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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 20 janvier 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Dolezµ)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 309) M. de Vrintsµ l'appel nominal à 3 heures et un quart.

M. Reynaertµ donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Vrintsµ présente l'analyse des pétitions adressées la Chambre.

« Le sieur Masquelin demande que la loi électorale prescrive le vote à la commune ou par justice de paix par groupe de 40,000 habitants. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Schuyten et Deschamps se plaignent de l'inégalité de répartition des pensions des décorés de la croix de Fer et des blessés de septembre. »

- Même renvoi.


« Le sieur Quarré-Debruyl, brasseur à Louvain, propose à la Chambre d'examiner s'il n'y a pas lieu de modifier l'article premier de la loi du 2 août1822, concernant l'accise sur les bières indigènes, tout en maintenant la base de l’impôt actuel et de laisser la faculté aux brasseurs de payer d'après la quantité de mouture ou de matières farineuses employées. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Les secrétaires communaux du canton de Saint-Trond demandent que l'avenir des secrétaires communaux soit assuré, que leur traitement soit mis en rapport avec l'importance de leur travail et des services qu'ils rendent aux administrations communales, provinciales et générale. »

« Même demande des secrétaires communaux de l'arrondissement de Thielt. »

M. Lelièvreµ. - Je demande le renvoi de la pétition à la commission, qui sera invitée à faire un prompt rapport. La réclamation est fondée sur les plus justes motifs, J'ai souvent appuyé des demandes analogues, Je désire qu'il intervienne le plus tôt possible une solution favorable.

- Cette proposition est adoptée.


« Des habitants de Cherscamp demande une enquête sur la gestion financière de la commune et du bureau de bienfaisance. »

- Même renvoi.


« M. de Fré, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

« M. Sainctelette, retenu à Mons pour affaire urgente, demande un congé pour la séance d'aujourd'hui. »

- Ces congés sont accordés.

Ordre des travaux de la chambre

M. Thonissenµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, nous n'aurons qu’une séance d'une heure et demie ; je crois donc qu'il serait utile de commencer par l'objet le plus important de notre ordre du jour, le projet de loi relatif à 1'acquisition des bâtiments et des terres dépendants des anciennes colonies de bienfaisance de Merxplas-Ryckevorsel et Wortel. Si nous commencions par les rapports de pétitions, il serait à craindre que ce projet de loi ne pût pas être discuté aujourd'hui.

- Cette proposition est adoptée.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Bouvierµ. - J'ai l'honneur de déposer plusieurs rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- Ces rapports seront imprimés, et portés à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi autorisant l’acquisition des terrains et des bâtiments des anciennes colonies de bienfaisante de Merxplas-Ryckevorsel et de Wortel

Discussion générale

M. Thonissenµ. - Messieurs, le gouvernement nous demande un crédit de 800,000 francs pour l'acquisition et l'appropriation des bâtiments et terres qui, pendant trente à quarante années, ont appartenu aux anciennes colonies de bienfaisance de Merxplas-Ryckevorsel et Wortel. Il se propose d'y établir le dépôt central des mendiants valides.

Je ne viens pas, messieurs, vous faire la lamentable histoire financière et agricole de ces colonies ; elle est assez connue pour que je puisse me dispenser de la rappeler devant cette Chambre.

La province de Limbourg a vivement réclamé contre le projet de loi. Elle prétend qu'un dépôt de mendiants valides pourrait être beaucoup mieux placé ailleurs qu'à Ryckevorsel et elle désigne à cette fin le domaine de Reckheim, qui sert actuellement de dépôt de mendicité aux provinces de Liége et de Limbourg.

A mon tour, au sein de la section centrale, je me suis montré l'adversaire déclaré et convaincu du projet de loi. J'ai été battu au sein de cette section ; je le serai probablement aussi dans cette enceinte, car je ne pense pas que la Chambre veuille contraindre M. le ministre de la justice à envoyer les mendiants là où il ne veut pas les placer ; mais, malgré cette perspective peut encourageante, je me crois obligé de dire la vérité tout entière au gouvernement, à la Chambra et même au pays.

Cette affaire, messieurs, présente un côté excessivement étrange. Tous les faits énoncés par le gouvernement dans l'exposé des motifs du projet de loi sont radicalement erronés. Oui, parmi les faits allégués par le gouvernement sur le rapport de ses fonctionnaires, il n'y en a pas un seul qui soit conforme à la réalité. C'en est assez, messieurs, pour m'autoriser à vous prier de me prêter quelques instants d'attention.

Je vais m'occuper d'abord du prix indiqué comme représentant la valeur des immeubles que le gouvernement a l'intention d'acquérir.

Dans un rapport du 15 février 1869, un expert envoyé sur les lieux par le département de la justice affirme que, si le gouvernement pouvait acquérir le domaine de Merxplas-Ryckevorsel et Wortel au prix de 650,000 francs, il ferait une excellente opération.

Vous allez voir, messieurs, combien ce chiffre est démesurément exagéré.

Le 30 janvier 1865, S. A. R. le prince Frédéric des Pays-Bas a vendu ce domaine à quelques notaires des Flandres, moyennant le prix de 450,000 francs.

D'après l'agent que le gouvernement a envoyé sur les lieux, d'après l'expert investi de la confiance de M. le ministre de la justice, ce domaine, perdu à l'extrême frontière, loin de toute communication avec un centre de population, aurait donc gagné en quatre années une plus-value de 200,000 francs. On avouera que ce serait très extraordinaire.

Ce phénomène économique pourrait cependant s'expliquer si, depuis quatre ans, ce domaine avait été considérablement amélioré ; mais, par malheur, au lieu de l'avoir amélioré, on 1'a détérioré, Dans un rapport de M. Delobel, directeur du dépôt de mendicité de Hoogstraeten, rapport placé à la suite de celui de l’honorable M. FVeminckx, il est dit que tous les grands sapins ont disparu. Or, messieurs, vous allez voir ce que valaient ces grands sapins.

Un grand propriétaire du Limbourg hollandais, ayant appris que le prince Frédéric des Pays-Bas avait l'intention de vendre le domaine de (pag310) de Merxplas, envoya sur les lieux un expert très instruit, cultivateur défricheur lui-même, habitant la Campine, connaissant dès lors très bien la nature et la valeur des terres analogues à celles qu'on trouve Merxplas-Ryckevorsel.

Or, voici l’expertise détaillée qu'a faite l’agent et sur laquelle j’appelle l'attention de la Chambre. Il arrive, lui, à une valeur totale de 405,000 francs, en procédant de la manière suivante ;

Bois de sapins de plus de vingt ans, pour une somme de 250,00 fr.

Sapins et autres arbres, tels que chênes, se trouvant en drèves ou allées, 20,000 fr.

Quatre-vingts hectares de terres et prés, à 500 francs, 40,000 fr.

Le reste des terres après que les sapinières auront été exploitées, 75,000 fr.

Bâtiments, 20,000 fr.

Total, 405,000 fr.

Voilà, d'après l'expert limbourgeois, la valeur dit domaine de Merxplas, au mois de janvier 1865, en comptant les grands sapins pour une valeur de 250,000 francs. Comment donc les propriétés le gouvernement cherche à acheter vaudraient-elles aujourd'hui 200,000 francs de plus qu’elle ne valaient il y a quatre ans. Cela me semble parfaitement impossible.

Je viens de dire que l'expert limbourgeois avait évalué à 250,000 fi'. la valeur des sapins ayant dépassé l’âge de vingt ans. Je dois loyalement ajouter que ce chiffre n'est peut-être pas tout à fait exact ; une personne qui est allée sur les lieux n'évalue ce produit qu'à environ 100, 000 francs. Le gouvernement, pour éclaircir ce point, n'a qu'à consulter les procès-verbaux des ventes d'arbres chez les notaires ou chez les receveurs de l'enregistrement.

J'en ai dit assez pour prouver un premier fait, c'est que l’agent du gouvernement, en disant que lg domaine valait 650,000 francs, s'est singulièrement trompé.

Je pense, messieurs, et je vais vous le prouver, que les autres combinaisons financières du gouvernement sont, elles aussi, le produit de l'erreur. Ainsi, le gouvernement affirme, dans l'exposé des motifs, que le crédit de 800,000 francs qu'il demande n'est qu’une simple avance ; il affirme notamment que cette avance sera remboursée en grande partie par une somme de 510,000 francs, devant provenir de la vente du dépôt de mendicité actuellement existant à Reckheim.

