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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 18 novembre 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 41) M. Dethuinµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Rossiusµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le comice agricole de la troisième section de la province d'Anvers réclame l'intervention de la Chambre pour que les sieurs Bennert et Chauchet obtiennent la concession d'un chemin de fer d'Anvers à Brecht avec embranchement d'un côté vers Breda, par Loenhout et d'un autre côté sur Hoogstraeten et Bar-le-Duc. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.


« M. le procureur général près la cour d'appel de Gand adresse à la Chambre 130 exemplaires du discours qu'il a prononcé à l'audience, solennelle de rentrée du 15 octobre dernier. »

- Distribution et dépôt.


« M. Broustin, retenu par une indisposition, demande un congé de trois jours. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1870

Discussion du tableau des recettes (III. Capitaux et revenus)

Travaux publics

M. Jacobsµ. - Messieurs, je ne me suis aperçu qu'au dernier moment de la séance d'hier que l'article relatif aux télégraphes était voté. Je demande à la Chambre qu'elle me permette de placer une observation qui s'y rapporte avant de passer à l'article suivant du budget.

La dépêche entre la Belgique et la France coûte depuis longtemps la somme de trois francs. C'était fort naturel à l'époque où la dépêche coûtait en Belgique un franc et en France deux francs ; on additionnait les deux chiffres pour arriver à la somme de trois francs. Déjà la taxe belge avait été réduite à 50 centimes, sans que le prix de trois francs fût modifié.

En France, les dépêches télégraphiques viennent d'être réduites de deux francs à un franc, de façon qu'en additionnant les deux taxes d'aujourd'hui, en Belgique 50 centimes et en France un franc, on obtient un total qui est juste la moitié des trois francs que le public continue à payer pour expédier une dépêche de Bruxelles à Paris.

Je sais qu'il faudra négocier avec un gouvernement étranger pour aboutir à un changement, mais, comme on nous a annoncé que jamais nos relations avec la France n'ont été aussi bonnes qu'aujourd'hui, j'engage le gouvernement à en profiter pour obtenir la réduction du prix de la dépêche télégraphique à fr. 1-50 c.

D'autres anomalies encore se rencontrent dans le tarif des dépêches télégraphiques expédiées en pays étrangers.

Je signale le fait à M. le ministre des travaux publics afin qu'il interpose ses bons offices pour obtenir la réduction des dépêches télégraphiques, non seulement entre la Belgique et la France, mais encore entre la Belgique et les autres pays, de façon que leur coût ne dépasse plus l'addition du coût des dépêches des divers pays dont elles empruntent les lignes télégraphiques.

MtpJµ. - Aussi longtemps que la France conservait le prix de deux francs pour les dépêches télégraphiques, il nous a paru inopportun d'abandonner à la France, sur notre territoire, un avantage qu'elle ne nous donnait pas sur le sien.

Aujourd'hui que le gouvernement français a réduit la taxe des dépêches télégraphiques, il y a lieu évidemment d'ouvrir avec la France des négociations pour abaisser le prix des dépêches échangées entre les deux pays.

M. Jonetµ. - J'appellerai aussi l'attention de M. le ministre des travaux publics sur ce fait, que dans les dépêches télégraphiques certains noms de localités comptent pour plusieurs mots. Ainsi, Saint-Josse-Ten-Noode compte pour quatre mots ; Mont-sur-Marchienne pour trois ; Baisy-Thy pour deux.

Je demanderai s'il ne conviendrait pas que dorénavant les noms des communes comptent pour un seul mot.

M. Coomansµ. - Une remarque à ce sujet, messieurs. Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il est à sa connaissance que des employés de bureaux télégraphiques exigent parfois une signature réelle, c'est-à-dire qu'ils chicanent certains de leurs clients au sujet de l'exactitude de la signature.

Je dois déclarer que j'ai cherché en vain le motif de cette formalité. Il me semble qu'il importe assez peu au gouvernement que la dépêche soit signée d'un nom réel ou d'un pseudonyme, ou même qu'il n'y ait aucune signature, afin, dans ce dernier cas, de gagner un mot dans la dépêche.

Je demande donc qu'on n'insiste pas sur ce point. (Interruption.)

C'est au ministre des travaux publics que je m'adresse et non pas à M. Bouvier, et je le prie de nous dire si le fait qu'on m'a signalé existe et pourquoi il existe.

Je le prie, en outre, de vouloir bien, s'il croit que j'ai raison, donner des ordres en conséquence.

MtpJµ. - J'examinerai la demande que vient de faire mon honorable ami M. Jonet et je verrai s'il est possible de ne compter, à l'avenir, les noms des communes que pour un seul mot quel que soit d'ailleurs le nombre de mots dont ces noms se composent.

Quant à l'abus ou plutôt au prétendu abus que signale M. Coomans, je doute fort qu'il se produise, par l'excellente raison que la plupart du temps les télégrammes, surtout pour le service intérieur, arrivent aux bureaux télégraphiques par l'intermédiaire de la poste, affranchis à l'aide de timbres télégraphiques.

Il y a donc très peu de relations entre les expéditeurs des télégrammes et les employés des bureaux d'expédition.

Quoi qu'il en soit, si M. Coomans voulait me donner des indications plus précises sur les localités où l'abus qu'il signale s'est commis, je ferai des recherches pour savoir comment il s'est produit.

- L'incident est clos.

Enregistrement et domaines

« Domaines (valeurs capitales) : fr. 1,200,000. »

- Adopté.

« Forêts : fr. 900,000. »

- Adopté.

« Dépendances des chemins de fer : fr. 110,000. »

- Adopté.

« Etablissements et services régis par l'Etat : fr. 250,000. »

- Adopté.

« Produits divers et accidentels, y compris ceux des examens universitaires : fr. 500,000. »

-Adopté.

« Revenus des domaines : fr. 600,000. »

- Adopté.

Travaux publics

« Abonnements au Moniteur, etc., perçus par l'administration des postes : fr. 40,000. »

- Adopté.

Prisons

(page 42) « Produits divers des prisons (pistoles, cantines, vente de vieux effets ) : fr. 75,000. »

- Adopté.

Trésorerie générale, etc.

« Produit de l'emploi des fonds de cautionnements et de consignations : fr. 1,000,000. »

- Adopté.

« Produit des actes des commissariats maritimes : fr. 70,000. »

- Adopté.

« Produit des droits de chancellerie : fr. 4,000. »

- Adopté.

« Produit des droits de pilotage : fr. 950,000. »

- Adopté.

« Produit des droits de fanal : fr. 250,000. »

- Adopté.

« Part réservée à l'Etat par la loi du 5 mai 1850, dans les bénéfices annuels réalisés par la Banque Nationale. : fr. 400,000. »

MpDµ. - A cet article, il y a un amendement présenté par M. le ministre des finances ; il est ainsi conçu :

« Une somme de 200,000 francs doit être portée au chapitre : Capitaux et revenus dans la rubrique : « Produit de la fabrication des monnaies de cuivre, 200,000 francs. »

Quelqu'un demande-t-il la parole ?

M. Coomansµ. - Je ne m'oppose pas à l'adoption de l'amendement ; mais j'engagerai le gouvernement à frapper un peu plus de pièces d'un centime.

Dans les villages surtout où la mendicité, quoi qu'on en dise, est assez fréquente, beaucoup de fermiers ont l'habitude de ne donner qu'un centime aux nombreux visiteurs qui viennent à leurs portes. Or les centimes sont devenus tellement rares, que l'on voit parfois des disputes s'élever entre des groupes de pauvres à qui on a donné des sous.

La matière peut paraître peu importante ; mais je la signale pourtant à l'attention du gouvernement.

MfFOµ. - Le crédit de 200,000 fr. est demandé pour couvrir les frais de la fabrication de monnaies de cuivre et tout spécialement de pièces de 2 centimes.

M. Coomansµ. - Je ne sais pas si j'ai bien compris M. le ministre des finances, mais je crois qu'il a dit que le crédit demandé avait spécialement pour objet la fabrication de pièces de 2 centimes.

MfFOµ. - Oui, le besoin s'en fait sentir.

M. Coomansµ. - Certainement, frappez-en et beaucoup même ; mais j'ai demandé des pièces d'un centime qui sont devenues excessivement rares en Belgique.

MfFOµ. - C'est afin de pourvoir aux besoins de la circulation que le crédit est demandé.

Discussion du tableau des recettes (IV. Remboursements)

Contributions directes, etc.

« Frais de perception des centimes provinciaux et communaux : fr. 200,000. »

- Adopté.

« Remboursement, par les communes, des centimes additionnels sur les non-valeurs des contributions directes : fr. 35,000. »

- Adopté.

Enregistrement et domaines

« Reliquats de comptes arrêtés par la cour des comptes. Déficit des comptables : fr. 15,000. »

- Adopté.

« Recouvrements d'avances faites par les divers départements : fr. 600,000.3

- Adopté.

Prisons

« Recouvrements d'avances faites par le ministère de la justice aux ateliers des prisons, pour achat de matières premières : fr. 1,250,000.

- Adopté.

« Abonnement des provinces pour réparations d'entretien des maisons d'arrêt et de justice, achat et entretien de leur mobilier : fr. 21,000. »

- Adopté.

Trésorerie générale, etc.

« Remboursement, par les provinces, des centimes additionnels sur les non-valeurs des contributions directes : fr. 20,000. »

- Adopté.

« Recettes accidentelles : fr. 200,000. »

-- Adopté.

« Abonnement des provinces pour le service des ponts et chaussées : fr. 76,000. »

-Adopté.

« Prélèvement sur les fonds de la masse d'habillement de la douane, à titre de remboursement d'avances : fr. 9,000. »

- Adopté.

« Prélèvement sur les fonds de la masse d'habillement du département des travaux publics, à titre de remboursement de frais d'administration : fr. 9,000. »

- Adopté.

« Prélèvement sur les fonds de la caisse générale de retraite, à titre de remboursement d'avances : fr. 1,000. »

- Adopté.

« Recette du chef d'ordonnances prescrites : fr. 50,000. »

- Adopté.


La Chambre décide qu'elle passera immédiatement au vote définitif dû budget. .

L'amendement admis au premier vote est définitivement adopté.

Discussion des articles

Articles 1 à 3

La Chambre passe au vote du projet de loi.

« Art. 1er. Les impôts directs et indirects existant au 31 décembre 1869, en principal et centimes additionnels ordinaires et extraordinaires au profit de l'Etat, ainsi que la taxe des barrières non supprimées, seront recouvrés, pendant l'année 1870, d'après les lois et les tarifs qui en règlent l'assiette et la perception. »

- Adopté.


« Art. 2. D'après les dispositions qui précèdent, le budget des recettes de l'Etat, pour l'exercice 1870, est évalué à la somme de cent soixante-seize millions sept cent vingt-cinq mille francs (fr. 176,725,000). »

- Adopté.


« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1870. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du budget.

75 membres prennent part au vote.

69 votent pour le budget.

6 votent contre.

En conséquence le budget est adopté ; il sera transmis au Sénat.

Ont voté l'adoption :

MM. Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Notelteirs, Orts, Pirmez, Reynaert, Royer de Behr, Sabatier, Schollaert, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Van Cromphaut, Vander Donckt, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Merris, Van Wambeke, Vilain XIIII, Watteeu, Allard, Bara, Beeckman, Beke, Bieswal, Bouvier, Bruneau, Couvreur, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Brouckere, de. Clercq, de Kerchove de Denterghem, Delcour, de Macar, de Maere, de Muelenaere, de Rossius, Descamps, de Terbecq, de Theux, Dethuin, Dewandre, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Hagemans, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lambert, Lebeau et Dolez.

Ont voté le rejet :

MM. Coomans, Delaet, de Naeyer, Gerrits, Hayez et Jacobs.

Projet de loi sur la milice

Discussion des articles

M. Thibautµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, dans une des séances du mois de mai dernier, l'honorable ministre de la guerre, accueillant une proposition dont j'avais eu l'honneur d'entretenir la Chambre, promit de déposer un rapport sur la question de savoir quel est, pendant la durée du service militaire, le temps consacré à l'éducation du soldat. J'ai l'honneur de demander à M. le ministre si ce rapport est prêt.

MgRµ. - Le rapport est fait ; je le déposerai demain.

Chapitre VIII. Du remplacement et de la permutation

Article 53

MpDµ. - La Chambre en était arrivée, dans la dernière session, au chapitre VIII, article 53. Cet article porte :

« Tout individu désigné pour la milice peut se faire remplacer. »

A propos de cette disposition, il a été déposé trois propositions : la première, par M. Kervyn de Lettenhove ; la deuxième, par M. Thibaut ; la troisième, par M. Van Humbeeck. Les deux premières substituent le système de l'exonération au système du remplacement ; la troisième, au contraire, maintient le remplacement.

