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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 3 mars 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 529) M. Reynaert, secrétaireµ, procède a l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Dethuin, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaertµ présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur P.-H.-R. Smit, sergent au 8ème régiment de ligne, né à Venloo (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Des habitants de Rossignol prient la Chambre de modifier l'article premier de la loi du 7 ventôse an XII, sur la police du roulage. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le colonel pensionné Vanden Bussche prie la Chambre d'appliquer aux officiers pensionnés le bénéfice de la loi qui accorde aux officiers en activité un cinquième en sus sur la pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Henry, ancien facteur de perception des postes, demande d'être admis à la pension. »

- Même renvoi.


« Des habitants d'Anvers demandent l'abolition du Sénat. »

- Même renvoi.


« M. Anspach demande un congé pour la séance de ce jour. »

- Accordé.

Composition des bureaux des sections

Les bureaux des sections du mois de mars ont été constitués ainsi qu'il suit :

Première section

Président : M. Lelièvre

Vice-président : M. d’Hane-Steenhuyse

Secrétaire : M. Bouvier

Rapporteur de pétitions : M. Van Merris


Deuxième section

Président : M. Vleminckx

Vice-président : M. Lebeau

Secrétaire : M. Mouton

Rapporteur de pétitions : M. T’Serstevens


Troisième section

Président : M. Vander Maesen

Vice-président : M. Sabatier

Secrétaire : M. Schmitz

Rapporteur de pétitions : M. Hagemans


Quatrième section

Président : M. Funck

Vice-président : M. Reynaert

Secrétaire : M. de Rossius

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Cinquième section

Président : M. Thonissen

Vice-président : M. Jonet

Secrétaire : M. Wouters

Rapporteur de pétitions : M. Julliot


Sixième section

Président : M. Van Iseghem

Vice-président : M. Watteeu

Secrétaire : M. de Moor

Rapporteur de pétitions : M. Dewandre

Projet de loi sur la contrainte par corps

Discussion générale

MpDµ. - La parole est à M. Lelièvre.

M. Lelièvreµ. - Il n'est personne qui ne reconnaisse la nécessité d'apporter à la législation sur la contrainte par corps de graves et profondes modifications.

Il n'y a de dissentiment que sur la question de savoir s'il y a lieu de supprimer complètement ce mode d'exécution, ou si l'on ne doit pas se borner à le restreindre à certains cas exceptionnels dont la gravité en réclame encore l'application.

En ce qui me concerne, j'estime qu'il faut maintenir la mesure rigoureuse et exceptionnelle dont il s'agit, dans les limites proposées par la section centrale, c'est-à-dire en cas de dol, de fraude ou de violence de la part du débiteur.

Il en est de même s'il est constaté que le débiteur n'est pas insolvable, parce que, dans ce cas, la mauvaise foi de celui qui ne paye pas est suffisamment constatée. Celui qui, ayant des ressources, dissimule son avoir et le recèle dans le but de ne pas satisfaire à des réclamations légitimes commet un dol caractérisé.

J'admets encore la contrainte par corps en matière répressive et dans une certaine mesure, quand il s'agit de dommages et intérêts résultant de délits et de quasi-délits énoncés à l'article 1382 du code civil.

Les procureurs généraux des trois cours d'appel, le premier président de la cour de Bruxelles, la cour d'appel de Gand siégeant en assemblée générale se sont prononcés contre le système radical proposant la suppression complète de la contrainte par corps.

Parmi les tribunaux de première instance et les chambres de commerce, un grand nombre partagent le même avis.

De la part de presque toutes les autorités consultées, il y a tendance prononcée à laisser subsister la contrainte par corps, lorsqu'il s'agit de faits doleux.

Tel est donc l'avis des hommes les plus compétents, versés dans les affaires et éclairés par les lumières de l'expérience.

Or, je ne pourrais me résoudre à voter la suppression complète de la contrainte par corps, alors que les plus éminents magistrats considèrent le système comme dangereux.

Remarquez, du reste, que la loi même du 22 juillet 1867 qui, en France, a supprimé la contrainte par corps, la maintient cependant en matière criminelle, correctionnelle et de simple police, de sorte qu'elle ne va pas aussi loin que le projet du gouvernement soumis à vos délibérations.

Au surplus, si on laisse subsister la mesure en matière répressive, il est impossible de ne pas la prononcer dans tous les cas où il y a dol, fraude ou violence.

En effet, les mêmes motifs militent dans cette dernière hypothèse ; au point de vue des intérêts de la partie lésée et de la société, le dol civil ne doit pas être distingué du dol atteint par la loi pénale.

Il y a, d'ailleurs, un véritable délit de la part du débiteur qui a commis la lésion à l'insu du créancier et contre la volonté de ce dernier.

Le créancier n'a même pu se prémunir contre l'acte du débiteur : ne pas accorder, en ce cas, à la partie lésée la contrainte, par corps, ce serait désarmer la victime au profit du malfaiteur. Ce serait laisser consommer un dommage, sans donner à celui qui l'a souffert, malgré lui, les moyens suffisants pour en obtenir la réparation.

Le système contraire donnerait lieu à de graves inconvénients. Des individus pourraient impunément commettre des actes doleux, même en dissimulant leur avoir.

Je pense que le système de la section centrale réalise une amélioration considérable réclamée par les principes de justice et d'humanité sans faire naître les abus qui résulteraient de la suppression complète de la contrainte par corps.

Cette mesure n'atteindra plus le débiteur de bonne foi, mais uniquement celui qui aura commis des actes répréhensibles à raison desquels la réclamation légitime du créancier a besoin d'une sanction spéciale.

Or, l'on ne peut préférer l'auteur d'actes frauduleux au créancier à qui l'on a, par des moyens odieux, enlevé une partie de son avoir ; entre le délinquant et sa victime, toute hésitation est impossible.

La loi française maintient la contrainte par corps en matière répressive.

Rien de plus décisif que les motifs déduits par le gouvernement en faveur de cette disposition.

En voici la teneur :

« Ce n'est plus une dette purement civile du moment qu'elle dérive d'un crime ou d'un délit ; il ne s'agit plus là seulement de l'exécution d'un contrat. En matière civile quelquefois, en matière commerciale presque toujours, le créancier a accepté son débiteur. On lui doit, parce qu'il a voulu prêter. S'il eût été assez clairvoyant, il n'aurait pas besoin de l'emprisonnement pour dette.

« En matière pénale, au contraire, il ne s'agit plus de contrat, mais de réparation. Le plaignant n'est créancier que parce qu'il a été victime. La société tout entière est intéressée à l'acquittement de ce genre de dette. Ce n'est pas assez pour elle que la peine ordinaire ait été subie, pour que la conscience publique soit satisfaite ; il faut encore que le préjudice ait été réparé et que le condamné ait complètement subi sa sentence en accomplissant la restitution et en payant les dommages et intérêts qui sont tout à la fois une indemnité et une espèce de peine prononcée au profit de la partie lésée. Lorsque le coupable a d'avance réparé sa faute autant qu'il était en lui, lorsque avant le jugement il a restitué la chose soustraite ou indemnisé la victime de ses méfaits, le tribunal lui en tient compte et il adoucit la peine. Pourquoi n'aurait-il pas le droit de l'aggraver pour le cas où, après sa condamnation, le coupable persisterait à ne pas réparer sa faute ?

(page 530) « Envisagée sous cet aspect, la contrainte par corps en matière criminelle est une sorte de peine éventuelle et complémentaire prononcée par anticipation pour le cas où le condamne ne voudrait ou ne pourrait pas satisfaire à la peine pécuniaire qui lui a été infligée au profit de la partie civile.

« Ainsi conservée, la contrainte par corps protège de grands intérêts. Elle permet à l'Etat d'atteindre avec une pleine efficacité les comptables infidèles ; elle donne les moyens de faire réparer les fraudes les plus graves qui sont atteintes par la loi pénale, les abus de confiance, les violations de dépôt, le détournement des deniers pupillaires, la banqueroute et même le stellionat qui, lorsqu'il est frauduleux, constitue souvent, une véritable escroquerie. Elle corrige enfin tout ce qu'aurait sans cela d'excessif l'entière abolition de la contrainte par corps en matière civile et en matière commerciale. »

J'ajoute que le maintien de l'emprisonnement subsidiaire substitué à l'amende, dans le cas où celle-ci n'est pas acquittée, doit avoir pour conséquence nécessaire la non abrogation de la contrainte par corps en matière pénale.

L'emprisonnement subsidiaire, que personne ne songe à supprimer, est une véritable contrainte, par corps, et il y aurait anomalie à le laisser subsister, quant à l'amende, alors que la même mesure ne sérail pas admise en ce qui concerne les dommages et intérêts et frais.

Ces considérations me portent à proposer une disposition analogue à celle que la loi de 1867 a décrétée chez nos voisins, disposition consacrée d'ailleurs par le nouveau code pénal.

D'un autre côté, il paraît indispensable que, selon les circonstances, la contrainte par corps puisse être prononcée, à raison de faits qui, envisagés au point de vue de l'article 1382 du code civil, donnent lieu à réparation.

Il s'agit, en effet, dans cette disposition, de dommages et intérêts causés sans la volonté de la partie lésée, de faits dont la gravité peut être telle, que la mesure en question soit indispensable pour en assurer la réparation. En ce cas encore il nous paraît de toute justice de donner une sanction spéciale à la créance de la personne lésée.

Dans cette hypothèse aussi, il s'agit non de convention, mais de réparation. Le créancier n'a pas choisi son débiteur. Celui-ci s'est imposé. Or, il est impossible, dans tous les cas, de laisser désarmée la personne qui a été victime d'un fait contre lequel elle n'a pu se prémunir.

Sans doute, les tribunaux prendront égard aux faits de la cause et ne prononceront la mesure rigoureuse dont nous nous occupons que dans l'hypothèse où les circonstances la légitimeront.

Mais, au moins, ces circonstances peuvent être de telle nature que la réparation serait complètement illusoire, si l'exécution du jugement ne pouvait être assurée par le moyen de contrainte dont il s'agit.

Le maintien de cette contrainte, dans l'hypothèse dont il s'agit, aura même souvent pour conséquence de prévenir la lésion. Combien d'individus s'arrêteront avant de consommer le dommage, lorsqu'ils connaîtront que la réparation pourra, au besoin, être poursuivie par la voie coercitive et rigoureuse que les tribunaux seront autorisés à employer !

La contrainte par corps, facultative dans le cas de l'article 1382 du code civil, aura donc très souvent un effet préventif sauvegardant les intérêts de la société et des particuliers.

La suppression radicale de cette mesure encouragerait les malveillants et serait une cause fréquente de dommages qui se produiraient à raison de la certitude de l'impunité.

N'est-il pas évident qu'en cas d'adoption du projet, des hommes immoraux et indélicats seront enhardis à causer volontairement des dommages à autrui, lorsqu'ils sauront que tous moyens d'exécution du jugement qui serait rendu contre eux feront défaut à leurs victimes ?

D'un autre côté, des malveillants qui voudront nuire se serviront d'individus insolvables, contre lesquels tout recours sera impossible.

A mon avis, la suppression de la contrainte par corps en matière de dommages et intérêts, c'est le droit du citoyen honnête désarmé vis-à-vis du malfaiteur insolvable. Pour respecter la liberté du méchant, on sacrifie tout ce que l'honnête homme a de plus cher ; tous les droits les plus sacrés sur lesquels il a dû compter dans l'ordre social. On refuse protection à la partie digne d'intérêt, en faveur du misérable auquel on accorde un brevet d'impunité.

Il y a plus, et je pourrais citer des faits à l'appui de ce que j'avance, la diffamation, l'atteinte au crédit seront l'objet d'une honteuse spéculation, d'un chantage odieux, et on les commettra avec d'autant plus d'audace qu'on pourra se rire d'avance de l'impuissance où se trouvera la victime de réclamer une répression efficace.

