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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 20 février 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 447) M. Bricoultµ procède à l'appel nominal à I 1/4 heure.

M. Carlierµ lit le procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Bricoultµ présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« L'administration communale d'Evergem prie la Chambre d'accorder aux sieurs Pissens la concession du chemin de fer de La Pinte à Wondelgem, avec station à la porte de Bruges, à Gand. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur X.-Y. Olin, avocat à la cour d'appel de Bruxelles, ne dans cette ville, demande la grande naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Par huit messages, en date du 19 février, le Sénat informe la Chambre que, dans la séance du même jour, il a adopté les projets de lois suivants :

« 1° Budget des dotations pour l'exercice 1869 ;

« 2° Règlement définitif du budget de l'exercice 1863 ;

« 3° Crédit de 83,950 francs, destiné à rembourser une créance à Mme veuve Piéton ;

« 4° Erection de la commune de Chaîneux ;

« 5° Crédit de 500,000 francs alloué au département des finances, pour couvrir les frais de fabrication de 32 millions de francs en espèces d'argent, et rendu disponible pendant l'année 1869 ;

« 6° Convention conclue entre la Belgique et les Etats-Unis d'Amérique, pour régler la nationalité des émigrants ;

« 7° Traité d'amitié et de commerce conclu, le 29 août 1868, entre la Belgique et le royaume de Siam ;

« 8° Augmentation des frais des chambres de commerce. »

- Pris pour notification.


« M. Beke, appelé à Ypres pour affaires administratives urgentes, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. Eugène de Kerckhove, obligé de s'absenter, demande un congé de deux jours. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1869

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVII. Enseignement primaire

Article 100

MpDµ. - La Chambre est arrivée à l'article 100.

« Art. 100. Dépenses variables : Frais d'administration, impressions, registres, etc. ; acquisition d'ouvrages périodiques et autres pour le service spécial de l'administration de l’enseignement primaire ; commission centrale de l'instruction primaire ; frais de voyage de l'inspecteur général des écoles normales et de l'inspectrice des écoles normales d'institutrices, des inspecteurs provinciaux, des inspectrices déléguées, des inspecteurs ecclésiastiques des écoles protestantes et Israélites ; indemnités aux inspecteurs cantonaux civils, du chef des conférences et des concours, ainsi que des tournées extraordinaires ; supplément d'indemnité fixe aux inspecteurs cantonaux civils ; frais des jurys d'examen dans les écoles normales ; matériel des établissements normaux de l'Etat ; frais des conférences horticoles des instituteurs ; subsides aux bibliothèques cantonales des instituteurs ; bourses aux élèves instituteurs et aux élèves institutrices des diverses écoles normales ; bourses de noviciat (article 28, paragraphe 2, de la loi) ; construction de maisons d'école ; service annuel ordinaire des écoles primaires communales adoptées ; subsides aux communes ; subsides à des établissements spéciaux (salles d'asile et écoles d'adultes) ; récompenses en argent ou en livres aux instituteurs primaires qui font preuve d'un zèle extraordinaire et d'une grande aptitude dans l'exercice de leurs fonctions ; achat de livres, d'images, etc., à distribuer par les inspecteurs aux élèves les plus méritants des écoles primaires ; publications périodiques et autres, intéressant l'instruction primaire ; souscriptions, acquisitions, subsides ; subsides aux caisses de prévoyance des instituteurs ; secours à d'anciens instituteurs et dépenses diverses : fr. 3,963,769. »

MiPµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre de porter le chiffre du littera p de l'article 100, de 3,077,269 fr., à 3,352675 fr. ; c'est une augmentation de 275,406 fr. ; c'est le crédit du service ordinaire de l'enseignement primaire.

En outre, je propose de porter le chiffre du littera q du même article, relatif aux écoles d'adultes, de 230,000 fr. à 403,262 fr. ; ce qui fait une augmentation de 175,000 fr. ; le total de l'article 100 serait donc porté de 3,903,709 fr., à 4,414,137 fr.

La Chambre voit que le gouvernement ne recule pas devant des demandes d'augmentation de subsides en faveur de l’enseignement primaire ; cette augmentation est de 450,000 fr. L'année dernière, l'augmentation a été plus considérable encore ; elle a été de 700,000 fr. ; ce qui fait une augmentation de 1,200,000 fr. en deux ans. Mes honorables prédécesseurs ont de leur côté sollicité et obtenu des augmentations, pendant les années antérieures, et ce que je fais aujourd'hui, c'est marcher sur leurs traces.

Cependant tout en demandant ces nouveaux crédits, je dois dire que le gouvernement ne peut pas continuer a s'imposer presque seul les augmentations que nécessite l'enseignement primaire. Je serai obligé de présenter probablement à la Chambre des modifications à l'article 23 de la loi de 1842, modifications qui donneront des pouvoirs plus étendus au gouvernement, pour exiger de certaines communes, qui ne font presque rien pour l'enseignement primaire, contribuent plus largement dans les frais de cet enseignement.

- Des membres. - Très bien !

MiPµ. - Quand on examine la chose en détail, on trouve des communes qui consacrent une somme dérisoire à l'enseignement primaire ; on en trouve qui donnent moins de 100 francs !

D'un autre côté, je dois dire qu'à côté des communes, il y a les bureaux de bienfaisance qui ne font pas pour ce service ce qu'ils pourraient faire. Les revenus des bureaux de bienfaisance sont considérables. Il s'établit souvent pour la distribution de ces revenus des usages qui enlèvent toute espèce d'effet utile à ces distributions.

On distribue à certaines familles qui se. trouvent sur la table des pauvres un petit et insignifiant revenu périodique. Lorsqu'on leur donne cette petite somme, elle est presque immédiatement dépensée en une réjouissance quelconque.

Je crois qu'on peut faire un beaucoup meilleur emploi des revenus des bureaux de bienfaisance et que la meilleure destination qu'on puisse leur donner, c'est de les faire servir à la propagation de l'instruction. C'est surtout aux bureaux de bienfaisance, selon moi, à payer la rétribution scolaire des enfants pauvres ; c'est beaucoup plus aux bureaux de bienfaisance qu'aux communes à intervenir dans ce service.

Je, crois qu'en pesant un peu sur les administrations des bureaux de bienfaisance et sur les administrations communales, nous arriverons à augmenter, dans une proportion assez forte, sans grever davantage le budget général, le revenu de l'instruction primaire.

Je fais cette déclaration à la Chambre au moment où elle voit que le gouvernement est décidé à faire tout ce qui est possible, pour qu'on sache qu'il ne faut pas seulement s'adresser au gouvernement pour les besoins de cet enseignement, mais qu'il faut employer tous les moyens et toutes les ressources qui existent dans le pays pour concourir à ce but. Le gouvernement a fait et fera ce qu'il doit ; il faut qu'il trouve partout un énergique concours.

M. de Kerchove de Denterghemµ. - J'avais demandé la parole pour prier M. le ministre de l'intérieur de déposer le projet de loi dont il vient de vous entretenir. Du moment que M. le ministre de l'intérieur prend un engagement à cet égard, je crois devoir renoncer à la parole.

Je tiens seulement à dire que le reproche que fait M. le ministre de l'intérieur à certaines communes et à certaines villes, ne doit pas s'étendre à la ville de Gand.

MiPµ. - Evidemment non.

M. de Kerchove de Denterghemµ. - Vous allez voir en effet ce que fait la ville de Gand pour l'instruction primaire.

En 1858, la dépense du service ordinaire de l'instruction primaire à Gand était de 88,000 fr. Aujourd'hui elle est de 341,000 fr. De plus, la ville de Gand a dépensé, pendant ces deux années, près de 600,000 francs (page 448) pour construction et reconstruction de bâtiments d'école. Je tenais a faire cette déclaration.

MiPµ. - J'ai déjà eu l'occasion de reconnaître dans cette Chambre tout ce que la ville de Gand a fait, et je dois ajouter que les grandes villes généralement font de grands sacrifices pour l'enseignement.

Quand j'ai parlé de communes qui donnaient très peu de chose, évidemment je n'ai pas eu la pensée de faire allusion à la ville de Gand. Mais je dois dire que je rencontre dans certaines communes une grande résistance. Ainsi dans le Brabant, il y avait une commune qui donnait un subside dérisoire. J'ai augmenté d'office l'allocation de la commune, et du bureau de bienfaisance et je l'ai fixée à un chiffre encore très modéré. J'ai eu pour résultat la démission du conseil communal et celle du bureau de bienfaisance de celle commune.

M. Bouvierµ. - Tant mieux !

M. Couvreurµ. - Quelques-unes des observations que j'ai à présenter se rattachent directement à ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur.

Son département nous fait distribuer, tous les trois ans, un rapport très intéressant, très complet sur l'état de l'instruction primaire en Belgique ; Mais ce travail, si intéressant qu'il soit, n'est lu que par un petit nombre de personnes et perd ainsi une partie de sa valeur. N'y aurait-il pas moyen de le compléter en dressant simultanément, tous les trois ans, des cartes analogues à celles qui ont été établies, en France, par M. Dupin, et qui donneraient, par leurs tons nuancés, l'indication exacte de l'état et des progrès de l'enseignement primaire appliqué aux différents âges, non seulement pour l'ensemble du royaume, mais aussi pour chaque province, par canton.

Ces caries qui parleraient à l'esprit par l'œil bien mieux que la statistique par des chiffres, ne tarderaient pas à se répandre dans le commerce. Elles aideraient à atteindre le but que veut poursuivre l'honorable M. Pirmez, que tous nous poursuivons avec lui. Elles stimuleraient de la façon la plus énergique l'ardeur de toutes les provinces, de toutes les communes pour les progrès de l'enseignement.

Personne, comme on le dit à côté de moi, ne voudrait porter les teintes noires de l'ignorance. Rappelons-nous la légitime et honorable émotion que jeta, il y a un an ou deux, dans le Hainaut, la révélation faite par un journal de ce fait que c'était la province où il y avait le plus de miliciens illettrés.

Le conseil provincial jugea nécessaire, dans son rapport annuel, de discuter et d'expliquer cet état de choses. Que serait-ce donc si, de trois en trois ans, tout le pays, canton par canton, pouvait ainsi dresser le bilan de la situation de son enseignement primaire, non pas pour quelques rares lecteurs de nos rapports, mais pour la population tout entière ? Un peuple libre et qui veut le rester doit mettre l'enseignement primaire au premier rang de ses préoccupations. Il faut qu'il se passionne pour cette cause, qu'il pèse lui-même sur ses administrateurs, afin qu'ils n'hésitent pas à lui imposer les sacrifices qu'elle demande. Le moyen que j'indique nous rapprocherait de ce but.

