Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 12 décembre 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 171) M. de Moor, secrétaireµ, fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Léon Jacob, employé au commissariat de l'arrondissement d'Arlon, né à Sedan (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Gérard, ancien ouvrier supplémentaire au chemin de fer de l'Etat, réclame l'intervention de la Chambre, afin d'obtenir une indemnité de huit jours de salaire pour avoir été renvoyé sans être prévenu huit jours d'avance. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants d'Habay-la-Vieille déclarent adhérer à la pétition demandant que le chemin de fer de Virton suive la direction d'Habay et Saint-Léger. »

« Même déclaration d'habitants d'Habay-la-Neuve. ».

- Même renvoi.


« Les sieurs Devillez, de Puydt et autres membres de la Ligue de l'enseignement prient la Chambre de réglementer le travail des enfants dans l'industrie. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

Projet de loi modifiant la législation relative à la formation des listes électorales

Dépôt

MiPµ dépose un projet de loi ayant pour objet d'apporter certaines modifications à la législation qui règle la formation des listes électorales.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le renvoi à l'examen des sections.

Rapport sur une pétition

Discussion du rapport sur la pétition des journalistes

MjBµ. - Messieurs, vous avez entendu, hier, le discours d'un honorable député d'Anvers qui a essayé d'étayer les accusations formulées contre le gouvernement et la magistrature, au sujet des crimes de Saint-Genois. Dans une affaire aussi importante, il convient de réfuter point par point toute l'argumentation de l'honorable membre. Il faut être précis, il faut étudier ses moyens de preuve et examiner ses théories les unes après les autres, pour en démontrer l'inanité et la fausseté.

C'est la tâche que je me propose de remplir.

Et d'abord, l'honorable membre a tenu à constater que la réponse que j'ai faite était indispensable et, en effet, messieurs, elle l'était. Le débat qui a été soulevé dans cette enceinte, ce n'est point nous qui l'avons provoqué ; c'est la presse cléricale, ce sont les journalistes catholiques, c'est l'honorable M. Reynaert qui l'ont fait naître. Et après avoir déclaré que ma réponse était indispensable, M. Jacobs me reproche de n'avoir pas suivi le système de M. d'Anethan et de ne pas m'être tu. (Interruption.)

Vous n'envisageriez, messieurs, qu'un côté de la question, si vous n'examiniez pas le conflit qui a été la cause première des malheureux événements de Saint-Genois.

Ce conflit est né de la prétention qu'avait l'évêque de Bruges d'obtenir de la commune de Saint-Genois, pour la fabrique d'église, la propriété du cimetière communal. Que fait l'honorable membre ? C'est le petit côté de la question, dit-il ! Comment ! le petit côté de la question ! Ce n'est guère respectueux pour l'évêque de Bruges. L'honorable membre en parle à son aise. Le conflit entre l'évêque de Bruges et le conseil communal de Saintt-Genois, mais il se rattache à la plus grande question que nous puissions discuter.

Quoique j'aie hâte d'arriver aux faits de Saint-Genois, je n'abandonnerai pas la proie pour l'ombre, je ne quitterai pas ce terrain avant d'avoir rencontré les objections de l'honorable membre, avant d'avoir signalé les nouvelles prétentions de l'évêque de Bruges et d'en avoir démontré l'injustice.

Pourquoi, nous dit M. Jacobs, vous occuper du cimetière de Saint-Genois ? Laissez faire le gouvernement. Il se charge de cette affaire. Le gouvernement résiste aux empiétements cléricaux. Mais vous, qu'avez-vous à vous en occuper ?

Voici la théorie :

« Et de fait, messieurs, que sommes-nous ici ? Le corps électoral nous a-t-il envoyés dans cette Chambre pour réprimer les prétentions épiscopales, pour nous opposer aux empiétements cléricaux ? Je ne le pense pas. (Interruption.) Je vais vous dire pourquoi, vous allez être d'accord avec moi : Le corps électoral a, à cet égard, une confiance absolue dans le gouvernement, il sait que le ministère y met tous ses soins, qu'il s'en acquitte sans faiblesse, quelquefois même avec trop d'énergie. »

Singulière théorie constitutionnelle ! L'honorable membre sépare la majorité du gouvernement. Le gouvernement est immuable, l'opinion publique se repose en lui. Les électeurs se confient à sa vigilance pour défendre les droits de l'autorité civile.

Mais que sommes-nous ? Nous sommes l'émanation du corps électoral. Nous sommes, comme, la majorité, la représentation du corps électoral, et si la majorité ne nous soutient pas ici, si elle n'est pas envoyée ici pour résister aux empiétements cléricaux, de quel droit lutterions-nous ?

Voilà cette belle théorie de droit public. Le gouvernement est séparé de la majorité ; il est immuable et c'est à lui seul de réprimer les prétentions épiscopales, de s'opposer aux empiétements cléricaux !

Messieurs, pourquoi nous attaquez-vous alors si souvent ? Chaque fois que nous combattons le clergé qui sort de son domaine, c'est pour vous un sujet de critique ; vous prétendez que nous le persécutons, que nous agissons contre lui avec toute la violence possible.

Vous nous dites de ne pas nous occuper des affaires cléricales, et le moment est véritablement bien choisi pour nous donner un tel conseil !

Oubliez-vous, par hasard, qu'il y a quelques jours à peine, la parole du chef du clergé belge jetait l'émoi au sein de nos populations !

Ou veut vous faire déposer les armes, à vous membres de la majorité, et cependant écoutez comment on attaque ce que vous faites :

« Cette grande armée de la négation est disciplinée par les loges, on reconnaît sans peine dans chacune des sorties et dans chacune des attaques de cette armée, le résultat d'un mot d'ordre. Ici, ce sont les œuvres des générations chrétiennes qu'il faut empêcher de vivre, c'est la charité catholique dont il faut tarir la source ou détourner les eaux ; là, c'est l'influence des hommes de foi qu'il faut absolument écarter, en les tenant pour indignes de toutes les fonctions publiques comme de vrais parias de la civilisation. Ici, c'est contre les associations religieuses qu'il faut passionner le peuple, c'est le sens public qu'il faut pervertir, afin de pouvoir jeter sur la rue les anges de l'expiation et de la prière, pendant qu'on ouvrira de nouveaux asiles à la prostitution ; là, ce sont les associations laïques de la charité chrétienne, ce sont les admirables jeunes gens de la société de Saint Vincent de Paul qu'il faut disperser à tout prix, pendant qu'on resserrera les liens de la franc-maçonnerie dans les deux mondes. Ici, c'est le culte catholique dont il faut menacer la liberté, en mettant sournoisement la main sur l'administration de ses biens ; ce sont les églises, ce sont les lieux de réunion de la grande famille religieuse où l'on veut pénétrer peu à peu, de manière à y devenir les maîtres ; là ce sont les champs sacrés de la mort qu'il faut troubler sans pitié, et avec cette haine évidemment réservée dont nous exposons les œuvres, car on ne songe à troubler ainsi ni les cendres des protestants, ni les cendres des infidèles, et ce n'est que là où l'on repose à l'ombre de la croix, que l'on veut mêler de force à ceux qui l'ont adorée, ceux qui l'ont reniée jusqu'à la fin. Ici, c'est aux ennemis déclarés de Jésus-Christ qu'il faut ouvrir les cercles littéraires, comme aux missionnaires avoués de l'apostasie ; là, c'est l'enfance, c'est la jeunesse des écoles, ce sont les femmes elles-mêmes rendues à leur dignité par le christianisme seul, qu'il faut arracher à la foi par la Ligue de l'enseignement, par l'hypocrisie de l'enseignement neutre (enseignement inévitablement antichrétien, on l'a prouvé et nul n'a répondu) ; et c'est cet enseignement qu'il faut imposer aux gouvernements sous prétexte de liberté de conscience, comme si la liberté de conscience autorisait l'oppression de la conscience des croyants, comme si elle autorisait l'antichristianisme officiel, l’antichristianisme d'Etat dans les écoles ouvertes aux enfants des familles chrétiennes ; et comme si la liberté civile des cultes, l'indifférence politique ou constitutionnelle, impliquait dans l’enseignement l'indifférence doctrinale, c'est-à-dire l'absurde et l'impossible. »

Pas un acte de la politique libérale, pas un acte du gouvernement et des chambres, pas un acte de l'administration de nos grandes villes qu'on incrimine !

Tout est condamné, flétri !

(page 172) Et quand a paru la brochure épiscopale ? A une époque où le gouvernement n'avait rien dit, où les Chambres étaient à peine ouvertes. C'est ce moment que l'on choisît pour sonner le branle-bas dans le pays et organiser la lutte au profit des convoitises de l'épiscopat !

Eh bien, quand le chef de l'armée cléricale appelle à un nouveau combat, je dis à mes amis : C'est à vous de vous tenir debout, d'unir vos efforts, de résister a cet esprit réactionnaire, à cet esprit du moyen âge qu'on veut ramener dans nos lois. (Interruption.)

M. Coomansµ. - C'est le despotisme.

MfFOµ. - Commencez par vous affranchir de ce joug, et osez le dire.

MjBµ. - Heureusement, dans ce débat nous ne faisons que nous défendre ; nous sommes attaqués et insultés du haut de la chaire. Et certes ils n'ont pas fait preuve d'esprit chrétien, les évêques qui attaquent les ministres jusque dans leurs intentions.

J'ai dit que l'évêque de Bruges voulait, pour la fabrique de l'église, la propriété du cimetière. Savez-vous pourquoi ? Parce que le cimetière catholique, exclusivement catholique, est, comme l'a déclaré un ecclésiastique respectable et convaincu, une arme d'intimidation sur les chrétiens, un moyen de les maintenir dans la discipline, dans l'obéissance au clergé par la menace d'une sépulture dans un endroit voué a la honte.

« Après les assurances données au sujet de la suffisance du cimetière, ajoute M. Jacobs, l'évoque de Bruges considéra cette délibération comme, une sorte de manque de parole, et c'est ce qui explique qu'il se montra d'une sévérité dont il n'a pas été donné d'exemples ailleurs. Voilà l'explication de sa conduite ; voilà le nœud de la question. »

D'après l'honorable membre, c'est donc pour un manque de procédé, pour une simple question d'amour-propre que l'évêque de Bruges a refusé les prières des morts à des catholiques.

Eh bien, je n'accepte pas le jugement sévère que vous portez sur la conduite de l'évêque de Bruges ; je n'admets pas que ce soit par vanité et par amour-propre que ce prélat a refusé le service religieux aux défunts de Saint-Genois. Votre langage, sinon vos intentions, le calomnie. Vous ne connaissez pas le but qu'il poursuit. Si l'évêque de Bruges était ici, il vous dirait : M. Jacobs, un évêque n'a pas d'amour-propre et de vanité, un évêque ne refuse pas par simple caprice les prières aux personnes décédées dans la religion catholique ; si j'ai refusé à des personnes de Saint-Genois les prières catholiques, c'est parce que, en 1858, M. l'évêque Malou a déclaré que toutes les fabriques d'église devaient avoir la propriété des cimetières à créer, malgré la loi et contre les conseils communaux. (Interruption.)

Permettez-moi donc de défendre contre vous l'évêque de Bruges dont vous avez méconnu le caractère. (Interruption.) Oh ! pensez-vous que vous allez faire passer dans le public cette opinion que les prières catholiques ont été refusées à des catholiques pour une petite question d'amour-propre ? Non, messieurs, les prières ont été refusées aux morts de Saint-Genois pour une grande question de principe, parce que l'évêque de Bruges veut avoir les cimetières, à l'effet de donner une sépulture distincte à ceux qui n'obéissent pas pendant leur vie aux injonctions du clergé même en dehors des matières religieuses.

Nous saurons résister à cette prétention et nous y résisterons, non pas seuls, mais vous serez condamnés à y résister avec nous ; jamais ministère catholique n'osera proposer de donner aux fabriques d'église la propriété des cimetières nouveaux. M. Nothomb l'a refusé ; il a déclaré que l'acquisition du cimetière était une charge communale et que les fabriques d'église ne pourront créer de nouveaux cimetières que si les communes n'en créaient pas elles-mêmes. M. Nothomb ne se contredira pas, il maintiendra, même dans l'opposition, le système qu'il a défendu au ministère et il le maintiendra contre les prétentions épiscopales.

M. Dumortierµ. - Ainsi des israélites ...

MpDµ. - Pas d'interruption, je vous prie.

MjBµ. - Le but de l'évêque de Bruges est donc autre que celui que lui a prêté M. Jacobs. Sans doute, messieurs, il est bon d'être habile, mais il n'est point bon d'être habile aux dépens de la dignité de ses amis.

L'honorable membre dit : « Ai-je besoin, messieurs, de parler des incendies ? A en croire M. le ministre de la justice, nous craignons d'en parier, nous ne veillons pas les blâmer, nous ne voulons pas que le pays les connaisse.

« Les journaux n'en ont-ils donc pas assez parlé ? Les débats de la cour d'assises n'on occuperont-ils pas assez l'opinion publique ? »

Messieurs, je rappelle à l'honorable membre que ce n'est pas à lui que je reprochais de ne pas avoir parlé des incendies de Saint-Genois ; c'est aux journalistes catholiques, qui protestaient devant la Chambre. Je n'avais pas à m'adresser à vous, puisque vous n'aviez pas encore parlé. C'est aux journalistes que je disais : Vous aviez la mission de ramener dans le droit chemin les auteurs des incendies, vous aviez le devoir d'éclairer ces gens égarés. L'avez-vous fait ? Vos publications ont-elles flétri les incendiaires ? A peine en avez-vous parlé aux faits divers. Mais vous n'en avez pas fait l'objet de vos protestations ; vous les avez considérés comme des œuvres individuelles, des faits accidentels.