Remarquez que l'atteinte portée au crédit ne constitue pas même un délit puni de peines publiques, de sorte que si toute contrainte par corps est supprimée, le fait dont il s'agit, dont personne ne peut se dissimuler les graves conséquences, pourrait impunément être commis par un individu insolvable.

Tels sont les motifs qui dicteront mon vote et ne me permettent pas de me rallier au projet du gouvernement.

Supprimer la contrainte par corps dans la plupart des cas, mais la maintenir dans des circonstances exceptionnelles, où des considérations d'un ordre supérieur exigent que ce mode d'exécution puisse être employé, c'est, à mon avis, réaliser le progrès sainement entendu, c'est concilier les droits du créancier avec la faveur que mérite la liberté individuelle, c'est sauvegarder tous les intérêts engagés dans cette importante matière.

- L'amendement de M. Lelièvre est appuyé. Il fera partie de la discussion.

MjBµ. - Messieurs, je viens faire connaître à la Chambre, le plus brièvement possible, les motifs qui m'empêchent de me rallier aux propositions de la section centrale.

Mais auparavant, je veux répondre à un reproche qui nous a été adressé. On a dit que nous nous étions laissé distancer par les autres nations dans la réforme que nous proposons aujourd'hui à la législature. Il n'en est rien. Le projet de loi qui vous est soumis, a été, il est vrai, déposé après le projet français, mais alors qu'on croyait généralement que l'abolition de la contrainte serait rejetée par le corps législatif, parce que la commission chargée de l'examen du projet de loi se prononçait formellement contre son adoption.

Notre projet a été déposé avant que l'Allemagne du Nord, l'Autriche et l'Angleterre se soient occupées de cette réforme. Nous sommes peut-être des derniers à la discuter, mais il n'en est pas moins vrai que nous en avons pris l'initiative presque en même temps que la France.

Ceci dit, examinons les différentes questions que le projet de loi soulève.

Je ne parlerai pas du caractère odieux de la contrainte par corps ; on est saturé de discours sur ce point. Tous les membres de la Chambre ont lu les brillantes discussions qui ont eu lieu en France ou la traduction des discussions remarquables dont les parlements d'Allemagne et d'Autriche ont retenti.

Il serait puéril de rappeler ici tous les motifs qui militent en faveur de l'abolition de la contrainte par corps.

La question a, du reste, fait un grand pas. Nous sommes d'accord sur le principe : il faut supprimer la contrainte par corps dans tous les cas où elle n'est pas nécessaire ; il ne faut la maintenir que lorsqu'elle est indispensable.

Telle est l'opinion de la section centrale.

Le débat entre la section centrale et le gouvernement est donc bien simple : Au gouvernement, de prouver que la contrainte par corps n'est pas nécessaire ; à la section centrale, d'établir qu'au contraire la société ne peut se passer de la contrainte par corps dans certains cas déterminés.

Le système de la section centrale repose sur une erreur, sur un principe faux ; toute la base de son argumentation, c'est l'existence du délit civil. Or, il n'y a pas de délit civil.

L'honorable rapporteur de la section centrale invoque en vain l'autorité de jurisconsultes qui ont écrit sur le code civil et sur le droit romain ; il ne s'agit pas de rechercher les intentions des législateurs qui nous ont précédés ; il ne s'agit pas davantage d'interpréter les textes de lois existants, nous ne sommes pas ici des jurisconsultes, mais des législateurs appelés à fixer les règles du droit.

Or, dans quel cas la société peut-elle punir ? Le droit de punir n'appartient à l'Etat que pour des actes qui blessent à la fois la société et les individus. C'est ce que Rossi explique en ces termes :

« Le pouvoir social ne. peut regarder comme un délit que la violation d'un devoir envers la société et les individus, exigible en soi et utile au maintien de l'ordre politique, d'un devoir dont l'accomplissement ne peut être assuré que par la sanction pénale et dont l'infraction peut être appréciée par la justice humaine. »

La société a pour devoir de se conserver et se défendre ; mais le pouvoir social n'a pas pour mission de régir l'humanité dans toutes les sphères de son activité.

Vous voulez établir une peine pour les infractions aux obligations pécuniaires que des citoyens contractent les uns vis-à-vis des autres. Mais, messieurs, si vous voulez exercer votre action sur les rapports de ce genre, entrez dans la demeure des citoyens et vous aurez à vous occuper de bien d'autres infractions. Vous verrez des abus bien plus graves que ceux qu'il s'agit de réprimer. Combien d'intérêts lésés, d'affections froissées, et (page 531) cependant vous n’intervenez pas et vous ne pouvez pas intervenir. Vous n'avez le droit d'intervenir que quand vous vous trouvez en présence de faits qui menacent la société dans son existence. Est-il jamais venu à l'idée de personne d'assurer par des pénalités l'exécution des obligations civiles et morales des citoyens les uns envers les autres ?

Si un particulier cause du tort à autrui, dans les relations sociales, commerciales, industrielles ou civiles, et qu'en même temps il nuise aux intérêts de la société, alors il faut sévir, alors la société doit agir, mais elle n'intervient pas seulement dans l'intérêt de l'individu qui a été lésé. Si elle répare le dommage individuel, elle répare aussi et d'abord le préjudice causé à ses propres intérêts, et elle le fait en infligeant une peine.

Prenons un exemple : Un individu escroque à autrui une somme d'argent. S'il n'y avait qu'une lésion individuelle, la société pourrait se contenter de faire rembourser la somme volée et tout serait dit. La personne lésée serait désintéressée.

Mais, messieurs, lorsqu'il n'y a que la violation de contrats passés entre particuliers ou d'obligations nées d'un fait non criminel, la société n'est plus armée.

Le droit de punir commence là où l'intérêt social est en jeu et expire là où l'intérêt social disparait.

Si donc vous démontriez que dans les cas où vous appliquez la contrainte par corps, l'intérêt social est engagé, je vous répondrais qu'il y a lieu à répression suivant le droit pénal ordinaire. Il n'y a pas de milieu. Prétendez-vous que la société doit se prémunir contre l'inexécution des contrats en cas de dol, fraude ou violence ? Eh bien alors, la société doit porter des peines et ajouter de nouvelles dispositions aux chapitres du code pénal. Et c'est ainsi qu'a agi le législateur. Chaque fois, en effet, que la société se trouve en présence d'un fait qui porte atteinte à l'ordre social, ne sévit-elle pas ? En matière de faillites, ne va-t-elle pas jusqu'à punir le simple retard dans la déclaration de la cessation de payement ?

Vous voyez donc bien que la société n'a pas reculé lorsqu'elle se croyait en présence d'un devoir social méconnu. Mais il ne faut pas déplacer le débat. Si vous prétendez que les faits qui vous occupent doivent être réprimés dans l'intérêt de la société, il faut aller jusqu'au bout et les qualifier de délits. Si, au contraire, vous n'avez à faire valoir que des considérations qui touchent uniquement aux intérêts particuliers, vous ne pouvez plus parler de peines, vous ne pouvez parler que de réparations.

Aussi, messieurs, il suffit d'examiner un instant le caractère de la contrainte par corps pour se convaincre que l'honorable M. Delcour verse dans l'erreur lorsqu'il en fait une peine, une peine civile, lorsqu'il y voit le premier degré de la répression.

Non, messieurs, la contrainte n'est pas une peine.

D'abord la peine doit être proportionnée à la culpabilité.

Or, avec le système de la section centrale, tout débiteur de mauvaise foi, solvable ou non, pourrait être puni d'un emprisonnement de deux ans, quelle que soit la gravité de sa faute.

L'individu qui n'a commis qu'une fraude insignifiante serait traité sur le même pied que l'individu coupable du dol le plus grave. C'est contraire aux principes de la criminalité qui veulent que la peine soit proportionnée à l'infraction.

Si c'était une peine, ce ne serait pas le particulier qui la ferait exécuter, mais bien le pouvoir social. Comment ! vous remettriez les intérêts de la vindicte publique aux mains d'un individu, sans vous inquiéter si celui-ci ne spéculerait pas sur les affections de famille, sur l'honneur même de son débiteur !

Mais c'est impossible. Ce n'est donc pas une peine, puisque la société ne l'exécute pas elle-même. Mais, dit l'honorable M. Delcour, en matière d'amendes, n'avez-vous pas dans le code pénal l'emprisonnement subsidiaire ? L'amende est une peine et non une réparation. et pourquoi a-t-on prononcé l'emprisonnement subsidiaire ? Par une raison bien simple. On s'est dit que celui qui n'a pas d'argent ne subirait pas de peine. Il y aurait toute une catégorie de citoyens dont les infractions resteraient impunies, parce qu'ils ne possèdent pas les moyens de payer l'amende, et c'est pourquoi l'on a dû substituer l'emprisonnement à l'amende.

Le troisième caractère de la peine qui manque à la contrainte par corps, c'est la possibilité de la réduction par le pouvoir exécutif. Le droit de grâce existe. Eh bien, ici le pouvoir exécutif n'a rien à dire. C'est le créancier qui est juge du point de savoir s'il faut réduire ou prolonger la peine, selon son caprice. Il peut aller d'un jour à deux ans, dans les limites de la loi, comme il l’entend. Est-ce possible ?

Enfin, et cette raison est déterminante, quand l'individu a subi sa peine, il est libéré. Or, ce n'est pas le cas ici. L'individu qui a été emprisonné pour ne pas avoir payé son créancier, voit tous les jours sa dette augmenter et quand il a subi ses deux ans de prison, le créancier a encore le droit de saisir ses biens.

Il est donc clair que c'est un véritable abus de mots, et l'honorable M. Delcour le reconnaîtra, que de prétendre que la contrainte par corps est une peine. (Interruption.) Vous dites : « peine civile.» (Interruption.)

Il ne s'agit pas de jouer sur les mots ; voici la confusion que vous jetez dans les idées. Vous dites : Nous ne frappons que l'homme qui a usé de dol, de fraude ou de violence, et c'est à l'aide de ces mots que vous parvenez à faire croire que vous établissez une peine et une peine justifiée par une certaine culpabilité.

Si vous disiez au public que la contrainte n'est pas une peine, mais bien une épreuve de solvabilité, la question serait autrement jugée.

On ne peut donc pas armer la justice civile du droit de punir, et si vous pouviez le faire, vous devriez modifier la procédure en matière civile et commerciale. Si vous prétendez qu'il existe des peines civiles, c'est-à-dire des châtiments qui doivent atteindre l'individu dans son honneur et dans sa liberté, il faut établir des garanties pour sauvegarder cet honneur et cette liberté. Ainsi, en matière civile la preuve n'est pas admise au delà de certaine somme ou contrairement aux actes. Vous serez obligés d'appliquer d'autres règles et d'admettre comme la preuve testimoniale quelle que soit l'importance du litige et qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas d'actes.

Selon nous donc, messieurs, la base du projet de la section centrale est erronée, et c'est de cette erreur que proviennent tous les vices de son système.

Pourquoi, messieurs, le gouvernement propose-t-il l'abolition de la contrainte par corps ? Pour deux motifs : parce qu'elle est inutile et parce qu'elle est nuisible.

Elle est inutile. Je n'ai pas besoin d'invoquer les intérêts de. la morale ; ils sont considérables assurément, mais je veux me placer au point de vue purement économique.

De deux choses l'une, ou bien quand vous contractez, vous traitez avec un honnête homme qui a l'intention de remplir ses engagements, ou bien vous traitez avec un malhonnête homme qui compte se soustraire à l'accomplissement de ses obligations. Dans le premier cas, la contrainte par corps est odieuse, la section centrale le reconnaît ; dans le second cas, qu'arrive-t-il ? C'est que le contrat ne se fait qu'en vue de la contrainte par corps. Et c'est ce qu'il faut empêcher ; il ne peut pas y avoir de crédit basé sur la contrainte par corps.

