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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 24 avril 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1057) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaertµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Gochenée demandent que le gouvernement ordonne l'expertise parcellaire des propriétés non bâties. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Wytsman, Dewael et autres, membres de la ligue de l'enseignement à Termonde, proposent des modifications au système actuel d'enseignement moyen. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« MM. Dolez et Hagemans, retenus chez eux par une indisposition, demandent un congés de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget des non-valeurs et remboursements de l’exercice 1869

Rapport de la section centrale

M. Woutersµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des non-valeurs et remboursements pour l'exercice 1869.

- Ce rapport sera imprimé et distribué et l'objet qu'il concerne mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1868

Discussion générale

M. Tackµ. - Messieurs, hier à la fin de la séance, M. le ministre de l'intérieur exprimait l'espoir que la discussion de son budget serait terminée pour la fin de la semaine.

Je tâcherai d'être aussi laconique que possible afin de déférer au désir exprimé par l'honorable ministre. Mais la Chambre comprendra que j'ai le devoir cependant d'entrer dans quelques détails pour réfuter les observations faites par M. le ministre de l'intérieur et par l'honorable M. Vandenpeereboom. Les discours qui ont été prononcés hier par mes honorables collègues d'Alost et de Courtrai sont du reste tellement complets, tellement concluants que j'aurai peu de chose à y ajouter.

Malgré les réponses qui ont été faites par M. le ministre de l'intérieur et par l'honorable M. Vandenpeereboom, les arguments de ces honorables collègues sont restés, selon moi, entièrement debout. Je demeure profondément convaincu que la résolution par laquelle la députation permanente de la Flandre occidentale a autorisé la dame Moles-Le Bailly et d'autres dames de Bruges à organiser une loterie afin d'en appliquer le produit à l'érection et à l'entretien d'une salle d'asile dans la commune de Westcapelle, est conforme aux véritables principes sur la matière, aux lois en vigueur et à la Constitution. Et je tiens pour vrai que cette résolution n'aurait pas dû être annulée par l'arrêté royal du 23 novembre 1867.

M. le ministre de l'intérieur et l'honorable M. Vandenpeereboom ont-ils présenté la défense de l'arrêté royal que je viens de citer ? Nullement.

Et d'abord, l'honorable M. Vandenpeereboom a complètement abandonné les motifs sur lesquels l'arrêté royal est basé, et il est venu alléguer devant la Chambre, pour justifier l'acte qu'il a posé, des motifs tout différents de ceux qui sont invoqués dans les considérants de l'arrêté royal, motifs qui auraient dû figurer en tête de ce document si réellement ils sont vrais.

L'honorable membre n'a-t-il pas insinué que s'il a fait annuler la résolution de la députation permanente, c'est parce que le but que voulaient atteindre les dames patronnesses de Bruges n'était point, en réalité, d'établir une école gardienne, mais en fait d'avantager indirectement le couvent de Westcapelle. Soit dit en passant, on a l'habitude, messieurs, d'appeler assez pompeusement du nom de couvent des maisons où sont réunies deux ou trois religieuses qui n'ont d'autre mission, d'autre occupation, que de donner l'instruction primaire aux enfants indigents, de leur apprendre à coudre, à tricoter, à faire de la dentelle ; donc, d'après l'honorable M. Vandenpeereboom, si la résolution de la députation permanente a été infirmée, c'est parce que l'érection de l'école gardienne n'a été qu'un prétexte. Or rien de pareil n'est affirmé dans l'arrêté royal.

Quant à M. le ministre de l'intérieur, a-t-il défendu davantage l'arrêté royal du 23 novembre 1867 ?

Point, l'honorable ministre est resté dans des généralités, il nous a donné une définition du droit de fonder, de la liberté d'enseignement et du droit d'association, qu'il a réduit à des proportions extrêmement exiguës ; puis il nous a parlé de la loi sur les loteries, et enfin il a jeté assez lestement par-dessus les moulins les considérants de l'arrêté royal que nous nous croyons en droit de critiquer vivement.

Et, en effet, messieurs, que vous a dit l'honorable ministre ? Il est arrivé assez souvent, a-t-il fait observer, que, dans les jugements, dans les arrêts des cours, dans les décisions administratives, les considérants qui motivent la décision ne répondent pas tout à fait au dispositif. Mais quand ce dispositif est bon en lui-même, qu'importe ?

Il y a ici une chose essentielle à remarquer : c'est que dans le cas qui nous occupe les considérants sont la chose principale. Car à quoi se réduit le dispositif de l'arrêté royal ? A dire : La décision de la députation permanente est annulée. Oui, il arrive parfois, je le reconnais, que tous les considérants d'un jugement, d'un arrêt ne se valent pas, que les uns sont plus décisifs que les autres.

Est-ce bien de cela qu'il s'agit dans l'arrêté royal du 23 novembre 1867 ? Pas le moins du monde. Il n'y a là qu'un considérant unique et qui tranche catégoriquement une question de principe.

Messieurs, on a paru beaucoup s'étonner de ce qu'on a appelé le bruit fait autour de l'affaire de Westcapelle.

Je le veux bien, la création d'une école gardienne à Westcapelle n'est pas une chose de nature à émouvoir beaucoup le pays ; aussi, n'est-ce point le fait en lui-même qui nous a préoccupés, mais bien la circonstance que dans les considérants de l'arrêté royal sur lesquels on a si adroitement glissé, nous avons cru découvrir le germe d'un principe tout nouveau, qui a beaucoup frappé tout le monde, dont la presse s'est occupée ; c'est à cause de ce principe, déposé dans les considérants et qui pourrait devenir un jour jurisprudence, que nous avons tenu de faire nos réserves et de protester.

Au fond, nous ne pouvons accepter cette manière de discuter qui consiste à dire : « Passons les considérants, et occupons-nous maintenant du dispositif. »

Nous prenons l'arrêté royal tel qu'il est et nous disons à l'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom : Cet arrêté est votre œuvre, tâchez de le défendre et de le justifier. A l'honorable ministre de l'intérieur nous disons : Si vous n'approuvez pas la mesure prise par votre prédécesseur, ayez le courage de la combattre ; il ne suffit pas que vous vous borniez à faire observer que les considérants sur lesquels le dispositif de l'arrêté royal s'appuie sont peut-être trop larges, il faut nous expliquer en quoi et comment les motifs de décider laissent à désirer.

C'est ce que l'honorable M. Pirmez ne nous a point dit.

Messieurs, avant d'entrer plus avant dans le fond du débat, je désire m'occuper un instant des faits que vous a signalés l'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom et qui sont entièrement étrangers à la question que nous traitons.

L’honorable membre vous a peu parlé de l'affaire de Westcapelle, la seule chose à discuter ; mais par contre, il s'est longuement étendu sur d'autres faits ; il vous a appris ce qui s'est passé à Blankenberghe et à Plasschendaele. Puis l'honorable membre a fait des gorges chaudes et (page 1058) a essayé d'égayer la Chambre à propos d'un vicaire-cabaretier, espèce inconnue jusqu'aujourd'hui et dont il a fait la découverte, en compulsant les rôles des contributions de l'arrondissement d'Ypres.

Pour moi, je connais le vicaire-cabaretier depuis longtemps, et je vous dirai tout à l'heure quelle est son origine.

Quant à l'affaire de Blankenberghe, de quoi s'agit-il là ? Des dames charitables se sont adressées à la députation permanente du conseil provincial de la Flandre occidentale, pour être autorisées à ouvrir une loterie dont le produit devrait être affecté à l'organisation d'une école gardienne dans la commune de Blankenberghe.

La députation a autorisé la loterie, mais à la condition que l'établissement serait soumis au régime de la loi de 1842, à l'inspection et au contrôle officiel.

Quand il a fallu en venir à l'exécution, la supérieure de l'établissement a refusé d'accepter cette condition.

Qu'est-ce que cela prouve ? Etait-on en droit d'imposer ces conditions à l'établissement de Blankenberghe ; la supérieure n'était-elle pas libre d'accepter ou non le régime auquel on voulait la soumettre ? Quelle a été la conséquence de son refus ? C'est que la loterie n'a pas eu lieu. Où a été ici le mal ?

Vous concluez de son refus, sans raison, que le véritable but des dames charitables, but qui a été déjoué par la députation permanente, c'était, non pas d'établir une école gardienne, mais de favoriser le couvent.

Qu'est-ce qui vous autorise à tirer cette conclusion ? Vous appliquez là un système de suspicion, et pas autre chose.

Comment se fait-il que l'honorable ministre n'ait pas ajouté que les dames patronnesses de Bruges, lorsqu'elles ont fait la demande d'ouvrir une loterie à l'effet d'en consacrer le produit à l'érection d'une école gardienne dans la commune de Westcapelle, se sont soumises d'avance à toutes les conditions que la députation permanente voulait leur imposer et que la supérieure de l'établissement avait accepté l'inspection et le contrôle. Mais l'honorable ministre de l'intérieur s'est bien gardé de faire cet aveu.

M. A. Vandenpeereboomµ. Je l'ignorais.

M. Tackµ. - J'accepte cette déclaration, mais je fais observer que l'honorable M. Vandenpeereboom sait parfaitement ce qui se passe en Flandre, et lui surtout qui examinait de si près, lorsqu'il était au ministère, toutes les affaires en instruction à son département, aurait dû se souvenir que dans la Flandre occidentale il existe bon nombre d'écoles gardiennes où les maîtresses sont des religieuses et où cependant le contrôle officiel, l'inspection, le régime de la loi de 1842 sont acceptés.

Pourquoi dès lors venir raisonner d'une exception ; pour en déduire un argument contre les dames de Bruges ?

Après l'affaire de Blankenberghe est venue celle de Passchendale.

Là aussi on manifestait,, au dire de l'honorable Mv Vandenpeereboom, l'intention d'établir une école gardienne à Passchendale ; on s'était adressé également à la députation permanente.

Heureusement l'honorable M. Vandenpeereboom : fut averti à temps utile ; il a pu savoir que là comme à Westcapelle, il s'agissait d'avantager le couvent ou plutôt d'ouvrir un cabaret, un établissement où, dit-il :

« On vend de la bière et où l'on distribue du tabac. »

Messieurs, voulez-vous savoir ce qu'il en est de cet établissement que vous dénonce M. Vandenpeereboom.

Il existe dans notre Flandre des associations d'ouvriers qui se réunissent le dimanche et les jours de fête, au lieu de gaspiller comme d'autres leur salaire au cabaret et de le soustraire de cette façon aux besoins de la famille. Dans ce lieu de réunion on se récrée, on s'instruit, on s'adonne à la lecture et à d'autres distractions. On y consomme, il est vrai, le prosaïque verre de bière et on y fume la pipe.,

Ce sont des sociétés particulières d'honnêtes-artisans, de paisibles ouvriers. Ce qu'on y consomme se vend à prix coûtant ; il n'y a dans cette vente ni spéculation de la part de qui que ce soit, ni bénéfice pour personne. Il n'y a là ni débitant, ni cabaretier.

Les membres de ces sociétés ont longtemps pensé qu'ils pouvaient échapper aux exigences du fisc, qui, voulait les forcer à prendre patente.. Mais l'honorable ministre des finances, dans la personne des agents du fisc, les y a contraints.

MfFOµ. - Je ne m’en doutais pas.

M. Tackµ. - 'est ainsi cependant ; malgré leur résistance, selon moi parfaitement justifiée, malgré leurs protestations, on les a forcés, sous menace de poursuites, à prendre patente. Là où à la tête de la i société se trouve un vicaire ou un curé, ce sont eux qui ont été obligés de s'exécuter. Et voilà comment, malgré eux. sont nés les vicaires et les curés cabaretiers.

M. Van Overloopµ. - Il serait heureux que, dans le Hainaut, il y eût de nombreux établissements de ce genre, car les effets moraux qu'ils produisent sont considérables.

M. Tackµ. - Comme le fait observer l'honorable M. Van Overloop, ces établissements sont éminemment utiles, et il me semble qu'il ne convient pas, même sous la forme d'agréable plaisanterie, d'exposer à la déconsidération publique des personnes respectables, qui emploient leur temps, leur argent, leurs peines, à moraliser les classes ouvrières, à leur inspirer l'idée du devoir et le respect du droit de tous, alors qu'ils sont entourés de nos jours de tant de suggestions dangereuses. Au lieu de critiquer des établissements de cette nature, il faudrait au contraire, il me semble, les encourager.

J'en viens, messieurs, à l'affaire de Westcapelle et je vais rétablir les faits dans toute leur simplicité.

Des dames de Bruges se sont adressées à la députation permanente de la Flandre occidentale pour demander l'autorisation d'ouvrir une loterie à l'effet d'en appliquer le produit à l'érection et à l'entretien d'une école gardienne dans la commune de Westcapelle. Elles avaient, comme je l'ai déjà dit, accepté d'avance toutes les conditions qu'on aurait voulu leur imposer. Elles ont, en faisant cette démarche, agi comme beaucoup d'autres ont fait avant elles.

La députation permanente, de son côté, s'est entourée de toutes les lumières ; et ce n'est qu'après une instruction minutieuse et complète qu'elle a autorisé les dames patronnesses de Bruges à ouvrir la loterie qu'elles avaient en vue.