Or, de l'aveu même du gouvernement, assez souvent réitéré, ce dépôt n'appartient pas à l'Etat ; il est la propriété exclusive de la province de Limbourg, qui l'a acheté en 1810 de l'administration de la caisse d'amortissement de l'empire français.

Voici un extrait de l'acte passé devant un notaire de Maestricht le 17 mai 1810, entre le préfet du département de la Meuse inférieure et le directeur de l'enregistrement et des domaines, agissant au nom de la caisse d'amortissement :

« Les bâtiments, dépendances, terres et prairies sont vendus, porte l'acte de cession, francs. quittes et libres de toutes rentes et seulement. avec la charge des servitudes cachées ou apparentes, nous directeur des domaines, audit nom, nous en dessaisissant ce jour dans l'état où ils se trouvent, sans entendre en rien répéter, pour par le département de la Meuse inférieure en jouir, faire disposer dès aujourd'hui et à toujours comme il l'entendra. »

Le lendemain de la date de cet acte, le département de la Meuse inférieure payait le prix de cette acquisition. C'est donc bien un immeuble acheté et payé par le département de la Meuse inférieure, aujourd'hui la province de Limbourg.

M. Bouvierµ. - Pour quelle somme ?

M. Thonissenµ. - On a acheté le château de Reckheim pour la somme de 20,756 francs ; mais je crois qu'on a dépensé, en appropriation, constructions et acquisitions autour du bâtiment principal, une somme de près de 200,000 francs. Vous trouverez tous les détails nécessaires dans une brochure adressée à tous les membres de la Chambre.

Mais ce n'cst pas tout. En 1849, le domaine de Reckheim étant devenu trop restreint pour le nombre des détenus qu'on y avait colloqués, l'administration de ce dépôt demanda l'autorisation d'acquérir des terres nouvelles. La députation permanente s'adressa, à effet, au gouvernement, qui répondit :

« Le dépôt de mendicité n'a pas la personnification civile ; il ne peul donc acquérir. Les bâtiments et terrains aujourd'hui à l'usage de ce dépôt sont la propriété de la province de Limbourg, qui les a acquis de ses propres deniers. Ce sera donc à la province de faire l'acquisition des parcelles dont il s'agit. »

Assurément voilà une reconnaissance formelle.

M. Bouvierµ. - Quelle est la date de cette dépêche ?

M. Thonissenµ. - Elle est du 27 juin 1849. Cet aveu, du reste. n'est pas isolé, il a été répété officiellement, par les chefs du département de la justice, même au sein des deux Chambres, ce qui est bien plus important encore.

En voici notamment une preuve : le 17 novembre 1846, le gouvernement vint déposer à cette tribune un projet de réforme des dépôts de mendicité, ce projet n'a pas eu de suite ; il a été, je crois, plus tard retiré par le gouvernement, mais, dans l'exposé des motifs et dans les réponses faites aux demandes des sections, le gouvernement déclarait, de la manière la plus formelle, que le dépôt de Reckheim, dont je vous parle, était la propriété de la province de Limbourg et que par conséquent le gouvernement, s'il voulait utiliser cet établissement, devrait l'exproprier ou l'acquérir à l'amiable.

Voilà un deuxième aveu, j'en pourrais citer plusieurs autres, mais je contenterai d'un troisième que je ne puis passer sous silence.

Dans l'Exposé décennal la situation royaume de 1841-1850, on parle des dépôts de mendicité, et que dit-on ? En qui concerne les dépôts de la Cambre et de Reckheim, la propriété appartient « aux provinces qui en ont fait l'acquisition ». Or, cette partie de l'Exposé décennal a été rédigée par un fonctionnaire éminent du département de la justice.

Que fait maintenant le gouvernement ? On lui dit que s'il achète, pour 650,000 francs, une propriété qui en vaut 350,000, il fera une bonne affaire, et il nous dit à son tour : « Accordez-moi 800,000 francs et sur ces 800,000 francs, j'en retrouverai 510,000 par la vente, à mon profit, du dépôt de mendicité de Reckheim. »

Vous vu, messieurs, comment ce dépôt appartient au gouvernement. il a été acheté avec l'argent du Limbourg ; il a été constamment administré et exploité par cette province.

M. Dumortierµ. - Exploité par l'Etat, puisqu'il veut s'en emparer. (Interruption.)

M. Thonissenµ. - Tâchons de rester sérieux, messieurs, sur une question de cette importance.

En comptant sur un bénéfice de 510,000 fr., le gouvernement dispose bien d'autrui. Il avait commencé par affirmer son droit, mais, ayant trouvé de la résistance au sein même de la section centrale, il a intenté un procès la province de Limbourg, procès qu'il perdra inévitablement, à moins qu'il n'y ait plus de droit de propriété en Belgique. Du moment qu'on achète et qu'on paye, on est propriétaire. Cela est vrai pour les provinces comme pour les particuliers.

Maintenant, messieurs, je vais vous prouver que tous les faits allégués par les agents du gouvernement, que tous les faits indiqués dans l'exposé des motifs sont des faits erronés, des faits complètement inexacts. Je n'attaque pas, remarquez-le bien, la bonne foi de M. le ministre de la justice ; elle est à l'abri de toute attaque, et je n'ai nulle envie de la suspecter. Mais je ne m'en trouve pas moins en présence d'erreurs singulières et inexplicables.

Dans un rapport du 13 février 1869, le domaine de Merxplas-Ryckevorsel indiqué comme se trouvant à environ 7,000 mètres de la station de Turnhout, tandis que le domaine de Reckheim se trouverait à une distance double de la station de Lanaken, soit 14,000 mètres. Vous allez voir ce qui en est.

J'ai ici une carte parfaitement dressée ; je la mets à la disposition des membres de la Chambre qui veulent s'assurer si je suis dans le vrai. Voici la vérité. Les anciennes colonies de bienfaisance se composent de deux domaines, situés l'un sous Ryckevorsel, non à 7,000 mètres, mais à 11,000 mètres de la station de Turnhout ; l'autre sous Wortel, non 7,000 mètres, mais à 16,000 mètres de la station de Turnhout.

L'établissement de Reckheim au contraire, au lieu à 14,000 mètres de la station de Lanaken, n'en est éloigné que de 6,500 mètres. donc tout le contraire de ce que l'on a avancé !

Je passe à un autre fait.

L'exposé des motifs dit qu'à Reckheim les bâtiments principaux sont à une distance de trois quarts de lieue de l'exploitation agricole. C'est la vérité, et je me souviens que M. le ministre de la justice, appelé au sein de la section centrale, m'a fait remarquer qu'il y avait là un grand inconvénient, qu'il faudrait conduire les mendiants d'un établissement à l'autre, qu'il faudrait les surveiller sur la route, qu'il faudrait une escorte, que ce serait une entrave considérable pour le service. A certains égards, la remarque était fondée. Mais, savez-vous, messieurs, quelle distance il y a entre Merxplas et Wortel ? Celle-ci est beaucoup plus forte. De Reckheim à la colonie agricole, il y a 3,250 mètres, tandis que Merxplas et Wortel sont séparées par une distance de 5,600 mètres.

(page 311) MjBµ. - Le rapport n’a pas dit cela.

M. Thonissenµ. - Le rapport dit qu'il y a une distance de trois quarts de lieue entre Reckheim et la colonie agricole, et il dit la vérité ; mais je dis, moi aussi, la vérité en affirmant que la distance est double entre Merxplas et Wortel, et que par conséquent, s'il y a inconvénient à Reckheim, il est double aux lieux où vous voulez établir les mendiants valides.

Je ne suis pas au bout de mon énumération.

L'exposé des motifs dit que le domaine de Merxplas-Ryckevorsel est situé à proximité d'une voie ferrée et d'une voie navigable, le canal de Saint-Job in 't Goor. Pour la voie ferrée, messieurs, vous savez déjà à quoi vous en tenir ; elle se trouve à une distance de 14,000 à 16,000 mètres ; mais vous allez voir que, pour la voie navigable, l'affirmation de l'exposé des motifs n'est pas plus exact.

Le domaine de Merxplas-Ryckevorsel se trouve, non à proximité, mais à 3,600 mètres dut canal, tandis que le dépôt de Reckheim est situé contre le bassin du canal de Maestricht à Bois-le-Duc et, de plus, seulement à 750 mètres de la Meuse.