Je le sais bien, le projet de loi atteindra les bas-fonds du commerce où se font souvent d'ignobles spéculations.

Est-ce un mal ? Je ne le crois pas. Je n'admets pas que le particulier qui n'offre ni antécédents, ni conduite, ni honorabilité, ni travail, obtienne du crédit.

Que l'individu qui veut obtenir du crédit s'en rende digne par son travail et par sa conduite ; mais qu'on ne vienne pas nous dire : Nous lui accorderions du crédit si nous avions prise sur lui par la contrainte par corps. Je ne veux point du crédit basé sur la liberté humaine ! (Interruption.)

La contrainte par corps est contraire aux intérêts du commerce ; les économistes les plus distingués ont déclaré qu'elle n'a pas d'action sur le crédit.

Les membres les plus éminents du parlement du Nord ont fait remarquer que plus le commerce prend de développement, moins la contrainte par corps est exercée.

Il n'y a donc aucune relation de cause à effet entre la contrainte par corps et le commerce.

Les deux années d'expérience que l'on vient de faire en France prouvent qu'il en est ainsi, et quand de grands peuples commerçants et industriels agissent ainsi, nous ne pouvons soutenir que le crédit soit engagé dans cette affaire.

Je demanderai si parce que la contrainte par corps est abolie en France. le papier sur Paris a perdu de sa valeur ? Evidemment non. Tel devrait être pourtant le résultat obtenu si la thèse de l'honorable M. Delcour était vraie.

La contrainte est une prime pour le créancier le plus rapace au détriment du créancier le plus humain. C'est une prime pour le créancier local au détriment du créancier lointain. Le créancier qui demeure dans la même localité que le débiteur le menace, le poursuit et qu'arrive-t-il ? C'est que le débiteur se hâte de faire de nouvelles dupes afin de pouvoir (page 532) s'acquitter. Et le plus souvent l'avoir du débiteur est réalisé an profil d'un seul créancier.

En faisant valoir ces considérations qui touchent uniquement à l'intérêt économique, j'explique en même temps pourquoi je n'ai pas consulté la magistrature sur le projet d'abolir la contrainte.

Il ne s'agit pas seulement d'une question de droit et de morale, il s'agit surtout d'une question économique.

Chose remarquable, beaucoup de magistrats se sont prononcés pour l'abolition de la contrainte par corps, et si quelques-uns se sont prononcés contre cette mesure, la presque unanimité des commerçants se sont montrés favorables au projet du gouvernement. Oui, messieurs, ceux que vous voulez protéger ne veulent pas de votre protection.

S'il est prouvé que la contrainte par corps est nuisible et inutile, il est bien certain que nous ne pouvons pas faire d'exceptions. Les mêmes principes doivent amener les mêmes effets, quelles que soient les matières dans lesquelles les faits se produisent.

Notre système est bien simple : saisir les biens et laisser libre la personne, car la liberté de la personne n'est pas une cause de crédit.

Mais, nous dit-on, on peut prouver la solvabilité ; nous ne l'admettons pas, et je suis obligé, à cet égard, de faire à M. Delcour le reproche que lui faisait hier M. Thonissen. Le droit ne peut reposer sur des présomptions. Vous ne pouvez pas dire : Un tel est présumé avoir des biens. Il faut que vous établissiez qu'il en possède.

Votre preuve de solvabilité est chose toute nouvelle. (Interruption.)

Sous la loi de 1859, l'individu incarcéré devait, pour sortir de prison, prouver son insolvabilité. Or il lui était facile de fournir cette preuve ; il disait : « Je n'ai rien et je suis en prison » ; mais la preuve de la solvabilité est impossible. Quel est donc le magistrat qui, dans un jugement, oserait déclarer que tel individu est solvable alors qu'il ne lui connaît pas de biens ? Un pareil jugement ne violerait-il pas les notions les plus élémentaires du droit ? La preuve de la solvabilité est donc une utopie tant qu'il n'existe pas de biens saisissables. Et si des biens existent, il suffît de les saisir.

Ces principes admis, le système de la section centrale croule par sa base.

Son projet est basé sur la loi de 1859. Or, la loi de 1859 ne, considère pas la contrainte par corps comme une peine, elle la considère comme une preuve de solvabilité. En se plaçant à des points de vue différents, on doit aboutir fatalement à des conséquences différentes, et c'est ce qui arrive.

L'article premier du projet de la section centrale dit :

« Dans tous les cas où la contrainte par corps est autorisée par la loi du 21 mars 1859, en matière de commerce, en matière civile, contre les étrangers, ou en matière de deniers et d'effets publics, les juges ne la prononcent qu'en cas de dol, de fraude ou de violence, on lorsqu'il sera constaté que le débiteur n'est pas insolvable. »

Or, messieurs, que dit la loi de 1859 ?

« La contrainte par corps a lieu, en matière de commerce : 1° contre les commerçants pour dettes de commerce, même envers des non-commerçants... »

El plus loin :

« La contrainte par corps n'a lieu, en matière de commerce, que pour dettes d'une somme principale de deux cents francs et au-dessus. Elle est facultative lorsque la dette n'excède pas six cents francs. »

Or, que va-t-il arriver, messieurs, pour les délies de 200 à 300 francs, qui sont les plus ordinaires ? D'après le système de la loi de 1859. la contrainte est facultative, qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas dol, fraude ou violence, solvabilité ou insolvabilité.

Dans le système de l'honorable M. Delcour, le juge, devra-t-il prononcer la contrainte même pour les dettes de 200 à 600 francs, en cas de dol, de fraude ou de violence ? Voilà ce que nous ne savons pas. Si vous répondez affirmativement, vous aggravez la loi de 1859. Si vous répondez négativement, qu'est-ce que c'est que votre projet ?

Voilà un individu qui s'est emparé d'une somme de 200 à 600 francs par dol, par fraude ou par violence ; eh bien, la contrainte n'est pas applicable, elle est facultative.

La contrainte est une peine civile selon vous, et voilà la société qui n'a pas besoin d'être défendue lorsqu'il s'agit de moins de 600 francs, et qui en a besoin lorsqu'il s'agit d'une somme de plus de 600 francs.

Quand on ne voit dans la contrainte qu'une épreuve de solvabilité, je comprends qu'on dise que, pour une somme de 200 à 600 francs, un individu ne se laissera pas mettre en prison s'il est solvable. Mais il pourra n'en être pas de même si la somme est supérieure à 600 francs.

Dans votre système, peu importe la somme, il faut frapper le dol, la fraude ou la violence d'une peine. Notez, que je raisonne dans l'hypothèse où la contrainte serait facultative ; mais encore faudrait-il le dire, car d'après le texte de votre projet, on ne sait pas si la contrainte sera facultative pour les dettes de 200 à 600 francs, et si elle reste facultative, le juge n'aura plus de règle ; il ne saura plus que faire.

Messieurs, la loi de 1859 a parlé des cas de dol, de fraude ou de violence ; mais elle n'en a parlé qu'en matière civile, et seulement dans quelques cas pour les dommages-intérêts, par exemple.

En matière commerciale, la loi de 1859 autorise la contrainte par corps qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas dol, fraude ou violence ; elle ne s'en occupe pas, parce que la contrainte est une épreuve, de solvabilité. Je comprends ce système. En matière civile, la contrainte est un moyen d'exécution auquel on ne recourt que très rarement, si ce n'est pour les dommages-intérêts. Eh bien, pour ce cas-là, la loi de 1859 n'autorise la contrainte qu'en cas de dol, de fraude ou de violence. Mais que fait le projet de la section centrale ? Il introduit le dol, la fraude, la violence en matière commerciale ; c'est ici qu'est le danger et je ne suis pas certain que l'honorable M. Delcour se soit bien rendu compte des conséquences de son système. Je comprends que le législateur de 1859 ait dit : En matière de dommages-intérêts, il y aura lieu à contrainte en cas de dol, de fraude ou de violence, parce que, pour ces cas assez rares, le juge fixera facilement le dol et la fraude, (erratum, page 548) mais en matière de commerce, il est bien difficile de déterminer le dol et la fraude. C'est un système bien dangereux que celui que vous voulez inaugurer.

Vous allez jeter la perturbation dans les tribunaux consulaires.

Qu'est-ce que le dol, la fraude, en matière commerciale ?

On a écrit des volumes sur ce point. Il n'y a pas deux auteurs qui professent la même opinion. Vous ne trouverez peut-être pas non plus deux tribunaux qui apprécieront les faits de la même manière.

Il ne s'agit encore que de l'appréciation des faits, mais quant à définir le dol et la fraude, pour ma part, j'y renonce.

Maintenant, figurez-vous ce système dans l'application ! Un commerçant est créancier d'un autre commerçant ; il le. traduit devant le tribunal de commerce ; s'il veut recourir à la voie de la contrainte par corps, il doit commencer par articuler les faits de fraude et de dol.

Mais vous jetez une perturbation complète dans les tribunaux consulaires ; vous allez en faire de véritables tribunaux correctionnels consulaires.

La vertu commerciale a ses degrés. Il y a beaucoup de commerçants qui considèrent comme honnêtes certaines opérations que les juges condamneraient comme frauduleuses.

Voici un cas qui se présente tous les jours : Par un fait quelconque une valeur est dépréciée sur la place de Bruxelles ; le fait est inconnu à Paris ; on achète cette valeur à Bruxelles et on la revend à un taux plus élevé à Paris où, je le répète, la dépréciation est ignorée. Celui qui vend se garde bien de faire connaître la dépréciation à qui achète.

M. Delcourµ. - Il y a là dol.

MjBµ. - Je parle d'une seule opération, d'une des plus communes ; eh bien, l'honorable M. Delcour dit qu'il y a là dol ; et il s'agit du fait d'acheter à Bruxelles 30 francs ce qu'à Paris on va vendre 50 francs. C'est une opération qui est entachée de dol, ainsi le dit M. Delcour, et cependant cela se fait tous les jours.

Autre cas. On achète de grandes quantités de café à Hambourg et on les vend à un prix très élevé à Anvers, parce qu'on ignore dans cette ville certains arrivages. Il y a dol ! Donc, dans ce cas, il y aura lieu à contrainte par corps, d'après les propositions de la section centrale. N'avais-je pas raison de vous signaler les difficultés pratiques que ce système doit rencontrer ?,

J'aborde un autre point.

Si la loi sur les faillites était bien exécutée, la contrainte par corps n'existerait plus en matière commerciale.

En effet, d'après la loi sur les faillites, le commerçant qui a cessé ses payements est obligé d'en faire, dans les trois jours, la déclaration au greffe du tribunal, La mise en faillite arrête l'exercice de la contrainte par corps. De plus, messieurs, le tribunal a le droit de prononcer la faillite d'office lorsqu'il apprend la cessation de payement.

Eh bien, messieurs, je suppose un individu arrêté et mis en prison pour dette. N'est-ce pas la preuve qu'il a cessé ses payements ? (Interruption.) Vous dites que non ; eh bien, je prétends le contraire, et je crois que je suis dans le vrai.

Il se peut que dans de semblables cas les tribunaux n'ont pas toujours prononcé la faillite, mais c'est une erreur.

En effet, je ne connais pas de signe plus caractéristique de la cessation de payement d'un commerçant que son incarcération pour dette.

Je sais bien que vous m'opposerez des décisions judiciaires, mais si le (page 533) détenu n'est pas mis en état de faillite, c'est qu'il a des biens, ce que constate le jugement, et alors pourquoi ne les saisit-on pas ?

Je suppose que nous nous trouvions en présence d'un cas de ce genre ; l'individu qui cesse ses payements a des biens. A quoi bon la contrainte par corps ? Les créanciers peuvent se payer. Ils n'ont pas besoin pour cela d'incarcérer leur débiteur.

