagination l'obstacle d'une raison éclairée.

« Cette instruction, forte ct simple, il est bien rare de la trouver aujourd'hui en France. (J'ajouterai qu'il en est de même en Belgique.) Que de plaintes ne s'élèvent point sur la difficulté de donner aux jeunes filles une instruction en rapport avec le rang qu'elles occuperont un jour dans la société et avec celle que reçoivent leurs frères dans les écoles de l'Etat et dans les établissements libres.

« Aujourd'hui bien des mères de famille désireraient garder leurs filles auprès d'elles, afin de présider elles-mêmes à leur éducation, au développement de leur caractère ; il leur faut s'en séparer parce qu'elles n'ont sous la main aucun moyen d'instruction ; elles les confient au pensionnat, tout en regrettant que l'enseignement n'y dépasse guère la portée des études primaires. Beaucoup de jeunes filles, lorsqu'elles rentrent à la maison paternelle vers leur quinzième année, seraient heureuses de trouver à leur portée un enseignement complémentaire, de s'occuper utilement pour le présent et l'avenir pendant trois ou quatre ans, c'est-à-dire jusqu'à l'époque où des devoirs plus graves s'imposeront à elles. Cette précieuse ressource, cet emploi salutaire des années les plus difficiles et les plus inoccupées de la jeunesse leur est presque partout interdit. »

(page 980) Et le ministre Duruy de se demander pourquoi on ne constituerait pas un véritable enseignement secondaire des filles, offrant les plus sérieuses garanties, et placé sous le patronage des personnes qui ont dans chaque ville une autorité et une influence incontestées.

Cet enseignement, caractérisé par la combinaison d'une instruction littéraire générale, de l'étude des langues vivantes et du dessin, peut, s'il est convenablement approprié à sa destination, devenir l'enseignement classique des jeunes filles de 14 à 17 ou 18 ans.

Quant aux maîtres et aux moyens d'enseignement, ils sont tout prêts. Les membres de l'enseignement secondaire, qui ont déjà la confiance des familles, puisque toute la population de nos athénées et écoles moyennes leur est confiée, n'hésiteraient pas à prêter leur concours s'il était réclamé.

Je livre ces idées aux méditations de l'honorable ministre de l'intérieur, espérant qu'il voudra leur prêter sa sympathie et son bienveillant accueil.

M. Rogierµ. - Messieurs, la loi sur l'instruction primaire de 1842 a été votée par la Chambre des représentants de cette époque à la presque unanimité des voix. Trois membres seulement se sont prononcés contre cette loi ; l'un des trois, et non le moins accentué, n'avait pas manqué, pendant la discussion, de rendre un complet hommage à l'utilité, à la nécessité de l'enseignement religieux.

Depuis cette époque, messieurs, cette loi s'est vue, à diverses reprises, attaquée ; elle l'a été notamment en 1846, dans une réunion de citoyens appartenant à l'opinion libérale.

Les résolutions qui furent prises par cette grande réunion sont invoquées, en quelque sorte, comme une loi à laquelle tout le parti libéral devrait se soumettre.

Jusqu'ici, cependant, il n'a pas été fait droit à ces résolutions du congrès libéral et, aujourd'hui encore, nous voyons un grand nombre de membres de cette opinion résister à la pensée même de toucher à la loi de 1842 : ils entendent respecter cette loi et la faire respecter.

En 1850, l'opinion libérale, qui s'était fortement agrandie dans la Chambre, eut une occasion de se prononcer sur le principe même qu'on reproche à la lot de 1842, c'est-à-dire l'union de l'enseignement religieux à l'enseignement laïque et l'intervention du clergé dans la direction et la surveillance de l'enseignement religieux. Il s'agissait alors de régler par la loi l'enseignement moyen.

Qu'arriva-t-il alors, messieurs ? Le principe des deux enseignements et de l'intervention du clergé, consacré par la loi de 1842, fut de nouveau confirmé par la loi de 1850 et, ici, il ne s'agissait pas simplement d'un enseignement purement dogmatique à donner à des enfants dans les écoles primaires, mais d'enseignement religieux à donner à des jeunes gens, depuis la septième classe jusqu'à la rhétorique. Les libéraux furent d'accord pour maintenir dans la loi d'enseignement moyen le principe admis dans la loi d'instruction primaire.

Seulement on convint d'adopter une nouvelle formule. Un simple changement dans la formule donna satisfaction à l'opinion libérale parlementaire.

On prétend qu'aux termes de la loi de 1842, le clergé intervient dans l'école, à titre d'autorité.

Eh bien, messieurs, lorsqu'on discuta la loi de 1842 et qu'on en vint à l'article qui déclare que l'enseignement religieux sera dirigé et surveillé par le clergé, un de nos amis, l'honorable et si regretté M. Lebeau. prit la parole et dit : Cette disposition me semble bien impérative, elle impose au clergé des devoirs que peut-être nous n'avons pas à lui imposer ; prenons-y garde.

En effet, on peut soutenir que la loi de 1842 est très impérative. Elle dit au clergé : Vous aurez à donner et à surveiller l'enseignement religieux ; d'autre part, il est vrai, elle lui dit : Vous aurez le droit de surveiller l'enseignement. Mais, qu'est-ce que ce droit du clergé ? Qu'est-ce que cette autorité absolue qu'on lui attribue bénévolement sur les écoles ?

