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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 21 avril 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1021) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre :

« Le sieur De Vriese demande que les administrations communales soient libres de décider si les écoles d'adultes à ériger par elles seront ou non placées sous le régime de la loi de 1842 et que l'inspection de ces écoles soit confiée à des inspecteurs spéciaux. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Des habitants de Tirlemont demandent la révision de la loi du 23 septembre 1842 sur l'enseignement primaire. »

- Même décision.


« D'anciens sous-officiers et soldats demandent une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Brido demande la révision du règlement sur l'organisation des caisses provinciales de prévoyance en faveur des instituteurs primaires. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Liège appellent l'attention de la Chambre sur la nécessité de réorganiser la garde civique et de la rendre active dans toutes les communes du royaume. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Petit-Enghien et des environs demandent que la communication entre la station d'Enghien et le chemin vicinal n°21, le long du talus de la plaine de la station, soit rétabli et que le sentier n°33 soit relié avec la chaussée Brunehault. »

- Même renvoi.


« Les-sieurs Fontaine et Cauchy réclament contre les décisions des conseils de milice à Charleroi et à Mons concernant trois miliciens qui ont participé au tirage au sort cette année. »

- Même renvoi.


« La veuve Colson réclame l'intervention de la Chambre pour que son fils Désiré, milicien de 1868, obtienne un congé à long terme. »

- Même renvoi.


« Le sieur Jonniaux réclame l'intervention de la Chambre pour que son fils Philippe-Laurent, servant en Afrique au régiment étranger, lui soit rendu. »

- Même renvoi.

« L'administration communale de Malines demande que la connaissance des appels en matière électorale soit attribuée au pouvoir judiciaire. »

- Même renvoi.


« Des bateliers, négociants et industriels à Bruxelles demandent que le gouvernement opère le rachat des embranchements du canal de Charleroi. »

« Par trois pétitions, des bateliers, négociants et industriels à Molenbeek-Saint-Jean font la même demande. »

L'administration communale de Molenbeek-Saint-Jean déclare appuyer cette demande. »

M. de Macarµ. - Messieurs, notre honorable collègue M. Warocqué, empêché d'assister à la séance par suite de l'accomplissement d'un devoir de famille, m'a prié de réclamer un prompt rapport sur les pétitions dont on vient de vous présenter l'analyse.

Il s'agit du rachat des embranchements du canal de Charleroi et d'un abaissement des péages sur ce canal.

Ce rachat ou du moins la diminution des tarifs a déjà été proposée par la commission instituée par le gouvernement pour l'examen de la question des péages sur les voies navigables ; c'est ce que rappellent les pétitionnaires.

Je crois que la question devrait être examinée par la commission des pétitions, avant la discussion du budget des travaux publics. Je demande donc que la commission soit invitée à faire un prompt rapport.

- Les pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


< Des officiers pensionnés demandent qu'il soit fait rapport sur leur pétition ayant pour objet une augmentation de pension de dix pour cent. »

M. Lelièvreµ. - J'ai souvent appuyé des pétitions de même nature. L'objet énoncé en la réclamation imprime à celle-ci un caractère d'urgence. Je demande que la requête soit renvoyée à la commission, des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Magnier appelle l'attention de la Chambre sur la nécessité de réorganiser l'enseignement moyen sur de nouvelles bases et soumet un plan d'organisation de cet enseignement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Des négociants à Anvers présentent des observations sur les modifications à introduire dans le titre VI du code de commerce. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le code de commerce.


« Le conseil communal de Mabompré demande que la Compagnie du Luxembourg soit contrainte d'exécuter sans délai l'embranchement du chemin de fer qui doit relier Bastogne à la ligne d'Arlon à Bruxelles. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les pétitions relatives au même objet.


« Par dépêche en date du 7 avril, M. le ministre de l'intérieur transmet les explications sur une pétition du sieur Dusart se plaignant de ce qu'il n'est point pourvu à la nomination d'un sous-instituteur à Gosselies. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Par messages en date du 3 avril, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi :

« 1° Qui autorise le gouvernement a apporter des modifications aux dispositions qui régissent le service de la dette publique ;

« 2° Contenant le budget du ministère de la guerre pour l'exercice 1868 ;

« 3° Relatif au régime postal. »

- Pris pour notification.


« Il est fait hommage à la Chambre par M. Ch. Versluys, major de la garde civique de Saint-Josse-ten-Noode, de 126 exemplaires d'une brochure ayant pour titre : Simples réflexions à l’occasion de la réorganisation de la garde civique en Belgique. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« M. De Fré, appelé à Uccle par ses fonctions de bourgmestre, et M. Vleminckx, obligé de s'absenter, demandent un congé d'un jour. »

« M. Bouvier-Evenepoel, forcé de s'absenter, demande un congé. »

« MM. Jouret et Van Wambeke, indisposés, et M. Hayez, empêché par un deuil de famille, demandent un congé de quelques jours. »

- Ces congés sont accordés.


MfFOµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre :

1° Le rapport annuel, présenté en conformité de l'article 16 de la loi du 5 novembre 1847 sur les opérations de la caisse d'amortissement et de celle des dépôts et consignations ;

2° Le rapport sur les opérations de la caisse d'épargne et de retraita de 1867 ;

3° Les renseignements que j'ai promis de communiquer à la Chambra sur l'abus des liqueurs fortes.

- Il est donné acte à M. le ministre des finances du dépôt de ces documents, qui seront imprimés et distribués.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1868

Discussion générale

MpDµ. - La discussion générale continue.

M. de Rossiusµ. - Messieurs, dans la séance du 4 avril, l’honorable ministre de l'intérieur nous a fait connaître comment il entend interpréter la loi de 1842 sur l'instruction primaire.

Son langage a été net, catégorique, d'une précision irréprochable. L'honorable M. Pirmez s'est en quelque sorte efforcé de rassurer les adversaires de la loi de 1842, de rassurer ceux qui pensent sincèrement, et je suis du nombre, que cette loi, dans ses dispositions qui ont pour but de réglementer l'intervention des ministres des cultes dans l'enseignement primaire, a entamé plusieurs des principes essentiels de notre droit public.

L'honorable ministre a eu cette bonne fortune de rencontrer l'approbation de l'honorable M. de Theux et de l'honorable M. Delcour. Il faut reconnaître que l'assentiment de la droite augmente la valeur des déclarations ministérielles.

Il faut donc rappeler d'abord en quelques mots les propositions qui ont été émises dans cette fameuse séance du 4 avril.

C'est d'abord que les deux enseignements, l'enseignement laïque et l'enseignement religieux, doivent rester absolument séparés, bien qu'ils coexistent dans l'école. C'est que la saine interprétation de la loi de 1842 n'impose pas l'obligation de confondre, d'opérer le mélange de ces deux enseignements. C'est que cette loi de 1842 reste intacte, même dans l'hypothèse où, pour employer l'expression dont s'est servi l'honorable ministre, l'instituteur n'enchevêtre pas les notions religieuses dans les diverses parties de l'enseignement des autres branches du programme ; et, voulant probablement que la Chambre pût aller jusqu'au fond de sa pensée, voulant éviter toute équivoque, l'honorable ministre de l'intérieur a fait une comparaison entre le système hollandais et le système belge.

A son avis, le seul point qui différencie ces deux systèmes, c'est qu'en Belgique les enfants reçoivent l’instruction religieuse dans l'école ; en Hollande, ils doivent sortir de l'école pour la recevoir.

Donc, coexistence seulement des deux enseignements, mais séparation complète, absolue ; juxtaposition des deux enseignements, mais pas de mélange.

Voilà la première déclaration de M. le ministre de l'intérieur, elle a reçu l'assentiment de la droite.

Le même accueil était réservé à une seconde déclaration, elle concerne l'inspection ecclésiastique.

L'honorable M. Pirmez s'est demandé ce que doit être cette inspection. Il a recherché dans quelle mesure elle est acceptable, quelle en est la portée, quel en est le but et voici sa conclusion. C'est qu'elle ne peut être qu'une garantie que, dans le cours de la journée, l'instituteur ne viendra pas détruire ce qui s'est fait dans la première demi-heure ; qu'il ne détruira pas d’avance ce qui se fera dans la dernière demi-heure.

Messieurs, si je compris bien la pensée de M. le ministre de l'intérieur, voici la portée de l'inspection ecclésiastique, l'école ne doit pas devenir un foyer de la propagande antireligieuse.

De là le droit pour le prêtre d'y pénétrer même en dehors de l'heure affectée spécialement à l'enseignement religieux. Mais le prêtre n'a pas le droit de s'emparer, de se faire un titre de son droit d'inspection, pour revendiquer une part quelconque dans la direction de la partie laïque des études.

Telles sont les deux déclarations ministérielles auxquelles la droite tout entière a acquiescé.

Aussi, constatant l'approbation qu'il rencontrait au moment où elle se manifestait, l'honorable ministre de l'intérieur faisait remarquer que cette approbation était de nature à rendre la loi beaucoup plus acceptable pour ses adversaires. Ceci, messieurs, je ne veux pas le contester. Cependant il faut s'entendre sur la position que les déclarations ministérielles et l'accueil fait par la droite à ces déclarations font aux adversaires de la loi de 1842.

Certainement, il ne peut entrer dans la pensée de l'honorable ministre de solliciter des adversaires de la loi de 1842, qu'ils renoncent à une partie de leur conviction que cette loi est mauvaise, qu'elle a organisé sur des bases mauvaises l’enseignement primaire en Belgique, que cette organisation doit être modifiée.

Pour ma part, je pense de la loi de 1842 ce que j'en pensais avant la séance du 4 avril. Je n'hésite pas à déclarer que j'en poursuivrai, autant qu'il est en moi, la révision.

Mais je considère que la séance du 4 avril a fait faire un pas nouveau vers le but que poursuivent les adversaires de la loi de 1842. J'ai le droit d'en prendre acte, et je veux attirer l'attention de l'honorable ministre sur quelques conséquences pratiques de l'interprétation qui a si heureusement rallié les deux côtés de cette Chambre.

Je crois qu'il importe que le pays sache, que les conseils communaux et les instituteurs connaissent la pensée de la Chambre sur la loi de 1842 et sur sa portée.

Il est donc bien convenu que nous sommes unanimes dans cette Chambre pour reconnaître que la présence d'un seul dissident dans l'école doit produire cet effet de dégager l'enseignement littéraire de toute influence confessionnelle ; que nous sommes d'accord pour admettre qu'en dehors de l'heure affectée à la religion, l'instituteur ne peut donner une atmosphère religieuse à son école qu'à une condition, c'est qu'il n'y ait dans cette école qu'une population appartenant au même culte.

En face d'un seul dissident, il ne peut être question pour lui d'appliquer le règlement général de 1846 dans les dispositions que le parti libéral a toujours critiquées, ni d'obéir à la circulaire des évêques ; en face d'un seul dissident, il n'est pas permis à l'instituteur de saisir toutes les occasions, comme parle le règlement général de M. de Theux, de saisir toutes les occasions qui se présenteront sans cesse pour développer les principes de religion ; en face d'un seul dissident, l'instituteur est obligé de s'abstenir, contrairement à la circulaire des évêques, de donner à son école une physionomie religieuse.

MiPµ. - Dogmatique.

M. de Rossiusµ. - Vous me concéderez que c'est la même chose.

MiPµ. - Ik pourrait arriver que l'instituteur fît des allusions qui ne choquassent pas les dissidents qui se trouveraient dans l'école. Ainsi s'il n'y a que des protestants, il n'y a aucun inconvénient à ce que l'instituteur fasse allusion à des dogmes chrétiens.

M. de Rossiusµ. - D'accord ; seulement je crois que la pensée des évêques lorsqu'ils ont rédigé leur circulaire n'était pas de s'occuper des protestants, que la pensée des évêques était que toujours la physionomie de l'école devait être dogmatique religieuse, c'est-à-dire que toujours l'école devait être considérée comme ne renfermant que des catholiques. C'est du moins ma conviction.

Messieurs, si l'instituteur ne conformait pas son enseignement aux déclarations ministérielles, il est bien certain que la liberté de conscience ne sortirait pas sauve de l'application de la loi de 1842.

C'est ce que je considère comme un point gagné, puisque toute la droite est convertie.

M. Wasseige me fait des signes de dénégation. Mais dois-je rappeler à M. Wasseige ce qu'il nous disait dans la séance du 28 mars ? Dans cette séance du 28 mars, comment M. Wasseige envisageait-il la loi de 1842 ? Que nous disait-il de la pensée, des couleurs de cette loi ? quelle était la conviction prétendue des auteurs de la loi, conviction que l'honorable M. Wasseige déclarait partager, quant à ce que doit être une école primaire ?