Je crois qu'il ne faut pas confondre cette dernière proposition avec les deux précédentes, qui sont d'une tout autre nature et si la Chambre m'y autorise, je mettrai d'abord en discussion les propositions de MM. Kervyn de Lettenhove et Thibaut. La discussion de celle de M. Van Humbeeck ne s'ouvrirait qu'après qu'il aura été voté sur les deux autres.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Messieurs, la Chambre ne doutera pas, je l'espère, que si je prends de nouveau la parole dans cette discussion, malgré moi et craignant de ne plus obtenir sa bienveillante attention, c'est uniquement pour obéir à un devoir impérieux ; c'est parce que je suis convaincu qu'il n'y a aucune question qui touche de plus près aux légitimes préoccupations des citoyens de toutes les classes.

Quand on considère le service militaire organisé, étendant sur tous les intérêts sociaux une protection tutélaire, on le contemple dans tout son éclat ; mais lorsqu'on l'étudié à sa base et à sa source, il est impossible de méconnaître que, de toutes les questions, aucune, autant que la question du service militaire, ne descend et ne pénètre profondément jusqu'aux entrailles des populations.

J'aime et j'estime nos laborieuses et honnêtes populations ; il n'est rien que je respecte davantage que la paix des familles. Comme vous tous, messieurs, je nourris les plus chaleureuses sympathies pour les grands intérêts de l'agriculture et de l'industrie, du travail sous toutes ses formes, du travail qui, pour être fécond, ne demande qu'à ne pas être troublé, et je sais aussi bien que personne combien de souffrances engendrent et multiplient les lois militaires.

Mais d'autre part aussi, j'estime et j'honore notre armée ; je sais que, aux temps de crise, dans certaines éventualités, l'honneur du pays peut être attaché aux plis de son drapeau et que tous les jours dans les situations normales elle assure l'ordre et la sécurité publique.

Ce sont là deux grands intérêts qu'il ne faut pas opposer l'un à l'autre, mais qu'il faut tâcher de rapprocher et de concilier. Cette solution, je lui cherchée depuis que j'ai l'honneur de siéger sur ces bancs ; j'y ai consacré de consciencieuses études, et surtout j'ai eu recours aux lumières et aux conseils des hommes les plus éclairés et les plus instruits.

Après de longs efforts et en modifiant plus d'une fois dans les détails et dans la forme ma pensée primitive, je suis resté attaché à deux grands principes, à deux principes fondamentaux très simples, tellement simples que j'ai eu un instant l'illusion de penser qu'ils ne pouvaient rencontrer de contradicteur.

D'abord, en ce qui touche l'armée, je me disais qu'elle méritait tous les sacrifices si elle était composée d'éléments répondant complètement à sa destination ; que si ses éléments n'étaient pas tels que nous avions le droit de le désirer, ces sacrifices seraient toujours trop considérables ; qu'il fallait, pour qu'une armée fût bonne, qu'elle ne se composât que d'éléments excellents, qu'à tous les degrés on trouvât la discipline, l'attachement au drapeau, l'honneur militaire qui est la religion du soldat, mais que, pour atteindre ce but, il fallait, sans hésiter, multiplier les sacrifices ; qu'il fallait faire en sorte que la carrière militaire existât pour le soldat comme pour l'officier, et que si l'on atteignait ce résultat, il fallait non seulement rémunérer généreusement les services militaires, mais encore lorsque ces services auraient été loyalement et honorablement accomplis, assurer à celui qui aurait donné ainsi sa jeunesse à son pays, une retraite ou un emploi civil dans la mesure de ses capacités.

J'ajoutais encore que si l'on ne parvenait pas à créer cette carrière militaire sur les bases les plus larges par le service spontanément accepté, il fallait subir le service obligatoire ; mais qu'alors il y avait un devoir à remplir, et que, de même que lorsqu'on exproprie une maison ou un champ pour cause d'utilité publique, il y avait un devoir pour le gouvernement de payer une indemnité d'expropriation à celui à qui l'on avait imposé le sacrifice des plus belles années de sa vie.

Messieurs, il y avait un corollaire à ces idées. C'était, à côté de l'intérêt de l'armée, l'intérêt des populations, et je me disais que, si l'on créait la carrière militaire, si l'on pouvait obtenir, par l'engagement volontaire, un service prolongé, une discipline plus complète, un esprit militaire plus développé, il en résulterait aussi que l'on pourrait arriver ainsi à l'atténuation du service pour ceux qui marchent malgré eux ; et, en atteignant ce but, en permettant à un plus grand nombre d'hommes de rester dans l'atelier ou dans le champ qu'ils cultivent, on augmenterait la richesse publique qui est, elle aussi, un élément de la puissance nationale.

Voilà donc, messieurs, le but à atteindre et le plan tracé : une armée forte et digne de tous les sacrifices qu'elle impose au pays, et, en même temps, l'amélioration du sort des populations troublées le moins possible dans l'exercice du travail.

Il y a longtemps, messieurs, que pour atteindre ce résultat, on a préconisé le système, de l'exonération, et l'honorable M. Thiers, avec sa supériorité de bon sens qui est de toutes les supériorités celle que j'estime le plus, a dit un jour que ce système consistait seulement en ceci que ceux qui voulaient marcher marcheraient, et que ceux qui ne le voulaient pas indemniseraient ceux qui étaient disposés à le faire, système bien ancien puisqu'on le retrouve dans les lois de l'empire romain et qui est encore le plus rationnel de tous.

Je ne rechercherai pas, messieurs, dans quelles législations ce système a été introduit dans les derniers temps, mais je me hâte de dire qu'à mon avis, il n'est bon et utile qu'à deux conditions.

La première, c'est qu'il soit proportionnel. Le grand défaut de la conscription, c'est qu'elle n'est pas proportionnelle. Elle pèse sur le. riche absolument comme sur le pauvre.

Or, tous les impôts, cela est vrai pour l'impôt personnel comme pour l'impôt en argent, cessent d'être équitables s'ils ne sont pas proportionnels, s'ils ne placent pas au même niveau, à côté des intérêts à protéger, les sacrifices à subir.

La seconde condition, c'est que le taux de l'exonération soit en quelque sorte accessible à tous, car si vous la placez à un chiffre si élevé qu'elle ne soit accessible qu'aux grandes fortunes, vous créez un monopole que tout le monde repousse, que les riches seraient les premiers à repousser.

Il faut à notre époque que quiconque travaille, puisse amasser un pécule qui lui permette d'affranchir ses enfants du service militaire ; il faut que la richesse et le travail soient placés sur la même ligne.

C'est en m'arrêtant à ce point de vue que, dans la dernière session, j'ai successivement déposé sur le bureau de la Chambre une question de principe et une série d'amendements.

La question de principe était ainsi conçue :

« Ya-l-il lieu de supprimer le remplacement actuel effectué par le milicien et d'établir le système d'exonération dont le produit servirait d'abord à encourager le service d'engagés volontaires et subsidiairement à recruter par les soins du gouvernement des engagés administratifs ? »

Quelques jours après, en présence des objections qui m'étaient faites qu'il n'y avait là qu'une théorie et que les théories n'ont de valeur que lorsqu'elles peuvent se transformer en faits réels, j'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau un amendement qui ne renfermait pas moins de 30 articles, non pas que je songe le moins du monde à livrer ces articles à la discussion, mais il fallait montrer que ce système pouvait fonctionner, et certes M. le ministre de la guerre reconnaîtra volontiers que, dans une matière si difficile, ce n'est pas aux détails qu'il faut s'attacher, mais aux principes.

Quelles étaient les principales dispositions de ces amendements, celles qui constituent la pensée de leur auteur ?

C'était que la rémunération doit reposer sur l'obligation de verser une somme égale à l'impôt personnel payé pendant les trois années précédentes, mais afin que ce principe fût juste, je me hâtais d'ajouter qu'on tiendrait compte de la position de la famille et que ces sommes seraient réduites dans la proportion du nombre des frères et des sœurs d'inscrits ; j'ajoutais encore que l'engagé volontaire devrait contracter un service prolongé qui ne serait pas moindre de huit ans, qu'il jouirait d'une haute solde, qu'il serait préférablement employé dans le service de la cavalerie et dans les armes spéciales, qu'il pourrait même, autant que possible, choisir l'arme dans laquelle il voudrait servir.

J'ajoutais encore que pendant le service on lui assurerait la moitié des grades vacants dans l'armée et qu'après le service il serait, dans la mesure de ses aptitudes, préféré pour un certain nombre d'emplois déterminés.

Il était entendu que la rémunération cesserait d'être payée en cas de condamnation.

D'autres dispositions se rapportaient aux rengagés et aux engagés administratifs. Le remplacement disparaissait. Une caisse d'exonération était constituée ; elle devait payer d'abord la rémunération du service obligatoire des miliciens calculée à raison de 10 francs par mois de service effectif ; le surplus du produit de l'exonération était réparti entre les volontaires, les rengagés et les engagés administratifs, de telle sorte que la prime payable lors de la libération fût au moins de 1,200 francs.

(page 44) Voilà, messieurs, quelles étaient les dispositions principales de cet amendement qui a été imprimé par ordre de la Chambre.

Permettez-moi, messieurs, de justifier le plus succinctement que je le pourrai, le terrain sur lequel je me suis placé.

Il y a un grand nombre d'années qu'on a reconnu que la réforme des lois de milice était indispensable. Cela a été répété souvent à la tribune ; cela a été dit même dans un discours de la couronne prononcé dans cette enceinte. On reconnaissait unanimement, je pense, qu'il fallait que cette réforme fût considérable, qu'elle fût sérieuse. Elle a été définie, dans l'intérêt de la population et dans l'intérêt de l'armée, par deux membres éminents de cette Chambre qui ont siégé tour à tour sur les bancs du ministère, par l'honorable M. Rogier et par l'honorable M. Pirmez.

Voici, messieurs, en quels termes, en 1851, l'honorable M. Rogier, se préoccupant surtout des intérêts de la population, définissait la réforme à introduire dans les lois de milice. :

« Le comité (c'était le comité chargé de préparer la loi), le comité, disait l'honorable M. Rogier, prendra pour guide cette pensée qu'il est désirable au plus haut degré que l'état militaire devienne, pour le simple soldat comme pour l'officier, une carrière honorable offrant des conditions d'avenir, des conditions de bien-être, et que le service que le milicien appelé sous les drapeaux peut regarder aujourd'hui avec raison comme une charge très onéreuse et entachée d'injustice, soit réparti de la manière la plus équitable, soit sur l'universalité des citoyens, soit sur l'ensemble de ceux qui, chaque année, sont appelés par leur âge au service éventuel de la milice. »

Voilà, messieurs, d'excellentes et nobles paroles dont je ne saurais assez féliciter M. Rogier.

A un autre point de vue, voici comment l'honorable M. Pirmez, qui occupe aujourd'hui le siège de l'honorable M. Rogier au ministère, définissait la réforme qu'exigeait l'intérêt de l'armée. Dans la séance du 4 décembre 1866, l'honorable M. Pirmez s'exprimait en ces termes :

« Quand pendant trop longtemps on refuse des réformes, l'on arrivera à détruire l'institution même qu'on voulait conserver. C'est être mauvais conservateur que de vouloir toujours conserver sans modifier ; il faut savoir apporter à temps les réformes nécessaires. C'est parce que je considère comme un intérêt de premier ordre d'avoir une armée forte que je demande qu'on ne la discrédite pas devant l'opinion publique en refusant de la faire aussi forte qu'elle doit l'être avec les sacrifices que nous faisons. »

J'arrive, messieurs, à me demander si la loi dont nous sommes saisis et que nous examinons en ce moment, offre ce caractère de larges réformes qu'on attendait et qui était indiqué par les honorables membres dont je viens de citer les paroles.

Je suis, messieurs, l'un des premiers à rendre toute justice au travail de la section centrale, auquel j'ai participé dans la faible mesure de mes forces, ainsi qu'à l'excellent rapport de l'honorable M. Muller. Mais, il faut bien le dire, les améliorations proposées par la section centrale touchent surtout à des questions de détail, à des questions de procédure administrative, si je puis ainsi parler. Quant aux bases des anciennes lois de milice, elles sont maintenues et je n'aperçois aucune amélioration notable.

Quel est donc, messieurs, le système du gouvernement et quelles sont les améliorations qu'il a introduites dans cette matière si importante ?

Au moment où le contingent est augmenté, on arrive à ce résultat qu'en déduisant les exemptions, aujourd'hui un homme sur trois doit marcher. Eh bien, messieurs, c'est là une position profondément regrettable, car elle est fort dure pour la population.

Mais au point de vue de l'armée, le projet de loi est-il meilleur ? Que fait-il pour arriver à créer les cadres qui sont, on l'a dit, la force des armées et dont l'éducation morale et professionnelle doit être la préoccupation constante de tous les généraux ?

Absolument rien.

Que fait-on pour encourager le service volontaire, sans lequel ces cadres ne peuvent exister ? Bien peu de chose.

Que fait-on, au moment où l'on développe les armes spéciales, pour faire cesser cette inégalité dans la durée du service si criante, si révoltante entre des hommes ayant pris part au même tirage au sort, qui, répartis dans les différentes armes, doivent au hasard l'aggravation du service ?

Encore moins.