S'il plaisait à un évêque de nommer un inspecteur qui ne plairait pas au gouvernement, celui-ci aurait parfaitement le droit de ne pas l'agréer. Si un curé envoyait dans une école primaire un prêtre qui viendrait y prêcher telle doctrine, tel principe qui contrarierait ouvertement notre Constitution, qui blesserait la conscience politique du pays, on serait parfaitement en droit de dire à ce prêtre : Taisez-vous ou retirez-vous.

Que pourrait faire le clergé dans cette circonstance ? Où serait la sanction de son prétendu droit, si le gouvernement ne voulait pas agréer un inspecteur désigné par l'évêque, si le conseil communal ne voulait pas admettre dans l'école des prêtres qui ne lui paraîtraient pas dignes d'y être introduits ?

Quels sont les moyens de coaction dont le clergé disposerait à titre d'autorité ?

Je concède du reste que le gouvernement n'est pas beaucoup plus fort vis-à-vis du clergé, quant aux obligations que la loi lui impose.

La loi dit bien qu'il devra donner et surveiller l'enseignement religieux, mais s'il ne veut pas venir dans l'école et la surveiller, que ferez-vous ? Nous ne pouvons pas le prendre au collet et l'y forcer.

Donc, sous ce rapport, le clergé est à peu près dans une position d'indépendance semblable à celle du gouvernement.

Pour corriger cette anomalie, qui est manifeste, nous avons trouvé, je puis le dire, en 1850, une formule plus pratique et plus constitutionnelle, qui laisse à chacun sa liberté d'action et respecte les droits réciproques. La formule nouvelle est celle-ci : le clergé sera invité à donner et à surveiller l'enseignement religieux ; avec cette formule on ne force pas la main au clergé, et, d'un autre côté, le clergé ne peut pas dire qu'il intervient à titre d'autorité.

La position réciproque est ainsi beaucoup meilleure. Et cette formule nouvelle, je la voudrais voir introduire dans la loi d'instruction primaire.

Nous verrions tomber alors cette opposition sans cesse renaissante qui consiste à dire : Le clergé intervient à titre d'autorité. (Interruption.)

Je crois qu'on rallierait un grand nombre d'adhésions à la loi d'enseignement primaire en adoptant la formule qui a été adoptée en 1850 pour la loi d'enseignement moyen en disant : Le clergé sera invité à donner et à surveiller l'enseignement religieux dans l'école primaire.

MjBµ. - Il ne surveille pas l'enseignement moyen.

M. Rogierµ. - Je vous demande pardon, mon cher collègue. Lisez l'article 8 de la loi :

« L'instruction moyenne, dit l'article 8, comprend l'enseignement religieux ; les ministres des cultes sont invités à donner et à surveiller cet enseignement dans les établissements soumis au régime de la présente loi. »

MjBµ. - L'enseignement religieux, mais dans l'enseignement primaire il surveille l'enseignement laïque. (Interruption.)

M. Rogierµ. - S'il surveille l'enseignement laïque, il sort de ses attributions, et on a tort de le laisser faire. Le gouvernement est en droit de prendre toutes les mesures nécessaires pour que l'intervention du clergé ne s'ingère pas dans l’enseignement laïque.

Je crois, messieurs, qu'une pareille modification introduite dans la loi d'enseignement primaire porterait de bons fruits, et qu'elle ne rencontrerait pas d'opposition de la part de nos adversaires, car elle a été acceptée en 1850, pour l'enseignement moyen. Mais je ne sais pas si M. le ministre de l'intérieur voudrait me suivre dans cette réforme.

MiPµ. - C'est la réforme de la loi de 1842.

M. Rogierµ. - Nous verrons plus tard qui, de vous ou de moi, veut réformer essentiellement la loi de 1842. Je ne touche pas au principe, je veux seulement une formule plus conciliante et plus conforme à l'esprit de notre Constitution.

La loi de 1842 comprend beaucoup plus de choses qu'on ne semble le dire.

La loi de 1842 règle l'enseignement primaire, mais elle ne s'occupe pas seulement de l'enseignement primaire destiné aux enfants. Elle comprend pour ainsi dire tout l'enseignement populaire ; elle règle d'abord l'enseignement primaire proprement dit, elle en donne le programme en son titre I, article 6. En son titre III, elle s'occupe d'une autre branche de l'enseignement primaire ; elle énumère en son article 25 un certain nombre d'écoles comprises dans l'enseignement primaire et qui en sont comme l'accessoire ou le complément, écoles gardiennes, écoles d'adultes, ateliers de charité et d'apprentissage.

Le premier degré de l'enseignement primaire, c'est l'école gardienne, qui est en quelque sorte la pépinière des écoles primaires. Au-dessus de celle-ci, figure l'école d'adultes et l'école primaire supérieure. Celle-ci fait l'objet du titre III de la loi de 1842, et nous l'avons transportée dans la loi de 1850. Mais les écoles d'adultes sont restées dans la loi de 1842.

(page 981) Si, d'une part, elles sont ouvertes aux enfants qui ne peuvent pas fréquenter les écoles du jour, elles sont destinées, d'autre part, et surtout aux jeunes gens qui, après avoir suivi l'école primaire, veulent compléter leur éducation, entretenir et perfectionner leurs connaissances acquises à l'école primaire.

Les écoles d'adultes sont donc appelées à occuper une grande place dans l'organisation de l'enseignement primaire, à jouer un rôle non moins utile et plus grand que les écoles primaires proprement dites, si on veut soutenir l'impulsion donnée à cette branche de l'enseignement populaire.

Mon ancien collègue, M. Vandenpeereboom. a dit que, dans quelques années, vous compteriez dans le pays autant d'écoles d'adultes que d'écoles primaires.