« Les auteurs de la loi de 1842, disait M. Wasseige, sont partis d'un tout autre ordre d'idées ; ils ont pensé qu'au lieu de diviser, de séparer l'instruction et l'éducation, au lieu de les poser en étrangères, sinon en adversaires, il fallait les réunir et les fortifier l'une par l'autre ; que ce n'était pas trop, pour arriver à ce but, de l'alliance de l'autorité publique, de la liberté et de la religion représentée par le clergé des différents cultes ; que leurs efforts combinés dans une œuvre commune ne seraient pas trop puissants pour livrer à l'ignorance des masses un suprême combat à l'aide d'un sérieux enseignement littéraire et religieux. »

Voilà la théorie de l'honorable M. Wasseige, le 28 mars ; depuis, ses opinions se sont modifiées, et je puis dire qu'il a eu le zèle du néophyte. Je me rappelle ses signes d'adhésion et pendant le discours de l'honorable ministre de l'intérieur et pendant les explications conformes de l'honorable M. de Theux.

M. Wasseigeµ. - C'est là ce qui vous trompe.

M. de Rossiusµ. - Vous n'êtes donc pas d'accord avec M. de Theux ?

M. Wasseigeµ. - Je suis d'accord avec moi-même.

M. de Rossiusµ. - Exceptons donc M. Wasseige de l'adhésion que la droite a donnée aux déclarations ministérielles. Dans tous les cas, il est bien certain que cette adhésion de la droite a fait faire un pas à la question. Tout cela nous prouve une chose, à nous les adversaires de la (page 1023) loi de 1842, c'est qu'il ne faut jamais désespérer d'une bonne cause, et, pour ma part, je ne désespère pas de voir M. Dumortier lui-même reconnaître que les adversaires de la loi de 1842 ne poursuivent pas la création d'écoles athées, antireligieuses, et qu'enfin nous ne sommes pas encore des « tisons d'enfer ».

Messieurs, lorsque les déclarations ministérielles ont été faites, je me suis réjoui en entendant la droite reconnaître leur parfaite conformité avec le but que doit poursuivre le législateur qui crée des établissements d'instruction primaire ; je me suis dit que l'adhésion de la droite facilitait de beaucoup la tâche de l'honorable ministre de l'intérieur.

Je me suis dit que l'honorable M Pirmez trouverait dans l'approbation de ses adversaires politiques une grande force pour réaliser certaines réformes qui me paraissent nécessaires, si tant est que M. le ministre de l'intérieur veuille sérieusement que ses déclarations ne restent pas de vains mots.

Je vais donc m'occuper de ces réformes ; et la Chambre me permettra de lui parler successivement avec le plus grand laconisme possible, et des concours cantonaux, et des livres dont on se sert dans nos écoles, et des traditions qui règnent dans ces écoles, et de l'enseignement pédagogique de l'Etat.

Messieurs, les concours ont déjà fait l'objet d'une discussion dans le sein de la Chambre des représentants. Il s'agit de ces concours cantonaux dont parle l'article 29 de la loi de 1842 et auxquels doivent participer toutes les écoles soumises au régime de cette loi.

Je dois me demander ce que le principe de la séparation des deux enseignements, de l'enseignement laïque et de l'enseignement religieux, nous dit de ces concours cantonaux ; ce qu'il nous impose en ce qui concerne les concours cantonaux. Eh bien, ma conclusion est nécessairement celle-ci : Il nous prescrit d'instituer un concours spécial pour la religion, afin que les dissidents puissent prendre part aux concours littéraires.

Vous savez, messieurs, qu'aujourd'hui, en Belgique, si ce n'est dans trois provinces, je pense, la religion n'est pas séparée des matières littéraires dans les concours, elle n'est pas séparée de ce que, dans son programme, la commission de propagande appelle les lettres humaines.

Il est évident qu'il en résulte pour les dissidents un grand désavantage, puisque leurs concurrents ont sur eux l'avantage des points qu'ils obtiennent sur les matières religieuses. Eh bien, dans trois provinces, celles de Liège, de Luxembourg et de la Flandre orientale, on a fait un concours spécial pour la religion et ce concours spécial est facultatif : on n'y admet que les enfants qui y sont autorisés par leurs parents.

Il est vrai que le clergé du diocèse de Liège s'est plaint ; il a récriminé, il a protesté ; ses réclamations ont été adressées à M. le ministre de l'intérieur, qui était alors l'honorable M. Vandenpeereboom. Ces réclamations n'ont pas été accueillies, et le clergé du diocèse de Liège a pris aujourd'hui son parti du régime nouveau. Je demande que le clergé des autres diocèses ait la même résignation ; je demande que partout on sépare la religion des concours littéraires.

Veuillez remarquer que le gouvernement a le droit d'intervenir. M. le ministre de l'intérieur a le droit de dire aux provinces : J'entends que la séparation soit effectuée. Les concours cantonaux sont dans la loi de 1842 ; l’article 29 s'en occupe ; il oblige les écoles soumises au régime de la loi de 1842 à participer à ces concours ; le gouvernement a donc le droit de les organiser.

Le gouvernement a le droit de les réglementer, il a le droit de dire : « Désormais la religion ne fera plus partie des concours littéraires. »

Il a aussi le devoir de tenir ce langage. Il en a le devoir vis-à-vis des dissidents, parce qu'au bout de ces concours il y a un prix, une bourse qui, aux termes de l'article 29 de la loi du 23 septembre 1842, est accordée par le conseil provincial à celui des élèves qui, peu favorisé de la fortune, a subi l'épreuve avec le plus de distinction.

Messieurs, je pense que le prestige du concours littéraire ne perdra rien à ce que la religion en soit séparée.

En feuilletant les rapports triennaux, j'ai pu constater que les questions de religion posées dans les concours religieux sont souvent bien étranges. Il en est une que je veux faire connaître à la Chambre. Je l'ai trouvée dans le dernier rapport (page 257).

La voici : « Donnez la dernière demande et la dernière réponse de la cinquième leçon de la cinquième partie du catéchisme. Voici la première demande : Que croyez-vous de la foi ? »

Il faut admettre de deux choses l'une, ou bien que des grâces d'état, qui me manquent, sont nécessaires pur comprendre l'instruction de l’enfance à la façon du clergé, ou bien que l'auteur de la question, n'étant pas le partisan des concours cantonaux, a voulu déverser sur eux un peu de ridicule.

Messieurs, je passe à deux réformes qui sont la conséquence du principe de la séparation des deux enseignements, deux réformes dont je puis dire qu'elles sont indispensables. Je veux parler des livres scolaires et des traditions qui règnent dans nos établissements d'instruction primaire.

M. le ministre de l'intérieur nous disait : « Pas d'inconvénient au mélange des deux enseignements, quand il n'y a pas de dissidents dans la classe. L'instituteur peut dans ce cas rappeler ce qui s'est fait dans la première demi-heure, c'est-à-dire pendant la leçon de religion. Il se peut conformer à l'article 16 du règlement de l'honorable comte de Theux, qui lui prescrit de saisir toutes les occasions qui se présentent pour développer les principes de religion. »

Cette opinion, je ne puis la partager. A ce que concède l'honorable M. Pirmez, je vois de sérieux inconvénients qui m'ont été révélés par l'examen que j'ai pris des livres classiques adoptés.

L'instituteur ne donne pas son enseignement sans livres. Il faut des livres à l'instituteur, et chaque enfant doit avoir sa petite bibliothèque scolaire.

De là les inconvénients d'autoriser l'instituteur à s'occuper de religion.

Vous savez, messieurs, qu'aux termes de l'article 9 de la loi de 1842, le choix des livres appartient au gouvernement, ou au clergé, ou à ces deux autorités.

L'article 9 est ainsi conçu :

« Les livres destinés à l'enseignement primaire dans les écoles soumises au régime d'inspection, établi par la présente loi, sont examinés par la commission centrale et approuvés par le gouvernement, à l'exception des livres employés exclusivement pour l'enseignement de la religion et de la morale, lesquels sont approuvés par les chefs des cultes seuls. »

« Les livres de lecture employés en même temps à l'enseignement de la religion et de la morale sont soumis à l'approbation commune du gouvernement et des chefs des cultes. »

Voilà l'article 9.

Ainsi des livres exclusivement laïques, des livres exclusivement religieux et des livres mixtes.

Des livres mixtes, c'est-à-dire qui traitent à la fois de religion et des lettres humaines, ne peuvent évidemment être employés par l'instituteur, quand il y a des dissidents dans une école.

Il ne peut pas donner sa leçon sur les livres. Vous savez, messieurs, qu'aux termes du règlement général des écoles, l'instituteur ne peut suivre que la méthode mutuelle ou simultanée.

Il est donc évident que la présence d'un seul dissident dans l'école est un obstacle à l'emploi des livres mixtes.

Mais à côté des livres mixtes qui ont reçu l'approbation du clergé et du gouvernement, il existe toute une série de livres scolaires qui, bien que destinés à la lecture, à l'histoire, etc., renferment des notions religieuses, des citations, des exemples puisés dans les livres saints, des recommandations pieuses, des exhortations, des prières.

Ces livres ne sont pas approuvés par le clergé. Il n'y a aucune obligation de les soumettre à l'approbation du clergé. Cette approbation, le clergé l'a revendiquée, mais la commission centrale la lui a refusée. Or, ce que j'ai dit des livres mixtes proprement dits, je puis l'affirmer de ceux dont je viens de parler.

L'emploi n'en est pas possible quand il y a un seul dissident dans l'école.

Il ne peut être permis à l'instituteur d'en faire usage que si tous les élèves appartiennent à un même culte, au culte catholique.

C'est une conséquence forcée du système de la séparation des deux enseignements.

S'il en est ainsi, je ne puis donner qu'un conseil au gouvernement et à la commission centrale, c'est celui de supprimer tous les livres mixtes et tous ceux qui ont le caractère de livres mixtes, sans en avoir le nom.

La raison en est simple : Pas de dissidents aujourd'hui dans une classe, soit ! Il peut y en avoir demain.

Eh bien, que demain un dissident entre dans une classe où hier il n'y en avait pas et où on se servait de livres mixtes, voilà l'instituteur obligé de changer d'ouvrages classiques ; le voilà obligé de dire à ses élèves de laisser de côté ceux qu'ils employaient pour en prendre (page 1024) d'autres. Il y a donc un inconvénient incontestable à se servir de livres mixtes.

Que faut-il faire ? N'approuver que des livres sans aucun caractère religieux, c'est-à-dire des livres possibles et quand il n'y a pas et quand il y a des dissidents.

Je convie l'honorable ministre a opérer cette réforme des livres usités dans nos écoles. J'en ai examiné beaucoup, ceux qui sont admis dans les établissements de la province de Liège ; il n'y en a pas un qui soit irréprochable.

J'ajoute que de ces livres, on se sert même en présence des dissidents. Quand l'instituteur est suffisamment intelligent, il saute toutes les pages qui renferment des notions religieuses.

Mais combien d'instituteurs qui n'ont pas ce soin !

D'ailleurs cela ne peut nous suffire que le professeur ne fasse pas lire les passages religieux. Le fait même de contraindre les dissidents à se procurer de semblables livres n'est pas admissible.

Enfin n'oublions pas que, dans les campagnes, le seul libraire c'est souvent l'instituteur. C'est l'instituteur qui achète les livres et qui les cède aux enfants, aux riches qui les payent de leurs deniers, aux pauvres qui les tiennent de la commune.

Allez-vous contraindre l'instituteur à avoir des livres pour le cas où des catholiques seuls fréquentent l'école et d'autres livres pour celui où il y aurait des dissidents ? Concluons donc que le principe de la séparation vous empêche d'avoir des livres qui satisfassent à toutes les nécessités qui peuvent se présenter.

Quant aux traditions qui règnent dans nos écoles, elles sont mauvaises.

Croyez-vous, messieurs, que les instituteurs qui sont habitués à puiser leur enseignement dans les livres dont je viens de vous parler, qui sont formés par l'enseignement pédagogique de l’Etat, dont je parlerai tantôt, croyez-vous qu'ils ont encore la conscience qu'il faut toujours, en toute circonstance, en toute occasion, respecter le droit des dissidents ? Il n'en est rien, je puis vous citer des faits.

Je connais des écoles où en présence d'enfants dissidents on a fait chanter des cantiques à la sainte Vierge.

J'en connais où on fait le mois de Marie en présence aussi d'élèves n'appartenant pas à la même confession.