Contrairement aux rétroactes, le gouvernement a annulé la délibération de la députation permanente. Celle-ci, au contraire, n'a fait que suivre ses précédents. On peut même dire qu'elle s'est conformée aux précédents pratiqués par le gouvernement lui-même, car que de fois le gouvernement n'a-t-il pas autorisé des loteries pour organiser des crèches, écoles ou d'autres œuvres du même genre !

Quelle différence trouvez-vous entre les salles d'asile et les crèches-écoles ? Comment se fait-il que cette décision de la députation permanente ait été annulée, alors que toujours elles ont été maintenues ? Les principes ont-ils varié ? Ne sommes-nous plus sous la même législation qu'autrefois ?

Sur quoi est basé en définitive l'arrêté royal du mois de novembre 1867 ? Sur cette considération unique, car il n'y en a qu'une dans tout l'arrêté : c'est que les écoles gardiennes sont des établissements d'enseignement ; que les ressources recueillies, à l'aide de loteries, en vue de fonder et d'entretenir une école gardienne ont le caractère de donation, que par conséquent aux termes de la loi du 19 décembre 1864, la commune seule a la saisine et la gestion des sommes qui proviennent de pareille source.

D'où la conclusion que les dames patronnesses de Bruges n'ont pas pu prétendre à une saisine et à une gestion exclusivement dévolues à l'autorité communale.

Voilà tout l'arrêté royal, il est basé entièrement sur la loi de 1864, connue sous le nom de loi sur les bourses d'étude.

Messieurs, ai-je besoin de revenir ici sur cette considération présentée par mes honorables collègues, M. Liénart et Reynaert, ? Cette base, l'honorable M., Pirmez doit évidemment la répudier. Si l'on consulte les discours qu'il a prononcés récemment et dont M. Reynaert a paraphrasé, hier„ différents passages,, l'honorable M. Pirmez ne peut accepter le raisonnement qui est fait dans le considérant de l'arrêté royal du 23 novembre 1867. L'honorable M. Pirmez est obligé d'abandonner ce considérant ; il doit l'abandonner tout entier ; c'est tout au plus s'il s'y trouve un mot qui pourrait lui convenir : c'est le mot « fonder ». Tout le reste ne saurait plus être applicable, dans la pensée de l'honorable M. Pirmez, aux salles d'asile ; pour lui l'école gardienne n'est pas un établissement d'enseignement primaire.

En effet,, qu'est-ce qu'une salle d'asile, ou école gardienne ? C'est un lieu où l'on réunit de petits enfants de l'âge de deux jusqu'à sept ans. Quel est le programme de ces écoles ? Il n'en existe pas dans-la loi suit l'enseignement primaire.,

De quoi s'occupe-t-on dans une école gardienne t On y apprend aux petits enfants à balbutier leurs prières, à faire le signe de la croix, à répondre à quelques questions du catéchisme ; on leur enseigne à respecter leurs parents, leurs supérieurs, leurs maîtres, à être obéissants.

(page 1059) Voilà, au point de vue religieux et moral, ce que sont les écoles gardiennes.

Le côté pédagogique se réduit à initier les enfants à l'alphabet, à les faire épeler.

A sept ans, quelques enfants savent plus ou moins lire ; ils connaissent un peu de calcul mental. On les façonne à la discipline, on leur fait faire certains exercices gymnastiques par des marches et des contremarches ; enfin on leur distribue des nourritures réconfortantes, surtout aux époques calamiteuses.

Maintenant, dans quel but les écoles gardiennes ont-elles été instituées ?

Ces écoles n'ont pas été établies en vue de l'enseignement, mais en vue de soulager les mères de famille, de leur permettre de vaquer, pendant quelques heures de la journée, aux occupations du ménage, de soustraire l'enfant aux dangers qu'il court par suite de l'isolement pendant que la mère va travailler dans l'atelier ou dans l'usine, afin de gagner le pain nécessaire à la nourriture commune.

On a dit avec raison que les écoles gardiennes sont la continuation de la crèche-école, et rien de plus. Elles sont l'acheminement, la préparation à l'école primaire, la pépinière de l'école primaire, comme les écoles d'adultes en sont le couronnement.

Dira-t-on que si les écoles gardiennes ne sont pas des établissements d'enseignement primaire tel que cet enseignement est organisé par la loi de 1842, toujours est-il que ce sont au moins des établissements d'enseignement.

Est-on autorisé à dire, en l'affirmant, que les écoles gardiennes tombent sous l'application de la loi du 19 décembre 1864 ? Mais dans cette loi il n'est pas dit un seul mot des écoles gardiennes.

On y parle des écoles primaires, de l'enseignement moyen, de l’universitaire, artistique, scientifique, professionnel, de l'enseignement qui se donne dans les séminaires, dans les écoles des consistoires ; mais des écoles gardiennes, pas un mot.

C'est donc par erreur qu'on a basé sur la loi de 1864 l'arrêté relatif à l'affaire de Westcapelle et il faut bien que l'honorable ministre rectifie les considérants invoqués par l'honorable M. Vandenpeereboom en tant qu'ils s'appliquent à la loi de 1864.

La vérité est que, dans les écoles gardiennes, l'enseignement et la charité trouvent tour à tour leur place.

Mais supposez pour un instant que ce soient ou des établissements d'enseignement primaire ou des établissements de bienfaisance.

Eh bien, dans l'espèce qui nous occupe, la loi de 1864 pas plus que la loi sur la bienfaisance ne sont applicables. C'est la thèse qui a été soutenue hier par l'honorable M. Liénart d'abord et par l'honorable M. Reynaert ensuite et ici, messieurs, nous nous trouvons au cœur de la difficulté qui se présente.

Nous nous trouvons ici en présence des points qui nous divisent radicalement.

La loi de 1864, comme l'article 84 de la loi communale, interprétée par la loi de 1859, disons-nous, ne s'occupent que des fondations en faveur de l'enseignement et au profit des boursiers ou des fondations en matière de bienfaisance. Ces lois ne s'appliquent point au don manuel. Au frontispice de la loi de 1864, on lit : Loi sur les fondations en faveur de l'enseignement public et au profit des boursiers.

Le chapitre premier est intitulé : Fondations en faveur de l'enseignement public.

Evidemment, il ne s'agît donc que de fondations dans la loi de 1864, il en est de même de la législation sur la bienfaisance. Si dans des dispositions législatives on se sert du mot « libéralité », c'est, comme on dit, pro subjecta materia.

Dans ces lois, il n'est question que de dons ou de legs faits par actes entre vifs ou par testament à des personnes qui ont la qualité de personne civile, à des corps moraux, qui se perpétuent, qui existent indépendamment des membres qui les composent.

Le point à résoudre est celui ci :

L'œuvre des dames patronnesses de Bruges est-elle une fondation ? Je soutiens que non ; à mon sens, c'est une simple association créée sous le bénéfice de l'article 20 de la Constitution. L'honorable ministre de l'intérieur l'a parfaitement compris. Aussi, a-t-il senti le besoin de rapetisser outre mesure la portée du droit d'association ; il est allé jusqu'à le confondre avec le droit de réunion. Le droit d'association, a-t-il dit, c'est le droit de se réunir autant de fois que l'on veut et où l'on veut. L'honorable ministre aurait dû se rappeler l'article 20 de la Constitution et ne pas le confondre avec l'article 19 ; celui-ci définit le droit de réunion, l'article 20 consacre le droit de s'associer en vue d'une œuvre quelconque, en vue d'une œuvre de bienfaisance, d'une œuvre religieuse, scientifique, artistique ou d'agrément ; il n'est que l'application d'un principe qui avait été déposé dans le décret de 1830, décret qui fut un hommage rendu à la liberté d'association, une réparation décrétée d'urgence pour réagir contre le régime hollandais.

C'est l'article 20 en mains que les dames patronnesses se sont présentées à la députation permanente de la Flandre occidentale.

Réclament-elles la personnification civile ? demandent-elles un privilège quelconque ? veulent-elles se placer en dehors du droit commun ? Nullement. Elles demandent à vivre au jour le jour. Y a-t-il dans l'institution qu'elles veulent créer l'ombre d'une personne civile, l'ombre d'une fondation ? Qui dit fondation, dit nécessairement personne civile. Je ne conçois pas de fondation sans qu'il y ait de personne civile créée ou à créer.

Ici M. Pirmez m'arrête et me dit : Vous vous trompez ; il y a là réellement une fondation, car les dames patronnesses ont la prétention de posséder un bâtiment, ou même de faire passer la propriété de ce bâtiment sur la tête d'un tiers, et ce tiers ne peut être que le couvent qui est derrière elles. Ne se sont-elles pas adressées aux religieuses pour en faire des maîtresses d'école ? N'est-il pas question d'annexer la salle d'asile aux-bâtiments du couvent déjà existant, et, circonstance grave, ne sont-ce pas les mêmes dames patronnesses qui ont fourni les fonds pour bâtir les locaux qu'habitent actuellement les religieuses de Westcapelle ?

MiPµ. - Je n'ai point affirmé cela.

C'est M. Vandenpeereboom qui a produit cet argument.

M. Tackµ. - Mais d'abord, messieurs, à qui voulez-vous que les dames patronnesses se fussent adressées ? Trouveraient-elles dans toute la commune de Westcapelle d'autres personnes que les religieuses disposées à se charger du soin des enfants indigents, capables de diriger une école gardienne ? Comment pourraient-elles réaliser plus économiquement le but qu'elles poursuivent ? J'ai le droit de le dire, c'est toujours le même système ; partout où, directement ou indirectement, intervient un religieux ou une religieuse, aussitôt on découvre une fondation ; aussitôt apparaît l'hydre cléricale, la mainmorte, la personnification civile et les abus d'un autre âge.

Cela est en quelque sorte stéréotypé et de style. On a, pour toutes les circonstances, des présomptions juris et de jure, à l'effet d'établir que le couvent absorbe et envahit tout.

Mais, messieurs, lorsque des administrations d'hospices ont recours aux sœurs hospitalières pour faire desservir les hôpitaux, lorsque l'Etat a recours à des religieux pour faire desservir ses prisons, lorsque les hospices civils envoient dans nos Flandres, dans ces affreux couvents, leurs orphelins, leurs enfants trouvés pour les y faire élever, est-ce que l'Etat, est-ce que les hospices sont absorbés par les prétendus couvents qui leur servent d'intermédiaires ? Quelle différence y a-t-il entre ces cas et celui où une association a recours à des religieux ou à des religieuses indépendantes ? Parce qu'elles se servent de l'intermédiaire de religieux ou de religieuses, est-ce que ces associations sont absorbées par les couvents ?

Je connais un peu les écoles gardiennes de la ville de Courtrai ; eh bien, je sais fort bien que les religieuses qui y interviennent ne sont là que comme maîtresses ; ce sont bien les dames patronnesses qui administrent, qui reçoivent les enfants, qui fournissent les ressources ordinaires, habituelles, le mobilier de l'école, ce qu'il faut pour la distribution de prix ; ce sont bien elles qui payent le loyer du local et le traitement du personnel ; ce sont bien elles enfin qui sont propriétaires des établissements qu'elles gèrent et administrent.

L'article 20 de la Constitution, en permettant les associations dans un but scientifique ou autre, a voulu faire quelque chose de sérieux ; il a voulu accorder les moyens de mettre en pratique le droit d'association. Vous voulez bien permettre que l'on crée des salles d'asile ; mais vous ne permettez pas à une association de posséder un local. La propriété d'un local est pour vous un indice certain que l'association veut perpétuer son œuvre. Comment voulez-vous que l'œuvre subsiste sans local ? Mais, nous demande-t-on, qui sera propriétaire du local ? Sera-ce le couvent, la personne civile, nous dit l'honorable ministre, ou bien seront-ce les associés, les dames patronnesses ? Si ce sont les dames patronnesses et qu'elles changent la destination du local, qu'en sera-t-il ?

A cette question, je me permets de répondre par une autre question : (page 1060) l'honorable ministre admet que des associations de bienfaisance puissent ouvrir des souscriptions, des collectes, des loteries même, pour en appliquer le produit à l'administration de secours à domicile, par exemple, dans un moment calamiteux ; dans ce cas les souscriptions, les collectes, les loteries sont autorisées. Eh bien, je demanderai à mon tour à qui appartiennent les fonds provenant des souscriptions, des collectes, des loteries dans cette hypothèse, qui en a la propriété ?

Qu'arriverait-il si les personnes qui ont fait la collecte voulaient donner aux fonds qu'elle a produits une autre destination, soit parce que la moisson recueillie a excédé les besoins, soit pour tout autre motif ? A qui appartiendra la propriété des fonds ? Lorsqu'il s'agit d'appliquer les fonds à l'acquisition d'un immeuble, la situation n'est-elle pas identiquement la même ?

Vous n'êtes point d'accord avec vous-même quand vous accordez l'autorisation de faire des collectes, d'organiser des loteries pour en affecter le produit à des distributions de secours, et que vous refusez cette même autorisation quand il s'agit de faire des collectes, d'ouvrir des loteries pour en appliquer le produit à l'érection de salles d'asile.