Ce n'est pas une institution peu importante que les écoles d'adultes, surtout quand on regarde au personnel qui les fréquente. Ce ne sont pas seulement des enfants, ce sont des jeunes gens et bientôt des hommes, dont, par une excellente disposition du projet de loi de réforme électorale, vous avez déclaré que vous feriez des électeurs.

Est-il dès lors indifférent d'abandonner ces écoles d'adultes à la libre disposition de nos nombreuses communes urbaines et rurales, de soustraire l'école d'adultes à la surveillance légale de l'autorité supérieure ?

Est-il sage de dire à nos communes : la question de savoir si les écoles d'adultes sont soumises à l'inspection légale m'embarrasse, je ne m'en mêle pas ; faites-en tout ce que vous voulez, la loi de 1842 ne concerne pas ces écoles ? (Interruption.)

Les écoles d'adultes ne tombent pas, d'après vous, sous le régime de la loi de 1842, en ce qui concerne l'inspection ; voilà votre thèse. Eh bien, moi je dis que les écoles d'adultes tombent sous la double inspection aussi bien que les écoles primaires proprement dites, et que pour soutenir le contraire, il faut véritablement n'avoir pas lu ou ne vouloir pas comprendre le texte si formel et si clair de la loi.

Et, messieurs, les auteurs de la loi, les commentateurs de la loi, les exécuteurs de la loi, l'ont, à toutes les époques, interprétée de la même manière ; la Chambre qui vote les crédits n'a jamais dit que ces crédits ne seraient pas distribués à d'autres conditions que pour l'enseignement primaire.

A aucune époque ni dans la Chambre, ni dans le gouvernement, il n'est venu à l'idée de personne de soustraire les écoles d'adultes à la double inspection. Mon honorable ami M. Vandenpeereboom a donc cru agir en pleine innocence en continuant de soumettre les écoles d'adultes au régime de la loi de 1842 ; et il n'aurait rien fait du tout, il n'aurait pas fait de circulaire, les écoles d'adultes n'en seraient pas moins restées soumises à la loi de 1842 ; il faut bien les mettre quelque part.

Si j'avais un reproche à adresser à mon honorable ami, je dirais qu'il a eu tort peut-être de faire trop de bruit des mesures qu'il projetait pour multiplier et perfectionner les écoles d'adultes. S'il avait demandé simplement une augmentation de subsides pour cette destination, je fais appel ici à toutes les opinions de la Chambre, s'il n'avait fait précéder sa demande de subsides pour les écoles d'adultes d'aucune circulaire, d'aucun projet de règlement, personne ne se serait levé pour lui dire : Nous accordons l'augmentation de subside, mais à la condition, que les écoles d'adultes devront ou pourront être soustraites au régime de l'inspection légale, et que l'enseignement religieux n'y sera pas obligatoire. Je ne pense pas que personne eût songé à faire cette réserve.

M. Bouvierµ. - C'est la question.

M. Rogierµ. - A moins peut-être que ce ne fût l'honorable M. Bouvier.

M. Bouvierµ. - Certainement.

M. Rogierµ. - Permettez-moi de ne pas le croire. Vous n'y auriez pas plus pensé que d'autres. Et, en effet, pourquoi n'avez-vous pas fait cette réserve depuis que vous êtes à la Chambre ?

Il y a depuis longtemps au budget de l'intérieur, chapitre de l'Instruction primaire, un chiffre et un libellé spécial consacré aux écoles d'adultes, un chiffre de 25,000 fr. que je me fais honneur d'avoir présenté ; et jamais personne n'a soutenu dans la discussion que ces écoles ne tombaient pas sous le régime de la loi de 1842, en ce qui concerne l'inspection.

On a voté les 25,000 fr. sans réserve aucune, et on aurait voté de même les 200,000 fr. demandés par mon honorable collègue M. Vandenpeereboom.

Les écoles qu'on appelle écoles d'adultes comprennent, dans la pensée de tout le monde, deux sections : la section inférieure, c'est-à-dire celle que fréquentent les enfants en âge d'école qui sont occupés ailleurs pendant la journée et la section supérieure que fréquentent les élèves plus avancés en âge ou en instruction, le soir ou le dimanche.

Je demande à l'honorable ministre de l'intérieur, s'il entend que la première section d'écoles d'adultes destinée aux enfants pourra être soustraite à l'inspection légale ; pour celle-ci, je le suppose, il maintient l'applicabilité de l'article 26.

Mais pour la section supérieure destinée aux jeunes gens qui ont déjà fait leur école primaire, celle-là, paraît-il, pourra se passer de l'enseignement religieux. Au moins l'enseignement religieux n'y sera pas obligatoire et les communes pourront même la soustraire, si elles le veulent, au régime de la double inspection.

Eh bien, je vais dire quelque chose qui peut-être étonner M. le ministre de l'intérieur : c'est que si l'on me donnait le choix entre les écoles d'adultes et les écoles d'enfants pour décider dans laquelle des deux catégories il importe de maintenir l’enseignement religieux et la double inspection légale, j'opterais pour les écoles d'adultes.

Si l'enseignement religieux, comme vous le définissez, est aussi bon, aussi fécond que vous le dites, M. le ministre, en termes si éloquents et si vrais, au lieu de le restreindre, il faut l'étendre ; au lieu de le distribuer avec timidité et en quelque sorte avec avarice, il faut verser à pleine main ce breuvage si salutaire et si bienfaisant.

