Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 18 décembre 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 257) M. de Vrintsµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Rossiusµ lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Vrintsµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« Par message en date du 17 décembre, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi :

« Conférant la grande naturalisation au sieur Xavier-Victor Olin, avocat à la cour d'appel de Bruxelles ; '

« Contenant le budget des voies et moyens pour l'exercice 1870 ;

« Qui autorise le gouvernement à céder l'entrepôt public d'Anvers à la Société anonyme dite : Compagnie des docks, entrepôts et magasins généraux d'Anvers. »

- Pris pour information.


« Les secrétaires communaux de l'arrondissement d'Eecloo demandent que l'avenir des secrétaires communaux soit assuré, que leur traitement soit mis en rapport avec l'importance de leur travail et des services qu'ils rendent aux administrations communales, provinciales et générale. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Jouretµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau des rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

M. Hymansµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau des rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

Projet de loi relatif à l'acquisition de bâtiments et de terres dépendant des anciennes colonies de Merxplas-Ryckevorsel et Wortel

Rapport de la section centrale

M. Vleminckxµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à l'acquisition de bâtiments et de terres dépendant des anciennes colonies de Merxplas-Ryckevorsel et Wortel.

- Impression et distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet relatif à la cession et au démantèlement de la citadelle du Sud à Anvers

Discussion générale

M. Van Overloopµ. - Messieurs, l'article premier du projet de loi qui ratifie la convention avec M. Strousberg mérite, à mon avis, l'approbation de la Chambre entière. Mais il n'en est pas tout à fait de même de l'article 2, qui concerne les travaux à exécuter.

Je reconnais que les avantages à résulter des travaux énumérés à l'article 2 du projet de loi seront considérables.

L'exécution de ces travaux aura, en effet, pour conséquence, par la construction d'un nouveau fort sur la rive droite de l'Escaut, de suppléer à l'insuffisance ou à la faiblesse de la défense de la place d'Anvers dans les environs de Merxem.

Il suffit de jeter les yeux sur les plans qui nous ont été distribués hier au soir, pour se convaincre qu'il y a près de Merxem une trouée qu'il est absolument nécessaire de fermer, dans l'intérêt de la défense d'Anvers.

La démolition de la citadelle du Sud donnera incontestablement un nouvel essor au développement et à la prospérité de notre métropole commerciale.

A ce point de vue, messieurs, je n'ai rien à ajouter au rapport si clair, si lucide de l'honorable rapporteur de la section centrale, M. de Brouckere.

Par le complètement de la grande enceinte d'Anvers que, par parenthèse, je n'ai point votée, et par l'exécution des travaux de défense, sur la rive gauche de l'Escaut, on réalisera une importante amélioration.

En effet, on interdira à l'ennemi de venir, comme il le peut aujourd'hui, placer à Burght des batteries qui pourraient bombarder la place d'Anvers et prendre, en même temps, à revers le camp retranché établi sur la rive droite de l'Escaut.

Il suffit encore une fois de jeter les yeux sur le plan pour être convaincu de la vérité de mon allégation.

La construction des forts de Burght et de Zwyndrecht et celle de la digue défensive entre ce dernier fort et celui de Sainte-Marie, auront pour effet de supprimer la nécessité de mettre, en cas d'attaque, les polders du pays de Waes sous eau, pour empêcher les approches de la place d'Anvers.

Dans la situation actuelle des choses, si, ce qu'à Dieu ne plaise, l'ennemi s'avisait de vouloir attaquer Anvers, il serait indispensable d'inonder nos polders, et, par conséquent, de causer un énorme dommage aux populations du pays de Waes, qui n'ont pas perdu le souvenir de l'inondation de 1830, et des pertes que cette inondation leur a causées.

Cette nécessité, comme le constate la simple vue du plan, disparaîtra dès que les travaux de la rive gauche seront exécutés.

L'exécution de ces travaux sera donc un bienfait pour le pays de Waes, à un double point de vue :

En ce qu'elle fera disparaître la nécessité d'inonder les polders situés entre les travaux de fortifications de la rive gauche et l'Escaut ;

Et en ce que, par suite, elle donnera une plus-value considérable à ces polders, puis qu'ils ne seront plus exposés à être inondés.

A un autre point de vue encore, l'exécution de ces travaux fera disparaître l'intérêt que l'ennemi qui voudrait attaquer Anvers a actuellement à pénétrer dans le pays de Waes : Anvers, séparé de la rive gauche par un fleuve de plus de 300 mètres de largeur, n'est guère attaquable de ce côté ; mais aujourd'hui l'ennemi, attaquant la place par la rive droite, aurait un double intérêt à pénétrer dans le pays de Waes, pour établir des batteries dans le voisinage de Burght.

Au moyen de ces batteries, il pourrait bombarder la place et obliger les habitants à demander une capitulation. Au moyen de ces batteries, il pourrait aussi prendre à revers le camp retranché et, par suite, affaiblir la défense de la place sur la rive droite.

Par suite des travaux de fortification sur la rive gauche, ce double intérêt sera détruit, et le pays de Waes aura, en cas d'attaque d'Anvers, une chance de plus de ne pas être envahi.

A ces divers points de vue, j'approuve complètement le projet de loi qui nous est soumis.

Mais les avantages des travaux énumérés à l'article 2 du projet de loi ne se réaliseront qu'en partie si le gouvernement n'entreprend pas, en même temps, l'assainissement des polders du pays de Waes.

A quoi bon, en effet, avoir des fortifications considérables, si vous n'avez pas de soldats valides pour les défendre ?

Or, la nature du sol de la rive gauche est telle, que les troupes qu'on chargerait de la défense de cette rive ne tarderaient pas à être décimées par les fièvres.

Cela est si vrai que déjà en 1831 le gouvernement trouva nécessaire de former, pour occuper la rive gauche, le bataillon de l'Escaut, composé d'hommes habitués à l'air de cette contrée.

Il est donc d'une absolue nécessité que les travaux d'assainissement de la rive gauche soient entrepris en même temps que les travaux de fortification de cette rive.

(page 258) J'espère que l'honorable M. Vleminckx, si compétent en cette matière, voudra bien démontrer cette nécessité d'une manière complète.

M. Vleminckxµ. - Je demande la parole.

M. Van Overloopµ. - L'exécution des travaux d'assainissement aura, d'ailleurs pour conséquence d'augmenter considérablement la richesse publique.

C'est ce que vous ont prouvé à l'évidence les remarquables discours de MM. Lippens et Verwilghen, prononcés lors de la dernière discussion du budget du département des travaux publics.

Il est temps, messieurs, qu'on mette enfin résolument la main à l'œuvre.

Dès le commencement de 1865, l'attention sérieuse du gouvernement a été appelée sur les travaux dont je parle par une pétition des administrateurs des polders du pays de Waes, pétition qui, si mes souvenirs sont fidèles, a été appuyée par mon honorable ami M. Janssens et par moi.

Il est encore un point dont j'ai déjà entretenu la Chambre, sur lequel j'ai appelé, en section, l'attention du gouvernement et qui me semble très important, c'est la construction d'un pont sur l'Escaut pour relier la Flandre orientale à la province d'Anvers et, par suite, au reste du pays.

Au point de vue militaire, ce pont me paraît d'une utilité incontestable, puisqu'il constituerait une voie de communication permanente entre les troupes opérant sur la rive droite et les troupes opérant sur la rive gauche de l'Escaut.

Au point de vue civil, je crois inutile de faire ressortir tous les avantages qui résulteraient de la construction de ce pont : ils sont évidemment inappréciables. Pour n'en citer qu'un seul, je dirai qu'aujourd'hui, grâce à l'Escaut et à l'absence d'un pont sur ce fleuve, le riche pays de Waes se trouve en quelque sorte dans l'impossibilité de contribuer à l'alimentation de la ville d'Anvers.

J'approuve donc l'article premier du projet.

J'incline à approuver également l'article 2, car il produira les bienfaits dont j'ai parlé, sans entraîner, grâce à la cession de la citadelle du Sud, des sacrifices pour les contribuables, ce qui est un avantage auquel le département de la guerre ne les a guère habitués depuis quelques années.

Mais, messieurs, je ne pourrais complètement approuver cet article que si j'obtiens l'assurance que le littoral de la rive gauche, sera convenablement assaini en même temps que fortifié.

Je le demande dans l'intérêt des populations et surtout dans l'intérêt des soldats chargés de les défendre.

Je le répète, il est impossible, si le littoral de la rive gauche n'est pas assaini, que des troupes séjournent dans ce pays sans être promptement atteintes et décimées par les fièvres.

Enfin, je désire que le gouvernement complète les bienfaits du projet de loi, en autorisant au plus tôt la construction d'un pont sur l'Escaut destiné à relier le pays de Waes à la province d'Anvers.

J'espère que les explications du gouvernement me donneront pleine satisfaction.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je ferai deux parts du projet de loi soumis en ce moment à nos délibérations : l'une que j'approuve ; l'autre que je combattrai de toute mon énergie.

Je vous demande la permission, messieurs, de vous dire, le plus brièvement, le plus succinctement possible les raisons pour lesquelles j'approuve la première partie du projet et je repousserai l'autre.

Messieurs, j'applaudis à la démolition de la citadelle du Sud, quand ce ne serait que pour faire disparaître cet ancien monument de la domination étrangère dans notre pays. Quand je n'aurais pas d'autres raisons, j'approuverais de tout cœur cette démolition.

Mais heureusement j'ai des raisons meilleures, plus actuelles., plus pratiques pour donner à cette partie des propositions du gouvernement toute mon approbation, c'est que ces mêmes terrains qui ont été si longtemps non seulement improductifs, mais qui, de plus, ont absorbé tant de richesses et de labeurs qui auraient pu être plus utilement employés ailleurs, vont enfin être rendus à leur destination réelle, c'est-à-dire à l'agrandissement d'un port d'où dépend en grande partie la prospérité matérielle du pays.

Car, ne l'oublions pas, messieurs, l'agrandissement d'Anvers comme port commercial ne répond pas seulement à un intérêt purement local, c'est surtout une affaire d'intérêt national. Car ce n'est qu'au moyen de grands instruments de commerce d'exportation, d'importation et de travail que l'on peut augmenter les richesses du pays.

C'est par la multiplicité des échanges qu'on peut donner au travail et aux produits du pays toute leur valeur. Et pour faciliter ces échanges, il est nécessaire, indispensable de mettre en œuvre tous les moyens matériels les plus perfectionnés qui existent ailleurs, c'est-à-dire un port sûr où des moyens de transbordement économiques soient mis constamment à la disposition du commerce et du travail national.

Je ne dirai rien des plans proposés pour atteindre ce but, car personne ne pourrait en rien dire pas plus le gouvernement que l'auteur du projet lui-même, si j'en juge par les documents qui nous sont remis.

Je dois supposer que le plan sera conforme aux nécessités de notre commerce ; qu'il pourvoira à tous les besoins de nos transactions avec l'étranger ; qu'on y introduira tous les perfectionnements que la mécanique a apportés récemment à cette branche importante de l'industrie, en un mot, qu'au moyen de l'agrandissement proposé, le port d'Anvers sera en mesure, pour les chargements comme pour les déchargements et transbordements des marchandises, pour l'approvisionnement et le stationnement des navires, de lutter avec avantage ou au moins avec égalité avec les ports concurrents des autres pays.

Je m'en rapporte volontiers, sur ce point, aux lumières du gouvernement lui-même et à celles que lui fournira nécessairement l'administration communale d'Anvers.

Il est cependant un point sur lequel, puisque l'occasion s'en présente, je crois devoir appeler spécialement l'attention du gouvernement.

Il s'agit, dans le projet qui nous est soumis, d'établir, sur les terrains de la citadelle du Sud, une nouvelle station des chemins de fer. Ce projet est très avantageux, et je l'approuve complètement, mais je demanderai à l'honorable ministre des travaux publics s'il a prévu ou s'il prévoit que dans l'avenir il ne se présente aucun obstacle à la réalisation d'un autre projet que je vais indiquer, c'est-à-dire de relier à cette station tout le pays compris entre le Rupel et l'Escaut et Anvers. Le bassin supérieur de l'Escaut entre Anvers et l'embouchure du Rupel et même au delà de ce confluent est un des ports les plus admirables que la nature ait créés dans cette partie de l'Europe, et s'il fallait dépenser des centaines de millions pour en construire un semblable dans d'autres pays, il est des nations qui les dépenseraient sans hésiter un instant.

Cette partie du pays qui est déjà le siège d'une industrie extrêmement importante, l'industrie céramique de Boom et des environs, industrie qui produit et consomme plus de 800 mille tonnes annuellement. Cette industrie si importante n'a d'autre voie de communication, jusqu'à présent, que l'Escaut et les voies navigables qui s'y rattachent.

Si cette partie du pays avait été reliée au système général des chemins de fer, il n'y a nul doute que depuis longtemps il se serait créé, sur les rives de l'Escaut, une vaste industrie pour la construction des navires en fer. Cette industrie, qui a pris une extension considérable sur des points similaires en Angleterre, la Clyde, le Tees, la Tyne, la Tamise et d'autres rivières, n'a trouvé sur l'Escaut que ce chantier étroit, étriqué, resserré entre la citadelle qu'il s'agit de démolir et l'arsenal où la Société Cockerill a établi ses ateliers. Cette industrie n'a donc pu, faute de place, prendre aucun développement chez nous, les moyens de transport vers le chemin de fer étant très difficiles et très onéreux à travers la ville d'Anvers ; ailleurs ils n'existaient même pas.