Et voyez jusqu'où mènent les conséquences du système que l'on a préconisé.

Supposez un particulier qui bâtit une école gardienne ; au bout de peu de temps, l'école est trouvée trop exiguë ; mais les ressources de celui qui l'a érigée sont épuisées ; un tiers intervient et déclare à celui quia créé l'œuvre qu'elle a toutes ses sympathies ; il l’engage à la développer, à l'étendre, et met à sa disposition la somme nécessaire pour agrandir, pour doubler les constructions existantes, y en ajouter de nouvelles.

Or, messieurs, quelle serait dans ce cas la conséquence de votre système ?

Est-ce que celui qui a fait ce don aurait fait une fondation et que le premier bourgmestre venu pourrait venir dire à celui qui a reçu la libéralité : Vous possédez là une libéralité qui ne vous appartient pas ; cette somme appartient à la commune qui a le droit d'en réclamer la saisine et la gestion.

Y a-t-il, je le demande, quelqu'un qui veuille admettre une conséquence pareille ? Je ne le crois pas, et cependant c'est bien là que conduit la théorie vantée par M. le ministre de l'intérieur.

Dans ces conditions, mon honorable ami, M. Reynaert, a eu raison de dire que le droit d'association n'est qu'un mythe.

Oui, messieurs, le droit d'association ainsi compris est une véritable fiction, une illusion, une espèce de feu follet, un mirage décevant qui s'évanouit du moment qu'on veut s'approcher de la mise en scène, un trompe-l'œil, une étiquette fallacieuse inscrite dans la Constitution, pour la forme.

Voilà, messieurs, la conséquence pratique de votre système. Vous nous accordez beaucoup en théorie, mais en pratique rien. Du moment que l'on essaye de saisir la réalité, le droit d'association s'évanouit ; il est radicalement impossible de l'exercer.

M. le ministre de l'intérieur nous a parlé également de la loi sur les loteries.

L'autorisation d'ouvrir une loterie est un privilège, nous a-t-il dit. Mais, non, messieurs, c'est une erreur manifeste ; la loi sur la loterie a été faite en vue d'empêcher l'exploitation des mauvaises passions ; elle a permis les loteries qui auraient un but d'utilité publique réelle ; de manière que quand ce but est bien établi le gouvernement n'a pas le droit de refuser l'autorisation sollicitée, il a le devoir de l'accorder.

Or, ce but d'utilité publique dans l'affaire de Westcapelle ne saurait être révoqué en doute.

La loterie n'est après tout, comme on l'a dit, qu'un mode de recueillir les dons manuels ; elle ne diffère pas, au fond, de la souscription, de la cotisation, de la collecte ; dès lors si vous autorisez celles-ci, vous devez également autoriser celle-là. Que si l'on restreint les collectes, les souscriptions, les cotisations, les loteries, comme on prétend le faire, il n'y a plus d'œuvres charitables possibles, et, à son tour, la liberté d'enseignement est impraticable.

Pour fructifier il faut que la charité puisse s'associer. Où sont les fortunes individuelles qui permettent à leurs heureux possesseurs de fonder eux-mêmes, avec leurs propres ressources, sans la coopération de personne, des établissements d'enseignement ou de charité ? On les chercherait vainement ; ils n'existent qu'exceptionnellement.

D’un autre côté, les établissements de bienfaisance privée ne peuvent plus réclamer de personnification civile ; comme on l'a dit avec raison, le monopole de la personnification civile comme le monopole du budget sont définitivement et exclusivement entre les mains de l'Etat.

Si nous critiquons l'arrêté royal de novembre 1867, c'est parce que nous y voyons en germe un système tout nouveau, une innovation dangereuse, compromettante au plus haut point pour nos libertés les plus précieuses, pour la liberté d'enseignement et pour la liberté d'association.

Avec un pareil système, la charité privée est vinculée, paralysée, frappée d'impuissance, dépouillée qu'elle est du droit d'association, dont elle a un indispensable besoin et qui lui fait complètement défaut ; et il ne reste plus que le monopole de l'Etat et l'inquisition s'étendant à tout, et représentée par la personne d'un bourgmestre, d'un président des hospices ou des bureaux de bienfaisance.

Au demeurant, il s'agit ici d'une question de bonne foi. Est-il vrai, oui ou non, qu'il a été entendu, lors de la discussion de la loi de 1864, que les écoles gardiennes ne tomberaient pas sous l'application de cette loi ?

Il suffit, pour se convaincre de l'affirmative, de lire le rapport de l'honorable M. Bara.

Dès lors où les communes puiseront-elles leur droit de saisine et de gestion ?

On répondra : Ce sont des établissements de bienfaisance, et partant les hospices ont la gestion de leur bien. Je serais curieux de savoir en vertu de quel texte de loi les salles d'asile tombent dans les attributions des hospices civils ou des bureaux de bienfaisance. Les hospices civil» ont pour mission de recueillir des malades, de diriger les hôpitaux, les hospices d'infirmes et de vieillards, les orphelinats, les établissements d'aliénés ; les bureaux de bienfaisance distribuent des secours à domicile. Mais où est-il dit que les hospices sont chargés du service des écoles gardiennes ?

D'où inférez-vous que les écoles gardiennes rentrent dans les attributions des hospices civils ? Les hospices civils, comme les bureaux de bienfaisance, sont des personnes civiles dont les attributions sont limitées ; ces attributions, on ne peut pas les étendre.

Je terminerai par une dernière réflexion : si arbitraire et si violent que soit le système qu'on veut faire prévaloir, il peut jusqu'à un certain point paraître logique, lorsqu'il s'applique à l'enseignement primaire ou aux établissements de bienfaisance ; il ne l'est plus quand vous voulez l'appliquer aux écoles gardiennes. Pour les établissements de bienfaisance, il existe une personne civile, un être moral, qui est obligé, par devoir, d'accepter les libéralités qui sont faites en matière de bienfaisance ou d'enseignement.

Mais en ce qui concerne les écoles gardiennes, vous l'avez dit vous-même, il est facultatif pour les communes d'en établir ou de ne pas en établir.

Ainsi, il peut dépendre de la volonté, de l'obstination d'une commune de rendre un bienfait inutile. Quel moyen aurez-vous de contraindre la commune qui refusera d'accepter la libéralité qui lui est faite, quand il s'agit d'une école gardienne.

Avant de me rasseoir, je déclare, comme en commençant, que, selon moi, l'arrêté de la députation permanente de la Flandre occidentale est en tout point conforme aux vrais principes et aux dispositions légale sur la matière et que l'arrêté royal du mois de novembre 1867 n'eût jamais dû infirmer la résolution de l'autorité provinciale.

MjBµ. - Messieurs, plusieurs orateurs m'ont fait intervenir dans ce débat, et ont prétendu prouver que l'arrêté royal, contresigné par mon honorable ami, M. Alphonse Vandenpeereboom, était contraire aux principes déposés dans la loi de 1864 et notamment au rapport que j'ai eu l'honneur de faire sur cette loi. La Chambre me permettra d'exposer en peu de mots les raisons qui établissent à toute évidence que l'arrêté royal dont il est question est parfaitement légal ; qu'il était impossible d'en prendre un autre ; que cet arrêté n'est aucunement en opposition avec la loi de 1864.

Je démontrerai de plus que, loin d'attaquer l'arrêté de 1867 contresigné par l'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom, on devrait s'étonner des attaques dont cet acte est l'objet, et surtout des nouvelles prétentions que nos adversaires affichent.

En effet, c'est une nouvelle prétention qui est formulée, une nouvelle exigence qu'on manifeste au profit des associations.

Quels sont les faits ? Des dames demandent l'autorisation d'ouvrir une loterie pour payer les dépenses d'un bâtiment qu'on veut élever près d'un couvent et qui doit servir, dit-on, à une école gardienne.

Jusque maintenant, jamais on n'avait entendu parler de loteries destinées à payer des immeubles ; on avait bien entendu parler (page 1061) d’immeubles mis en loterie ; mais jamais, je le répète, on n'avait organisé de loteries pour acquérir des immeubles.

Le parti que nous combattons est constamment à la recherche des moyens qui peuvent conduire à la personnification civile et à la mainmorte ; c'est là le but suprême, le desideratum du parti catholique.

S'il échoue dans une de ses tentatives, il recommence une autre manœuvre ; il n'est pas de loi qu'il ne scrute dans tous ses coins et recoins pour y découvrir le moyen d'obtenir l'objet constant de ses désirs.

On demandait donc à organiser une loterie au profit d'une école gardienne. Que devait faire le gouvernement, en présence de l'arrêté de la députation permanente qui accordait l'autorisation sollicitée ? Il devait examiner si la députation permanente s'était conformée à la loi. Or, l'arrêté de ce collège est tout à fait illégal.

Il suffit, pour s'en convaincre, d'ouvrir la loi de 1851 sur les loteries. Je ferai observer d'abord que l'on interprète cette loi d'une façon véritablement extraordinaire. L'honorable M. Tack, répétant ce qui avait été dit hier par les honorables MM. Liénart et Reynaert, soutenait tout à l'heure que la loterie est de droit commun, que chacun a le droit d'en user ; et que quand on prohibe une loterie, on porte, en quelque sorte, atteinte à la liberté individuelle.

C'est le contraire qui est vrai. La loterie n'est pas un droit, c'est une faveur, une exception, elle ne peut avoir lieu si elle n'est autorisée. Et pourquoi ? Parce que l'on ne peut laisser à l'individu le droit de spéculer sur l'appât du gain, dans n'importe quelle circonstance et en faveur de n'importe quel but. C'est tellement exact que ces honorables orateurs ont reconnu qu'on devait réserver les loteries pour des buts d'utilité publique. S'il en est ainsi, vous voyez bien que la loterie n'est pas un droit qui est dans le domaine des particuliers ; c'est quelque chose qui relève de la puissance publique, un moyen de créer des ressources qui ne peut être mis en œuvre que de l'assentiment de l'autorité.

Quelle était la situation légale avant la loi de 1851 ? Les loteries étaient prohibées d'une manière absolue. Mais en fait on avait toléré un certain nombre de loteries, et on a voulu régulariser cet état de choses ; on a reconnu que la prohibition absolue des loteries pouvait offrir des inconvénients et qu'il était utile de les autoriser dans certains cas.

Mais, messieurs, en permettant d'autoriser les loteries dans des circonstances déterminées, le législateur a-t-il voulu que la loterie devînt un moyen habituel de créer des ressources pécuniaires ?

Lisons, messieurs, la circulaire que l'auteur de la loi, l'honorable M. Tesch, fit paraître quelque temps après sa publication. Cette circulaire est du 20 avril 1852 :

« Le nombre sans cesse croissant des demandes tendantes à l'établissement de loteries doit faire supposer que l'on est généralement dans l'erreur sur le but et la portée de cette dernière loi. Elle n'a point été faite pour rétablir les loteries, pour multiplier ce genre d'opérations ; elle a, au contraire, voulu confirmer, en les renforçant, les prohibitions contenues dans les lois antérieures. Et si elle a permis l'emploi de la forme des loteries pour certaines opérations, ce n'a été que pour des cas très exceptionnels et lorsque le fond même de l'opération est en quelque sorte justifié par l'utilité publique. »

Ainsi donc, messieurs, quelle est la signification de la loi de 1851 ? Elle prohibe la loterie de la manière la plus formelle, mais elle permet d'en faire usage dans des cas très exceptionnels.

Si le système préconisé par les honorables membres était admis, qu'arriverait-il ? Mais la loterie serait un moyen usuel, journalier. Les besoins de l'enseignement, les besoins de la charité sont de tous les jours, de tous les instants. S'il vous était permis de recourir à la loterie en toutes circonstances pour satisfaire à ces besoins, si, comme le disait l'honorable M. Tack, dès que le but est justifié le gouvernement n'a rien à voir, rien à examiner, il en résulterait que les loteries ne seraient plus un moyen auquel on dût recourir très exceptionnellement ; ce serait un moyen qui tous les jours serait mis en œuvre.

La loi de 1851 est empruntée à la législation française : eh bien, nous allons voir ce que c'est que la loterie, d'après la loi qui régit cette matière en France.

La loterie ne peut être autorisée que pour des cas très exceptionnels, lorsque par exemple il s'agit de secourir des particuliers dans des moments calamiteux, ou plus exceptionnellement encore s'il y a un besoin tout particulier de bienfaisance, de charité ou de piété qui se présente ; la loterie ne peut servir qu'à faire face à des besoins extraordinaires et tout à fait passagers. Le produit de la loterie employé, il n'en doit plus rester de trace.

Si tel est le but véritable de la loi, les bienfaits doivent être passagers et s'appliquer à un besoin momentané, extraordinaire.

Voilà comment la loterie doit être envisagée. Aussi quels sont les termes de la loi ?

« Sont exceptées de la disposition de la présente loi, les loteries exclusivement destinées à des actes de piété ou de bienfaisance. »

A des actes et non pas à des fondations, c'est-à-dire à des actes passagers nécessités par des événements extraordinaires.