On parle également, ne sais plus dans quel rapport, de chemins et de routes pavées, et on dit que les chemins sont meilleurs à Merxplas-Ryckevorsel qu'à Reckheim. Nouvelle erreur. La route projetée de Turnhout à Hoogstraeten passera à 2,000 mètres de Merxplas et à 1,000 mètres des fermes de Wortel, tandis que la grande et belle route de Maestricht à Ruremonde traverse de part en part la commune de Reckheim et relie celle-ci à la voie ferrée !

Je dois, à présent, vous entretenir, messieurs, d'une erreur concernant le nombre de reclus qui pourront être placés à Merxplas-Ryckevorsel et Wortel.

D'après l'exposé des motifs, on pourra y meure 1,200 à 1,600 reclus. La vérité est que les bâtiments n'ont été construits que pour 1,000 reclus, et ils l'ont été à une époque où les questions d'hygiène, si bien défendues par M. Vleminckx, n'étaient pas encore en honneur, à une époque où l'on ne demandait pas le même nombre de mètres cubes d'air qu'aujourd'hui.

Or, d'après un calcul très exact, si l'on veut tenir compte des exigences de l'hygiène, on ne pourra placer que 800 reclus dans les anciennes colonies de bienfaisance, avec la condition de transformer le réfectoire en dortoir ; et même, s'il faut absolument douze mètres cubes d'air par détenu, comme le demande, je pense, M. Vleminckx, le nombre des reclus devra réduit à 685.

M. Vleminckxµ. - C'est le contraire.

M. Thonissenµ. - Vous le prouverez. Il est évident que la dépense à faire doit aussi nous préoccuper ; car il s'agit de consacrer au dépôt central une somme assez élevée, et dès lors il s'agit d'examiner de quel coté on peut procéder avec le plus d'économie.

Quant à ce point, il y a dans le rapport de l'agent du gouvernement et dans l'exposé des motifs une erreur des plus inconcevables pour moi.

D'après l’exposé des motifs, les frais d'acquisition et d'appropriation, y compris l'étage à élever, seraient pour Merxplas de 800,000 francs et pour Reckheim de 790,000 francs, soit une différence de 10,000 francs.

Je ne puis pas admettre ces chiffres. Un mémoire imprimé, distribué à tous les membres de cette Chambre, renferme les calculs les plus détaillés et les plus complets ; il indique même le nombre de mètres de maçonnerie qu'on devra exécuter. Or, ce mémoire prouve, à l'évidence, que le gouvernement, en donnant la préférence à Reckheim, ferait une économie, non de 10,000 francs, mais de 310,000 francs.

Je ne crois pas devoir lire les pages qui renferment ces calculs. Vous les avez reçues et vous les connaissez.

L'honorable ministre de la justice croit qu'il trouvera à Merxplas des terres excellentes pour l'agriculture et que le travail des détenus sera productif. Ici encore il verse dans l'erreur, et je puis lui donner l'assurance qu'il trouverait, dans les environs de Reckheim, des terres beaucoup plus fertiles que celles qu'il pourra se procurer dans le nord de la province d'Anvers.

La commune de Reckheim offre de vendre 300 hectares à 150 francs l’hectare ; la commune d'Opgrimby, 360 hectares à 200 francs ; la commune de Mechelen, 300 hectares à 250 francs ; donc en tout 960 hectares.

En ajoutant ces hectares à ceux que possède déjà le dépôt actuel de Reckheim, on arrive à 1,019 hectares, évidemment suffisants pour l'occupation d'un millier de détenus.

De quoi se composent ces terres ? Voici le rapport d'hommes compétents. Il a été imprimé, il vous a été envoyé et l'aurez sans doute lu. Je vous rappellerai seulement quelques-unes des phrases qu'il renferme :

« La surface du sol de Reckheim présente deux caractères bien distincts sous le rapport de nature : entre la route de Maestricht et Maeseyck et la Meuse, elle est formée par des alluvions très riches dans lesquelles toutes les plantes prospèrent ; à l’ouest, au contraire, le sol est sablonneux et ne convient qu'à certaines plantes bien déterminées.

« Le sous-sol est composé, en général, d'une couche puissante de gravier qui est employé à la construction et à l'entretien des belles routes qui sillonnent cette partie du Limbourg et qui a servi à effectuer le gravelage des chemins de la colonie.

« La colonie se trouve dans la zone sablonneuse, à 3,200 mètres du dépôt, auquel elle est reliée par une bonne route. Son sol, ainsi que celui des bruyères voisines appartenant aux communes de Reckheim et d’Opgrimby, est formé de sable jaune, doux au toucher, de bonne qualité, qui, en certains endroits, est mélangé avec le gravier du sous-sol.

« Il convient à la culture du seigle, de l'avoine, du trèfle rouge et du trèfle incarnat, de la serradelle, de la spergule, du sarrasin, du navet, de la pomme de terre, de la betterave, du chou, du colza, du lin, etc. Le pin sylvestre y croit vite et atteint une grande hauteur. »

En est-il de même, messieurs, du domaine de Merxplas-Ryckevorsel et Wortel ?

Une triste expérience a répondu. On y a englouti dos centaines de mille francs sans jamais obtenir un résultat quelconque.

L'honorable ministre de la justice possède dans ses archives un rapport de M. Ducpetiaux attestant qu'à l'époque où le dépôt de Merxplas-Ryckevorsel renfermait plusieurs de mendiants valides, les fourrages que produisait le sol ne suffisaient pas mêmes à nourrir une vingtaine de vaches.

Il est vrai qu'un fonctionnaire, directeur d'un dépôt voisin, dans un autre rapport envoyé au département de la justice et imprimé par extrait à la suite rapport de l'honorable M. Vleminckx, affirme que tous ceux qui ont dirigé ce dépôt ont agi avec incurie ; en d'autres termes, il prétend que, si les résultats ont été nuls, c'est plutôt la faute de ceux qui ont administré ce domaine que le produit de la stérilité du sol.

Mais de quel droit affirme-t-il que tous ceux qui ont dirigé cette exploitation pendant de longues années étaient des hommes incapables ? Il me semble qu'il y a là une prétention qui n'est pas justifiée.

Le fait est que, dans cette fameuse colonie de bienfaisance, tous ceux qui l’ont successivement dirigée ont pitoyablement échoué. Il est vrai qu'aujourd'hui, d'après le rapport du même fonctionnaire dont je parlais il y a un instant, on y cultive le lin et la betterave ; mais ce fonctionnaire ne dit pas au prix de quels sacrifices cette culture s'opère. Remarquez d'ailleurs que je ne prétends pas qu'à Merxplas-Ryckevorsel et Wortel toutes les terres soient irrémédiablement stériles ; il y a quelques hectares de bonnes terres ; mais encore faudrait-il savoir comment on y cultive le lin et la betterave ?

Je vais dire toute la vérité ; mon devoir est de la dire, car je crois que c’est dans l'intérêt de la vérité que la Constitution nous rend inviolables. Quand les agents du gouvernement se sont rendus sur les lieux, on avait recrépi les bâtiments, on les avait repeints, on les avait rajeunis autant que possible, en un mot, on avait fait leur toilette.

Eh bien, je crois qu'on a fait également la toilette des terres des anciennes colonies de bienfaisance. Il ne serait pas impossible de prouver à la Chambre qu'on y avait conduit des chargements entiers de guano. On comprend dès lors que les agents du gouvernement aient trouvé la culture magnifique, y compris celle de la betterave. Mais que le gouvernement en soit bien convaincu : les betteraves qu'on cultive là-bas seront probablement pour lui d'épouvantables carottes.

J'ai accompli mon devoir ; je n'ai pas du tout l'espoir de faire revenir M. le ministre de la justice sur sa détermination : son siège me semble être irrévocablement fait. Mais la loi qui va être votée par la Chambre, et contre laquelle je voterai, lui donne une simple faculté : celle d'acquérir les bâtiments et les terres. Je signale des faits à M. le ministre, il en profitera. Je le prierai seulement de vouloir bien relire encore, avant de conclure, les documents qu'il possède et d'examiner s'il ne conviendrait pas d'accorder la préférence au dépôt de Reckheim.

MpDµ. - M. le ministre de la justice se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

MjBµ. - Oui, M. le président.

MpDµ. - La discussion s'ouvrira donc sur ce projet.

M. Julliotµ. - Messieurs, après le discours si complet et irréfutable de mon ami, M. Thonissen, il me reste peu à dire.

D'abord il est à remarquer, et ceci déjà vous a été démontré, que l'Etat, en achetant cette propriété, fait une mauvaise opération ; il sera dupé et cela doit être car il sera dans son rôle naturel ; quand l'intérêt privé traite avec l'Etat, c'est ce dernier qui est volé.

