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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 27 janvier 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 352) M. de Vrintsµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Dethuinµ donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Vrintsµ présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Willems réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le remboursement des avances qu'il a faites en 1867 par ordre du parquet de Courtrai, alors qu'il exerçait les fonctions de commissaire de police à Menin. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Gilles Ploumen, adjudant de batterie au 4ème régiment d'artillerie, né à Maestricht, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Martin-Auguste Hardy, professeur à Bruxelles, né à Brandeville (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Même renvoi.


« Le sieur Louis Moraux, journalier à Salles, né à Baives (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Même renvoi.


« Par dépêche dit 25 janvier, M. le ministre de la justice informe la Chambre que le nommé Schreurs, Joseph, renonce à sa demande de naturalisation. »

- Pris pour information.


« M. le ministre de l'intérieur transmet à la Chambre un exemplaire de la première partie du Mémorial administratif de la Flandre occidentale, année 1869. »

- Dépôt la bibliothèque.


« M. de Rossius, forcé de s'absenter, demande un congé. »

- Ce congé est accordé.

Proposition de loi relative au contentieux en matière de taxation communale

Lecture

MpDµ. - Les sections ont autorisé la lecture de la proposition de loi déposée hier par plusieurs de nos collègues.

Cette proposition est ainsi conçue :

« Proposition de loi.

« Modifications à la loi du 21 mai 1819.

« A l'article 22, supprimer du paragraphe premier les mots : « nommés dans chaque commune pour la répartition des contributions directes. »

Ajouter à la fin de cet article les deux paragraphes suivants :

« Les répartiteurs sont nommés dans chaque commune par le conseil communal ; ils sont au nombre de quatre dans villes et de deux dans les communes rurales ; ils sont au nombre de quatre dans les villes et de deux dans les communes rurales.

« Le bourgmestre ou son délégué fait de droit partie de la commission des répartiteurs.

« A l'article 28, paragraphe premier, remplacer les mots : « ceux qui se croiront grevés par leur cotisation » par ceux-ci : « ceux qui auront été indûment omis sur le rôle des patentes ou qui croiront avoir se plaindre de leur cotisation. »

Insérer, entre ce paragraphe modifié et le paragraphe second, le paragraphe nouveau suivant : « Le droit appartiendra à tout individu jouissant des droits civils et politiques ; le réclamant joindra à sa réclamation les pièces à l'appui, ainsi que la preuve qu'elle a été par lui notifiée aux parties intéressées. »

Après l'article 37, placer un article 37bis ainsi conçu :

« Les répartiteurs et agents ci-dessus désignés, qui auront augmenté ou diminué arbitrairement les cotisations, seront punis de la peina édictée à l'article précédent.

« La même peine sera prononcée contre les répartiteurs et agents qui seront convaincus d'avoir refusé de recevoir les déclarations des patentables ou d'avoir omis de procéder à leur classification.

« (Signé) Alb. Liénart, A. Wasseige, Reynaert, Thonissen, Tack, Van Wambeke. »

Quel jour l'un des auteurs de cotte proposition désire-t-il la développer ?

M. Liénartµ. - A huitaine.

- La proposition sera développée jeudi prochain.

Demande de levée d’immunité parlementaire

Discussion du rapport de la section centrale

MpDµ. - La discussion est ouverte.

M. Hymansµ. - Messieurs, la situation dans laquelle la Chambre se trouve placée vis-à-vis de la requête de M. le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles, laquelle requête nous a été communiquée dans la séance du 25 de ce mois, paraît, au premier abord, extrêmement simple.

M. le procureur général réclame l'autorisation de continuer des poursuites contre un membre de cette Chambre. Le député intéressé demande lui-même que la poursuite continue.

De plus, il peut y avoir urgence ; il y a urgence, puisque l'action pourrait être prescrite le 29 de ce mois, c'est-à-dire après-demain.

Il semblerait donc qu'il n'y aurait qu'à s’incliner, à consentir à la demande qui nous est adressée, l'enregistrer purement et simplement et à émettre, à la satisfaction générale, un vote affirmatif.