Mais quant à éclairer l'opinion publique sur les vraies causes des déplorables événements de Saint-Genois, la presse cléricale s'en est bien gardée. Elle préfère mettre la lumière sous le boisseau.

M. Coomansµ ; - Et elle fera très bien ; c'est faire une bonne œuvre que d'étouffer ces incendies.

MpDµ. - Pas d'interruption.

MjBµ. - C'est une bonne œuvre...

MpDµ. - Ne répondez pas aux interruptions, M. le ministre.

MjBµ. - C'est une très bonne œuvre, sans doute, d'étouffer les incendies, M. Coomans ; mais ce n'est pas une œuvre bien difficile que de les étouffer quand déjà ils sont éteints.

Pendant tout le temps que la commune de Saint-Genois a été dans la consternation, quelle a été la conduite de la presse cléricale ? Elle s'est complètement abstenue.

M. Coomansµ. - Vous vous trompez grandement.

MpDµ. - N'interrompez pas, M. Coomans.

MjBµ. - M. Jacobs juge ensuite les actes de la magistrature. « Je sais autant que qui que ce soit, ajoute cet honorable membre, les égards que nous devons à ce grand corps de la magistrature ; avant tout, nous lui devons la vérité. Entre la flatterie et le dénigrement, il y a ce juste milieu : les membres de la magistrature sont soumis à notre contrôle, comme nous le sommes au leur, et nous ne le fuyons pas plus qu'ils ne fuient le nôtre. »

Tout cola, dit dans le langage harmonieux de l'honorable membre, paraît assez anodin, et je comprends que la Chambre n'y ait pas fait grande attention ; elle n'a entendu qu'une belle page de musique. Mais, messieurs, il convient d'examiner ce que cachent les sons harmonieux de la voix de l'honorable membre ; il faut étudier le fond de sa doctrine, et c'est ce que nous allons faire.

L'honorable membre prétend qu'aux termes de la Constitution nous avons le droit d'appeler à notre barre les membres de la magistrature pour les suspecter dans leurs intentions, dans leur honorabilité, dans la sincérité de leurs convictions ; de même la magistrature a le droit d'examiner nos œuvres, d'en scruter les motifs. (Interruption.)

Je m'en vais relire si l'on conteste :

« Les membres de la magistrature sont soumis à notre contrôle comme nous le sommes au leur, et nous ne le fuyons pas plus qu'ils ne fuient le nôtre. »

Et en effet, l'honorable membre, parlant de l'affaire de M. Van Wambeke, est venu critiquer l'arrêt de la chambre des mises en accusation qui a renvoyé son collègue devant la cour d'assises de la Flandre occidentale.

- Un membre. - C'est son droit.

MjBµ. - Est-ce que le parti conservateur a perdu à ce point la notion de notre droit public qu'il veuille le renversement de toutes les prescriptions constitutionnelles ?

Si l'honorable membre a le droit de dire que les membres d'une cour d'appel sont guidés, dans leurs arrêts, par la passion politique, la cour d'appel a le droit, en appliquant une loi, de dire que l'œuvre de la législature est immorale, honteuse ; que la loi a été votée par des hommes corrompus, pervers ; qu'elle a été votée par des gens qui ont méconnu toutes les règles de la morale. Le pouvoir judiciaire viendra ainsi lancer contre la législature des ferments de haine et semer dans le pays la discorde.

Voilà donc votre système : Guerre entre les pouvoirs ; dénigrement de l'un par l'autre. Et c'est au parti conservateur que nous devons ce nouvel article à ajouter au programme de M. Dechamps. (Interruption.)

Messieurs, le droit des membres de la Chambre est considérable. Mais vous ne devez pas oublier qu'il y a dans le pays trois pouvoirs indépendants dans leur sphère, trois pouvoirs qui, en agissant dans le cercle de leurs attributions ne peuvent pas se blâmer et moins encore se suspecter dans leurs intentions.

Que vous disiez que la magistrature a pu se tromper ; que vous critiquiez ses arrêts, soit ; mais quand vous venez suspecter la bonne foi des magistrats, les accuser de partialité et de passion politique, vous vous exposez à des représailles ; nous aurons l'application de la doctrine de M. Liénart : Qui se sert de l'épée, périra par l'épée. (Interruption.)

Messieurs, le droit de discussion des membres de la Chambre est illimité, c'est incontestable en ce sens qu'il n'y a pas de répression pour les (page 173) abus qu’ils commettent. Mais est-ce une raison pour que vous ne vous renfermiez pas dans vos attributions constitutionnelles et pour que vous attaquiez les membres d'un autre pouvoir qui ne relève pas de vous et qui tient comme vous de la nation ses prérogatives et son indépendance.

Le magistrat, s'il commet des abus, est poursuivi devant des juges qui le censurent ou le condamnent. Le pouvoir exécutif, s'il sort de son droit, subit une répression dans le renversement de ses ministres responsables ; et c'est précisément parce que vous êtes irresponsables, parce qu'il n'y a rien que vous ne puissiez attaquer, que vous devez aux membres des autres pouvoirs un généreux appui.

Vous n'avez à répondre ni de vos discours, ni de vos votes ; mais précisément parce que vos abus ne peuvent être réprimés, vous devez être plus prudents, plus modérés dans l'attaque, et quand vous avez des critiques à formuler contre la magistrature, vous ne devez point la suspecter dans ses intentions, dans son honorabilité.

Et pour moi, membre du parti libéral, c'est un véritable honneur de rappeler ces principes d'ordre, bases de notre établissement politique, au parti conservateur qui semble les oublier.

Oh ! messieurs, vous avez eu de grands malheurs, mais ce n'est point un motif pour vous jeter dans l'anarchie ; ce n'est pas un motif pour demander que les pouvoirs soient en lutte entre eux ; ce n'est pas un motif pour vous livrer au dénigrement, (Interruption.) Toutes vos attaques contre la magistrature, vous les rattachez aux nominations judiciaires ; vous dites : « Il y a un an, nous examinions les nombreuses nominations judiciaires, nous signalions une sorte de parti pris de ne faire que des choix politiques à de rares exceptions près, et plusieurs d'entre nous, M. Wasseige entre autres, prédisaient dès lors les fruits que nous recueillerions. »

Le moment n'est pas venu de nous expliquer sur ces nominations ; il viendra. Vous reconnaissez que c'est, à quelques exceptions près, que j'ai nommé tous les hommes du parti libéral, et moi je vous prouverai que, sans exception, par théorie et par principe et en vertu d'une conviction exprimée, quand vous étiez au pouvoir, vous n'avez nommé que des hommes du parti catholique.

M. Nothombµ. - Je vous attends à cette preuve.

MjBµ. - L'honorable membre parle ensuite des affaires de Saint-Genois, et il les discute, bien qu'il déclare dès le principe qu'il n'a pas vu le dossier, qu'il ne le connaît pas. Je ne sais rien de l'affaire, dit-il, mais je vais toujours, en attendant, faire le plaidoyer pour la cour d'assises.

Les prévenus sont mes clients ; je les prends dès maintenant sous ma protection, je suis leur avocat d'office et j'établis leur innocence. Vous le savez, je ne puis vous suivre sur ce terrain. Je n'ai ni à accuser ni à défendre ; vous ne m'entraînerez pas à charger des accusés dont la proclamation de culpabilité ou d'innocence appartient à la justice.

Il me dit : Comment avez-vous pu croire que c'est le fanatisme qui est la cause des incendies de Saint-Genois ? Je n'ai pas eu besoin de l'instruction judiciaire pour me donner cette opinion.

Avant l'instruction judiciaire, toute la presse disait et la Belgique tout entière disait : C'est le fanatisme qui est cause des crimes commis à Saint-Genois. (Interruption.)

Croyez-vous la magistrature assez niaise, le public assez sot et les membres de la Chambre assez peu clairvoyants pour croire le contraire ?

Comment ! voilà quinze crimes commis à la suite, les uns des autres, après le conflit entre l'administration communale et le clergé, après les sermons que vous savez, après les articles des journaux, et ces quinze incendies, chez qui éclatent-ils ? Chez les libéraux, chez ceux qui ont pris part à l'établissement du nouveau cimetière.

El les dévastations, chez qui se font-elles ? Chez les libéraux ; chez ceux qui ont voté l'établissement du cimetière, et au cimetière même.

Et vous venez me dire que ce n'est pas la preuve évidente, indépendamment de toute instruction, que c'est le fanatisme qui a dirigé les incendiaires ! (Interruption.)

L'évêque de Bruges vous a donné, à cet égard, une leçon de logique ; mais il paraît que vous n'avez pas confiance dans cet évêque. Il a publié, le 30 avril, un mandement dans lequel il exhortait les habitants de Saint-Genois au calme. Eh bien, si l'évêque n'avait pas eu la conviction que c'était le fanatisme qui faisait agir les coupables, pourquoi serait-il intervenu ? (Interruption.)

Je ne critique pas son mandement, je le loue, au contraire.

M. Dumortierµ. - C'est une injure aux catholiques.

MjBµ ; - M. Dumortier, vous êtes trop catholique ; vous êtes plus catholique que le pape.

M. l'évêque de Bruges a eu parfaitement raison, quand il a pensé que c'était le fanatisme qui a provoqué les incendies de Saint-Genois. (Nouvelle interruption.) Je ne dis pas que c'est l'évêque de Bruges qui a directement et volontairement excité le fanatisme qui est né du conflit. Je dis qu'il l'a calmé.

M. Dumortierµ. - Ce n'est pas tolérable. Je demande la parole pour un rappel au règlement. On viendra dire que c'est l'évêque qui a provoqué indirectement aux incendies !

MpDµ. - M. Dumortier, vous avez la parole pour un rappel au règlement.

M. Dumortierµ. - Je dis qu'il n'est pas tolérable, dans une assemblée délibérante, de venir dire qu'un des hauts dignitaires de l'Eglise est celui qui a provoqué indirectement aux incendies, car dire qu'il n'y a pas provoqué directement, c'est dire qu'il y a provoqué indirectement. Je dis que le régime représentatif est perdu, si tout ce. qui est respectable est ainsi livré à l'humiliation par un ministre. Je le répète, c'est intolérable.

MpDµ. - Je fais remarquer qu'il n'y a pas là de rappel au règlement. Je continue donc la parole à M. le ministre et j'engage la Chambre à garder le calme. Il ne faut pas passionner le débat plus qu'il ne l'est déjà-

MjBµ. - M. Dumortier a senti la nécessité de faire une tirade, c'est dans ses habitudes. Mais il ne m'empêchera pas de louer l'évêque de Bruges d'avoir publié son mandement. Il trouve le fanatisme surexcité ; il prêche le calme. Je ne puis le blâmer.

J'ai défendu l'évêque de Bruges contre l'honorable M. Jacobs ; je le défends contre l'honorable M. Dumortier.

Je sais bien que vous voudriez faire du zèle au profit des évêques. Quant à moi, je défendrai contre vous l'évêque de Bruges, qui a bien fait de publier son mandement.

N'est-il pas vrai, messieurs, que l'évêque devait être convaincu de l'influence du fanatisme sur ces crimes ? Mais voyons-nous d'habitude les évêques intervenir à propos de crimes commis ? Nous avons eu des méfaits bien plus nombreux commis par la bande noire dans les diocèses de Tournai, de Namur et dans le ressort de l'archidiocèse de Malines. Avons-nous eu des mandements de l'archevêque de Malines, de l'évêque de Namur et de l'évêque de Tournai ? En aucune manière, parce qu'ils n'avaient rien à faire en cette matière. Mais l'évêque de Bruges a vu ses fidèles égarés et il a obéi à la voix de son devoir. (Interruption.)

Au surplus, messieurs, je partage, quant à l'appréciation du mandement lu le 30 août, les sentiments de l'honorable M. Dumortier. Il faut louer ce mandement ; ce qui ne nous arrive pas souvent ; nous sommes d'accord.

L'honorable M. Jacobs, pour essayer d'établir que les crimes de Saint-Genois n'avaient pas pour cause le fanatisme, nous a parlé des incendies qui se sont commis sous la restauration. Est-ce que les crimes de la restauration se produisaient avec les mêmes caractères, chez des personnes ayant concouru à un acte déterminé ? Du tout. Sous la restauration, les criminels se sont attaqués à toutes personnes indistinctement comme les brigands de la bande noire.

Mais ici les crimes se sont commis exclusivement au préjudice de ceux qui se sont occupés du cimetière et qui sont naturellement désignés à la haine du fanatisme.

De tous les faits que vous avez cités, il ne résulte pas que le fanatisme soit étranger aux crimes de. Saint-Genois.

Après tout, messieurs, j'aime mieux leur assigner cette cause que de les attribuer à une perversité inexplicable. C'est un sentiment religieux, respectable en lui-même, qui a été égaré.

M. Dumortierµ. - Ou antireligieux.,

MjB. - C'est cela ; ce sont les libéraux qui ont mis le feu à Saint-Genois ; Néron a bien incendié Rome ! (Interruption.)