Et vous allez voir plus intimement la pensée du législateur français. Voici ce que disait, au sujet de la loi de 1836, le ministre de l'intérieur dans une circulaire du 22 décembre 1845 :

« On irait évidemment contre le vœu de la loi si parmi les actes de bienfaisance susceptibles d'être autorisés, on comprenait les loteries qui n'auraient pour but que de venir en aide à des infortunes particulières. On s'exposerait à multiplier les loteries au delà de toute mesure; chaque misère spéciale, chaque indigence isolée aurait recours à cet expédient, et un tel abus, en se propageant, aurait pour résultat de discréditer l'exception introduite par la loi, de créer une mendicité déguisée qui ne serait pas la moins importune. Il est donc nécessaire que les souffrances pour l'adoucissement desquelles une loterie sera autorisée, aient un caractère général, qu'elles pèsent sur des classes entières, sur une portion notable de la population.

« Vous considérerez également comme devant être rangés dans cette catégorie de malheurs publics les désastres qui seraient la suite d'une inondation, d'un incendie, de la grêle, de la mauvaise récolte, de tout accident qui atteindra dans ses ressources une commune ou une contrée. »

Voilà le principe général de la loi.

La loi a autorisé la loterie dans le cas d'œuvres de bienfaisance extraordinaires, passagères, et non pas pour les besoins ordinaires de la bienfaisance. Et il ajoutait :

« D'autres œuvres que vous aurez à apprécier selon les besoins des localités pourront également présenter le caractère de généralité qui devra toujours servir de base à l'autorisation officielle accordée à une loterie ; mais il ne suffirait pas, pour qu'elle dût être accueillie, que la demande en autorisation indiquât comme but de la loterie la création d'un établissement charitable ou toute autre œuvre d'intérêt public. » Cela est clair.

Ainsi donc la demande ne doit pas être accueillie lorsqu'on indique pour but la création d'un établissement charitable.

Or, qu'a-t-on demandé à Westcapelle ? On a demandé de fonder un établissement charitable, une école gardienne.

Eh bien, en France comme en Belgique, dans des cas pareils l'autorisation d'ouvrir une loterie ne peut être accordée ; je viens de le montrer par la signification donnée en France aux mots : « actes de bienfaisance ».

Avais-je tort de dire que nous nous trouvions en face d'une prétention nouvelle, et qu'il y avait un nouveau chapitre à ajouter au programme du parti que nous avons l'honneur de combattre.

Voilà que maintenant pour les besoins de la charité privée, pour les besoins de l'enseignement privé, il va falloir créer des ressources financières à l'aide de la loterie !

Et voulez-vous avoir la preuve que d'après la loi française qui a servi de modèle à notre loi de 1851, les sommes recueillies doivent être dépensées immédiatement ou dans un délai limité, et qu'elles ne peuvent servir à créer des fondations ?

Continuons la lecture de la circulaire que j'ai invoquée il y a un instant :

« Lorsque vous croirez devoir accorder l'autorisation sollicitée, il vous appartiendra toujours de décider s'il y a lieu d'exiger qu'une commission constituée suivant les formes tracées par votre arrêté, soit chargée de veiller au placement provisoire et ensuite à l'emploi sage et régulier des fonds recueillis. »

Or, je vous le demande, comment est-il possible qu'une commission surveille l'emploi des fonds et rende compte de cet emploi si l'argent doit servir à une institution d'une durée perpétuelle ? Le droit accordé au préfet de nommer une commission indique à toute évidence que les fonds obtenus à l'aide de la loterie doivent être consacrés à des besoins momentanés.

Si je compare la législation française avec la nôtre, je vois que la situation n'est pas plus mauvaise chez nous qu'en France. Que diriez-vous, en effet, si, en autorisant uns loterie, nous formions en même (page 1062) temps une commission qui serait chargée d'en surveiller l'emploi des fonds ?

M. Teschµ. - Cela s'est fait.

MjBµ. - Oui, mais rarement, je pense. N'est-ce point la preuve que la loterie n'est pas dans le droit commun. Car s'il s'agissait d'un droit individuel, comment pourrait-on en régler l'usage, et comment pourrait-on forcer un citoyen à rendre compte des ressources qu'il se serait procurées par l'exercice de ce droit ?

Il est donc bien évident que l'article 7 de la loi de 1851 n'a pas été violé.

Mon ancien collègue de l'intérieur, l'honorable M. Vandenpeereboom, ne pouvait faire autrement que d'annuler l'arrêté de la députation permanente. S'il n'avait pas pris cette mesure, il aurait formellement contrevenu à l'article 7 de la loi de 1851, en autorisant une loterie en faveur d'une fondation.

Pour justifier la nouvelle prétention qu'on formule à propos de la loterie, on invoque la liberté de l'enseignement, et vous avez entendu, messieurs, se renouveler les attaques qui reviennent périodiquement contre l'opinion libérale.

Il n'y a plus, dit-on, de liberté pour les particuliers.

L'Etat a tout confisqué ; il a le monopole de toutes les faveurs ; aux citoyens qui veulent enseigner, s'associer, faire la charité, il ne laisse que le monopole de toutes les tracasseries, d'après M. Jacobs, de toutes les persécutions, d'après M. Reynaert.

Eh bien, messieurs, examinons d'abord en droit et ensuite en fait quelle est la situation de ces pauvres, de ces malheureux persécutés ?

En droit, qu'est-ce que la liberté d'association, qu'est-ce que la liberté d'enseignement ont de commun avec la loterie ? Mais la liberté d'enseignement, comme l'a dit hier mon honorable collègue M. Pirmez, c'est le droit d'enseigner. La liberté d'association, c'est le droit de s'associer.

Mais, dit l'honorable M. Tack, il ne suffit pas d'enseigner, il ne suffit pas de s'associer. Il faut une chaire, il faut un local. Or, ajoute l'honorable M. Tack par voie de conséquence, si vous permettez la liberté d'association, il faut permettre aux associés d'avoir une propriété pour tenir leurs réunions. Ce sont là deux choses essentiellement distinctes et il sera facile de le démontrer par des faits. Je suppose que je veuille m'associer avec l'honorable M. Tack ; eh bien, nous mettrons nos biens en commun. Aurons-nous besoin de la liberté de fonder ? Evidemment non. Si nous n'avons pas d'immeubles, nous n'en apporterons pas. Si nous en avons, nous les apporterons. En quoi serons-nous gênés ? Avons-nous besoin d'une loterie pour nous associer ?

M. Tackµ. - Je n'ai pas dit cela.

MjBµ. - Vous nous avez reproché de priver les citoyens des moyens qu'ils avaient pour mettre en pratique la liberté d'enseignement et la liberté d'association.

Reconnaissez donc avec moi que la loterie est complètement étrangère au droit d'association ; aussi étrangère, comme le disait l'honorable M. Nothomb, à propos d'une autre matière, que la géométrie l'est à la religion.

La loterie, c'est un moyen de se procurer de l'argent. Mais quelle corrélation y a-t-il entre un moyen de se procurer de l'argent et h liberté d'association ou la liberté d'enseignement ? Je n'en vois pas. A moins qu'on ne s'associe uniquement pour se procurer de l'argent, et alors on forme une société commerciale ou civile.

Mais si l'association n'a pas pour but de se procurer de l'argent, on peut s'associer sans avoir besoin de la loterie.

Je veux encore prendre tin exemple pour convaincre les honorables membres.

La Constitution proclame la liberté de la presse, c'est évidemment pour chacun le droit de fonder un journal. Un journal peut aussi avoir un but d'utilité publique ; il y a même des journaux qui sont des institutions catholiques. Eh bien, si quelqu'un voulait ouvrir une loterie pour obtenir dés abonnés à un journal, devrait-on l'autoriser ?

La liberté de la presse serait-elle atteinte par l'annulation de l'arrêté qui aurait autorisé une loterie de ce genre ?

La liberté de la presse peut vivre sans loterie. Et cependant il faut de l'argent ! mais il faut se le procurer par les moyens ordinaires. La liberté des professions est proclamée. Un particulier ne peut-il exercer sa profession parce qu'il ne lui est pas permis de recourir à la loterie ?

M, Tackµ. - Personne n'a soutenu le contraire.

MjBµ. - L'honorable M. Tack reconnaît que personne n'a soutenu le contraire. Cependant j'ai entendu dire tout à l'heure que la liberté d'enseignement, que la liberté d'association ainsi réduites n'étaient plus qu'un feu follet.

M. Tackµ. - C'est un chaînon.

MjBµ. - C'est cela. La proscription de la loterie est un chaînon de la persécution. Nous verrons tout à l'heure les autres.

Quelle est la question qui se trouve au fond de ce débat ? Celle de la liberté de fondation, c'est cette liberté qu'il faut à nos adversaires, et si là n'était leur véritable pensée, pense-t-on qu'ils auraient dépensé tant d'éloquence pour cette petite affaire de Westcapelle, qui ne valait peut-être pas dix minutes de discussion ? Nos honorables adversaires en reviennent toujours aux mêmes idées. « Nous ne pouvons pas vivre, disent ils, sous le régime actuel » C'est leur thème favori. L'échec de 1857 ne leur a rien appris, absolument rien. Evidemment ils ne viendront plus avec la loi des couvents, mais ils sont gênés, ils cherchent par tous les moyens s'ils ne pourraient sortir de la situation dans laquelle ils se trouvent et leurs aspirations se manifestent à propos d'une affaire de loterie.

Ces aspirations se produiront bientôt dans la Chambre d'une manière beaucoup plus grave et beaucoup plus importante. Déjà, dans des assemblées étrangères à cette Chambre, on a réclamé des moyens de fonder pour les associations religieuses. On a dit que leur situation est trop précaire, que ce sont des agonisants, qu'elles ne peuvent pas vivre ainsi ; il faut des ressources ; et même on a formulé le système et promis de le présenter à la Chambre.

Il est bon, messieurs, de rappeler de temps en temps les programmes que l'on tient en réserve.

- Un membre. - En vue des élections.

MjBµ. - En vue des élections, dites-vous, eh bien, si c'est en prévision des élections que je parle, je demanderai dans quel but s'est produite cette violente attaque que M. Reynaert a dirigée contre toute la politique libérale à propos de la petite affaire de Westcapelle.

Je demanderai pourquoi on vient dire qu'il n'y a plus de liberté pour les particuliers, que les associations sont persécutées, que les chaires ne sont plus libres, si ce n'est dans un intérêt électoral ? Si vous croyez devoir dire aux électeurs vos maux, vos persécutions, vos griefs, vous me permettrez bien aussi de dire vos aspirations et de montrer que non seulement vous n'êtes pas persécutés, mais que vous vous portez très bien, parfaitement bien et peut-être trop bien. (Interruption.)

Messieurs, vous connaissez la situation qui est faite aux associations religieuses, aux associations d'enseignement, de charité, de piété, etc. Ces associations, comme toutes les autres qui ont d'autres buts, des buts profanes, sont libres. Elles se forment, se dirigent, se maintiennent comme elles veulent conformément au droit commun.

Les associations laïques ne réclament pas ; elles ne formulent pas de réclamations. On prétend le contraire, mais jusqu'à présent, leurs réclamations sont bien faibles, car personne ne les a entendues. Mais les associations religieuses réclament, et voici ce qu'elles disent, par l'organe d'un honorable orateur :

« L'association est surtout la forme des œuvres de longue haleine, elle ne s'applique guère aux entreprises d'un jour ; il faut donc qu'elles puissent, sous cette forme, fournir leur course et produire des résultats sérieux. Qu'à des intervalles rapprochés l'œuvre commencée puisse être remise en question par chacun des associés, qu'il dépende d'un seul de l'empêcher de suivre son cours, que son existence reste toujours précaire, dépendant d'un caprice, ce n'est pas là vivre, c'est une agonie permanente.

« On l'a si bien compris, ajoute l'orateur, que toutes les législations ont constitué le régime des sociétés, mot synonyme d'association, sur des bases durables.

« Cette synonymie a été oublié, dans la plupart des pays, dans le nôtre notamment, soit par le législateur, soit par la jurisprudence, et l'on a restreint le régime des sociétés aux associations qui ont pour objet le lucre, un bénéfice appréciable en argent. »

Ainsi l'on constate que, dans la plupart des pays, y compris le nôtre, on n'a pas admis les sociétés religieuses, les sociétés intellectuelles à se former dans un but de lucre, qu'on n'a pas confondu l'association avec la société, on le regrette et l'on demande que les associations religieuses puissent se constituer en sociétés commerciales ou en sociétés civiles.

Ce sont, nous dit l'orateur, les associations religieuses qui se plaignent le plus du régime actuel. Et pourquoi ? L'orateur nous l'explique d'une manière très simple.

« On a vu des religieux défroqués, on a vu plus souvent des héritiers de religieux provoquer la nullité de l'acte qui a stipulé l'indivision pendant plus de cinq ans, réclamer et obtenir la vente du couvent, le (page 1063) partage de l'avoir de la communauté, avec la certitude de recueillir les applaudissements de ceux dont ils n'ont fait que suivre les conseils. »

Voilà ce dont on se plaint. En effet, la liberté, c'est le droit de s'associer, de mettre des biens en commun. Mais quand on forme des couvents, il arrive qu'un membre de la corporation meurt et que ses héritiers demandent le partage des biens. Il arrive aussi que des personnes interposées viennent à mourir et que leurs héritiers refusent de continuer le rôle de leur auteur. (Interruption.)

