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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 9 juin 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1069) M. Dethuin, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

Il donne ensuite lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaert, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces adressées a la Chambre.

« Les secrétaires communaux de l'arrondissement d'Eecloo demandent une loi fixant le minimum du traitement des secrétaires communaux. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Neerglabbeek prient la Chambre d'autoriser la construction d'un chemin de fer d'Anvers à Düsseldorf par Gladbach, sous la condition du maintien du tracé adopté en 1845, sauf, si une modification était jugée nécessaire, à la faire porter sur la partie du tracé partant de Brée vers la frontière néerlandaise dans la direction de Brée vers Maeseyck au lieu de Neeritter. »

« Même demande des membres du conseil communal d'Oostham. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Le sieur de Condé prie la Chambre de prendre des mesures pour sauvegarder les droits de la presse, compromis par un arrêt de la cour d'assises de Gand dans son interprétation de l'article 451 du code pénal. »

« Même demande de journalistes à Nivelles, Dinant, Courtrai et Arlon. »

M. Coomansµ. - Conformément à la décision prise hier par la (page 1070) Chambre, je propose le renvoi de ces pétitions a la commission des pétitions avec demande d'un très prompt rapport.

- Adopté.


« La députation permanente du conseil provincial du Limbourg présente des observations sur le projet de loi relatif à l'acquisition des anciennes colonies de Merxplas, Ryekevorselet Wortel. »

- Renvoi à la section centrale, chargée d'examiner le projet de loi.


« Par message du 8 juin, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi :

« Conférant la naturalisation ordinaire au sieur Charles-Roque-Anastase Callinus ;

« Conférant la grande naturalisation au sieur Jean Marx ;

« Contenant le budget du ministère des affaires étrangères pour l'exercice 1870. »

- Pris pour notification.


« M. David, obligé de s'absenter, demande un congé de dix jours. »

« M. Crombez, retenu à l'étranger pour affaires urgentes, demande un congé. »

« M. Vilain XIIII, forcé de se rendre a l'étranger, demande un congé. »

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi érigeant la commune de Linth

Rapport de la commission

M. d’Hane-Steenhuyseµ dépose le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi relatif à l'érection du hameau de Linth en commune distincte.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met a la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi rectifiant limite-frontière dans le Zwin

Vote de l’article unique

L'article unique du projet de loi est ainsi conçu :

« Le gouvernement est autorisé à rectifier, de concert avec le gouvernement néerlandais, la limite-frontière dans le Zwin, conformément au procès-verbal ci-annexé. »

Il est procédé au vote par appel nominal sur ce projet, qui est adopté à l'unanimité des 71 membres présents.

Ce sont :

MM. Allard, Bara, Bieswal, Braconier, Broustin, Carlier, Coomans, Couvreur, de Brouckere, de Clercq, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Maere, de Naeyer, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Terbecq, Dethuin, de Vrints, Dewandre, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Dolez, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hayez, Jacobs, Jacquemyns, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lebeau, Lefebvre, Lesoinne, Liénart, Lippens, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban, Reynaert, Sabatier, Schmitz, Schollaert, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Ernest Vandenpeereboom, Valider Donckt, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Merris, Verwilghen, Visart, Vleminckx, Wasseige, Watteeu et Moreau.

Projet de loi modifiant des droits d’enregistrement

Discussion des articles

Articles 1 à 8

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la Chambre passe à la délibération sur les articles.

« Art. 1er. Le droit d'enregistrement est assis sur la valeur vénale des immeubles transmis par contrat d'échange et par donation entre-vifs.

« L'usufruit transmis par donation est estimé à la moitié de la valeur entière. »

- Adopté.


« Art. 2. Les donations entre-vifs et les contrats d'échange sont soumis aux dispositions qui règlent l'expertise des immeubles, transmis à titre onéreux. »

- Adopté.


« Art. 3. L'article 5 de la loi du 17 décembre 1851 est applicable aux donations en ligne directe. »

- Adopté.


« Art. 4. Le droit pour les échanges d'immeubles est réduit à 60 centimes par 100 francs sur le moindre lot, et maintenu au taux fixé pour les ventes sur le retour ou la plus-value. »

- Adopté.


« Art. 5. Le droit pour les donations entre-vifs en ligne directe est réduit :

« A 30 centimes par 100 francs sur les biens meubles transmis par contrat de mariage aux futurs ;

« A 60 centimes par 100 francs sur les mêmes biens transmis autrement ;

« A 1 franc 30 centimes par 100 francs sur les immeubles. »

- Adopté.


« Art. 6. Sont affranchies du droit de transcription les donations entre-vifs de biens immeubles en ligne directe. »

- Adopté.


« Art. 7. Le même droit est réduit, pour les échanges d'immeubles, à 30 centimes par 100 francs sur le moindre lot.

« Il est fixé à 1 franc 25 centimes par 100 francs sur le retour ou la plus-value. » '

- Adopté.


« Art. 8. Les donations entre-vifs entre l'adoptant et l'adopté et ses descendants, sont soumises aux mêmes droits que les donations entre collatéraux. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est- procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 74 membres présents.

Ce sont :

MM. Allard, Bara, Bieswal, Braconier, Broustin, Carlier, Coomans, Couvreur, de Brouckere, de Clercq, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Delcour, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Maere, de Mont-blanc, de Naeyer, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Terbecq, Dethuin, de Vrints, Dewandre, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Dolez, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hayez, Jacobs, Jacquemyns, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lefebvre, Lesoinne, Liénart, Lippens, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban, Preud'homme, Reynaert, Sabatier, Schmitz, Schollaert, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Merris, Verwilghen, Visart, Vleminckx, Wasseige, Watteeu, Wouters et Moreau.

Projet de loi approuvant la convention conclue, le 5 décembre 1868, entre la Belgique et les Etats-Unis

Vote de l’article unique

MpMoreauµ. - La section centrale propose la suppression des articles 2 et 3 du projet de loi. M. le ministre se rallie-t-il à cette proposition ?

MaeVSµ. - Oui, M. le président.

« Article unique. La convention consulaire conclue, le 5 décembre 1868, entre la Belgique et les Etats-Unis, sortira son plein et entier effet. »

- Adopté.

Il est procédé à l'appel nominal.

70 membres y prennent part ; tous répondent oui.

En conséquence, la Chambre adopte. Le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont voté :

MM. Allard, Bara, Bieswal, Braconier, Broustin, Carlier, Coomans, Couvreur, de Brouckere, de Clercq, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Delcour, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Maere, de Mont-blanc, de Naeyer, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Terbecq, Dethuin, de Vrints, Dewandre, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Dolez, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Hagemans, Hayez, Jacobs, Jacquemyns, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lefebvre, Lesoinne, Liénart, Lippens, Magherman, Mulle de Terschueren, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban, Preud'homme, Reynaert, Sabatier, Schmitz, Schollaert, Tack, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Ernest Vandenpeereboom, Vander Donckt Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Merris Verwilghen, Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters et Moreau.

- M. Dolez remplace M. Moreau au fauteuil de la présidence.

Motion d’ordre

M. Notelteirsµ. - Messieurs, je ne vois pas l'honorable ministre des travaux publics à son banc. J'espère que ses honorables collègues voudront bien lui transmettre mes observations.

Depuis trois ou quatre semaines, nous avons de grandes inondations dans les vallées des deux Nèthes. Ces inondations ont détruit des milliers d'hectares de foin.

Le long de la petite Nèthe canalisée à 4,000 mètres en amont de Lierre, le long de la première écluse sur une étendue de 10 kilomètres et une largeur moyenne de 600 toute la vallée est inondée.

Il y a la 5,000 à 6,000 hectares dont toute la récolte est perdue. Où est la cause d'une inondation si intense pour si peu de pluies ? Dans le reste du pays il n'y a presque pas eu d'inondations.

M. Dumortierµ. - Et l'Escaut ?

M. Notelteirsµ. - Je désire que l'honorable ministre des travaux publics fasse rechercher cette cause. L'inondation a commencé le 7 mai ; elle dure encore aujourd'hui. Il y a au moins un million de perte en foin.

Je demande donc que M. le ministre des travaux publics ordonne une enquête administrative sur les causes de cette inondation. Il importe de savoir si le mal tient au défaut de curage, à un défaut du système, ou à un mauvais aménagement du régime des eaux ; il importe de savoir ce qu'il faut faire pour y porter remède.

Je le répète, messieurs, le mal est grand ; jamais le foin ne s'était mieux présenté ; les agriculteurs prévoyaient une récolte magnifique, et aujourd'hui tout est perdu et la santé publique même compromise par les miasmes.

J'appelle toute l'attention du gouvernement sur ces points.

MfFOµ. - Mon collègue des travaux publics aura sous les yeux les observations présentées par l'honorable M. Notelteirs, et il n'est pas douteux qu'il fasse examiner s'il y a lieu de prendre des mesures pour remédier au mal signalé.

Projet de budget de la chambre de l’exercice 1870

Rapport de la commission

M. Braconierµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission de comptabilité sur le budget de la Chambre pour l'exercice 1870.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur la milice

Discussion des articles

Chapitre IV. Des exemptions des dispenses d’incorporation et des exclusions

Article 23bis

MpDµ. - Conformément à la décision prise par la Chambre, nous reprenons la discussion de l'article 23bis du projet de loi sur la milice.

La parole est à M. Elias.

M. Eliasµ. - La discussion sur l'article 23bis a été interrompue pendant quelques jours ; elle était déjà assez avancée. Je crois donc utile de la résumer brièvement.

M. De Fré et quelques-uns de ses collègues avaient proposé à cet article un amendement qui avait pour but de supprimer la dispense qui était accordée aux élèves en théologie, ainsi qu'aux élèves normalistes des écoles de l'enseignement moyen et primaire.