Celle industrie, qui est surtout importante parce qu'elle entraîne à sa suite une série d'autres industries, les laminoirs, ateliers de machines, tréfileries, etc., aurait rendu de très grands services à nos exploitations charbonnières et métallurgiques auxquelles elle aurait offert un débouché aussi précieux que certain.

Enfin, messieurs, le long de l'Escaut au-dessus d'Anvers, sur cet admirable bassin qui offre toutes les facilités nécessaires à la navigation maritime, on trouverait facilement tous les terrains indispensables à l’établissement de ce débarcadère à charbon. C'est une raison de plus pour relier ce pays non seulement au réseau général des chemins de fer, mais également à la nouvelle station qu'il s'agit de créer à Anvers.

J'ai saisi l'occasion qui se présente aujourd'hui pour appeler l'attention de l'honorable ministre des travaux publics sur ce point, afin que, le cas échéant, rien ne soit fait, dans les plans à adopter, qui puisse entraver l'établissement de cette voie de communication. Messieurs, on a parlé tantôt de l'établissement d'un pont sur l'Escaut. L'honorable M. Van Overloop en a parlé au point de vue des nécessités du pays de Waes. Je crois, messieurs, que ces nécessités sont aussi grandes sous le rapport de la ville d'Anvers.

Je ne sais pas si la construction des fortifications qu'on veut établir au delà de l'Escaut attirera une population et un commerce assez puissants pour faire entreprendre le pont par l'industrie privée ; je crois que ce sera plutôt le contraire, je ne sais pas si le département de la guerre voudra se charger lui-même de la construction de ce pont. Mais tout ce que je puis dire, c'est que si un projet de telle nature avait besoin de mon appui, je le lui donnerais très volontiers et je ferais tout mon possible (page 259) pour que l'Escaut, au lieu d'être une espèce de barrière entre deux parties importantes de notre pays, servît en quelque sorte de trait d'union et que les relations fussent rendues aussi faciles que possible entre la ville d'Anvers et la Flandre orientale.

J'aborde maintenant le seconde partie du projet, celle que je repousse d'une façon absolue. Je demande la permission d'en développer les raisons. Je serai aussi court, aussi succinct que possible et je ne vous retiendrai pas plus qu'il ne sera strictement nécessaire.

Messieurs, je ne sais pas si ceux d'entre nos collègues qui ont voté, en 1859, la grande enceinte et le grand système de fortification qui est établi a Anvers, n'ont pas, à beaucoup de reprises depuis lors, regretté amèrement leur vote.

En 1859, ils pouvaient se prévaloir d'une sorte d'inexpérience que l'on avait alors dans ces matières. Ils devaient se laisser guider, comme, en effet, ils se sont laissé guider par les opinions des hommes spéciaux compétents ou soi-disant tels ; ils devaient voter en quelque sorte de confiance. Aujourd'hui les faits sont venus singulièrement renverser les théories des hommes compétents et détruire les illusions qui avaient pu naître à la suite de leurs discours.

Qu'avons-nous vu ?

La campagne de 1866 est venue nous démontrer de la façon la plus péremptoire la complète inutilité des fortifications. Le grand camp retranché d'Olmutz, qui a servi en grande partie de modèle à la grande enceinte d'Anvers, et qui, au dire des promoteurs de la grande enceinte et du camp retranché, devaient couvrir la monarchie autrichienne contre tout danger d'invasion de la part de la Prusse, n'ont pas même reçu l'honneur d'une, imple amorce.

Les chefs de l'armée d'invasion ont trouvé des passages imprévus à travers les défilés des montagnes des Géants que n'avaient pas prévus les stratégistes de cabinet à Vienne. Ces passages n'étaient naturellement pas gardés, tant on était certain que les règles infaillibles de l'art militaire devaient conduire l'ennemi droit sur les fortifications préparées pour le recevoir. A un moment donné, dans une plaine inconnue jusqu'alors, même des stratégistes, il s'est trouvé dans les lignes autrichiennes un vide, une trouée, en style d'école de guerre, d'où est résulté un immense désastre. Non seulement toutes les forteresses de la Bohême n'ont servi de rien dans cette occasion, mais quelques jours après, l'armée prussienne était campée presque à l'ombre de la flèche de Saint-Etienne.

Et le fameux quadrilatère, à l'autre extrémité de l’empire, où une bataille avait cependant été gagnée quelques jours auparavant, devait être cédé et abandonné, parce que les garnisons de ces forteresses imprenables avaient manqué, à un certain moment, sur un champ de bataille.

Voilà, messieurs, résumés en quelques mots, les services que les grandes fortifications ont rendus à un grand pays, à une grande et vaillante nation.

Voyons maintenant les petites fortifications. La forteresse imprenable, la forteresse vierge de Konigstein a laissé passer à ses pieds toute une division de l'armée prussienne, sans y opposer le moindre obstacle ; les fortifications de Josephstadt, on ne les a seulement pas regardées, et celles de Koniggratz, on s'est battu à leurs portes et elles n'ont pu rendre aucun service. Un simple aide de camp ou officier d'ordonnance l'a conquise à lui seul.

Tels sont les services qu'ont rendus à l'Autriche des fortifications érigées à grands frais et entretenues avec un soin jaloux aux dépens des finances obérées de l'empire.

Tel est, messieurs, comme je le disais tantôt, l'enseignement qui, ignoré des auteurs de la loi de 1859 et sous nos yeux aujourd'hui, me semble devoir motiver d'une façon complète le vote négatif que je suis décidé à émettre sur cette partie de projet.

Mais, peut-être, m'objectera-t-on que les fortifications, inutiles pour les grandes nations et pour les grandes armées, sont indispensables pour les petits peuples et leurs armées restreintes.

Messieurs, l'expérience des petites nations est encore plus décisive et plus effrayante que celle des grandes.

Depuis 1859, deux expériences ont été faites : l'une en Danemark, l'autre au delà des mers, au Mexique.

Le Danemark, se fiant beaucoup sur les préparatifs qu'il avait faits depuis longtemps, sur les alliances qu'il avait contractées, sur le patriotisme et le dévouement énergique et admirable qu'a montré la population, le Danemark, dis-je, a cru que derrière ses fortifications il pourrait braver la Prusse et même l'Autriche réunies.

Que demandait l'Allemagne du Danemark ? Elle lui demandait tout simplement de resserrer les liens qui la rattachaient au Holstein, partie de la Confédération germanique de 1815. Rien de plus.

Tous les amis sincères du Danemark lui conseillaient de céder. Il a voulu résister et il l'a fait bravement.

Les fortifications de Duppel, espèce d'Anvers danois, derrière lesquelles il pensait se mettre à l'abri, ont été emportées et c'est aujourd'hui le seul titre qu'invoque le vainqueur prussien pour retirer ce qui ne lui appartient pas, ce qu'il ne réclamait pas et ce qu'il n'avait pas même l'intention de conquérir.

L'assaut victorieux de Duppel est le seul titre qu'invoque le roi de Prusse pour ne pas même accomplir les promesses de Nicholsbourg.

Comment ! la victoire ne rachète-t-elle pas tout ? Et n'est-ce pas un titre suffisant pour toutes les spoliations ?

Eh bien, messieurs, je me demande, en présence de ces faits que je me borne à vous signaler et sur lesquels je vous laisse faire toutes les réflexions qu'il pourra vous suggérer, si ce n'est pas là un exemple du danger, pour les petites nations, de mettre leur confiance dans les forts et dans les armées.

Au Mexique, la question a pris un autre aspect, un aspect sur lequel j'appelle toute votre attention et qui démontre, d'une façon plus décisive, si c'est possible encore, le danger, non seulement des armées et des fortifications pour les petites nations ; mais, ce qui est plus extraordinaire, le danger de la victoire pour elles.

Je ne vous rappellerai pas la résistance de Puebla et l'échec très momentané qu'y a subi une faible fraction de l'armée française. Eh bien, il a suffi de ce petit incident dans une grande campagne pour éveiller, en France, dans tous les partis et même chez les adversaires les plus ardents de la guerre du Mexique, le désir d'une réparation. Et nous avons vu l'opposition elle-même, par l'organe de M. Jules Favre, réclamer, à la tribune française, la marche en avant au Mexique pour effacer ce qu'on appelait une atteinte au prestige militaire.

Est-ce que cela ne vous démontre pas de la façon la plus claire, la plus évidente, que les petites nations ne doivent pas essayer...

MfFOµ. - ... de se défendre ?

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - ... de se mettre en travers des préjugés, des passions qui peuvent surgir dans certains cas entre les grandes nations si elles ne veulent pas s'exposer à se créer, dans l'avenir, des difficultés insurmontables, des dangers permanents.

J'entends dire autour de moi que la résistance des Mexicains a forcé à la longue les envahisseurs à s'en aller. Oui, sans doute ; mais surtout la résistance passive, la résistance morale, cette arme terrible et invincible des peuples libres ; mais je ferai remarquer encore que c'est la résistance personnelle qui a triomphé des envahisseurs et qui en a triomphé, non pas à cause des fortifications, mais malgré les fortifications, qui étaient toutes aux mains de l'étranger.

MfFOµ. - Est-ce qu'elle aurait été moins forte avec des fortifications ?

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Or, quelle est la thèse que j'ai toujours soutenue à cette tribune ? C'est qu'il fallait préparer la population à la résistance, à la défense de ses foyers et du territoire entier et non pas créer des points fortifiés qui, tombant au pouvoir de l'étranger, deviendraient pour nous ce qu'a été la citadelle qu'il s'agit de démolir aujourd'hui, c'est-à-dire, un instrument d'oppression, un instrument de conquête, un instrument qui permettrait à l'étranger de s'établir malgré nous dans le pays.

Voilà, messieurs, la thèse que j'ai toujours soutenue dans cette enceinte et que je rappelle à vos souvenirs.

Messieurs, les exemples que je viens de retracer suffiraient amplement, je pense, à justifier mon vote. Cependant je crois devoir y ajouter encore quelques considérations que je rendrai aussi courtes que possible, parce qu'elles viendront confirmer ce que les faits me paraissent avoir établi d'une façon irréfutable.

Messieurs, que vous demande-t-on ? D'agrandir notablement une enceinte déjà beaucoup trop grande pour nos forces et nos ressources restreintes ; d'allonger d'une bonne lieue cette enceinte ; et, par conséquent, d'exiger, pour sa défense, un accroissement de forces considérable. La conséquence inévitable sera, lorsque cet accroissement aura été donné à la place d'Anvers, la nécessité d'un accroissement en hommes pour correspondre aux nouveaux ouvrages à défendre.

Or, comme vous venez de voter, il y a très peu de temps, une loi d'organisation militaire faite en vue de l'état de choses actuel et qui même était déclarée, par M. le ministre de la guerre, à peine suffisante pour les besoins actuels, mais pouvant remplir jusqu'à un certain point le but qu'on se propose, il me paraît ressortir de l'accroissement donné à la place d'Anvers la nécessité d’une augmentation correspondante de notre effectif militaire. On niera ; oh ! les dénégations ne coûtent pas grand-chose.

(page 260) MfFOµ. - Pas plus que les affirmations.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Sans doute ; seulement, c'est nous qui devrons les payer toujours.

Eh bien, je demande à ceux qui sont disposés à voter cet accroissement de l'enceinte d'Anvers, s'ils sont en même temps décidés à voter un accroissement annuel du budget, un accroissement du contingent et, le cas échéant, si malheureusement des complications survenaient dans l'état politique de l'Europe, à en voter les conséquences, c'est-à-dire la mise sur pied de guerre d'une grande armée qui dévorerait la substance du pays en trois mois et cela avec la perspective que je faisais entrevoir tout à l'heure, de l'inutilité complète de nos efforts et la certitude que le sort d'Anvers, s'il devait être mis en cause, irait se décider irrévocablement quelque part en Westphalie, en Champagne ou ailleurs.

Pour ma part, messieurs, j'ai compris autrement le rôle des petites nations dans les destinées de l'humanité ; je ne crois pas qu'elles soient appelées à peser d'un grand poids dans les débats politiques de l'Europe et l'expérience de ces dernières années, que j'invoquais tantôt, semble me donner raison.

La Bavière, croyaient ses militaires, défenseurs de son organisation militaire, devait peser d'un poids immense dans les destinées de l'Allemagne. Elle a été très heureuse de traiter sous main, même avant la fin de la campagne de Bohême.

La ville de Francfort elle-même avait mis ses 600 hommes sous les armes et ils ont payé bravement de leur personne. Le vainqueur a imposé à la malheureuse ville libre 40 ou 50 millions de contributions de guerre.

Le Hanovre, vous savez ce qu'il est devenu, et je souhaite de tout cœur que notre intervention dans les querelles européennes ne nous vaille pas le même sort.

Je crois, messieurs, que je dois ici remplir la promesse que j'ai faite en commençant, celle d'être court. Il me semble que j'ai été plus long que je ne le prévoyais, mais je crois néanmoins n'avoir apporté dans ce débat aucun argument inutile.

J'espère que les exemples que je vous ai signalés, et sur lesquels j'appelle toute votre attention, vous feront réfléchir avant d'émettre un vote affirmatif sur la question d'agrandissement de l'enceinte d'Anvers qui vous est proposée. Je regrette, je le dis sincèrement, qu'une loi aussi importante et pouvant entraîner le pays à des conséquences aussi considérables au point de vue de notre état politique aussi bien qu'au point de vue de notre état financier et économique, ait été apportée, je ne dirai pas à la fin d'une session, mais à la veille de vacances nécessaires à beaucoup d'entre nous. Je regrette qu'on ait pressé aussi vivement l'examen de mesures aussi graves dans les sections et qu'on ne nous ait pas donné le temps nécessaire pour étudier sérieusement les questions à décider. C'est à peine si nous avons eu vingt-quatre heures pour lire le rapport de la section centrale et l'étudier.