Cependant des incidents nombreux qui se sont produits dans cette enceinte depuis quelques jours sont venus prouver qu'au fond de cette question, si simple en apparence, pourrait bien s'agiter une difficulté sérieuse, une difficulté qui mérite d'être attentivement examinée par la Chambre.

En effet, messieurs, le 25 de ce mois, nous recevons communication de la requête du procureur général près la cour d'appel de Bruxelles, qui nous demande l'autorisation de continuer des poursuites commencées contre un membre de cette Chambre.

Ce membre se lève immédiatement et prie la Chambre de consentir sur-le-champ à ce que ces poursuites soient continuées.

Cependant que voyons-nous ? Au lieu d'un touchant élan, d'une unanime pour accéder à cette double demande émanée du chef d'un parquet et du principal intéressé lui-même, nous voyons se lever un ancien membre du Congrès national, qui demande que la proposition soit renvoyée en sections. Immédiatement après, un autre ancien membre du Congrès national, appartenant une autre nuance politique de cette assemblée, l'honorable M. de Brouckere se lève et demande, lui aussi, que l'examen de cette question de prérogative parlementaire soit renvoyée, non aux sections de la Chambre, mais à une commission. Lui aussi croit qu'un examen sérieux est indispensable.

Après ces deux honorables membres du Congrès, nous voyons se lever M. le ministre de la justice qui nous dit que si la demande nous est adressée bien tardivement, ce n'est pas une raison pour que la Chambre abandonne son droit constitutionnel ; il désire que la Chambre procède à (page 353) l’examen en sections d'abord, puis en séance publique. Il ajoute qu’il y a un droit supérieur à ceux de la poursuite actuelle ; il faut, dit-il, que ces droits soient garantis et sauvegardés ; que l'on suive les formes ordinaires et que l'on ne procède pas avec précipitation, quelles que puissent être les conséquences du retard.

Les sections se réunissent et, encore une fois, malgré l'accord entre le chef du parquet qui demande l'autorisation de poursuivre, et l'intéressé qui demande à être poursuivi, les sections se divisent ; trois sections proposent d'autoriser les poursuites, trois sections se prononcent en sens contraire.

La section centrale se réunit séance tenante dans son sein, immédiatement dans une délibération très courte, plusieurs questions graves s'élèvent les unes après les autres ; le rapport que nous a lu l'honorable M. Dewandre nous apprend que la section centrale conclut à l'admission de la demande de poursuite par 3 voix contre 1 et 2 abstentions, toujours malgré l'accord du magistrat qui demande de pouvoir continuer les poursuites et l'intéressé qui s'y oppose pas.

Et la Chambre, au lieu de passer outre, ordonne l'impression du rapport et renvoie au lendemain le débat.

Tous ces faits se passant dans une assemblée comme celle-ci, assemblée chargée avant tout de sauvegarder les principes inscrits dans notre pacte fondamental, prouvent qu'au fond de cette situation si simple en apparence, il git, comme je le disais tout à l'heure, des difficultés sérieuses.

En effet, messieurs, la question est grave et il me paraît difficile de la résoudre par un simple vote sur les conclusions du rapport.

Il y a un seul point sur lequel je crois que tout le monde, dans cette assemblée, est d'accord, c'est qu'il est utile, qu'il est nécessaire que les poursuites commencées continuent. Je crois qu'à cet égard il n'y a pas de voix dissidente ; et, en effet, l'inviolabilité parlementaire n'a pas été inscrite dans notre Charte, comme dans les diverses constitutions modernes, dans l'intérêt du député ; cette inviolabilité est décrétée dans l'intérêt de la chose publique ; elle a pour objet d’empêcher un pouvoir arbitraire de priver un arrondissement de son député, d'empêcher que le gouvernement puisse se débarrasser d'un député incommode ou désagréable : voila l’unique motif de l'immunité parlementaire. Il n'y en a jamais eu d'autre.

Comme le dit M. Tielemans, « il eût été dangereux de donner au pouvoir exécutif le droit et le moyen de se débarrasser d'un député incommode ou influent en faisant décerner contre lui un mandat d'amener ».