Je dis que cela n'est pas acceptable avec le principe de la séparation.

C'est pourquoi je dis à l'honorable ministre de l'intérieur : Vous avez une réforme à accomplir, vous devez réviser les livres scolaires, vous devez réformer les traditions. Cela est indispensable pour que les droits des dissidents soient respectés.

Mais le grand mal, c'est l'organisation des écoles normales. Je pense que l'honorable ministre sera obligé de modifier entièrement les règlements de 1845, de 1854, de 1860, qui ont créé l'enseignement pédagogique de l'Etat.

En 1864, l'honorable M. Bara a fait ressortir le dédain superbe de la Constitution belge, qui s'accuse dans l'organisation des établissements de Lierre et de Nivelles. Il a montré un gouvernement de la droite, plaçant à la tête de l'instruction normale de l'Etat deux ecclésiastiques. Il nous a montré ce gouvernement de la droite faisant en réalité par cette mesure ce que le législateur de 1842 avait refusé de faire lorsqu'il repoussait un amendement de l'honorable comte de Mérode, c'est-à-dire, livrant à l'épiscopat la direction de tout l'enseignement primaire.

Il a fait connaître les conséquences de cette nomination et quant au programme des études, et quant au choix des livres, et quant à la tenue de l’établissement.

Quant au programme des études, il est encore en 1868 ce qu'il était en 1834. Il comprend aujourd'hui, comme en 1854, l'enseignement du plain-chant, l'enseignement de la législation sur les fabriques d'église, et l'honorable M. Bara nous a montré le gouvernement préparant ainsi pour l'instituteur un cumul d'emploi qui devait le soumettre au clergé de la religion dominante.

Quant aux livres, le choix devait satisfaire le fanatisme le plus exalté et faciliter cette absolue soumission de l'instituteur au prêtre catholique.

La tenue des écoles, le régime intérieur, l'honorable M. Bara nous a dit ce qu'il était, ce régime qui soumet les jeunes gens à la discipline religieuse la plus sévère, qui rompt toutes les relations avec l'extérieur, qui n'autorise l'élève qu'à voir ses parents les plus proches et qui prépare les instituteurs à leur mission si délicate d'instruire les enfants, par une participation forcée et outrée, j'ai le droit de le déclarer, à toutes les cérémonies du seul culte admis dans l'école.

Il faut bien le dire, les déclarations de M. le ministre de l'intérieur ne lui permettent pas d'accepter plus longtemps le régime de nos écoles normales.

Je demande, messieurs, si ce régime est acceptable dans un pays qui s'honore d'avoir proclamé la liberté des cultes, où les croyances les plus diverses ont des droits égaux.

Je sais bien que, dans l'arrêté royal qui organise les écoles normales, il n'existe aucune disposition qui exige que l'élève appartienne à la foi catholique, mais tout exclut le dissident dans l'arrêté de 1854 et dans l'arrêté de 1860.

La composition du corps professoral, l'examen d'admission, le programme des études, l'examen de sortie, et enfin le régime intérieur.

Le corps professoral peut-il donner quelque confiance aux dissidents ?

De droit aux termes de la loi de 1842, un ministre du culte, c'est-à-dire, un prêtre catholique, en fait partie. Il est chargé d'enseigner la morale.

A la tête de ce corps professoral, qui voyons-nous ? Un autre prêtre catholique. Et quelles sont ses obligations ? Le règlement de 1854 nous dit que ce prêtre catholique est le chef, le guide, le surveillant du corps professoral. Il est en effet obligé, par l'article 4, de tenir note de ses observations sur le zèle, sur la méthode, sur la science des professeurs et d'en faire un rapport au ministre.

Un corps professoral qui a pour chef un ecclésiastique, avec ces pouvoirs, qui compte dans son sein un prêtre catholique, comment ne serait-il pas suspect aux dissidents ?

Mais l'examen d'admission est un obstacle infranchissable pour le dissident.

Que comprend-il ? Que nous dit de l'examen d'admission, des branches dont il se compose, le règlement de 1854 ? « Les élèves instituteurs, dit l'article 12, sont admis à la suite d'un examen subi sur ces matières : doctrine chrétienne et histoire sainte... »

Doctrine chrétienne et histoire sainte, qu'est-ce à dire ? II est évident qu'il s'agit de la doctrine chrétienne interprétée par le catholicisme, de l'histoire sainte du catholicisme. Et en effet, qui voyons-nous figurer dans le jury d'admission ? L'inspecteur des écoles normales, le directeur et les professeurs chargés dans l'établissement de l'enseignement des branches désignées à l'article 12. Nous y voyons donc figurer ce ministre du culte, ce prêtre catholique qui, aux termes de la loi de 1842, fait partie du corps professoral de l'école normale avec mission d'enseigner la religion.

Le programme des études suggère les mêmes réflexions. Ce programme comprend l'histoire sainte, l'histoire de l'Eglise.

L'histoire de l'Eglise, c'est l'histoire de l'Eglise catholique. L'histoire de l'Eglise est enseignée par le prêtre catholique. Et remarquez que cette histoire de l'Eglise fait nécessairement partie du programme. C'est une branche obligatoire. Le dissident n'a pas le droit de dire : Je ne veux pas subir l'enseignement catholique, l'enseignement de cette histoire de l'Eglise catholique. Pas d'enseignement, pas de diplôme. Voilà la position des dissidents.

L'examen de sortie porte de droit sur l'histoire de l'Eglise ; il porte sur toutes les branches dont s'occupe l'article 6 de la loi de 1842. Il porte nécessairement sur la religion et sur la religion catholique, par conséquent. Messieurs, c'est dans le régime intérieur de l'école qu'on aperçoit l'habileté avec laquelle le clergé a su user de mainmise, dirai-je, à l'égard des écoles normales qu'on lui abandonnait. Les devoirs religieux des élèves ont été multipliés. La messe tous les jours, les vêpres, le salut, les chants religieux dans l'école, les chemins de la croix, les recommandations expresses, pressantes d'avoir à se confesser et à communier chaque semaine. Lors des grandes fêtes, la journée presque entière se passe dans la chapelle.

Ce n'est pas tout. Pendant les vacances, le pauvre instituteur aura-t-il au moins un peu de liberté ? Non, il ne peut rentrer dans l'école que muni d'un certificat de dévotion, délivré par le curé de la paroisse.

Cette situation est évidemment intolérable pour les dissidents. D'ailleurs, elle est contraire à la loi de 1842. Dans cette loi, n'a-t-on prévu que les écoles catholiques ? Mais non. On a prévu des écoles dont la population appartient en majorité à un culte dissident ; on a prévu des écoles protestantes, des écoles israélites.

Eh bien, la loi de 1842 n'a-t-elle pas été violée lorsque l'Etat organisant l'enseignement normal, ne s'est préoccupé que d'instituteurs pour les écoles catholiques ?

(page 1025) L'honorable M. Delcour nous disait : Dans les écoles catholiques l'atmosphère sera catholique ; dans les écoles protestantes, elle sera protestante ; dans les écoles Israélites, elle sera Israélite.

Je fais appel à la sincérité, à la loyauté de l'honorable M. Delcour, à la logique de son esprit, l'Etat avait-il le droit, organisant l'enseignement pédagogique, de ne l'organiser qu'au point de vue catholique ?

Ainsi pas d'accès dans l'école pour le protestant.

Pas d'accès pour l'israélite.

Pas d'accès même pour le catholique qui, quoique attaché à son culte, ne consent pas cependant à concourir aux cérémonies de ce culte qui ne sont que facultatives.

Pour être élève à l'école normale, il ne suffit pas d'être catholique ; il faut être un catholique adonné à une ardente dévotion.

Il y a à cela un grand danger. Ces exigences qu'il faut subir pour faire la conquête d'un diplôme, prenez garde qu'elles ne fassent des hypocrites.

L'hommage volontairement rendu à la Divinité ennoblit l'âme humaine ; n'oubliez pas qu'un scepticisme, un scepticisme inavoué est trop souvent le fruit détestable des pratiques imposées.

Certes, je suis convaincu qu'il n'y a personne dans cette Chambre qui voulût maintenir un jour de plus un système qui aurait cet effet déplorable de déflorer la sincérité de l'instituteur, de cet homme auquel vous confierez demain la mission d'épurer, d'élever le niveau moral de l'enfance.

Il faut donc que ce régime des écoles normales disparaisse, il faut en finir avec cette organisation étroite, intolérante, exclusive.

Je puis indiquer à l'honorable ministre de l'intérieur des réformes qui pourraient, dès à présent, être introduites.

Je puis, par exemple, lui parler de cet internement imposé aux élèves instituteurs, point qui a déjà été abordé par l'honorable M. Bara en 1864.

Vous n'avez que des internes : créez un externat. Pour les externes, les inconvénients qui résultent d'une direction ecclésiastique sont moins grands.

En 1864, l'honorable M. Bara a fait remarquer que cette obligation d'internement est une exigence qui dépasse les limites de l'article 10 de la loi de 1842. Aux termes du second paragraphe de cet article, les conseils communaux doivent choisir leurs instituteurs parmi les candidats qui justifieront avoir fréquenté avec fruit pendant deux ans au moins les cours de l'école normale de l'Etat.

Comment se prouve la fréquentation avec fruit ? C'est par le diplôme. Ce diplôme, vous ne le délivrez qu'après un internement de 5 années. Vous allez donc au delà des exigences de la loi. Passe pour vos trois années d'étude, car votre programme est surchargé. Ce programme ne peut être parcouru en moins de trois années si vous voulez avoir des instituteurs sérieux. Je ne blâme pas le programme, mais l'internement. Il n'est pas dans la loi. Pourquoi l'exigez-vous ?

Une autre réforme que je signalerai à M. le ministre de l'intérieur, qui est une conséquence directe de son principe de la séparation des deux enseignements, c'est la modification suivante à apporter aux programmes des études.

L'histoire sainte et l'histoire de l'Eglise, font nécessairement partie de ce programme. Je demande que cette étude devienne facultative.

Je demande que l'élève instituteur puisse déclarer qu'il ne veut suivre que l'enseignement littéraire.

Faites un programme acceptable pour les dissidents. Créez un diplôme qui soit un certificat de fréquentation avec fruit des cours littéraires. Faites que les dissidents puissent suivre votre enseignement pédagogique. C'est un droit pour eux.

M. Dumortierµ. - Et vous les nommerez instituteurs dans les écoles catholiques ?

M. de Rossiusµ. - Nous allons voir ce que j'en ferai.

Je dis, messieurs, qu'il y a une obligation pour la droite qui a approuvé les explications de M. le ministre de l'intérieur de permettre que l'on forme des instituteurs pour les écoles dissidentes. Je dis qu'il faut supprimer cette obligation du programme qui impose à l'élève instituteur un enseignement contraire à ses convictions.

A ce propos, je veux aller plus loin.

Je me demande pourquoi on viole en quelque sorte le principe de la liberté de l'enseignement lorsqu'il s'agit des élèves instituteurs.

N'y a-t-il pas quelque chose de singulier, d'anomal dans cette situation-ci ?

Le grade de professeur agrégé de l'enseignement moyen, les grades scientifiques les plus élevés, la candidature en science, le doctorat en science, peuvent être conquis sans qu'on demande au récipiendaire où. il a fait ses études. Il n'en est pas ainsi quand il s'agit de simples instituteurs primaires.

On lui dit : Vous ne pouvez pas recevoir le diplôme, si vous n'avez psl consenti à un internement qui dure trois longues années.

Remarquez bien, messieurs, que nous sommes, en Belgique, en présence d'un manque d'instituteurs. Rappelez-vous que dans l'exposé des motifs de la loi de 1866 qui, je le pense, a été votée presque unanimement par la droite. (Interruption.) Je crois qu'il n'y a guère eu d'opposition à cette loi. (Nouvelle interruption.) Il y a eu quelques réserves, mais pas d'opposition. Eh bien, dans l'exposé des motifs, nous voyons M. le ministre de l'intérieur ajouter qu'il n'y a pas en Belgique assez d'instituteurs.

La denrée manque, facilitez donc la production.

Pourquoi le principe de la liberté de l'enseignement est-il ici suspect ? Pourquoi repousser ceux qui ont fait des études libres ? Pourquoi refuser de constater leur capacité et de leur délivrer un diplôme qui atteste qu'ils peuvent être de bons instituteurs ?

L'honorable M. Dumortier me présentait une objection : il me disait : Mais que ferez-vous de l'enseignement de la religion dans les écoles catholiques ?