(page 312) Ce domaine appartenait au prince Frédéric, une société l’a acheté, elle a coupé pour 250,000 francs de bois et veut revendre ce domaine au delà de ce qu'il a coûté quand tous les bois s’y trouvait, c'est-à-dire que la société a pressé le jus de l’orange et qu'elle veut en endosser l’écorce à l'Etat au prix d'un excellent fruit ; et, d'après que ce que je vois, M. Batu se contentera dans cette circonstance, de sucer cette écorce tout en écorchant le contribuable ; en d'autres termes, on vous vend une betterave en vous disant : C'est du sucre.

Messieurs, dans cette question, j'ai la bonne fortune de pouvoir parler de visu. Quand le gouvernement des Pays-Bas créa la colonie de Merxplas, on cherchait partout des jeunes gens philanthropes réglementaires comme on l'est à 25 ans, afin de réunir des souscriptions en faveur de la colonie. Je fus choisi pour l'arrondissement de Tongres et je parvins réunir 60 signatures à 6 florins des Pays-Bas par an.

On en fit autant partout, et des souscriptions considérables furent recueillies ; la province d'Anvers y apporta son contingent, et l'Etat fut d'autant plus généreux, que le prince Frédéric, qui en était le promoteur y attachait la plus grande importance ; et nous notons qu’à cette époque l'influence morale du pouvoir était bien autrement puissante qu’aujourd'hui.

Mais tout cela n'y fit, et au bout de peu d'années, on s'aperçut qu'on y travaillait pour le roi de Prusse, et curieux de savoir ce qui s'y passait, j'allai explorer cette colonie et je reconnus que le sable était plus ou moins mouvant et qu'après une gelée sèche, le vent emportait le blé avec le sable et qu’après l’hiver la terre emblavée se trouvait nue comme ma main ; la seule chose qui m'étonne, c'est qu'un homme intelligent comme l'honorable ministre de la justice consente à se heurter une seconde fois au même obstacle.

Je ne puis donc m'associer par un vote à cette malencontreuse entreprise ; le dépôt de Reckheim seul convient à un tel établissement et on peut l'obtenir à bon compte.

Qu'on fasse donc une enquête sur le passé de ces steppes et on y verra plus clair. J'ai dit.

Rapport sur une pétition

M. Carlierµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission de l'industrie sur la demande de réduction des patentes de bateliers.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi autorisant l’acquisition des terrains et des bâtiments des anciennes colonies de bienfaisante de Merxplas-Ryckevorsel et de Wortel

Discussion générale

M. Jacquemynsµ. - Messieurs, depuis une bonne vingtaine d'années je m'occupe, dans la province d'Anvers, de travaux de défrichement et j'ai, pour la circonstance actuelle, l'avantage d'avoir appris à connaître la bruyère et l'avantage de connaître aussi un peu les localités. D'abord j'ai visité la colonie de Merxplas-Ryckevorsel ; ensuite j’ai passé très souvent dans le voisinage, au moins une centaine de rois ; j’ai traversé aussi, au moins une centaine de fois, le domaine de Wortel, qui comprend environ 500 hectares. C'est donc d'après ce que je connais de visu que j'aurai l'honneur de parler et la Chambre s'étonnera probablement que mes renseignements, recueillis sur les lieux, concordent si peu avec ceux qu'a recueillis M. Thonissen.

Je vais successivement rencontrer les différents points du discours de l'honorable membre.

L'honorable député du Limbourg s'en rapporte à un expert qui a été envoyé de je ne sais où et qu'il déclare connaître parfaitement la bruyère, la valeur des propriétés bâties et autres. Cet expert, vous a-t-il dit, a estimé à 405,000 francs le domaine de Merxplas-Ryckevorsel et Wortel.

M. Thonissenµ. - Cela résulte d'un acte authentique que j'ai entre les mains.

M. Jacquemynsµ. - Oh ! j'admets vos chiffres et je vais même les prendre pour base d'un autre calcul.

Ainsi, nous admettons le chiffre de 405,000 francs pour la propriété. Et cette somme comprend notamment 200,000 francs de bois vendables, n'est-ce pas ? (Interruption.) .

M. Thonissenµ. - Je vous répondrai.

M. Jacquemynsµ. - Mais, dit l'honorable M. Thonissen, on a vendu ces bois pour une valeur de 100,000 francs.

M. Julliotµ. - On a tout vendu.

M. Jacquemynsµ. - Je vous concéderai, si vous le voulez, qu'on a vendu même pour 250,000 francs, mais je ne puis pas concéder qu'on ait vendu tout le bois, attendu qu'il en reste encore une assez grande quantité. Il y a d’ailleurs, à part les bois vendables, un fonds de terres et terres occupent une superficie de 1,100 hectares, chiffre rond.

Il a de la terre arable que l'expert estime à 500 francs l’hectare. Je ne sais à quel taux l'expert évalue les bruyères, mais je crois qu'on peut les estimer au moins à 200 francs, et en voici la raison. C'est qu'un membre du conseil de Bruxelles a acheté, il a quelques années, dans la localité, à Merxplas, environ 600 hectares de bruyères de même qualité que celles dépendantes du dépôt de Merxplas, sinon inférieures, au prix de 200 francs l'hectare. Je puis donc adopter ce chiffre de 200 francs comme base de mes calculs.

Or, 200,000 francs de bois et 220,000 francs pour 1,100 hectares de bruyères à 200 francs, voilà déjà 420,000 francs.

Mais ce n'est pas tout ; nous avons encore les bâtiments. L'honorable M. Thonissen avait tout à l'heure une carte sous les yeux. Moi aussi j'ai consulté une carte avant d'arriver à la séance ; c'est la carte de Vandermaelen, à l'échelle d'un vingt millième. Elle est la reproduction du plan d'ensemble qui se trouve déposé dans les bureaux de toutes les administrations communales. Or, d'après ce plan, le bâtiment principal du dépôt de Merxplas entoure complètement une cour de 200 mètres de longueur sur 160 mètres de largeur. Il est on ne peut plus aisé de mesurer cela sur la carte de Vandermaelen.

Maintenant dans la colonie de Wortel, il y a une chapelle où l'on dit l'office divin ; il y a quatre ou cinq fermes ; il y a un certain nombre maisons ouvrières, de petites fermes ; eh bien, d'après l'expertise que j’ai vue, ces bâtiments sont estimés à 100,000 francs.

Valent-ils 100,000 francs ? Pour moi et pour l'honorable Thonissen, non.

Un honorable sénateur était en marché pour acheter le domaine de Wortel et Merxplas ; il en offrait un prix qui dépassait l'estimation de l'honorable M. Thonissen. Il me consulta sur la valeur de l'immeuble et je lui dis que l'immeuble avait été estimé à un prix bien plus élavé encore que celui qu'il offrait.

Il me demanda qui avait fait cette évaluation et dans quel but on l'avait faite ? J'étais fort embarrassé de répondre ; mais enfin je dis : « Il y a 100,000 fr. de bâtiments. » « Il y a, répliquait-il raison, 100,000 de bâtiments pour celui qui peut employer ces bâtiments ; mais pour moi qui n'ai pas besoin d'une maison de correction, qui n'ai pas besoin d'une vaste usine, ces bâtiments ne me serviront de rien. »

Pour l'Etat, je maintiens qu'ils valent 100,000 fr., et qu'il y a largement 100,000 fr. de différence entre la valeur de la propriété pour l'Etat et la valeur de la propriété pour celui qui n'a aucun emploi à faire des bâtiments.

Nous voici déjà à 520,000 francs : 100,000 francs de bâtiments ; 220,000 francs de bruyères ; 200,000 francs de bois réalisables. Et remarquez que je compte comme bruyères à 200 francs l'hectare de terres arables que l'expert a comptées à 500 francs.

Il y a lieu pourtant d'ajouter à la valeur des bruyères tout ce qu’il faut, non pas pour les défricher, mais pour en rendre le défrichement possible.

Ainsi, avant de mettre la bêche dans une bruyère, on est obligé de faire des dépenses considérables pour l'écoulement des eaux, pour créer les grandes veines et les rigoles destinées à débarrasser la propriété des eaux qui rendent le terrain malsain ; il faut également créer des chemins. Eh bien, je ne suis pas exagéré en estimant cette dépense à 50 francs l'hectare, soit 5,500 francs pour la propriété.

J'arrive ainsi à 575,000 francs.

Est-ce à dire que la propriété a cette valeur-là ?