Il en est de même des poursuites qui peuvent aboutir à un résultat équivalent. Mais il n'est jamais arrivé, je pense, à l'esprit de personne, ni dans cette enceinte ni ailleurs, de prétendre que l'inviolabilité parlementaire pût être un moyen commode de violer les lois en spéculant sur l’impunité.

Si l'on examine cette question au point de vue moral, au point de vue de la responsabilité et du prestige du législateur, on est naturellement amené à conclure que celui qui a contribué à faire les lois est tenu, plus que tout autre, à un respect scrupuleux quand il s'agit de les observer.

Si donc, messieurs, il s'agissait de commencer une poursuite contre un législateur pour un délit de l'espèce dont il s'agit, il est probable qu'une forte majorité voterait la demande et pour ma part, à moins de circonstances tout à fait exceptionnelles, je la voterais.

Mais, messieurs, la question se présente sous une tout autre face. Il ne s'agit pas d'une poursuite qui débute, d'une poursuite se présentant pour la première fois dans le courant d'une session législative. Il s'agit de continuer une poursuite commencée avant la session.

Nous sommes naturellement amenés à nous demander ce qu'il faut faire en pareil cas.

Faut-il autoriser la continuation de ces poursuites parce que, comme le dit le rapport de la section centrale, parce que nous sommes en présence de faits qui, de l'avis de certains jurisconsultes, peuvent être, le 29 de ce mois, couverts par la prescription ; parce qu'il est de la dignité de la Chambre et de l'honneur d'un de ses membres que cette prescription ne vienne pas mettre obstacle à ce que le jour se fasse, de la manière la plus complète, sur l'accusation dont il s'agit.

Faut-il voter l'autorisation de poursuite parce que le principal intéressé demande lui-même la continuation des poursuites, parce que celles-ci ne peuvent d'ailleurs amener une condamnation qui l'empêche d'accomplir son mandat de député, ou parce que les prérogatives parlementaires ne peuvent souffrir de l'autorisation de poursuites ?

Ce sont là, messieurs, des questions parfaitement accessoires. Je crois qu'il est de notre devoir de les écarter et de nous occuper exclusivement du texte de la Constitution que nous avons juré d'observer et dont nous ne pouvons nous départir d’une ligne.

Or, que dit la Constitution ? L’article 45 porte :

« Aucun membre de l’une on de l'autre Chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ni arrêté en matière de répression, qu'avec l'autorisation de la Chambre dont il fait partie, saur le cas de flagrant délit.

« Aucune contrainte par corps ne peut être exercée contre un membre de l'une ou de l'autre Chambre durant la session, qu'avec la même autorisation.

« La détention ou la poursuite d'un membre de l’une ou de l'autre Chambre est suspendue pendant la session, et pour toute sa durée, si la Chambre le requiert. »

La section centrale, ayant porté son attention sur cet article, s'est demandé s'il ne semblait pas résulter de la différence des expressions dont se servent les paragraphes 1 et 3 de l'article 45 de la Constitution qu'il y a une distinction à faire entre le cas où les poursuites n'ont pas été commencées avant la session et le cas contraire. Aux termes du paragraphe final de l’article, la poursuite est suspendue si la Chambre le requiert. La section centrale se demande s'il n'en résulte pas qu'en l'absence de réquisition de la Chambre, la poursuite commencée doit être continuée ?

Puis, coupant court à l'examen, la section centrale nous dit qu'elle aurait désiré pouvoir approfondir cette question, mais que le temps lui a manqué ; il y avait urgence, on voulait, à tout prix, nous soumettre un rapport dans la séance d'hier, et la majorité de la section centrale devait agir de la sorte dans l'hypothèse elle se plaçait.

Mais, messieurs, la solution de cette question que la section centrale n'a pas cru de son devoir et n'a pas eu le temps d'approfondir, la solution de cette question ne me paraît pas douteuse, et je crois qu'il est facile de démontrer que le texte de la Constitution dit bien en réalité ce qu'il paraît dire.

Quels sont les moyens de nous éclairer à cet égard ? De consulter les délibérations du Congrès, dira-t-on.

