Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 24 novembre 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 75) M. de Rossiusµ fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Reynaertµ lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Rossiusµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des secrétaires communaux demandent qu'il soit pris des mesures pour assurer leur avenir et que leur traitement soit mis en rapport avec l'importance de leur travail et des services qu'ils rendent aux administrations communales, provinciales et générale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi sur le contingent de l’armée pour l’année 1870

Rapport de la commission

M. Van Humbeeckµ dépose le rapport de la commission spéciale qui a examiné le projet de loi sur le contingent de l'armée pour 1870.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à l'ordre du jour à la suite du budget de la guerre.

Projet de loi sur la milice

Discussion des articles

Chapitre VIII. Du remplacement et de la permutation

Article 53

MpDµ. - L'article premier des amendements de M. Kervyn est ainsi conçu :

« Tout Belge qui, le 31 décembre, aura accompli sa dix-neuvième année, est tenu de se faire inscrire avant le 1er mai, à l'effet de concourir au tirage au sort pour la levée du contingent de l'année suivante. »

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Pour donner au vote de la Chambre un caractère précis, je proposerai la rédaction suivante :

« Ceux qui voudront se dispenser du service militaire auront recours à l'exonération préalable. Le remplacement est interdit. »

MpDµ. - Cela revient à poser une question de principe. Je fais remarquer que cette question de principe s'applique aussi bien à la proposition de M. Thibaut qu'à celle de M. Kervyn ; elle ne réalise donc pas plus un système que l'autre.

MfFOµ. - Messieurs, il est impossible de voter sur cette question de principe, qui non seulement est complexe, mais qui implique l'inconnu. En effet, en supposant la proposition adoptée, où en serons-nous ? Il faut au moins savoir à quoi l'on s'engage en décrétant le principe de l'exonération.

M. Kervyn veut interdire le remplacement et lui substituer l'exonération. Mais à quel système d'exonération entend-il donner la préférence ? Car il n'y a pas qu'un seul système : il y en a plusieurs ; et la Chambre se trouve saisie de deux projets fort différents, qui sont même absolument contradictoires : celui de M. Thibaut et celui de M. Kervyn.

Il est donc évident que la Chambre n'est pas en mesure de se prononcer comme le propose l'honorable M. Kervyn, et du reste, je dois lui faire remarquer qu'il ne saurait aboutir au but qu'il poursuit. Je suppose que l'on réclame la division de l'amendement et que l'on consulte la Chambre sur la question de savoir si le remplacement sera supprimé. Si la solution est négative, si le remplacement est maintenu, tout le reste disparaît. L'exonération n'existe plus.

M. Coomansµ. - Pas le moins du monde.

MfFOµ. - C'est évident. Si la Chambre décide que le remplacement est maintenu, il ne reste plus rien. L'honorable M. Kervyn ne peut donc aboutir. Mais, en toute hypothèse, quand, après avoir demandé la division, la Chambre se sera prononcée et aura rejeté le remplacement, nous serons encore en face de cette question : Quel sera le système d'exonération ? Or, c'est là le point important, le point capital. Il ne suffit pas d'énoncer des principes, il faut savoir si on pourra les appliquer. Il est donc de toute nécessité de formuler un système sur lequel on puisse se prononcer en toute connaissance de cause.

MpDµ. - Je crois, messieurs, que l'article 2 répond à la pensée, de l'honorable M. Kervyn de faire voter sur un point de principe. Cet article porte en effet :

« L'inscrit qui désire s'exonérer du service militaire est tenu de verser à la caisse d'exonération, avant le 1er juillet, une somme égale à l'impôt personnel payé pendant les trois années précédentes, soit par lui-même, soit par son père ou sa mère ; à défaut de père et de mère, par l'ascendant investi de la tutelle. »

Cet article domine toute la proposition de l'honorable M. Kervyn. Si donc l'honorable auteur des amendements se ralliait à ma pensée, on pourrait lui donner satisfaction par le vote sur l'article 2.

M. Coomansµ. - Ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le faire remarquer à la Chambre, nous devons être très sobres de questions préalables, attendu que, plus ou moins, ces questions réduisent la prérogative parlementaire.

Il y a évidemment dans cette assemblée, comme il y a eu longtemps dans le gouvernement, des membres qui désirent la suppression du remplacement. Il faut permettre à ces membres de formuler leur opinion par un vote et il faut absolument que l'on mette aux voix la question du maintien ou de la suppression du remplacement dans sa signification la plus générale.

Tout ce que l'honorable ministre des finances me semble avoir démontré, c'est qu'il faut diviser. Ici nous sommes d'accord. Plus on divise, plus on éclaire, plus on élargit la liberté des votants.

Nous diviserons donc le plus possible la proposition de l'honorable député d'Eecloo, mais nous ne pouvons aujourd'hui l’éconduire. Nous ne pouvons dire qu'il n'y a pas lieu de voter sur la question de principe.

Il n'est pas exact de dire avec l'honorable ministre des finances qu'en maintenant le remplacement, on repousse tout système d'exonération. Il n'en est rien. Vous pouvez maintenir le remplacement entre les mains du gouvernement et le combiner avec un système d'exonération.

Les votes resteront libres, mais, encore une fois, permettez à beaucoup d'autres qui sont adversaires du remplacement d'affirmer cette opinion.

Je le déclare, quel que soit mon attachement au principe de la liberté individuelle, quelque odieuse que me paraisse cette exigence légale qui a pour effet le service forcé, je. ne puis être partisan du remplacement parce que le principe de la justice domine toute autre considération.

Or, il me paraît radicalement injuste de permettre à quelques citoyens de se remplacer, alors que cette permission n'est pas accordée à d'autres.

Je conçois le service forcé quand il est général, comme en Prusse, par exemple.

Mais quand le service n'est forcé que pour le pauvre, il devient inique, et c'est aujourd'hui le cas.

En conséquence, je désire le remplacement avec l'espoir fondé que le jour où le remplacement sera interdit, la conscription sera supprimée ou considérablement diminuée...

MpDµ. - Cela devient de la discussion, monsieur Coomans.

M. Coomansµ. - Je conclus, monsieur le président ; je conclus au maintien du principe, c'est-à-dire au vote sur le point de savoir si le remplacement sera maintenu ou non.

MpDµ. - Je ferai remarquer à M. Coomans qu'en votant (page 76) contre l'article 53, il réalisera complètement sa pensée. Cet article porte, en effet :

« Tout individu désigné pour le service militaire peut se faire remplacer. »

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Je regrette beaucoup de ne pouvoir me rallier à l'opinion de M. le président.

Je ne puis comprendre qu'on voie dans l'article 2 le résumé complet et fidèle de la proposition que j'ai eu l'honneur de faire à la Chambre.

En effet la date du 1er juillet sera écartée, le versement comprendra une somme égale ou non à trois années d'impôt personnel, elle sera réduite ou non dans la proportion du nombre des enfants, tout cela importe peu à la base fondamentale de ma proposition. Ce ne sont là que des détails de pure application.

Ce qui importe, c'est que les partisans de l'amendement de M. Thibaut comme ceux de la proposition que j'ai présentée puissent les uns et les autres s'expliquer par leur vote d'une manière générale sur la question d'exonération. Et lorsque M. le ministre des finances fait remarquer que dans la rédaction que j'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau, il y a deux phrases et que ceux qui auraient voulu l'exonération pourraient ensuite maintenir le remplacement. Je dois dire que cela n'est pas conforme à la logique, car il est certain que si la Chambre se prononce en faveur de l'exonération, elle exclut par cela même le remplacement.

Du reste il serait très facile de faire face à cette objection ; il suffirait, au lieu de deux phrases, de n'en avoir qu'une seule et de dire : « L'exonération préalable, est substituée au remplacement. »

Dans ce cas, aucune division ne serait possible et le vote de la Chambre conserverait ce caractère de précision que je désire lui voir imprimer.

MfFOµ. - Rien ne prouve mieux contre la proposition de l'honorable M. Kervyn que les paroles qu'il vient de prononcer...

Que vous a-t-il dit ? Il est désirable que les partisans de l'amendement de M. Thibaut et du mien puissent se prononcer sur le principe de l'exonération.

Ainsi M. Kervyn convie la Chambre à mettre aux voix une question sur laquelle pourraient se réunir les partisans d'idées absolument, diamétralement contraires, mais qu'ils caractérisent par la même étiquette, l'exonération. Mais ce n'est là qu'un mot, et les idées qu'il couvre sont tout à fait différentes. (Interruption.)

Si elles étaient les mêmes, M. Thibaut se serait rallié au système de M. Kervyn, ou M. Kervyn à celui de M. Thibaut...

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Il n'y a entre ces systèmes que des différences de détails.

MfFOµ. - Je vous demande pardon : les différences sont essentielles, radicales. Et ainsi, en votant sur la proposition de M. Kervyn, on pourrait être entraîné à émettre un vote favorable à l'exonération, mais dicté par des idées fort opposées ; puis, au moment d'appliquer le principe, de le traduire en loi, de le mettre en pratique, on se trouverait dans une division complète quant au système à appliquer.

Messieurs, nous sommes obligés de nous en tenir au règlement ; il faut qu'on mette aux voix les articles du projet et les amendements qui s'y rattachent, les amendements d'abord, si l'on veut, en demandant même la division s'il y a lieu.

Voilà ce que le règlement prescrit, et ce qui doit être observé. Nous tomberions dans la confusion en votant sur des questions complexes comme celles que présente l'honorable M. Kervyn.

MpDµ. - Je ferai remarquer à la Chambre que, si elle votait la proposition de l'honorable M. Kervyn et si cette proposition était adoptée, je ne pourrais plus rien mettre aux voix et ma mission serait entravée. C'est ce qui me porte à croire que je ne puis pas mettre aux voix la question de principe. Cette question doit être posée en terme de loi. Je demande à l'honorable M. Kervyn s'il insiste encore pour que je consulte la Chambre sur la question de principe.

M. Coomansµ. - Il me semble que le but qu'on veut atteindre c'est d'éviter un vote sur la question de l'exonération ; on ne veut pas que la Chambre vote sur cette question et je devine bien pourquoi : c'est que, il y a quelques années, il y avait beaucoup de partisans de l'exonération dans cette assemblée et qu'il y a eu revirement d'opinion. Eh bien, qu'on se compte.

Mais, dit M. le ministre des finances, on peut être partisan de l'exonération à divers points de vue. Soit ! Mais cela est vrai pour beaucoup de votes : nous ne sommes pas toujours mus par la même pensée quand nous émettons le même vote ; l'un a une intention ; un autre a une intention différente.

Il faut, je le prétends derechef, laisser toute liberté à une assemblée qui se vante d'être libre. Il faut que toutes les questions qui se produisent par l'initiative de membres de cette Chambre soient soumises à un vote. Eh bien, je demande qu'on vote sur l'exonération et sur le remplacement.

Si le principe de l'exonération est adopté, il me semble, que nous ne nous trouverons pas devant les difficultés que notre honorable président redoute ; nous aurons à examiner alors les divers systèmes d'exonération. Si, au contraire, le remplacement est supprimé, eh bien, nous aurons encore écarté un x de l'équation « milice » et nous y verrons plus clair pour aboutir à d'autres résultats.

Je demande donc qu'on accepte le vote sur l'une des propositions formulées par l'honorable représentant d'Eecloo.

MfFOµ. - Je ne puis laisser dire que l'opposition qu'on fait au mode de procéder indiqué par l'honorable M. Kervyn a pour but d'empêcher la Chambre de se prononcer soit sur le système de l'exonération, soit sur un système quelconque. Cela est complètement inexact. La Chambre a la faculté de se prononcer sur tous les systèmes qui seront indiqués ; mais il lui est impossible de voter sur des abstractions, sur de pures hypothèses, sur des idées qui ne sont pas même formulées et que nous ne pouvons pas saisir.

Si l'on veut présenter une proposition, quelle qu'elle soit, qui constitue un projet, un système, un amendement, on le mettra aux voix comme le prescrit le règlement. Mais l'honorable M. Kervyn ne veut pas de cela : il demande qu'on se prononce d'une manière abstraite sur l'exonération.

Eh bien, je suppose que la Chambre adopte sa proposition, qu'aura-t-elle fait ? Elle n'aura rien décidé du tout, et il faudra immédiatement en venir à se prononcer sur un système quelconque d'exonération. Il faut donc faire dès à présent ce qu'on serait obligé de faire immédiatement après le vote sur le principe abstrait de l'exonération.