Maintenant, messieurs, pourquoi dans certains cas ne déclare-t-on pas la faillite alors que le débiteur est en prison ? C'est parce qu'on se trouve en présence d'un débiteur qui a des biens qui peuvent servir à acquitter sa dette.

Mais, dans l’état de la question, tons devrez admettre que le débiteur qui a des biens et qui par entêtement se refuse à payer, ne peut pas être contraint par corps. Qu'on saisisse ses biens, mais qu'on ne l'arrête pas. Voilà ce qu'il faudrait décider, et si maintenant les tribunaux ne prononcent pas la faillite de certains débiteurs incarcérés, c'est que la loi, à tort, permet la contrainte avant la saisie des biens.

La contrainte par corps est exercée souvent contre des non-commerçants qui souscrivent des lettres de change ; c'est la grande clientèle des prisons pour dettes et aussi des usuriers. Je m'occuperai d'eux tout à l'heure.

Mais, dit l'honorable M. Delcour, en matière de commerce, vous allez donc laisser commettre le dol, la fraude et la violence, et cela impunément ?

Non, messieurs, et c'est encore ce qui prouve l'inutilité du projet de la section centrale. La loi a prévu les cas de dol, de fraude et de violence et les a punis d'une manière plus sévère que vous ne proposez de les punir. Les articles 575 à 576 du code de commerce punissent les banqueroutiers simples et les banqueroutiers frauduleux.

Or, je prie l'honorable M. Delcour de bien vouloir me dire quels sont les cas de fraude, de dol ou de violence qui ne sont pas prévus par ces articles. Et, s'il ne peut me répondre, il devra bien admettre qu'il ne faut pas que les mêmes faits soient punis deux fois. Si l'individu commerçant, qui use de dol, de fraude ou de violence, et qui n'acquitte pas ses obligations, est puni comme banqueroutier, il est inutile de le punir comme s'étant rendu coupable d'un délit civil. Si l'honorable membre croit qu'il y a des cas de dol, de fraude ou de violence qui ne sont pas prévus par le code pénal, qu'il les indique ; je suis prêt à ajouter une disposition à l'article 575 et à déclarer banqueroutier simple tout commerçant qui aura usé de dol, de fraude ou de violence.

Mais si vous venez dire : Je fais punir par les tribunaux civils de la contrainte par corps le dol, la fraude ou la violence, vous n'êtes plus dans le vrai ; vous instituez une pénalité de droit civil, et il ne doit pas exister de pénalité de ce genre.

Au point de vue du crédit, le système du code est beaucoup plus efficace que celui de la section centrale. La menace de la faillite dans les cas de dol et de fraude a une influence plus grande que la menace de la contrainte par corps.

En effet, si la dette n'est pas le résultat du dol, de la fraude ou de la violence, le débiteur, dans le système de la section centrale, se moquera du créancier ; il dira : Vous ne pouvez m'atteindre ; vous ne pouvez me saisir. Mais si le fait est entaché de dol, de fraude ou de violence, vous direz au débiteur : Je vais vous mettre en faillite, et vous irez soit devant le tribunal correctionnel, soit devant la cour d'assises, et vous serez condamné comme banqueroutier simple ou comme banqueroutier frauduleux.

Donc la menace de la faillite, en cas de dol, de fraude ou de violence, est plus efficace que la contrainte par corps ; et la faillite a cet avantage, de ne pas favoriser un créancier aux dépens des autres, de permettre la juste répartition de l'avoir du débiteur, de permettre que tous les créanciers soient mis sur le même rang et non que le plus opiniâtre et le plus inhumain vienne prendre la plus grande partie de l'actif.

Du moment donc qu'il ne s'agit plus que d'atteindre le dol, la fraude ou la violence, je dis que la menace de la banqueroute a plus d'effet que la contrainte par corps, car non seulement le débiteur est mis en faillite, mais il est condamné de 3 mois à 5 ans de prison, du chef de banqueroute simple ou de banqueroute frauduleuse, et il est flétri. Vous avez donc dans la législation actuelle une arme plus violente que celle que vous demandez.

Si vous disiez : En toute matière qu'il y ait dol ou qu'il n'y ait pas dol, la contrainte par corps est applicable, votre argument aurait une certaine valeur. Mais dès l'instant que vous restreignez la contrainte aux cas de dol, de fraude ou de violence, vous vous trouvez en présence des faits qui constituent la banqueroute simple ou la banqueroute frauduleuse et vous n'avez plus besoin de votre peine civile.

Mais il y a plus, messieurs, l'honorable M. Delcour a oublié un point important : la distinction entre la lettre de change et le mandat à ordre que fait la loi de 1859.

On est d'accord maintenant que dans la pratique la remise de place en place n'est pas une condition essentielle de la lettre de change. Aussi, le rapport de la commission spéciale qui a examiné le titre de la Lettre de change, dont l'honorable M. Dupont est le rapporteur, propose-t-il d'assimiler le mandat à ordre à la lettre de change. Or, l'honorable M. Delcour n'a pas remarqué que le paragraphe 2 du n°2 de l'article premier de la loi de 1859 s'exprime en ces termes :

« Toutefois les non-commerçants ne sont pas soumis à la contrainte par corps lorsque les effets de change qu'ils ont signés ou garantis sont réputés simples promesses aux termes de l'article. 112 du code de commerce. »

Ainsi le particulier qui a signé une simple promesse échappe à la contrainte par corps sous l'empire de la législation actuelle. (erratum, page 548) Allez-vous aggraver cet état de choses, ou bien allez-vous étendre aux non-commerçants signataires de lettres de change, la faveur que la loi de 1859 leur accordait pour les simples promesses ? Des explications à cet égard ne seraient pas superflues.

Passons à la contrainte en matière civile.

En matière civile, faut-il maintenir la contrainte par corps ? Voyons les cas prévus par la loi de 1859. Nous avons d'abord le stellionat.

Je crois que l'on ferait mieux de ne pas en faire mention ; le stellionat est devenu impossible. Qu'est-ce en effet que le stellionat ? C'est le fait de vendre des biens déjà vendus ou de donner en hypothèque des biens déjà hypothéqués et qu'on dit libres. Eh bien, pour vendre, ou pour hypothéquer des biens, il faut un acte authentique, et le stellionat ne peut avoir lieu qu'à la suite d'une négligence du conservateur des hypothèques ou du notaire. Or, d'après la jurisprudence, si ces cas se produisent, le conservateur des hypothèques et le notaire sont responsables.

Maintenant, s'il y a des manœuvres frauduleuses, le vendeur ou le débiteur tombe sous l'application des dispositions du Code pénal relatives à l'escroquerie.

La loi de 1859 permet encore d'exercer la contrainte contre les dépositaires nécessaires, les séquestres, les gardiens judiciaires...

L'honorable M. Thonissen vous a démontré hier que le code pénal punissait les faits de dol ou de fraude dont ils pouvaient se rendre coupables.

La contrainte par corps a lieu :

Pour la restitution des sommes consignées entre les mains de personnes publiques établies à cet effet ;

Contre les officiers publics pour la représentation de leurs minutes ou d'autres pièces dont ils sont dépositaires quand elle est ordonnée par le juge ;

Contre les notaires, les avocats et les huissiers pour la représentation des titres et deniers qui leur ont été remis par suite de leurs fonctions ;

Contre le saisi, etc.

Ce sont tous cas où la contrainte par corps est sans utilité.

Mais il reste un cas, c'est la matière des dommages-intérêts. Il paraît que c'est le point difficile de la question ; il paraît même que les adversaires du projet abandonneraient volontiers tout le reste pour obtenir le maintien de la contrainte par corps en matière de dommages-intérêts. Eh bien, messieurs, la question est très simple ; qu'est-ce que c'est que. la loi actuelle ? C'est l'application d'un grand principe que j'ai énoncé tout à l'heure en ces termes : garantir les engagements par les biens du débiteur et non par la personne.

Je ne puis abandonner ce principe. Quelles que soient les difficultés pratiques, l'honneur de la législature veut qu'on le défende jusqu'au bout.

Les dommages-intérêts peuvent provenir d'un fait délictueux ou d'un fait non délictueux ; dans l'un ou l'autre cas, ils ne sont que la réparation du dommage souffert par l'individu.

Ainsi, que par dol ou par fraude, dans un contrat, on fasse perdre à un individu 400 fr. ou qu'on lui escroque 400 fr., quand le juge civil ou le juge criminel aura à se prononcer, qu'ordonnera-t-il ? La restitution des 400 francs ?

La condamnation aux dommages-intérêts ne perdra pas le caractère de réparation et, dans aucun cas, elle n'aura le caractère d'une peine. La preuve, c'est que, quelle que soit la criminalité du fait, vous ne verrez jamais la réparation dépasser la lésion.

Prenez deux hypothèses. Dans l'une, l'individu est peu criminel, mais il a occasionné un dommage immense, il sera condamné à une réparation considérable. Dans l'autre, le fait est des plus criminels et la lésion est peu de chose ; la réparation sera minime.

Il n'y a donc que réparation du tort causé. Ainsi, même en matière criminelle ou correctionnelle, la condamnation aux dommages-intérêts n'est pas une peine. Ce qui le prouve encore, c'est que la justice vous ouvre deux voies. Vous pouvez user de la voie civile ou de la voie criminelle et quand vous avez pris la voie civile, vous ne pouvez plus disposer de la voie criminelle.

(page 534) Il est donc clair, messieurs, que vous ne pouvez parler de peine appliquée à la fraude. La criminalité n'est pas en question ; il ne s'agit que de la réparation de la lésion.

Or, messieurs, puisque je ne puis admettre la contrainte par corps comme peine, je ne puis l'admettre en matière de dommages-intérêts. J'irais à rencontre du principe que j'ai proclamé.

Ce qui est vrai pour les délits l'est à plus forte raison pour les dommages-intérêts résultant de faits non délictueux.

L'honorable M. Lelièvre vous a présenté un amendement qui dit :

« La contrainte par corps est maintenue en matière criminelle, correctionnelle et de police.

« Elle peut aussi être prononcée pour dommages et intérêts, excédant trois cents francs adjugés en vertu de l'article 1382 du code civil. »

Or, l'article 1382 du code civil dit :

« Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé a la réparer. »

Ainsi, aux termes de cet amendement, la simple faute peut donner lieu à la contrainte par corps. Cet amendement aggrave donc la portée de la loi de 1859. Cette loi n'admet pas la contrainte par corps pour les dommages-intérêts résultant d'une faute. D'après cette loi, il faut qu'il y ait dol, fraude ou violence.

La proposition de M. Lelièvre, sans rien dire de blessant pour cet honorable membre, est donc de fait, si pas d'intention, une proposition réactionnaire, puisqu'elle étend la contrainte par corps à des faits que la loi de 1859 n'atteignait pas.

L'article 1382 ne fait que poser un principe qui est développé dans les articles suivants. Est-ce que M. Lelièvre entend appliquer la contrainte par corps a tous les faits dommageables énumérés dans les articles 1383, 1384, etc. ?

Mais, messieurs, s'il en était ainsi, un fait dommageable causé par un domestique, même sans fraude, sans dol, exposerait le maître à la contrainte par corps. Ce serait aller plus loin que la loi de 1859, et au lieu d'améliorer la situation on l'empirerait.

Il y a la presse ! Il faut être franc, et dire toute la vérité. (Interruption.)

Le législateur constituant a établi le jury pour juger les délits de la presse. Le Congrès ne songeait évidemment qu'aux délits politiques, il n'avait en vue que la presse se livrant à des attaques politiques, c'est ce qui lui a fait instituer le jury en matière de presse. Il s'était dit, avec beaucoup de raison, selon moi : Il n'y a que le jury pour bien apprécier si un journaliste a dépassé son droit en s'occupant des hommes et des choses de la politique.

Mais, depuis, des faits se sont produits qui ont quelque peu ébréché la doctrine du Congrès.

