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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 16 décembre 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 194) M. Reynaert, secrétaireµ, fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaertµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Windels se plaint de n'avoir pas été conservé dans la position de correcteur du Moniteur. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Ballièvre demandent la prompte et complète exécution du chemin de fer de Frameries à Chimai avec embranchement de Beaumont vers Thuin. »

« Même demande des membres des conseils communaux de Rance, Merbes-le-Château, Leers-Fosteau, Montignies-Saint-Christophe, Grand-Reng, Renlies, Faurœulx, Virelles, Froidechapelle, Boussu-lez-Walcourt, et d'habitants de Montignies-Saint-Christophe. »

- Même renvoi, avec demande d'un prompt rapport.


« Des habitants de Saint-Vaast présentent des observations au sujet du rapport sur le projet d'érection de la commune de La Louvière. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande en obtention de la naturalisation ordinaire adressée par le sieur Viot. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur Dierckx appelle l'attention de la Chambre sur la décision de la députation permanente du conseil provincial du Brabant qui a validé l'élection d'un conseiller communal à Meysse, allié au degré prohibé avec un autre conseiller, et demande qu'il soit porté remède à cette situation. »

- Sur la proposition de M. Coomansµ, la Chambre décide le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Les sieurs Leyder, Damseaux et autres membres de la Ligue de l'enseignement prient la Chambre de réglementer le travail des enfants dans l'industrie. »

« Même demande des sieurs Henot, Nihoul, etc. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.


« Le sieur Bullot se plaint de la violation de l'article 4 de la loi du 28 décembre 1859 sur l'introduction de la pharmacopée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal d'Etalle demandent que le tracé par Habay, Etalle, Saint-Léger soit adopté pour le chemin de fer de Virton. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.


« M. de Lexhy, obligé de s'absenter, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi accordant des crédits provisoires aux budgets des dotations, de la dette publique et de plusieurs ministères

Rapport de la commission

M. de Macar, rapporteurµ. - La commission spéciale chargée d'examiner la demande de crédits déposée dans la séance d'hier, par l'honorable ministre des finances, a admis le projet de loi qui vous est soumis et vous en propose l'adoption.

Elle estime toutefois qu'il est regrettable que ces demandes de crédits provisoires viennent se renouveler chaque année et qu'il faille avoir recours à un moyen contraire à la marche régulière de la comptabilité, ce qui pourrait même être préjudiciable, à plus d'un titre, aux intérêts financiers de l'Etat.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère de l’intérieur

Rapport de la section centrale

M. Bieswalµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif au remboursement d'une créance de 83,950 francs, due à Mme veuve Piéton.

- Ce rapport sera imprimé et distribué et l'objet qu'il concerne placé à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi accordant des crédits provisoires aux budgets des dotations, de la dette publique et de plusieurs ministères

Discussion des articles

La discussion générale est ouverte. Personne ne prenant la parole, elle est close.

L'assemblée passe à la discussion des articles.

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Des crédits provisoires, à valoir sur les budgets des dépenses de l'exercice 1869, sont ouverts :

« 1° Pour les divers services compris au budget de la dette publique : fr. 16,200,000.

« 2° Idem des dotations : fr. 1,500,000.

« 3° Au département de la justice : fr. 5,200,000.

« 4° Idem des affaires étrangères : fr. 1,200,000.

« 5° Idem de l'intérieur : fr. 4 200,000.

« 6° Idem des travaux publics : fr. 13,300,000.

« 7° Idem de la guerre : fr. 12,300,000.

« 8° Idem des finances : fr. 4,400,000.

« Total : fr. 58,300,000. »

- Adopté.


« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1869. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

85 membres y prennent part.

77 répondent oui.

8 répondent non.

En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui :

MM. Carlier, Couvreur, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, Delcour, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Montblanc, de Moor, de Muelenaere, de Rossius, Descamps, de Terbecq, de Theux, de Vrière, de Vrints, Dewandre, de Zerezo de Tejada, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Hagemans, Hymans, Jamar, Jonet, Jouret, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lange, Lebeau, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Millier, Nélis, Notelteirs, Pirmez, Preud'homme, Reynaert, Royer de Behr, Sabatier, Schollaert, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Alphonse Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Merris, Van Overloop, Verwilghen, Vilain XIIII, Vleminckx, Wasseige, Wouters, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Beke, Bieswal, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Broustin et Dolez.

Ont répondu non :

MM. Coomans, Coremans, de Coninck, Delaet, Gerrits, Hayez, Jacobs et Mulle de Terschueren.

Ordre des travaux de la chambre

MfFOµ. - Je propose à la Chambre de fixer à après-demain l'examen en sections du projet de loi sur la compétence en matière de révision des listes électorales, que le gouvernement a déposé la semaine passée. Je pense que la Chambre ne verra aucun inconvénient à choisir ce jour, afin que la section centrale puisse se constituer avant que la Chambre se sépare.

- La proposition de M. le ministre est adoptée.

Rapport sur une pétition

Discussion du rapport sur la pétition des journalistes catholiques

MpDµ. - Le premier orateur inscrit était M. Dumortier. Il a cédé son tour de parole à M. Thonissen.

M. Thonissenµ. - Messieurs, la question juridique très importante, agitée entre l'honorable ministre de la justice et mon honorable ami M. Jacobs, mérite une attention particulière, parce qu'elle se rattache au grand principe de l'inviolabilité du domicile.

La doctrine soutenue par l'honorable M. Bara, je le reconnais, est l'expression de la pratique constante de tous les parquets du royaume. Ainsi que le disait l'honorable M. Faider, dans un rapport qui nous a été lu dans la séance d'hier, elle est conforme à la jurisprudence invariable de nos juges d'instruction.

C'est là, messieurs, un fait important, je ne le nie pas, mais ce fait n'est pas décisif ; car, d'autre part, la doctrine émise par l'honorable M. Jacobs a en sa faveur la pratique, également constante, de la plupart des parquets de France ; bien plus, elle a en sa faveur la jurisprudence de la préfecture de police de Paris ; circonstance qu'il ne faut pas perdre de vue, parce que, d'après l'article 10 du code d'instruction criminelle, le préfet de police a le droit de faire, par lui-même ou par ses délégués, tous les actes (page 195) de police judiciaire indiqués à l'article 8 du même Code, article qui vous a été lu trois ou quatre fois par M. le ministre de la justice.

Du reste, la question n'est pas tant de rechercher ce qu'on a fait que de savoir ce qu'on doit faire, et c'est le problème que je me propose d'examiner.

Où est ici la règle ? Où est le véritable principe ? Où est l'exception ? Evidemment c'est par là que nous devons commencer.

La règle, messieurs, le principe se trouve dans l'article 10 de la Constitution, ainsi conçu : « Le domicile est inviolable ; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans les formes qu'elle prescrit. »

Ainsi personne, ni juge d'instruction, ni procureur du roi, ni agent de la police judiciaire, ni l'honorable ministre de la justice lui-même, personne ne peut pénétrer chez moi, si ce n'est dans les cas prévus par la loi et moyennant les garanties tutélaires des formes prescrites par la loi.

Il faut donc voir, avant tout, dans quels cas on peut, en vertu de la loi, faire une perquisition au domicile d'un citoyen belge.

M. le ministre de la justice a lu des articles du code d'instruction criminelle qui, d'après lui, favorisent son système. Je dois le dire en toute sincérité, ces articles disent précisément le contraire de ce qu'il leur fait dire.

Prenons l'hypothèse ordinaire, celle où il s'agit d'un crime qui n'est pas flagrant.

Quand pourra-t-on procéder à une visite domiciliaire pour mettre la main sur des objets destinés à faire ressortir la culpabilité de l'auteur de ce crime ?

Prenons l'article 87. Que dit-il ?

« Le juge d'instruction se transportera, s'il en est requis, et pourra même se transporter d'office dans le domicile du prévenu, pour y faire la perquisition des papiers, effets et généralement de tous les objets qui seront jugés utiles à la manifestation de la vérité. »

Remarquez-le bien, messieurs, le législateur commence par dire : « Au domicile du prévenu ; » il ne se contente pas de l'existence d'un prévenu vague, indéterminé ; il suppose un prévenu connu et désigné, puisqu'il parle même de son domicile.

L'article 88, allant plus loin, prévoit le cas où l'on doit faire une visite domiciliaire ailleurs qu'au domicile du prévenu ; mais, ici encore, la loi exige l'existence d'un prévenu. Elle ne se contente pas de l'existence d'un auteur ; elle veut, encore une fois, un prévenu connu et désigné, car elle s'occupe des objets dont il est parlé à l'article précédent. Les articles 87 et 88 sont évidemment connexes. « Le juge d'instruction, dit le texte, pourra pareillement se transporter dans les autres lieux où il présumerait qu'on aurait caché les objets dont il est parlé dans l'article précédent. »

Du reste, messieurs, cette jurisprudence n'est pas nouvelle ; dans l'ancien droit, elle était déjà parfaitement admise. Je vous citerai seulement l'ouvrage de Jousse, intitulé : Traité de la justice criminelle de France, œuvre importante pour l'ancien droit français.

Je vais vous lire l'opinion de l'auteur de ce livre sur les visites domiciliaires en maisons tierces.

Voici comment Jousse s'exprime :

« Les perquisitions qui se font dans les maisons tierces ne peuvent se faire sans une ordonnance de justice qui les permette...., et les juges ne doivent donner ces sortes de permissions que dans deux cas : 1° après une information qui donne quelques preuves ou indices violents contre un accusé ; 2° en cas de flagrant délit. »

Remarquez-le bien : Jousse ne se contente pas, lui aussi, de la perpétration d'un crime ; il n'autorise pas les magistrats à passer outre aussitôt qu'il y a une prévention ouverte : il exige la présence d'un accusé. C'est absolument le système du code d'instruction criminelle.

On a cité, messieurs, de part et d'autre, des auteurs et des arrêts. Je ne suis pas de ceux qui croient qu'il convient de lutter, pour ainsi dire, à coups d'auteurs et à coups d'arrêts. Tous ceux qui ont un peu étudié le droit savent très bien qu'il n'est pas de théorie absurde en faveur de laquelle on ne puisse trouver quelques auteurs et quelques arrêts. Ce que nous devons faire, avant tout, c'est de consulter la loi, d'examiner ses motifs et de l'appliquer ensuivant les vrais principes du droit ; et c'est ce que j'ai fait. Mais, enfin, puisqu'on a parlé d'auteurs, je dois dire que j'ai été stupéfait (le mot n'est pas trop fort) d'entendre M. le ministre de la justice citer M. Faustin Hélie, alors que cet éminent jurisconsulte dit positivement le contraire.

Je ne recommencerai pas la longue lecture faite hier par M. Jacobs ; permettez-moi seulement, messieurs, de vous citer quelques phrases qui vous prouveront clairement que M. Hélie ne se réfère qu'au seul cas où il y a un prévenu désigné et connu. Voici ce qu'il dit :

« La visite domiciliaire n'est pas appliquée à la recherche des délits. Elle ne fait pas partie des investigations qui sont destinées à découvrir les faits, elle succède à ces investigations, et quand les faits sont établis et la prévention ouverte, elle vient pour en fortifier les charges... Telle est la règle générale qui résulte de tous les textes de la loi. Elle ne permet la visite que lorsqu'il y a déjà un prévenu, ce qui prouve que la visite est dirigée, non contre le délit, mais contre le prévenu ; en d'autres termes, qu'elle a pour objet, non de constater le corps de délit, mais de recueillir les preuves de la culpabilité du prévenu. »

Evidemment, messieurs, ici il n'y a pas à discuter. L'illustre jurisconsulte français exige évidemment, hors du cas de flagrant délit, l'existence d'un prévenu, et, dans ce cas seulement, on peut faire une visite domiciliaire.