Eh bien, messieurs, je le dis franchement, j'aime mieux cette version de l'honorable M. Dumortier que d'entendre dire que le fanatisme n'est absolument pour rien dans les crimes de Saint-Genois.

Et alors, messieurs, arrive une charmante remarque de l'honorable M. Jacobs. Après avoir jeté tout le vague possible sur les incendies et leurs causes, l'honorable membre termine ainsi :

« Vous voyez, messieurs, combien vagues sont, la plupart du temps, les indices qu'on a en pareille matière ; combien sont nombreuses les accusations et combien, l'instruction terminée, les coupables condamnés, il est difficile de déterminer la cause d'un crime tel que l'incendie. Le danger des conjectures devrait déterminer chacun à s'en abstenir, en attendant que la justice se soit prononcée et que la lumière se soit faite. »

Parfait. Mais pourquoi n'avez-vous pas fait cela avant le débat ? (page 274) Pourquoi n'avez-vous pas conseillé ce rôle à M. Reynaert ? Nous aurions attendu que la justice se fût prononcée. C'eût été préférable ; mais vous avez préféré nous attaquer et nous avons été obligés de nous défendre.

L'honorable membre entre ensuite dans les détails de l'instruction et il ne néglige rien.

Le principe de la propriété des cimetières par les fabriques, l'interdiction des prières, tout cela c'est le petit côté de la question.

L'honorable membre voit les choses par un côté de la lorgnette qui probablement n'a pas de verre. Voici ce qu'il dit :

« Je veux admettre que ces faits sont exacts, qu'il n'y a pas eu d'autres rapports entre les magistrats et Delbecque, qu'ils n'ont siégé chez lui que pendant quelques jours. Eh bien, je dis que c'est encore trop, que c'est déjà une inconvenance, au point de vue de l'administration de la justice. Delbecque n'était pas encore connu de tout le monde comme correspondant de l’Echo de Parlement ; il l'était comme le boute-en-train, la cheville ouvrière du parti libéral à Saint-Genois. »

Vous voyez le système.

Les honorables membres font à M. Delbecque une réputation d'homme violent, brutal, flétri par la justice ; puis ils considèrent leurs assertions comme établies et ils déclarent que la justice ne peut recevoir de déposition dans l'habitation d'un homme pareil !

L'honorable membre ne tient aucun compte des renseignements que j'ai donnés. M. Delbecque est le premier échevin ; le bourgmestre demeure hors du centre de la commune.

La justice fait une descente à Saint-Genois et demande un local pour s'y installer. On lui donne la maison communale ; les magistrats devaient siéger à côté d'une place à usage de cabaret, dans une salle où se trouvaient des objets de toute nature, et, entre autres, la civière servant aux enterrements. Il y avait des allées et des venues continuelles.

Il était impossible de continuer à procéder aux informations dans des conditions pareilles. C'est alors que. M. l’échevin Delbecque mit à la disposition des magistrats un corps de bâtiment isolé ; cela dura deux ou trois jours, juste le temps d'approprier un local à la gendarmerie. Vous en concluez que la justice a été influencée par M. Delbecque. Est-ce que les témoins ont été corrompus, est-ce que les magistrats ont forfait à leurs devoirs ?

Si l'instruction avait été faite dans une église, serait-elle pour cela cléricale ? Si elle avait été faite dans une loge maçonnique, serait-elle maçonnique ?

Est-ce que les témoins subissent l'influence du local dans lequel ils se trouvent ?

Vous le savez cependant, la plupart du temps les instructions commencent chez l'individu qui a été la victime du crime.

Eh bien, la justice a instrumenté pendant deux jours au domicile d'un échevin, et pour ce fait vous incriminez la magistrature.

Je dis que quand vous n'avez à relever que de pareilles vétilles, vous devriez comprendre que vous défendez une mauvaise cause.

M. Coomansµ. - Dans tous les cas, il la soutient bien.

MjBµ. - Elle n'en est pas meilleure pour cela.

M. Coomansµ. - Pour vous.

MjBµ. - Et puis, parce que nous avons répondu à l'honorable M. Reynaert, parce nous avons vengé M. l'échevin Delbecque des attaques dirigées contre lui, on nous reproche d'avoir évoqué de tristes souvenirs. Mais qui a commencé, s'il vous plaît ? Pourquoi êtes-vous venu dire que M. Delbecque était flétri par la justice ?

Vous avez reconnu que M. Reynaert avait eu tort de s'exprimer ainsi, et en cela vous avez bien fait. Mais si l'on a eu le droit d'attaquer cet honorable échevin, nous avons eu le droit de répondre par des faits patents qui prouvaient qu'on n'était pas flétri parce qu'on avait encouru une amende de 30 francs.

J'arrive à la partie la plus intéressante du discours de l'honorable membre.

Lorsqu'il parle de l'instruction judiciaire, l'honorable membre se pose en censeur de la magistrature, il dit que la loi a été violée.

Apparemment pour dire que la loi a été violée, il faut la connaître. Eh bien, l'honorable membre semble ne pas le connaître.

Ecoutez sa doctrine :

« En l'absence de prévention, en l'absence du prévenu, tous les actes de police judiciaire imaginables sont permis, les actes d'information ne le sont pas. Pour ces derniers, il faut qu'il existe un prévenu et qu'on aille chercher des preuves à l'appui d'une prévention. C'est, du reste, le texte des articles 87 et 88 du code d'instruction criminelle ; les commentaires qu'y donnent Dalloz et Faustin Hélie ne sont que le développement de cette idée. »

Je demande à la Chambre de bien écouter la théorie de l'honorable membre, car elle aura alors la clef de tout le mystère et elle ne sera plus étonnée que l'honorable membre blâme les magistrats de Courtrai. Je poursuis :

« Lisez le texte de ces articles et vous y verrez qu'il faut un prévenu chez lequel on va saisir les preuves de la prévention ou bien que les objets de nature à prouver cette prévention se trouvent chez un tiers et qu'on aille, chez ce tiers, saisir les objets.

« Jamais on n'a admis qu'avant qu'une prévention existât, on pût pratiquer la visite domiciliaire. »

Donc, d'après M. Jacobs, lorsqu'un crime a été commis et qu'on n'en connaît pas l'auteur, pas de visite domiciliaire possible. (Interruption.) C'est clair. Eh bien, messieurs, permettez-moi un exemple.

La police judiciaire trouve sur la voie publique une tête de cadavre sans le corps. Evidemment c'est un assassinat, tout le fait croire. Plus tard des témoins apprennent que le cadavre et des instruments du crime sont enterrés dans un jardin clos. On ne connaît pas l'auteur du crime, mais on sait où se trouvent les instruments qui ont aidé à sa perpétration.

On dit au juge d'instruction et au procureur du roi : Agissez, allez faire une visite et une saisie ; des témoins ont vu les instruments du crime, c'est une hache ou un outil quelconque, saisissez-vous-en et vous serez sur la trace du criminel. Le juge d'instruction doit répondre : Non ; c'est la raison qui parle ainsi, mais la loi doit me faire tenir le langage suivant : Cet homme s'est suicidé, il a apporté sa tête sur la voie publique et a été ensuite s'enterrer dans le jardin où il ne m'est pas permis de pénétrer parce qu'il n'y a pas de prévenu. (Interruption.)

Et vous croyez que nous avons une législation aussi baroque, aussi stupide que cela ? Vraiment c'est le cas de dire avec le poète : Et nunc risum teneatis...

Comment ! un crime sera commis et si on n'en connaît pas l'auteur, on ne pourra pas le rechercher, et la justice sera désarmée ! Eh bien, je dis que si vous avez de pareilles notions de droit, que si vous avez fait un pareil cours d'instruction criminelle, je conçois vos attaques. La cause de votre discours est dans votre ignorance du code et non dans les actes des magistrats ; si vous vous étiez adressé à ceux que vous dénoncez, ils vous auraient donné une leçon dont vous eussiez pu faire votre profit. (Interruption.)

Ce que vous avez dit des visites est inexact. N'y eût-il aucun prévenu désigné, dès qu'il y a eu crime et que l'autorité judiciaire en a connaissance, elle a le droit, par le juge d'instruction, de se livrer à toutes les perquisitions pour découvrir les preuves du crime et les indices pour en faire connaître l'auteur.

Messieurs, quand on veut censurer la magistrature, quand on vient solennellement, dans cette Chambre, blâmer des hommes honorables qui passent leur existence à faire leur devoir, qui sont continuellement sur la brèche, dans les circonstances les plus difficiles, ce serait bien le moins d'ouvrir le code pour savoir ce que la loi enseigne ; ce serait bien le moins d'examiner quelles sont les théories admises et pratiquées !

El puisque l'honorable membre paraît avoir besoin d'une leçon de droit, je vais la lui donner par l'organe de l'avocat général près la cour de cassation, M. Faider. Je ne vous citerai pas les auteurs, car c'est vraiment trop élémentaire. L'honorable M. Jacobs a été égaré par un passage de Faustin Hélie ; il a pris l'article 87 du code d'instruction criminelle, tandis qu'il eût dû lire l'article 8. Il a lu l'article 87, qui s'occupe du cas où il y a un prévenu ; tandis qu'à l'article 8 et il s'agit de l'information qui a lieu pour arriver à la découverte des prévenus ou des éléments de la preuve.

Voici maintenant comment s'exprime M. Faider :

« Comment agit le ministère public ? Il agit d'abord d'office, parce que son premier devoir est la vigilance : pour cela, il a le droit et, bien plus, l'obligation de rechercher les crimes et délits ; cette recherche est imposée à toute la hiérarchie des officiers de la police judiciaire par les articles 8, 11, 16 et 22 du code d'instruction criminelle. Chaque fois qu'il a trace d'un délit, il doit agir sans délai : et ces délits, comment les connaît-il ? Par lui-même quelquefois, d'autres fois par la rumeur ou la clameur publique et par le flagrant délit (article 59), par la plainte (article 63), par la dénonciation (articles 29 et 275) ; dans tous ces cas, le ministère public agit dans le but de réprimer ou au moins d'éclaircir l'affaire et d'en bien définir le caractère, et pour atteindre ce but, il a le droit de recherche. Et cette recherche, comment l'institue-t-il ? Par lui-même, lorsque l'urgence du flagrant délit l'y oblige, mais ordinairement par le juge d'instruction qui doit agir suivant les réquisitions du procureur du roi et qui a recours, pour arriver à la vérité, aux déclarations des témoins, aux rapports des experts, aux visites de lieux et de corps de délit, aux perquisitions, aux saisies, en un mot, à tout ce que la loi a mis à la disposition d'un magistrat inamovible, sous l'autorité des cours royales (article 9).

(page 175) Donc, il n'y a pas encore de prévenu, il n'y a encore que le délit ou le crime qui soient connu. Et effectivement, comment les intérêts de la société seraient-ils sauvegardés si, parce qu'on ne connaîtrait pas encore l’auteur, on ne pouvait pas poursuivre la répression des crimes et des délits, si l'on devait s'arrêter devant l'inviolabilité du domicile ?

« Or, pour exercer ce droit de recherche, la police judiciaire doit jouir d'une certaine latitude ; et cette latitude, la loi la lui a laissée. Et pouvait-elle l'en priver ? Comment préciser les cas où un témoin pourrait être entendu, ceux où une démarche serait permise ou défendue, ceux où une réquisition serait opportune ou inutile ? Comment prévoir l'imprévu ? Comment compter les recherches vaines, les efforts superflus, les témoignages insignifiants qui embarrasseraient tant d'instructions judiciaires ? Comment interdire les tâtonnements, les preuves médiates, les informations successives ? Et depuis quand une cour de cassation pourra-t-elle casser une ordonnance du juge d'instruction, condamnant un témoin qui refuse de faire connaître à la justice la personne qui peut lui donner la vérité sur des faits qui lui sont signalés ? Cette dernière question résume tout ce procès, précisément parce que la loi a laissé à la police judiciaire une latitude nécessaire à son action, à son efficacité.

« Sur quoi est fondée cette latitude ? Sur la probité, la conscience et la raison des magistrats. Ne voyons-nous pas, dans toutes nos lois, la large part faite à l'arbitrage du juge, à la sagesse du magistrat ? Et cette part n'est-elle pas faite aussi aux officiers du parquet dans la recherche des délits ? Ecoutons les auteurs, etc.

« Et quand doit agir le parquet ? Non pas, nous le répétons, suivant les caprices de l’imagination et de l’arbitraire, non pas sur de vains soupçons ou sur des indices insaisissables ; mais sur une présomption raisonnable de délit, sur des indications sérieuses dont, en définitive, il est juge et dont nul autre que lui, et nul moins que vous dans cette enceinte, ne peut juger l’utilité ou mesurer la portée. Et ces indications quelles sont-elles ? Le bruit public qui annonce, par exemple, la chute d’un commerçant et fait naître la présomption de vol ou de meurtre ; la dénonciation signée ou non signée d’un fait coupable qi nécessite une recherche souvent bien incertaine ; la disparition alléguée d’un individu, etc. »

Ainsi voilà les devoirs du magistrat ; il doit rechercher, aux termes de l'article 8, tous les éléments, toutes les preuves des crimes ; il doit faire porter ses investigations sur toutes les circonstances ; et voilà pourquoi le juge d'instruction a le droit de perquisition.

Il est donc bien certain que le parquet de Courtrai, en présence des crimes de Saint-Genois, avait le droit d'aller partout où sa conscience pouvait lui faire espérer de découvrir les preuves de ces crimes.

