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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 30 avril 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1095) M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Par sept pétitions, des habitants de Mons demandent l'exécution de la loi sur les inhumations et la cessation du concours de l'armée aux cérémonies religieuses. »

« Même demande d'habitants de Thulin, Haine-St-Paul, Obourg, Pâturages et du rivage de Quaregnon. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Lammens, franc-batelier à Gand, réclame l'intervention (page 1096) de la Chambre pour obtenir la décoration de première classe instituée pour récompenser les actes de dévouement et de courage. »

- Même renvoi.


« Par deux pétitions, des bateliers et propriétaires de bateaux du canal de Charleroi demandent que les droits de péages sur le canal de Charleroi soient abaissés et que le gouvernement opère le rachat des embranchements de ce canal. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions analogues.


« M. Le Hardy de Beaulieu, obligé de s'absenter, demande un congé d'un jour. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère des finances de l’exercice 1869

Rapport de la section centrale

M. Jacquemynsµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le budget du ministère des finances pour l'exercice 1869.

Rapport sur des naturalisations

M. Hymansµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission des naturalisations sur une demande de naturalisation.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Communication du bureau

MpDµ. - A la suite de l'incident qui s'est élevé à la séance d'hier entre M. de Kerckhove et M. Hymans, j'ai prié nos deux honorables collègues de vouloir bien se rendre dans mon cabinet.

Il est résulté des explications franches et loyales échangées entre ces messieurs, qu'il n'avait point été dans leur pensée de rien dire qui pût porter atteinte à leur dignité respective et aux sentiments de mutuelle estime qu'ils se portent.

Partant, il a été déclaré simultanément que toute expression qui aurait pu être considérée comme ayant cette portée était contraire à leur pensée et doit être tenue de part et d'autre comme non avenue.

- Des membres. - Très bien ! très bien !

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1868

Discussion générale

M. Lelièvreµ. - Je crois devoir ajouter quelques observations à celles que j'ai déjà présentées relativement à quelques questions qui se rattachent au budget en discussion.

D'abord il me paraît important de signaler à M. le ministre de l'intérieur l'urgence de combler certaines lacunes de notre législation en ce qui concerne les décisions judiciaires prononcées contre les provinces, les communes et d'autres établissements publics.

Dans plusieurs provinces, on a constaté l'impossibilité de faire exécuter les jugements et les arrêts prononcés par les tribunaux. C'est là un état de choses qui mérite un examen sérieux. Les décisions de la justice doivent être exécutées, et aucun collège ne doit avoir les moyens de les éluder, soit par l'inaction, soit de toute autre manière.

J'appelle donc l'attention spéciale du gouvernement sur le régime actuel et les inconvénients qu'il produit.

Déjà ce régime a donné lieu, dans cette enceinte, à de vives réclamations.

J'ai signalé au commencement de la discussion la nécessité d'introduire le pourvoi en cassation en ce qui concerne les matières contentieuses du ressort des députations. Je pense que cette mesure devrait être décrétée, surtout quand il s'agit d'intérêts privés sur lesquels les députations sont appelées à se prononcer.. C'est ainsi que les industriels, lésés par une décision qui les frappe d'une imposition spéciale à raison de l'usage et de la détérioration de chemins vicinaux, devraient pouvoir recourir en cassation.

Il devrait en être de même en ce qui concerne les cours d'eau non navigables ni flottables, matière qui soulève souvent les questions les plus importantes en ce qui concerne les usines et les établissements industriels.

En un mot, du moment qu'il s'agit de matières contentieuses dans lesquelles des intérêts privés peuvent être agités, il me semble que le pourvoi en cassation devrait être admis. C'est le principe qui a été introduit dans notre législation, relativement à la milice, à la garde civique, comme aussi en matière de patentes, de contributions, etc. Or, dans toutes ces matières, la faculté de recourir en cassation a produit les meilleurs fruits. Aussi l'étendra-t-on bientôt aux impôts communaux, d'après la proposition si utile de l'honorable M. Anspach.

Il est une mesure que je crois devoir réclamer dans l'intérêt de l'agriculture.

Une indemnité est accordée du chef de l'abattage des animaux atteints d'épizootie ou de maladies contagieuses. J'estime qu'il faudrait ne pas considérer, dans tous les cas, l'abattage comme une condition essentielle de l'indemnité.

Quelquefois l'abattage est empêché par des circonstances de force majeure. Or, en semblable occurrence, l'indemnité doit pouvoir être accordée exceptionnellement. Déjà plusieurs conseils provinciaux se sont prononcés en ce sens et ont adopté des règlements adoptant la disposition que je crois équitable. Il serait de toute justice de généraliser cette mesure. Sous ce rapport, je ne puis que recommander au gouvernement l'examen des excellentes observations présentées par la section centrale.

Telles sont les considérations sur lesquelles j'appelle l'attention bienveillante de M. le ministre de l'intérieur.

MiPµ. - Messieurs, la question de savoir s'il y a des mesures à prendre pour obliger les communes à payer les dettes qu'elles ont contractées et pour lesquelles des jugements ont été obtenus contre elles, a été discutée, il y a peu de temps, dans cette Chambre. J'ai pris part à cette discussion et, lors de mon entrée au ministère, j'ai fait soumettre à un examen sérieux cette question importante et très souvent débattue. Je n'ai pas encore de solution définitive à soumettre à la Chambre ; mais je compte, dans la session prochaine, ou bien vous présenter un rapport exposant les motifs qui me font considérer les mesures en vigueur comme suffisantes pour obliger les communes à acquitter leurs dettes ou, au besoin, de vous présenter des dispositions nouvelles destinées à atteindre le but que l'on poursuit.

L'honorable M. Lelièvre a soulevé une seconde question, celle de savoir si, dans les matières qui ne sont point d'intérêt purement administratif, il n'y aurait pas lieu d'étendre les cas où l'on peut se pourvoir en cassation contre les décisions des députations permanentes. Je pense qu'il doit en être ainsi.

Peut-être même est-il nécessaire de régler par des dispositions générales tous les cas où l'on peut se pourvoir contre les décisions de cette nature. Mais il existe, à cet égard, des difficultés assez graves, parce que pour certaines décisions de la députation permanente, il n'est point indispensable de recourir à la cour de cassation, il est même préférable de procéder par voie d'annulation, par voie d'arrêté royal, tandis que, pour d'autres matières qui ont un caractère plus contentieux, il faut admettre le pourvoi en cassation.

Je crois encore que sur ce point il y a lieu de prendre des dispositions législatives. Mais la matière est trop compliquée, elle embrasse toutes les questions administratives et j'estime qu'il faudra un certain temps avant de parvenir à une solution définitive.

L'honorable M. Lelièvre demande en troisième lieu que l'on accorde une indemnité non seulement pour les bestiaux abattus, mais aussi pour ceux qui périraient par suite de maladies contagieuses.

Je crois que cette proposition de l'honorable membre tend à dénaturer complètement le système en vigueur.

L'indemnité que l'on donne aujourd'hui est une indemnité motivée par le fait de l'abattage ordonné dans l'intérêt public. C'est une indemnité, pour ainsi dire, pour cause d'utilité publique. On abat la bête et par suite de cet abattage, pour indemniser des chances de guérison que peut encore offrir la bête, on paye une indemnité.

Le système de l'honorable M. Lelièvre consisterait à donner une indemnité pour un malheur individuel.

Ainsi on accorderait une somme pour donner une compensation à une infortune. Messieurs, je crois qu'il est très délicat d'entrer dans cette voie.

Il est évident que c'est chose très malheureuse pour un particulier de perdre un animal par suite d'une maladie contagieuse ; mais en somme, ce n'est pas chose plus malheureuse pour lui que de le perdre par accident.

La question que soulève l'honorable M. Lelièvre se rattache à un autre système, celui de savoir s'il ne faut pas rétablir le fonds d'agriculture créé autrefois au moyen d'un impôt spécial et destiné au payement (page 1097) d'indemnités en faveur des propriétaires qui avaient payé le droit d'assurance alimentant ce fonds. Cette question, messieurs, sera soulevée lors de la discussion de l'article concernant l'agriculture.

M. Jacquemynsµ. - Je ne saurais partager l'avis exprimé par l'honorable ministre de l'intérieur, quant aux indemnités à donner pour les animaux qui succombent par suite de maladie contagieuse.

Si le principe de M. le ministre de l'intérieur était fondé, il en résulterait que l'on devrait payer les animaux seulement dans le cas d'expropriation pour cause d'utilité ou de sécurité publique et à la valeur qu'ils ont au moment où l'ordre d'abattage est donné.

Mais à part cette charge, qui incombe à l'Etat par suite de la Constitution, il en existe une autre qui résulte de ce qu'il est en possession d'un fonds considérable provenant de l'ancien fonds d'agriculture.

Sous l'ancien gouvernement, ce fonds n'était pas du tout destiné à compenser les expropriations ; il était destiné à donner des indemnités pour les bestiaux morts par suite de maladie contagieuse.

Il y a ici deux faits distincts : le fait d'abattage des animaux dans un intérêt public pour qu'une maladie ne se répande pas. Le gouvernement fait une expropriation pour laquelle il doit payer. Il y a aussi le fait d'une perte que le fonds d'agriculture était destiné à réparer.

Ce fonds d'agriculture était le résultat des cotisations d'agriculteurs.

L'ancien gouvernement, le gouvernement hollandais a versé de ce chef deux millions de francs dans la caisse du gouvernement belge.

Ainsi le gouvernement- belge a en réalité un revenu annuel de cent mille francs destiné à réparer les pertes de l'agriculture et non point à payer des indemnités dues par l'Etat, du chef d'expropriations dans un intérêt public.

MiPµ. - Messieurs, je crois que nous ne sommes pas en désaccord avec l'honorable M. Jacquemyns.

Je ne prétends pas qu'il n'y ait pas eu un fonds d'agriculture, et l'honorable M. Jacquemyns reconnaît avec moi que pour qu'on puisse allouer une somme quelconque sur le fonds, créé par les agriculteurs, il faut qu'un intérêt public soit en cause, il faut que le cultivateur qui subit la perte d'une tête de bétail rende un service à la société en en faisant le sacrifice.

En abattant l'animal malade, on empêche la maladie de se répandre ; maïs lorsqu'un particulier a laissé mourir cet animal, sans le faire abattre pour empêcher la contagion, pourquoi aurait-il droit à l'indemnité ?

En la lui accordant, on donnerait lieu à ce très grave inconvénient de détruire l'effet préventif de la mesure. Si le particulier auquel je fais allusion n'a aucun intérêt à faire abattre l'animal malade, il ne provoquera pas son abattage, et par suite il augmentera les chances de contagion.

Il me semble donc qu'il faut maintenir ce qui existe, c'est-à-dire n'indemniser le propriétaire que lorsque la bête est abattue, c'est-à-dire lorsque le propriétaire, en s'imposant un sacrifice, aura fait tout ce qui lui était possible dans l'intérêt de tous.

Je crois donc, en définitive, quelle que soit l'origine du fonds d'agriculture, qu'il faut maintenir les mesures édictées dans un grand intérêt public et qu'il y aurait un grave danger à renoncer à ces mesures préventives que l'on a eu précisément pour but de consacrer dans la législation.

M. Coomansµ. - Je suis forcé de présenter, dans la discussion générale, une remarque sur une affaire que je ne vois pas mentionnée parmi les articles du budget.

Lors de la publication de l'arrêté royal qui a créé et institué un nouvel ordre : la décoration civique, plusieurs membres de cette assemblée, j'étais du nombre, ont émis des doutes sur la question de légalité et de constitutionnalité de ces mesures.

MpDµ. - Cette question se présentera à l'article 49.

M. Coomansµ. Puisque j'ai commencé, je continuerai, pour ne pas perdre de temps.

Je me rappelle que l'honorable ex-ministre M. A. Vandenpeereboom avait bien voulu prendre l'engagement de s'expliquer à ce sujet. Je dirai brièvement que je ne parviens pas à saisir la différence, au point de vue où je me place, qu'on fait entre l'ordre de Léopold et le premier degré de la décoration civique.

L'un et l'autre sont institués pour récompenser et honorer les services rendus à la chose publique ; l'un et l'autre sont considérés comme très honorables ; l'un et l'autre donnent au gouvernement une influence réelle sur un assez grand nombre de nos compatriotes.

(page 1097) Or, s'il a paru nécessaire qu'une loi intervînt pour instituer l'ordre de Léopold, je crois que l'honorable M. Vandenpeereboom eût fait preuve d'honorables scrupules de légalité, de constitutionnalité et de déférence envers la Chambre, en nous soumettant un projet de loi relatif à cette innovation.

Je suis très convaincu que la solennité d'une loi n'eût pas nui à cette décoration.

Basée sur la loi, elle eût été considérée comme plus importante que fondée sur un arrêté royal.

Aucun membre de cette assemblée, je pense, n'a été décoré de l'ordre civique. Il y a là, ce me semble, une manifestation de scrupules constitutionnels auxquels je faisais allusion tout à l'heure.

On aura remarqué la ressemblance intime de l'ordre de Léopold avec la décoration civique, et comme les décorés du premier de ces ordres doivent être soumis à réélection, on a cru qu'il fallait s'abstenir de donner à des membres de la Chambre la décoration civique, pour ne pas imposer des corvées, au moins inutiles, au corps électoral.