Cela dit, j'aborde un autre ordre d'idées.

Lorsque, il y a quelques jours, l'honorable ministre de l'intérieur indiquait toutes les connaissances qu'il serait nécessaire de donner aux enfants pour leur ouvrir l'accès de ce grand domaine moral et intellectuel de l'homme, qu'on appelle : « les humanités », il y avait une lacune dans son énumération.

Recevoir les premières notions des mathématiques, se familiariser avec les forces de la nature, ses combinaisons, ses produits, parler trois ou quatre langues vivantes, lire Homère et Tacite a livre ouvert, rien de mieux sans doute ; mais tout cela ne vaut qu'à la condition de s'adresser à des intelligences robustes, logées dans des corps sains. L'union de l'âme et du corps est si intime que tous les développements donnés à l'une au détriment de l'autre troublent l'harmonie de l'être et nuisent à l'intérêt général.

L'honorable M. Vleminckx en a déjà fait l'observation, et il a cru trouver la solution du problème dans un enseignement plus ou moins méthodique de l'hygiène ajouté à toutes les autres branches de l'éducation populaire.

Je ne veux pas médire de l'hygiène, loin de là ; je crois, au contraire, qu'il est très bon, très utile d'en répandre les notions ; mais cela ne suffit pas. A quoi servent les plus beaux préceptes en théorie ? Il faut non seulement apprendre aux enfants comment ils peuvent tenir leur corps en bonne santé, il faut encore leur conserver cette santé ; et si on les a reçus chétifs et malingres, les rendre à la société robustes et vigoureux.

Or, sous ce rapport, nos écoles laissent encore énormément à désirer. Je ne veux pas faire allusion à l'état défectueux des locaux, bien qu'il y ait beaucoup à dire sur cet objet ; le remède s'applique d'année en année ; je veux parler des méthodes d'enseignement.

Elles s'appliquent beaucoup trop à développer l'intelligence, et malheureusement, plus souvent encore, la mémoire de l'enfant, mais laissent complètement en dehors de leur action le développement des facultés du corps.

Les Grecs, dont il a été beaucoup parlé, dans celle discussion et qui peuvent nous servir de maîtres et de modèles non seulement comme écrivains et penseurs, mais aussi comme éducateurs, avaient autrement et mieux compris les premières nécessités de la pédagogie. S'ils apprenaient à l'enfant à aimer le vrai et beau, ils voulaient aussi que son âme et son corps, bien équilibrés, fussent la synthèse du vrai et du beau.

Dans leur système d'éducation, les gymnases ne jouaient pas un moindre rôle que les académies-. Etre sain, être beau, être instruit, être moral, tout cela, dans leur esprit, ne se séparait pas. Ils avaient compris qu'en thèse générale les âmes viriles n'habitent que les corps sains et que l'intelligence se développe d'autant mieux qu'elle n'est pas entravée par les faiblesses de la chair. Xénophon, si mes souvenirs sont fidèles, met quelque part dans la bouche de Socrate une réprimande à l'un de ses disciples peu enclin aux exercices corporels, réprimande qui résume en quelques mots la pensée que je viens d'exprimer, et Platon, dans ses ouvrages, insiste à différentes reprises sur la nécessité de ne pas fatiguer l'esprit sans le corps, ni le corps sans l'esprit, afin de les maintenir sains tous les deux par l'équilibre de leurs forces.

Les Allemands, c'est un témoignage de reconnaissance que je dois rendre aux maîtres de mon enfance, les Allemands qui, depuis le commencement de ce siècle, ont fait faire à la science pédagogique d'immenses progrès, qui, comme éducateurs, sont placés aujourd'hui, pour le perfectionnement de leurs méthodes, à la tête des nations civilisées ; les Allemands, comme les Grecs, ont compris, eux aussi, qu'il ne fallait pas diviser l'homme ; que son éducation ne se décompose pas ; qu'il faut faire marcher d'un pas égal le développement du corps et de l'esprit. Les exercices corporels ne sont pas moins en honneur chez eux que chez les Grecs. Ils le sont peut-être davantage, car pour eux la gymnastique, sortie du grand mouvement de 1813, n'est, pas seulement un instrument de civilisation, c'est aussi une des bases du patriotisme.

Le vieux Jahn, le père de la gymnastique ; en Allemagne, lorsqu'il a remis en honneur ces exercices, n'a pas seulement voulu faire de ses élèves des hommes, il a voulu aussi former des citoyens et des patriotes. Et il y a admirablement réussi, malgré les persécutions réactionnaires des gouvernements de 1818 à 1820 contre les Turner-Vereine.

Je pourrais encore faire ressortir l'utilité des exercices gymnastiques dans nos écoles au point de vue des intérêts de la discipline et de la moralité tant chez le maître que chez l'élève ; mais je ne veux pas abuser des moments de la Chambre.

Ce que j'en ai dit peut suffire pour justifier l'importance de l'étude de la gymnastique.

Un point cependant encore, est digne de votre attention.

Lorsque cette assemblée a discuté, l'année dernière, la réorganisation de l'armée, des opinions très contradictoires ont été émises sur la durée du service militaire. Les chefs de l'armée prétendaient qu'il leur fallait au moins deux années et demie, si pas trois ans, pour faire d'une recrue un soldat passable, pour le dégourdir, lui apprendre à marcher, a courir, a obéir aux commandements. Leurs contradicteurs soutenaient que dix-huit mois pouvaient suffire à cet apprentissage. Si le ministère de l'intérieur voulait seconder les efforts du ministère de la guerre, il serait facile de concilier les deux opinions en les ramenant à un terme de service relativement très court. Si, dès l'école primaire, les membres de l'enfant étaient assouplis, dégagés, si on lui apprenait à marcher, à courir, à tendre ses muscles, son éducation militaire serait à moitié faite.

Si le département de l'intérieur entrait dans cette voie, il est probable que des sociétés se formeraient parmi les adultes pour continuer ces exercices, auxquels la jeunesse aurait pris goût et qu'ainsi les jeunes soldats ne seraient plus ces êtres lourds et difficiles à manier que les instructeurs ont tant de peiné à faire manœuvrer.

Ces sociétés se formeraient comme se formaient, au moyen âge, les sociétés de tir à l'arc et à l'arbalète. En cas de danger, alors, nous transformerions plus facilement nos citoyens en soldats capables de défendre leurs foyers et de supporter les fatigues de la guerre.

j'ai lu à peu près tout ce qui a été publié par les journaux allemands et anglais sur la campagne des Prussiens contre les Autrichiens en 1866.

Toutes ces appréciations concordent quant aux causes des succès de l'année prussienne. Abstraction faite des armes perfectionnées, de (page 449) l’instruction supérieure des soldats et des officiers, l'extrême mobilité et l'infatigabilité des troupes y ont joué un rôle essentiel.

Les étapes ont beau se doubler, les vivres ont beau manquer, les colonnes avancent sans laisser de traînards sur leurs derrières.

Le général en chef peut, de son cabinet, plusieurs jours à l'avance, assigner à chaque troupe son ordre de bataille, calculer, à une demi-heure près, quand chacune d'elles arrivera, avec son effectif au complet, sur le terrain de la lutte. Jamais ses calculs ne sont en défaut. A la bataille de Presbourg, les Autrichiens, surpris, avaient sur les bras tout un corps d'armée qu'ils croyaient encore au delà de la Leitha, tellement les distances avaient été franchies avec rapidité et sûreté ; la stupéfaction des habitants de Brunn ne fut pas moins grande lorsqu'ils virent entrer dans leur ville, frais, dispos, marchant allègrement, les bataillons de l'infanterie prussienne, refoulant devant eux la cavalerie autrichienne, hommes et chevaux, harassés, épuisés.

On peut dire de l'armée prussienne qu'elle ne connaît pas les embarras des impedimenta. Ce n'est pas pour elle qu'on a dû faire des ordres du jour limitant le nombre de charrettes et de bêtes de somme qu'officiers et soldats peuvent traîner à leur suite pour le transport de leurs bagages.

Mais de tels résultats ne peuvent être obtenus que par des populations habituées dès l'enfance aux exercices corporels.

Nous n'aurons, grâce à Dieu, jamais besoin de faire des campagnes de conquête ; maïs si, par la gymnastique, nous pouvions arriver à diminuer le temps que nos soldats doivent rester sous les drapeaux, nous aurions rendu à l'industrie, et spécialement à l'agriculture, de plus grands services que tous ceux qu'ils peuvent espérer des subsides et des encouragements du pouvoir.

Le gouvernement français, lorsqu'il a procédé à la réorganisation de ses forces militaires, n'a pas perdu cet objet de vue. Si je suis bien informé, M. Duruy a envoyé un professeur de gymnastique en Allemagne pour faire un rapport sur l'enseignement de la gymnastique dans ce pays.

En Angleterre, l'attention est également éveillée sur cet objet, bien que les exercices de sport et les jeux violents de la jeunesse anglaise puissent rendre la gymnastique, dans une certaine mesure, moins nécessaire.

En Belgique, nous avons fait très peu de chose dans cette voie, je puis même dire que nous n'avons rien fait du tout. Je sais bien que nous avons des salles de gymnastique dans quelques-unes de nos écoles moyennes ; je crois aussi qu'à Bruxelles, dans les écoles primaires, il y a un enseignement de gymnastique. Mais cet enseignement fait complètement défaut dans les écoles primaires rurales et dans les écoles normales.

On objectera, peut-être, que cela demanderait beaucoup de temps et coûterait beaucoup d'argent ; qu'il faudrait des professeurs, des appareils, des salles, que sais-je ?

C'est une erreur. Quant au temps, on le trouvera ; le jour où les excellentes indications données par M. le ministre de l'intérieur seront réalisées, le jour où les méthodes seront simplifiées, le temps sera trouvé ! D'ailleurs, on trouve bien le temps en Allemagne, pourquoi ne le trouverions-nous pas chez nous ?

Reste la question des professeurs, des appareils, des salles de gymnastique. Il faudra nécessairement en doter et les écoles normales et les établissements d'enseignement moyen. Quant aux écoles primaires, on peut, à la rigueur, s'en dispenser.