M. Dumortierµ. - Dans les écoles des communes exclusivement catholiques.

M. de Rossiusµ. - Oui, nous savons que vous ne parlez que des écoles catholiques où il n'y a pas un seul dissident. Je constate avec un plaisir toujours nouveau l'accord survenu entre la droite et l'honorable ministre de l'intérieur. M. Dumortier nous dit donc : Que ferez-vous de ces écoles catholiques ? Mais, messieurs, dans l'hypothèse où je me place, il faudra créer un jury ; les récipiendaires qui voudront consentir à subir un examen sur la religion, en feront la déclaration. Dans le jury d'examen, le clergé pourra se faire représenter. (Interruption.)

Pourquoi pas ? Est-ce que le clergé nous refuserait son concours ? S'il nous le refusait, eh bien, nous nous en passerions, et vous n'auriez pas le droit de vous en plaindre, car nous n'aurions fait que nous conformer à votre jurisprudence ; nous nous conformerions à votre jurisprudence, en tenant au clergé ce langage : Cet homme est capable de donner l'enseignement littéraire, vous le jugez incapable de donner l'enseignement religieux : A vous à désigner celui de vos membres qui donnera cet enseignement.

C'est, en effet, la jurisprudence de la droite que nous a fait connaître ou plutôt qu'a fait connaître à cette Chambre dont je n'avais pas encore l'honneur de faire partie, M. A. Vandenpeereboom, dans la séance du 22 décembre 1864. Il a fait connaître que dès 1843 on avait agité cette question : Comment sortir de la difficulté qui naît du refus du clergé de reconnaître à l'instituteur désigné par la commune la capacité nécessaire pour donner l'enseignement religieux ? Voici ce que je trouve dans le discours de l'honorable M. Vandenpeereboom :

Dans le premier rapport triennal qui concerne la période de 1842 à 1845, on lit :

« Est-ce l'instituteur qui doit nécessairement donner l'enseignement de la morale et de la religion ? » Article 6 de la loi de 1842.

« Dans le plus grand nombre de cas, c'est l'instituteur qui enseignera la religion et la morale.

« Mais de ce que le clergé consent à ce que l'instituteur laïque enseigne la religion, s'ensuit-il que tout individu qui n'a pas la capacité nécessaire pour donner cet enseignement, soit absolument inapte à occuper une place de maître d'école, même lorsqu'il réunit toutes les autres qualités requises ?

« Le clergé seul est juge de l'aptitude d'un instituteur à enseigner la religion. Si cette aptitude était déclarée indispensable par la loi, n'en résulterait-il pas nécessairement que le clergé serait juge suprême de l'admissibilité aux fonctions d'instituteur primaire ? La question a été soulevée dès l'année 1843. Un instituteur nommé régulièrement par le conseil communal devait être agréé par le gouvernement. L'autorité civile, après avoir instruit l'affaire, attestait que le titulaire présentait toutes les garanties désirables d'instruction et de moralité.

« L'inspecteur diocésain, tout en rendant hommage à la moralité de l'instituteur, avait refusé de lui délivrer un certificat d'aptitude pour l'enseignement de la religion et de la morale.

« On demandait que le gouvernement refusât l'agréation à cause de cette circonstance et que ce fût une règle pour l'avenir. »

(page 1026) Voilà donc la question bien nettement posée ; ce n'est pas une décision d'espèce que je rappelle à la Chambre, c'est une décision de principe.

Par arrêté du 21 septembre 1843, le ministre de l'intérieur agrée la nomination, et dans une lettre de la même date, il a exposé en ces termes au gouverneur de la province les motifs de sa décision :

« Monsieur le gouverneur,

« L'instituteur m'a été représenté comme un homme irréprochable sous le rapport de la conduite ; il est vrai que l'autorité ecclésiastique ne lui a pas délivré un certificat d'aptitude pour l'enseignement de la religion et de la morale, mais ce n'était pas un motif pour ne pas agréer sa nomination. Si M. le desservant de... ne croyait pas pouvoir lui confier cet enseignement, il devait s'en charger lui-même ou le faire donner par une autre personne. En effet, M. le gouverneur, le cours de morale et de religion est obligatoire, et il résulte de la loi qu'il appartient au ministre du culte d'y pourvoir ou par l'instituteur s'il juge celui-ci capable, ou par lui-même ou par un délégué. »

Cette dépêche, messieurs, qui renferme une décision importante, est signée par l'honorable M. J.-B. Nothomb, et le commentaire inscrit dans le premier rapport triennal est de l'honorable comte de Theux.

Voilà donc la jurisprudence de la droite.

Eh bien, nous formerons des élèves instituteurs qui ne subiront pas l'examen sur la religion et nous autoriserons les communes à procéder à la nomination de ces instituteurs ; nous autoriserons les communes à choisir des instituteurs qui se présenteront avec un diplôme obtenu après des études libres ; nous autoriserons les communes à prendre ces instituteurs, qu'ils aient ou qu'ils n'aient pas subi d'examen religieux.

Et si la droite trouve que ce système n'est pas admissible, je la renvoie à la jurisprudence qu'elle-même a établie. Le clergé se plaindra : Eh bien, on lui répondra de faire donner l'enseignement religieux par un des siens.

Messieurs, j'ai à parler d'un dernier point qui concerne les écoles normales.

Permettez-moi de vous entretenir un instant des livres dont il est fait usage dans ces écoles, de la bibliothèque des écoles normales.

Il n'existe dans le règlement aucune disposition soumettant les livres employés dans l'enseignement pédagogique à une approbation quelconque.

Je vous ai déjà fait connaître, après M. Bara, l'une des conséquences de l'absence de cette disposition. Je vous ai dit quel point de vue étroit, exclusif a présidé à Lierre et à Nivelles à la composition du catalogue de l'enseignement pédagogique.

II y a un autre inconvénient que je vais signaler. Il se rapporte aux écoles normales agréées et subsidiées par l'Etat.

Il ne suffit pas de faire des instituteurs nombreux ; il faut faire de bons instituteurs : il y a une chose qui prime la quantité, c'est la qualité. La quantité peut venir après. Faisons donc de bons instituteurs.

Eh bien, il importe, pour former de bons instituteurs, de fortifier l’enseignement des écoles normales. Il faut que l'enseignement se donne sur des livres sérieux ; l'examen de sortie ne peut être une preuve réelle de capacité qu'à deux conditions ; c'est que le jury soit bien composé et que de bons examens puissent être possibles.

Je ne veux pas m'occuper, pour le moment, de la composition du jury de sortie appelé à délivrer les diplômes aux élèves instituteurs ; mais je veux m'occuper de l'examen en lui-même et je dis qu'aujourd'hui le succès dans l'examen peut ne pas être une preuve suffisante de capacité.

Pourquoi ? Parce qu'il existe dans le règlement des écoles normales de l'Etat une disposition qui a passé dans le règlement des écoles normales agréées et qui est conçue en ces termes :

« Art. 51. (...) Les examinateurs doivent se renfermer dans le cercle des études faites conformément au programme et aux auteurs suivis à l'école normale. »

Mais si les auteurs ne sont désignés nulle part, on peut donc choisir des auteurs élémentaires ; si une disposition du règlement n'autorise pas les examinateurs à procéder à l'examen sur des livres sérieux, l'examen lui-même ne peut pas être sérieux.

Et je déclare qu'il est à ma connaissance que l’enseignement de l'histoire, notamment dans deux écoles du clergé, se donne sur de simples cahiers de professeurs. Le jury d'examen n'a pas le droit de sortir de ces cahiers des professeurs. Ceux-ci déterminent donc la force de l'examen.

J'ajoute que, dans les écoles du clergé, l'enseignement des mathématiques est tout a fait élémentaire, tout a fait insuffisant. J'ai le droit de m'occuper de ces écoles du clergé, attendu que nous les subsidions ; et je suis autorisé à dire que les élèves instituteurs des écoles agréées ne sont pas suffisamment instruits.

Je pourrais citer des chiffres puisés dans le dernier rapport triennal, qui prouvent l'existence d'un autre vice que voici. Nous donnons des subsides aux écoles du clergé. Or, qui procède, dans ces écoles, aux examens d'admission ?

Est-ce un jury nommé par nous, par le gouvernement, par l'Etat qui subsidie ?

Y a-t-il du moins dans ce jury un fonctionnaire supérieur dans lequel nous puissions avoir confiance ?

Il n'en est rien. Le jury d'entrée des écoles du clergé est composé uniquement de leur directeur et de leurs professeurs. Nous n'avons aucun accès dans ce jury ; nous ne savons pas ce qui s'y passe, notre rôle se borne à payer, à subsidier.

Eh bien, je dis que cet examen d'admission n'est pas suffisant et j'en trouve la preuve dans les résultats constatés.

Si vous prenez le dernier rapport triennal, vous y voyez ceci : c'est que la proportion des diplômés par les écoles normales de l'Etat est du quart des inscrits ; pour l'école de Malonne (un peu malicieusement je prends la plus mauvaise), la proportion est du huitième seulement. Cela prouve la vérité de ma thèse, c'est-à-dire que dans ces écoles dont je parle, on reçoit des élèves sans constater leur aptitude à recevoir l'enseignement pédagogique. Encore, sous ce rapport, il y a donc une réforme à réaliser.

Je crois, d'ailleurs, messieurs, que l'honorable ministre de l'intérieur ne peut pas limiter ses réformes à celles que je viens d'indiquer ; elles sont relativement peu importantes.

J'attends de lui une mesure plus considérable : c'est la révision générale de l'organisation de l'enseignement pédagogique ; et je crois vraiment qu'il n'est pas nécessaire de solliciter beaucoup M. le ministre de l'intérieur ; je pense qu'il sera contraint par la force des choses de procéder à cette réforme.

Pourquoi ? Mais parce qu'il existe une petite loi de 1866, que la droite a votée, avec quelques réserves, je le veux bien, loi qui décrète la création de quatre écoles normales nouvelles, dont deux pour former des instituteurs. Cette loi n'a pas été exécutée jusqu'à présent, et il faudra bien que l'honorable ministre de l'intérieur s'occupe de son exécution.

Je comprends la répugnance qu'on éprouve à modifier ce qui existe, quoique ce qui existe ait des vices, et que ces vices aient été constatés. Je connais la force du fait accompli.

Mais autre chose est de consentir à l'extension de ce qui existe ; et je suis parfaitement convaincu que M. le ministre de l'intérieur ne voudra à aucun prix assumer la responsabilité d'organiser les quatre nouvelles écoles sur cet heureux modèle des écoles de Lierre et de Nivelles.

Il voudra que son œuvre soit aussi irréprochable que possible, qu'elle sauvegarde autant que le permet la loi de 1842, les droits de la conscience reconnus par la Constitution. Il devra donc innover.

Mais alors entre les écoles nouvelles et les écoles anciennes se manifestera une étrange disparate, qui ne pourra longtemps subsister.

Aussi, messieurs, je me félicite, en terminant, de pouvoir constater que c'est cette loi de 1866, votée par la droite, qui aura condamné à périr l'organisation des écoles normales de Lierre et de Nivelles qui est l'œuvre de la droite.

M. Watteeuµ. - Messieurs, il y aurait une certaine témérité de ma part à prolonger une discussion dans laquelle tant de membres éminents de cette assemblée ont apporté le tribut de leurs lumières, si je n'obéissais à la voix du devoir.

J'estime que quand une question est assez grave pour diviser profondément des amis politiques, habitués à résoudre dans le même esprit les problèmes de la direction d'un pays libre, qu'elle soulève des doutes et des scrupules sur la loyale et sincère application des préceptes constitutionnels, il est désirable que chacun exprime franchement son opinion.

Trois systèmes sont en présence : l'un conteste la constitutionnalité de la loi de 1842 ; le second veut justifier sa parfaite concordance avec la Constitution ; le troisième, que j'appellerai le système de capitulation, passe entre les deux premiers et se borne à vouloir exécuter la loi dans un sens plus libéral, au moins en ce qui concerne les écoles d'adultes.

L'imposante majorité à laquelle la loi de 1842 doit son existence est bien faite pour troubler la conviction de ceux qui lui reprochent un vice d'inconstitutionnalité. Je ne puis cependant concilier les articles (page 1027) 6, 7, 8 et 9 de la loi organique de l'instruction primaire avec les articles 6, 14 et 15 de la Constitution. Je le puis moins encore lorsque je recherche comment cette loi a été interprétée par les arrêtés suivant lesquels elle fonctionne, et par la signification que plusieurs membres de la droite veulent y donner. Ces honorables collègues nous ont fait un pompeux éloge de la suprématie, pour ne pas dire la domination, d'un culte spécial sur les autres cultes, et prenant leurs aspirations pour la réalité, ils ont attribué à la Constitution une volonté formellement contraire à celle qu'elle exprime.