Je vois un signe de dénégation sur les traits de M. Alp. Vandenpeereboom. Mais il me paraît qu'il n'a pas pu y avoir d'autre raison que celle-là de ne pas distribuer entre les membres de la Chambre un certain nombre de ces décorations, alors que nos collègues sont déjà si abondamment pourvus des exemplaires de l'autre.

C'était encore un moyen de relever la décoration civique que de l'attribuer à quelques membres de la législature. (Interruption.) Oui, on a décoré des membres de la Chambre ; les noms ont figuré au Moniteur, mais c'était une erreur, paraît-il, et un erratum est intervenu.

Avant d'en dire davantage j'attendrai les explications que M. Vandenpeereboom a bien voulu nous promettre il y a quelque temps.

MiPµ. - Il s'agit ici d'un acte qui remonte à l'administration de mon prédécesseur ; mais je crois pouvoir expliquer en peu de mots à quoi se réduit la mesure contre laquelle proteste M. Coomans.

II y avait précédemment dans le pays une grande quantité de signes honorifiques de toute espèce : l'ordre de Léopold, la croix de Fer, la croix commémorative de vingt-cinq années, la médaille accordée pour actes de dévouement et de courage civil et militaire ; la médaille des épidémies, la médaille des épizooties, la médaille pour actes de dévouement dans les mines ; enfin la décoration pour les ouvriers et les artisans.

La mesure qui a institué la décoration civique n'a eu d'autre but que de codifier un certain nombre des arrêtés qui créaient ces différentes décorations.

Ainsi, si d'une part on a laissé subsister l'ordre de Léopold, la croix de Fer et la décoration pour les ouvriers et les artisans, on a fondu d'une autre part toutes les autres distinctions honorifiques que je viens de citer et qui pouvaient encore être accordées, c'est-à-dire qu'au lieu de donner une décoration spéciale pour les services rendus dans les épidémies, pour les services rendus dans les épizooties, pour les actes de dévouement dans les mines, pour les actes de dévouement et de courage en général, on a décidé qu'il n'y aurait plus aujourd'hui qu'une seule marque distinctive pour les différents cas.

Si autrefois le gouvernement a pu établir (et il l'a fait sans réclamation) les divers signes distinctifs susmentionnés il a pu également, nous semble-t-il, en modifier la forme et faire une seule décoration des décorations si nombreuses qui existaient auparavant,

Telle est l'unique portée de la décision qui a été prise.

M. A. Vandenpeereboomµ. - Je n'ai qu'un mot à ajouter aux explications si claires que vient de donner mon honorable successeur.

Le but du gouvernement n'a été autre que de remplacer par un signe honorifique unique les distinctions diverses qui émaillaient la poitrine d'un grand nombre de nos concitoyens. On a cru qu'il était plus convenable d'avoir un signe unique que d'avoir des médailles de toute espèce et des rubans de toutes couleurs.

M. Coomans pense que si aucun membre de la Chambre n'a obtenu la décoration nouvelle à la suite de l'épidémie du choléra, c'était parce que j'avais un scrupule constitutionnel. Il n'en est rien.

Plusieurs des membres de cette assemblée, qui dans ces circonstances difficiles ont fait preuve d'un dévouement extrême et qui avaient certes mérité une récompense, ont ajouté à ce dévouement une qualité qui manque assez généralement : la modestie, et ils sont venus me prier de ne point leur accorder cette récompense.

J'ai cru devoir déférer momentanément à ce désir. Ces honorables (page 1098) collègues m'ont déclaré que, pour eux, la conscience d'avoir fait leur devoir dans ces circonstances difficiles étaient la meilleure récompense.

Messieurs, on n'a pas, comme le dit l'honorable membre, institué un ordre nouveau. Il n'y a là ni chevaliers, ni commandeurs, ni grands officiers : il y a tout simplement deux degrés de décorations pour actes de dévouement et de courage.

M. Coomansµ. - Pardon, il y en a cinq.

M. A. Vandenpeereboomµ. - C'est une erreur, il y a une croix et une médaille, divisées en plusieurs classes, à peu près comme cela existait déjà pour récompenser les actes de dévouement et de courage, etc., etc.

Ainsi, je le répète, on n'a fait que régulariser un état de choses existant et qui n'a jamais donné lieu, dans cette Chambre, à aucune observation.

Tous les crédits qui ont été demandés pour payer les dépenses d'achat des insignes pour actes de dévouement, de courage et des médailles commémoratives, tous ces crédits ont été votés par les Chambres sans jamais soulever le moindre scrupule de légalité.

Si cette légalité avait été douteuse, il est certain que tout au moins un membre de cette assemblée se serait levé pour le constater. La seule innovation en tout ceci, c'est qu'on a décidé que la croix du mérite pourrait, je ne dis pas devrait être accordée après 25 années de services communaux, provinciaux, électifs ou gratuits. Eh bien, si l'on pouvait donner une distinction pour 25 années de services dans la garde civique ou dans l'armée, si cela était légal, il me semble qu'il ne peut pas y avoir d'illégalité à récompenser d'anciens fonctionnaires qui ont rendu de longs et bons services au pays.

Cette distinction permettra de récompenser des personnes qui souvent se sont dévouées de la manière la plus absolue et avec le plus grand désintéressement aux intérêts publics, des hommes qui, pendant plus de 25, plus de 35 années ont. affronté le scrutin et conservé le mandat qu'ils tenaient de la confiance de leurs concitoyens. De pareils hommes ne sont pas très communs dans notre pays, et il me paraît juste de les récompenser.

La distinction établie est encore destinée à récompenser de modestes services communaux rendus aussi dans bien des circonstances avec le plus grand désintéressement. Cette distinction ne peut donner lieu à aucune difficulté et, vu les antécédents, elle ne peut faire naître non plus, dans cette assemblée, aucun scrupule constitutionnel fondé.

M. Coomansµ. - Je regrette de ne pouvoir me déclarer satisfait des explications que vous venez d'entendre.

Le point essentiel, du reste, échappe aux réponses des deux honorables orateurs. J'ai demandé quelle distinction réelle, raisonnable, on établit entre l'ordre de Léopold et au moins le premier degré de la décoration civique. Quant à moi, cette distinction m'échappe ; je n'en vois pas. S'il n'y en a pas, vous deviez agir pour la décoration civique comme pour l'ordre de Léopold, c'est-à-dire demander l'avis et provoquer le vote des Chambres ; cela était nécessaire non seulement, selon moi, au point de vue de la légalité, mais même dans l'intérêt de cet ordre.

Un ordre institué par la législature aura toujours plus de poids qu'un ordre sorti d'un cerveau individuel de ministre.

Ainsi donc, à moins de déclarer que la décoration civique a si peu d'importance qu'elle ne méritait pas les honneurs d'un projet de loi ; à moins de dire que les plus honnêtes gens, les plus honorables citoyens sont ceux qui la refusent... (Interruption.) C'est ce que vient de dire implicitement et imprudemment l'honorable M. Alp. Vandenpeereboom...

M. A. Vandenpeereboomµ. - J'ai parlé de la modestie de ceux qui avaient refusé la décoration civique.

M. Coomansµ. - C'est-à-dire que vous venez de déclarer que la conduite de ceux qui ont refusé la décoration civique est plus belle que celle des personnes qui l'ont acceptée. S'il n'en était pas ainsi, votre observation n'aurait pas de portée ; du reste, je ne vous en blâme pas ; car votre pensée à cet égard est exactement la mienne.

Messieurs, je persiste à croire que c'est une chose grave dans un pays libre que d’augmenter inutilement les classifications des citoyens.

Je l'ai déjà dit, et pour faire mieux comprendre ma pensée, je dois répéter que si j'avais eu l'honneur de siéger dans cette assemblée lors de l'institution de l'ordre de Léopold, cet ordre n'aurait jamais vu le jour, attendu qu'il aurait suffi d'une seule voix pour le faire échouer.

Je crois qu'une semblable distinction est difficilement conciliable avec l'égalité politique et constitutionnelle qui doit exister entre tous les citoyens. Mais enfin la chose est faite.

Ce n'est pas là-dessus que j'insiste. Mais il ne fallait pas aggraver ces distinctions, et augmenter encore le nombre des décorés.

Mais, dit M. le ministre de l'intérieur, nous nous sommes bornés à fondre (c'est son expression) certaines décorations et des médailles instituées précédemment, pour n'en faire qu'une distinction unique, qui est la décoration civique.

J'aime à croire qu'on n'a pas défendu aux anciens décorés de porter les médailles qui leur ont été décernées... On ne le leur a pas défendu, c'est bien ; mais alors vous n'avez rien fondu. Voilà donc une foule de décorations qui resteront ; vous allez en accorder une foule d'autres ; vous aurez donc aggravé une situation que vous vouliez, dites-vous, simplifier.

Et d'ailleurs, est-ce simplifier une distinction que d'établir cinq ou six catégories dans un seul ordre, de parquer les citoyens en cinq ou six classes, de dire à l'un : « Vous êtes un parfait citoyen, vous vous êtes parfaitement conduit, voici la croix n°1 ; à un autre : Vous vous êtes presque parfaitement conduit, je vous donne le n°2 ; à un autre : Vous vous êtes imparfaitement comporté, je vous décore encore, mais du n°3 ; à un quatrième : Vous vous êtes plus qu'imparfaitement conduit ; vous n'êtes que médaillé ; à un cinquième : Vous vous êtes si peu dévoué que cela ne vaut pas la peine de vous décerner une décoration quelconque ; nous nous bornerons à vous mentionner honorablement.

Est-ce là de la philosophie politique ? Est-ce là de la justice ? Est-ce là de la prudence sociale ? Croyez-vous fortifier et faire respecter le pouvoir en agissant de la sorte ?

Dans ma conviction profonde, en instituant très imprudemment cette distinction, vous avez fait beaucoup plus de mal que de bien ; vous avez produit plus de mécontentement que de contentement, car je suis bien sûr que les décorés de la première classe n'ont été que très médiocrement satisfaits ; peut-être auraient-ils préféré l'ordre de Léopold. Mais les autres classes ont été mécontentes. Et en dehors de vos élus, des milliers de citoyens ont été plus mécontents encore.

Le gouvernement ne devrait pas se mêler de toutes ces chinoiseries, de toutes ces classifications de citoyens en catégories, en privilégiés, en bons citoyens, en citoyens à demi bons, en savants, en demi-savants, en imbéciles, etc. (Interruption.)

Le gouvernement ne devrait pas se mêler de ces choses-là.

Et quant à moi je saisis cette occasion de la fondation illégale, inconstitutionnelle de la décoration civique pour protester une fois encore contre la manie de décorera tort et à travers les citoyens, parfois contre leur gré, et souvent contre le gré de ceux qui ne le sont pas.

Autre chose encore : je suis convaincu que les abus seront bien plus faciles par la décoration civique que par les décorations spéciales qu'on a supprimées.

En effet, plus on spécialise les distinctions, moins il est facile d'en abuser.

Ainsi quand vous donniez une décoration pour acte de dévouement bien déterminé, il fallait au moins qu'il y eût un fait, un corps je ne dirai pas de délit, un corps de l'acte de vertu ; désormais il ne faudra plus rien du tout qu'une déclaration générale qu'un tel est un citoyen vertueux qui a bien mérité de la patrie. Ce vague prête énormément au favoritisme. (Interruption.)

Les abus seront bien plus faciles que dans l'état précédent des choses ; moins vous serez obligés de spécialiser vos distinctions, plus vous donnerez, je ne dis pas cela seulement pour vous, je parle pour tout le monde, plus vous donnerez un libre cours au favoritisme.

La question des dépenses n'est pas à dédaigner.

Nous en aurons bientôt la preuve, j'en suis convaincu.

On a commencé par ne rien nous demander ou peu de chose, mais je crois qu'il y aura bientôt une carte à payer.

L'honorable M. Vandenpeereboom dit que les décorations distribuées antérieurement n'ont jamais fait l'objet de la moindre critique dans cette assemblée.

Je puis assurer à l'honorable M. Vandenpeereboom qu'il se trompe et que plusieurs fois dans la discussion du budget de l'intérieur, je me suis élevé contre toutes ces décorations, contre toutes ces médailles et que j'ai toujours voté contre, lorsque l'occasion s'est présentée.

Je voudrais savoir, puisque nous avons une statistique et des statisticiens qui nous coûtent fort cher, combien il y a de Belges décorés. (Interruption.)

Un fonctionnaire public m'a assuré qu'il y en a déjà plus de cent mille au moyen de toutes les distinctions dont vous venez d'entendre réciter la litanie.

(page 1099) Je ne sais si c'est réel, je ne nie suis pas donné la peine de vérifier, mais on m'a dit que le chiffre des décorés dépasse déjà 100,000.

Eh bien, cela n'est-il pas absurde ? N'auriez-vous pas pu attendre quelques années pour permettre aux ordres honorifiques de se remettre du discrédit dans lequel ils sont tombés ?

Je proteste donc contre la décoration civique et contre toutes les décorations et contre la manière dont on a introduit cette innovation dans le budget de l’Etat, dans nos annales, et sur la poitrine beaucoup trop brillante d'environ cent mille Belges (Interruption de M. Wasseige.)