Est-ce à dire que tout le monde en donnera cette somme ?

Cela dépend évidemment des circonstances. Celui qui tient avoir cette propriété, celui qui sait en tirer parti, sera enchanté de la posséder à ce prix : et l'on ne parviendra pas à procurer, dans le pays, un domaine de cette étendue, de même qualité à ce prix ; mais, pour celui qui ne peut en faire emploi, comme moi, qui ai fait estimer la colonie de Wortel-Merxplas lorsque à certain moment j'ai songé à en faire l'acquisition, il ne vaut peut-être pas cette somme ; mais je ne suis pas dans la position du gouvernement qui a l’emploi de tous ces grands bâtiments.

L'honorable M. Thonissen, s’en référant à la carte qu'il a sous les yeux, estime que la colonie de Merxplas est à une distance de 11,000 à 16,000 mètres de la station de Turnhout ; qu'il y a 5,000 mètres de la colonie de Wortel à celle de Merxplas ; que la route qui devrait passer près de la colonie de Merxplas n'est que projetée et qu'elle n’existe pas. Voilà, d'après lui, trois (page 313) grosses erreurs de l’exposé des motifs. Mais, messieurs, j’ai aussi des cartes ; on se les procure facilement, il n’y a qu’à se rendre à l’établissement géographique ; mais il bon de demander les plus récentes.

Du reste, j’ai parcouru les localités il y a très peu de temps.

Eh bien, d'abord je dis que la route à laquelle l’honorable M. Thonissen a fait allusion n'est plus en projet ; qu'elle existe réellement en fait, en grès et en terre, depuis Hoogstraeten jusqu’à Turnhout sur une distance de trois lieues, sauf une solution de continuité de quatre à cinq cents mètres dans le voisinage du dépôt d’Hoogstraeten ; que, depuis plusieurs années, la route est pavée depuis la colonie de Merxplas jusqu'à la station de Turnhout et je l'affirme pour l'avoir parcourue moi-même à diverses reprises.

Maintenant expliquons-nous sur la distance qu'il y a entre la station de Turnhout et la colonie de Merxplas et puis entre les deux colonies.

Il me semble que l'honorable M. Thonissen manie le compas d'une assez singulière façon. Il n'est pas indifférent, lorsqu'on mesure la distance entre deux objets un peu considérables, sur quel point de ces objets on met les pointes du compas, sans quoi on arriverait à conclure qu'il y a une d'une demi-lieue entre Bruxelles et Saint-Josse-ten-Noode, qui pourtant se touchent ; on pourrait même trouver, au besoin, qu'Il y a une lieue entre ces deux localités si l'on mettait le compas sur l’extrémité la plus éloignée de Saint-Josse-ten-Noode et si l'on agissait de même pour Bruxelles.

De cette façon, je reconnais qu'on peul affirmer qu'il y une lieue entre la colonie de Wortel et celle de Merxplas.

M. Thonissenµ. - Je prends le centre de l'exploitation. Je calcule sur les mêmes bases que les agents du gouvernement.

M. Jacquemynsµ. - Mesurant ainsi, de la station de Turnhout jusqu'au bâtiment principal, je trouve, au moyen du compas, 8,000 mètres du chemin de fer à la colonie de Merxplas.

Si l'on quitte la colonie de Merxplas et qu'on mesure, montre en main, le temps qu'on met à arriver de l'extrémité de cette colonie à l'extrémité de la colonie de Wortel, je pense qu'on aura quelque chose comme 15 à 20 minutes. Mais si l'on mesure toute l'étendue des deux blocs, il y a 5,000 mètres comme il y aura 5,000 mètres de Bruxelles à Saint-Josse-ten-Noode.

J'arrive au rapport de M. Ducpetiaux.

D'après M. Ducpetiaux, les 1,400 hectares suffisaient à peine pour nourrir vingt vaches. Mais d'après l'honorable M. Thonissen, quand on leur a donné du guano, ils ont produit du lin et des betteraves.

M. Thonissenµ. - Et des carottes.

M. Jacquemynsµ. - Je crois qu'avec de l'engrais, les 1,100 hectares auraient donné de quoi nourrir tout au moins vingt-cinq et même trente vaches. En effet, il y a quatre fermes dans la seule colonie de Wortel et dans chacune de ces fermes il y a au minimum une dizaine de têtes de bétail. Ensuite dans les grands bâtiments de la colonie de Merxplas, le prince Frédéric des Pays-Bas a entretenu des troupeaux de moutons Dishley, des vaches de choix.

Il y avait là un bétail assez considérable, proportionné à l'étendue de la culture.

Et pourtant, je veux bien admettre, avec l'honorable M. Thonissen et avec l'honorable M. Julliot, que la combinaison à laquelle se rattachait le défrichement des bruyères était malheureuse, qu'elle a échoué avec éclat et de la manière la plus complète et la plus absolue. L'explication de ces insuccès est très facile. Elie se trouve, non dans la nature du sol, mais dans les principes mêmes de l'agriculture.

Qu'était-ce primitivement que les colonies de Wortel et de Merxplas ? On voulait les peupler de mendiants qui n'avaient absolument rien ; on donnait à ces mendiants une petite ferme ; on leur donnait gratuitement un terrain exploiter et l'on disait : Cultivez. Or, qu'on se donne la peine de prendre les rapports sur l'institut agricole de l'Etat. Les terres à Gembloux se louent 200 francs l'hectare, je n'ai pas entendu dire qu'elles fussent mauvaises, qu'elles fussent stériles, qu'elles ne pussent pas donner de récoltes.

Eh bien, le capital roulant engagé dans la propriété, en bestiaux, en récoltes, en fumier, en ustensiles, s'élève à plus de 1,500 francs par hectare. Et l’on va mettre un mendiant sur une bruyère et lui dire : Vous pouvez défricher cela pour votre compte ; vous pouvez cultiver, et tout ce que vous récolterez sera pour vous. Et l'on ne songe pas que ces pauvres mendiants devraient d'abord défricher, ce qui coûte cher, et se procurer ensuite tout le matériel nécessaire pour cet hectare. Il y a là erreur palpable. Aussi, non seulement la combinaison de ces colonies de bienfaisance de Wortel et de Merxplas a échoué avec éclat, mais il en a été de même de l'établissement de la colonie de Fredericks-Oord.

M. Thonissenµ. - Et pourtant le prince Frédéric n'a point ménagé les sacrifices pécuniaires en faveur des mendiants et des colonies.

M. Jacquemynsµ. - Non, S. A. R. n’a point ménagé les sacrifices pécuniaires, et je sais parfaitement qu'elle ne marchande pas, quand il s'agit de bienfaisance ou d'utilité publique. Mais on n'avait pas, il y a quarante-cinq ans, l’expérience que nous possédons aujourd'hui à Merxplas et à Ryckevorsel. Elie a sacrifié un million dans une pensée généreuse, mais dans une pensée qui n'était pas basée sur la pratique. Il n'y avait pas manque de bonne volonté, il n'y avait pas manque de dévouement, mais il y avait inexpérience.

La colonie de bienfaisance établie en Frise sous le nom de Frederiks-Oord a demandé diverses reprises des secours à l'Etat, des secours aux particuliers ; on a fait appel à tous les sentiments généreux et malgré cela la colonie ne peut pas encore marcher. Lorsque je suis allé sur les lieux, on m’accueillit parfaitement, mais aussitôt que je parlai de comptes, j'eus occasion de m'apercevoir que la comptabilité était la partie délicate, la partie qui laissait à désirer.

Voulez-vous un autre exemple, messieurs ? Le gouvernement belge a essayé d'établir en Campine un village flamand ; on donnait à chaque Flamand une petite ferme de huit hectares ; on voulait introduire on Campine la culture flamande, mais on oubliait une chose, c’est que les Flamands qui venaient là n'étaient pas riches, qu'ils manquaient de capital. Aussi le gouvernement, après avoir vainement essayé ce système, fut obligé de vendre un prix très modique tout ce qui avait été acquis.

Il y a un autre exemple, messieurs, que je puis citer et qui fait la contrepartie de ceux dont je viens de parler.

Dans le voisinage de la colonie de Frederiks-0ord se trouve un dépôt de mendicité organisé sur les bases du dépôt de mendicité de Hoogstraeten, bases semblables à celles que le gouvernement, si je ne me trompe, se propose d’adopter pour l'organisation du dépôt de Merxplas. C’est la colonie d'Ommerschans.