Que l'honorable M. Kervyn demande que son amendement soit mis aux voix par division.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Il est évident pour tout le monde que la Chambre ne peut pas se prononcer sur la question de l'exonération et sur celle du remplacement, telles que je les ai posées, se bornant à voter sur un article qui renferme des détails secondaires tels que la date des inscriptions, la quotité des versements et d'autres points d'application.

Ce ne serait pas trancher la question, car il y a des membres qui voudraient ou d'autres chiffres ou d'autres bases et qui cependant peuvent être favorables à l'exonération.

M. le ministre des finances s'étonne que je veuille, par une rédaction large et précise, indiquer la portée de ma proposition ; cependant je ne sors pas des traditions parlementaires en procédant ainsi. Combien de fois, en effet, n'a-t-on pas inscrit, à la première ligne d'une disposition législative, le principe, sauf à indiquer plus tard les moyens d'application. C'est ce qui arriverait encore aujourd'hui si la Chambre votait d'abord sur le principe de l'exonération.

MfFOµ. - Eh bien, que l'on vote sur l'article 53 du projet, qui porte : « Tout milicien peut se faire remplacer ».

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Non.

M. Rogierµ. - Messieurs, je suis partisan de l'exonération et aussi du remplacement dans les conditions illimitées que j'ai indiquées.

Je voudrais que le gouvernement adoptât le procédé de certaines sociétés particulières ; ces sociétés exonèrent éventuellement de tout service le milicien qui verse dans ses caisses, avant le tirage, une somme déterminée ; on peut s'exonérer du service, sauf à la société à substituer un remplaçant à celui qui est exonéré. Je crois que le gouvernement pourrait avec avantage procéder de la même manière et former, au moyen de ces versements préalables au tirage, une caisse de remplacement ou d'exonération, comme on voudra l'appeler. M. le ministre de l'intérieur, dans son premier discours, n'était pas éloigné de se rallier à ce système.

Maintenant, il est bien entendu que si le gouvernement ne trouvait pas de remplaçants, on ne pourrait pas le forcer à en fournir.

MfFOµ. - Nous sommes d'accord.

M. Rogierµ. - Donc je suis pour l'exonération comme je l'explique et pour le remplacement comme je l'explique aussi.

MgRµ. - C'est dans la loi.

M. Rogierµ. - Je vous demande pardon ; mais il suffit que cela soit entendu pour que je me déclare satisfait. Je conclus en disant qu'il serait impossible de voter, d'une manière absolue, pour le principe de l'exonération (page 77) ou pour celui du remplacement. Je suis pour l'un et l'autre comme je les entends ; si l'on met aux voix tour à tour ces deux questions, je voterai pour, mais je ne puis pas les séparer l'une de l'autre.

MiPµ. - Messieurs, nous sommes parfaitement d'accord avec l'honorable M. Rogier. Le projet de loi maintient l'exonération facultative.

Déjà, l'article 65 autorise le gouvernement à faire toutes espèces de remplacements.

Lorsque nous aborderons la discussion de cet article, je proposerai d'y ajouter une disposition ayant pour objet de permettre au gouvernement de créer des espèces de tontines, organisées de telle façon que, par le versement fait, avant le tirage, d'un certain nombre d'annuités, ceux qui tireront plus tard un mauvais numéro puissent disposer d'une certaine somme, destinée à leur assurer un remplaçant. Ce sera là l'exonération libre et non pas l'exonération imposée d'après le système de M. Kervyn de Lettenhove.

MpDµ. - M. Kervyn propose maintenant de rédiger sa proposition de la manière suivante : « Tous ceux qui voudront se dispenser du service militaire auront recours à l'exonération préalable en se conformant aux dispositions suivantes : »

Viendraient alors tous les articles qui établissent son système.

Pans cette forme, je crois que la proposition est pratique. S'il n'y a pas d'opposition, il va être procédé au vote sur cette proposition

MfFOµ. - C'est le système de M. Kervyn de Lettenhove.

M. Jacobsµ. - Sauf les amendements à l'article 2.

MpDµ. - Sans doute, mais la proposition est faite comme réalisant le système de M. Kervyn de Lettenhove.

Cela doit être bien entendu.

M. Rogierµ. - Cela implique-t-il le remplacement ?

- Quelques membres. - Oui ! oui !

- D'autres membres. - Non ! non !

MpDµ. - La proposition de M. Kervyn supprime évidemment le remplacement.

Je vais donc mettre aux voix cette proposition.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé au vote par appel nominal sur la proposition de M. Kervyn.

87 membres y prennent part.

71 répondent non.

16 répondent oui.

Ont répondu non :

MM. Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Sabatier, Schmitz, Schollaert, Tack, Tesch, Thonissen, Van Cromphaut, Alphonse. Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Merris, Vermeire, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Watteeu, Allard, Bara, Beke, Bouvier, Braconier, Broustin, Bruneau, Carlier, Castilhon, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Delcour, d'Elhoungne, de Maere, de Montblanc, de Naeyer, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Theux, Dethuin, Dewandre, de Zerezo de Tejada, Frère-Orban, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Jouret, Julliot et Dolez.

Ont répondu oui :

MM. Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Royer de Behr, Thienpont, Vilain XIIII, Coomans, Coremans, de Clercq, Eugène de Kerckhove, Delaet, de Muelenaere, Hayez, Jacobs et Kervyn de Lettenhove.

- En conséquence la proposition est rejetée.

MpDµ. - Nous passons au vote sur l'amendement de M. Thibaut.

L'article premier, proposé par M. Thibaut, est ainsi conçu :

« Tous les inscrits de l'année courante et les ajournés portés en tête des listes peuvent s'exonérer du service, en se conformant aux dispositions suivantes. »

- Cet article n'est pas adopté.

MpDµ. - En vertu de votre résolution antérieure, nous avons maintenant à nous occuper de l'amendement de M. Van Humbeeck.

M. Van Humbeeck présente l'amendement suivant à l'article 53 ;

« Tout individu désigné pour la milice peut se faire remplacer, s'il s'en est réservé la faculté par une déclaration faite au moment de son inscription.

' « Cette déclaration oblige l'inscrit, quel que soit le résultat du tirage au sort, à servir personnellement, en s'équipant et s'habillant à ses frais, dans la partie de la garde civique particulièrement appelée à servir d'auxiliaire à l'armée dans le cas de guerre. »

La parole est à M. Van Humbeeck pour développer cet amendement.

M. Van Humbeeckµ. - Messieurs, peu de mots suffiront pour justifier mon amendement.

Cet amendement impose à ceux qui veulent profiter du remplacement l'obligation d'en faire la déclaration préalablement au tirage au sort, c'est-à-dire au moment de leur inscription. Il oblige ceux qui auront fait pareille déclaration à certains sacrifices pécuniaires en entrant dans la partie de la garde civique qui sera spécialement appelée à concourir avec l'armée à la défense du pays.

Enfin, il préjuge la question de savoir si, dans cette partie de la garde civique, le remplacement sera admis. Cette question y est résolue négativement.

Vous connaissez, messieurs, mon opinion sur le remplacement. J'ai eu occasion de l'exposer devant la Chambre il n'y a pas bien longtemps. Si je n'avais à apprécier le remplacement qu'en principe, mon sentiment n'y serait probablement pas favorable. Mais il faut céder devant l'exigence des mœurs, des traditions, des habitudes.

Si je ne suis pas favorable en principe au remplacement, je dois toutefois reconnaître loyalement qu'on l'a souvent qualifié avec trop de sévérité ; qu'on a eu tort d'y voir une grande iniquité sociale, de le signaler comme une immense injustice. Il ne faut pas perdre de vue que le remplacement ne lèse en aucune façon ceux qui ne sont pas appelés à en profiter.

Ceux-ci n'en marcheraient pas moins, si le remplacement n'existait pas.

Seulement, il peut faire subir à leur amour-propre légitime de rudes épreuves. Le conscrit pauvre, lorsqu'il se trouve avec l'homme placé à un rang plus élevé de la hiérarchie sociale, devant la même urne, voit là un hommage rendu au principe d'égalité ; cela le relève à ses propres yeux. Mais lorsqu'il arrive au régiment, la scène change. Le conscrit pauvre voit, au lieu du riche qui était à côté de lui au moment du tirage, arriver un remplaçant avec qui souvent, dans les rapports de la vie civile, il aurait rougi de se trouver en contact. Cette impression humiliante, décourageante, pourrait être fatale, si elle ne se dissipait pas au milieu des autres préoccupations de la vie militaire.

Il faut prendre garde que cette impression ne renaisse au moment d'une lutte et qu'alors, multipliée par le nombre de conscrits servant pour eux-mêmes qui se trouvent dans l'armée, elle ne produise, pour la valeur de cette armée, des effets nuisibles.

Il faut donc prévenir cette situation, aujourd'hui possible ; nous trouvons quelques remèdes dans le projet, je viens en proposer un nouveau.

Le projet exige des conditions plus rigoureuses pour l'admission des remplaçants, afin que le conscrit servant de sa personne ne trouve pas, à côté de lui, un homme qu'il doive rougir d'appeler son compagnon d'armes.

Un deuxième remède se trouve dans le projet : c'est le développement donné, au remplacement par l'Etat, et ici, je demanderai la permission de rectifier une erreur commise, hier, par l'honorable M. Rogier. L'honorable membre a rappelé qu'il s'était autrefois formé une société pour favoriser les rengagements ; qu'elle avait fait, à son origine, de brillantes promesses ; qu'elle avait promis, notamment, de créer un fonds pour l'érection d'un hôtel des invalides ; il a demandé ce qu'étaient devenues ces promesses ; il a ensuite comparé cette société à des sociétés plus modernes qui avaient débuté aussi par des promesses brillantes pour n'aboutir qu'à la ruine de leurs actionnaires.

Je crois que l'assimilation est injuste et je désire en convaincre l'honorable M. Rogier.

La société à laquelle l'honorable membre a fait allusion avait besoin d'exercer son influence au sein même de l'armée, et le ministère de la guerre avait immédiatement lancé une circulaire pour favoriser la substitution des rengagements par l’intermédiaire de la société aux autres modes de remplacements.

Mais ces influences agissant dans l'armée avaient des intérêts pécuniaires dans la société. Par là celle-ci devint suspecte au public, qui ne voulut plus considérer les opérations de remplacement, faites dans ces conditions, que comme dictées par un désir de lucre. Les préventions devinrent tellement puissantes que le gouvernement dut y céder et abandonner tout patronage.

Les opérations de la société devinrent alors extrêmement restreintes ; les bénéfices sur lesquels elle avait le droit de compter à l'origine se trouvèrent réduits dans une notable proportion.

(page 78) Elle se vit dans l'impossibilité d'établir complètement le fonds pour l'érection d'un hôtel des invalides.

Cependant une certaine somme avait été réunie dans les premières années et en vertu d'une condamnation judiciaire, cette somme repose aujourd'hui dans la caisse de l'Etat.

La société ne mérite donc pas les reproches que l'honorable M. Rogier lui a adressés.

M. Rogierµ. - Si M. Van Humbeeck voulait me permettre une explication...

M. Van Humbeeckµ. - Bien volontiers.

M. Rogierµ. - Je demande la permission de dire un mot. Je crois que l'honorable M. Van Humbeeck n'est pas complètement dans l'exactitude des faits.

D'abord je n'ai pas attaqué la société elle-même. Elle renfermait un assez grand nombre d'hommes marquants.

En combattant l'intervention de l'intérêt particulier dans les opérations des remplaçants, j'ai dit que ces opérations devaient rester autant que possible dans les mains de l'Etat.

J'ai fait allusion à une grande société qui s'était établie en 1837 ou 1838.

Cette société s'est établie, en effet, dans les conditions que vient de rappeler l'honorable M. Van Humbeeck. Elle avait trouvé le moyen de mettre à son service tous les rouages de l'administration de la guerre, de telle sorte que officiers généraux, officiers inférieurs et sous-officiers opéraient pour le compte de la société.

Eh bien, je faisais observer déjà, à cette époque, que ce que la société faisait avec le concours de l'Etat, il était bien plus simple que l'Etat le fît lui-même.

Un peu plus tard, le gouvernement fut autorisé par une loi spéciale à opérer lui-même directement des remplacements ; mais il s'est trouvé que des membres, officiers de l'armée, attachés à la société civile ne prêtaient pas au gouvernement tout le concours qu'il devait attendre d'eux.