Les journalistes ne se sont pas contentés d'attaquer les particuliers à propos d'actes politiques, ils ont mis le pied dans la vie privée. Dans ces cas, les individus lésés n'aimaient pas à se présenter devant le jury, d'abord parce qu'ils ne tenaient pas à donner beaucoup de retentissement à des affaires privées et ensuite parce qu'en matière de presse le jury pouvait se laisser éloigner de son devoir par des considérations politiques.

Alors on a cherché un biais et on a déféré certains faits aux tribunaux civils en se fondant sur l'article 1382 du code civil.

Cette théorie a été inventée par la nécessité, on n'y avait pas songé dans le principe.

Vous me dites : Si je suis attaqué dans mon honneur, je n'irai pas devant le jury, parce que je ne veux pas faire d'éclat. Mais si je vais devant les tribunaux civils et que je n'aie plus la contrainte par corps, vous m’ôtez les moyens d'obtenir réparation, parce que, le plus souvent, je me trouverai en présence d'un prête-nom ou d'un individu insolvable.

C'est très fâcheux, je suis le premier à le reconnaître. Mais d'où cela vient-il ?

Cela vient de ce que l'on n'a pas confiance dans le jury, de ce qu'on le croit incapable de faire son devoir, de remplir sa mission quand il s'agit de délit de presse.

Voila la vérité. Si l'on avait la certitude que le jury condamnerait pour les faits de la vie privée aussi facilement que les tribunaux civils, on s'adresserait à lui.

- Un membre. - Et quand il n'y a pas de délit !

MjBµ. - Eh bien, quand il n'y a pas de délit, le journaliste se trouvera dans la même position que tout autre particulier.

Je n'admets pas que vous ne puissiez assimiler un fait de presse exempt de méchanceté, au cas d'un commerçant qui vous fait perdre cent mille francs par un mauvais procédé. (Interruption.)

Comment ! vous voudriez soustraire à la contrainte le commerçant qui trompe un particulier par dol, par fraude ou par violence, et qui lui fait perdre 100,000 francs, et vous n'en exempteriez pas le journaliste qui, de bonne foi, produit une assertion erronée ? Vous voudriez soumettre celui-ci à la contrainte par corps alors que l'autre y échapperait ? Mais cela est impossible ! (Interruption.)

Messieurs, on a prévu dans le code pénal les faits de la presse les plus insignifiants.

Il suffit qu'il y ait intention méchante pour que la presse soit punie. La simple injure, le gros mot tombent sous la loi pénale. (Interruption.)

Mais quand ii s'agit d'insinuations qui n'ont le caractère ni de l'injure, ni de la calomnie, il est impossible de ne pas mettre la presse sous le régime du droit commun. Ce n'est qu'en matière d'injure ou de calomnie que la suppression de la contrainte par corps présente certains inconvénients.

M. Coomansµ. - Sans la sanction des dommages-intérêts, vous n'auriez plus que des hommes de paille pour couvrir les délits de la presse.

MjBµ. - Je répète que si l'on était certain d'obtenir aussi bien des cours d'assises que des tribunaux, la répression des injures et des calomnies, car il ne s'agit que de cela, on serait pleinement satisfait et l'on ne ferait aucune objection à la suppression de la contrainte par corps en matière de dommages-intérêts, même en ce qui concerne les faits de la presse.

Mais, messieurs, je le reconnais, le jury n'a pas toujours répondu a l'attente de l'opinion ; et j'ajoute que je considère certains acquittements qu'il a prononcés comme un très mauvais service rendu à la liberté. C'est l'acte le plus réactionnaire que le jury pût faire, parce qu'il excitait par là l'opinion publique contre la presse tout entière.

Pour faire excuser les écarts de certains publicistes coutumiers du fait, on prépare une réaction contre les journalistes honnêtes qui font leur devoir. Ce sont les acquittements prononcés dans beaucoup de cas par le jury qui ont déterminé les particuliers à s'adresser aux tribunaux civils. Mais, prenons-y garde, c'est un moyen indirect de s'écarter de la Constitution ; pour moi, cela n'est pas douteux. La Constitution peut ne pas être parfaite en tous points ; mais il n'en est pas moins vrai qu'elle a établi le jury en matière de presse.

Eh bien, si vous maintenez la contrainte par corps, vous arriverez par une voie indirecte à la suppression du jury en matière de presse, pour y substituer le tribunal civil. Il n'y a pas l'ombre d'un doute à cet égard ; il faut bien le reconnaître, quand on croit ne pouvoir obtenir du jury une condamnation, on s'adresse au tribunal civil pour obtenir une condamnation à des dommages-intérêts que l'on peut remplacer par un emprisonnement allant jusqu'à deux ans.

Le jugement du tribunal n'a pu, il est vrai, condamner le calomniateur qu'à des dommages-intérêts, mais au point de vue moral, l'effet de cette condamnation n'est-il pas le même que si elle émanait du jury ? (Interruption.)

Je ne parle que des décisions des tribunaux civils qui déclarent un individu calomniateur.

Car on peut, en verdi de l'article 92 de la Constitution, soumettre aux tribunaux civils l'appréciation de tous les faits dommageables ; mais le juge civil, en condamnant un individu pour faits de presse dommageable, n'a pas le droit de le qualifier de calomniateur. C'est chez moi une vieille opinion.

M. Delaetµ. — Je prie M. le ministre, de la justice de me permettre de l'interrompre un instant pour une simple demande de renseignement.

MjBµ. - Volontiers.

M. Delaetµ. - M. le ministre vient de dire que si on n'intente pas de procès de presse devant le jury, c'est en défiance du jury ; je ne pense pas que ce soit là le véritable motif.

N'arrive pas qui veut devant le jury. Il faut passer par trois espèces de juridiction, celle du procureur du roi, celle du ministre et celle de la chambre du conseil... (Interruption.)

MpDµ. - M. Delaet, je vous ai donné la parole, du consentement de M. le ministre, pour lui présenter une observation et non pas pour faire un discours.

- Un membre. - Du reste, ce n'est pas la question.

M. Delaetµ. - C'est bien la question ; car le système de M. le ministre implique naturellement pour tout le monde la faculté de citation directe devant le jury.

MpDµ. - La parole est continuée à M. le ministre de la justice.

MjBµ. - J'ai donné mon opinion personnelle ; l'honorable M. Delaet peut avoir telle conviction qu'il lui plaît ; j'ai dit que peu de personnes sont disposées à intenter des procès de presse devant le jury, parce qu’elles ne veulent pas faire d’éclat et qu’en outre elle craignent que l’esprit politique en s’en mêle.

L’honorable membre me parle maintenant d’un difficulté de procédure ; c’est une question qu’il serait facile de résoudre ; mais je ne pense pas que les partisans du maintien de la contrainte par corps soient disposés à renoncer à leur opinion, au prix d’un amendement qui améliorerait cette partie de la procédure.

M. Delcourµ. - Evidemment non.

MjBµ. - L’honorable M. Delcour ne me veut pas faire cette concession. Il justifie l’appréciation que je viens de faire.

C’est donc une véritable pénalité que l’honorable membre veut infliger à la presse. Mais cette peine n’est pas proportionnée à l’infraction, et elle dépend, quant à son exécution, de celui qui l’a obtenue. Je ne saurais me rallier à ce système. Je ne dis pas que l’abrogation de la contrainte pour corps ne donnera pas lieu à des abus, qui nécessiteront peut-être le rétablissement de la contrainte par corps. Mais je ne crois pas que ce soit une raison pour abandonner les véritables principes.

J’espère, messieurs, que si l’on s’adresse au jury, le jury fera bonne justice ; il condamnera lorsqu’il y aura calomnie ou diffamation. Si la contrainte par corps n’existe plus et si l’on persiste à se pourvoir devant les tribunaux civils, ceux-ci trouveront le moyen d’accorder satisfaction entière aux personnes lésées. Ils peuvent ordonner l’insertion dans les journaux, la publication par affiches de leurs jugements.

M. Vleminckxµ. - Qui payera ?

MjBµ. - Qui payera ? L’honorable M. Vleminckx croit m’embarrasser beaucoup en me posant cette question ; mais que vous ayez ou que vous n’ayez pas la contrainte par corps, vous n’en payerez pas moins les frais de jugement et de publication.

M. Nothombµ. - Ajoutez que c’est encore le créancier qui doit payer les frais de l’incarcération et de l’extraction du débiteur.

MjBµ. - On trouvera donc certainement des moyens de forcer la presse à se contenir et à rentrer dans les limites de ses devoirs.

Une dernière observation. D’après l’article 35 de la loi de 1859, le débiteur, même de mauvais foi, peut être mis en liberté après un an, lorsqu’il prouve son insolvabilité. D’après M. Delcour, il ne peut plus être mis en liberté qu’après deux ans, quand bien même son insolvabilité serait démontrée.

Dès qu’il y a eu dol ; fraude ou violence, il doit subir les deux années de prison. (Interruption.) C’est ainsi cependant, M. Delcour.

Votre article dit formellement :

« Dans tous les cas où la contrainte par corps est autorisée par la loi du 21 mars 1859, en matière de commerce, en matière civile, contre l’étranger, ou en matière de deniers et d’effets publics, les juges ne la prononceront qu’en cas de dol, de fraude ou de violence, ou lorsqu’il sera constaté que le débiteur n’est pas insolvable. »

Donc, dès qu’il y a dol, fraude ou violence, le débiteur n’est pas admis à prouver son insolvabilité après une année ; il est maintenu en prison parce que le dol ; la fraude et la violence sont punis de deux ans de prison.

M. Delcourµ. - Cela n’est entré dans l’esprit de personne.

MjBµ. - Mais vous ne distinguez pas. Vous ne dites pas « En cas de violence, de fraude, de dol, et lorsqu’il y sera constaté que le débiteur sera insolvable » ; vous dites : « ou lorsqu’il sera constaté que le débiteur n’est pas insolvable. »

Un dernier point. Pouvons-nous maintenir la contrainte par corps pour les étrangers ? Evidemment non. Il s’agit pour nous d’une question de dignité nationale. Déjà, dans les traités d’extradition, on nous demande, pour les témoins appelés de l’étranger, la garantie contre la contrainte par corps. Et pouvons-nous admettre que les étrangers soient arrêtés chez nous, alors que les Belges échappent ailleurs à la contrainte par corps ?

Nous sommes une trop petite nation pour consacrer une pareille anomalie. Pouvons-nous admettre qu’un créancier étranger, un Allemand, par exemple, puisse faire arrêter un Français en Belgique, alors que, ni l’Allemand, ni le Français ne peuvent être arrêtés chez eux ! C’est impossible.

Pour ces divers motifs, il n’est impossible de me rallier aux amendements de la section centrale et je crois devoir maintenir le projet tel que le gouvernement l’a proposé.

- M. Moreauµ remplace M. Dolez au fauteuil.

MpMoreauµ. - L’amendement suivant vient de parvenir au bureau :

« J’ai l’honneur de proposer à la Chambre de rédiger l’article premier du projet de loi dans les termes suivants :

« La contrainte par corps ne peut être décrétée que pour assurer le recouvrement des condamnations prononcées à titre de réparation du préjudice matériel ou moral, procédant d’un fat indépendant de toute convention et de tout contrat.

« Le juge ne la prononcera que lorsque l’auteur du fait sera convaincu d’avoir ai de mauvaise foi ou dans le but de nuire.

« Le jugement ou l’arrêt limitera la durée de la contrainte par corps, en ayant égard aux circonstances, et au degré de malveillance qu’elles revêtent. Dans aucun cas, l’emprisonnement ne pourra dépasser le terme de deux années.

« Signé : Watteeu. »

Cet amendement sera développé ultérieurement.

M. Reynaertµ. - Messieurs, les honorables membres qui ont pris la parle avant moi, y compris l’honorable ministre de la justice qui vient de se rasseoir, ont discuté la question qui fait l’objet de ce débat, à un point de vue général. Ils se sont placés à la fois sur le terrain des principes et sur celui des faits.