Avec quels arguments, messieurs, a-t-on combattu l'enseignement religieux dans les écoles d'adultes ? Avec de pures plaisanteries ; et j'ai regretté que l'honorable M. Pirmez, d'un esprit si sérieux, si pratique, ait paru s'associer à ce reproche irréfléchi et banal adressé à mon ancien collègue et qui consiste à dire : Voulez-vous faire enseigner le catéchisme à des hommes de 20, de 30, de 40 ans ? Ce reproche est absurde.

MiPµ. - Je n'ai pas dit cela.

M. Rogierµ. - Monsieur Pirmez, le mot « catéchisme » vous est échappé dans la chaleur de l'improvisation.

MiPµ. - Voulez-vous me permettre de donner une explication ?

M. Rogierµ. - Laissez-moi continuer. Vous le savez, je n'ai pas d'intentions malveillantes, je veux seulement voir clair.

MiPµ. - Et moi je veux expliquer ma pensée.

M. Rogierµ. - Vous avez dit que mon ancien collègue était descendu dans un nuage de l'Olympe sur la terre. Je ne répondrai pas que vous vous êtes enveloppé d'un nuage pour monter de la terre vers l'Olympe ; mais je vous trouve cependant entouré d'une obscurité assez, épaisse pour que je n'y voie pas très clair.

Si l'enseignement religieux est tout ce que vous dites et je crois qu'il l'est, il faut plutôt le prodiguer que le restreindre, et j'ai souffert à voir l'esprit intelligent et la dialectique si forte de M. le ministre de l'intérieur chercher par tous les moyens, par des inductions, des interprétations, des distinctions, à démontrer que les écoles d'adultes ne devaient pas être soumises à l'inspection légal. Je ne sais quel profit il entend retirer d'une pareille argumentation. Mais véritablement, après ses prémisses, il m'a été impossible de comprendre sa conclusion.

Messieurs, on parle du catéchisme ! Mais personne au monde n'a compris que l'enseignement religieux, dont s'occupe notre législation, se bornât au catéchisme. Si vous prétendez qu'il ne s'agit que du catéchisme dans l'enseignement légal, c'est donc le catéchisme seul qu'il faudrait enseigner dans nos écoles normales, dans nos écoles primaires supérieures, dans nos collèges, dan» nos athénées ? Cela n'est pas sérieux.

L'honorable M. Pirmez a parlé en termes élevés de l'enseignement religieux. Les évêques en ont parlé de la même manière, et ils ont montré qu'ils comprenaient parfaitement ce que devait être l'enseignement religieux, quand il s'adressait non pas à des enfants, mais à des élèves d'une intelligence et d'un âge plus élevés. Il y a dans une circulaire épiscopale de 1843 un passage qui mériterait d'être cité tout entier. Je ne suis pas ici pour prôner MMgrs les évêques ; mais quand ils parlent bien, quand ils font bien, il m'est impossible de ne pas applaudir à ce qu'ils font et à ce qu'ils disent.

Voici, messieurs, comment, dans la circulaire des évêques, on comprend et on explique l'enseignement religieux et les devoirs du prêtre chargé de le donner.

« ... Mais il ne suffit pas que le maître donne à l'enfant l'exposé des dogmes de notre foi et des devoirs qu'elle impose.

(page 982) « Relevez leurs pensées, purifiez leurs affections, ennoblissez leurs espérance en les entretenant souvent des vérités générales sur lesquelles le christianisme repose ; pénétrez-les vivement de la pensée de la présence de Dieu. Vous ferez beaucoup pour les rendre meilleurs si vous les persuadez de cette vérité qu'il y a un être à la vue duquel ils ne peuvent se soustraire... »

C'est à peu près le développement de la pensée exprimée par l'honorable M. Pirmez.

« Enfin, rendez vos leçons instructives et intéressantes en les amusant par les récits variés et touchants de l'histoire sublime de la religion. »

« En travaillant à fortifier dans ses élèves les sentiments de religion, l'instituteur s'efforcera aussi de leur inculquer l'attachement aux institutions du pays, l'obéissance aux lois, un amour sincère pour notre auguste souverain et pour sa dynastie, et ce dévouement au bonheur de la patrie qui distingue dans tous les temps les enfants de notre religieuse Belgique.

« Enfin, vous aurez un soin particulier des institutions qui doivent compléter et rendre stable l'œuvre de l'école primaire. Telles sont les écoles dominicales, les écoles d'adultes, les écoles de charité, les pieuses associations. Lorsqu'elles sont bien dirigées, l'enfant qui, au sortir de l'école, est reçu dans leur sein, y trouve tout à la fois les moyens de conserver et de perfectionner ses connaissances, et ce qui est plus précieux encore, celui de s'affermir et de persévérer dans le bien. »

II résulte de cette circulaire que dans l'esprit même de messeigneurs les évêques, les écoles d'adultes devaient, comme les autres, être de leur ressort au point de vue de l'enseignement religieux. Ainsi le comprenait aussi l'honorable M Nothomb dans une circulaire de 1843 qui range les écoles d'adultes parmi les établissements qui doivent être inspectés.

L'honorable M. Pirmez a cité cette circulaire. Je m'abstiendrai d'en reproduire les termes.

Repoussons donc une bonne fois cette critique adressée à mon honorable collègue M. Vandenpeereboom d'avoir rendu ridicules les écoles d'adultes, et les individus qui les fréquentent, en obligeant des jeunes hommes et des hommes faits à suivre des leçons de catéchisme. Il n'a pas été question et il n'a pu être question de cela ; l'enseignement religieux qu'on donnera à ces élèves-là sera en rapport avec leur âge, avec leur intelligence et avec leur degré d'instruction.

