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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 11 décembre 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 161) M. de Moor, secrétaireµ, fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Dethuin, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Craco demande que l'arrêté royal du 20 décembre 1862, déterminant les conditions d'âge pour l'admission aux emplois ressortissant au département des finances, soit rapporté. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Brese demande que l'article 87 du nouveau code pénal soit rendu applicable aux condamnés militaires. »

- Même renvoi.


« Le sieur Van Iteghem demande que, dans toutes les communes du pays, le nombre des notaires soit mis en rapport avec le chiffre de la population et celui des affaires. »

- Même renvoi.


« Le bureau de bienfaisance de Rumbeke déclare protester contre une note à son adresse qui se trouve dans le l'apport de la chambre de commerce de Roulers de l'année 1867. »

- Même renvoi.


« M. Léon Orban, obligé de s'absenter, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Prompts rapports de pétitions

M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Messieurs, par pétition datée de Liège, le 27 novembre 1868, le sieur Bertin se plaint que les officiers de tous grades distraient des soldats du service en les employant dans leur intérêt personnel, sous la dénomination d'ordonnances, comme cochers, laquais, etc., et demande qu'il leur soit interdit de prendre leurs viandes aux boucheries militaires.

Votre commission conclut au renvoi à M. le ministre de la guerre.

- Adopté.

M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Saint-Laurent, le 18 novembre 1868, les membres de l'administration communale et des habitants de Saint-Laurent demandent que le chemin de fer à construire d'Eecloo à Anvers passe par Saint-Laurent.

Voici les considérations que les pétitionnaires font valoir à l'appui de leur demande. Ils disent que Saint-Laurent, situé sur l'extrême frontière, est à proximité des grandes communes zélandaises d'Aardenbourg, Sainte-Croix, Eede, l'Ecluse, Oostbourg, etc., avec lesquelles il est sur le point d'établir des communications plus directes, par la construction d'une route pavée, et qu'un chemin de fer passant par notre territoire, pour se diriger sur Watervliet, desservirait, en même temps, Sainte-Marguerite, Waterland-Oudeman et Saint-Jean in Eremo, tandis que de Caprycke à Watervliet, la ligne ferrée ne passerait par le centre d'aucune commune.

Enfin notre commune de Saint-Laurent, qui est essentiellement agricole, s'avance de plus en plus dans la voie de la civilisation et du progrès ; elle est riche par son agriculture et possède des capitaux prêts à se placer dans d'autres branches industrielles et commerciales, mais qui attendent des communications directes avec le reste du pays.

C'est dans cette situation, messieurs, que les impétrants croient devoir s'adresser aux mandataires de la nation, pour qu'ils veuillent prendre en main la défense de leurs intérêts longtemps méconnus, et leur faire obtenir une part équitable dans les faveurs départies à notre arrondissement ; et dans ces termes, votre commission, messieurs, conclut au renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Namur, le 8 novembre 1868, les membres du tribunal de commerce de Namur demandent une augmentation de traitement pour les greffiers des tribunaux de commerce et en particulier pour le greffier du tribunal de Namur, et prient la Chambre de mettre à la charge de l'Etat le traitement des commis greffiers de ces tribunaux.

Votre commission, messieurs, conclut au renvoi à M. le ministre de la justice.

- Adopté.

Rapport sur une pétition

Discussion du rapport sur la pétition des journalistes

M. Jacobsµ. - Messieurs, la nuit porte conseil. Mercredi, M. Bara annonçait l'intention de ne rien répondre au discours si solide, si nourri de faits de l'honorable M. Reynaert ; hier, mieux inspiré, il a entrepris de le réfuter.

J'apprécierai tantôt ce qu'a été sa réponse ; je tiens à constater, en commençant, que cette réponse était indispensable.

II n'appartient pas, en effet, au gouvernement de choisir le terrain des discussions parlementaires. Ce n'est pas au contrôlé, le gouvernement, c'est au contrôleur, la Chambre, à déterminer l'objet du contrôle.

Que dirait-on, par exemple, d'un receveur auquel l'inspecteur demanderait à vérifier son portefeuille, et qui répondrait : « Non, monsieur, vérifions ma caisse » ? C'est à peu près le langage que tenait l'honorable M. Bara.

On lui disait : La justice s'est montrée partiale dans l'affaire de Saint-Genois. Il répondait : C'est le petit côté de la question, cela m'intéresse peu ; le grand côté, c'est le conflit administratif relativement au cimetière. Là se trouve engagée la grande question du siècle : l'indépendance du pouvoir civil.

M. Bara et moi voyons les événements de Saint-Genois par les deux bouts opposés de la lorgnette.

L'instrument lui fait voir l'action judiciaire en miniature ; le conflit administratif revêt, au contraire, à ses yeux, des proportions gigantesques. Pour moi, ce conflit est assez peu digne d'occuper la Chambre ; au contraire, l'action de la justice mérite d'attirer toute son attention.

Et de fait, messieurs, que sommes-nous ici ? Le corps électoral nous a-t-il envoyés dans cette Chambre pour réprimer les prétentions épiscopales, pour nous opposer aux empiétements cléricaux ? Je ne le pense pas. (Interruption.) Je vais vous dire pourquoi, vous allez être d'accord avec moi : Le corps électoral a, à cet égard, une confiance absolue dans le gouvernement, il sait que le ministère y met tous ses soins, qu'il s'en acquitte sans faiblesse, quelquefois même avec trop d'énergie.

Nous nous en rapportons pleinement au gouvernement du soin d'empêcher les empiétements cléricaux. Nous ne nous remettons qu'à nous-mêmes du soin de surveiller les empiétements gouvernementaux, les actes du gouvernement, de ses fonctionnaires, du pouvoir civil. C'est pour cela que nous, Chambre, nous sommes ici.

Les honorables députés de Courtrai seront plus à même que moi de répondre à M. le ministre de la justice en ce qui concerne le conflit administratif ; je veux cependant, muni des quelques documents que j'ai entre les mains, lui faire une première réponse.

M. le ministre s'étonne de ce que les évêques cherchent, par tous les moyens, à empêcher ce qu'on est convenu d'appeler la sécularisation des cimetières, qu'ils cherchent à empêcher les cimetières communaux de se substituer aux cimetières des fabriques ; il s'étonne de cette sollicitude : après tout, quelle est la différence ? Il n'y en a aucune, en fait. M. Bara dit aux évêques « Vous serez chez moi comme chez vous. » Eh bien, ils n'en sont pas persuadés ; ils aiment mieux être chez eux que chez vous ; le caractère religieux des cimetières possédés par les fabriques, que vous n'apercevez guère, qui n'apparaît guère dans la pratique, est pour eux quelque chose.

Si vous proposiez d'attribuer la propriété des églises aux communes, il est probable que, alors même qu'il n'y aurait aucune différence en fait, les évêques ne trouveraient pas cette question sans importance, et ne s'y résigneraient pas aisément.

S'il est vrai que telle est la tendance de l'épiscopat, tendance très légitime, qu'on peut ne pas approuver, mais qu'il faut respecter ; si telle est sa tendance, peut-on croire que, ainsi que le laissait entendre M. le ministre, feu l'évêque de Bruges ne se soit pas montré opposé, dans l'origine, au transfert du cimetière ? Je sais que, dans une lettre du 26 novembre 1858, à l'époque où il n'était pas encore question du transfert du cimetière, il se trouve une phrase incidente (car la lettre ne se rapporte pas à cet objet, elle à trait à la restauration de l'église), phrase incidente où l'on fait allusion au transfert du cimetière.

Quand cette question fut traitée en elle-même, à quelques années (page 162) d'intervalle, par le même évêque, sa lettre du 27 janvier 1862 énonce formellement qu'en aucun cas il ne peut donner son consentement au déplacement qui se rattache an système général de séculariser les cimetières. Et de fait, lorsque l'évêque de Bruges semblait ne pas éloigner l'idée du transfert du cimetière, il ne songeait pas à cette jurisprudence gouvernementale qui n'autorise plus de nouveaux cimetières appartenant aux fabriques ; il s'imaginait, que la situation aurait été, pour le nouveau cimetière, la même que pour l'ancien. Bientôt il s'aperçut qu'il n'en serait rien, et sa conduite aussitôt s'en ressentit.

Ce qui le démontre, c'est la convention constatée par deux délibérations, l'une, du conseil de fabrique de Saint-Genois, l'autre du conseil communal, qui se conclut peu après la lettre de 1858.

L'étendue du cimetière de Saint-Genois était de 45 ares, c'est beaucoup plus qu'il n'en fallait pour une commune de cette importance ; on proposa de le réduire dans un double but : l'agrandissement de l'église, l'élargissement des voies latérales qui longent le cimetière.

L'exécution des deux projets réduisait l’étendue, du cimetière de 45 à 30 ares. L'évêque de Bruges prévit alors que, s'il consentait à cette réduction, on s'en prévaudrait peut-être, plus tard, pour prétendre que le cimetière, devenu insuffisant, devait être déplacé. C'est pour éviter ce résultat qu'il chercha à obtenir des garanties et qu'il les obtint.

La délibération du conseil de fabrique contient ce considérant : après la réduction du cimetière de 45 à 30 ares, il aura encore mie étendue plus que suffisante au service des enterrements, le tour des processions et accessoires. cette délibération du 31 juillet 1859 se trouve visée, en quelque sorte, dans la décision du conseil communal du 9 septembre suivant ; il ne s'y trouve aucune protestation contre le considérant relatif à l’étendue suffisante du cimetière ; la commune empiète, d'après la convention, sur le cimetière et le jardin du presbytère ; les frais de clôture, tant du cimetière que du jardin, restent à la charge de la commune.

Deux ans plus tard, surgit enfin l'idée de déplacer le cimetière. Le 20 février 1861, le conseil communal décide le transfert du cimetière hors de l'agglomération.

Après les assurances données au sujet de la suffisance du cimetière l'évêque de Bruges considéra cette délibération comme une sorte de manque de parole, et c'est ce qui explique qu'il se montra d'une sévérité dont il n'a pas été donné d'exemples ailleurs. Voilà l'explication de sa conduite ; voilà le nœud de la question.

Un arrêté royal, du 30 janvier 1867 seulement, autorisa les emprises à faire sur le cimetière ; plusieurs années s'étaient écoulées ; dans l'intervalle, était survenue cette délibération de 1861, qui changeait la face des choses. On ne devait pas s'attendre à voir le conseil de fabrique exécuter volontairement la convention de 1859. On ne s'en enquit même pas ; on préféra recourir aux voies de fait, et voici l'ingénieux expédient qu'on imagina.

Le 11 juin 1867, date du renouvellement partiel du Sénat, lorsque, tous les électeurs catholiques de Saint-Genois étaient au chef-lieu de l'arrondissement, pour y user de leurs droits électoraux, les libéraux, qui s'abstenaient de prendre part à l'élection, profitèrent de l'absence de leurs adversaires pour se rendre au cimetière, sous la conduite, e leur bourgmestre ; ils enlevèrent la clôture du jardin du curé, les palissades, les haies vives et les reculèrent jusqu'au nouvel alignement. Quand le soir, les catholiques revinrent de Courtrai, le tour était fait. Plutôt que de demander en justice l'exécution de la convention, plutôt que de demander si la convention était caduque, l'expropriation forcée de la lisière nécessaire, le bourgmestre se fit justice à lui-même. Voilà ce grand homme sans le savoir, auquel M. le ministre de la justice a tressé des couronnes et dont les traits, grâce à une souscription ouverte dans le Journal de Bruges, vont passer à la postérité.