Je vois avec satisfaction que l'idée exprimée à cette époque par mes honorables amis et moi a fait du chemin et qu'aujourd'hui le gouvernement paraît disposé à établir ce système de remplacement officiel sur des bases aussi larges que possible.

Si j'ai fait allusion à des promesses qui ne se sont pas réalisées, je n'ai attaqué ni la probité ni la délicatesse des administrateurs de la société, mais j'ai constaté que la promesse de fonder un hôtel des invalides pour les serviteurs de l'Etat n'a pas été réalisée.

Sans doute, il y a eu des causes qui ont empêché la réalisation de cette promesse, comme cela arrive dans d'autres entreprises. Une somme a été déposée, dit-on, par la société dans les caisses de l'Etat, je ne sais si c'est spontanément ou à la suite d'un procès.

MfFOµ. - A la suite d'un procès.

M. Rogierµ. - Cette somme était-elle suffisante pour fonder un hôtel des invalides ? J'en doute fort.

M. Ortsµ. - 80,000 francs.

M. Rogierµ. - Je croyais que c'était 100,000 francs, mais ce n'est ni avec 80,000, ni avec 100,000 francs que l'on peut construire et entretenir un hôtel des invalides. Je le répète, mon intention n'a été en aucune façon d'incriminer les personnes qui se sont mises à la tête de cette société. Je n'ai pas l'honneur d'en connaître une seule. Le président est, je crois, décédé depuis longtemps, et je n'ai fait allusion à personne.

M. Van Humbeeckµ. - Messieurs, ceci n'est qu'un hors-d'œuvre. Pour ne pas abuser de vos moments, je ne veux pas y donner des proportions qu'il ne comporte pas. Il me suffit que l'assimilation que j'avais cru voir dans les paroles de l'honorable M. Rogier, n'existe pas dans sa pensée. Je reprends mon discours.

M. Rogierµ. - Je me suis borné à constater qu'il y a eu une promesse qui n'a pas été tenue.

M. Van Humbeeckµ. - Oui ; mais vous avez comparé ces promesses non tenues à d'autres promesses brillantes qui ont été faites récemment.

M. Rogierµ. - Pas récemment.

M. Van Humbeeckµ. - Dans tous les cas, les faits sont maintenant assez bien établis pour que personne ne s'y trompe. Je reprends donc mon argumentation.

J'ai dit, messieurs, qu'aux inconvénients qui résultent du remplacement tel qu'il est organisé aujourd'hui par le projet, on propose deux remèdes : des conditions plus rigoureuses imposées au remplacement en général et le développement du remplacement par l'Etat en particulier.

A ces deux remèdes, je propose d'en ajouter un troisième ; je voudrais rétablir l'égalité, autant que cela est possible, entre celui qui peut se faire remplacer et celui qui ne le peut pas. Je voudrais la rétablir surtout au moment du danger. De cette façon, le seul privilège dérivant du remplacement sera celui de se soustraire pendant la paix aux longues pertes de temps qui pourraient interrompre ou même briser leur carrière. Mais l'égalité reparaîtra au moment où il faudra défendre la patrie, au moment où il faudra payer réellement ce qu'on appelle l'impôt du sang ! Expression impropre aussi longtemps qu'il ne s'agit que du service en temps de paix.

Cela peut d'autant mieux se faire, que les considérations qu'on fait valoir en général pour justifier le remplacement, se rapportent surtout aux exigences de certaines carrières pour lesquelles il faut de longs travaux qu'il serait dangereux d'interrompre d'une manière prolongée, tandis qu'aucun inconvénient ne peut résulter de leur interruption momentanée au moment où une lutte, engagée pour la défense de la patrie, suspend toutes les relations ordinaires de la vie nationale.

La conclusion pratique à laquelle me mènent ces considérations, c'est de vous demander de déposer dans la loi le principe de l'organisation sérieuse d'une réserve nationale qui serait tirée du premier ban de la garde civique et dans laquelle seraient, en premier lieu, appelés à servir ceux qui auraient profité de la faculté de se faire remplacer dans l'armée.

Nous ne pouvons aujourd'hui établir les détails de cette organisation dans un projet relatif à la milice.

Nous aurons à les discuter bientôt, je l'espère ; nous rechercherons alors quels services il faudra demander pendant la paix à ceux qui feront partie de cette réserve ; il faudra leur en imposer le moins possible, mais assez cependant pour que la force à laquelle ils appartiendront soit sérieuse.

Pour le moment, nous n'avons qu'à proclamer le principe. Il a une grande importance sociale ; c'est un hommage rendu à l'égalité de tous devant la loi ; il a aussi l'avantage d'associer, plus qu'elle ne l'est aujourd'hui, la nation à l'armée.

Au point de vue militaire, l'institution de cette réserve seule peut rendre à notre armée de campagne toute sa mobilité et restituer ainsi à son rôle toute sa véritable grandeur.

J'ajoute que cette proposition peut avoir, dans l'avenir, une importance financière que nous ne devons pas non plus perdre de vue. La réserve nouvelle devenant sérieuse et pouvant recevoir un certain développement, la partie de l'armée dont le rôle se borne à la défense des places et des positions militaires pourrait peut-être être réduite.

Cette perspective ne peut mener qu'à des réductions restreintes, puisqu'elles ne s'appliqueraient qu'à la partie de l'armée chargée seulement de la défense des places ; cette perspective est d'ailleurs lointaine, puisque nous aurons à passer par une longue éducation nationale avant d'y pouvoir songer. Toutefois, il ne faut pas la négliger.

Telles sont les différentes considérations qui me paraissent justifier la proposition que. j'ai faite et lui mériter vos suffrages.

M. Coomansµ. - Messieurs, j'exposerai en très peu de mots, le principal motif de mon opposition absolue à la proposition de l'honorable M. Van Humbeeck.

Il a été démontré dans cette enceinte, même par le gouvernement, que le nombre des miliciens besogneux qui se font remplacer est très considérable. Si ma mémoire est bonne, le chiffre ministériel était de 70 p. c. environ. Or, messieurs, il saute aux yeux que la proposition de l'honorable membre ajoute un sacrifice nouveau à tous ceux que l'on arrache déjà aux contribuables laborieux, aux familles plus ou moins pauvres.

Beaucoup de familles se dépouillent complètement pour se libérer du service militaire, pour arriver à réunir la somme nécessaire à l'achat d'un homme. Dans le système de l'honorable membre, lorsque ces familles se seront dépouillées, elles auront encore d'autres dépenses à faire : elles auront encore à faire des dépenses d'argent et de temps.

Et que l'honorable membre veuille bien le remarquer, beaucoup de miliciens n'achètent un remplaçant que pour pouvoir travailler ; et c'est au moyen de leur travail présent et futur que ces miliciens parviennent à se libérer. Or, dans le système de l'honorable membre, après s'être dépouillés pour acheter un remplaçant, ils devront encore non seulement payer des uniformes avec leurs ap et dépendances, mais de plus travailler gratuitement pour l'Etat.

Il me paraît que cette proposition est inacceptable au point de vue de la justice distributive, déjà par trop cruellement froissée par le projet de loi.

MiPµ. - Je me rallie en grande partie à l'amendement de l'honorable M. Van Humbeeec. Je crois que cet amendement repose sur des considérations très sérieuses et très justes.

En m'y ralliant j'ai l'occasion de déposer dans la loi le germe de deux lois qui seront le complément de l'organisation militaire : la loi sur la (page 79) rémunération des miliciens et celle qui organise le premier ban de la garde civique.

Mais je pense, messieurs, qu'il y a lieu de tempérer quelque peu les termes trop absolus, selon moi, de l'amendement qui nous est proposé, et cela à deux points de vue différents.

D'abord cet amendement me paraît trop rigoureux en ce qu'il fait de l'accomplissement de la formalité de la déclaration préalable la condition sine qua non du remplacement.

Je crois avec l'honorable M. Van Humbeeck que cette déclaration préalable doit être exigée ; mais qu'il faut permettre cependant aux intéressés, moyennant certaines charges, de se faire remplacer encore après l'accomplissement de cette formalité.

J'estime, en second lieu, qu'il serait trop rigoureux d'exiger de tous ceux qui ont fait la déclaration avant le tirage, qu'ils fassent partie du premier ban de la garde civique. On a reconnu que 30,000 hommes suffiraient pou la composition de ce premier ban ; pour avoir 30,000 hommes âgés de 20 à 30 ans, en exemptant même ceux qui sont mariés, il n'est pas nécessaire de recourir à un recrutement annuel supérieur à 4,000 hommes.

Or, il est probable que la somme des déclarations qui se feront chaque année s'élèvera à environ 6,000 hommes ; il y en aura donc 2,000 qu'il ne sera pas nécessaire d'appeler à faire partie dit premier ban de la garde civique.

Mais il y a plus. Comme à côté de ceux qui auront fait la déclaration il y aura un certain nombre de miliciens qui se seront abstenus de remplir cette formalité, parce que, à raison d'une exemption quelconque, ils n'avaient aucune raison de recourir au remplacement ; il arrivera ainsi que le nombre de ceux qui seront aptes à faire partie du premier ban de la garde civique sera beaucoup plus considérable encore ; on pourra donc évidemment renoncer à appeler dans le premier ban un nombre très considérable des inscrits.

Comment faudrait-il rédiger l'amendement de l'honorable M. Van Humbeeck pour qu'il répondît à son but et qu'il satisfit, en même temps, aux objections que je viens de présenter ?

Il faudrait se borner, selon moi, à déclarer que la liste formée sur les déclarations des miliciens servira de base a l'organisation du premier ban de la garde civique. On aurait ainsi une base très certaine de formation du premier ban qui remplacerait en grande partie l'arbitraire absolu qui existe aujourd'hui.

J'ai dit qu'il convenait, selon moi, de permettre aux miliciens qui n'auraient point fait la déclaration préalable, de pouvoir se faire remplacer encore après le tirage ; mais cette faculté exceptionnelle ne pourrait être accordée que moyennant une permission de l'autorité militaire et moyennant le versement d'une somme supplémentaire.

Je dois signaler ici les dispositions fiscales qui existent dans la législation actuelle en matière de. remplacement ; la loi impose aujourd'hui deux impôts ; elle exige d'abord que tout individu qui se fait remplacer paye une taxe variant de 25 à 75 florins, selon la fortune des individus.

Elle exige, en outre, du remplacé qui veut s'assurer contre le défaut de service de son remplaçant, qu'il paye une somme de 150 francs. Ces impôts réunis produisent pour l'Etat une somme annuelle de 60,000 francs environ. Je crois que ce produit peut être conservé, parce que nous aurons à pourvoir prochainement aux fonds nécessaires à la caisse de rémunération.

En conservant la ressource dont je viens de parler, il convient de l'affecter à la rémunération du milicien. En inscrivant cela dans la loi, on consacrera par un texte législatif, ainsi que le demande l'honorable M. Rogier, le principe de la rémunération.

Mais cette imposition sur le remplacement repose sur la base la plus vicieuse ; il est manifestement injuste de grever celui qui subit la charge de la milice par un remplaçant, en laissant complètement libre de toute taxe celui qui tire un bon numéro.

Supposons deux individus de même fortune qui, avant le tirage, ont manifesté l'intention de se faire remplacer ; l'un tire un bon numéro ; l'autre en tire un mauvais ; leur situation est certes bien différente ; le premier a à payer un millier de francs à son remplaçant, l'autre n'a rien à débourser ; d'après la législation actuelle, quel est celui des deux qui est frappé d'un impôt ? Est-ce celui qui a tiré un bon numéro ? Ce serait évidemment logique, et cependant, celui qui est imposé, c'est l'autre, c'est-à-dire celui qui a tiré un mauvais numéro et qui doit déjà supporter la charge de se faire remplacer. Il y a là un abus manifeste.

D'après mon système, le tirage fait, on restituerait à celui qui a été désigné par le tirage la taxe qu'il aurait payée préalablement. Que cet individu serve lui-même ou qu'il se fasse remplacer, peu importe ; dans l'un et (page 79) l'autre cas, il aura dû supporter, pour une large part, le fardeau de la milice. On retiendrait donc seulement la taxe payée avant le tirage à celui que son numéro n'aurait pas appelé au service.

De là ce double résultat que l'on ne prendra à celui qui était disposé à se faire remplacer qu'une faible partie de la somme qu'il destinait à son exonération et que l'on n'augmentera pas les obligations de celui qui a déjà une charge considérable à supporter.