Que faut-il pour obvier à cet état de choses ? Il suffit de demander que l'on change l'article 815 du code civil.

Cet article dit que même par une convention on ne peut obtenir l'indivision pour plus de cinq ans. On demande que l'on change cet article, qu'on porte à trente ans le délai pendant lequel on pourra rester dans l'indivision.

De cette façon, dit-on, nous n'aurons pas la sécurité complète ; mais enfin, eu égard aux malheurs des temps, nous aurons une sécurité relative, et, après trente ans, mon Dieu ! les choses s'arrangeront peut-être.

Voilà, messieurs, ce que l'on a comploté au congrès de Malines. Cette proposition s'est fait jour ici et bientôt nous aurons à la discuter. Un honorable membre, lors de l'examen en sections du budget de la justice pour 1869, a posé la question suivante que je vais avoir l'honneur de vous faire connaître.

M. Jacobsµ. - C'est le même qui a défendu cette thèse au congrès de Malines.

MjBµ. - Evidemment, il avait promis et il exécute sa promesse.

L'honorable membre propose « de soumettre à l'examen de la section centrale l'abrogation de l'article 815 du code civil qui défend de stipuler l'indivision pour plus de cinq années, de façon à placer les communautés d'intérêts dans une position moins précaire qu'aujourd'hui, en rendant par exemple la durée de l'indivision égale à celle que peuvent avoir les sociétés commerciales, soit trente années.

« Le but de la proposition est de donner aux sociétés savantes, d'agrément, de bienfaisance religieuse, des bases normales d'existence et de mettre ainsi un terme aux expédients auxquels parfois elles recourent et qui sont de nature à frustrer le fisc. »

Messieurs, cela est bien clair. C'est un moyen indirect de constituer l'existence des corporations religieuses.

C'est, comme le disait l'honorable membre qui vient de se nommer, l'honorable M. Jacobs, le moyen donné à ces associations de fournir leur course et de produire des résultats sérieux.

Ce ne sont pas des entreprises d'un jour ; il faut qu'elles vivent, qu'elles aient de la stabilité, qu'elles se perpétuent.

On ne peut bâtir sur le sable mouvant, disait hier l'honorable M. Reynaert. Il faut des établissements à perpétuité.

M. Reynaertµ. - J'ai ajouté que je ne demandais pas la personnification civile.

MjBµ. - Je le demande à l'honorable M. Reynaert, qu'est-ce pour une association que le droit de posséder au delà de la vie de ses membres, sinon la personnification civile ?

M. Reynaertµ. - Vous ne voulez pas même qu'on occupe un immeuble.

MPDµ. - M. Reynaert, n'interrompez pas.

MjBµ. - M. le président, vous faites respecter le règlement, mais l'explication de l'honorable membre est très utile.

M. Reynaertµ. - Vous changez mes paroles.

MjBµ. - Vous prétendez que nous défendons aux particuliers d'occuper et d'avoir des immeubles.

Allez-vous amuser les électeurs avec une pareille histoire ? Allez-vous prétendre que vous ne pouvez occuper comme particulier des immeubles ? Tout à l'heure, je vous prouverai que vous avez en Belgique des quantités considérables d'immeubles que vous possédez au vu et au su de tout le pays.

Ne possédez-vous pas les collèges des jésuites ? n’avez-vous pas vos écoles primaires ? comment pouvons-nous vous empêcher de les posséder ? Ce que nous empêchons, c'est d'acquérir des immeubles à l'aide de moyens illégaux, à l'aide de la loterie.

Et parce que nous vous empêchons d'employer de pareils moyens, vous dites que vous ne pouvez pas même vous abriter sous un toit.

Mais, pour l'affaire de Westcapelle, si une des dames patronnesses avait voulu mettre un immeuble à la disposition de la communauté, aurions-nous pu l'en empêcher ?

Cessez donc votre argumentation. Vous avez le droit d'occuper des immeubles, mais vous n'avez pas le droit de recourir à un privilège pour les acquérir comme biens de mainmorte.

Messieurs, je ne veux point discuter ici la proposition de l'honorable M. Jacobs. J'espère qu'elle fera l'objet des délibérations sérieuses de la Chambre et que l'on aura l'occasion de s'expliquer.

Cette proposition de l'honorable membre, c'est le cheval de Troie. Dans ses flancs, il recèle la mainmorte.

La mainmorte pour trente ans ou pour soixante ans, c'est à peu près la même chose. Si votre principe est admis pour trente ans, vous pouvez l'étendre à une durée de soixante ans, de quatre-vingt-dix ans, comme pour l'emphytéose. (Interruption.)

Vous demandez que la communauté soit assimilée à des sociétés qui ont pour but le lucre et que l'indivision puisse dépasser le terme de cinq années.

Il est assez singulier que cette proposition nous arrive par la démocratique et libérale députation d'Anvers. C'est elle qui se charge de réaliser le mot fameux du président du congrès de Malines : « Il nous faut des couvents ! » (Interruption.)

Messieurs, il est bon pour éclairer l'opinion publique et pour modérer le zèle des personnes qui prétendent que les associations religieuses sont persécutées, d'exposer leur situation.

D'après l'honorable M. Jacobs, ces associations ne vivent pas, elles sont dans un état d'agonie permanente.

Eh bien, nous allons voir la situation de ces agonisants.

Dans la même assemblée ou l'honorable M. Jacobs promettait de formuler la proposition qu'il a introduite, un autre membre faisait le relevé des institutions catholiques, des couvents, des écoles, de toutes les autres œuvres catholiques, et voici comment il concluait :

« Ce relevé est sans doute incomplet, mais il permet d'apprécier du moins l'étendue de l'action utile de la charité privée et catholique en Belgique, malgré les obstacles qu'on lui suscite, l'état d'incertitude et la position précaire des établissements qu'elle a fondés. Voilà plus de 2,400 institutions particulières étendant leurs bienfaits à 455,000 indigents, hommes, femmes, enfants, et dépensant, pour leur venir en aide, plus de 9 millions de francs annuellement. »

Voilà donc les ressources dont disposent annuellement les persécutés, les agonisants ! Neuf millions ! A côté de cela, voyons le nombre des couvents. L'annuaire ecclésiastique de cette année accuse près de 1,100 établissements de ce genre. L'on peut dire, sans exagération, que le chiffre des couvents est en Belgique de 1,200 au moins !

Voilà, messieurs, ces institutions qui ne peuvent naître, qui ne peuvent vivre, qui sont persécutées, qui agonisent !

If n'y en a pas autant en Autriche. Il n'y en avait pas autant avant 1789, et je ne pense pas qu'il y ait un pays où la multiplication des couvents se soit produite d'une façon plus rapide et plus complète qu'en Belgique.

Eh bien, messieurs, vous voyez, ces associations si nombreuses ont un budget de dépenses annuelles de 9 millions, d'où leur vient-il ? De la charité, vous le dites...

- Une voix à droite. - Rien d'autre que cela.

MjBµ. - Et vous prétendiez tout à l'heure que nous fermions toutes les sources de la charité, que vous n'aviez pas la possibilité de recevoir...

- Une voix à droite. - Nous recevons malgré vous.

MjBµ. - Oui ; eh bien, voulez-vous savoir ce que la bienfaisance publique reçoit à côté de votre budget à vous ? Vous allez l'apprendre.

Il est à remarquer d'abord que depuis la politique libérale, qui devait arrêter l'essor de la bienfaisance publique, les donations et les libéralités au profit d'établissements publics n'ont fait que s'accroître dans une proportion qui deviendra peut-être inquiétante. (Interruption.) L'expérience est décisive. Ne dites plus que ce sont les administrations spéciales qui favorisent les libéralités, elles les détruisent. On sait ce que sont les administrations spéciales ; c'est l'abus, le désordre, la désorganisation, tandis que l'administration publique c'est l'ordre, la régularité ; en effet, avec le contrôle public, rien ne se perd. (Interruption.)

De 1831 à 1850, c'est-à-dire dans un espace de 20 ans, les libéralités en faveur de la bienfaisance publique se sont élevées à 18,234,116 fr., et pendant la période de 1851 à 1860, elles se sont élevées à 22,067,879 fr. De 1830 à 1850 les libéralités ne sont en moyenne par année que d'un million, tandis que de 1850 à 1860 elles sont de 2 millions. Jusqu'à 1866 la progression continue et nous avons pur les six dernières années 10,584,483 francs, c'est-à-dire encore environ une moyenne de deux millions par année.

(page 1064) Voilà ce que la bienfaisance publique reçoit par année. Mais vous, vous l'avouez dans des rapports que nous devons croire exacts, vous recevez chique année 9 millions de la charité privée. Eh bien, messieurs, je le demande, quand vous possédez un pareil patrimoine, comment pouvez-vous demander de fausser la loi sur la loterie au profit de vos établissements ?

Vous avez 2,400 institutions, 1,200 couvents, vous avez une université, des collèges, des écoles primaires, vous avez 9 millions à dépenser par année et vous osez venir dire : Nous sommes à l'agonie ; dans aucun pays du monde on ne peut vivre ainsi. (Interruption.) C'est M. Jacobs qui dit cela. Et là dessus il faut tout de suite proclamer le droit de rester dans l'indivision pendant 30 années.

Je crois, messieurs, qu'il est dangereux pour vous d'appeler l'attention publique sur ces mainmortes non autorisées qui se trouvent à côté de la mainmorte publique.

Non, messieurs, vous n'avez pas le droit de vous plaindre, vous avez de grandes richesses qui tournent au profit de vos œuvres, et nulle part on ne fait plus qu'en Belgique pour les œuvres catholiques.

Cela est tellement vrai que, dernièrement, je lisais dans un journal que le pape recevant la demande d'un évêque qui ne savait où aller chercher de l'argent, lu répondait : Allez en Belgique, on vous en donnera. (Interruption.)

M. Jacobsµ. - Depuis une dizaine de séances ; la discussion du budget de l'intérieur se maintenait calme, paisible, digne : M. le ministre de l'intérieur ne parvenait pas, et, j'aime à le croire, n'essayait pas de l'échauffer. Cela ne faisait pas, paraît-il, le compte de tout le monde ; M. le ministre de la justice est arrivé à la rescousse.

M. le ministre de la justice cherchait une occasion de faire ce qu'il a appelé la statistique des couvents, avant les élections. Il est une autre statistique qu'il serait infiniment plus intéressant d'avoir avant les élections, c'est celle que nous demandions avant les vacances de Pâques, la statistique de la population belge, d'après le recensement décennal, pour déterminer la manière dont le parlement belge doit être composé.

Quand nous arriverons au chapitre de la statistique, je compte bien que M. le ministre de l'intérieur nous donnera des explications à cet égard.

M. Bara, tout en me mettant personnellement en cause, a décliné l'intention de discuter la question dont j'ai saisi la section centrale chargée d'examiner le budget de la justice. Je l'imiterai, mais puisqu'il en a dit quelques mots, je demanderai la permission d'en ajouter quelques autres.

La proposition de réviser l'article 815 du code civil, c'est, à l'entendre, le cheval de Troie qui renferme dans ses flancs la mainmorte. Nous touchons au code civil ! Chose inouïe, semblerait-il, de la part des autres, car M. Bara n'a pas craint d'y toucher lui-même et je ne l'en blâme pas.

Est-ce ressusciter la mainmorte que de toucher à cet article 815 du code civil, dont l'interprétation a donné lieu à bien des controverses ?

Cet article, vous vous le rappelez, consiste en ceci : Les communautés d'intérêt qui ne réunissent pas les conditions voulues par la loi pour être des sociétés, les communautés qui n'ont pas le lucre pour objet ne peuvent être constituées pour une durée de plus de cinq années.

L'article se trouve au titre des successions et l'on a discuté longtemps en jurisprudence le point de savoir si cette défense s'applique seulement à l'indivision résultant des cohéritiers d'une succession ou bien à toute espèce d'indivision.

En Hollande, pays où la mainmorte n'existe pas plus qu'en Belgique, l'indivision n'est prohibée pour une période de plus de 5 années qu'en matière de succession.

De quoi s'agit-il ? De porter la durée permise à 30 années.

Mais, nous dit l'honorable ministre de la justice, si vous la portez à 30 années qui vous empêchera de la porter à 60, à 100, à 1000 ?

Si de 30 à 100 il n'y a qu'un pas, il n'y en a qu'un aussi et moindre sans contredit de 5 à 30. Si 30 ans de durée c'est la mainmorte, le terme actuel de cinq ans ne l'est-il pas ?

Le terme jugé nécessaire pour permettre aux sociétés d'atteindre leur but est jugé équivalent à la perpétuité lorsqu'il s'agit d'autres associations !