Ai-je besoin, messieurs, de parler des incendies ? A en croire M. le ministre de la justice, nous craignons d'en parler, nous ne voulons pas les blâmer, nous ne voulons pas que le pays les connaisse.

Les journaux n'en ont-ils donc pas assez parlé ? Les débats de la cour d'assises n'en occuperont-ils pas assez l'opinion publique ?

Que sont ces incendies ? Des abus, des excès individuels. La Chambre n'a pas l'habitude de s'occuper des excès individuels. C'est l'affaire des tribunaux.

Au surplus, s'il peut être agréable à M. le ministre de la justice de nous entendre blâmer avec lui les incendies de Saint-Genois, je le fais de fout cœur ; je le fais non seulement avec M. le ministre de la justice, mais avec M. l'évêque de Bruges, avec le curé de Saint-Genois, avec tous les hommes qui ont le sens commun.

Il faut réellement quelque candeur pour supposer que nous n'oserions pas le faire. Oubliez-vous que nous avons blâmé tous les incendies in globo quand nous avons voté le nouveau code pénal ; en comminant la peine des travaux forces contre le crime d'incendie, nous l'avons flétri ; nous avons fait plus que blâmer, nous avons donné le moyen de prévenir ou de réprimer tous les incendies du monde.

Chaque chose en son lieu : les prétentions de l'épiscopat trouvent leur frein dans le gouvernement ; les abus individuels, dans les tribunaux ; les abus du gouvernement, de ses fonctionnaires, du pouvoir civil, dans le contrôle de la Chambre. C'est là le véritable objet de ses délibérations, et je l'aborde.

Je sais, messieurs, autant que qui que ce soit, les égards que nous devons à ce grand corps de la magistrature ; avant tout, nous lui devons la vérité. Entre la flatterie et le dénigrement, il y a ce juste milieu : les membres de la magistrature sont soumis à notre contrôle, comme nous le sommes au leur, et nous ne le fuyons pas plus qu'ils ne fuient le nôtre.

Certes, la séparation des pouvoirs nous oblige à une grande réserve, à beaucoup de ménagements ; mais nous contester absolument tout contrôle. à l'égard des magistrats, même inamovibles, je ne pense pas qu'on puisse songer à le faire, en présence des antécédents de la Chambre.

L'honorable ministre de la justice s'est appuyé sur un passage d'un ouvrage de noire savant collègue, M. Thonissen ; depuis quelque trente ans que cet ouvrage est écrit, on a attrait souvent à la barre de cette Chambre des hommes plus indépendants de nous, plus inamovibles, qui ne sont pas fonctionnaires et dont l'avancement même ne dépend pas du gouvernement ; je parle des membres du clergé.

Si votre théorie est vraie, si nous ne pouvons exercer aucun contrôle sur la magistrature, à plus forte raison ne pourrions-nous en exercer sur les membres du clergé. Je ne vous conteste pas ce droit, remarquez-le bien. En présence des précédents, la Chambre ne nous contestera pas davantage celui de nous occuper des abus qui peuvent se produire dans l'exercice de la magistrature.

C'est un fait regrettable, que, depuis l'entrée de M. Bara au ministère de la justice, l'intervention des magistrats, du parquet surtout, dans la sphère politique, s'est développée.

Je ne m'en étonne cependant pas.

Il y a un an, nous examinions de nombreuses nominations judiciaires, nous y signalions une sorte de parti pris de ne faire que des choix politiques, à de rares excellions près ; et plusieurs d'entre nous, M. Wasseige entre autres, prédisaient, dès lors, les fruits que nous recueillons aujourd'hui.

Ah ! sans doute, je me hâte de le dire, même la magistrature debout est restée, en règle générale, ce qu'elle doit être, l'organe impartial de la loi. Je le reconnais, les abus ne sont qu'exceptionnels, mais c'est déjà trop que ces exceptions et je les vois avec regret se développer.

L'affaire de Saint-Genois, messieurs, est un de ces exemples dans lesquels les magistrats me semblent s'être laissé égarer par les considérations politiques.

Je ne veux pas aborder le fond du procès qui se déroulera devant la cour d'assises, je ne puis me prononcer sur la culpabilité ou l'innocence des détenus ; l'instruction est secrète ; j'en sais peu de chose ; les mystères du dossier ne sont connus que de M. le ministre de la justice.

Il m'est impossible de me faire une opinion sur la culpabilité ou la non-culpabilité, et sur les causes des crimes qui se sont commis à Saint-Genois. Je ne puis connaître et je ne puis apprécier ce qui a pu guider ceux qui les ont commis.

J'aurais voulu que M. le ministre de la justice suivît la même voie ; j'aurais voulu que dans cette affaire, à la direction de laquelle il est resté complètement étranger, il l'affirme, mais qu'au moins il a suivie pas à pas ; dont il connaît les moindres détails ; j'aurais voulu qu'il s'abstînt de toute explication de fond s'il se refuse à les donner complètes.

Il n'y avait que deux rôles à prendre, messieurs, et M. le ministre n'a choisi ni l'un ni l'autre. Il connaît tout, il ne communique rien, il produit dans cette Chambre ce qui lui plaît. Est-ce là de l'impartialité ?

Il y avait, je le répète, deux conduites à tenir : ou bien, s'il n'en était pas empêché par les nécessités de l'action judiciaire, il fallait donner à la Chambre telle preuve de confiance de lui apporter le dossier de Saint-Genois et de l'en faire juge ; ou bien, s'il n'était pas possible de nous le livrer, il fallait prendre l'altitude de M. d'Anethan en 1847, ne rien dire, rester dans le mutisme le plus complet.

Sans doute vous pouviez venger la magistrature d'attaques injustes, s'il s'en produisait, mais quant à la culpabilité des prévenus, quant aux causes des incendies, quant au fond même de l'affaire, vous deviez vous abstenir. et qu'avez-vous fait ? Vous avez choisi un lambeau de déposition et vous êtes venu ici le jeter en pâture et à la presse et à l'opinion publique, à la Belgique tout entière !

Vous êtes venu déclarer ici, sans en donner d'autre preuve ; « La cause des incendies qui ont ravage Saint-Genois, c’est le fanatisme. »

(page 163) Et à l'appui de cette affirmation, on n'apporte qu'un lambeau de déposition d'un homme qui, pour gagner la prime de 1,000 fr., appât donné au dénonciateur, est allé livrer à la justice une personne qui n'est peut-être pas coupable, tandis que lui l'est. Pour gagner un peu d'or, il dénonçait peut-être un innocent, alors que lui-même était coupable.

Je ne croyais pas que vous vous seriez contenté du témoignage d'un homme capable d'un pareil acte.

MjBµ. - Il est accusé, il n'est pas dénonciateur.

M. Jacobsµ. - Il a été dénonciateur dans l'origine ; puis il s'est trahi par ses contradictions : il a donné trop d'explications, on l'a jugé coupable et on l'a appréhendé.

Je le répète, je ne m'attendais pas à ce qu'un ministre accordât à un pareil homme assez de confiance pour se permettre d'affirmer, sur son témoignage, que la cause évidente des incendies de Saint-Genois gît dans le fanatisme.

C'est faire preuve de beaucoup de légèreté ou de bien peu d'expérience que de croire à une pareille déclaration et de nous dire d'avance, avant que l'instruction soit achevée, avant que les coupables aient comparu devant les tribunaux : Voilà la cause des méfaits.

Ce n'est pas la première fois, messieurs, que des incendies nombreux éclatent en Belgique. Nous en avons vu tout récemment aux environs de Liège, à Hermalle, si je ne me trompe, et l'on ne se rend pas compte encore aujourd'hui de la cause qui les ont déterminés.

En France, sous la Restauration, les incendies ont pris une extension bien autre qu'à Hermalle et à Saint-Genois.

J'extrais les détails que je vais vous lire de l'Histoire de la Restauration de M. de Vielcastel :

« En 1822, dans les départements de l'Oise, de la Somme et de l'Eure, des fermes isolées, quelquefois même des villages devenaient la proie d'incendies dont il fut impossible de découvrir les auteurs et les causes.

« Les uns attribuaient ces attentats à la rivalité jalouse des compagnies d'assurances, les autres aux machinations de l'esprit de parti s'efforçant d'exaspérer les agriculteurs contre le gouvernement. C'est dans ce sens que s'exprimaient les feuilles royalistes. La Foudre ne craignit pas de dire que les incendiaires obéissaient à un mot d'ordre donné à la tribune par MM. de la Fayette, Manuel, Foy et Benjamin Constant. Les journaux libéraux répondaient que si un parti avait intérêt à commettre de tels crimes, c'était celui qui voulait détruire le régime constitutionnel...

« Le garde des sceaux écrivit une circulaire aux procureurs généraux de Paris, Rouen et Amiens... Il y disait que des indices graves, qui acquéraient chaque jour plus de force et de vraisemblance, autorisaient à croire qu'un petit nombre d'hommes atroces avaient formé le projet d'irriter, d'effrayer et de soulever la population des campagnes dans quelques départements, en détruisant par le feu des habitations et des fermes, qu'on avait entrepris d'égarer des cultivateurs honnêtes et simples, rendus plus crédules par leurs craintes et leur malheur et qu'on avait osé attribuer ce crime exécrable à des classes entières de citoyens distingués par la fortune, par leur rang et par le ministère sacré qu'ils remplissent...

« Soit par l'effet des mesures qu'avait prises le gouvernement, soit pour tout autre motif, les incendies cessèrent bientôt. Quelques vagabonds, accusés d'y avoir pris part, furent arrêtés et punis. Mais il fut impossible de s'assurer des mobiles qui les avaient fait agir. »

Vous voyez, messieurs, combien vagues sont, la plupart du temps, les indices qu'on a en pareille matière ; combien sont nombreuses les accusations et combien, l'instruction terminée, les coupables condamnés, il est difficile de déterminer la cause d'un crime tel que l'incendie. Le danger des conjectures devrait déterminer chacun à s'en abstenir, en attendant que la justice se soit prononcée et que la lumière se soit faite.

Je veux me restreindre, messieurs, aux faits dès aujourd'hui connus. Je laisse à l'honorable M. Reynaert, s'il le juge bon, à revenir sur les points au sujet desquels M. le ministre et lui se trouvent en contradiction absolue : affirmation, contre-affirmation. Je tâcherai de ne m'occuper que des faits constatés, absolument constatés et de ne demander compte que de ceux-là.

Il en est un qui sert, en quelque sorte, de préambule à l'instruction et qui doit servir de préambule au débat, qui lui donne son cachet, son caractère. C'est l'installation de la magistrature chez Delbecque.

M. le ministre de la justice a essayé de restreindre ce fait dans des limites plus étroites que ne l'avaient fait certains journaux de sa connaissance.