M. Orts a présenté, au paragraphe premier de cet article, un amendement qui a pour but de décider qu'on ne comprendra sous la qualification de ministres des cultes que ceux qui remplissent des fonctions sacerdotales, c'est-à-dire des ministres des cultes qui rendent des services dans les paroisses. L'honorable ministre de l'intérieur, de son côté, vous propose de n'exempter provisoirement que les élèves des séminaires, et veut empêcher ainsi ceux qui veulent entrer dans les ordres religieux de profiter de l'exemption accordée aux séminaristes.

Enfin M. Coomans a présenté un amendement qui déclare que la dispense du service militaire accordée aux élèves en théologie et aux jeunes gens qui veulent se faire religieux, ainsi qu'aux moines eux-mêmes, en un mot toutes les exemptions à l'exception de celles qui sont accordées aux prêtres des paroisses, à la seule condition d'établir un système de remplacement qui permettrait à tout milicien de se libérer du service en versant dans les caisses de l'Etat un dixième de sa fortune ou de celle de sa famille.

L'amendement de M. De Fré a été développé par son auteur et défendu par MM. Bricoult et Le Hardy. MM. Dumortier, Thonissen et le ministre de l'intérieur l'ont attaqué avec assez de vigueur.

Je me permettrai de répondre quelques mots à certains arguments présentés par ces différents orateurs. J'espère que la Chambre votera l'amendement que nous avons présenté, il est conforme à l'esprit qui a dicté plusieurs des décisions qui ont été prises depuis le commencement de cette discussion.

En effet, messieurs, la Chambre a voté différents amendements qui avaient pour but de rétablir l'égalité entre tous ceux qui participent au tirage au sort.

M. Coomans vous les a cités ; je pourrai me dispenser de les signaler de nouveau.

Ensuite, j'espère que nous aurons l'appui d'une partie de la droite qui, dans une circonstance déjà assez éloignée, mais que je me permettrai de lui rappeler, a accepté, selon moi, cette partie du programme que M. Coomans formulait alors au nom de la droite réformiste.

Vous vous rappelez, messieurs, que dans la séance du 11 février 1868, l'honorable M. Coomans déclara qu'il retirerait l'exemption accordée aux séminaristes et aux prêtres qui veulent entrer dans les ordres religieux, si la gauche de la Chambre consentait à le suivre dans cette voie.

M. Dumortier protesta contre ces paroles de M. Coomans. Mais M. Nothomb, répondant le lendemain à l'honorable chef de la droite, n'imita pas son exemple.

Il se déclara partisan des idées de l'honorable membre et fut suivi par un grand nombre de ses collègues.

Voici, en effet, ce que je trouve dans le Moniteur. M. Nothomb disait :

« J'ai entendu en même temps avec une pénible émotion ce que l'honorable membre a cru devoir dire de quelques-uns de ses collègues, de ceux qu'il a nommés les catholiques réformistes.

« Dans cette Chambre...

« M. Dumortier. - Il n'y en a qu'un.

« M. Nothomb. - ... Il y en deux au moins, car je tiens à honneur de revendiquer devant cette assemblée et devant le pays le titre de catholique réformiste, puisque c'est ainsi qu'on nous appelle ; mais détrompez-vous : nous ne sommes pas deux seulement ; nous sommes plusieurs dans la Chambre....

« MM. Coomans, Delaet, Snoy et d'autres membres. - Oui ! oui !

« M. Nothomb. - La majorité d'entre nous, j'ose le dire. Derrière nous, il y a quelque chose qui s'appellera bientôt légion. (Interruption.) »

Je ne demande pas une adhésion aussi considérable. Il suffira que ceux qui alors applaudissaient M. Nothomb se souviennent de l'opinion qu'ils professaient à cette époque.

Ces idées étaient alors applaudies par la presse catholique avec quelques restrictions et par la presse radicale sans restriction. Espérons qu'elles nous continueront leur appui.

Cela dit, je pourrais aborder les différentes objections qui ont été faites à notre amendement si d'abord je ne voulais rétablir la vérité sur certains faits. Il me semble que l'on donne une trop grande importance à la différence que l'on croit exister entre la dispense et l'exemption. Pour l'établir, je dois exposer les précédents.

En effet, sous l'ancienne législation, les ministres des cultes et les séminaristes qui étaient exempts de la milice faisaient partie du contingent de milice de leur commune. L'exemption qui leur était accordée faisait marcher en leur lieu et place un des miliciens de cette commune.

La section centrale a voulu corriger ce système qui faisait peser sur une fraction du pays les charges qui doivent être imposées au pays tout entier ; elle a déclaré que ceux qui devaient être exemptés à cause de leur profession seraient comptés dans le contingent, mais ne seraient pas incorporés. Par ce système, les charges qui pesaient autrefois sur les communes seules sont réparties sur le pays tout entier. Mais cela signifie-t-il que les charges n'existent pas et qu'en remplacement de celui qui obtient la dispense un autre milicien ne parte pas. On ne saurait le soutenir.

En effet, messieurs, le contingent est calculé de telle façon qu'il fournisse à l'armée un effectif déterminé pour le pied de guerre et pour le pied de paix.

Cet effectif est calculé d'après les nécessités du service et si vous exemptez un homme du service militaire, vous devez augmenter le chiffre du contingent pour avoir toujours un même effectif.

De là, il résulte que si nous retirons une dispense de service, nous pouvons diminuer d'autant le chiffre total du contingent. Il en résulte que la dispense du service, accordée à un séminariste, à un prêtre qui veut entrer dans les ordres religieux, oblige un malheureux à marcher en son lieu et place ; notre proposition ayant pour résultat de diminuer les dispenses de service doit avoir pour corollaire une diminution proportionnelle dans le contingent de l'armée, sans que cette diminution réduise en rien la (page 1072) force de l'armée ! Par là, on laisserait dans leurs foyers un certain nombre de miliciens et peut-être les fils de malheureux ouvriers.

C’est la une conséquence à laquelle vous devez avoir égard, et ce d'autant plus que vous avez supprimé l'exemption de l'enfant unique.

Messieurs, avant d'aller plus loin, je voudrais adresser une question aux adversaires de notre amendement.

Dans le projet de loi que le gouvernement nous avait présenté, les ministres des cultes n'étaient exemptés du service, que si leurs parents ou eux-mêmes n'étaient pas dans l'aisance.

Nous retrouvions ici la disposition que vous avez repoussée lorsqu'il s'agissait de l'enfant unique.

Plusieurs membres de la droite, et notamment l'honorable M. Thonissen, combattirent cette restriction apportée à l'exemption de l'enfant unique et à la suite d'une discussion assez longue, cette innovation fut rejetée et l'enfant unique fut assimilé au fils unique.

La pourvoyance seule fut jugée assez digne de considération pour mériter une exemption.

Je demanderai aux membres de la droite s'ils admettent que le prêtre dont les parents seraient dans l'aisance ou qui aurait lui-même assez de fortune pour se faire remplacer, doit être désigné pour le service militaire.

La réponse à cette question peut avoir une importance assez grande. Elle peut influencer les décisions ultérieures de la Chambre.

La solution donnée à cette question tranche en effet le principe du droit à l'exemption pour le clergé.

Cela dit, permettez-moi de répondre quelques mots aux objections qui ont été faites à l'amendement de l'honorable M. De Fré.

On nous dit que nous manquons de logique, que la dispense que nous accordons aux prêtres devrait être attribuée également aux séminaristes. Si nous accordons la dispense aux prêtres seuls, dit-on ensuite, cette dispense s'appliquera à peu de personnes ou plutôt ne s'appliquera à personne.

On a été jusqu'à prétendre qu'un seul cas de dispense s'était présenté depuis plusieurs années ; nous pouvons répondre au second reproche que le gouvernement lui-même avait prévu cette dispense accordée aux prêtres, que nous n'avons fait que conserver ; nous pouvons donc lui renvoyer le reproche de n'avoir pas fait chose sérieuse.

Ensuite, que devient le grief de manquer de logique si la dispense ne s'adresse qu'à un nombre si restreint de personnes, que vous soyez en droit d'en nier l'existence ? Des deux choses, l'une donc seulement peut être vraie : la seconde objection, si elle est fondée, doit faire disparaître la première.

Mais il n'en est pas ainsi. La dispense du gouvernement s'adresse à une catégorie peu nombreuse de personnes, il est vrai, mais qui existent. En effet, tous les prêtres qui ont été exemptés provisoirement, soit pour défaut de taille, soit pour maladie temporaire, et qui sont désignés pour le service dans les années suivantes, peuvent se trouver dans ce cas-là ; ensuite les étrangers qui viennent exercer des fonctions sacerdotales en Belgique, et ils peuvent être assez nombreux. La dispense pourra donc être accordée à une certaine catégorie de personnes.

Mais, me dit-on, si vous accordez la dispense aux ministres des cultes, vous devez par cela même l'accorder aux séminaristes qui sont nécessaires pour le recrutement du clergé catholique.

Ensuite, votre amendement est basé sur un principe unique qui est la séparation des pouvoirs et en vertu de ce principe vous ne pouvez établir d'exception.

Je ne répondrai pas à toutes les objections qui ont été faites au discours de l'honorable M. De Fré concernant le système de la séparation des pouvoirs. L'honorable M. De Fré y répondra lui-même mieux que je ne saurais le faire.

Je me permettrai cependant de dire un mot relativement à une idée qui a été émise par l'honorable M. de Brouckere et qui, selon moi, contient un principe dont les conséquences seraient assez graves.

L'honorable M. de Brouckere nous a dit :

« Le principe, l'égalité de tous les citoyens devant la loi, n'est pas attaqué par l'exemption des ministres des cultes, les ministres des cultes ne sont pas pris dans une classe spéciale de citoyens. Tous peuvent devenir prêtres, donc jouir de l'exemption. »

Voici ses paroles :

« D'abord, je vous prie de remarquer ceci.

« Les ministres des cultes ne sont pas pris dans une classe spéciale.

