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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 18 janvier 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Dolezµ)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 293) M. de Vrindt procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Rossiusµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Coppin prie la Chambre de statuer sur sa pétition par laquelle il s'est plaint qu'un mandat d'amener a été lancé contre lui, en contravention du décret sur la presse. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Jodoigne prie la Chambre d'accorder à la compagnie Rosar la concession d'un chemin de fer de Hal à Maestricht var Jodoigne et Tongres. »

- Même renvoi.


« Le sieur Magnier se présente comme candidat pour les fonctions de directeur d'un établissement qui serait destiné à l'éducation des orphelins des petits employés de l'Etat. »

- Même renvoi.


« Des généraux prient la Chambre d'augmenter le chiffre actuel des pensions militaires. »

M. Vleminckxµ demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - J'appuie cette proposition.

- Adopté.


« Les membres du conseil communal d’Oisy prient la Chambre de les autoriser à contraindre le receveur communal au remboursement de ce qu'il aurait indûment perçu et réduire d'office son traitement au taux primitivement fixé. »

- Même renvoi.


« Le sieur Daenen, ancien sous-brigadier des douanes, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Des propriétaires et fermiers de terres et prairies situées au polder Saint-Onolpho, sous Termonde, demandent le droit de passage sur l'Escaut avec bacs et bateaux, pour le transport de leurs ouvriers, récoltes et denrées alimentaires. »

- Même renvoi.


« Les sieur et dame Jevenois réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir une solution de M. le ministre de la justice dans l’affaire du legs fait aux pauvres de Mons par leur parente Mlle Boulanger de la Hainière. »

- Même renvoi.


« Des instituteurs assermentés de la Flandre orientale demandent une augmentation de traitement et prient la Chambre de les assimiler aux secrétaires communaux quant à l'intervention des provinces et des communes dans la dotation de leur caisse de retraite. »

M. Lelièvreµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Le conseil communal de Seraing transmet le rapport de la commission d'instruction publique, proposant l'établissement à Seraing d’une école moyenne du degré inférieur. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bouillon demandent une large extension du droit de suffrage pour la commune, basée sur le cens et sur l'adjonction des capacités. »

- Même renvoi.


« Le sieur Raingo demande que le gouvernement fasse connaître s'il propose d'appliquer à la prochaine levée de 1870 la nouvelle loi sur la milice. »

- Même renvoi.


« Des armateurs et patrons de navires de pêche à Heyst réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir la construction de deux nouvelles jetées en fascinage. »

- Même renvoi.


« Le sieur Vandersypt demande que son fils François, milicien de la levée de 1869, soit renvoyé dans ses foyers. »

- Même renvoi.


« Des habitants d'Astene se plaignent qu’un échevin de cette commune, qui remplit les fonctions de bourgmestre, a pris part à des adjudications de travaux communaux. »

- Même renvoi.


« Le sieur Messien prie la Chambre de lui faire obtenir de l’administration des hospices de Bruxelles l'autorisation de traiter des malades dans une des salles de l'hôpital. »

- Même renvoi.


« Des brasseurs à Furnes prient la Chambre de ne pas donner suite à la pétition ayant pour objet de faire changer la base de l’impôt sur la bière et demandent que cet impôt soit réduit à trois francs par hectolitre de contenance de la cuve matière. »

- Renvoi la commission permanente de l'industrie.


« Le secrétaire communal de Hodister demande que l'avenir des secrétaires communaux soit assuré et que leur traitement soit mis en rapport avec l'importance de leur travail et des services qu'ils rendent aux administrations communales, provinciales et générale. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions identiques.


« Par dépêche en date du 12 janvier, M. le ministre de la guerre transmet des explications sur la pétition du sieur Pezin, réclamant une indemnité pour son fils qu'il avoir indûment appelé au service. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Le conseil communal de Marchin prie la Chambre de décréter que les dépenses des cultes ne seront plus, en aucun cas, obligatoires pour les communes. »

M. Preud’hommeµ. - Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l’administration du temporel des cultes.

- Adopté.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, sept demandes de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. le ministre des finances adresse, en exécution de l'article de la loi sur la comptabilité, les états sommaires des adjudications, contrats marchés passés par les divers départements ministériels, pendant l'année 1868. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Par dépêche du 22 décembre 1869, M. le ministre de la justice transmet à la Chambre le texte hollandais, et la traduction du projet (d loi, réglant l'administration de la bienfaisance, qui a été soumis aux états généraux par le gouvernement des Pays-Bas. » - Impression.


(page 294) « Par message du 23 décembre 1869, le Sénat informe la Chambre qu’il a adopté le projet de lui qui approuve la convention conclue, le 14 octobre 1869, pour la cession des propriétés du domaine de la guerre de la place d'Anvers que le démantèlement de la citadelle du Sud doit rendre disponibles. »

- Pris pour notification.


« Il est fait hommage à la Chambre :

« 1° Par M. le ministre de l'intérieur, de exemplaires de l'Annuaire de l'Observatoire royal de Bruxelles. d'un exemplaire des recueils des procès-verbaux des séances des conseils provinciaux, session de 1869, et d'un annexe aux Exposés de la situation administrative des provinces de Liége et de Hainaut ;

« 2° Par Nypels, de la livraison de la Législation criminelle de la Belgique ;

« 3° Par MM. Dufrane et Finet de 51 exemplaires d'une brochure intitulé : Exposé succinct sur la construction et l'exploitation d'un réseau de chemins de fer d'intérêt communal, sur l'accotement des routes.

« 4° Par M. Bort, de quelques exemplaires d'une brochure relative aux cimetières ;

« 5° Par la fédération des sociétés d’horticulture de Belgique, d'un exemplaire de son Bulletin pour 1868. »

- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.


« MM. A. Vandenpeereboom et Broustin retenus par indisposition, et M. de Borchgrave, obligé de s'absenter, demandent un congé. »

- Accordé.

Projet de loi sur le Code rural

Dépôt

MjBµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer le projet de loi sur le Code rural.

- Il est donné acte à M. le ministre de la justice de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé et distribué.

MpDµ. - La Chambre entend-elle renvoyé ce projet de loi aux sections ?

M. Lelièvreµ. - Je demande le renvoi du projet de loi à une commission spéciale.

- Adopté.

Projet de loi modifiant les formalités nécessaires à l’expropriation pour cause d’utilité publique

Dépôt

MiPµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi portant modification des formalités nécessaires pour l'expropriation pour cause d'utilité publique.

- Il est donné acte à M. le ministre de l'intérieur de la présentation de ce projet de loi qui sera imprimé et distribué et renvoyé aux sections.

Projet de loi relatif au temporel des cultes

Discussion générale

MpDµ. - Je demanderai d'abord au gouvernement s'il se rallie au projet de la section centrale.

MfFOµ. - Messieurs, dans la séance du 19 novembre dernier, lorsque la motion a été faite de mettre à l'ordre du jour la discussion du projet de loi sur temporel des cultes, l'honorable M. de Theux a fait une déclaration dont nous nous sommes empressés de prendre acte : il a déclaré que l'opposition ne voyait pas d'inconvénients à organiser un contrôle non tracassier, mais sérieux et efficace, sur l'administration des biens confiés aux conseils de fabrique.

Pris à l’improviste par cette déclaration, qui annonçait que des prétentions si bruyamment formulées au-dehors ne seraient point portées dans cette enceinte, j'ai cru pouvoir à mon tour faire une déclaration qui exprimait, j'en étais convaincu, non seulement mon sentiment personnel, mais encore celui d'un grand nombre de mes amis.

Je déclarai que le projet de loi, dans la pensée du gouvernement, n'avait qu’un seul objet : le contrôle ; et qu’une fois le contrôle assuré, le but que le législateur doit se proposer serait atteint.

Depuis lors, messieurs, nous avons examiné d’une manière approfondie si l’on pouvait, comme l’indiquait M. de Theux et comme je l’ai dit moi-même, si l’on pouvait, sans inconvénient grave, écarter de la discussion les dispositions du projet qui sont relatives à la composition des conseils de fabrique, à sa constitution et à ses délibérations.

L’examen auquel nous nous sommes livrés nous a convaincus que nous pouvions, que nous devions même, en vue d’arriver à une solution satisfaisante de cette question, concentrer le projet de loi dans les dispositions relatives à l’approbation des budgets et des comptes.

Cependant, le mode qui était proposé par le gouvernement quant à la composition du conseil et certaines autres dispositions qui en étaient la conséquence, étaient de nature à contribuer à l’amélioration de l’administration.

Si peu importante que soit la participation de l'élément civil à la nomination des membres des conseils, ou plutôt la modification que l’on se proposait d'introduire quant à la base de cette participation, car celle-ci continuera de subsister, il n'en est pas moins vrai qu'il devait en résulter un moyen de fortifier la surveillance de la gestion des biens des fabriques. D'autre part, il y avait, comme sanction des dispositions projetées, la faculté conférée aux autorités supérieures d'envoyer un commissaire spécial sur les lieux, afin de dresser le budget et les comptes, à défaut par le conseil de fabrique de se conformer aux prescriptions légales sur ces matières.

Ces mesures venant à disparaitre, il est indispensable qu’une autre sanction soit donnée aux prescriptions du législateur. Nous avons pensé qu'on pourrait pourvoir à cette difficulté à l'aide d'une disposition qui, je pense, recevra votre assentiment. Nous nous proposons d'introduire un amendement en vertu duquel, si les budgets et les comptes ne sont pas fournis dans le délai déterminé, ou s'ils ne sont pas approuvés par l'autorité supérieure, la fabrique ne pourra plus désormais recevoir les subsides de la commune, de la province ni de l'Etat.

Telle est sanction que nous proposerons.

Dans cet ordre d'idées, la discussion s'ouvrirait à l'article 88 du projet de loi. C'est là que commencent dispositions relatives aux budgets et aux comptes. Sauf quelques modifications qu'il sera nécessaire d'introduire dans la forme, par suite du changement que nous indiquons, ce sont les dispositions mêmes du projet qui continueraient à subsister.

Si la Chambre accueille favorablement l'idée que nous émettons, on pourrait continuer à s'occuper du projet de loi. Nous avons formulé l'ordre de ces dispositions.

L'article 88 du projet du gouvernement, sauf certaines modifications de détail, serait le premier article du projet modifié.

Viendraient ensuite les articles 89, 91, 92, 98, 99, 100, 102, 103, 29, 104, 105, 95, 110.