Dans le dépôt de mendicité dont je parle, il y a, si je ne me trompe, 2,000 détenus. Eh bien, là j'ai vu très bien la comptabilité, on m'en a parfaitement expliqué tous les détails et on m'a offert la preuve que l'établissement pouvait nourrir les détenus à un prix raisonnable et qu'on leur donnait des habitudes de travail.

La colonie, si j'ai bonne mémoire, se compose de sept fermes, et ce sont les détenus qui cultivent ces fermes.

L'honorable M. Julliot a poussé plus loin que son honorable collègue du Limbourg la critique des terrains de Merxplas et de Ryckevorsel ; peut-être pourrais-je éclairer M. le ministre de la justice qui, je pense, n'a pas vu de ses propre yeux les domaines de Merxplas-Ryckevorsel et Wortel.

Moi qui les ai vus, je ne dis pas que ce sont là d'excellentes terres, tant s'en faut ; ce sont des sables de la Campine. Ils ont cependant le grand avantage, à mon sens, de pas se trouver mêlés au gravier comme les sables du Limbourg dont parlait l'honorable M. Julliot.

Le gravier nuit, en effet, au défoncement parce qu'il émousse les instruments aratoires et parce qu'il ne renferme aucun germe de fertilité.

Mais, d'après l'honorable M. Julliot, les semailles sont enlevées par le vent.

M. Julliotµ. - Je l'ai vu.

M. Jacquemynsµ. - Moi aussi je l'ai vu et j’ai éprouvé cet inconvénient. Mais, dans le pays de Waes cela se présente également. On en a conclu qu'il faut abriter les champ contre le vent.

Aussitôt que sol est abrité ou que les plantes ont poussé leurs racines, aussitôt qu'il s'est trouvé, sur ce sol, des plantes qui y ont laissé des racines, ces sables acquièrent une certaine consistance, et ce n'est que dans les premières semaines du défrichement que les récoltes peuvent être enlevées.

J'ai rencontré cet inconvénient dans tous mes défrichements, mais cet état de choses a cessé.

Il a également cessé d'exister à Wortel et à Merxplas, et si l'honorable M Julliot avait voulu rester un peu plus longtemps dans ces colonies, il en aurait rapporté une idée beaucoup plus favorable et il ne nous en aurait pas fait aujourd'hui un semblable tableau. J

e considère d'ailleurs les terrains des colonies de Wortel et Merxplas comme meilleurs que ceux du dépôt de Ruysselede.

A Ruysselede aussi les semailles étaient enlevées par le vent ; c'étaient de bien mauvaises terres, et cependant la culture y est parfaitement établie : elle peut servir de modèle, et le directeur est, à juste titre, fier des produits.

Projet de loi relatif au temporel des cultes

Rapport de la section centrale

M. Van Humbeeckµ. - Messieurs, J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport dr la section centrale qui a examiné les amendements apportés par le gouvernement au projet de loi sur le temporel des cultes.

- Impression et distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi autorisant l’acquisition des terrains et des bâtiments des anciennes colonies de bienfaisante de Merxplas-Ryckevorsel et de Wortel

Discussion générale

M. de Zerezo de Tejadaµ. - Messieurs, mon honorable ami, M. Thonissen, avec le zèle qui le caractérise chaque fois qu'un intérêt limbourgeois est en jeu, est venu se faire, dans cette enceinte, l'organe des réclamations de la députation permanente du Limbourg relativement au projet de loi qui nous occupe.

Le principal argument qu'a fait valoir l’honorable membre, c'est que l'expert du gouvernement a évalué à un prix trop élevé la propriété de Merxplas et de Wortel ; que la somme de 650,000 francs est par trop considérable. Je ne crois pas devoir combattre à cet égard l'opinion de M. Thonissen, et je me contenterai de lui faire observer que jusqu'ici le gouvernement n'a pas fait connaître le prix auquel il compte payer le domaine en question.

Quant à la députation permanente du Limbourg, elle insiste vivement pour que le dépôt agricole de mendicité soit placé à Reckheim plutôt qu'à Merxplas. Elle y attache même une telle importance, qu'elle n'a négligé aucun argument pour faire ressortir les avantages que présente la première de ces localités pour un établissement de genre, et pour mettre, d'un autre côté, en évidence tous les inconvénients qui devraient résulter de l'établissement d'un dépôt de mendicité à Merxplas-Wortel. Seulement il semble résulter des documents qui nous ont été remis, que les assertions émises à cet égard par la députation permanente du Limbourg ne laissent pas que d’être empreintes d'une grande exagération et sont même parfois complètement erronées.

Je ne citerai que quelques exemples. Ainsi, au dire de la députation, le sol de Merxplas-Wortel est insalubre et stérile.

Si ce reproche était fondé, ce serait, j'en conviens, une grave objection, mais il a été formulé, sinon pour les besoins de la cause, tout au moins un peu à la légère, puisque les documents statistiques relatifs au chiffre de la mortalité établissent, au contraire, que, pendant les cinq dernières années, on a compté, en moyenne, à Reckheim, un décès sur 30 à 35 habitants, tandis qu'à Merxplas-Ryckevorsel la proportion a été à peu près d'un décès sur 65 à 70 habitants. Il faut ce tirer cette conclusion assez curieuse, que, dans une contrée malsaine comme Merxplas-Wortel, on meurt beaucoup moins vite que dans une contrée salubre comme Reckheim.

Ensuite à Merxplas-Wortel, toujours d'après la députation permanente, le travail serait non seulement peu rémunérateur, mais il se ferait même en pure perte, tandis qu'à Reckheim il serait, au contraire, des plus productifs.

Voilà encore, ce me semble. une allégation très gratuite et très hasardée. Certes je ne me charge pas de démontrer la fertilité des terres de Merxplas-Wortel, ce serait là une thèse que je ne puis et que je ne veux pas soutenir. Mais, tout en admettant la médiocrité de ces terrains, il faut remarquer qu'ils ne doivent pas être aussi mauvais que le prétend la députation, puisque M. Delobel, directeur du dépôt de mendicité d'Hoogstraeten, dont personne ne contestera la compétence en matière agricole, dans un rapport adressé au gouvernement, affirme hautement qu'on cultive, à Merxplas, le lin avec beaucoup de succès, qu'outre une houblonnière, on y rencontre de vastes champs de colza d'une belle venue, qu'on y gagne également du beau froment et que la betterave y prospère.

M. Delobel dit avec raison que toutes ces plantes exigent une terre de bonne qualité et que si celle dont nous parlons était en réalité aussi détestable que l'expose la commission, elles ne pourraient pas y fructifier.

La commission a dit de plus que les sapins n'y croissaient pas, que ceux qui s'y trouvent actuellement sont rabougris.

M. Delobel fait remarquer que tous les grands bois de sapins ayant été abattus par les propriétaires actuels, il n'est pas étonnant qu'il ne s'y trouve pas beaucoup d'arbres qui atteignent 6 à 7 mètres.

M. Thonissen dit, à cette occasion, que le gouvernement, en faisant semer des betteraves à Merxplas-Wortel risque fort d'y récolter des carottes. Je demanderai à l'honorable membre s'il croit bonnement et sil est bien certain qu'à Reckheim un légume de cette espèce ne pousserait pas.

On objecte avec raison que la colonie agricole de Merxplas a englouti des sommes énormes et que le résultat obtenu ne correspond pas aux sacrifices que l’on s’est imposés. Mais qu'on veuille bien ne pas perdre de vue que ni dans le dépôt de mendicité de Merxplas, ni dans la colonie de Wortel, ne se sont jamais trouvés des cultivateurs dignes de ce nom.

Veut-on savoir comment les choses se sont passées à Wortel ?

M. Jacquemyns vient de nous donner quelques explications à cet égard.

Mais qu'il me soit permis, à mon tour, de vous lire un petit extrait ouvrage intitulé « L'Agriculture dans la Campine » : « Nous ne condamnons pas en principe les colonies agricoles, au contraire ; mais à la condition qu’on les composera de cultivateurs sérieux. Est-ce ainsi que l'on fit à Wortel ? Nullement, on déversa sur la colonie le trop-plein des villes, de pauvres gens pour la plupart étrangers et inhabiles aux travaux de la terre, des artisans besogneux, des artistes sans emploi, très peu de laboureurs, moins encore de bonnes ménagères, en un mot, un personnel incapable de conduire l'entreprise au but que se proposait la société. On chantait beaucoup, on jouait du violon et de toutes sortes d'instruments, mais on ne se fatiguait guère à la besogne des champs, au dire de témoins oculaires qui ne se rappellent jamais les colons sans rire, et font leur procès en deux mots : - Imaginez-vous, nous disait l'un d'eux, qu'ils n'étaient pas même capables de fabriquer et de cuire leur pain, et que les boulangers de Wortel fournissaient ce pain à raison de dix cents ou vingt et un centimes les deux kilogrammes. »

Il se peut que les bruyères de Reckheim et des communes environnantes soient plus fertiles que celles de Merxplas-Wortel. La députation permanente du Limbourg l'affirme, mais elle a oublié d'en fournir la preuve.