« Tous les citoyens sont admissibles au sacerdoce ; il y a égalité pour tous. Tous peuvent être appelés à profiter de l'exemption que l'on vous convie à décréter. »

Ainsi donc, messieurs, par cela seul que tous les citoyens belges peuvent entrer dans le sacerdoce, toutes les immunités accordées aux ministres des cultes ne constitueront pas un privilège. Avec un système semblable, il est évident qu'on pourrait justifier toutes les immunités, tous les privilèges ; tous les droits leur seraient actuellement accordés, même ceux qui étaient accordés autrefois à tout le clergé, et qui, avant 1789, en avaient fait un corps dans l'Etat. Ce système conduirait à des conséquences réellement graves et je pense que c'est un peu à la légère qu'il a été avancé.

Je puis donc l'abandonner et en revenir à la justification de notre amendement ; il me suffira pour cela de vous démontrer que la dispense à accorder aux ministres des cultes n'est pas nécessairement obligatoire ; que la Constitution n'exige pas que vous l'accordiez ; qu'il n'est pas logique de l'accorder aux séminaristes par cela seul que vous l'accordez aux prêtres exerçant des fonctions rétribuées, et si, ensuite de cela, je vous démontre que la dispense n'est pas nécessaire, même qu'elle n'est pas utile, j'espère que j'aurai convaincu une grande partie de nos collègues qui reconnaîtront que notre amendement n'aura pas les conséquences terribles qu'on redoute de lui.

Je démontrerai ensuite que les systèmes qu'on nous oppose, que le projet du gouvernement et les divers amendements proposés pourraient avoir pour résultat d'aboutir à des dispenses formellement entachées d'inconstitutionnalité, et alors vous aurez tous vos apaisements.

Par cela seul, vous disais-je, que nous rétribuons les ministres des cultes, nous ne sommes pas obligés de leur conserver l'immunité qui leur est accordée par les lois anciennes et par le projet de la section centrale.

En effet, la Constitution n'exige qu'une seule chose, c'est que nous accordions aux ministres des cultes les traitements qui sont prévus par l'article 117 de la Constitution. Pour le prouver, il me suffira de vous rappeler que lors de la discussion de la Constitution, le projet de la commission portait que non seulement les traitements, mais les pensions et autres avantages de quelque nature que ce fût dont jouissaient alors les ministres des différents cultes, devaient leur être garantis.

Qu'est-il arrivé ? C'est qu'à la suite d'observations qui furent échangées dans les séances des 4 et 5 février, toute cette partie du projet de la commission disparut, et qu'on ne laissa subsister que l'article tel que nous le possédons et qui contient la disposition suivante :

« Les traitements et pensions des ministres des cultes sont à la charge de l'Etat. Les sommes nécessaires pour y faire face sont annuellement portées au budget. »

Nous sommes donc libres de modifier, de changer, de supprimer toutes les dispositions de loi antérieures à 1830 qui accordaient, des avantages et des privilèges au clergé !

Il est donc évident que, à supposer même que sous la législation de 1817 les ministres des cultes et même les membres des ordres religieux eussent droit à être exemptés, nous pourrions parfaitement, sous la Constitution actuelle, leur retirer cette faveur.

Maintenant, si nous n'avons pas cette obligation, sommes-nous entraînés à accorder l'exemption aux séminaristes, par cela seul que nous l'accordons aux ministres des cultes qui exercent des fonctions ecclésiastiques au moment où le tirage au sort a lieu ?

Messieurs, lorsqu'il s'agit d'un ministre des cultes, l'Etat se trouve en présence d'un homme remplissant des fonctions utiles et qu'il rétribue à cause de cette utilité ; il n'en est pas de même du séminariste : le séminariste ne rend aucun service à l'Etat ; il ne reçoit aucun traitement, et nous ne devons pas l'exempter par ce motif qu'il est destiné à rendre des services plus tard ; car alors vous devriez accorder la même exemption à tous ceux qui se destinent à une fonction utile à l'Etat ; vous devriez l'accorder, par exemple, à ceux qui se destinent à la magistrature ; vous devriez l'accorder, à bien plus forte raison, à l'héritier présomptif du trône. (Interruption.)

Mais la chose est bien évidente : si vous accordez des dispenses en vue de services futurs, vous devez en accorder à tous ceux qui sont destinés à rendre ces services, et l'héritier présomptif du trône figure, sous ce rapport, au premier rang.

M. Thonissenµ. - Il est le futur commandant de l'armée.

- Un membre. - Il est colonel à 18 ans.

M. Eliasµ. - Je crois, messieurs, vous avoir démontré qu'il n'y a pas d'obligation pour nous d'accorder la dispense à ceux qui se destinent au (page 1073) sacerdoce.

Mais vous me direz probablement que cette dispense est nécessaire pour le recrutement du clergé. Je pense que nous avons en Belgique assez de personnes qui ont la vocation ecclésiastique pour qu'il ne soit pas nécessaire de stimuler cette vocation par un privilège.

L'honorable M. Bricoult nous disait, il y a quelques jours, que la piété des catholiques trouve des ressources suffisantes pour entretenir 21,000 personnes dans les ordres religieux ; ce n'est donc pas la modique somme nécessaire pour faire remplacer les séminaristes qui doivent tirer au sort, ce n'est pas cette modique somme qui ferait défaut. Ensuite, il est évident que parmi les personnes qui se destinent à la prêtrise un certain nombre entrent dans les ordres religieux et celles-là appartiennent à la partie la plus fortunée de la population.

En effet, pour entrer au couvent, il faut non seulement avoir fait des études préparatoires, mais encore avoir une dot, dont les revenus puissent vous faire vivre en rentier dans le couvent.

Tout cela coûte assez cher pour faire présumer que le jeune homme qui se fait religieux pourrait mettre un remplaçant.

Celui qui a la vocation ne sera donc pas empêché de la suivre. Seulement, si un plus grand nombre de places de curés et de vicaires étaient vacantes, les moines les rempliraient, et nous aurions moins de couvents. Là ne serait pas le mal. Mais il y a plus. Je ne pense pas qu'actuellement nous manquions de gens qui se destinent au sacerdoce.

L'honorable M. de Brouckere a cité un exemple, mais je ne pense pas qu'il faille en conclure que les prêtres manquent. Il en résulte seulement qu'à la sortie du séminaire, les jeunes prêtres sont employés à différentes fonctions, et qu'ils ne sont pas libres au moment où l'on peut avoir besoin d'eux.

Les jeunes prêtres ne sont pas, en général, assez riches pour pouvoir vivre sans rien faire. Les chefs des cultes cherchent à leur donner des fonctions provisoires. L'attente d'un vicaire qu'a dû subir M. De Fré ne prouve donc pas que nous n'ayons pas de prêtres. Je crois, en outre, qu'il ne faut pas trop pousser les jeunes gens à entrer dans les ordres, à se faire prêtres sans vocation déterminée, et c'est ce que vous faites en leur accordant un privilège, la dispense du service militaire. Ils pourraient alors devenir un danger pour la société.

Permettez-moi, messieurs, de vous démontrer que, malgré les amendements de MM. Pirmez et Orts, la législation actuelle aurait pour conséquence de permettre aux personnes qui se destinent aux ordres religieux d'obtenir la dispense que vous ne voulez accorder qu'aux séminaristes.

L'honorable M. Orts, pour empêcher ce résultat, a proposé un amendement portant que celui qui ne remplit pas des fonctions spirituelles rétribuées par l'Etat ne peut jouir de l'exemption. Mais il est évident que les prêtres ne seront appelés à justifier de fonctions rétribuées par l'Etat, que lorsque le temps de la conscription aura déjà été dépassé depuis longtemps, et alors il sera trop tard pour opérer l'incorporation. Cet amendement est donc inefficace.

L'honorable M. Pirmez veut parer à cet inconvénient ; il dit que le futur prêtre n'obtiendra la dispense que s'il étudie dans un séminaire. Mais il ne pourra surveiller ce qui se fait dans les séminaires et il devra s'en tenir à la déclaration qui sera délivrée par le directeur. Or, cette déclaration pourra être basée sur une fréquentation assez courte au séminaire et une résidence réelle, dans le couvent ; la disposition de l'honorable M. Pirmez sera assez facilement éludée, et ceux qui se destinent aux ordres pourront, par une légère fraude excusée par le but à atteindre, continuer à jouir de la dispense de l'ancienne législation, dispense dont nous devons surtout la connaissance à l'honorable M. Coomans.

Ai-je besoin de vous prouver que cette conséquence est tout à fait inconstitutionnelle ? Les ordres religieux n'existent pas aux yeux de la Constitution belge, et cette dispense est formellement contraire, non seulement au texte, mais à l'esprit de la Constitution.

En effet, lorsqu'on a présenté au Congrès l'article 20 qui était alors l'article 16, cet article contenait diverses dispositions qui donnaient aux législatures futures le droit de créer, sous certaines conditions des personnalités civiles en dehors des sociétés civiles ou commerciales.

Toutes ces dispositions qui avaient pour but de permettre les associations de mainmorte, c'est-à-dire les couvents, ont été retirées ou repoussées.

Il ne reste plus que le principe, le principe absolu, qui reconnaît à tous les Belges le droit de fonder des associations, mais qui ne détermine pas quels en seront les effets.

Les conséquences de ces associations doivent donc se tirer du droit seul. Par conséquent les membres des ordres religieux n'existent que comme citoyens. Ils n'ont aucun droit en une autre qualité.

C'est, du reste, ce qui a été reconnu et professer par un membre de cette Chambre, l'honorable M. de Bonne, dont l'opinion est rapportée dans un livre publié, il y a quelque temps déjà, par un des membres du cabinet :

« Le privilège d'exemption du service militaire, disait-il à peu près en ces termes, n'est accordé aux ministres des cultes que par le motif qu'ils remplissent des fonctions utiles à l'Etat. »

On ne peut donc comprendre sous ces mots les membres des corporations religieuses, qui ne sont pas dans ce cas.

Vous voyez donc que la Constitution ne nous permet pas d'accorder des exemptions aux membres des corporations religieuses, en tant que membres de ces corporations. Et comme tous les systèmes, autres que celui de M. De Fré, ne parviennent pas à empêcher que ces exemptions ne se produisent, nous vous engageons à le voter.