Mais les délibérations du Congrès ne nous apprennent rien. L'article 45, tel qu'il est dans la Constitution, sauf un amendement de pure forme, a été voté par le Congrès sans aucun débat. Mais s'il n'existe aucun moyen de s'éclairer par les délibérations proprement dites du Congrès, il en existe dans ses travaux préparatoires, il en existe dans les documents qui ont précédé, au Congrès, l'étude et la discussion publique de la Constitution.

Quel est l'argument qu'on fait valoir contre l'interprétation que je crois la seule juste du paragraphe final de l'article 45 de la Constitution ? Le premier et le dernier paragraphes de l'article se trouvent séparés par un paragraphe relatif à la contrainte par corps, et le texte qui sépare ces deux paragraphes fait penser à quelques membres qu'il ne s'agit pas absolument dans le dernier paragraphe des poursuites dont il s'agit dans le premier.

J'ai entendu soutenir en section que les poursuites indiquées dans le dernier paragraphe peuvent être considérées comme n'étant pas les poursuites indiquées au début de l'article. Cette disposition s'applique, dit-on, à des poursuites pour des actions civiles résultant d'un délit ou ne pouvant aboutir qu’à une condamnation à des peines pécuniaires.

Eh bien, vous allez voir qu'il n'en est pas du tout ainsi.

Prenons le projet de Constitution émané de la commission nommée par le gouvernement provisoire. Ce projet porte l'article qui nous occupe et lequel ne se compose ici que de deux paragraphes :

« Aucun membre ni de l'une ni de l’autre Chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ni arrêté, sauf le cas de flagrant délit, et avec l'autorisation de la Chambre dont il fait partie. »

Tel est le premier paragraphe ; vient le second paragraphe :

« La détention ou la poursuite d'un membre de l’une ou de l'autre Chambre est suspendue pendant la session et pour toute sa durée si la Chambre le requiert. »

Vient, après cela, le projet de Constitution présenté au Congrès par MM. Forgeur, Barbanson, Fleussu et Liedts, dans la séance du 25 novembre 1830.

Nous trouvons ici une rédaction plus courte que celle de l’article 45. Elle est ainsi conçue :

« Hors le cas de flagrant délit, nul député ne peut être poursuivi ni arrêté pendant la durée de la session, sans l’autorisation du Congrès.

« La détention ou la poursuite demeure suspendue pendant la session si le Congrès le requiert. »

Le projet de la commission de Constitution est renvoyé à l'examen des sections et fait l'objet d'un rapport de M. Raikem, dans la séance du 23 décembre 1830.

Que voyons-nous dans ce rapport ? La section centrale a entendu des observations qui lui ont paru très sérieuses.

page 354) « On a pensé, dit M. Raikem, que la prohibition de la poursuite d'un membre de l’une ou de l'autre Chambre devait être restreinte aux matières criminelles, correctionnelles et de simple police, et que rien ne devait arrêter les actions civiles, lors même qu'elles résulteraient d’un délit. Une telle action ne peut donner lieu qu'à des condamnations pécuniaires. Et la défense d'exercer la contrainte par corps autrement qu'avec l'autorisation de la Chambre, a paru une garantie suffisante. Un des membres de la section centrale avait même demandé que l'exercice de la contrainte par corps fût suspendu d'une manière absolue pendant la session, et même quinze jours avant et quinze jours après. Mais les autres membres de la section ont pensé que si la Chambre autorisait l'exercice de la contrainte par corps contre un de ses membres, elle reconnaissait qu'il n'y avait pas d'inconvénient à l'exercer, même durant la session. On a aussi été d'avis que la suspension de la contrainte par corps devait être absolument restreinte au temps de la session. »

Le commentaire donné ici par M. Raikem à l'article de la Constitution tel qu'il a été voté est évidemment restrictif de l'inviolabilité parlementaire. Cela n'est pas douteux : on a voulu la réduire ses plus étroites limites, Les paragraphes 1 et 3 de l'article tels qu'ils avaient été rédigés d'abord, et ils n'ont subi qu'une simple modification de style, ces deux paragraphes avisaient à deux cas : interdiction de poursuivre les membres des Chambres pendant la session législative, si ce n'est avec l'autorisation de la Chambre dont ils font partie ; continuation, pendant la session, des poursuites commencées avant, à moins que la Chambre n'en requière la suspension. Les deux hypothèses sont nettement posées dans les deux parties de l'article.