Nous aurions ensuite un article nouveau ainsi conçu :

« Si le budget ou compte n'est pas remis aux époques fixées par les articles 1er et 6 de la présente loi, ou si la fabrique refuse de fournir les pièces ou les explications justificatives qui lui sont demandées par la députation permanente, le gouverneur lui adresse une invitation par lettre recommandée et donne avis à l'évêque diocésain.

« La fabrique qui, dans les dix jours de la réception de la lettre, n'a pas remis son budget ou son compte, ou dont le compte ou le budget est renvoyé non approuvé par la députation, faute d'avoir fourni dans le même délai des pièces ou explications reconnues suffisantes, ne peut plus désormais obtenir de subside ni de la commune, ni de la province, ni de l'Etat.

« Le gouverneur constate cette déchéance par un arrêté qui est notifié à l'évêque, à la fabrique et aux administrations intéressées.

« La fabrique d'église ou l'évêque peut appeler au Roi de cet arrêté dans le délai de dix jours après sa notification. S'il n'est pas annulé dans les trente jours qui suivent l'appel, l'arrêté du gouverneur est définitif. »

La même disposition se reproduirait au chapitre qui est relatif au budget et aux comptes des fabriques cathédrales.

iendrait enfin un chapitre spécial pour la comptabilité du temporel des cultes protestant, anglican et israélite.

Ainsi le projet se trouverait résumé en vingt articles qui sont formulés dans les dispositions que je dépose sur le bureau.

- Des membres. - L'impression !

MfFOµ. - Ce sont les articles mêmes du projet, sauf que la rédaction de quelques-uns a dû être modifiée. On peut donc discuter les articles du projet sans la moindre difficulté. Il n'y a d'amendement véritable que celui que je viens de lire et qui forme l’article 15. Celui-ci pourrait être renvoyé la section centrale, qui aurait le temps de l'examiner et de faire son rapport pendant la discussion générale et, en tous cas, avant la, discussion et le vote des divers articles que je viens d'indiquer.

MpDµ. La Chambre est-elle d'accord pour ouvrir la discussion sur les articles 88 et suivants, avec les amendements proposés par M. le ministre des finances, dispositions auxquelles le projet se trouverait limité ? (Adhésion.)

- La Chambre décide que la proposition de M. le ministre des finances sera imprimée et distribuée et renvoyée à la section centrale.

MpDµ. - La section centrale est incomplète par suite du décès de M. de Moor. La Chambre sera sans doute d'avis d'autoriser le bureau à compléter cette section centrale ? (Adhésion.)

M. de Noor sera remplacé par %. Crombez et j’aurai moi-même (page 295) l’honneur de présider la section centrale en remplacement de M. Crombez qui a cessé de faire partie du bureau.

M. Teschµ. - Je désirerais savoir si l'on renvoie aussi à la section centrale la question de savoir s'il y a lieu de supprimer les 85 premiers articles du projet ?

MpDµ. - J’i demandé à la Chambre si elle entendait discuter les articles dans lesquels M. le ministre des finances propose de renfermer le projet de loi et il m'a semblé qu'on était d'accord. Puisqu'il y a un doute exprimé, je renouvelle ma question : Est-on d'accord pour ouvrir la discussion sur les articles 88 et suivants complétés par les dispositions indiquées par M. le ministre des finances, le projet de loi se trouvant limité à ces articles et dispositions ? (Adhésion générale.)

La discussion va donc s'ouvrir sur les articles 88 et suivants.

Les orateurs qui se sont fait inscrire maintiennent-ils leur inscription ?

- Plusieurs membres. - Oui ! oui !

M. Thonissenµ. - Messieurs, après les plaintes si nombreuses, après les inquiétudes si vives qu'avait fait surgir la présentation du projet que nous allons discuter, ce fut avec bonheur que, dans la séance du 18 novembre, j'entendis l'honorable ministre des finances placer la question sur le terrain du contrôle des dépenses, c'est-à-dire, sur un terrain où tous les hommes sincères et modérés peuvent se rencontrer et se donner la main.

Aujourd'hui, l'honorable ministre a renouvelé cette déclaration d'une manière plus nette et plus catégorique encore. Je l'en remercie et pour répondre à ses intentions, je me placerai moi-même au point de vue désigné par le gouvernement. Je m'y placerai encore, parce que, après avoir consciencieusement étudié la matière, je suis convaincu que, si nous voulons de part et d'autre, à droite comme à gauche, écarter des prétentions trop absolues et procéder avec un véritable esprit de conciliation, nous pourrons facilement arriver, pour l'organisation du contrôle, à un système qui sera honorable pour tous et ne sera blessant pour personne.

Avant d'indiquer à la Chambre la marche que, dans mon opinion, il convient de suivre pour aboutir à une entente, je me permettrai de lui faire remarquer combien cette entente même est désirable dans l'intérêt du pays tout entier. Les questions religieuses, alors surtout qu'elles pénètrent dans l'arène ardente où se débattent les passions politiques, renferment des périls que les esprits superficiels et passionnés peuvent seuls méconnaître. Il ne faut pas ici se faire illusion. Pour les hommes religieux, pour les croyants sincères, le premier des intérêts comme la première de toutes les sollicitudes, c'est la pratique libre, entière, loyale, du culte dans lequel ils cherchent à la fois leur bonheur dans la vie actuelle et leur bonheur dans la vie à venir. Quand ils croient que la législation nationale blesse les prérogatives et les droits essentiels de ce culte, leur intelligence se révolte, leur conscience se trouble, leur patriotisme s'affaiblit, et bientôt s'amassent au fond des âmes des germes de désaffection, des ferments de luttes et de haines qui, tôt ou tard, peuvent devenir un véritable danger pour l'existence même de la nation !

Oui, messieurs, si nous pouvions éteindre ce brandon de discorde, si nous pouvions arriver à une solution acceptable pour l'Eglise, nous aurions rendu au pays un service dont notre patriotisme aurait le droit de se féliciter.

Que faudra-t-il donc que nous fassions, de part et d'autre, pour arriver ce résultat si désirable à tous égards ? Voici mon opinion en deux mots : Nous, catholiques, nous ne devons pas vous demander des concessions incompatibles avec notre droit constitutionnel, avec les principes fondamentaux de la législation nationale. Vous, membres de la majorité, vous pouvez et vous devez nous accorder tout ce qui est compatible avec une bonne administration du temporel des cultes, sans être incompatible ni avec notre droit constitutionnel, ni même avec vos principes politiques. Mon discours ne sera que le développement de ce programme.

Je commencerai par écarter deux opinions extrêmes.

Les débats suscités par la présentation da projet de loi ont fait surgir, en effet, deux opinions absolues et inconciliables. Suivant les uns, l'Eglise est propriétaire, de droit divin, de tous les biens meubles et immeubles nécessaires à l'exercice du culte catholique ; elle acquiert ces biens, les administre et les aliène, sans que l'Etat ait le droit de s'en préoccuper. Suivant les autres, l'Eglise ne possède rien en propre ; l'Etat seul est le vrai propriétaire des biens administrés par les fabriques d'église ; ce sont des biens laïques, des biens nationaux affectés par la loi civile aux exigences d'un service public.

Les catholiques, qui invoquent purement et simplement le droit divin, raisonnent de la manière suivante : L'Eglise catholique a reçu de son divin fondateur la capacité de posséder des biens temporels, parce que la prédication de l'Evangile, l’administration des sacrements, la construction et l’entretien des édifices sacrés, la célébration du culte, l'entretien des ministres, nécessitent des frais, réclament des ressources et demandent que l'Eglise puisse posséder des biens temporels.

« Le Sauveur n’a point soumis l'exercice de la capacité de posséder, qu'il a accordée à son Eglise, à l'autorisation et la surveillance d’un pouvoir temporel.

« Dans les cas où les acquisitions de biens, faites par l'Eglise, causent des préjudices à la société publique, il suffit que ces préjudices soient signalés au chef de l'Eglise, pour qu'il y porte des remèdes efficaces.

« D'après le droit naturel, le propriétaire d'un bien en a seul la jouissance et l'administration. Ce principe de droit naturel est parfaitement applicable à l'Eglise. Celle-ci doit, par conséquent, avoir seule l'administration de ses biens.

« L'Etat, il est vrai, garantit la liberté de l'Eglise, le libre exercice de son culte ; il la maintient dans la paisible jouissance de ses biens contre toute usurpation, mais en cela il ne remplit que son devoir, et l'accomplissement d'un devoir n'est pas un titre pour intervenir dans l'administration des biens d'autrui. »

J'emprunte cette citation à un livre publié par un honorable et savant professeur de séminaire.

Au point de vue religieux, dogmatique, cette théorie est irréprochable ; mais, il faut bien le reconnaître, ce droit divin n'est pas notre droit national ; il n'est plus notre droit national depuis des siècles. Nos anciennes lois, pas plus que nos lois modernes, n'admettaient cette liberté allant jusqu'à la faculté d'acquérir des immeubles, sans autre surveillance que celle du souverain pontife.

J'ai fait quelques recherches à cet égard en commençant par le règne de Marie-Thérèse pour remonter jusqu'à celui de Philippe le Bon, et j'ai trouvé que, depuis le XVème siècle, le pouvoir séculier s'est toujours reconnu le droit de prendre des mesures plus ou moins efficaces à l'égard des biens acquis par tous les établissements de mainmorte, y compris ceux des églises. Je ne citerai que les articles 15 et 16 de la joyeuse entrée de Charles V, qui portent que les couvents, maisons-Dieu, chapelles, collèges ou autres mainmortes ne pourront plus acquérir à titre gratuit, et que même pour acquérir à titre onéreux un bien immobilier, il faudra que la vente, le transport, la cession ou l'échange ait lieu de commun consentement et octroi du prince et des magistrats de la chef-ville dans le ressort de laquelle les biens sont situés.

L'élément séculier ne restait pas non plus complètement étranger à l'administration du patrimoine des fabriques d'église. A côté de fabriques composées d'ecclésiastiques, il y en avait d'autres composées en tout ou en partie de laïques, et ces laïques étaient souvent nommés par le seigneur du lieu, par les officiers de la justice locale, par les habitants de la paroisse, par les descendants du fondateur de l'église, en un mot, suivant les coutumes reçues. Des édits des princes et des arrêts des conseils souverains requéraient l'assistance d'officiers civils à l'audition des comptes rendus par les fabriciens. Parfois même, les comptes étaient rendus à la puissance séculière, sans que celle-ci fût obligée d'y appeler l'évêque ou son délégué, comme le constate notamment le concordat conclu entre Charles V et le prince-évêque de Liége, pour les paroisses du Brabant soumises la juridiction spirituelle de ce dernier.