Quand je parle d'introduire l'enseignement de la gymnastique dans les écoles primaires, je n'entends pas faire, des enfants qui suivent ces écoles, ni des athlètes, ni des saltimbanques. Je veux simplement les habituer à faire usage de leurs membres, mettre leur sang en circulation, renforcer leurs muscles par des exercices gradués, corriger leurs altitudes vicieuses. Point n'est besoin, pour cela, de salles ni d'appareils. Une demi-heure par jour suffit, et l'enseignement peut parfaitement se donner par l'instituteur lui-même, au grand profit de sa propre santé.

Je tiens en main un livre qui jouit d'une grande réputation en Allemagne. C'est un manuel de gymnastique de chambre. Il est écrit par un médecin hygiéniste de Leipzig, M. Schreber, et il renseigne toute une série de mouvements des bras, des jambes, du tronc répétés un certain nombre de fois, praticables tant par les filles que par les garçons, pour le plus grand bien de leur santé. Voilà, je pense, un enseignement hygiénique qui vaut bien celui dont l'honorable M. Vleminckx demande l'introduction et qui pourrait marcher de pair avec lui.

En effet, il est bon que l'instituteur, en donnant la leçon, puisse indiquer à l'enfant l'effet physiologique du mouvement. Il faut surtout qu'il s'en rende compte lui-même, pour ne pas faire faire des exercices qui, dans tel ou tel cas donné, pourraient nuire à la santé de l'enfant.

Je n'ai pas la prétention de demander au gouvernement de se prononcer hic et nunc sur ces observations. S'il était disposé toutefois à en tenir compte, la première des nécessités serait d'introduire l'enseignement de la gymnastique dans les écoles normales. Je ne sais pas ce qui existe à Lierre ; mais je sais ce qui se fait à Nivelles. Cela n'est pas sérieux. Il faudrait commencer par y introduire un bon professeur de gymnastique et comprendre la gymnastique théorique et pratique parmi les matières sur lesquelles les normalistes auraient, à subir un examen.

C'est ainsi que cela se pratique en Allemagne. On y interroge les apprentis instituteurs, sur le but de certains exercices, sur les dangers qu'ils peuvent présenter, sur les règles de l'enseignement, sur les divers systèmes, sur la littérature de la gymnastique, sur les diverses fonctions du corps, sur le rôle des muscles, enfin, sur les prescriptions de l'hygiène. Cet examen est toujours suivi d'une leçon d'application, et le diplôme des récipiendaires constate leur connaissance : 1° de la théorie de la gymnastique ; 2° de l'anatomie, de la physiologie et de l'hygiène ; 3° leur habileté personnelle aux exercices ; 4° leur aptitude à transmettre l'enseignement de la gymnastique.

Une fois introduit dans les cours et dans les examens des écoles normales, l’enseignement de la gymnastique ferait très rapidement son chemin dans les écoles primaires. Il réagirait contre la tendance trop marquée de notre époque de développer trop exclusivement l'intelligence, et de négliger les intérêts du corps. Nous pouvons bien faire quelques sacrifices pour prévenir l'abâtardissement de la race humaine, alors que nous sommes si préoccupés de l'amélioration des races chevaline, bovine, ovine et porcine.

M. A. Vandenpeereboomµ. - L'honorable ministre de l'intérieur vient d'annoncer à la Chambre qu'il demande une augmentation de crédit de 100,000 fr. pour l'enseignement primaire ; je l'en félicite et je suis bien certain que la Chambre, à l'unanimité, adoptera son amendement.

Je désire, cependant lui poser une question. Dans les développements qu'il a donnés à sa proposition, M. le ministre nous a dit, si je l'ai bien compris, que la majeure partie de cette somme était destinée au service ordinaire de l'instruction primaire.

Je désire savoir s'il ne croit pas nécessaire, quant à présent, d'augmenter les crédits pour la construction de bâtiments d'école.

La Chambre sait, messieurs, que dans ces derniers temps, des dépenses très considérables ont été faites pour cet objet.

La Chambre, pendant que je siégeais encore sur les bancs des ministres, a bien voulu accorder 7 millions de francs en plusieurs fois ; ces millions et les sommes volées par les provinces et les communes ont permis de construire des bâtiments d'école pour une somme de quinze millions environ.

D'après mes calculs, les crédits votés par la législature doivent être à peu près épuisés ; il est cependant impossible de ne pas seconder l'élan généreux qui s'est montré dans le pays pour la construction des bâtiments d'école.

J'appelle donc sur ce point l'attention de M. le ministre de l'intérieur, et je suis certain d'entrer complètement dans ses intentions en le priant de demander des crédits à la Chambre pour le cas où ceux qui lui ont été alloués pour la construction et l'ameublement d'écoles seraient épuisés, car il faut, à tout prix, que nos écoles primaires soient convenablement établies partout.

La loi le veut. Ensuite lorsque les bâtiments ont même un certain luxe et sont construits dans de bonnes conditions hygiéniques, les enfants les fréquentent plus volontiers ; il faut désormais que dans chaque commune nous ayons une belle école.

J'appelle donc, sur ce point l'attention de mon honorable prédécesseur, et je le répète, je crois entrer dans ses intentions en lui demandant de l'argent dans cette circonstance pour le cas où il en aurait besoin.

Hier il a été question, mais assez légèrement, de nouvelles écoles normales à créer.

L'honorable ministre nous a dit qu'il était sur le point d'aboutir bientôt dons ses négociations avec les communes.

Le moment de discuter cette question viendra lorsqu'on demandera des crédits ; car il est évident qu'on ne peut pas établir de nouvelles écoles normales sans demander des crédits à la Chambre.

Mais dès à présent, je crois pouvoir engager l'honorable M. Pirmez à ne pas lésiner en cette circonstance, et j'aime à croire qu'il se montrera généreux lorsqu'il s'agit d'instruction primaire.

D'après moi, établir les nouvelles écoles normales dans de vieux bâtiments, dans d'anciens couvents, dans de vieilles casernes, cela ne serait ni convenable ni digne, ce serait faire de la mauvaise besogne ; il est souvent très difficile d'approprier de vieux locaux à une nouvelle (page 450) destination toute spéciale ; puis il faut à tout moment y faire exécuter des travaux de réparation ou de reconstruction.

Je voudrais que les bâtiments qui seront affectés aux quatre nouvelles écoles normales fussent quatre monuments, et je ne reculerais pas, comme la Chambre ne reculera sans doute pas, devant le vote d'un million pour chacun des bâtiments de ces écoles.

Quand on dépense des millions pour les prisons destinées à recevoir les coquins, il me semble qu'on pourrait bien dépenser un million pour chacune des écoles normales. (Interruption.)

Je ne me plains pas qu'on fasse de belles et bonnes prisons ; je ne critique pas les douceurs qu'on y procure aux prisonniers, mais je voudrais qu'on en fît au moins tout autant pour nos élèves normalistes, qui sont destinés à former nos jeunes générations.

J'ai évalué a un million la somme à dépenser pour chacune des quatre écoles normales. Ces sommes devraient être échelonnées sur plusieurs années. Dans ces conditions, on aura des écoles normales parfaitement appropriées à leur destination, et qui feront honneur au pays.

Messieurs, j'ai encore une observation à présenter. M. le ministre de l’intérieur a fait une promesse, que j'avais faite aussi à la Chambre et que je n'ai pas, avant ma retraite, pu réaliser.

Il s'agit de la révision de l'article 23 de la loi du 23 septembre 1842, quant l'intervention des communes, des provinces et de l'Etat dans les dépenses de l’enseignement primaire. Mon honorable successeur aura trouvé un projet dans les cartons du département de l'intérieur. Je me féliciterais très sincèrement s'il pouvait nous présenter un projet de loi satisfaisant pour tout le monde.

C'est là une question difficile.

Un des grands principes de la loi de 1842 est celui-ci : c'est que l'enseignement primaire est un service communal. Or, ce point ne peut, en aucune circonstance, être perdu de vue.

Il faut donc que le gouvernement ne vienne en aide aux communes qu'en cas d'insuffisance des ressources locales. Mais quand y a-t-il insuffisance ? Voilà la difficulté. C'est ainsi que cette loi doit être interprétée. (Interruption.)

L'article peut avoir été mal rédigé ; mais il a toujours été compris en ce sens, que l'école primaire est un établissement d'institution communale et que les dépenses doivent être supportées par les communes. (Nouvelle interruption.)

Permettez ; je comprends fort bien qu'il y a dans les questions d'enseignement primaire, un intérêt social, et qu'à ce titre le gouvernement peut et doit intervenir. Mais la grosse question est celle-ci : Quand et jusqu'à quel point il doit intervenir. Or, la loi n'a rien dit de pareil ; et c'est là ce que M. le ministre de l'intérieur aura soin, j'en suis bien convaincu, d'établir dans la loi nouvelle qu'il présentera à la Chambre. (Nouvelle interruption.)

Je sais que mon honorable ami, M. de Kerchove, va me citer un passage d'un discours que j'ai prononcé à la Chambre, il y a vingt ans, si je ne me trompe, et dans lequel, étant bourgmestre de la ville d'Ypres, je soutenais l'opinion que soutient aujourd'hui l'honorable bourgmestre de Gand.

Messieurs, je pourrais d'abord invoquer la prescription.

M. de Kerchove de Denterghemµ. - Et puis, vous avez été ministre.

M. A. Vandenpeereboomµ. - D'un autre côté, après avoir été six ans au ministère, comme on le dit, j'ai pu étudier la question de plus près et je reconnais, aujourd'hui plus que jamais, que les écoles primaires doivent être des établissements communaux, qu'elles doivent être dirigées par les communes ; et que les communes qui ont des ressources suffisantes doivent couvrir les dépenses de l'enseignement primaire.

Messieurs, je ne parle ici que du principe de la loi de 1842 ; ne me faites pas dire ce que je ne pense pas. Je suis le premier à reconnaître que là où il y a un intérêt social en jeu, l'Etat et la province peuvent et doivent intervenir. Mais je dis que cette part d'intervention doit être déterminée par la loi, et c'est pour cela que je félicite l'honorable ministre de la promesse qu'il vient de faire, de présenter un projet de loi qui détermine les devoirs et les obligations réciproques de chacun.

Je me suis un peu étendu sur ce point, dont je ne croyais pas parler ; car je voulais seulement faire observer à M. le ministre que, dans la révision de cet article, il doit prendre garde à un accueil. Il vient de dire qu'il imposera une charge plus forte aux bureaux de bienfaisance. Mais je lui ferai remarquer que, dans un grand nombre de communes du pays, les bureaux de bienfaisance n'existent que sur le papier ; que là où il en existe, leurs ressources sont généralement insuffisantes et que ces bureaux sont subsidiés par les communes. Or, imposer aux bureaux de bienfaisance subsidiés par les communes une nouvelle charge, c'est en définitive imposer cette charge aux communes elles-mêmes.