Vous parlez toujours des individus et des particuliers, et vous ne vous occupez jamais des intérêts de la société ; vous soutenez toujours qu'on a commis des fautes graves envers des particuliers ; mais les victimes des incendies, mais la société vous les laissez dans l'oubli ; vous croyez donc que la société ne possède pas les moyens de défense ; si elle ne les possédait pas, notre législation serait une législation de sauvages ! La justice serait impuissante puisqu'elle ne pourrait pas rechercher les preuves des crimes et des délits !

Inutile dès lors de s'occuper de la partie du discours de l'honorable membre dans laquelle il condamne les perquisitions opérées chez les prêtres de Saint-Genois.

Dès que vous admettez avec moi qu'il ne faut pas un prévenu pour qu'on puisse faire des perquisitions, vous devez reconnaître que les visites domiciliaires qui ont été pratiquées sont parfaitement légitimes.

Mais l'honorable M. Jacobs articule un autre grief : il se plaint de ce que les magistrats de Courtrai ont accompagné les magistrats de Bruges lors des visites domiciliaires opérées dans cette localité ; il se plaint du mandat d'arrêt décerné contre Vandenberghe par le juge d'instruction de Courtrai et prétend que M. De Blauwe, en quittant son ressort, était dessaisi de sa qualité, et partant n'avait pas le droit de lancer ce mandat.

Mais l'honorable membre oublie que quand le juge d'instruction est parti de Courtrai, il avait dû prévoir le cas où Vandenberghe refuserait de faire connaître l'auteur des articles incriminés et où il se verrait forcé de décerner contre lui un mandat d'arrêt ; il avait pris à Courtrai ses mesures en conséquence.

Voilà quant à la régularité des mandats. Quant au fait d'avoir accompagné son collègue de Bruges, est-ce sérieusement qu'on lui en fait un grief ? Un juge d'instruction peut se faire accompagner d'un expert, c'est un droit formellement inscrit dans la loi, et il ne serait pas permis au magistral qui a dirigé toute l'instruction, de l'aider dans ses recherches, de l'accompagner pour le guider dans ses investigations, pour lui donner enfin les renseignements que lui seul est à même de fournir. Je le répète, ce n'est pas sérieusement qu'on peut articuler un tel grief. Le bon sens en fait justice.

Mais, dit-on, pourquoi la saisie du registre d'abonnement ?

Si l'honorable membre était procureur du roi et s'il avait à constater un délit de presse, ne chercherait-il pas d'abord à constater que le journal dans lequel se trouvent les articles incriminés a été distribué à un certain nombre d'exemplaires ? Et les distributions extraordinaires, comment pourrait-il les prouver, si ce n'est par la production du registre où les envois sont consignés ?

L'honorable membre trouve aussi très légitime et très naturel le refus de M. Vandenberghe de désigner l'auteur des articles de son journal. L'éditeur, dit-il, ne doit pas faire connaître ses rédacteurs. C'est là, messieurs, une question très intéressant,, mais que je n'entends pas discuter. L'état de la législation est en opposition avec ce soutènement. L'honorable membre trouve que le journaliste a le droit de se retrancher derrière le secret de sa profession.

Le journaliste peut ne pas insérer les articles qu'il reçoit ; s'il publie des articles qui, plus tard, sont incriminés et s'il refuse, d'en désigner l'auteur, il n'est, en définitive, responsable que d'un fait qu'il a librement délibéré ; pourtant, d'après la législation qui nous régit, il ne peut se retrancher derrière le secret de sa profession. Mais si vous avez un tel respect pour la conscience individuelle, M. Jacobs, si vous êtes si progressiste, si vous croyez que la société est sans droit contre les individus qui embrassent certaines professions, si vous croyez que le journaliste peut se refuser à faire connaître l'auteur d'un article incriminé, poussez jusqu'au bout vos scrupules de conscience !

On condamne actuellement à 100 francs d'amende le citoyen qui, par scrupule, de conscience, refuse de prêter serment suivant une formule religieuse ;

Puisque la conscience individuelle doit être inviolable, pourquoi ne venez-vous pas .proposer une loi abolissant la formule religieuse du serment ?

Ah ! vous voulez que le journaliste ait la liberté la plus absolue de ne point faire les révélations que les nécessités de la justice exigent, et lorsqu'un citoyen, par un sentiment tout aussi respectable, vient dire, : « Je ne puis pas prêter serment suivant telle ou telle formule, mes convictions religieuses s'y opposent, » vous ne dites plus que la conscience individuelle a des droits imprescriptibles et vous ne faites pas de proposition de loi.

Voilà votre logique.

M. Jacobsµ. - Proposez-la vous-même.

MjBµ. - Je ne juge point et ne décide point les questions, moi ; mais vous, qui réclamez une réforme, poussez votre théorie jusqu'au bout.

L'honorable membre a abordé ensuite la discussion des articles de journaux. Je ne puis pas le suivre sur ce terrain, je l'ai déclaré, dès le début.

Quand j'ai lu les articles de journaux, je ne l'ai point fait pour établir la provocation directe ; c'est un point sur lequel je ne puis dire mon opinion, mais sur lequel je n'ai pas à porter de jugement. Je les ai livrés à la Chambre tels qu'ils ont été publiés ; ce n'est pas à la Chambre à les juger, c'est à la justice. C'est si peu pour obtenir de la Chambre, une déclaration de culpabilité, que j'ai lu également les articles du Katholyke Zondag, lesquels ne sont pas incriminés.

Je n'ai eu d'autre but que de faire connaître au pays certaine presse au service de nos adversaires.

J'ai voulu montrer de quels excès cette presse était capable. C'est pourquoi l'honorable membre m'accuse d'être hostile à la liberté de la presse.

J'ai dit que des journaux tels que le Jaer 30 et le Katholyke Zondag, ne pouvaient trouver d'appui qu'au sein de populations arriérées et fanatiques, et l'honorable membre prend prétexte de mes paroles pour me reprocher de lancer des injures gratuites contre les populations flamandes.

Les populations flamandes, messieurs, nous les aimons et nous les défendons avec autant et plus d'énergie que vous. Seulement, nous marchons dans des voies différentes. Nous cherchons, nous, à les émanciper et à les arracher au fanatisme. Pouvez-vous nier que le fanatisme ne soit dans nos Flandres plus facile à surexciter que partout ailleurs ? Les faits sont là pou le prouver ! Dernièrement encore, un pasteur protestant qui était allé prêcher à Bruges et à Audenarde, n'a-t-il pas été molesté ? N'a-t-il pas dû se retirer devant l'hostilité de la foule ?

Qu'un pasteur protestant se présente ailleurs, les croyants ou les curieux l'écouteront ; les autres passeront tranquillement leur chemin.

Les Flandres n'ont-elles pas été le théâtre de faits plus caractéristiques encore ?

En 1864, n'avons-nous pas vu des propriétaires fonciers se réunir et (page 176) peser de toute leur influence sur leurs fermiers pour leur arracher un vote en faveur du parti clérical ?

Vous parliez hier, à propos de la magistrature, de l'asservissement des consciences. Vous disiez que parce que nous n'accordions ni grâces, ni faveurs à nos adversaires (ce que nous discuterons en temps opportun), nous voulions corrompre la Belgique. Et voici cent propriétaires flamands qui viennent dire à de pauvres paysans, leurs locataires : Nous demandons votre vote, comme propriétaires. N'est-ce pas les mettre entre leur intérêt et leur conscience ? Ne sont-ils pas ainsi menacés, s'ils ne trahissent leurs convictions, de perdre la terre qui fait vivre leurs femmes et leurs enfants ? Voilà comment on asservit les consciences ; voilà comment on abâtardit le peuple.

L'année précédente, un de vos plus grands propriétaires, n'écrivait-il pas à tous ceux avec lesquels il était en rapport d'affaires qu'il briserait toute relation avec eux s'il votaient pour des « voleurs ». Et c'était aux cris de « A bas les voleurs ! » que se faisait l'élection de Gand.

La conscience, l'honorabilité, la liberté de l'individu, qui donc les a défendues dans cette Chambre ?

Quand nous discutions la question des bourses d'étude et que nous venions dire : Voilà des enfants qu'on envoie dans tel ou tel établissement, malgré leur volonté et celle de leurs parents, mais uniquement parce qu'on leur a promis une bourse d'étude. C'est un indigne marché. Des parents pauvres ne doivent pas, malgré leur conviction, être forcés d'envoyer leurs enfants dans tel établissement plutôt que dans tel autre.

Que répondiez-vous, vous membres du parti clérical ? Cela ne nous fait rien ; la conscience des particuliers se soumettra à nos prétentions, ou bien pas de bourses, et les enfants de ceux qui ne veulent pas s'humilier resteront privés des bienfaits de l'instruction. C'était encore le parti libéral qui luttait pour l'indépendance de la conscience, contre qui ? Contre vous, contre les hommes de la réaction. (Interruption.)

Vous avez parlé de journaux qui ont insulté à la majesté du trône et à la majesté du malheur. Ces journaux, nous ne les défendons pas, nous ne plaidons pas pour eux les circonstances atténuantes ; nous les flétrissons, nous les vouons à l'indignation publique, comme nous avons voué à l'indignation publique, les ignobles caricatures publiées à Anvers au mois d'août dernier et les écrits où on insultait à la mémoire du fondateur de notre dynastie. (Interruption.)

Veuillez-le remarquer, messieurs, si j'ai signalé particulièrement le Jaer 30 et le Katholijke Zondag, c'est que l'existence de ces journaux a révélé une situation incroyable. Par qui sont-ils rédigés ? Le sont-ils par des individualités égarées ou par des folliculaires ? Non, messieurs, ce sont des prêtres, ce sont des ministres du culte qui, après avoir béni le matin les fidèles, s'en vont ensuite, dans l'officine de ces journaux insulter les femmes et appeler la colère du peuple sur des citoyens qui font leur devoir. Et vous croyez que l'indignation n'a pas de raison d'être !

Après avoir critiqué l'instruction, après avoir examiné les articles de journaux, l'honorable membre s'occupe des faits secondaires, de la détention préventive des frères Delplanque et de leur mise au secret.

J'ai déclaré tout le premier que je regrettais la nécessité de la détention préventive, mais elle est indispensable dans certaines circonstances, et en tous cas, c'est une mesure que la loi autorise. En ce moment, nous ne discutons pas les vices de la législation, nous examinons si la conduite des magistrats est conforme à la légalité.

L'honorable membre, s'occupant de Vandenberghe, nous a concédé qu'on pouvait procéder à son arrestation, mais qu'on devait le mettre en liberté aussitôt qu'on a su que l'écrit incriminé émanait du vicaire Van Eecke. Le maintien en prison de Vandenberghe, M. Jacobs l'explique de la manière suivante :

« Il est une parole, qui n'a pas été répétée dans cette Chambre et que je n'aurais pas introduite, parce que je ne voulais pas y croire ; on prétend que lorsque les magistrats sont allés interroger les éditeurs de journaux catholiques de Bruges, l'un d'eux leur a dit : « Voilà ce qu'on gagne à écrire contre les libéraux. » Eh bien, si la parole n'a pas été dite, le maintien de l'incarcération de Vandenberghe, après que l'auteur était connu, était de nature à faire naître dans son esprit cette réflexion salutaire : « Voilà ce qu'on gagne à écrire contre les libéraux. »

Peut-on dire, messieurs, avec plus d'habileté, d'adresse et de malice, aux magistrats du tribunal de Courtrai : Vous avec retenu Vandenberghe en prison parce qu'il a écrit contre les libéraux ! Eh bien, soyez franc, accusez ou n'accusez pas, dites oui ou non si c'est par vengeance politique, par esprit de parti, que ces fonctionnaires ont retenu Vandenberghe en prison.

Il ne suffit pas, quand on est revêtu d'un mandat public, quand on a l'honneur de parler dans cette enceinte, de se retrancher dans les nuages.

Pas d'insinuations, pas d'équivoques, pas de demi-propos.

Accusez la magistrature, et si vous n'osez l'accuser franchement, taisez-vous !

Ce propos, que vous placez si adroitement dans la bouche d'un magistrat, est un mensonge (interruption), et pourquoi rapportez-vous dans cette enceinte puisque vous n'y croyez point ?

MpDµ. - M. le ministre, je dois vous faire une observation. Les dernières paroles que vous venez de prononcer ne sont pas convenables. Vous venez de dire à l'honorable M. Jacobs : Si vous n'y croyez pas, pourquoi l'apportez-vous dans cette enceinte ?

Je vous demande de ne pas maintenir ces paroles.

MjBµ. - Mais, M. le président, je n'ai pas pu offenser l'honorable M. Jacobs et vous avez mal compris ma pensée.

L'honorable membre a dit lui-même qu'il ne croyait pas à cette allégation et je lui demande pourquoi, n'y croyant pas, il l'apporte dans cette enceinte ?

N'est-ce point parfaitement parlementaire ?

MpDµ. - Si c'est là votre pensée, si c'est ainsi que vous l'entendez, l'observation tombe.

MjBµ. - Evidemment, c'est ainsi. M. Jacobs a dit lui-même qu'il n'y croyait pas.

M. Jacobsµ. - J'ai produit le fait pour vous le faire démentir.

MjBµ. - Oui, vous produisez le fait par insinuation et vous dites que vous n'y croyez pas.

MpDµ. - Je répète que j'avais compris autrement les expressions dont vous vous êtes servi ; avec la portée que vous leur donnez, mon observation n'a pas de raison d'être.