Le mot est bon et comme il exprime une pensée, je vous le ferai connaître : on substitue aux ordres mendiants les ordres mendiés. (Interruption.) Signé : Wasseige. (Interruption.)

En résumé, je somme de nouveau, le plus amicalement du monde, MM. les ministres de me dire quelle différence ils établissent entre la croix civique et la croix de Léopold.

Je les engage à ne pas trop insister sur la différence, parce que, dans ce cas, le nombre des citoyens consciencieux, modestes, qui ont refusé la décoration civique, pourrait s'augmenter encore.

Il me vient à l'instant à l'esprit un renseignement que je produis sous forme d'interpellation.

Il prouvera que la décoration civique a été distribuée non pas peut-être avec un favoritisme outré, mais, je dois le dire, avec une étourderie incroyable.

Je ne vous parlerai pas des morts qui ont été décorés ; ce ne sont pas ceux-là qui ont réclamé ; mais je citerai une ville qui a été le plus éprouvée de Belgique par le choléra, où le chiffre des morts en raison de sa population a été le plus élevé, l'honorable M. Vandenpeereboom affirme que c'est vrai, du reste j'ai sur ce point des affirmations officielles.

M. A. Vandenpeereboomµ. - Vous voulez parler de Grammont.

M. Coomansµ. - Il s'agit en effet de la ville de Grammont. Et, messieurs, ce n'est pas seulement la ville où le nombre des morts et des malades a été le plus élevé ; mais on m'a assuré et cela devient assez vraisemblable que c'est encore la ville où l'on a déployé le plus de dévouement.

Eh bien, messieurs, pour cette population de 9,000 âmes, il n'y a pas eu une seule décoration, il n'y a pas eu une seule mention honorable dans votre nouvel ordre.

Je vous demande un peu si c'est là de la justice distributive, si ce n'est pas là, il faut trancher le mot, une application absurde d'un système qui ne l'est pas moins.

Puisque je parle de décorations, je demanderai à nos honorables ministres pourquoi ils se mettent au-dessus de la loi. On m'assure et je crois pouvoir affirmer que des ministres belges portent des décorations étrangères sans autorisation régulière du roi des Belges.

Je vous avoue que l'inventaire de leurs bijoux et rubans m'est complètement indifférent. Ils s'en mettraient plein le dos que cela me laisserait indifférent.

Mais je voudrais savoir pourquoi, tous les citoyens belges devant obtenir la permission royale d 'se donner ce petit plaisir de porter des décorations étrangères, les ministres ne donnent pas l'exemple du respect pour la loi.

Je demande tout simplement si cela est vrai, dans l'intérêt du grand principe de l'égalité des Belges devant la loi.

MiPµ. - Messieurs, l'honorable M. Coomans avait commencé ses attaques contre l'institution de la décoration civique, en cherchant à faire considérer celle-ci comme un moyen d'influence pour le gouvernement.

Il a démontré dans son second discours que si l'on avait agi dans ce but, on avait, en somme, très mal réussi, et que le gouvernement, loin de se créer une source d'influence, n'avait créé qu'une source de mécontentement, le nombre des mécontents excédant de beaucoup celui des satisfaits.

M. Coomansµ. - Cela arrive.

MiPµ. - L'honorable M. Coomans doit donc avoir toute tranquillité à cet égard. Il est entendu que le gouvernement perdra plus à cette institution qu'il n'y gagnera, ce qui rentre parfaitement dans les vœux de l'honorable membre.

Voilà donc déjà un point sur lequel il n'existe aucune espèce de sujet de crainte.

L'honorable membre a fait un véritable jeu de mots au sujet de ce qu'a dit mon honorable prédécesseur quant aux décorations qu'on s'était proposé de donner à quelques membres de cette Chambre. Je crois qu'il n'est pas entré dans la pensée de M. Vandenpeereboom d'attribuer plus de mérite à ceux qui ont refusé la décoration qu'à ceux qui l'ont acceptée.

Mais ce que M. Vandenpeereboom a constaté, c'est qu'un motif de pure délicatesse a engagé certains membres de cette Chambre à manifester le désir de ne pas recevoir la décoration ; j'aurai à voir si, alors que l'approche de l'élection doit écarter tout scrupule, il n'y a pas lieu de revenir sur cette affaire.

M. Coomans n'est point entré, selon moi, dans l'esprit de notre législation. Il considère toute espèce de décoration, toute espèce de degrés dans les décorations comme une chose mauvaise. C'est là une opinion individuelle qu'il peut avoir et conserver.

Mais il reconnaîtra que ce n'était pas l'opinion qu'avaient les auteurs de la Constitution et ceux de la loi qui a institué l'ordre de Léopold. Car tout ce qu'il a dit, absolument tout s'applique à l'article de la Constitution, qui prévoit la création d'un ordre, comme à la loi qui a créé l'ordre de Léopold.

M. Coomansµ. - A une voix de majorité.

MiPµ. - A. une voix de majorité, soit. Mais il n'en est pas moins vrai que ce que vous avez dit s'applique à ce qui a été admis et par le Congrès et par la législature qui a institué l'ordre de Léopold.

M. Ortsµ. - Et au ministère de 1856 qui a créé la médaille commémorative.

MiPµ. - Evidemment. M. Coomans est souvent isolé dans son opinion. Je constate que cette fois il l'est tout à fait et qu'en cherchant à affaiblir l'importance de la nouvelle décoration, il se trouve en contradiction avec les sentiments qui ont guidé, depuis notre indépendance nationale, les législatures et les ministères qui se sont succédé.

L'honorable membre dit que l'institution de la décoration civique est inconstitutionnelle d'abord, qu'elle est illégale ensuite. Pourquoi est-elle inconstitutionnelle ? C'est ce que n'a pas dit M. Coomans. Quel est l'article de la Constitution qui a été violé ? Cela vaudrait bien la peine d'être indiqué. Il est très facile de dire : La Constitution est violée. Mais quand on a dit cela, il faut au moins que l'on ajoute : Voilà l'article de la Constitution qui est violé.

M. Coomansµ. - Je n'ai pas parlé d'articles ; j'ai dit que c'était contraire à l'esprit de la Constitution.

MiPµ. - L'esprit de la Constitution doit se manifester dans un texte. Or, je demande quel est le texte où se révèle l'esprit dont parle l'honorable M. Coomans. La Constitution ne prévoit-elle pas la création d'un ordre ?

M. de Naeyerµ. - D'un ordre militaire.

MiPµ. - D'un ordre militaire, si vous voulez, mais on n'a jamais considéré que la Constitution interdît la création d'un ordre civil. Ce que fait la Constitution, c'est reconnaître au Roi le droit de conférer la décoration militaire, pas autre chose.

Maintenant, y a-t-il illégalité ? Mais je demanderai encore quelle est la loi qui a été violée ?

Ce sont des détails pour l'honorable membre. Mais il me paraît que quand on discute législation, quand on discute loi, il faut préciser quelque chose et déterminer en quoi cet arrêté royal que l'on taxe d'illégal aurait excédé les pouvoirs qui appartiennent au Roi. Le gouvernement a institué cette décoration comme il a institué une foule de médailles, une foule de signes distinctifs honorifiques.

La médaille commémorative a été instituée en 1856. Pourquoi l'honorable M. Coomans n'a-t-il pas attaqué la création de cette médaille ?

M. Coomansµ. - J'ai voté contre toute espèce de décoration.

MiPµ. - Il s'agissait d'un arrêté royal qui se conformait, du reste, aux arrêtés royaux antérieurs. Mais tout cela se faisait sans difficulté, et c'est la première fois ou plutôt c'est la seconde (puisque l'honorable M. Coomans a déjà soulevé cette question il y a quelque temps), que des critiques s'élèvent contre la manière de procéder du gouvernement.

M. Coomans n'avait pas lu le budget lorsqu'il exprimait l'opinion que rien ne s'appliquait à la décoration civique dans le budget que vous discutez. Mais je crois qu'il n'a pas lu davantage l'arrêté qui a institué la décoration civique.

L'honorable membre vous a dit : Les médailles, soit, elles s'appliquaient à des actes de courage et de dévouement ; il fallait constater là (page 1100) un fait positif. Il y avait là une obligation de spécialiser. Mais cette obligation ,remarquez-le bien, subsiste dans l'arrêté qui a institué la décoration civique.

Voici cet arrêté : « Il est créé une décoration destinée à récompenser les services rendus au pays à la suite d'une longue carrière dans les fonctions provinciales, communales, électives ou gratuites, ainsi que les actes éclatants de courage, de dévouement ou d'humanité. »

Vous voyez donc que c'est la même chose que pour les médailles.

M. A. Vandenpeereboomµ. - Ce sont les termes de l'ancien arrêté.

MiPµ - Ce sont les termes de l'ancien arrêté, comme le dit l'honorable M. Vandenpeereboom.

L'honorable M. Coomans dit : Allez-vous arracher la médaille à ceux à qui elle a été donnée ? Mais pas du tout, et si on le faisait, l'honorable membre ne manquerait pas de se lever le premier pour protester contre cet abus monstrueux d'un effet rétroactif. On laissera la médaille à ceux qui l'ont ; mais on n'aura plus cette multiplicité de décorations pour l'avenir.

M. Dumortierµ. - Je ne prends la parole que sur une seule question, la question de légalité.

Je dois le dire, lorsque j'ai vu produire l'arrêté créant la décoration civique, il ne m'a pas été possible d'y trouver le cachet de légalité que j'aurais désirer y voir.

M. le ministre de l'intérieur demande sur quel texte de la Constitution peut se reposer cette opinion. Mais le texte de la Constitution est clair ; il est positif ; il est excessivement net. L'article 78 de la Constitution porte : « Le Roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement (remarquez le mot) la Constitution et les lois particulières portées en vertu de la Constitution elle-même. »

Ainsi toute mesure d'initiative qui ne part pas de la Constitution et des lois portées en vertu de la Constitution, est une mesure inconstitutionnelle. Cela est tellement vrai que lorsque nous avons établi la croix de Fer dont on a parlé tout à l'heure l'ancien ministre de l'intérieur, c'est par la loi du budget, mais par la loi que nous avons ordonné sa création, et le ministre n'est venu qu'ensuite exécuter la mesure prescrite par la loi. Elle était complètement dans les termes de la Constitution. Ici, au contraire, tout s'est fait sans loi. Il n'y a pas de loi votée. Il n'y a pas de principe constitutionnel qui accorde l'autorisation de créer un ordre nouveau.

Est-ce un ordre nouveau ? Il est bien vrai que cet ordre n'a pas de grade de commandeur, de grade de grand-croix. Mais cela importe peu. Il y a beaucoup d'autres ordres qui n'ont pas cette diversité de grades. L'ordre danois de Danebrog, qui est le premier de tous les ordres, ne contient que l'unique grade de chevalier ; il en est de même de l'ordre de la Jarretière. Ce n'est pas la quantité des degrés qui constitue la décoration. La décoration consiste dans l'existence d'une croix portée sur la poitrine.

Mais, dit-on, il y avait autrefois des médailles. Certainement. Mais des médailles n'ont jamais été, ne seront jamais des décorations. Les médailles se mettent dans un médaillier. C'est tout autre chose.

Cela ne donne aucun droit au port d'armes, tandis que la décoration donne ce droit, et c'est ce qui fait l'essence d'un ordre.

On l'a si bien compris, comme l'a dit l'honorable M. Coomans, que maintenant encore on dit qu'on décorera les députés sortants avant les élections, c'est-à-dire après que leur mandat sera expiré.

Je pense donc qu'il y a ici une chose très peu légale.

Je sais bien que dans ce pays, comme dans tous les pays de l'Europe, il y a en ce moment une maladie qui est à l'état endémique : c'est la maladie de la croix. Les gens qui en sont atteints sont toujours en action et toujours eu souffrance pour obtenir le soulagement qu'ils désirent.

Je conçois que le gouvernement, pressé par toutes ces sollicitations qui affluent de tous côtés, ait du plaisir à mettre une croix nouvelle à côté de celle de Léopold, déjà très répandue.

Mais, il me semble qu'il était convenable, constitutionnel de saisir les Chambres d'un projet de loi.

Je n'en dirai pas plus pour le moment, car nous aurons tout à l'heure, comme l'a dit l'honorable ministre, un article à propos duquel on peut revenir sur cette question.

MpDµ. - M. Dumortier, il est désirable que nous finissions.

M. Dumortierµ. - Je ne demande pas mieux que de finir et pour le prouver, je donne l'exemple en terminant.

Projet de loi interprétatif de l’article 58 du code pénal

Rapport de la commission

M. Van Overloopµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi interprétatif de l'article 58 du code pénal.

- Impression et distribution.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1868

Discussion générale

MiPµ. - L'honorable M. Coomans a demandé au gouvernement s'il y avait des ministres portant des décorations étrangères sans autorisation.

Je réponds d'une manière négative.

M. Coomansµ. - Publiées au Moniteur.

MiPµ. - Les autorisations existent, mais elles n'ont jamais été publiées.

M. Coomansµ. - Si, si.

MiPµ. - On me dit qu'il y a jurisprudence à cet égard. On n'a donc fait que se conformer à ce qui s'est toujours fait en cette matière.

M. Coomansµ. - L'honorable ministre se trompe beaucoup en affirmant que les autorisations de port de décorations étrangères ne figurent pas au Moniteur.