Il est donc incontestable que, si je venais, en 1869, réclamer en faveur de l'Eglise une liberté entière, absolue, pour l'acquisition, l'aliénation et l'administration du temporel du culte, je vous demanderais pour elle des prérogatives souveraines dont elle n'a plus joui depuis des siècles dons les Pays-Bas catholiques ; des prérogatives qu'elle n'a pas revendiquées sous le règne de Charles V, de Philippe II, d'Albert et d'Isabelle, alors que le clergé formait, en vertu de la constitution même du pays, le premier ordre de l'Etat. Evidemment, ce ne serait pas lec moyen de nous entendre, et, comme je désire sincèrement arriver à une entente, je ne veux ni ne puis vous demander la reconnaissance pure et simple de cette liberté sans limites.

Tenant compte de coutumes plusieurs fois séculaires, je ne repousse donc pas l'intervention du pouvoir civil d’une manière absolue. J'irai plus loin : je pense que, dans l'état actuel de notre législation nationale, cette intervention, réduite de justes proportions, est un acte de justice rigoureuse. Si les revenus de la fabrique d'église sont insuffisants, le gouvernement laïque, représenté par la commune, est obligé de suppléer de ses propres deniers. Or, si l'on impose une telle charge, non pas seulement aux paroissiens catholiques, mais tous les contribuables indistinctement, il me semble impossible de ne pas accorder, en échange, un certain contrôle à l'autorité civile.

On peut différer d'avis sur la nature et sur l'étendue de ce contrôle, mais le fait même de la légitimité du contrôle ne me semble pas susceptible d'être contesté. Telle est, du moins, mon opinion personnelle, (page 296) car je n'ai ni le droit, ni la volonté de parler au nom de mes honorables collègues.

Je viens, messieurs, de vous exposer franchement mes idées à l’égard de l'application de l’une des deux théories absolues que je dois passer en revue. Je puis donc procéder à l'examen de la seconde de ces opinons extrêmes.

Aux yeux de ceux qui la professent, l'Eglise ne possède rien en propre. L'Etat seul, par lui-même par l'une de ses fractions, la commune, est le vrai propriétaire des biens qui composent le temporel des cultes. Ces biens sont des « biens nationaux » affectés à un service public. La fabrique d'église est une institution communale, chargée de surveiller l'administration du culte public, comme les bureaux de bienfaisance et les conseils des hospices, autres institutions communales, sont chargées de l'administration de la bienfaisance publique.

En droit, messieurs, cette opinion est fausse. En fait, elle vient se heurter à la nature des choses et conduit à des injustices telles, qu'il suffira de les énumérer pour faire rejeter le système.

Certes, nous ne prétendons pas, comme on nous l'a fait dire plus d'une fois, nous ne prétendons pas niaisement que les biens qui composent le temporel du culte sont tombés du ciel, et que, par suite de ce miracle, ils sont d'une autre nature que le reste du sol national. Nous savons parfaitement que, pour la physique et la chimie, ces immeubles sont des terres comme toutes les autres. Mais là n'est pas la question qui nous préoccupe. Nous soutenons que les biens qui composent le temporel des cultes n'appartiennent ni au gouvernement, ni aux communes, mais à des personnes morales, indispensables au culte, reconnues par la loi et appelées fabriques d'église. Nous soutenons que les catholiques, donateurs de ces biens, ont voulu les donner, non à l'Etat mais à l'Eglise, non à la commune mais la paroisse. Nous soutenons enfin que ces biens ont une destination exclusivement religieuse, puisqu'ils sont uniquement destinés à subvenir aux besoins indispensables du culte catholique.

Que les fabriques d'église aient la propriété des biens dont l'administration leur est confiée, c'est ce qu'il n'est pas possible de contester avec quelque apparence de raison. Je me trouve ici d'autant plus à l'aise que je puis me prévaloir d'une autorité peu suspecte, celle du gouvernement formulée dans l'exposé des motifs.

« Les fabriques, écrit l'honorable M. Tesch, les fabriques jouissant de la personnification civile ont, ce titre, la propriété des biens dont l'administration leur est confiée. »

Quelques lignes plus bas, il ajoute : La propriété des biens de l'Eglise, entre les mains des fabriques, est aussi solidement établie, que si elle reposait dans le chef des évêques.

Sous ce rapport, l'honorable M. Tesch a parfaitement raison. Si je voulais justifier cette opinion, je pourrais citer une longue série de lois, de décrets, d'avis du conseil d'Etat, une longue série de décisions judiciaires, rendues non seulement par des cours belges, mais encore par des cours françaises. par la haute cour des Pays-Bas et même par des tribunaux prussiens, qui toutes attestent que la propriété réside dans le chef des fabriques d'église, et pas ailleurs. Mais je crois cette discussion surabondante pour moment. J'attendrai que l'opinion du gouvernement sait contestée par ses amis. Si le droit de propriété des fabriques d'église est mis en doute dans cette enceinte, je répondrai aux arguments que l'on fera valoir à l'appui de cette thèse, que je crois radicalement insoutenable.

Je me contente donc, pour le moment, de proclamer le droit incontestable des fabriques d'église la propriété des biens dont l'administration leur est confiée, et je vais examiner si ces fabriques, comme on l’affirme, dans l'opinion que je repousse, sont réellement chargées de ce qu'on peut appeler un service public, si les biens qu'elles possèdent sont affectés à un prétendu service public.

Un jurisconsulte célèbre a dit : Le droit se puise dans le fait. La maxime est trop absolue, mais elle n'est pas sans valeur, et je crois que, dans cette partie de ma tâche, je fais bien de commencer par exposer un fait, en vous montrant de quelle manière s'est formé, et se forme encore tous les jours, le patrimoine des églises administré par les fabriques. Je ne dépasserai pas les limites du siècle actuel.

Comme vous le savez, messieurs, à la suite de l'invasion française, tous les biens ecclésiastiques avaient été confisqués au profit de la nation, et ceux qui furent restitués aux églises paroissiales après le concordat de 1801 étaient peu considérables. Les presbytères étaient en ruine. Les temples mêmes, rendus au culte, étaient dépouillés des ornements précieux dont les avaient enrichis la piété généreuse et constante de nos ancêtres. Vases sacrés, vêtements sacerdotaux, linges, tableaux, livres liturgiques, orgues, cloches, meubles, tout faisait défaut, tout était à renouveler aux frais des fidèles. Savez-vous ce que ceux-ci ont fait depuis cette époque ? Je vais vous indiquer quelques chiffres, chiffres nécessairement incomplets, car je n'ai pas, comme MM. les ministres, une armée d'employés intelligents à mes ordres.

De 1830 à 1860, c'est-à-dire dans une période de trente années, on a fait, au bénéfice du culte catholique, 6,285 donations entre bifs et 4,525 dispositions par testament, et ces libéralités représentent une valeur de 24,256,316 francs ! Le nombre des libéralités a été, en moyenne, de plus de 350 par an, à peu près une par jour ! Remarquez-le, messieurs, vous n'avez là qu'une partie du bilan de la générosité des fidèles envers le culte catholique. Je ne vous en donnerai que deux preuves.

Une association de dames pieuses s'est formée, en 1846 pour fournir des vases sacrés, du linge, des ornements sacerdotaux aux églises pauvres des villages. Eh bien, ces dames seules, qui travaillent de leurs propres mains, ont distribué, à partir de 1847, des objets mobiliers dont la valeur dépasse deux millions de francs ! la suite d'une publication consacrée à l'examen du projet de loi que nous discutons, monseigneur l'évêque de Liége a placé un tableau indiquant, pour cent églises, les dépenses faites pour acquisitions de vases sacrés, ustensiles, meubles, objets d'art, cloches et ornements. Dans ce tableau, les dons du clergé et des fidèles figurent pour 1,344,896 francs.

Maintenant, plaçons-nous, messieurs, en présence de ces chiffres éloquents, non pas en hommes de parti, plus ou moins aigris par la lutte, plus moins égarés par les passions politiques, mais en hommes sincères et loyaux, en hommes d'honneur, et, la main sur la conscience, demandons-nous si, dans l'intention des fidèles, tous ces millions, comme tant d'autres dont je ne parle pas, étaient destinés à subvenir aux dépenses d'un service public ; si tous ces millions ont été donnés à l'Etat, la province, à la commune, au pouvoir temporel sous une seule de ses formes ? La réponse ne sauvait être un seul instant douteuse.

Non, ces fidèles, uniquement guidés par des sentiments de piété, ont donné des terres et des rentes à l'Eglise, à l'Eglise seule. C'est à l'Eglise, l'Eglise seule, qu'ils ont fait ce que, dès les temps apostoliques, on a nommé des oblations, des offrandes aux autels, des dons à Dieu, res Dei. Ils ont pris au sérieux l'article 15 du Concordat de 1801, suivant lequel les catholiques peuvent faire des fondations « en faveur des églises ». On méconnaît audacieusement la vérité, on viole manifestement la volonté des testateurs et des donateurs en disant qu'ils ont voulu faire des libéralités l'Etat, à la province, à la commune, à une fraction quelconque de la société politique. La religion seule guidait leur pensée, l'Eglise catholique seule était l'objet de leurs libéralités. N'ai-je pas eu raison de vous dire que l'adoption du système que je combats conduirait une révoltante iniquité ?

Arrivons à présent au caractère légal, juridique, des fabriques d'église ; voyons si ce caractère est en opposition avec l'exécution loyale de la volonté des fidèles, avec la nature des choses, avec l’enseignement traditionnel de l'Eglise, avec les préceptes fondamentaux du catholicisme.

La question est susceptible d'être réduite à des termes très simples.

L'exercice public du culte catholique ne peut se concevoir sans la possession de certains biens communs. Il faut un temple, des vases sacrés, des vêtements sacerdotaux et une foule d'autres objets mobiliers qu’il est inutile d'énumérer. Il faut des biens pour l'entretien des sanctuaires, pour la célébration décente des cérémonies religieuses ; il en faut encore pour que le sacerdoce puisse jouir d'une existence convenable à sa dignité et en rapport avec la mission élevée qu'il est appelé à remplir parmi les fidèles.

Mais, d’un autre coté, ces biens, véritable patrimoine du culte, doivent être convenablement administrés ; ils ne doivent pas devenir la proie de la négligence, de l'incapacité, de la fraude peut-être, de ceux qui en sont les détenteurs momentanés. Il est donc indispensable que, dans chaque société religieuse, on trouve quelques administrateurs chargés de veiller l’entretien, à la conservation du patrimoine religieux de la communauté spirituelle dont ils font partie. Or, tel est précisément la mission des membres du conseil de fabrique, personne morale dont l'existence est reconnue par la loi dans toutes les paroisses du royaume ; personne morale que l'Etat est obligé de reconnaître, en vertu du concordat entre le pape Pie VII et l'empereur Napoléon Ier.