L'Economie de Tournai, qui ne mystifie jamais personne quand elle chante les louanges du gouvernement, a mystifié M. Reynaert en annonçant que le quartier général de l'instruction se trouvait à Saint-Genois chez Delbecque. Oh ! Belbecque s'est borné à loger le procureur du roi, il s'est borné à donner l'hospitalité, pendant quelques jours, à toute l'instruction, depuis le moment ou elle a quitté l'hôtel de ville, trop bruyant, jusqu'au moment où elle s'est installée à la gendarmerie, non encore prête.

Je veux admettre que ces faits sont exacts, qu'il n'y a pas eu d'autres rapports entre les magistrats et Delbecque, qu'ils n'ont siégé chez lui que pendant quelques jours. Eh bien, je dis que c'est encore trop, que c'est déjà une inconvenance au point de vue de l'administration de la justice. Delbecque n'était pas encore connu de tout le monde comme correspondant de l'Echo du Parlement ; il l'était comme le boute-en-train, la cheville ouvrière du parti libéral à Saint-Genois. (Interruption.)

MiPµ. - Et comme victime des incendies.

M. Jacobsµ. - Soit, M. le ministre de l'intérieur. On avait donc choisi, parmi les nombreuses victimes des actes de violence, des quinze crimes de Saint-Genois, on avait choisi précisément celui qu'on n'aurait pas dû choisir, à cause de son caractère accentué d'homme politique.

Je veux admettre encore, comme M. le ministre de la justice l'a dit, que ce n'est pas sur la dénonciation de Delbecque qu'ont été arrêtés Delplanquc et De Poortere, le plaignant et le témoin principal qui firent autrefois condamner Delbecque.

J'admets que ce n'est pas de chez lui qu'est partie la dénonciation, mais il faut reconnaître, que c'est déjà trop que d'exposer la justice à de tels soupçons ; en raison des divisions qui régnaient à Saint-Genois, il fallait s'installer ailleurs que chez Delbecque.

Dieu me garde, messieurs, de dire que Delbecque. est déshonoré pour avoir subi une condamnation à 30 francs d'amende. Personne ne l'a soutenu, et il était fort inutile de chercher à l'établir en remuant les cendres d'un ancien collègue, qui a emporté l'estime de ses adversaires comme de ses amis.

Cc*n'est pas le fait d'une condamnation à 30 fr. d'amende qui eût dû éloigner la justice de chez Delbecque ; la gravité de l'installation de la justice chez lui provient de ce que, cheville ouvrière du parti libéral, il héberge des magistrats instructeurs qui arrêtent les deux personnes qui ont eu avec lui des démêlés judiciaires.

On a rappelé, à l'honneur du procureur du roi de Courtrai, qu'il vient d'être choisi par la cour de Gand comme premier candidat à la présidence du tribunal de Termonde ; ce magistrat peut avoir de grands mérites, mais je suis certain que ce n'est pas pour être allé s'installer chez Delbecque que la cour de Gand l'a nommé premier candidat. C'est malgré cela, non à cause, de cela.

Messieurs, à part cette entrée en matière, les actes de la magistrature à Saint-Genois se divisent en trois catégories.

Les visites ou perquisitions domiciliaires ;

Les saisies qui les accompagnent ;

Les arrestations qui les suivent.

Occupons-nous successivement de ces trois ordres d'idées.

L'honorable M. Reynaert vous a tracé les règles de droit qui doivent guider les magistrats dans les perquisitions domiciliaires.

M. le ministre de la justice n'a pas répondu à cette partie du discours de l'honorable membre et il n'y avait, en effet, rien à y répondre, les principes qui s'y trouvent développés sont des principes évidents.

A propos des visites domiciliaires en matière de presse, M. Bara cite cependant deux arrêts, rendus par la cour de cassation et la cour d'appel de Bruxelles, dans les affaires Outendirk et Coppin,

Dans la première, il a été décidé que l'audition des témoins est une mesure de police et non une mesure d'information ; qu'on peut dès lors, même en l'absence de toute prévention, recourir à ces mesures de police judiciaire.

Dans l'affaire Coppin, on a décidé que la prévention justifiait la visite domiciliaire. Il reste vrai que, en l'absence de prévention, on ne peut poser des actes d'information, et c'est un acte d'information que la perquisition domiciliaire.

Telle est donc la règle.

En l'absence de prévention, en l'absence de prévenu, tous les actes de police judiciaire imaginables sont permis, les actes d'information ne le sont pas. Pour ces derniers, il faut qu'il existe un prévenu et qu'on aille chercher des preuves à l'appui d'une prévention. C'est, du reste, le texte des article 87 et 88 du code d'instruction criminelle ; les commentaires qu'y donnent Dalloz et Faustin Hélie ne sont que le développement de cette idée.

(page 164) Lisez le texte de ces articles, et vous y verrez qu'il faut un prévenu chez lequel on va saisir les preuves de la prévention, ou bien que les objets de nature à prouver cette prévention se trouvent chez un tiers et qu'on aille, chez ce tiers, saisir ces objets.

Jamais on n'a admis qu'avant qu'une prévention existât, on pût pratiquer la visite domiciliaire.

Or, que s'est-il passé à Saint-Genois ? On s'est rendu, à la date du 11 août, chez le curé, chez les vicaires, chez le directeur du couvent, chez le notaire Opsomer.

A la date du 11 août, combien de prévenus y avait-il ? Un seul, Van Overschelde qui, depuis le 4 août, se trouvait sous les verrous.

Il semblerait, au premier abord, que du moment qu'il y avait un prévenu à cette époque, on pouvait opérer des perquisitions domiciliaires.

Mais remarquez que le code ajoute qu'il faut qu'il soit présumable que les preuves de la prévention soient cachées dans la maison de tiers où s'opèrent les perquisitions.

Etait-il admissible, quelqu'un prétendra-t-il que les preuves de la culpabilité de Van Overschelde pussent se trouver chez le curé ou chez les vicaires ?

Nul ne croit au prêtre incendiaire ; personne ne suppose qu'on pût trouver, chez le curé ou chez l'un des vicaires, soit une correspondance entre un prêtre et Van Overschelde constatant que le clergé l'a engagé à commettre l'incendie, soit une quittance d'une somme payée par le curé ou le vicaire pour rémunérer l'incendie. Personne n'y pense ; on se borne à prétendre, à charge des prêtres de Saint-Genois, qu'il y a eu provocation directe, c'est-à-dire que, sans qu'aucun rapport existât entre eux et les auteurs des incendies, ils ont fait naître ces idées dans leur esprit, et les y ont poussés par leurs provocations.

La prévention relative à Van Overschelde ne pouvait donc justifier une visite domiciliaire chez le curé ou le vicaire.

Hier, M. le ministre de la justice nous a appris que le curé lui-même est prévenu de complicité dans les incendies à cause d'un de ses sermons. Dès lors tout s'explique.

Oui, tout s'explique, si ce fait est exact, mais il y a à l'explication de M. le ministre de la justice un inconvénient, c'est qu'à la date du 11 août, le curé, les vicaires, les prêtres de Saint-Genois n'étaient pas prévenus et qu'aujourd'hui encore, à part le vicaire Van Eecke, ils ne se doutent pas qu'ils soient prévenus... (Interruption.) Ni le curé de Saint-Genois, ni le vicaire Verschuere ne s'imaginent être prévenus. Comment apprend-on qu'on est prévenu ? On l'apprend en recevant un mandat de comparution ou d'amener ; c'est l'article 91 du code d'instruction criminelle qui détermine la nécessité du mandat d'amener.

Lors de la discussion de la loi sur la détention préventive au Sénat, le 28 janvier 1832, M. le ministre, de la justice constatait qu'en pratique l'art.icle91 n'est pas rigoureusement observé et qu'on substitue souvent un simple mandat de comparution au mandat d'amener ; mais, enfin, il faut l'un ou l'autre.

A la date du 11 août, il n'existe ni mandat de comparution, ni mandat d'amener. Les prétendus prévenus en ignorent l'existence. On ne les a sommés de comparaître nulle part, on s'est présenté chez eux et l'on y a pratiqué une visite domiciliaire. A la suite de cette visite, que fallait-il faire encore, d'après la loi de 1852 ? Il ne fallait pas nécessairement emprisonner. M. Bouvier était dans l'erreur lorsque, dans son rapport, il semblait croire qu'il fallait nécessairement que le prévenu du crime fût emprisonné ; l'article 3 de la loi sur la détention préventive autorise, lorsque le fait n'est puni que des travaux forcés à temps, le juge d'instruction à laisser le prévenu en liberté, de l'avis conforme du procureur du roi.

Il fallait, si l'on n'arrêtait pas les prêtres de Saint-Genois, qu'une ordonnance du juge d'instruction intervînt pour les maintenir en liberté, de commun accord avec le procureur du roi. Or, ces messieurs ignorent l'existence d'une ordonnance ou d'un mandat quelconque. Et ce qui prouve qu'il n'y a pas de prévention à l'égard du curé, c'est que M. le ministre de la justice constate que les magistrats ont demandé au curé de Saint-Genois s'il consentait à la perquisition.

S'il eût été prévenu, on ne lui eût pas demandé son consentement. Du moment qu'on lui demandait son consentement, c'est qu'on n'avait pas le droit d'agir autrement, et si l'on n'avait pas le droit d'agir autrement, c'est qu'on n'avait pas devant soi un prévenu.

Du reste, cette demande de consentement, reproduite à plusieurs reprises dans l'instruction, me paraît un mode de procédure assez étrange. On se présente notamment chez le prévôt de Vyve-Cappelle, M. Van Becelaere.et on lui dit ; Consentez-vous à la visite domiciliaire ? Le dialogue est fort simple : « Vous permettez, n'est-ce pas ? » A quoi l'on répond naturellement : « Mais certainement » ; et tout est dit.

Cela me paraît un petit tour d'escamotage peu digne de la justice. Lorsqu'elle se présente chez quelqu'un pour pratiquer une visite qu'elle n'a pas le droit de pratiquer, elle devrait bien commencer par faire connaître qu'elle n'a pas ce droit. Elle devrait commencer par dire : « Je n'ai aucun droit, aucun moyen d'entrer chez vous ; vous avez le droit de ne pas me recevoir ; je suis un intrus. Voulez-vous m'admettre malgré cela ? « Mais quand on dit : Consentez-vous ? la première pensée qui vient à toute personne qui n'a pas grande connaissance du droit est celle-ci : On me demande de consentir à l'amiable pour m'éviter le désagrément de m'y voir contraint par la force publique.

Ainsi, messieurs, les perquisitions opérées chez ces prêtres de Saint-Genois sont des actes arbitraires. Je n'en trouve la justification nulle part, car la seule prévention qui existât à ce moment n'est pas une prévention de nature, aux termes de l'article 88 du code pénal, à autoriser la visite.

Quant aux saisies opérées, il en est de même. Les règles des saisies sont parallèles aux règles des visites domiciliaires. Là se retrouvent les grandes lignes tracées par l'honorable M. Reynaert. La saisie comme la visite est une mesure exceptionnelle, contraire à la liberté individuelle, contraire à l'inviolabilité du domicile, et qui doit être, plutôt restreinte qu'étendue. « C'est surtout dans la recherche des papiers que la magistrature doit apporter le plus de discrétion, » ajoute M. Faustin Hélie.