M. Dumortierµ. - C'est une injure pour M. Jacobs.

MjBµ. - L'honorable M. Dumortier est d'une susceptibilité incroyable pour M. Jacobs. Je crois que cet honorable membre est meilleur juge de son honneur que l'honorable M. Dumortier, et il ne réclame pas.

M. Bouvierµ. - Votre discours gêne la droite.

M. Dumortierµ. - Il ne nous gêne pas, il nous sert. Tout ce qui est insulte nous est utile.

MjBµ. - C'est vous qui vous servez d'insultes.

L'honorable M. Jacobs, messieurs, reproche ensuite, au juge d'instruction de ne pas avoir laissé communiquer les frères Delplanque avec leurs avocats, il prétend que la mise au secret a été de plus de six semaines.

Je lui ai répondu qu'elle avait été de vingt jours ; le pays jugera entre nos affirmations respectives. '

Mais il ajoute ceci :

« Après la mise au secret, le prévenu doit pouvoir préparer librement sa défense ; il doit pouvoir conférer de son affaire, communiquer librement avec les personnes qui peuvent lui être utiles. Du moment qu'il n'y a plus d'interdiction de communiquer, plus de secret, la détention préventive ne peut plus différer de la mise en liberté que par la privation de la liberté. A part la défense de sortir de prison, le prévenu doit pouvoir communiquer librement avec chacun. Du moment qu'il n'y a plus de défense de communiquer, on doit lui permettre de communiquer. Et de fait, messieurs, s'il y a dans le règlement des prisons cellulaires un article qui déclare qu'un gardien, ou bien un juge d'instruction pour le remplacer, doit être présent à toutes les conversations des détenus, cola ne peut s'appliquer aux prévenus. On ne peut admettre qu'un gardien se mette en tiers entre un prévenu et un avocat, entre un prévenu et ses parents, pour entendre ses conversations et les rapporter au besoin. »

Ainsi donc, messieurs, l'honorable membre prétend que, en droit, après la fin de la mise au secret, le prévenu peut communiquer avec son avocat.

Encore une fois, messieurs, il est réellement incroyable qu'un avocat, qu'un membre de la Chambre se permette de blâmer tout le monde sans daigner ouvrir le Code.

Que va penser de vous la magistrature ? Je vous le demande. Votre allégation est contraire à la doctrine, à la jurisprudence, au texte formel de la loi. Je vais d'abord vous lire le Code. L'article 302 du code d'instruction criminelle porte :

« Le conseil pourra communiquer avec l'accusé après son interrogatoire.

« Il pourra aussi prendre communication de toutes les pièces, sans déplacement et sans retarder l'instruction. »

C'est-à-dire que les avocats peuvent communiquer avec l'accusé lorsque le président de la cour d'assises l'a interrogé. Or, nous ne sommes pas là ; voulez-vous avoir des citations d'auteurs et d'arrêts ? En voici :

« La cour de cassation, dit Faustin Hélie, a décide que de l'ensemble des dispositions du code et particulièrement des articles 302 et 303, il résulte que la procédure en matière criminelle doit rester secrète jusqu'au (page 177) moment où l'accusé, étant renvoyé devant la cour d'assises, a été interrogé par le président ; que c'est, en effet, à partir de ce moment que commence pour l'accusé le droit de conférer avec un conseil et d'avoir copie ou communication de la procédure. »

L'honorable M. Jacobs fait un signe affirmatif. Comment se fait-il qu'il n'ait pas examiné ce point avant d'en parler ici ? Quoi ! vous traduisez à la barre de cette Chambre la magistrature de votre pays, et quand on vous démontre que vous avez eu tort, vous n'avez aucun regret. Mais c'est une preuve de légèreté inexplicable ; il me semble que quand on parle si haut et lorsqu'on est revêtu d'un mandat public, on ne doit pas faire d'affirmations téméraires. Avant de reprocher aux magistrats de commettre des illégalités, il faut commencer par connaître la loi ! (Interruption.)

M. Dalloz s'exprime dans le même sens (verbo Instruction criminelle, t.28, n°127) : « Le conseil étant choisi, il s'agit de le mettre en communication avec l'accusé. En effet, après le choix du défenseur, le premier besoin de la défense, en matière criminelle, c'est la libre communication du conseil avec l'accusé. A cet effet, l'article 302 du code d'instruction criminelle porte : Le conseil pourra communiquer avec l'accusé après son interrogatoire. La première disposition de cet article a été empruntée au code de l'an IV, article 322.»

Au n°1271 il ajoute : « Comme on le. voit, ce n'est qu'après la mise en accusation consommée et qu'après l'interrogatoire de l'accusé dans la maison de justice, que la procédure et l'instruction cessent d'être secrètes. »

Cette, doctrine a été consacrée par un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 21 mars 1854. Ainsi donc, arrêt de cassation, doctrine et jurisprudence, tout y est.

Il aurait suffi à M. Jacobs d'ouvrir le code d'instruction criminelle pour pouvoir supprimer une partie de son discours.

Le règlement des prisons, messieurs, a été fait sur ces indications légales, et qui en est l'auteur ? Mais c'est l'honorable M. Nothomb. (Interruption.) Oui, il est trahi par ses propres amis.

Voici l'article :

« Les visiteurs ne peuvent communiquer avec les prisonniers qu'au parloir ou dans le local qui en tient lieu, et en présence d'un gardien ou d'une surveillante. » (Article 140 du règlement du 6 novembre 1855.)

Ce règlement, je l'ai trouvé trop rigoureux, et j'ai proposé de le modifier. Voici comment il a été modifié par arrêté royal du 10 décembre 1866 :

« L'article 136 du règlement général du 6 novembre 1855 est remplacé par la disposition suivante :

« Lorsque les directeurs des maisons d'arrêt et de justice sont informés par les parquets ou greffes des cours et tribunaux qu'une instruction est terminée, et dans le cas prévu par l'article 302 du code d'instruction criminelle, les avocats sont admis, sans qu'il soit besoin d'une autorisation quelconque, a communiquer chaque jour, aux heures fixées par les règlements particuliers, avec les prévenus et accusés qui les ont appelés ou dont la défense leur a été confiée d'office. »

Auparavant, il fallait une autorisation du procureur général ou du procureur du roi pour que le conseil pût conférer avec son client ; il me semblait que l'instruction étant terminée, cette formalité n'avait pas de raison d'être et j'ai proposé de la supprimer.

M. Nothombµ. - Si la disposition était telle, vous avez bien fait de la corriger.

MjBµ. - Sans doute ; mais est-ce que M. Jacobs a bien fait d'accuser la magistrature ? (Interruption.)

Je suis bien certain que l'honorable M. Nothomb, qui se donne la peine d'étudier la question de droit, ne soutiendra pas M. Jacobs dans la campagne qu'il a entreprise. Ancien membre du parquet, il ne blâmera certainement pas les officiers du parquet d'avoir fait leur devoir.

J'ai montré que tout ce qui s'est fait dans l'affaire de Saint-Genois est conforme aux précédents : j'avais indiqué l'affaire Vandecasteele de Bruges et plusieurs autres.

Notez bien, messieurs, que je n'ai nullement discuté la question de savoir si notre législation, en matière de presse, était susceptible d'amélioration. Les magistrats n'ont pas eu à se placer à ce point de vue, ils n'avaient pas d'autre devoir que d'appliquer la législation existante et ils n'avaient pas à examiner si cette législation était bonne ou mauvaise.

Or, M. Vandecasteele fut mis en prison, puis il fut relâché. Interpellé par M. Castiau, au sujet de celle arrestation, M. d'Anethan répondit tout simplement : La justice suivra son cours. M. Castiau avait dît qu'il blâmait le fait de l'arrestation, et qu'il y aurait lieu de mettre le ministre en accusation, s'il y avait été pour quelque chose.

Et l'honorable M. Jacobs d'ajouter : Si M. Castiau était présent, il demanderait peut-être la mise en accusation du ministre !

Ceci nous vaut une charmante promesse de la part de l'honorable membre. Il nous annonce, en effet, que la droite est convertie aux idées de M. Castiau ; que la droite, dans le malheur, a fait son éducation et que quand elle arrivera au pouvoir, elle provoquera un changement à la législation sur la presse.

Cela n'est vraiment pas très flatteur pour les honorables membres qui siègent à côté de l'honorable M. Jacobs. Quoi ! il a fallu l'arrivée de l'honorable membre dans cette enceinte pour faire l'éducation de la droite ! Et le vénérable chef de la droite, l'honorable M. de Theux, et l'honorable chef de la droite au Sénat, M. le baron d'Anethan, et l'honorable M. Dumortier, vous les jetez tous par-dessus bord. Vous croyez que votre barque ainsi allégée voguera rapidement vers la faveur populaire ; vous croyez qu'il vous suffit, pour vous débarrasser de votre passé, de mettre quelques hommes de côté ! Mais, messieurs, c'est une erreur complète. D'abord, je vous souhaite de rendre à votre parti autant de services qu'en ont rendu honorables membres dont j'ai cité les noms.

M. Jacobsµ. - Je me le souhaite aussi.

MjBµ. - Mais alors, vous ne devriez pas les traiter comme vous le faites ; vous ne devriez pas dire qu'ils n'ont pas su sauvegarder la liberté de la presse !

Quand M. Castiau attaquait M. le baron d'Anethan, MM. Dumortier et de Theux siégeaient sur ces bancs et ni l'un ni l'autre ne s'est levé pour applaudir à ses paroles. Et vous, par une tactique de parti ou par une malice nouvelle, vous croyez avoir trouvé quelque chose de très ingénieux en vous associant aux critiques de M. Castiau contre vos propres amis. (Interruption.)

Eh bien, je dis que ce n'est point le rôle que vous devriez jouer. Vous croyez avoir un programme nouveau ; vous croyez que la jeune droite va renverser l'ancienne. Vous sentez donc que votre passé vous brûle comme la robe de Nessus. Mais il ne suffit pas d'éliminer certains hommes, de les mettre aux invalides et de dire : Vous avez fini ; vous ne devez plus vous occuper d'affaires. Non, cela ne suffit pas. (Interruption.)

Ce qu'il faut changer, ce sont vos électeurs et les intérêts que vous êtes chargés de défendre. Or, ces électeurs et ces intérêts sont aujourd'hui ce qu'ils étaient autrefois, et ce qui le prouve, c'est que l'un des chefs de la jeune droite, l'honorable M. Coomans, l'inventeur de tous les progrès, de toutes les nouveautés, abolition de la conscription, abolition des armées permanentes, suffrage universel, réduction des impôts, etc., M. Coomans a failli échouer aux dernières élections ; si mes souvenirs sont exacts, il n'a pas eu la majorité dans la ville de Turnhout. (Interruption.)

Des promesses, vous pouvez en faire ; vous en avez fait de tout temps ; les Annales parlementaires en sont remplies ; et quand vous êtes arrives au pouvoir, qu'avez-vous fait ? Une loi sur les poids et mesures et une tentative de restauration de la mainmorte. (Interruption.)

L'honorable M. Jacobs s'occupe beaucoup de politique, et il met beaucoup de talent au service de sa cause ; en ce moment, quel est son but ? Il cherche à faire modifier l'article 815 du code civil afin d'assurer une longue vie aux corporations religieuses. Voilà à quoi l'honorable membre emploie ses loisirs. Est-ce que ce ne sont pas toujours les mêmes tendances, le même but, le même programme : restaurer les couvents et la mainmorte ! Pas n'est besoin de renier MM. de Theux et d'Anethan.

L'honorable membre est venu nous parler du procès de M. Van Wambeke et de l'instruction qui a été faite au sujet d'une somme de 100,000 francs. « Vous voyez bien, s'est-il écrié, que votre magistrature est partiale, que l'esprit politique la guide. Vous avez autorisé une poursuite à l'égard d'un de vos collègues de l'opposition ! Si vous ne comprenez pas la délicatesse, nous, hommes de la droite, nous la comprenons, et si, un jour, nous prenons votre place, nous n'agirons pas comme vous l'avez fait ! »

Mais, messieurs, avant de parler du présent, voyons un peu ce que nos honorables prédécesseurs ont fait dans le passé. On peut toujours s'autoriser de bons exemples. Je vous ai parlé de l'affaire de l'Observateur, je vous ai dit que l'honorable M. Verhaegen, membre de la Chambre des représentants, était soupçonné d'être l'auteur d'un article publié par l'Observateur au sujet des sœurs hospitalières.

On était en pleine session.

Le procureur général M. de Bavay adresse une lettre par laquelle il sollicite des membres l'autorisation de poursuivre M. Verhaegen.

Que fait M. d'Anethan, ministre de la justice ? Il répond au procureur général : Je ne soumettrai pas cette demande à la Chambre, elle serait probablement rejetée, parce que la Chambre a trop de travaux et refuserait de s'en occuper. Mais attendez un mois ou deux. La session législative sera close et alors vous poursuivrez. Le procureur général insiste, M. Verhaegen insiste également. L'honorable M. d'Anethan tient bon ; le procureur général a été obligé d'attendre la clôture de la session ; M. Verhaegen est traduit devant la cour d'assises et acquitté.

Ainsi non seulement M. d'Anethan ne soumet pas à la Chambre la (page 178) demande de poursuite contre M. Verhaegen, mais le ministre a autorisé l'action du ministère public.