Quoi qu’il en soit, il est permis de croire que si ces bruyères avaient été défrichées dans des conditions aussi fâcheuses que celles de Wortel, on aurait abouli au même insuccès.

Comme le gouvernement l'a fait remarquer, à Merxplas l'établissement se trouvera presque au centre de l'exploitation agricole, tandis qu'à Reckheim les bâtiments d'habitation des reclus seraient à une distancc de plus de trois quarts de lieue de l'entrée de la colonie agricole et de plus d'une lieue du centre.

La députation permanente du Limbourg et l'honorable M. Thonissen avec elle se contentent de faire remarquer que 516 hectares de terres situés sous Wortel se trouvant de leur côté à une assez grande distance des bâtiments qui composent le dépôt, sont dans des conditions infiniment plus désavantageuses que celles de Reckheim.

Mais je le demande, peut-on conclure logiquement que l'éloignement d'une partie des terres des bâtiments d'habitation constitue une situation pire que l'éloignement de toutes.

Enfin, à la question de savoir comment on s'y prendra pour réunir à Reckheim la quantité de terres nécessaire pour donner du travail à un groupe de 1,200 à 1,600 détenus, la députation permanente répond que les communes de Reckheim, d'Opgrimby et de Mechelen offrent de céder au gouvernement une superficie de 960 hectares, soit sous forme de location à longs termes, soit sous forme de vente.

Quant au premier de ces modes d'aliénation temporaire, je conçois parfaitement que ces communes l'adopteraient volontiers aux conditions stipulées.

En effet, elles affermeraient à l'Etat leurs bruyères au prix d'une location annuelle de 4 p. c. du capital représentant leur valeur et à l'expiration du bail, dans 66 ou 99 ans, ces terrains feraient retour aux administrations propriétaires, dans l'état où elles se trouveraient sans avoir à payer aucune indemnité du chef de la plus-value. De cette façon, ces communes feraient une très belle opération, puisque sans préjudice d'un fermage annuel, ces terres leur reviendraient probablement décuplées de valeur. Mais, en revanche, ce serait pour le gouvernement un véritable marché de dupe, puisqu'il lui faudrait, à une certaine époque, ou racheter ces propriétés aux communes à un prix exorbitant ou, à nouveaux frais, aller établir ailleurs un dépôt de mendicité.

On met, il est vrai, à la disposition du gouvernement une seconde alternative, celle de faire l'acquisition de ces friches, moyennant un prix déterminé de 150 à 250 francs l'hectare. Mais il paraît qu'il n'en est point ainsi, et que la députation permanente, en le soumettant au gouvernement, s'est trop avancée. Il résulte, en effet, des documents qui nous ont été remis qu’il est loin d'être certain et prouvé que les communes limitrophes de Reckheim entendent vendre au gouvernement leurs bruyères au prix indiqué par la députation. Bien plus, des pétitions émanées de nombreux habitants des communes de Mechelen et d'Opgrimpy protestent contre la (page 315) cession de leurs bruyères pour l'établissement d'un dépôt central à Reckheim.

Certes ce prix est loin d'être exagéré l'on pourrait même dire qu'il serait avantageux, si l'offre était sérieuse.

Messieurs, en vous soumettant ces diverses observations, j'ai voulu prouver qu'il ne vous faut accepter les allégations de la députation permanente du Limbourg, relativement au projet de loi, que sous bénéfice d’inventaire.

Pour le surplus, je suis loin de contester que l'installation d'un dépôt de mendicité agricole ne soit favorable sous plusieurs rapports aux communes qui s'en trouvent dotées. Toutefois, si la proximité d'un établissement de ce genre peut donner lieu à des transactions commerciales qui assurent certains bénéfices, et à d'autres avantages encore, il ne faut cependant pas se dissimuler qu'elle présente aussi des inconvénients sérieux.

Ainsi n'est-il pas fâcheux pour ces communes de devenir le réceptacle de tous les vagabonds du pays, dont beaucoup viennent y étaler l'exemple de leurs mauvaises mœurs et de leurs vices ? Il faut en convenir, les reclus, par suite de la nature même des travaux champêtres auxquels ils sont astreints, ne peuvent être l'objet d'une aussi stricte surveillance que s'ils étaient placés dans des dépôts urbains. De plus, il arrive fréquemment que plusieurs d'entre eux s'évadent de l’établissement et viennent se cacher dans les dépendances des fermes du voisinage.

Souvent même, ces visites sont accompagnées de menaces de traitements, voire même d'incendie, pour le cas de refus d'hospitalité. On comprend combien la nécessité de donner les vivres et le couvert à ces hôtes dangereux ou tout au moins désagréables, doit molester ceux qui ont à la subir. Je le répète, il n'entre certes pas dans mes intentions de combattre le projet du gouvernement, mais je dois cependant vous présenter les observations qu'il me suggère.

Généralement, les dépôts de mendicité agricoles ne répondent pas aussi complètement qu'il serait désirable au but que l’on se propose. Ce sont presque toujours des vagabonds des villes qui viennent les peupler. Comment voulez-vous que ces derniers, soit artisans sans ouvrage, soit mendiants de profession, se livrent avec succès à des travaux agricoles qu'ils ignorent, qu'ils méprisent et que souvent même ils ont en horreur ? Ils ne sont nullement accoutumés à manier la et la charrue ; ils ne se soucient guère d'ailleurs d'en prendre l'habitude, et lors même qu'ils ne demanderaient pas mieux, ils n'en auraient pas le loisir, parce que leur réclusion est essentiellement temporaire et de courte durée.

Dans les dépôts de mendicité agricoles, il s'opère un va-et-vient continuel de gens qui n'ont aucun goût pour les travaux des champs, et qui, dans tous les cas, n'ont généralement pas les aptitudes requises. Aussi est-ce un problème difficile à résoudre que de faire de la bonne agriculture et se livrer à des défrichements sérieux, lorsqu'on ne dispose que d'éléments si peu appropriés à l'objet que l'on se propose.

Un autre inconvénient des dépôts agricoles, c'est qu'ils ont presque toujours la tendance de se transformer en ferme modèle. On s'y livre à des essais coûteux ; les chevaux et le bétail de l'établissement sont de haut prix ; les instruments aratoires perfectionnés et à la dernière mode. Tout cela revient fort cher, ce sont les communes qui payent.

J'appelle l'attention du gouvernement sur les inconvénients que je signale et qui sont incontestables. Il peut y obvier dans la limite du possible, mais il faudrait surtout que, suivant l'observation cette fois très fondée de la députation permanente du Limbourg, il installât, dans son dépôt de mendicité agricole, toute une série de travaux industriels. L'agriculture et l'industrie marchent très bien de pair, et souvent même, se complètent l'une l'autre.

Il résulterait de ce système que les reclus reconnus comme tout à fait impropres aux travaux des champs, pourraient se livrer à d'autres occupations manuelles, et que pendant les jours, nombreux surtout en hiver, où toute besogne dans les campagnes est forcément interdite, les détenus ne resteraient pas désoeuvrés.

Avant de clore mon discours, je désire, messieurs, vous adresser une dernière observation. Je ne comprends pas très bien que M. le ministre de la justice, en nous demandant un crédit de 800,000 francs pour réaliser son projet d'établir un dépôt de mendicité à Merxplas-Wortel, n'ait pas clairement spécifié la part de cette somme qu'il compte appliquer à l'achat du domaine. et la part qu'il a l'intention de consacrer aux travaux d'appropriation. Avant de saisir les Chambres du projet qui nous occupe, le gouvernement aurait dû cependant savoir à quoi s'en tenir à cet égard.

Il n'a pu raisonnablement se dispenser d'exiger au préalable une promesse de vente de la part des propriétaires, moyennant un prix déterminé. S'il n'a point pris cette précaution, il s'expose, une fois le crédit voté par les Chambres, à devoir subir les conditions et les exigences de ces propriétaires, pour aboutir au résultat qu'il désire atteindre. La députation permanente du Limbourg, dans les documents qu’elle nous a soumis, avance, à diverses reprises, que le gouvernement payera très largement.