MpDµ. - Deux amendements viennent d'être envoyés au bureau par M. Thonissen. Voici comment ils sont conçus :

« Je propose de remplacer au n°1 de l'article 23bis les mots « vingtième année » par ceux-ci : « vingt et unième année ». »

« Je propose de supprimer à l'article 23bis les mots suivants : « et sous la réserve apportée à l'application du n°3° de l'article précédent ». »

La parole est à M. Thonissen pour développer ces amendements.

M. Thonissenµ. - Je ne parlerai en ce moment que sur les deux amendements que je viens de déposer.

La Chambre se rappelle sans doute que, lorsqu'il était question d'accorder l'exemption au descendant unique d'une famille, le projet de la section centrale portait : « Pourvu que la famille ne soit pas dans l'aisance, ou qu'elle ne puisse pas, sans cesser d'en jouir, pourvoir au rachat du service personnel. »

J'ai combattu alors la condition proposée par la section centrale, et j'ai indiqué les raisons qui me la faisaient repousser. J'ai dit notamment que le mot « aisance » a un sens excessivement vague, qu'en théorie rien ne paraît plus simple que d'exiger cette condition, mais que, en pratique, rien n'est plus difficile à constater. J'ai fait remarquer qu'il est surtout difficile de définir ce que c'est qu'une aisance que le payement du prix d'un remplaçant peut faire disparaître.

J'ai ajouté encore que très souvent on suppose qu'une famille est dans l'aisance, tandis que, en réalité, elle est loin de se trouver dans une position favorable. J'ai dit enfin que la constatation de cette aisance par l'autorité publique pouvait ouvrir largement la porte à l'arbitraire.

On objecte toujours que, lorsqu'il s'agit d'exempter un fils soutien de famille, il faut bien examiner si la famille est ou n'est pas dans l'aisance. En effet, cette condition est alors indispensable ; elle est, en quelque sorte, un mal impossible à éviter. La famille elle-même est en cause. Puisqu'elle se prévaut de sa détresse, il faut bien qu'on procède à une vérification. On ne saurait pas s'en passer, je le reconnais ; mais je demande qu'on n'étende pas cette vérification, toujours plus ou moins arbitraire, au delà des limites de la nécessité.

Ici la dispense du service militaire n'est accordée ni dans l'intérêt de la famille, ni même dans l'intérêt du séminariste ; elle a pour base unique le grand intérêt public qui s'attache à la conservation du culte.

C'est là le point de vue auquel il faut se placer.

L'honorable rapporteur de la section centrale a eu raison de dire qu'on devait tenir compte des grands avantages sociaux résultant de l'existence des cultes ; qu'il fallait tenir compte des grands intérêts qui s'y rattachent. (Interruption.)

Il est possible, messieurs, que je ne rende pas bien les termes du rapport, mais c'est bien là la pensée.

On accorde donc l'exemption aux séminaristes, non pas en considération de leur position personnelle, ni par égard pour leurs familles, mais uniquement en vue des raisons d'utilité publique qui exigent que les cultes existant dans le royaume puissent être convenablement organisés et alimentés.

L'honorable M. Elias vient de nous dire : « Nous ne sommes pas forcés d'exempter les séminaristes. »

Il n'est pas question ici de savoir si nous sommes forcés d'exempter les séminaristes ; il s'agit de savoir s'il est convenable et nécessaire de les exempter.

Or, indépendamment des raisons déjà alléguées, il existe bien des motifs d'accorder cette exemption. J'en citerai un, dont j'ai déjà parlé dans une autre séance. Les études ecclésiastiques exigent beaucoup de temps et de sacrifices, tandis que, pour celui qui s'y adonne, les résultats matériels sont excessivement modestes. Il faut d'abord passer six années au petit séminaire ; on fait ensuite une ou deux années de philosophie et quatre années de théologie, et, à la suite de ces douze années d'études, on obtient une place de vicaire à 600 francs d'appointements. Je vous le demande, (page 1074) messieurs, peut-on, sans décourager ceux qui entrent dans cette carrière austère, leur imposer encore les charges de la milice ?

M. Preud’hommeµ. - Et la Constitution !

M. Thonissenµ. - La Constitution, messieurs, n'est pas ici en cause. Les membres du Congrès, qui ont fait la Constitution, la connaissaient assurément aussi bien que nous. Or, ils ont déclaré qu'il ne fallait pas faire servir les ecclésiastiques, même dans la garde chique, par conséquent, beaucoup moins encore dans l'armée.

Faut-il donc que je répète cet argument si clair, si concluant, antérieurement développé par l'honorable M. Dumortier ? Je ne conçois vraiment pas qu'on puisse encore revenir sur cette question. Le Congrès a voté la Constitution ; il a voté la liberté des cultes ; il a supprimé les privilèges dont les ecclésiastiques jouissaient sous l'ancien régime, et il n'a maintenu que les traitements du clergé !

Et c'est le même Congrès, appelé à faire une loi sur la garde civique, qui décide que les ecclésiastiques ne serviront pas même dans cette garde ! Et vous voudriez les faire servir dans l'armée !

M. Eliasµ. - Le service était personnel.

M. Thonissenµ. - Erreur, encore une fois.

Pour la garde civique sédentaire, il y avait obligation de service personnel, mais pour la garde civique mobilisée, le remplacement était admis par l'article 48 de la loi du 30 décembre 1830. Je l'ai déjà démontré, ii est inutile d'y revenir.

En définitive, je suis d'avis qu'on ne doit pas exiger que le séminariste fournisse la preuve que ses parents ne sont pas dans l'aisance. Sa famille n'est absolument pour rien dans la question, et, dès lors, on doit la laisser hors de cause. Je concevrais tout au plus qu'on demandât au séminariste lui-même de fournir la preuve qu'il est hors d'état de se procurer un remplaçant.

Je crois, messieurs, avoir suffisamment développé mon premier amendement.

En ce qui concerne le second, je serai encore plus concis.

J'ai appris que la plupart des séminaristes n'ont pas terminé leurs études philosophiques à l'âge de vingt ans, et mon amendement, tenant compte de ce fait incontestable, a pour but de leur faire accorder une année de plus.

Il ne résulterait de l'adoption de cet amendement aucune espèce d'inconvénient. Si, à l'âge fixé par la loi, l'étudiant n'est pas prêtre, il devra servir. Si vous mettez ici vingt ans ou vingt et un ans, le résultat final sera exactement le même.

Comme la parole ne m'a été accordée que pour développer mes amendements, j'attendrai mon tour d'inscription pour discuter l'amendement présenté par l'honorable ministre de l'intérieur.

Projet de loi allouant un crédit au budget du ministère de l’intérieur

Rapport de la section centrale

M. Vleminckxµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi portant allocation d'un crédit de 2,200,000 francs au département de l'intérieur.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur la milice

Discussion des articles

Chapitre IV. Des exemptions des dispenses d’incorporation et des exclusions

Article 23bis

MpDµ. - La parole est à M. Delcour.

M. Muller, rapporteurµ. - Je demanderai à l'honorable M. Delcour s'il n'aurait pas la complaisance de me céder, en ma qualité de rapporteur, son tour de parole. Il ne me serait peut-être pas possible d'être ici demain.

M. Delcourµ. - Volontiers.

M. Muller, rapporteurµ. - Il me paraît utile, tout d'abord, de rappeler, en l'expliquant, le système des exemptions légales qui existent aujourd'hui, en matière de vocation ecclésiastique.

D'après la loi de 1817, article 94, paragraphe ee, sont exemptés temporairement du service militaire, les élèves des séminaires catholiques et ceux qui font leurs éludes théologiques pour se vouer au saint ministère dans les autres cultes salariés par l'Etat.

En ce qui concerne la religion catholique, cette loi se référait évidemment à un décret de l'empire du 23 ventôse an XII, qui crée un séminaire par arrondissement diocésain. A chacun de ces séminaires, les seuls que la loi avait institués, un autre décret attribuait un nombre de bourses.

Il y avait 61 séminaires reconnus sous l'empire ; nous en avions cinq pour la Belgique. Depuis lors, il en a été créé un sixième, celui de Bruges.

Donc, messieurs, sous l'empire de la loi de 1817, cela ne peut par faire question, car son texte est formel : ne peuvent être exemptés que les jeunes gens qui étudient réellement la théologie dans l'un des séminaires qualifiés et reconnus par le législateur, c'est-à-dire en faveur desquels l'Etat alloue des bourbes et paye les traitements des professeurs, et qui sont tenus à rendre des comptes.

Telle était la situation lorsque furent instituées successivement la commission de 1855 et celle de 1858 ; celle dernière commission prolongea ses travaux jusqu'en 1860 et prépara le projet de loi d'où est sorti le travail actuellement soumis à la Chambre.

Dans ces différentes commissions, la question de savoir ce qu'on devait entendre par élèves en théologie n'a pas même été soulevée ; nul ne prétendit qu'on pouvait être exempté comme faisant des études théologiques dans une corporation religieuse. On s'en référait, à cet égard, aux dispositions précises de la loi de 1817.

Le seul point qui a été discuté en 1860, c'est celui de savoir s'il n'y avait pas lieu d'étendre l'exemption temporaire de la loi de 1817 aux jeunes gens parvenus seulement au cours de philosophie préparatoire, à la théologie, et se destinant sérieusement à l'état ecclésiastique.

La commission de 1858 se divisait sur ce point, et dans une séance à laquelle un membre de la minorité n'assistait pas, elle adopta, à une seule voix de majorité, une solution tendante à autoriser l'exemption pour un an des étudiants en philosophie se destinant à l'état ecclésiastique, à charge de justifier ultérieurement de leurs études théologiques.

Le gouvernement, dans une note jointe à l'exposé des motifs, déclara ne pas accepter cette proposition, et s'en tenir, avec la minorité de la commission, à la loi de 1817.