A Saint-Genois, s'est-on préoccupé de saisir les pièces qui pouvaient compromettre Vanoverschelde ? Nullement. L'honorable M. Reynaert vous l'a dit, et il n'a pas été démenti ; ce sont les correspondances de ces ecclésiastiques avec leurs supérieurs, des numéros de journaux, des quittances d'abonnement. Voilà tout ce qu'on a saisi.

Si, messieurs, je passe des perquisitions de Saint-Genois aux perquisitions de Bruges, je me trouve de suite devant un fait anormal. Ce ne sont pas seulement les magistrats de Bruges qui se présentent pour faire des visites domiciliaires ; ils sont accompagnés des magistrats de Courtrai ; pourquoi ? L'article 90 du code d'instruction criminelle décide que, lorsque des perquisitions domiciliaires ou d'autres mesures d'instruction doivent être faites ou prises en dehors du ressort de la juridiction des magistrats saisis de l'instruction, ils peuvent envoyer une commission rogatoire ; il n'y a qu'une seule circonstance où ils peuvent faire autrement, c'est lorsqu'il s'agit de fabrication de fausse monnaie ; dans ce cas, ils peuvent agir eux-mêmes, hors de leur ressort.

Ici, après avoir donné une commission rogatoire aux magistrats de Bruges, les magistrats de Courtrai accompagnent les premiers, alors que la procédure est secrète, alors que personne ne peut assister aux dépositions. Les magistrats de Courtrai ne sont à Bruges que de simples citoyens. Sans doute, ils n'auraient pas ignoré longtemps les résultats des perquisitions ; sans doute, à la suite de la commission rogatoire on leur eût immédiatement fait savoir ce qu'on avait découvert. Il n'en est pas moins vrai qu'ils étaient là de simples particuliers et que, par conséquent, ils n'avaient pas plus le droit que le premier venu d'assister à une procédure qui est, de sa nature, secrète. Je ne sais si j'ai bien compris M. le ministre de la justice, mais il me semble lui avoir entendu dire que c'est le juge d'instruction de Courtrai, M. De Blauwe, qui, étant à Bruges, aurait décerné le mandat d'arrêt contre Vandenberghe.

Sans doute, les mandats d'arrêt sont exécutoires dans la Belgique entière ; sans doute, un mandat d'arrêt décerné à Courtrai peut être exécuté à Bruges ; mais encore une fois lorsqu'il se trouvait à Bruges, M. De Blauwe était dessaisi par la commission rogatoire, ou plutôt, en quittant son ressort, il s'était dessaisi de sa qualité ; et si quelqu'un devait lancer le mandat d'arrêt, c'était, ou lui, lorsqu'il était à Courtrai, ou le magistrat de Bruges, lorsqu'on était à Bruges.

C'est là une critique générale applicable à tout ce qui s'est passé dans cette ville.

J'en viens aux différents faits particuliers. Le Jaer 30 d'abord. Le principal article incriminé est du 4 juillet ; et c'est à la fin du mois de septembre qu'on l'incrimine, qu'on le poursuit.

En matière de presse, la prescription est de trois mois ; les trois mois allaient expirer. Encore quelques jours et l'éditeur du Jaer 30 était à l'abri de toutes poursuites ; on a attendu jusqu'au dernier moment pour commencer cette instruction ; première preuve de l'absence de cette provocation directe qu'on a tant tardé à découvrir.

Sans contredit, du moment qu'on met le Jaer 30 en cause, du moment qu'on voit dans ses articles considérés isolément, et abstraction faite de tout autre élément étranger, une provocation directe, on avait le droit, aux (page 165) termes de la jurisprudence établie, de faire des perquisitions, d'opérer des saisies, de pratiquer des visites domiciliaires chez l'éditeur.

De bons esprits, MM. Van Hoorebeke et Orts notamment, ont professé une opinion contraire, et je sais que l'honorable député de Bruxelles est encore de cet avis.

Cependant je reconnais qu'en présence des arrêts intervenus, la magistrature peut s'abriter derrière ce rempart, et que la jurisprudence pour elle doit équivaloir à la loi ; c'est à nous de voir s'il y a lieu de la modifier ou de l'interpréter autrement.

Mais s'il est vrai qu'en règle générale, dans ces circonstances, des perquisitions domiciliaires peuvent être faites, néanmoins, dès qu'il s'agit de la presse, il faut se montrer très sobre et très réservé.

S'enquérir des propriétaires du journal, pour savoir s'il ne se cache pas une soutane derrière l'éditeur, emporter le registre des abonnés, me paraissent excéder les nécessités de l'action judiciaire.

Il peut être agréable au gouvernement de connaître les abonnés des journaux opposants, de connaître ceux qui payent et ceux qui ne payent pas ; pour la justice, l'intérêt me semble moindre.

En tous cas, il me paraît que, si l'on avait besoin de cette liste, on n'aurait pas dû tarder si longtemps à en remettre à l'éditeur une copie plus ou moins défectueuse. Un de nos honorables collègues a vu cette copie, il m'affirme qu'elle ne contenait pas le domicile des abonnés ; il ne s'y trouvait que leurs noms et prénoms.

Voilà pour la première visite ; il y en a une seconde : Vandenberghe, étant en prison à Courltai, a fait connaître qu'une lettre contenant le nom de l'auteur se trouvait entre les mains de sa femme, et il a autorisé le juge d'instruction à s'en saisir.

On s'est rendu chez lui ; on a cherché cette lettre, on a fait une perquisition domiciliaire ; ne l'y trouvant pas, on est allé la chercher ailleurs ; enfin, on s'en est emparé.

Ici encore j'invoque l'article 39 du code d'instruction criminelle ; lorsqu'on fait des perquisitions dans la maison du prévenu, celui-ci doit y être présent lorsqu'il est arrêté.

S'il suffisait de demander la lettre pour l'avoir, et s'il ne fallait pas recourir au moyen de la perquisition domiciliaire, il suffisait d'écrire à' l'épouse Vandenberghe : « Envoyez-moi la lettre par retour du courriel'; » du moment qu'on recourt à la perquisition, il faut observer la loi.

Du Jaer 30, on se rend au Katholyke Zondag.

Ici les articles ne sont pas incriminés ou plutôt ils ne sont pas incriminés en eux-mêmes. Ils serviront peut-être de bases accessoires à une prévention qui pourra résulter d'autres éléments étrangers ; en eux-mêmes, à eux seuls, ils ne sont pas coupables ; en eux-mêmes, ils ne contiennent pas de provocation directe. Aussi n'arrête-t-on pas M. Van Becelaere ; on se contente de le menacer pour obtenir de lui le nom de son correspondant ; sur son refus, de guerre lasse, on se retire.

On a semblé faire à M. Van Becelaere un reproche de n'avoir pas donné à la justice toutes les indications imaginables, de s'être refusé à nommer son correspondant. Messieurs, s'il a été décidé par les tribunaux que c'est là une obligation légale, dont la sanction est une condamnation à 100 fr. d'amende, il n'en est pas moins vrai que vous trouverez en Belgique beaucoup de journalistes qui, par un scrupule de conscience et de délicatesse, préféreront se laisser condamner à l'amende plutôt que de citer ceux qui ont mis en eux leur confiance.

M. Coomansµ. - C'est évident.

M. Jacobsµ. - Je suis persuadé que presque tous les journalistes agiront ainsi et que si on avait demandé à l'honorable M. Hymans quel est le correspondant de l'Echo du Parlement, l'honorable M. Hymans ne l'aurait pas nommé à la justice.

M. Hymansµ. - Sans doute ; à moins qu'il m'y eût autorisé.

M. Jacobsµ. - Vous ne l'auriez pas nommé, j'en trouve la preuve dans un fait tout récent. Quand l'honorable membre a été cité devant le juge d'instruction pour faire connaître le correspondant qui publiait, dans l'Echo du Parlement, des lettres sur les affaires Langrand-Dumonceau, il n'a donné le nom de son correspondant que dûment autorisé par lui.

M. Hymansµ. - C'est évident.

M. Coomansµ. - Ah !

M. Jacobsµ. - Vous n'auriez pas satisfait aux injonctions de la justice si vous n'aviez été autorisé par votre correspondant, et vous avez tellement compris que c'était là une obligation d'honneur pour le journaliste que vous avez, le jour même, déclaré dans vos colonnes, pour l’édification de tous vos lecteurs, que vous n'aviez indiqué votre correspondant au juge d'instruction qu'autorisé par lui,

Messieurs, les articles du Katholyke Zondag, ces articles qui ne sont pas incriminés en eux-mêmes, qui ne constituent pas une provocation directe, sont néanmoins, nous a-t-on dit, des excitations, et on les a rangés dans la même catégorie que les sermons prononcés par le clergé de Saint-Genois, et du fait d'avoir donné une mission à l'usage de ces congréganistes dont on a tant parlé hier.

Cette mission a lieu tous les ans. C'est une mission normale, mission habituelle ; fallait-il déroger à cet usage parce qu'à Saint-Genois s'étaient commis des faits regrettables ?

Laissons ces prétendues excitations des missionnaires ; ils ont fait cette année ce qu'ils faisaient les années précédentes. Rien de plus, rien de moins.

J'en viens aux excitations des journaux ; je dois suivre très brièvement M. le ministre dans l'énumération qu'il a faite de ces articles du Katholyke Zondag et j'établirai que son but n'a jamais été de fomenter des désordres à Saint-Genois, de soulever les populations matériellement, qu'il n'a poursuivi qu'un soulèvement moral contre la domination du parti qui régnait à Saint-Genois.

Le but de ce journal a été celui de tous les journaux : obtenir la prépondérance politique par une lutte légale, par les élections.

M. le ministre de la justice commence l’énumération des articles du Katholyke Zondag par l'article du 4 juillet. C'est commencer trop tard. Il y en a d'antérieurs qui expliquent celui-là, qui le complètent et qu'il est utile de faire connaître à la Chambre.

Le premier article est du 20 juin, c'est un exposé de tout ce qui s'est passé à Saint-Genois, de tout le conflit administratif (car il est antérieur aux incendies), qui se termine par la phrase suivante :

« Et toutes ces conséquences redoutables proviennent de ce que ces braves gens de catholiques de Saint-Genois ont placé à leur tête par l'élection deux ou trois administrateurs libéraux. Apprenez donc et soyez plus sages à l'avenir. »

Voilà, messieurs, le point de départ et le but constant du journal dans sa polémique ; s'il s'y rencontre certaines phrases douteuses, vous les commenterez, vous les interpréterez par les articles qui précèdent et par ceux qui suivent.

Passons au 27 juin, second article, antérieur à ceux qu'a cités M. le ministre : c'est une première, lettre datée de Moen, elle annonce le premier enterrement dans le nouveau cimetière, et se termine ainsi :

« Ayez la bonté de communiquer cela à vos lecteurs, afin qu'ils comprennent bien que, s'ils désirent conserver la paix et l'union dans leur commune, ils ne doivent jamais élire des libéraux pour le conseil communal. »

A la suite de ces deux premiers articles, arrive le troisième, dont vous a parlé M. le ministre, de la justice. De ce troisième article il extrait les paroles suivantes : « M. Mullie-Derrevaux veut donc tomber écrasé sous l'indignation de ses subordonnés : cela ne tardera pas longtemps. » Lorsqu'il parlait d'écraser M. Derrevaux, s'agissait-il de l'écraser matériellement ? Non, certes ; de l'écraser moralement, au fond de l'urne électorale. (Interruption.) Cela est clair comme le jour ; et lorsque vous parlez d'excitations qui se produisaient, ces excitations sont les excitations électorales, les excitations de la presse, qui se produisent partout et toujours quand elle est libre.