Jusqu'ici nous ne pouvons qu'imparfaitement formuler un jugement à cet égard parce nous ne savons point à quelle somme monteront les dépenses pour frais d'appropriation. Quoi qu'il en soit, puisque, à juste titre, je pense, le gouvernement a fait choix des colonies de Merxplas et de Wortel pour y établir un dépôt unique de mendicité, je ne trouve pas mauvais le moins du monde qu'il paye ce domaine à sa bonne valeur ; seulement il est fort à désirer qu'il n'aille pas au delà.

« Le gouvernement, dit M. le ministre de la justice dans une lettre adressée à M. le rapporteur de la section centrale, n'est pas fixé sur le prix de l'acquisition, mais il ne négligera aucune précaution pour s'assurer de la valeur réelle et sérieuse de la propriété. » Je prends acte de ces paroles et j'espère que le gouvernement ayant en quelque sorte assumé sur lui la responsabilité du prix d'achat, sera fidèle à l'engagement qu'il 'a pris et qu'il ne pouvait manquer de prendre à cet égard.

MjBµ. - Messieurs, le projet de loi qui vous est soumis est excessivement simple. Aux termes de la loi de 1866, le gouvernement a été autorisé à supprimer des dépôts de mendicité et à modifier le système des dépôts de mendicité.

Eh bien. il y a dans le pays un nombre trop grand de dépôts ; nous avons supprimé celui de Mons. Il reste le dépôt de Bruges, celui de Reckheim, celui de la Cambre et celui d'Hoogstraeten.

Nous avons pensé, messieurs, qu'il fallait mettre de l'unité dans cette administration, et comme la loi de 1866 a diminué le nombre des mendiants, nous avons pu faire un plan d'après lequel nous n'aurons plus que deux dépôts : un pour les valides et l'autre pour les invalides. Le dépôt pour les valides sera un établissement agricole et sera établi à Merxplas ; celui pour les invalides sera établi à Bruges.

Evidemment, ce système est économique. On ne peut pas nier qu'on réalisera ainsi de grandes économies puisque l'administration sera concentrée.

Nous n'aurons plus des établissements disséminés de tous les côtés, et avec la facilité des communications, nous pourrons aisément réaliser cette réforme.

Maintenant, messieurs, d'où vient l'opposition ? L'opposition vient de ce que, au lieu de choisir Merxplas, je n'ai pas choisi Reckheim. Voilà toute la question. Personne, jusqu'à présent, n'a attaqué l'opinion qu'il fallait avoir un seul établissement. L'honorable M. Thonissen n’a rien dit là contre.

M. Thonissenµ. - Non ! je n'ai pas contesté cela.

MjBµ. - L'honorable M. Thonissen, appuyant l'avis la députation permanente du Limbourg, a seulement demandé que l'on fît l'établissement à Reckheim.

Ainsi l'on est d'accord qu'il faut un seul établissement. La question est de savoir s'il faut le placer à Merxplas ou à Reckheim. Eh bien, nous avons pensé c'était à Merxplas que l'établissement devait être placé et voici pourquoi ? Merxplas est plus au centre du pays, eu égard aux provinces qui donnent le plus grand nombre de mendiants. Vous trouverez les chiffres dans l'exposé des motifs et dans le rapport.

De plus, à Reckheim, il est impossible de faire un établissement convenable sans de grands frais.

En voici la raison. L'établissement actuel ne peut suffire à un nombre de 1,000 à 1,200 mendiants, pour lequel le nouvel établissement doit être créé. Il y a plus, il est à trois quarts de lieue des terrains qu'on doit cultiver. Or, on ne pouvait et l'on ne peut actuellement conduire les détenus à une distance pareille, pour les faire travailler. Aussi il arrive aujourd'hui ce fait : c'est que tous les mendiants désirent retourner à Reckheim, tandis que ceux qui sont envoyés à Hoogstraeten, où il y a aussi un dépôt, sont dégoûtés et ne se livrent plus à la mendicité. Pourquoi qu'à Reckheim on ne leur fait pas travailler à la terre ; on n'y fait rien ; c'est le régime qu'il leur faut ; à Hoogstraeten, ils doivent travailler à la terre, se livrer un travail pénible qui ne leur plaît pas, et c'est pour cela qu'ils ne veulent plus y revenir.

De là la grande différence des deux établissements au point de vue de la répression de la mendicité.

De plus, pour avoir à Reckheim un établissement convenable, Il fallait acheter de nombreuses terres. L'honorable M. Thonissen dit que les communes en offraient. C'est là une question délicate. Je veux bien admettre que des communes sont venues offrir des terres, même à un prix inférieur à leur valeur réelle. Mais croyez-vous qu'elles auraient obtenu l'autorisation du gouvernement ?

(page 316) M. Thonissenµ. - Cela dépend de vous.

MjBµ. - C’était une détestable opération. Elles voulaient céder des terres qui valaient plus, pour avoir un dépôt de mendicité.

Le gouvernement n'aurait pu approuver une pareille opération ; c'était absurde. Le dépôt ne pouvait compenser la perte que faisaient les communes, à moins que cette aliénation ne fût temporaire, c’est-à-dire que le gouvernement aurait cultivé ces terres et que lorsque leur valeur aurait décuplé, il les eût cédées aux communes. Mais c'était là un traité de dupe que nous ne pouvions raire. L'autre opération consistait à céder un certain prix des terres qui valaient beaucoup plus.

M. Thonissenµ. - C'était aux communes à apprécier ; elles connaissent leurs intérêts.

MjBµ. - Au surplus, même avec les prix offerts, il fallait une somme considérable. Il fallait, au milieu de ces terres, élever un établissement nouveau qui devait coûter 800,000 fr. ; les devis sont là.

L'honorable M. Thonissen s'est livré à de nombreuses critiques des rapports des agents du gouvernement. Ces rapports, je les maintiens en entier et je voudrais bien savoir comment on pourrait avoir plus de confiance dans les dires qui ont été rapportés à l'honorable M. Thonissen et qu'il n'a pu vérifier, car évidemment ce n'est pas lui qui a mesuré les distances, qui a cubé les bâtiments de Merxplas, que dans les allégations de fonctionnaires publics qui ont agi sous leur responsabilité et dont les rapports sont imprimés tout au long à la suite de l'exposé des motifs ou du rapport.

L'honorable M. Thonissen a fait toutes ces objections en section centrale. je les ai soumises à ces fonctionnaires. Ainsi, quant à l'évaluation des terres de Merxplas, qui l'a faite ? C'est M. Delobel qui est à la tête de l'établissement d'Hoogstraeten.

Vous avez ici deux personnes qui habitent la Campine, MM. de Zerezo et Jacquemyns. qui ne se sont pas élevés contre les évaluations. Et qui a fait ces évaluations ? Les agents du département des finances ont évalué les terres et un architecte a été chargé d'examiner les bâtiments.

Il est évident que le gouvernement payera plus cher qu’un autre, parce qu’il peut seul utiliser les bâtiments. Nous connaissons le prix auquel la société veut vendre, mais nous ne sommes pas liés ; quand nous aurons obtenu le crédit, nous entamerons les négociations ; mais je crois qu'il serait parfaitement inutile de dire d'avance à la Chambre le prix que nous entendons payer ; nous livrerions ainsi des arguments à la société.

J'ajoute, messieurs, que si nous n'achetons pas Merxplas, les propriétaires le vendront, et quand il sera morcelé et que les bâtiments seront démolis, nous devrons construire un nouvel établissement qui coûtera 2 millions, tandis que maintenant il ne faudra pas plus de 800,000 francs.

L'honorable M. Thonissen a dit : L'établissement de Reckheim ne vous appartient pas. C'est une question qui est déférée aux tribunaux ; à l'heure qu'il est, toutes les provinces sont assignées. Mais alors même que nous n'aurions pas la propriété intégrale de Reckheim, nous avons la Cambre, nous avons Mons, nous avons Hoogstraeten. (Interruption de M. Jacobs.) L'honorable M. Jacobs fera peut-être une réserve pour Hoogstraeten ; niais je lui ferai la même réponse : la question est déférée aux tribunaux et les tribunaux la décideront.

- Plusieurs membres. - A demain !

MjBµ. - Il est impossible de fixer à demain la suite de cette discussion.

- Des membres. - Après le temporel des cultes. (Adhésion

- La séance est levée à cinq heures et un quart.