Au sein des sections qui ont examiné le projet de loi, l'exemption des élèves en théologie des séminaires ne donna lieu à aucune observation. Des signataires de l'amendement qui vous est proposé aujourd'hui prirent part à leurs travaux et ne présentèrent pas de critiques à cet égard. Une seule remarque fut faite dans la 3ème section ; c'est qu'il serait convenable que cette exemption ne fût accordée, ainsi que quelques autres, qu'en considération d'un état de fortune qui ne permettrait pas à la famille d'un jeune homme d'ajouter aux frais de ses études ecclésiastiques le prix d'un remplacement militaire.

Lorsque la section centrale procéda à l'examen de ce paragraphe de l'article 23, je dois déclarer loyalement que la question de savoir si les élèves en théologie pouvaient comprendre ceux qui étudient dans des établissements religieux libres et non reconnus par la loi, en un mot, en dehors des séminaires diocésains, ne fut pas même soulevée ; elle n'apparut pas et je vous en dirai tantôt les motifs, du moins autant que je puis personnellement m'en rendre compte.

Une question sur laquelle nous fûmes unanimes, bien qu'elle n'eût été agitée ni dans la commission de 1858, ni dans les sections de la Chambre, c'est que l'exemption dès élèves séminaristes devait être convertie en une dispense comme celle des prêtres, des élèves normalistes et des instituteurs publics.

J'ai entendu tantôt l'honorable M. Elias dire qu'il n'y avait guère lieu de distinguer entre la dispense et l'exemption, qu'en définitive la dispense, si elle ne faisait pas marcher un autre inscrit du canton, amènerait toujours un homme de plus, sur la masse, dans les rangs de l'armée.

J'estime que déjà cette différence est énorme ; et parmi les pétitions qui vous ont été soumises tout récemment, il en est qui ne se plaignent que d'une chose, c'est que le milicien de telle commune doive être incorporé, malgré son numéro plus favorable, en lieu et place d'un jeune homme à qui il convient d'embrasser l'état ecclésiastique.

Entre le système que nous proposons et celui qui existe actuellement, il y a une différence tellement grande, qu'elle a été consacrée depuis longtemps dans la législation française, et qu'elle a été naguère, si je ne m'abuse, introduite en Hollande et ailleurs.

Exempter, c'est donner au département de la guerre le droit immédiat d'incorporer le milicien dont le numéro suit celui de l'exempté. Dispenser, c'est tout autre chose : le département de la guerre ne peut lever un homme de plus qu'avec le consentement de la législature, en sollicitant et en obtenant un supplément d'hommes.

J'ajoute que quand la nouvelle organisation militaire a été votée, l'an dernier, lorsque vous avez admis le chiffre du contingent pétitionné par M. le ministre de la guerre, on comptait alors sur les pertes qui résultent déjà actuellement des incorporations fictives de ceux qui ne sont pas encore élèves en théologie dans les séminaires, et des élèves instituteurs qui n'ont pas aujourd'hui d'exemption légale.

Je n'en dirai pus davantage sur ce point, il me semble suffisamment (page 1075) établi pour qu'on ne puisse plus sérieusement contester que les effets des dispenses ne sont pas du tout les mêmes que ceux des exemptions.

Mais je n'ai pas terminé l'examen de la législation actuelle en cette matière, et vous m'excuserez de répéter une partie de ce qui est déjà énoncé dans le rapport de la section centrale.

Voici ce qui arrive aujourd'hui. A l’âge de 19 ans, il y a un très petit nombre d'élèves en théologie étudiant dans les séminaires.

Or, la loi n'exemptant que cette catégorie, les jeunes gens qui se destinent à la carrière sacerdotale, et qui ne sont pas encore munis de ce titre, doivent être désignés pour le service, mais ils ne marchent pas ; le département de l'intérieur, d'accord avec le département de la guerre, leur accorde une dispense. Dans l'état actuel des choses, il faut bien le dire, c'est une mesure extra-légale, que nous connaissons tous, mais qu'il serait rigoureux de refuser, la très grande majorité des aspirants à la prêtrise n'étant pas élèves en théologie à l'âge de 19 ans. Aussi, la section centrale a cru pouvoir leur accorder une année de plus pour le devenir.

Maintenant, ces jeunes gens étant désignés pour le service, en sont affranchis par disposition ministérielle, et personne ne marche à leur place ; le département de la guerre supporte exclusivement la perte qui en résulte pour l'armée.

D'autre part, ceux qui sont exemptés comme élèves en théologie doivent avoir reçu les ordres majeurs à l'âge de 23 ans, pour continuer à jouir de cette exemption. Là, encore, c'est le petit nombre ; je ne sais pas même s'il ne faut pas, avant cet âge, une dispense spéciale.

On tournait donc, sous la législation actuelle, dans un cercle vicieux, et qui poussait le gouvernement à sortir de la loi.

Pour abandonner une situation qui prêtait plus ou moins à l'arbitraire, voici, messieurs (et j'en parle parce que chacun doit assumer la responsabilité de ses actes), voici, dis-je, ce qu'après de longues et mûres réflexions, que j'ai proposé à la section centrale et ce qu'elle a cru pouvoir admettre.

Dans mon opinion il y a deux services, non pas simplement d'utilité publique, comme on me l'a fait dire pour me répondre plus facilement, mais de nécessité sociale, comme je l'ai dit et comme je le maintiens, services qui sont reconnus et inscrits dans notre Constitution, et auxquels les pouvoirs publics doivent des subsides. Ces deux services de nécessite sociale s'étendent, par leur nature même, à toutes les localités du pays.

Il faut, en effet, que dans toutes les localités les besoins du culte soient satisfaits ; il faut, selon moi, que l'enseignement primaire soit organisé, même pour le hameau le plus reculé, non pas l'enseignement primaire donné facultativement par des instituteurs privés qui peuvent disparaître du jour au lendemain, mais l'enseignement primaire constitué avec les fonds et sous la surveillance des pouvoirs publics, de telle sorte que son existence ne dépende pas du caprice d'individualités quelconques.

On peut se demander, messieurs, si ces services pourraient trouver un recrutement suffisant dans les conditions sociales aisées. Quant à moi, j'ai été amené de bonne foi à conclure négativement pour l'enseignement primaire et pour les cultes.

Il ne faut pas perdre de vue, messieurs, quant aux cultes, que les jeunes gens appartenant à des familles aisées et qui se vouent à l'état ecclésiastique, sont, en général, je le dirai avec franchise, accaparés par les ordres religieux. Pour ceux-là, que l'on détourne du clergé séculier, et pour cause, je suis bien sûr qu'ils auront parfaitement les moyens de se faire remplacer et de suivre leurs études ; mais précisément à cause de la concurrence que les ordres religieux font au clergé séculier, et des sujets qu'ils lui enlèvent parmi les familles aisées, je ne suis pas aussi rassuré sur la facilité de recruter les membres du clergé séculier, sur lequel doit se porter notre sollicitude. Nous avons assez d'exemples sous les yeux pour justifier cette appréhension.

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu m'a dit : Mais c'est une sorte d'attaque contre le clergé qu'une semblable énonciation. Messieurs, nous avons constaté un fait qui nous a frappés, parce qu'il était de notre devoir de le faire, mais notre pensée n'a pas été de récriminer. Ce qui est positif, c'est que la position d'un simple desservant, d'un simple vicaire n'est pas si tentante que les fils de familles aisées la recherchent avec empressement.

J'en dis autant des instituteurs et des élèves normalistes, et j'ajoute que c'est avec chagrin que je verrais supprimer les dispenses que nous proposons en leur faveur.

J'ai la conviction profonde que vous frapperiez cruellement l'enseignement populaire pour lequel vous faites aujourd'hui tant d'efforts ! Vous ne recruterez jamais dans les conditions de la richesse un nombre suffisant d'instituteurs, de ces humbles apôtres qui se dévouent à l'éducation des enfants du peuple.

Je vous en supplie, messieurs, ne confierez pas une mesures funeste, vous en éprouveriez des regrets, les conséquences en seraient désastreuses, et le pays ne vous bénirait pas.

L'honorable M. Bricoult, reprenant une partie de l'argumentation de l'honorable M. Le Hardy, qui s'était écrié : « 50 élèves en théologie de plus par an, qu'est-ce que cela peut faire ? », a dit, à son tour, que les instituteurs ne faisaient pas défaut, et que la qualité seule laissait à désirer. Eh bien, c'est là une grave erreur.

On se trompe en supposant qu'il n'y a par année qu'une cinquantaine de jeunes gens se vouant à la prêtrise ; on ne compte qu'une moyenne de 50 élèves en théologie qui sont exemples chaque année, mais il y a encore ceux qui sont dispensés actuellement parce qu'ils ne sont pas encore en théologie dans les séminaires. Il y a ceux aussi qui, à l'âge de 23 ans, n'ont pas reçu les ordres majeurs, de manière que la proportion est beaucoup plus grande ; d'autre part, que l'on cite donc les fils des familles aisées qui se font instituteurs primaires ! La liste n'en sera pas longue, la plupart doivent être subsidiés !

Messieurs, l'honorable M. Coomans que, du reste, nous devons trouver partout comme opposant, nous a dit : Pourquoi ne pas dispenser aussi les médecins, les avocats, les ingénieurs et tutti quanti ?

Je réponds à cette objection : C'est précisément parce que vous n'avez aucune espèce de crainte qu'il n'y ait plus d'avocats, qu'il n'y ait plus de médecins, qu'il n'y ait plus d'ingénieurs, dont je reconnais parfaitement l'utilité, mais qui ne remplissent pas des services de nécessité sociale, qu'il y a danger de voir en souffrance !

J'ajoute que les carrières qu'ils embrassent leur offrent un avenir lucratif tel, que le recrutement se fait facilement dans les classes aisées.

M. Coomansµ. - Il n'y a pas assez de médecins.

M. Mullerµ. - J'admets parfaitement que vous ayez une opinion contraire. Moi, je dis qu'il y a assez de médecins, mais ils ne sont pas bien répartis sur les différents points du pays. Ils sont trop concentrés vers les centres populeux.

M. Vleminckxµ. - Voilà la vérité.

M. Coomansµ. - Pour moi, il y en a assez.

M. Mullerµ, - Vous en auriez actuellement un plus grand nombre que, dans certaines localités, il en manquera toujours, par la raison toute simple qu'il faut que les médecins aient une clientèle qui les fasse vivre.