Qu'ai-je fait pour M. Van Wambeke ? Je n'ai pas eu à examiner les détails de son procès. La poursuite n'était pas dirigée seulement contre lui, mais contre d'autres personnes. On m'a demandé s'il fallait poursuivre ; j'ai répondu au procureur général que je le laissais libre d'agir selon sa conscience.

Maintenant, vous voulez que je m'explique sur cette poursuite, mais je ne m'expliquerai pas, et vous savez parfaitement que je ne puis pas m'expliquer.

Je vous l'ai dit : « Vous vous lancez sur un mauvais terrain ; » vous m'avez répondu : « Vous croyez tous les terrains dangereux. »

Vous allez voir comment le terrain est dangereux.

Vous avez attaqué le parquet, mais il paraît que vous ne connaissez pas très bien le code d'instruction criminelle. Il n'y a pas que le parquet en cause : on ne peut pas être envoyé devant la cour d'assises sans un arrêt de la chambre des mises en accusation. Ah ! si l'honorable M. Van Wambeke a été renvoyé devant la cour d'assises de la Flandre orientale, et si, comme vous le prétendez, c'est la partialité qui a inspiré ce renvoi, la chose est évidente pour vous, la flétrissure va frapper en plein visage les cinq membres de la chambre des mises en accusation qui ont rendu l'arrêt de renvoi, et si vous vous autorisez de pareilles attaques, ce pouvoir judiciaire, dans un arrêt, pourra selon votre théorie dire que vous avez manqué à vos devoirs ; il viendra relever le gant que vous lui jetez. (Interruption.)

Demain, le parquet, le procureur général, je lui déconseillerai d'en agir ainsi, viendra me trouver et me dira : M. le ministre, on m'a attaqué dans mon honneur. Qu'on ait dit que la poursuite a été mal dirigée, qu'on ait discuté loyalement ma conduite, soit, on en avait le droit ; mais quand on attaque mon honneur, j'ai le droit de protester et je demande que vous vouliez bien répondre à la Chambre aux injures qui m'ont été adressées. Voici mes explications.

M. le procureur général vous attaquera ; vous devrez vous défendre, et la Chambre sera juge du débat judiciaire.

Voilà le fait.

Voilà la confusion, voilà la perturbation incroyable qu'on veut jeter dans les institutions constitutionnelles. (Interruption.)

Vous croyez que vous pouvez impunément nous dire : C'est par passion, c'est par esprit de parti que les magistrats ont poursuivi l'honorable M. Van Wambeke ; vous croyez que vous ne les blessez pas profondément. Mais, messieurs, soyez-en certains, c'est ce qui les touchera le plus ; c'est l'injure la plus grave que vous puissiez leur faire ; car enfin, ces magistrats que vous flétrissez, la plupart n'ont que leur honneur pour tout patrimoine, et . c'est dans ce qu'ils ont de plus cher, de plus sacré, que vous les poursuivez ! (Interruption.)

Pour moi,, messieurs, je n'ai pas à m'expliquer sur la poursuite dans laquelle M. Van Wambeke a été impliqué. Mais est-ce qu'on a accusé à la Chambre le parquet de Bruxelles de partialité, lorsque M. Verhaegen a été traduit devant la cour d'assises et ensuite acquitté ? On n'a pas accusé, dans cette enceinte, M. le procureur général de Bavay et les membres de la cour d'appel de Bruxelles. Pourquoi aujourd'hui suit-on une autre ligne de conduite vis-à-vis des magistrats du parquet et la cour d'appel de Gand ?

Les membres de la magistrature peuvent se tromper, je le reconnais ; mais ils font leur devoir. L'infaillibilité n'existe pas chez les hommes, pas plus chez les magistrats qu'ailleurs. Mais ne suspectez pas leur honneur, ne les attaquez pas dans leurs sentiments intimes et surtout ne venez pas les signaler au mépris public. Habitués comme vous êtes à vivre à côté des magistrats, respectez-les dans la dignité de leur caractère.

Vous avez parlé ensuite d'une autre affaire. Vous insinuez qu'à la veille des élections, le parquet de Bruxelles se serait rendu complice d'une sorte de manœuvre indigne qui avait pour but d'empêcher l'élection de M. Delaet, à Anvers.

Quand on veut lancer par insinuation des attaques aussi graves contre des magistrats, on doit être sûr des faits et l'on ne doit pas s'exposer à des démentis.

Il y avait à Anvers, messieurs, une lutte électorale pour les élections provinciales. Ces élections devaient avoir lieu le 25 mai 1868. C'était la lutte principale ; c'était de celle-là que dépendait le sort de la bataille électorale du 9 juin.

Le 21 mai, parut dans la Finance un article qui annonçait le détournement d'une somme de 100,000 francs au préjudice d'une société belge. Le parquet se saisit de cet article, non pas pour instruire contre M. Delaet, mais pour instruire sur le fait du détournement.

Savez-vous quand on posa le premier acte d'instruction ? Le 25 mai dans la journée, on appela un témoin pour le lendemain 26. L'élection était donc faite avant que l'information fût commencée.

M. Jacobsµ. - Pas celle de M. Delaet.

MjBµ. - Nous allons venir à l'élection de M. Delaet.

A partir du 1er juin, il n'y eût plus d'acte d'instruction au sujet du fait relatif à M. Delaet et les journaux qui ont rapporté les faits de l'instruction le constatent. Il n'y a pas eu de placards, m'assure-t-on, conçus dans le sens que vous avez indiqué.

M. Jacobsµ. - Je les ai lus.

MjBµ. - On m'assure qu'ils ne portaient pas ce que vous avez dit.

Mais voici quelque chose de plus fort. L'Opinion, qui avait répété l'article de la Finance, écrivait ce qui suit à la date, du 29 mai :

« L'instruction n'était pas dirigée contre M. Delaet. Elle ne pouvait pas l'être, le fait imputé à ce représentant n'ayant pas le caractère d'un délit. C'est ce que nous avons tout d'abord constaté. »

Ne venez donc pas prétendre qu'on disait à Anvers qu'il y avait un procès contre M. Delaet. Il n'y avait pas d'instruction contre M. Delaet ; il n'y avait personne en état de prévention ; il y avait une instruction au sujet d'un fait de détournement, il n'y avait rien qui ressemblât à une manœuvre électorale, et l'accusation que vous avez dirigée contre la magistrature n'est pas plus justifiée que les autres.

L'honorable membre va plus loin ; par une insinuation, il attaque la magistrature qui, comme organe du ministère public, a eu dernièrement à se prononcer sur une affaire qui est encore en ce moment en délibéré.

Ce n'est pas le devoir du ministre de la justice d'examiner toutes les contestations civiles portées devant les tribunaux ; mais pourquoi occupez-vous la Chambre du procès civil de M. Delaet ? Vous trouvez que ce n'est pas dangereux.

Eh bien, je suppose que le 8 juin, au lieu d'une députation homogène, la ville d'Anvers eût envoyé ici une députation mixte, comme le font certains arrondissements. Je suppose que l'honorable M. Delvaux, qui était votre concurrent, eût été nommé en même temps que vous. Eussiez-vous prononcé le discours que. nous avons entendu hier ?

M. Jacobsµ. - Certainement.

MjBµ. - M. Delvaux vous aurait répondu. Qu'aurait dû faire M. Delaet ? Il aurait dû se lever et s'expliquer, et la Chambre aurait dû entendre les détails de toute cette affaire, qui n'est réellement pas de sa compétence. Voilà ou mènent vos belles théories.

Vous savez bien qu'en parlant ici du procès de M. Delaet, vous ne pouvez pas avoir de contradicteur ; les convenances parlementaires, les nécessités mêmes de la justice, ne me permettent pas de m'expliquer sur la contestation dont le tribunal d'Anvers est saisi. Pourquoi donc avez-vous introduit le débat dans cette enceinte ?

Ah ! M. Jacobs, en posant ce précédent, vous avez assumé une bien grande responsabilité ! (Interruption.)

Il y a plus : si vous croyez que les magistrats que vous avez traduits à la barre de la Chambre sont coupables, si vous croyez que le parquet et la cour de Gand ont agi par passion politique contre M. Van Wambeke, que le parquet de Bruxelles et celui d'Anvers se sont laissé guider par la passion politique contre M. Delaet, eh bien, ayez le courage de vos opinions ; pas d'insinuations, pas d'équivoque, dites-le franchement au pays, en acquit de votre devoir, formulez nettement une plainte, donnez-moi la preuve de vos allégations, et je m'y engage, les magistrats que vous me désignerez seront traduits devant leurs juges.

M. Wasseigeµ. - Ce serait aller nous confesser au diable.

MjBµ. - La droite a de singulières doctrines et M. Wasseige a un singulier respect pour nos cours de justice.

M. Wasseigeµ. - Ce n'est pas à la magistrature que je m'adressais. C'est au ministre de la justice lui-même, lorsqu'il disait : « Si vous avez à vous plaindre, vous, mes adversaires, de la conduite d'un magistrat, venez me le dire, venez me confier vos plaintes. » C'est alors que j'ai dit : Ce serait aller se confesser au diable, et je le maintiens.

MjBµ. - Je vous ai dit : Venez m'apporter autre chose que des insinuations, apportez-moi une accusation en règle, je la ferai juger. (Interruption.)

Ce n'est pas moi qui ai le droit de juger les magistrats inamovibles, ce sont les cours et c'est devant elles que je m'engage à porter votre accusation.

II ne suffit pas de se tenir dans le vague ; un citoyen doit aller plus loin ; quand il a la conviction que des magistrats ont forfait à leur devoir, il doit les attaquer franchement. Comment voulez-vous que les magistrats se défendent et que je les (page 179) défende contre des accusations qui restent dans les nuages ? Je ne puis rien dire, rien produire, et je dois vous laisser mettre en suspicion l'honneur de la magistrature !

Vous avez examiné les tendances de la magistrature, eh bien, permettez-moi, en terminant, d'examiner vos tendances à vous. Vous êtes sur une pente fatale, impuissants à ressaisir le pouvoir, dont le pays vous écarte depuis de nombreuses années et où vous n'êtes revenus que pour quelques temps, sans idées, sans programme, profondément divisés, variant de jour en jour. Vous n'avez plus qu'une arme, le dénigrement systématique. Vous dénigrez toutes les institutions et tous les hommes du pays. (Interruption.)

L'armée est une institution inutile et inefficace ; elle vit des sueurs du peuple ; il faudrait la réduire à 30,000, à 20,000 ou à 10,000 hommes.

Les membres du gouvernement sont des persécuteurs, des Van Maanen. Ils ont eu recours à toutes les violations de la Constitution et des lois.

Le corps électoral est pourri, a dit l'honorable M. Coomans. La Chambre ne représente pas la nation. Elle est l'émanation de quelques censitaires et de quelques cabaretiers qui possèdent une bouteille de genièvre et un verre à liqueur. La majorité des Chambres est, d'après la presse cléricale, composée d'hommes serviles. (Interruption.)

Il vous restait une dernière institution que vous n'aviez pas encore osé attaquer et vous commencez.

Vous entreprenez cette œuvre et votre aveuglement vous la fera poursuite :

Quos vult perdere Jupiter dementat.

Vous attaquez les magistrats dans leur honneur, dans leur dignité, dans le seul patrimoine qu'ils aient, sans preuves, ne connaissant pas même la loi, vous appuyant sur des faits dénaturés, tronqués par la presse cléricale.

Vous dénoncez tous ces honorables citoyens à la nation comme des hommes corrompus.

Vous faites croire a l'étranger que cette magistrature si honorable, si impartiale, que tous les pays nous envient, qui vous a donné, même dans les circonstances que vous rappelez, les preuves les plus grandes d'indépendance, est corrompue et indigne de la confiance du pays !

Eh bien, quand vous aurez achevé votre œuvre, vous, le grand parti conservateur, quand vous aurez avili nos institutions et ruiné les réputations les plus honorables, que vous restera-t-il et sur quoi vous appuierez-vous ?

Au lieu de songer à vos propres fautes, à vos variations, à vos revirements continuels, à vos programmes à prétentions cléricales, vous croyez que la cause de votre impopularité est dans les institutions et dans les hommes qui les pratiquent. (Interruption.)

Rentrez en vous-mêmes ; la cause de votre impopularité, c'est l'impopularité de vos doctrines ; vous êtes impopulaires parce que vous voulez restaurer des choses qui ne sont plus de noire siècle.

Puisque vous avez la soif du pouvoir, amendez-vous et rendez-vous possibles. (Interruption.)

MpDµ. - J'avertis les tribunes que je ferai immédiatement expulser les personnes qui se mêleraient à nos débats. Je ne réitérerai pas cet avertissement.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Thienpontµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau deux rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- Ces rapports seront imprimés, distribués et portés sur un prochain feuilleton.

Projet de loi allouant un crédit au budget du ministère des finances

M. Vander Doncktµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de crédit de 500,000 fr. au département des finances.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Rapport sur une pétition

Discussion du rapport sur la pétition des journalistes

M. Reynaertµ. - Avant de répondre au discours prononcé par l'honorable ministre de la justice dans les séances de mercredi et de jeudi, je voudrais faire ici une énergique, protestation contre la première partie du déplorable discours que vous venez d'entendre.

Messieurs, les personnes qui assistent à cette discussion se retireront de cette enceinte, j'en ai la conviction, avec une bien triste idée du pouvoir.