Aussi le langage des lois est-il ici parfaitement d'accord avec les faits, avec la nature des choses. Pourquoi l'Etat a-t-il reconnu la personnification morale des fabriques d'église ? Est-ce, comme l'a dit fort adroitement l'honorable rapporteur de la section centrale, est-ce dans le seul but de décharger l'Etat d'une partie des obligations qui pesaient sur lui en vertu la loi du 2 novembre 17S9 ? En aucune manière. Par l'article 15 du concordat de 1801, le gouvernement prend l'engagement d'instituer des fabriques, afin que les catholiques français puissent faire des fondations en faveur « des églises ». L’article 76 de la loi du 48 germinal an X, qui rétablit les fabriques, leur donne un caractère hautement, pour ne pas dire exclusivement, religieux. Il y aura des fabriques, dit cette loi, pour veiller à l’entretien et à la conservation des temps, à l’administration des (page 297) aumônes.

L'arrêté du 7 thermidor an XI, qui rend à leur destination les biens non aliénés des anciennes fabriques, porte que les biens des églises supprimées seront réunis aux « biens des églises » conservées. L'arrêté du 28 frimaire an XII, qui rend à leur première destination les rentes et fondations chargées de messes anniversaires, déclare que ces rentes et fondations font partie des « biens des églises. ».

Et que dit l'article premier du décret du 30 décembre 1809, qui a réorganisé l'administration des fabriques d'église ? En fait-il des annexes, des dépendances, des succursales de l'Etat ? Loin de là ! Il leur confie l'administration des fonds affectés à l'exercice du culte. Et dans quel but ? « Afin d'assurer cet exercice et le maintien de sa dignité ». C'est donc l'Eglise et le culte, ce n'est pas le gouvernement ou la commune que représentent les fabriques. Tels sont les faits, telle est la nature des choses, contre lesquels toutes les subtilités juridiques viendront inévitablement échouer.

En présence de ces faits et de ces textes, est-il possible, messieurs, je vous le demande, est-il possible de voir dans les fabriques d'église une administration ordinaire, séculière, comme l'est, par exemple, celle des bureaux de bienfaisance ? Non, mille fois non ! Toute comparaison est impossible. L'Etat, la commune, la société politique doit venir aide à ses pauvres, quel que soit le culte qu'ils professent ; le bureau de bienfaisance administre des biens donnés à la société politique pour aider celle-ci à remplir cette mission ; il n'est qu'un démembrement de l'autorité publique, une institution purement séculière, établie pour faciliter à la puissance publique la distribution des secours qui sont dus à l'indigence. Par son institution, par sa mission, par son caractère. par les biens dont il dispose, par le rang qu'il occupe dans la hiérarchie administrative, un bureau de bienfaisance est bien réellement une administration publique chargée d'un service public, d'un service incombant à la société politique.

Mais en est-il même pour la fabrique d'église ? Evidemment non. Il suffit de consulter le bon sens. Le conseil de fabrique ne représente ni l'Etat, ni la province, ni la commune ; il ne représente qu'une communauté religieuse établie dans la commune. Il est institué pour veiller à la conservation du patrimoine de l'église, des oblations des infidèles. Sa mission consiste à conserver les ressources indispensables à l'entretien du sanctuaire, à la célébration décente du culte, à l'ornementation de l'autel, au renouvellement des vêtements sacerdotaux, à la subsistance du clergé. Son institution, son rôle, son caractère, tout a une mission religieuse, un but religieux. Ces faits ne sont pas contestables, à moins qu'on ne prétende que, pour remplir une mission religieuse, il faille dire la messe, monter en chaire ou administrer soi-même les sacrements de l'église.

A moins de méconnaître la nature des choses, de se placer en dehors de la réalité des faits, de jouer sur les mots, ce qui serait on ne peut plus déplacé dans un débat aussi grave, on est donc forcé d'admettre qu'un conseil de fabrique n'est pas une administration nationale, provinciale ou communale. Il n'est pas même, ni en fait ni en droit, une administration publique dans le sens qu'on attache ordinairement à ces termes ; et ici, remarquez-la bien, je puis invoquer la jurisprudence.

La cour de cassation de France, par un arrêt du 8 mai 1838 ; la cour d'appel de Limoges, par un arrêt du17 août de la même année ; la cour de Liége, par un arrêt du 6 mars 1846, ont jugé que les fabriques d'église ne peuvent être considérées comme une administration publique ; qu'elles ne sont préposées qu'à des intérêts particuliers, ceux de la personne morale qu'elles représentent ; qu'elles ne forment qu'une administration privée, chargée de la régie des biens appartenant à une communauté religieuse.

J'ajouterai que telle était déjà l’opinion des jurisconsultes les plus célèbres qui, sous l’ancien régime, ont écrit sur l'administration du temporel du culte catholique. L'honorable M. Tesch lui-même ne s'y est pas trompé, puisque, à l’article 29 du projet, il a cru devoir placer ces deux lignes : « Le trésorier sera réputé comptable public, pour tous les actes ou faits se rapportant à sa gestion financière. » Il n'était donc pas comptable public de plein droit.

MfFOµ. - C'est la loi communale.

M. Thonissenµ. - Si la loi communale a cru devoir le dire, c’est pour le même motif. Un comptable d'établissement public est nécessairement un comptable public.

Je prie la Chambre de me pardonner ces longs préliminaires. Ils étaient indispensables pour prouver que j'ai raison de repousser les deux systèmes absolus, celui qui n'accorde aucun droit l'Etat, comme celui qui transforme les biens des églises en biens nationaux et dénie tout caractère religieux à l'administration des fabriques. Je dois même, avant d'arriver aux détails pratiques du projet, faire justice d'une troisième erreur qui a été mise en circulation par une partie de la presse.

On a dit, on a osé dire que le décret du 30 décembre 1809, qui régit aujourd'hui les fabriques était un acte de condescendance de Napoléon Ier et l'Eglise. une sorte d’holocauste des prérogatives du pouvoir civil offert aux exigences cléricales des prélats du premier empire.

On connaît donc bien peu l'histoire moderne, j'allais dire l'histoire contemporaine ! Quand le décret du 30 décembre 1806 fut promulgué, Napoléon Ier, naguère le restaurateur des autels, était devenu le persécuteur, le spoliateur de l'Eglise catholique. Il avait dépouillé le souverain pontife de sa royauté temporelle, il avait converti les Etats de l'Eglise en départements français, il avait fait briser à coups de hache les portes du Quirinal et ses soldats en avaient arraché le doux et Saint Pie VII, pour le trainer. entouré de gendarmes comme un malfaiteur, de Rome à Grenoble et de Grenoble à Savone. C'était l’époque où le grand empereur, voyant les rois et les peuples courber la tête, ne pardonnait pas au clergé de lever le front et de réclamer, au milieu de l'abaissement universel, les droits de l’âme et les prérogatives inaliénables de la conscience chrétienne.

C'était l'époque où, préparant déjà le célèbre concile impérial de Paris, il chargeait le préfet de Mantenotte de rappeler au prisonnier de Savone que les temps des Grégoire VII étaient passés, et que désormais la souveraineté politique devait avoir le pas sur la souveraineté religieuse. Oui, c'est alors que parut le décret du 30 décembre, comme une sorte de châtiment, comme une œuvre de réaction contre les prérogatives dont les évêques avaient joui depuis le concordat ; car ils avaient jusque-là réglementé eux-mêmes l'administration du temporel de leurs églises. Voilà la vérité, voilà l’histoire ! Ceux qui pensent que le décret de 1809 laisse trop de pouvoir, trop de liberté à l'Eglise sont forcés de reconnaître qu'ils ne se contentent pas des restrictions, des entraves dont se contentait l'empereur Napoléon Ier, à l’apogée de sa puissance et de sa gloire, à l'apogée de despotisme !

Maintenant, messieurs, que je crois avoir suffisamment déblayé le terrain, j'arrive à la partie pour ainsi dire pratique de ma tâche.

Admettant à la fois l'intervention de l'Etat et le droit incontestable de l'Eglise à l'administration de son patrimoine, je dois vous prouver que leurs prérogatives réciproques peuvent se concilier, se combiner, de manière à produire un système en quelque sorte mixte, susceptible d'être accepté par l'Eglise et par l'Etat, sans qu’ils aient besoin de sacrifier ni leur dignité, ni leurs intérêts, ni leurs immunités constitutionnelles.

Je ne m'attacherai qu'aux points essentiels, laissant les détails pour la discussion des articles du projet de loi.

Procédons avec ordre et examinons successivement quels sont les droits qu'il importe d'attribuer à l'Etat quant à l'acquisition et quant l'administration des biens des fabriques d'église.

Suivant le décret du 30 décembre 1809, l'Etat autorise l'acceptation des dons ou legs faits à une fabrique d'église. Le bureau des marguilliers délibère d'abord, l'évêque émet ensuite son avis, le ministre de la justice fait un rapport, et le roi décide s'il convient ou non d'accepter la libéralité. Il en est de même en cas de vente, d'échange, d'aliénation des biens immeubles de l'église, avec cette seule différence que c'est alors le conseil de fabrique. et non le bureau des marguilliers, qui est appelé à délibérer.

Quoique le gouvernement ait usé on ne peut plus sévèrement de ce pouvoir d'approbation ou de rejet, quoique ses décisions aient fait surgir plus d’une fois des plaintes légitimes, je ne demande pas que son intervention soit ici restreinte. Sans nier le droit divin de l'Eglise, je pense que, dans notre organisation politique, et avec nos traditions cinq fois séculaires, les établissements de mainmorte ne doivent pas posséder la faculté de s'étendre et de s'enrichir sans contrôle sans limites. Des raisons politiques et économiques du premier ordre s'y opposent.

D'autre part, comme les contribuables sont éventuellement obligés de suppléer à l'insuffisance des ressources des fabrique d’églises, il est juste que le gouvernement national ait le droit d’opposer son veto à l’aliénation intempestive de leur patrimoine.

J’accorde donc, veuillez-le remarquer, j'accorde au gouvernement un double pouvoir très efficace : celui de s'opposer à une accumulation excessive de richesses dans le patrimoine des églises, et celui de mettre obstacle à toute dissipation arbitraire ou inopportune de ce même patrimoine.

Or. messieurs, en tenant compte, d'une part, de l'existence de ce double pouvoir, d’autre part, du caractère éminemment religieux de la mission confiée aux conseils de fabrique, on s'aperçoit, à l'instant même, que le projet de loi, en ce qui concerne l'administration proprement dite, accorde à l'Etat des prérogatives qu'il ne doit pas posséder. La part attribuée au pouvoir laïque est évidemment excessive.