J'ai un autre reproche à faire, non plus au gouvernement cette fois, mais à la Chambre elle-même. Dans une circonstance aussi importante et aussi grave, j'ai vu avec déplaisir que la Chambre n'ait composé la section centrale que d'amis du gouvernement. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Les membres de la section centrale ont été choisis par les sections.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Qu'importe ! j'en fais, je le répète, un reproche à la Chambre et non pas au gouvernement.

Et je crois de mon devoir de signaler à cette Chambre les dangers qu'il, y a pour sa propre responsabilité de ne pas appeler quelques membres de l'opposition à examiner, dans les sections centrales et dans les commissions, des projets de loi de cette importance.

En Angleterre, messieurs, jamais il n'arriverait que, dans une question de cette nature ou de cette importance, l'opposition n'y soit représentée et largement représentée dans les commissions chargées de l'examen en détail.

Prenez-y garde, messieurs, le gouvernement constitutionnel, comme le disait récemment le Times, parlant à la chambre des lords, est une machine excessivement délicate, dont les rouages peuvent être dérangés par le moindre choc, et il ajoutait, à propos de la question de l'Eglise irlandaise : Prenez-y bien garde, ne forcez pas la mécanique. Eh bien, à cette occasion, j'appelle sérieusement votre attention sur ce point et je vous dis aussi : Ne forcez jamais la mécanique.

M. Vleminckxµ. - Messieurs, je promets très sérieusement à la Chambre d'être très bref. Il eût été peu gracieux de ma part de ne pas céder aux sollicitations réitérées de mon honorable ami, M. Van Overloop. Je me décide donc à prendre la parole sur la question de l'assainissement de la rive gauche de l'Escaut, et pourtant, messieurs, je n'ai rien à dire à la Chambre que déjà elle ne connaisse. A plusieurs reprises, je me suis prononcé sur cette question. L'honorable M. Lippens en a fait autant que moi peut-être avec plus d'autorité ; mais puisque l'occasion s'en présente de nouveau, très opportune cette fois, je vais dire à la Chambre tout ce que je pense, tout ce que je sais de cette grosse question de l'assainissement.

Messieurs, lorsque le projet de loi qui est soumis en ce moment aux délibérations de cette Chambre a été discuté dans la section à laquelle j'avais l'honneur d'appartenir, je n'ai pas hésité à déclarer que je ne le voterais pas si le gouvernement ne prenait pas l'engagement formel d'assainir complètement la rive gauche de l'Escaut. Je comprenais que pour rendre complète notre grande forteresse d'Anvers, pour laquelle nous avons dépensé tant de millions, il fallait établir sur cette rive un certain nombre de forts ; je reconnaissais que c'eût été une faute et une grande faute de la laisser vulnérable de ce côté. Et à cette occasion, je crois devoir reprocher à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu de n'avoir pas conclu.

Il ne veut pas que ces nouveaux forts soient construits, alors qu'il est bien reconnu que c'est précisément de ce côté que notre forteresse est vulnérable. La conclusion logique de son discours eût été ceci : Démantelez la place d'Anvers.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je l'ai demandé il y a deux ans.

M. Vleminckxµ. - Vous n'avez pas renouvelé cette demande aujourd'hui et je doute fort que l'honorable membre fût bien venu dans cette Chambre, s'il venait lui en faire la proposition.

Toujours est-il que pour que la forteresse d'Anvers soit rendue complètement invulnérable, et cela est reconnu, il faut que les forts projetés soient construits.

Je reconnaissais donc l'utilité du projet et cependant je ne pouvais me résoudre à voter les constructions nouvelles, si le gouvernement ne se décidait à exécuter tous les travaux nécessaires pour préserver nos soldats des fièvres intermittentes qui règnent sur cette rive et qui y produisent de si grands ravages, spécialement sur les non-acclimatés.

Le gouvernement, je le dis avec une bien vive satisfaction, a reconnu, lui le premier, qu'il y avait là pour lui un grand devoir à remplir. Lui-même a déclaré, sur l'invitation de la section centrale, qu'en érigeant de nouveaux forts sur la rive gauche, il deviendrait plus directement intéressé à l'assainissement de cette localité, et il a ajouté que, tout en poursuivant la réalisation de l'organisation d'une grande wateringue, il compte instituer une commission à laquelle il conférerait l'importante mission de rechercher et d'indiquer les mesures et les travaux qui seront nécessaires pour assurer d'une manière aussi complète que possible l'écoulement des eaux.

Evidemment, on ne peut rien dire de plus sensé ni de plus satisfaisant ; mais il convient de s'entendre et de s'expliquer.

Comment donc faut-il comprendre ces mois : « écoulement des eaux » ?

Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que l'on ne se fait pas une idée juste et complète de la source des causes qui produisent les affections paludéennes. J'aperçois l'idée qui domine. On examinera si le fossé d'une digue à construire, si le bassin existant entre le fort Sainte-Marie et le Melkader ne pourront pas être utilisés, comme réservoirs, à l'emmagasinage des eaux de l'intérieur, qui y seraient déversées pendant la marée haute, pour être évacuées à l'Escaut à marée basse. Cela me semble indiquer qu'on croit devoir se borner à recueillir les eaux qui pourront se trouver à la surface. Je sais bien que le gouvernement lui-même déclare qu'à son avis ces moyens seront insuffisants ; mais rien ne m'indique que les travaux supplémentaires devront, dans sa pensée, avoir un autre but et c'est précisément sur l'inefficacité certaine de semblables travaux que je crois de mon devoir d'éclairer la Chambre et le pays.

Sans aucun doute, ce sera déjà un grand bien si l'on parvient à recueillir, en tout temps, les eaux de la surface, car partout où il y a stagnation d'eau, partout où il y a formation de marais, il y a production de fièvres intermittentes, cela n'est pas douteux ; mais ce ne sont pas précisément les marais accidentels ou permanents des polders qui sont la cause principale de ces fièvres, ce sont les eaux que recèlent les terrains sur lesquels ces marais viennent à s'établir.

Que la Chambre me permette de lui donner sur ce point quelques explications, quelque ennui que cela puisse lui procurer, mais pour qu'elle se rende un compte bien exact de l'étendue et du but des travaux à exécuter, afin d'arriver à un assainissement complet, il est indispensable qu'elle soit bien renseignée sur l'origine principale de l'agent fébrigène.

Les terrains paludéens, je crois déjà l'avoir dit à la Chambre, sont saturés de matières organiques. Ces matières dissoutes ou suspendues (page 261) dans les eaux que recèlent lesdits terrains, se décomposent et se putréfient sous l'influence de certaines conditions météorologiques, et c'est l'effluve qui naît de cette décomposition ou putréfaction, qui produit ces tristes affections, qu'on est convenu d'appeler fièvres paludéennes.

Messieurs, ce n'est pas une supposition que je vous livre ; ce n'est pas une théorie a priori que je formule. C'est l'expression d'un fait incontestable et indiscutable, à telle enseigne qu'il est passé à l'état d'axiome, « que saigner complètement les terrains palustres, c'est anéantir radicalement la source des fièvres intermittentes. »

Les preuves abondent, messieurs, je vais vous en donner une, que plusieurs d'entre vous ont été à même, probablement, de vérifier plus d'une fois. On produit et on arrête les épidémies de ces sortes de fièvres dans le village le plus sain, en y établissant dans les grandes chaleurs, des « routoirs » et en les détruisant.

Cet effet, le rouissage du chanvre est une preuve convaincante, s'il en est une, que ces fièvres sont le produit des émanations des substances végétales en putréfaction.

Voulez-vous des faits qui démontrent qu'en saignant complètement le terrain marécageux, on empêche la production de ces maladies ? Mais de ces faits, j'ai déjà eu l'honneur de vous en citer un grand nombre dans une autre occasion.

Je vous ai dit ce qui s'est opéré dans le Berry ; je vous ai rapporté les magnifiques succès obtenus par notre excellent collègue, M. Crombez, dans une de ses propriétés en France ; je vous ai rappelé enfin ce qui s'est passé ici même, sous nos yeux, dans notre Belgique. Mais ces derniers faits sont trop importants pour que je n'y insiste pas de nouveau aujourd'hui.

Afin de faciliter l'écoulement des eaux des Flandres, nous avons fait creuser le canal de Selsaete, et, presque immédiatement, nous avons soustrait les populations riveraines au fléau des fièvres intermittentes. Watervliet, Saint-Laurent, Sainte-Marguerite, Waterland-Ouderman et d'autres localités encore allaient en dépérissant ; leur existence même était compromise ; il en est même parmi elles qui ne s'entretenaient plus que par des immigrations. Le canal est creusé, les eaux que recelaient les terres trouvent un écoulement facile et incessant, et les fièvres disparaissent, et les populations renaissent à la santé et à la vie, et du même coup, elles récupèrent, avec les moyens de production, l'aisance et la prospérité.

Quelle est, messieurs, la conclusion à tirer de ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire ? C'est que, pour assainir complètement les terres de la rive gauche, pour y anéantir le principe fébrigène, il faut les saigner et les saigner sans cesse ; il faut donc que les eaux qu'elles renferment trouvent un écoulement facile ; il faut, par conséquent, qu'on crée à cet effet des voies vers lesquelles cet écoulement puisse avoir lieu incessamment ; il faut, en un mot, indépendamment de tous autres moyens, creuser sur cette rive un autre canal de Selsaete.

C'est à cette condition seule que l'assèchement et par conséquent l'assainissement pourront être obtenus. Je conjure le gouvernement de ne pas s'arrêter à des demi-mesures. En toutes choses, les demi-mesures sont mauvaises, mais en matière d'assainissement surtout, elles sont fatales. On se croit à l'abri du mal, on vit en sécurité et tout d'un coup, alors qu'on s'y attendait le moins, on voit le mal se réveiller et faire de nouveaux et de déplorables ravages. Et puis on s'écrie : C'est une fatalité, nous avions pourtant tout fait pour l'anéantir !

Et veuillez bien le remarquer, messieurs, la rive droite n'est pas moins intéressée que la rive gauche à l'achèvement complet des travaux que je sollicite. L'effluve qui donne naissance à la fièvre paludéenne, ne borne pas ses effets à son lieu d'origine ; il les exerce dans un rayon plus ou moins étendu. Assainir la rive gauche, c'est tout à la fois améliorer la situation de la partie de notre camp retranché qui se trouve sur la rive droite.

Je sais bien qu'en temps de paix, on peut prendre et imposer aux soldats destinés à vivre sur des terres paludéennes, certaines précautions que la science enseigne ; je sais qu'on peut les prémunir dans une certaine mesure contre l'effluve fébrigène, mais ce que je sais aussi, c'est qu'en temps de guerre ces précautions seraient vaines. En temps de paix même, le succès est déjà loin de répondre toujours à l'attente ; j'ai vu des officiers qui, à coup sûr, se trouvent dans de meilleures conditions que les soldats, revenir de la rive gauche dans un état déplorable. Et en temps de guerre, savez-vous ce qui arriverait ? Il ne faut pas être un grand prophète pour le prédire. Les choses restant ce qu'elles sont, l'honorable M. Van Overloop vous l'a fait entrevoir, la moitié, si pas les deux tiers des soldats de la rive gauche, et un nombre considérable de ceux qui seraient préposés à la défense de la rive droite seraient sur le flanc avant d'avoir tiré un coup de fusil,

Et vous ne vous figurez pas, messieurs, ce que c'est que la fièvre paludéenne. C'est le désespoir de la médecine dans un grand nombre de cas. J'ai vu un régiment presque entier mis par elle hors de service, et un an dix-huit mois ont à peine suffi pour le restaurer complètement.

Ceci vous explique, messieurs, l'insistance que je mets à demander non pas un travail quelconque, mais un travail complet. J'espère que la Chambre tout entière me viendra en aide.

C'est pour nous tous une question d'humanité ; c'est une grosse question de défense nationale ; c'est, enfin, et cette considération n'est pas à dédaigner, une question d'accroissement de la richesse publique, car assainir les polders, c'est augmenter notre avoir social.

J'ai confiance dans les promesses et les bonnes intentions du gouvernement, j'ai la conviction qu'il donnera à la commission, qu'il se propose de nommer, les instructions les plus précises pour que le but que nous poursuivons soit heureusement atteint. C'est dans cette confiance que je n'hésiterai pas à voter le projet de loi.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Messieurs, je m'abstiendrai lors du vote du projet de loi soumis à nos délibérations et il ne me faudra, je l'espère, que quelques mots pour justifier la décision que j'ai prise à cet égard.

Je constate d'abord, messieurs, avec une entière satisfaction, avec une satisfaction très grande, qu'en présentant le projet de loi relatif à la citadelle du Sud, le gouvernement reconnaît le bien-fondé de l'un des griefs de l'arrondissement d'Anvers. La ville d'Anvers avait demandé particulièrement l'éloignement du danger résultant de la citadelle du Sud.

Or, ce danger disparaîtra puisque la citadelle elle-même disparaît ; Anvers avait demandé, en outre, de remplacer cette citadelle par les seuls établissements qui devraient toujours entourer les villes commerciales et maritimes, c'est-à-dire par des établissements maritimes et commerciaux. En effet, messieurs, le gouvernement vient de faire faire un grand pas à la question anversoise et je ne doute pas que, reconnaissant également le bien-fondé des autres réclamations qu'Anvers a formulées, nous n'arrivions à nous mettre complètement d'accord.