M. le ministre de la justice a cité un exemple que, pour ma part, je trouve sérieux : l'exemple d'une tête découverte à Spa et dont le corps a été trouvé, quelques semaines plus tard, dans un jardin entouré de murs.

Discutons cet exemple, parce qu'il a fait une grande impression sur la Chambre.

Que ferez-vous dans ce cas ? dit l'honorable ministre de la justice. Dans votre système, vous ne pourrez faire une perquisition, puisque l'accusé n'est pas encore connu. Il en conclut que notre système est absurde.

Savez-vous, messieurs, comment on procède alors dans les parquets de France, qui ont le même code que nous ?

On commence par examiner s'il y a lieu de soupçonner l'individu dans le jardin duquel on croit que se trouve le cadavre, et, dans l'affirmative, on lance un mandat d'amener contre lui. (Interruption.)

... Messieurs, je répondrai à toutes les objections. Laissez-moi seulement le temps de m'expliquer.

On lance, dis-je, un mandat d'amener, et la prévention personnelle, requise par les articles 87 et 88, se trouve établie.

Supposons un deuxième cas.

Il n'y a aucun soupçon contre l'individu dans le jardin duquel on croit que se trouve, le cadavre d'un homme, assassiné. Que fait-on alors ?

On se rend chez lui. De deux choses l'une : ou il consent à la visite ou il s'y oppose. Vous ne sauriez imaginer une troisième hypothèse.

S'il y consent, on pénètre librement dans l'enclos, on fait la perquisition, et l'opération est parfaitement légale.

Mais, en se rendant chez lui, on s'est muni d'un mandat de comparution ou d'amener et, si l'on éprouve un refus, si des soupçons sérieux surgissent, on notifie le mandat. Il y a encore une fois prévention et la visite domiciliaire, est complètement justifiée, suivant le texte du code d'instruction criminelle. (Interruption.)

... Messieurs, les rires ne sont pas des raisons. Je sais ce que vous m'objecterez. Je n'ai pas de peine à le deviner, car nous discutons en ce moment une vieille question qui a été longuement discutée, et tout le monde connaît le pour et le contre.

Vous me répondrez que mon système est plus sévère que celui de l'honorable M. Jacobs ; que, non seulement je procède à la visite domiciliaire, mais que je mets les gens en prévention ; que, par conséquent, mon système est encore plus incompatible avec le grand principe de l'inviolabilité du domicile des citoyens belges.

Vous direz aussi qu'il y a quelque chose d'arbitraire à mettre les gens en accusation sur le refus de laisser procéder à la visite domiciliaire.

Vous me diriez ces deux choses, et je reconnais que, dans vos deux objections, il y a quelque chose de vrai ; mais je vais vous prouver qu'au point de vue constitutionnel il y a là un véritable frein pour le pouvoir judiciaire et, parlant, une garantie réelle pour les citoyens d'un pays libre.

Prenons un cas qui s'est présenté et qu'on a discuté ; supposons que, dans une commune rurale, on découvre le cadavre d'un enfant nouveau-né avec des indices tels qu'il est à peu près certain ou même évident qu'un crime d'infanticide a été commis.

Croyez-vous qu'un juge d'instruction puisse se prévaloir de ce fait pour visiter toutes les maisons de cette commune ? Croyez-vous qu'il puisse soumettre toutes les femmes de ce village à une visite corporelle ?

- Une voix à gauche. - Ce serait absurde.

M. Thonissenµ. - On l'a prétendu cependant, et il y a eu un juge d'instruction qui a ordonné cette visite en se disant : Le village renferme 150 à 200 femmes en âge d'enfanter ; il est probable que l'une de ces femmes est la coupable ... (Interruption.)

Messieurs, il y a eu un arrêt sur ce point ; je ne l'ai pas sous la main, mais je pourrais au besoin vous le communiquer.

(page 196) C'est une question sérieuse ; car, dès l'instant qu'on laisse au pouvoir judiciaire une liberté illimitée, on s'expose à trouver des juges d'instruction peu intelligents et qui abusent de leurs attributions.

Je demande donc de nouveau si, dans le cas que j'ai cité, on peut faire des visites dans toutes les maisons du village ? Vous n'avez garde de le prétendre ; il y a ici une règle à suivre, règle qui ne tient pas seulement à la prudence du juge d'instruction, mais qui résulte de la nature même des choses.

Que disent tous les jurisconsultes qui ont examiné la question ? Ils sont unanimes à soutenir qu'il faut des soupçons particulièrement dirigés contre une femme du village, et c'est seulement lorsqu'il y a prévention établie que la visite domiciliaire et la visite corporelle peuvent avoir lieu.

Où est d'ailleurs l'inconvénient sérieux de mon système ? Vous vous présentez pour faire une visite domiciliaire à la suite de soupçons sérieux, et vous mettez en prévention le propriétaire de la maison qui refuse de laisser procéder à la visite. Où est le danger ? Il n'y en a pas, tandis que, dans l'opinion contraire, il peut y avoir de grands abus ; car, je le répète, on a trouvé un juge d'instruction qui avait ordonné une visite générale.

Vous m'objectez que j'arrive à une mise en prévention là où vous faites seulement une visite domiciliaire ? Je vous réponds que l'on peut faire une visite domiciliaire beaucoup plus facilement qu'une mise en prévention ; la mise en prévention est un acte grave qui peut compromettre, à certains égards, celui qui l'ordonne ; mais une visite domiciliaire ne compromet pas le magistrat qui la prescrit.

Si l'on a vu un juge d'instruction ordonner la visite générale de toutes les maisons d'un village, on n'en a jamais vu un seul mettre en prévention tout un village. Et pourquoi pas ? D'abord, à cause de la responsabilité qui pèse sur le magistrat instructeur ; ensuite, à cause des actes qui sont la conséquence habituelle de la mise en prévention. Il y a une instruction subséquente à faire, il y a une ordonnance de la chambre du conseil à provoquer, et l'on recule, devant toutes ces formalités quand on n'a pas une quasi-certitude d'avoir découvert le coupable. La mise en prévention est ainsi un véritable frein pour les magistrats instructeurs.

Je soutiens donc que, hors le cas de flagrant délit, on ne peut faire de visites domiciliaires, en Belgique, suivant notre code d'instruction criminelle, que là où il y a un prévenu, et non pas seulement là où il y a un auteur ; car, dans le langage du droit, auteur et prévenu ne sont pas des mots synonymes.

Mais, dit encore M. le ministre de la justice, vous n'avez pas lu l'article 8 du code d'instruction criminelle, article qui porte : « La police judiciaire recherche les crimes, les délits et les contraventions, en rassemble les preuves et en livre les auteurs aux tribunaux chargés de les punir »

C'est clair, dit l'honorable ministre ; il faut rechercher le crime, et on ne dit pas comment il faut le rechercher ; on peut donc le rechercher comme on l'entend, et par tous les moyens de droit commun.

Il y a, messieurs, une réponse excessivement simple à faire ; c'est que l'article 8, quand il parle de la recherche des crimes, entend que cette recherche ait lieu suivant les règles tracées par le code d'instruction criminelle. Par conséquent, quand le code d'instruction criminelle n'autorise pas les visites domiciliaires, on ne peut pas y procéder. Or, il ne les autorise que dans le cas où il y a une prévention établie. En un mot, quand l'article parle de recherches à faire, de preuves à acquérir, il parle de recherches à faire, de preuves à acquérir suivant les règles tracées par la loi.

Ne dites donc pas que cet article 8 donne aux juges d'instruction des pouvoirs illimités ; il ne leur donne qu'un pouvoir restreint : on ne peut procéder qu'au moyen de recherches et dans les conditions que le code autorise, et je vous ai prouvé, je pense, qu'il n'autorise pas les visites domiciliaires quand il n'y a pas de prévenu.

Mais, messieurs, où arriverait-on avec le système que je combats ? L'article 268 du code d'instruction criminelle est conçu en termes beaucoup plus généraux ; il parle du pouvoir discrétionnaire du président ; il porte :

« Le président est investi d'un pouvoir discrétionnaire, en vertu duquel il pourra prendre sur lui tout ce qu'il croira utile pour découvrir la vérité ; et la loi charge son honneur et sa conscience d'employer tous ses efforts pour en favoriser la manifestation. »

Vous le voyez, messieurs, cet article est conçu en termes beaucoup plus absolus que l'article 8 : le président doit employer tous les moyens qu'il croira nécessaires pour découvrir la vérité. Eh bien, qui a jamais prétendu que le président avait, de ce chef, un pouvoir illimité, un pouvoir arbitraire ? Jamais, messieurs, on ne l'a soutenu ! On a toujours enseigné, et sur ce point il n'y a pas de discussion possible, que le président ne peut employer que les moyens autorisés par la loi, et pas d'autres.

Il en est ainsi, du reste, chaque fois que l'on parle de droits donnés à un magistrat ; ces droits supposent l'obéissance du magistrat lui-même à la loi nationale ; il ne peut jamais agir d'une manière qui ne serait pas conforme à cette loi.

Restons donc dans les vrais principes.

Il y a deux droits en présence : il y a le droit social, qui est très respectable, je le reconnais ; mais il y a aussi le droit du citoyen à l'inviolabilité de son domicile. Ce sont deux droits qu'il faut nécessairement concilier. Comment l'a-t-on fait chez nous ? La Constitution porte que le domicile est inviolable, mais elle ajoute que, par exception, dans certains cas à déterminer par la loi, on pourra cependant faire, à l'intérieur du domicile, des perquisitions judiciaires. Ces règles sont excessivement sages, et il ne faut pas les étendre. Car, messieurs, qu'est-ce en réalité qu'une visite domiciliaire ? Je vais vous le dire. Trois messieurs, un juge d'instruction, un procureur du roi et un greffier, quelquefois même encore deux gendarmes, se présentent chez moi et m'ordonnent d'ouvrir toutes mes portes et tous mes tiroirs.

Ces messieurs ouvrent mes registres ; ils fouillent dans tous mes papiers ; ils se mettent au courant de tous mes secrets ; ils lisent toutes mes lettres ; ils pénètrent jusque dans les derniers replis de ma vie intime !

N'est-ce pas là un fait grave, excessivement grave, dans un pays libre, où la Constitution proclame le grand principe de l'inviolabilité du domicile, dans un pays, remarquez-le bien, où les visites domiciliaires ont toujours été vues avec défaveur, avec répulsion, au point que. les Liégeois, dès le XIIème siècle, dès 1198, arrachèrent à leur prince-évêque, Albert de Cuyck, une charte portant qu'au pays de Liège aucune visite, domiciliaire ne pourrait se faire, sans la permission de l'habitant de la maison, même pour découvrir les brigands ou pour mettre la main sur le produit de leurs brigandages !

Permettez-moi, messieurs, de vous lire seulement deux lignes de cette vieille charte.