Si je ne craignais de me servir d'une expression vulgaire, je dirais que M. le ministre s'attache à des queues de cerise. Le journal a le malheur d'écrire : « Puisse la justice mettre la main sur les coupables, s'il y en a. »

Voyez, s'écrie M. le ministre, on laissait entendre que le feu du ciel pourrait bien en être la cause.

Ce « s'il y en a » est la queue venimeuse du scorpion ; pour ma part, j'y vois moins de venin et de malice, et j'en trouve, le commentaire dans les articles suivants.

MjBµ. - Le rédacteur l'a dit dans un numéro postérieur.

M. Jacobsµ. - Il a dit le contraire, et je vais vous le prouver en passant de suite à l'article du 29 août. Voici comment s'y exprime le correspondant de Moen :

« Bien des personnes, dans les environs, commencent à penser et à dire que ce sont des châtiments de Dieu et que les morts, dont les corps sont enterrés au charnier, sont à cette fin des instruments dans la main de Dieu. Nous pensons que ceci est en dehors de la vérité. Dieu punira bien les coupables, mais le châtiment de Dieu arrive d'ordinaire lentement. »

MjBµ. - D'ordinaire ! (Interruption.)

M. Jacobsµ. - Ce « d'ordinaire » servira de pendant au « s’il y en a » ; l'un est aussi coupable que l'autre.

(page 166) J'en viens à l'article du 8 août. M. le ministre n'y voit que ces mois :

« Les libéraux continuent à résister à l'autorité religieuse..., mais Dieu les attend, leur tour viendra. »

Dans l'intervalle de ces deux membres de phrase, je lis ce qui suit :

« Malheureuse paroisse de Saint-Genois, quel a été votre aveuglement en choisissant de tels hommes pour vous administrer ! Vous comprenez maintenant la faute que vous avez commise, mais il est trop tard et vous devez l'expier durement. Où faut-il chercher la principale cause des malheurs qui pèsent sur Saint-Genois ? Dans les élections communales. Comment peut-on comprendre que des catholiques aillent choisir pour administrateurs leurs ennemis de la pire espèce... ? Et cependant il est hors de doute que si quelques catholiques de Saint-Genois n'avaient pas trahi leur conscience et leur parti, jamais ces deux ou trois gros bonnets libéraux n'eussent été élus et jamais ceux-ci n'eussent pu marcher en avant comme de puissants persécuteurs de l'Eglise. Mais Dieu les attend, leur tour viendra. »

Et plus loin : « Catholiques, nous devons partout et toujours travailler et élire contre les libéraux... La cause immédiate de nos maux est la coterie libérale qui règne à la maison communale... »

Les élections toujours, les élections partout.

C'est là, messieurs, le dernier article du Kalholyke Zondag. Sans doute, cet article, dont la fin vous a été lue par M. le ministre de. la justice, cet article contient des inconvenances, mais M. le ministre a été bien sévère à son égard, je dirai plus, bien injuste.

Après nous avoir cité la polémique des journaux catholiques de Bruges, il nous dit :

« On ne peut concevoir la création de pareils journaux qu'au sein de populations fanatiques, arriérées, complètement privées de toute communication avec les centres de lumière. »

Et plus loin :

« Il est certain que cette presse ne trouverait aucun appui et ne jouirait d'aucune considération ailleurs que dans les campagnes flamandes. »

Comme député du pays flamand, je relève cette injure gratuite et je n'élève pas contre elle une simple protestation sans preuve. Dans la libérale province de Liège, paraît un journal, l'Eclair.

Récemment celle feuille se permettait, non pas quelques grossières inconvenances contre des dames de Saint-Genois, mais de véritables infamies contre une femme qu'aurait dû protéger la double majesté du trône et de la douleur. (Interruption.)

L'article, messieurs, je ne puis pas le lire ; et c'est le seul avantage que je laisse à M. le ministre de la justice ; il a pu lire les articles des journaux flamands, ils n'étaient qu'inconvenants ; l'article de l'Eclair, je ne puis le lire ; il est infâme.

MjBµ. - Ces journaux n'ont pas d'abonnés.

M. Jacobsµ. - Un journal n'existe que dans le milieu où il peut se répandre. Je suis convaincu que l'Eclair n'est pas appelé à de prospères destinées, mais lorsque j'entends injurier la Flandre, lorsque j'entends dire que là seulement des journaux grossiers peuvent se concevoir, je vous montre qu'au sein du pays wallon, il s'en trouve d'autres et de plus indignes.

Loin de moi la pensée de vous en rendre responsable. Je sais que vous les désavouez, je sais que l'honorable bourgmestre de Liège, a demandé 10,000 fr. de dommages-intérêts lorsqu'il s'est cru accusé de patronner un pareil journal.

Eh bien, dans tout le pays flamand il n'est pas un journal qui, si l'on m'en attribuait le patronage, me causerait un dommage de 10,000 fr.

M. Eliasµ. - Vous êtes moins susceptible.

M. Jacobsµ. - L'honneur vaut autant chez nous que chez vous.

Mais est-ce dans la province de Liège seule que se concentraient ces excès de langage ?

Cette fois, je retourne en Flandre.

On a laissé entendre que ce n'était que dans la partie catholique de la Flandre, dans la partie arriérée, encroûtée, fanatique, qu'une telle presse pouvait réussir.

S'il me convenait de parcourir les journaux libéraux de la Flandre, j'y trouverais aussi des articles véritablement indignes ; il en est que je ne pourrais vous lire.

J'ai en main le West Vlaming, une feuille qui, si vous le voulez, est l'antipode des deux journaux qu'a cités M. le ministre. Je ne veux infliger le supplice de cette lecture ni à vous ni à moi ; mais si la curiosité vous y pousse, vous trouverez, dans le numéro du 11 octobre 1868, un article sur le vicaire Van Eecke et Marfori qui ne peut être écrit que pour de mauvais lieux. (Interruption.)

Laissons, messieurs, ces ordures de la presse, si je puis m'exprimer ainsi, ne les mêlons pas à nos débats et, s'il se rencontre des inconvenances dans les articles de Saint-Genois, inconvenances non coupables, qui ne peuvent servir à justifier les magistrats attaqués, mieux eût valu ne pas les lire ici ; mieux eût valu jeter le voile sur les inconvenances de la presse.

Ceux qui l'aiment doivent faire plutôt comme le fils de Noé, qui jeta le manteau sur l'ivresse de son père.

Je reviens au Jaer 30, à propos de l'arrestation de son rédacteur. Ici, nous ne nous trouvons plus sur le même terrain que lorsque nous examinions la visite domiciliaire.

Je reconnais qu'en présence d'une prévention, soit à charge du journal lui-même, soit à charge du vicaire Van Eecke, la visite domiciliaire, acte d'information, pouvait être opérée d'après l'état actuel de la jurisprudence. Quant à l'arrestation, il en est autrement.

L'arrestation n'est possible que s'il y a un article coupable ; l'article n'est coupable que s'il y a provocation directe.

Nous sommes d'accord sur ce point, l'honorable ministre de la justice et moi.

Autrefois, la provocation, même indirecte, était punie. Depuis 1829, la provocation directe seule est prohibée. Le. décret sur la presse a reproduit, en la renforçant, la loi néerlandaise de 1829.

.M. Schuermans, le commentateur le plus autorisé des lois sur la presse, enseigne que :

« Par suite de l'adoption de l'article 66 du nouveau code pénal, le principe de la punition de la seule provocation, ayant un rapport nécessaire avec le délit, est définitivement celui de notre législation. »

Cela résulte aussi à la dernière évidence du rapport même de votre commission sur l'article 66 du nouveau code pénal.

Vous y lisez :

«... L'excitation de sentiments de haine, l'expression du désir de voir s'accomplir un attentat contre la personne ou les propriétés d'un particulier, en un mot la provocation indirecte, quelque coupable qu'elle soit en elle-même, ne tombe pas sous l'application de l'article 66 ; cette provocation peut être un crime ou un délit sui generis, elle ne constitue pas un acte de participation morale à l'action criminelle qui a été commise. »

La Chambre a écarté complètement toute provocation indirecte.

D'accord avec M. le ministre de la justice sur les bases de la prévention à l'égard de l'éditeur du Jaer 30, contre lequel on ne peut invoquer d'autres charges que ses articles (tandis qu'à l'égard du vicaire Van Eecke on peut combiner les articles avec d'autres éléments qui nous sont inconnus jusqu'à présent), d'accord pour reconnaître que ces articles ne sont punissables et ne peuvent engendrer une arrestation légitime que s'ils constituent une provocation directe, nous ne le sommes plus lorsqu'il s'agit d'examiner s'ils constituent cette provocation directe.

Ici, nous dit M. le ministre de la justice, je ne vous suis pas ; s'il vous convient de discuter les faits, vous les discuterez seul, vous ne rencontrerez pas de contradicteur.

Eh bien, il l'a dit un peut tard ; il s'est aperçu, un peu tard, qu'il n'était pas convenable de discuter ces points.

MjBµ. - Je l'ai dit dès les premières lignes de mon discours.

M. Jacobsµ. - Après avoir lu tous les articles du Jaer 30, après nous avoir fait sentir tout ce qu'ils pouvaient avoir d'inconvenant, après les avoir accentués et commentés, après avoir constaté, notamment, une provocation directe à une autre infraction, dans l'un des articles, vous viendrez nous dire : Je n'ai pas abordé ce sujet. Oh ! que vous n'ayez pas conclu, je vous l'accorde, mais la conclusion seule manque à votre discours.

Nous avons vu hier, chose étrange, un ministre libéral faire le procès à la liberté de la presse, à ses excès, je le veux bien, mais à ses excès légitimes, à ses excès qui ne tombent sous l'application d'aucune loi et qu'il faut savoir supporter.

Qui voudrait rechercher dans tous les journaux, tant d'aujourd'hui que d'autrefois, les excitations, les provocations indirectes, arriverait ici vous défiler une longue énumération.

En temps de crise électorale, quel est le journal qui n'a pas dit : L'avénement au pouvoir du parti que je combats serait un défi, et autres phrases du même genre ? Quel est le journal qui n'a dit : « Ou vous serez renversé légalement, ou vous serez abattu révolutionnairement ? ».Je me trompe, il n'y a qu'un journal qui ait jamais dit cela.

Mais chacun a son petit bagage d'excitations, de provocations indirectes. Est-il venu à l'idée de personne de traîner, pour ce motif, les journaux devant les tribunaux ? Non, pas même en 1857, quand le ministère de M. Nothomb se voyait en butte aux plus violentes attaques des journaux, (page 167) quand des évènements regrettables se passaient dans les rues, il n'a jamais cherché à faire établir en justice une corrélation directe entre ces événements et ces articles ; jamais il n'a songé à poursuivre ces journaux comme les provocateur des émeutes.