Mais il y a, messieurs, dans le projet de loi trois points qui me mettent dans l'impossibilité d'émettre un vote entièrement approbatif.

Le premier de ces points, c'est la citadelle du Nord. On peut voir, sur le plan qui nous a été soumis, la citadelle du Sud pointillée seulement ; cette citadelle disparaissant, on n'a pas cru devoir se mettre en frais de dessin ni d'exactitude.

Mais j'ai remarqué que la citadelle du Nord est parfaitement marquée et maintenue, et rien, dans l'exposé des motifs ni dans le rapport de la section centrale, ne me fait supposer que les 132 hectares réservés ne puissent servir encore à l'établissement, soit d'une citadelle, soit de tout autre ouvrage militaire, dont les effets pourraient être désastreux pour la ville d'Anvers.

L'honorable ministre de la guerre, dans ses réponses, déclare qu'il n'y aura plus là qu'une batterie de côte :

« L'établissement militaire, connu sous le nom de citadelle du Nord, dit l'honorable général Renard, est réduit à une batterie de côte, servant à la défense de la rade, indispensable pour cette défense dans l'intérêt d'Anvers et ne pouvant avoir aucune action vers la ville. Il ne saurait être envisagé comme une citadelle, puisque, non seulement le terre-plein n'en est point formé, mais qu'il ne renferme aucun établissement militaire, ni caserne, ni abri d'aucun genre pour les troupes. »

Eh bien, messieurs, étant donnée une situation pareille, qui rend parfaitement superflue la citadelle du Nord puisque, de l'aveu même du département de la guerre et surtout après ce que vient de dire notre honorable collègue M. Vleminckx, la citadelle du Nord est non seulement inutile au point de vue militaire, mais que son séjour serait mortel pour nos soldats, je me demande pourquoi l'on réserve ces 132 hectares, et, comme jusqu'à présent aucune raison satisfaisante n'a été donnée à cet égard, et qu'il se pourrait encore qu'on créât, sur ces 132 hectares, des établissements militaires, je dis que voilà un premier point qui m'empêche de donner un vote complètement approbatif au projet de loi.

Le deuxième point consiste dans le maintien des fortins de la Tête de Flandre. Je suppose que mes honorables collègues, en inspectant le plan qui nous a été remis hier, ont pu se rendre un compte plus ou moins exact de la situation des lieux.

Ces fortins, situés en face de la ville dont ils ne sont séparés que par la largeur de l'Escaut, ces fortins laissés au pouvoir du département de la guerre et qui sont construits de manière à pouvoir servir en cas de siège, (page 162) menacent directement les quais d'Anvers ; or, pourquoi les conserver, puisqu'ils ne doivent plus servir que de magasins ? Pourquoi ne pas les démolir et ne pas bâtir à leur place de véritables magasins ne pouvant avoir aucune utilité offensive ou défensive en cas de guerre ?

Il y a là encore un danger pour la ville d'Anvers et je ne doute pas qu'en présence des nouvelles fortifications qui vont s'élever à une certaine distance des forts de Burght et de Zwyndrecht et en présence de la digue de défense, le gouvernement ne se décide également à faire disparaître ces fortins. Cependant jusqu'à présent, je le répète, ni dans l'exposé des motifs, ni dans le rapport de la section centrale, je n'ai trouvé d'assurance à cet égard.

MfFOµ. - La section centrale a demandé des explications sur ce point et il a été répondu.

M. Jacobsµ. - Ils sont maintenus.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Voici ce que je lis dans le rapport :

« Oui ; mais après l'érection des fortifications nouvelles, ces ouvrages ne pourront plus être considérés que comme des postes de surveillance des digues et comme d'excellents magasins pour le service du camp retranché de la rive gauche. En conséquence, les servitudes militaires dont ils jouissent pourront être abolies sans inconvénient. »

Je reconnais effectivement, messieurs, qu'en perdant les servitudes qui les entourent, ils perdent aussi une grande partie de leur caractère militaire. Mais il n'en est pas moins vrai que, n'étant pas démolis, ils peuvent toujours servir au département de la guerre. (Interruption.)

Les bons comptes font les bons amis et j'aime mieux un tiens que deux tu l'auras.

M. Bouvierµ. - Ils sont bons les amis !

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Remarquez, du reste, que ce ne sera pas là une question très difficile à trancher.

Je me rappelle qu'en 1864, lorsque dans la discussion du programme de l'honorable M. Dechamps, je vins développer dans cette enceinte un système de défense sur la rive gauche, on me traita de rêveur ; ces fortifications sur la rive gauche n'étaient pas nécessaires ; la ville d'Anvers était admirablement défendue ; il n'y avait rien de plus à faire que ce qui existait.

Je constate qu'aujourd'hui, sauf la disparition complète de la citadelle du Nord, que je préconisais dans mon projet le projet qui est présenté en ce moment aux délibérations de la Chambre est exactement le même que celui que j'ai développé à cette époque.

M. Bouvierµ. - Vous devez être satisfait alors.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Le troisième point qui justifie mon abstention et que je tiens à indiquer à la Chambre, c'est celui qui se rattache aux droits de la commune d'Anvers.

Le rapport dit que « le plan des établissements maritimes à créer par M. Strousberg n'étant pas arrêté, on doit, pour établir la situation et répondre à la question posée, se borner ici à rencontrer quelques hypothèses qui pourront le plus vraisemblablement se présenter. »

Suivent alors les différentes hypothèses, que chacun a pu lire dans le rapport de la section centrale.

Eh bien, messieurs, il y a encore ici une question très grave pour la ville d'Anvers, c'est la question des relations qui s'établiront, de par le gouvernement, avec la société Strousberg, société que la ville voit arriver avec beaucoup de satisfaction, au point de vue des intérêts commerciaux et maritimes.

Il faut que la ville soit rassurée au sujet de ces relations et ce n'est que lorsque les plans auront été introduits et ces relations nouées que l'on pourra connaître exactement la portée des arrangements conclus.

Voilà, messieurs, les trois points qui m'empêchent de donner un vote entièrement approbatif au projet de loi ; mais je ne constate pas moins avec satisfaction que, la citadelle du Sud disparaissant, la ville d'Anvers va se trouver dans une situation meilleure, tant au point de vue des dangers auxquels elle était exposée qu'au point de vue commercial.

Il ne me reste plus qu'à espérer que, dans un avenir prochain, le gouvernement et la ville d'Anvers puissent se mettre également d'accord sur d'autres point ; je compte que toute équivoque disparaîtra ; que la citadelle du Nord suivra le sort de la citadelle du Sud ; que tout danger sera détourné d'Anvers et que la métropole commerciale de la Belgique n'aura plus, sous ce rapport, de griefs à faire valoir.

M. Coomansµ. - Je serai très court.

J'ai à peine besoin d'expliquer mon vote, qui sera négatif, plus négatif que jamais.

La Chambre me fera peut-être l'honneur de se souvenir que tout en m'associant à ceux de mes amis d'Anvers en très grand nombre qui demandaient la suppression des grandes citadelles intérieures, j'ai toujours soutenu que là n'était pas, selon moi, le vrai problème anversois, le vrai problème national ; qu'il fallait débarrasser notre métropole commerciale de tout l'appareil militaire dont elle est embarrassée. J'ai prétendu qu'il y avait incompatibilité absolue entre les établissements de guerre et les villes de commerce, que c'était un anachronisme, une œuvre d'anti-civilisation, une œuvre inhumaine que de condamner, pour une époque inconnue, mais de condamner certainement, une grande cité à un siège, à un bombardement, c'est-à-dire à la destruction.

Je l'avoue, cette thèse n'a pas été partagée unanimement à Anvers par le public, même par l'excellent public des meetings où elle a eu le plus de succès.

On s'est borné, en général, à demander la suppression des grandes citadelles et une indemnité pour les servitudes militaires.

Je reconnais que c'était bien là l'intérêt local d'Anvers, mais qu'on commettrait une grande faute en localisant trop la thèse, en ne demandant que des choses intéressant Anvers, en ne liant pas sa cause à la grande cause nationale, à la cause du progrès.

J'ai toujours insisté sur le programme que j'ai eu l'honneur de développer ici, sur le programme de l'affranchissement complet de la ville d'Anvers.

Pour que le ministère actuel adopte enfin, après l'avoir très sévèrement critiqué, le plan de l'honorable M. Dechamps, il faut qu'il ait été mû par des raisons plus ou moins secrètes. Quant à moi, il m'est impossible de croire qu'il a adopté ce plan pour plaire à mon honorable ami ou pour donner raison aux meetings. J'ai donc cherché le motif, le vrai motif de la volte-face résumée aujourd'hui en projet de loi. Ce motif, je crois l'avoir trouvé et je vous en ferai part.

On n'a jamais su au juste ce qu'on faisait militairement à Anvers, pas même politiquement, mais militairement je l'affirme. On a marché un peu au hasard ; ce qui le prouve, c'est l'interminable litanie des contradictions ministérielles à ce sujet. On nous a, depuis 1856 jusque dans ces derniers temps et jusqu'aujourd'hui même, soutenu le pour et le contre, le blanc et le noir avec un aplomb qui frisait l'audace.

On a prétendu, entre autres, qu'il était complètement inutile de fortifier la rive gauche, que les fortifications décrétées, et plus tard accomplies, suffiraient amplement. On a soutenu officiellement que le démantèlement de la citadelle du Nord du côté de la ville était une exigence imaginaire et que, si l'on y procédait, les Anversois seraient mystifiés, attendu, disait le gouvernement, que lorsque nous aurons, pour vous faire plaisir, supprimé les fronts intérieurs, il nous sera toujours facile, en cas de danger et en très peu de jours, de les rétablir.

Messieurs, quoique sortant des bouches ministérielles qui ont tant de fois soufflé le froid et le chaud, l'argument m'a paru très bon. J'y ai insisté auprès de qui de droit. J'ai dit à nos amis d'Anvers : Vous aurez le démantèlement à l'intérieur ; mais n'avez-vous pas la preuve qu'il sera toujours facile de refaire au grand complet cette affreuse citadelle du Nord, le jour où cela paraîtra nécessaire ?

Maintenant, c'est le contraire qu'on soutient ; on nous promet de supprimer les servitudes intérieures, d'abaisser au besoin les remparts, peut-être même en viendra-t-on à les remplacer par des murs crénelés ; et l'on somme les Anversois de se déclarer satisfaits.

Pour répondre à cet argument-là, les Anversois n'ont besoin que de se souvenir et de relire certains discours ministériels.

Messieurs, je n'insisterai guère sur ce côté de la question, bien qu'il me fasse la partie bien belle. Je me borne à indiquer la raison principale qui me fait repousser le projet de loi. Les beaux millions que le gouvernement va recueillir, je n'en doute pas pour ma part, ces beaux millions pourraient, selon moi, être beaucoup mieux employés qu'à être enfouis dans les horribles marécages de la rive gauche, qu'à servir à payer les tombeaux des victimes largement comptées tout à l'heure par l'honorable M. Vleminckx.

Je ne désapprouve pas, je n'ai pas besoin de le dire, le marché conclu par le gouvernement ; je le trouve excellent et le gouvernement n'eût-il obtenu, faute de mieux, que la moitié de la somme, j'aurais encore applaudi. Mais ce que je ne veux pas, c'est que ces millions se perdent de cette façon-là.

Pourquoi donc la combinaison que le ministère nous propose ? C'est, messieurs, qu'il s'est aperçu, après de nombreuses contradictions que j'ai résumées sommairement, pour mémoire, il s'est aperçu que toute son œuvre d'embastillement ne valait rien. Cela lui a été démontré par des plumes très compétentes. Mais comment faire pour obtenir encore quinze millions en attendant quinze autres millions, comment faire (page 263) pour obtenir de la Chambre tous ces millions après avoir déclaré une vingtaine de fois qu'on ne lui demanderait plus rien du tout ? Comment faire ?

On a trouvé ingénieux de faire coup double, d'avoir l'air de satisfaire les Anversois en mettant la main, en même temps, sur bon nombre de millions pour des bastilles nouvelles.

Il n'y avait plus que ce moyen-là, car bon nombre de membres qui avaient voté à outrance tons les projets militaristes du gouvernement, avaient déclaré, à diverses reprises, que c'était la dernière fois. Il est vrai que cette dernière fois s'est produite déjà plusieurs fois, mais enfin ils s'étaient fortement engagés par leurs déclarations ; j'en ai pris note et je m'en servirai au besoin.

Il n'y a donc, messieurs, plus moyen de faire voter par la Chambre 20 ou 30 millions, jugés indispensables pour l'achèvement de l'embastillement d'Anvers, et, au moyen de la convention, on met la main sur 14 millions, en se promettant bien encore de mettre la main sur pas mal de millions que vous voterez.

On a été heureux de trouver tous ces millions parce que, je le répète, il n'y a qu'une voix, en Belgique, pour déclarer détestable cet embastillement qu'on déclarait si parfait, il y a quelques années, et, comme je ne veux pas être dupe, je voterai plus que jamais contre le projet de loi.

MfFOµ. - Messieurs, le gouvernement vient réaliser en partie le projet qu'il a eu l'honneur de vous annoncer il y a environ deux ans.