Si, dans une localité, le bureau de bienfaisance reçoit chaque année quelques milliers de francs de subsides sur la caisse communale, et si vous faites payer par ce bureau une subvention nouvelle pour l'instruction primaire, le déficit sera plus grand et c'est la caisse communale qui payera tout.

Messieurs, avant de me rasseoir, je voudrais répondre un mot à l'honorable M. De Fré qui, hier, me semble-t-il, est tombé dans une erreur très grande et qu'il reconnaîtra, j'en suis sûr.

M. De Fréµ. - Nous sommes d'accord.

M. A. Vandenpeereboomµ. - Je dois cependant dire un mot.

L'honorable M. De Fré nous a dit que, depuis vingt ans, la position des instituteurs et des sous-instituteurs communaux n'a pas été améliorée. C'est une grande erreur.

Que les traitements proprement dits n'aient pas été augmentés partout dans une très forte proportion, c'est possible. Mais l'ensemble du revenu de l'instituteur a été partout considérablement augmenté ; dans certaines localités il a été triplé, quadruplé et au delà.

La loi de 1842 fixe le traitement des instituteurs communaux à 200 fr. au minimum ; aujourd'hui nous fixons le minimum du revenu à 1,000 fr. Or, de 200 à 1,000 fr., il y a une différence de 500 p. c.

Et ce qui m'étonne dans le discours de, l'honorable M. De Fré, c'est qu'il paraît ignorer ce qui se passe dans sa propre commune. Il est bourgmestre, et un des meilleurs bourgmestres du pays, je le reconnais volontiers. Eh bien, je lui demanderai s'il sait ce que reçoit l'instituteur d'Uccle ?

MiPµ. - 2,150 fr.

M. A. Vandenpeereboomµ. - Beaucoup plus que cela. Quand on n'est pas ministre, on sait très souvent les choses mieux que quand on l'est. Je le sais par expérience. Je vous dirai donc que l'instituteur d'Uccle, qui est un excellent instituteur, jouit d'un traitement de 3,000 francs environ, non compris, je pense, l'indemnité de 700 francs pour l'école du soir, non compris son logement et non compris son jardin.

M. de Kerchove de Denterghemµ. - Ce n'est pas trop.

M. A. Vandenpeereboomµ. - Je ne dis pas que c'est trop ; mais c'est au moins satisfaisant ; d'autres se contenteraient de cette position ; et quand les traitements des instituteurs sont suffisants, il faut qu'on ose le dire ; il ne faut pas que l'on cherche à faire croire, à tort, que certains fonctionnaires sont mal payés, qu'on ne fait rien pour eux ; il faut dire la vérité. Eh bien, quand un instituteur, à Uccle, jouit d'un traitement de 3,000 à 4,000 fr., on peut fort bien le dire et prouver ainsi que l'on fait beaucoup en Belgique pour les instituteurs. Ces faits sont honorables pour le pays, pour la commune d'Uccle et pour son excellent bourgmestre et j'en félicite l'honorable M. De Fré.

Messieurs, aujourd'hui la vérité est que, dans la plupart des localités, les revenus des instituteurs sont au moins très convenables, s'ils ne s'élèvent pas au chiffre qu'obtient l'instituteur d'Uccle.

Un dernier mot en terminant.

On demande que l'on étende le programme de l'enseignement primaire, qu'on y adjoigne la gymnastique, l'hygiène, l'économie, politique, l'arboriculture, les exercices militaires ; tout cela serait fort utile et très désirable.

Mais on a déjà aujourd'hui toutes les peines du monde à apprendre aux enfants à lire et à écrire, et surtout à comprendre ce qu'ils lisent ; si l'on doit encore leur enseigner beaucoup d'autres choses, je crains que les enfants ne finissent par sortir de l'école sans connaître bien ce qui est la base de l’enseignement primaire, et je prie M. le ministre de l'intérieur, lorsqu'il reverra les programmes, de vouloir bien ne pas négliger les parties les plus essentielles du programme de l'enseignement primaire. L'économie politique, l'hygiène, etc., sont des connaissances très utiles sans doute, mais avant tout l'enfant doit savoir lire, écrire et calculer.

MiPµ. - J'examinerai bien volontiers si l'on peut, dans la pratique, faire droit à l'observation de l'honorable M. Couvreur, qui tend à faire établir la carte de l'ignorance dans le pays ; ce serait là, je le reconnais, un document intéressant.

L'honorable membre a parlé ensuite d'introduire la gymnastique dans l'enseignement primaire. Je puis à cet égard lui donner une satisfaction immédiate. Dans le programme révisé de l'enseignement normal figure un cours de gymnastique qui se donne pendant les récréations.

J'ajouterai, puisque je parle des écoles normales, que j'ai donné des instructions pour qu'on oblige les élèves à faire de fréquentes et de longues promenades, ce qui constitue un excellent exercice corporel.

Relativement à l'introduction dans les écoles primaires de la (page 451) gymnastique, je puis me borner à faire connaître à la Chambre ce que j'ai dit à la commission centrale de l'instruction primaire que j'ai eu l'honneur de présider, il y a quelques semaines.

Je disais qu'il était important de donner un certain repos aux élèves, de ne pas faire des classes trop prolongées, parce que l'attention des enfants ne peut pas se soutenir longtemps ; mais il y a souvent nécessité de tenir les enfants à l'école pendant un nombre d'heures assez considérable, parce que les écoles ne sont pas seulement des lieux où les parents envoient les enfants pour y apprendre ; les écoles sont aussi des lieux où lès parents envoient leurs enfants pour y être gardés ; il faut donc, d'une part, tenir les enfants assez longtemps à l'école el, d'autre part, ne pas les assujettir à rester immobiles pendant un temps trop long.

Voici ce que je disais à cet égard :

« Ces repos peuvent être utilement employés à des exercices corporels. Les enfants, à la campagne surtout, ont, en été, toute facilité pour se donner du mouvement et respirer le grand air. Il n'en est pas de même en hiver ; souvent, dans cette saison, ils ne quittent l'école, où ils passent plusieurs heures immobiles, que pour rentrer chez eux.

« En combinant les exercices du corps avec ceux de l'intelligence, on favorisera en même temps le développement corporel et le développement intellectuel. On peut, presque partout et à peu de frais, disposer quelques instruments de gymnastique ; il suffît d'un simple hangar pour qu'ils soient accessibles par tous les temps. Le goût des enfants pour ces exercices n'est pas difficile a développer. On trouverait dans l'introduction d'un rudiment de gymnase dans les écoles primaires un moyen d'y conserver les enfants pendant un temps assez considérable, sans les fatiguer par des classes inutilement prolongées et en ne négligeant aucun des côtés de l'éducation. »

Je crois que c'est exactement l'ordre, d'idées dans lequel est entré l'honorable M. Couvreur, et je puis ainsi prendre, ce qu'il a dit pour une approbation de ce que j'ai fait.

Messieurs, la dépense, comme vous le voyez, serait très faible. Mon honorable prédécesseur ne doit pas craindre que ces exercices prennent le temps qui doit être destiné à l'instruction proprement dite. Je viens d'indiquer comment on doit concilier les deux choses.

Quant à l'enseignement même dans les écoles primaires, je crois que la seule instruction qui soit trop développée, c'est celle de la grammaire. L'honorable M. Bouvier l'a dit et j'ai constaté personnellement la chose. J'ai visité récemment les écoles primaires de mon pays. On a donné un exercice de grammaire aux élèves. Ils l'ont parfaitement résolu.

Il y a quelques jours, j'ai soumis à plusieurs personnes très instruites les questions qui avaient été posées à ces élèves. Eh bien, la plupart n'ont pu les résoudre.

L'honorable M. Vandenpeereboom a parlé des bâtiments d'école. Le crédit pour construction de bâtiments d'école est à peu près épuisé ; et si je n'ai pas demandé une augmentation de crédit, c'est que, d'après son exemple, c'est par voie de crédit spécial qu'il y a lieu de saisir la Chambre de la demande de crédit pour cet objet.

L'honorable M. Vandenpeereboom a, en outre, demandé que rien ne soit négligé pour rendre les écoles normales aussi convenables que possible.

C'est mon intention. Mais il pourrait se faire que l'on trouvât des bâtiments parfaitement propres à cette destination. L'honorable membre dit : Ne prenez pas de vieux couvents. Il peut cependant y en avoir d'excellents et si je trouvais des bâtiments comme ceux de l'école d'agriculture de Gembloux, je me déclarerais complètement satisfait. Je suis convaincu que ce que nous ferons de nouveau ne vaudra pas les bâtiments de cette ancienne abbaye.

Je sais, messieurs, que. la révision de l'article 23 de la loi de 1842 soulève, des questions très graves et très complexes, je crois que le moment n'est pas venu de nous en occuper.

Quant aux bureaux de bienfaisance que mon honorable de cujus, pour parler latin, m'a aussi signalés, je crois qu'il a indiqué un abus très réel, mais qui se rencontre beaucoup plus dans les Flandres qu'ailleurs.

Les subsides donnés par les communes aux bureaux de bienfaisance, non seulement sont souvent de l'argent inutilement dépensé, mais encore produisent de mauvais résultats.

Souvent, on a représenté ceux qui combattaient ces subsides comme les ennemis des pauvres, comme des gens sans commisération pour les souffrances des malheureux ; il faut, cependant, avoir le courage de le dire : On développe la misère plutôt qu'on ne la soulage par ces moyens.

Si vous comparez deux communes, l'une où il y a un bureau de bienfaisance riche et l'autre où le bureau de bienfaisance ne possède rien, vous verrez que la misère est en raison directe des ressources des bureaux de bienfaisance.

Je sais très bien qu'en cela comme en toute antre chose il faut procéder avec la plus grande circonspection, et je serais aussi contraire que qui que ce soit a la suppression Immédiate et radicale de ces subsides. Mais, si ma voix pouvait être entendue des administrations communales qui accordent ces subsides, je leur dirais : Diminuez ces subsides, faites-les disparaître par une lente décroissance et vous arriverez à ce résultat que la charité privée se développera et remplacera avantageusement la charité publique. Dans les communes où il y a un bureau de bienfaisance bien doté, les particuliers donnent moins ; ils renvoient les pauvres au bureau de bienfaisance ; d'autre part, ces établissements font presque certainement la charité mauvaise, parce qu'ils font de la charité certaine.