Je vous ai dit les motifs qui ont dirigé la section centrale ; je devrais peut-être me borner à dire le rapporteur, car je n'ai pas eu le loisir de consulter de nouveau mes collègues sur tous ces points.

L'honorable M. Thonissen vient de proposer un amendement que je ne puis admettre en aucune façon. Cet amendement constitue une véritable immunité ecclésiastique, a priori, sans considération de l'intérêt social qui seul doit être notre guide.

C'est en vertu d'un droit antérieur que M. Thonissen demande la dispense absolue des élèves en théologie !

Pour mon compte, je ne vois pas de motifs de libérer de la milice l'élève en théologie, lorsque sa famille a de la fortune, parce que ce n'est pas évidemment le prix d'un remplaçant qui empêchera celle-ci de laisser suivre à son fils la vocation ecclésiastique. Sous ce rapport, je tiens essentiellement à la condition d'aisance ; j'y tiens surtout, parce que je ne veux pas consacrer la doctrine d'un droit de l'Eglise qui résulterait de l'amendement de l'honorable M. Thonissen.

Cet honorable membre nous dit : Il est difficile de reconnaître l'aisance. J'ai déjà répondu à cet égard lorsque je demandais que l'enfant unique fût exempté si sa famille était dans la gêne. La Chambre n'a pas accepté ma demande, mais elle n'a pas jusqu'ici reconnu qu'il serait si difficile d'établir qu'un individu est dans l'aisance ; on recherche bien si tel enfant est pourvoyant de sa famille.

Le point de savoir si la famille pourra ou ne pourra pas fournir de remplaçant dépend uniquement du prix du remplacement, c'est pour cette raison qu'on n'a pas indiqué, dans le projet, des bases de contributions publiques.

Il est un dernier point sur lequel je vais m'expliquer avec franchise. On a manifesté la crainte que les corporations religieuses ne fissent étudier leurs jeunes gens dans des séminaires diocésains ; or, j'ai l'intime conviction qu'ils s'en abstiendront systématiquement. Il faut ne pas connaître les ordres religieux, il faut ne pas connaître leur amour de l'indépendance de toute hiérarchie séculière, le besoin qu'ils ont de se classer à part du clergé paroissial, pour imaginer que les ordres religieux enverront leurs élèves étudier la théologie dans les séminaires épiscopaux.

Cela ne s'est guère pratiqué, et je pense que cela ne se verra pas désormais. Il y a, entre les ordres religieux et le clergé séculier, une lutte intestine.

(page 1076) M. Vleminckxµ. - Les élèves seront inscrits au séminaire et détachés au couvent.

M. Mullerµ. - Messieurs, l'interruption qu'on vient de faire ne saurait résister aux explications que je puis vous donner.

On dit que les aspirants aux ordres religieux seront inscrits au séminaire diocésain et qu'ils seront détachés au couvent. Cela n'est guère probable.

Il doit y avoir dans le code pénal l’une ou l'autre disposition atteignant celui qui attesterait faussement qu'on étudie dans un séminaire pour soustraire un jeune homme au service militaire. Je n'admets donc pas qu'on s'expose à ce point. En second lieu, messieurs, une semblable déclaration doit être examinée et reconnue vraie par le collège des certificateurs, et on sait bien, dans les communes, si tel ou tel étudie au séminaire ou au couvent.

En troisième lieu, le conseil de milice statue ; il y a, enfin, appel à la députation permanente.

M. Vleminckxµ. - Je suis très satisfait de l'explication.

M. Mullerµ. - Reste la question des ministres des cultes. Je dois dire, messieurs, que j'attache, quant à moi, une médiocre importance à une solution relative aux ministres des cultes et voici pourquoi : selon moi, vous n'aurez à exempter que des élèves en théologie étudiant dans des séminaires reconnus par la loi, dont vous rétribuez les professeurs et auxquels vous accordez des subsides.

Tous les autres aspirants à la prêtrise auront payé leur tribut à la milice.

Qu'il sorte exceptionnellement de ces séminaires un prêtre qui se fera religieux, qu'en ferez-vous ? Le poursuivrez-vous et le ferez-vous incorporer ? Je ne le pense pas. Lorsque nous faisons une loi, nous la faisons pour des cas généraux.

En second lieu, messieurs, dans ma pensée personnelle, lorsque la section centrale a présenté son rapport, agissant en conformité de la loi de 1817, contre laquelle aucune réclamation ne s'était produite dans les sections, elle ne faisait aucune distinction entre les ministres des cultes parce que la loi de 1817 se servait de l'expression : être entré dans les ordres majeurs, qui constituent la prêtrise.

On a demandé, messieurs, pourquoi les ministres des cultes étaient exemptés, sans distinction, de la garde civique et pourquoi on voulait distinguer en matière de milice. Je ferai une autre question ; d'après le code pénal, les ministres des cultes qui prononcent en chaire des sermons contenant des attaques répréhensibles sont passibles d'une peine assez forte. Distinguerez-vous ? Je ne le pense pas, car, si je ne me trompe, cette expression, « ministres des cultes », comprend tout aussi bien les jésuites que les rédemptoristes, que les membres du clergé séculier.

Dans la loi d'organisation judiciaire, vous avez exempté du service du jury les ministres des cultes.

En accordant cette exemption, a-t-on songé alors à établir une différence entre les ministres des cultes appartenant à un ordre religieux, et les ministres des cultes appartenant à l'ordre séculier ? Pas le moins du monde.

Eh bien, vous courez le risque, selon moi, d'aller gratuitement vous jeter dans une difficulté très grave si vous adoptez les amendements en discussion.

Je termine ici, et je remercie la Chambre de la bienveillance avec laquelle elle a bien voulu écouler les explications que je tenais a lui soumettre .

M. Delcourµ. - Messieurs, les explications que vient de donner l'honorable M. Muller ont jeté déjà la lumière dans vos esprits. Si je suis d'accord avec l'honorable rapporteur sur plusieurs points, il en est plusieurs autres sur lesquels je me sépare complètement de son opinion.

La Chambre doit se prononcer sur des amendements d'une haute importance. C'est ce que l'honorable M. de Brouckere a fait comprendre par un mot, en combattant la proposition de l'honorable M. De Fré. « Je tremble, a-t-il dit, sur les conséquences de mon volt. »

Je relève cette parole, mais j'irai plus loin que l'honorable M. de Brouckere, je l'appliquerai aux trois principaux amendements dont la Chambre est saisie.

Je ne parle, pour le moment, que de l'amendement de l'honorable M. Orts, de celui de M. De Fré et de l'amendement de M. le ministre de l'intérieur. Il va sans dire que je me rallie à celui de M. Thonissen. Je me proposais moi-même d'indiquer à la fin de ce discours que la proposition primitive du gouvernement est plus large, plus complète que celle de la section centrale.

L'amendement de M. Orts porte sur le n°1° de l'article 23bis. Il a pour objet de faire déclarer par la loi « que les membres des ordres religieux qui ne sont point revêtus de fondions spirituelles rétribuées par l'Etat ne sont point compris sous la qualification de ministres des cultes. » Ce sont les termes mêmes dont s'est servi l'honorable membre. Je les ai reproduits a dessein pour qu'il n'y ait pas de malentendu entre nous.

Dans le projet du gouvernement, dans le projet de la section centrale, les mots « ministres des cultes » comprennent tous les prêtres, toutes les personnes engagées dans le sacerdoce ; selon l'amendement de M. Orts, les membres des corporations religieuses n'y sont point compris, à moins qu'ils ne soient chargés de fonctions spirituelles salariées par l'Etat.

Le second amendement est celui de l'honorable M. De Fré. Celui-ci est radical. Il porte sur le n°2 de l'article 23. Il écarte de l'exemption ou de la dispense tous les élèves en théologie quels qu'ils soient ; il enlève du même coup l'exemption aux jeunes gens qui se préparent à l'enseignement primaire dans nos écoles normales.

Vient enfin l'amendement de M. le ministre de l'intérieur. Moins radical, il maintient la dispense en faveur des élèves en théologie, mais en subordonne l'application aux deux conditions suivantes :

Il exige, 1° que les études se fassent dans un établissement reconnu par la loi. La seconde condition n'est pas écrite dans le texte de l'amendement, mais l'honorable ministre de l'intérieur l'a suffisamment indiquée dans son discours ; il ne suffit pas que l'élève qui entre au séminaire déclare qu'il se destine à l'état ecclésiastique, il doit déclarer spécialement qu'il entend rester dans le clergé séculier.

Telle est-la portée des trois amendements sur lesquels la Chambre doit se prononcer. Avant de les discuter, j'ai deux observations générales à faire.

Je m'adresse au gouvernement et je lui demande pourquoi il vient aujourd'hui changer les propositions qu'il nous avait faites à trois époques différentes, en 1853, on 1862 et en 1864 ? Aucun des projets de loi présentés à ces diverses époques n'a exigé que l'élève en théologie fît ses études dans un établissement reconnu par l'Etat.

MfFOµ. - C’était la pensée.

M. Delcourµ. Cette pensée n'est exprimée nulle part. Je cherche en vain une raison plausible, je ne puis trouver qu'un prétexte.

On a dit et répété dans cette enceinte que le gouvernement a été provoqué par les observations de l'honorable M. Coomans. C'est le cri général. Autant que personne, je regrette les paroles de mon honorable ami, mais je dis au gouvernement que la provocation d'un membre de l'opposition n'aurait pas dû lui faire abandonner une proposition qu'il croyait juste et raisonnable.

De deux choses l'une : ou le projet de loi que vous nous avez présenté en 1853, en 1862 et en 1864 répond aux besoins de la société, ou il n'y répond pas. S'il est juste et raisonnable, pourquoi le modifiez-vous aujourd'hui ? Les situations sont-elles changées ? Evidemment non. Par conséquent, l'amendement de M. le ministre de l'intérieur est, permettez-moi de le dire, une inconséquence dans le système du gouvernement.