Ce n'est pas un beau langage. ; il est même barbare, si vous voulez, mais c'est le langage de ces vieux défenseurs de nos libertés communales, qui, en présence des hauts justiciers de leur prince, l'histoire l'atteste, s'écrièrent : « En sa maison, pauvre homme est roi ! »

Voici comment s'exprime la charte liégeoise de 1198 : « En maison qui soit au ban de Liège, ne list à mayeur ne eschevin de noisier et enquérir ne larron ne larchin, ou de faire saisies, si ce n'est par la volonté de celui qui manit en maison. »

Cependant, messieurs, je n'irai pas aussi loin que les vieux Liégeois, et je n'invoque pas non plus cette charte, remarquez-le bien, pour interpréter les articles d'un code qui nous est venu de l'étranger. Je veux seulement dire que dans un pays où, depuis des siècles, règnent de tels sentiments, il faut plutôt restreindre qu'étendre le droit de faire des visites domiciliaires.

Or, le gouvernement fait le contraire.

Il y a une question, je l'avoue, qui, en pratique, peut paraître douteuse dans le sens de la solution que je lui ai donnée. Mais je crois qu'il convient de l'interpréter dans le sens le plus conforme au texte de la Constitution, aux exigences, aux besoins et aux mœurs d'un peuple libre.

La Chambre devra choisir ; mais, pour moi, je le déclare, quand il sera question de modifier le code d'instruction criminelle, ce sera le système de. M. Jacobs que je défendrai et celui du gouvernement que je croirai devoir combattre.

MjBµ. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire à la Chambre.

Je remercie d'abord l'honorable M. Thonissen de l'hommage qu'il a rendu aux magistrats de Courtrai.

M. Thonissenµ. - Je les ai laissés entièrement de côté.

MjBµ. - La vérité finit par se faire jour.

L'honorable membre a commencé par reconnaître que. la doctrine que j'ai développée en matière de visites domiciliaires était l'expression de la pratique constante de tous les parquets du royaume.

Que deviennent dès lors les prétendus griefs des journalistes catholiques ? Quelle faute les magistrats du tribunal de Courtrai ont-ils commise en se conformant à une pratique constante ? Où est l'illégalité qu'on leur reproche ?

La conduite du juge d'instruction et du procureur du roi de Courtrai a été celle que tous les juges d'instruction et tous les procureurs du roi du pays auraient suivie dans les mêmes circonstances. C'est un fait acquis en débat. Il est établi qu'on attaque d'honorables magistrats qui ont agi comme l’eussent fait tous leurs collègue.». Voila la vente.

Je me demande, après (page 197) cela, quel cas il faut faire des imputations des journalistes catholiques ; ne sont-elles pas jugées ? (Interruption.)

L'aveu de l'honorable membre est d'autant plus précieux qu'il émane, ainsi qu'un me le fait remarquer, d'un professeur de droit criminel.

L'honorable membre s'imagine qu'il est venu en aide à son collègue, M. Jacobs, et qu'il partage la manière de voir de ce dernier. L'honorable membre se trompe ; c'est avec moi qu'il est d'accord ; seulement il ajoute à mon interprétation une rigueur dont je ne veux pas.

Qu'ai-je dit ? J'ai dit que lorsqu'un crime est commis, le juge d'instruction, en vertu de l'article 8 du code d'instruction criminelle, a le droit de rechercher les auteurs de ce crime, et que, pour arriver à le découvrir, il a à sa disposition tous les moyens indiqués par le code : interrogatoires, dépositions, saisies, visites, perquisitions. Il a tous ces moyens ; aucun ne lui est refuse, lorsqu'il y a un crime, lorsqu'il y a quelqu'un qui peut être mis en prévention. Voici où est votre erreur : Vous prétendez que l'on ne peut faire de visite domiciliaire que lorsqu'il y a un individu, ayant nom et prénoms, déjà mis en prévention. Je vous ai établi que si votre système était vrai, le code serait absurde, parce que les auteurs d'attentats criminels ne pourraient être poursuivis.

Vous prétendez que votre système est en usage à Paris ; je ne le crois pas. Consultez de Molènes, vous verrez que les actes ordinaires d'instruction se posent alors que l'auteur du crime ou du délit est inconnu.

L'honorable membre ne dit pas avec l'honorable M. Jacobs : Lorsque l'auteur n'est pas connu, on ne fera pas de visite domiciliaire. Sa thèse est différente. Lorsque l'auteur n'est pas connu, dit-il, et que l'on croira nécessaire de procéder à une perquisition, on se présentera au domicile du particulier chez qui les recherches sont nécessaires. Ce particulier revient peut-être des Indes ; il n'était pas dans le pays au moment où le crime a été commis. Peu importe, s'il répond qu'il ne veut pas que l'on opère une visite chez lui, on commencera par le mettre en prévention. Voilà le système. (Interruption.)

Mais avec de pareilles idées, il n'est pas besoin de reformer le code d'instruction criminelle. Vous allez beaucoup plus loin que moi. Je veux bien qu'on fasse des visites domiciliaires pour trouver les éléments qui mettent la justice sur la trace de l'auteur d'un crime. Mais je ne permets pas qu'on mette en prévention un citoyen sur lequel ne pèse nul soupçon, et dont l'innocence ne peut un seul instant être douteuse.

Selon l'honorable membre, au contraire, il faudrait mettre en prévention l'individu qui refuse de laisser opérer une perquisition dans son domicile. Si c'est là la réforme que l'honorable membre préconise, je ne crois pas que les libéraux le suivront. Comme il l'a dit lui-même, le code d'instruction criminelle est déjà assez sévère, et nous ne devons pas en augmenter les rigueurs, surtout contre les innocents. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Messieurs, le débat se simplifie singulièrement depuis le discours de l'honorable M. Thonissen, auquel l'honorable ministre, de la justice vient de répondre. La conduite des magistrats instructeurs dans l'affaire de Saint-Genois trouve en lui un défenseur nouveau ; la déclaration qu'il vient de faire est importante. Les magistrats instructeurs ont suivi la pratique constante des parquets, la jurisprudence adoptée par tous nos juges d'instruction.

Je me demande alors : Mais de quoi se plaint-on ? La magistrature ayant fait son devoir, la protestation tombe.

Nous assistons en ce moment à un singulier débat, si étrange, qu'on se croirait transporté non dans un parlement appelé à faire les lois et à contrôler les actes du pouvoir, mais dans le prétoire d'un tribunal correctionnel ou dans une salle de cour d'assises.

La droite, oubliant que la justice est saisie de l'affaire de Saint-Genois, pousse l'inconvenance du langage jusqu'à traduire devant vous les hommes les plus honorables, les accusant, en se basant sur des allégations que l'on peut qualifier de commérages de village, d'actes dont la justice à seule à connaître ; et c'est en l'absence de ces mêmes hommes, dont on scrute les antécédents et la moralité, qu'on a la témérité de venir dresser devant vous un véritable acte d'accusation, et, chose plus étrange encore, de faire entendre des plaidoyers on faveur de ceux que la justice recherche et poursuit.

Je n'hésite pas à dire que la droite donne un affligeant spectacle au pays en transformant cette tribune en une véritable salle d'audience. Vous n'avez pas le droit de traduire à votre banc ni les témoins, ni les accusés, dans une affaire qui est sous la main de la justice. Vous empiétez, en ce moment, sur l'action du pouvoir judiciaire ; c'est plus qu'une maladresse, c'est une faute, mais la passion politique vous entraîne et vous aveuglé. Quant à moi, tout en protestant contre cette singulière conduite, je ne vous suivrai pas sur le terrain extra-légal de vos perquisitions inquisitoriale, parce que je considère cette discussion comme un véritable danger pour les institutions de mon pays.

La Chambre n'a pas à se préoccuper du point de savoir si la poursuite, faite à l'occasion de l'affaire de Saint-Genois est fondée ou si elle ne l'est pas ; cet examen sort de ses attributions constitutionnelles et l'expose à un inextricable conflit de pouvoirs.

La Chambre doit se borner à prendre acte des points suivants :

1° Il y a eu des incendies et des dévastations de propriétés à Saint-Genois ;

2° II y a eu des articles de journaux poursuivis du chef de complicité par provocation.

Donc, poursuite pour crime.

La magistrature a-t-elle, à l'occasion de ces poursuites, outrepassé ses devoirs, violé la loi ; est-elle sortie de ses légitimes attributions ? Voilà l'objet de la protestation. C'est le seul point que vous avez à examiner et la seule chose sur laquelle vous ayez le droit et le devoir de porter vos investigations.

La magistrature investie par la loi du droit de rechercher les crimes, d'en rassembler les preuves et d'en livrer les auteurs aux tribunaux, a-t-elle pu saisir, arrêter, faire des perquisitions en vertu des lois existantes ?

Voilà le seul terrain sur lequel vous avez le droit de vous placer et que je n'ai pas abandonné un seul instant dans mon rapport. Quand on examine froidement et avec calme cette question, il n'est pas un seul membre de cette Chambre qui osât soutenir sérieusement que la magistrature soit sortie des limites de ses attributions légales et n'ait fait une juste et impartiale application de nos lois de procédure criminelle. L'honorable M. Thonissen vient de vous déclarer que les magistrats instructeurs n'ont fait que suivre les pratiques du parquet dans l'affaire de Saint-Genois. L'honorable M. Jacobs n'a pas hésité à le reconnaître également :

« Sans contredit, a-t-il dit, du moment qu'on met le Jaer 30 en cause, du moment qu'on voit dans ses articles considérés isolément, et abstraction faite de tout autre élément étranger, une provocation directe, on avait le droit, aux termes de la jurisprudence établie, de faire des perquisitions, d'opérer des saisies, de pratiquer des visites domiciliaires chez l'éditeur.

« De bons esprits, MM. Van Hoorebeke et Orts notamment, ont professé une opinion contraire, et je sais que l'honorable député de Bruxelles est encore de cet avis.

« Cependant je reconnais qu'en présence des arrêts intervenus, la magistrature peut s'abriter derrière ce rempart, et que la jurisprudence pour elle doit équivaloir à la loi ; c'est à nous de voir s'il y a lieu de la modifier ou de l'interpréter autrement.

« Mais s'il est vrai qu'on règle générale, dans ces circonstances, des perquisitions domiciliaires peuvent être faites, néanmoins, dès qu'il s'agit de la presse, il faut se montrer très sobre et très réservé. »

M. Jacobs parle d'or dans ce passage qui est la condamnation la plus écrasante de la protestation adressée à la Chambre par les journalistes catholiques.

Mais où je ne suis plus d'accord avec l'honorable M. Jacobs, c'est quand il se demande, dans ce même discours du 11 décembre, ce qu'il fallait faire à la suite de la visite domiciliaire pratiquée chez les prétendus prévenus.

« D'après la loi de 1852, il ne fallait pas nécessairement emprisonner. M. Bouvier était dans l'erreur lorsque, dans son rapport, il semblait croire qu'il fallait nécessairement que le prévenu du crime fût emprisonne ; l'article3 de la loi sur la détention préventive autorise, lorsque le fait n'est puni que des travaux forcés à temps, le juge d'instruction à laisser le prévenu en liberté, de l'avis conforme du procureur du roi. »

L'honorable M. Jacobs choisit un terrain très commode pour m'adresser un reproche qui va tourner contre lui. Vous parlez, vous, M. Jacobs, de l'instruction d'une affaire spéciale où l'on sait maintenant qu'il n'y a pas encore ordonnance de la chambre du conseil et où il n'y a lieu que d'appliquer la peine des travaux forcés à temps.