Il y a deux espèces de charité : la charité privée qui est incertaine, sur laquelle le pauvre ne peut pas compter ; il y a la charité réglementaire, fixe, permanente, qui devient tin revenu sur lequel on compte et qui encourage de très mauvaises dispositions. Si les communes pouvaient détourner une partie des subsides qu'elles donnent aux bureaux de bienfaisance, en faveur de l’enseignement primaire, elles feraient une excellente chose.

Les revenus des bureaux de bienfaisance, en Belgique, s'élèvent à 10 millions de francs ; or, les bureaux de bienfaisance ne contribuent à l’enseignement primaire que pour 250,000 fr. Ce n'est pas assez, et encore si l'on veut comparer les différentes provinces, on constatera qu'il y a entre elles une inégalité complète à cet égard. Ainsi, tandis que, dans les provinces wallonnes, on contribue pour une assez bonne part, dans les Flandres on ne donne presque rien.

Je me borne à signaler ce point, et je crois que les membres de cette Chambre qui ont de l'influence sur les autorités communales ne peuvent mieux faire que de les engager à entrer dans ces idées.

M. Coomansµ. - Je reconnais avec vous tous qu'il y a de très bonnes dépenses à faire, et, pour ma part, je suis peu disposé a combattre la plupart de celles qu'on a proposées ; seulement, je me trouve devant une sorte d'énigme, dont peut-être M. le ministre de l'intérieur, en l'absence des autres ministres, pourra me donner le mot.

L'autre jour, nous demandâmes, mon honorable ami Kervyn de Volkaersbeke en tête...

- Des membres. - De Lettenhove !

M. Coomansµ. - Oui ; les deux sont mes amis, et je m'en honore. Nous demandions une augmentation de 300,000 francs pour la voirie vicinale. Quelle fut la réponse ministérielle ? Votre demande est inacceptable, parce qu'il n'y a pas d'argent. (Interruption.)

On nous a dit net : Proposez des impôts nouveaux et nous vous accorderons vos 300,000 fr. pour la voirie vicinale. Telle a été la réponse des ministres et telle a été la réponse, unique, car il n'y en avait pas d'autre à donner. Celle-là n'était pas bonne, mais toutes les autres eussent été détestables ; c'est pour cela qu'on s'est abstenu de nous les fournir. (Interruption.) Oui, on a parlé d'un déficit de 10 millions ; pour le moment, ce déficit rentre dans le troisième dessous, sauf à le faire surgir la première fois que nous demanderons, nous, une augmentation de dépenses. Nous connaissons ces trucs parlementaires.

M. Bouvierµ. - Le mot n'est pas parlementaire.

M. Coomansµ. - Peu importe ; il est juste. Quand il n'y a pas d'argent pour la voirie vicinale, à mon avis, il ne doit y en avoir pour rien. cette dépense-là est la première à faire dans un pays qui se prétend civilisé et qui peut se civiliser davantage.

Je demande donc à M. le ministre comment il fera, non seulement pour donner satisfaction à des demandes qui lui seraient adressées, mais pour réaliser ses propres projets.

Voilà le gouvernement qui nous annonce des dépenses nouvelles ; il y a donc moyen de faire des dépenses nouvelles sans créer de nouveaux impôts.

M. Bouvierµ. - Je demande la parole.

M. Coomansµ. - J'en étais bien sûr ; l'honorable M. Bouvier doit être frappé de ces arguments, car il disait l'autre jour : Indiquez-nous le moyen de faire face à cette dépense de 300,000 fr. et je voterai votre amendement.

Or, l'honorable M. Bouvier vient d'applaudir à de nouvelles demandes de crédits faites par d'honorables préopinants, et il n'a pas formulé la question préalable de la trouvaille des voies et moyens.

Je demande donc si l'argumentation de l'autre jour était sérieuse ou non, sincère ou non. Je demande s'il était vrai, l'autre jour, qu'il fût impossible de trouver 300,000 fr. dans le trésor, ailleurs que dans un supplément d'impôts.

Si cela était vrai l'autre jour, cela doit l'être aussi aujourd'hui.

On propose toutes sortes de dépenses nouvelles. On craint que nos écoles normales ne soient pas assez confortables, et l'on trouve mauvais que l'on songe à placer des instituteurs et des élèves dans des casernes.

(page 452) Je ferai cependant remarquer, messieurs, qu'on y place les plus méritants des fonctionnaires belges, ceux et les seuls qu'on ne paye pas, nos miliciens, et si vous trouvez les casernes assez bonnes pour nos malheureux soldats, pourquoi ne le seraient-elles pas pour d'autres catégories de fonctionnaires ?

Du reste, il est clair que lorsque vous fondez des écoles normales, il faut procurer de bonnes habitations aux instituteurs et aux élèves. Abstenez-vous de les fonder si vous ne pouvez pas loger convenablement le personnel. Mais je répète ma question.

On veut aussi que nos prisonniers soient bien logés : il y a des gens qui trouvent qu'ils ne le sont pas assez bien.

Hélas ! ici encore je dois reconnaître que vous pouvez avoir raison, qu'il faut que les prison» soient convenables, surtout depuis que vous y logez tant d'honnêtes gens. (Interruption.)

Comment ! devant les abus de la détention préventive, devant les abus criants, intolérables de cette détention, votre premier devoir est d'améliorer nos prisons...

M. Bouvierµ. - Il fallait le dire à vos amis.

M. Coomansµ. - Et il n'est pas vrai, comme vient de le dire, je crois, l'honorable M. Vandenpeereboom, qu'il n'y ait que des coquins dans nos prisons. (Interruption.) Oh ! ne m'obligez pas à citer des noms propres. (Interruption.)

Je pense aussi, messieurs, qu'il y a beaucoup de dépenses nouvelles a faire et de bonnes dépenses ; mais je veux être éclairé sur ce point fondamental : où chercherez-vous les voies et moyens ?

L'autre' jour, vous nous avez opposé une fin de non-recevoir qui nous a été pénible et vous nous avez dit, je le répète : Point de supplément pour la voirie vicinale, sans supplément d'impôt ! Et, aujourd'hui, vous nous parlez de nouveaux millions à dépenser et vous ne nous parlez plus de supplément d'impôt.

C'est cette lacune de votre argumentation que je vous convie à combler.

MiPµ. - L'honorable. M. Coomans me permettra de ne pas répondre à deux points de ses observations. D'abord à ce qui concerne la détention préventive ; la Chambre n'a pas l'intention de revenir sur la discussion de Saint-Génois à l'occasion de mon pacifique budget ; ensuite à ce qui touche à la milice ; M. Coomans en parle à propos de tout, c'est trop.

Vient donc la question des dépenses. L'honorable membre a manqué de mémoire. Lorsqu'on a discuté l'amendement de M. Kervyn, j'ai déclaré à la Chambre que j'étais obligé de demander une forte augmentation de subside pour l'enseignement primaire, et que cette augmentation était une des raisons qui m'empêchaient d'augmenter le crédit de la voirie vicinale. L'honorable M. De Fré m'ayant interrompu, en disant : « Tant mieux, » j'ai répondu : « Oui ; mais quand on dépense d'un côté, on ne peut pas dépenser de l'autre. »

Il n'y a donc, aucune contradiction de ma part, et de même que je déclarais alors ne pas disposer de cette somme pour les chemins vicinaux parce que je la destinais a l'enseignement, de même je déclare aujourd'hui que je. puis l'appliquer a cet article de. mon budget, parce qu'elle n'a pas été absorbée par les chemins vicinaux.

MpDµ. - La parole est à M. Bouvier.

M. Bouvierµ. - J'y renonce, M. le ministre de l'intérieur venant de répondre à l'honorable M. Coomans ; il est temps d'en finir avec le budget de l'intérieur.

M. Dumortierµ. - Messieurs, je ne veux pas entrer dans le fond du débat ; mais je ne puis laisser sans réponse une assertion de M. le. ministre de l'intérieur, au sujet de la charité mise en rapport avec l'instruction.

Le but de l'honorable ministre est de faire contourner au profit de l'enseignement primaire une partie des fonds dont disposent les bureaux de bienfaisance.

Certes, personne n’est plus désireux que moi de voir l'instruction primaire se répandre. Mais est-il nécessaire d'arriver au résultat qu'invoque l'honorable ministre ? Est-ce un bien ou un mal ? Voilà sur quoi je veux dire deux mots :

D'abord l'honorable ministre a dit une profonde vérité. C'est que la charité privée se fait infiniment mieux que la charité publique. Mais il ne faudrait pas appliquer cette vérité seulement à la charité ; il faudrait l'appliquer aussi à l'instruction, et dire que l'instruction privée se fait souvent beaucoup mieux que l'instruction publique ; il faudrait dès lors encourager les adoptions d'écoles par les communes, comme cela se trouve dans la loi de 1842 ; on arriverait ainsi à diminuer considérablement les dépenses des budgets de l'Etat, et l'on aurait une meilleure instruction.

Maintenant la seconde question est celle-ci : puisque ce qui se fait par les particuliers, en matière d'aumônes, de charité, est mieux fait que ce qui se fait par les administrations publiques, faut-il en conclure que les fonds dont les bureaux de bienfaisance disposent pour secourir les misères des pauvres, doivent être attribués à l'instruction ? Je n'admets pas du tout cela. Si les fonds excèdent les besoins des pauvres, qu'on les applique à l'instruction ; rien de mieux ; mais il y a une chose qui précède l'instruction : il faut d'abord vivre : Primo vivere, secundo philosophari.

Il est très superflu d'aller parler d'instruction aux enfants, si vous ne leur donnez pas d'abord du pain. Il faut commencer par se nourrir avant de songer à s'instruire ; il faut commencer par être, avant de commencer à faire travailler les facultés cérébrales.

Eh bien, en ce que, par hasard, les fonds dont disposent les bureaux de bienfaisance sont mal employés ? Est-ce qu'ils servent, comme le disent certains économistes, à augmenter le nombre des pauvres ?

M. Ortsµ. - Oui.

M. Dumortierµ. - Je proteste contre cette expression ; si l'honorable membre avait visité les pauvres, il ne se permettrait pas une pareille expression qui, en face des calamités publiques, n'est qu'un blasphème.