Deux faits essentiels doivent surtout nous préoccuper : la formation des budgets, la reddition des comptes. Si nous parvenions à nous entendre sur ces deux points importants, nous serions bientôt d'accord sur tous les autres détails de l'administration de la dotation des églises.

(page 298) Suivant le projet du gouvernement, le budget des fabriques serait désormais composé de deux parties, une partie religieuse ou ecclésiastique, et une partie pour ainsi dire séculière ou temporelle ; en d'autres termes, une partie intérieure et une partie extérieure. Le curé dresserait, chaque année. un état par aperçu des dépenses nécessaires à l'exercice du culte ; cet état, après avoir été approuvé par le conseil de fabrique, serait porté en bloc dans le projet de budget, pour être ensuite approuvé par l'évêque.

Quant aux autres dépenses, celles qui ne se rapportent pas directement à la célébration du culte, elles seraient également votées par le conseil et portées au budget de la fabrique, pour être ensuite approuvées, non plus par l’évêque, mais par la députation permanente du conseil provincial.

Ici, messieurs, les évêques se voient dépouillés de l'une des prérogatives les plus importantes que leur accorde le droit ecclésiastique et que leur reconnaît le décret du 30 décembre 1809, c'est-à-dire, un acte émané de l'initiative de l'empereur Napoléon Ier, qui, comme je viens de le dire, n'avait guère l'habitude de sacrifier à l'Eglise les droits et les prérogatives du pouvoir temporel. Au lieu de l'approbation intégrale du budget des fabriques, on n'accorde plus aux évêques que l'approbation de cette partie des dépenses qui concerne directement, immédiatement, la célébration du culte.

Messieurs, ce système ne peut pas être accepté d'une manière absolue. D'une part, il provient d'une appréciation erronée de la nature et de la destination du temporel des églises ; de l'autre, le gouvernement n'a pas besoin d'aller jusque-là pour trouver le moyen d'accorder à l'autorité civile des garanties sérieuses et efficaces contre la dissipation éventuelle des ressources des paroisses. Deux hypothèses sont possibles. Tantôt la fabrique vit de ses propres ressources et ne demande rien à la commune, tantôt elle a besoin d'un subside plus ou moins important pour suffire à l'exercice décent du culte.

Prenons la première de ces deux hypothèses, celle la fabrique vit de ses propres ressources.

Je pense que, dans ce cas, l'approbation du budget de la fabrique par la députation permanente n'est pas nécessaire.

M. Bouvierµ. - Oh !

M. Thonissenµ. - Permettez-moi de m'expliquer. (Interruption.) Je sais bien qu'un journal de la capitale a dit le contraire dans un article oµ l’on a cru voir un manifeste de la droite parlementaire ; mais je vous ferai remarquer que je ne relève que de ma conscience et que j'entends librement exprimer mon opinion. Vous êtes libres de ne pas l'accueillir, mais je vous prie de me laisser la même liberté dans l'expression de mes idées.

Je vous ai prouvé, il y a un instant, que le patrimoine tout enlier des églises a un caractère religieux et une destination exclusivement religieuse. Les bâtiments servent à abriter le culte et à loger ses ministres. Les revenus des terres et le produit des rentes à fournir aux dépenses que nécessitent l'entretien des sanctuaires, l'ornementation de l'autel et du temple, l’achat des matières et des ustensiles indispensables à l'exercice décent du culte. Pourquoi donc l'Etat, représenté par la députation permanente. pourquoi l'Etat, à qui l'on ne demande rien, viendrait-il s'immiscer ici dans l'administration des choses religieuses ? (Interruption.)

Je comprendrais cette immixtion si l'autorité civile, éventuellement tenue de fournir aux dépenses du culte, pouvait redouter la dissipation du patrimoine des fabriques. Mais cette crainte serait ici purement chimérique, surtout sous le régime de la loi que nous discutons. Les fabriques ne pourront vendre un immeuble sans l'autorisation préalable du gouvernement. Elles ne pourront, sans la même autorisation, procéder à une construction, une reconstruction, ni même à une réparation qui serait de nature à modifier le style d’un édifice. Elles ne pourront plaider sans l'autorisation de la députation permanente du conseil provincial, et la même autorisation leur sera indispensable pour aliéner les créances et les biens meubles, recevoir un remboursement de rente, opérer le placement d'un capital, donner mainlevée d'une hypothèque. Elles ne pourront laisser sans emploi immédiat les excédants de revenus qu'elles auront en caisse.

La dissipation n'est donc pas à craindre et, par conséquent, il n'existe ici aucune raison de dépouiller les évêques d'une de leurs prérogatives essentielles ; il ne se présente aucun motif de requérir l'intervention de la députation permanente du conseil provincial. L'approbation du budget par le chef religieux du diocèse offre toutes les garanties qu'on peut raisonnablement exiger.

L'honorable rapporteur de la section centrale fait, il est vrai, une objection qui, première vue, paraît très sérieuse. « Il ne suffit pas, dit-il, que les ressources et les dépenses de l'exercice courant se balancent. Il peut y avoir des dettes à terme, pour le payement desquelles il faut établir une réserve ; les frais d'entretien, de réparation, de construction et de reconstruction des églises et des presbytères sont des charges variables. Dans les années où ces charges sont petites, il faut, quand la chose est possible, économiser en vue des années où le montant sera plus élevé. L'autorité civile a intérêt à faire respecter ces règles de bonne administration. »

Je ne crois pas, messieurs, que, pour sauvegarder cet intérêt, qui est réel, il faille nécessairement aller jusqu'à soustraire le budget à l'approbation exclusive de l'évêque, quand la fabrique ne réclame aucun subside. Pour parer à tous les dangers, il suffit d'ordonner la communication des budgets aux conseils communaux, afin que ceux-ci puissent, par l'intermédiaire du gouverneur, faire leurs observations à l'évêque, avant l'époque fixée pour l'approbation.

M. Bouvierµ. - Et la sanction ?

M. Thonissenµ. - La sanction, la voici : c'est que l'évêque serait averti de l'existence de dépenses inutiles ou superflues au budget de la fabrique. Or, il n'est pas possible d'admettre que l'évêque, éclairé sur la situation réelle des faits, approuverait des dépenses inutiles, quand il y aurait des dettes à terme, des constructions ou de grosses réparations en perspective. Plus que personne, il est intéressé à ce que l'administration des fabriques soit régulière, sage et à l'abri de tout reproche fondé. On peut s'en rapporter, sous ce rapport, à son intelligence, à sa loyauté, à son honneur, à sa conscience, et, de plus, si c'était nécessaire, à son intérêt bien entendu. Il aura grand soin d'écarter les dépenses inutiles, puisque, le jour même où la fabrique aura besoin d'un seul franc de subside, il verra passer une grande partie de son autorité aux mains des membres de la députation permanente du conseil provincial.

M. Bouvierµ. - C'est la situation actuelle.

M. Thonissenµ. - Ce n'est pas la situation actuelle. Aujourd'hui. quand la fabrique ne réclame pas de subsides, l'évêque statue à l’aide des seuls renseignements qui lui sont transmis par le conseil de fabrique. Dans mon système, au contraire, il y aurait désormais délibération du conseil communal, lequel pourrait signaler toutes les prodigalités et faire toutes les observations qu'il jugerait convenables, et ces observations seraient transmises à l'évêque avec l'avis du gouverneur de la province. C'est là assurément une garantie nouvelle et sérieuse.

Je viens d'exposer le système que je voudrais voir prévaloir dans l'hypothèse ou la fabrique d'église vit de ses propres ressources.

Mais faut-il procéder de la même manière dans la seconde des deux hypothèses que j'ai prévue ; n'est-on pas en droit d'exiger une intervention plus efficace du pouvoir civil, quand celui-ci, de ses propres deniers, doit subvenir en tout ou eb partie aux dépenses du culte ?

Ici je me rapproche du système du gouvernement et je serai, peut-être, en désaccord avec plusieurs de mes coreligionnaires.

Sans doute, l'Etat, en confisquant les biens de l'Eglise, s'est engagé à supporter lui-même les dépenses que nécessite l'exercice du culte catholique. Je connais cette obligation de l'Etat et je n'ai garde de vouloir l'en dégager. Mais cependant, il faut bien en convenir, le pouvoir temporel, en contractant cet engagement, n'a pas entendu s'obliger à dépenser au delà de ce qui est nécessaire pour que le culte public soit convenablement exercé. J'en conclus que, dès l'instant que l'on réclame des subsides du pouvoir civil, celui-ci doit obtenir des garanties exceptionnelles. Il me semble difficile de prétendre que, dans ce cas spécial, son rôle doive se borner à délier les cordons de la bourse et à payer, sans examen préalable, sans contrôle direct, toutes les dépenses décrétées par l'autorité religieuse.

Je voudrais en conséquence que, dans cette seconde hypothèse, le système d'une approbation simultanée par l'évêque et par la députation permanente pût être admis par transaction. L'évêque approuverait seul les dépenses nécessaires à la célébration du culte ; les autres dépenses seraient approuvées simultanément par l'évêque et par la députation permanente, et, en cas de désaccord, le roi déciderait. C'est le système actuel, plus l'approbation de la députation permanente. Il me semble que, de cette manière, l'autorité religieuse et l'autorité civile obtiendraient, l'une et l'autre, des garanties sérieuses, sans que leur dignité réciproque eût à souffrir, sans que leurs intérêts respectifs fussent lésés.

En somme, messieurs, je ne repousse ni n'admets d'une manière absolue le système du gouvernement à l'égard l'approbation des budgets. Je l'admets en partie quand la fabrique ne peut pas subsister par ses propres ressources ; je le repousse, quand la fabrique ne demande pas l'intervention pécuniaire du pouvoir laïque. C'est assez vous dire. que je ne puis pas plus admettre, d'une manière absolue, le système présenté par le gouvernement pour l'approbation des comptes. Ici encore, je voudrais voir triompher un système transactionnel : approbation de toutes les dépenses par l'évêque, quand la fabrique ne demande aucun subside à la commune ; (page 299) approbation par l’évêque des dépenses nécessaires pour la célébration du culte, approbation simultanée des autres dépenses par l'évêque et par la députation permanente, quand la fabrique a requis l'intervention pécuniaire de la commune. On pourrait, en outre, ordonner, dans tous les cas, l’envoi des comptes à la commune à la province.