Et sur cette question qui a été si souvent signalée et approfondie, qui a fait l'objet des plaintes les plus vives des officiers de l'armée, sur la question du remplacement, que fait-on ?

Là aussi, il faut bien le dire, nous restons dans cette situation déplorable, qui conserve dans l'armée un élément qui est frappé à la fois d'exclusion dans les promotions et qui, d'un autre côté, semble obtenir le monopole des châtiments, qui n'arrive jamais à l'épaulette et qui figure sur tous les registres de punitions, qui ne s'associe pas aux bons exemples de l'armée, mais qui trop souvent la rend responsable de ses propres hontes.

J'ai déjà eu l'honneur de mettre sous les yeux de la Chambre l'opinion de nos principaux généraux sur cette question. Je ne reviendrai pas sur ce point, parce que le mal n'est contesté par personne, mais je me trouve réduit à reproduire ce dilemme : ou bien vous maintiendrez le remplacement actuel, et ce sera une souillure pour le caractère d'honneur et de discipline de l'armée, ou bien vous arriverez, par une sévérité plus grande dans l'admission des remplaçants, à ce que le prix des remplacements s'élève si haut qu'il ne sera plus accessible qu'aux grandes fortunes. Et c'est là un résultat contre lequel je ne puis m'empêcher de protester.

J'entends dire quelquefois, messieurs, qu'il y a pour les pères, pour les mères de famille, une situation bien douloureuse et bien amère lorsque, n'ayant pu réunir les ressources nécessaires pour pourvoir au remplacement de leurs fils, ils les voient s'éloigner, tandis que, tout à côté, le fils du riche est exempt du service militaire. Mais ce qui est plus pénible encore pour le chef de la famille, c'est de savoir que son fils aura pour compagnon ce remplaçant que, la veille encore, il a vu traîner de cabarets en cabarets, de mauvais lieux en mauvais lieux, pour régler ainsi plus aisément le compte des deniers qui lui ont été promis.

Eh bien, cette situation déplorable, je ne vois pas que la loi de milice que nous discutons aujourd'hui, doive l'améliorer à quelque degré que ce soit.

Si je compare le système du gouvernement à celui que je soutiens dans cette enceinte, je constate une grande différence entre eux et je me plais à l'invoquer.

Je veux arriver à l'exonération réduite à 300 francs pour qu'elle soit à la portée, du travail comme de l'aisance.

Le gouvernement par son système arrivera à placer le remplacement à des prix tels qu'il ne sera plus qu'à la portée de la richesse.

Je ne me préoccupe pas des riches, je m'occupe surtout des travailleurs ; je tiens compte de la position de la famille, du nombre des enfants.

Je cherche, en même temps, à concilier ces deux grands intérêts : l'armée et la population ; j'améliore l'armée, je soulage la population.

MM. les ministres, en maintenant le remplacement, ne rendront pas à l'armée ce caractère d'honneur et de discipline que rien chez elle ne doit affaiblir et ils ne tiennent pas compte non plus du vœu de la population réclamant l'allégement des charges qui pèsent sur elle.

En présence d'une situation mauvaise, j'ai cherché le remède avec le sentiment d'un devoir à accomplir, et cette théorie si simple et si naturelle, que je reproduis aujourd'hui, je l'ai cependant entendu qualifier par M. le ministre de l'intérieur, de socialisme.

MiPµ. - C'est M. Vermeire qui a dit cela.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Et néanmoins en remontant à quelques années en arrière, je me trouve, d'accord avec le gouvernement, avec tous les ministères, avec toutes les commissions qui se sont succédé.

Dans la commission de 1858, qui s'est occupée de l'exonération, elle a été votée à l'unanimité.

Le général Greindl, étant ministre de la guerre, avait préparé un projet qui devait être soumis aux deux Chambres.

Dans la commission de 1867, où siégeaient l'honorable général Renard et l'honorable M. Pirmez, l'exonération a encore été votée à l'unanimité moins une voix.

C'est l'honorable général Renard qui a été alors l'éloquent et convaincu défenseur de l'exonération, et si l'honorable M. Pirmez n'assistait pas à la séance où elle a été votée à la presque unanimité, il a du moins, dans une autre séance, complètement adhéré au principe de l'exonération. Je ne me trouve donc pas en mauvaise compagnie lorsque j'invoque les antécédents de cette question et lorsque je démontre que dans les régions mêmes du gouvernement on a considéré l'exonération comme une chose juste, comme une chose pratique, comme une chose utile à introduire dans notre législation.

Et, lorsque à la fin de la session dernière, j'entendais M. le général Renard nous dire que si, en 1867, il avait soutenu cette opinion, c'était seulement parce qu'il n'avait pas encore pu en apprécier les résultats, je ne puis m'empêcher de remarquer que, de 1855 à 1867, douze années s'étaient déjà écoulées et que l'expérience devait paraître suffisante.

A la fin de la session dernière, M. le général Renard m'a fait l'honneur d'une réponse.

(page 45) Je vous demande, messieurs, la permission de passer très rapidement en revue les objections qui m'ont été faites, parce que, si je ne me trompe, ces objections ne se concilient pas entre elles et qu'elles offrent même en quelque sorte leur propre réfutation.

M. le général Renard me reprochait d'abord d'accorder trop d'avantages aux volontaires ; ensuite il m'annonçait que je ne les trouverais jamais.

Il me semble, messieurs, que le meilleur moyen de les trouver, c'était de leur accorder des avantages notables ; et quant à l'objection soulevée par M. le général Renard, qu'on ne les obtiendrait pas, c'est encore l'opinion de l'honorable général lui-même que j'invoque, lorsque, dans la commission de 1867, il déclarait qu'on trouverait toujours des volontaires si on les rémunérait convenablement.

M. le ministre de la guerre disait encore que j'imposais trop de charges au trésor public et en même temps que je rencontrerais plus d'exonérants que d'exonérés. Mais, messieurs, si le nombre des exonérants est si considérable, il est incontestable que des ressources considérables aussi seront apportées au trésor et que par conséquent la part de la charge de l'Etat deviendra moins considérable.

Et n'ai-je pas entendu M. le ministre de la guerre déclarer, à propos de l'exonération, qu'elle avait eu en France ce résultat d'avoir fait affluer à la caisse spéciale une somme qu'il évaluait à six ou sept cents millions ?

Il n'y a donc pas à se préoccuper dans une trop large mesure de cette question d'argent, et je déclare, immédiatement que cette question d'argent est, de toutes, celle qui m'émeut le moins profondément.

Si nous pouvions, en versant quelques millions au trésor, arriver à ce magnifique résultat, sinon de faire disparaître, mais d'alléger au moins le service obligatoire, je crois que la Chambre, voterait ces millions avec le plus grand empressement et qu'elle croirait faire aussi bien que lorsqu'elle vote des millions pour des travaux publics et souvent en faveur d'intérêts qui ne sont ni aussi graves, ni aussi importants.

J'ajoute que. ce ne serait pas une véritable dépense, car le jour où, par un système quelconque conçu dans tel ou tel ordre d'idées, vous arriveriez à laisser un plus grand nombre d'hommes au travail, les quelques millions que l'on verserait au trésor, seraient largement compensés par le développement de la richesse nationale.

Messieurs, un autre reproche m'a été adressé : je l'avais déjà rencontré, je pense, dans un discours de M. le ministre des finances. Je l'ai retrouvé dans la bouche de M. le général Renard. Lorsqu'il s'agit de déterminer la fortune, les bases sont difficiles, et celle que je choisissais a été amèrement critiquée. Je ne pouvais pas adopter pour base l'impôt foncier ; c'est une base incomplète. Dans un temps où il y a tant d'actions industrielles, la fortune n'est pas tout entière dans la propriété foncière. La propriété foncière a, d'ailleurs, des charges nombreuses.

Je ne pouvais pas non plus m'attacher à la patente. ; le système n'aurait pas été meilleur. Je me suis donc arrêté, à l'impôt personnel, et c'est là, paraît-il, une hérésie économique et politique qui m'a été amèrement reprochée.

Cependant, messieurs, je persiste à croire que c'est la seule base rationnelle.

Je ne remonterai pas aux législations anciennes, où toutes les lois somptuaires avaient pour but d'atteindre le luxe, où l'on considérait invariablement le luxe comme l'indice de la fortune. Mais j'invoquerai l'autorité des économistes modernes. Je vous demanderai notamment la permission de citer quelques lignes d'un membre de l'Institut de France, qui a occupé avec beaucoup de distinction le ministère des finances, de M. Passy, qui déclare que lorsqu'on recherche les moyens d'atteindre la fortune des particuliers, le plus sûr est de s'attacher au luxe qui en est le signe extérieur.

Voici comment s'exprime M. Passy :

« Toute la question se réduit à savoir s'il est possible d'assigner à l'impôt une base dont l'admission puisse mettre le trésor à l'abri des fraudes et les redevables à l'abri de recherches incommodes et pénibles. Cette base, il n'est nullement impossible de la trouver en la cherchant dans celle des dépenses des particuliers, ayant signe certain, qui se conforme le plus complètement à l'étal de leurs revenus. »

Immédiatement après, M. Passy écarte comme peu sérieux ces deux cas exceptionnels, l'hypothèse de l'avare et celle du prodigue.

Voilà donc le caractère de l'impôt personnel, comme expression de la fortune des particuliers, parfaitement justifiée.

M. le ministre de la guerre a bien voulu reconnaître que, dans la proposition que j'ai faite, j'ai cherché à ne pas imiter ce qui s'est passé dans les pays étrangers et à m'écarter des vices et des défauts qu'on avait reprochés à plusieurs législations et notamment à la législation française.

Cependant l'honorable général Renard, dans son discours, s'est surtout attaché à ce qui s'est passé dans les pays étrangers. Il m'est impossible aussi de ne pas en dire un mot.

Il est à nos portes un pays dont M. le général Renard n'a pas parlé, et c'est de celui-là que je désire m'occuper d'abord ; pays qui, dans la constitution politique de l'Europe, a en quelque sorte le même rôle et les mêmes destinées que le nôtre, qui a également son indépendance et sa nationalité à conserver et qui veut les maintenir avec un soin jaloux ; qui, autant que nous, plus que nous peut-être, se préoccupe vivement de l'activité du travail national et de l'augmentation de la richesse publique. Je veux parler des Pays-lias.

Eh bien, là, messieurs, toutes les idées que je défends, se pratiquent sous nos yeux et se pratiquent avec succès. Là, messieurs, on encourage le service volontaire ; on n'assure pas aux volontaires la moitié des positions dans l'armée, comme je le propose : on fait mieux, on les leur réserve toutes sans exception.

Dans l'armée néerlandaise, personne ne peut obtenir l'épaulette s'il ne s'est engagé comme volontaire. Ensuite, à la sortie de l'armée, un grand nombre d'emplois civils sont assurés aux anciens militaires, et, quelle que soit l'activité des relations commerciales de la Néerlande, elle est arrivée à ce résultat que, tandis que trente mille volontaires forment l'armée des Indes, le quart de l'armée de la mère-patrie est aussi composé de volontaires.

On a multiplié les exercices dans les camps ; on a, en même temps, diminué le temps de séjour inutile et oisif dans les garnisons ; on a même cherché à embellir la caserne, à l'enjoliver, si je puis me servir de cette expression, afin que le milicien y retrouvât l'image heureuse et riante du foyer domestique.

On a de plus réduit le temps du service militaire de telle sorte que, dans l'infanterie, le. service dans l'armée des Pays-Bas est de moins d'un an, et il suffit d'avoir acquis un certain degré d'instruction pour être rendu à sa famille.

C'est ce que j'appellerai, messieurs, une situation excellente, et lorsque je vois ce qui se passe en Hollande, je suis amené à dire que c'est une pensée politique bien sage, bien prudente, qui domine dans ce pays. Car si quelque jour la Hollande était absorbée par une nation conquérante, il y aurait-la un élément de résistance, des plus énergiques ; on se souviendrait toujours des charges bien moindres que l'on supportait quand on jouissait de. sa nationalité. Telle est aujourd'hui la principale cause de la résistance que font à la domination de la Prusse un grand nombre de petits Etats de l'Allemagne.

Je voudrais aussi qu'en Belgique on se gardât d'exagérer les charges militaires, afin que si jamais nous venions à être conquis, nos populations elles aussi aient à regretter un régime moins onéreux, dont le souvenir resterait lié à celui de notre indépendance nationale.

M. le ministre de la guerre a parlé aussi de deux grands pays, l'Angleterre et la France, et ici je tiens à faire une distinction ; il y a en Europe deux grands courants d'idées ; il y a des peuples qui semblent formés pour la conquête, il en est d'autres qui ne se préoccupent que de la légitime défense ; la France, avec ses souvenirs de gloire, semble toujours disposée à la conquête ; l'Angleterre, au contraire, proclame aujourd'hui très haut qu'elle ne veut tirer l'épée que pour la défense de ses droits.