A cette époque, j'ai fait connaître à la Chambre que le gouvernement avait pris la résolution d'aliéner les terrains de la citadelle du Sud, de procéder au démantèlement de cette citadelle et d'appliquer le produit qu'il en pourrait retirer à l'exécution de certains travaux militaires qui étaient dès lors indiqués.

J'ai dit en même temps que d'autres travaux de même nature avaient été reconnus nécessaires ; que la place de Termonde serait renforcée avec le produit d'autres terrains militaires dont l'aliénation était également projetée et notamment ceux à provenir de la citadelle de Gand.

Nous remplissons aujourd'hui, messieurs, la première partie de ce programme. Nous aurons l'occasion, dans un avenir très prochain, je l'espère, d'en réaliser la seconde partie. J'ai déjà reçu des offres de l'administration gantoise, et je pense qu'elles seront de nature à aboutir à une solution satisfaisante.

Messieurs, en réalité, le projet de loi dont la Chambre est en ce moment saisie, n'a point été attaqué : on combat à côté du projet. Des questions importantes, sans doute, ont été soulevées par d'honorables membres ; mais elles ne se rattachent pas directement au projet de loi : il en est ainsi, par exemple, de l'assainissement des terrains de la rive gauche de l'Escaut.

A une question qui lui a été posée à cet égard par la section centrale, le gouvernement a fait une réponse que j'ai lieu de croire complètement satisfaisante. Le gouvernement a déclaré qu'il croyait vraisemblable que les travaux à exécuter pourraient apporter certaines améliorations à la situation actuelle de ces localités ; mais il a reconnu en même temps que ces travaux seraient insuffisants pour remédier d'une manière complète à un état de choses que tout le monde doit désirer voir cesser ; et il a annoncé l'intention d'instituer immédiatement une commission qui serait appelée à rechercher les moyens les plus propres à réaliser dans son entier le résultat que l'on se propose d'obtenir.

L'honorable M. Vleminckx a exprimé le désir de recevoir une explication très nette et très catégorique sur ce point ; je crois qu'il sera satisfait de celle que je viens de donner à la Chambre. La mission qui sera confiée à la commission dont je viens de parler ne sera limitée en aucune façon. Cette commission aura à rechercher de la manière la plus étendue, la plus absolue, tout ce qu'il convient de faire pour arriver à l'assainissement de ces localités.

Comme on le sait, des intérêts particuliers se lient ici à l'intérêt général. Il y a des wateringues intéressées à l'exécution de certains travaux. Le gouvernement a cherché à amener ces diverses wateringues à se fondre en une seule, ou à constituer en quelque sorte un conseil général des wateringues, ce qui permettrait d'arriver à exécuter des travaux d'ensemble qui seraient plus complètement satisfaisants que ceux que pourrait exécuter isolément chacune de ces associations. Ce but que le gouvernement cherche à atteindre, il le poursuivra ; car le concours des wateringues est indispensable pour l'exécution des travaux qui seront reconnus nécessaires.

Ai-je besoin, messieurs, après avoir répondu à cette partie sérieuse de la discussion, de rencontrer les observations qui nous ont été présentées par l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ? L'honorable membre s'est plaint d'abord d'une prétendue pression que l'on aurait exercée sur la Chambre et sur les sections, pour hâter l'examen d'un travail aussi important, soumis en quelque sorte tardivement à la législature, en vue d'empêcher une étude approfondie du projet, et de surprendre le vote de la Chambre. Ai-je besoin, messieurs, de me défendre contre une pareille assertion de la part de l'honorable membre, assertion qui ne saurait être considérée comme sérieuse, si l'on veut bien se rappeler que nous sommes au début de la session, et qu'ainsi rien absolument ne fait obstacle à ce que la Chambre prenne tout le temps qu'elle jugera nécessaire pour l'examen et la discussion de ce projet.

Il y a quelque chose de particulièrement étonnant dans ce reproche que nous adresse si légèrement l'honorable membre : il pourrait prétendre peut-être que d'autres n'ont pas eu le loisir d'examiner le projet de loi ; mais, après avoir parlé pendant une heure sur ce projet, comment peut-il prétendre qu'il n'a pas eu le loisir de l'examiner tout à son aise ?

Non seulement l'honorable membre a eu le temps d'examiner le projet sur lequel il a présenté des observations si variées, mais il a eu le temps de faire tout un cours de haute stratégie pour démontrer, ce qui, pour le dire en passant, n'était guère en question, que les forteresses sont inutiles ; qu'elles n'ont pas servi en Autriche, qu'elles n'ont pas servi en Danemark, ni au Mexique, ni en Italie, et que le fameux quadrilatère a été impuissant à sauver la position de l'Autriche dans la Péninsule. Or, ayant eu le temps de faire des études aussi vastes et aussi complètes sur cette matière, qui ne doit pas cependant lui être familière, l'honorable membre n'est assurément pas fondé à se plaindre d'une prétendue précipitation que l'on aurait mise dans l'examen du projet de loi.

Mais, au fond, quelle conclusion l'honorable membre a-t-il tirée de ses études stratégiques ? C'est qu'il ne faut pas avoir de forteresses ; on est dans de bien meilleures conditions pour se défendre lorsqu'on n'a pas de forteresses que quand on en possède. (Interruption.)

Voilà son axiome stratégique. (Interruption.)

Et, quelle est la raison qu'en donne l'honorable membre ? C'est que, pour un petit pays surtout, s'il a des forteresses et que l'ennemi vienne à s'en emparer, l'ennemi a un point d'appui d'autant plus puissant contre le pays auquel ces ouvrages devaient servir de défense.

Eh bien, quant à moi, j'admire vraiment cette raison ! Elle me paraît en effet concluante. Et si l'on veut en déduire toutes les conséquences, on est immédiatement amené à reconnaître qu'il ne faut pas non plus avoir de canons, car si l'on a des canons et que l'ennemi parvienne à s'en emparer, il va les tourner évidemment contre ceux auxquels il les aura enlevés. (Interruption.)

De telle sorte qu'il reste, selon la stratégie, aussi simple que merveilleuse de l'honorable membre, pour défendre le pays et maintenir son indépendance, quelques discours à aller porter à l'ennemi, lorsqu'il se présentera à la frontière, discours dans lesquels on lui fera comprendre, d'une façon fort convenable, qu'il a tort de vouloir pénétrer dans un pays libre, dont son premier devoir est de respecter l'indépendance et la faiblesse ! (Interruption.) Cela sera très suffisant et assurément fort efficace, comme l'indique l'honorable membre, par un signe qui prouve que j'ai parfaitement exprimé sa pensée.

M. Bouvierµ. - C'est naïf.

MfFOµ. - Je ne pense pas que la Chambre et le pays soient disposés à admettre ce système de défense. (Interruption.)

Je n'ai plus qu'à rencontrer le discours ou plutôt les quelques observations qui ont été présentées par l'honorable M. d'Hane.

L'honorable membre vient de nous annoncer qu'il s'abstiendrait sur le projet de loi, qui cependant lui cause une grande satisfaction. Et cela se conçoit : il l'avait inventé ! En 1863, il l'a exposé à la Chambre. Le gouvernement vient exécuter son idée. Il ne sait ce qu'il faudrait y ajouter encore pour qu'on eût pleine et entière satisfaction. (Interruption.) Il faut avouer, messieurs, que ce sont là de bien singuliers motifs d'abstention !

Je dois cependant troubler un peu l'honorable membre dans la satisfaction qu'il éprouve ; il a mal relu l'exposé qu'il a fait à la Chambre en 1863. Le projet qui est actuellement soumis à vos délibérations diffère essentiellement de celui qui avait été indiqué par l'honorable membre, après bien d'autres, comme il en a été indiqué d'autres encore postérieurement.

Le projet qu'exposait à la Chambre l'honorable membre consistait à prolonger l'enceinte sur la rive gauche, à y ériger toute une série de forts et à y établir, comme sur la rive droite, un camp retranché.

Tel était le plan.

Je n'examine pas s'il était bon au point de vue militaire. Mais je sais (page 264) qu'il aurait exigé une dépense que la Chambre n'aurait certainement pas consenti à voter.

L'honorable M. Dechamps a fait une nouvelle édition de ce plan en 1864. Il l'a indiqué sous le titre de « solution de la question d'Anvers ». Il a été présenté à une autre époque comme une solution militaire, comme le complément des travaux de fortification. Mais alors, nous avons eu l'honneur de démontrer à la Chambre que ce plan entraînerait à des dépenses telles, qu'il était impossible que la Chambre consentît jamais à en autoriser l'exécution.

Je ne ferais pas, messieurs, de ces revues rétrospectives qui n'ont pour moi aucune espèce d'attrait, si l'on ne me portait sur ce terrain. Vous avez entendu tout à l'heure un honorable membre, M. Coomans, prétendre que le plan qui est actuellement soumis à l'approbation de la Chambre avait déjà été autrefois combattu par nous. Cette assertion, il l'a produite il y a deux ans encore. Je le renvoie à la discussion du mois de janvier 1868. Il y trouvera la réfutation complète de ses allégations et la preuve évidente, incontestable, qu'elles n'ont aucune espèce de fondement.

Quoi qu'il en soit, et peu importe à qui appartient l'idée du plan, nous apportons une combinaison pratique, réalisable dans des conditions aussi satisfaisantes que possible et qui, à l'aide du produit de la vente des terrains militaires, permet de satisfaire à la fois aux intérêts de la défense nationale, pour ceux qui pensent que ces intérêts ne sont point actuellement suffisamment garantis, et aux intérêts civils de la ville d'Anvers, qui sont aujourd'hui assurément bien sauvegardés.

Le deuxième point qui arrête l'honorable M. d'Hane et qui ne lui permet pas de voter le projet de loi, c'est le maintien de deux ou trois fortins à la Tête de Flandre, sur la rive gauche de l'Escaut. Interrompu par mon honorable collègue, M. le ministre de la guerre, et par moi-même, on lui a fait remarquer que ces forts cessaient d'exister comme fortifications, puisque les servitudes allaient disparaître, qu'ils ne seraient dès lors plus défendables, et qu'il s'agissait uniquement de les maintenir comme établissements utiles à l'armée et servant de magasins d'approvisionnements ; ce point est donc encore éclairci d'une manière satisfaisante.

Mais il eu est un autre : c'est l'objection tirée de l'existence de la citadelle du Nord, de cette fameuse citadelle du Nord ignorée de tous autrefois, comme vous le savez ! Le gouvernement avait promis, à cet égard, un examen ; cet examen a été fait, et on vous apporte la solution qui en est le résultat. En quoi consiste cette solution ? Désormais, la citadelle du Nord se trouvera réduite à une batterie de côte, indispensable à la défense de la rade ; sous ce rapport, elle n'est critiquée par personne, et elle ne saurait l'être ; chacun en reconnaît la nécessité pour défendre l'entrée de la rade, dans l'intérêt même de la sécurité d'Anvers

Oui, dit l'honorable M. d'Hane, cela est bien ; mais il existe encore des remparts que l'on pourrait éventuellement, dans certaines circonstances, utiliser d'une manière qui pourrait être dommageable à la ville.

Messieurs, si l'on veut recourir à des arguments de ce genre, et je sais qu'il vous en faut quelques-uns pour les besoins de la cause que vous soutenez, il sera bien difficile de vous satisfaire. Vous pouvez aller jusqu'à soutenir que les maisons pourraient un jour être transformées en citadelles, que l'on y soutiendra un siège ! Vous pouvez créer toutes ces suppositions et bien d'autres, qui n'ont rien de sérieux. (Interruption.) Mais si l'on vous déclare que ce qui existe aujourd'hui ne sera point modifié, qu'on n'érigera pas de citadelles, qu'il n'y a point de logements pour les troupes, qu'il n'y a point d'abris et que, par conséquent, on ne saurait pas y opérer une défense, il est impossible que des gens raisonnable voient, dans ce qui restera de ce qu'on appelle la citadelle du Nord, le moindre danger, le moindre inconvénient pour la ville d'Anvers.

Et d'ailleurs, vous pouvez vous-mêmes vous donner toute satisfaction sur ce point. Que vous avons-nous dit ? Ces remparts vous offusquent ; eh bien, faites-les disparaître. Puisque c'est une fantaisie toute locale, à laquelle le pays est absolument désintéressé, chargez-vous de la dépense. Il vous en coûtera un million, mais vous serez satisfaits ; opérez ce travail que nous considérons comme tout à fait inutile ; s'il doit enfin vous donner la tranquillité, exécutez-le.

Et lorsque nous disons qu'il ne dépend que de vous de vous donner cette satisfaction, qui n'a cependant pas de raison d'être, qui en a moins aujourd'hui que jamais puisque les servitudes intérieures disparaîtront partout, ainsi que cela est décidé, quand nous vous tenons ce langage, nous ne faisons que vous rappeler vos propres intentions, que vous avez manifestées autrefois.

En 1863, si je ne me trompe, l'administration communale de la ville d'Anvers, qui avait cru à l'existence d'un plan ayant pour objet la création de travaux sur la rive gauche et la démolition de la citadelle du Nord, prit une délibération formelle pour offrir son concours financier à l'Etat, afin d'arriver à l'exécution de ces travaux.

Eh bien, messieurs, nous faisons mieux aujourd'hui. Les travaux s'exécuteront sans que le concours de la ville d'Anvers soit réclamé, bien qu'il y ait eu un engagement pris sur ce point par une délibération formelle qui a été transmise au gouvernement, Si donc la ville d'Anvers veut pousser les choses à l'extrême, elle peut donner son concours financier en exécutant ces travaux, qu'elle déclare si utiles, à la citadelle du Nord.