Si j'ai bien compris l'honorable ministre de l'intérieur, il paraît qu'à l'avenir les subsides de l'Etat seront distribués indistinctement à toutes les communes, aux communes qui se soumettent à la loi comme à celles qui ne s'y soumettent pas, aux communes qui accepteront l'enseignement religieux comme à celles qui ne l'accepteront pas.

J'avoue, messieurs, que je ne comprends pas cette manière d'appliquer la loi. Aujourd'hui, nous avons un ensemble d'établissements d'enseignement primaire, soumis à une même loi, au même régime, aux mêmes restrictions, si vous voulez.

A côté de cet enseignement légal nous avons l'enseignement libre sans limite, restriction ni réserve. Ainsi l'a décrété la Constitution. Mais elle a voulu aussi, avec l'enseignement libre, un enseignement légal, où l'autorité publique ait sa surveillance et son influence à exercer, non seulement parce qu'elle paye, mais encore parce qu'il faut un contre-poids, un correctif, si l'on veut, à l'enseignement purement libre.

Qu'on ne le perde pas de vue, on peut aujourd'hui, dans les écoles libres, enseigner tout ce que l'on veut, et il s'écoulera un long temps avant que la loi intervienne dans ces établissements-là.

Il peut se créer des écoles libres où l'on enseigne aux ouvriers des doctrines dont la conclusion serait celle-ci : « Vous n'êtes pas assez payés, révoltez-vous ; brisez vos instruments de travail, ruinez-vous en ruinant vos maîtres. » On peut, d'autre part, dans les écoles libres, enseigner que la Constitution est une chose détestable, que toutes les libertés modernes sont un délire.

A cette liberté illimitée d'enseignement, ne faut-il pas un contrepoids efficace et puissant ? Il se trouve dans l'instruction publique, où l'œil et la main de l'autorité peuvent pénétrer. Et par ce mot « autorité », je n'entends pas tels ou tels ministres plus ou moins despotes ; l’autorité, c'est le gouvernement responsable, c'est la représentation nationale, qui doivent veiller très sévèrement et très assidûment à la bonne direction des études dans le pays.

En matière d'enseignement primaire, quels sont les principes consacrés par la loi ? C'est que toute école subsidiée ou encouragée par une autorité publique quelconque doit être inspectée et surveillée par l'autorité publique.

Il n'est pas permis à la commune et à la province, pas plus qu'à l'Etat, de disposer des fonds des contribuables pour abandonner l'enseignement à une liberté sans limite.

Aussi, partout, dans la loi sur l'enseignement primaire, à côté du programme, à côté de la mention de tel ou de tel établissement, se trouve la garantie de l'inspection, et nous, les libéraux d'alors, comme nous sommes encore les libéraux d'aujourd'hui, nous avons été, pendant toute la discussion de la loi de 1842, très attentifs à introduire, à étendre même le droit, pour l'autorité publique, de diriger et de surveiller les écoles.

Si la Constitution n'y mettait pas obstacle, je voudrais que toutes les écoles indistinctement fussent inspectées et surveillées par l'autorité publique. Quoi qu'il en soit, pour les écoles subsidiées à un titre quelconque, l'inspection est de règle absolue ; vous ne pouvez pas scinder la loi de l'instruction primaire ; vous ne pouvez pas dire : « J'admets l'inspection pour telles écoles subsidiées, et je l'abandonne pour telles autres écoles subsidiées. »

Un principe fondamental de la loi, c'est que toutes les écoles subsidiées par une autorité publique sont, concurremment avec la surveillance de l'autorité locale, sous la surveillance de l'autorité gouvernementale qui agit par ses inspecteurs provinciaux et par ses inspecteurs cantonaux.

Aussi, importe-t-il que ces fonctions si utiles soient attribuées à des hommes respectables, animés de bons sentiments, d'un zèle et d'une fermeté éprouvés.

Je n'ignore pas qu'il se présente, dans l'application du principe de l'inspection, des difficultés. Elles existent pour nos successeurs, comme elles ont existé pour nous. J'y mets de la franchise. Des conseils provinciaux, des conseils communaux, en deux ou trois jours de délibération, ont décidé qu'il n'y avait pas lieu de créer ou de subsidier les écoles d'adultes, si elles devaient être soumises au régime de l'inspection, si surtout l'enseignement religieux figurait au programme.

Eh bien, je me permets de croire que ces autorités n'ont pas, au point de vue général, suffisamment mûri la question ni entrevu les conséquences de leur système.

M. le ministre de l'intérieur dit : « Que faire vis-à-vis d'une ville comme Bruxelles, par exemple, qui déclare, par l'organe de son bourgmestre, que les écoles d'adultes ne seront pas soumises à l'inspection ? Voulez-vous que je retire le subside ou que je ferme l'école ? Pour les conseils provinciaux qui ont refusé d'allouer des subventions pour les écoles d'adultes soumises au régime de la loi de 1842, faut-il annuler leurs délibérations ?... (Interruption.)

Voici bien ce que M.lJe ministre de l'intérieur a dit : « Des conseils communaux et trois conseils provinciaux se sont déclarés contre l'immixtion de l'enseignement religieux dans les écoles d'adultes. Que voulez vous que je fasse ? »

Il est vrai, c'est une difficulté. Je voudrais pouvoir indiquer un moyen pratique et immédiat d'en sortir. Je sais fort bien qu'un membre de l'opposition s'est écrié : « Annulez ces délibérations et retirez les subsides de l'Etat. » Mais c'était un membre de l'opposition et moi je suis membre de la majorité.