Et nous, messieurs, où devons-nous chercher nos exemples ? Est-ce en France ou est-ce en Angleterre ? Je n'hésite pas à croire que c'est dans l'Angleterre, dont la liberté est ancienne comme la nôtre et où la vie communale semble avoir eu le même berceau.

Cependant M. le ministre de la guerre déclare que l'Angleterre elle-même reconnaît la nécessité, l'urgence d'établir le service obligatoire, qu'elle ne tardera pas à proclamer elle-même la conscription. C'est là, messieurs, une assertion que je ne puis admettre.

La constitution anglaise repose sur le respect de la liberté individuelle. Dans la libre Angleterre on est convaincu que si la liberté du citoyen est absolue, elle l'est surtout vis-à-vis de l'Etat, qui ne peut, à aucun titre, étendre la main sur cette liberté.

Le jour où l'Angleterre fera marcher un seul citoyen malgré lui, la liberté anglaise n'existera plus et la constitution sera entamée. Lorsqu'à la chambre des communes, la crainte a été exprimée qu'il pourrait y avoir des dangers pour l'Angleterre dans l'existence, sur l'autre rive de la Manche, d'une armée de 500,000 à 600,000 hommes désignés par le sort et se mouvant avec la docilité de l'obéissance passive, lorsque cette crainte s'est manifestée d'une manière timide, je le répète, dans le parlement anglais, quel a été le langage du gouvernement ? Il a été digne et patriotique.

(page 46) C'est dans une séance du mois de juin dernier que M. Cardwell, secrétaire d'Etat de la guerre, déclarait que le gouvernement se préoccupait sérieusement de toutes les réformes à introduire dans l'armée.

Là aussi les réformes étaient à peu près les mêmes que celles que j'indiquais tout à l'heure en parlant de la Hollande.

M. Cardwell annonçait qu'on avait reconnu qu'il fallait réduire le plus possible les garnisons, qu'il fallait, au contraire, multiplier les périodes d'exercices, créer une forte réserve et, que dès que l'on aurait la certitude qu'un homme était suffisamment instruit, il fallait le rendre à ses foyers.

M. Cardwell, insistant sur la formation de l'armée en Angleterre, déclarait qu'il n'y avait aucun sujet d'inquiétude ni de préoccupation. Et, à ce sujet, qu'il me soit permis de faire remarquer, en passant, qu'il doit y avoir une erreur de chiffres dans un discours de M. le ministre de la guerre prononcé dans une des dernières séances de la précédente session.

M. le ministre de la guerre nous a dit que l'armée régulière anglaise, composée exclusivement de volontaires, ne comprenait que 92,000 hommes.

Il y a là une erreur considérable. J'ai sous les yeux le tableau officiel qui donne un chiffre double, 184,500 hommes.

Je reviens au discours de M. Cardwell, secrétaire d'Etat de la guerre ; il s'exprimait en ces termes :

« J'espère que ce débat ne fera pas croire au monde que parce que nous n'entretenons point une armée aussi considérable que nous regrettons de le voir dans d'autres Etats et parce que nous n'épuisons pas la force de notre population dans un labeur stérile au lieu de la laisser à la production industrielle, il y ait quelques difficultés à assurer, contre toute attaque, la sécurité de notre pays. Quand je considère notre situation géographique, notre flotte, nos ressources militaires ; quand je vois combien le peuple de ce pays est toujours empressé à fournir, par l'enrôlement volontaire, ce qui forme toutes les branches du service militaire, je ne comprends pas qu'il puisse y avoir le moindre doute que nous ne maintenions dignement notre position. Mon noble ami lord (Eleho) a proposé la conscription. Je suppose qu'il a seulement voulu l'établir afin que tout homme, pour échapper au tirage au sort, s'empresse de se faire volontaire.

« Mais la première question est celle-ci : Pourquoi, recourir à un système qui est inacceptable dans l'esprit de tout Anglais ? (Which to the english minds is not an acceptable proposal.) Jamais la formation de la milice n'a été plus facile, et ce serait faire une injure aux volontaires que de croire qu'ils désirent un changement de système. Leur nombre s'accroît considérablement et constamment (There is a large and continuai increase in the volunteers). Et c'est alors que vous formez votre armée et votre milice par l'engagement volontaire, c'est alors que le nombre des volontaires s'accroît rapidement, que vous oublieriez que la grande gloire de l'Angleterre a toujours été de n'avoir jamais été réduite à recourir à un autre moyen ! Notre système est un excellent système ; il répond à ce que les médecins pourraient appeler le système des dispositions naturelles. Ceux qui ont l'esprit militaire entrent dans l'armée, et ceci s'applique à toutes les classes de la société. »

Si, en Angleterre, le ministre de la guerre fait cette déclaration, c'est qu'il se considère, à raison de l'honneur qu'il a de siéger dans les conseils de la couronne, comme le gardien de la constitution et de la liberté britannique.

Reste, messieurs, la France.

Il ne s'agit plus simplement ici d'une question d'organisation militaire. Il y a une grande question politique.

Pour apprécier la loi de 1855 et la loi de 1868, il faut examiner rapidement les circonstances au milieu desquelles l'une et l'autre sont nées.

Lorsque la loi d'exonération française a été votée au mois de février 1855, moins de deux mois s'étaient écoulés depuis qu'une paix glorieuse avait été dictée par la France, sur les ruines fumantes de Sébastopol. La France avait vaincu la Russie, avec l'Angleterre et l'Italie à ses côtés, en présence de l'Autriche sympathique et de la Prusse impuissante et muette.

La France en ce moment se croyait appelée à présider désormais invariablement au règlement des destinées de l'Europe, elle jugeait que la guerre ne serait plus nécessaire, et ce fut deux mois après la prise de Sébastopol qu'un ministre français apportait à la tribune un nouveau projet de loi. Comment le définissait-on ? On disait : « Nous vous apportons un projet qui permettra de diminuer considérablement les charges militaires ; il y aura moins d'hommes qui devront servir, et ce sera un véritable bienfait pour les classes laborieuses. » Et en effet, lorsqu'on se rend compte des résultats de la loi de 1855, il est impossible de ne pas reconnaître qu'il en fut ainsi.

Voici quelques chiffres qui sont empruntés à l'année 1864 :

En 1864, il y avait dans l'armée française : 58,000 officiers et vétérans ; 20,000 engagés volontaires ; 125,000 engagés et rengagés ; 38,000 remplaçants administratifs, de telle sorte qu'à une époque où l'armée se composait de 400,000 hommes, il y avait 210,000 hommes qui marchaient par engagement volontaire, et seulement 160,000 par le service obligatoire ; en d'autres termes, sur 100 soldats, il y avait 60 volontaires et seulement 40 hommes contraints à marcher. Sur 100 inscrits, 8 hommes seulement marchaient malgré eux et cela à une époque où, en Belgique, il y en avait quinze.

La situation était donc meilleure, alors en France qu'en Belgique, et la cause en était dans la loi d'exonération.

Cette loi a-t-elle disparu, comme le disait M. le ministre de la guerre, parce que le taux de l'exonération était trop élevé, parce que la charge en était trop accablante ? Je ne nie pas, messieurs, que l'exonération française fût mauvaise précisément parce qu'elle n'était pas accessible à l'aisance. Mais il faut cependant reconnaître que dans certains départements de la France le chiffre des exonérés atteignait 50 p. c. et que chaque année il tendait à s'élever.

Dans la discussion qui eut lieu en 1867, un membre du parlement français, M. Vast-Vimeux croyait devoir rendre justice aux bienfaits incontestables de la loi d'exonération, et voici comment il s'exprimait :

« Ce que je demande, c'est de maintenir autant que possible aux pères de famille les moyens de libérer leurs enfants du service militaire. Il y a, suivant moi, un grand avantage pour les pères de famille qui veulent faire exonérer ou remplacer leurs enfants. Je sais qu'on s'est plaint beaucoup de la loi d'exonération militaire, mais je ne crois pas que ce soient les pères de famille qui s'en sont plaints. Or, je crois que dans une question qui intéresse la famille il faut se préoccuper des intérêts de l'armée sans doute, mais aussi des intérêts du père de famille. »

Quels étaient donc les motifs qui avaient engagé le gouvernement français à abandonner la loi d'exonération ? C'étaient encore les circonstances politiques. La bataille de Sadowa venait d'être livrée ; la France ne pouvait plus compter sur l'Autriche affaiblie ; la Prusse dominait de nouveau toute l'Allemagne, et la France pouvait prévoir de redoutables éventualités. Il fallait qu'elle se réorganisât ; il fallait qu'elle eût une armée organisée pour l'invasion, une armée jeune, active, possédant cette faculté de déplacement rapide, instantané, qui est aujourd'hui l'un des secrets du grand art de la guerre.

Mais, messieurs, les résultats ont-ils été tels que l'espérait le gouvernement français ? N'a-t-on pas vu, cette fois encore, que les situations exceptionnelles, que les situations exagérées sont toujours celles qui n'ont pas de durée ? Le gouvernement français n'a-t-il pas trouvé sa faiblesse dans l'exagération même qu'il voulait imprimer au développement de sa force ?

J'ai entendu des hommes très impartiaux et bien informés affirmer que si, dans les dernières élections françaises, le gouvernement impérial n'avait pas retrouvé dans les campagnes cette majorité sur laquelle il avait pu compter jusqu'alors, c'était l’exagération des lois militaires qui avait détruit chez les populations rurales son influence et sa popularité.

Et aujourd'hui que se passe-t-il ? Quel est le mouvement qui agite la France ? Quelles sont les réclamations qui y surgissent ? Que demande-t-on ? Hier encore, vous avez pu lire le manifeste de la gauche, rédigé par M. Jules Favre ; qu'y réclame-t-on avec une vive insistance ? C'est l'abrogation de la loi militaire qui épuise le pays en le privant de ses plus fécondes ressources. Ainsi c'est cette même loi qui, en France, est signalée comme épuisant les ressources des populations, c'est cette loi qui exclut l'exonération, qui admet le remplacement, que l'on veut maintenir en Belgique. Mais les réclamations qui s'élèvent en France, ne sont-elles qu'un grief de l'opposition ? Le gouvernement français ne comprend-il pas lui-même que cette exagération de dépenses et d'armements est incompatible avec l'activité du travail aussi bien qu'avec les ressources financières du pays ? Les journaux ne rapportaient-ils pas, il y a peu de jours, qu'un général français, confident de l'empereur qu'au mois de mai dernier on faisait voyager en Italie pour aviser aux éventualités d'une guerre européenne, s'est rendu à Saint-Pétersbourg et cette fois dans le but de demander au colosse du Nord... quoi, messieurs ? De servir d'intermédiaire dans l'œuvre de la pacification et du désarmement universel. Voilà le mouvement qui agite en ce moment l'Europe.

(page 47) Il y a là, messieurs, un enseignement non seulement pour les grands peuples qui convoitent les gloires de la conquête, mais aussi pour ceux qui, comme nous, placés entre de grandes puissances, ont pour rôle naturel de conserver précieusement leur neutralité et de se consacrer exclusivement aux progrès de leur activité intérieure.

Oui, messieurs, je veux une armée forte pour les jours bien rares, je l'espère, du danger ; mais je veux aussi et avant tout que pendant la paix nos populations ne fléchissent pas sous des charges trop pesantes. Si je comprends les sacrifices que l'on a à s'imposer pour que l'armée soit capable de remplir sa mission dans des circonstances exceptionnelles, il ne faut pas qu'ils puissent nuire au développement régulier du mouvement industriel et agricole, qui est la base de la richesse publique et l'un des éléments fondamentaux de notre nationalité.

Je serais heureux que la Chambre entrât dans cet ordre d'idées que je considère comme liées aux espérances et à l'avenir du pays. C'est sur ce terrain que je me suis placé en présentant mon amendement. Je prie la Chambre de ne point s'attacher à telle ou telle question de détail, mais de s'occuper surtout de ce grand principe de l'exonération, qui aurait le double avantage de. nous donner une armée forte en affaiblissant le moins possible nos populations. J'espère que la Chambre ne le repoussera pas. S'il devait en être autrement, j'éprouverais un vif regret, après avoir pris part, pendant plusieurs années, aux travaux des sections centrales, de devoir refuser mon vote approbatif à la loi tout entière.

M. Moncheurµ. - Messieurs, je suis partisan du principe de l'exonération et de la rémunération, et je ferais volontiers miennes la plupart des observations que vient de vous présenter mon honorable ami, M. Kervyn de Lettenhove, avec son talent ordinaire.

Il y a longtemps, messieurs, que je partage ces idées.

Il y a longtemps aussi, bien longtemps même, que je les ai exprimées dans cette Chambre.

Je ne suis donc pas un nouveau converti à ces idées ; loin de là, et pour vous le prouver, messieurs, et surtout pour motiver mon vote, ce que je tiens à faire, je crois tout à fait opportun et je vous demanderai la permission de vous lire un passage du discours que je prononçai dans cette enceinte, il y a plus de vingt et un ans, c'est-à-dire dans la séance du 6 juillet 1848.

Ce sont même, messieurs, les premières paroles qui sortirent de ma bouche sur ces bancs, et elles sont encore aujourd'hui pleines d'actualité.