Evidemment il n'y aura pas d'impôt qui sera subi avec plus de satisfaction que celui-là ; il ne sera payé que par ceux qui se féliciteront de n'en pas être exemples par un mauvais numéro. Le système actuel aggrave l'inégalité du sort, celui que j'indique la diminue.

Messieurs, ce système établi, il faudra voir ce qu'il y a à statuer pour ceux qui n'auront pas fait de déclaration préalable et qui cependant, par suite de circonstances particulières, désirent se faire remplacer. Pour ceux-là, messieurs, il me semble qu'il faut exiger une taxe suffisante pour éviter qu'ils ne cherchent à se soustraire à la déclaration antérieure au tirage.

On peut calculer que la chance défavorable aux miliciens est à peu près en Belgique de 2 sur 5.

C'est environ la moyenne pour le pays tout entier. Il faut évidemment exiger, dans le cas spécial que j'ai indiqué, le payement d'une somme plus élevée que deux fois et demie le montant de la taxe ordinaire, car sans cela on aurait intérêt à ne pas se faire inscrire. Je proposerai donc que ceux qui ne se seront pas fait inscrire avant le tirage ne soient autorisés à se faire remplacer que moyennant une taxe triple de celle qui doit être acquittée avant le tirage.

Ce système établi, nous aurons réalisé les avantages demandés.

D'abord nous aurons proclamé dans notre législation que personne ne peut se soustraire aux dangers que peut présenter la défense de la patrie.

C'est le but principal de l'amendement de M. Van Humbeeck ; je le réalise par mon sous-amendement.

Nous aurons ensuite formé la liste d'une très grande partie de ceux qui peuvent être appelés à faire partie du premier ban de la garde civique.

Enfin, messieurs, nous aurons, tout en conservant les ressources qui existent aujourd'hui, posé le principe de la rémunération des miliciens, principe qui sera consacré et réglé par un autre projet de loi.

Telles sont les idées que j'ai cherché à réaliser dans la disposition suivante, que je propose à la Chambre d'adopter comme sous-amendement à la proposition de M. Van Humbeeck.

Cet amendement est ainsi conçu :

« Celui qui veut se faire remplacer doit, avant le tirage, et dans les formes à déterminer par un règlement d'administration publique, déclarer son intention de se faire remplacer et payer la taxe fixée par la loi sur la rémunération des miliciens. Cette taxe est restituée à ceux qui sont désignés pour le service.

« A défaut de déclaration avant le tirage, le milicien ne peut être autorisé à se faire remplacer que par le Roi, pour des motifs exceptionnels, moyennant payement d'une taxe triple.

« La liste des miliciens qui se font inscrire pour le remplacement sert de base à la formation du premier ban de la garde civique, »

M. Teschµ. - Messieurs, je fais remarquer à la Chambre que cet amendement touche à des questions extrêmement graves. Je ne sais pas s'il entre dans les intentions de la Chambre de le renvoyer à la section centrale ? (Oui ! oui !) S'il doit être renvoyé à la section centrale, je réserve jusque-là les observations que j'ai à présenter.

Il est très difficile de comprendre à une simple lecture toute la portée du système qui est présenté. Quand j'ai demandé la parole, je voulais simplement présenter cette observation : c'est qu'une partie de l'amendement de l'honorable M. Van Humbeeck et une partie de l'amendement de l'honorable M. Pirmez préjugent l'organisation de la réserve ou du premier ban de la garde civique. Eh bien, je ne sais pas s'il est utile, s'il est rationnel de préjuger aujourd'hui cette organisation. Il me semblerait beaucoup plus raisonnable d'attendre que ce projet nous fût présenté, et si alors nous croyons nécessaire d'introduire dans la législation les dispositions qu'on vous propose maintenant, elles y seraient introduites ; mais les préjuger aujourd'hui, les décider incidemment, décréter que celui qui se fera remplacer devra servir dans l'armée de réserve ou dans le premier ban de la garde civique avant que ces institutions soient organisées par la loi, ne me paraît ni prudent, ni sage, ni très législatif si je puis dire ainsi,

Voilà l'observation que j'avais à faire. Pour mon compte, je voterai aujourd'hui contre l'amendement, sans avoir cependant d'idées préconçues sur la manière dont il faut organiser le premier ban de la garde civique (page 80) ou la réserve. Mais je n'admets pas que ces questions puissent être décidées incidemment et avant que nous sachions si les Chambres admettront une armée de réserve ou une nouvelle organisation de la garde civique.

M. Coomansµ. - J'avais aussi tout à l'heure à présenter un amendement, mais je me suis souvenu que le règlement défend d'en présenter lorsqu'une discussion est close.

MpDµ. - Permettez une remarque, M. Coomans. La discussion sur l'article 53 n'a pas été close. La Chambre a décidé, dans une séance antérieure, qu'elle discuterait d'abord les systèmes de M. Kervyn et de M. Thibaut, et qu'elle reviendrait ensuite a l'article 53 amendé par l'honorable M. Van Humbeeck.

M. Coomansµ. - Sur quoi la discussion a-t-elle été close ?

MpDµ. - Sur les propositions de M. Kervyn et de M. Thibaut. Nous reprenons maintenant l'article 53 et les amendements qu'on peut y proposer.

M. Coomansµ. - Je veux donc admettre que l'amendement du ministère a été présenté en temps utile, mais il est étrange que des amendements de cette importance soient improvisés, du moins improvisés pour nous.

A première vue, c'est une aggravation considérable du système proposé par le gouvernement. L'aggravation est énorme, surtout pour les pauvres. Ils devront, s'ils n'ont pas eu avant le tirage une certaine somme qui est relativement forte et s'ils la trouvent après le tirage, payer un impôt triple. Cela, messieurs, me paraît intolérable. C'est une aggravation continuelle du système. Voilà vingt ans et davantage que l'on demande et que l'on promet la réforme des lois de milice, en annonçant toujours des diminutions de charges, et, d'articles en articles, nous arrivons à des aggravations de charges.

Je me borne à ces quelques observations et j'appuie celles de l'honorable M. Tesch, qui tendent, je crois, à renvoyer l'amendement à la section centrale.

MiPµ. - Je ne fais pas la moindre objection à ce que l'amendement soit renvoyé à la section centrale. Je reconnais qu'il contient des dispositions extrêmement importantes.

Je ferai remarquer à l'honorable M. Coomans que la proposition que je viens de soumettre à la Chambre n'est qu'un sous-amendement à la proposition de M. Van Humbeeck, et n'est même qu'une atténuation des dispositions de cet amendement. Aussi si je ne connaissais la manière de discuter de l'honorable membre, je serais extrêmement étonné de l'entendre présenter ce sous-amendement comme une aggravation des charges de la milice. La Chambre voudra bien se rappeler que la thèse soutenue par l'honorable M. Coomans, dans toute la discussion, consiste à faire ressortir l'immense différence qu'il y a, selon lui, entre la position du milicien qui doit servir, qui est exposé aux dangers de la guerre, et celle du milicien qui, par l'effet du sort ou par le privilège de la fortune, est dispensé du service militaire.

Voilà le thème que l'honorable M. Coomans n'a jamais cessé de faire entendre à la Chambre.

Or, aujourd'hui l'honorable M. Van Humbeeck dépose un amendement auquel je me rallie en partie, amendement qui a pour effet de prouver que tous les citoyens appartenant aux classes supérieures peuvent être appelés à la défense du pays, et l'honorable M. Coomans s'élève contre ce que tous ses antécédents devaient lui faire approuver.

D'une autre part, l'honorable membre prétend que celui qui veut se faire remplacer ne pourra pas verser provisoirement dans la caisse du trésor la taxe dont j'ai parlé.

Je suppose que le montant de cette taxe soit de 50 francs, peut-on soutenir sérieusement que celui qui a de l'argent pour se faire remplacer, et qui devra dépenser de ce chef au moins un millier de francs, ne pourra pas verser provisoirement cette somme modique de 50 francs, alors qu'il doit aujourd'hui payer la même somme à titre de supplément ? Il paye aujourd'hui cette somme au-dessus du remplacement, et il ne pourrait la déposer à compte sur le remplacement.

M. Coomansµ. - Messieurs, vous venez d'entendre un nouveau sophisme. J'ai toujours soutenu que l'impôt-milice devait être proportionnel ; je continue à le soutenir. Je ne suis pas de ceux qui changent d'opinion tous les jours. Il n'y a rien de proportionnel dans la proposition de M. le ministre ; le pauvre comme le riche devra payer la taxe ; lorsque le pauvre aura tiré un bon numéro, vous ne lui rembourserez pas les 50 fr. qu'il aura payés. Aujourd'hui le pauvre qui tire un bon numéro ne paye rien, et dans votre système il payera.

MiPµ. - Je ne sais pas ce qui autorise M. Coomans à dire que je veux faire payer la même taxe au pauvre et au riche ; la taxe peut parfaitement être proportionnelle à la fortune ; rien n'est préjugé sur le système de taxe à établir.

L'honorable M. Coomans prétend encore que nous voulons exiger des pauvres une somme qui ne leur est pas imposée aujourd'hui. Je lui répondrai sur ce point que, d'après la législation actuelle, celui qui se fait remplacer doit payer une taxe de 50 à 150 francs.

M. Coomansµ. - Pas quand il tire un bon numéro.

MiPµ. - Non, quand il en tire un mauvais, et c'est de l'iniquité. Ce que je propose, c'est d'exempter de la taxe celui qui tire un mauvais numéro pour faire payer celui qui en tire un bon.

- Un membre. - Et s'il est pauvre ?

MiPµ. - Si la taxe est proportionnelle à la fortune, elle sera moins élevée pour celui qui a peu de chose que pour celui qui a beaucoup. Je propose, je le répète, d'exonérer celui qui tire un mauvais numéro et d'imposer la taxe à celui qui en tire un bon.

Je défie de contester qu'il y ait là une notable amélioration.

MpDµ. - La Chambre entend-elle renvoyer à la section centrale les amendements de M. Van Humbeeck et de M. le ministre de l'intérieur ?

- Le renvoi à la section centrale est ordonné.

MpDµ. - La section centrale voudra bien s'occuper d'urgence de l'examen de ces amendements.

La Chambre est-elle d'avis de continuer en ce moment l'examen du titre du Remplacement ?

MiPµ. - Que l'amendement de l'honorable M. Van Humbeeek et le mien soient adoptés ou non, rien n'empêche de continuer l'examen du titre du Remplacement.

Article 54

MpDµ. - Nous passons donc à l'article 54.

« Art. 54. Pour être admis comme remplaçant, il faut :

« 1° Appartenir à la classe courante ou à une classe antérieure, et ne pas avoir trente ans révolus au 31 décembre de l'année précédente ;

« 2° Produire, si l'on est mineur, le consentement prescrit par l'article 99 ;

« 3° Etre affranchi de tout service ;

« 4° Avoir la taille exigée pour les miliciens, et être reconnu apte au service ;

« 5° Produire un certificat de l'administration des communes que l'intéressé aurait habitées depuis le 1er janvier de l'année précédente, constatant :

« a. Qu'il est de bonnes vie et mœurs ;

« b. Qu'il est célibataire ou veuf sans enfant ;

« c. Que, postérieurement au 1er janvier de l'année précédente, il n'a pas eu de résidence établie à l'étranger ;

« d. Qu'il n'a été condamné, ni en Belgique, ni à l'étranger, à un emprisonnement de deux ans au moins, ou à une peine moindre du chef de vol, escroquerie, abus de confiance ou attentat aux mœurs.

« L'intéressé, s'il a fait partie de l'armée, doit produire, en outre, un certificat de bonne conduite signé par le chef du corps auquel il a appartenu, ainsi qu'une attestation portant qu'il peut être admis à reprendre du service. »

M. Lelièvreµ. - Je pense qu'il importe de mettre l'article 54 littera d en harmonie avec l'article 58, en ce qui concerne l’énumération des faits dont les articles s'occupent.

Ainsi, messieurs, j'estime qu'il faut énoncer notre disposition en ces termes : à un emprisonnement de deux ans au moins ou à toute autre peine pour crime, vol, escroquerie, abus de confiance, soustraction commise comme dépositaire public ou pour attentat aux mœurs. Sans cela, il y aurait entre les deux dispositions une anomalie fâcheuse.