Le troisième et dernier point indiqué par l'honorable M. d'Hane comme motif de son abstention, c'est qu'il veut sauvegarder les droits de la ville d'Anvers.

Je ne sais quels droits de la ville d'Anvers pourraient être méconnus ou compromis d'une façon quelconque dans cette affaire. Je pense que le gouvernement a pris soin de les sauvegarder entièrement. Il propose de faire exécuter un travail considérable, un travail de la plus haute utilité pour la ville, mais qui offre en même temps un intérêt national, sans qu'il en coûte rien à la ville ; et, par une stipulation formelle du contrat, il s'engage à entendre préalablement l'administration communale d'Anvers et la députation permanente de la province, sur les plans qui devront être dressés pour réaliser les vues qui ont été annoncées. Il me semble que de cette manière les intérêts de la ville ne sont aucunement compromis.

Il est évident que le gouvernement, ayant à créer un établissement de cette importance, aura soin de prendre l'avis des autorités compétentes : l'administration communale, la chambre de commerce et la députation permanente ; et qu'il saura tenir compte des observations justes et légitimes qui lui seraient faites, lorsqu'il y aura lieu d'approuver les plans.

Il me semble, messieurs, que j'ai ainsi répondu aux diverses observations qui ont été présentées et qui ne s'adressent pas, au fond, au projet de loi soumis à vos délibérations.

M. Jacobsµ. - Messieurs, il n'est personne, à Anvers, qui ne se soit félicité de voir disparaître la citadelle du Sud.

Les Anversois n'ont pas oublié que cette citadelle a été. construite par le duc d'Albe malgré eux et en partie avec leur argent ; que, démolie une première fois par leurs pères, elle fut reconstruite par les Espagnols après la prise d'Anvers. Ils se rappellent qu'en 1830 le comte de Robiano, gouverneur de la province. d'Anvers, leur promit de la faire disparaître une deuxième fois. Il n'est donc pas étonnant que la démolition considérée en elle-même, abstraction faite de tout autre élément, soit universellement bien accueillie.

Au surplus, messieurs, ces vieux bastions accolés à la nouvelle fortification polygonale semblaient se cacher dans un angle rentrant pour échapper aux attaques d'un ennemi qu'ils ne pouvaient plus affronter.

S'ils s'effondrent aujourd'hui, c'est autant et plus l'intérêt militaire que l'intérêt civil et commercial qui les fait tomber en poussière.

M. le ministre des finances rappelant, en quelques mots, les rétroactes de cette affaire, a paru revendiquer la paternité entière du projet pour lui et ses collègues. Voici la vérité :

Il y a juste six ans, jour pour jour, à la fin du mois de décembre 1863, la députation anversoise, nouvelle venue dans cette enceinte, y produisait la première le projet de reporter sur la rive gauche le réduit de la position d'Anvers qui, jusque-là, consistait dans les deux citadelles.

Que nous répondait-on alors ? Nous objectait-on que ce projet n'était réalisable qu'au prix de sacrifices hors de proportion avec nos ressources ?

Non, messieurs, ce qu'on objectait alors, c'est ce qu'on a objecté à l'honorable M. Deschamps qui, lui, n'arrivait pas armé d'une solution déterminée, mais avec la ferme volonté d'examiner si l'on ne pouvait transporter le réduit sur la rive gauche. On s'opposait au principe même de cet examen, on déclarait que le réduit ne pouvait être placé sur la rive gauche, qu'il devait consister dans les deux citadelles de la rive droite, qu'il fallait maintenir.

Dès lors, nous l'avons prédit : Le réduit passera sur la rive gauche, la force des choses l'exige. C'est une question de temps. Nous avons le temps d'attendre, disions-nous, nous attendrons.

Avons-nous été déçus dans notre attente ?

Dès 1864, M. Dechamps confirmait notre pensée de 1863 et, en 1868, lorsque le général Renard fut entré dans le cabinet actuel, nous avons vu ce cabinet se rallier à ce système. La prédiction s'accomplissait.

A meilleur droit que M. le ministre des finances, je renvoie, pour les développements de ce résumé des rétroactes, aux discours prononcés, à cette occasion, dans cette enceinte, notamment le 18 janvier 1868. J'ai démontré alors, clair comme la lumière du jour, ce que je n'ai fait que résumer aujourd'hui.

Le moment prédit par nous est arrivé ; des satisfactions réelles, je me (page 265) plais à le reconnaître nous sont accordées ; l'une des deux citadelles vient à tomber. Pour l'autre on nous fait la concession des servitudes intérieures dont la légalité, il est vrai, était si sérieusement contestée, qu'une section centrale de cette Chambre ne l'avait pas admise.

Le gouvernement, je le répète, nous fait des concessions réelles. Mais, messieurs, en ces matières il ne faut pas s'arrêter à mi-chemin ; il ne le faut pas sans nécessité absolue, sans un obstacle invincible.

Que ne donne-t-on satisfaction complète à la ville d'Anvers en ce qui touche à la citadelle du Nord ?

Ce n'est pas tout que de supprimer les servitudes intérieures et d'appeler désormais la citadelle du Nord une batterie de côte, pas plus qu'il ne suffit de qualifier de magasins les forts de la tête de Flandre pour en changer la nature.

Ce n'est pas le nom qui fait la chose ; les forts resteront forts et la citadelle demeurera citadelle tant qu'on n'aura pas réellement transformé les uns en magasins, l'autre en batterie de côte.

J'en appelle a votre bon sens : peut-on qualifier de batterie de côte un ouvrage fermé couvrant 132 hectares ? cette taille est-elle proportionnée à l'objet ?

A part les servitudes intérieures il y a d'autres caractères distinctifs d'une citadelle. Au delà du terre-plein du côté de la ville, je vois des fronts intérieurs, d'énormes fossés, et en avant d'eux des glacis étendus.

Prétendra-t-on que cet ouvrage, dont le terre-plein a 16 hectares à lui seul, est une batterie de côte ?

Il faudra, pour qu'il le devienne, qu'une transformation s'opère ; elle s'opérera pour la citadelle du Nord, je puis le prédire et, comme je le disait en 1863, nous avons le temps d'attendre, nous attendrons. La transformation de la citadelle du Nord s'opérera comme s'opère aujourd'hui la transformation de la citadelle du Sud ; on y viendra parce que nous avons pour nous un allié plus fort que tout le monde, la force des choses.

La citadelle du Nord n'a aucune valeur militaire, à part cette batterie, que nous nous réservons de discuter ultérieurement lorsqu'il s'agira sérieusement de transformer la citadelle du Nord en batterie de côte ; en tous cas, une grande partie des 132 hectares peut être abandonnée par l'élément militaire à l'élément civil, commercial.

Il ne suffit pas de remplacer un mur de terre par un mur de pierre ; cette solution a été qualifiée de baroque par un de nos officiers les plus distingués du génie, le colonel Brialmont. Ce sont d'autres changements qu'il importe d'y apporter, il faut convertir une grande partie des terrains militaires en terrains civils ; ces terrains ne valent rien comme domaine militaire, ce sont des terrains paludéens plus marécageux que ceux dont parlait tout à l'heure M. Vleminckx. Le signe affirmatif que me fait l'honorable membre vous prouve que je ne me trompe pas.

Mais, messieurs, s'ils sont détestables comme terrains militaires, ils sont excellents comme terrains commerciaux : ils ont une affectation naturelle que le temps leur réserve nécessairement. Ces terrains, par leur situation dans la zone maritime et par leur isolement dans cette zone, ils sont seuls de leur espèce isolés à ce point, ces terrains sont fatalement destinés, dans un avenir plus ou moins rapproché, à recevoir les grands docks, le grand entrepôt des huiles de pétrole, des huiles de naphte, de toutes les matières dangereuses et inflammables qui doivent être parquées à l'écart.

Ces matières ne peuvent être placées avec sécurité ailleurs que là ; je le répète, autant les terrains de la citadelle du Nord sont peu aptes à recevoir des fortifications, autant ils le sont à devenir l'entrepôt des matières inflammables.

Aussi l'on y viendra ; nous attendrons ce jour et nous ne nous plaindrons pas trop s'il tarde quelque peu : ces terrains mûriront dans l'intervalle comme ont mûri jusqu'ici les terrains de la citadelle du Sud ; ils gagneront en valeur pendant quelques années encore ; et puis, bien loin que leur transformation en terrains civils soit pour vous une charge, ils seront une source de richesses nouvelles.

Ce ne sont pas de nouveaux sacrifices que nous vous demanderons ; vous trouverez, au contraire, dans la réalisation de ces terrains des ressources sérieuses pour construire soit des fortifications, soit d'autres travaux plus utiles.

Je dis que le gouvernement y viendra ; mais il y viendra encore une fois trop tard. Le gouvernement arrive toujours trop tard dans cette question d'Anvers.

Si le gouvernement avait fait, dès 1862, les concessions qu'il fait aujourd'hui, je le dis bien impartialement, s'il avait fait, dès lors, la concession de la démolition de la citadelle du Sud, s'il avait renoncé aux servitudes intérieures, il est possible que le mouvement anversois eût avorté. (Interruption.)

M. Rogierµ. - C'est probable.

M. Jacobsµ. - Je vois M. le ministre des finances sourire, pendant que j'entends l'honorable M. Rogier dire : « C'est probable ; » je n'ai pas à me prononcer entre eux.

Cette année, si vous aviez accordé à la ville d'Anvers une complète satisfaction, au lieu de cette satisfaction incomplète que vous nous marchandez, il est possible que vous eussiez réussi aux dernières élections d'Anvers ; il est possible que vous fussiez parvenu à désunir la fédération qui s'est établie entre la ville d'Anvers et les communes rurales grevées de servitudes.

Cela est possible, je le répète ; mais, encore une fois, il fallait donner satisfaction ; elle arrivera, elle arrivera trop tard.

Ce que je vous conseille est peut-être contraire à notre intérêt personnel. (Interruption.)

MpDµ. - Pas d'interruption, messieurs.

M. Jacobsµ. - Il fut un temps, messieurs, où il semblait qu'une discussion sur la question anversoise ne pût s'ouvrir sans qu'on insinuât que les élus d'Anvers, en quelque sphère que ce soit, tenaient bien plus à la conservation de leurs sièges qu'à la démolition de la citadelle du Nord.

Démolissez-la donc cette citadelle et, pour ma part, je ne me plaindrai pas si je paye ce résultat de la perte de mon mandat.

Il s'agit ici de mettre tout amour-propre de côté. Le gouvernement reconnaît déjà qu'à certains égards il s'est trompé, et dans ces matières spéciales rien n'est plus naturel qu'une erreur. Qu'il ne s'arrête pas à mi-chemin, qu'il reconnaisse donc que cette citadelle du Nord n'a aucune valeur militaire, et, s'il veut la transformer en simple batterie de côte, que ce ne soit pas un simple changement de nom.

Voilà, messieurs, la ligne de conduite que le gouvernement doit tenir s'il veut sincèrement donner une satisfaction complète à la ville d'Anvers ; qu'il fasse au plus tôt ce à quoi il ne peut soustraire, car, je le prédis de nouveau, s'il ne tient pas cette conduite aujourd'hui, il la tiendra demain.

Messieurs, je suis sorti un peu du cadre du projet de loi ; c'est que je n'y vois pas seulement ce qu'il contient en apparence.

Il n'y a pas là une simple opération financière, la réalisation de terrains appartenant au domaine. Il n'y a pas là non plus une pure question militaire, quoiqu'elle soit fort importante. Il y a encore une concession faite à la ville d'Anvers, concession que j'accepte avec bonheur, je le déclare.

Je l'invite à la compléter, rien ne l'empêche d'aller jusqu'au bout dans la voie où il est entré. Là est le vrai moyen d'apaiser de longs dissentiments.

Le projet en lui-même, messieurs, ou plutôt la convention n'a fait naître aucune opposition réelle ni à Anvers, ni sur les bancs qui représentent la métropole dans cette enceinte.

Je félicite le gouvernement du marché qu'il a conclu ; il est cependant une réserve que je tiens à faire, un point noir que je tiens à signaler à l'horizon.

J'espère que l'avenir viendra démentir mes prévisions.

Anvers se constituera, à l'avenir, d'un port ancien et d'un port nouveau, le port ancien, celui de la commune, au Nord ; le port nouveau, celui du docteur Strousberg au Sud de la ville.

Le gouvernement accorde au docteur Strousberg cet entrepôt franc auquel il n'avait pas été donné suite depuis 1846 ; il le lui accorde pour le mettre sur la même ligne que l'établissement maritime de la ville d'Anvers pour lui permettre de lutter à armes égales contre la ville d'Anvers qui possède un entrepôt public.

Je ne blâme pas la création, à Anvers, d'un entrepôt franc. Pour le commerce, ce sera chose excellente ; ce sera chose moins bonne pour les finances communales.

L'entrepôt franc et l'entrepôt public peuvent être comparés à deux soldats armés, l'un d'un fusil à aiguille et l'autre d'un fusil ancien système.

- Un membre. - La ville n'a pas voulu d'entrepôt franc.

M. Jacobsµ. - Je sais que, depuis vingt ans, la ville d'Anvers n'a pas donné suite à la loi de 1846 qui l'autorisait à convertir son entrepôt en entrepôt franc ; tant qu'elle seule était en possession de bassins, tant qu'il n'y avait pas de concurrence, elle devait y attacher moins de prix.

La situation change le jour où à l'autre extrémité de la ville va se trouver un établissement maritime considérable et concurrent, qui jouira de cette franchise d'entrepôt. La lutte pourra devenir difficile pour l'ancien port.