Ceux d'entre vous, messieurs, qui étaient dans la vie publique à cette époque y reconnaîtront certaines allusions, certain cachet rappelant les affaires du temps.

Ces paroles, je les ai prononcées dans la discussion de l'adresse en réponse au discours du Trône qui a inauguré la session extraordinaire qui a suivi la grande dissolution des Chambres en 1848.

C'était à propos du paragraphe 10 de cette adresse, lequel était relatif à l'amélioration du sort des classes laborieuses et aux nombreuses réformes qu'on méditait alors.

Vous entendrez avec plaisir, j'en suis certain, messieurs, ce paragraphe. Il était ainsi conçu :

C'était là un beau langage et il serait bon de s'en souvenir toujours.

C'est donc à propos de l'amélioration du sort des classes nécessiteuses et laborieuses que je me préoccupais de la loi sur le recrutement militaire et de la réforme de nos lois de milice ; toutes les réformes étaient alors à l'ordre du jour : on sortait d'une grande crise alimentaire et le mot économie était dans toutes les bouches.

Voici ce que je disais à propos de la réforme des lois de milice :

« Les journaux nous ont annoncée qu'une commission avait été nommée près du ministère de la guerre, à l'effet de procéder à la recherche des moyens d'améliorer les lois relatives à la milice et à l'organisation de la force armée de la nation.

« On dit même que cette commission est déjà parvenue à une conclusion : c'est que le remplacement devrait être supprimé.

« Quant à moi, je pense que la suppression absolue et directe du remplacement militaire n'est pas nécessaire, mais qu'elle peut s'obtenir indirectement.

« Messieurs, les Belges aiment le drapeau militaire, mais c'est surtout lorsqu'il s'agit sérieusement de le porter contre l'ennemi. Il y a quelque dix ans, le pays a été témoin des élans d'enthousiasme avec lesquels tous nos jeunes soldats s'étaient rendus à leur corps, lorsqu'ils s'étaient imaginé qu'outre la persévérance il s'agissait de montrer du courage.

« Mais, messieurs, en temps de paix, nos jeunes gens n'aiment pas à quitter le foyer domestique et à abandonner les travaux sérieux auxquels ils se livrent pour passer, dans la vie stérile des casernes, une bonne partie des plus belles années de leur jeunesse, celles pendant lesquelles l'homme est le plus apte à apprendre un métier ou une profession.

« Je sais, messieurs, que pour avoir une armée toute prête pour le temps de guerre, il faut l'organiser pendant la paix, l'instruire et la bien préparer.

« Il est donc nécessaire d'avoir une loi sur le recrutement de l'armée, mais je pense qu'au moyen d'un bon système, système que je conçois sans l'avoir bien mûri encore, non seulement il ne serait pas nécessaire de supprimer directement le remplacement, mais qu'on pourrait même arriver à la suppression de fait, sinon de droit, de la conscription.

« Je voudrais donc qu'un fonds spécial considérable fût formé pour être consacré à des primes d'engagements à long terme, et, en outre, à offrir des ressources aux militaires qui seraient devenus incapables, par l'âge où par des infirmités, de continuer leur service.

« Ainsi, messieurs, le service militaire deviendrait une carrière, non seulement pour les officiers, mais même pour les soldats. Ils sauraient que leur sort serait assuré lorsqu'ils ne seraient plus en état de suivre la profession de leur choix. Ce fonds spécial devrait être considérable, mais dans ma pensée, il ne serait pas à la charge du trésor seulement. Il serait alimenté par une assez forte imposition mise à la charge des jeunes gens qui ne voudraient pas servir personnellement.

« Messieurs, l'obligation de contribuer à la défense du pays pèse sur tous les Belges indistinctement, mais je ne vois nul inconvénient, et je vois, au contraire, des avantages à permettre à ceux qui n'ont aucune vocation pour le service militaire et que la fortune a favorisés des moyens de se racheter, à leur permettre, dis-je, d'user de ces moyens au profit de ceux qui ne jouissent pas du même avantage.

J »'ai dit que l'imposition dont il s'agit devrait être assez forte, mais elle serait proportionnée aux moyens de. chacun. Elle aurait pour base, par exemple, l'ensemble des contributions payées, ou si cette base ne paraissait pas suffisante, toute autre, que l'on pourrait découvrir et que l'on reconnaîtrait comme meilleure.

« Je livre cette idée au cabinet ; s'il est vrai que l'on s'occupe de la réforme des lois qui intéressent particulièrement les classes laborieuses, je crois que. celle-ci en est une qui doit être placée au premier rang. La conscription est certainement l'impôt le plus illibéral, le plus barbare que les commotions récentes nous aient légué.

« Au moyen du système dont j'ai l'honneur de déposer le germe dans l'assemblée, on arriverait à supprimer, en grande partie, la conscription, car on trouverait alors, au moyen des primes accordées, au moyen des pensions établies, on trouverait un nombre d'engagements ou de rengagements tel, que le contingent pourrait être rempli, sinon en totalité, du moins en grande partie. »

Voilà, messieurs, ce que je pensais il y a vingt et un ans et ce que je pense encore.

Ce que je n'ai jamais fait, ce que personne n'a fait jusqu'à présent, l'honorable M. Kervyn de Lettenhove l'a accompli ; il a donné un corps à l'idée de la rémunération par l'exonération militaire, et il a été heureux, ce me semble, dans la combinaison des dispositions qui organisent cette idée.,

Si quelques détails peuvent encore laisser à désirer, il serait très facile d'y suppléer, pour peu qu'on eût la bonne volonté de le faire.

Quant à moi, je suis convaincu que l'introduction de ce système serait un immense service rendu au pays.

M. Thibautµ. - En prenant part à la discussion générale du projet de loi sur la milice, j'ai déclaré être l'adversaire convaincu du tirage au sort et j'ai eu l'honneur d'exposer un système de recrutement reposant sur des bases nouvelles et répartissant les charges militaires d'après le principe constitutionnel de l'égalité de tous les citoyens. Je demandais une réduction du temps de service pour tous les miliciens et je proposais d'appeler sous les armes tous les hommes en état de porter les armes. Tels étaient les deux points essentiels de mon système.

J'admettais en outre des exemptions et la faculté de se faire remplacer.

La Chambre, messieurs, a maintenu le tirage au sort.

Il s'agit maintenant de savoir comment on organisera ce mode de recrutement. Il fonctionne aujourd'hui avec une rigueur que je puis appeler barbare, inhumaine et souverainement injuste. Ses apologistes avouent (page 48) qu'il s'est imposé comme une triste nécessité sociale, à défaut d'autre moyen pratique, moins arbitraire et moins partial, de pourvoir aux éléments de la défense nationale.

Existe-t-il un moyen d'enlever au tirage au sort son caractère le plus odieux : la violence, et de racheter l'injustice dont il n'a cessé jusqu'à ce jour d'être instrument ? Ce moyen existe-t-il ? Jusqu'à présent, la Chambre n'est saisie que de deux propositions qui tendent à modifier le vieux système dont le projet de loi n'est qu'une nouvelle édition peu corrigée. Ces deux propositions émanent des bancs de la droite. L'une appartient à l'honorable M. Kervyn de Lettenhove, qui vient de la développer de nouveau devant vous avec une remarquable éloquence. J'ai eu l'honneur de déposer la seconde proposition dans la séance du 9 juin et je l'ai développée dans celle du 13 du même mois. Je vous demande la permission de dire seulement quelques mots pour rappeler à vos souvenirs les points principaux de cette proposition.

D'accord avec l'honorable M. Kervyn sur le principe de l'exonération avant le tirage, l'exonération proportionnée à la fortune de l'exonéré ; d'accord avec l'honorable M. Kervyn sur le principe de la rémunération qu'il est bon et utile d'offrir aux volontaires et qu'il serait injuste de refuser aux miliciens, je propose, en outre, d'établir une taxe fixe sur les inscrits exemptés par le sort.

Un mot, messieurs, résume tout le système du gouvernement, et il est écrit dans le rapport de la commission qui fut chargée, en 1861, d'élaborer un projet de loi sur la milice. « Le tirage au sort, tel que le projet de loi l'organise, disait cette commission, n'est an fond pour les inscrits que la mise en loterie de leur personne. »

Un mot, messieurs, résume mon amendement en ce qu'il a de commun avec celui de l'honorable M. Kervyn, et qui est complété par la proposition d'une taxe sur les inscrits exemptés par le sort. Ce mot, le voici : A la loterie je substitue un partage.

Le tirage au sort, tel qu'il existe, tel que le projet de loi le maintient, est une véritable loterie ; il attribue tout le gain à l'un et toute la perte à l'autre. Et, messieurs, cela n'est même pas tout à fait exact. L'injustice est plus révoltante que mes paroles ne l'indiquent ; le tirage au sort a pour conséquence de faire acquitter par un seul la part d'impôt dont trois autres sont exonérés. C'est encore au rapport de la commission de 1861 que j'emprunte cette appréciation, qui montre toute l'iniquité du système adopté par le gouvernement.

Ce que je propose, c'est d'organiser le tirage au sort de telle manière que tout numéro représente à la fois de bonnes et de mauvaises chances.

Le service militaire, dû en principe par tous, est en fait supporté par quelques-uns. On le considère dans la durée qui lui est assignée comme une chose indivisible, comme une charge impartageable, la même pour tous ceux qui y sont soumis.

Eh bien, comme contre-poids de ce service, je propose d'établir sur tous ceux qui sont exempts, soit en vertu de la loi, soit par le sort, une charge modérée que j'appelle « impôt de taxe ». C'est, comme je viens d'avoir l'honneur de le dire, en quoi mon amendement diffère principalement de celui de l'honorable M. Kervyn, et c'est, selon moi, le complément obligé de notre système commun.

En admettant ce point, on étend à tous les inscrits les chances de perte, puisque tout numéro obligera soit au service personnel, soit à l'impôt de taxe, mais en assurant une rémunération suffisante à ceux qui sont obligés de servir, on étend, d'un autre côté, à tous les inscrits les chances de gain. En effet, ceux qui ne recevront pas de rémunération conserveront leur liberté.

Je crée donc une grande masse partageable, qui peut se diviser en autant de lots qu'il y a d'inscrits, et ces lots, bons et mauvais, le sort les répartit. J'applique à la milice le principe qui est admis généralement en matière de partage de biens et de dettes qui sont en communauté.

Je ne crois pas, messieurs, devoir insister davantage pour expliquer l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer.

MiPµ. - Je ne veux pas rentrer dans la discussion générale du projet de loi sur la milice, je me bornerai à discuter les différents systèmes d'exonération qui nous ont été présentés.

Messieurs, il faut d'abord que l'on s'entende bien sur le sens du mot « exonération ».

Il est certains systèmes d'exonération que je considère comme parfaitement admissibles, mais dont l'application ne peut produire de grandes conséquences ; il en est d'autres, au contraire, qui, d'après leurs auteurs, seraient un remède destiné à alléger considérablement les charges militaires, mais, qui selon moi, doivent être repoussés.

L'exonération, c'est le payement d'une somme d'argent fait avant le tirage au sort, dans le but de soustraire un milicien au service militaire.

L'exonération existe aujourd'hui ; elle existe à l'état d'acte libre. En effet, beaucoup de sociétés assurent les jeunes gens avant le tirage moyennant une somme déterminée ; dans certaines localités, les parents des miliciens, toujours avant le tirage au sort, s'associent pour remplacer à frais communs ceux de ces miliciens qui seront appelés au service. Ce sont là de véritables exonérations faites en toute liberté.

Ces systèmes pourront évidemment continuer à être appliqués après la publication de la nouvelle loi.

Rien n'empêche encore que le département de la guerre qui, d'après l'un des articles du projet, est autorisé à pourvoir au remplacement, n'organise aussi, de son côté, une tontine du genre de celles dont je viens de parler.

Tout cela, messieurs, est parfaitement praticable et donnera aux jeunes gens, comme ils les ont déjà aujourd'hui, les moyens de s'exonérer du service militaire en payant, avant le tirage, une somme inférieure à celle qu'ils devraient payer après le tirage pour se procurer un remplaçant.

Il n'y a rien là qui modifie profondément le régime de la loi.

Mais ce qui mérite un examen sérieux, ce sont les systèmes d'exonération forcée que l'on a proposés.

Si encore la loi se bornait à dire que le remplacement d'un milicien ne sera admis que moyennant le versement fait par lui d'une certaine somme avant le tirage, il n'y aurait pas là grand changement à ce qui se pratique aujourd'hui. Ce serait simplement faire faire par l'intermédiaire du gouvernement ce que l'on fait aujourd'hui par l'intermédiaire des sociétés de remplacement. Mais tel n'est point l'unique but des systèmes d'exonération qui nous sont soumis et auxquels on attache une grande importance, systèmes qui ont été développés par les honorables MM. Kervyn et Thibaut, et auxquels s'est rallié, en principe, l'honorable M. Moncheur, qui s'est abstenu de formuler une organisation spéciale.