MiPµ. - Pour les ministres.

M. Coomansµ. - Il donc vrai que MM. les ministres ne demandent pas des autorisations qu'ils croient nécessaires pour les autres.

MiPµ. - Ils demandent l'autorisation, mais on ne la publie pas.

M. Coomansµ. - S'ils sont honteux de ces distinctions, qu'ils le disent.

Je ne sais pas pourquoi on n'insérerait pas l'autorisation pour les ministres comme pour les autres citoyens. Ce serait un acte de déférence à l'égard des gouvernements étrangers.

Ou la publication au Moniteur est nécessaire et alors les ministres doivent s'y soumettre, comme les simples citoyens et même les citoyens simples, puisqu'il y en a de décorés, ou bien, autre partie de mon dilemme, cette autorisation n'est pas nécessaire, et alors je désire qu'elle ne figure plus au Moniteur.

Vous cherchez les moyens de diminuer vos dépenses. Supprimez encore cette publication au Moniteur. D'exception pour les ministres, je n'en veux pas.

Je serais très long si je devais répondre à toutes les questions qui sont soulevées, mais je répondrai à celle qui me paraît la plus grave.

L'honorable ministre prétend que je n'ai rien déterminé en disant que toutes nos décorations sont contraires à l'esprit de la Constitution.

Je croyais que cette thèse ne devait pas être démontrée. La moitié, moins une, des membres de la Chambre qui a voté contre l'ordre de Léopold, justifie assez ma manière de voir.

D'abord, la Constitution n'a parlé que d'un ordre militaire, c'est ma conviction ; C'était déjà bien assez, dans un pays démocratique comme nous voulions constituer le nôtre, et vos décorations civiles ne sont pas dans la Constitution.

En fait, comme vient de le dire l'honorable M. Dumortier, l'article 78 est d'une clarté parfaite.

Vous avez trouvé dans la Constitution beaucoup de choses que nous n'y avons pas facilement vues et que, pour ma part je n'y vois pas encore, notamment l'obligation pour l'Etat de donner un enseignement à tous les degrés, et vous ne voulez pas comprendre que l'article 78 de la Constitution ne permet pas au Roi, c'est-à-dire, aux ministres, de créer des ordres sans l'intervention de la législature.

Il a fallu cette intervention pour l'ordre de Léopold, pour la croix de Fer. Pourquoi ne la voulez-vous pas pour la croix civique ? Il y a là une distinction si vague, si casuistique, pour me servir d'un mot que vous employez toujours dans un sens défavorable, il y a là une distinction si subtile que je ne parviens pas à la comprendre.

MiPµ. - Messieurs, on ne peut avoir une position plus désintéressée que la mienne. Je ne défends pas des actes que j'ai faits, mais les actes d'une longue série de ministres siégeant sur tous les bancs de la Chambre. Je défends des actes accomplis en 1849, en 1856 et postérieurement.

Maintenant, je ne veux pas rentrer dans la discussion générale, mais je voudrais répondre à ce qu'a dit l'honorable M. Coomans relativement aux ministres.

(page 1101) Pourquoi, dit-il, les décorations des ministres ne sont-elles pas au Moniteur ?

Je répondrai que je n'en savais rien du tout et que je viens d'apprendre qu'il en était ainsi.

M. Thibautµ. - C'est parce qu'ils en ont davantage.

MiPµ. - Les honorables MM. de Theux et Nothomb pourront lui dire pourquoi mieux que moi, puisque, plus anciennement au pouvoir, ils sont mieux à même d'indiquer la cause de cette pratique introduite depuis très longtemps. Si l'honorable membre tient à ce qu'on change cette manière de faire, je n'y vois aucun inconvénient.

M. Coomansµ. - Mettons-y toutes vos décorations.

MiPµ. - Les ministres, du reste, n'en fout pas mystère ; car il suffît d'ouvrir l'Almanach royal pour y voir toutes leurs décorations et celles des autres membres de cette Chambre.

M. Jacobsµ. - Je dois signaler de nouveau l'article 78 de la Constitution dont l'honorable ministre de l'intérieur persiste à ne pas parler. Cet article déclare « que le Roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois particulières portées en vertu de la Constitution même. »

Ce n'est ni en vertu de la Constitution ni en vertu d'aucune loi qu'on a agi dans l'espèce.,

Il ne suffît pas de s'abriter derrière les errements de ses prédécesseurs pour justifier les mesures que l'on a prises. Je voudrais que l'honorable ministre nous dît sur quoi il s'est basé. Est-ce sur une disposition de la Constitution ou sur une loi antérieure ?

Jusque-là je crois qu'il a contrevenu à cet article 78 de la Constitution, qui est formel.

MiPµ. - Messieurs, l'objection de l'honorable M. Jacobs s'attaque à toutes les médailles et à toutes les distinctions honorifiques qui ont été établies.

La décision législative qu'il réclame est dans les budgets votés par la législature.

M. de Naeyerµ. - Vous avez créé cette décoration avant le budget.

MiPµ. - Il ne s'agit pas de celle-ci seulement, mais aussi de toutes les autres, remarquez-le bien, qui ont été créées antérieurement et cela avec la complicité de l'honorable M. de Naeyer.

M. de Naeyerµ. - Je n'ai jamais voté le budget de l'intérieur. Je me suis toujours abstenu.

MiPµ. - L'honorable M. Jacobs prétend que le gouvernement ne pouvait pas établir même une simple médaille pour actes de courage et de dévouement. Voilà sa thèse ; c'est aussi la thèse de M. Coomans.

M. Coomansµ. - La queue de la thèse.

MiPµ. - Du tout ; c'est la thèse fondamentale, c'est le point de départ de tout.

Dès l'instant où vous concédez qu'on pouvait établir des médailles pour actes de dévouement et de courage, vous devez admettre que la réunion de toutes les médailles en une seule est légale ; mais, messieurs, il y a dix budgets qui ont autorisé le gouvernement à distribuer des récompenses et des médailles. C'est en exécution des lois de budget qu'il les distribue.

M. Coomansµ. - C'est avant le budget que vous les avez distribuées.

MiPµ. - Ces médailles existaient depuis 10 ans, le budget ne détermine pas quelles doivent être ces médailles, c'est une question d'exécution. Je suppose que la Chambre vote aujourd'hui les sommes que je demande pour récompenser les actes de courage et de dévouement, demain un arrêté royal peut changer la forme des décorations, mettre un ruban bleu au lieu d'un ruban rouge.

D'après l'article que M. Jacobs vient de lire, il n'appartient qu'au Roi de déterminer les actes d'exécution ; il n'appartient donc qu'au Roi de déterminer les mesures par lesquelles on exécutera la loi de budget en ce qui concerne les médailles pour actes de courage et de dévouement.

M. A. Vandenpeereboomµ. - Je ne serai pas long.

Plusieurs membres pensent que les décorations nouvellement instituées ont été données avant le vote du budget. Eh bien, il n'en est rien. On a en cette circonstance suivi tous les précédents.

L'arrêté qui modifie la situation antérieure porte qu'il y a deux espèces de décorations ; l'une est donnée à la suite d'épidémies, pour récompenser des actes de courage et de dévouement, l'autre pour récompenser de longs services. Les distinctions données en dernier lieu pour récompenser des actes de courage et de dévouement ou à la suite du, choléra ont été accordées exactement dans les mêmes conditions que les faveurs données de tout temps dans de semblables circonstances.

Quant à la décoration pour longs et loyaux services, il n'en a pas jusqu'ici été donné une seule et c'est pour pouvoir donner cette distinction que des augmentations de crédits sont demandées ; la Chambre est ainsi à même de se prononcer sur cette question.

Je le répète, on n'a pas jusqu'ici donné une seule décoration peur longs et loyaux services, mais on a continué, comme par le passé, à accorder des distinctions pour actes de courage et de dévouement et à la suite des épidémies, et la dépense résultant de ces distinctions a été imputée sur les anciens crédits qui figuraient au budget de 1867.

Rien n'a donc été changé en ce qui concerne ces distinctions si ce n'est la couleur du ruban, car le bijou est le même que celui qui existe depuis 1856, pour la médaille commémorative de vingt-cinq aimées de services.

Puisque j'ai la parole, je dois rectifier encore un fait.

Lorsqu'on a fait la distribution des récompenses, il est possible qu'il y ait eu des omissions ; je reconnais même qu'il y en a eu. Mais elles s'expliquent.

L'instruction des demandes avait été très longue et il avait fallu en finir ; l'arrêté a été soumis au Roi.

Postérieurement, des réclamations ont eu lieu, et si aucune décoration n'a été donnée à des habitants de Grammont, c'est, je pense, que le dossier de Grammont n'était pas parvenu au gouvernement.

M. Jacobsµ. - Si l'interprétation donnée par M. le ministre de l'intérieur à l'article 78 de la Constitution est exacte, il ne fallait pas plus de loi pour créer l'ordre de Léopold, que les autres décorations qui se sont succédé depuis, et c'est inutilement que ses prédécesseurs ont soumis à la sanction des Chambres le projet de loi créant l’ordre de Léopold.

Ne sont-ce pas ces prédécesseurs et non les ministres actuels qui étaient dans le vrai ?

Je ne puis croire que les auteurs de la Constitution, en décrétant que « le Roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution ou les lois particulières portées en vertu de la Constitution même, » je ne puis croire qu'ils aient entendu parler de la loi du budget. Ce n'est pas là l'attribution formelle de l'article 78.

Peut-il suffire de voter des chiffres sans dire qui les emploiera ?

Il faut distinguer entre la loi et l'exécution de la loi, entre le titre et l'exécution du titre.

Il faut d'une part une loi qui donne au Roi le droit de conférer des décorations et il faut en outre une loi de budget venant mettre en mains du gouvernement les fonds nécessaires pour payer ces décorations. Mais de même qu'une loi qui donnerait au Roi le droit sans les fonds serait inefficace, de même la loi qui accorde des fonds sans le droit ne permet pas au Roi de conférer des décorations qu'aucune loi n'a établies.

Je ne demande pas mieux que d'être éclairé, mais jusqu'à présent, il ne m'est pas démontré que la loi de budget suffise pour conférer au Roi un pouvoir qui, d'après l'article 78 de la Constitution, ne peut émaner que d'une attribution formelle de la Constitution ou d'une loi.

MiPµ. - M. Jacobs donne une singulière interprétation de la loi de budget. D'après lui, le budget n'est qu'une fixation de chiffres, qui, s'il n'y a pas une loi qui détermine la manière d'employer les fonds votés, ne peut produire d'effet.

Si le vote du budget a cette portée, la plupart des articles du budget doivent être pour lui lettre morte. Car, pour la plupart des articles il n'y a pas de textes qui indiquent comment on devra user des sommes votées. Pour les beaux-arts, les lettres, les sciences, les fêtes nationales, il n'y a aucune loi qui indique que c'est le gouvernement qui doit user de ces sommes.

Mais cela est de droit, c'est l'exécution de la disposition de la Constitution qui charge le pouvoir exécutif d'exécuter les lois, qui investit le gouvernement du droit d'en régler la disposition.

Or, je demande s'il serait raisonnable qu'une Chambre législative vînt dire au gouvernement : Je mets cette somme à votre disposition, mais cela n'implique pas pour vous le droit d'en disposer. (Interruption.) C'est là ce que vous prétendez cependant.

(page 1102) Je crois, messieurs, qu'il suffit d'un peu de bon sens pour reconnaître l'impossibilité de ce système.

- La discussion générale est close ; la Chambre passe à celle des articles.

Chapitre premier. Administration centrale

Articles 1 à 4

« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Traitements des fonctionnaires, employés, gens de service et gens de peine, et frais du comité de législation et d'administration générale : fr. 300.684.

« (Une somme de 10,000 francs pourra être transférée de l'article 2 à l'article 135, Traitements de disponibilité.) »

- Adopté.


« Art. 3. Fournitures de bureau, impressions, achats et réparations de meubles, éclairage et chauffage, menues dépenses ; frais de rédaction et de souscription au Bulletin administratif du ministère de l'intérieur ; matériel du bureau de la librairie : fr. 49,400.

« Charge extraordinaire : fr. 2,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Frais de route et de séjour, courriers extraordinaires : fr. 4,300. »

- Adopté.

Chapitre II. Pensions et secours

Articles 5 à 8

« Art. 5. Pensions. Premier terme des pensions à accorder éventuellement : fr. 10,000 »

- Adopté.


« Art. 6. Subvention à la caisse centrale de prévoyance des secrétaires communaux ; subvention complémentaire à la même caisse, à laquelle les employés des commissariats d'arrondissement sont affiliés : fr. 27,000. »

- Adopté.


« Art. 7. Secours à d'anciens employés belges aux Indes, ou à leurs veuves ; charge extraordinaire : fr. 4,094 66. »

- Adopté.


« Art. 8. Secours à d'anciens fonctionnaires et employés, à des veuves et enfants d'employés qui, sans avoir droit à la pension, ont néanmoins des titres à l'obtention d un secours, à raison de leur position malheureuse : fr. 12,000. »

- Adopté.

Chapitre III. Statistique générale

MpDµ. - La parole est à M. Magherman.