Où donc est le principe libéral ? Dans votre bouche ou dans la mienne ? Remarquez qu'il s'agit d'une prohibition ; on empêche la liberté individuelle, dans un but d'intérêt général, on l'empêche de stipuler l'indivision pendant plus de 5 années. Pourquoi ? Y a-t-il nécessité absolue ?

L'ordre social sera-t-il en péril si l'on étend un peu la liberté des conventions ? S'il n'en est pas ainsi, la prohibition n'est pas justifiée.

Une période de trente années, celle que vous introduisez dans le nouveau code de commerce pour les sociétés commerciales, cette période que vous pouvez même dépasser pour les sociétés civiles, car vous pouvez en faire pour la durée de votre vie, si cette période n'engage pas l'avenir, n'établit pas la perpétuité en matière de société civile et commerciale, vous voudrez bien reconnaître que cette période en matière de communautés d'intérêts qui n'ont pas le lucre individuel de leurs membres pour objet ne créerait pas davantage la mainmorte.

Je me borne, messieurs, à ces quelques mots, me réservant de traiter cette question à fond, quand la proposition soumise en ce moment à la section centrale fera l'objet des délibérations de la Chambre.

M. de Theuxµ. - Pour justifier la mesure qu'a prise le gouvernement, M. le ministre de la justice a posé tout à l'heure un principe que je considère comme complètement faux. Il a dit que les loteries ne dérivent que du droit civil. Je prétends, au contraire, que les loteries dérivent du droit naturel et que les restrictions ne dérivent que du droit civil. La loi sur les loteries est donc une loi restrictive.

Et cependant cela ne suffit pas encore ; M. le ministre veut encore restreindre le sens de la loi.

Et, en effet, où est-il allé chercher les éléments de son interprétation ? Dans une circulaire émanant d'un ministre français et concernant la loi française.

Or, je le demande, messieurs, est-ce que la France possède un monument de libertés comparable au nôtre ; et dès lors quel argument peut-on tirer d'un pareil document pour déterminer le sens de la loi qui nous régit ?

Au surplus, messieurs, la thèse qu'on soutient aujourd'hui est toute nouvelle : dans les premières années, on ne s'est jamais montré difficile sur l'octroi des loteries ; et c'est une prétention toute nouvelle que celle que M. le ministre de la justice vient défendre aujourd'hui.

Maintenant, messieurs, est-ce que M. le ministre de la justice est bien fondé à dire que nous cherchons à étendre nos libertés, à forcer le sens de la Constitution ?

II suffit de se reporter à cette époque de 1830 et de 1831 où l'on n'entendait que ce grand cri : « Liberté en tout et pour tous » et où toutes les libertés constitutionnelles étaient entendues dans le sens le plus large.

M. le ministre de l'intérieur nous a donné hier la définition de quelques libertés constitutionnelles. Je me bornerai à dire sur ce point qu'avec une pareille interprétation la pratique de nos libertés constitutionnelles deviendrait absolument impossible ; elles recevraient une application tellement étroite qu'elles n'auraient en réalité plus de valeur.

La liberté de l'enseignement serait la liberté d'enseigner. Est-ce ainsi que le Congrès a entendu cette liberté quand il a proclamé en première ligne la liberté absolue de l'enseignement et quand il a mis en seconde ligne l'enseignement donné aux frais de l'Etat ?

Il en est de même du droit d'association. Le droit d'association et la liberté de l'enseignement se prêtent mutuellement la main ; elles sont de toute nécessité unies pour arriver à fonder des œuvres réelles, sérieuses telles que le Congrès a voulu les autoriser.

On veut des libertés, mais des libertés stériles, inopérantes, des libertés sans œuvres, sans action.

Mais, nous dit-on, ce que nous ne voulons pas, c'est la liberté des fondations.

Qu'est-ce qu'une fondation ? C'est un ensemble de propriétés qui n'ont pas de maître, qui n'ont de maître que de par la loi, mais qui, à proprement dire, n'ont pas de véritable propriétaire. Ce sont, en un mot, des biens d'une nature toute spéciale.

Etait-ce là, messieurs, le caractère de l'œuvre de Westcapelle ? En aucune manière : cette propriété aurait comme toutes les autres été soumise à l'impôt ; son possesseur aurait pu en disposer comme il l'entendait. Où donc y avait-il là une violation quelconque de la loi ; où donc découvre-t-on là les caractères de la mainmorte ?

Le Congrès, messieurs, n'a pas voulu n'autoriser que des œuvres éphémères, n'ayant aucune durée ; il a compris que de telles œuvres seraient impossibles, que personne n'y prêterait son concours.

Or, messieurs, si l'opinion de M. le ministre de la justice en matière de loterie était fondée, il en résulterait que, par voie de conséquence, on en viendrait à défendre toute espèce de collectes et de souscriptions. Déjà, on a essayé de le faire ; mais heureusement la jurisprudence a (page 1065) repoussé cette prétention. Repoussez les souscriptions, repoussez les collectes comme vous repoussez les loteries ; mais alors indiquez-nous le moyen de créer encore une œuvre d'enseignement ou de bienfaisance. Est-ce un seul individu qui peut fonder une université, un collège, une école ?

Sans doute, il peut s'en trouver exceptionnellement qui consacrent leur fortune à une œuvre de bienfaisance, à une école, mais ce sont là de bien rares exceptions.

Le Congrès, messieurs, était guidé par une pensée toute autre que la vôtre ; et ici, messieurs, je me félicite d'avoir vu hier deux de nos plus jeunes collègues prendre généreusement la défense des principes constitutionnels. Ceci me paraît un signe de rénovation.

Sous le gouvernement des Pays-Bas, la loi fondamentale était très large, comparée aux constitutions de l'Empire français ; nous avons vu cependant restreindre les libertés que la loi fondamentale consacrait et n'en plus laisser qu'au profit d'une opinion hostile aux libertés religieuses ; mais les événements ont prouvé que, par une fausse interprétation de la loi fondamentale, le gouvernement avait aussi étendu son action aux libertés qui étaient chères à nos adversaires de cette époque ; et finalement il en est résulté une opposition assez générale pour forcer le gouvernement des Pays-Bas de rentrer dans la vraie pratique de la loi fondamentale ; et il était bien près d'y rentrer, à l'époque de la révolution de 1830 ; des actes nombreux avaient déjà été posés par lui.

Espérons donc que cette réaction contre les libertés religieuses qui se manifeste depuis un certain nombre d'années aura un terme, et que des défenseurs généreux des deux côtés de la Chambre s'élèveront un jour pour défendre et maintenir l'application de la Constitution dans son sens le plus naturel et le plus large, car le sens le plus large et le plus naturel se rapporte à la composition du congrès national et aux réclamations de l'époque.

MfFOµ. - Messieurs, j'ai été fort étonné d'entendre tout à l'heure l'honorable M. de Theux proclamer, de la manière la plus sentencieuse, que nous sommes occupés à restreindre les libertés garanties par la Constitution.

L'honorable membre a-t-il indiqué les libertés que nous avons restreintes ? A-t-il pu citer quelque mesure que nous aurions proposée et fait adopter par la législature, et dont le caractère serait contraire aux principes de la Constitution ? L'honorable M. de Theux s'en est complètement abstenu. Je dois dire, messieurs, que, malgré toute la déférence que j'ai pour sa parole, une simple affirmation de sa part ne peut suffire pour justifier une pareille accusation.

Si j'ai bien compris, et en limitant cette déclaration vague et générale au sujet qui nous occupe spécialement en ce moment, nous aurions restreint la liberté de la loterie ! (Interruption.) Eh bien, je n'ai jamais vu, et personne assurément n'a vu plus que moi, que la liberté de la loterie fût inscrite dans la Constitution. (Interruption.)

Si ce n'est pas cela qu'a voulu dire l'honorable membre, quand il a soutenu que la liberté de la loterie dérivait du droit naturel, pour en induire, sans doute, qu'elle ne pouvait être réglementée ni restreinte, ni même faire l'objet d'une loi de police ; car la loi actuelle n'est qu'une mesure de police dont le seul but est d'empêcher les abus, si tel n'est pas le sens des déclarations de l'honorable membre, je ne sais vraiment quelle signification l'on peut attacher à ses paroles.

Mais, messieurs, pour rester dans l'ordre d'idées admis par l'honorable préopinant, qui veut que toutes les libertés soient respectées au nom de notre pacte fondamental, je lui ferai observer que nous nous proposons, en vertu d'un engagement pris devant la Chambre et avec son assentiment, de porter atteinte à une autre liberté, par la suppression des jeux de Spa. La liberté du jeu, la liberté de se ruiner par ce moyen, dérive aussi d'un droit naturel. Qui donc s'avisera cependant de réclamer le maintien des jeux de Spa par respect du droit naturel que l'on invoque ?

Au fond, messieurs, il faut bien le dire, on poursuit un but tout autre que celui que l'on veut bien avouer. Ce qui se cache sous la liberté de la loterie, dans la pensée de l'honorable membre et de ses amis de la droite, c'est la liberté des fondations.

Eh bien, cette liberté n'est pas non plus dans la Constitution ; et je m'étonne vraiment que l'honorable M. de Theux ne se soit pas souvenu, lui qui a si bonne mémoire, que bien loin d'avoir admis en principe la liberté des fondations, qui ne serait- que le rétablissement de la mainmorte, les constituants se sont formellement refusés à l'inscrire dans notre pacte fondamental. (Interruption.)

Permettez l Qu'a-t-on proposé au Congrès, d'après les suggestions de M. le prince de Méan, archevêque de Malines ? Que demandait ce prélat : lui-même, dans la lettre célèbre qu'il adressa au Congrès, au moment où il d'libérait sur la Constitution ? Il demandait pour les associations de bienfaisance la faculté de posséder des biens comme corps moraux ; et les membres de l'opinion catholique qui siégeaient au Congrès proposèrent d'insérer dans la Constitution une disposition qui n'était pas assurément la liberté des fondations, qui ne supposait pas cette prétendue liberté, qui l'excluait, au contraire virtuellement, puisqu'elle n'aurait été qu'une concession limitée. La proposition consistait à donner aux congrégations religieuses et de bienfaisance la faculté de posséder un local, une habitation, plus certains biens pouvant donner, si ma mémoire ne me trompe pas, un modique revenu de 300 fr. par tête.

Eh bien, le Congrès, dont vous prétendez que nous désertons les traditions, le Congrès, qu'a-t-il fait ? Quand la proposition lui a été soumise,, les protestations les plus vives, les plus énergiques se sont immédiatement élevées. Comment a-t-on apprécié cette proposition, en apparence si modeste ? C'est la mainmorte que vous voulez ressusciter ! s'est-on écrié. Vous voulez rétablir les institutions anciennes, vous voulez rétablir les couvents !

Les orateurs qui combattaient cette proposition, disaient : « Que des associations religieuses se forment en Belgique ; que les capucins, les carmes, etc., se constituent librement en vertu du droit d'association ; nous n'avons rien à objecter ; c'est leur droit. Mais transformer ce droit en privilège, c'est-à-dire permettre à ces associations de posséder des biens à titre de personnes morales, nous ne le voulons pas. Ce serait revenir aux anciennes institutions, et c'est ce que nous repoussons formellement. Et la motion n'eut aucun succès.

Voilà, messieurs, ce qu'a fait le Congrès ; et fidèles à cette tradition du Congrès, nous continuons à refuser ce privilège, et nous nous efforçons de déjouer tous les moyens, toutes les manœuvres que l'on emploie pour le ressaisir, en se plaçant à côté ou au-dessus de la loi.

L'honorable M. de Theux a parlé d'une autre liberté ; il a cru devoir prendre la défense de la liberté d'enseignement, parce que, selon lui, nous comprendrions et nous appliquerions dans un sens étroit, dans un sens restrictif, la disposition constitutionnelle qui garantit cette liberté.

Messieurs, selon nous, la Constitution proclame deux choses également sacrées, également obligatoires : la liberté d'enseignement comprend le droit pour chacun d'enseigner, où il veut et comme il veut ; et l'obligation pour l'Etat d'assurer l'enseignement public. (Interruption.) C'est le sens de la disposition constitutionnelle...

M. Thonissenµ. - On a dit le contraire au Congrès.

MfFOµ. - Je vous demande pardon. L'opinion que vous défendez, si mes souvenirs sont fidèles, n'a pas été exprimée au Congrès. L'idée dominante à cette époque était celle-ci : la liberté d'enseignement, c'était le droit d'ouvrir des écoles, le droit de faire donner l'instruction à ses enfants, soit dans le pays, soit à l'étranger, par opposition aux mesures restrictives prises sous ce rapport par le gouvernement hollandais.

Cela est tellement vrai, que l'honorable M. de Gerlache, même avant la discussion de la Constitution, indiquait quels étaient, selon lui, les principes qui devaient prévaloir en cette matière, et ce sont ces mêmes principes que le Congrès a inscrits dans la Constitution. L'honorable M. de Gerlache, en réclamant la liberté d'enseignement, trouvait juste et légitime l'enseignement de l'Etat.