Mais, en ma qualité de rapporteur, je n'avais qu'à me préoccuper de la pétition des journalistes et, on me plaçant dans leur hypothèse, à examiner d'une manière générale les effets, quant à la liberté de la presse, d'une prévention de provocation d'incendie et des dispositions du code d'instruction criminelle, quant à la liberté de l'imprimeur.

Et ici je me permets d'ouvrir une petite parenthèse non pour vous donner une leçon de droit, je laisse ce soin à M. le ministre de la justice qui s'en acquitte fort bien ; mais pour vous dire que, d'après la législation actuelle, l'incendie étant punissable même des travaux forcés à perpétuité, la loi de 1852 que vous invoquez contre moi n'est pas même applicable dans l’espèce. L'article 151 du nouveau code pénal porte : « Lorsque le feu (page 198) aura été mis pendant la nuit, les peines portées aux articles 510, 511 et 512 seront remplacées, les travaux forcés de quinze à vingt ans, par les travaux forcés à perpétuité. »

Je maintiens, en conséquence, ce que j'ai dit dans mon rapport, qu'il y a impossibilité légale de laisser l'imprimeur en liberté provisoire, lorsqu'il s'agira de la comparution en cour d'assises.

Et en effet l'article 10 de la loi sur la détention préventive du 18 février 1852 a bien soin de maintenir ce principe : « L'inculpé, renvoyé devant la cour d'assises, sera mis en état d'accusation en vertu de l'ordonnance de prise de corps rendue par la chambre des mises en accusation, nonobstant la mise en liberté provisoire. »

Donc l'imprimeur traduit en cour d'assises comme accusé de crime ne peut être maintenu en liberté.

Dura lex, sed lex. Telle est la loi qu'il s'agit d'appliquer, non d'après son esprit, mais d'après son texte, quand celui-ci est clair et non susceptible de prêter à l'équivoque. Cette doctrine est partagée par un jurisconsulte distingué de cette Chambre, l'honorable M. Lelièvre, qui tenait, dans la séance du 8 décembre, le langage suivant :

« Ne perdons pas de vue que l'imprimeur, même alors qu'il a fait connaître le nom de l'auteur, doit, en matière de crimes commis par la voie de la presse, être renvoyé devant la cour d'assises. Dès lors il doit être mis en état de détention préventive. Cette détention, en effet, a lieu en matière criminelle, non seulement pour assurer l'exécution de l'arrêt, mais aussi pour empêcher que la poursuite ne subisse des entraves. Un accusé qui ne comparaîtrait pas devant la cour d'assises empêcherait qu'il ne fût donné suite au jugement. La cour d'assises ne pourrait statuer, et le jugement devrait être différé. Or, un pareil régime réclame la sérieuse attention du gouvernement. Il est impossible de le maintenir ; et s'il avait fixé l'attention du législateur lors du décret de 1831, on aurait certainement porté des dispositions propres à prévenir les inconvénients auxquels donnent lieu de pareilles rigueurs.

« Je pense donc que l'ordre de choses signalé par M. Bouvier exige des dispositions nouvelles, conformes à ce que réclame l'équité en semblable matière.

« Aujourd'hui on ne pourrait même accorder la mise en liberté provisoire à l'imprimeur renvoyé devant la cour d'assises, parce que rien ne garantirait sa présence au jugement, présence indispensable pour statuer contradictoirement, même vis-à-vis de l'auteur de l'écrit. Il existe donc dans la législation une lacune regrettable qu'il faut s'empresser de faire disparaître. »

Oui, il existe dans notre législation, comme mon rapport le constate, une lacune regrettable, d'autant plus déplorable, que l'article 10 de la loi de 1852 a la portée suivante : quelles qu'aient été les facilités accordées, par dérogation au code d'instruction criminelle, à la mise en liberté provisoire, cette liberté cesse quand arrive le jour de la comparution en cour d'assises. Alors il faut de toute nécessité, ou bien procéder par contumace ou bien comparution en état d'arrestation des accusés pour crime. Nous avons rencontré la seule objection sortie de la bouche de M. Jacobs, qui ait été faite contre mon rapport. J'attends les autres pour y répondre.

Je maintiens en conséquence ces conclusions, qui sont à l'ordre du jour, et je ne puis me rallier à la proposition dont nous a parlé hier M. Jacobs, de renvoyer la pétition des journalistes à la section centrale chargée d'examiner la proposition signée Coomans, Debaets et autres membres de cette Chambre, parce que je considérerais cette proposition comme une échappatoire, un véritable piège tendu aux journalistes.

En effet que porte l'article 2 de cette proposition, déjà invoquée, par l'honorable ministre de la justice ?

En voici le texte :

« Sauf le cas où le fait est qualifié crime, aucune visite domiciliaire tendant à découvrir l'auteur d'un écrit incriminé, ne peut être pratiquée. »

En voulez-vous connaître les motifs, l'auteur de la proposition, M. Delaet, va vous les fournir :

« Que l'on réserve, si on le veut, les rigueurs des lois et les moyens de police judiciaire, aux cas où les délits de la presse entraîneraient des peines criminelles ou même la peine de mort, il en existe des cas (voir l'article premier du décret du 20 juillet 1831) ; mais pour les cas où il y a lieu à l'application d'une simple amende ou d'un emprisonnement, la société n'est-elle pas satisfaite si l'auteur apparent du délit peut en répondre ? La Constitution, ne voulant pas entraver la presse, se contente d'une fiction, d'une présomption de culpabilité ; pourquoi la loi serait-elle plus exigeante. »

D'après le texte du projet et les développements que vous venez d'entendre, la proposition Coomans-Debaets, si elle était adoptée, n'apporterait aucun changement dans la législation actuelle. Les magistrats instructeurs conserveraient les mêmes droits que ceux dont ils ont cru, dans la liberté de leur conscience, faire usage à l'occasion de l'affaire de Saint-Genois où il s'agit de crime, de crime d'incendie puni des travaux forcés à temps ou des travaux forcés à perpétuité selon les circonstances. Si vous voulez venir sérieusement en aide à la presse, si vous voulez qu'une restriction de droits soit apportée à l'instruction judiciaire, proposez, avec vos amis de la droite, un nouveau code de la presse consacrant des principes larges et moins attentatoires à la dignité de ceux qui s'en servent.

Dans cette occurrence, nous vous donnerons la main ; mais ne demandez pas, pour vous tirer d'un mauvais pas, que la Chambre renvoie la pétition des journalistes à la section centrale chargée depuis le 2 mars 1864, c'est-à-dire depuis bientôt cinq ans, d'examiner la proposition Coomans-Debaets, car en le faisant, au lieu de venir sérieusement en aide aux journalistes, vous les envoyez aux calendes grecques.

Avant de m'asseoir, je ne puis que répéter ce que j'ai dit au commencement de mon discours : c'est qu'il est triste et désolant de voir la droite n'avoir des paroles de blâme que pour la magistrature qui a fait son devoir dans l'affaire de la commune de Saint-Genois et que ses sympathies les plus vives et ses plaidoyers les plus chaleureux sont pour ceux qui y ont semé le trouble, l'irritation et le crime. Quant à nous, nous appuyant sur les lois éternelles de la morale et de la justice, qui doivent toujours planer sur nos débats, nous flétrissons, du haut de la tribune nationale, tous ceux qui, de près ou de loin, se sont rendus auteurs ou complices des scènes sauvages dont Saint-Genois a été le témoin.

M. Thonissenµ. - Messieurs, je ne veux pas rouvrir un débat que je regarde comme épuisé, ou du moins comme suffisamment éclairer. Mais je dois protester contre l'interprétation que l'honorable M. Bara a donnée à mes paroles ; il m'a fait dire précisément le contraire de ce que j'ai dit. Il m'a accusé d'avoir émis l'opinion que, dans tous les cas où l'on me refuserait, à moi juge d'instruction, la faculté de faire une perquisition domiciliaire, je mettrais immédiatement les habitants de la maison en prévention.

J'ai dit, au contraire, que, s'il y a refus et si, en même temps, quelques indices, quelques soupçons graves venaient s'y joindre, on pouvait mettre les opposants en prévention.

Je l'ai si bien dit, que j'ai même ajouté qu'il y avait là un véritable frein, attendu qu'on n'oserait pas toujours mettre en prévention, tandis que l'on ose toujours faire des perquisitions domiciliaires.

J'en appelle à tous mes collègues assis près de moi : N'est-ce pas ainsi que j'ai parlé ? (Oui ! oui ! à droite.)

Ma pensée est donc celle-ci :

Un crime a été commis, on sait qu'il y a un cadavre quelque part ; il va des soupçons contre une personne qui habite telle maison. On se présente chez elle ; on lui demande l'autorisation de faire une visite domiciliaire, et on lui déclare .que tel soupçon pèse sur elle. Supposons même que cette personne arrive d'Italie, comme le disait l'honorable ministre de la justice, que répondra-t-elle ? Evidemment elle dira : « J'ignore ce fait. Venez voir ! »

MjBµ. - Et si elle ne veut pas ?

M. Thonissenµ. - Il est évident que si cette personne est innocente, elle tiendra le langage que je lui attribue. Il n'y a pas un homme doué de bon sens qui s'oppose à l'action de la justice, alors que les magistrats se présentent chez lui en observant les formes prescrites et avec convenance.

Mais qu'arrivera-t-il si le crime n'est pas flagrant et que l'habitant de la maison s'oppose à la visite ? On examinera alors si son refus est de nature à faire surgir des soupçons plus ou moins sérieux et, s'il en est ainsi, on le mettra en prévention et on fera la visite domiciliaire malgré lui.

C'est là, messieurs, une nuance que je vous prie de bien saisir.

MjBµ. - Et s'il n'y a pas d'indices ?

M. Thonissenµ. - Vous ne pourrez pas faire de visite. Je vous concède qu'il se peut que l'action publique en souffre, mais vous ne voyez jamais qu'un seul côté de la question.

Vous ne voyez jamais que l'intérêt du pouvoir, vous ne voyez pas l'intérêt des citoyens. N'oubliez donc pas que, s'il y a un intérêt majeur à ce que la justice puisse se saisir des coupables, il faut, d'autre part, prendre bien garde de ne pas laisser commettre des abus.

S'il y a des juges qui redoutent de recourir à des mesures extrêmes, il en est d'autres qui ne les redoutent pas. Rappelez-vous que nous sommes dans un pays libre, où, en principe, le domicile est inviolable !

Il y a un argument auquel vous n'avez pas répondu ; nous discutons depuis plusieurs jours sur la question et vous n'avez pas encore abordé l'argument principal. La règle, c'est que le domicile est inviolable ; c'est que nul ne peut venir chez moi malgré moi, en dehors des cas prévus par la loi ; la règle, c'est la consécration de nos anciennes traditions nationales. (page 199) Car, messieurs, si je vous ai cité la charte de Liège, j'aurais pu vous citer encore celles du Hainaut et de la Flandre.