Commet ! la misère publique s'augmente quand le pauvre est secouru ! Mais allez donc, voir, par exemple, ces malheureuses veuves restées sans aucune ressource avec 3, 4 ou 5 enfants ; allez donc voir dans les établissements ces hommes qui, victimes d'un de ces accidents si fréquents dans les villes industrielles, sont absolument hors d'état de travailler momentanément pour vivre. Que deviendraient ces veuves et ces orphelins ? que deviendraient les femmes et les enfants de ces malheureux, victimes d'un accident, s'ils n'étaient pas secourus ?

Le typhus vient aussi d'enlever à Bruxelles un grand nombre de pères de famille. Que vont devenir leurs veuves et leurs enfants, si la charité publique ne vient pas à leur secours ? Ne venez donc pas dire comme principe que la charité publique est un malheur pour les ouvriers. La charité publique vaut mieux, me semble-t-il, que la taxe des pauvres que vous avez en Angleterre.

M. Ortsµ. - Je ne veux pas de la taxe des pauvres.

M. Dumortierµ. - Je ne veux pas non plus de la taxe des pauvres, et je ne veux pas que les fonds destinés à secourir les pauvres soient détournés de leur destination. Je répète l'observation que j'ai faite d'abord : c'est qu'il faut commencer par vivre avant de penser à instruire.

Je n'en dirai pas davantage sur ce point. Mais je ne pouvais pas laisser passer cette doctrine sans protester, au nom des malheureux qui meurent de faim.

Comment ! je connais des établissements de charité et savez-vous ce qu'on y fait ? On fonde des écoles et l'on donne un franc par semaine à une pauvre veuve avec quatre enfants. Eh bien, je dis qu'un pareil système est détestable, qu'il est inhumain, qu'il est barbare et que la première chose .qu'il faut faire, c'est s'occuper de la veuve et des orphelins, c'est empêcher ces êtres que la Providence nous a livrés pour les secourir, de mourir de faim.

M. Ortsµ. - L'honorable M. Dumortier a trouvé texte dans une interruption pour se livrer à une sortie très chaleureuse. L'honorable membre ne m'a pas compris. Je lui ai dit simplement ceci : que ce qui est incontestable, ce qui est un fait historique aussi bien démontré par les chiffres que ce fait que 2 et 2 font 4, c'est que là où les bureaux de bienfaisance sont plus riches, il y a un plus grand nombre de pauvres cl que les ressources de la bienfaisance officielle sont en général sans aucun profit pour la classe à laquelle elles sont destinées.

Mais je n'ai pas conclu de là qu'il ne fallait pas secourir les misères publiques et les misères privées. Je n'ai pas conclu de là que la charité était une mauvaise chose, je n'ai pas conclu de là que la bienfaisance devait être condamnée, et c'est cependant l'accusation qu'il a trouvé bon de me lancer.

Je lui ai dit simplement ceci : La charité publique est une charité insuffisante qui a un seul résultat : c'est non pas de guérir les misères, mais de les propager.

Si l'honorable M. Dumortier veut un jour entamer avec moi un débat de chiffres sur ce point, je me fais fort de lui démontrer, statistique de chacune de nos communes en main, que je suis parfaitement dans le vrai.

Maintenant, quand des misères exceptionnelles ou quand des misères accidentelles, causées par les grands malheurs ; qu'a indiqués l'honorable M. Dumortier, se manifestent, faut-il ou ne faut-il pas secourir ? Mais il faut secourir. Mais pour tout homme qui a un cœur, il ne peut pas y avoir deux opinions sur cette question.

Qui doit secourir alors ? Mais tout le monde : la charité privée d'abord ; les associations, tout ce qui au monde a quelque chose à détacher de son (page 453) superflu pour donner à ceux qui manquent du nécessaire. Tout le monde doit alors faire son devoir.

Voilà mon opinion ; voilà ce que je veux en matière de charité ; et si un jour nous arrivons à examiner cette question en vue d'organiser la charité en Belgique, je reprendrai le débat avec l'honorable M. Dumortier. Mais je n'entends pas être représenté comme ayant soutenu la doctrine impitoyable, la doctrine mauvaise, qu'on ne doit pas secourir ceux de nos frères qui sont malheureux, et qui le sont surtout d'une manière imméritée.

M. de Theuxµ. - Je crois qu'en cette matière, comme en toute autre, il ne faut pas d'opinion extrême.

J'admets très volontiers que lorsque, dans une commune, il y a excédant de revenus pour le bureau de bienfaisance, il y a quelquefois des abus. Mais ces abus se corrigent en ce que, au bout de peu de temps, là où if y a des secours pour les indigents, il y a bientôt augmentation de population ; de même que là où il y s surabondance de travail, il y a bientôt aussi augmentation de population, parce que l'ouvrier indigent va où il est certain de trouver du travail, plutôt que de rester là où il n'en trouve pas et où il continuerait à souffrir la misère.

Je crois donc, messieurs, que dans cette matière, il faut se garder d'opinions extrêmes, mais je ne crains pas de dire que dans l'ensemble du pays, il y a plutôt déficit qu'excédant, quant aux ressources des établissements de bienfaisance.

La charité officielle présente, à la vérité, certains inconvénients, c'est que les secours ne sont pas distribués à l'instant même où la nécessité s'en manifeste, et si la charité privée n'intervenait pas dans ces moments-là, la charité officielle serait loin de suffire.

M. Dumortierµ. - L'honorable député, de Bruxelles, qui m'a répondu, donne évidemment à ma pensée une portée extrême lorsqu'il a cru que je lui attribuais des sentiments comme ceux dont il s'est défendu ; mais ce que j'ai voulu combattre, ce sont les doctrines économiques que lui et M. le ministre de l'intérieur défendent, et qui consistent à dire que la misère augmente quand la charité s'exerce sur une plus grande : échelle.

Certainement lorsqu'un bureau de bienfaisance d'une grande ville veut donner par lui-même, il y aura des abus ; mais si le bureau de bienfaisance organise des comités de paroisse dont les membres vont visiter les pauvres et qui donnent, au moment du besoin, alors on ne peut pas dire que les fonds de la bienfaisance sont mal employés.

Vous dites avec raison que les sociétés particulières, que la charité privée doit intervenir. Oh ! que je suis heureux de voir sortir de votre bouche l'éloge de la charité privée, l'éloge de cette magnifique société de Saint-Vincent de Paul ! Seulement je suis surpris d'une chose c'est qu'en Belgique il suffit d'être membre de la société de Saint-Vincent de Paul pour être considéré comme incapable d'occuper un emploi quelconque.

M. Couvreurµ. - Bien que je partage sur cette question l'opinion de M. le ministre de l'intérieur et de M. Orts, je crois que je répondrai au sentiment de la Chambre en ne répondant pas en ce moment à l'honorable M. Dumortier.

Je n'ai demandé la parole que pour présenter une simple observation. Je ne connaissais pas les modifications que. l'honorable ministre de l'intérieur a apportées au programme des écoles normales et je connaissais encore moins le discours qu'il a prononcé devant la commission de statistique. Je suis donc heureux de m'être rencontré avec un esprit aussi distingué que l'honorable M. Pirmez et ne puis que l'engager à continuer à marcher dans la voie où il est entré. Toutefois, il me permettra d'ajouter que si le programme tel qu'il a été modifié ne fait pas de l'enseignement de la gymnastique un enseignement méthodique, mais un simple jeu, si les matières de cet enseignement ne sont pas inscrites au programme des examens, on n'aura rien fait ; ce sera un enseignement qui ne se propagera pas. J'appelle tout spécialement sur ce point son attention.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Messieurs, j'ai entendu avec regret M. le ministre de l'intérieur reprocher tout à l'heure à un grand nombre de communes rurales de ne pas remplir leur devoir en matière d'enseignement primaire.

Je crois, au contraire, comme l'honorable M. Vandenpeereboom, qu'à cet égard il y a un empressement général, auquel il faut rendre hommage, et si, dans certains cas, il y a eu des résistances ou des difficultés, j'ai à me demander si la cause n'en réside pas dans l'exagération des dépenses qui se rapportent à la construction des bâtiments d'école.

Il est à ma connaissance que parfois les architectes se préoccupent bien plus de la question de l'art que des ressources dont on dispose. Assez fréquemment, on a fait des devis tellement élevés qu'il en résultait pour les communes, ou bien une impossibilité, ou bien une difficulté très grande de satisfaire à ces dépenses.

Je crois, comme l'honorable M. Vandenpeereboom, qu'il fait assurer l'observation de toutes les conditions d'hygiène et de salubrité, mais je ne pense pas qu'il faille aller jusqu'au luxe, surtout lorsqu'il s'agit de bâtiments devant servir à des populations pauvres ou jouissant de peu d'aisance. Car, remarquez-le bien, dans ce cas, les dépenses consacrées à l'école se font au détriment d'autres dépenses non moins utiles et souvent non moins urgentes.

J'appelle sur ce point l'attention de M. le ministre de l'intérieur.

Avant que la Chambre termine la discussion à laquelle elle s'est livrée sur les chapitres XV, XVI. et XVII du budget, je désirerais rappeler une attire question1 très importante, qui intéresse l'instruction publique à tous les degrés parce qu'elle en touche le couronnement.

Je veux parler des examens où la jeunesse a à justifier de ses efforts et de son zèle.

Dans la discussion qui vient de se terminer et qui a été marquée par des considérations si élevées, il est un principe qui a été consacré par l'unanimité de toutes les opinions. C'est qu'il importe beaucoup moins pour la jeunesse de. tout savoir que de bien savoir ; qu'il importe bien moins pour le maître de chercher à tout lui apprendre qu'à lui donner l'aptitude pour apprendre plus tard. Il s'agit surtout de graver dans son intelligence des idées générales dont le travail développera l'application.

Eh bien, messieurs, lorsque nous analysons le programme des examens, nous avons à constater que les règles qu'il renferme ne sont pas en harmonie avec des principes aussi sages.

Ainsi, en ce qui touche aux mathématiques, nous avons entendu l'honorable. M. Schollaert démontrer, avec infiniment de raison, que c'est à l'intelligence de l'élève beaucoup plus qu'à sa mémoire qu'il faut s'adresser, et qu'à ce point de vue, le développement exagéré des études mathématiques présente des sérieuses inconvénients.

Or, pour le gradué, les mathématiques, qui exigent un travail d'esprit lent et difficile, sont précisément réservées à l'examen oral et en remplissent les deux tiers.

Mais je désire appeler l'attention de la Chambre sur une question qui a bien plus d'importance, selon moi, sur le système des certifications, système qui suppose trop souvent ce qui n'existe pas, et qui, à la place d'une vérité, met une hypothèse.