Je voudrais, messieurs, tout en m’attachant principalement au côté philosophique du problème, vous démontrer quelles seront logiquement, nécessairement, les conséquences de la réforme dans le domaine de notre législation commerciale.

Messieurs, je suis d’accord avec les honorables MM. Thonissen et Bara, qu’il est plus que fastidieux, après tout ce qui a été dit et écrit sur la matière depuis un demi-siècle, de revenir encore sur la question tant de fois débattue de la légitimité ou de l’illégitimité de la contrainte par corps. Cependant je serai obligé, à mon grand regret, dans l’intérêt de la thèse que j’aurai l’honneur de développer devant vous, d’appeler de nouveau votre attention sur cette question de principe, qui, si usée et si rebutante qu’elle soit, est en définitive la question fondamentale. C’est une contrariété que je subis comme vous et dont je vous demande pardon d’avance.

Messieurs, pour une raison bien simple, qu’il n’est pas même nécessaire d’énoncer, c’est autour de la liberté individuelle que se sont toujours concentrés les efforts tentés pour battre en brèche l’emprisonnement pour dettes. D’après les adversaires de ce mode d’exécution, cette institution tant de fois séculaire est essentiellement vicieuse, parce qu’elle fait de la liberté de l’homme un objet de trafic et de spéculation commerciale.

« La liberté, dit-on, ne peut pas plus être dans le commerce que l’homme lui-même, dont elle est inséparable, dont elle forme le plus noble attribut. La liberté est inaliénable ; c’est un principe essentiel de notre droit public. Or, il n’est pas permis de faire indirectement ce que la loi défend de faire directement. La contrainte par corps met la liberté d’un homme entre les mains d’un simple citoyen et cela pour assurer l’exécution d’un contrat privé. Pour une créance relativement minime, elle prend à l’homme toute sa liberté. Ces rigueurs ne sont plus en harmonie avec nos mœurs, avec les principes de justice et d’humanité qui sont la base de notre législation.

« La contrainte par corps est contraire à la dignité de l’homme. Elle en tache l’honneur du père de famille ; elle anéantit son travail et brise son avenir. »

Tel est bien, je pense, l’argument dans toute sa force et sous ses aspects divers.

Pour répondre à ces raisons se rattachant au cœur même de la question, c’est en vain que l’on invoque les nécessités sociales et les besoins du commerce. Ces nécessités et ces besoins sont radicalement niés.

L’effet exercé par la contrainte sur la formation et l’exécution des contrats, l’effet préventif et l’effet comminatoire ne sont qu’une illusion dénuée de toute réalité, et les chiffres mêmes que l’on produit pour démontrer l’influence salutaire de cette voie d’exécution, groupés avec art, rétorqués avec habilité, prouvent avec une égale évidence, entre les mains de ses adversaires, sa complète inutilité.

Quant à l’opinion publique, espèce de Protée, sa conviction, si elle existe, est tout au moins insaisissable. Selon l’intérêt, le préjugé ou le système dominant, selon qu’elle se formule dans la pétition d’un débiteur incarcéré ou dans la mercuriale d’un magistrat, d’après les faits sur lesquels elles s’exerce le plus communément, selon la localité qu’elle habite ou les personnes qu’elle hante, elle revêt les formes les plus variées, les plus indécises et les plus contradictoires, prêtant avec une égale facilité la faveur de ses suffrages aux partisans et aux adversaires de l’incarcération pour dettes.

(page 536) En présence de ces dénégations absolues, de cette complaisance intéressée des chiffres et des évolutions douteuses et flottantes de l'opinion publique, l'objection fondée sur la nécessité de respecter la liberté individuelle reste debout avec toute sa puissance.

La contrainte par corps est illégitime, injuste, immorale, parce qu'elle confisque la liberté de l'homme au profit d'un intérêt privé. Elle est contraire aux principes de notre droit public en ce qu'elle autorise l'aliénation d'une chose déclarée inaliénable.

A mon sens, cette objection qui en résume un grand nombre d'autres, et dont je ne méconnais ni l'importance ni la vérité relative, a un tort capital : c'est de prouver trop.

Si elle est vraie absolument, si elle s'impose à votre raison comme un obstacle invincible, à l'existence de l'emprisonnement pour dettes, vous serez amenés fatalement, par la rigueur des choses, à bouleverser notre législation commerciale, et à détruire de fond en comble l'édifice des sûretés, des garanties, des mesures tutélaires, élevé par le législateur à la sécurité et à la prospérité du commerce ; et dès lors la proposition du gouvernement me paraît dangereuse et impolitique.

Je m'explique.

S'il n'existe au monde qu'une seule liberté, dans laquelle se concentrent, comme dans leur foyer, toutes les autres libertés, et si cette liberté est la liberté individuelle ; s'il n'existe dans nos Codes qu'une seule loi qui porte atteinte à la liberté, et si cette loi est la loi qui permet de contraindre par corps : votre thèse serait à la rigueur admissible et facilement justifiable.

On peut dire, en effet, en adoptant votre principe, que l'intérêt social ne réclame nullement le maintien de la contrainte par corps, même en matière commerciale ; on peut dire, d'une manière générale et absolue, ce que Montesquieu affirmait exclusivement des contrats civils ordinaires, à savoir que la loi ne doit pas donner la contrainte par corps, parce qu'elle fait plus de cas de la liberté d'un citoyen que de l'aisance d'un autre.

Car bien certainement il n'existe aucune compensation, aucune assimilation possible entre le payement d'une dette et la privation de la liberté, même réduite à ces termes et que j'appellerai la liberté physique, c'est-à-dire la faculté de se mouvoir, d'aller et de venir, de disposer de soi-même et de ses mouvements, liberté nécessaire et précieuse sans doute, la première de toutes dans l'ordre de la nature, mais purement subjective, extérieure et limitée aux propriétés corporelles de l'homme.

Mais si, à côté et au-dessus de la liberté individuelle, dans une sphère supérieure il existe d'autres libertés essentielles à l'accomplissement de la destinée personnelle et sociale, sans lesquelles la liberté individuelle ne serait que le plus dur des ilotismes, et si ces libertés sont chaque jour anéanties, confisquées, dans l'intérêt de la société, ou pour mieux dire et pour restreindre, le débat dans ses véritables limites, dans l'intérêt du commerce ; oh ! alors je ne vous comprends plus, votre argument me semble se dresser contre vous comme une souveraine inconséquence, et la porte, que vous entrebâiller pour expulser la contrainte par corps, je la vois s'ouvrir toute large et donner issue du même coup à tout cet ensemble de dispositions protectrices que l'on appelle le régime de la faillite.

Eh quoi, vous bannissez de notre législation la contrainte par corps, parce qu'elle enchaîne la liberté individuelle ! Mais la faillite que vous laissez subsister, même sans la modifier, la faillite que M. le ministre nous indiquait tantôt comme un moyen de suppléer à la contrainte par corps, n'est-elle pas, au point de vue de la liberté, tout aussi sévère, tout aussi funeste ?

Ne prononce-t-elle pas contre le débiteur failli des interdictions, des déchéances, des confiscations de toute nature, tellement désastreuses, tellement dégradantes qu'il est permis de dire que, pour un homme de cœur et d'intelligence, la perte de la liberté individuelle y est à peine comparable ?

L'honorable M. Thonissen nous disait hier : Savez-vous ce qu'est la contrainte par corps ? C'est la privation de la liberté, c'est l'emprisonnement du débiteur. Je vous dirai à mon tour : Savez-vous ce qu'est la faillite ? C'est la dégradation commerciale, civile et politique du négociant ; c'est, sous beaucoup de rapports, cette mort civile que l'honorable membre stigmatisait hier en l'appelant une institution barbare et stupide.

Permettez-moi, messieurs, de dérouler sommairement devant vos yeux les effets de la faillite, de vous montrer ce qui reste debout de la liberté même individuelle sous ce régime légal, et de vous demander ensuite s'il n'est pas vrai de dire que le failli, dans son propre domicile, sous les yeux de sa femme et de ses enfants, subit dans son honneur et dans sa dignité une atteinte qui n'a rien à envier aux rigueurs subies par le débiteur incarcéré.

D'abord la personnalité civile du failli disparaît et est remplacée par celle du curateur. Le failli est dessaisi de plein droit de l'administration de ses biens.

Il devient incapable de contracter, incapable de faire le commerce, incapable d'ester en justice, et l'incapacité qui le frappe est rétroactive. Ses contrais antérieurs perdent leur énergie. Le jugement déclaratif de la faillite rend exigibles à son égard les dettes passives non encore échues.

Non seulement le failli ne peut plus contracter pour son propre compte, mais il lui est interdit de concourir aux contrats des autres : il n'est pas admis comme témoin instrumentaire et les auteurs lui refusent même le droit d'être témoin testamentaire.

Aux termes de l'article 692, nul commerçant failli ne pourra se présenter à la Bourse, ni assister comme conseil ou représenter les parties comme procureur fondé devant le tribunal de commerce.

Enfin, la doctrine soutient qu'en cas de tutelle, la faillite devient ipso jure un cas d'exclusion ou de destitution ; ainsi le père de famille ne pourrait plus, d'après ces auteurs, être le tuteur de ses propres enfants, ni membre de leur conseil de famille.

Et la liberté individuelle que devient-elle ?

Dessaisi de l'administration de ses biens, commercialement et civilement, incapable le failli est frappé dans sa liberté la plus personnelle. Son travail, son industrie, les fruits de ses labeurs tombent sous la mainmise de ses créanciers ; ce n'est plus pour lui-même, c'est pour ses créanciers qu'il acquiert.

Il lui est défendu d'aller et de venir en liberté. L'article 482 lui interdit, sous peine de banqueroute simple, de s'absenter sans l'autorisation du juge-commissaire.

Son domicile est envahi par les appareils judiciaires, son mobilier, ses livres, ses papiers, tout ce qui a servi à son usage personnel et à celui de sa famille, à l'exception des choses indispensables, est mis sous scellés, et pour ne pas mourir de faim, dans sa propre maison, il est obligé de tendre la main à la charité de ses créanciers et de solliciter du tribunal un secours alimentaire.

Le failli n'a pas même la consolation de dévorer en secret tous ces chagrins qui fondent à la fois sur lui. Pendant qu'aux termes de l'article 472, les organes de la publicité annoncent de toutes parts sa malheureuse catastrophe, le gardien judiciaire vient s'asseoir à son foyer, assister au spectacle de sa ruine, à la honte de sa famille et ajouter peut-être à toutes ses tortures les grossières avanies de la brutalité.

Sa correspondance, interceptée à la poste, est remise au curateur et le secret des lettres, déclaré inviolable par la Constitution, n'est plus pour lui qu'un vain mot.

Enfin, une dernière liberté, non certes la moins élevée ni la moins précieuse, dans un pays constitutionnel comme le nôtre, la liberté de citoyen elle-même vient à disparaître.

Aux termes des articles 3 et 45 de la loi électorale, 12 et 47 de la loi communale, 39 de la loi provinciale, le failli perd ses droits d'électeur et d'éligible ; s'il est en fonction, par l'effet de la faillite, il est frappé de destitution.

Aux termes des articles 381 du code d'instruction criminelle, 1 de la loi du 15 mai 1838 et 25 littera D de la loi du 8 mai 1848, la faillite le rend indigne de faire partie du jury et de la garde civique.