Le ministère libéral fera bien de suivre les exemples qui lui ont été donnés par ses prédécesseurs catholiques, en cela comme en quelques autres matières.

J'ai hâte d'arriver à l'ensemble des articles du Jaer 30 que M. le ministre vous a lus hier en les accentuant, en faisant ressortir tout ce qu'ils pouvaient avoir de grave.

Le premier est incriminé à cause de sa finale, de ces mots qui le terminent :.« Malheureuse paroisse, funeste administration ! »

Ces paroles, que M. Bara qualifie de prophétiques, valent, au point de vue de la prévention, le « s'il y en a » et le « d'ordinaire ».

Le second article critique 1 arrêté du bourgmestre de Saint-Genois. Il déclare que sa conduite a excité dans tous les cœurs la plus vive indignation et produira les conséquences les plus déplorables.

Dans l'opinion de M. le ministre, il s'agit toujours de la même prophétie, les crimes de Saint-Genois ! Mais il fallait lire jusqu'au bout, vous auriez vu ce qu'on prédisait et qu'il n'était nullement question des incendies dans ces prédictions. Après avoir dit : « Cette manière de faire a excité chez tous la plus grande indignation et aura les suites les plus déplorables », l'article continue ainsi : « Cet homme se rendra bientôt maître de l'église, et les prêtres devront quitter la commune ou, forcés par la persécution, les fidèles verront leur église fermée ou desservie par un dominé. Toute réflexion est ici inutile. »

Telles sont les suites déplorables que prévoyait l’auteur de l'article.

Lu troisième article est le seul qui eût été signalé jusqu'à présent. Aujourd'hui, six ou sept sont incriminés. S'il y en avait un seul bon, on n'en incriminerait pas tant. C'est parce qu'il n'y en a aucun qui peut raisonnablement être considéré comme une provocation directe, qu'on a éprouvé le besoin d'en grouper plusieurs.

Le Jaer 30 décrit le rêve d'un incendie à Saint-Genois, et l'incendie éclate peu de jours après. Nous sommes bien loin de la définition de la provocation directe, donnée par la commission du nouveau Code pénal et que j'ai lue tantôt. Mais il faut l'avouer, si c'est cet article qui a fait naître l'idée d'incendie dans l'esprit du vacher Vandeputte, ou de toute autre personne, le provoqué a bien mal exécuté le programme. Comment ! on prédit qu'il y aura des incendies au Vier-Abeele, et aucun des incendies n'a lieu dans cette partie de la commune.

M. Coomansµ. - Vandeputte ne sait pas lire.

M. Jacobsµ. - On prédit l'incendie d'une maison ; on le décrit dans ses moindres détails ; or, il n'y a jamais eu une habitation brûlée ; on a incendié des meules, des récoltes, un chariot ; et si l'on faisait le calcul des pertes occasionnées par ces incendies, on constaterait qu'elles ne s'élèvent guère qu'à 3 à 4 mille francs.

- Voix à gauche. - Cela ne vaut pas la peine !

M. Jacobsµ. - Je sais parfaitement que les crimes n'en existent pas moins et je ne prétends certes pas que les grands incendies méritent seuls une répression, Je fais remarquer que le bruit fait autour de cette affaire n'est pas en rapport avec les pertes essuyées. Il ne s'agit pas, comme en 1822, en France, d'un grand nombre d'incendies et même de villages tout entiers. (Interruption.)

MjBµ. - Il n'y en a pas eu assez à Saint-Genois !

M. Jacobsµ. - Je crois inutile, messieurs, de relever l'insinuation ; il suffit de la signaler pour en faire justice.

- Voix à droite. - Très bien !

M. Jacobsµ. - En 1822, ce n'était que dans la presse qu'on faisait remonter à Benjamin Constant et aux autres chefs de l'opposition la responsabilité des incendies qui éclataient de toute part.

Aujourd'hui, dans cette Chambre, une assertion réfléchie de ce genre pourrait-elle se produire ? Je ne veux pas le croire, et je suis persuadé que la parole prononcée tantôt est regrettée maintenant.

Suit l'article où il est question des persécutions que subit à Saint-Genois, et, en Belgique, tout ce qui est catholique et flamand ; on vous a cité ce passage :

« Vous vous leviez enfin, Saint-Genois, et vous parliez, et j'ai le ferme espoir que vous continuerez à parler. »

Remarquez qu'au moment où l'article s'écrivait, il n'y avait eu aucun incendie à Saint-Genois.

Si donc on y disait : « J'espère que vous continuerez à parler comme vous avez commencé à le faire, » c'est que parler n'est pas un terme figuré qu'on peut traduire par : incendier, dévaster. L'article continue :

« Nous retirerons nos frères de ce cimetière non bénit, nous en emporterons la croix, et à la même place et en souvenir perpétuel du grand fait de nos chefs et de Saint-Genois, nous érigerons une pyramide en pierre, sur. laquelle brillera le symbole des francs-maçons : l’équerre et la truelle. »

Voilà la provocation. Mais, chose curieuse ! où se rencontre la provocation ne se produisent pas d'effets ; où se produisent des effets ne se rencontre aucune provocation.

Est-ce sérieusement qu'on voit ici une provocation à des voies de fait, n'est-il pas certain qu'il s'agit d'arriver au but indiqué par les moyens moraux, la presse, l'élection ?

Comment ! lorsqu'on vient dire : « Nous tirerons nos frères du cimetière, nous en emporterons la croix et nous élèverons un monument éternel du grand fait, » s'agit-il là de dévastations nocturnes, de dévastations coupables ?

Voici le sens : Nous redeviendrons majorité à Saint-Genois et nous rouvrirons l'ancien cimetière bénit.

A-t-on jamais vu, après des dévastations, des malfaiteurs élever un monument éternel à la glorification de leurs crimes ?

Enfin, messieurs, dans un dernier article du Jaer 30, je trouve le but électoral indiqué comme dans le Katholyke Zondag, les élections cause de toute la polémique, cause des excitations si vous voulez ; le renversement de l'administration libérale est la seule chose à laquelle on provoque.

« Non ! non ! cette paroisse élira bientôt des hommes meilleurs, défenseurs du droit, animés de sentiments chrétiens. 0 Saint-Genois, gardez-vous bien d'élire jamais un solidaire. Travaillez donc énergiquement et donnez une buse à tous les libéraux. »

Voilà ce à quoi l'on provoque, et j'avoue, qu'une telle provocation me paraît plutôt méritoire, que coupable.

En présence de ces articles, est-il possible de soutenir que dans l'affaire de Saint-Genois nous nous trouvons devant une provocation directe à l'incendie ?

Cela est si peu soutenable que les journaux libéraux eux-mêmes en sont convenus ; ils ont reconnu qu'il était impossible de l'admettre. Cela est matériellement impossible ; et dès lors, la poursuite contre l'éditeur, l'arrestation de l'éditeur deviennent évidemment une poursuite et une arrestation arbitraires.

Mais si même l'éditeur du Jaer 30 était coupable de provocations directes, je dis encore qu'on n'eût pas dû recourir à une arrestation préventive. Je l'ai rappelé déjà, l'article 3 de la loi de 1852 sur la détention préventive autorise le juge d'instruction, de commun accord avec le procureur du roi, à laisser le prévenu en liberté, quand la peine encourue n'est que des travaux forcés à temps.

Or, on a agi à l'égard du curé et à l'égard du vicaire Verschueren avec de tels ménagements que ces messieurs ne se doutent pas encore, à l'heure qu'il est, qu'ils sont impliqués dans l'affaire ! Cependant le curé a prononcé un sermon ; le. vicaire en a prononcé un autre ; on ne croit néanmoins devoir recourir ni contre l'un ni contre l'autre à la détention préventive ; mais le pauvre petit imprimeur, le moins coupable de la bande, on l'arrête, on l'emprisonne. Pourquoi l'a-t-on arrêté, emprisonné ? pour le faire parler.

Autrefois, quand on voulait forcer les gens à parler, on leur broyait les membres ; on les mettait sur un chevalet ou une roue, on laissait tomber une goutte d'eau sur leur front jusqu'à ce qu'il fût percé. On avait recours à toute espèce de moyens de ce genre.

Aujourd'hui, l’adoucissement des mœurs ne permet plus de recourir à des moyens aussi violents.

Il n'en reste plus d'autre que l'emprisonnement : faute de mieux, on l'emploie,

C'est à la torture du XIXème siècle qu'on a eu recours pour faire parler Vandenberghe, et l'on a réussi ; M. Vandenberghe a parlé. Cependant on ne l'a pas relâché dès qu'il eût parlé. M. le ministre, à cet égard, est dans l'erreur, si je suis bien informé moi-même, et je crois l'être ; dès que l'auteur a été connu, dès qu'on a eu la preuve en mains, quelques journaux, le Dieu public d'abord, l'Echo du Parlement ensuite, ont annoncé que Vandenberghe était mis en liberté ; plus tard, on a contredit le fait.

On s'est aperçu qu'en effet il n'était pas mis en liberté ; il est resté plusieurs jours encore en prison.

Pourquoi l'y a-t-on maintenu ? Il est une parole, qui n'a pas été répétée dans cette Chambre et que je n'aurais pas introduite, parce que je ne voulais pas y croire ; on prétend que lorsque les magistrats sont allés interroger (page 168) les éditeurs de journaux catholiques de Bruges, l'un d'eux leur a dit : « Voilà ce qu'on gagne à écrire contre les libéraux. » Eh bien, si la parole n'a pas été dite, le maintien de l'incarcération de Vandenberghe, après que l'auteur était connu, était de nature à faire naître dans son esprit cette réflexion salutaire : « Voilà ce qu'on gagne à écrire contre des libéraux. »

De l'arrestation de M. Vandenberghe, passons à la mise au secret des six prévenus qui, suivant moi, y sont encore, qui, selon l'honorable ministre de la justice, n'y sont plus ; l'un est incarcéré depuis le 4 août, d'autres depuis le courant du mois d'août, d'autres depuis le mois de septembre, trois mois en moyenne. Sont-ils au secret ? N'y sont-ils plus ?

Tout dépend du point de savoir ce qu'on entend par le secret.

D'après M. le ministre, ils ne sont pas au secret ; mais néanmoins on ne leur permet de communiquer qu'en présence ou d'un gardien ou du juge d'instruction en vertu du règlement des maisons cellulaires et on leur défend de parler du procès parce que la procédure est secrète.

Vous savez, messieurs, que le secret a toujours été envisagé avec défaveur, qu'il n'a jamais été admis que comme une exception, même lorsque la loi ne lui traçait pas de limites, et on a cité souvent la circulaire de M. de Séze du 10 février 1819 :

« La prolongation du secret est tellement contraire à la bonne administration de la justice et aux droits de l'humanité, que les juges d'instruction n'en sauraient user avec trop de réserve. Ils ne doivent l'ordonner que lorsqu'elle est indispensable à la manifestation de la vérité et seulement durant le temps strictement nécessaire pour atteindre ce but. »

Or, messieurs, quel est le but du secret ? Je vais le demander à Faustin Hélie, le principal commentateur du code d'instruction criminelle :

« Le secret a pour but d'empêcher que le prévenu ne se concerte avec ses complices, n'altère ou ne fasse disparaître les traces du crime, n'exerce ou ne subisse aucune influence extérieure. »

Hélie formule à peu près en ces termes les critiques qui se sont élevées contre le secret :

L'interdiction de communiquer, la détention solitaire est un véritable supplice qui donne à la détention préventive, qui n'est qu'une précaution, le caractère d'une peine ; le prévenu a besoin d'être défendu, non seulement à l'audience, mais pendant le cours de l'instruction ; l'isoler de son défenseur c'est l'empêcher de rechercher et de préparer ses moyens de défense.