Les droits de bassin diminueront dans une proportion assez sensible et comme les nouveaux bassins ont été créés au moyen d'emprunts dont il (page 266) faut payer les arrérages, la situation financière de la ville s'en ressentira.

Je reconnais néanmoins que la création d'un port franc sera chose utile au commerce, et comme, d'après la loi de 1846, il ne peut y avoir que deux entrepôts francs à Anvers...

- Un membre. - Comment ?

M. Jacobsµ. - Telle est du moins l'interprétation donnée par M. le ministre des finances dans la réponse qu'il a faite à la section centrale.

Du reste, l'état des lieux de l'ancien port, où les bassins et entrepôts sont entremêlés avec les habitations, rend sa conversion en entrepôt franc presque impossible.

Les finances de la ville d'Anvers recevront une atteinte. J'espère que le développement de la richesse et la prospérité qui résultera de l'augmentation des établissements maritimes apporteront des compensations financières à la ville.

J'ai cru néanmoins devoir signaler ce point au gouvernement, de même que l'ancien bourgmestre d'Anvers, M. Loos, lors de la discussion de la loi abolitive des octrois, signalait, lui aussi, un point noir à l'horizon. Il prédisait alors que l'abolition des octrois entraînerait une situation excessivement difficile pour la ville d'Anvers, qu'il en résulterait pour elle des difficultés inextricables.

Ces difficultés, je puis le dire, grâce à notre énergie nous les avons vaincues, et si bien vaincues que nous pouvons déjà diminuer les impôts communaux établis pour faire face à la situation.

Nous vaincrons celles de l'avenir comme celles du passé, j'en ai le ferme espoir, mais je n'ai pu m'empêcher de signaler ce point au gouvernement pour que, dans ses négociations avec le docteur Strousberg, lorsqu'il s'agira d'établir le règlement sur les droits de navigation, pour les nouveaux bassins, il s'efforce de ménager les intérêts de la commune d'Anvers.

A part cette réserve, messieurs, j'adhère complètement à la convention qui a été conclue.

Comme mon honorable ami, M. d'Hane, je m'abstiendrai sur le projet de loi. (Interruption.)

M. Allardµ. - Et si nous votons contre ?

- Plusieurs membres. - Et si nous nous abstenons tous ?

M. Jacobsµ. - Je n'attache pas à mon vote assez d'importance pour croire qu'il puisse entraîner tous les vôtres.

Vraiment, messieurs, ce serait trop flatteur. (Interruption.)

MfFOµ. - Messieurs, nous n'avons jamais été assez naïfs pour croire un seul instant que, quoi que nous eussions pu faire à une époque quelconque, nous pussions obtenir l'assentiment des honorables membres de la députation d'Anvers.

Je suis persuadé que si le gouvernement à une époque quelconque, autrefois comme aujourd'hui, eût concédé tout ce qui a été demandé au nom d'Anvers, on trouverait bien le moyen d'établir qu'il y a encore quelque chose qui n'est pas accordé.

- Des membres. - Essayez !

MfFOµ. - En voulez-vous une preuve ? Elle est dans le discours que vous venez d'entendre. L'honorable M. Jacobs trouve très bon tout ce que le gouvernement vient de faire pour la ville d'Anvers ; il se félicite, et il félicite le gouvernement, de la convention qu'il a conclue.

Mais qui s'en serait douté ? Il est encore un grief, et tout nouveau cette fois : ce sont les finances communales ! Qui aurait pu jamais deviner cela ?

Ainsi l'on vient nous dire : Vous donnez satisfaction au commerce d'Anvers par la création de vastes établissements maritimes, par l'érection d'un entrepôt franc, dont l'utilité est très appréciée. La ville n'y a pas pourvu, bien qu'elle en eût le devoir ; c'était une obligation pour elle, en vertu de la loi de 1846. Mais, préoccupée sans doute des embarras de sa situation financière, elle n'a pas rempli ses obligations.

Le gouvernement lui substitue un concessionnaire, sans rien réclamer de la ville, sans obérer en aucune façon les finances communales, et néanmoins les représentants de la ville d'Anvers viennent nous dire : Nous faisons nos réserves : la réalisation de votre projet pourrait porter quelque préjudice aux finances de la ville d'Anvers, et si par hasard, il fallait établir quelque impôt nouveau, quelques centimes additionnels aux contributions de la ville d'Anvers, ce sera la faute du gouvernement ; c'est parce que le gouvernement aurait négligé les intérêts financiers de la ville d'Anvers ! Avais-je raison, messieurs, de vous dire que, quoi qu'on fasse, on ne donnera jamais satisfaction aux représentants de la ville d'Anvers ? (Interruption.) On n'y parviendra pas !

Vous voyez, messieurs, à quelles puérilités descend l'opposition d'Anvers en face d'un pareil projet, sans craindre même de soulever le mécontentement de ceux qui sont disposés à le voter.

De quoi s'agit-il ? Des finances de la ville d'Anvers, c'est-à-dire d'une diminution éventuelle des droits qu'elle perçoit pour l'usage des quais ou des bassins ! Le produit de ces droits s'élève, si ma mémoire est fidèle, à 600,000 francs environ pour la ville d'Anvers ; vous aurez peut-être une diminution de bénéfice de 100,000 ou 200,000 francs, admettons même que vous y perdiez toute la recette de 600,000 francs. Voilà donc votre grand grief ! Voilà ce qui ne vous permet pas de voter un projet de loi si important, destiné à donner à la ville d'Anvers un nouvel accroissement dans de si magnifiques conditions, à garantir un nouvel essor à sa prospérité, à assurer sa prospérité et à garantir une si large satisfaction à ses intérêts commerciaux et à ceux du pays entier.

Nous avons eu raison, nous dit-on, de donner l'entrepôt franc en concession. Mais enfin, si c'est un bien pour le commerce, c'est un mal pour les finances de la ville d'Anvers. Il reste à la ville d'Anvers l'entrepôt public, mais entre entrepôt franc et entrepôt public, la différence est énorme, importante, essentielle.

Mais quelle est-elle ?

La position est presque identique entre l'entrepôt franc et l'entrepôt public. Il n'y a qu'une seule différence. L'entrepôt franc est composé de bassins et d'entrepôts, l'entrepôt public est un magasin pour le dépôt des marchandises. Dans l'entrepôt franc, on pénètre sans vérification de la douane. Dans l'entrepôt public, il y a, pour les marchandises arrivant par mer, une vérification préalable.

Voilà toute la différence ; il n'y en a pas d'autre.

Mais, est-ce que les établissements maritimes que le gouvernement propose de créer à Anvers, grâce à la convention conclue avec le docteur Strousberg, se bornent à un entrepôt franc ? Mais l'entrepôt franc n'est que l'accessoire ; c'est un point secondaire dans l'exécution de ce plan. L'entrepôt franc pourra comprendre peut-être quinze hectares, bassins et magasins, et nous avons stipulé que 49 hectares, des 98 qui sont vendus, seraient affectés à des établissements maritimes.

De quoi s'agit-il donc ? Il s'agit de mettre Anvers dans une situation semblable à celle où se trouvent les grandes villes commerçantes de l'Angleterre. Il s'agit d'essayer de faire à Anvers ce qui existe à Londres, d'arriver, si c'est possible, à une grande concentration de tous les établissements commerciaux, de telle sorte que les négociants d'Anvers soient, comme les négociants anglais, affranchis de toutes les obligations qui leur sont imposées aujourd'hui ; qu'ils puissent se livrer à toutes les manipulations de leurs marchandises, sans surveillance de leur part dans ces magasins, dans ces docks ; et alors vous verrez diminuer considérablement les dépenses imposées au commerce d'Anvers ; vous verrez les commerçants anversois mis en position de lutter avec les négociants étrangers, ce qui leur est moins facile aujourd'hui.

Ainsi le négociant anglais a-t-il ces vastes magasins, ces bureaux, tous ces frais généraux, dont les négociants anversois sont aujourd'hui grevés ? En aucune façon : tout cela est supprimé ou réduit à sa plus simple expression sur la place de Londres. Le négociant de Londres a simplement son portefeuille qui contient ses warrants ; il met par leur moyen toutes ses marchandises en circulation, et les fait passer de main en main, sans qu'elles aient quitté les docks ou les entrepôts. Voilà ce qu'il serait désirable de faire pour Anvers. Voilà ce que permet le plan que vous soumet le gouvernement. Il est donc bien autrement vaste que celui qui se bornerait à créer un simple entrepôt franc, et il sera bien que la Chambre, dans l'intérêt d'Anvers et du pays, vote le projet de loi en présence de l'abstention des députés d'Anvers.

M. Rogierµ. - J'ai interrompu l'honorable M. Jacobs lorsqu'il disait, si j'ai bien compris, que si le gouvernement avait exécuté, à une autre époque, ce qu'il propose aujourd'hui, il ne serait pas, lui M. Jacobs, député d'Anvers. Je lui ai dit : C'est probable.

Il est évident, messieurs, que la situation parlementaire d'Anvers à la Chambre n'a changé que grâce au secours que l'opposition catholique, qui a toujours eu d'ailleurs une assez grande influence dans l'arrondissement, a trouvé dans cette même citadelle du Nord, qui a fait sa fortune politique, et dont elle s'est servie comme d'un épouvantail aux yeux des électeurs.

Et aujourd'hui, cette forteresse tant maudite, vous devez lui rendre grâce, car c'est par elle que vous êtes entrés dans cette Chambre, vous et vos amis.

(page 267) Mais vous voici quelque peu gênés dans votre position. Vous étiez venus ici non pas au nom et sous le drapeau du parti catholique, mais au nom de la ville d'Anvers, menacée par la citadelle du Nord (on ne parlait pas, au début, de la citadelle du Sud) ; la citadelle du Nord vient, à ce qu'il semble, de recevoir le dernier coup, au nom du gouvernement ; il n'en est plus question que comme d'une batterie de côte, destinée à défendre la passe du fleuve.

Cela ne suffit pas, on offre à la ville d'Anvers de niveler, en quelque sorte, toute la citadelle si elle veut se charger du comblement de la partie intérieure. La ville d'Anvers, dit-on, ne fera pas cela. Est-ce que les députés qui vivent encore sur ce restant de citadelle, ne seraient pas fâchés de le voir maintenir ? Je crois me rappeler que, dans un accès de zèle, un de ces messieurs s'écriait un jour que si la citadelle du Nord tombait, il considérerait son mandat comme accompli et le déposerait.

On récrimine contre le gouvernement et je voudrais bien ne pas avoir à récriminer contre la ville d'Anvers, pour laquelle j'ai toujours conservé une grande sympathie ; mais ici je dois faire un reproche grave à l'administration communale d'Anvers. Sans doute, le projet de loi apporte une bonne solution ; mais je dois dire qu'il ne me satisfait pas entièrement. Ne croyez-vous pas, messieurs, que l'établissement d'un port franc, qui peut exercer sur le pays entier, sur son commerce et son industrie, une si grande influence, ne croyez-vous pas qu’un établissement de cette importance devrait rester dans les mains de l'autorité publique ? C'est ce que voulait la loi de 1846. La loi de 1846 attribue, pour ne pas dire qu'elle impose, aux villes à qui sera assigné un entrepôt franc le soin de l'approprier et de l'administrer ; pourquoi la ville d'Anvers, au lieu de gaspiller son temps et ses forces en de misérables conflits et de mesquines querelles, pourquoi n'a-t-elle pas mieux compris son intérêt et son devoir ? C'était à elle que devait revenir ce grand établissement d'un port franc, qui est appelé à exercer une si grande influence sur ses destinées ; elle ne devait pas permettre à un particulier de s'en charger. Voilà ce qui pèsera longtemps sur Anvers.

Qu'on ne vienne pas dire que l'établissement pourra un jour nuire aux finances de la ville. On répondra : Il fallait conserver entre vos mains ce grand instrument de richesse générale et de revenus locaux.

L'administration communale d'Anvers qui avait, sans doute, autre chose à faire, a laissé échapper l'occasion.

Elle voit aujourd'hui s'établir, dans son sein, un entrepreneur particulier, un concurrent, qui va se charger d'une mission qui lui revenait en première ligne et dont elle ne devait pas se dessaisir, sous, peine de méconnaître ses vrais intérêts.

Mais, messieurs, les choses étant ainsi, je demanderai quelques éclaircissements.

Le contrat passé avec M. Strousberg ne s'occupe pas de l'éventualité de la cession de ces établissements à une société quelconque. Je demande si cet entrepreneur a la faculté de faire une pareille cession sans l'autorisation du gouvernement.

MfFOµ. - Non.

M. Rogierµ. - Le contraire me paraîtrait résulter du rapport de l'honorable M. de Brouckere. C'est un point très important. On nous a signalé, il n'y a pas très longtemps, les inconvénients qui pouvaient résulter de cette faculté, laissée à des sociétés anonymes, de céder à d'autres certains droits, alors que les intérêts du pays pourraient en souffrir.

Je demande s'il est entendu que M. Strousberg ne peut céder la concession à d'autres sans l'autorisation du gouvernement.

MfFOµ. - Je vous répondrai, et vous aurez pleine satisfaction.

M. Rogierµ. - Il est un autre point sur lequel je ne me trouve pas complètement éclairé.

Il est dit dans le contrat que le concessionnaire deviendra propriétaire du terrain dont il fera l'emprise sur le lit de l'Escaut. Je suppose, dans ce cas, qu'il sera aussi propriétaire du quai.