Cependant, messieurs, que va-t-il arriver, si M. le ministre de l'intérieur décide que dorénavant les subsides pour les écoles d'adultes seront distribués aux communes sans que ces écoles soient astreintes au régime de l'inspection ? J'entends parler de la double inspection ordonnée par la loi ?

Me plaçant au seul point de vue de l'inspection civile, je suppose qu'on me répondra : Avant d'accorder des subsides, j'aurai soin d'enjoindre aux communes de soumettre leurs écoles à l'inspection. C'est-à-dire qu'à la garantie stable et forte de l'inspection légale d'aujourd'hui, vous allez substituer la garantie variable et précaire d'une inspection purement administrative, à laquelle la commune ne sera pas tenue de se soumettre.

Vous voulez séduire, comme on dit vulgairement, par l'appât de l'argent.

Mais qu'est-ce que vous donnerez à la plupart des communes ? 100 à 150 fr. Quelque disposé que chacun paraisse à faire des largesses pour ces écoles, vous ne pourrez aller au delà sans grever démesurément le trésor et provoquer peut-être une réaction.

Eh bien, nous connaissons l'esprit de parti, les influences qui dominent dans la plupart de nos communes rurales. Pour peu que l'inspecteur civil déplaise ou soit suspect, on dira à la commune : Renvoyez (page 983) l'inspecteur civil et le ministre de l'intérieur avec son subside. Nous nous en chargerons et, dans des écoles à nous, nous formerons des électeurs pour la province et pour la commune.

Je ne serais pas étonné que ce résultat fat atteint dans beaucoup de localités.

C'est ce qu'on appelle donner de la liberté à la commune. Eh bien, ce genre de liberté, je n'en suis pas très friand.

D'après ce que nous a rappelé l'honorable M. Pirmez, l'honorable M. de Theux et l'honorable M. de Gerlache avaient, en 1834, proposé d'établir cette liberté dans la loi de l'enseignement primaire. A côté des écoles officielles formées avec les subsides de la commune et du gouvernement, les communes pouvaient fonder d'autres écoles qui n'étaient pas soumises au régime de la loi. Cette proposition fut combattue par de bonnes raisons. L'école officielle, disait-on, est une école condamnée, elle sera dévorée par l'école que la commune, sous l'influence du clergé ou sous d'autres influences, pourra fonder à côté de l'école officielle.

Aussi la loi, quoi qu'on en ait dit, n'a pas admis ce principe. Voici ce que la loi veut d'abord ; c'est son article fondamental ; il faut que chaque commune ait une école établie à ses frais. Il y a, à côté de cela, la faculté pour la commune d'adopter une école, mais cette école adoptée tombe, comme l'école communale proprement dite, sous toutes les prescriptions de la loi.

Aujourd'hui, il y aurait une catégorie d'écoles qui ne seront inspectées que si les communes le veulent bien, et par le fait, rien ne s'opposera à ce qu'elles passent dans les mains du clergé et des corporations religieuses.

Si c'est là un progrès libéral, je n'en fais pas mon compliment aux inventeurs et aux promoteurs du système qui produirait de tels fruits.

On croit que les communes résisteront aux influences locales. Les adversaires de l'inspection religieuse pensent sans doute que les administrateurs des communes rurales prendront sur eux de dire à leur curé : Nous ne voulons pas de vous dans nos écoles d'adultes .

S'il en était ainsi, croirait-on avoir échappé par là à l'enseignement du clergé ? Pas le moins du monde ; il créera une école d'adultes à côté de l'école communale.

En n'admettant pas des administrateurs locaux complètement indépendants de l'influence du clergé, je parle principalement des communes rurales. Mais nous avons des exemples assez mémorables de l'indépendance que certaines grandes communes ont montrée vis-à-vis du clergé.

Pour l'exécution de la loi de 1850 sur l'enseignement moyen, j'ai eu avec MMgrs les évêques une correspondance très étendue qui a duré fort longtemps et qui n'a pu aboutir. Je défendais, comme c'était mon devoir, les droits et les prérogatives de l'Etat. Dans le même temps il arriva qu'un bourgmestre, usant de la liberté communale, négocia avec son évêque une convention dans laquelle on lui reprocha d'avoir abdiqué en partie les prérogatives de l'autorité civile. C'était le bourgmestre d'une grande ville et, qui plus est, un libéral.

Un honorable bourgmestre également libéral d'une autre grande ville en fit autant. Ainsi, alors que le ministre avait disputé pied à pied le terrain de l'Etat, le terrain de l'autorité, deux bourgmestres de nos grandes villes, deux bourgmestres libéraux l'abandonnaient plus ou moins entre les mains des évêques.

Et l'on viendra soutenir que le bourgmestre de telle ou telle commune rurale sera assez habile et assez ferme pour résister à son évêque ! N'en croyez rien.

Lorsque je négociais avec les évêques, pour l'exécution de la loi de 1850, afin que l'instruction religieuse fût donnée dans des conditions acceptables pour tout le monde et notamment pour l'autorité publique, l'honorable bourgmestre de Bruxelles, négociait de son côté avec l'archevêque. Il s'agissait, non pas de l'athénée, mais des écoles moyennes qui étaient passées sous le régime de la loi de 1850, et j'appris qu'il avait accepté des conditions diamétralement opposées à celles que j'avais formulées.

Je lui en écrivis en témoignant mon étonnement, et je reçus de lui une réponse qui mérite d'être méditée. M. le ministre de l'intérieur a lu, en s'en prévalant, une première dépêche de ce magistrat. En voici une autre qui fera pendant :

« Bruxelles, le 7 novembre 1851.