L'intervention du clergé dans l'enseignement a-t-elle ce caractère inoffensif que lui assigne l'honorable ministre de l'intérieur, et faut-il l'envisager comme circonscrite dans l'ordre religieux et moral ? Pour répondre à cette question, je rappellerai quelques passages des discours qui ont été prononcés dans le cours de la discussion.

L'honorable M. Wasseige nous demande comment on s'y prendrait, dans une école dont tout enseignement dogmatique serait sévèrement exclu, pour faire apprendre à lire ; de quels ouvrages on se servirait pour enseigner l'histoire sans que la question religieuse en surgisse forcément, sans que Dieu y soit nommé, sans que son existence soit proclamée.

Donc pour cet honorable membre l'enseignement du dogme est inséparable de l'enseignement de la lecture, tout autant qu'il l'est de l'enseignement de l'histoire.

Sa pensée s'est traduite en termes plus formels encore lorsqu'il dit :

« Les auteurs de la loi de 1842 agissaient en effet d'après les principes que l'école primaire est celle où l'éducation est considérée comme inséparable de la religion, celle dont la religion est la base invariable, où la religion est combinée avec toute la matière de l'instruction et dont l'atmosphère est toute religieuse. »

Un tel commentaire de la loi de 1S42 la met-il en harmonie avec la Constitution, ou en fait-il ressortir énergiquement l'antagonisme ?

Il n'y a pas à s'y méprendre, la religion qui doit envelopper dans une atmosphère épaisse tout l’enseignement n'est pas une religion quelconque, c'est celle de la majorité des élèves qui fréquentent l'école, et pour notre pays c'est celle des catholiques. Les enfants, à quelque croyance qu'ils appartiennent, doivent respirer un air catholique et recevoir toutes les influences catholiques, même en apprenant à lire et en recueillant quelques notions d'histoire.

Le prosélytisme ne procède pas différemment ; toujours actif, zélé, persévérant, habile à saisir toutes les occasions de convertir et d'appeler à lui, il marque le succès de ses efforts par l'augmentation de ses adeptes, sans égard et sans ménagement pour les consciences si péniblement froissées.

D'autres partisans de la loi de 1842, tout aussi ardents mais plus prudents, ne tarissent pas d'éloges sur son mérite et s'évertuent à atténuer les griefs qu'elle soulève par des considérations sociales et religieuses qui tiennent peu ou point compte des principes de notre droit public. De ce nombre est l'honorable M. Schollaert qui n'a pu, malgré son admirable talent oratoire, se soustraire à toute contradiction. Il dit que le législateur peut introduire le prêtre dans l'école, à la condition toutefois que tous les cultes soient traités par lui sur un pied d'égalité ou d'après des principes communs.

Il oublie que ce pied d'égalité et ces principes communs, loin d'exister, sont proscrits par l'article 6 de la loi. Il oublie que le culte de la majorité a le privilège exclusif de donner accès au prêtre dans l'école, et obtient seul la faveur de concourir à l'enseignement de la religion et de la morale.

Après avoir éloquemment développé la thèse de la nécessité d'introduire dans les écoles la morale inséparable du culte, sans se prononcer sur l’espèce de culte, ce qui sans doute est superflu à ses yeux, l'honorable M. Schollaert nous a appris qu'en Irlande, il y a moins d'un demi-siècle on donnait aux enfants catholiques des instituteurs protestants, et qu'au lieu de leur enseigner la foi de leurs pères on leur imposait la foi de leurs vainqueurs.

Et qui donc croira de nos jours que les catholiques sont moins zélateurs que les protestants, lorsque la prééminence de leur culte sur les autres s'affirme au sein du parlement, au prône, dans la loi, dans les arrêtés dans les circulaires ? Ne sera-t-il pas permis de dire des dissidents belges qu'au lieu de respecter la foi de leurs pères on leur impose la foi de la majorité ? N'en résultera-t-il pas que les sages principes de la Constitution, véritable et utile garantie des minorités, auront été ouvertement méconnus et tronqués de manière à transformer 1a protection en oppression ?

L'honorable M. Delcour a voulu justifier les catholiques hollandais d'avoir souscrit à la séparation complète de l’enseignement de la religion et de l'enseignement littéraire, par des paroles qui sont dignes d'être rappelées. Il nous disait : « L'enseignement religieux donné dans les écoles primaires de la Hollande était un enseignement protestant ; l'école devenait un foyer de propagande ; elle faisait perdre la foi aux populations catholiques. Les catholiques se trouvaient placés dans cette alternative ou d'exposer les enfants à perdre la foi ou d'accepter le principe de la séparation. Entre deux maux ils ont fait ce que nous faisons tous, ils ont choisi celui qui présentait le moins de danger pour les enfants. »

Ce langage peut être placé dans la bouche des protestants et des israélites avec la même opportunité, principalement d'après les idées de l'honorable M. Delcour, qui nous a fréquemment rappelé que l'atmosphère de l'école doit être religieuse. Pour les cultes dissidents, et grâce aux prérogatives, aux privilèges, aux suggestions, aux encouragements, à l'atmosphère religieuse, c'est-à-dire la propagande à l'état permanent, les confessions dissidentes ont dû créer des écoles spéciales, pour ne pas exposer les enfants à perdre la foi de leurs pères. Entre deux maux, eux aussi ont choisi celui qui présentait le moins de danger. Puis on viendra nous répéter sous toutes les formes que le principe fondamental de la séparation de l'Eglise et de l'Etat est resté pur de toute atteinte, que la Constitution n'est altérée ni dans son texte, ni dans son esprit !

Encore une fois, messieurs, ma conscience me défend d'accepter une pareille interprétation de notre droit public.

Mais si j'ajoute ma voix à ceux qui désirent et qui entrevoient le moment auquel la Constitution reprendra sa légitime puissance, je dois me résigner comme eux à accepter une situation temporaire et me dire : C'est une question de temps.

Avec une sincérité égale à celle que j'ai mise à professer mon opinion sur la loi de 1842, je déclare n'être mû par aucun sentiment hostile à la religion. Loin de moi aussi la pensée de méconnaître les bienfaits de l'instruction religieuse, son influence puissante sur les mœurs, sur les caractères, sur les passions, sur tous les actes de la vie humaine et sur le bonheur des peuples.

Je ne demande pas, et moins encore je désire l'absence de l'enseignement religieux, donné par les ministres de chaque secte et avec la plus complète indépendance.

Tous les membres de la gauche, sans exception, ne forment pas d'autres vœux et c'est leur imputer des intentions contre lesquelles tous protestent, que de les représenter comme des adversaires de la foi catholique ou de toute autre aspiration de la conscience. Ce que nous voulons, comme vous l'ont dit les honorables MM. Funck et Vleminckx, c'est que l'Etat n'accorde aucune suprématie à un culte quelconque ; qu'il ne substitue pas le fait au droit en introduisant, dans les rouages de l'administration générale du pays, des éléments que la Constitution a repoussés comme contraires au respect de toutes les convictions et à la liberté des consciences. Ce que nous voulons, c'est empêcher le retour des luttes religieuses, des haines, des persécutions et de tous les maux qu'elles entraînent ; d'interdire que le prosélytisme ne se glisse dans les écoles publiques et n'y creuse les croyances d'aucun élève comme les gouttes d'eau creusent la pierre.

Laisser à tous les plus nobles facultés de l'âme se développer sans pression, sans contrainte ; permettre aux enfants de grandir dans la foi que leur mère leur transmet ; ne pas comprimer l'essor de ce germe sacré qui appartient à la famille et que nul ne peut altérer sans outrager la loi la plus sainte, telle a été la pensée sublime du législateur constituant, tel est le précepte politique auquel nous voulons que partout et toujours il soit rendu hommage.

Que faut-il pour assurer la scrupuleuse observation de cet ensemble de principes ? La séparation réelle de l'enseignement religieux et de l'enseignement littéraire, mais nullement la suppression de l'un au profit exclusif de l'autre.

L'instituteur à l'école, le prêtre à l'église.

Il n'est ni plus rationnel ni plus logique d'appeler le prêtre dans l'école pour y donner le cours de religion, qu'il ne le serait d'introduire l'instituteur dans l'église pour y enseigner les autres branches du programme de la loi de 1842. Un motif de défiance injuste et d'intolérance habilement déguisé, a pu entraîner des amis politiques, mais la réflexion, l'expérience et les preuves acquises nous ramèneront au point de départ pour entrer dans la voie légale.

(page 1028) MM. Delcour, Wasseige et Schollaert se sont attachés dans leurs discours à démontrer que l'enseignement de la morale est inséparable de l'enseignement de la religion, que tous deux doivent être intimement fusionnés.

L'honorable M. Delcour nous a dit, en empruntant les paroles de M. Portalis, que la morale sans culte est une justice sans tribunaux.

De son côté, l'honorable M. Schollaert s'efforce de ternir la morale indépendante de toute sanction religieuse ; pour mieux lui dénier toute influence sur l'amélioration du peuple, il la compare à la branche morte détachée du tronc, ne pouvant vivre qu'à l'état de branche morte.

La loi de 1842 a sanctionné ce système et, à mon avis, c'est encore une disposition très critiquable.

La doctrine qui proclame inerte la morale détachée de tout dogme est une doctrine énervante, qui dessèche le cœur et abaisse l'âme au lieu de l'élever. C'est l'étouffement des aspirations généreuses et spontanées par la glorification de l'égoïsme. Ne faire le bien et ne s'abstenir du mal qu'en vue d'obtenir une récompense céleste et d'échapper à un châtiment perpétuel, n'est-ce pas une morale de calcul, privée de mérite et de grandeur, n'est-ce pas l'honnêteté dans les limites du code pénal ?

Enseigner à la jeunesse de faire le bien pour l'amour du bien, de faire mal pour l'horreur du mal, lui donner les notions du juste et de l'injuste, lui inspirer des sentiments d'honneur et de loyauté, lui prescrire les devoirs envers soi-même et envers la société, lui signaler les funestes conséquences des vices, l'initier à la pratique des vertus qui grandissent l'homme et lui attirent la considération et l'estime publique, fortifier cet enseignement par des exemples qui parlent au cœur autant qu'à l'esprit, est une mission qu'un instituteur honnête et capable peut remplir avec un succès d'autant plus certain qu'il est mieux initié aux exigences de la vie et aux usages du peuple.

Sa sphère est assez vaste pour s'y mouvoir sans empiéter sur aucune religion, sans froisser aucune croyance, et sans contrarier l'action des ministres des cultes. A ces derniers revient le soin exclusif de l'enseignement religieux ; leurs élèves seront parfaitement disposés à le recevoir, car les principes de la morale doivent trouver leur sanction dans toute religion.

La morale règle les devoirs de l'homme envers lui-même et envers la société. La religion détermine les devoirs de l'homme envers Dieu. Ces deux ordres d'enseignement, renfermés dans leurs limites rationnelles, ne peuvent se heurter ni se nuire ; leurs points de contact harmonisent et fortifient les deux espèces de devoir, jamais ils ne se repoussent.

La loi de 1842 a le grave défaut d'avoir confié aux ministres des cultes l'enseignement de la religion et de la morale. Ce n'est pas que dans ma pensée ces ministres soient dépourvus des qualités nécessaires pour donner ce double enseignement, mais parce que les élèves dissidents se trouvent privés tout à la fois de leçons de religion et de morale..

Les enfants qui n'appartiennent pas à la communion catholique se trouvent donc exclus de toute participation aux plus grands bienfaits de l'instruction primaire. Aucune voix ne se fait entendre à eux pour les initier à la science des devoirs ; ils sortent des classes avec une instruction élémentaire, mais leur éducation est restée ce qu'elle était s'ils ne sont pas assez doués pour arriver par eux-mêmes à la compréhension de la morale.

On m'objectera sans doute que ces enfants envers lesquels les règles de l'égalité sont si ouvertement méconnues, recevront l'enseignement de la morale dans leur famille ou dans le temple affecté à leur culte.

Pareille réponse n'est réellement pas acceptable. Les familles auxquelles appartiennent les enfants qui ont droit à l'instruction gratuite sont composées d'une part, et en trop grand nombre encore, de personnes qui sont incapables d'enseigner ; d'autre part, d'artisans à qui les soucis de la vie matérielle ne laissent ni le temps ni le courage de suppléer à l'absence de l'instituteur.