Je prie le gouvernement d'examiner avec attention, avec bienveillance, le projet de transaction que je lui présente. Exiger, dans tous les cas, l'approbation du budget et des comptes par la seule autorité séculière, pour tout ce qui excède les dépenses intérieures, c'est dépasser de beaucoup les exigences d'un contrôle régulier et efficace ; c'est proclamer, en réalité, la sécularisation à peu près absolue du patrimoine de l'Eglise catholique ; c'est priver les évêques de l'une des attributions les plus importantes de leur ministère sacré ; c'est donner à l'autorité laïque, sans nécessité et sans profit, un pouvoir exorbitant qui serait, pour tous les catholiques sincères, un éternel sujet de mécontentement et de plaintes.

Il se peut, messieurs, que des membres de la majorité de cette Chambre me trouvent bien exigeant ; il est possible qu'ils s’imaginent que je leur demande des concessions exorbitantes, incompatibles avec la dignité, les prérogatives et les intérêts du pouvoir civil. Indépendamment de tout ce que j'ai dit jusqu'à présent, je leur répondrai que, même si l'on m'accorde tout ce que je demande, l'Eglise belge, dans cette Belgique qui aime tant vanter ses libertés religieuses, n'aura pas, pour l'administration du temporel du culte, le quart des prérogatives qui sont attribuées au clergé catholique dans la plupart des pays protestants.

En Hollande, les évêques font des règlements pour l'administration des biens des fabriques d'église et le gouvernement se contente d'approuver ces règlements pour leur donner force exécutoire devant les tribunaux.

En Prusse, l'article 15 de la constitution du 31 janvier 1850 porte : « L'Eglise évangélique et l'Eglise catholique romaine, ainsi que toute autre société religieuse, règlent et régissent par elles-mêmes tout ce qui les concerne ; elles restent en possession et en jouissance tous les établissements, fondations et fonds destinés au culte, à l'instruction et la charité.

Suivant le concordat conclu à Rome, le 16 août 1821, entre le saint-siège et les envoyés du Wurtemberg et de plusieurs autres pays protestants d'Allemagne, les biens des églises sont administrés sous la surveillance des évêques, conformément aux prescriptions canoniques. Aux termes du concordat conclu, le 28 juin 1859, entre le pape Pie IX et le grand-duc de Bade, les biens ecclésiastiques sont administrés, sous l'inspection de l'archevêque, par ceux que cette administration regarde d'après les Canons ou la coutume. Dans l'Amérique du Nord, les législatures d'un grand nombre d'Etats confédérés accordent chaque jour la personnification civile à des fabriques d'église, dont les biens sont ensuite exclusivement administrés par les catholiques sous la direction des évêques.

Quant à la Turquie, l'Eglise y est tellement libre dans l'administration de ses biens que l'archevêque de Smyrne s'écriait naguère dans un journal religieux : Plaise à Dieu que Sa Hautesse le sultan ne nous donne jamais la liberté comme en Belgique !

Dira-t-on que les gouvernements protestants de Berlin, de Stuttgart, de Carlsruhe, de New-York, de San-Francisco, que le gouvernement musulman de Constantinople ne comprennent pas, aussi bien que les libéraux belges, l'indépendance et la dignité du civil civil ?

J'arrive, messieurs, avant de finir, à une question plus grave encore, à une question capitale sur laquelle l'Eglise ne peut admettre aucune transaction, une question qui se présente avec l'inflexibilité du dogme : je veux parler de la direction souveraine, exclusive, des actes et des cérémonies du culte catholique.

L'article 28 du décret du 30 décembre 1809 est ainsi conçu : « Le curé ou desservant se conformera aux règlements de l'évêque pour tout ce qui concerne le service divin, les prières, les instructions et l'acquittement des charges pieuses... »

Cet article, accordant à l'évêque le droit absolu de réglementer le service divin dans toutes les églises de son diocèse, a disparu du projet que nous discutons. Pourquoi l'a-t-on fait disparaître et, avec lui, plusieurs autres dispositions qui en étaient les corollaires ? Quels ont été le motif et le but de cette suppression ? Que le gouvernement nous dise loyalement, sincèrement, quelles ont été ses intentions en opérant cette suppression.

Qu'il nous dise ce qu'il entend par l'administration journalière de l'église, qu'il confie, non au curé, non à l'évêque, mais au président et au trésorier de la fabrique. Qu'il nous dise si ce pouvoir s'étend jusqu'aux choses religieuses, telles que les prédications, les missions, les prières publiques et, en général, tous les exercices spirituels que le curé pourrait prescrire avec l'autorisation de l'évêque.

Qu'il nous dise si, malgré la suppression de l'article 28, la plénitude du pouvoir spirituel des évêques continue à subsister dans les églises de leur diocèse. Des explications franches, loyales, complètes, sont ici indispensables.

Je terminerai, messieurs, comme j'ai commencé, en vous rappelant que l'intérêt bien entendu du pays exige impérieusement une solution transactionnelle de l'important problème législatif que nous sommes appelés à résoudre. Ne l’oubliez pas, messieurs : si la loi sur le temporel du culte était en contradiction manifeste avec les prescriptions impératives du catholicisme, il en résulterait, pour l'Etat aussi bien que pour l'Eglise belge, une crise grave, redoutable, dont aucun d'entre nous ne saurait, en ce moment, prédire les conséquences finances. Il en résulterait tout au moins, chez une grande partie de la nation, un mécontentement profond, qui serait bientôt suivi d'une désaffection plus profonde encore. Cette crise, ce mécontentement, cette désaffection, je ne les redoute pas seulement comme chrétien, comme catholique ; je les redoute encore comme homme politique, comme homme d’ordre, comme citoyen dévoué, profondément dévoué au pays et à ses libres institutions.

Je les redoute surtout à l'heure où nous sommes, quand une propagande délétère s'agite dans les classes laborieuses, quand on voit partout renaître des doctrines absurdes et funestes qu'on croyait à jamais ensevelies sous leur impuissance, quand l'Europe entière se sent ébranlée et s'inquiète de l'avenir. Au lieu de nous diviser de plus en plus, rapprochons-nous devant le péril commun. Aujourd'hui la plus imprudente, la plus dangereuse des politiques serait de mettre nos compatriotes catholiques dans la douloureuse alternative de choisir entre leur foi religieuse et l'obéissance aux lois du pays, entre leur conscience et leur patriotisme !

M. Lelievreµ. - Le projet de loi en discussion est certainement l’un des plus importants qui puissent être soumis à nos délibérations. Il touche aux intérêts sociaux de l'ordre le plus élevé.

Il y a lieu d'abord d'examiner quelles sont les attributions du pouvoir civil relativement à des administrations qui relèvent de lui sous certains rapports.

D’un autre côté, il s'agit de la liberté la plus précieuse de l'homme en société, celle de la conscience qui exige que les droits des cultes établis dans l'Etat soient assurés d'une manière efficace.

Il est impossible d'agiter de plus graves questions et de s'occuper d'une matière plus délicate.

Le projet de loi a pour objet l'organisation des fabriques d'église et l'administration du temporel des cultes.

Le principe qui lui sert de base a été contesté. On a dit qu'il portait atteinte au droit qui appartient essentiellement l'Eglise catholique de posséder des biens, que ce droit est indépendant de la loi civile et que, par conséquent, il ne peut appartenir au législateur de réglementer cet objet qui sort de ses attributions constitutionnelles.

Examinons ce qu'il peut y avoir de vrai dans ces assertions.

Dans l'ordre social, le droit de propriété repose nécessairement sur la tête, soit d'un individu, soit d'un être moral.

La propriété ne peut jamais rester ni flottante, ni vacante.

Pour qu'elle constitue un droit reconnu par la loi, il est indispensable qu'il existe une personne physique ou morale qui puisse la revendiquer.

Or, remarquez-le bien, les êtres moraux doivent être l'œuvre de la loi civile. Elle seule peut, dans l'intérêt public et pour les besoins sociaux, créer ces êtres fictifs qui sont élevés au rang de personnes, jouissant des mêmes droits, pouvant posséder et recueillir les avantages légaux attachés à la propriété.

Cette vérité résulte des principes admis de tout temps.

Sous l'ancien régime, les biens ecclésiastiques appartenaient à des êtres moraux que la loi civile avait reconnus. Ainsi les monastères étaient personnes civiles reconnues par les lois de l'époque. Pour leur établissements ils avaient eu besoin de l'autorisation du souverain ; ils ne pouvaient acquérir des biens qu'avec l'assentiment de la puissance publique.

Il en était de même des cures, des bénéfices et de tout corps ou collège jouissant de la personnification civile.

Ainsi les corps ecclésiastiques n'ont jamais possédé des biens que conformément aux prescriptions des lois civiles qui souvent ont limité leur droit d'acquérir et de posséder et même le leur ont enlevé en exigeant le consentement du souverain comme indispensable pour cette acquisition.

Le système que nous combattons aurait donc pour conséquence de condamner toutes les dispositions de l'ancien régime qui interdisaient aux corporations l'achat d'immeubles sans la permission de l'autorité publique.

(page 300) Mais le droit canonique lui-même enseigne que le droit de propriété de l'Eglise a pour fondement la loi civile.

On peut voir le canon qui jure, dist. 8. part. 1re, cité par Du Laury, Arrêts notables du grand conseil de Malines, arrêt 172, pages 372 et 373.

Ce passage est extrêmement remarquable. Il porte :

« Sur quel droit pouvez-vous fonder les possessions de l'Eglise ? Est-ce le droit divin ou sur le droit civil ?

« Le droit divin fait l'objet des saintes Ecritures.

« Le droit civil résulte des lois des souverains.

« Mais quel est le fondement de la propriété ? N'est-ce pas la loi civile ?

« Le droit divin attribue à Dieu la terre et tout ce qu'elle renferme.

« Dieu a formé les pauvres et les riches avec le limon.

« La terre supporte les pauvres et les riches.

« C'est en vertu du droit civil qu'on dit : Cette campagne est la mienne. Cette maison est la mienne. Cet esclave m'appartient.

« Or, le droit civil est par le souverain. Pourquoi ? Parce que Dieu a décrété les lois civiles par l'intermédiaire de ceux qui la puissance publique.

« Supprimez les droits résultant des décrets des souverains, et qui osera dire : cette campagne m'appartient ; cet esclave m'appartient ; cette maison est ma propriété ? »

Ainsi s'exprime le droit canonique, dont personne ne récusera l'autorité.

Mais, dit-on, l'existence des cultes et leur liberté supposent nécessairement le droit d'acquérir ce qui est essentiel pour leurs besoins matériels.

Ce principe, que j'admets, ne contrarie pas le moins du monde la thèse que je défends.