« Monsieur le ministre,

« Vous trouverez ci-joint le rapport dont les conclusions ont été approuvées par le conseil communal en comité secret le 4 octobre, ainsi que les lettres du bourgmestre du 5 et du 17 et les réponses du 11 et du 21 du même mois. C’est après cette dernière dépêche que les deux aumôniers sont entrés en fonction.

« Nous n'avons rien abandonné de notre autorité, nous nous sommes bornés à laisser les choses dans l'état où nous les avons trouvées, après avoir acquis la certitude que l'administration de l'ancienne école supérieure n'avait jamais eu qu'à se louer de ses rapports avec le clergé.

« Vous verrez même, M le ministre, qu'il n'a pas été complètement répondu à la première dépêche du cardinal-archevêque, et ce avec son assentiment. Nous n'avons point voulu prendre l'engagement de consulter l'inspecteur diocésain sur la nomination des professeurs, mais nous avons parfaitement compris que nos rapports avec le clergé pourraient être compromis par des nominations peu convenables, si jamais nous pouvions pousser l'oubli de nos devoirs jusqu'à confier l'éducation de l'enfance à des hommes immoraux. Toutefois nous pouvons commettre des erreurs, et pour les prévenir, le bourgmestre communiquera officieusement les propositions à l'inspecteur ecclésiastique, nous réservant tous nos droits.

« En un mot, M. le ministre, nous avons agi en pères de famille qui, en conservant leur autorité, veulent assurer à leurs enfants une instruction solide ; nous l'avons fait dans les termes de la loi et dans le silence par respect pour le gouvernement.

« Nous sommes persuadés que vous apprécierez, M. le ministre, comme le législateur, la distance qu'il y a entre les athénées et les écoles primaires dont le nom seul a changé ; de même que vous comprendrez que nous n'avions à nous préoccuper que d'un établissement spécial et dans le présent pour une ville dont les 99/100 des habitants professent la religion catholique et dans laquelle il y a d'ailleurs des écoles juives et réformées qui sont subsidiées.

« Par le collège, Le secrétaire, Warfelaer

« Le collège des bourgmestre et échevins, Signé : C. de Brouckere. »

Notez que ce rapport avait été rédigé par des membres du conseil communal, appartenant aussi à l'opinion libérale, même à l'opinion libérale qu'on appelait déjà avancée à cette époque. Preuve que les plus habiles s'y laissent prendre, que les plus vigoureux adversaires de la domination du clergé se laissent entraîner, lorsqu'il s'agit de négocier.

Ainsi, messieurs, l'évêque aurait voulu que les nominations des professeurs des écoles moyennes fussent soumises à son agréation ; on lui répondit ; N'insistez pas ; seulement soyez tranquille, nous vous les communiquerons officieusement et s'il se présente des hommes d'une orthodoxie douteuse, nous ne les nommerons pas !

Après un tel exemple, messieurs, serait-il permis de conserver une foi robuste dans la fermeté et l'intelligence diplomatique des magistrats communaux de deux mille de nos communes ? Je ne veux pas porter atteinte à leur honorabilité ni à leur caractère, mais combien d'entre eux seraient-ils capables de résister aux inspirations ou aux prétentions qu'ils auraient à combattre ?

Messieurs, j'ai dit que je ne voyais pas très clair dans l'opinion de l'honorable M. Pirmez, qui se distingue pourtant par un esprit si lumineux et si pratique. Voici donc, pour m'éclairer, quelques questions que je me permets de lui poser.

Dorénavant vous distribuerez les subsides destinées aux écoles d'adultes, à toutes les communes sans distinction, qu'elles acceptent ou non le régime d'inspection de l'article 26. Je persiste à croire que cela n'est pas légal.

Les écoles qui recevront des subsides seront-elles au moins soumises à l'inspection civile ? Mais en vertu de quelle loi ferez-vous cela ? Ce ne sera pas en vertu de la loi de 1842, que vous déclarez inapplicable. Ce sera donc en vertu d'une disposition émanée du pouvoir exécutif.

Quant à moi, j'aime mieux la prescription légale, à laquelle tout le monde doit obéir, qu'une disposition administrative variable, révocable suivant les hommes qui occupent le pouvoir et à laquelle il sera loisible à toute commune de se soustraire en refusant le subside de l'Etat.

Je suppose que la commune, tout en refusant le subside de l'Etat, subsidie une école d'adultes.

Cette école ne sera pas soumise à la surveillance des inspecteurs civils ; l'article 26 n'étant pas applicable.

Voilà donc les écoles d'adultes qui aujourd'hui sont soumises dans tous les cas où elles reçoivent un subside quelconque, sous quelque forme que ce soit, à l'inspection de l'autorité publique, complètement soustraites à cette inspection ; vous comptez, pour les maintenir, sur votre subside, c'est là une arme bien faible et une ressource bien précaire. J'aime mieux la bonne et solide inspection décrétée par la loi.

(page 984) Pour conclure, messieurs, j'engage M. le ministre de l'intérieur et le gouvernement à regarder de près à cette importante question.

Elle a dû prendre un peu au dépourvu l'honorable M. Pirmez beaucoup plus qu'elle n'avait surpris son prédécesseur, car j'ai la croyance qu'il n'était pas préparé à occuper le poste qu'il promet de remplir avec tant de distinction et que, d'ailleurs, il n'a jamais recherché. Il s'est, suivant nous, trop hâté de se faire et de formuler une opinion. Il a parlé ironiquement d'une période épique de 18 années pendant laquelle le département de l'intérieur s'est livré à la confection d'un règlement ; il s'est moqué agréablement des ministres qui, à défaut d'autres moyens, ont toujours la ressource d'une circulaire ; mais je crois qu'il vaut encore mieux se hâter lentement que de courir se heurter aux obstacles ; il vaut mieux bien mûrir une question que d'improviser un système sans savoir où il nous conduit.