D'après ces honorables membres, il serait possible d'organiser l'exonération de façon à permettre à peu près à tout le monde d'en profiter. Leur système consiste à faire payer aux riches comme aux pauvres une faxe qui différerait selon la fortune de chacun.

Ce que le riche payerait en trop permettrait d'exonérer le pauvre, dont la taxe serait ainsi extrêmement minime. Pour l'honorable M. Thibaut, ce. serait une somme payable avant le tirage, qui n'excéderait pas 300 francs. D'après l'honorable M. Kervyn, ce serait aussi une somme de 300 francs, mais payable après le tirage.

Vous voyez déjà, messieurs, par ce premier énoncé partiel des deux systèmes, quelle différence les sépare : c'est une différence du simple au double.

J'en aurai d'autres à indiquer. Avant d'entamer l'examen de ces propositions, précisons bien les conditions que tout bon système doit réunir.

Ces conditions sont au nombre de deux. Il faut d'abord avoir la somme nécessaire pour se procurer les hommes qui occuperont la place des exonérés ; il faut ensuite avoir ces hommes.

Voilà les deux exigences auxquelles un système admissible doit satisfaire.

Les systèmes des honorables MM. Kervyn et Thibaut répondent-ils à ces deux exigences fondamentales de la situation ?

Je les examine d'abord au point de vue de la première condition requise, la condition de réunir des fonds suffisants.

Quelle est la somme qui serait nécessaire pour procurer l'exonération à tous les miliciens ?

Il nous faut annuellement 12,000 hommes. Je suppose que les exonérants se payent au taux moyen de 1,200 francs au moins. En cela, je ne suis pas exagéré, car on ne doit pas se dissimuler qu'une augmentation sensible dans la demande des hommes pour le remplacement, ferait, comme cela arrive en toutes choses, augmenter le prix de l'exonération.

Soit donc une somme ronde de quinze millions par an.

Voilà la somme nécessaire pour réaliser le système.

Comment MM. Thibaut et Kervyn pourvoient-ils à la réalisation de cette somme ?

Je vous ai déjà signalé, messieurs, une différence entre les deux systèmes que j'examine, mais cette différence est insignifiante relativement aux autres que vous allez constater.

L'honorable M. Thibaut est d'une rigueur inexorable.

L'honorable M. Kervyn, au contraire, est d'une modération complète.

La Chambre va en juger.

Je prends d'abord le système de l'honorable M. Thibaut.

D'après ce système, il y aurait dix classes de miliciens, entre lesquelles le prix de l'exonération varierait.

Ce prix serait de 5,000 francs pour la classe supérieure et de 300 francs pour la classe inférieure.

(page 49) Ce sont évidemment là des chiffres très élevés, et d'autant plus élevés, notez-le bien, que le payement doit avoir lieu avant le tirage. Pareille somme versée après le tirage n'équivaudrait qu'à la moitié de celle qui est proposée.

M. Thibaut calcule qu'il obtiendrait par ce moyen une somme annuelle de 20 millions de francs si tous les inscrits s'exonéraient.

Toutefois il réduit, à cause des exemptés, à 15 millions.. Mais sur ce dernier point l'honorable membre commet une erreur grave et la voici : il a compté qu'il n'y avait en Belgique que 2/10 à 3/10 d'exemptés sur l'ensemble des classes de milice, ce qui est à peu près exact si l'on compare le nombre de ceux dont l'exemption est admise avec le nombre total des miliciens inscrits ; mais tout le monde sait qu'on n'examine pas les miliciens dont les numéros sont supérieurs aux derniers numéros appelés.

Or la proportion du nombre des exemptions probables parmi ces miliciens est nécessairement la même que celle du nombre des exemptions réelles parmi les miliciens qui appartiennent à la première partie du contingent.

Il y a là une erreur du simple au double, car la proportion véritable des exemptés est plus proche de 60 p. c. que de 30 p. c.

Cette observation fait déjà disparaître une notable partie de la somme sur laquelle comptait M. Thibaut... (Interruption.) Je puis vous indiquer le nombre des exemptés et vous verrez qu'on examine jusqu'à 25,000 miliciens pour en trouver 10,000 en état de servir.

C'est donc 6O p. c. et non 30 p. c. qu'il faut déduire des 20 millions que vous espériez réunir.

Ainsi, 12 millions disparaissent et il ne vous reste plus que 8 millions, de sorte que, malgré le taux élevé de vos exonérations, taux qui peut monter jusqu'à 5,000 francs avant le tirage, vous ne parvenez à réaliser qu'un peu plus de la moitié de la sommé nécessaire pour établir le système. (Interruption.) C'est ainsi.

Quoi qu'il en soit, 15 millions sont nécessaires ; cette somme de 15 millions il faut la trouver. Or, savez-vous, messieurs, pour parvenir à la réaliser quelle est la part qu'on devra prélever sur les individus qui sont dans la gêne ou la misère ? Il a été publié, dans l'exposé des motifs du projet de loi sur la milice, un tableau qui a servi de base aux calculs de M. Thibaut, à l'établissement de ses 10 classes ; d'après ce tableau, les classes inférieures, c'est-à-dire celles qui payent le moins, se composent de personnes considérés comme étant dans la gêne ou l'indigence.

Elles, forment 80 p. c. de la classe de milice. Eh bien, M. Thibaut, dans le calcul qu'il fait pour obtenir ses vingt millions, prend à ces individus dix millions.

Je vous demande, messieurs, s'il est possible d'établir un système qui repose sur une semblable base, s'il est admissible que l'on puisse prendre dix millions à des individus qui sont dans la gêne ou la misère.

M. Thibautµ. - Vous leur prenez bien plus aujourd'hui.

MiPµ. - Aujourd'hui au moins l'armée se recrute, mais je me demande comment vous pouvez espérer obtenir 10 millions d'individus que vous reconnaissez être dans la gêne ou l'indigence ! (Interruption.) Je m'empresse de dire qu'il y a une réduction à faire, il ne faudra que 15 millions, mais les individus dont il s'agit fournissant d'après votre système la moitié de la somme, il faudra toujours leur prendre 7,500,000 francs.

Voilà donc un système qui me paraît déjà jugé rien que par ce simple fait qu'il exige un prélèvement de 7 millions et demi sur des individus qui n'ont que peu de chose ou qui n'ont même rien.

Maintenant, voulez-vous exempter ces individus de tout payement ? Mais alors il vous faudra demander près de 4,000 francs à chacun de ceux qui appartiennent aux autres classes.

En effet, on devrait obtenir les 15 millions des 10 mille autres inscrits, parmi lesquels 4,000 seulement devront se faire exonérer à défaut d'exemption ; il faudrait donc 3,730 francs de chacun.

Or, parmi les 10,000 individus de ces catégories, on estime qu'il y en a au maximum 7,000 qui sont capables de se faire remplacer à l'heure qu'il est malgré le taux relativement modéré du remplacement ; c'est ce qui résulte encore du tableau cité par l'honorable M. Thibaut.

De ces 7,000 individus, 1,000 et quelques-uns peuvent certainement se faire remplacer ; pour les 6,000 autres, il n'est pas clair qu'ils soient en état de le faire.

Or, comment veut-on exiger d'eux non pas seulement 1,000 ou 1,200 francs après le tirage comme aujourd'hui, mais 4,000 avant le tirage, ce qui équivaut à 8,000 après ? C'est chose matériellement impossible.

Ainsi dans le système de l'honorable M. Thibaut il faut choisir : ou bien prendre aux individus des charges supérieures, 4,000 francs avant le tirage, ce qui est énorme ; ou demander aux 80 p. c. de miliciens qui sont dans la gêne ou l'indigence, une somme de 7 1/2 millions.

Messieurs, je crois que ce que je viens de dire montre déjà de quelles illusions l'honorable M. Thibaut s'est bercé ; je vais lui démontrer, d'une autre part, qu'il se fait de l'état de fortune du pays de bien autres illusions encore.

Comme je viens de le dire, l'honorable M. Thibaut répartit tous les miliciens en dix classes, d'après leur degré de fortune.

La dixième classe représente ceux qui sont dans la gêne ou l'indigence. Et savez-vous quelle fortune il assigne à une partie des individus de cette classe ? Il leur suppose 15,000 francs par milicien.

Ainsi, l'honorable M. Thibaut se fait à l'état de fortune du pays cette idée, que des gens qui possèdent un capital de 15,000 par enfant sont considérés par lui comme étant dans la gêne.

Mais, messieurs, un particulier habitant à la campagne, y possédant une maison avec un verger et une exploitation de 10 à 12 hectares de terres moyennes, un homme en position de donner à chacun de ses enfants un capital de 15,000 francs, cet homme peut-il être considéré comme étant dans la gêne ? N'est-il pas vrai, au contraire, qu'il jouit d'une aisance réelle.

M. Thibautµ. - Il ne s'agit pas de cela ; je demande 2 p. c. de capital avec un minimum de 500 francs.

MiPµ. - Mais votre erreur réside précisément en ceci que vous supposez une situation de fortune générale qui n'existe pas et que vous considérez comme étant dans la gêne des individus ayant un capital de 15,000 francs.

Que paye-t-on aujourd'hui pour l'exonération ? Il y a des contrats d'exonération qui se font au prix de 400 francs avant le tirage.

M. Bouvierµ. - Il y en a même à 300 francs.

MiPµ. - Eh bien, dans le. système de l'honorable M. Thibaut...

M. Coomansµ. - Avec la substitution.

MiPµ. - Nous discuterons, si vous le voulez, la suppression de la substitution ; mais vous savez bien qu'elle n'est pas supprimée.

M. Coomansµ. - Vous ne me comprenez pas ; je dis que c'est à cause de la substitution que l'exonération peut descendre jusqu'à 200 francs.

MiPµ. - Certainement, mais vous ajoutez que nous la supprimons. Eh bien, nous démontrerons que. nous ne supprimons pas du tout la substitution ; au contraire, notre projet ajoute au remplacement tous les avantages qui sont inhérents à la substitution aujourd'hui.

Voilà ce que fait ce projet.

Je dis donc qu'aujourd'hui, avec notre système actuel, on peut arriver à se faire exonérer avant le tirage pour 400 ou 300 francs. Or, le système de M. Thibaut tend simplement à pouvoir faire exonérer une partie des miliciens en payant, avant le tirage, une somme de 500 francs. C'est là, il faut en convenir, un trop mince résultat pour justifier un système aussi rigoureux que le sien.

Mais ce n'est pas tout, M. Thibaut n'a pas encore épuisé toutes les rigueurs dont il veut frapper les miliciens, et en voici une qui me paraît plus injustifiable que les autres.

Dans le système de l'honorable membre, on pourra se faire exonérer en payant la somme que j'ai indiquée à la Chambre ; mais que fera-t-on pour avoir le nombre d'hommes nécessaire ? On prendra ceux qui ne se sont pas fait exonérer, c'est-à-dire les gens les plus malheureux, ceux qui appartiennent aux classes les plus misérables de la société.

J'examinerai tantôt s'il n'y a pas quelque chose de profondément inique de venir prendre de force dans les plus malheureux ces remplaçants des classes aisées.

Je ne m'occupe en ce moment que de la question d'argent.

Voilà donc tous les individus les plus misérables, ceux qui n'ont pu se faire exonérer avant le tirage qui seront obligés de remplacer ceux qui sont plus favorisés de la fortune, et s'il y en a trop, que fera-t-on ? On procédera, d'après le système de M. Thibaut, à cet odieux tirage au sort dont on nous a tant parlé, et remarquez qu'il sera bien plus odieux que le tirage au sort actuel, car aujourd'hui on a encore la chance d'amener un bon (page 50) numéro qui libère de toute charge, tandis que d'après le système proposé, le plus favorisé devra payer une somme de 200 francs.

Cependant si cette dernière idée peut paraître rigoureuse sur le papier, je crois qu'en fait elle ne le sera guère, car je demande comment il sera possible d'obtenir 200 francs de gens qui n'ont rien. On ne peut tirer du sang d'une pierre et je crois qu'on se trouvera ici dans la même impossibilité.

Je passe maintenant au système de M. Kervyn et ici je me trouve devant les teintes les plus adoucies.

M. Kervyn ne veut pas des taxes rigoureuses de M. Thibaut, qui cependant, nous l'avons vu, n'en arrive pas encore à se procurer l'argent nécessaire, ce qui prouve qu'il n'est pas encore assez rigoureux.

M. Kervyn présente un tout autre système ; il exige l'inscription avant le tirage et payement en même temps d'une somme égale au triple du revenu personnel. L'honorable membre nous explique comment on calculerait l'impôt personnel. On prendrait le revenu personnel du chef de famille et on le diviserait par le nombre d'enfants. Le payement avant le tirage se borne au payement de ces trois années d'impôt personnel. Cela fait, ceux qui sont désignés par le sort payeront une somme de trois cents francs. Remarquez bien que cette somme de trois cents francs est payée après le tirage par ceux qui seront réellement désignés pour le service de la milice.