Aujourd'hui et dans ses deux discours antérieurs, l'honorable ministre de la justice, avec cette urbanité et ce bon goût parlementaire que vous lui connaissez, s'est acharné à dénigrer, à traîner dans la boue le clergé des Flandres et la presse catholique. (erratum, page 193) Transformant le parlement en un tribunal de police correctionnelle, il est là, en accusateur public, l’insulte à la bouche, essayant de faire remonter la responsabilité d’actes qui, prouvés, seraient des crimes, jusqu’aux personnes les plus respectables. (Interruption.)

MpDµ. - Vous venez de vous servir de ces mots : « l'insulte à la bouche. » Ces mots ne sont pas dignes de la Chambre ; veuillez-les remplacer par d'autres plus convenables.

M. Reynaertµ. - Ces mots ne sont pas convenables, je le reconnais, monsieur le président, mais je les trouve partout dans le discours de M. le. ministre de la justice. M. le ministre de la justice m'a accusé d'insulter la magistrature, et je ne pourrais pas dire qu'il a insulté le clergé !

MpDµ. - Vous ne pouvez pas dire qu'un de vos collègues a l'insulte à la bouche.

M. Reynaertµ. - Oui, c'est un douloureux spectacle ! Voilà le ministre de la justice et des cultes donnant libre carrière à ses déclamations passionnées contre l'épiscopat et le clergé, reproduisant dans son discours les inventions odieuses de la presse antireligieuse et cherchant à démontrer avec cette presse que le prêtre catholique est capable de toutes les turpitudes et de toutes les indignités ! Il y avait déjà le prêtre falsifiant les élections, il y avait déjà le prêtre captant les testaments...

- Des membres à gauche. - C'est vrai...

M. Bouvierµ. - Et les 800,000 fr. d'Anvers donnés à titre de transaction ? (Interruption.)

M. Reynaertµ. - Vos rires ne m'empêcheront pas de dire ce que je pense. (Interruption.)

MpDµ. - Veuillez faire silence, messieurs.

M. Reynaertµ. - ... il y avait déjà le prêtre captant les testaments, il fallait encore le prêtre incendiaire. Et c'est la démonstration de cette thèse que l'honorable ministre de la justice a poursuivie dans la plus grande partie de son discours.

Ainsi donc, nous en sommes arrivés à voir un homme, investi des plus hautes fonctions de l'Etat, oubliant ce que lui imposent la réserve et la prudence, s'attacher avec une insistance sans pareille à déverser l'ironie, le blâme et l'injure sous toutes les formes, et cela dans un pays catholique, sur les ministres de ce culte qui est celui de l'immense majorité des Belges, de ce culte qui est celui dans lequel l'honorable ministre est né, a grandi et a été élevé !

Et quand, par impossible, M. le ministre parviendrait à prouver que les membres du clergé peuvent être, en Belgique, les suppôts, les instruments, les fauteurs des plus criminelles passions, quel résultat aurait-il obtenu ? Celui d'affaiblir le respect dû au sentiment religieux, la vraie base de l'ordre social, sans laquelle M. le ministre et tous ceux qui pensent et parlent comme lui ne seraient pas en état de garder le pouvoir pendant vingt-quatre heures.

Que serait-ce donc, en effet, que la force publique dont dispose un gouvernement, dans un pays dont la population aurait cessé d'êtee soumise au frein moral de la religion ? Ce ne serait qu'une vainc arme, aux mains débiles de quelques ministres que la passion des masses soulevées briserait comme verre.

Et c'est à ce résultat que doivent tendre cependant les déclamations de M. le ministre de la justice ; car, sinon, elles n'auraient pas de sens. Et, si dépourvu qu'il puisse apparaître des véritables qualités de l'homme d'Etat, il est impossible qu'il ne se rende pas compte du danger que présente une discussion telle que celle que nous entendons depuis trois jours.

MfFOµ. - Pourquoi l'avez-vous soulevée ?

M. Reynaertµ. - Si ces débats sont lus à l'étranger, je dis à M. le ministre de la justice que son rôle, son attitude y seront sévèrement jugés.

MfFOµ. - Il ne fallait donc pas répondre à votre discours ? (Interruption.)

M. Reynaertµ. - Mais grâce à Dieu, toutes ces déclamations de M. Bara ne sont que de misérables diatribes et si je ne respectais au plus haut degré les convenances parlementaires, je dirais, comme l'honorable ministre, (erratum, page 193) « la reproduction, dans cette enceinte, d'indignes mensonges. »

Le clergé belge est au-dessus de telles atteintes. Croyez-vous donc que, dans un pays libre et intelligent comme le nôtre, il eût conservé cette influence si grande qui vous effraye et qui inspire les calomnies dont il est l'objet ? Non, s'il eût été tel qu'on essaye devons le représenter, il serait depuis longtemps tombé dans le mépris public.

Le clergé chez nous a conservé son ascendant sur la population parce qu'il est éclairé, patriotique, d'une charité à toute épreuve, souffrant avec le peuple, partageant ses douleurs, s'associant à tous les malheurs qui le frappent et déployant, dans toutes les grandes calamités nationales, une abnégation et un dévouement qui arrachent même à nos ennemis des cris de reconnaissance et d'admiration.

Maintenant, messieurs, j'ai à vous parler, mais je le ferai brièvement, d'un incident qui m'est personnel dans cette discussion.

Dans le discours que M. le ministre a prononcé avant-hier, il s’est servi (page 180) à mon égard d'expressions blessantes que j'emprunte aux Annales parlementaires : « Comment, a-t-il dit, apportez-vous des mensonges à cette tribune. » Sont-ce là, je vous le demande, des expressions dignes d’une tribune parlementaire ? Nul ne les emploierait, ni dans le monde, ni dans les conférences publiques, ni surtout au barreau, auquel M. le ministre et moi avons eu l’honneur d’appartenir. Non pas, messieurs, que ces expressions me touchent, en ce qui concerne personnellement ; tous ceux qui me connaissent savent que je suis incapable de me faire l’écho de mensonges, n’importe quelle circonstance.

Dans le premier moment, l'expression de M. le ministre de la justice m'avait arraché une parole d indignation ; plus calme aujourd'hui, je la dédaigne ; je me borne à la signaler de nouveau et j'en laisse le monopole, comme la responsabilité, à M. Bara. Cette expression le compromet plus que moi.

J'arrive à un autre reproche que m'a fait l'honorable ministre, et celui-là me toucherait infiniment s'il était fondé. Pendant tout le cours de son interminable discours, qu'il a commencé mercredi et terminé jeudi, il m'a accusé d'avoir insulté la magistrature.

Je proteste de toute mon énergie contre une pareille inculpation, et je mets M. Bara au défi de la prouver.

Qu'ai-je fait ? J'ai relevé, signalé, critiqué les actes posés pendant l'instruction de l'affaire de Saint-Genois ; jusqu'ici il n'y a aucune décision du pouvoir judiciaire ; il n'y a ni ordonnance de la chambre du conseil, ni arrêt de mise en accusation, ni jugement d'aucune espèce.

Mieux que M. le ministre de la justice, je sais pratiquer le respect de ce qui est respectable. S'il y avait une décision quelconque du pouvoir judiciaire, si nous avions devant nous une ordonnance, un arrêt, un décret réellement émané du pouvoir judiciaire, je serais le premier à le respecter ; aucune parole de blâme ne s'échapperait de ma bouche ; et quand même je penserais que le jugement ou la décision judiciaire serait erroné, je m'inclinerais devant l'acte judiciaire.

Mais la situation est-elle donc telle ? Vous savez bien que non ; il n'y a qu'une chose jusqu'ici : une instruction. Par qui est-elle posée ? Par de simples officiers de police judiciaire ; car le juge d'instruction, le procureur du roi ne sont que des officiels de police judiciaire dont les actes, aux termes de la loi, relèvent directement du procureur général (article 57 du code d'instruction criminelle.) Leurs actes peuvent être déférés à la chambre du conseil, à la chambre des mises en accusation, cassés, réformés, modifiés, par ces corps judiciaires, et c'est devant de pareils actes soumis à un tel contrôle qu'un membre de la représentation nationale devrait humblement s'Incliner et se taire !

Ce que tout citoyen a le droit de faire, c'est-à-dire la faculté d'apprécier et de critiquer ; ce que tout avocat fait chaque jour devant les tribunaux de toute juridiction ; ce que l'honorable M. Bara lui-même doit avoir fait maintes fois dans sa courte carrière d'avocat, un membre de cette Chambre, expression de la souveraineté nationale, ne pourrait pas le faire ?

C'est là, messieurs, une prétention que, pour ma part, je n'admettrai jamais.

Je respecte les décisions judiciaires. J'examine et je censure, si bon me semble, les actes de la police judiciaire.

C'est cette distinction que l'honorable ministre s'est bien gardé de faire. Il a préféré me répondre que j'insultais la magistrature.

Il me rappelle au respect du pouvoir judiciaire ;.j'y suis tout prêt et n'en ai jamais dévié.

Mais quant aux actes des agents directs du pouvoir, tels que le ministère public et les officiers de police judiciaire, tel que le juge d'instruction dans le cours de la procédure, je maintiens que j'ai le droit de discuter ces actes.

J'ai apporté à cette tribune, messieurs, avec sincérité et de bonne foi plusieurs affirmations. Je les crois vraies, malgré les dénégations de l'honorable ministre, dénégations auxquelles j'opposerai de nouveau les affirmations les plus catégoriques.

Je n'ai pas à produire devant vous des lettres ni des télégrammes. Il ne me serait pas difficile de m'en procurer. Mais je n'ai pas voulu recourir à ces petits moyens dont chacun appréciera la valeur.

Quelle importance faut-il attacher, je vous le demande, à des documents de cette espèce, quand les attestations qu'ils contiennent ont été sollicitées et que ces attestations émanent de personnes qui ont besoin de se disculper et qui ont surtout besoin de ne pas se brouiller avec l'honorable ministre de la justice ?

Cette observation faite, messieurs, je passe en revue les faits affirmés par moi, déniés par l'honorable M. Bara, et je dis : Il est vrai que M. de Gamond a prononcé les paroles que je lui ai prêtées. A Courtrai et a Anvers, où M. De Gamond est connu, entre mon affirmation et son démenti, le choix ne sera pas un seul instant douteux.

Il est vrai, je l'affirme de la manière la plus positive, parce que je le tiens de la bouche même de toutes ces personnes honorables, qu'à la date du 11 août, alors que Van Overschelde était seul prévenu et seul arrêté, des visites domiciliaires, des interrogatoires, des saisies de papiers et de correspondance ont été pratiqués chez M. le curé de Saint-Genois, citez MM. les vicaires Van Eecke et Verschuere, chez M. le directeur du couvent et chez M. Opsomer, notaire et secrétaire de la fabrique d'église.

Dans la séance d'aujourd'hui, l'honorable ministre a soutenu, relativement à la perquisition domiciliaire, une théorie que je ne puis pas admettre.

Les articles 8 et suivants, cités par M. Bara, se rapportent à la police judiciaire ; or, il est de doctrine que les perquisitions domiciliaires ne sont pas des mesures de police, mais des mesures d'information,

M. Hélie le professe avec tous les auteurs, et c'est à eux que s'adresse la présomptueuse leçon de droit que M. Bara a prétendu nous donner.

MjBµ. - M. Faustin Hélie n'a pas dit un mot de cola.

M. Reynaertµ. - C'est que vous n'avez pas lu Faustin Hélie.

Il est vrai que tous ces actes ont été accomplis avec toutes les circonstances que j'ai eu l'honneur de vous faire connaître. A la dénégation de M. le procureur du roi, j'oppose une affirmation catégorique.

J'ai cependant, messieurs, à faire, sous ce rapport, quelques concessions à l'honorable ministre :

Il se peut qu'un seul garde champêtre fût présent à ces opérations.

II se peut que le lieutenant de la gendarmerie fût en bourgeois.

Mais ce que je ne concéderai jamais à l'honorable ministre, c'est que M. le directeur du couvent soit, comme il nous l'a appris, à ma grande stupéfaction, un vieillard incapable d'écrire.

Je dois vous dire, messieurs, que ces mots ont disparu des Annales parlementaires, ainsi que l'interruption par laquelle j'y avais répondu.

Ce n'est cependant qu'une petite, mystification dont la publicité n'aurait eu d'autre conséquence que de faire rire à Saint-Genois.

Il est vrai, messieurs, que la préfète de la congrégation et d'autres congréganistes ont été interrogées par le parquet. Le directeur de la congrégation m'a affirmé ce fait de la manière la plus formelle.

Il est vrai, l'honorable ministre est en aveu à cet égard, que le parquet a été installé chez Delbecque ; qu'il y a fait venir les témoins et y a procédé aux interrogatoires ; chez Delbecquc, le chef de l'opposition, l'intermédiaire entre le commissaire Ghuys et l'Echo du Parlement, l'âme de tout ce qui s'est tramé, à Saint-Genois, et, quoi qu'en dise l'honorable ministre, qui inspire la terreur dans cette commune à cause de son caractère violent et vindicatif.

Il est vrai qu'il a été prévenu d'avoir brisé des arbres bien avant que ne furent brisés les arbres du cimetière communal.

Il est vrai qu'il a subi une condamnation correctionnelle pour coups sur deux de ses proches et pour injures.

Ii est vrai que cette installation du parquet chez Delbecque a été suivie, en premier lieu, de l'arrestation de Depoorler, principal témoin à charge dans l'affaire correctionnelle de Delbecque ; en second lieu, de l'arrestation des deux MM. Delplanque, à l’un desquels il avait voué une inimitié implacable depuis le jour où il avait été condamné sur sa plainte.