L'enseignement de la morale, justement placé en tête du programme comme celui de la religion, n'a-t-il pas une importance au moins égale, si pas supérieure, aux autres branches de l'instruction ? Pourquoi donc, si l'objection a de la valeur, ne pas laisser à la famille tout le fardeau de l'instruction et de l'éducation ?

Ces mêmes enfants ont-ils au moins le moyen de chercher près de leur pasteur les deux enseignements que l'organisation actuelle leur refuse ?

Nullement. La distribution du travail scolaire est faite de manière à rendre la fréquentation de leur temple impraticable pour les élèves dissidents. Il n'est pas possible, en effet, de les y envoyer une demi-heure le matin et une demi-heure l'après-midi, sans les mettre dans la nécessité d'arriver trop tard et de partir trop tôt pour assister aux leçons littéraires.

Par des dispositions plus impartiales et surtout plus conformes à la Constitution qui consacre l'égalité, la morale eût été enseignée à tous les élèves indistinctement ; les enfants eussent été nourris de principes de tolérance et de charité les uns envers les autres ; ils ne se fussent pas accoutumés à voir une fraction de leurs jeunes condisciples parqués et exclus ; ils n'eussent pas reçu le germe de ces distinctions qui engendrent la haine et qui se développe si rapidement dans de jeunes imaginations. Deux fois, trois fois si l'on veut, par semaine, toutes les classes se fussent terminées une heure plus tôt, et les élèves se seraient rendus dans leurs églises respectives pour y recevoir l'enseignement religieux de la bouche du prêtre ou de celle du pasteur, c'est-à-dire de ceux qui, par état et par caractère, sont les plus capables de le leur donner.

Cette réforme peut être partiellement opérée par un changement à l'arrêté royal. Il suffirait de dire que l'enseignement de la religion et de la morale sera donné pendant la dernière heure de l'après-midi. Je soumets cette proposition à l'honorable ministre de l'intérieur, qui est animé, j'en suis convaincu, des plus louables intentions. Il voudra achever l'œuvre si bien commencée par son honorable prédécesseur pour rendre l'instruction accessible à la population entière, mais je le conjure d'y procéder en se pénétrant des principes de notre droit public et d'en faire la plus large application.

Réduit à former des vœux pour la consécration légale des opinions que j'ai eu l'honneur de vous exposer, j'appuie la conclusion du discours de l'honorable M. Funck. Elle est modérée, elle tient compte des votes émis par plusieurs de nos amis politiques, et en s'y ralliant, l'honorable ministre de l'intérieur témoignerait de sa ferme volonté de' mettre, ainsi qu'il nous l'a déclaré, l'exécution de la loi de 1842 en harmonie avec nos principes constitutionnels.

MpDµ. - La parole est à M. Liénart.

M. Liénartµ. - J'ai déjà fait connaître à la Chambre que je me propose de traiter un autre sujet. Avant donc de prendre la parole, je désirerais savoir s'il n'y a plus d'orateurs inscrits pour parler sur la question de l'enseignement.

MPDµ. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits.

MiPµ. - Je demande à dire un mot.

MpDµ. - La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

MiPµ. - Messieurs, l'honorable M. de Rossius a attaché aux déclarations que j'ai faites dans votre dernière séance, une haute importance. Je crois que personne, en effet, ne peut se dissimuler que la reconnaissance unanime, sur tous les bancs de la Chambre, de la portée que j'ai donnée à la loi de 1842, ne soit, pour l'exécution de cette loi, digne d'une sérieuse attention.

Je reconnais cependant bien volontiers que ces déclarations ne peuvent avoir pour effet de modifier les convictions sur les principes mêmes de la loi ; je n'ai jamais pensé qu'elles eussent pour résultat d'opérer des conversions ; les conversions sont très rares, mais je crois que cette interprétation, tout en donnant satisfaction à ceux qui veulent le maintien de la loi de 1842, doit avoir pour effet de rendre plus acceptable ce maintien de la loi par ceux qui y sont contraires.

Messieurs, il est évident qu'en constatant que la loi de 1842 établit une séparation entre l'enseignement littéraire et l'enseignement religieux, j e n'ai pas eu pour but de constater un fait qui ne devait avoir aucune conséquence.

L'honorable M. Watteeu a fait observer, en terminant, que des améliorations successives ont été apportées à l'exécution de la loi ; et il m'a convié à suivre, en cette matière, la voie tracée par mon honorable prédécesseur. Je pense que je ne fais que me conformer à ce conseil en réalisant les conséquences qui découlent de la séparation que la loi établit entre les deux enseignements.

L'honorable M. de Rossius a indiqué plusieurs points comme étant les conséquences de cette séparation.

Je crois que dans les observations de l'honorable membre, il y a beaucoup de choses justes et dont on peut tirer parti.

Chaque fois que dans l'application un abus se présente, il est indispensable d'y porter remède, il faut par une surveillance constante, arriver à extirper tous les abus qui pourraient être signalés.

On doit arriver ainsi sans secousse, dans un temps rapproché, à (page 1029) donner une satisfaction complète aux réclamations qui se sont élevées.

M. de Rossius signale, par exemple, ce qui se passe à propos des concours. Dans plusieurs provinces des mesures ont été prises qui lui donnent satisfaction à cet égard.

Il ne sera pas difficile sans doute d'adopter les mêmes mesures ou des mesures analogues dans les autres provinces où le même inconvénient peut se présenter.

L'honorable membre a signalé ce qui se passe en dehors du temps consacré à l'enseignement religieux ; il a signalé l'empiétement de l'enseignement religieux sur l'enseignement laïque.

C'est un point sur lequel les inspecteurs civils doivent exercer une surveillance active ; cette surveillance doit avoir un double objet ; d'abord, elle doit empêcher, lorsque des dissidents sont dans l'école, qu'il n'y ait une atteinte portée à la conscience de ces dissidents ; ensuite, ils doivent veiller, même dans les écoles purement catholiques, à ce que l'enseignement religieux ne diminue pas d'une manière notable le temps consacré à l'enseignement laïque.

La partie la plus importante du discours de l'honorable membre concerne les écoles normales primaires.

Une loi de 1866 a autorisé le gouvernement à créer quatre nouvelles écoles normales. Je reconnais que lorsque les écoles seront organisées, il y aura lieu d'examiner à fond les principes sur lesquels doit être basée cette organisation.

Il y aura alors probablement lieu à faire un travail complet de révision, et, si des changements notables sont apportés, on devra rechercher comment on coordonnera les institutions existantes avec les institutions nouvelles. Ce sera évidemment le moment propice d'étudier complètement l'organisation des écoles normales.

Je pense que d'ici-là, en conservant même dans leur position actuelle celles qui existent, on peut apporter dans ces institutions des améliorations considérables. Il faut reconnaître que déjà à cet égard des changements importants ont été accomplis, notamment en 1860 ; les écoles normales agréées ont été placées dans les mêmes conditions que les écoles normales du gouvernement. C'est là un fait important.

Dans ce moment même, on s'occupe de réviser le programme des cours des écoles normales ; j'espère que cette révision amènera aussi des améliorations.

L'honorable M. de Rossius a signalé une chose qui mérite aussi une sérieuse attention ; c'est le mode d'admission aux écoles normales du clergé.

Je regrette de ne pas pouvoir donner à cet égard des explications complètes à l'honorable membre ; je n'ai pas examiné ce point, mais je promets à l'honorable membre d'en faire l'objet d'un examen attentif.

S'il se présente des dissidents à l'examen d'entrée des écoles normales, il y a lieu de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer à ces dissidents une position semblable à celle que nous voulons leur donner dans l'école primaire.

S'il y a des dissidents qui demandent à entrer à l'école normale, il faut qu'ils soient placés sur la même ligne que les élèves appartenant au culte de la majorité. Le cas échéant, des mesures seront prises pour assurer tout ce que réclament les principes constitutionnels de la liberté des cultes.

M. de Rossius soulève la question de savoir si à côté des élèves internes qui fréquentent les écoles normales, il y a lieu d'admettre des élèves externes. Ce serait là une organisation toute nouvelle à donner à l'enseignement normal.

Il faut bien remarquer qu'il existe déjà aujourd'hui un moyen d'entrer dans l'enseignement primaire, sans avoir suivi les cours d'une école normale ; je fais allusion aux nominations qui ont lieu avec l'agréation du gouvernement.

Il est évident que si ces autorisations du gouvernement sont accordées facilement, on arrive à réaliser ici la réforme qu'a signalée l'honorable M. de Rossius, réforme qui consiste à faire nommer des instituteurs sans qu'ils aient suivi les cours d'une école normale.

Je dois faire observer cependant que la généralisation de la faculté de subir cet examen sans avoir fréquenté une école normale peut donner lieu à de très graves abus ; je rappellerai encore que tous les ministres libéraux qui ont été aux affaires ont toujours attaché une très grande importance à faire donner la préférence aux élèves qui avaient suivi les cours d'une école normale. La Chambre se souviendra que la question soulevée récemment à l'occasion de la pétition du conseil communal d'Enghien portait uniquement sur le remplacement d'une institutrice diplômée par une institutrice qui ne l’était pas. (Interruption.)

Je constate que les élèves non diplômés sont dans une position inférieure ; mais si on voulait leur donner une position égale, il suffirait d'admettre d'une manière très large les instituteurs non diplômés dans les écoles primaires.

Aujourd'hui nous faisons subir un examen à l'aspirant qui n'est pas diplômé et qui veut entrer dans l'enseignement primaire. Outre ces examens, on exige encore une autorisation du gouvernement. Les personnes qui président à ces examens peuvent être chargées de rendre cette épreuve aussi complète que l'examen devant le jury lui-même.

Il n'y a rien de plus simple ; il suffit d'une simple instruction pour que l'examen auquel on soumettra les élèves non diplômés soit exactement le même que celui des élèves diplômés.

Mais si j'ai rendu le diplôme accessible à tous les élèves, il faudra encore tenir compte des autres considérations.

J'engage l'honorable M. de Rossius à y réfléchir ; peut-être lorsqu'il aura considéré les inconvénients qui peuvent se présenter, renoncera-t-ii à proposer une réforme aussi radicale.

Quoiqu'il en soit, je ferai de cette question, comme de toutes les autres, l'objet d'un examen sérieux et j'espère que par des mesures prises avec modération, qui consisteront surtout à réprimer les abus, qui se borneront à faire entrer dans la pratique une saine interprétation de la Ici de 1842, j'arriverai à des résultats qui s'implanteront plus facilement que des réformes radicales.

M. de Theuxµ. - Messieurs, l'honorable M. de Rossius s'empare de l'adhésion que j'ai donnée à l'opinion de l'honorable ministre de l'intérieur sur les écoles fréquentées par des élèves catholiques et par des élèves dissidents. Je ne retire pas cette adhésion, mais je fais toutes mes réserves relativement à l'ensemble des opinions émises par l'honorable M. de Rossius. Je ne prétends pas donner mon adhésion aux déclarations que l'honorable ministre de l'intérieur vient de nous faire.

J'examinerai les actes qu'il posera et je réserve entièrement ma liberté d'appréciation.

M. Dumortierµ. - Messieurs, je ne puis pas laisser sans réponse le discours de M. de Rossius.

Son discours, vous l'avez entendu, n'est qu'une critique sous tous les points de vue, de l'enseignement religieux dans les écoles primaires, et toute cette critique se fait au point de vue des dissidents.

Les dissidents ! voilà ce qui touche l'orateur ; mais ce qui ne le touche pas, ce sont les familles et les populations catholiques.

Il s'occupe beaucoup d'une population de 10,000 âmes et il ne s'intéresse nullement à 4,999,000 habitants.

. Voilà, messieurs, la question tout entière. Les écoles sont-elles faites pour les dissidents ?

Non, messieurs, les écoles sont faites pour les élèves et pour les pères de famille.

Le premier droit de celui qui va à l'école, c'est d'être instruit dans les principes religieux que professent les pères de famille. Les principes des pères de famille, les principes des élèves, voilà le premier droit.

Comme l'a dit l'honorable M. de Rossius, les dissidents sont très estimables, très respectables et, pour mon compte, je les estime et les respecte tous. Mais, messieurs, si un dissident qui professe une religion opposée à celle de l'unanimité d'une commune vient à être nommé instituteur de cette commune, il va se moquer des habitants, de la religion et de tout ce qui concerne les droits des pères de famille. Vous parlez toujours des droits des dissidents, mais parlez donc aussi un peu des élèves qui ont le droit d'être instruits dans leur religion. Vous mettez tout cela de côté d'une manière excessivement commode pour faire prévaloir ce que vous appelez des principes.

Avec ce mot de « principes », on met souvent des applications en place des faits.