J'ai un autre reproche plus grave à adresser au gouvernement. La loi sur la milice est une loi d'organisation, une loi purement administrative. Le gouvernement doit désirer qu'elle soit votée par tous les membres de la Chambre quelle que soit l'opinion à laquelle ils appartiennent. Lorsqu'il s'agit d'établir les principes fondamentaux du recrutement de l'armée et de son organisation, il faut éviter de compromettre le sort de la loi et la stabilité de l'institution en en faisant une loi de parti. Telle aurait dû être la conduite du gouvernement, au lieu de soulever une question politique et religieuse comme celle qui se débat actuellement. Le gouvernement commet une faute qui engage sa responsabilité.

Moi qui veux avec vous que l'armée repose sur des bases solides et stables, vous m'obligez, en changeant le caractère de la loi, à rejeter le projet.

Ces observations faites, je reprends les amendements.

Je m'occuperai d'abord de l'amendement de l'honorable M. Orts.

Messieurs, je me demande si l'honorable membre s'est bien rendu compte des conséquences de sa proposition : à mes yeux, elle est contraire aux règles fondamentales du sacerdoce, aux principes constitutionnels et à l'ensemble de la législation.

Qu'est-ce que le sacerdoce ? Je ne chercherai pas la définition dans les auteurs de droit canon ni dans les théologiens, vous pourriez les suspecter ; je prendrai la définition donnée par M. Gaudry, jurisconsulte éminent du barreau de Paris, dans son « Traité sur les cultes en France ».

(page 1077) L'auteur définit le sacerdoce de la manière suivante :

« Le sacerdoce est l’état de l'homme voué à la célébration du culte et à l'enseignement de ses dogmes et de sa morale. »

Cet état, sous le rapport religieux, résulte d'une consécration dans les formes déterminées par les canons de l'Eglise. Dès que cet état est acquis, il importe peu que le prêtre appartienne au clergé séculier ou au clergé régulier.

Sous un régime de liberté comme le nôtre, l'Etat n'a pas à s'enquérir de la vocation du prêtre.

Messieurs, « quand une religion est admise, a dit Portalis, on admet par raison de conséquence les principes et les règles d'après lesquels elle se gouverne ». Or, le motif de l'exemption ecclésiastique, ce n'est pas la participation du prêtre au budget de l'Etat, c'est le caractère sacerdotal. Ce signe sacré, indélébile et inviolable doit protéger le religieux comme le prêtre séculier.

Le sacerdoce est un dans son principe. Parmi les prêtres, les uns se destinent au ministère paroissial, les autres à l'enseignement, à l'étude, aux œuvres de charité : les uns participent à la vie du monde, les autres entrent dans les cloîtres, mais tous appartiennent à la milice sacrée. Les ordres religieux sont autant de régiments de la milice de l'Eglise ayant chacun sa place et sa mission à remplir.

L'honorable membre avait perdu de vue ce principe de l'unité du sacerdoce lorsqu'il vous a soumis son amendement.

L'incompatibilité du sacerdoce avec le service militaire a pris naissance avec le christianisme. Elle a été admise dans la législation des peuples immédiatement après la conversion des empereurs au christianisme ; elle a été plusieurs fois renouvelée dans les capitulaires des rois de France et dans les lois des pays civilisés. Elle a survécu à la révolution du siècle dernier qui avait prétendu faire table rase de toutes les institutions sociales, religieuses et politiques. Elle est arrivée toujours populaire jusqu'à nous, respectée du premier empire, du gouvernement des Pays-Bas et du gouvernement national. Les théories démocratiques et égalitaires n'ont encore pu faire sortir des idées et des mœurs ce principe de raison et de justice.

Oui, l'exemption en faveur des ministres du culte est écrite dans la législation de tous les peuples civilisés et chrétiens.

Elle existe en Prusse comme en France ; la loi de 1817 l'avait établie ; l'exemption était définitivement acquise, lorsque l'élève en théologie avait reçu le sous-diaconat, c'est-à-dire lorsqu'il avait reçu les ordres majeurs. Nulle part, on ne distingue entre le prêtre religieux et le prêtre séculier, et l'amendement de l'honorable M. Orts est une innovation à tout ce qui s'est pratiqué jusqu'aujourd'hui, et aux lois de l'Europe chrétienne. Je ne connais qu'un seul exemple où la loi retire l'exemption aux ministres des cultes, c'est celui du royaume d'Italie, exemple qui a été rappelé dans cette enceinte par l'honorable M. Bricoult.

Quant à moi, messieurs, ce n'est pas à Florence, dans la législation de l'Italie, que j'irai chercher un modèle de loyauté, de sagesse ou de justice.

M. Guilleryµ. - Elle vaut bien celle de Rome.

M. Delcourµ. - La proposition de l'honorable M. Orts est contraire à la loi de 1817, telle qu'elle a été interprétée et appliquée chez nous. La loi de 1817 a proclamé le principe de l'exemption en faveur des ministres du culte. Ce point n'est pas contesté ; l'honorable M. Muller vous l'a dit tout à l'heure avec sa loyauté ordinaire.

Je viens de dire que le roi des Pays-Bas avait décidé en 1818 qu'il faut considérer comme ministre du culte celui qui a reçu les ordres majeurs ou le sous-diaconat.

Cet arrêté royal a fait l'objet de vifs débats.

Il a été, à diverses reprises, dénoncé comme inconstitutionnel à la cour de cassation et chaque fois la cour suprême a reconnu sa légalité.

La cour a donné le motif de ces décisions. A ses yeux, il y a incompatibilité entre l'état ecclésiastique et le service militaire, incompatibilité fondée sur nos mœurs et sur les lois de l'Eglise.

Cela est dit, en toutes lettres, dans un arrêt de 1855.

MjBµ. - Elle n'a rien dit de semblable, vous abusez de la citation.

M. Delcourµ. - Voici les mots mêmes : Elle est fondée sur l'incompatibilité existant dans nos mœurs et d'après les lois de l'Eglise, entre l'état ecclésiastique et la profession des armes.

Le principe posé, la cour de cassation a ajouté que l'exemption définitive est acquise de plein droit et par le seul fait qu'on a reçu les ordres majeurs.

Voilà l'interprétation que la loi de 1817 a reçue par la cour de cassation, appuyée sur des motifs de haute moralité politique. Mais, aujourd'hui qu'on a un autre intérêt, on ne veut plus tenir compte de ces considérations morales et religieuses.

L'honorable M. Orts nous a dit, pour justifier son amendement, qu'il ne pouvait pas être question des religieux dans la loi de 1817. En France en 1806 et dans les Pays-Bas, les associations religieuses étaient supprimées.

Ce n'est pas sans étonnement que j'ai entendu émettre ce motif par l'honorable M. Orts, ce jurisconsulte éminent.

Il est clair qu'à l'époque où il n'y avait pas de religieux, il ne pouvait être question d'eux dans une loi qui accordait l'exemption aux ministres du culte. Mais là n'est pas la question que nous avons à résoudre. Le jour où le droit d'association a été proclamé comme droit constitutionnel du pays, les prêtres appartenant aux ordres religieux ont-ils profité de l'exemption comme ministres du culte ?

L'affirmative ne saurait être douteuse, car la loi établit une incompatibilité entre l'état ecclésiastique et le service militaire : ce n'est donc point en qualité de religieux, mais en qualité de prêtre que la dispense est acquise.

L'honorable M. Orts n'a pas oublié l'article 129 de la Constitution, qui abroge toutes lois antérieures contraires aux dispositions constitutionnelles.

La Constitution, en proclamant la liberté des cultes et la liberté d'association, a voulu les rendre fécondes et les faire passer dans nos mœurs.

M. Muller vient de présenter une observation fort juste. Les mots « ministres du culte », a-t-il dit, ont un sens absolu dans nos lois. Qui prétendra que la loi sur le jury, qui porte que les ministres des cultes ne seront pas portés sur la liste des jurés, ne comprenne point sous cette dénomination les prêtres appartenant aux corporations religieuses ?

Et si un membre d'un ordre religieux attaquait en chaire l'autorité des lois ou des actes de l'autorité publique, ne serait-il pas soumis à la loi pénale, comme l'est le prêtre séculier ?

Vous le voyez, messieurs, c'est toujours la même confusion.

Eh bien, soyons conséquents et reconnaissons franchement que la distinction faite par l'honorable M. Orts n'a pas de raison d'être.

L'honorable M. Muller aurait pu citer d'autres lois non moins concluantes.

Hier encore, vous votiez la loi sur l'organisation judiciaire qui déclare l'état ecclésiastique incompatible avec les fonctions judiciaires.

La loi communale, article 49, n°3, et la loi provinciale, article 97, présentent d'autres cas d'incompatibilités. Qui s'est avisé de penser que les mots « ministres des cultes » dans toutes ces dispositions, ne comprennent que les membres du clergé séculier ? Personne, assurément.

L'amendement est donc en opposition manifeste avec l'ensemble de nos lois ; il repose sur une confusion et sur une inconséquence.

En rappelant ces dispositions légales, je n'ai fait que compléter l'argument de l'honorable M. Muller.

J'arrive à l'amendement de M. De Fré.

Je le considère comme bien malade, après avoir été combattu par M. de Brouckere, avec cette haute raison que nous lui connaissons, et par M. Muller, qui en a démontré les dangers. Il m'est cependant impossible de laisser passer sans réponse quelques-uns des motifs invoqués par l'honorable membre.

Ici encore j'ai à relever, avant tout, une étrange erreur de l'honorable M. Bricoult. Il a parlé des 22,000 religieux que possède la Belgique, comme si la patrie était en danger. Mais l'honorable membre a négligé de séparer les hommes des femmes. La vérité, c'est que nous n'avons guère, d'après les documents statistiques officiels, au delà de 2,500 prêtres religieux dans les diverses congrégations existantes. Ce chiffre prouve déjà que les exemptions en faveur des élèves qui étudient la théologie dans les couvents ne sauraient être bien nombreuses Evitons, messieurs, des exagérations déplorables dans une matière aussi importante.