Il est vrai, contrairement aux affirmations de l'honorable ministre, affirmations qu'il a répétées dans la séance d'aujourd'hui, que la mise au secret des frères Delplanque a duré plus de vingt jours. Je le prouverai, si on le veut, la semaine prochaine, par une pièce authentique. Le secret a commencé le 21 septembre, et le 17 octobre il a été décidé par la chambre du conseil que les nécessités de l'instruction ne permettaient pas d'en prononcer la mainlevée. Bien plus, le 20 octobre encore, il a été répondu au frère qui a sollicité l'autorisation de voir les prévenus, que l'existence de la mise au secret s'y opposait. C'est M. Delplanque lui-même qui m'a rapporté ce fait.

Maintenant, messieurs, reste le fait qui concerne M. De Blauwe. J'avais supposé à M. De Blauwe un mobile honnête, louable, celui d'être impartial, et de ne pas vouloir subir une pression illégitime, et d'avoir en conséquence fait toutes les démarches nécessaires, tous les efforts possibles pour se soustraire aux actes que je croyais, moi, avoir été imposés à sa conscience. M. De Blauwe proteste contre l'hypothèse que j'ai émise.

Mieux que personne, messieurs, il doit connaître les motifs de sa retraite.

Mais, avouez-le, messieurs, sa manière d'agir a singulièrement prêté à l'hypothèse que j'ai faite.

Quand s'est-il adressé au département de la justice pour demander sa décharge ?

L'honorable ministre nous l'a dit : le 7 et le 10 août, c'est-à-dire à deux reprises différentes dans l'intervalle de trois jours, et cela à quel moment ? (page 181) La veille du jour où se firent chez les prêtres de Saint-Genois les perquisitions domiciliaires, les saisies et les interrogatoires que vous connaissez.

A part donc ce fait, messieurs, sur lequel je n'avais émis qu'une simple hypothèse, j'ai le droit de dire à M. le ministre : Malgré vos dénégations, tous les faits que j'ai affirmés sont restés debout.

J'ai le droit de lui dire : Si dans cette affaire il y a eu un roman, c'est vous qui êtes le romancier ; s'il y a eu une mystification, c'est vous qui êtes le mystifié.

Et quand vous me demandez s'il est bien croyable que vous soyez trompé par vos fonctionnaires, je n'ai qu'une réponse à vous donner.

C'est que si ce fait était vrai, vous subiriez la responsabilité de vos œuvres.

Messieurs, la Chambre me rendra cette justice que je n'ai pas été le premier à lever le voile qui couvre cette ténébreuse instruction.

J'ai écarté de mon discours avec le plus grand soin le fond de l'instruction, les éléments de culpabilité ou de non-culpabilité, sur lesquels nous n'avons pas à nous prononcer.

J'ai signalé les tendances de l'instruction et sa rigueur excessive.

J'ai montré combien l'on s'est écarté des règles habituellement suivies en pareille matière.

J'ai blâmé, comme j'en ai le droit, la mise au secret des prévenus ou plutôt la prolongation cruelle de cette mesure exceptionnelle.

J'ai montré comment, dans toute cette affaire, la rancune politique s'était substituée à l'impartiale justice.

M. Dumortierµ. - C'est de la forfaiture.

MjBµ. - Vous n'oseriez pas dire cela hors de cette Chambre.

M. Dumortierµ. - Je le dirai où vous voudrez.

M. Reynaertµ. - C'était là mon but pour le moment.

Je ne pouvais aller au delà n'ayant pas devant moi les éléments de l'instruction.

Ce n'est que quand les tribunaux auront statué que la Chambre et l'opinion publique décideront entre l'honorable ministre et moi.

Elles diront alors qui de nous deux a raison : lui, en soutenant que l'instruction faite, à Saint-Genois est un modèle de douceur, de calme et d'impartialité ; ou moi, en affirmant qu'elle est, au contraire, une œuvre de sévérité outrée et de passion politique.

En ce moment, entre l'honorable ministre et moi les armes ne sont pas égales.

La Chambre a pu s'en convaincre.

L'honorable ministre s'est évertué à dire : Vous ne savez rien de l'instruction, vous n'en pouvez rien savoir ; je n'en sais rien, l'instruction est secrète. Et en même temps, par une inadvertance singulière, il nous a prouvé qu'il connaît bien cette instruction, qu'il en est pénétré, que tous les détails lui en sont connus.

Car vous avez dû, comme moi, être frappés, messieurs, de ce passage du discours de l'honorable ministre où il rapporte textuellement les paroles du prévenu Vandeputte.

Mais l'honorable ministre a modifié ce passage. Avant-hier, il nous donnait textuellement et nous a lu ces paroles de Vandeputte disant « que c'était après que la femme Decuypere avait lu le journal, le soir dans la cuisine, qu'il s'était senti l'esprit enflammé et que les pensées d'incendie l'avaient poursuivi. »

L'honorable ministre, comprenant sans doute qu'il en avait trop dit ou plutôt trop lu, s'est borné à résumer ce passage de son discours dans les termes suivants : « Un accusé en aveu déclare qu'on lui a donné lecture des articles publiés par le journal l'An 30 et qu'ils ont mis dam son esprit l'idée de mettre le feu aux propriétés des libéraux. »

Cela suffit déjà pour que j'aie le droit de dire à M. le ministre : « Comment connaissez-vous cet aveu de Vandeputte ? L'instruction n'est donc pas secrète pour vous ? Et comment voulez-vous que je vous suive sur ce terrain, où je n'ai pour me guider que des renseignements donnés, soit par la presse, soit par des hommes honorables ; et que vous, au contraire, vous pouvez puiser à pleines mains dans une instruction qui devrait cependant rester secrète pour tout le monde, pour vous aussi bien que pour moi ?

Avant de quitter ce sujet, messieurs, il est de mon devoir de faire connaître à l'honorable ministre, à propos de cet aveu de Vandeputte, un renseignement précieux ou tout au moins un curieux détail qui m'a été fourni par le sieur Planckaert, cultivateur à Saint-Genois : il y a deux ou trois ans, ce même Vandeputte, animé d'un sentiment de vengeance contre Planckaerl, l'aurait menacé d'incendier sa ferme. Je pense qu'il ne sera pas difficile à l'honorable ministre de se procurer, sur ce fait, des renseignements plus précis et plus certains, car, si mes renseignements sont exacts, le sieur Planckaert a été entendu comme témoin.

Je ne répondrai pas, messieurs, aux reproches qui ont été adressés par l'honorable M. Bara à la presse catholique. Mon honorable ami, M. Jacobs, avec la supériorité de talent qui le distingue, a déjà mis à néant ces accusations téméraires.

Je veux cependant signaler à l'indignation du pays une odieuse calomnie qui a fait le tour de la presse libérale et qui concerne le vicaire Van Eecke.

Ce n'était pas assez d'avoir perfidement dénaturé les paroles et les écrits de cet homme.

Il fallait encore jeter sur sa vie privée et sur son honnêteté d'odieux soupçons.

Messieurs, peu de temps après sa fuite, lorsqu'une nouvelle perquisition avait eu lieu dans son domicile, les journaux libéraux publièrent un prétendu inventaire de son mobilier et dirent que dans sa cave on avait trouvé pour 10,000 fr. de vins de Bordeaux, de Bourgogne et de Champagne, qu'il avait en sa possession une riche argenterie et que son portefeuille contenait pour 85,000 fr. de valeurs.

Et voici les indignes réflexions que fit à ce sujet le Journal de Gand :

« Nous avons toujours pensé que la vraie question, à Saint-Genois, c'était, d'abord, le conflit soulevé par le clergé, puis la terreur que le vicaire Van Eecke a cherché à répandre, son sermon, son article, où il agite une torche, et, enfin, les incendies mêmes, qui ont suivi de près.

« M. le vicaire Van Eecke ne semble pas avoir différé beaucoup avec nous dans son appréciation, puisqu'il a mis la Manche entre la justice et lui. Il s'était pourtant arrangé à Saint-Genois un nid confortable et opulent, et ce n'est pas sans regret, probablement, qu'il aura abandonné une cave si bien fournie, un coffre-fort si riche, sa belle argenterie, sa collection de pipes et son abondante provision de tabacs. Saint-Genois, où il est, dit-on, arrivé pauvre, devait être d'un bon rapport, ce qui explique le soin avec lequel le clergé s'efforçait d'y maintenir, par tous les moyens prévus par feu l'évêque de Bruges, et par une adroite confusion du spirituel et du temporel, l'influence et l'autorité de l'Eglise. »

Eh bien, je vous dirai, messieurs, moi, qui connais ce prêtre, moi qui ai eu l'honneur d'être reçu dans sa modeste demeure, qu'il avait à peine de quoi vivre et que si un ami, qui connaissait sa détresse, n'était pas venu à son secours, il n'aurait pas même eu de quoi payer son voyage au moment où il voulait se soustraire à la détention préventive.

Mais tous les moyens semblent avoir été bons pour perdre, dans l'opinion publique, ce prêtre catholique.

Messieurs, il m'est impossible de finir ce discours sans rappeler à la gauche un de ses souvenirs de famille les plus néfastes et les plus douloureux.

Quoi ! parce que les objets incendiés appartiennent à des propriétaires libéraux ; parce que dans un sermon il a été fait allusion à l'épisode biblique de Sodome et de Gomorrhe ; parce que dans un journal catholique un vicaire a rédigé une mauvaise pochade, un véritable songe creux, où il est question d'incendie rien que parce qu'il n'y est pas question d'autre chose : vous vous croyez autorisés à accuser ouvertement le sentiment religieux et le clergé des Flandres d'être les instigateurs, les provocateurs et les auteurs de ces méfaits !

Ce prêtre, auteur du sermon et du songe ; ce prêtre, tant et si injustement calomnié jusque dans sa vie privée, dans son honnêteté, vous l'avez obligé de quitter le pays pour échapper à la détention préventive, et l'un de ces jours vos procureurs et vos gendarmes le traîneront devant une cour d'assises !

Il sera acquitté, j'en ai la conviction et le ferme espoir.

Cet homme, flétri, jeté en prison comme le dernier des criminels, parce qu'il a été victime de la calomnie et du mensonge : cela est impossible !

Et tenez, messieurs, je souhaiterais que vous, membres de la gauche, constituiez le jury chargé de le juger.

En supposant même que les charges, que les prétendues charges, qui pèsent sur lui soient vraies, soient sérieuses, je vous le demande en âme et conscience, auriez-vous le droit d'être sévères, d'être rigoureux ?

Rappelez-vous le passé, messieurs, rappelez-vous ce que vous avez dit et ce que vous avez fait ; rappelez-vous ce qui a été dit et fait à votre profit, et voyez quelle étrange similitude il y a entre vous, ou du moins entre vos chefs, et ce pauvre vicaire Van Eecke !

Nous ne sommes pas bien éloignés de 1857, et cette tribune semble encore retentir de vos excitations ; il me semble encore lire dans vos journaux ces véhémentes diatribes où le parti catholique, le clergé et les communautés religieuses étaient l'objet des attaques les plus violentes et des accusations les plus odieuses !

(page 182) Et le lendemain, la spontanéité foudroyante était maîtresse de la capitale ; avec la rapidité de l'éclair, elle se répandit dans tout le pays, et l'on vit de tous côtés ces scènes indignes dont j'ai été le témoin oculaire !

A Bruxelles, les pavés soulevés, les vitres brisées, les portes enfoncées...

M. Anspachµ. - Il y a eu, en tout, pour 75 francs de dégâts.

M. Coomansµ. - J'en ai plus que cela pour moi seul.

M. Jacobsµ. - Et vous disiez hier que le chiffre ne faisait rien au crime ou au délit !

MpDµ. - Pas d'interruption, messieurs ; je prie M. Reynaert de continuer.

M. Reynaertµ. - Les prêtres, les religieux, la presse catholique, les députés conservateurs, vos collègues, insultés et outragés !

Et il y eut, comme à Saint-Genois, des incendiaires qui allumèrent un bûcher où ils voulurent jeter, non pas des bottes de paille, de foin ou de colza, mais les frères de la doctrine chrétienne !

Je vous laisse le soin, messieurs, de tirer de ces faits les conclusions qu'ils comportent.

- Des voix nombreuses. - A demain ! La clôture !

M. Dumortierµ. - J'espère que la Chambre me permettra de parler mardi.

Je ne suis pas le seul orateur inscrit ; il y a d'ailleurs encore plusieurs de mes collègues qui doivent demander la parole.

Nous ne pouvons pas terminer ainsi cette discussion, alors que les plus grands intérêts de la patrie sont en jeu. (Interruption) (A demain !) Comment, vous riez !

Vous n'avez pas même la pudeur de la retenue ! Comment, il s'agit de la liberté de la presse avilie, de la liberté individuelle avilie, il s'agit de ce qu'il y a de plus noble en Belgique, et vous demandez la clôture sans permettre à tous les membres de prendre la parole !... (Interruption.)

MpDµ. - M. Dumortier, vous vous agitez dans le vide ; on propose de remettre la continuation de la discussion a mardi.

La Chambre est-elle d'accord sur ce point ?

- De toutes parts. - Oui ! oui !

MpDµ. - La discussion est donc remise à mardi.

- La séance est levée à 5 heures.