L'instruction doit être donnée de façon que le père de famille ait toute quiétude sur l'enseignement que recevront ses enfants au point de vue religieux.

Si un père professe une religion différente de celle qui est enseignée dans l'école, la loi l'autorise à déclarer qu'il ne veut pas que son enfant suive le cours de religion.

La loi a donc prévu le cas où un dissident suivrait les cours d'une école catholique. Mais vous, ce que vous voulez, c'est chasser le prêtre de l'école, c'est supprimer l'instruction religieuse des cours. Eh bien, je (page 1030) dis que, le jour où vous arriverez à un pareil système, vous auriez le pays tout entier qui se soulèverait contre vous.

Vous vous étonnez que le pays préfère les institutions religieuses et que, lorsqu'il s'agit de l'éducation des jeunes filles, on s'adresse aux institutions des petites communautés plutôt que d'envoyer les enfants suivre les cours donnés par de jeunes personnes qui s'adonnent à l'instruction. Cela vous étonne ; moi, cela ne m'étonne pas.

Cela est dans les mœurs, qui sont bien plus que les lois. Les lois doivent être l'expression des mœurs publiques, autrement ce sont de mauvaises lois, ce sont des lois que la violence impose aux populations.

Pourquoi, dans les villages surtout, préfère-t-on les institutions religieuses ? Parce que nous avons malheureusement à côté d'une foule de jeunes personnes excessivement honorables, d'une conduite parfaite, bien des faits qui se sont passés. (Interruption.)

Je vais vous en citer :

Il y a quelque temps, dans une commune du Hainaut, le gouvernement impose et veut faire nommer une institutrice sortant de telle ou telle école. L'autorité communale déclare qu'elle n'en veut pas.

Le gouvernement persiste dans sa résolution et ordonne au bourgmestre et aux échevins d'aller installer l'institutrice le lendemain.

Le bourgmestre et les échevins, gens très débonnaires, ne croient pas devoir se mettre en lutte avec le gouvernement. Ils se réunissent le matin et ils décident avec beaucoup de sagesse qu'ils se soumettront et qu'ils iront installer la nouvelle nommée. Les voilà qui prennent leurs chapeaux et qui se mettent en route.

Il n'ont pas fait cent pas qu'ils voient accourir le garde champêtre qui leur dit : On n'a plus besoin de vous. - Comment ! mais nous allons installer la nouvelle institutrice. - Messieurs, dit le garde champêtre, ce n'est pas de vous qu'on a besoin, c'est d'une sage-femme. Le même jour la nouvelle institutrice donnait le jour à un enfant. (Interruption.)

Et vous êtes étonnés après cela ? Des faits pareils, messieurs, vous disent ce que veulent les populations. (Interruption.)

M. Mullerµ. - Ce que vous dites là est très imprudent.

M. Dumortierµ. - Dans une autre commune, une institutrice a eu le malheur de commettre une petite faute semblable et jamais on n'est parvenu à connaître le père de l'enfant. (Interruption.) Et après tout cela, vous continuez à vous étonner qu'on préfère l'enseignement religieux ?

Evidemment, les faits que je viens de citer sont des exceptions. Je le déclare, le grand nombre des institutrices sont des jeunes personnes excessivement honnêtes.

Mais il suffit qu'un seul fait de ce genre-là se passe pour qu'un père de famille ne veuille plus envoyer son enfant à pareille école et je crois que ceux d'entre nous qui sont mariés ne voudraient pas y envoyer leurs enfants. (Interruption.)

Vous autres libéraux, vous envoyez vos enfants dans des institutions religieuses, vous envoyez vos enfants chez les jésuites. (Interruption.) C'est ce que vous faites.

Je dis donc, messieurs, qu'il n'y a rien d'étonnant lorsqu'on voit le désir que professe la population d'avoir partout des instituteurs et des institutrices qui sauvegardent la moralité et la religion de leurs élèves.

Je dis et je répète que la masse de la population, que 4,990,000 catholiques contre 10,000 dissidents, c'est évidemment quelque chose, et que dans un fait qui, en définitive, a son côté pratique, le fait de l'instruction, il est clair comme deux et deux font quatre que vous devez tenir compte du sentiment de votre population.

Réfléchissez donc que vous êtes ici dans ce pays qu'on appelait anciennement les Pays-Bas catholiques, et que dans ce pays il faut que l'enseignement soit conforme à la volonté de la population entière.

S'il y a des dissidents, la loi y a pourvu. Ils ne sont pas obligés de suivre l'enseignement religieux ; et dans les localités où il y a des dissidents assez nombreux, le gouvernement et les communes ont eu soin de créer des écoles professionnelles. C'est un honneur très grand, je le disais l'autre jour, pour la ville de Bruxelles, et je crois que cela s'est fait par l'initiative d'un de nos honorables collègues, d'avoir créé une école pour les israélites. Je félicite l'administration communale de Bruxelles d'avoir créé une école pour la profession israélite, comme j'approuve les administrations qui ont créé une école pour la profession protestante. L'instruction doit être confessionnelle et dès lors il est de toute évidence que vous ne pouvez envoyer un catholique pour enseigner dans une école israélite, en disant ensuite au rabbin : Mais vous irez vous même enseigner votre religion, lorsque le catholique sera là pour donner le reste de l'enseignement.

J'en dirai autant pour les protestants. Croyez-vous qu'il y aurait un catholique qui voudrait s'imposer aux protestants pour donner l'enseignement dans leurs écoles ?

Laissez les protestants enseigner dans leurs écoles ; laissez les catholiques enseigner dans leurs établissements, les israélites dans les leurs, et vous aurez fait face à tous les besoins de la société. Mais vouloir cette confusion de toutes les écoles, cela n'a qu'un seul but, c'est de faire de l'enseignement en Belgique, un enseignement purement et simplement solidaire, un enseignement athée, un enseignement sans foi ; c'est de créer, comme je le disais l'autre jour, des hommes sans frein et des filles sans pudeur. Voilà le résultat incontestable de ce système d'éducation.

Avec votre système d'égalité et avec les conséquences que vous en tirez, vous arrivez à la plus grande, à la plus épouvantable de toutes les inégalités, car vous sacrifiez tous les principes, tous les devoirs de la société, tous les devoirs du gouvernement en faveur des solidaires, en faveur des athées ; vous faites de votre instruction, de par le gouvernement, une instruction athée, et ainsi vous la faites servir à quoi ? A enlever au peuple sa foi, sa religion, qui fait sa force la plus grande, qui est de tous les éléments de notre force nationale le plus puissant, celui qui a maintenu la Belgique dans toutes les occasions et qui lui a donné la force de lutter avec avantage contre l'étranger.

Soyez libéraux, soyez catholiques, soyez ce que vous voulez ; mais ce que vous devez demander c'est que le peuple, qu'il soit catholique, qu'il soit protestant, qu'il soit israélite, conserve sa foi, parce que c'est ce sentiment de foi qui a, je le répète, toujours fait sa plus grande force ; c'est ce sentiment qui a sauvé la Belgique, lorsque le prince d'Orange voulait s'en emparer ; c'est ce sentiment qui l'a sauvée contre les attaques de la révolution et de l'empire français ; c'est ce sentiment de foi qui la sauvera dans toutes les vicissitudes qu'elle pourra avoir à traverser.

Il y a donc ici en jeu un sentiment bien supérieur à toutes vos petites questions d'ergotage ; le sentiment de la foi du pays. Ce sentiment, vous ne devez pas chercher à l'effacer. Il ne faut pas prétendre que l'on doit faire entrer dans les écoles normales, par privilège, des personnes qui voudraient donner ensuite dans les écoles un enseignement qui serait repoussé par les pères de famille.

Comment ! lorsque vous aurez introduit votre dissident dans l'école normale, vous l'enverrez ensuite dans une commune exclusivement catholique, et vous forcerez cette commune exclusivement catholique à subir l'enseignement de ce dissident ! Voilà où vous arrivez.

M. A. Vandenpeereboomµ. - C'est l'administration communale qui nomme.

M. Dumortierµ. - Cela est bien entendu, mais quand l'administration communale nomme une personne qui ne convient pas au gouvernement, vous lui en imposez une autre.

MjBµ. - Pas quand la personne nommé a un diplôme.

M. Dumortierµ. - Le diplôme n'est pas absolument nécessaire pour être instituteur. Du reste, si le diplôme est une condition, à côté de cette condition il y en a une autre, c'est l'acceptation par le gouvernement et l'examen. (Interruption.) Quand on a fait la loi en 1842, il n'y avait pas d'élèves diplômés. Comment donc aurait-on pu créer des instituteurs ? La loi a été plus sage ; elle a permis au gouvernement d'agréer des instituteurs qui n'étaient pas diplômés.

Ainsi, je dis que tous ces systèmes sont des systèmes étroits qui n'ont qu'un seul et unique but : chasser les prêtres des écoles, c'est-à-dire, chasser l'enseignement religieux des écoles. Eh bien, quand vous aurez chassé l'enseignement religieux des écoles, quand vous aurez fait cesser ce que l'honorable M. de Rossius appelle des abus, et ce que je crois une nécessité de position, une nécessité de situation d'un pays comme le nôtre, quel sera le frein que vous donnerez à vos populations ?

Allez voir dans certains districts si aujourd'hui déjà le frein qui existe est trop grand, s'il ne serait pas désirable qu'il fût plus grand.

Et quand vous aurez enlevé à ces populations la crainte de Dieu, la crainte des peines futures, qu'elles n'auront plus la crainte de rien et ne chercheront qu'à satisfaire leurs appétits, leurs goûts, leurs désirs, c'est vous, riches, qui serez exploités par elles, c'est contre vous qu'elles se dresseront.

Et qu'aurez-vous à leur opposer ? Les balles, les baïonnettes, la force violente !

Eh bien, j'aime beaucoup mieux que, dans nos districts manufacturiers surtout, on élève nos enfants dans des sentiments qui les portent à (page 1031) s’'imposer un frein à eux-mêmes et à ne pas se porter à des actes de violence contre les autres.

L'état de la société est tel, que plus que jamais on a besoin d'une moralité profonde dans les masses. Qu'arrive-t-il aujourd'hui ? Au moyen de la liberté immense dont on jouit en Belgique, on ne peut pas méconnaître que de toute part on rencontre des personnes qui travaillent incessamment à démoraliser le peuple. Je pourrais vous citer de petites feuilles qui s'impriment dans certaines de nos grandes villes manufacturières et dont le but unique est de démoraliser le peuple, de lui enlever le sentiment du devoir, le sentiment du respect pour celui qui possède ? Est-ce ce sentiment que vous voulez voir triompher ?

En présence de nos libertés, nous ne pouvons empêcher ces appels que j'intitule mauvais ; car des appels qui cherchent à démoraliser le peuple sont des appels mauvais ; vous n'avez qu'un seul moyen d'en empêcher les effets : l'éducation ; c'est en donnant à vos enfants, aux enfants du peuple une éducation morale, une éducation basée sur ces principes d'éternelle vérité qui constituent la société moderne, une société qui n'existait pas autrefois.

Autrefois qu'aviez-vous ? Vous aviez des maîtres qui possédaient, et à côté d'eux vous aviez des esclaves. Aujourd'hui, grâce à la foi chrétienne, l'esclavage a disparu. Tous les hommes sont égaux devant la religion ; tous les hommes sont devenus égaux devant la loi.

Ces hommes aujourd'hui ne sont pas sous le fouet du maître et c'est une chose admirable. Mais, d'un autre côté, ils ont des besoins plus grands que jamais. Ils sont exposés tous les jours à se voir inculquer des doctrines mauvaises qui peuvent bouleverser la société et rendre la Belgique une terre de malheur et de calamité.

Vous gouvernement, vous pouvoir législatif, vous n'avez qu'une seule chose à faire avant d'arriver aux fusillades, vous devez avoir le courage d'examiner si, dans l'intérêt de la tranquillité publique, vous n'avez pas quelque chose de mieux à faire. C'est d'avoir un enseignement moral, enseignement que vous ne donnerez jamais que par le frein religieux.

Soyez catholique, soyez protestant, soyez juif, cela importe peu au point de vue social, mais ce qui importe, c'est que vous ayez une religion, un frein moral qui vous dit : Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas que l'on vous fit, un frein qui maintienne les populations dans ce calme, cette sagesse, ces bons sentiments qui ont fait jusqu'ici la force de la Belgique.

Le jour où l'on sera arrivé à ce système, que certaines personnes préconisent, de chasser le prêtre de l'école, vous aurez donné un privilège exclusif à l'athéisme et au solidarisme.