MiPµ (pour une motion d’ordre). - Je ne sais pas si l'intention de l'honorable M. Magherman est de traiter la question soulevée, il y a quelque temps, au commencement de la discussion du budget de l'intérieur ; je veux parler de la question de la population au point de vue du nombre des membres des Chambres. S'il en était ainsi, je prierai la Chambre de remettre cette discussion à demain, ou mieux encore à la fin de la discussion du budget, afin de me permettre de produire dans ce débat divers renseignements que je n'ai pas encore reçus.

M. Maghermanµ. - C'est en effet pour traiter cette question que j'avais demandé la parole. Je défère volontiers à la demande de M. le ministre de l'intérieur.

MiPµ. - Nous pourrions réserver tout le chapitre III ; il serait bien entendu que les inscriptions de MM. Magherman et Dumortier restent acquises.

M, Jacobsµ. - Ne pourrait-on pas faire imprimer les documents dont parle M. le ministre de l'intérieur quand il les aura reçus ?

M. Dumortierµ. - J'appuie cette demande.

M. de Theuxµ. - Et moi également.

MfFOµ. - On verra s'il y a nécessité d'imprimer ces renseignements quand ils auront été recueillis.

MpDµ. - Le chapitre III est donc réservé.

Chapitre IV. Frais de l’administration dans les provinces

M. de Maereµ (pour une motion d’ordre). - Si ma mémoire est fidèle, l'année dernière le conseil communal de Gand a décidé qu'une pétition serait adressée à la Chambre pour demander que la connaissance en dernier ressort des contestations en matière électorale soit transférée aux tribunaux.

Je ne veux pas, en ce moment, examiner le fond de la question dont il s'agit ; ce serait évidemment inopportun. Je me bornerai à constater que des réclamations analogues nous sont parvenues de la part d'autres administrations communales et d'associations politiques.

En ce qui me concerne, je n'hésite pas à déclarer qu'il est urgent d'aviser, et qu'en raison des faits nombreux qui ont été signalés depuis quelque temps et en présence aussi de l'altitude prise par certaines députations permanentes à l'égard des arrêts de la cour de cassation, il devient impossible de laisser ces collèges disposer plus longtemps et ce, dans la plupart des cas, souverainement, des droits des électeurs.

J'ai, en conséquence, l'honneur de demander au gouvernement (et je serais heureux de recevoir une réponse affirmative) s'il entre dans ses intentions de déposer encore avant la fin de la session actuelle un projet de loi tendant à dessaisir en tout ou en partie les députations permanentes des conseils provinciaux de leurs attributions en matière électorale.

MiPµ. - Il existe un projet de loi préparé sur la matière dont l'honorable M. de Maere vient d'entretenir la Chambre. Mais ce projet est très long, très compliqué ; il est donc parfaitement certain que la Chambre ne pourrait pas le discuter avant la fin de la session. Le gouvernement compte déposer ce projet de loi au commencement de la session prochaine.

MpDµ. - M. de Maere n'insiste pas ?

M. de Maereµ. - Non, M. le président.

MpDµ. - Nous reprenons donc la discussion du budget.

M. Julliotµ. - Messieurs, depuis quelques années, des conseils communaux désireux de beaucoup administrer, et de faire parler d'eux, se livrent trop souvent à réglementer des matières qui se trouvent beaucoup mieux dans les conditions de la liberté.

Les députations permanentes, qui peuvent, dans les quarante jours, annuler ces délibérations, sont peu intéressées à se quereller avec les communes et laissent parfois passer des entraves à la liberté, qui. n'ont pas de raison d'être, parce que cette liberté, que ces règlements confisquent, ne nuisaient pas à la liberté d'autrui.

Je puis en citer plus d'un exemple ; il est des communes où on défend encore aux étrangers d'acheter au marché avant telle heure, et même d'acheter en tout autre lieu que celui destiné à la tenue du marché, etc., d'autres prescrivent une peinture, un badigeonnage uniforme des maisons, etc.

Eh bien, tout cela relève encore du système attardé de la protection et doit disparaître dans l'intérêt de tous, même dans celui des communes qui pratiquent cette vieillerie, car, le vendeur comme l'acheteur étrangers, gênés dans leurs transactions, désertent le marché pour se rencontrer ailleurs.

J'ai été dans le cas d'avoir affaire à une autre réglementation que j'envisage comme illégale.

Il est de principe que ce qui est réglé par des dispositions générales ne peut plus l'être par des règlements provinciaux ni communaux ; or, la grande voirie avec ses dépendances est régie par des lois et des arrêtés royaux et relève de la direction et de l'administration centrale et non pas de la commune.

Néanmoins, il est des villes qui, confondant la grande voirie avec la voirie urbaine, ont réglementé le tout à leur guise et ont ordonné la construction de trottoirs artistiques aux dépens des habitants qui se seraient contentés de moins.

(page 1103) Il est né de cette confusion un conflit entre les communes et l'administration des ponts et chaussées, et ce conflit n'est pas levé.

Messieurs, il est à remarquer que la Constitution ne connaît plus de différence entre ville et village, elle ne reconnaît, que des communes et toutes sont sur la même ligne, d'où il suit que le plus petit village pourrait copier pour la grande voirie ce que font ces villes, ce qui serait illégal de l'un côté comme de l'autre ; je dis donc que la commune peut réglementer la voirie urbaine, mais qu'elle ne le peut sur la grande voirie. Sous ce rapport, le ministre des travaux publics a une revendication à faire sur son collègue de l'intérieur.

J’engage l'honorable ministre de l'intérieur à rappeler aux députations provinciales et aux conseils communaux que toute réglementation est une restriction à la liberté, que c'est parfois un mal nécessaire, mais qu'en cette matière, il ne faut jamais faire de l'art pour l'art, mais respecter la liberté tant qu'elle ne nuit pas à celle d'autrui et ce sera un progrès.

Trêve donc à toute réglementation qui n'est pas indispensable.

M. Wasseigeµ. - Je demande la permission à la Chambre de revenir un instant sur la motion de l'honorable M. de Maere.

Cette motion soulève une des questions les plus importantes, et le projet de loi qui nous est annoncé par le gouvernement, pour enlever aux députations permanentes l'examen des réclamations en matière de formation des listes électorales aurait pour effet de bouleverser tout notre système électoral.

Ce projet de loi exigera donc un examen approfondi. Je ne veux rien préjuger ; seulement je dois protester de toutes mes forces contre l'accusation de partialité qui ressort à l'évidence des paroles de l'honorable membre.

Parce que des députations permanentes, corps électifs parfaitement indépendants, et j'ajoute parfaitement honorables, ne partagent pas tous les avis de la cour de cassation en matière électorale, ce n'est pas une raison pour en induire que ces corps ne jugent pas consciencieusement et ne jugent pas bien. Ces allégations mêmes prouvent et sans autre élément que les plaintes des partis évincés ne pouvaient passer sans protestation et c'est ce que j'ai voulu faire.

MjBµ. - La question qui a fait l'objet de l'interpellation de l'honorable M de Maere a déjà occupé la Chambre, notamment lorsqu'on a parlé des élections communales d'Alost en 1866.

Evidemment, messieurs, le gouvernement ne s'est pas occupé de la rédaction d'un projet de loi sur la matière, sans avoir eu à constater un grand nombre d'abus.

Eh bien, je prétends que si nous produisions devant la Chambre les décisions rendues par certaines députations permanentes, il n'est pas un seul membre de cette assemblée qui ne déclare qu'une loi est indispensable et qui ne reconnaisse que, notamment dans les élections d'Alost, les abus les plus scandaleux, le mot n'est pas trop fort, ont été constatés.

Il suffira, pour faire voir comment a procédé la députation permanente de la Flandre orientale à l'égard des réclamations présentées au sujet des listes électorales d'Alost, de mettre en regard les unes des autres les décisions qui ont été prises par ce collège. Si la Chambre le désire, je lui communiquerai ces décisions.

- Voix à gauche. - Oui ! oui !

MjBµ. - Si j'avais été informé de l'interpellation de l'honorable M. de Maere, je me serais mis en mesure de mettre immédiatement sous les yeux de la Chambre les arrêtés auxquels je fais allusion.

Nous sommes à la veille des élections : j'engage vivement tous les citoyens à défendre énergiquement leurs droits vis-à-vis des députations permanentes, à surveiller les opérations de ces corps et à faire en sorte qu'on n'ait plus de décisions semblables à celles que je signale à la Chambre.

Je suis convaincu que quand la Chambre les connaîtra, il n'y aura ici qu'une voix pour blâmer le système qui a été mis en pratique.

Si la Chambre le désire, je produirai dans une autre séance les pièces que je possède.

M. Wasseigeµ. - Pour ma part, non seulement je désire le dépôt des pièces annoncées par l'honorable ministre, mais je le demande formellement.

Il ne suffit pas de produire devant la Chambre des allégations aussi graves que celles qui viennent d'être avancées par M. le ministre de la justice, il ne s’agit pas de traiter de scandaleuses les décisions de corps honorables. Il faut le prouver, il faut mettre la Chambre à même de les apprécier. Il n'est pas permis de flétrir une députation permanente, comme vient de le faire M. le ministre de la justice, sans qu'on établisse à l'évidence que cette flétrissure est fondée. Et je suis étonné que M. le ministre de l'intérieur, comme l'a fait un jour son honorable prédécesseur, ne se trouve pas à mes côtés pour défendre les députations permanentes qui ressortissent à son département et devraient trouver en lui leur appui naturel.

M. Van Wambekeµ - Messieurs, je suis excessivement étonné des paroles de M. le ministre de la justice. A mon tour, si j'avais connu l'interpellation de l'honorable M. de Maere, les pièces en mains, j'aurais prouvé que les décisions qui ont été rendues, au sujet des élections d'Alost, sont toutes marquées au coin de la plus impartiale justice. Si la Chambre le croit utile, je me fais fort de produire tous les arrêtés rendus à cet égard, et vous verrez que pendant longtemps les listes électorales d'Alost ont été viciées, c'est-à-dire qu'elles contenaient de faux électeurs qui en ont été rayés par décision de la députation permanente de la Flandre orientale

Dans une autre séance, M. le ministre de la justice a dit que les élections d'Alost avaient eu lieu, grâce à l'élimination d'une quarantaine d'électeurs ; eh bien, nous vous prouverons, au moment opportun, que la députation permanente de la Flandre orientale n'a prononcé, si je ne me trompe, que sur une trentaine de contestations élevées au sujet des listes électorales d'Alost ; que toutes ces décisions sont justifiables en fait et en droit. Puisque M. le ministre de la justice dit qu'il y a contradiction entre plusieurs de ces arrêtés, qu'il me soit permis de dire que le conseil communal, lorsqu'il était composé autrement qu'il ne l'est aujourd'hui, a rayé lui-même plusieurs de ces électeurs, et que la députation permanente n'a prononcé la radiation que de plusieurs personnes qui n'auraient jamais dû figurer sur les listes électorales.

Messieurs, je crois devoir protester énergiquement contre cette allégation, que la députation permanente de la Flandre orientale aurait rendu, sur les réclamations des électeurs d'Alost, des décisions qui ne seraient justifiables ni en fait ni en droit. C'est une protestation que j'ai le droit de soulever ; car si j'avais les arrêtés en main, je prouverais que toutes ces allégations n'ont absolument rien de fondé ; que ce n'est qu'un prétexte qu'on cherche pour faire une campagne contre une députation permanente dont les décisions parfaitement justes gênent nos adversaires.

Lorsque cette députation était autrement composée, et rendait des arrêtés beaucoup moins justifiables que ceux qu'on vous dénonce aujourd'hui, on ne faisait aucune réclamation alors, la presse n'avait pas reçu le mot d'ordre, de crier à l'injustice et à l'arbitraire.

Si M. le ministre de la justice veut entamer ce débat, je le répète, je tâcherai de prouver, arrêtés en mains, qu'il est impossible de soutenir que plusieurs des arrêtés de la députation sont injustifiables, qu'au contraire la députation a suivi les véritables principes sur la matière.

MjBµ. - L'honorable M. Van Wambeke s'est trop pressé ; quand il verra les arrêtés, il ne tiendra plus le même langage

M. Van Wambekeµ. - Je les ai.

MjBµ. - Je les mettrai les uns en regard des autres, et vous verrez que des motifs différents ont été invoqués dans des cas tout à fait identiques. Je prétends que pas un membre de cette Chambre ne soutiendra ces arrêtés.

M. Van Wambekeµ. - Je les soutiendrai.

MjBµ. - Je répète que le gouvernement a été amené à s'occuper de la formation des listes électorales et à formuler un projet de loi, à cause des nombreux abus qui avaient été signalés.

L'honorable M. Wasseige dit qu'il proteste d'avance contre le système qui tendrait à faire croire que les députations permanentes n'ont pas rendu des décisions justes. Mais, messieurs, je ne suis pas le premier qui signale à la Chambre les inconvénients que présente la juridiction contentieuse des députations permanentes.

Est-ce que l'honorable M. Reynaert et l'honorable M. Delcour n'ont pas avant moi élevé la voix ?

D'où viennent les abus la plupart du temps ? De ce qu'on a pour juges des personnes qui sont élues par le corps électoral, qui défendent un parti politique et qui dès lors sont en même temps juges et parties dans la cause.

Voilà pourquoi ces personnes sont exposées à prendre des décisions qui provoquent de justes réclamations.