Mais, au surplus, quel que soit le sens de cette disposition constitutionnelle que vous ne parviendrez pas à éluder, qu'avons-nous fait qui autorise à parler de violation ou de restriction de garanties constitutionnelles ? C'est l'honorable M.de Theux lui-même qui a organisé l'enseignement supérieur ? Est-ce là ce qu'il déplore ? Si la Constitution ne lui en faisait pas une obligation, pourquoi a-t-il organisé l'enseignement supérieur ? Pourquoi surtout le faisait-il alors que les évêques avaient érigé une université catholique à Malines ? Pourquoi ne soutenait-il pas à cette époque la thèse que l'on préconise aujourd'hui, et d'après laquelle, du moment que l'initiative privée crée un établissement d'instruction, l'Etat doit s'abstenir ?

Mais, messieurs, l'honorable M. de Theux a organisé l'enseignement supérieur, et cet enseignement, nous le maintenons.

Quant à l'enseignement primaire, vous avez également reconnu qu'il devait être organisé, en vertu de la disposition constitutionnelle, et vous avez fait voter la loi de 1842.

Avez-vous dit à cette époque : Il est inutile d'organiser l'enseignement primaire ; la liberté lui suffira ; les forces individuelles seront (page 1066) assez puissantes pour assurer ce grand intérêt social ? Telle n'a pas été votre pensée ; tel n'a pas été votre langage. Vous avez, au contraire, décidé que l'enseignement primaire devait être organisé sur toute la surface du pays, même dans les localités où existaient des écoles privées. Nous maintenons l'enseignement primaire, nous le développons dans les limites de la loi, et nous chercherions en vain à l’étendre, car la loi oblige chaque commune à avoir au moins une école publique. Nous veillons à l’observation de cette prescription, que vous-mêmes avez fait sanctionner.

Restait l’enseignement moyen.

Eh bien, l'honorable M. de Theux avait pris l'engagement de l'organiser. Et l'honorable M. de Theux a déposé un projet de loi dans ce but. Et cependant il était alors en présence de nombreux collèges épiscopaux, des établissements de jésuites et d'autres congrégations religieuses qui existent encore aujourd'hui. Croyait-il donc violer la Constitution lorsqu'il proposait d'organiser l'enseignement moyen ?

Ce n'est donc pas encore à ce point de vue que nous avons méconnu les dispositions constitutionnelles. Nous les avons, au contraire, pratiquées et appliquées exactement comme vous l'avez fait, dans un autre esprit, sans doute ; mais c'est précisément pour cela que nous sommes ici. (Interruption.)

L'honorable M. de Theux veut bien reconnaître que la liberté d'association et la liberté d'enseignement existent encore. Il concède que nous ne les avons pas confisquées ; mais ces libertés sont inopérantes, elles sont inefficaces, parce que leurs œuvres sont entravées ; les moyens de les accomplir n'existent pas ! Messieurs, ceci est-il bien sérieux ? Vous possédez tous les moyens d'action que vous pouvez légitimement désirer. Avons-nous fait quoi que ce fût pour vous les ravir ? Mais les faits répondent hautement pour nous. Mon honorable ami, M. le ministre de la justice, vient de vous rappeler ce que vous prélevez annuellement pour les œuvres que vous jugez utile d'accomplir.

Mais il y a beaucoup mieux que cela.

A l'heure qu'il est, les établissements religieux et de bienfaisance, comme on les nomme, possèdent pour 40 millions d'immeubles sur le petit territoire delà Belgique. (Interruption.) Et ce n'est là qu'une minime partie des richesses considérables accumulées, en un temps qui n'est pas bien long. Car ce n'est que l'indispensable, puisqu'il s'agit à peu près exclusivement des locaux nécessaires aux établissements et aux œuvres en vue desquelles ils existent. Mais ce que représentent, indépendamment des immeubles, les valeurs mobilières qu'ils contiennent, voilà ce qui est inconnu, et ce qui atteint un chiffre considérable. Et si vous voulez en avoir l'évaluation calculée seulement à raison d'une certaine somme de revenu par tête des personnes qui se trouvent dans ces établissements, vous arriverez à une rente vraiment énorme.

- Un membre. - Et les dettes.

MfFOµ. - Je constate des faits que ces prétendues dettes ne sauraient modifier. Or, messieurs, il se trouve de 15 à 16 mille personnes dans ces établissements religieux. (Interruption.)

Remarquez bien que je suis si fortement, si énergiquement partisan dc la plus grande liberté en cette matière comme en toute autre, que je vois ces choses-là sans songer jamais à y porter atteinte, parce qu'elles résultent de l'usage d'un droit. C'est le droit de se réunir, de professer et d'enseigner, de revêtir tel costume qu'on veut ; ces droits, il faut les défendre, les protéger, sauf à juger les actes et les doctrines. Mais les privilèges, nous entendons les repousser.

M. Tackµ. - C'est ce que nous voulons.

MfFOµ. - Non ! vous voulez autre chose !

Je constate donc qu'il y a 15 à 16 mille personnes dans ces établissements ; ces personnes ne peuvent pas vivre d'air seulement et quelle que soit leur pureté, elles n'en sont pas arrivées cependant à être de purs esprits. Elles ont bien quelque chose de matériel, et doivent boire et manger et se vêtir comme le reste des mortels. Cela coûte une somme quelconque. Supposez-la aussi minime que vous voulez par tête, et faites la multiplication ; vous seriez étonnés de voir à combien de millions s'élève la somme qui est ainsi absorbée annuellement.

Mais, dira-t-on, ces biens et ces revenus résultent de dons volontaires, et ce prélèvement fait sur la masse sociale n'a pas le même caractère que s'il était opéré à l'aide de l'impôt. Je ne le conteste pas ; mais au point de vue économique et social, c'est exactement la même chose. (Interruption.)

C'est la nation qui supporte cette charge. (Interruption.)

Permettez ; si ces institutions contenaient un très grand nombre d'individus qui ne seraient pas utiles au but qu'on veut atteindre, si le personnel entretenu n'était pas en rapport avec le service rendu, il est évident que ces personnes vivraient sans travail et seraient nourries par d'autres. Cela est clair. Et quels seraient ceux qui les nourriraient ? Mais ceux qui travaillent.

M. Van Overloopµ. - Ce sont des personnes qui travaillent.

MfFOµ. - Je suppose pour un instant qu'il y ait des personnes, en plus grand nombre qu'il n'en faut pour l'accomplissement de l'œuvre, en vue de laquelle l'établissement a été institué. Dans cette hypothèse, ces personnes seraient évidemment à charge de la société.

C'est en quoi, messieurs, ces sortes d'institutions présentent, au point de vue des intérêts généraux de la société, certains dangers. Une des grandes causes qui ont fait tomber ces institutions, c'est que la facilité de vivre dans de pareilles conditions fait qu'un nombre trop considérable de personnes cherchent à s'y établir, et viennent ainsi, en réalité, surcharger et appauvrir la société.

Mais je ne veux pas entrer davantage dans cette question. Je me borne à vous montrer quelle est la véritable situation, et à vous faire comprendre que ce n'est pas pour les intérêts que vous défendez qu'elle est inquiétante. C'est bien plus la société qui aurait à s'en préoccuper.

Vous vous dites cependant persécutés ; vous prétendez que la situation qui vous est faite ne vous donne pas toute la sécurité, toutes les facilités nécessaires. Au fond, que demandez-vous ? Vous demandez deux choses ; la première, de ne pas payer l'impôt et d'être protégés contre le fisc ; et la seconde, d'être protégés contre les héritiers ! (Interruption.)

Voilà l'objet fondamental de toutes les réclamations que l'on soulève. (Interruption.) On dit, en ce qui touche le fisc : Si des particuliers assemblés, réunis, et possédant en vertu du droit commun, sont obligés à chaque transmission de payer des impôts, le fisc emportera une part trop considérable des propriétés.

Et l'on se défend contre le fisc par une série de combinaisons qui tendent toutes au même but : tâcher, à l'aide de certaines dispositions, plus ou moins habiles, d'échapper au droit commun.

M. Dumortierµ. - Cela ne doit pas être.

MfFOµ. - Cela ne devrait pas être ; malheureusement cela est ! On invoque mille prétextes pour échapper à l'impôt.

Voilà le premier grief que l'on formule. Eh bien, je dis que l'on a tort de se plaindre d'une obligation qui incombe à tous les citoyens, celle de payer l'impôt qui doit assurer les services dont tous les citoyens profitent. Il faut accepter résolument les conditions du droit commun. C'est une charge, je le reconnais. Mais il faut subir cette loi ; elle est même favorable, à un certain point de vue, à vos corporations.

M. Delcourµ. - Nous ne la repoussons pas.

MfFOµ. - Il y a malheureusement trop de procès que nous avons eu à soutenir, qui prouvent qu'on la repousse.

Votre seconde proposition est celle-ci : Etre défendu contre les héritiers.

L'honorable M. Jacobs nous dit : Donnez-nous 30 ans de sécurité, et je tâcherai d'échapper à cette difficulté-là.

M. Jacobsµ. - Pour les associés.

MfFOµ. - D'autres disent ; Vous ne reconnaissez de sociétés que celles qui sont établies en vertu dc l'article 1832 du code civil, c'est-à-dire lorsqu'elles sont constituées pour partager un bénéfice résultant du travail ou de l'effort commun. Biffez cette disposition du code civil, et nous serons en sécurité ; grâce aux stipulations que nous pourrons introduire dans les actes de société, nous saurons bien nous défendre contre les héritiers.

Je dis qu'ici encore on a tort ; on veut arriver à reconstituer ainsi un des éléments les plus dangereux de la société ancienne, la mainmorte. Ne s'aperçoit-on pas que l'on demande une chose excessive, une chose contre nature ?

Quel but poursuit-on, en effet, lorsqu'on s'efforce d'obtenir une modification des dispositions du code civil, qui régissent les sociétés ? On demande de décider que la société qui, aux termes du code, doit avoir pour objet dc créer des richesses et de les partager, soit autorisée pour un objet diamétralement opposé. Ou veut faire reconnaître le caractère légal dc société dans le chef d'associations, de réunions, de communautés qui sont établies, non pour créer des richesses et les (page 1067) distribuer, mais pour concentrer les richesses et les consommer ! (Interruption.)

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Pour développer les principes moraux.

MfFOµ. - Oui. Mais nous nous occupons ici d'une question de code civil, d'un principe de droit civil ; je définis les caractères que la loi requiert des sociétés qui peuvent prétendre à une existence légale. Il est certain que l'objet de la société civile n'est et ne peut être que de créer des richesses et de les partager, et il est certain que l'objet de la société telle que vous l'entendez, serait de concentrer des richesses pour les consommer. (Interruption.)

Pour les appliquer à certaines œuvres, dites-vous. Oui, sans doute ; mais alors ce sont de véritables établissements publics que vous créez, et pour les établissements publics, il y a des règles spéciales. Ils sont possibles ; mais ils ne peuvent exister et se maintenir que par la volonté du législateur.

Au surplus, messieurs, qu'arriverait-il si vous étiez parvenus à faire introduire dans la législation une modification du genre de celle que vous réclamez ? Mais vous auriez fait une chose que je considérerais comme très fatale à vos institutions. Ayant répudié le droit commun, ou ayant cherché à faire un droit commun à votre façon, pour arriver à une situation véritablement privilégiée, vous seriez bientôt l'objet de toutes les critiques et d'attaques très légitimes ; vous susciteriez contre ces institutions une hostilité invincible. Beaucoup d'abus résulteraient immédiatement, immanquablement d'une pareille situation.

Qu'est-ce, en effet, que ce droit de corporation que vous demandez ? C'est un moyen de porter atteinte à la liberté individuelle. Dans la simple association, qui est nécessairement temporaire, le droit individuel subsiste. Dans la corporation, ce droit s'efface. A l'associé qui veut se retirer, vous n'avez rien à objecter ; il recouvre sa liberté. Celui qui voudrait se retirer de la corporation, au contraire, malgré lui, contre son gré, sera retenu dans la société ; non pas personnellement, mais par ses biens qui s'y trouveront absorbés. Toute propriété personnelle aura complètement disparu pour lui.

M. de Haerneµ. - Cela n'est pas ainsi.

MfFOµ. - Non, mais c'est à quoi vous voulez revenir, soit à l'aide des combinaisons que l'on emploie aujourd'hui et qui paraissent insuffisantes, soit à l'aide de celles que vous voulez y substituer à cause même de cette insuffisance. L'honorable M. Jacobs l'a dit quelque part : Un moine défroqué veut se retirer de l'association ; il reprend ses biens. Voilà à quoi l'on veut mettre obstacle. On veut pouvoir lui dire : Vous ne serez pas libre. Le droit civil aujourd'hui vous garantit votre liberté ; nous voulons vous la ravir.

M. Jacobsµ. - On est libre d'engager ses biens pour trente ans. On en reste propriétaire.

MfFOµ. - Vous voulez que ce prétendu propriétaire ne puisse plus disposer de son bien et, une fois le principe admis, vous saurez bien mette à son application des conditions qui rendront illusoire le droit de propriété. Dans la situation que vous supposez, vous venez dire : Tu resteras malgré toi ; tu seras contraint ; ta liberté n'existera plus.