Je propose donc la rectification que je viens d'indiquer.

MiPµ. - L'observation de l'honorable M. Lelièvre est exacte. Seulement, je crois que la rédaction de l'article 58 vaut mieux que celle de l'article 54.

Je proposerai à l'article 58 un amendement pour mettre cette disposition en harmonie avec les précédents.

M. Lelièvreµ. - Les explications de M. le ministre me satisfont. J'attendrai donc la rédaction qu'il proposera lors de la discussion de l'article 58.

M. Coomansµ. - Vous allez rendre le remplacement si difficile que vous en augmenterez considérablement le prix, surtout depuis que le contingent annuel est augmenté d'un cinquième.

Il eût été sage, selon moi, de rendre le remplacement plus facile qu'il ne l'est aujourd'hui, parce que, d'une part, l'Etat exige 12,000 miliciens au (page 81) lieu de 10,000, et parce que, d'autre part, l'impôt-milice pèse cruellement sur une grande partie de nos concitoyens.

Il faudrait donc, ce me semble, écarter toutes les conditions d'admission qui ne sont pas absolument nécessaires et je demande des explications ultérieures sur le littera b du paragraphe 5.

Le gouvernement exige, d'accord avec la section centrale, que le remplaçant soit célibataire ou veuf sans enfants.

Je n'en vois pas la nécessité. On dit que c'est dans l'intérêt de la famille, de la femme surtout, que le remplaçant marié n'est pas admis. Je dis, moi, que dans beaucoup de cas c'est dans l'intérêt de la femme et même parfois de l'enfant que le remplaçant part.

Je pourrais développer et justifier cette affirmation, je me bornerai à vous faire remarquer que beaucoup de maris dans la classe inférieure et surtout dans celle qui est disposée à se vendre pour le service militaire, ne vivent pas toujours en bonne harmonie avec leur femme, et que dans bien des cas c'est un service à rendre à la femme que de la séparer de son mari. (Interruption.)

Mais, messieurs les tribunaux font cela à chaque instant dans des circonstances graves. Pourquoi refuserions-nous à un mari brouillé avec sa femme de partir, pourquoi lui refuserions-nous un moyen de salut qui s'offre à lui ? Il peut recevoir quelques centaines de francs et combler une lacune fâcheuse dans le ménage.

A ce point de vue, et morale à part, pourquoi ne pas le laisser jouir de sa liberté naturelle, pourquoi ne pas l'admettre dans l'armée ?

Quant à l'état de mariage, le gouvernement n'y voit pas d'inconvénients au point de vue militaire. Beaucoup d'officiers sont mariés, beaucoup de soldats le sont également.

Je le répète, vous diminuez le stock remplaçant en aggravant vos exigences ; vous l'augmentez au contraire en les diminuant. J'appelle là dessus votre attention.

Si je me plaçais exclusivement à mon point de vue, savez-vous ce que je voudrais ?

J'adhérerais à toutes les aggravations de charges que vous inventez et consacrez et je rendrais votre loi de milice tellement odieuse, qu'elle n'aurait pas un grand nombre d'années d'existence.

Mais c'est réellement dans l'intérêt des classes laborieuses que je prends si souvent la parole. Ici c'est dans l'intérêt de la femme mariée et parfois de l'enfant que je voudrais que le remplacement fût permis à l'homme marié ; je ne demande pas que cela soit admis dans tous les cas ; mais je demande que le principe de ce remplacement par le marié soit inscrit dans la loi.

Vous exigez autre chose encore, à savoir que le remplaçant n'ait pas résidé à l'étranger postérieurement au 1er janvier de l'année précédente. A quoi bon ? Pourquoi cette exigence ? Que craignez-vous d'un homme qui aura passé quelques mois, quelques semaines peut-être dans un pays étranger ? Il y aura résidé pour travailler le plus honnêtement du monde, mais il n'y aura pas réussi ; et comme dernière ressource il voudrait se faire remplaçant. Non, vade retro ! lui dit la loi ; vous avez causé avec des Prussiens, avec des Français, avec des Hollandais ; nous n'avons plus confiance en vous ! Je vous le demande, messieurs, cette exigence est-elle raisonnable, est-elle admissible ?

MgRµ. - Je n'ai qu'un mot à répondre au sujet des remplaçants mariés. Si l'honorable M. Coomans était pendant huit à dix jours au département de la guerre, il serait surpris du nombre considérable de pétitions qui y arrivent de femmes de remplaçants qui sollicitent la libération de leur mari. Et que sont pour la plupart du temps ces remplaçants mariés ? Des ouvriers paresseux qui, au lieu de travailler pour leur famille, préfèrent se faire remplaçants et dissipent dans la débauche le prix du marché qu'ils ont contracté. Les remplaçants mariés, messieurs, sont une véritable lèpre pour l'armée.

L'honorable membre veut, dit-il, améliorer le remplacement et, par une singulière contradiction, il ne prétend pas adopter un des moyens les plus efficaces que nous puissions proposer.

En ce qui concerne le paragraphe relatif à la résidence à l'étranger, il est parfaitement justifié. On exige un certificat de bonne conduite, et comment le bourgmestre qui doit le délivrer pourrait-il justifier des bonnes mœurs du remplaçant ? Si cet homme n'a pas séjourné une année sous ses yeux, qui justifiera des méfaits qu'il a pu commettre pendant qu'il était éloigné du pays ?

Le certificat exigé n'aurait aucune valeur, sauf la précaution que la nouvelle loi prescrit.

M. Bouvierµ. - Je voulais présenter les observations que vient de formuler M. le ministre de la guerre. Mais il a oublié un argument important, c'est que, la plupart du temps, les hommes mariés qui se font remplaçants abandonnent leur femme et leurs enfants pour se procurer, sans le travail, de l'argent qu'ils dépensent le plus souvent en orgies et sans la moindre préoccupation de leur famille. Et quel est le résultat le plus immédiat ? C'est que les communes se trouvent dans l'obligation de fournir aux besoins de cette famille abandonnée.

M. Muller, rapporteurµ. - La section centrale, en maintenant l'institution du remplacement, ne s'est pas dissimulé qu'il y avait lieu d'y introduire des amendements, des améliorations destinées à en corriger les abus. L'un des griefs les plus sérieux que le département de la guerre ait fait valoir contre le remplacement et la substitution au point de vue de la bonne composition de l'armée, était dirigé contre les remplaçants mariés ; c'est un des points qui suscitaient les plaintes les plus vives des officiers supérieurs. Ils demandaient leur exclusion, et la section centrale a été unanime à reconnaître la légitimité de cette réclamation.

Quant à la rigueur qu'on reproche à cette disposition, quelques explications ne seront pas inutiles : très peu d'hommes mariés se font remplaçants pour consacrer le produit de la rémunération qu'ils touchent à la subsistance de leur famille.

Dans la loi de 1817, il est une disposition qui n'a jamais été sérieusement exécutée, parce qu'elle ne pouvait pas l'être en réalité, et qui est en quelque sorte restée à l'état de lettre morte.

L'article 9 porte dans l'un de ses paragraphes : « Les hommes mariés ne pourront être admis comme remplaçants que lorsqu'ils auront prouvé au conseil de milice que, pendant tout le temps qu'ils seront en activité de service, il a été pourvu aux besoins de leur famille de manière qu'elle ne sera pas à la charge de quelque institution de bienfaisance, et à la condition que leurs femmes et enfants ne soient jamais présents au corps que dans la commune qu'ils habitent au moment qu'ils s'engagent comme remplaçants ou dans les garnisons permanentes. »

Or, messieurs, la preuve qu'il sera pourvu, pendant tout le temps de l'engagement militaire, à la subsistance de la femme et des enfants n'aurait jamais pu être sérieusement fournie, et la défense pour la famille de suivre le mari au corps était dépourvue de sanction.

Si l'on avait exécuté cet article littéralement, on n'aurait jamais accepté un remplaçant marié. C'est ce qui a été déjà expliqué dans le rapport de la section centrale.

Maintenant les statistiques dressées par le département de la guerre établissent que les remplaçants qui sont mariés sont en général de mauvais soldats, soit qu'ils attirent vers eux leurs femmes et leurs enfants, soit qu'en étant éloignés la préoccupation de leur famille les domine trop exclusivement, soit enfin qu'ils laissent à l'abandon cette famille, ils sont réputés être malheureusement un élément de désordre et de mauvais exemple permanent dans l'armée ; il semble, en un mot, démontré qu'ils supportent beaucoup moins la discipline que les soldats célibataires.

Les écarter à titre de service militaire pour compte d'autrui, telle a été l'une des conditions essentielles moyennant lesquelles le département de la guerre a accepté les propositions de la section centrale ; que celui qui est désigné par le sort comme milicien, et qui, sauf des exceptions on ne peut plus rares, ne puisse être remplacé par un homme marié, qui a beaucoup moins de valeur au point de vue du bien-être de l'armée, cela nous a paru, au surplus, légitime.

En fait, il y a, je pense, bien peu de remplaçants mariés se présentant dans les conditions intéressantes dont s'est préoccupé l'honorable M. Coomans.

En général, un père qui comprend et veut remplir ses devoirs envers sa famille ne songera pas à devenir remplaçant. Il préférera se procurer, lui valide, des ressources plus considérables au moyen du travail de ses bras.

Messieurs, j'ai une autre explication à donner à l'honorable M. Coomans. C'est relativement à la durée de la période de temps pendant lequel le remplaçant doit avoir resté en Belgique.

Sous l'empire de la loi de 1817, le remplaçant devait avoir été domicilié pendant les quinze derniers mois dans l'une des communes de la province où il voulait remplacer. Disposition analogue dans la loi du 28 mars 1835, sauf une exception partielle pour les militaires porteurs d'un congé définitif régulier ou d'un congé illimité. En substituant, comme pour l'inscription à la milice, la résidence au domicile, le gouvernement et la section centrale n'ont voulu exclure du remplacement que cette catégorie d'individus qui n'ont pas d'habitation sérieuse et certaine dans le pays, qui y sont aujourd'hui, et qui demain passent la frontière. Le département de la guerre signale ces remplaçants comme abusant de la bonne foi des familles, en désertant après avoir soutiré leur argent. A ses yeux ce sont des hommes inacceptables, et nous nous sommes rangés à son avis, en abrégeant toutefois le terme de quinze mois que fixent (page 82) les lois de 1817 et de 1853 ; et en ayant soin de dire que l'exclusion ne frappe que la résidence établie a l'étranger, ce qui ne peut être confondu avec une absence ou un séjour momentané. Qu'y a-t-il donc là d'exorbitant ?

M. Maghermanµ. - Je suis aussi d'avis que pour admettre un individu à servir comme remplaçant, il doit présenter des garanties sérieuses de moralité ; en un mot, qu'on puisse présumer qu'il sera un bon remplaçant. Mais puisque celui qui sera admis comme remplaçant doit présenter un certificat de moralité fourni par son administration communale, pourquoi exclure un individu qui offre toutes les garanties de moralité, qui présente le certificat délivré par son bourgmestre, par cela seul qu'il aura résidé à l'étranger ?

Qu'on exclue les individus ayant résidé à l'étranger qui ne présentent pas le certificat de moralité, je le conçois, c'est alors l'absence de certificat qui est le motif du refus ; mais qu'on exclue un individu d'une parfaite moralité par le seul motif qu'il a résidé à l'étranger, cela me paraît exorbitant.

Je propose la suppression du littera c.

MiPµ. - Messieurs, une des causes qui occasionnent le plus de désertion parmi les remplaçants, c'est qu'il est des jeunes gens qui résident à l'étranger et qui viennent se faire remplaçants dans le pays. Ils viennent toucher la prime de remplacement, puis ils partent sans entrer au service. Voilà la situation.

Il est incontestable que si l'on veut que le gouvernement garantisse les exonérés contre la désertion des remplaçants, il faut donner au gouvernement la faculté, qui n'existe pas aujourd'hui, de n'admettre comme remplaçants que des gens qu'on peut considérer comme décidés à continuer le service qu'ils entreprennent

Je crois donc qu'il faut maintenir dans la loi la disposition dont a parlé l'honorable M. Magherman.

M. Coomansµ. - Les réponses qu'on a bien voulu me faire ne me satisfont pas, parce que, en réalité, ce ne sont pas des réponses aux objections que j'ai présentées.