La plupart des motifs invoqués par M. De Fré ont été complètement réfutés.

Cependant, je ne puis m'empêcher de relever l'erreur capitale qui, selon moi, a servi de base à l'argumentation de l'honorable membre. Est-il vrai que la Constitution établisse la séparation complète de l'Eglise et de l'Etat ? Je n'ai pas l'intention d'approfondir aujourd'hui la question ; je me bornerai à rappeler la discussion qui s'est élevée sur les articles 16 et 17 de la Constitution.

Lors de la discussion de l'article 16, M. de Gerlache posa la question suivante : Importe-t-il à l'Etat qu'il y ait ou non une religion dans la société ? C'était la question du traitement du clergé que soulevait l'honorable membre.

Sur la question du salaire du clergé, dit M. Van Meenen, je me range entièrement à l'opinion émise par l'honorable M. de Gerlache.

(page 1078) Les deux partis étaient donc d'accord pour envisager le vote de l'article 117 de la Constitution comme la reconnaissance par l'Etat du principe, qu'il est avantageux pour la société d'avoir une religion ; et que c'est à raison de cet avantage que l'Etat accorde son assistance aux cultes.

Les incidents du vote de l'article 117 établissent, par des actes positifs, que telle a été, en effet, l'intention du législateur constituant.

Il est vrai que le projet de la section centrale n'était pas conçu dans les mêmes termes que l'article 117 : « Les traitements, pensions ou autres avantages de quelque nature que ce soit, dont jouissent actuellement les différents cultes et leurs ministres, leur sont garantis », et ce texte avait été emprunté à la loi fondamentale ; il pouvait s'expliquer sous cette constitution, parce que, en Hollande, la religion réformée jouissait d'avantages particuliers.

M. Destouvelles proposa de rédiger la disposition en ces termes :

« Les traitements et pensions des ministres de tous les cultes sont à la charge de l'Etat. Les sommes nécessaires pour y faire face sont annuellement portées au budget. »

M. Forgeur fit observer que si cette rédaction était adoptée, l'Etat serait dans l'impossibilité de distinguer entre les cultes, et obligé de rétribuer des cultes dangereux pour la société. C'est avec ces explications que l'article 117 est passé dans la Constitution.

Voilà donc des principes certains. (Interruption.) Remarquez que je ne discute pas la question ; je me borne à l'exposer, je. veux seulement indiquer que je ne partage pas les principes de l'honorable M. De Fré et que, pour moi, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, dans le sens indiqué par l'honorable membre, n'existe pas dans notre Constitution. La liberté des cultes la plus large, leur indépendance, c'est ce que tous les partis demandaient en 1830, et c'est aussi ce que les articles 14, 16 et 117 de la Constitution leur ont accordé.

L'exemption en faveur des élèves en théologie est écrite dans la loi de 1817 ; elle a été reconnue ensuite par le Congrès national. Les élèves en théologie ont été dispensés du service de la garde civique par l'article 5 de la loi du 30 décembre 1830.

Cette exemption est d'intérêt social et comme l'affirmait, il n'y a qu'un instant, l'honorable M. Muller, elle repose sur une nécessité manifeste.

Aussi n'est-ce pas sans étonnement que j'ai entendu contester ce point indiscutable par MM. Bricoult et Elias ?

Afin de m'assurer de l'insuffisance du clergé séculier pour les besoins nombreux du service des paroisses, j'ai consulté la statistique. Voici quelques faits qui méritent toute l'attention de la Chambre.

Je commence par le diocèse de Liège, que l'honorable M. Elias aurait dû connaître, lui qui habite la ville de Liège.

Il s'en faut beaucoup, messieurs, que, dans le diocèse de Liège, le clergé séculier soit assez nombreux pour satisfaire à tous les besoins du culte : au moment où je vous parle, 22 vicariats et 9 succursales sont desservis par des religieux.

Les diocèses étrangers, celui de Ruremonde entre autres, ont prêté 10 jeunes prêtres, et nonobstant tous ces secours, il y a encore 22 vicariats vacants, ainsi que quatre chapelles et une succursale.

Les religieux se répartissent de la manière suivante : vingt-trois Prémontrés des abbayes de Postel, de Tongerloo, d'Averbode et de Grimberghen ; quatre de l'ordre des Croisiers, deux de l'ordre des jésuites, un de l'ordre de Saint-Bernard de Bornheim.

Il y a encore, dans le diocèse de Liège, quelques postes particuliers desservis par des religieux, entre autres, les prisons de Liège, par les pères Rédemptoristes, et le dépôt de mendicité de Reckheim, par les pères Récollets.

En parcourant le tableau du clergé paroissial du diocèse de Tournai, je constate qu'il y a 133 postes de vicaires vacants d'une manière permanente, et, en outre, 20 places de curés et vicaires auxquelles il faut pourvoir immédiatement. Or, on ne peut compter, cette année, que sur 10 prêtres pour satisfaire aux besoins les plus urgents.

Dans le Hainaut, sans le secours des religieux, le ministère paroissial demeurerait également en souffrance.

Les maisons religieuses d'hommes ont produit dans ce diocèse, considérées toujours au point de vue paroissial, un autre avantage ; elles ont permis d'ajourner l'érection de nouvelles paroisses auxquelles il aurait fallu recourir. (Interruption.)

Je comprends que ces révélations vous gênent ; mais il est certain que les besoins du culte sont tels que je les indique.

Oui, sans le concours des corporations religieuses, il serait nécessaire de créer, dans plusieurs localités, de nouvelles places de vicaires ou d'ériger de nouvelles succursales.

Ainsi, à Mons, ville d'une population considérable, il n'y a que quatre paroisses, nombre insuffisant s'il n'existait pas de maisons religieuses d'hommes.

Prenons maintenant le diocèse de Malines, où les vocations à l'état ecclésiastique sont plus nombreuses.

Il y a, dans ce diocèse, 620 curés, et environ 530 vicaires, chapelains. Eh bien, on y compte encore 30 religieux parmi les prêtres chargés du ministère paroissial, 14 curés et 16 vicaires.

Ces chiffres répondent largement aux assertions des honorables préopinants ; ils établissent les difficultés que rencontrent les évêques pour le recrutement du clergé paroissial.

La section centrale a eu raison d'insister sur ce point.

La situation que je viens d'indiquer s'est produite à une époque où le clergé disposait de toutes les ressources des fondations faites en faveur des études ecclésiastiques à tous les degrés. Or, messieurs, depuis la loi de 1864, les trois quarts des revenus de ces fondations ont passé dans les mains des commissions provinciales. Quelles en seront les conséquences pour l'avenir ?

Mais, dit-on, pour procurer l'exemption aux élèves en théologie, il n'y a que quelques sacrifices à faire : pourquoi ne vous les imposez-vous pas ?

Eh bien, consultons de nouveau les faits, et vous vous assurerez, messieurs, des nombreux sacrifices que s'imposent les catholiques dans l'intérêt du recrutement du clergé séculier destiné aux paroisses.

Chaque diocèse est obligé de faire des remises considérables sur le prix de la pension, et, à Liège, ces remises s'élèvent à environ 20,000 fr. annuellement.

On peut, en outre, et sans exagération, évaluer au double de cette somme les sacrifices que s'imposent les personnes charitables pour faire étudier des jeunes gens appartenant à la petite bourgeoisie et à de modestes familles de cultivateurs.

Ainsi le bilan de la charité, dans le diocèse de Liège seul et pour cet objet, s'élève annuellement à 60,000 fr., et vous venez nous parler de nouveaux sacrifices à faire !

M. Mullerµ. - Le séminaire de Liège refuse de soumettre ses comptes et ne participe pas aux bourses de l'Etat.

M. Delcourµ. - C'est une autre question, dont je n'ai pas à m'occuper en ce moment.

M. Guilleryµ. - Cela est très intéressant.

M. Delcourµ. - Je répète que je cherche à établir l'insuffisance du clergé séculier pour pourvoir au service des paroisses, que je cherche à vous indiquer les sacrifices considérables que les catholiques s'imposent pour leur culte : c'est le seul point en discussion. Vous devez reconnaître que les catholiques du diocèse de Liège montrent pour leur culte une générosité qui fait leur éloge.

M. Eliasµ. - La cathédrale et le séminaire, de Liège jouissent de revenus considérables.

M. Wasseigeµ. - Pourquoi faut-il que nous payions pour jouir de nos droits ?

M. Delcourµ. - Ce que je dis est l'exacte vérité, et cette vérité restera debout, malgré toutes vos dénégations.

Un dernier mot enfin sur l'amendement de l'honorable M. De Fré. L'honorable membre a insisté sur les privilèges que crée l'exemption accordée aux élèves en théologie.

M. de Brouckere a répondu à cette objection ; il a défini ce qu'il faut entendre par privilège. Je ne rentre pas dans ce débat. Mais, à mon tour, je. dis que l'exemption du service militaire pour les élèves en théologie tourne moins à l'avantage du clergé qu'à l'avantage des populations. Loin de la considérer comme un privilège, elle répond à un besoin de la société civile.

Non, il ne saurait y avoir de privilège là où la loi, répondant à une nécessité sociale, établit, soit en faveur des ministres des cultes, soit en faveur des élèves qui se préparent à l'enseignement primaire, soit en faveur de tout agent de l'Etal, une dispense du service militaire. C'est un acte de bonne législation et de justice.

Messieurs, veuillez ne pas oublier que le sentiment moral des populations est éminemment fondé sur le sentiment religieux. Il y a dans la vie des peuples des moments où le législateur manquerait à ses devoirs, s'il n'usait pas de tous les moyens qui sont en son pouvoir pour fortifier le sentiment religieux dans l'esprit des populations. Je vous demande, messieurs, si ce moment n'est point arrivé pour nous.

Il me reste à vous parler de l'amendement de M. le ministre de l'intérieur.

- Plusieurs membres. - A demain !

M. Delcourµ. - J'en ai encore pour 20 minutes au plus. Je suis à la disposition de la Chambre.

- La séance est levée à 5 heures.