MpDµ. - Cette question concerne l’enseignement supérieur.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Tous les degrés de l'enseignement sont intéressés dans cette question et je l'expose très rapidement.

N'y a-t-il pas lieu de remarquer que, pour l'examen de philosophie et lettres, on considère comme matière à certificat la philosophie morale qui enseigne les nobles les grands devoirs de la vie ? D'autre part, on interroge sur la psychologie qui embrasse tant de systèmes, tant de vagues théories.

Ce qui est bien plus grave encore et je me bornerai à ce point, c'est que l'histoire même de la Belgique n'est qu'une matière à certificat. Or, je persiste à croire que celui qui ne connaît pas son pays, ne sera jamais digne de le servir.

Le gouvernement s'est déjà préoccupé, de cette question ; en 1861, M. Alp. Vandenpeereboom a présenté à la Chambre un projet qui avait principalement pour but de remédier à cet état de choses.

Je viens demander à M. le ministre de l'intérieur s'il se rallie aux conclusions qui ont été proposées à cette époque par son honorable prédécesseur. En ce cas, j'espère que la Chambre n'hésitera pas, dans cette session, à aborder la solution de cette importante question, car nous ne pouvons oublier, messieurs, que le programme des examens exerce une influence indiscutable et souveraine sur la direction même des éludes dont il doit constater les résultats.

MpDµ. - Par suite d'une augmentation proposée par M. le ministre de l'intérieur, le chiffre de l'article est porté à 4,414,437 francs. Je mets ce chiffre aux voix.

-- Le chiffre est adopté.

Chapitre XVIII. Lettres et sciences

M. Hagemansµ. - Pardonnez-moi, messieurs, de faire descendre la discussion des hauteurs où l'avaient élevée les magnifiques discours que nous avons entendu prononcer dans cette enceinte au sujet de l’enseignement et surtout à propos du grec et du latin.

On a évoqué, durant ces remarquables débats, les noms illustres d'Eschyle, de Sophocle, d'Euripide, d'Aristophane, de Plaute, de Terence. (page 451) Pais malmenant a ces grandes ombres, et voyons si nous prenons le bon moyen d'avoir chez nous des Eschyle, des Aristophane, des Plaute et des Térence.

L'article 101 littera d porte : Encouragements à la littérature et à l'art dramatiques : fr. 25,000 fr.

C'est au sujet de cet article que je désirerais, messieurs, présenter quelques observations. Je tâcherai de les faire les plus brèves possible, car le temps nous presse et nous ne devons pas oublier qu'il est des malheureux prisonniers pour dettes qui attendent la discussion sur la contrainte par corps.

En principe, messieurs, je ne suis pas un partisan bien enthousiaste de l'intervention du gouvernement en certaines matières. Je le reconnais, cependant, souvent cette intervention est encore utile, indispensable. Elle l'est en agriculture, et je partage complètement l'opinion des honorables membres qui l'ont si bien démontré dernièrement ; elle l'est dans les beaux-arts, je me suis déjà prononcé à cet égard dans cette Chambre ; elle l'est dans l'enseignement et dans les sciences.

Cette intervention est-elle également nécessaire dans les lettres on général, et particulièrement dans la littérature dramatique ? C'est possible.

Cependant, nul de nous n'admettra que c'est par des mesures administratives qu'on parviendra à créer chez nous un art dramatique florissant, et je crois, pour ma part, fort peu à l'efficacité des primes instituées dans le but d'encourager cet art. Mais c'est là une-question fort délicate que je ne chercherai pas à approfondir en ce moment, Notez, messieurs, que je n'entends parler que de la littérature française, et que je me garderai bien de toucher à la littérature flamande. : je. craindrais de soulever des tempêtes.

Voyons seulement, les primes admises, si par les mesures actuellement en vigueur, on parvient au but qu'on cherche à atteindre.

Evidemment non, et les résultats sont là pour le prouver.

On a pour but d'écarter les obstacles que. peuvent rencontrer les auteurs belges dans la carrière qu'ils ont choisie.

Mais précisément, au lieu d'écarter les obstacles, on en crée de nouveaux et on arrive, en somme, à un résultat diamétralement opposé.

La faute en est, en partie d'abord, à certaines conditions imposées aux auteurs belges qui veulent assurer la prime à leurs ouvrages.

L'article 2 de l'arrêté royal du 2 avril 1856, établissant les règles et les conditions des encouragements à accorder en faveur de la littérature, et de l'art dramatiques, décrète que pour que les subsides puissent être réclamés, l'ouvrage doit avoir été admis par un comité de lecture régulièrement constitué.

Or, il faut bien l'avouer, ce comité de lecture est vu de fort mauvais œil par les auteurs. A tort ou à raison, il est en quelque sorte considéré comme une commission de censure déguisée. Dernièrement encore, comme j'essayais de prendre la défense de ce comité, un écrivain belge me répondit : Essayez donc de faire adopter une pièce où vous vous moquerez de MM. les ministres et de M. le directeur des beaux-arts, chose permise par la Constitution, et vous verrez l'accueil qu'on vous fera !

Mettons que ceci soit exagéré, il n'en est pas moins vrai qu'à tort ou à raison, je le répète, on voit dans la création des comités de lecture une marque de défiance injuste envers les écrivains belges. Par cela même, les comités sont donc déjà une entrave ; mais ils en deviennent une. surtout par la lenteur qu'ils mettent souvent à donner leur appréciation sur les œuvres qui leur sont soumises. Il est telles pièces qui sont restées plus de six mois en souffrance, pièces pour ainsi dire d'actualité, auxquelles le laissez-passer était accordé en plein été, alors que l'actualité était devenue une vieillerie oubliée et n'était nullement plus de circonstance.

Si encore ces comités avaient le pouvoir d'assurer la représentation des œuvres auxquelles ils ont accordé leur approbation ! Mais il n'en est rien. En effet, si cela ne s'est vu, cela peut se voir, que le public siffle, la pièce approuvée, et elle ne sera plus jouée ; car une pièce sifflée ne se joue plus, et il arrivera, comme il faut trois représentations pour toucher la prime, que l'auteur, malgré le comité, ne touchera rien du tout.

Laissez donc faire au bon goût du publie la besogne des comités de lecture. Il s'en tirera tout aussi bien et fera prompte justice des inepties qu'on pourrait lui servir pour s'assurer une prime, qui le plus souvent ne paye pas le gaz que l'on brûle pour exécuter l'œuvre à laquelle elle est applicable.

Je demanderai donc à M. le ministre de l'intérieur, qui, lui non plus, n'est pas grand partisan des commissions, de bien vouloir examiner si on ne pourrait pas supprimer celles-ci et en finir avec cette approbation préalable parfaitement inutile, surtout pour les pièces destinées à des théâtres régulièrement organisés, tels que les trois grandes scènes bruxelloises et les scènes subventionnées des chefs-lieux de province. Le public, je le répète, et au besoin les mesures de police, feront bonne justice de ce qui sera mauvais ou immoral.

Quant aux autres scènes, c'est une autre question. Il en est où l'on pourrait faire abus pour toucher uniquement le subside ; il est vrai que l'abus existe malgré les comités. C'est ainsi que l'on m'a dit, je n'ai pas vérifié le fait, que dans quelques cabarets flamands, certains acteurs improvisés, montés comme Thespis sur un tréteau, débitent, devant les buveurs attablés, des pièces quelconques, dans le seul but de toucher les primes et les subsides.

M. A. Vandenpeereboomµ. - Je demande la parole.

M. Hagemansµ. - Je ne vois nul mal, au contraire, à ce qu'on s'amuse de la sorte, je critique seulement la spéculation qu'on a ou en vue aux dépens du gouvernement.

Mais quoi que le gouvernement fasse, quels que soient les sacrifices qu'il s'imposera pour protéger le théâtre national, les primes et les subsides n'auront jamais qu'une efficacité fort douteuse, pour ne pas dire plus, aussi longtemps que les traités garantiront la spoliation des auteurs étrangers au profit de nos entrepreneurs de spectacles.

Certes, lorsque en 1852 l'on a signé la convention pour la garantie réciproque de la propriété littéraire et artistique entre la Belgique et la France, ce fut une excellente mesure, ce fut un grand bienfait, car la lèpre de la contrefaçon rongeait la Belgique et lui donnait la plus triste réputation. C'est aux honorables MM. Rogier et de Brouckere que revient l'honneur d'avoir provoqué cette convention.

Dans une lettre du 15 août 1858 adressée au président du congrès du 27 septembre, M. de Lamartine écrivait ce passage. : « Il appartenait à la Belgique, terre intellectuelle par excellence, de prendre l'initiative de ce progrès de plus à accomplir dans la constitution des vraies propriétés. »

La mesure que l'on prenait alors était donc excellente : tout était à faire, et cette mesure ne pouvait être immédiatement plus radicale. Déjà elle n'avait soulevé que trop d'objections, et éditeurs et libraires criaient à la ruine. Aujourd'hui il reste à terminer l'œuvre, à la compléter. Je ne veux pas soulever ici la grande question de la propriété littéraire, et me prononcer entre le prince Louis Napoléon, actuellement empereur, répondant en 1841, à M. Jobard, l'auteur du Monautopole que beaucoup d'entre vous ont connu, messieurs :

« L'œuvre intellectuelle est une propriété, comme une terre, comme une maison ; elle doit jouir des mêmes droits et ne pouvoir être aliénée que pour cause d'utilité publique. »

Je ne veux pas me prononcer, dis-je, entre le prince Napoléon et Proudhon qui, dans ses Majorats littéraires, proteste lui énergiquement contre cette assimilation entre la propriété intellectuelle et la propriété foncière.

Mais quoi qu'il en soit, lui-même, Proudhon, accorde que l'auteur qui présente son œuvre à la consommation, a droit d'en retirer, à titre d'échange, un équivalent.

C'est cet équivalent qui, en Belgique, a été arbitrairement fixé.

Que se passe-t-il, en effet, à l'abri des traités en vigueur ?

Paris, le grand marché pour les pièces de théâtre, voit éclore, bon an mal an, une centaine, d'ouvrages dramatiques. De ces cent ouvrages, vingt-cinq réussissent ; de ces vingt-cinq pièces, auxquelles la presse européenne fait une réclame universelle, nos directeurs de théâtre en choisissent une dizaine, la fleur du panier.