Je me suis surtout préoccupé de l'intérêt de la femme, et que réplique l'honorable ministre de la guerre ? « Mais nous sommes assiégés de femmes qui viennent protester contre le départ de leurs maris. »

Ce n'est point de celles-là que j'ai principalement parlé ! J'ai même ajouté que je voudrais laisser au gouvernement la faculté de ne pas admettre de pareils remplaçants. J'ai parlé de l'hypothèse où la femme est intéressée au départ de son mari et y consent.

Dans ce cas, les réclamations dont vous avez parlé ne se produiraient certes pas.

Quant à la résidence à l'étranger, l'honorable ministre n'a pas lu, je crois, la phrase du projet de loi que j'ai relevée.

L'honorable M. Muller l'a mieux expliquée, mais il n'a pas répondu complètement à mon objection.

D'après l'honorable ministre, dès que le Belge, candidat remplaçant, aura passé une année à l'étranger, il ne sera plus admis au remplacement. Telle n'est pas la portée de notre projet de loi. Il suffit qu'il ait résidé huit jours à l'étranger depuis vingt-trois mois pour qu'il ne soit pas admis comme remplaçant.

MiPµ. - Mais non.

M. Coomansµ. - Je vais vous le démontrer et vous êtes trop légiste pour ne pas me donner raison.

Je suppose qu'un individu se présente en décembre 1869 pour remplacer.

Il y aura eu vingt-trois mois d'écoulés depuis le 1er janvier de l'année précédente.

Eh bien, je suppose en outre qu'il ait résidé huit jours à l'étranger pendant ces vingt-trois mois ; il n'est plus admissible dès lors de par votre projet de loi.

Ah ! si vous fixiez un terme, je le concevrais. Mais si vous faites des lois, c'est apparemment pour les exécuter, à moins que vous ne vouliez pas exécuter celle-ci ; je ne m'y opposerais pas.

Mais vous voyez combien vous êtes rigoureux. Il suffira d'une réclame quelconque à l’étranger...

M. Muller, rapporteurµ. - Pas du tout.

M. Coomansµ. - Je relis et vous allez voir que l'article est singulièrement rédigé.

« Pour être admis comme remplaçant, il faut :

« que, postérieurement au 1er janvier de l'année précédente, il1 n'ait pas eu de résidence établie à l'étranger. »

Il faut dire ; « n'avoir pas eu de résidence. »

MiPµ. - Mais non, vous ne lisez pas 1'ariiele comme il faut.

M. Coomansµ. - Avons-nous deux textes ?

MiPµ. -Non.

M. Coomansµ. - Eh bien, pour être admis comme remplaçant, il faut que, postérieurement au 1er janvier de l'année précédente, il n'y ait pas eu de résidence établie à l'étranger.

MiPµ. - Lisez le 5°.

M. Coomansµ. - Il faut que la fin de la phrase soit en rapport avec le commencement.

MiPµ. - Pas du tout.

M. Coomansµ. - Vous avez raison ! Du reste, c'est un détail.

Je maintiens celle observation-ci, que d'après ce texte de votre loi, il n'est pas possible d'accepter un remplaçant qui peut être un parfait honnête homme, muni de bons certificats, s'il a résidé pendant quelque temps à l'étranger. Démontrez-moi le contraire ; vous m'édifierez.

MiPµ. - Je ne réponds pas au reproche grammatical de l'honorable M. Coomans, car il ne parvient à trouver une incorrection qu'en supprimant la moitié de la phrase.

Mais quant au fond, l'honorable membre ne veut pas se rendre compte de ce qu'il faut entendre par « une résidence établie à l'étranger. » Il est évident que celui qui ira pendant quelques jours en voyage à Paris, n'y aura pas une résidence établie. Tout le monde sait ce que c'est d'établir sa résidence à l'étranger : c'est y établir une demeure. Voilà ce qui constitue la résidence.

Comprenez donc ces mots dans le sens qu'on leur donne dans toutes les lois et spécialement dans la loi qui nous occupe. Mais lorsqu'on détermine, par exemple, le lieu de la résidence du milicien au moment où il se fait inscrire pour la milice, il est évident qu'il ne s'agit pas du lieu où il a pu se trouver par hasard pendant quelques jours ; mais si l'on se trouve en face d'un milicien qui, pendant l'année précédente, a eu sa résidence établie à l'étranger, vous devez craindre, s'il vient dans le pays pour remplacer, de le voir le quitter de nouveau, lorsqu'il devra entrer dans les rangs de l'armée. Il y a là un danger sérieux.

Il me semble qu'il suffit d'apprécier la portée des mots : « résidence établie » pour reconnaître que l'observation de l'honorable M. Coomans tombe.

M. Lelièvreµ. - Il est évident que le projet de loi n'a pas la portée que lui suppose l'honorable M. Coomans. Il s'agit d'une résidence établie à l'étranger ; or, ces expressions ne s'appliquent pas à quelques jours passés en pays étranger, elles supposent l’établissement d'une véritable résidence, ainsi le fait joint à l'intention, fait prolongé pendant certain laps de temps. Le mot « établie » a une signification toute spéciale qui indique clairement l'intention du législateur.

M. Muller, rapporteurµ. - L'honorable M. Coomans a critiqué l'expression : « résidence établie à l'étranger ». Ce mot « établie » a parfaitement sa signification, nous l'avons employé à dessein, et il me semble aussi correct de dire établir sa résidence qu'établir son domicile.

La preuve que les exemples qu'a cités l'honorable M. Coomans ne sont pas le moins du monde applicables à notre texte et que sa critique n'est pas fondée, je la puiserai dans mon rapport. Si l'honorable M. Coomans avait voulu lire la page 168, il y aurait trouvé l'explication suivante :

« Résidence établie à l'étranger, etc. On veut exclure ceux dont l'habitation ne doit être considérée que comme précaire et qui n'ont guère plus de pénates en deçà qu'au delà des frontières ; mais il ne faut pas ranger dans cette catégorie les ouvriers qui, conservant parmi nous leur domicile réel, vont périodiquement et à certaines saisons, tels que les briquetiers, travailler en dehors de notre territoire. »

Je proteste donc que la signification que l'honorable M. Coomans a voulu donner au littera c du n°5 de l'article 54 n'a pas été dans la pensée de la section centrale, et je suis sûr de ne pas être en désaccord sur ce point avec le gouvernement.

MgRµ. - Messieurs, ce que vient de dire l'honorable rapporteur est parfaitement exact. Il y a 80,000 ou 90,000 ouvriers belges établis dans le département du Nord. Que font certains agents de remplacement ? Ils s'adressent à ces ouvriers et leur disent : « Venez substituer en Belgique, vous aurez telle somme. » L'individu arrive, substitue, reçoit l'argent et retourne en France. Voilà ce qui se pratique. J'ai ici l'état des désertions qui se sont produites en trois années ; les remplaçants et les substituants y figurent au nombre de 2,554 et dans ce chiffre il y a les trois quarts de substituants. Il faut absolument prendre des mesures pour faire cesser une situation aussi déplorable.

- La discussion est close.

(page 84) « Art. 54. Pour être admis comme remplaçant, il faut :

« 1° Appartenir à la classe courante ou a une classe antérieure et ne pas avoir trente ans révolus au 31 décembre de l'année précédente ; »

- Adopté.

« 2° Produire, si l'on est mineur, le consentement prescrit par l'article 99 ; »

- Adopté.

« 3° Etre affranchi de tout service ; »

- Adopté.

« 4° Avoir la taille exigée pour les miliciens et être reconnu apte au service ; »

- Adopté.

« 5° Produire un certificat de l'administration des communes que l'intéressé aurait habitées depuis le 1er janvier de l'année précédente, constatant :

« a. Qu'il est de bonnes vie et mœurs ;

« b. Qu'il est célibataire ou veuf sans enfant ;

« c. Que, postérieurement au 1er janvier de l'année précédente, il n'a pas eu de résidence établie à l'étranger ;

« d. Qu'il n'a été condamné, ni en Belgique, ni à l'étranger, à un emprisonnement de deux ans au moins ou à une peine moindre du chef de vol, escroquerie, abus de confiance ou attentat aux mœurs ; »

- Adopté.

« L'intéressé, s'il a fait partie de l'armée, doit produire, en outre, un certificat de bonne conduite signé par le chef du corps auquel il a appartenu, ainsi qu'une attestation portant qu'il peut être admis à reprendre du service. »

- Adopté.

Article 55

« Art. 55. Par exception au numéro 1° de l'article précédent :

« 1° Un frère a la faculté de servir pour son frère non encore incorporé, dès qu'il a atteint sa dix-neuvième année ; en cas d'admission, il sera, lors du tirage au sort auquel son âge l'appellera à concourir, remplacé sur la liste des inscrits, où il doit être porté, par le frère qu'il a remplacé ;

« 2° Les hommes qui ont fait partie de l'armée peuvent se présenter comme remplaçants, lorsqu'ils n'ont pas trente-six ans révolus au 31 décembre précédent. »

- Adopté.

Article 56

« Art. 56. Le certificat communal doit être présenté au visa du commissaire de l'arrondissement dans lequel la commune est située. L'administration communale ne peut délivrer, dans le cours de la même année, plus d'un certificat à un même individu, à moins qu'il ne s'agisse d'en renouveler un dont la date serait périmée, auquel cas mention expresse serait faite de cette circonstance.

« Le commissaire d'arrondissement ne vise le nouveau certificat qu'après s'être fait remettre l'ancien pour le détruire, et s'être assuré qu'il n'en a pas été fait usage.

« Il tient note dans un registre spécial de tous les certificats qu'il vise, en mentionnant la date de leur délivrance, les noms des communes dont ils émanent et des individus qu'ils concernent. »

M. Lelièvreµ. - La disposition qui ne permet pas à l'administration communale de délivrer plus d'un certificat à un même individu, peut donner lieu à de sérieux inconvénients. Elle met les remplaçants à la merci des agents de remplacement. On sait que très souvent ces derniers se font remettre les pièces et certificats des remplaçants et, sous prétexte d'avances, refusent de leur restituer les pièces et certificats. Les remplaçants seront forcés d'accéder aux exigences injustes qui seront formulées contre eux, si on ne leur permet pas de se procurer un nouveau certificat.

MiPµ. - Messieurs, l'honorable M. Lelièvre a déjà fait l'observation qu'il vient de présenter à la Chambre.

De commun accord avec l'honorable rapporteur de la section centrale, nous avons examiné les moyens d'y faire droit et nous pensons qu'on peut obvier aux inconvénients qu'il signale, en ajoutant à l'article un alinéa ainsi conçu :

« Le commissaire d'arrondissement peut, par des motifs exceptionnels, autoriser la délivrance d'un duplicata de certificat. »

Dans le cals où le certificat serait retenu par le négociateur de remplacement, pour tirer du remplaçant quelque condition exorbitante, le commissaire d'arrondissement pourra porter remède à la situation.

M. Lelièvreµ. - L'amendement de M. le ministre de l'intérieur remplit le but que je m'étais proposé par mon observation.

- L'article 56 est mis aux voix avec l'amendement proposé par M. le ministre de l'intérieur. Il est adopté.

Article 57

« Art. 57. Tout certificat produit devant un conseil de milice est marqué d'un sceau et visé par le président, quelle que soit la décision prise ; il n'est plus dès lors admissible.

« Les certificats des administrations communales dont la date serait antérieure de deux mois a leur présentation, seront écartés. »

- Adopté.

Article 58

« Art. 58. Le remplaçant refusé par un conseil de milice ne peut plus se présenter en cette qualité dans le cours de la même année.

« Avant de procéder à l'examen des hommes, le président leur demande s'ils ne sont pas dans ce cas d'interdiction ; s'ils n'ont pas été exclus de l'armée pour indignité ; s'ils n'ont jamais, soit en Belgique, soit en pays étranger, été condamnés à un emprisonnement de deux ans au moins, ou à toute autre peine pour crime, vol, escroquerie, abus de confiance, soustraction commise comme dépositaires publics, ou pour attentat aux mœurs.

« Ils sont en même temps avertis qu'une réponse mensongère leur ferait encourir la peine de huit jours à trois mois d'emprisonnement.