Il ne prouve qu'une chose : c'est que dans un pays où il existe des cultes établis, la loi civile, qui protège la liberté de les professer non moins que leur exercice, doit nécessairement, dans un intérêt social, mettre les cultes à même de se procurer les ressources nécessaires pour leur existence.

Or, c'est précisément pour obéir ce devoir la loi crée un être moral représentant les intérêts spirituels et pouvant acquérir les biens meubles et immeubles indispensables à l'existence des cultes et nécessaires à leurs besoins (Arrêt de la cour de Bruxelles du 12 février 1861).

Ainsi les fabriques sont précisément instituées par la loi pour que l'église puisse posséder et que sa propriété soit respectée et entourée de toutes garanties que lui assure l'ordre social, Donc, le principe du projet, loin d'être contraire au droit de propriété de l'Eglise, le sanctionne de la manière la plus formelle et le place sous la protection de la loi qui en décrète l'inviolabilité.

Du reste, l'institution des fabriques comma émanation de la loi civile existait déjà sous l'ancien régime, de sorte qu'en créant, dans l'intérêt du culte, un être moral chargé d'administrer le temporel des églises et des paroisses, le décret de 1809 et le projet en discussion se sont inspires des idées qui depuis longtemps étaient admises en Belgique.

Aujourd’hui, dit de Ghewiet, Institutions du droit Belgique, partie 2, littera I, paragraphe 3, article 6, les églises sont sous la direction des marguilliers, et au dire d'un autour moderne, les marguilliers ont été subrogés in locum aedituorum dont parle Alcuin,de Divin. Off. Ci-devant les églises et leurs biens étaient sous la direction des évêques.

D'après le droit ancien régissant nos provinces, il existait des fabriques dont les biens étaient administrés par des membres nommés par les seigneurs ou les officiers de justice.

Les comptes étaient rendus chaque année en présence des paroissiens, à l'intervention du patron de l'église, du seigneur haut justicier et du curé de la paroisse.

Ce fut pour procurer au culte catholique les ressources dont il avait besoin que l'empereur Napoléon édicta l'article 76 de la loi du 18 germinal an X qui porte :

« Il sera établi des fabriques pour veiller à l’entretien et à la conservation des temples, à l’administration des aumônes. »

Les corps moraux, appelés « fabriques », ont donc été créés précisément pour procurer au culte catholique rétabli des moyens matériels d’existence. Dès ce moment, ces corps acquièrent vis-à-vis de la loi civile le droit de posséder avec toutes les garanties attachées au droit de propriété.

Telle est également la pensée qui a dicté le décret de décembre 1809, pensée toute favorable aux églises et ne perdons pas de vue que cette disposition législative n'a cessé de recevoir son exécution pendant nombre d’années en France et en Belgique, sans réclamation de qui que ce fût.

Les évêques ont même présenté ses prescriptions comme insuffisantes pour assurer la bonne administration des biens et ils ont signalé les réformes dont l'expérience avait révélé la nécessité.

Examinons maintenant si le législateur a le droit d'intervenir dans l'ordre de choses dont il s'agit.

L'affirmative ne peut être douteuse. Les corps moraux étant une création de la loi civile, sont soumis 1'action des pouvoirs publics qui ont le droit de contrôler les actes, de réglementer l’organisation et de prendre des mesures efficaces pour assurer la gestion convenable des revenus et l'administration régulière des biens.

Ces principes étaient en vigueur même sous l'ancien régime. Les monastères jouissant de la personnification civile étaient soumis à la surveillance des autorités légales. C’est ainsi que les Ursulines n'avaient été autorisées à s'établir à Namur par octrois des 10 juin 1652 et 22 mai 1734 qu'à charge de communiquer tous les ans au conseil de Namur la situation de leur maison, l'état de leurs biens, etc., afin que ce corps de justice pût s'assurer si le convent se conformait au décret d'autorisation.

En ce qui concerne les fabriques, le système de la législation ancienne est parfaitement exposé par Du Laury.

Cet auteur établit que « les évêques ne peuvent prétendre pro proprio (indépendamment de toute concession particulière du souverain) que leur présence soit nécessaire à la reddition des comptes des biens purement temporels des églises.

« L'administration de ces biens a toujours été confiée aux magistrats des lieux.

« Les évêques doivent avoir soin des fabriques d'église, mais ce soin ne leur a été commis par le prince que cumulativement avec le patron, le seigneur du lieu et ceux de la loi.

« Le seigneur intervenant à l'audition des comptes a le droit de préséance sur le curé, parce qu'il s'agit pas, en ce cas, du ministère ecclésiastique.

« Le doyen rural, le curé, et tout autre député de l'évêque n'ont aucune autorité de leur chef et ne se fondent que sur un titre emprunté de leur principal dont ils ne sont que les mandataires, au lieu que le seigneur se fonde en son propre titre, juridiction et pouvoir d'intervenir ès comptes dont question. »

Waymel Du Parcq (consult. 81) démontre, par diverses autorités, que ce sont les baillis et gens de loi qui peuvent seuls statuer relativement aux comptes des paroisses. Le curé a cependant le droit d'assister aux assemblées et de signaler les abus qu'il aurait vus se produire.

Il cite un arrêt du parlement de Flandres du 11 août 1865 qui a jugé M. de Choiseul, évêque dc Tournai et Mme la princesse d'Epinoy, que ledit seigneur évêque n'avait pas le droit de rien statuer dans le cours de ses visites de l'église de Roubaix, mais une seule inspection pour représenter les abus qu'il y avait trouvés (erratum, page 316) ou trouverait. Desmazure, en son traité droit canon, suivant l'usage d’Artois, tit. X, n°24, dit que l'évêque ou son député n'est présent (aux comptes) qu'à l'effet de voir et d'écouter et non pas l'effet d'approuver ni d'émettre voix décisive.

Merlin, Répertoire de jurisprudence, au mot Fabrique, cite divers arrêts des parlement français qui ont reconnu les droits de l’autorité civile en ce qui concerne les biens des fabriques.

Le 13 janvier 1645, le conseil de Namur, vu les abus qui s'étaient glissés dans l'administration des biens et revenus appartenant aux fabriques d'église, etc., ordonna « que la recette en fût commise à celui des habitants séculiers que la justice du lieu, à l'intervention du pasteur, trouverait idoine et suffisante.

« Il ordonnait aux mambours de rendre compte de leur administration tous les ans devant les officiers de justice de la localité, en présence du curé on de tout autre délégué de l'évêque.

« Le concile de Trente ne fut promulgué en Belgique que sans préjudice à l’administration jusqu’ores usité par les lois, magistrats et autres gens lays sur hôpitaux, fondations pieuses et autres choses semblables. Les droits du souverain et des seigneurs des lieux en ce qui concerne le temporel des églises étaient formellement réservés.

(page 301) L'application de ces principes à notre régime politique ne peut être contestée aujourd’hui, puisqu'il s'agit d'administrations publiques ayant des rapports intimes avec la province et la commune ; que, dans certains cas, les communes sont tenues de suppléer à l'insuffisance des revenus des fabriques et que les provinces sont astreintes à la même obligation, en ce qui concerne les fabriques des églises cathédrales.

J'estime donc que la base du projet ne peut être contestée. Elle est, du reste, la même que celle du décret de 1809 dont l'exécution n'a jamais donné lieu à la moindre réclamation.

Il nous reste à examiner les questions importantes que soulève l'organisation intérieure des fabriques. Il est à cet égard une considération qui ne doit pas être perdue de vue. Il s’agit d'une administration qui représente les intérêts d'un culte déterminé.

Ainsi, les fabriques des églises catholiques sont chargées du temporel du culte catholique, et ce temporel est destiné à pourvoir aux besoins de ce culte.

Cet ordre de choses fait naître une conséquence irréfragable : c'est que pareille administration doit être organisée de telle manière qu'il y ait certitude qu'elle sera dirigée, au moins en majorité, par de véritables catholiques, par des hommes qui, au point de vue des opinions religieuses, représentent la société catholique.

C'est ce qui résulte de la nature des intérêts qui sont confiés au corps moral. Il me paraît impossible de charger de ce soin des hommes qui, entraînés par des convictions dont la liberté est garantie par nos lois, sont hostiles au culte dont il s'agit de régir le temporel.

De même les fabriques protestantes et israélites ne peuvent être administrées convenablement que par des personnes appartenant la communion dont les intérêts matériels sont en jeu.

Il est impossible de méconnaître la situation actuelle. A notre époque, il existe des sectes ayant pour but avoué d'extirper le catholicisme comme contraire au progrès social.

Est-il possible de confier l'administration des biens des églises catholiques en mains d'individus partageant semblable opinion et qui, évidemment, profiteraient de leurs fonctions pour réaliser le but qu'ils veulent atteindre ?

Le temporel des cultes est lié intimement à la partie spirituelle, par conséquent, l'administration du temporel doit être organisée de manière que jamais elle ne puisse porter préjudice aux intérêts spirituels ni les entraver.

Or, les catholiques seuls ont intérêt à ce que los choses marchent en ce sens, les autres ont un intérêt contraire. Il est donc de toute justice que la majorité dans les conseils des fabriques soit attribuée à l'opinion religieuse qui représente les intérêts qu'il s'agit de protéger.

Du reste, c'est dans l'intérêt du culte que l'on crée le corps moral chargé de pourvoir à ses besoins. Dès lors, il est indispensable que l'organisation du personnel soit en harmonie avec les intérêts du culte lui-même. Sans cela, ce serait dénaturer les choses et faire tourner contre le culte une institution introduite en sa faveur.

Pour réaliser le but que la loi se propose, il doit y avoir des garanties sérieuses que jamais la composition du personnel ne peut être hostile au culte.

C'est dans cet ordre d'idées que l'auteur du décret du 30 décembre a voulu que la grande majorité des conseils des fabriques fût nommée par l'évêque, le chef de la société catholique dans l'ordre hiérarchique.

L'illustre Portalis, dont tout le monde doit reconnaître l'imposante autorité, a expliqué clairement les motifs de disposition. La majorité des conseils des fabriques doit être composée de véritables catholiques, parce qu'il s'agit des intérêts du culte catholique. L'administration doit être en majeure partie cléricale, parce qu'il s'agit du temporel de l'Eglise qui a des rapports intimes et nécessaires avec la partie spirituelle.

En veut-on la prouve ? Qu'on examine attentivement quelles sont d'après le projet les attributions conférées aux conseils des fabriques et l'on sera convaincu que leur exercice, s'il était inspiré par une pensée hostile, pourrait donner lieu à de graves inconvénients qui affecteraient le culte lui-même et les libertés dont il jouit.