Faustin Hélie ajoute que, malgré ces graves inconvénients, le secret, néanmoins, peut être établi dans l'intérêt de la société ; mais, par voie de conséquence, dès que le secret est levé tous les inconvénients qu'il énumère disparaissent.

Le prévenu doit pouvoir préparer librement sa défense ; il doit pouvoir conférer de son affaire, communiquer librement avec les personnes qui peuvent lui être utiles. Du moment qu'il n'y a plus d'interdiction de communiquer, plus de secret, la détention préventive ne peut plus différer de la mise en liberté que par la privation de la liberté. A part, la défense de sortir de prison, le prévenu doit pouvoir communiquer librement avec chacun. Du moment qu'il n'y a plus de défense de communiquer, on doit lui permettre de communiquer. Et de fait, messieurs, s'il y a dans le règlement des prisons cellulaires un article qui déclare qu'un gardien, ou bien un juge d'instruction pour Je remplacer, doit être présent à toutes les conversations des détenus, cela ne peut s'appliquer aux prévenus. On ne peut admettre qu'un gardien se mette en tiers entre un prévenu et un avocat, entre un prévenu et ses parents, pour entendre ses conversations et les rapporter au besoin.

La procédure est secrète, ajoute-t-on. Qu'est-ce à dire ? Les dépositions ne feront pas communiquées ; les pièces ne seront pas livrées. Pour le reste, le prévenu doit pouvoir faire absolument ce qu'il ferait s'il était en liberté. Le prévenu détenu doit avoir la liberté de ses communications, dès qu'il n'y a plus défense de communiquer, tout comme le prévenu qui se trouve en liberté. En d'autres ternies, dès qu'il n'y a plus de secret, vous ne pouvez plus que le retenir, mais vous ne pouvez plus l'entraver dans les besoins de sa défense.

Vis-à-vis de l'homme qui se trouve en liberté, vis-à-vis de celui qui a été mis en liberté sous caution ou qui n'a jamais été emprisonné, la procédure continue à être secrète ;. cependant, cet homme peut communiquer avec ses conseils, avec sa famille, avec qui il veut. Pourquoi ? Parce que le secret de la procédure ne s'y oppose pas. Dès lors, le secret de la procédure ne peut empêcher le prévenu, qui n'est plus au secret lui-même, de communiquer, comme le fait le prévenu mis en liberté, avec ses avocats, avec sa famille.

Dans ces conditions, la position intermédiaire qu'on a essayé de faire aux frères Delplanque et aux différents prévenus n'est pas une position légale ; c'est un secret encore, secret mitigé, si vous le voulez, mais c'est le secret, et sa prolongation est l'abus du secret.

Quand, en 1862, l'honorable M. Orts disait que, dans sa longue pratique, il n'avait jamais rencontré un cas où le secret fût nécessaire pendant plus de vingt jours, c'était l'absence de communiquer avec ses parents, de communiquer avec ses défenseurs, de communiquer, en un mot, avec n'importe qui, que l'honorable membre entendait designer par le mot « secret » ; c’était le secret tel que tout le monde l'a toujours entendu.

M. le ministre de la justice nous a exposé assez longuement les précédents de l'affaire de Saint-Genois ; il en est un qui a principalement attiré son attention.

C'était en 1847 ; un sieur Vandecasteele publie une lettre à M. de Theux sur la misère des Flandres dont il cherche à rendre le gouvernement responsable. Il est poursuivi du chef de provocation directe aux troubles qui sh manifestent à Bruges peu de temps après. ; arrestation, perquisition. Il est vrai qu'au bout de très peu de temps, l'on s'aperçoit qu'il n'est pas possible de croire à la provocation, même sous l'ancien code pénal, et l'on met Vandecasteele en liberté.

M. le ministre de la justice vous a cité à ce propos le discours de M. Castiau. Il n'a pas été jusqu'au bout de ce discours, sinon il aurait pu s'assurer que l'opposition d'alors n'était pas plus accommodante que l'opposition d'aujourd'hui ; au contraire, elle allait beaucoup plus loin dans ses critiques, dans ses attaques.

« Rappelez-vous, disait M. Castiau le 23 mars 1847, ce qui se passe en ce moment à Bruges. La misère des Flandres inspire un écrit ardent, passionné, violent même, si vous le voulez. Cet écrit est dirigé contre l'honorable M. de Theux. On y reproche, dans les termes les plus amers, au gouvernement son indifférence et son apathie. Cet écrit, on le laisse circuler pendant un mois, il est reproduit dans la plupart des journaux et répandu dans le pays à un nombre infini d'exemplaires, puis, après un mois d'indifférence et d'abstention, voici tout à coup la police qui s'éveille et qui saisit l'écrit ; on ne se contente pas de saisir l'écrit, on s'empare de la personne de l'écrivain, on lui impose un emprisonnement préventif ; on ne s'arrête pas là ; on le soumet à toutes les rigueurs, à toutes les tortures du secret, c'est-à-dire, qu'on le traite, lui, l'écrivain, l'homme de la presse et de la pensée, comme un vil et lâche assassin. Et puis, s'il faut en croire la notoriété publique, il s'agirait maintenant d'établir des rapports entre cet écrit et des scènes de désordre et de pillage, c'est-à-dire qu'on voudrait introduire dans ce pays la doctrine monstrueuse de la complicité morale, cette doctrine contre laquelle la France tout entière a protesté, lorsqu'elle fut appliquée à un écrivain !

« Sur qui doit retomber la responsabilité de tous ces faits attentatoires aux droits de la liberté de la presse ? Je l'ignore ; mais si j'avais la certitude que M. le ministre de la justice fût l'auteur de toutes ces mesures arbitraires, qu'il en eût pris l'initiative et qu'il les eût imposées à ses agents, je dirais que M. d'Anethan a comblé la mesure, je vous demanderais, messieurs, si le moment n'est pas venu de faire enfin un grand exemple et de mettre en accusation un ministre qui se serait mis en révolte ouverte contre nos lois, nos libertés et nos institutions. »

Là, messieurs, ne se trouvaient pas les circonstances aggravantes qui se présentent dans l'affaire de Saint-Genois. Il n'y avait ni les visites domiciliaires faites en l'absence de tout prévenu qui les justifiât, ni la visite domiciliaire chez un prévenu incarcéré, hors de sa présence, ni les saisies de pièces étrangères à la prévention, ni l'installation de la justice chez un homme politique, ni le déplacement des magistrats en dehors de leur ressort, ni six prévenus détenus préventivement au secret pendant déjà quatre mois ; j'ajoute cette circonstance que l’auteur seul et non l'éditeur se trouvait poursuivi ; malgré tout cela, M. Castiau parlait de mise en accusation. S'il était encore ici, s'il se trouvait en face, non pas des dénégations absolues de M. d'Anethan, mais d'une, simple affirmation du ministre qu'il n'a pas dirigé l'instruction, bien qu'il en connaisse les moindres détails, il m'est permis de croire que M. Castiau n'eût pas hésité à donner suite à ses projets de 1847.

Si M. Castiau était ici, à défaut de mise en accusation, il demanderait tout au moins à ses anciens collègues comment, après avoir annoncé une politique nouvelle, régénératrice, progressive, après vingt ans de pouvoir, il en était réduit à voir, en 1868, un ministre libéral s'abriter sous le manteau de M. d'Anethan !

M. Bara nous a adressé le reproche d'avoir montré trop peu de sollicitude pour la presse en d'autres circonstances ; il se peut que nous ayons des reproches à nous faire ; cela tendrait à démontrer que l'éducation des partis ne se fait qu'à la longue et qu'elle se fait surtout dans l'adversité ; cela tendrait à prouver encore que notre éducation touche à son terme et que la vôtre a bien besoin de commencer. (Interruption.)

Messieurs, l'affaire de Saint-Genois n'est pas un fait isolé ; elle tient à une tendance funeste.

(page 169) M. le ministre faisait allusion hier a un autre fait qui, pour moi, est peut-être plus grave encore. Sans doute, pour les magistrats trop zélés, c'est une belle aubaine que les journaux de l'opposition, que les prêtres catholiques ; il en est une plus belle encore, ce sont les députés de l'opposition. Dans l'intervalle des deux sessions, nous avons vu l'un de nos collègues traîné des bancs de cette chambre sur ceux de la cour d'assises sous la prévention de corruption électorale.

Un prêt de 600 francs à l'intérêt de 5 p. c. pendant un an, cautionné pour une partie par notre honorable collègue M. Van Wambeke et par le notaire Verbruggen au nom du comité électoral conservateur d'Alost, à la suite des dernières élections communales, constituait, d'après la prévention, le prix d'achat d'un suffrage.

L'acte de cautionnement produit en justice par notre honorable collègue lui-même, dénoncé par le tribunal de commerce d'Alost au parquet de Termonde, engendra la poursuite. Les Chambres étaient réunies, on n'impliqua pas notre collègue dans la prévention, on l'entendit comme témoin, sous la foi du serment. Il eût fallu sinon demander l'autorisation parlementaire et l'on savait bien que jamais on ne l'eût obtenue.

Il était constaté, en effet, c'était un point indéniable, que notre collègue n'avait eu aucun rapport avant l'élection avec l'électeur prétendument corrompu ; aucun témoin ne venait à l’encontre de sa dénégation, et l'accusation pour s'en prendre à lui aurait dû choisir entre l'hérésie juridique d'une complicité postérieure à l'accomplissement du délit, et une supposition, c'est-à-dire, une hérésie logique.

Il fallait ou bien dire que l'honorable M. Van Wambeke ne pouvait avoir cautionné après, que parce qu'il avait promis de cautionner avant, ou bien il fallait dire : Il est inutile qu'il ait promis avant, il suffit qu'il ait cautionné après.

La session est close, son rôle change ; sans qu'aucun fait nouveau soit intervenu, notre collègue va rejoindre le notaire Verbruggen sur le banc des prévenus.

L'instruction ne s'était en rien modifiée, mais la session était close. Il n’y avait plus de contrôle parlementaire. Et puis l'on s'était aperçu que la prévention contre le notaire Verbruggen s'écroulait, si l'honorable M. Van Wambeke restait témoin. D'un témoin gênant, on fit un prévenu ; prévenu par supposition ou prévenu de complicité postérieure.

Quand fut venu le moment de rencontrer cette étrange accusation, quand l'honorable M. Van Wambeke se crut au moment de pouvoir demander compte de cette poursuite, une prescription trop évidente, opposée d'office par le président de la cour d'assises, vint lui couper la parole.