(page 1104) Je ne dis pas que les intentions de ces corps sont perverses ; mais je dis qu'ils sont entraînés, par les passions politiques, à se laisser guider par des intérêts purement politiques.

M. de Theuxµ. - Messieurs, on nous annonce un projet de loi qui sera accompagné d'un exposé de motifs ; mais avant que cet exposé des motifs nous soit connu, on vient ici prononcer des condamnations contre certaines députations permanentes, condamnations essentiellement arbitraires. Nous examinerons les faits

Mais je conjure le gouvernement de préparer un autre projet de loi d'une importance plus générale, un projet qui aurait pour objet de faire disparaître des listes électorales, de faux électeurs au titre de débit de boissons alcooliques, les cabaretiers. Voilà à quoi je conjure le gouvernement de songer sérieusement ; car la représentation nationale sera toujours entachée d'un vice originel, tant que l'abus dont je parle n'aura pas été corrigé.

MfFOµ. - L'honorable M. de Theux vient de dire qu'il serait très utile de faire disparaître des listes électorales les électeurs qui y figurent par des moyens frauduleux. Je suis de l'avis de l'honorable membre ; je crois que rien n'importe plus que de voir assurer la sincérité des listes électorales.

Je me suis moi-même beaucoup occupé des moyens qui pourraient être employés afin d'assurer cette sincérité, et j'ai même proposé des mesures législatives pour atteindre ce but si désirable.

Dans les discussions qui ont eu lieu à d'autres époques dans la Chambre sur le même sujet, on a signalé divers moyens à l'aide desquels on fabriquait de faux électeurs.

Eh bien, en vue de rechercher ce que l'on pourrait faire pour remédier aux abus qui avaient été dénoncés, j'ai prescrit une enquête ; j'ai adressé aux directeurs des contributions en province une circulaire pour les inviter à faire relever tous les actes de fraudes en matière électorale qui seraient portés à leur connaissance.

Une enquête semblable a eu lieu en 1842, époque où l'on a fait entendre les premières plaintes contre les fraudes électorales. J'ai été amené à la renouveler, à la suite de l'examen de rapports qui m'ont été adressés récemment sur le produit des impôts.

J'avais remarqué que, pour certaines communes, on signalait des variations notables dans le produit de l'impôt se rapportant à divers exercices ; or, ces variations étaient attribuées à ce que l'on avait fait, en vue des élections qui devaient avoir lieu dans certaines années, des déclarations qui n'avaient pas été renouvelées ultérieurement.

En général, la plupart des faits signalés se rattachaient aux élections communales. J'ai voulu constater ce qu'il en était en réalité. Une enquête a donc été ordonnée. La Chambre sait peut-être que certains journaux se sont beaucoup occupés de cette enquête. Son but et sa portée ont été complètement dénaturés. On a supposé au gouvernement des intentions passablement absurdes ; par exemple, celle de faire des électeurs, comme s'il en avait le pouvoir et les moyens, ou bien d'établir la statistique des opinions des électeurs.

Le gouvernement a envoyé la circulaire à une époque où les rôles étaient arrêtés, lorsqu'il n'y avait plus aucune espèce d'action à exercer, et simplement en vue de s'éclairer et d'éclairer la législature.

La Chambre sait d'ailleurs que le gouvernement n'a pas d'action sur la formation des listes électorales ; ces listes sont établies par l'autorité communale et c'est aux citoyens qu'il appartient de se pourvoir, en cas de réclamation, devant les autorités compétentes, qui sont, en cette matière, les députations permanentes des conseils provinciaux, collèges parfaitement indépendants de toute influence gouvernementale.

Ce sont donc les députations permanentes qui exercent sur la formation des listes électorales une action tout à fait prépondérante.

Eh bien, messieurs, on ne peut pas contester que des faits graves et nombreux nous aient été signalés sur la manière dont la justice était rendue en. cette matière. Cela a assurément son importance aussi pour la sincérité des listes électorales.

Il y a quelque temps, l'honorable M. Delcour a dit dans cette Chambre que le régime qui existe pour l'exercice de la juridiction des députations permanentes devait subir une réforme, et qu'il ne pouvait pas admettre qu'un corps eût le pouvoir exorbitant de statuer à huis clos, sans débat contradictoire, sans aucune espèce de publicité, sur les droits des citoyens.

De son côté, l’honorable M. Reynaert, comme vient de le rappeler l'honorable ministre de la justice, a énoncé des faits qu'il impute à une députation permanente.

Enfin, postérieurement, des faits plus nombreux et plus graves ont été également dénoncés par des administrations publiques et par des associations politiques, contre les tendances et les actes de plusieurs de ces collèges.

Il était impossible que le gouvernement restât indifférent devant cette situation. Le gouvernement, conformément aux engagements qu'il avait pris, a examiné les questions qui avaient été soulevées, et un projet de loi a été préparé pour les résoudre.

Ce projet de loi est, par son principe, de nature à concilier tous les intérêts. Je n'entrerai pas actuellement dans ses détails ; il comprend une cinquantaine d'articles ; je veux me borner à en énoncer le principe.

Dans l'état actuel de la législation, les collèges échevinaux en certains cas et les conseils communaux en d'autres, statuent en matière électorale eu premier degré ; l'appel et porté devant la députation permanente. Eh bien, il a paru qu'il fallait modifier cette manière de procéder ; on laisserait aux administrations communales le soin de préparer les listes électorales, et l'appel contre la formation des listes serait porté en premier degré devant la députation permanente. Ce corps électif serait encore appelé à statuer sur les réclamations dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui, mais il y aurait appel des décisions prises par les députations permanentes devant la cour d'appel.

Dans ces conditions, je crois que le but que nous devons tous poursuivre, qui doit nous être commun, celui d'assurer la sincérité des listes électorales, serait atteint, et que des garanties plus sérieuses, plus efficaces, seraient offertes aux citoyens.

En effet, dès que l'on serait admis à débattre contradictoirement, publiquement, ses droits devant les corps judiciaires élevés, comme le sont les cours d'appels, il y aurait pour les citoyens la certitude que leurs droits ne seraient jamais méconnus.

M. Dumortierµ. - Messieurs, l'honorable ministre des finances vient de donner des explications sur la circulaire dont les journaux ont beaucoup parlé. Verrait-il quelque inconvénient à publier au Moniteur la circulaire dont il s'agit ? Ce serait le meilleur moyen de mettre un terme aux critiques qui se sont élevées.

MfFOµ. - Je n'y vois aucun espèce d'inconvénient.

M. Dumortierµ. - Je voulais seulement faire cette observation dans l'intérêt de la discussion. Je rentre maintenant dans l'objet de la discussion.

J'ai deux observations à faire : la première, c'est celle relative à la formation des listes électorales, la seconde est relative à l'immixtion des pouvoirs judiciaires dans les choses administratives. Quant au second point, ne craignez-vous pas que ce soit une véritable confusion de pouvoirs ?

Noire ordre politique réside sur la distinction des pouvoirs, et n'est-il pas imprudent de faire intervenir les pouvoirs judiciaires dans les questions qui sont d'un ordre purement administratif ? Mais je voulais surtout parler ici de la question des pénalités.

L'honorable M. Bara a vivement attaqué la députation permanente de la Flandre orientale que je crois, moi, parfaitement honorable, et je tiens, jusqu'à preuve du contraire, le jugement qu'elle a rendu comme n'étant pas entaché de partialité.

Mais je crois que si des abus ont été quelquefois signalés dans cette enceinte au sujet des actes des députations permanentes, ce ne sont pas des imputations graves qu'on a lancées ; ce sont des faits qu'on a signalés.

Or, quelle est l'autorité qui préside à la formation des listes électorales ? C'est évidemment l'autorité communale.

Quelle est celle qui introduit le plus de faux électeurs ? Evidemment c'est la commune.

L'honorable ministre des finances nous parle de l'esprit de parti qui peut diriger telle administration provinciale. Mais parlez-nous donc de l'esprit de parti qui peut diriger telle administration communale !

Veuillez remarquer une chose surtout : c'est que quand une administration communale forme ses listes électorales, elle nomme ses juges.

Dès lors elle a tout intérêt à écarter les juges qui ne lui conviennent pas et d'introduire, dans ce jury des juges qui soient pour elles.

C'est ce qui s'est souvent passé ! On a vu dans la plupart de nos communes (page 1105) introduire une foule de faux électeurs que les députations permanentes, catholiques ou libérales, ont écartés avec raison.

On a vu, d'un autre côté, omettre dans les listes électorales une foule d'électeurs de l'opinion contraire.

C'est surtout là qu'est le mal. Si je signale ces faits au gouvernement, c'est pour que dans le projet il y ait tout au moins quelques garanties en matière de formation des listes électorales.

Nous avons en matière électorale deux faits qui sont complètement dépourvus de garantie.

C'est la formation des listes et le dépouillement du scrutin.

Ni pour l'une ni pour l'autre il n'y a l'ombre d'une garantie. Or, messieurs, en matière de gouvernement représentatif, tout repose sur les garanties. Eh bien, là il n'y en a pas. Ce sont des faits qu'on ne peut pas révoquer.

Il est donc désirable qu'on puisse trouver des garanties pour ces deux faits.

Pour mon compte j'ai eu trop souvent l'occasion de signaler les abus commis par certaines administrations communales dans la formation des listes électorales pour ne pas avoir le droit de dire que ces abus sont cent fois, mille fois plus nombreux et plus graves que ceux qu'on reproche aux députations permanentes.

MfFOµ. - Je pense que nous ne devons pas anticiper sur la discussion des principes qui doivent servir de base au projet de loi annoncé. Quand la Chambre sera saisie de ce projet de loi, on l'examinera. Je veux seulement faire remarquer à l'honorable M. Dumortier qu'il se trompe, lorsqu'il parle de confusion possible des pouvoirs administratifs et judiciaires. L'appel contre les décisions des députations permanentes en matière de droits politiques serait porté devant les cours d'appel. Aux termes de l'article 92 de la Constitution, les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux. Aux termes de l'article 93, les contestations qui ont pour objet des droits politiques sont également du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi. Les députations permanentes sont donc des corps qui jugent exceptionnellement, puisque, d'après la Constitution, ce sont les tribunaux qui devraient connaître des litiges en matière politique.

Il n'y a donc pas à se préoccuper des inconvénients que l'on semble craindre ; nous retournons bien plus au principe constitutionnel par les mesures que j'ai indiquées, que par celles qui sont en vigueur.

Quant à ce que l'honorable membre a dit de la formation des listes par les administrations communales, qui n'offrent pas des garanties suffisantes, l'appel qui sera fait comme aujourd'hui devant la députation permanente et en outre devant la cour d'appel, offrira toutes les garanties désirables. Il y aura simplement un acte administratif à poser : celui de dresser les listes ; rien de plus. Il n'y aura plus de décision à prendre en matière électorale, soit par le collège échevinal, soit par le conseil communal.

Ces décisions offraient sans doute quelques inconvénients lorsqu'il s'agissait de former les listes des électeurs communaux. A ce point de vue seul, la mesure aura déjà des avantages très appréciables.

(page 1107) M. Coomansµ. - Je ne m'occuperai pas du fond de la question, les éléments me feraient défaut, je n'ai demandé la parole que pour me plaindre du langage singulièrement imprudent et injuste tend par l'honorable ministre de la justice au sujet des députations permanentes.

A l'en croire, quelques-unes ont rendu des arrêts scandaleux. Il n'y a pas de flétrissure plus grande que celle-là (interruption), et votre signe d'affirmation aggrave l'insulte, M. le ministre, il n'y a pas de flétrissure plus grande que celle-là lancée à des corps aussi importants que ceux-là.

Etrange prétention de mettre la justice, l'honorabilité, l'infaillibilité des tribunaux au-dessus de celles des députations permanentes ! Mais cette prétention est inadmissible.

Du reste ce n'est pas la première fois que l'honorable ministre l'a formulée. C'est une tendance que je ne saurais assez repousser pour ma part, que de réserver tous les caractères de l'infaillibilité pour les seuls membres de la magistrature.

Il sera permis de critiquer messieurs les ministres, de révoquer en doute leur impartialité. Il sera permis de critiquer les votes des majorités les plus considérables des deux Chambres, de révoquer en doute leur justice, leur impartialité. Il sera permis d'en faire autant des décisions des conseils provinciaux et des députations permanentes ; mais il ne sera pas permis de révoquer en doute l'impartialité du moindre tribunal !

Messieurs, c'est là une inconséquence que je qualifie, moi, de scandaleuse.

Nous n'avons été que beaucoup trop loin dans cette voie inconséquente. Partisan de la liberté, je conçois que l'on admette celle de critiquer les décisions de tous les pouvoirs publics, j'avoue que je suis désireux d'en citer moi-même quelquefois, mais je ne veux pas me dépouiller du droit de critiquer au besoin les décisions des tribunaux. Il y a là une inviolabilité exceptionnelle et exorbitante, à laquelle je ne souscrirai pas ; et si M. le ministre de la justice est tellement jaloux de l'honneur de la magistrature, qu'il ose demander pour elle cette exception, je m'étonne que l'honorable ministre de l'intérieur ne défende pas des corps parfaitement honorables qui viennent d'être flétris par M. le ministre de la justice.