M. Bouvierµ. - Le Pied de mouton, par exemple.

M. Hagemansµ. - Sur ces dix pièces choisies dans des conditions exceptionnelles, cinq au plus ont du succès chez nous. Or, pour jouer ces cinq pièces hors ligne, sur lesquelles l'attention du public a été extraordinairement attirée, qui sont revêtues de l'estampille des auteurs à la mode, qui sont faciles à jouer, puisque les difficiles et épineux travaux de la mise eu scène ont été faits à Paris, où l'on s'y connaît, que payent aux auteurs nos directeurs de spectacle ? Six francs par acte !

Est-ce que nos auteurs belges peuvent lutter dans de pareilles conditions ?

N'est-ce pas de la protection à rebours ? N'est-ce pas absolument comme si vous forciez les marchands étrangers à vendre en Belgique leurs produits à un taux excessivement minime, en quelque sorte pour rien ? Serait-ce le moyen d'encourager l'industrie nationale et de faire vendre cher les produits de nos manufactures ? Evidemment non. Eh bien, ce qui serait absurde dans un cas, ne l'est pas moins dans l'autre. Que le produit vienne de l'industrie ou qu'il vienne de l'intelligence, ce n'en est pas moins un produit.

Ainsi pourquoi, dans l'hypothèse que je viens d'émettre, l'acheteur favoriserait-il le marchand belge, tandis qu'il pourrait avoir à bas prix d'excellents produits, des produits de choix, du marchand étranger ? Pourquoi de même les entrepreneurs de spectacles joueraient-ils les pièces de nos (page 455) écrivains, quand ils peuvent avoir à si bon compte les pièces les plus estimées des auteurs étrangers ?

Ce serait là pour eux un métier de dupe. Aussi ne s'y laissent-ils pas prendre. Et si cela leur arrive parfois, c'est le plus souvent ou pour être agréable à nos auteurs pour telle ou telle raison, ou bien encore pour faire vibrer au profit de leur entreprise la fibre nationale, ou bien enfin, parce que la pièce qu'ils montent a si peu d'importance qu'elle peut passer sans inconvénient.

On me répondra : Vous voulez tuer les théâtres. Nullement, messieurs. Seulement je l'avoue, je préfère un seul bon théâtre, où la foule afflue, à dix théâtres vides, faisant de mauvaises affaires et laissant tout d'un coup sans ressources de malheureux artistes que le directeur abandonne tout d'un coup à leur triste sort au milieu de la saison.

Ce n'est pas, au reste, au gouvernement à protéger quelques entrepreneurs aux dépens de la justice, de l'équité et de la loyauté. Et il y aurait injustice, iniquité et déloyauté à spolier l'étranger, même au profit de nos nationaux. A plus forte raison, ne le spoliez pas, puisque, loin de profiler aux auteurs belges, cette spoliation leur est défavorable.

Et quand je dis, messieurs, que c'est de la protection en faveur des seuls entrepreneurs de spectacles, en voici la preuve. Dans son exposé des motifs, l'honorable, ministre des affaires étrangères d'alors, M. de Brouckere, en déposant le projet de la convention littéraire dans cette Chambre, disait, à propos de l'article 3 du traité : « L'article 3, afin de mettre les entrepreneurs de théâtre à l'abri de prétentions exagérées, détermine le maximum des droits exigibles, à défaut d'un accord entre les parties intéressées. Le taux de ces droits est modéré et inférieur au tarif établi en France dans les villes de province. »

Vous le voyez, messieurs, c'est bien dans le sens que j'indiquais qu'a été compris cet article 3 qui stipule le taux que pourront percevoir les auteurs. Il y est bien dit que ces dispositions spéciales tendent à sauvegarder les intérêts des entreprises dramatiques, et que le taux de ces droits est inférieur au tarif établi en France dans les villes de province.

Eh bien, messieurs, c'est là, je le répète, un intérêt mal compris.

Je crois, moi, que pour protéger sérieusement le théâtre national, le gouvernement n'a qu'à faire une chose honnête : Reconnaître aux auteurs étrangers, sur leurs œuvres, les droits dont ils jouissent chez eux, c'est-à-dire 5 p. c. sur les recettes, je crois, et placer les auteurs belges dans la même position que les auteurs français ; de cette manière, outre les primes, si, l'on y tient, les pièces des nationaux seraient protégées de tous les droits d'auteurs que les directeurs devraient aux écrivains étrangers pour l'exécution de leurs œuvres.

L'équité le commande et notre dignité l'exige.

J'ai dit.

M. A. Vandenpeereboomµ. - Je ne répondrai pas à la dernière partie du discours de l'honorable membre ; la Chambre est peu nombreuse, et le moment me semble peu opportun pour traiter la question des théâtres. J'ai seulement à répondre à deux observations présentées par l'honorable membre.

L'honorable membre critique l'institution des comités de lecture sur l'avis desquels sont donnés les primes ; il croit que c'est une espèce, de comité de censure. Il n'en est rien ; ces comités n'exercent aucune censure. Il faut cependant bien que les pièces soient examinées par quelqu'un. {Interruption.)

L'honorable membre dit que pour obtenir la prime il faut trois représentations. Oui, sans doute, c'est là une garantie de succès. Mais, messieurs, on peut faire des pièces qui auront un grand nombre de représentations et auxquelles, cependant, le gouvernement ne pourrait pas accorder un subside. Nous avons vu des revues fort plaisantes et qui attiraient beaucoup de monde ; cependant personne n'a jamais pensé qu'elles pussent être subsidiées.

M. Hymansµ. - Vous auriez refusé un subside à Aristophane.

M. A. Vandenpeereboomµ. - Si Aristophane venait demander un subside, on examinerait ; mais je crois qu'Aristophane ne se présentera pas.

Nous avons vu des pièces très décolletées.

L'honorable M. Bouvier vient de parler du Pied de mouton ; le gouvernement ne peut subsidier de telles œuvres.

M. Bouvierµ. - Je l'espère bien.

M. A. Vandenpeereboom. - Je crois donc que les comités de lecture sont indispensables pour faire un examen préalable. Ils peuvent présenter des inconvénients, des imperfections ; mais aussi longtemps que le gouvernement subsidiera les spectacles, ces comités seront nécessaires. Ils existent, du reste, dans tous les pays où l'on subventionne les théâtres.

J'ai demandé la parole lorsque l'honorable M. Hagemans a parle, un peu irrévérencieusement, selon moi, du théâtre flamand.

D'après l'honorable membre, le théâtre flamand ne se composerait que d'histrions qui montent sur des tonneaux dans les cabarets.

M. Bouvierµ. - Vous avez mal compris.

M. Hagemansµ. - J'ai dit des tréteaux.

M. A. Vandenpeereboomµ. - C'est à peu près synonyme.

Eh bien, messieurs, le théâtre flamand n'a rien de pareil. Il y a dans la plupart des communes des Flandres des théâtres parfaitement organisés et tout au moins aussi bien organisés que la plupart des théâtres français qui ne sont pas de premier ordre.

Je prie l'honorable M. Hagemans de vouloir croire que l'on y représente des pièces nationales qui sont parfaitement représentées tantôt par des acteurs de profession, tantôt par des amateurs qui ont un véritable talent d'artistes.

Eh bien, je trouve que, loin de ridiculiser ces théâtres, il faut les encourager, car c'est un puissant moyen d'instruction pour nos populations. J'ajoute que ces représentations flamandes n'ont pas les inconvénients de beaucoup de pièces malsaines qui nous viennent de l'autre côté de la frontière. Nos pièces flamandes sont morales, elles sont honnêtes, elles sont surtout patriotiques.

L'honorable M. de Maere indiquait l'autre jour quelques-uns des moyens à employer pour augmenter la civilisation des populations flamandes.

Eh bien, messieurs, c'en est un que d'encourager les auteurs qui l'ont des pièces flamandes.

M. Bouvierµ. - On ne le conteste pas.

M. Coomansµ. - Ce n'est pas seulement dans les Flandres qu'il y a des théâtres flamands. Il y en a aussi dans la province d'Anvers.

M. A. Vandenpeereboomµ. - Il y en a dans tous les centres de population flamande et c'est un grand bien.

M. Hagemansµ. - J'ai été mal compris. Je n'ai pas attaqué le théâtre flamand. J'avais même, au commencement de mon discours, dit que je ne voulais pas y faire allusion, de peur de soulever une tempête. et c'est malheureusement ce. qui est arrivé par suite d'un malentendu.

Je n'ai pas fait la moindre allusion au théâtre flamand. J'ait dit simplement que dans certains cabarets des individus montent sur des tréteaux et jouent une pièce uniquement pour toucher la prime et les subsides.

- La discussion est close.

Article 101

« Art. 101. Subsides et encouragements ; souscriptions ; acquisition d'ouvrages destinés aux bibliothèques populaires ; voyages et missions littéraires, scientifiques on archéologiques ; fouilles et travaux dans l'intérêt de l'archéologie nationale ; sociétés littéraires et scientifiques ; acquisition de publications littéraires ou scientifiques pour le service spécial de l'administration des lettres et des sciences ; dépenses diverses ; secours à des littérateurs ou savants qui sont dans le besoin, ou aux familles de littérateurs ou savants décédés ; subsides aux veuves et aux orphelins délaissés par les littérateurs Van Ryswyck, Vankerckhove, Gaucet, Denis Sotiau et II. Van Peene ; prix quinquennaux fondés par les arrêtés royaux du 1er décembre 1843 et du 6 juillet 1851 ; encouragements à la littérature et à l'art dramatique (littéraire et musical) ; publication des Chroniques belges inédites ; rédaction et publication de la table chronologique des chartes, diplômes, lettres patentes et autres actes imprimés, concernant l'histoire de la Belgique ; publication de documents rapportés d'Espagne et d'antres pays étrangers ; continuation de la publication des actes des anciens états généraux : fr. 108,000.

« Charge extraordinaire : fr. 25,500. »

- Adopté.

- Des voix. - A mardi !

M. Dumortierµ. - Nous ne sommes plus m nombre

- Des voix. - Continuons le chapitre.

M. Dumortierµ. - Je demande l'appel nominal.

M. Hymansµ. - Je fais la proposition de remettre la séance à mardi. Il y a encore différents orateurs inscrits pour parler sur différents articles ; je n'ai pas abusé de la parole pendant cette discussion, et je désirerais m'expliquer sur quelques points. Or, il me paraît impossible de le faire maintenant.

- De toutes parts. - A mardi.

- La séances est levée à 5 1/2 heures.