La composition du personnel des conseils des fabriques telle qu'elle est édictée par le décret de 1809 est donc fondée sur la nature même des choses. Elle est conforme au caractère spécial que reflète le corps fictif créé par la loi.

Cet ordre de choses est encore justifié par d’autres considérations.

A mon avis, c’est la société religieuse qui doit elle-même administrer ses biens, sous le simple contrôle de l’autorité civile. Il est donc tout naturel que les membres de cette société se trouvent en majorité dans le corps appelé à régir le temporel de l'association.

Les délégués du pouvoir civil ne sont que des surveillants chargés de s'opposer aux abus qui peuvent se produire dans l’administration et éclairer les membres de la société religieuse, non moins que l'autorité supérieure, sur les mesures à prendre pour assurer la bonne gestion.

Du reste, c'est surtout sous l'empire de nos institutions démocratiques, alors que les cultes ne jouissent d'aucun privilège, qu'il faut accorder aux associations qui les représentent les libertés les plus larges pour gérer les intérêts qui les concernent.

Rien de plus naturel que d'autoriser les associations à faire elles-mêmes leurs affaires et de réduire la mission du gouvernement ou de ses délégués à un simple droit de contrôle exercé pour la répression des abus.

C'est le régime empreint d'une haute sagesse que le décret de 1809 a introduit et il importe surtout de le maintenir sous le régime de nos institutions libérales.

Le projet a cru pouvoir introduire, sous ce rapport, certaines modifications. Il confère à l'évêque et au gouverneur un nombre égal de nominations dans la composition des conseils des fabriques.

Les considérations que j'ai déduites ne me permettent pas de me rallier à ce système. Non seulement il est contraire aux principes que j'ai exposés, mais il est propre à donner lieu à des inconvénients sérieux.

Il peut faire naitre au sein des conseils des fabriques des divisions de telle nature, que la marche des affaires sera rendue très difficile et même impossible.

Les éléments divers de la composition du corps moral, ayant une origine différente, peuvent se trouver en opposition, de manière à enrayer l'administration et porter une grave atteinte aux intérêts du culte. Il y a plus : il dépendra d'un gouverneur ou d'un commissaire d'arrondissement de soulever par des nominations imprudentes une opposition invincible au sein des conseils des fabriques, de sorte que sous semblable état de choses, il n'existerait plus de garanties sérieuses en faveur des associations religieuses qui seraient, en ce qui concerne l'administration du temporel, liée intimement aux intérêts spirituels, mises à la merci d'un agent du pouvoir civil.

Je ne pense donc pas qu'on puisse s'engager dans une voie qui ne garantit pas suffisamment les intérêts religieux et qui place les associations religieuses dans une situation précaire propre compromettre leur liberté. Il importe peu qu'aujourd'hui le gouvernement reste étranger à la nomination des évêques, car la part d'intervention dans la nomination des conseils des fabriques que leur confère le décret de 1809 ne doit pas, à cause de cette circonstance, subir des modifications, par la raison qu'ils exercent la prérogative dont il s'agit, non comme fonctionnaires de l'Etat, mais comme représentant la société catholique, comme chefs de cette association religieuse, qualité qui est inhérente à leur caractère et dérive de leur mission.

Il y a plus : loin qu'il existe des motifs d'introduire dans la législation des restrictions sous ce rapport, il y en a de sérieux justifiant au moins le maintien de l'état de choses existant.

Sous l'ancien régime, où il y avait une religion dominante professée par la presque unanimité des citoyens et qui était celle de l'Etat lui-même, en 1809, on ne rencontrait pas de secte ayant arboré le drapeau de la libre pensée en matière religieuse, il n'y avait pas de danger à attribuer au gouvernement ou à ses délégués, en ce qui concerne l'administration du temporel du culte, certaines prérogatives plus ou moins étendues. L'expérience a prouvé, du reste, que sous ce régime il ne s'est jamais élevé, au sein des conseils des fabriques, des partis hostiles à l'exercice même du culte.

Mais aujourd'hui qu'il n'existe plus une religion dominante, que l'Etat lui-même est indifférent à toutes les opinions religieuses et qu'il est réduit à une mission purement passive, loin d'étendre ses prérogatives à l'endroit du temporel des cultes, il faudrait plutôt les restreindre ; il conviendrait d'élargir les droits des associations religieuses dans l'administration de leurs biens et réduire la mission des pouvoirs publics à un simple droit de surveillance et de contrôle efficace.

Je pense donc que, pour sauvegarder tous les intérêts agités en cette importante matière, il y a lieu au moins de maintenir purement et simplement la composition des conseils des fabriques telle qu'elle est réglée par les articles 3 et suivants jusque 9 inclus, du décret de 1809.

Cette composition est de nature à satisfaire à toutes les exigences légitimes, du moment qu'on adopte les règles concernant les comptes et budgets, énoncées au projet.

A cet égard, il y a une observation qu'on ne doit pas perdre de vue.

(page 302>) Il s'agit d'une loi relative à un ordre de faits d'une nature toute particulière. L'exécution du projet en discussion doit avoir lieu dans l'intérieur des temples et leurs dépendances.

Or, c'est surtout en pareille occurrence qu'il faut éviter de heurter des oppositions irrésistibles. On ne pourrait les vaincre qu’en recourant à des mesures qui entraineraient le gouvernement dans une voie de rigueur et de violence dont on doit s'abstenir et qui a toujours été fatale à ceux qui en ont usé.

C’est seulement en résolvant les graves questions qui nous occupent à la satisfaction de toutes les opinions modérées, qu'on peut aboutir à des résultats favorables au bien-être général.

Indépendamment de la composition des conseils des fabriques telle qu'elle est organisée par le décret de 1809, je suis d'avis qu'il faut maintenir le bureau des marguilliers, parce que les établissements dont il s'agit forment une administration toute spéciale et qu'à raison de ses relations intimes, multipliées et de tous les instants avec le culte lui-même, il est indispensable qu'il existe un pouvoir exécutif permanent chargé des détails d'exécution.

J'ajoute que l'institution du bureau des marguilliers n'a jamais donné lieu à aucun inconvénient.

Du reste, il est certain que le droit de contrôle à l'égard des actes des conseils des fabriques appartient à l'autorité civile. Impossible de dénier sous ce rapport aux pouvoirs publics des attributions qu'ils doivent exercer relativement à toutes les administrations publiques.

Les relations des fabriques avec la province et la commune rendent encore, à ce point de vue, le contrôle indispensable.

Du reste, les lois communale et provinciale considèrent les fabriques comme des administrations publiques. Sous ce rapport, les dispositions du projet qui assurent efficacement le contrôle me semblent satisfaire aux justes exigences prescrites par l'intérêt même des établissements dont il s'agit.

En 1858, dans cette enceinte, j'avais appelé l'attention du gouvernement sur la nécessité de soumettre les budgets et les comptes des fabriques à l'approbation des députations permanentes.

L'expérience a justifié la nécessité de cette réforme. On ne peut contester qu'il se soit produit des abus qui en rendent l'adoption indispensable.

Je dois dire, du reste, que le projet en ce qui concerne la régie des biens, les budgets et les comptes, contient un ensemble de dispositions remarquables qui réaliseront un véritable progrès.

J'estime également que, relativement aux dépenses facultatives, les compte et les budgets doivent être aux conseils communaux. Ces corps doivent être appelés non pas à statuer définitivement puisqu'ils ne peuvent juges et parties dans une affaire qui les concerne, mais bien à proposer leurs observations, dont le mérite sera apprécié par l'autorité supérieure : en effet, les communes qui, en cas d'insuffisance des revenus des fabriques, doivent pourvoir aux dépenses, ont évidemment titre et qualité pour s'expliquer sur des dépenses facultatives qu'elles ont intérêt à contrôler.

Le droit d'examen et d'observations conféré aux conseils communaux est une conséquence nécessaire de la charge éventuelle imposée aux communes.

L'insuffisance des ressources des fabriques devant rejaillir sur les communes, il est tout naturel que celles-ci aient le droit de veiller à ce que, par l'effet de dépenses inutiles, les ressources communales ne soient pas atteintes.

Les conseils communaux ont donc un intérêt direct à prendre connaissance des comptes et des budgets des fabriques et à soumettre à l'autorité supérieure les observations qu'ils jugent utiles pour sauvegarder les ressources financières qu’un recours éventuel peut affecter.

Du reste, je ne vois aucun inconvénient à soumettre les fabriques des églises cathédrales au régime applicable aux fabriques ordinaires.

La composition des conseils des fabriques, telle que j'en propose le maintien, est de nature à satisfaire à tous les intérêts légitimes, même en ce qui concerne les églises cathédrales, de sorte qu'il n'existe aucun motif sérieux de faire, à cet égard, des distinctions que rien ne justifie. Il est, du reste, certain que le contrôle des pouvoirs légaux doit être exercé relativement à toutes les fabriques quelles qu'elles soient et qu'il est nécessaire d'édicter, cet égard, une règle générale applicable à tous les établissements de ce genre.

Telles sont les considérations que j'ai émises avec une liberté d'appréciation que j'ai toujours considérée comme la plus belle prérogative de l'élu de la nation, et avec cette indépendance à laquelle je crois avoir acquis un droit irréfragable, ne fût-ce que par une longue prescription ; elles me paraissent propres à amener entre les partis un rapprochement de nature à réaliser, dans l'espèce, une transaction équitable.

En terminant, je ne crains pas de faire appel aux sentiments de conciliation qui animent l'immense majorité de la Chambre et dont elle a récemment encore donné des preuves par le vote concernant les exemptions en matière de milice.

Mettre fin à de regrettable divisions et régler les intérêts de l’ordre le plus élevé dans le sens de l'équité et de la modération, c'est rendre au pays un service signalé qui sera apprécié par les véritables amis de la patrie. C'est consolider notre régime politique que de le fonder sur les principes impérissables du droit et de la justice.

Sous ce rapport, je suis heureux de reconnaître que le gouvernement a fait preuve, dans cette séance, d'intentions conciliantes auxquelles je dois rendre une légitime hommage. Les mesures annoncées par l'honorable M. Frère-Orban satisfont, à tout ce que peuvent désirer les opinions modérées. Le ministère a écarté tout ce que la discussion actuelle pouvait faire naitre d'irritant et réduit le projet de loi à un droit de contrôle qu’on ne peut dénier au pouvoir civil.

Quant moi, je ne puis que féliciter le gouvernement d'une résolution qui mérite de recevoir l'assentiment de l'immense majorité de la Chambre, et qui sera certainement reçue favorablement par le pays entier.


Il est procédé au tirage sort des sections de janvier.

La séance est levée à 4 heures et un quart.