Messieurs, si je vous faisais de l'histoire, je démontrerais le tort étrange de M. le ministre de la justice ; en effet pendant des siècles nos juges ont été élus ; croyez-vous qu'ils présentassent, dans ces conditions, des caractères d'impartialité et de justice moindres que les juges nommés par M. Bara ? Je le nie. Nos justices échevinales, justices civile et criminelle, ont toujours été considérées comme justes, et je dois le dire, il n'en est pas de même de tous les tribunaux, de tous les juges nommés par M. Bara.

Pendant des siècles, la justice a été rendue par des juges élus et je ne sais pas si le cours des choses ne nous conduira pas au renouvellement de ce prétendu abus d'un autre âge. Je crois qu'il y a plus de garanties d'impartialité dans l'élection que dans les nominations faites par un gouvernement.

El ici, messieurs les ministres, je m'élève, vous le sentez bien, au-dessus des questions de partis, car ce que je viens de dire me paraîtrait tout aussi vrai, s'il y avait six Malou assis sur votre banc.

Non, vous ne pouvez pas réserver pour les tribunaux seuls ce bénéfice de la présomption de l'inviolabilité et de l'impartialité. Quand vous permettez que l'on discute librement les votes des Chambres, vos propres actes, vous devez permettre qu'on discute les jugements et arrêts des tribunaux.

MiPµ. - M. Coomans, nous les discutons tous les jours. Dans tous les tribunaux de Belgique vous les verrez discuter.

M. Coomansµ. - Par les avocats ! C'est encore un privilège. Mais vous trouvez étrange, et c'est là un préjugé généralement répandu dans tous les rangs de la société qu'on se permette quelquefois de discuter des jugements et arrêts.

MfFOµ et MiPµ. - Pas du tout.

M. Coomansµ. - On parle toujours du respect de la chose jugée.' Parle-t-on jamais du respect dû aux votes de la Chambre ? Qu'on la respecte en ce qui concerne les conséquences de la chose matérielle, soit ; mais ce n'est pas de cela que je parle. Il n'entrera jamais dans les intentions de personne d'empêcher l'exécution des jugements et arrêts des tribunaux. Mais je constate qu'il y a tendance générale, surtout de la part de M. le ministre de la justice, à présenter ses tribunaux et particulièrement ses juges comme doués de la vertu de l'infaillibilité. Il n'en est rien, et je m'étonne que cette grave accusation lancée .contre nos députations permanentes soit formulée par l'honorable ministre de la justice qui, lui, a introduit, on l'en accuse généralement et j'ajoute que je le pense, la politique dans les nominations judiciaires.

Il y a bien longtemps que je ne hante plus régulièrement les tribunaux, mais ce sont des jurisconsultes parfaitement honorables qui ont déclaré cela et qui savent presque d'avance sur certaines questions s'ils gagneront ou perdront leur procès ; combien de fois on se demande, avec inquiétude : « Par quel tribunal serons-nous jugés ? »

Eh bien, les circonstances ne permettent pas de dépouiller les députations permanentes qui figurent, selon moi, parmi les corps les plus importants du pays, les circonstances ne permettent pas, dis-je, de les dépouiller d'une de leurs plus précieuses prérogatives pour en investir les tribunaux, même des cours d'appel, car, en définitive, si les cours d'appel, ce dont je ne puis douter, sont justes et vénérées aujourd'hui, qui osera nous affirmer que plus tard elles le seront au même degré ? Je n'en suis pas sûr et, quant à moi, je dois le dire, mon principal grief contre la politique régnante, c'est d'avoir fait baisser la magistrature dans l'estime, dans la confiance du pays, car la magistrature, c'est la base la plus essentielle de l'ordre social.

Beaucoup de choses peuvent être ébranlées, déplorablement ébranlées, sans ruiner une nation, mais quand c'est la magistrature qui l'est, l'ordre social est bien près de crouler sur sa base. Et, pour achever ma pensée, je dirai que c'est le caractère véritablement honorable de la magistrature française qui a peut-être sauvé la France dans le plus grand péril.

Si la magistrature n'avait pas été plus honnête que beaucoup d'autres pouvoirs, la révolution de 1848 aurait peut-être eu son néfaste cours.

(page 1108) Encore une fois, messieurs, gardons-nous, surtout quand nous avons l'honneur d'être ministre et particulièrement ministre de la justice, de flétrir, de déshonorer des pouvoirs publics, de désarmer les conseils provinciaux et leurs députations, car, remarquez-le, la flétrissure dont vous voulez frapper les députations permanentes enveloppe les conseils provinciaux et les électeurs ; car, si les membres des députations permanentes ont commis des actes scandaleux, on peut affirmer qu'une grande part de responsabilité incombe aux conseils provinciaux et aux électeurs. Nous sommes tous responsables à un degré quelconque du bien ou du mal qui se fait dans notre pays.

Quant à vous, vous connaissez ma pensée. Notre système électoral ne vaut rien ; il est incomplet et faux d'un bout à l'autre, du haut en bas et tous les palliatifs que vous emploierez contre ce mal seront insuffisants. Je veux bien croire que l'honorable ministre des finances désire épurer un peu le corps électoral. Je crois que c'est là sa pensée sincère. Cette pensée est bonne, mais ce sera une tentative non suivie d'exécution. On ne remet pas à neuf ce qui est pourri et votre corps électoral est pourri.

(page 1105) M. de Theuxµ. - Messieurs, cette question a été agitée récemment en Angleterre. M. Disraeli a consulté la magistrature anglaise. Le chef de la justice, après avoir consulté la magistrature, a prié le gouvernement de n'en rien faire.

MfFOµ. - Ce n'est pas dans ce cas-là.

M. de Theuxµ. - C'est dans un cas analogue. Il a voulu attribuer à la justice le jugement de la validité des élections.

Eh bien, nous qui nous sommes plaints plusieurs fois de certaines décisions de la majorité de la Chambre, nous n'avons pas demandé une pareille mesure.

N'avons-nous pas va la même Chambre, dans deux séances, prononcer le pour et le contre ?

C'est parce que la Chambre élective est juge et partie, que M. Disraeli avait voulu attribuer la vérification des élections à l'ordre judiciaire. Eh bien, la justice anglaise a refusé cette mission politique.

On n'a pas réfléchi non plus, chez nous, qu'il faudra probablement augmenter considérablement la magistrature, que le barreau sera peut-être insuffisant, qu'il en résultera des frais pour jouir de ses droits d'élection.

Du reste, je ne veux pas anticiper. Nous verrons le projet de loi.

D'après les garanties plus ou moins grandes qu'il proposera, nous nous prononcerons en toute équité et en pleine connaissance de cause.

Puisque le ministère veut assurer à chacun la garantie de ses droits, j'engage M. le ministre des finances à faire droit aux réclamations que j'ai faites lors de la discussion de la dernière loi électorale, c'est d'assurer aux patentables, auxquels on enlève le bénéfice d'une partie du chiffre de leur patente, en le diminuant arbitrairement, le droit de recours, car, aujourd'hui, dans ce cas, ce n'est pas le conseil communal ni la députation, ce n'est pas le corps électif et ce ne sera pas l'ordre judiciaire que vous voulez saisir, qui viendra trancher la question. Ce sont trois personnes irresponsables formant le comité de patentes.

Je dis qu'un recours doit être assuré au patentable. Cela est évident.

De même que l'on ne doit pas accepter la déclaration qu'on fait frauduleusement, de même le contribuable n'est pas obligé d'accepter la décision d'un simple comité sans réclamation, sans recours.

Il faut que l'électeur ou celui qui veut le devenir puissent réclamer malgré la décision du comité.

Qu'on entoure les décisions des corps, quels qu'ils soient, qui seront appelés à statuer d'une manière quelconque en matière électorale, de toutes les garanties, je ne demande pas mieux. Je n'ai jamais demandé que la justice : rien de plus, rien de moins.,

Il faut qu'aucun citoyen ne puisse être arbitrairement dépouillé de ses droits.

Voilà la maxime fondamentale. Elle est surtout vraie quand on l'applique en matière politique.

Pour le moment, je ne veux pas approfondir cette question, mais je ne pouvais me dispenser de faire quelques réserves à cet égard.

Certes, je tiens la magistrature en général pour très honorable, mais il ne faut pas en faire une divinité.

Nous avons vécu sous la magistrature créée lors de la conquête de la Belgique par la France. Je demande à ceux qui ont le souvenir du passé si l'on avait confiance en cette magistrature ?

Nous avons eu sous le royaume des Pays-Bas, une magistrature largement organisée.

Qu'a-t-on fait à la révolution ?

On a cassé un grand nombre de magistrats. Je ne dis pas que ceux qu'on a cassés avaient forfait, mais il n'en est pas moins vrai qu'on les soupçonnait.

M. De Fréµ. - Ils n'étaient pas inamovibles.

M. de Theuxµ. - L'inamovibilité ne fait pas l'homme d'honneur.. Donnez-moi un homme d'honneur sans l'inamovibilité, et je trouverai en lui plus de garanties que dans un fonctionnaire inamovible dont le caractère n'aurait pas la même élévation.

La véritable indépendance n'est ni dans l'inamovibilité, ni dans la richesse, ni dans la science ; elle est dans le caractère, dans la constance des principes.

Quand on est arrivé à mon âge, on a une grande expérience des hommes et des choses. Je déclare que je n'admets qu'une seule garantie absolue de sincérité dans les arrêts, c'est celle qui résulte de la probité individuelle.

M. Van Wambekeµ. - Je crois ne plus devoir entrer dans le fond du débat, mais je persiste à protester énergiquement contre les paroles dont M. le ministre de la justice s'est servi au sujet des décisions de la députation permanente, et surtout de celle de la Flandre orientale, qui a dû statuer sur les réclamations de la liste électorale d'Alost.

M. le ministre de la justice a fini son discours en engageant vivement les électeurs à user de leurs droits, mais il se passe aujourd'hui, dans l'arrondissement et la ville d'Alost, des faits sur lesquels je me permets d'appeler l'attention de M. le ministre des finances.

Nous sommes à la veille de l'expiration du délai pour la publication des listes électorales ; les réclamations ne peuvent se produire que jusqu'au 4 mai et jusqu'ici on a trouvé le moyen dans la commune d'Alost de nous empêcher de réclamer. On ne nous a envoyé encore aucun billet de contributions, de sorte que nous sommes obligés de faire nos réclamations sans avoir un seul titre.

Nous copions, autant que possible, les rôles qui sont déposés à la maison communale, mais nous ne pouvons produire aucun billet.

Voilà, messieurs, un véritable scandale, sur lequel j'appelle l'attention de M. le ministre des finances.

MfFOµ. - J'examinerai les faits.

(page 11066) M. Ortsµ. - Je crois que l'honorable M. Coomans rend un mauvais service aux députations permanentes en défendant leur compétence actuelle en matière électorale par une série d'arguments qui aboutissent à cette conclusion magnifique : le corps électoral belge tout entier est complètement pourri...

M. Coomansµ. - Je n'ai pas dit tout entier.

ML Ortsµ. - ... que le corps électoral est pourri du haut en bas, et qu'il n'y a pas de remède au mal.

Or, comme les députations permanentes sont, au second degré, le produit de ce corps électoral pourri, je trouve très peu séduisante l'idée de leur continuer une mission aussi importante que celle de maintenir, autant que cela est possible, la sincérité dans ce qu'il peut encore y avoir de sain dans le régime électoral.

Si le corps électoral qui crée les membres des conseils provinciaux, lesquels créent les membres des députations permanentes ; si ce corps électoral est pourri, je demande qu'on remette, et bien vite, le jugement des questions les plus importantes en matière électorale, à la magistrature, car au moins la magistrature, quelque piètre idée qu'en ait M. Coomans, la magistrature échappe à ce reproche d'être le produit d'un corps électoral pourri.

La magistrature belge se recrute par elle-même, elle ne va pas demander ses candidats à MM. les électeurs qui composent le corps électoral pourri, elle choisit les hommes qu'elle juge les plus dignes de s'associer. Et je vous le garantis, il n'y a pas d'électeurs plus soucieux de faire de bons choix que ceux qui doivent nommer pour constituer leur propre corps. On est mille fois plus difficile sur le choix de gens qu'on appelle à siéger auprès de soi, que sur le choix de ceux que l'on envoie siéger ailleurs.

M. Coomans a lancé contre la magistrature des accusations que je considère comme aussi imméritées, aussi dangereuses, que la qualification de pourri adressée au corps électoral, Prenons garde : si l'on devait juger la Belgique d'après les discours de l'honorable M. Coomans, on ne pourrait s'en faire à l'étranger qu'une singulière idée.

Tout notre système politique et administratif est basé sur l'élection et notre corps électoral est complètement pourri ! Administrations, Chambres, ministres, conseils provinciaux, conseils communaux, plus rien ne vaut, car tout émane du corps électoral et ce corps est pourri ! Restait au moins la magistrature.

Eh bien, aujourd'hui, toujours d'après M. Coomans, la magistrature a perdu son prestige, elle n'inspire plus la moindre confiance aux populations. cette magistrature que l'on a dotée de l'inamovibilité, cette magistrature que la Constitution a élevée à la hauteur d'un pouvoir égal au pouvoir législatif dont l'honorable M. Coomans est membre, cette magistrature, elle est repoussée par l'esprit public comme viciée dans sa composition par la partialité des choix du gouvernement ; en un mot, elle ne vaut pas mieux que les corps électifs.