Partout, dans nos annales, on trouve des restrictions au droit de visite domiciliaire, et de nombreuses garanties pour les citoyens. Mais, je le répète, vous ne voyez que le pouvoir, vous ne vous occupez pas des citoyens.

Mon domicile et ma vie intime sont sacrés aux yeux de la loi, et c'est un fait on ne peut plus grave que de voir les magistrats venir chez moi, ouvrir mes tiroirs, lire mes lettres ; en un mot, pénétrer dans les détails les plus intimes de ma vie.

Quel est donc le système que je présente ? J'ai déclaré qu'il peut y avoir, non pas en droit, mais en pratique, des doutes sur la portée de la loi ; qu'il peut y avoir des magistrats qui ne comprennent pas la loi comme moi. Or, quand il y a deux systèmes en présence, le devoir d'un ministre belge est de dire à ses agents de restreindre leurs attributions plutôt que de les étendre.

M. le ministre de la justice nous dit que la pétition dos journalistes a été perdue de vue. Le fait est que je n'ai pas abordé l'examen de cette pétition ; mais puisqu'on on parle, je dirai que les visites domiciliaires présentent surtout des inconvénients en matière de presse ; j'ajouterai qu'il y a eu de véritables abus en cette matière. Je citerai un fait qui s'est passé a Louvain.

Un journal avait publié contre le bourgmestre un article outrageant. Le juge d'instruction, la veille d'une élection pour la Chambre, si ma mémoire est fidèle, ordonna une visite domiciliaire au bureau du journal, centre du mouvement électoral de l'arrondissement ; il délégua son droit au commissaire de police de la ville de Louvain, et celui-ci, à son tour, subdélégua ce droit à deux agents de police, qui, la veille de l'élection, se présentèrent pour faire une perquisition au domicile du journaliste. Répondez-moi qu'ils en avaient le droit, soit ; on l'a jugé ainsi, puisqu'il y a eu un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles ; mais autre chose est l'exercice du droit et l'abus du droit. Quand même le droit de faire une visite domiciliaire est évident, on doit encore y procéder avec la plus grande prudence. Aussi, dans le cas actuel, je demanderai pourquoi on a fait une perquisition au domicile de M. Vandenberghe, l'éditeur du journal Het Jaer 30.

M. Dumortierµ. - Il faut toute la gravité de la question qui nous occupe pour que je prenne la parole aujourd'hui. Vous l'entendez, ma voix pourra a peine arriver jusqu'à beaucoup d'entre vous. Mais quand beaucoup de nos libertés sont en cause, quand les libertés les plus chères que nous avons proclamées en 1830 se trouvent aujourd'hui compromises, qu'on dénie les droits des citoyens, pour créer des droits prétendus d'absolutisme en faveur de certains membres de l'ordre judiciaire, mon devoir est de protester par ma parole contre ce que je regarde comme une théorie désastreuse pour le pays.

Je réclame donc, messieurs, toute votre indulgence, car, connaissant beaucoup de faits relatifs à l'affaire de Saint-Genois, j'aurai à parler assez longuement : j'aurai à vous parler de tout ce qui s'est passé, j'espère donc que mes forces ne m'abandonneront pas et que je pourrai accomplir ma tâche jusqu'au bout.

Messieurs, quelle est l'origine de ce qu'on est convenu d'appeler l'affaire de Saint-Genois ? L'origine en est dans un fait unique : la prétention incroyable du gouvernement de vouloir supprimer les cimetières catholiques, de vouloir refuser aux catholiques ce qu'il accorde aux protestants et aux israélites, le droit d'avoir leurs cimetières propres.

Voilà, messieurs, l'origine de toute l'affaire. Si on avait dit à la fabrique de Saint-Genois : « Votre cimetière est insuffisant : faites en un autre », je crois que nous n'aurions pas eu ces événements si regrettables et toute la discussion qui nous occupe.

Mais il existe chez le gouvernement un système inique. Quand on ne peut pas s'emparer des cimetières catholiques, qui par suite des arrêts de la cour de cassation appartiennent aux fabriques d'église, on veut les en déposséder d'une manière très adroite. Que fait-on ?

Chaque fois qu'il s'agira de reconstruire une église, on annulera le cimetière catholique ; on créera, à côté, un cimetière commun, un cimetière qu'on appelle cimetière solidaire, et par ce moyen, peu à peu, petit à petit, on finira par avoir supprimé tous les cimetières catholiques de la Belgique. Voilà le système gouvernemental et voilà ce qui a amené les événements dont nous nous occupons.

Maintenant que s'est-il passé à Saint-Genois ? D'abord, une première période purement administrative, sur laquelle l'honorable ministre de la justice s'est beaucoup étendu et qui est complètement étrangère à la pétition qui nous a été adressée. Mais il le fallait, messieurs, car c'est le vieux système, il fallait créer ici une question cléricale pour passionner les esprits ; il fallait créer cette question pour faire disparaître ce que je me permets d'appeler les sévices de certains magistrats de l'ordre judiciaire,

Il fallait faire naître cette question afin de détourner l'attention des violations commises à l'égard de la liberté de la presse, des emprisonnements arbitraires, des détentions préventives et de tout ce cortège de persécutions que je montrerai bientôt à vos yeux. C'est pour cela qu'on est arrivé avec la question cléricale afin de vous fasciner les yeux et de détourner l'attention de l'affaire de Saint-Genois.

Je ne m'occuperai pas de ce côté de la question, qui n'est pas en cause.

J'entrerai simplement dans l'examen des faits criminels et de l'instruction judiciaire.

Sous quel aspect, messieurs, l'affaire de Saint-Genois se présente-t-elle ? Je la vois qui commence par des bris de clôture et qui finit par des incendies.

D'abord, c'est l'autorité communale qui viole le droit de propriété de la fabrique et qui, de son autorité privée, fait abattre les clôtures du cimetière et du presbytère. Là, ni M. le ministre de la justice, ni les membres de l'ordre judiciaire ne trouvent mot à dire pour réprimer de tels abus. Et pourtant ouvrez le code et vous verrez que le bris de clôture se trouve dans le même titre que l'incendie ; l'un est puni différemment de l'autre, mais tous les deux se trouvent dans le même titre du code pénal. Ainsi les premiers actes de l'affaire de Saint-Genois, sont les actes de l'autorité communale qui violent le droit de propriété, les bris de clôture du cimetière, les bris de clôture du presbytère.

Or, qu'arrive-t-il ?

Quand les attentats à la propriété ne sont pas réprimés, d'autres attentats à la propriété ont lieu le lendemain.

Et cela, messieurs, est la conséquence de ce que les premiers de ces attentats n'ont pas été réprimés.

Appelez ces délits comme vous voudrez, appelez-les des bris de clôtures, de presbytères, de cimetières, je dis qu'un crime impuni appelle d'autres crimes à sa suite.

Maintenant, l'affaire de Saint-Genois relative aux incendies commence, dit-on, par un sermon du vicaire Van Eecke. Il parle, dans ce sermon, de Sodome et de Gomorrhe peu importe en quels termes. Ce que je sais bien, c'est que ceux qui vont au sermon ont entendu parler cent fois de Sodome et de Gomorrhe.

Tout cela n'a pas fait naître d'incendies. Remarquons toutefois que quelques jours après les incendies, la presse ministérielle disait : C'est le clergé qui a fait les incendies ; tout le. clergé est incendiaire. On avait trouvé un thème contre le clergé et c'est ce qu'il fallait pour réveiller les mauvaises passions assoupies.

Messieurs, j'admets volontiers avec M. le ministre .de la justice que ces incendies de Saint-Genois sont le fait du fanatisme. Mais, remarquez-le bien : à Saint-Genois, il y avait deux fanatismes en présence : le fanatisme qui avait fait les bris de clôture et le fanatisme religieux.

Or, pourquoi attribuez-vous ces faits à l'un de ces fanatismes plutôt qu'à l'autre ? Voilà d'abord la première question que je pose.

Deux fanatismes sont en présence. L'un des deux avait débuté par la violation de la loi et n'avait pas été réprimé. Pourquoi l'instruction judiciaire a-t-elle été dirigée comme elle l'a été, si ce n'est pour servir des passions politiques ?

Ici, messieurs, j'en viens à toucher la question de l'instruction judiciaire, et je vous demanderai la permission de vous exposer mes principes à cet égard, au point de vue du juge d'instruction et du pouvoir judiciaire.

Le Congrès, en élevant l'ordre judiciaire au rang de pouvoir, a dit que le pouvoir judiciaire était exercé par les tribunaux.

Maintenant, je maintiens pour mon compte qu'en vertu de la séparation des pouvoirs, tout en ayant le droit de discuter les arrêts, droit que chacun possède, nous devons toujours nous incliner devant la chose jugée, sauf dans un seul cas, c'est quand la chose jugée est un empiétement sur notre prérogative ; c'est ce qui s'est présenté dans l'affaire des Toelagen, où la Chambre a refusé de voter les sommes arbitrées par les tribunaux, par le motif que les jugements portés étaient une véritable atteinte à sa prérogative. En agissant ainsi, nous ne portons pas atteinte à cette chose jugée, nous ne portons pas atteinte à la prérogative du pouvoir judiciaire ; nous ne faisons, comme le disait M. Delfosse, que faire respecter notre propre prérogative.

(erratum, page 216) Et certes, si le pouvoir judiciaire a le droit de déclarer sa compétence dans une matière qui est de notre compétence, sa déclaration de compétence n'annule pas les déclarations de compétence de la Chambre, n'annule pas la compétence des pouvoirs qui ont en main l'exercice réel de la surveillance des agents attachés aux tribunaux.

Hors ce cas, qui est un cas de pure défense, on doit attribuer la force à la chose jugée. Mais autre chose est la chose jugée, c'est-à-dire un arrêt (page 200) qui a passé par tous les degrés de juridiction, autre chose la police judiciaire.

De ce que nous devons nous incliner devant la chose jugée, faut-il en conclure que n'avons pas le droit de contrôler les actes des juges d'instruction lorsqu'ils violent les libertés publiques ? De ce que la magistrature est indépendante dans ses arrêts, faut-il en conclure, avec M. le ministre de la justice, que le juge d'instruction est indépendant, qu'il agit dans sa liberté de conscience et n'est responsable ni devant le gouvernement, ni devant les Chambres ? Cette théorie n'est pas soutenable. Autre chose est la magistrature rendant ses arrêts, autre chose est l'instruction des affaires criminelles, l'instruction des délits et des crimes.

Messieurs, les jeunes gens qui arrivent, presque encore imberbes, à la magistrature s'imaginent très facilement qu'ils constituent, eux, le pouvoir judiciaire. Eh bien, c'est là une erreur qui, réellement, n'aurait le mérite que d'être ridicule si elle n'était pas si répandue. Un juge ne constitue pas plus le pouvoir judiciaire qu'un député ne constitue le pouvoir législatif ; c'est un membre de l'ordre judiciaire, et lorsque nous attaquons ce membre de l'ordre judiciaire, bien entendu dans l'instruction, nous ne faisons pas ce que dit l'honorable M. Bara, nous ne portons pas outrage à la magistrature ; nous faisons bien plutôt respecter la magistrature contre les écarts d'un de ses membres. Car, dans de pareils écarts, savez-vous ceux qui gémissent ? Ce sont les véritables et honnêtes magistrats qui déplorent ces abus de pouvoir de quelques jeunes gens qui entrent dans l'ordre judiciaire.