. Le jour où vous aurez dit au père de famille : Envoyez si vous le voulez votre enfant à l'église pour y chercher l'enseignement religieux, vous aurez causé au pays le plus grand préjudice que jamais assemblée parlementaire ait causé à un pays.

Voyez ce qui se passe en Angleterre en ce moment. C'est quand on revient dans ce pays sur une persécution de trois siècles grâce aux hommes d'Etat qui le dirigent, c'est à ce moment que des membres de cette assemblée, heureusement peu nombreux, veulent relever le drapeau de la persécution contre la religion de la majorité des Belges. (Interruption.)

C'est là ce que vous voulez !

Il est bon, messieurs, d'avoir une force armée qui défende au besoin le pays contre les agressions, mais il est bon d'avoir aussi la première de toutes les forces, celle qui fait la sagesse et la moralité du peuple. cette sagesse et cette moralité, dans tous les temps, dans tous les pays, ont été basées sur les principes religieux et ces principes religieux c'est dans l'école qu'on les inculque.

Chasser l'instruction religieuse de l'école et cela pour des dissidents qui peuvent aller dans leurs propres écoles, je dis que ce serait compromettre au plus haut point l'avenir de la patrie.

MiPµ. - Messieurs, je n'aurais certainement pas demandé la parole, si l'honorable M. Dumortier s'était borné à cette accusation à laquelle il a été répondu si souvent, à laquelle l'honorable M. Watteeu vient encore de répondre, que le but de ceux qui demandent la réformation de la loi de 1842 est d'introduire un enseignement athée et solidaire.

Je ne pense pas qu'une nouvelle réfutation puisse avoir encore quelque utilité. En effet, après cette réponse l'honorable M. Dumortier répétera encore la même chose et il n'y a pas de raison pour que cela finisse.

M. Dumortierµ. - Quelle sera cette réponse ?

MiPµ - Mais l'honorable M. Dumortier s'est permis des accusations que je ne puis laisser passer.

Ainsi, il a représenté l'enseignement donné aux filles par les institutrices laïques comme un enseignement destiné à les pervertir.

M. Dumortierµ. - Je n'ai rien dit de semblable.

MpDµ. - M. Dumortier, je vous prie de ne pas interrompre.

M. Dumortierµ. - M. le président, on ne peut me faire dire ce que je n'ai pas dit.

MiPµ. - L'honorable membre a parlé de filles sans pudeur. Si une fille sans pudeur n'est pas pervertie, j'avoue que je ne comprends plus la valeur des termes.

M. Dumortierµ. - J'ai dit qu'un enseignement sans religion forme des filles sans pudeur.

MiPµ. - Vous avez dit : Je vais vous expliquer pourquoi les pères de famille ne veulent pas envoyer leurs filles chez les institutrices laïques.

M. Dumortierµ. - J'ai dit : préfèrent les établissements religieux. Qu'on ne dénature pas mes paroles.

MiPµ. - Soit ; vous avez dit que les pères de famille préfèrent les religieuses parce que les institutrices laïques ne peuvent inspirer de confiance, et vous avez cité des exemples.

M. Dumortierµ. - J'ai dit : parce qu'il y en a quelques-unes.

MiPµ. - Je ne demande pas mieux que d'accepter les rectifications de l'honorable M. Dumortier. Je voulais répondre à ce qu'il a dit, il se charge d'y répondre lui-même.

M. Dumortierµ. - J'ai dit que ce n'étaient que des exceptions. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit.

MiPµ. - Nous voilà d'accord, l'immoralité chez les institutrices laïques est l'exception.

J'ajoute cependant que l'honorable M. Dumortier a un très grand tort de citer ces exceptions qu'il n'a certes pas indiquées dans une intention bienveillante à l'égard des institutrices laïques. Il se place là sur un terrain extrêmement dangereux, car on pourrait lui citer aussi des exceptions. .

M. Hymansµ. - Mainbode.

MiPµ. - Dès exceptions plus nombreuses et plus graves, des amours qui ne porteront certainement pas de fruits.

Il ne serait pas juste de citer ces exceptions pour en flétrir toute une catégorie de personnes, mais l'honorable M. Dumortier aurait dû s'abstenir de son côté de citer des cas exceptionnels, pour éviter des représailles qui pourraient être dangereuses.

Remarquez, messieurs, que les exceptions que l'on pourrait citer à M. Dumortier résulteraient d'actes authentiques, de jugements, et quant aux faits dont il a parlé, je ne pense pas qu'ils aient été constatés en aucune manière. Mon prédécesseur me dit ne pas avoir connaissance du fait cité, et pour ma part, je ne l'ai pas rencontré dans les pièces qui m'ont été soumises. Je pense cependant que si un fait pareil m'était passé sous les yeux, il aurait frappé mon attention.

M. Dumortier s'est, du reste, toujours placé sur un terrain périlleux. Il nous a dit encore : Avec les fonds de l'Etat qui sont le produit des contributions de tous les citoyens, on veut organiser un enseignement sans religion, contraire aux vœux d'une partie de la nation. Il n'y a pas en fait d'enseignement en Belgique que le budget de l'instruction publique.

L'enseignement religieux n'est pas seulement payé par le budget de l'instruction publique, il y a un autre budget montant à une somme très considérable, celui qui pourvoit au traitement des ministres du culte.

Remarquez bien qu'il n'y a pas dans le traitement des ministres du culte que la rémunération des actes du culte proprement dit. Il a toujours été reconnu, par l'Eglise surtout, que le ministre du culte a une mission d'enseignement religieux. Or, si l'on venait dire à l'honorable M. Dumortier : De quel droit forcez-vous ceux qui ne croient pas, à subsidier les ministres du culte ? Pourquoi prenez-vous l'argent nécessaire pour payer les ministres du culte dans la bourse des citoyens qui ne veulent pas du culte ? Que répondrait l'honorable M. Dumortier ?

M. Dumortierµ. - Parce qu'on leur a enlevé leurs biens.

M. Jacobsµ. - Tout le monde a profité de la confiscation.

M. de Haerneµ. - C'est la Constitution qui le dit.

MiPµ. - Voilà la véritable raison. C'est la Constitution qui parle de salaire, et je demanderai, à M. Jacobs qui m'interrompt, comment un salaire peut être une indemnité ou une restitution. (Interruption.)

(page 1032) M. Jacobsµ. - L'Assemblée nationale n'a confisqué les biens ecclésiastiques, le 2 novembre 1792, qu'à charge de pourvoir à l'entretien des ministres du culte.

MiPµ. - S'il en était ainsi, on aurait dû donner le traitement à ceux à qui on a enlevé les biens ; or, c'est précisément le contraire qui se fait ; c'est-à-dire qu'on a enlevé les biens aux ordres religieux et qu'on a donné des traitements au clergé séculier.

Il n'en est pas moins vrai qu'il s'agit aujourd'hui de traitements réglés par la Constitution. Je dis que si l'argument de M. Dumortier a quelque force, en matière d'enseignement, il aurait une force plus grande en matière de traitement des ministres des cultes.

En faisant cette observation je n'ai pas la moindre intention de critiquer le traitement des ministres des cultes, mais je veux montrer à M. Dumortier que ses arguments sont dangereux.

On nous parle toujours d'enseignement religieux et on pourrait croire qu'il n'y a que l'enseignement religieux donné à l'école. Mais on ne devrait pas oublier qu'à côté de l'école il y a dans chaque village un édifice plus considérable que l'école, qui domine tous les bâtiments de la commune et que cet édifice est consacré aux cultes ; on ne devrait pas oublier que si nous élevons de modestes maisons pour l'instituteur, on a élevé depuis des siècles et on élève encore tous les jours des maisons meilleures pour les ministres des cultes.

Allez dans un village et vous reconnaîtrez presque toujours à première vue la maison du curé de la paroisse par son air de propreté, d'aisance. Celui qui habite cette maison quelle est sa mission ? C'est surtout une mission d'enseignement religieux.

Qu'on ne vienne donc pas dire qu'il n'a pas été pourvu à l'enseignement religieux de la Belgique, car quand même cette loi de 1842 serait supprimée, il y aurait encore dans chaque village une position aussi considérable pour l'enseignement religieux.

Maintenant, ai-je besoin de rectifier d'autres singulières erreurs qu'a faites M. Dumortier ?

Il nous parle de l'Irlande, où l'on veut supprimer précisément la religion d'Etat, où l'on veut entrer dans un régime de séparation entre l'Eglise et l'Etat. M. Dumortier choisit bien son exemple quand pour maintenir l'union il signale un des actes de séparation les plus marquants qui se soit produit en Europe.

M. Dumortier est-il plus heureux quand pour nous montrer dans l'histoire l'influence de la religion en Belgique, il nous dit, par distraction sans doute, que la religion a sauvé la Belgique de l'empire français.

J'avoue que je ne m'explique pas comment, et je serais heureux de savoir quel rôle la religion a pu jouer dans la bataille de Waterloo ! (Interruption.)

Enfin, messieurs, je dois bien dire que M. Dumortier a complètement métamorphosé la loi de 1842. Il a fait de cette loi une loi érigeant des écoles confessionnelles pour chaque culte, de telle sorte que les élèves de chaque culte aillent dans des écoles séparées.

M. Dumortierµ. - Du tout.

- Une voix. - Vous l'avez dit.

M. Dumortierµ. - J'ai dit que chacun avait le droit de ne pas faire donner à ses enfants une éducation contraire à sa foi religieuse.

MiPµ. - Nous voilà d'accord. M. Dumortier reconnaît donc que nos écoles ne sont pas des écoles confessionnelles proprement dites. Je suis charmé d'avoir l'adhésion de M. Dumortier au principe que j'ai voulu mettre en relief, adhésion qui se joint à beaucoup d'autres et à laquelle j'attache une grande importance.

M. Wasseigeµ. - L'honorable M. de Rossius vous a dit en commençant que l'adhésion de la droite aux principes de M. le ministre de l'intérieur avait été unanime, moins celle de M. Wasseige. Je ne sais comment M. de Rossius a pu constater cette adhésion unanime, puisqu'il n'y a eu aucune manifestation, aucun vote dont on puisse tirer celle conclusion, que je crois très exagérée.

Quant à moi, pour dégager ma responsabilité, je déclare que je n'ai adhéré qu'à une seule chose, c'est à la déclaration faite par l'honorable ministre de l'intérieur qu'il était décidé à maintenir la loi de 1842 et encore j'ai ajouté que je trouvais cette déclaration en faveur du maintien de la loi excessivement pâle et j'ajouterai avec un sentiment pénible qu'il résulte de toutes les explications qu'il nous a données depuis, que ma foi dans ces déclarations devient de moins en moins robuste. Je crois pouvoir affirmer que c'est aussi l'opinion d'un grand nombre de mes amis.

Je me réserve donc d'examiner sérieusement et très scrupuleusement tous les actes que posera l'honorable M. Pirmez en exécution de la loi de 1842, comme j'ai examiné ceux de ses honorables prédécesseurs MM. Rogier et A. Vandenpeereboom.

Je n'ai pas non plus voté la loi pour la création des nouvelles écoles normales. J'ai protesté contre cette loi qui n'a pas pu être discutée, mais qui nous a été imposée le dernier jour d'une session, alors qu'il n'était naturellement plus possible de l'examiner. J'ai dû me borner à faire une protestation, parce que je trouvais ces écoles inutiles et que je redoutais la tendance qu'on voulait leur donner.

Mon adhésion ne va pas plus loin.

J'ajoute que si les soi-disant améliorations indiquées par MM. de Rossius et Watteeu devront être la règle de conduite de M. le ministre de l'intérieur, franchement quant à moi, je préférerais l'abrogation complète de la loi de 1842, parce que cette loi ainsi appliquée ne serait plus alors qu'une étiquette menteuse, faite pour tromper les consciences catholiques. Je préférerais dans ce cas voir les catholiques avertis qu'ils n'ont plus à espérer aucune des garanties morales et religieuses sur lesquelles ils ont eu le droit de compléter en acceptant la grande transaction de 1842 et aviser en conséquence. Cela serait plus loyal et plus franc.

MiPµ. - A la dernière séance, l'honorable M. Dumortier m'a demandé de publier les documents relatifs aux décorés de la croix de Fer et des blessés de septembre. Je crois qu'il n'entre pas dans les intentions de la Chambre de faire imprimer ces documents, je les déposerai sur le bureau, où l'honorable M. Dumortier pourra en prendre connaissance, ou plutôt, si aucun autre membre ne désire ces pièces, je les remettrai à M. Dumortier.

- Adopté.

La séance est levée à 5 heures.