Je le déclare, je comprends qu'on ait poursuivi le notaire Verbruggen. Pour moi, son innocence était incontestable, tout jury l'eût acquitté, mais enfin il avait eu des rapports avec le prétendu corrompu avant l'élection. Le parquet, qui croit toujours plutôt à la culpabilité qu'à l'innocence, avait le droit de préférer les déclarations accusatrices, malgré les contradictions dont elles fourmillent, aux témoignages de MM. Van Wambeke et Verbruggen et d'autres témoins ; mais quant à M. Van Wambeke, l'accusation était dénuée de toute apparence de fondement.

L'homme qu'on impliquait dans une telle poursuite, on essayait de le flétrir d'avance.

Vous avez tous lu, non sans émotion, j'en suis sûr, dans l'acte d'accusation, que le cautionnement de l'honorable M. Van Wambeke démontrait sa turpitude politique. (Interruption.)

Messieurs, s'il est une règle que l'accusation doit observer à l'égard des prévenus, c'est un certain respect. Tant qu'il ne sont pas condamnés on peut accumuler les charges, non les injures.

Quand le prévenu est un homme honoré de l'estime de tous, revêtu d'un double mandat public, lorsque cet homme est l'adversaire du pouvoir et que vous êtes le subordonné, vous n'avez pas le droit de vous servir d'expressions pareilles.

Vous avez dû en ressentir tous une pénible impression et je ne doute pas que M. le ministre de la justice lui-même, lorsqu'il aura l'occasion de le faire, saura témoigner au magistrat qui a prononcé ces paroles, le déplaisir qu'elles lui ont causé.

MjBµ. - Vous vous lancez là sur un bien mauvais terrain.

MpDµ. - N'interrompez pas, je vous prie, M. le ministre.

M. Jacobsµ. - Je sais que l'honorable ministre s'imagine que tous les terrains lui sont bons, que tous nous sont mauvais ; l'expérience aurait cependant dû lui apprendre que ce n'est pas toujours là une vérité.

Dans l'occurrence, la prescription édictée par la loi sur les fraudes électorales était évidemment acquise ; cette prescription, opposée d'office par le président de la cour d'assises, admise par la cour, fut confirmée par la cour de cassation.

Je n'hésite pas à le dire : poursuivre un de nos collègues, membre de la représentation nationale, membre de l'opposition surtout, dans des circonstances pareilles, n'est-ce pas là un fait de nature à accréditer le soupçon que le parquet se laisse parfois guider par des considérations politiques ? Et M. le ministre ne peut pas ici s'abriter complètement derrière le parquet. En matière politique, il doit autoriser la poursuite : je sais qu'en règle générale il répond au parquet : Faites comme vous l'entendrez. Il est au moins une circonstance où le ministre a l'obligation d'examiner lui-même ; c'est lorsqu'on lui demande de traduire devant la cour d'assises un collègue et surtout un collègue de l'opposition ; je dis surtout un collègue de l'opposition ; je ne sais si cette considération vous touche, mais, je serais à votre place, qu'elle me toucherait.

On n'avait pas été très heureux à l'égard de M. Van Wambeke. On tenait cependant, semble-t-il, à trouver un coupable dans les rangs de l'opposition. Quelques jours avant les dernières élections d'Anvers, un petit journal, qu'un jury d'honneur a sévèrement jugé, annonça que la Société immobilière d'Anvers, qui avait obtenu du conseil communal la concession des terrains des anciennes fortifications, avait attribué à notre honorable collègue Delaet une somme de 100,000 francs. (Interruption.) Permettez ! Une somme de 100,000 francs pour le rémunérer de ses soins et de son influence. Immédiatement sur tous les murs d'Anvers ce chiffre se trouve affiché en grands caractères.

Un journal d'Anvers reproduit l'article avec des commentaires qui semblent à M. Delaet de nature à préciser et à aggraver l'imputation. Il intente une action en calomnie. Cette poursuite était commencée, lorsqu'on apprend qu'une instruction est entamée à Bruxelles à ce sujet. Deux témoins sont en effet entendus.

Immédiatement, à Anvers, des écriteaux sont colportés dans toute la ville, portant ces seuls mois : « Le parquet est saisi de l'affaire Delaet. »

Les élections se font sur ces entrefaites et M. Delaet, vengé par ses concitoyens, obtient plus de voix qu'il n'en eut jamais. Et puis l'on apprend que l'instruction est abandonnée. (Interruption.)

Messieurs, je n'attaque pas les magistrats au point de vue des intentions dans cette affaire ; je ne crois pas que leur intention ait été mauvaise, mais je suis en droit de dire qu'une instruction commencée dans ces circonstances, en pleine période électorale, en pleine crise politique, était souverainement malheureuse et inopportune..

Messieurs, on comprendra que je ne m'étende pas davantage sur les faits qui concernent l'honorable membre. Ni lui ni d'autres membres qui siègent sur ces bancs, tel que notre estime collègue le vicomte Charles Vilain XIIII, n'ont besoin d'être vengés d'aucune attaque, de quelque part qu'elle vienne.

Dans tontes les affaires dont j'ai eu l'occasion de vous entretenir, je trouve une tendance fatale chez certains membres de la magistrature à mêler la politique à l'exercice de leurs fonctions.

Je puis m'inquiéter peu de tel ou de tel fait isolé : ce dont je m'inquiète beaucoup, c'est de la réputation de la magistrature belge, ce à quoi je tiens beaucoup, c'est qu'elle reste au-dessus du soupçon de rendre des services et de servir des rancunes.

Il semble réellement que. les poursuites aujourd'hui n'aient qu'un but : faire courber la tête à qui ne veut pas s'humilier.

Espère-t-on y parvenir ?

Ah ! c'est peine inutile, les persécutions ne sauraient nous lasser. Prenez-y garde, elles pourraient nous grandir !

Il est, messieurs, un autre ordre de faits que la presse a signalé ; c'est la tendance du gouvernement, que j'ai constatée en une autre circonstance, de faire grâce à ses amis qui viennent lui demander remise des peines qu'ils ont encourues, et de ne pas la faire à ses adversaires, lorsqu'ils sont impliqués dans une même poursuite et que, soit par trop de fierté, soit par trop de caractère, ils ne croient pas devoir demander cette faveur.

Aujourd'hui, en réalité, le duel, par exemple, n'est plus puni en Belgique ; ce qu'on punit, c'est le caractère fier, ombrageux, manquant de souplesse, qui refuse de demander grâce.

Si vous vous lancez dans cette voie, je dis que vous arriverez fatalement, ce n'est pas votre but mais c'est un résultat infaillible, vous aboutirez à l'abaissement des caractères.

Monopoliser entre vos mains, comme vous le faites à peu d'exceptions près, les positions, les honneurs, les distinctions, les grâces même, je le blâme, je vous en demande compte ; mais à la rigueur, la plus grande partie même d'une nation peut se résigner à abandonner à quelques-uns toutes les fonctions, toutes les places, tous les honneurs, toutes les grâces. On peut se passer de places, on peut se passer d'honneurs, de faveurs, de grâces ; jamais un peuple ne s'est passé de justice.

MpDµ. - La parole est à M. Reynaert,

(page 170) - Plusieurs membres. - A demain ! à demain !

MjBµ. - Je demande la parole.

M. Reynaertµ. - Je désirerais ne parler que demain.

MjBµ. - J'ai une communication à faire à la Chambre et mon devoir m'oblige à la lui faire immédiatement.

M. le juge d'instruction De Blauwe est venu spontanément chez moi aujourd'hui pour protester contre les faits qui lui avaient été attribués par l'honorable M. Reynaert ; je. crois de mon devoir, messieurs, de lire à la Chambre la lettre de protestation qu'il m'a écrite :

« Monsieur le ministre,

« Après avoir lu le discours de M. Reynaert, je me disposais à démentir, d'une manière formelle, tout ce qu'il m'attribuait et à protester énergiquement contre le rôle qu'il me prêtait dans l'instruction des crimes de Saint-Genois.

« Je vois aujourd'hui dans les Annales parlementaires que vous avez déjà fait justice de ces allégations fausses et que vous avez repoussé le blâme immérité qu'on a voulu m'infliger.

« Je vous en remercie, M. le ministre ; tout ce que vous avez dit pour me défendre, tous les faits que vous avez cités sont l'exacte vérité.

« J'assume la responsabilité de tous les actes d'instruction que j'ai cru devoir poser dans l'intérêt de l'information, de toutes les perquisitions que j'ai pratiquées, comme de toutes les arrestations que j'ai fait opérer, et vous déclare que je les ai ordonnées dans toute la plénitude de ma liberté et de mon indépendance de magistrat.

« Agréez, etc.

« (Signé) De Blauwe. »

MpDµ. - La parole est à M. Reynaert.

- Plusieurs membres. - A demain !

M. Reynaertµ. - Je dois faire remarquer que je ne pourrais pas terminer aujourd'hui ma réplique. Je prierai donc la Chambre de me permettre de ne parler que demain.

MpDµ. - Je vais consulter la Chambre.

M. de Theuxµ. - Je crois qu'il n'est pas possible de refuser honnêtement ce que demande l'honorable membre.

En voici la raison : Nous votons d'entendre un magnifique discours, plein de force et d'éloquence, qui a tenu toute une séance ; on l'a écouté avec la plus grande attention ; et vous voulez que l'honorable M. Reynaert prenne la parole instantanément.

M. Dumortierµ. - Messieurs, comment voulez-vous que l'honorable M. Reynaert réponde dès maintenant au discours de l'honorable M. Bara, discours qui ne nous a été distribué qu'au commencement de la séance ? Cela n'est pas possible : l'honorable membre doit avoir au moins le temps de le lire.

Interpellation

M. Van Overloopµ. - Je vais donner à l'honorable M. Reynaert le moyen de ne prendre la parole que demain. A cet effet, je me permettrai d'adresser une interpellation au gouvernement.

Je désire savoir ce qu'il y a de vrai dans les bruits qui circulent, et dont la presse s'est faite l'écho, de la cession de la grande ligne du Luxembourg à l'Est français.

MpDµ. - Vous n'avez pas et vous ne pouvez pas avoir la parole sur cet objet.

MtpJµ. - Messieurs, l'affaire dont l'honorable M. Van Overloop vient d'entretenir la Chambre a un caractère très sérieux, et je suis heureux, pour ma part, de saisir l'occasion de m'expliquer catégoriquement sur ce point.

Ainsi que vient de le dire l'honorable membre, plusieurs journaux, dans ces derniers temps, ont donné une certaine publicité au projet que l'on prête à la grande compagnie du Luxembourg de céder à la compagnie française de l'Est le chemin de fer qui lui a été concédé.

Ces rumeurs, qui ont fait naître certaines préoccupations dans le pays, ont appelé toute l'attention du gouvernement.

Nous avons examiné attentivement quelle attitude le gouvernement aurait à prendre éventuellement, et quelle situation spéciale les statuts de la compagnie du Luxembourg créaient à cette société.

Il en est résulté pour nous à l'évidence que l'autorisation du gouvernement est nécessaire pour une opération du genre de celle que méditerait la compagnie du Luxembourg.

Cette autorisation, le gouvernement est résolu à la refuser, et je puis donner à la Chambre l'assurance que cette cession ne s'accomplira pas.

- La Chambre consultée décide qu'elle remet à demain à une heure la suite de la discussion du rapport sur la pétition de MM. les journalistes.

- La séance est levée à 4 3/4 heures.