« Leurs déclarations sont actées dans les décisions. »

MiPµ. - Je propose de rédiger la fin du deuxième paragraphe de la manière suivante :

« S'ils n'ont jamais, soit en Belgique, soit en pays étranger, été condamnés à un emprisonnement de deux ans au moins ou à toute autre peine, pour vol, escroquerie, abus de confiance ou pour attentat aux mœurs. »

La proposition a pour objet de mettre l'article 58 en harmonie avec l'article 54, comme l'a demandé tantôt l'honorable M. Lelièvre.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Il y a, selon moi, quelque chose d'exorbitant dans le second paragraphe de l'article 58, au moment où le gouvernement a l'intention d'améliorer l'élément du remplacement, d'exiger du remplaçant des qualités morales qu'il ne présente pas aujourd'hui.

Je me demande si l'on atteindra ce but, quand le président demandera à l'individu qui se présente comme remplaçant, s'il n'a jamais été condamné pour vol, escroquerie, abus de confiance ou autres délits semblables, et on le prévient en même temps qu'une réponse mensongère lui fait encourir une peine de huit jours à trois mois d'emprisonnement.

Il me paraît, messieurs, que forcer un individu à déclarer lui-même sa turpitude est contraire aux bonnes traditions et à tous les sains usages. On s'est entouré déjà de précautions suffisantes lorsqu'on a exigé les certificats des administrations communales prévus par l'article 54. S'adresser au remplaçant lui-même, c'est le convier au mensonge ou le mettre dans un état de suspicion qui n'est pas légitime ou qui, tout au moins, doit cesser de l'être.

MiPµ. - Je ne vois pas quelle influence délétère peut exercer cette question sur le moral du remplaçant. Mais lorsqu'on comparaît devant un tribunal, on vous demande, et lorsqu'on dépose, on peut vous demander si vous n'avez pas subi de condamnations. Je ne vois pas ce qu'il peut y avoir de blessant dans une question faite d'une manière générale. Ce n'est évidemment pas cette question qui peut démoraliser un remplaçant.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Lorsque, devant la justice, on demande à un individu s'il n'a pas subi de condamnations antérieures, c'est parce qu'il y est amené comme prévenu.

Vous assimilez donc le remplaçant au prévenu.

Il semble toutefois que par cela même, que vous maintenez le remplacement, vous devez supposer que dans la plupart des cas les remplaçants qui se présenteront seront d'honnêtes gens. A coup sûr, la question qu'ils auront à subir ne les réhabilitera pas.

M. Mullerµ. - La question ne s'adresse pas seulement aux prévenus, le président du tribunal peut également l'adresser aux témoins.

Dans le cas qui nous occupe, si le remplaçant est un honnête homme, il n'hésitera pas à répondre à la question qui lui sera faite : « Je n'ai jamais subi de condamnation. »

Et cela est important pour la famille du remplacé ; il ne faut pas que celle-ci puisse être frustrée par un mensonge, par une véritable escroquerie.

Les observations de M. Kervyn ont été produites également par l'honorable membre en section centrale ; il s'est trouvé seul de son avis, et les motifs qui ont décidé la majorité à ne pas les accueillir sont déduits tout au long dans le rapport.

M. Maghermanµ. - L'interrogatoire me parait au moins inutile, puisqu'on exige un certificat du bourgmestre, On ne peut pas supposer (page 84) que le bourgmestre donnera un certificat de bonne conduite aux individus qui ne le méritent pas.

M. Mullerµ. - Le bourgmestre peut constater la moralité du remplaçant dans certaines circonstances ; mais il arrive aussi souvent qu'il ignore les condamnations subies par lui dans d'autres communes. Voilà le motif pour lequel la déclaration que l'on exige est essentielle.

Il n'est d'ailleurs personne qui puisse s'offenser de la question dont on parle, du moment qu'elle doit être adressée à tous sans distinction ; et s'il s'agissait de moi, une mesure d'application générale ne me semblerait pas blesser ma susceptibilité personnelle.

M. Lelièvreµ. - Je ferai observer à l'honorable M. Magherman que le remplaçant qui cèle la cause d'indignité dont il est frappé, trompe sciemment le remplacé et viole ainsi, par une réticence frauduleuse, les obligations résultant du contrat de remplacement, qui est un contrat de bonne foi. Je comprends donc l'application d'une peine à un fait qui a certaine affinité avec l'escroquerie et qui constitue un dol caractérisé, pouvant causer à autrui un préjudice contre lequel le remplacé n'a pu souvent se prémunir.

- L'article 58, tel qu'il a été modifié, est mis aux voix et adopté.

Articles 60 et 61

« Art. 60. Tout remplacement doit faire l'objet d'un contrat reçu par un notaire, à l'exception du cas où un frère est remplacé par son frère et de celui où un milicien est remplacé directement par le département de la guerre.

« Les contre-lettres sont nulles de plein droit.

« Les honoraires du notaire pour la rédaction de l'acte, l'inscription au répertoire, la vacation à l'enregistrement, les conférences et attires préliminaires, et la délivrance, des trois expéditions destinées au remplacé, au remplaçant et au corps dans lequel il est incorporé, sont fixés à la somme de 15 fr., non compris les frais de timbre et d'enregistrement, dont le droit est fixé en principal à 1 fr. 20 c. »

M. Lelièvreµ. - Je présume que notre article déclare nul, même entre les parties, le contrat de remplacement qui ne serait pas conclu d'après la forme réglée par notre disposition. Il en est de même des contre-lettres. Ainsi, la nullité prononcée par notre article non seulement pourra être invoquée par les tiers et le gouvernement, mais même entre les parties, de manière que d'un contrat fait en contravention à notre article, il ne résultera aucune obligation quelconque. C'est ainsi qu'il me semble que l'article 60 en discussion doit être interprété.

M. le ministre de l'intérieur m'indiquant qu'il en est ainsi, je n'insiste pas.

M. Coomansµ. - J'ai à faire sur cet article une observation qui s'applique également au suivant.

Nous sommes d'accord sur un point, c'est qu'il faut moraliser autant que possible et faciliter le remplacement ; c'est-à-dire rendre le remplacement le moins désagréable possible à ceux qui l'entreprennent.

Or, messieurs, cet article et le suivant me paraissent attentatoires, dans beaucoup de cas, à la moralisation du remplacement.

Vous exigez que le remplacement soit toujours payé en argent, c'est-à-dire que tout remplaçant soit considéré comme ayant vendu sa peau pour une somme d'argent, hormis le cas, vous en avez senti la nécessité, où le frère remplace le frère.

Vous faites bien de ne pas exiger que le frère se fasse payer par son frère ; mais pourquoi ne pas aller plus loin ? Pourquoi ne pas permettre à un jeune homme de remplacer gratuitement un ami ?

Je n'en parle pas à la légère : voici, en effet, un cas qui va se présenter l'année prochaine. Un enfant abandonné a été recueilli par une brave famille ; cet enfant va atteindre l'âge de milice en même temps que le fils de son bienfaiteur ; et il a annoncé l'intention de remplacer celui-ci par reconnaissance, par amitié pour celui qui l'a recueilli et tout gratuitement. Eh bien, messieurs, il ne le pourra pas ; il ne pourra pas faire cet acte de dévouement ; il ne pourra pas, vis-à-vis de cette famille, vis-à-vis de son pays, vis-à-vis de ceux qui le connaissent, donner un libre cours à ses sentiments généreux et remplacer gratuitement à l'armée le fils de son bienfaiteur. Il faudra passer par-devant notaire un contrat avec stipulation d'une somme d'argent, je ne puis admettre ce cas-là.

Je veux bien que lorsqu'il y a un contrat financier, il y ait un acte notarié ; mais pourquoi un acte notarié, lorsqu'il n'y a pas de finances versées ?

MiPµ. - Messieurs, il n'y a dans la loi absolument aucune disposition qui empêche de remplacer gratuitement, ainsi que le demande l'honorable M. Coomans.

Si un contrat authentique est exigé, ce n'est pas seulement dans l'intérêt des parties, mais encore dans celui de l'armée. Il faut qu'il y ait un titre incontestable du droit de l'armée sur le remplaçant.

M. Coomans critique la disposition qui porte que le prix du remplacement est évalué en argent ; mais si on l'évalue en argent, c'est dans l'intérêt même du remplaçant ; on a voulu qu'on ne pût pas fixer le prix du remplacement en des choses qu'on ne peut pas évaluer ; on a voulu que, toujours dans l'intérêt du remplaçant, le prix ne fût stipulé qu'en ce qui est essentiellement exigible.

M. Coomansµ. - Les explications de M. le ministre de l'inférieur lèvent mes scrupules ; mais je voudrais qu'il allât un peu plus loin ; les frères n'ont pas besoin de donner de l'argent pour le service qu'ils se rendent, lorsque l'un consent à remplacer l'autre ; eh bien, mon exigence va jusque-là de permettre à un honnête garçon de ne pas recevoir d'argent pour rendre un service de ce genre à son semblable.

MiPµ. - Messieurs, je constate de nouveau que le texte de la loi n'empêche nullement les remplacements gratuits. Si l'on exige le versement d'une certaine somme, c'est une garantie nécessaire pour que le gouvernement puisse se charger de la responsabilité du remplaçant. Mais cette garantie peut être déposée sans qu'il y ait stipulation de prix.

- La discussion est close.

L'article 60 est adopté.


« Art. 61. Le prix du remplacement est évalué en argent.

« Dans les dix jours de l'incorporation définitive, il doit être versé sur ce prix, excepté dans le cas où un frère remplace son frère, 400 francs à la caisse du corps, si le remplaçant entre dans la partie active du contingent, et 100 francs s'il entre dans la réserve.

« Faute de remplir cette obligation, le remplacé est immédiatement appelé au service, et le remplaçant, libéré.

« Ces sommes sont incessibles et insaisissables ; elles produisent des intérêts à 4 p. c. l'an.

« Le remplaçant a droit à la remise de la moitié du montant du versement et des intérêts, lorsqu'il est envoyé en congé illimité, et à l'autre moitié, lorsqu'il reçoit son congé définitif, après déduction de la dette qu'il pourrait avoir contractée à la masse d'habillement et de réparations.

« En cas de décès du remplaçant, la remise se fait sans retard à ses héritiers.

« Le cautionnement est acquis à l'Etat :

« 1° Si le remplaçant s'est rendu impropre au service, soit par mutilation volontaire, soit par des infirmités qu'il a frauduleusement provoquées depuis son incorporation, ou dont son inconduite est la cause ;

« 2° Si, par suite d'une ou de plusieurs condamnations, il a à sa charge plus de soixante jours de désertion dans l'armée active, ou plus de quinze jours dans la réserve ;

« 3° S'il se fait exclure de l'armée du chef d'indignité. »

- Adopté.

Article 62

« Art. 62. Le remplaçant valablement et définitivement incorporé, et dont le versement prescrit par l'article précédent a été effectué, libère complètement le remplacé. »

M. Notelteirsµ. - L'article 62 est basé sur ce principe : que l'incorporation et le versement de 400 francs remplissent toutes les obligations du remplacé.

Il me paraît que l'accomplissement de ces obligations doit avoir pour la famille le résultat d'un service complet.

M. Coomansµ. - Pas d'après le projet actuel.

M. Notelteirsµ. - Il me paraît, cependant, que cela est nécessaire. Vous admettez le principe qu'un homme qui a mis un remplaçant ne peut plus être rappelé. Pourquoi, dès lors, son frère ne serait-il pas exempt ?

Il me semble donc qu'il convient d'ajouter à l'article 62 la disposition suivante : « et procure à la famille de celui-ci le bénéfice attaché à l'accomplissement des obligations de son appel au service. »

En effet, messieurs, il me paraît que l'esprit de la loi veut que le remplaçant fourni doit procurer à la famille le bénéfice d'un service complet.

Je soumets donc à l'appréciation de la Chambre l'amendement que j'ai indiqué tout à l'heure.

M. Muller, rapporteurµ. - Messieurs, le projet de loi qui nous est soumis ne donne pas, au point de vue des exemptions des frères et de la famille, plus de droit qu'il n'y en a actuellement d'après la législation qui nous régit.

Je. me demande pourquoi le service irrégulier du remplaçant que vous avez choisi pourrait exempter votre second fils alors que le service irrégulier du premier ne l'en exempterait pas.

Vous voulez, par conséquent, attacher au service du remplaçant d'un (page 85) fils un privilège qui n'est pas accordé au service personnel de ce même fils.

Ce serait un système tout nouveau, et trop onéreux à la masse des familles.

II y a eu depuis 1847 une modification à cet égard, mais à un seul point de vue.

C'est pour le remplaçant désigné et choisi par le département de la guerre, sous sa responsabilité, mais à prix élevé.