Voilà les hommes qui les déplorent le plus ; c'est cette magistrature honorable et honnête, qui a toujours fait la gloire de la Belgique et qu'on tend malheureusement aujourd'hui à transformer. Cette glorieuse et honnête magistrature est, je le répète, la première à se plaindre des abus de pouvoir. Ce n'est pas elle qui se plaindra de ce que, dans cette Chambre, on rappelle aux convenances, on blâme la conduite d'un jeune officier du parquet, d'un jeune officier d'instruction qui aura manqué à ses devoirs, qui aura porté atteinte au droit des citoyens.

Qu'est-ce d'ailleurs que le juge d'instruction ? Messieurs, le juge d'instruction est un fonctionnaire qui, si vous voulez bien me permettre de m'exprimer ainsi, a deux natures distinctes, il y a chez lui le juge ; il y a chez lui l'instructeur, l'officier de police judiciaire.

Comme juge, quand il siège avec ses pairs, qu'il rend un jugement, si ce jugement arrive à la puissance de la force jugée, nous lui devons un entier respect. Mais en est-il de même lorsqu'il est simplement juge d'instruction ? Il suffit d'ouvrir le code d'instruction criminelle. Que porte l'article 9 ? J'appelle, messieurs, sur cet article votre sérieuse attention, car il tranche réellement toute la difficulté.

« La police judiciaire sera exercée, sous l'autorité des cours royales et suivant les distinctions qui vont être établies, par les gardes champêtres et les gardes forestiers, par les commissaires de police, par les maires et adjoints des maires, par les procureurs du roi et leurs substituts, par les juges de paix, par les officiers de gendarmerie, par les commissaires généraux de police et par les juges d'instruction. »

Ainsi, aux termes du code d'instruction criminelle, qu'est le juge d'instruction dans l'instruction ? Un officier de police judiciaire. Et, veuillez-le remarquer, l'officier de police judiciaire est responsable de sa gestion vis-à-vis du procureur général.

Le code d'instruction criminelle est formel à cet égard. Il dit :

« Art. 37. Les juges d'instruction seront, quant aux fonctions de police judiciaire, sous la surveillance des procureurs généraux. »

Ainsi, messieurs, voilà, de par la loi, les juges d'instruction, officiers de la police judiciaire, placés sous la surveillance du procureur général, lequel est placé sous la surveillance du ministre, et vous direz que le ministre, qui est responsable devant vous, que le procureur général qui est responsable devant vous, n'engendrent pas une responsabilité analogue chez le juge d'instruction ! Le juge d'instruction, en tant qu'officier de la police judiciaire, est responsable devant le parlement, comme ceux sous la surveillance de qui il est placé, et c'est un grand bonheur, car quand le juge d'instruction est investi du pouvoir arbitraire qu'on a exposé devant vous, que deviendrait la société si ce fonctionnaire, investi d'une autorité aussi absolue, aussi menaçante, n'encourait aucune responsabilité ?

Ainsi un homme, parce qu'il est revêtu de la toge, aurait le droit de substituer à la loi ses passions et ses vengeances, de s'introduire dans toutes les maisons, de pénétrer tous les secrets de famille, de mettre en question la fortune des citoyens, l'honneur des citoyens et la vie des citoyens. Cet homme, à cause qu'il est revêtu de la toge, ne serait pas responsable ! Et vous prétendez qu'un pareil système peut exister dans un pays libre comme la Belgique ! Si cela était possible, la Belgique ne serait plus un pays de liberté, ce serait le pays du plus affreux despotisme,

Je laisse de côté le point de savoir jusqu'à quel degré sont fondés ou ne sont pas fondés les droits qu'on attribue au juge d'instruction, mais je dis que le juge d'instruction, en tant qu'officier de police judiciaire, entre dans la catégorie des agents responsables devant cette Chambre et que, s'il se permet des actes arbitraires, la Chambre a le droit de le blâmer comme le dernier employé de l'Etat. Comment ! un juge d'instruction, en vertu de l'irresponsabilité que le ministre lui attribue, viendra demain lancer un mandat d'arrestation contre un membre du parlement, il le traduira à sa barre, le fera mettre en prison par la gendarmerie, et vous, membres de la Chambre des représentants, qui savez que de pareils faits sont incompatibles avec la Constitution, vous n'aurez rien à dire !

Je dis que c'est amoindrir, avilir votre rôle. Je dis que quand le juge d'instruction, agissant comme officier de police judiciaire, commet des actes arbitraires, il est responsable devant la Chambre. Le mandat qu'il reçoit, il le reçoit du gouvernement, il doit rendre compte au procureur général, qui est responsable devant le ministre de la justice, et le juge d'instruction ne serait pas responsable devant le parlement, devant lequel les procureurs généraux et les ministres sont responsables ! Cela n'est pas possible.

Messieurs, j'ai établi la distinction entre les deux natures du juge d'instruction ; j'ai démontré qu'autant nous devons de respect à la magistrature, autant il est de notre droit et j'ajouterai de notre devoir de faire respecter les principes constitutionnels si un juge d'instruction, agissant comme officier de police judiciaire, s'en écarte, si un procureur du roi s'en écarte.

Je dis que c'est là la seule sauvegarde de la liberté en Belgique contre les abus du pouvoir, car remarquez-le bien, s'il en était autrement, un ministre échapperait à toute responsabilité en faisant commettre par ses agents les actes qu'il n'oserait pas commettre lui-même. C'est pour cela que la Constitution a voulu que tous les agents du pouvoir fussent responsables comme les ministres eux-mêmes.

Maintenant, messieurs, que j'ai exposé la véritable doctrine de responsabilité et distingué l'officier de police judiciaire d'avec le pouvoir judiciaire lui-même, examinons les faits criminels qui ont eu lieu à Saint-Genois.

D'abord ces faits commencent, comme je l'ai dit, par des bris de clôtures et ils finissent par l'incendie. Le bris de clôture n'a pas été poursuivi, cette violation de la loi n'a pas été poursuivie, pourquoi ? Parce qu'elle émanait des agents du pouvoir.

Certes, si un citoyen en soutane, si un curé, si un vicaire s'était permis des bris de clôture des propriétés de la commune, c'est alors que vous jetteriez de grands cris, des cris féroces, c'est alors que vous auriez à lui jeter de la boue, et vous auriez raison.

Est-ce que par hasard le bris de clôture est plus toléré entre les mains de vos agents qu'entre les mains des agents du curé ? Est-ce qu'il y a deux lois en Belgique ?

Voilà comment les faits commencent ; bientôt viennent les incendies.

Il y a eu, messieurs, à Saint-Genois six incendies, qui ont consumé huit meules de fourrages et de céréales.

M. le ministre de la justice a dit que nous ne parlions pas des incendies. Je veux, moi, en parler. Je veux faire disparaître cette exagération extrême qui règne dans la presse, qui règne dans ce débat, sur les incendies de Saint-Genois.

Je ne viens pas les absoudre, oh ! non, mais je veux les réduire à leur juste valeur et faire disparaître toute cette fantasmagorie pour que le pays sache enfin ce que c'est que les incendies de Saint-Genois.

A voir tout le bruit qui s'est fait, vous croyez sans doute, messieurs, que tout le village de Saint-Genois a été incendié, que des fermes, que des métairies ont été brûlées, que des bestiaux sont morts dans les flammes, que des hommes, des femmes, des enfants ont eu à en souffrir.

Toute l'histoire des incendies, messieurs, consiste en huit meules de récoltes, valant ensemble un peu plus de 3,000 fr.

Voici les faits ; je ne veux pas les atténuer, mais seulement les exposer tels qu'ils sont.

On a d'abord incendié, dans la nuit du 11 au 12 juillet, chez Glorieux, ancien bourgmestre, une meule de paille, et une meule de colza chez Vanderghinst. C'est le premier incendie.

Le 3 août, à 6 heures du matin, incendie de 600 gerbes d'avoine, chez Emile Seynave.

Le troisième incendie a eu lieu, le 10 août, chez Samain, c'était une meule de colza.

Le quatrième, le 17 août, une meule de foin (un marché de foin) chez Vanden Driesche, garde-chasse de Vanderghinst.

Le cinquième, le 21 août, chez la veuve Everaerts, une meule de paille d'avoine située à 300 pas de la ferme.

(page 201) Enfin, le sixième, le 22 août, chez Louis Seynave, une meule de froment et une de paille.

Ce qui fait six incendies et huit meules incendiées.

Je ne prétends pas vous indiquer centime par centime la valeur de toutes ces moules, car, quand une meule a été incendiée, on ne peut en compter les gerbes.

Mais, d'après les renseignements qui me sont parvenus, les meules de paille valaient environ 200 fr., la meule de foin (qui est un marché de foin), 75 fr. ; les meules de colza, chacune 700 fr. ; les 600 gerbes d'avoine, 100 fr. ; la meule de paille d'avoine, 150 fr., et, enfin, la meule de froment, environ 1,000 fr.

Tout cela doit faire une somme d'environ 3,000 fr. ; mettez 4,000 fr. si vous voulez.

Voilà tous les incendies de Saint-Genois dont on a fait tant de bruit.

Je ne viens pas dire, comme l'honorable ministre de la justice : Il n'y a pas eu assez d'incendies. C'est peut-être sa manière de voir, ce n'est pas la mienne. Je me borne à dire à l’assemblée et au pays ce qu'ont été en réalité les incendies de Saint-Genois.

J'ajoute que toutes ces meules, excepté la meule de foin, étaient assurées et ont été payées par les compagnies d'assurances.

J'expose des faits. Voyez donc ces odieux incendiaires qui vont chez leurs ennemis incendier des objets assurés, c'est-à-dire qui évitent avec le plus grand soin de leur porter le plus petit préjudice ! Ils incendient des meules à 200 ou 300 pas des fermes ; voilà les faits. Je les expose comme ils sont.

Une seule meule de colza paraît ne pas avoir été payée, c'est celle de Samain ; elle était assurée depuis huit jours seulement et la police d'assurance n'est arrivée que deux jours après l'incendie. J'affirme que, sauf la meule de foin, toutes les meules qui ont été incendiées étaient assurées et que toutes, sauf peut-être celle de Samain, ont été remboursées. Ainsi dans les incendies de Saint-Genois il n'y a qu'une seule victime, c'est la société d'assurances. (Interruption.)

Voilà les faits : ce n'est pas à dire, messieurs, que je prenne fait et cause pour les criminels ; non, il faut les punir ; mais ne tombons pas dans les exagérations, ne représentons pas notre pays comme un pays d'incendiaires. (Interruption.) Oh ! messieurs, cette affaire de Saint-Genois a eu du retentissement et dans l'intérêt de la dignité nationale, je crois de mon devoir de la réduire à sa juste valeur.

Une seule meule n'était pas assurée, c'était une meule de foin ; et cette meule, comment a-t-elle été incendiée ? Le notaire Opsomer était allé faire une opération de son office dans les environs de Mouscron ; il devait rentrer le soir ; or, à peine était-il passé, qu'on a incendié la meule ; heureusement un citoyen nommé Jean Marcou avait vu l'incendiaire ; lui et d'autres passants ont pu constater que M. le notaire Opsomer n'était pas l'auteur de l'incendie. Mais on avait voulu le faire passer pour lui en tendant ce piège infâme à l'un des plus honorables citoyens.