Evidemment, on n'a pas un remplaçant pour 300 francs ; c'est donc dans les sommes payées avant le tirage, qu'il faut trouver l'excédant nécessaire.

Evidemment, les riches payeront plus que les autres ; mais, comme nous sommes en matière essentiellement arithmétique, il faut nous rende exactement compte du produit de la taxe proposée.

La base du système de M. Kervyn repose sur la somme qu'on obtiendra par le payement de trois années d'impôt personnel.

Combien obtiendrons-nous ainsi par milicien ? Voilà la question que l'honorable membre n'a pas résolue et que je vais tâcher de résoudre pour lui.

A combien s'élève, en moyenne, dans notre pays, l'impôt personnel par habitant ?

Voilà le problème. Ce problème, messieurs, est extrêmement facile à résoudre.

L'impôt personnel produit 10 millions de francs.

Il y a en Belgique 5 millions d'habitants, de sorte que la moyenne de l'impôt est de 2 francs par habitant.

Comme le payement requis sera égal à la contribution personnelle, de trois années, la taxe moyenne payée par milicien sera de 6 francs avant le tirage ; et c'est à l'aide de ce payement moyen de 6 francs que. vous espérez combler la différence entre les 300 francs dont il a été parlé tantôt, et la somme nécessaire pour payer le remplaçant !

J'espère que je n'ai pas exagéré la modération du système de l'honorable M. Kervyn de Lettenhove en disant qu'il la poussait à ses dernières limites.

Ce serait vraiment chose merveilleuse qu'au moyen de ce payement de 6 francs en moyenne qui équivaut pour le milicien tombé au sort à 12 francs, on puisse subvenir aux besoins du remplacement avec 300 francs.

Il nous faudrait, pour réaliser ce système, obtenir des remplaçants à 312 francs. Si l'honorable M. Kervyn de Lettenhove peut les procurer à ce prix-là son système est excellent. Je ne demande pas mieux, quant à moi, que de doter le pays d'un pareil avantage.

Mais, messieurs, chose étonnante, nous ne sommes pas encore au bout des bienfaits que le système de M. Kervyn de Lettenhove doit procurer au pays avec la taxe dont je viens de parler. Je croyais, moi, que nous serions encore, pour employer l'expression vulgaire, à court d'argent pour obtenir le nombre de remplaçants nécessaire.

Mais, d'après son système, M. Kervyn de Lettenhove n'entend pas du tout appliquer immédiatement sa somme au payement des remplaçants ; il veut d'abord s'occuper de la rémunération à payer aux soldats. Il propose de donnera chaque soldat 10 francs par mois, ce qui équivaut à 30 centimes par jour.

Supposons que la moitié des miliciens contribuent à l'exonération, et que 6,000 appelés obtiennent ainsi l'exonération, nous toucherons 312 francs par milicien désigné par le sort : ce qui fait 1,872,000 francs

Voilà quel serait le revenu de la caisse d'exonération, si la moitié y participe.

Mais comme il faut prélever sur cette somme la rémunération de 6,000 miliciens complétant le contingent ; à 24 mois de présence au corps ce qui est bien en dessous de la vérité, il faudra 210 francs par milicien ou 1,440,000 francs. Il ne restera donc que 400,000 francs pour avoir 6,000 exonérants.

C'est-à-dire que ce ne sera plus des remplaçants à 300 francs que nous aurons à nous procurer, mais à bien moins de 100 francs. Messieurs, si on les a trouvés, je promets une bonne récompense à celui qui les indiquera. Et cependant il suffirait de prendre la présence sous les armes pendant trente mois, ce qui est encore au-dessous la vérité, pour que la rémunération prenne toute la caisse !

Vous voyez, messieurs, où l'on va, lorsque, répondant à des sentiments extrêmement généreux, on se complaît dans le désir de faire le bien sans manier au préalable les chiffres qui doivent entrer dans l'appréciation des sommes dont on a besoin.

M. Kervyn de Lettenhove ne s'écarte des rigueurs du système de M. Thibaut que pour arriver à devoir trouver des remplaçants à peu près gratuits.

Voilà, messieurs, pour la première partie de l'examen auquel j'ai annoncé à la Chambre que j'allais me livrer : c'est la question d'argent.

J'arrive maintenant à la question d'hommes. Il faut se procurer des hommes ; la Chambre prévoit déjà quelles difficultés présenteront, à cet égard, les systèmes de MM. Thibaut et Kervyn.

Elle va voir que ces difficultés ne peuvent se résoudre que par des moyens complètement inadmissibles.

M. Thibaut n'a pas d'épithètes assez rudes pour qualifier le système actuel de recrutement. Il a appelé, le tirage au sort barbare, inhumain et souverainement injuste.

M. Coomansµ. - Il y en a d'autres encore.

MiPµ. - M. Coomans a encore un choix beaucoup plus complet d'épithètes.

Eh bien, je demanderai à M. Coomans quelle épithète il emploiera pour qualifier le système de l'honorable M. Thibaut, quant au moyen de se procurer des hommes ?

Aujourd'hui il y a au moins égalité entre ceux qui se présentent devant l'urne du tirage au sort. Tous ont la même chance d'échapper. Les riches n'ont certainement pas plus de chance de tirer un bon numéro que les pauvres. C'est au moins un bon point qu'on peut tous donner au tirage au sort actuel.

Aujourd'hui, quand on se fait remplacer, on ne fait pas tort à ceux qui ne se font pas remplacer, parce qu'on procure soi-même le remplaçant, et la position des autres est exactement la même. Mais, dans le système de l'honorable M. Thibaut, il n'en est pas ainsi. Il faut que les plus malheureux de la société partent pour ceux qui sont exonérés. Ainsi, parce qu'un certain nombre de miliciens ont payé la taxe d'exonération, il faut que les autres marchent pour eux. Et ils ne partiront pas comme remplaçants volontaires ; c'est la loi qui ira les prendre et les mettre à la caserne au lieu et place de ceux qui ont eu le moyen de se faire exonérer.

Ils partiront uniquement parce qu'ils sont misérables, et il pourra se faire même qu'il n'y ait pas de tirage au sort ; s'il y a beaucoup d'exonérés tous peuvent être appelés ; si l'on demandait à ces miliciens qui sont sur le point de partir pour d'autres : Ne voulez-vous pas du tirage au sort ? bien certainement ils accepteraient cet odieux, ce barbare tirage au sort comme le plus grand des bienfaits.

M. Coomansµ. - Cela se fait aujourd'hui. On force à servir.

MiPµ. - Mais on ne fait pas partir les uns pour les autres. Pour ces hommes qui n'ont rien, qui sont malheureux, qui ont aujourd'hui une chance sur deux d'échapper à la milice, je trouve odieux de venir leur enlever cette chance et de les faire partir forcément pour d'autres individus qui ont payé 300 francs.

Ainsi, je suppose ce cas : je suppose que sur 20,000 miliciens aptes au service, il y ait 10,000 exonérés qui verseront au trésor une somme de 2 millions et quelques cent mille francs, et que le prix du remplaçant étant arrivé à 1,500 fr., ce qui ne serait pas impossible à cause de la grande demande, il n'y ait que 8,000 remplaçants. Il faudra donc 4,000 hommes de plus. Les 4,000 hommes qui n'auront pu s'exonérer, partiront tous sans exception ; ils partiront forcément sans tirage au sort. Et l'honorable M. Thibaut va si loin que le tirage devient pour lui une exception : « Lorsqu'un tirage au sort est nécessaire, les inscrits qui n'ont ni contracté un engagement volontaire, ni usé de l'exonération, et qui ne sont pas appelés au service, sont tenus de verser dans les caisses de l'Etat, à titre d'impôt de classe, une somme de 200 francs. »

Je pense que de tous les systèmes que l'on puisse imaginer, il n'en est pas de plus injustifiable que celui de forcer un malheureux à partir aux lieu et place d'un autre milicien moins malheureux. Si l'on cherche à (page 51) établir un système pratique, il faut repousser comme la chose la plus inadmissible le système que je viens d'indiquer.

M. Thibautµ. - Il peut s'exonérer moyennant 300 francs.

MiPµ. - Mais s'il n'a pas ces 300 francs !

M. Thibautµ. - Il lui sera facile de se les procurer. (Interruption.)

MiPµ. - Je vous ai montré d'abord qu'avec vos 300 francs vous n'aurez pas la somme qui serait nécessaire, et qu'en supposant exacte votre appréciation de la société, il vous manquerait moitié de cette somme. Mais vous voyez tout en beau ; vous pensez que tout le monde a 300 francs, c'est là une grande erreur ; il y a beaucoup de gens qui ne pourraient pas faire 300 francs.

Votre pensée se révèle dans votre interruption. Vous dites : Ils n'ont qu'à se procurer ces 300 francs ; vous supposez qu'il y a faute s'ils ne les ont pas.

Vous les considérez donc comme coupables, parce qu'ils n'ont pas ces 300 francs et vous les punissez comme tels. C'est ce que je ne puis admettre.

Messieurs, je dois encore ici rendre cette justice au système de M. Kervyn, qu'il est bien moins rigoureux. Mais cet honorable membre arrive à un résultat si inadmissible que ce système, si on le mettait en pratique, n'aurait aucune espèce de conséquence.

Que ferons-nous, dit l'honorable M. Kervyn, si nous n'avons pas le nombre d'hommes nécessaire ? Sa réponse est très démocratique : Si nous n'avons pas le nombre d'hommes nécessaire, nous bifferons de la liste des exonérés ceux qui ont payé le plus. C'est l'inverse de ce qui se passe dans les ventes publiques où l'on adjuge au plus offrant ; ici ce serait au moins offrant. (Interruption.) Ainsi, à défaut d'un nombre suffisant de remplaçants, on efface de la liste des personnes qui devaient être exonérées, celles qui ont payé la plus forte somme.

Vous leur dites : « Vous n'aurez pas de remplaçant, mais ne croyez pas que nous allions pour cela vous rembourser votre argent, ce serait une erreur ; nous en retenons la moitié. » Ainsi, je suppose que. vous ayez affaire au fils d'un très gros propriétaire qui ait payé 3,000 francs pour obtenir l'exonération ; vous ne lui donnerez pas de remplaçant et vous lui retiendrez 1,500 francs ! Mais remarquez que les 1,500 francs que vous lui aurez rendus, et qui excèdent de beaucoup la moyenne, empêcheront le remplacement d'un autre milicien, avec lequel vous agirez de la même manière et ainsi de suite, c'est-à-dire qu'après avoir fait votre premier remboursement, vous ferez tomber tout le système comme on renverse les uns sur les autres ces soldats que l'on appelle des capucins de cartes.

Messieurs, je tenais à discuter d'une manière un peu détaillée les deux seuls systèmes d'exonération qui nous sont proposés et qui se placent à deux points extrêmes opposés.

Je crois avoir démontré qu'avec ces systèmes il serait impossible d'avoir la somme nécessaire au recrutement des soldats. Quand on a besoin d'une très forte somme, on ne peut la percevoir sur un petit nombre d'individus.

Si donc vous voulez remplacer la charge personnelle par une somme d'argent, ce n'est pas aux miliciens qu'il faut demander cet argent, c'est à tous les contribuables. Ce serait là un système bien plus simple, mais que la Chambre a déjà repoussé.

Je ne prétends pas, messieurs, qu'à un certain point de vue l'on ne puisse pas, dans certains cas, faire payer une somme à ceux qui se feraient remplacer et surtout à ceux qui étaient disposés à se faire remplacer, mais je ne pense pas qu'on puisse exonérer les uns au moyen de l'argent des autres.

Tout ce qui serait possible, ce serait de percevoir de ceux qui veulent se faire remplacer une certaine contribution au profit de la caisse des rémunérations, c'est-à-dire au profit des miliciens qui servent personnellement. C'est là une question qu'on pourra examiner lorsqu'on s'occupera de la question des rémunérations.

Il y aura à voir s'il y a, parmi les miliciens, des individus plus imposables que la généralité des habitants du pays. Ce sera une question de finance, une question d'établissement d'impôt. Mais, je le répète, les tentatives que l'on fait pour trouver une combinaison qui permette à la masse des hommes d'une levée de s'exonérer très facilement du service militaire, sont des tentatives qui, partant d'excellents sentiments, n'ont pas été suffisamment calculées pour se réaliser dans la pratique.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Je demande la parole.

- Plusieurs membres. - A demain !

M. Coomansµ. - Beaucoup de nos honorables collègues demandent la remise de la séance à demain. Toutefois, pour employer la fin de celle-ci, je répondrai quelques mots à l'honorable ministre de l'intérieur, si la Chambre y consent, et je vous affranchirai de la peine de vous faire entendre demain un discours vraisemblablement plus long.

- Plusieurs voix. - Parlez ! parlez !

M. Coomansµ. - Ce que je remarque surtout dans le discours de l'honorable ministre de l'intérieur, c'est le double soin qu'il a pris de ne pas répondre aux considérations générales très élevées, très opportunes qui lui ont été présentées par les deux honorables préopinants, et d'insister beaucoup sur les détails de leurs combinaisons militaires.