Restait au moins l'armée, je ne parle pas du clergé qui est hors de l'Etat. Restait l'armée. Eh bien, que l'on demande à M. Coomans ce qu'il pense de l'armée. Il nous en a fait dans la discussion de la loi d'organisation militaire des descriptions qui me dispensent de commentaires.

Ainsi donc, dans l'opinion résumée de l'honorable membre, il n'y a rien de bon en Belgique, ni dans le domaine politique, ni dans le domaine judiciaire, ni dans le domaine administratif, ni dans le domaine militaire. Voilà le portrait qu'il trace de son pays !

Messieurs, notre magistrature mérite plus de respect que n'en professe M. Coomans. Et sans aller jusqu'à réclamer pour elle une irresponsabilité à laquelle le Roi seul a droit, j'admets qu'on discute ses actes et jugements.

Je fais mieux, je les discute largement chaque jour et devant elle, sans qu'elle le trouve mauvais. Mais j'affirme aussi que notre magistrature est au moins l'égale de la magistrature la mieux établie de n'importe quel pays civilisé de l'Europe, qu'elle est digne de toutes les magistratures anciennes auxquelles on l'a comparée ; qu'elle inspire au moins autant de confiance aux populations que cette magistrature française à laquelle M. Coomans fait un mérite d'avoir préservé la société du naufrage, en 1848. Vous êtes l'opposition en Belgique. Demandez aux hommes de l'opposition en France ce qu'ils pensent de la magistrature belge et ce qu'ils pensent de la magistrature française ; je me réfère d'avance à leur réponse.

Certes la magistrature n'est pas inviolable ; elle peut être discutée, mais là n'est pas la question en débat. Il s'agit de savoir si la magistrature, telle qu'elle est organisée en Belgique, présente, pour le jugement des questions électorales, des garanties d'indépendance et d'impartialité que ne présente pas un corps électif. Je le crois fermement, et c'est pourquoi j'approuve à l'avance, au moins en principe, la réforme qu'annonce le gouvernement. Cette réforme a été considérée jadis comme un progrès politique immense dans un pays voisin, comme une garantie capitale offerte aux minorités politiques, à l'opposition.

Le système que l'on annonce se pratiquait en France dans les dernières années de la restauration. Le jugement des questions électorales était confié aux cours royales et l'opposition d'alors applaudissait à la fermeté, à l'indépendance des magistrats en face du pouvoir.

Qu'il y ait eu des abus dans l'administration de la justice électorale par les députations, personne ne saurait le nier, et la nature des choses le veut ainsi.

Nul n'est bon juge dans sa propre cause. Or, la députation, corps électif et politique, dresse la liste des électeurs qui devront plus tard la juger.

Elle forme les listes électorales. Donc elle a le pouvoir d'y introduire ses amis et d'en écarter ses adversaires. Dans la meilleure supposition, pareille juridiction n'a pas cette apparence d'impartialité qui est presque autant que l'impartialité même.

Le législateur organisant les institutions politiques d'un pays, d'un pays libre surtout, doit s'inspirer, avant tout, d'une pensée de défiance envers ceux qu'il charge de l'exécution de la loi. Il ne doit pas remettre le soin de l'exécution à ceux qui ont intérêt à l'exécuter dans tel sens plutôt que dans tel autre. Cette faute a été commise à propos des députations.

Le remède, quel est-il ? Donner au jugement des questions électorales des garanties de sérieuse et complète loyauté.

Donner ce jugement au pouvoir judiciaire, car son désintéressement fera le complément des garanties que l'on trouve dans le caractère personnel.

Sans doute, comme le dit l'honorable M. de Theux, l'inamovibilité, la richesse, la science ne sont pas toujours des garanties complètes d'impartialité. Dans la magistrature comme ailleurs, il faut plus : il faut être homme d'honneur. Nous le savons et les auteurs de la Constitution le savaient. Mais pour assurer cette garantie, vous avez donné au magistrat homme d'honneur, l’inamovibilité et vous avez ajouté une position financière qui, réunis, place l'homme d'honneur à l'abri de toutes les faiblesses, au-dessus de toutes les séductions.

Vous l'avez soustrait à des épreuves difficiles, à des épreuves avec lesquelles il faut compter, parce que, après tout, ceux qui y sont exposés, s'ils sont hommes d'honneur, sont des hommes, et que l'humaine nature est essentiellement faible.

Je me résume : l'organisation et la composition de notre magistrature donnent toutes les garanties désirables aux citoyens. J'appelle de tous mes vœux la réforme annoncée par MM. les ministres de l'intérieur et de la justice, bien convaincu que quand ce système aura fonctionné pendant quelques années, tous les partis en Belgique n'auront qu'une voix pour proclamer l'excellence de la mesure.

(page 1108) M. Coomansµ. - J'hésite à prendre la parole, parce que je me fais à moi-même l'honneur de croire que je n'ai pas besoin de réfuter les singulières exagérations dépensée que vient de me prêter l'honorable M. Orts.

D'après lui, j'aurais dit que le corps électoral est pourri.

- Plusieurs membres. - Entièrement pourri !

M. Coomansµ. - Que j'aurais dit entièrement pourri et que par conséquent il en était de même de toutes les émanations du corps électoral, c'est-à-dire que les Chambres seraient pourries, que l'armée ne vaut rien, que la magistrature ne vaut pas davantage. Or, messieurs, je le demande, est-il raisonnable de supposer seulement que j'aurais pensé de pareilles choses ? Ai-je pu tenir un pareil langage au sujet de l'armée par exemple, dont je n'ai cessé, dans toutes les circonstances, de faire le plus grand éloge ?

M. Ortsµ. - C'est sans doute pour lui témoigner vos sympathies que vous votez régulièrement contre le budget de la guerre.

M. Coomansµ. - Il est vraiment étrange que vous confondiez toujours le budget avec les questions d'honneur ; il est vraiment étrange que vous me fassiez passer pour un ennemi de nos officiers et de nos soldats, parce que je demande la réduction du budget de la guerre. Mais n'ai-je pas demandé la suppression de tous les fonds portés au budget pour les académies, pour les sociétés savantes, pour l'enseignement de l'Etat ? Suis-je pour cela un barbare, un ennemi de l'instruction, un ennemi de la science ? Est-il plus juste de prétendre que je suis l'ennemi de nos officiers et de nos soldats, parce que je trouve le budget de la guerre trop élevé ?

M. Ortsµ. - Vous les appelez des mercenaires.

MpDµ. - M. Orts, veuillez ne pas interrompre.

M. de Naeyerµ. - Le mot a été expliqué ; ne chicanons pas- là-dessus.

M. Coomansµ. - J'appelle mercenaires ceux qui servent pour de l'argent.

Il est très facile d'accuser ; mais il ne l'est pas autant de prouver. Ne puis-je pas concilier la plus haute estime pour nos officiers avec le désir de les voir occuper d'autres postes, embrasser d'autres carrières également honorables ? Est-ce que je mésestime nos officiers parce que je désire qu'ils deviennent avocats, ingénieurs, juges, représentants, ministres ?

Eh ! messieurs, c'est là une accusation qu'un homme honnête, loyal et instruit comme l'est l'honorable M. Orts ne devrait point se permettre.

Non, je n'ai point déclaré que l'armée était mauvaise, que la magistrature était mauvaise, que la Chambre était mauvaise, que le corps électoral était entièrement pourri. J'ai dit qu'il contient des éléments pourris. (Interruption.) Je n'ai pas dit autre chose et n'y eût-il que la cinquantième partie du corps électoral qui ne fût point pure, que mon observation serait encore parfaitement justifiée. Dans maints arrondissements c'est la centième, que dis-je ? la millième partie des électeurs qui fait la loi à tout le corps électoral. Une différence de dix suffrages, de six, parfois d'un seul suffrage, décide du scrutin.

Messieurs, prenons-y garde ! Qu'ai-je fait, après tout ? J'ai discuté une question de principe, non une question de personne ; j'ai prétendu que le caractère électif de nos députations permanentes n'était pas une raison de les dépouiller de leurs prérogatives judiciaires. J'ai invoqué l'histoire de notre pays pendant des siècles ; j'ai dit que nos juges civils et criminels étaient élus. Eh bien, pourquoi les députations permanentes qui, en réalité, constituent une magistrature, ne seraient-elles pas aptes à s'acquitter de la mission qui leur est aujourd'hui imposée ?

Et puis, veuillez-le remarquer encore une fois, c'est dans la bouche de l'honorable M. Bara moins que dans toute autre, que devrait se trouver cette étrange accusation lancée à des députations permanentes d'avoir rendu des arrêts scandaleux.

Je repousse donc de toutes mes forces les interprétations injustes et impossibles que l'honorable M. Orts a données de ma pensée. L'étranger, a-t-il dit, pourrait, d'après mon langage, se faire une singulière idée de notre pays. Il ne restait à l'honorable membre qu'un pas à faire encore pour me dire, comme l'ont fait des journaux ministériels, que je suis l'auteur des correspondances signées Van Ryck dans un journal français.

M. Ortsµ. - Oh ! non, vous écrivez mieux que cela.

M. Coomansµ. - Pourquoi n'ai-je pas protesté dans la presse contre les misérables qui ont menti sciemment en alléguant ce reproche ? C'est parce que je m'honore assez pour me croire au-dessus de pareilles infamies.

Jamais, ni dans mon pays, ni à l'étranger, je n'ai écrit une ligne qui ne fût signée de mon nom, et je ne le ferai jamais. Que chacun en fasse autant.

Il faut du patriotisme, sans doute, mais il en faut surtout dans les faits, dans les actes. Or, le véritable patriote belge, selon moi, est celui qui cherche à conduire son pays dans les voies de la liberté, de la prospérité et de l'honneur ; et ce n'est certes pas celui qui en vantant outre mesure son pays, en le proclamant parfait, le maintient dans des voies qui ne sont point celles de la prospérité et de la liberté.

(page 1106) MjBµ. - Messieurs, vous avez entendu divers orateurs protester contre mes paroles. Je tiens donc à bien les préciser.

J'ai dit que l'intervention des députations permanentes dans la formation des listes électorales avait donné lieu à des abus scandaleux. Ai-je en cela attaqué les intentions de personne ? Arrivant plus tard à examiner certains actes posés par les députations permanentes de la Flandre orientale dans l'affaire d'Alost, j'ai dit qu'il y avait des décisions rendues par elle qui, mises en regard d'autres décisions également rendues par elle, ne trouveraient pas un seul défenseur dans cette enceinte. Encore une fois, en parlant ainsi, ai-je attaqué les intentions de la députation permanente ?

Maintenant, je vous demande de faire connaître à la Chambre les décisions auxquelles j'ai fait allusion.

M. Van Wambekeµ. - La Chambre entend-elle continuer demain cette discussion ? Dans ce cas, je me munirai demain de tous les arrêtés.

M. Wasseigeµ. - Je demande que la production des pièces que M. le ministre de la justice nous annonce, ait lieu, en même temps que le projet de loi ; on pourrait continuer la discussion du budget de l'intérieur.

MpDµ. - Je demande la permission de dire deux (page 1107) mots. J'ai, comme président, la responsabilité de la direction des travaux de la Chambre, de leur activité. Or, je vois arriver la fin de la session, et nous avons encore à voter deux budgets, dont l'un est à peine ébauché et dont l'autre n'est pas même commencé. La Chambre n'agirait-elle pas sagement en ajournant la suite de ce débat jusqu'au moment où le projet de loi qui nous est annoncé aura été déposé ? C'est la remarque que je me permets de faire à la Chambre.

MjBµ. - Je pense que ce débat doit nécessairement continuer demain ; on ne manquera pas de m'accuser d'avoir attaqué, d'avoir calomnié même les députations ; on pourrait dire que je n'avais aucune raison de formuler mon appréciation sur certaines décisions.

Qu'ai-je dit ? J'ai dit qu'il y avait des arrêtés que personne dans cette Chambre n'oserait soutenir ; je suis autorisé à tenir ce langage, après avoir examiné les décisions qui ont été prises.

Je n'incrimine pas les intentions de la députation permanente de la Flandre orientale ; elle a pu se tromper, ignorer les questions de droit ; mais je demande à faire connaître ces décisions à la Chambre dans la séance de demain. (Oui ! Oui !)

MpDµ. - On désire donc continuer ce débat à demain ? (Oui !)

MiPµ. - L'honorable M. Julliot a appelé l'attention sur les règlements de police des communes qui ont une trop grande tendance à restreindre la liberté individuelle.

Je partage entièrement l'avis de l'honorable membre sur les excès de la réglementation.

Les communes défendent souvent des choses qui peuvent et doivent être permises.

Mais la loi leur accorde le droit de faire des règlements de police, et souvent l'autorité supérieure est désarmée.

Toutefois lorsque ces règlements blessent des droits consacrés par nos lois, les tribunaux peuvent ne pas les appliquer, et ils ont usé de cette faculté dans plusieurs cas indiqués par l'honorable membre.

Je suis du reste disposé à proposer au Roi d'annuler toutes les décisions communales qui me seront signalées comme violant une loi quelconque.

- La séance est levée à cinq heures et un quart.