Ainsi, atteinte à la liberté des personnes, voilà la première conséquence de votre système ; la seconde, c'est une atteinte à une autre liberté, aussi précieuse, aussi importante pour la société, pour la famille et pour la civilisation : c'est une atteinte à la liberté des biens ! (Interruption.)

M. de Theuxµ. - L'honorable ministre des finances a cru que j'étais dans l'erreur lorsque je rappelais ce qui s'était passé au Congrès. Je crois que c'est l'honorable ministre lui-même qui est dans l'erreur. De quoi s'agissait-il au Congrès ? I1 s'agissait de savoir si les corporations pourraient posséder l'immeuble de leur siège et un certain revenu s'élevant à deux ou trois cents francs.

MfFOµ. - Les associations de bienfaisance.

M. de Theuxµ. - Ce sont principalement les corporations qui ont fait l'objet du débat au Congres.

Cette question était fortement débattue, comme l'a dit M. le ministre des finances, et j'en ai le souvenir très présent ; car je m'en suis beaucoup occupé, comme je le faisais de toutes les grandes questions qui se traitaient au Congrès.

Voici ce qui s'est passé et ce qui m'est tout personnel, c'est que, prévoyant qu'un tem article aurait besoin d'être réglementé pour produire toutes ses conséquences, je proposai à M. Lebeau de faire au Congrès la motion de l'ajourner, de le retirer et de laisser à une loi postérieure k déterminer ce qu'il y aurait à faire.

Aujourd'hui pourrait-on faire une loi relative aux corporations, qui établirait la mainmorte ? Je ne le crois pas, parce que la mort civile est abolie. Sous l'ancien régime, qui favorisait les corporations, la mort civile existait. Le religieux devait renoncer à ses biens ; il ne pouvait plus hériter. Voilà ce qui constituait la corporation, et c'est pour cela que les anciennes corporations ont été d'une part richement dotées par les donations qui leur ont été faites, d'autre part et principalement par leur travail, par le défrichement des terres.

Voilà quelle était la situation ancienne. Cette situation n'est plus possible en présence de notre Constitution qui abolit la mort civile.

Mais ce qui reste possible et ce que j'ai demandé dans certaines limites, c'est que la loi autorisât certaines fondations d'utilité publique, et particulièrement de bienfaisance, ce qui ne concerne en aucune façon les personnes qui doivent desservir les fondations. Car il faut bien distinguer entre le personnel qui dessert la fondation et la fondation elle- même.

Voilà ce qui a été jusqu'ici l'objet des débats qui se sont élevés. J'ai dit qu'il y avait lieu d'encourager certaines fondations ; mais je reconnais que, sans une loi spéciale ou générale, les fondations ne peuvent pas être autorisées par le gouvernement.

Je crois que sur tous ces points nous sommes d'accord.

Quant à la question de savoir si l'enseignement aux frais de l'Etat est obligatoire aux termes de la Constitution, je le nie de la manière la plus formelle. Rien dans l'article 17 de la Constitution n'indique une obligation. Mais l'article 17 suppose un fait, un événement ; il suppose qu'il soit institué un enseignement de l'Etat, et dans ce cas, cet enseignement doit être réglé par la loi. Je puis en fournir encore une preuve supplémentaire et également forte ; c'est l'article final de la Constitution, même, cet article qui rappelle tous les objets sur lesquels la législature est obligée de faire une loi. Or, l'enseignement n'est pas mentionné dans cet article. Donc le Congrès n'a pas voulu faire de l'enseignement du l'Etat une obligation.

M. le ministre des finances croit que c'est par suite d'une obligation constitutionnelle que j'ai soutenu une loi sur l'enseignement supérieur et que j'ai pris part aux projets de loi d'enseignement primaire et d'enseignement moyen. Non, messieurs. J'ai organisé l'enseignement supérieur, parce que cela était dans les vœux d'une grande opinion, dans le pays et que tout gouvernement prudent tient compte de ces opinions. Un second motif c'est que, en soi-même, un enseignement supérieur aux frais de l'Etat peut rendre de grands services au pays.

Voilà, messieurs, les motifs qui m'ont déterminé.

L'honorable ministre des finances a parlé de l'importance des corporations au point de vue de l'enseignement, de la charité et de la religion, et il a parlé des dépenses d'entretien des divers membres de ces associations.

Leurs biens-fonds, messieurs, ont été évalués par un de nos honorables collègues, par l'honorable M. Malou, qui était, certes, aussi versé en ces matières que l'honorable M. Frère.

M. le ministre des finances a fait un calcul de la dépense nécessaire, pour le personnel de ces établissements, qu'il porte à 16,000 personnes ; il a capitalisé les dépenses personnelles et les immeubles à 16,000. Certes, les intérêts d'un tel capital, si ce capital existait réellement, constitueraient un entretien personnel bien sobre, mais cette dépense n'existe pas en capital ; elle se couvre, soit par le travail, soit par des dons manuels ; d'autre part, les membres de ces sociétés font le sacrifice de leurs personnes et des avantages que pourraient se procurer dans le monde ces gens qui ont de l'instruction et une bonne conduite ; si on faisait le relevé des millions qui se gaspillent en dépenses inavouables ou frivoles, nuisibles au pays, on arriverait à de bien autres chiffres. On voit quelquefois un seul individu dissiper des millions et cependant personne ne s'en occupe et l'on a raison.

Il faut être juste dans l'appréciation de tous les faits. Aussi j'ai entendu avec satisfaction l'honorable ministre des finances déclarer qu'il acceptait ces faits sans déplaisir et qu'il n'en faisait pas un grief à ceux qui les ont accomplis.

Cette déclaration m'a fait plaisir et je lui en sais gré. J'espère que comme conséquence de cette déclaration il n'entrera jamais dans sa pensée d'avoir recours à des moyens détournés pour empêcher des individus qui consacrent ainsi leur personne à des œuvres de charité et de civilisation d'exister à l'état d'association.

(page 1068) Je ne prolongeai pas cette discussion, mais il m'était impossible de ne pas faire ces quelques réflexions, qui me paraissent fondées sur la réalité des choses.

Il n'est pas dans mes habitudes, messieurs, d'invoquer des faits qui ne sont pas complètement exacts. Quant à ce qui s'est passé au Congrès, |« n'hésite pas à déclarer que j'ai conseillé à l'honorable M. Lebeau de proposer au Congrès de ne pas mettre dans la Constitution même l'amendement relatif aux corporations, mais je ne veux pas qu'on ait recours à de mauvais moyens pour empêcher ce que le Congrès a voulu : la liberté d'association et d'enseignement.

MpDµ. - La parole est à M. Watteeu.

M. Liénartµ. - M. le président, j'ai cédé mon tour de parole à ' M. de Theux, je pense donc que je dois avoir la parole en ce moment.

MpDµ. - M. Liénart, vous avez cédé votre tour de parole à M. dc Theux. M. Watteeu étant inscrit immédiatement après vous, à donc le droit de parler en ce moment, et je ne pourrai vous accorder la parole qu'après lui.

M. Watteeuµ. - Messieurs, permettez-moi de vous présenter quelques courtes observations.

L'incident de Westcapelle n'est rien en lui-même. Ce n'est certes pas au refus donné à la demande d'organiser cette loterie qu'on doit attribuer la discussion si large et si approfondie à laquelle nous assistons depuis deux jours.

Derrière cet incident que je considère comme un ballon d'essai, il y a certainement, comme l'a fait ressortir M. le ministre de la justice, une tentative qui, si elle pouvait réussir, viendrait donner un affluent nouveau à une foule d'autres qui existent déjà, pour créer, sous prétexte de bienfaisance, des corporations, des institutions qui, après avoir exercé pendant quelque temps dans les conditions de leur création, finissent par se transformer et par revêtir un tout autre caractère.

Ce qui me fait croire à la minime importance de l'incident en lui-même, c'est que les honorables membres qui se sont appesantis sur la prétendue injustice du gouvernement, MM. Liénart, Reynaert et Tack, tous trois jurisconsultes, ont surtout fait le procès aux motifs de l'arrêté qui a annulé la délibération de la députation permanente. !

Or, ces messieurs savent parfaitement qu'il importe peu qu'un arrêté ou un arrêt soit basé sur des motifs plus ou moins discutables si le dispositif est irréprochable.

Or, le dispositif de l'arrêté se justifie à tous les points de vue. Il se justifie non seulement par application de la loi de 1864', mais surtout et avant tout par application de la loi de 1851.

Il importerait peu que l'on eût abusivement invoqué la loi de 1864 si de fait la délibération de la députation permanente devait être annulée d'après la loi de 1851.

Indubitablement, autoriser des loteries pour des motifs comme ceux qui avaient poussé les dames de Westcapelle à solliciter la faveur d'en ouvrir une, ce serait autoriser les abus que la loi a voulu proscrire.

A ce sujet je ne puis m'abstenir de communiquer a la Chambre l'impression pénible que j'ai ressentie en entendant un homme aussi austère et aussi grave que l'honorable M. de Theux venir dire que le droit d'ouvrir une loterie était un droit naturel et que, par conséquent, la loi civile non seulement ne devait pas le restreindre, mais au contraire le favoriser.

- Plusieurs membres. - Il n'a pas dit cela.

M. de Theuxµ. - J'ai dit que la loi civile pouvait, dans certaines limites, en vertu du droit public, obvier aux inconvénients de la loi naturelle.

M. Watteeuµ. - Si je me suis trompé sur cé point, il est toujours vrai que vous avez assigné pour origine à la faculté de faire des loteries la loi naturelle.

M. de Theuxµ. - Cela est vrai.

M. Watteeuµ. - Eh bien, je ne comprends pas que les loteries, qui sont une excitation à la cupidité, qui éveillent les convoitises de la spéculation, puissent trouver leur légitimation dans le droit naturel. Si cela était vrai, pourquoi songe-t-on à abolir les maisons de jeu ?

Et notez bien que la loterie, surtout telle qu'elle existait jadis sous le gouvernement hollandais, était une institution profondément immorale. (Interruption.)

M. Dumortierµ. - Et la loterie de la ville de Bruxelles ?

M. Watteeuµ. - J'entends l'honorable M. Dumortier vouloir assimiler les emprunts de la ville de Bruxelles à ces loteries où l'on joue à fonds perdu. (Interruption.) On y respecte la sagesse que doit apporter dans ses affaires tout homme économe et prudent, les emprunts ne sont autorisés qu'à la condition de percevoir un intérêt. Cet intérêt est plus modeste, je le reconnais, que celui que l'on pourrait obtenir dans d'autres opérations, mais il est, dans tous les cas, l'équivalent du rendement que donnent la plupart des terres.

Je regrette que diverses interruptions m'aient éloigné de la question ; j'y reviens.

D'après moi, on ne peut assimiler la loterie, ni à la souscription, ni à la collecte.

L'honorable M. de Theux vous disait : Mais vous n'auriez pas pu empêcher ces dames de réunir des capitaux pour atteindre le but qu'elles se proposaient au moyen de souscription. Mais il y a entre la souscription et la loterie une différence capitale : la souscription est un acte tout à fait désintéressé, tout à fait volontaire et spontané ; mais il n'en est pas de même de la loterie ; vous ne voulez recourir à loterie que parce que vos souscriptions ne réussiraient pas, parce que vous savez qu'il faut exciter les convoitises.

M. de Theux vous a parlé également des collectes. II vous a dit qu'il est permis d'y recourir malgré les entraves judiciaires que l'on a cherché à leur créer.

L'honorable M. de Theux n'est pas bien renseigné sur ce qui s'est passé et il a eu tort de dire que la jurisprudence confirmait ses paroles.

Il y a eu des arrêts rendus en divers sens et le seul arrêt qu'il puisse invoquer est relatif aux collectes qui n'ont pas un but de bienfaisance.

Cette discussion à laquelle ont successivement pris part plusieurs membres de la droite, notamment M. de Theux, démontre de plus près qu'on a en vue autre chose que l'incident de Westcapelle, et pour mon compte, je désirerais que la discussion fût continuée demain et suivie d'un vote sur le point de savoir si la Chambre partage l'opinion du gouvernement sur la loi de 1851, ou s'il faut y donner l'interprétation développée par les orateurs delà droite.

La question a été nettement posée, il convient de la résoudre.

Ou le ministère a eu tort de refuser, dans les circonstances que nous connaissons, l'autorisation qui lui était demandée, ou il à agi sagement. Dans le premier cas, vous êtes certain que des demandes identiques se multiplieraient et surgiraient chaque jour. .

Les prétextes, les raisons, les motifs ne manqueraient pas pour demander au gouvernement d'autoriser de nouvelles loteries. Il en résulterait qu'avant peu l'exception deviendra la règle et que le gouvernement, après avoir posé plusieurs précédents de cette nature, se trouvera dans l'impossibilité absolue de refuser encore les loteries pour lesquelles on solliciterait son autorisation.

Il importe donc, messieurs, pour que cette loi ne soit pas détournée de son véritable but, pour, que l'esprit n'en soit pas méconnu, pour que le volonté qui a présidé à son vote soit respectée, que la Chambre vide cet incident par un vote.

J'arrête là mes observations, ne voulant pas abuser de votre patience.

- La séance est levée à cinq heures.