Ainsi, messieurs, liberté civile, liberté personnelle, liberté politique, tout sombre à la fois avec la fortune du failli ; et si l'on songe que la faillite atteint aussi bien le négociant d'une coupable négligence ou d'une honnêteté douteuse, et le probe et laborieux père de famille, victime d'une commotion politique ou d'une crise industrielle ; si l'on songe encore que tout en fermant les yeux sur les causes du préjudice éprouvé par les créanciers, elle ne tient pas compte davantage du chiffre plus ou moins élevé de ce préjudice, mais qu'elle frappe avec une égale sévérité celui dont l'actif dépasse considérablement le total de ce qu'il doit et celui dont l'avoir ne suffit à couvrir qu'une minime partie du passif : n'est-il pas évident, n'est-il pas incontestable qu'au point de vue de la justice et de la liberté, entendue dans un sens philosophique, telle que la notion en a été promulguée par notre civilisation, par nos mœurs et par le régime politique sous lequel nous vivons, la faillite est plus rigoureuse que la contrainte par corps ?

Je sais bien qu'en fait, le débiteur incarcéré, par suite même de sa séquestration, est mis dans l'impossibilité d'exercer les droits politiques que la loi lui conserve, et que, sous ce rapport, sa situation légale est comparable à celle du failli ; mais cette incapacité de fait, cette impossibilité pratique, qui s'étend seulement aux droits politiques, cesse au moment même où la porte de la prison s'ouvre, tandis que le failli, lui, reste, sous le coup de toutes les déchéances encourues, jusqu'au jour de sa réhabilitation.

Or, la réhabilitation ne s'obtient qu'avec l'intervention de la justice, au (page 537) moyen d'une procédure longue et alors seulement que le failli aura intégralement acquitté, en principal, intérêts et frais, toutes les sommes par lui dues. Il suffit de l'opposition d'un seul créancier qui n'aura pas été payé en totalité, pour que la réhabilitation soit empêchée.

Je vous le demande, messieurs, en présence de ces faits, en présence des sévérités de la loi du 18 avril 1851, que devient la force des arguments produits contre la contrainte par corps, et comment se fait-il que l'on s'apitoie si amèrement sur le sort du débiteur écroué, alors qu'on ne semble guère se soucier du régime détestable qui s'appesantit sur le négociant tombé en faillite ?

L'ordre public n'a-t-il pas d'autre base et d'autre intérêt à sauvegarder que la liberté individuelle ?

L'ordre public ne résulte-t-il pas à la fois du respect et de l'exercice de toutes les facultés, de tous les droits que chaque membre de la société a comme individu, comme personne civile ou politique ? Et s'il m'est défendu par les règles fondamentales de notre droit d'aliéner ma liberté individuelle, comprenez-vous qu'il me soit permis de me dépouiller de ma capacité civile, d'abdiquer mes droits de citoyen ?

L'origine de la faillite, sa cause virtuelle, ne remonte-t-elle pas, comme celle de la contrainte par corps, à un contrat commercial, à une convention librement consentie ? Et les articles 2063 du code civil et 17 de la loi du 21 mars 1859 ne sont-ils pas une simple conséquence, une simple application des principes généraux déposés dans les articles 1128, 1131 et 1133 du code civil ?

Où est la différence ?

La faillite n'a-t-elle pas également sa source première dans l'intérêt privé, et n'est-elle pas mise au service d'un simple citoyen ? Cette diminution de droits, cette déchéance politique et civile, ces entraves à la liberté personnelle, auxquelles il serait difficile de ne pas reconnaître un caractère pénal, n'est-ce pas le tribunal de commerce qui les prononce, c'est-à-dire une juridiction tout à fait exceptionnelle, et qui n'a rien de commun avec la répression des délits ?

Et si la contrainte par corps est humiliante et injurieuse pour le débiteur, parce qu'elle constitue à son égard une présomption absolue de mauvaise foi, la faillite qui enlève au débiteur ses prérogatives les plus importantes, qui entoure sa personne et ses biens d'un réseau de précautions minutieuses, n'élève-t-elle pas contre lui le grave soupçon de manquer non seulement de probité commerciale, mais d'honnêteté civile et de moralité politique ?

Encore une fois que l'on me dise où est la différence ?

A moins qu'on ne prétende qu'il est plus légitime, plus moral, plus conforme à l'intérêt social et aux règles fondamentales de notre droit public de disposer par convention de ses droits politiques et civils, que d'engager sa liberté purement physique.

A moins qu'on ne soutienne que la dignité humaine, dont se prévalait déjà Danton dans son rapport à l'assemblée législative, que l'adoucissement de nos mœurs, que les principes de justice et d'humanité, invoqués par l'honorable ministre de la justice, s'opposent moins énergiquement à l'application d'une mesure qui dépouille l'homme de ses plus essentielles prérogatives naturelles (le droit d'administrer ses biens, la liberté du contrat, la faculté de participer aux affaires publiques) qu'à la mise en exercice d'une institution dont l'unique résultat direct est de priver l'homme de la liberté de ses mouvements.

Mais quand même on s'aviserait de soutenir une thèse aussi peu sérieuse, il n'en serait pas moins vrai de dire que dans son économie légale, surtout en ce qui concerne son origine, sa durée et son mode d'exercice, le régime de la faillite présente des dangers et des inconvénients graves qui sont totalement inconnus à la contrainte par corps.

Les cas où la contrainte par corps peut ou doit être prononcée sont, ou bien, en matière commerciale, restreints par un minimum fixé par la loi, ou bien, en matière civile, expressément et rigoureusement déterminés. Le juge consulaire ou civil est renfermé dans un cercle que le législateur a eu soin de tracer lui-même. Ce cercle qui limite nettement les cas d'application de ce mode d'exécution, sera encore considérablement rétréci si le projet de la section centrale vient à triompher ; il faudra, pour que la contrainte soit possible, un acte de dol, de fraude ou de violence.

Dans la faillite, au contraire, tout est laissé à l'arbitraire et à la discrétion du tribunal de commerce. Le législateur de 1851 fait résulter l'état de faillite de la cessation de payement pour le commerçant dont le crédit se trouve ébranlé. Mais nulle part ne se trouve dans la loi le signe caractéristique qui doit être considéré comme le critérium de la cessation de payement avec ou sans ébranlement de crédit. Ce fait déterminatif de l'état de faillite est abandonné à la prudence discrétionnaire des tribunaux.

La faillite, incertaine et douteuse à sa naissance, est indéfinie, illimitée dans sa durée et s'étend le plus souvent à toute l'existence ultérieure du débiteur. S'il ne peut pas satisfaire intégralement ses créanciers au point d'obtenir sa réhabilitation, il reste toute sa vie durant sous le coup des déchéances qu'il a subies.

La contrainte par corps est légalement restreinte à un temps donné. Sous le code actuel, elle cesse de plein droit après un terme de cinq ans ; d'après le projet nouveau, sa durée ne pourrait excéder deux années.

D'autres moyens d'élargissement sont offerts au débiteur incarcéré, soit en cas de défaut de consignation d'aliments ; soit après trois mois de détention lorsque le débiteur paye ou consigne le tiers du principal de la dette et des accessoires, en fournissant caution pour le surplus ; soit après une année d'incarcération, lorsque le débiteur prouve qu'il est dépourvu de tout moyen d'acquitter la dette ; soit enfin quand la limite d'âge est arrivée et que le débiteur a atteint sa 70ème année.

Aux termes de l'article 19 de la loi du 21 mars 1859, la contrainte par corps ne peut jamais être appliquée qu'en vertu d'un jugement qui l'aura prononcée d'une manière formelle. Pour que son exercice soit permis, il faut donc que le débiteur ait été régulièrement traduit en justice et qu'il ait été mis en demeure de faire valoir ses droits et de présenter sa défense. De plus, tous jugements statuant sur la contrainte par corps sont rendus en premier ressort, et l'appel en est toujours suspensif.

La faillite, elle, peut être déclarée sans que le failli soit entendu et sans aucune vérification préalable. Tout est laissé à la prudence du tribunal qui prononce en dernier ressort par une décision qui acquiert force de chose jugée, s'il n'est pas fait opposition par le failli, dans les huit jours, par toute autre personne intéressée, dans les quinze jours à partir du jugement déclaratif de la faillite.

Ainsi donc, il faut bien le reconnaître, sous le régime de la faillite, où tant de libertés sont anéanties, loin de trouver les règles tutélaires qui entourent l'exercice de la contrainte par corps, on n'y rencontre pas même ces garanties ordinaires qui accompagnent tout jugement. En son absence, sans avoir été entendu, sans avoir été appelé à produire aucune pièce, le négociant peut-être mis en faillite, et si, appréciant d'un œil trop favorable un état de chose que la loi elle-même ne caractérise pas, il ne fait pas l'aveu de sa faillite dans le délai prescrit, il est de plus exposé à la flétrissure et aux pénalités de la banqueroute.

On peut, il est vrai, invoquer les nécessités sociales et dire que les besoins du commerce exigent impérieusement le maintien de la faillite.

Mais cet argument, affirmé aujourd'hui pour conserver le régime de la faillite, sera nié demain. Les abus pratiques que l'on impute à la contrainte par corps, les reproches que l'on formule, contre elle, avec tant d'inconsidération et souvent avec tant d'aigreur, seront reproduits contre la faillite avec non moins d'énergie, et, il faut bien le dire, avec de non moindres apparences de vérité.

On dira que c'est une singulière garantie commerciale que celle qui est le plus souvent, pour le créancier et pour le débiteur, un désastre commun. On invoquera à l'appui de cette thèse la triste expérience des dernières années et les récriminations amères du commerce. Comme pièces au débat, on apportera les états de débours et d'honoraires des curateurs et on les mettra en parallèle avec les dividendes distribués.

On dira ce que l'on dit de la contrainte par corps, que la faillite exploite, au profit de l'intérêt privé, les affections les plus saintes et les plus pures, l'amour de la femme, l'amour des parents, et qu'elle est souvent, entre les mains de créanciers cupides, un moyen d'intimidation à l'effet d'extorquer aux familles des concordats ruineux.

On dira encore qu'à l'égal de l'emprisonnement pour dettes, elle compromet ou ruine l'avenir du failli ; qu'elle imprime à son nom et à sa famille une tache indélébile et que, si elle n'empêche pas l'exercice de son travail par la privation de sa liberté physique, elle l'énerve et le frappe de stérilité parce qu'elle en confisque les fruits.

On vous fera toucher du doigt les abus scandaleux et criants de la faillite ; à côté des martyrs de l'échéance, victime de vengeances et de rancunes personnelles, on vous montrera ceux qui spéculent sur la faillite ; on vous nommera telle et telle famille où la faillite est devenue une honnête habitude, un moyen légal et consciencieux, non pas seulement de se débarrasser de ses dettes, mais de s'enrichir en se jouant de ses créanciers et en étalant sous leurs yeux une opulence aussi honteuse qu'illégitime.

J'entends d'avance la réponse que l'on fera aux considérations qui précèdent.

Si la loi sur les faillites est défectueuse, me dira-t-on, si elle est susceptible de critiques sérieuses, tant dans son principe que dans son application, et si elle donne lieu à des abus nombreux dont on chercherait (page 538) vainement à nier l'existence, ce n'est pas un motif pour ne pas abroger la loi sur la contrainte par corps. Tout ce que vous avez démontré par votre thèse, c'est que la loi du 18 avril 1851, autant et plus peut-être que la loi du 21 mars 1859, a besoin d'une réforme radicale.

Je dirai, messieurs, que je m'estimerais fort heureux si la démonstration que j'ai entreprise, a savoir que la loi sur les faillites est au fond plus rigoureuse et moins bien organisée que la loi sur la contrainte par corps, pouvait avoir pour résultat de convaincre le pays et la Chambre de la nécessité de réviser notre législation sur cette matière. Je croirais avoir bien mérité du commerce.

Mais il faut bien que je le reconnaisse, ce n'est là qu'un but secondaire de mon discours, et je ne pouvais certes pas oublier que, dans la discussion actuelle, il s'agit, non de la loi du 18 avril 1851, mais de celle du 21 mars 1859.