Les écoles d'adultes prendront désormais une grande place dans l'organisation de l'enseignement public et, par conséquent, dans nos débats politiques.

J'engage M. le ministre à y réfléchir.

J'ajoute une chose : c'est que je suis tellement partisan des écoles d'adultes que je voudrais plutôt les subsidier à tout prix, à toutes conditions, que de les voir arrêter dans leur essor.

Je le ferais, parce que je porte un grand intérêt à l'instruction des classes ouvrières. Je le ferais aussi parce que je voudrais éviter, dans des circonstances comme celles-ci, de me mettre par un vote en opposition avec le ministère.

Je ne veux pas dissimuler mon embarras personnel en cette occasion. Mon honorable ami, M. le ministre de l'intérieur, et moi, nous avons une conviction et des antécédents sur ce point, et cependant nous désirons ne pas contrecarrer le ministère.

Pour ma part, je voterai le crédit, tout en regrettant l'application qu'on se propose d'en faire. C'est pourquoi je demande que M. le ministre de l'intérieur veuille bien y regarder attentivement avant de prendre une disposition absolue.

Hier, il m'est arrivé comme une lumière soudaine à la fin du discours de l'honorable M. de Theux ; malheureusement ce discours n'est pas au Moniteur.

M. de Theuxµ. - Il était prêt à 9 heures du soir. C'est la faute de l'imprimeur.

M. Allard, questeurµ. - Cela ne dépend pas de l'imprimeur. C'est pour un autre motif. Je communiquerai à l'honorable M. de Theux la lettre du directeur du Moniteur.

M. Rogierµ. - Ce n'est pas un reproche, c'est un regret que j'exprime.

L'honorable M. de Theux a parlé avec bienveillance des anciens ministres, je l'en remercie. Il a déclaré aussi que l'article 26 était applicable à l'inspection des écoles d'adultes.

M. de Theuxµ. - Oui.

M. Rogierµ. - Et en écoutant la fin de son discours, j'ai compris qu'il adoptait cependant le système de M. le ministre de l'intérieur qui consiste à tout abandonner aux communes.

M. de Theuxµ. - J'ai dit que, dans mon opinion, la loi de 1842 devait être appliquée aux écoles d'adultes sans aucune distinction entre les deux sections, mais encore plus particulièrement à la première, mais que, du reste, je voyais avec plaisir cette déclaration de M. le ministre de l'intérieur, qu'il ne contrarierait en aucune manière ce qui s'était fait sous l'empire de l'arrêté du 1er septembre 1866, qu'il trouvait bon en soi et qu'il tâcherait de l'étendre autant qu'il serait en son pouvoir.

Voilà la déclaration que j'ai faite et que je maintiens.

M. Rogierµ. - J'aurai donc mal compris. Je pensais que l'honorable M. de Theux avait adhéré au système mis en avant par M. le ministre de l'intérieur, et qui consistait à donner ce qu'il appelle un peu de liberté aux communes.

M. de Theuxµ. - Non, je n'ai pas traité cette question.

M. Rogierµ. - Je le croyais d'autant p'us que ce système se rapproche, comme l'a fait observer l'honorable M. Pirmez, de celui que vous avez proposé en 1834, et qui consistait à laisser aux communes pleine liberté pour fonder, en dehors de l'école légale, une autre école.

Quoi qu'il en soit, j'espère que M. le ministre de l'intérieur voudra bien examiner sérieusement les conséquences que peut entraîner son système.

Je ne suis pas l'ennemi du clergé. Je n'ai jamais été effrayé de la prétendue intervention du clergé à titre d'autorité. Je veux que le peuple s'instruise par tous les moyens possibles, mais je tiens à ce que les écoles légales n'échappent pas à la loi, à ce que les écoles officielles restent indépendantes et ne soient point directement ou indirectement confisquées par d'autres.

Tout en laissant au clergé et aux corporations la liberté d'établir autant d'écoles qu'ils le veulent, je pense que dans nos écoles laïques nous devons rester les maîtres et maintenir le régime que leur a donné la loi.

Il ne faut pas qu'on vienne enlever à la loi de 1842 une de ses pierres fondamentales, tout en déclarant qu'on ne veut pas y toucher. Si vous voulez faire une telle entaille à la loi de 1842, autant voudrait la réviser tout entière.

M. Funckµ. - Messieurs, en parlant des relations qui ont existé jadis entre l'administration communale de Bruxelles et l'épiscopat, pour régler l'enseignement religieux dans nos écoles moyennes inférieures, l'honorable M. Rogier ne m'a pas nommé, mais il a dirigé vers moi un de ces coups d'œil si spirituels et si bienveillants, du reste, qui lui sont naturels et qui serait de nature à faire croire à beaucoup de nos collègues que les faits dont il a parlé se sont passés sous l'administration actuelle.

- Une voix. - Mais non, il a dit le contraire.

M. Funckµ. - Je n'ai ni à blâmer ni à louer, en ce moment, ce qui s'est passé sous les administrations précédentes, mais je tiens à déclarer que l'acte auquel l'honorable M. Rogier a fait allusion, non seulement n'est pas le fait de l'administration actuelle, mais qu'il a été rapporté par elle.


Il est procédé au tirage des sections du mois d'avril.

- La séance est levée à 5 heures.