M. Coomansµ. - C'est très grave cela.

M. Dumortierµ. - M. le ministre, de la justice a parlé d'une tentative d'incendie chez Delbecque ; cette tentative n'a jamais existé.

Voici ce qui a eu lieu : un soir, un nommé Buysens voit un homme se diriger vers une meule ; il le suit, et l'homme disparaît ; Buysens, sans avoir rien vu d'incendiaire dans cette affaire, a dit que cet homme avait une allure étrange ; mais tous les jours on voit des gens aux allures étranges et qui ne sont pas dos incendiaires. Voilà, messieurs, sur quoi repose la prétendue tentative d'incendie commise chez Delbecque. Il fallait rendre cet homme intéressant en lui procurant une tentative d'incendie qui n'a jamais existé. D'ailleurs je reviendrai plus tard à ce fait. On pourra démentir ces faits comme on dément tout, mais je viens en garantir l'authenticité.

Je dis à la Chambre que si elle veut ordonner une enquête, je prends l'engagement, vis-à-vis d'elle, de prouver, un par un, tous les faits que j'ai avancés.

Un autre fait vient ensuite se présenter. Ce sont dos dévastations de récoltes, des dévastations d'arbres dans le cimetière communal, c'est-à-dire le même fait qui s'était présenté au cimetière de la fabrique d'église.

Mais, messieurs, je ne m'occuperai guère de ces faits, je resterai dans l'affaire essentielle ; dans l'affaire de l'incendie dont la Chambre s'est occupée. J'arrive de cette façon à l'instruction.

Je dois le dire d'abord ; je regrette que l'honorable ministre de la justice ait donné ici des démentis aux faits vrais avancés par mon honorable ami M. Reynaert.

M. le ministre de la justice a dit que l'instruction s'était d'abord transportée à l'hôtel de ville, que de l'hôtel de ville, les magistrats s'étaient rendus chez Delbecque ; qu'ils n'y étaient restés que quelques jours et qu'ils s’étaient installés définitivement à la gendarmerie pour y continuer leurs séances.

Eh bien, M. le ministre de la justice n'a pas été bien renseigné, ou bien il oublie ; les magistrats sont descendus chez Delbecque et n'y sont restés que peu de jours parce que la population refusait de se rendre chez cet échevin ; mais de là, ils sont allés tenir leurs opérations chez Devos, son alter ego, et y sont restés très longtemps, pendant plus d'un mois. C'était donc chez un fanatique que la justice s'installait.

Quel était le véritable directeur de l'enquête ? Mais, messieurs, c'était Delbecque qui dirigeait l'instruction ; c'était lui qui inspirait aux magistrats toutes leurs démarches, c'était lui qui disait tout ce qu'on devait faire et les premiers actes de l'instruction ont été de frapper tous les adversaires politiques de cet homme.

Mais il fallait rendre le clergé responsable des affaires de Saint-Genois. On va donc faire des visites chez M. le curé, chez les deux vicaires, puis au couvent, où l'on questionne les jeunes filles ; en un mot, c'est le clergé qui est le premier prévenu d'être coupable ou fauteur des incendies.

Eh bien, je le demande, est-il un homme sensé, un homme sérieux qui puisse admettre une pareille suspicion et n'est-il pas évident pour tous que l'esprit de parti, porté à sa dernière puissance, a été l'instrument de ces visites, qu'il y a eu violation calculée du domicile établis d'autorité ?

Comment et de quel droit les juges d'instruction vont-ils ainsi s'introduire dans la maison de personnes qui n'ont rien à faire avec l'instruction ?

Mais, si ce droit existe, s'il n'y a point là d'abus de pouvoir, je demande que devient la liberté ?

Messieurs, encore une fois, si ce droit, existe, je le demande, que deviennent les libertés constitutionnelles, que deviennent les libertés publiques ?

Mais pas un d'entre vous n'est certain de ne pas trouver sa maison bouleversée en rentrant chez lui, de ne pas trouver ses secrets de famille livrés en pâture aux officiers de police judiciaire, tout ce qui concerne son existence livré à un membre du parquet et à un juge d'instruction.

Je suppose même qu'un juge ait le droit d'agir ainsi ; eh bien, à côté de ce droit, arrivera peut-être l'abus d'autorité.

Et c'est cet abus d'autorité que la Chambre a le droit de réprimer ; car si elle ne le faisait pas, cet abus d'autorité deviendrait bientôt l'état permanent du pays. Eh bien, quelqu'un oserait-il ici, la main sur la conscience, justifier pareille décision ?

Tout est violé, tout est bouleversé, tout est mis sens dessus dessous, pour satisfaire la curiosité ou les passions du juge d'instruction ou du procureur du roi.

On s'élève contre le clergé, pour le rendre odieux aux populations, et afin de rendre plus profondes encore ces divisions si malheureuses et si funestes dans un pays.

M. le ministre de la justice a nié les faits qui se sont passés.

Messieurs, j'ai reçu ce matin une lettre du curé et du vicaire de Saint-Genois.

Ils protestent, dans les termes les plus énergiques, contre la dénégation du ministre.

Je vous demande la permission, messieurs, de vous donner lecture de cette lettre, afin de voir s'il est permis à un juge d'instruction de se porter à de pareils abus d'autorité.

« Saint-Genois, ce 14 décembre 1868.

« Monsieur le député,

« Dans la séance du 12 de ce mois, M. le ministre de la justice a démenti les faits avancés par l'honorable M. Reynaert, au sujet des perquisitions domiciliaires, des saisies et interrogatoires qui ont été pratiqués dans notre domicile à la date du 11 août dernier par le parquet de Courtrai.

« Nous avons été surpris de ces audacieuses dénégations ; car tous les faits racontés par M. Reynaert, sont de la plus rigoureuse exactitude.

« De plus, nous disons que la conduite de M. le procureur du roi, Maertens, dans ces perquisitions, a laissé beaucoup à désirer sons le rapport des convenances, tandis que M. le juge d'instruction De Blauwe a toujours été d'une parfaite honnêteté.

« M. le ministre a dit :

« 1° Quant au coffre-fort, la clef ne s'en trouvait pas même au presbytère et le coffre-fort ne fut pas ouvert.

« Le soussigné, curé de Saint-Genois, affirme sur l'honneur que la clef était entre ses mains, et qu'à la demande de M. le procureur, le coffre-fort a été ouvert. »

MjBµ. - Je le nie.

(page 202) M. Dumortierµ. - Tout mauvais cas est niable. C'est la devise des mauvais avocats.

MjBµ. - Permettez-moi une observation.

Le fait est tellement inexact, qu'il est impossible en droit que le coffre-fort ait été ouvert.

Je le nie non seulement au nom du juge d'instruction, mais au nom du procureur du roi et du greffier.

(erratum, page 216) En effet, aux termes du décret de 1809, il faut trois clefs et et elles sont entre des mains différentes.

On a ouvert un meuble dans lequel se trouvait le coffre de la fabrique, et ce coffre n'a pas été ouvert. Voilà la vérité !

M. Dumortierµ. - La vérité est qu'il y avait trois clefs au coffre-fort ; que les trois clefs se trouvaient depuis la veille au presbytère, parce qu'on devait détacher les coupons.

Voilà la vérité. Je continue.

« 2° M. le ministre a démenti les paroles suivantes, tirées du discours de M. Reynaert : « Le procureur du roi lui dit : « Vous êtes considéré comme le correspondant du Katholyke Zondag. »

« Et quand le directeur eut la bonhomie de lui répondre que, loin d'être le correspondant de ce journal, il avait renoncé depuis quelque temps à son abonnement, il ajouta : « Connaissez-vous le Jaer 30 ?» Sur la réponse affirmative du directeur, même exclamation que chez le curé : « Comment ! vous lisez cet abominable journal ! » - « Oui, lui répondit le directeur, et je ne pense pas que vous soyez venu ici pour me le défendre, ce serait peine inutile. »

« Le soussigné, directeur du couvent de Saint-Genois, atteste l'authenticité exacte de cet entretien.

« 3° M. le ministre nie que le procureur du roi ait pris lecture d'une lettre que M. le directeur était occupé à écrire à un ami d'Anvers. Le soussigné directeur déclare que non seulement il a lu sa lettre, mais aussi celle de son ami à laquelle il répondait.

« 4° M. le ministre dit : que, quant aux congréganistes, une seule a été entendue et elle s'est présentée elle-même pour venir déposer en faveur d'un des accusés. Le soussigné directeur déclare que plusieurs congréganistes ont été entendues et qu'aucune d'elles ne s'est présentée spontanément.

« Nous vous autorisons, monsieur le représentant, à faire de cette protestation tel usage que de conseil.

« Agréez, etc.

« Ch. Vanschœlcke, curé, F. Vanneste, vicaire.

« A M. Dumortier, député. »

MjBµ. - Voulez-vous me permettre un moment, M. Dumortier ?

M. Dumortierµ. - Laissez-moi d'abord achever.

Voilà des déclarations qui viennent confirmer celles de mon honorable ami, M. Reynaert et qui sont tout à fait opposées aux démentis qu'a donnés l'honorable. M. Bara.

Qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve que les gens qui ont commis les méfaits que je viens de signaler n'osent pas avouer ce qu'ils ont fait et cherchent à le cacher.

Maintenant M. le ministre de la justice peut parler.

MjBµ. - Pour toute réponse aux déclarations communiquées par l'honorable M. Dumortier, permettez-moi, messieurs, de vous communiquer deux documents que j'ai entre les mains, et qui sont ainsi conçus :

« Les soussignés Constant Berlemont, commis greffier au tribunal de première instance à Courtrai et Isidore-Joseph Paul, lieutenant de gendarmerie à Courtrai, déclarent sur l'honneur et sont prêts à attester sous la foi du serment :

« 1° Qu'il est inexact que lorsque le procureur du roi et le juge d'Instruction se sont rendus chez les prêtres de Saint-Genois et le notaire Opsomer, ils étaient entourés d'un appareil militaire et accompagnés de gardes champêtres et de gendarmes apostés devant la maison, soit dans le but d'en garder les issues, soit simplement dans le but d'intimider et du frapper les esprits ;

«2° Qu'il est inexact que chez le curé, malgré ses vives protestations, le coffre-fort de la fabrique d'église a été ouvert ; que le procureur du roi, trouvant dans le cabinet du curé un numéro du Jaer 30 et une quittance du Katholyke Zondag, dit : « Comment, monsieur le curé, vous lisez cet infâme pamphlet, et vous êtes abonné au Katholyke Zondag ! »

« 3° Qu'il est inexact que, chez le directeur du couvent, on a fouillé jusque dans les vieux souliers et les vieux chapeaux ; que le directeur ayant déclaré qu'il connaissait le Jaer 30, le procureur du roi s'est écrié : Comment ! vous lisez cet abominable journal ! ; que le directeur était occupé à écrire une lettre, que le procureur du roi s'en est approché et en a pris lecture ; que, sur l'observation du directeur qu'il croyait que ce magistrat excédait les limites de son droit, celui-ci lui a dit d'un ton emporté : « Sachez, monsieur, que nous avons le droit de tout savoir. »

« 4° Qu'il est inexact qu'une perquisition ait été faite au domicile du notaire Opsomer ; que M. le procureur du roi commença l'interrogatoire en disant à M. Opsomer : « Vous nous êtes signalé, M. le notaire, comme un homme violent » et que M. le juge De Blauwe se hâta de contredire cette grossière apostrophe et dit au procureur du roi qu'il connaissait depuis de longues années M. Opsomer, et que jamais il ne l'avait considéré comme un homme violent.