Evidemment on ne pouvait pas rendre les familles responsables des faits et gestes de ces remplaçants, qui, au surplus, étaient considérés comme des soldats d'élite.

Aux termes du projet de loi actuel, tout remplacement administratif fait par l'intermédiaire du département de la guerre garantira complètement la famille du remplacé, non seulement quant au remplacé lui-même, mais aussi quant aux droits qu'il pourra procurer a son frère.

C'est la faveur qu'on propose de continuer au remplacement administratif ; tel est, messieurs, le système de la loi.

MiPµ. - Je voulais développer à peu près les mêmes idées que l'honorable M. Muller ; j'ajouterai une observation à celles qu'il a faites.

L'honorable M. Notelteirs se figure qu'avec son amendement il va faire quelque chose qui allégera la charge de la milice ; il n'aperçoit qu'un seul côté de la question. Il voit la personne qui a fourni le remplaçant ; il trouve ainsi heureux que le remplaçant, même s'il déserte, exempte non seulement celui qu'il remplace, mais aussi le second fils.

Voilà le seul côté de la question qui frappe l'honorable M. Notelteirs. Dans une bonne intention, il veut étendre la faveur de l'exemption au second fils, bien que le remplaçant ait déserté.

Mais l'honorable membre oublie qu'en faisant cela, il va faire partir un milicien d'une autre famille.

M. Coomansµ. - Non pas. D'après la loi, vous ne pouvez plus appeler de milicien supplémentaire.

MiPµ. - Je ne comprends pas l'honorable M. Coomans. Lorsqu'il y a une exemption prononcée par le conseil de milice, ne prend-on pas un milicien de plus dans la liste ? Par conséquent, si le second fils est exempté, un autre milicien ne partira-t-il pas pour lui ?

M. Coomansµ. - L'année suivante !

MiPµ. - Les miliciens qui viennent l'année suivante méritent, me semble-t-il, exactement le même intérêt que ceux de l'année antérieure.

Ce que veut donc faire l'honorable M. Notelteirs, c'est faire partir un tiers pour celui qui a mis un remplaçant. Il veut que, grâce au contrat de remplacement, non seulement l'enfant pour lequel on avait mis le remplaçant qui a déserté, mais encore le frère de cet enfant, soient exemptés.

M. Notelteirsµ. - S'il avait servi lui-même, il aurait exempté son frère.

MiPµ. - Du tout ! Quelle est l'exemption accordée en faveur du frère ? Un frère est exempté, quand son frère est au service ou a accompli complètement son temps de service. Voilà les deux cas : présence actuelle au corps ou présence antérieure suffisante pour l'affranchir du service.

Or, tout le système du projet consiste à traiter le service du remplaçant comme le service du remplacé.

Votre idée est de donner au service du remplaçant la même vertu qu'au service du remplacé ? Mais la conséquence logique est de n'accorder l'exemption au frère du remplacé que dans le même cas et dans les mêmes conditions où le service du remplacé la lui assurerait.

Or, comme l'exemption n'est accordée au frère cadet que si le frère aîné servant personnellement est au service, nous disons qu'il faut, pour que l'exemption soit accordée au frère cadet, lorsque l'aîné a été remplacé, que le remplaçant soit au corps.

D'après les prémisses que vous avez vous-même posées, vous devez donc conclure comme je le fais.

Il y a d'ailleurs une raison très grave pour qu'il en soit ainsi. Nous n'avons pas voulu que ceux qui font remplacer leurs enfants soient complètement désintéressés dans le choix des remplaçants. Il faut que non seulement l'Etat soit intéressé, mais il est de la plus haute importance qu'il ne soit pas indifférent, pour celui qui se fait remplacer, de prendre le premier venu, de prendre un homme qui abandonnera l'armée au premier moment.

Il ne faut pas qu'un contrat de remplacement porte préjudice à des tiers qui ne sont pas partie à ce contrat.

Or, si l'on pouvait, en faisant un contrat de remplacement, assurer l'exonération d'un second fils, sans la présence du remplaçant au corps, on assurerait ainsi à ce second fils une exemption dont il n'aurait pas joui si le premier fils s'était conduit comme le remplaçant.

Le mandataire ne peut évidemment, à l'égard des tiers, procurer une exemption que par les mêmes faits que le mandant.

M. Notelteirsµ. - Mais le gouvernement conserve les 400 francs si le remplaçant ne fait pas son service ; il est donc du devoir du gouvernement de faire en sorte que le remplaçant fasse son service complètement.

MiPµ. - Mais, messieurs, le gouvernement est complètement désintéressé dans la question. Il est parfaitement indifférent à l'armée qu'on adopte ou qu'on n'adopte pas l'amendement de M. Notelteirs. Si l'on accorde l'exemption au second fils, le gouvernement mettra la main sur un autre milicien.

Abandonnez donc l'apparence de vouloir arracher un homme au gouvernement ; l'intérêt que nous soutenons, c'est l'intérêt du milicien qui devrait marcher si le second fils était exempté, c'est-à-dire l'intérêt d'un milicien qui, deux fois sur trois, n'a pas le moyen de se faire remplacer.

M. Notelteirsµ. - Je parle dans l'intérêt d'une famille qui a déjà fourni un homme.

MiPµ. - Certainement, vous parlez dans l'intérêt d'une famille, mais vous perdez de vue qu'il y a deux familles en présence, une famille qui peut fournir un remplaçant et une autre qui généralement n'en a pas le moyen. Le gouvernement n'a aucun intérêt dans la question ; il prendra l'un ou l'autre, il aime autant l'un que l'autre, mais il dit qu'il faut être juste.

M. Coomansµ. - Est-ce que vous restituez les 400 francs ?

MiPµ. - Le gouvernement perdra la présence au corps du remplaçant ; or, c'est là ce que le versement doit garantir.

M. Coomansµ. - Vous dites que vous en prendrez un autre.

MiPµ. - Je dis qu'il y a deux familles en présence et qu'il s'agit de savoir laquelle des deux fournira un homme pour le remplaçant qui n'a pas fait son temps. Eh bien, on ne peut pas avoir plus de droit par son mandataire qu'on n'en a par soi-même.

M. Lelièvreµ. - Je comprends parfaitement que, dans le cas prévu par l'article 62, le remplacé soit libéré en ce qui le concerne, parce qu'il a fait ce qui était en son pouvoir pour réaliser le remplacement. Toujours est-il vrai que c'est là un remplacement incomplet qui, au point de vue général, n'a pas produit tous les effets qu'un remplacement ordinaire est destiné à produire.

Dès lors je ne comprends pas comment semblable remplacement pourrait profiter à un autre membre de la famille qui n'en jouirait qu'au préjudice d'un autre milicien. Cette exemption est une faveur exceptionnelle qui ne peut résulter que d'un remplacement complet et ayant produit tous ses effets légaux.

Au point de vue de l'intérêt général, on veut ici introduire une exemption au profit d'un autre membre de la famille et au détriment d'un milicien qui serait obligé de servir pour ce dernier, et cela dans une hypothèse où le remplacement n'a pas produit les mêmes effets que le service du remplacé en personne.

Ce sont ces considérations qui me font penser que l'amendement de M. Notelteirs n'est pas admissible.

M. Muller, rapporteurµ. - Messieurs, l'article qui a été l'objet des critiques de l'honorable M. Notelteirs est un de ceux qui sont venus apporter le plus grand soulagement aux familles qui font remplacer leurs fils.

Actuellement, vous êtes responsable non seulement d'un premier, mais d'un deuxième et parfois d'un troisième remplaçant. Pour vous affranchir de cette responsabilité, vous deviez payer une somme très forte dans les premiers dix-huit mois.

Aujourd'hui, quelle est la position ?

C'est que moyennant une somme de 400 francs le gouvernement assume pour lui la responsabilité, et cette somme de 400 francs il ne se l'approprie que si le remplaçant, par suite de désertion ou d'inconduite, laisse un vide dans l'armée.

Mais si le remplaçant sert bien et achève son service, cette somme lui revient.

Dans aucun cas, cet argent ne doit être remis au remplacé, puisqu'il n'a pas à fournir un autre remplaçant.

M. Coomansµ. - En cas de désertion, ces 400 francs payés par le remplacé ou sa famille devraient retourner à celle-ci. Je sais bien que ce n'est pas le système de votre projet de loi, mais je voudrais qu'il fût tel.

(page 86) M. Muller, rapporteurµ. - Mais alors vous devez forcer, comme aujourd'hui, la famille à fournir un second remplaçant.

M. Coomansµ. - Je parle du second fils.

M. Muller, rapporteurµ. - Veuillez remarquer que le remplaçant libère la famille pour le service de celui qui a été désigné par le sort. La question du second fils est ici une éventualité future. Ce n'est que l'une ou l'autre année subséquente que le fils suivant viendra à tirer au sort.

Vous voulez que, si le remplaçant a déserté, le second fils soit exempt, tandis que lorsqu'il s'agit d'un frère qui aura commis la même faute, le second fils ne serait pas libéré. Vous voulez accorder un privilège à la famille qui aura un remplaçant ordinaire sur celle dont les membres servent en personne.

Cela ne paraît guère admissible, et je considère comme étant justifié complètement l'article qui a été proposé par M. le ministre de la guerre.

La section centrale a accueilli avec faveur cette combinaison comme étant plus favorable aux familles et les délivrant des inquiétudes continuelles dans lesquelles elles se trouvent aujourd'hui, non pas sur le point de savoir si un autre fils sera exempté, ce qui est une question éventuelle, mais si elles n'auront pas à fournir un deuxième, un troisième remplaçant.

En résumé, moyennant 400 francs versés sur le prix du remplacement dans la caisse militaire, à titre de cautionnement seulement, la famille ne doit plus fournir successivement plusieurs hommes, ce à quoi elle est exposée aujourd'hui.

Si le remplaçant s'est conduit régulièrement, s'il a accompli son terme, ces 400 francs lui sont acquis, et on lui en paye l'intérêt.

M. Notelteirsµ. - Je ne trouve pas que dans ma proposition il y ait le moindre privilège.

Si j'ai bien compris l'honorable rapporteur, il dit qu'en cas de désertion les 400 francs restent au gouvernement pour se procurer un autre homme. Eh bien, est-ce que le service de cet autre homme ne doit pas profiter au frère du remplacé ?

Lorsque vous admettez en principe que l'incorporation d'un remplaçant, accompagnée d'une somme versée, sert de garantie au gouvernement, pourquoi ne tirez-vous pas de ce principe toutes les conséquences raisonnables ? (Interruption.) C'est une distinction subtile que vous faites.

MgRµ. - Il est bien évident que ce n'est pas avec 400 francs que nous trouverions un remplaçant...

M. Jacobsµ. - Pour un restant de terme.

MgRµ. - Les dispositions de l'article 61 assurent d'une part aux remplaçants des avantages qui les engageront à accomplir fidèlement leur temps de service ; elles offrent d'autre part des garanties au gouvernement contre le mauvais vouloir de certains remplaçants qui, méprisant les avantages qu'on leur fait, déserteraient ou se rendraient indignes de rester dans l'armée.

J'ai fait procéder dans l'armée à une enquête. On a demandé aux remplaçants comment on avait rempli les engagements pris à leur égard ; la plupart ont répondu qu'ils avaient été frustrés. Les déserteurs donnent pour raison de leur désertion qu'on ne leur a pas payé ce qu'on leur devait.

Eh bien, lorsqu'on donnera 200 francs aux remplaçants envoyés en congé, puis encore 200 francs à l'expiration de leur temps de service, ils seront encouragés à rester.

Si nous avons encore des désertions par la suite, il est bien évident que ce n'est pas avec 400 francs que nous trouverons des remplaçants ; nous nous attendons à quelques pertes, mais au moins nous pourrons atténuer le mal en partie en organisant des rengagements de deux ans avec prime, par exemple.

Néanmoins si les désertions étaient encore aussi nombreuses qu'aujourd'hui, le gouvernement ferait un mauvais marché. Mais nous espérons qu'en raison des avantages que nous offrons aux remplaçants et des garanties de bonne conduite que nous exigeons d'eux, les désertions diminueront considérablement dans l'avenir.

- La discussion est close.

L'article 62 est mis aux voix et adopté.

Le paragraphe additionnel que M. Notelteirs propose d'ajouter à cet article est mis aux voix et n'est pas adopté.

- La séance est levée à 5 heures et un quart.