Ceci offre un double avantage à M. le ministre. D'abord, il ne réfute pas ce qui est irréfutable et ensuite il a beaucoup de chances d'égarer l'attention, de triompher de quelques défectuosités réelles qui me paraissent s'être glissées dans ces combinaisons et de finir par donner des prétextes à la majorité de la Chambre pour s'associer à l'œuvre ministérielle.

Pourquoi l'honorable ministre n'essaye-t-il pas au moins de réfuter les plaintes, si profondément raisonnées, qui se sont produites dans cette enceinte, et surtout dans le pays ?

Il est temps de répondre à des objections populaires d'une gravité incontestable.

Quelle est la principale ?

C'est que votre système de milice est radicalement injuste, non seulement en ce qu'il prive des citoyens de leur liberté, mais en ce qu'il établit un impôt inégal, le seul impôt inégal prélevé en Belgique.

Le principe de la proportionnalité de l'impôt est une des plus belles conquêtes de la civilisation moderne.

Ce principe est admis dans toutes les circonstances où les citoyens sont appelés à pourvoir aux nécessités de l'ordre social. Il ne l'est pas, en fait d'organisation militaire. Et quand l'honorable ministre insiste sur ce qu'il appelle le côté injuste des systèmes des honorables MM. Kervyn et Thibaut, il se met dans une situation illogique, intolérable, parce que c'est surtout son système qui est entaché,d'une criante injustice.

Il y a, dit-il, égalité entre tous les citoyens qui concourent au tirage au sort. Mais, messieurs, rien n'est moins vrai. L'inégalité est flagrante. Vous demandez le même impôt aux riches et aux pauvres et vous appliquez la contrainte par corps pour la perception de cet impôt !

La contrainte par corps est pratiquée par la gendarmerie contre les citoyens convaincus de pauvreté. La pauvreté est un sujet de contrainte par corps avec l'aggravation des travaux forcés militaires. (Interruption.)

Je reconnais qu'en dehors du système des enrôlements volontaires, qui est le mien, il est difficile, quasi impossible de ne pas commettre des injustices, au moins relatives, et il en est que mes honorables amis ont commises aussi, mais forcément par le désir dont ils étaient animés de présenter un projet immédiatement praticable. Aussi les honorables membres n'obligent à l'impôt militaire qu'une partie de la population ; ils n'obligent pas à cet impôt les familles parmi lesquelles il y a des fils incapables de servir ou point d'enfants mâles.

Or, ceci est une injustice ; mais cette injustice, le gouvernement ne peut pas la reprocher aux honorables membres, car il la commet lui-même, dans une plus forte mesure encore.

Il est fâcheux de voir ces honorables membres maintenir le service forcé quoique très atténué ; mais c'est vous qui sanctionnez ce système.

L'honorable ministre prétend, et peut-être a-t-il raison, qu'il ne faudrait pas moins de 15 millions pour réaliser l'un de ces deux systèmes ; je veux bien l'admettre, seulement je ferai remarquer que M. le ministre trouve étrange qu'on demande 15 millions à 40,000 familles et qu'il ne trouve pas étrange que son projet de loi réclame 10 à 11 millions de 7,000 à 8,000 familles.

Je m'explique. M. le ministre évalue le service militaire à 1,200 francs et la preuve, dit-il, c'est que c'est le chiffre qu'on paye aujourd'hui. J'admets cette appréciation, mais alors l'honorable ministre reconnaît qu'il prend 1,200 francs au militaire forcé.

Or, ces 1,200 francs demandés à 7,000 ou 8,000 familles (chiffre annuel des non-remplacés) représentent une somme de 10 à 11 millions. Vous n'avez donc pas le droit de critiquer un système qui demanderait 15 millions à 40,000 familles, puisque vous proposez ou que vous approuvez un système qui demande 10 millions à 8,000 familles.

Je serais curieux d'entendre la réponse que me fera, à cet égard, M. le ministre. (Interruption.) Ce que me dit à l'instant M. Thibaut est vrai. L'honorable ministre lui fait un crime de demander 300 fr. à des miliciens pauvres et il ne trouve pas étrange de leur en demander 1,200. (Interruption.) Vous leur demandez 1,200 francs, puisqu'il y a contrainte par corps en cas de non-paiement de cette somme.

Or, M. Thibaut ne réclame que 300 francs ; donc, il est quatre fois moins injuste que vous.

Messieurs, les vraies raisons sont souvent celles qu'on ne dit pas. La vraie raison pour laquelle on s'oppose à toute espèce de système d'exonération un peu juste et populaire, je vais vous la dire. Elle est, du reste, (page 52) celle qu'avouent les généraux instruits et de bonne foi... (Interruption.) et je range dans cette catégorie l'honorable ministre de la guerre. La vraie raison est celle-ci, et on la formule à peu près en ces termes :

Si vous mettiez tous les miliciens belges à même de s'exonérer, à même de conserver leur liberté ; en d'autres termes encore, si vous appliquiez au service militaire l'excellent principe de la proportionnalité de l'impôt, nous n'aurions plus de soldats, attendu que tout le monde s'exonérerait.

Voila ce qu'on dit et ce qui est vrai.

Donc, c'est bien au service forcé qu'on en veut venir. Et, m'a dit un jour un général que j'estime beaucoup, il est bien heureux que nous ayons chaque année 7,000 à 8,000 pauvres, incapables de se faire remplacer, car sans cela nous n'aurions plus d'armée.

Voilà la vraie raison et au lieu d'insister sur des détails d'ailleurs fort discutables, M. le ministre aurait mieux fait de répondre à cette objection capitale, la seule bonne au point de vue théorique et pratique.

Quant à moi, messieurs, quels que soient les intérêts sociaux engagés dans cette grave matière, intérêts que je respecte même à d'autres points de vue que le mien, je déclare qu'il est un intérêt qui les domine tous, c'est le respect de la justice : l'Etat n'a jamais le droit d'être injuste. Eh bien, il l'est en matière de milice.

Deux mots encore. L'honorable ministre a dit que la Chambre n'était saisie que de deux systèmes d'exonération. Je le prierai de se ressouvenir que j'en ai proposé un aussi ; mais celui-là, on s'est abstenu de le combattre et j'ai la vanité de croire que j'en puis deviner le motif, c'est qu'à ce système-là il n'y a absolument rien de bon à répondre.

J'ai demandé que tous les citoyens belges pussent s'exonérer, s'affranchir de la servitude militaire en versant au trésor public une certaine partie de leur revenu, c'est-à-dire une somme proportionnelle à leur revenu.

Quelle que soit cette somme, peu m'importe ; tout ce que je demande, c'est que la proportionnalité de l'impôt soit respectée. A ce système-là il n'y a pas d'objection possible, pas même d'objection financière ; car, si l'heure était moins avancée, je pourrais entrer dans une démonstration de laquelle résulterait la preuve que le payement de la cinquième partie du revenu personnel ou familial des douze mille victimes du tirage au sort, produirait vingt à trente millions, peut-être davantage chaque année, c'est-à-dire beaucoup plus qu'il n'en faudrait pour indemniser les miliciens volontaires.

La mauvaise volonté du monde officiel en matière de milice est non seulement prouvée par l'opposition implacable que l'on fait aux meilleurs amendements inspirés par les meilleurs sentiments, mais par la décision que l'on a prise depuis si longtemps, de ne pas indemniser les travailleurs militaires.

Depuis bien des années on nous promet de leur accorder une indemnité. On n'a jamais tenu parole, même après avoir reconnu officiellement qu'elle était nécessaire, commandée par l'équité élémentaire.

On a fait cet aveu inconcevable que l'on versait dans l'injustice et qu'on s'y complaisait !

Naguère, un projet officiel nous est présenté, qui accorde une certaine indemnité à quelques miliciens. Ce projet émanait, je pense, de l'initiative de l'honorable M. Frère. Il ne me convenait pas, et j'ai dit pourquoi ; je le tenais pour insuffisant et illusoire.

Mais enfin il y avait dans ce système un hommage rendu à la justice naturelle, civile et politique et au moins un commencement de réparation d'une grande iniquité.

Eh bien, cette faible pension que l'on promettait très éventuellement à des miliciens âgés de plus de 55 ans qui ne se seraient jamais rendus indignes de ce que l'on appelait une faveur nationale, cette promesse a été retirée encore.

Je sais bien qu'on a trouvé un prétexte, mais on en trouve toujours quand on en a besoin. On a dit qu'il fallait attendre, pour être juste ; qu'il fallait attendre que l'armée fût parfaitement organisée ; que les bataillons supplémentaires fussent organisés, etc.

Et, en attendant la justice souffre, souffre cruellement ; elle souffre par votre faute et je ne vous le pardonnerai jamais.

M. Rogierµ. - Je désire simplement demander à M. le ministre de l'intérieur si je l'ai bien compris.

Je me propose de défendre le principe de la rémunération du service militaire, principe consacré par le projet de loi déposé en 1861, article 85.

M. le ministre de l'intérieur a dit tout à l'heure que l'on pourra traiter la question des ressources financières, lorsqu'on discutera la loi sur la rémunération.

Le projet de loi en discussion consacre le principe de la rémunération et je verrais avec regret que le gouvernement ajournât toute décision sur ce point.

Je crois que l'application de ce principe est juste et salutaire. On dit qu'il faut attendre, pour le discuter, jusqu'à la discussion de l'organisation de l'armée de réserve.

Mais pourquoi faut-il attendre ? A en juger par la longueur des débats qui ont eu lieu depuis le commencement de la discussion de la loi sur la milice, il est à craindre que la discussion sur la loi relative à la réserve n'entraîne aussi un assez long délai et ne fasse ajourner à un ou deux ans la discussion du principe de la rémunération.

Je demande donc que ce principe soit maintenu dans la loi sur la milice.

On dit : On ne sait pas quelle sera la charge des miliciens lorsque l'armée de réserve sera organisée. Mais, messieurs, la charge de ces miliciens sera nécessairement plus forte que celle des soldats de l'armée de réserve.

Ne fixons pas dès à présent le quantum, mais maintenons dans la loi le principe qu'il y a lieu à une rémunération pour celui qui consacre plusieurs années de sa jeunesse au service de la patrie.

Nous déciderons ultérieurement, s'il le faut, le mode de rémunération, la manière de former la caisse. ; nous examinerons ces questions plutôt administratives que fondamentales.

Mais j'engage aujourd'hui le ministère à bien y réfléchir, à ne pas supprimer dans la loi le principe qui en est pour ainsi dire la force, qui répond en grande partie aux objections et aux attaques dont le service de la milice est aujourd'hui l'objet.

Je demande au ministère de vouloir bien y réfléchir et de nous dire s'il maintient sa demande d'ajournement.

Quant à moi, je déclare que je ne pourrais voter la loi de la milice si le principe, tel qu'il a été proposé en 1861, disparaît

MiPµ. - La question de la rémunération n'a rien de commun avec la question de l'exonération.

Je crois donc qu'il faut circonscrire le débat actuel dans les limites de cette dernière question seulement. Mais le gouvernement n'a nullement l'intention, comme paraît le craindre l'honorable M. Rogier, d'écarter le principe de la rémunération. Il consent parfaitement à ce que ce principe soit inscrit dans le projet de loi actuel sur la milice.

Mais, je le répète, ne confondons pas les deux choses. II s'agit uniquement aujourd'hui de savoir comment les miliciens pourront se faire remplacer ou exonérer. Autre chose est d'examiner comment les miliciens contraints au service par le tirage au sort seront rémunérés.

On pourra discuter ce point à l'article 68 et là on me trouvera tout disposé à consacrer le principe de la rémunération.

Un projet de loi relatif à cet objet ou des amendements aux textes dont la Chambre est saisie seront, du reste, présentés par le gouvernement dans un délai très rapproché.

Je dois maintenant répondre quelques mots à l'honorable M. Coomans.

- Des voix. - A demain !

Je ne veux pas empêcher la Chambre de clore sa séance. Au contraire.

L'honorable M. Coomans m'a reproché de ne pas avoir répondu à différentes attaques générales qu'il a soulevées. Il est dans l'erreur. Je lui ai répondu l'année dernière. Mon discours est reproduit à la page 210 des Annales parlementaires.

S'il tient à une réponse, il peut relire ce discours, pendant que nous nous en irons. Voici le volume.

Ordre des travaux de la chambre

MpDµ. - Je vous propose de mettre à la suite de l'ordre du jour le budget de la guerre pour 1870, le projet de loi sur la Lettre de change et le projet de loi sur le titre des Sociétés.

M Vleminckxµ. - Je demande qu'on mette également à la suite de l'ordre du jour et avant le budget de la guerre le projet de loi relatif aux modifications à introduire dans l'organisation du service de santé de l'armée.

Il est incontestable que si la Chambre adopte ce projet de loi, il y aura un changement à apporter au chiffre du budget de la guerre.

MpDµ. - Il n'y a pas d'opposition ? Ce projet de loi sera porté à l'ordre du jour.

- La séance est levée à cinq heures.