« Certifié à Courtrai, le 14 décembre 1868.

« (Suivent les signatures.)

« Le soussigné Constant Berlemont, commis greffier au tribunal de première instance séant à Courtrai, déchire et certifie qu'il résulte des pièces de la procédure suivie relativement aux incendies commis à Saint-Genois, que la nommée Scherpereel, Françoise, préfète de la congrégation des jeunes filles à Saint-Genois, a été entendue par M. le. juge d'instruction le neuf de ce mois, et qu'avant cette époque aucune congréganiste n'avait été appelée devant ce magistrat pour y faire sa déposition. La nommé Colette Vandenbulcke s'est présentée volontairement devant le juge d'instruction, pour établir un alibi en faveur de la prévenue Virginie Tukkens.

« Courtrai, le 14 décembre 1868.

« (Signé) Berlemont. »

Vous pouvez juger, messieurs, de la valeur de toutes ces déclarations. Cette fois ce n'est ni le juge d'instruction, ni le procureur du roi qui parle,, ce sont les personnes qui les accompagnaient. J'ai mon dossier plein de démentis, mais je n'entrerai plus dans de semblables détails. L'honorable. M. Dumortier pourra faire son instruction comme il l'entendra ; la Chambre est maintenant à même, d'apprécier l'exactitude de ses renseignements..

M. Dumortierµ. - Et moi je continue.

Voilà des subordonnés qui vont donner des certificats de complaisance à ceux dont ils dépendent ! Ils n'oseraient pas faire autrement, et vous mettrez au même niveau les déclarations de la victime et les déclarations de ceux qui l'ont victimée ! Du reste, messieurs, dans cette affaire, tout a été violation de la loi ; on a foulé aux pieds toutes les libertés constitutionnelles en commençant par l'inviolabilité du domicile et en finissant par la liberté de la presse.

La presse tout entière de la Belgique s'est soulevée et je crois que ces magistrats, dont la presse a révélé les turpitudes...

MpDµ. - M. Dumortier, veuillez ne pas vous servir de telles expressions. Elles seraient regrettables envers tous ; elles le sont plus spécialement quand il s'agit de magistrats qui ont agi dans l'exercice de leurs fonctions.

M. Dumortierµ. - Je dirai « les abus d'autorité. »

Maintenant, messieurs, l'instruction judiciaire commence ; que voyons-nous ? Nous voyons, dès le premiers actes de l'instruction judiciaire, le juge d'instruction et le parquet se baser sur quel système ? Est-ce sur la complicité réelle ? Non c'est sur la complicité morale. Dès l'origine de l'affaire, dès les premières visites domiciliaires, c'est la complicité morale qui est mise en jeu, et quand on arrive aux journalistes, c'est encore la complicité morale.

Toute l'instruction judiciaire, depuis l'origine jusqu'à la fin, repose sur la complicité morale. Est ce que, par hasard, le ministère veut nous ramener à cette époque du ministère Martignac, où l'on faisait des procès basés sur la complicité morale ? Ainsi, lorsque la loi exige qu'il y ait un fait coupable, vous viendrez, contre les citoyens et contra la presse, invoquer la complicité morale, et lorsque la loi exige pour un procès de presse, qu'il y ait provocation directe, vous viendrez dire que le magistrat est dans son droit lorsqu'il se base sur la complicité morale !

Là est l'abus qui domine toute cette affaire, c'est que tout repose sur la complicité morale et que la complicité morale est, en Belgique, un fait monstrueux, un principe illégal banni de nos lois et flétrissant pour le pays.

Nous suivrons l'instruction, nous la suivrons pas à pas et depuis le commencement jusqu'à la fin, vous verrez toujours la complicité morale mise en jeu.

Maintenant que fait-on ? On établit avant tout le terrorisme à Saint-Genois, on met le village de Saint-Genois dans un véritable état de siège.

Aucun habitant de Saint-Genois ne pouvait sortir de chez lui sans qu'un gendarme lui demandât : D'où venez-vous et où allez-vous ?

C'est ainsi que les choses se passaient. C'est-à-dire : que la complicité morale engendre la tyrannie et la persécution.

(page 203) On avait introduit le véritable état de siège dans cette commune.

Qu'a-t-on fait par ces moyens ? On n’a rien découvert et il a fallu la promesse d'une prime de 1,000 francs, le seul acte utile posé par M. le ministre, pour découvrir quels étaient les incendiaires.

Alléché par cette prime, un vacher de la veuve Evrard vient accuser la femme Morel d'être l’auteur des incendies.

La femme Morel nie le fait.

Pour justifier son assertion et toucher la prime, le vacher entre dans des détails tellement circonstanciés que l'on conçoit des soupçons.

On le fait garder pondant deux jours par la gendarmerie et il finit par avouer qu'il a été à tous les incendies avec la femme Morel.

Voilà le coupable. Il est en aveu.

Eh bien, que fallait-il faire ? Il fallait alors rechercher quels pouvaient être ses complices, quels pouvaient être ceux qui l'avaient instigué.

Ici, messieurs, permettez-moi de le dire, les incendies dont s'occupe en ce moment la justice ne sont pas les premiers qui ont éclate à Saint-Genois.

Il y a quelques années, vis-à-vis de la briqueterie du sieur Vanden Bulcke (je précise les lieux), se trouvait une baraque faite pour abriter les ouvriers et un grand tas formé de tous les paillassons servant à couvrir les briques.

Cela gênait beaucoup un habitant dont l'habitation était vis-à-vis. Un soir, cet habitant dit dans un lieu public : Je mettrai le feu à tout cela ! et la nuit suivante, ces choses étaient consumées.

Qu'a-t-on fait ? A-t-on poursuivi l'incendiaire ? On ne l'a pas fait et il court encore aujourd'hui. Pourtant, les témoins ne manquent pas ; toute la commune de Saint-Genois sait qui c'est, et si la Chambre voulait établir une enquête, je ferais venir devant elle tous ceux qui pourraient affirmer le fait et faire connaître l'incendiaire.

Maintenant, un homme très adroit, très intelligent, s'est permis de dire lors des incendies : Il ne faut pas chercher si loin ; qu'on aille chez les anciens incendiaires. C’était Depoorter.

Le lendemain, cet homme est considéré comme prévenu, on l'arrête et il gémit encore sous les verrous, par l'instigation de ceux qui entouraient et dirigeaient la justice.

Cet homme est tellement intelligent qu'il aurait fait découvrir en peu de temps qui avait excité et soudoyé le vacher Vandeputte.

Ce n'est pas tout.

Quel était le devoir de la police judiciaire ? C'était de voir quelles étaient les relations de Vandeputte et ses habitudes. C’est plutôt de ce coté qu'on peut trouver les instigateurs.

Eh bien, le vacher Vandeputte était un habitué du cabaret de Myttenaere, il y trouvait tous les jours ceux qui aujourd'hui sont les accusateurs des catholiques.

Je ne dis pas que ce sont eux qui ont commis les incendies, mais il fallait chercher de ce côté. Or, au lieu de chercher les provocateurs parmi ceux qui se trouvent en relations avec Vandeputte, on va les chercher du côté opposé, et on arrive à quoi ? A des arrestations arbitraires. On emprisonne Depoorter, et la semaine dernière encore, des interrogatoires ont eu lieu pour chercher le moyen de justifier ces emprisonnements arbitraires ; on a fait venir Buysens, le même qui avait poursuivi un homme qui allait vers les meules de Delbecque ; on a voulu lui faire dire que c'était Depoorter qu'il avait vu. Buysens a protesté que c'était faux.

Le juge d'instruction a insisté et cet homme de cœur a eu le courage de dire : Vous m'appelez pour dire la vérité, et vous voulez me faire dire un mensonge ? (Interruption.)

J’affirme ces faits... (Nouvelle interruption.) Messieurs, quand on a fait des arrestations arbitraires et qu'on est poursuivi dans le parlement, il faut bien chercher à justifier les actes qu'on a commis. Or, vous savez, messieurs, que bien souvent, dans les cabinets de juge d'instruction, il se passe des choses qui jamais ne se passeraient en Angleterre, où la procédure et l'instruction sont publiques et orales.

C'est ainsi que M. le ministre de la justice est venu nous lire un passage de l'instruction, qui est la déclaration de Vandeputte. Colle déclaration, je ne l'ai pas encore trouvée auMoniteur, mais je l'ai reproduite à la lecture ; si elle est inexacte, je prierai M. le ministre de lu justice de vouloir bien me rectifier avant que j'en lire les conséquences. Voici ce passage :

« J'ai conçu la pensée de commettre ces méfaits lorsque je demeurais chez Remy-De Cuyper, et que j'ai entendu lire les articles du Jaer 30 »

Voilà ce qui a été lu dans le parlement.

Eh bien, je demande à M. le ministre de la justice si cette déclaration est exacte. Il ne répond pas. Messieurs, vous connaissez le proverbe. Eh bien, Vandeputte n'est resté que sept ou huit jours chez Remy-De Cuyper, il a été renvoyé par De Cuyper et n'a jamais assisté à la lecture d'aucun journal dans cette maison. M. et Mme Remy-De Cuyper sont prêts à l'affirmer.

D'où je conclus que c'est encore une de ces déclarations que l'on tire du prévenu pour chercher à tirer quelqu'un d'embarras. Mais on veut absolument rendre complice le vicaire Van Eecke ; il faut donc bien dire que ce sont ses articles qui ont été la cause des incendies. Vous savez comment les choses se passent dans les prisons ; un gardien, un geôlier ou tout autre dit au prisonnier : Déclarez telle chose et vous améliorerez votre position.

Comment donc peut-on se prévaloir de pareilles déclarations lorsqu'elles ne sont, en définitive, que le contraire de la vérité ?

Le premier incendie n'avait pas encore été allumé, que le vacher Vandeputte n'était plus chez De Cuyper ; il était chez la veuve Evrard, et le premier incendie a été allumé le jour où il a été chassé de chez De Cuyper...

Monsieur le président, je suis un peu fatigué, ne pourriez-vous pas demander à la Chambre de me permettre de continuer demain ?

MpDµ. - L'honorable M. Dumortier demande que la discussion soit remise à demain et que la parole lui soit continuée. La Chambre est-elle d'accord sur ce point ? (Oui ! oui !) La discussion sera donc continuée demain.

Projets de loi érigeant les communes de Linth et de Hofstade

Dépôt

MiPµ. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre deux projets de loi ayant pour objet la séparation du hameau de Linth de la commune de Contich et l'érection de la commune de Hofstade.

Projet de loi rectifiant les limites entre les commune de Cornesse et de Weghez

Dépôt

MiPµ. - J'ai en outre l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi portant rectification de limites entre la commune de Cornesse et la commune de Wegnez.

MpDµ. - Il est donné acte à M. le ministre de l'intérieur du dépôt de ces différents projets, qui seront imprimés, distribués et portés à la suite de l'ordre du jour de la Chambre.

- La séance est levée à 5 heures.