MfFOµ. - Non, c'est expliqué dans le rapport.

M. Rogierµ. - Il n'est pas fait de réserve pour le franc bord du fleuve qui deviendrait la propriété d'un particulier, ce qui est contraire à toutes les règles du droit civil et public.

MfFOµ. - Je vous donnerai des explications.

M. Rogierµ - Maintenant, est-il bien entendu que le gouvernement se réserve de régler les taxes à percevoir sur les navires et sur les marchandises en déterminant un maximum qu'on ne pourra pas dépasser.

Cette réserve a été faite expressément pour les entrepôts du Nord qu'on a cédés tout récemment à une société particulière. Ceci, à mon avis, constitue également un grief à la charge de la ville d'Anvers qui a assisté impassible à cette cession, sauf à se plaindre plus tard de ses conséquences.

Il est bien entendu que les tarifs seront arrêtés par le gouvernement ou tout au moins qu'il y aura un maximum fixe que le concessionnaire ne pourra pas dépasser.

MfFOµ. - C'est dans la convention.

M. Rogierµ. - Voilà les quelques questions que je voulais présenter sur ce projet.

Je dois le répéter, pour ma part, je regrette qu'une entreprise de cette importance, qu'un établissement qui peut exercer une si grande influence sur l'avenir de la ville d'Anvers et du pays, ne soit pas resté dans les mains de l'autorité publique.

Mais la ville d'Anvers a eu tout le temps nécessaire pour se décider, elle ne l'a pas fait, elle aura donc à s'imputer à elle-même les inconvénients qui pourraient résulter pour elle de l'abaissement de ses recettes. D'ailleurs je crois qu'ici encore elle s'alarmera à tort et que cette prédiction ira rejoindre toutes celles dont nous avons été si longtemps étourdis et affligés.

Aujourd'hui, messieurs, permettez-moi de le dire, je trouve l'attitude des représentants d'Anvers presque inexplicable. Au lieu d'accepter de bon cœur ce gage spontané et considérable de la bonne volonté du gouverne'ment, à qui l'on reproche d'être quelque peu inconséquent en ce qui concerne la citadelle du Nord, au lieu de lui tenir compte de ses sacrifices, on fait des réserves, on conserve une attitude d'opposition.

Eh bien, je conseille aux membres de la députation d'Anvers dont plusieurs méritent certes, à tous les titres, de figurer parmi nous, je conseille aux membres de la députation d'Anvers de prendre une attitude plus douce et plus impartiale et je crois que, par cette attitude, ils échapperont eux-mêmes à l'engagement qu'ils ont pris de quitter la place aussitôt qu'ils auraient obtenu satisfaction. Ce moment est arrivé, pour tout homme raisonnable ; on a donné satisfaction au moindre grief des Anversois et les vrais ministériels devraient aujourd'hui se trouver sur les bancs de la députation d'Anvers.

MfFOµ. - Je réponds immédiatement aux questions posées par l'honorable M. Rogier.

Il a demandé en premier lieu si M. Strousberg pouvait céder ses droits à une société sans le consentement du gouvernement.

Le contrat impose des obligations. M. Strousberg n'acquiert pas purement et simplement les terrains de la citadelle du Sud pour 14 millions, mais il s'engage à affecter au moins 49 hectares, des 98 qu'il acquiert, à la création d'établissements maritimes.

Il y a donc des engagements à remplir suivant des plans à soumettre à l'approbation du gouvernement. Le concessionnaire ne pourrait se décharger d'aucune de ses obligations sans l'assentiment du gouvernement.

Un instant M. Strousberg, ou plutôt son mandataire, avait eu l'intention de demander que l'on introduisît une stipulation dans le contrat pour lui permettre de céder, sous certaines conditions, à une société qui se constituerait, l'exécution des travaux qui lui sont imposés ; le gouvernement s'était montré disposé à accueillir cette demande si elle lui était faite, moyennant la garantie de l'exécution des engagements contractés. Mais M. Strousberg y a spontanément renoncé. Il ne pourrait donc point céder sa concession sans l'autorisation du gouvernement.

Maintenant l'honorable M. Rogier demande si les quais à conquérir sur le fleuve seront la propriété de M. Strousberg. La section centrale, messieurs, avait déjà posé cette question, et le gouvernement a répondu en posant diverses hypothèses. Si, suivant la disposition des plans, les quais deviennent voie publique, comme la voie publique n'est pas susceptible de propriété privée, les quais ne pourront pas être la propriété de M. Strousberg. Si, au contraire, les quais sont compris dans les établissements maritimes, ils feront partie des travaux que M. Strousberg est tenu d'exécuter.

Enfin, l'honorable M. Rogier a demandé, en troisième lieu, s'il était bien entendu que le gouvernement fixerait les taxes à percevoir dans les établissements maritimes. Cela est formellement stipulé par l'article 6 de la convention, portant que le concessionnaire soumettra au gouvernement le règlement relatif aux établissements, et que le gouvernement fixera le maximum des taxes à percevoir. Sous ce rapport donc, comme sous les autres, l'honorable membre a toute satisfaction.

- Plusieurs voix. - A mardi ! A mardi !

(page 268) MpDµ. - Quelques instants encore, messieurs ; peut-être pourrons-nous terminer aujourd'hui. La parole est à M. Jacobs.

M. Jacobsµ. - Je n'ai que quelques mots à dire.

Une discussion sur la question d'Anvers ne pouvait se terminer sans soulever les colères de M. le ministre des finances. (Interruptions.)

Mon honorable collègue d'Anvers, M. d'Hane, et moi, nous avons été d'un calme que je crois pouvoir qualifier d'exemplaire.

Nous avons eu le malheur de ne pas trouver dans le projet la démolition de la citadelle du Nord et de faire une réserve, M. le ministre des finances de s'indigner !

S'il vous faut des thuriféraires, s'il vous faut de l'encens, s'il vous faut du lyrisme, s'il vous faut de l'enthousiasme ; non, nous ne pouvons vous satisfaire. Nous rendons justice à ce qu'il y a de bon dans le projet de loi ; ne nous demandez pas davantage.

Je rappelais tout à l'heure que, lors de la discussion de la loi sur les octrois, l'honorable M. Loos, un de vos amis, fit une réserve du même genre : vous êtes-vous indigné, vous êtes-vous élevé contre cet honorable député d'Anvers ? Vous avez accepté sa réserve comme vous deviez l'accepter.

L'indignation de tantôt était un moyen de ne pas me répondre et M. le ministre des finances, en effet, ne m'a pas répondu. C'est l'honorable M. Rogier qui s'est chargé de ce soin ; c'est donc à lui que je dois m'adresser.

Voilà l'ancienne et la nouvelle députation d'Anvers (nouvelle depuis six ans !) aux prises.

M. Rogier s'est efforcé d'établir que le point de départ, la cause de notre entrée dans cette enceinte, n'est autre que la question des fortifications d'Anvers, notamment de la citadelle du Nord.

L'honorable membre a parfaitement raison ; c'est là une page de l'histoire d'Anvers. C'est, en effet, le meeting qui nous a envoyés dans cette enceinte et c'est parce que nous avons été envoyés ici pour défendre les intérêts d'Anvers, ce que nous cherchons à faire dans la mesure de nos forces, que nous examinons ce projet de loi avec soin, pour voir s'il donne complète satisfaction aux griefs de nos commettants.

L'honorable M. Rogier y voit cette satisfaction complète. Je regrette de ne pouvoir me mettre d'accord avec lui. Il m'est impossible d'admettre que, pour transformer la citadelle du Nord en batterie de côte, il suffise de le dire et de supprimer les servitudes intérieures.

A en croire l'honorable membre, nous devons tenir à la conservation de la citadelle du Nord parce que son maintien entraîne le nôtre dans cette enceinte.

Démolissez-la donc, vous devez y tenir autant que nous devons, d'après vous, y tenir peu.

Quand la question d'Anvers sera résolue, j'ignore qui viendra siéger sur ces bancs au nom d'Anvers. Les deux éléments représentés dans cette ville par les amis de M. Rogier et par les nôtres se présenteront devant le corps électoral d'Anvers et lui diront ; Vous nous connaissez les uns et les autres, vous savez qui nous sommes, vous savez ce que nous avons fait, choisissez.

MjBµ. - Il y a longtemps que c'est comme cela.

M. Jacobsµ. - Le seul juge c'est le corps électoral d'Anvers et jusqu'à présent, dans trente élections successives, il a décidé entre nous.

M. Bara, ministre de la justice. — C'est à cause des catholiques.

M. Jacobsµ. - L'honorable M. Rogier, dans son discours, s'est étonné de ce que la ville d'Anvers ne demandât pas à se substituer au docteur Strousberg. La ville d'Anvers a fortement engagé ses finances par l'immense opération de la transformation des anciennes fortifications et la création de bassins considérables. Ces travaux, exécutés au moyen de différents emprunts, pèsent lourdement sur sa situation financière.

De pareils événements dans la vie d'une ville ne peuvent pas être trop rapprochés. Elle ne peut se lancer coup sur coup dans des opérations aussi considérables ; c'est ce qui explique qu'elle ne demande pas à être substituée au docteur Strousberg.

C'était, messieurs, un devoir pour moi de signaler jusqu'à quel point la convention conclue peut, dans un avenir plus ou moins éloigné, jeter la perturbation dans les finances d'Anvers.

M. Loos ne faisait pas autre chose en 1860. Nul n'y a trouvé à redire et, lorsque je fais à mon tour une réserve, on me menace de provoquer à titre de représailles un vote défavorable de la part des membres disposés à voter le projet !

M. le ministre des finances a tenu, à l'égard de l'entrepôt franc, deux langages opposés. Tantôt l'entrepôt franc n'est presque rien autre chose qu'un entrepôt public. Tantôt, au contraire, c'est une panacée universelle qui doit porter remède à tous les maux du commerce. (Interruption.) Il insiste longuement, dans l'exposé des motifs, au sujet de l'entrepôt franc

MfFOµ. - Il a son mérite.

M. Jacobsµ. - Sans doute ! Mais ne l'exagérez pas. Ne faites pas un reproche à la ville d'Anvers de n'avoir pas tenu compte depuis 1846, de l'obligation que lui imposait la loi d'en avoir un.

Ne le lui reprochez surtout pas s'il n'y a pas de différence appréciable entre l'entrepôt public et l'entrepôt franc, comme vous l'avez affirmé à un autre moment.

Un entrepôt franc n'est ni tant, ni si peu ; c'est, en quelque sorte, un territoire étranger au milieu de la Belgique.

Le négociant est libre d'y faire de ses marchandises ce qui lui plaît ; à l'abri de toute intervention de la douane ; il peut charger, décharger, se livrer sans contrôle à toutes les opérations que la douane contrôle, surveille ou empêche dans l'entrepôt public.

Suivant moi, c'est là un très grand avantage. Il se peut que je me trompe ; je le souhaite. Je désire que les établissements de la ville d'Anvers soient mis sur la même ligne que ceux du docteur Strousberg ; cela n'est pas possible, ils ne peuvent être transformés en entrepôt franc ; dès lors ne suis-je pas en droit de signaler ce point au gouvernement et de lui dire : Vous avez une convention à faire avec le docteur Strousberg, pour les droits de bassins. Eh bien, ne la concluez pas sans consulter la ville d'Anvers, sans tenir compte de ses intérêts, afin que l'équilibre entre les deux ports ne soit pas trop fortement rompu en faveur du docteur Strousberg et au détriment de la ville.

Encore deux mots. L'honorable M. Rogier a adressé à l'administration anversoise un reproche ; il a dit qu'elle ne s'était pas préoccupée de ces importants travaux, parce qu'elle employait son temps à de pitoyables querelles.

Ce n'est pas sur l'administration communale que retombe ce reproche, c'est sur Anvers tout entier, c'est sur la majorité d'Anvers tout au moins.

Cette majorité est en désaccord avec l'honorable M. Rogier ; elle l'a prouvé, je le répète, en trente occasions successives. Est-il étonnant que l'honorable membre et elle n'échangent pas des aménités ? On trouve volontiers pitoyable la façon d'agir de ses adversaires.

M. le ministre des finances a taxé nos critiques de puériles. Ce qui est puéril, lui répondrai-je, c'est d'aller jusqu'à supposer, comme il l'a fait, que l'attitude réservée prise par la députation anversoise dans cette enceinte pourrait modifier le vote de la majorité de nos collègues.

J'ai dit tantôt, en répondant à une interruption, que c'était une flatterie pour nous ; j'ajoute que ce serait une injure pour eux.

- La discussion générale est close.

MfFOµ. - Si la discussion est close et si l'on peut voter aujourd'hui, je crois qu'il serait désirable qu'on le fît. L'ordre du jour de la Chambre est à peu près épuisé. Des travaux assez considérables ont déjà été déposés par le gouvernement, mais ne pourront pas être examinés en ce moment. Im serait donc préférable que la Chambre, au lieu de prendre ses vacances à dater des derniers jours de la semaine prochaine, les prît dès maintenant, sauf à revenir plus tôt.

MpDµ. - Nous allons donc passer à la discussion.

- Plusieurs membres. - A mardi, nous ne sommes plus en nombre.

MpDµ. - La Chambre paraît désirer remettre à mardi la discussion des articles du projet de loi. Il en sera ainsi.


Voici, messieurs, la composition de la commission chargée de l'examen du code de procédure : MM. Orts, de Naeyer, d'Elhoungne, Thonissen, de Rossius, Jacobs et Dupont.

- La séance est levée à cinq heures et un quart.