Sans doute, la loi sur les faillites laisse beaucoup à désirer ; comme la loi sur la contrainte par corps, elle appelle d'importantes modifications et des atténuations notables. Mais, comme cette dernière loi aussi, quoi qu'on en dise, quelque nombreux et quelque sérieux que soient les griefs qu'on lui impute, son existence est justifiée, en principe, par d'irrécusables besoins.

Dans cette matière, les sentiments d'humanité offrent à la déclamation un thème facile et fécond. Mais la raison, le bon sens, d'accord en ce point avec l'intérêt général et avec l'intérêt privé, ont heureusement toujours prévalu contre ces exagérations philanthropiques.

Si la liberté a des points indisponibles, elle en a de disponibles aussi. Son inaliénabilité n'existe que dans une certaine mesure, et la gêne que lui imposent les conventions, soit directement, soit par des conséquences indirectes et éloignées, ne constitue pas toujours une infraction à l'ordre public. Elle se justifie par la nécessité, et l'ordre public n'en reçoit aucune atteinte.

Au premier rang de ces nécessités impérieuses, les nations civilisées ont placé et placeront toujours, comme étant une des règles éternelles de toute société régulièrement constituée, la fidélité au contrat, le respect et la ponctuelle exécution des engagements commerciaux. Sans ce lien, éventuellement garanti par la perte de certains droits inhérents à la liberté, il est clair que l'organisation sociale deviendrait absolument impossible.

Ces considérations semblent avoir été perdues de vue par le projet de loi.

Aussi, d'après moi, les idées absolues, les principes abstraits, au moyen desquels on cherche à défendre le caractère radical de l'innovation proposée, sont de nature à jeter le trouble et la perturbation dans notre législation commerciale.

Si l'esprit d'innovation est louable, c'est à la condition d'être sage et prévoyant ; c'est à la condition de ne pas avoir à redouter les légitimes exigences de la logique.

Il fallait, à mon avis, ne pas brusquer, ne pas précipiter la modification de nos lois en ce qui concerne les garanties du commerce.

Il fallait ne pas séparer deux lois édictées dans le même but, assises à certains égards sur les mêmes bases, exposées aux mêmes reproches, la loi sur les faillites et la loi sur l'emprisonnement pour dettes.

Il fallait, non pas abroger l'une et laisser subsister l'autre, mais réformer, tempérer l’une et l'autre, y introduire les améliorations et les adoucissements réclamés par les progrès de la civilisation et par les changements survenus dans les habitudes commerciales, les coordonner dans ce qu'elles ont d'incompatible et en faire un tout harmonieux qui portât un caractère manifeste, et indiscutable d'utilité sociale, et qui permît de dire que si la liberté recevait momentanément une atteinte, cette atteinte était légitimée à l'égal d'une mesure du salut public.

Au lieu de cela, chose vraiment étonnante, sans avoir pris la peine de consulter ni les tribunaux, ni les chambres de commerce, ni la magistrature, on a rayé d'un trait de plume la loi du 21 mars 1859 !

Qu'il y a loin de cette conduite au sage et mémorable conseil de Montesquieu ! « Il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois, dit-il, mais le cas est rare, Il n'y faut toucher que d'une main tremblante ; on doit y observer tant de solennité et y apporter tant de précautions, que le peuple en conclue naturellement que les lois sont bien saintes puisqu'il faut tant de formalités pour les changer. »

Combien elle s'éloigne encore cette manière d'agir, dont je signale le danger, des judicieuses paroles prononcées par Portalis, en 1831, à la chambre des pairs :

« La commission a jugé que les changements en législation ne doivent pas s'opérer brusquement et par sauts, mais par degrés et par nuances, que c'est, en général, une mauvaise manière de procéder que de remettre toujours en question les principes mêmes des lois que l'on propose de réformer en partie, et qu'il est surtout nécessaire de n'innover qu'avec la plus grande circonspection dans des matières où le commerce se croit profondément intéressé ; car rien n'influe sur la prospérité du commerce comme l'opinion qu'ont les négociants de la sûreté de leurs transactions, et cette opinion dépend en grande partie de la confiance qu'ils placent dans les lois. »

Oui, messieurs, j'insiste sur ce point, c'est une mauvaise manière de procéder que de remettre toujours en question les principes mêmes des lois que l'on propose de réformer en partie.

Il en résulte dans la législation une incertitude, une instabilité et un esprit d'aventure dont l'inévitable effet est d'énerver le ressort des lois et d'ébranler leur force morale.

Si l'on est décidé à respecter d'une manière absolue les principes de la liberté et de la dignité humaine, tels qu'on les formule, il n'est plus, dans cette matière, qu'une seule législation possible : celle qui s'en tiendra rigoureusement, exclusivement, aux biens du débiteur.

Elargir le cercle des sûretés commerciales, pour y comprendre totalement ou partiellement, soit la liberté civile, soit la liberté personnelle, soit la liberté politique : c'est faire virtuellement table rase de ces principes ; c'est reconnaître implicitement que leur affirmation n'est qu'une vaine utopie incapable de résister à la réalité et à la pratique des choses.

Si tel est le système qu'on cherche à faire prévaloir dans notre pays ; si la faillite, dans toutes ses dispositions restrictives, doit bientôt subir le sort de la contrainte par corps, disparaître de notre code et n'avoir d'autre compensation que la saisie-exécution des meubles et la saisie réelle des biens immeubles ; si en un mot les valeurs mobilières et immobilières du débiteur doivent constituer à l'avenir l'unique gage du créancier, et si l'on croit de bonne foi que le crédit commercial y trouvera un aliment suffisant, une sollicitation assez active, assez puissante, qu'on le déclare, qu'on le dise nettement, afin que le commerce soit averti et qu'il sache à quoi s'en tenir sur ces nouveautés prétendument humanitaires.

Ce procédé aura le double mérite de la franchise et de la logique.

Sans doute, je comprends que la garantie, purement matérielle, purement impersonnelle, de la fortune du débiteur, soit envisagée, conformément à ce qui se pratique dans l'ordre civil, comme le type des perfectionnements à introduire dans notre législation commerciale, comme l'idéal dont il faut poursuivre la mise en œuvre à mesure que les faits commerciaux eux-mêmes se développent et tendent à progresser dans ce sens.

Mais cette réforme si éminemment désirable, que j'appelle de mes vœux autant que personne, parce qu'elle serait l'indice certain d'une situation sociale plus parfaite, plus morale, plus probe, plus religieusement fidèle à sa parole et à ses engagements, il m'est impossible, quant à présent, de la considérer autrement que comme une pure conception spéculative, comme une abstraction théorique, dont la réalisation, qui est certes dans les espérances de l'avenir, irait en ce moment à rencontre des faits les plus positifs.

Le législateur de 1851 et de 1859, s'inspirant des besoins de son époque, a décidé que l'intérêt du commerce exigeait le sacrifice éventuel de liberté individuelle, civile ou politique.

Avons-nous, depuis ce temps, accompli tant de progrès ; la civilisation, les mœurs publiques, l'honnêteté, la bonne foi ont-elles fait de si grandes et de si incontestables conquêtes, qu'aujourd'hui il nous soit permis de briser impunément ces garanties jugées indispensables par nos devanciers ?

Qui oserait le soutenir ?

J'ai, quant à moi, une conviction contraire.

Et c'est pourquoi je pense que, si c'est faire preuve d'une stérile impuissance ou d'un triste aveuglement de s'obstiner à enchaîner la législation aux routines du passé, il faut considérer comme une folle et téméraire entreprise la prétention de devancer la société et d'élever les lois à une hauteur inaccessible aux faits.

La société, ainsi que la nature, marche lentement, graduellement, à pas réglés ; elle ne procède point par sauts ni par bonds ; elle ne passe point brusquement d'une extrémité a l'autre.

D'où il suit que les innovations, vraiment bonnes, vraiment utiles et durables, sont celles qui prennent leur point de départ dans les conditions préexistantes ; qui, aidées par le temps, provoquées par le cours naturel des choses, sont exécutées avec prudence, avec mesure et avec cette sage lenteur, qui se règle sur les lois fondamentales de tout développement social en passant successivement par toutes les voies intermédiaires.

C'est pour avoir oublié ces vérités que les réformateurs de 1792 et de 1848 ont eu la triste déception de voir renaître si promptement une institution qu'ils espéraient avoir irrévocablement mise à néant.

(page 539) Je me résume et je conclus.

Il est hautement regrettable que le gouvernement ait cru devoir nous proposer une mesure radicale, qui, appuyée, comme elle l'est, sur des motifs absolus, le place dans cette alternative : Ou bien d'être logique, de déduire des principes posés les conséquences qu'ils contiennent, d'abroger la faillite au moins dans ses dispositions liberticides et ainsi de livrer le commerce au hasard d'une expérimentation périlleuse ; ou bien, de pécher contre la logique, d'avoir deux poids et deux mesures selon qu'il s'agit de la liberté individuelle, de la liberté civile ou de la liberté politique, et de se contenter, au moyen d'une contradiction flagrante, de saper à sa base et de discréditer définitivement dans l'opinion publique une loi dont l'application est d'une fréquence journalière.

Je crois l'avoir démontré, en effet, il n'est pas un seul argument produit contre la contrainte par corps qui ne s'applique avec plus de vérité et plus d'énergie à la faillite telle qu'elle est organisée par notre code et telle que la pratique quotidienne nous la fait connaître.

J'eusse préféré pour ma part un remaniement général de notre législation en ce qui concerne les sûretés du commerce. Ce travail de fusion et d'amélioration, élaboré avec maturité, en tenant compte des besoins de notre temps et des progrès réalisés jusqu'à ce jour, eût été accueilli par le commerce, j'en ai la conviction, avec une satisfaction véritable.

A mon sens, la coaction corporelle eût dû y trouver sa place à côté de cet état de dessaisissement et de déchéance, qui constitue le régime de la faillite ; car l'une n'est certainement pas plus injuste ni plus illégitime que l'autre. Dans cette matière, comme en matière pénale, tout dépend d'une nécessité sociale dûment constatée.

Le vœu que j'ai l'honneur d'émettre, ne pouvant pas se réaliser en ce moment, et néanmoins mis en demeure de me prononcer entre deux propositions dont l'une détruit absolument, dont l'autre maintient, en principe, la contrainte par corps, tout en y introduisant des restrictions et des adoucissements notables, c'est à cette dernière proposition que je donnera i mon vote.

Ordre des travaux de la chambre

MfFOµ. - Je prie la Chambre de vouloir bien décider que le projet de loi relatif à la révision des listes électorales, dont le rapport a été distribué hier, sera mis à l'ordre du jour à la suite du projet de loi que l'on discute en ce moment.

- Des voix à gauche. - Très bien !

MfFOµ. - La discussion actuelle se prolongera nécessairement encore quelques jours ; il ne peut donc y avoir aucun inconvénient à adopter ma proposition.

M. de Theuxµ. - Je demanderai que le projet de loi dont M. le ministre des finances demande la mise à l'ordre du jour ne soit pas mis en discussion avant mardi. (Interruption.) Je ne pense pas que M. le ministre des finances doive désirer de le faire discuter cette semaine.

Nous sommes mercredi ; ce n'est pas trop de trois jours pour terminer la discussion qui nous occupe et, dans tous les cas, si elle était terminée plus tôt, on pourrait toujours aborder quelques petits projets.

Je propose donc de ne pas aborder la discussion du projet relatif à la révision des listes électorales avant mardi.

MfFOµ. - Je ne vois pas de difficulté à ce que l'on fixe cette discussion à mardi ; la discussion qui nous occupe durera encore au moins trois jours, et si elle se terminait plus tôt, nous pourrions, comme le dit l'honorable M. de Theux, discuter quelques-uns des petits projets qui se trouvent à notre ordre du jour.

M. Bouvierµ. - Il y a pour vendredi des rapports de pétitions.

- La proposition de M. le ministre des finances, avec la restriction de M. de Theux, est mise aux voix et adoptée.

La séance est levée à 5 heures.