Si l'on demande une poursuite pendant la session, il faut que la Chambre l'autorise ; si elle est commencée avant la session, elle continuera, à moins que la Chambre n'en requière la suspension. Voilà le texte constitutionnel. Voilà, d'après le texte soumis au Congrès et le commentaire de M. Raikem, ce que le Congrès a voulu.

Eh bien, en présence d'un texte aussi clair, aussi formel et qui ne laisse place à aucun doute quant aux intentions de ceux qui l'ont rédigé, je me demande si une poursuite peut être interrompue alors que la Chambre n'en requiert pas la suppression.

En présence de ce texte, je ne comprends pas que le chef du parquet d’une cour d'appel vienne vous dire que l'ouverture de la session législative l'a mis « dans l'impossibilité » d'agir sans l'autorisation de la Chambre.

Qu'il puisse y avoir dans son esprit un doute au sujet de l'interprétation de l'article 45, je l'admets, puisque ce doute a existé dans l'esprit des membres de la section centrale, tous éminents jurisconsultes.

Il y a généralement deux manières d'interpréter un texte de loi ; mais, en présence d'un texte aussi clair, aussi formel que celui-ci, je ne puis pas admettre qu'on affirme d'une façon aussi positive, qu'on déclare ex cathedra que le parquet se trouve « dans l'impossibilité » de continuer des poursuites commencées.

Devant un texte aussi catégorique de la Constitution qui est notre loi à tous, la Chambre, à mon avis, ne peut décider qu'une chose, c'est qu'elle n'a absolument rien à voir dans la question de savoir s'il y a lieu ou s'il n'y a pas lieu d'autoriser la continuation des poursuites.

Ni l'honorable M. Coremans ni aucun de vous n'ont demandé la suspension des poursuites commencées avant l'ouverture de la session législative. Donc, si les poursuites doivent continuer, je crois que c'est violer la Constitution que de les déclarer suspendues sans qu'il y ait aucun acte posé par la Chambre.

Etant donnée cette situation, vous comprendrez que j'aie cru devoir exprimer mes scrupules et vous faire connaître ma manière de voir sur la demande qui est soumise à la Chambre.

On nous sollicite, sans nécessité aucune, d'autoriser une poursuite ; et comment ? Avec cette éventualité que si nous ne nous prononçons pas séance tenante, et s'il nous plaît de discuter la question pendant quarante-huit heures, nous nous trouverons, le 29 99, en face d’une action prescrite.

Je ne pense pas qu'il soit digne de la Chambre d'accepter un pareil rôle en présence de l'article de la Constitution dont je vous ai donné lecture. Il est de notre devoir de nous prémunir contre cette éventualité. A chacun la responsabilité de ses actes ; au parquet le soin de diriger sa procédure de telle façon qu'il arrive à un résultat en temps utile ; à la Chambre le soin de faire respecter la prérogative parlementaire, et le devoir d'observer scrupuleusement la Constitution.

Mû par les considérations que viens de développer, j'avais rédigé un ordre du jour dont je vous demande la permission de vous donner lecture quoique je n'aie pas l'intention de le déposer ; il me paraissait de nature à mettre la Chambre complètement à l'abri de toute critique dans cette conjoncture délicate et de laisser à chacun la complète responsabilité de ses œuvres.

Je disais donc :

« La Chambre,

« Vu la requête, en date du 25 janvier 1870, présentée par M. le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles, aux fins d’être autorisé à continuer la poursuite commencée contre M. Coremans après la clôture de la session 1868-1869 et avant l'ouverture de la présente session législative ;

« Considérant que l'article 45 (paragraphe final) de la Constitution laisse au parquet le droit de continuer pendant la session les poursuites antérieurement commencées contre un membre de l'une ou de l'autre Chambre, à moins que la Chambre à laquelle appartient le membre poursuivi ne requière la cessation de ces poursuites ;

« Considérant qu'il n'y a pas lieu de requérir la suspension des poursuites commencées contre M. Coremans, passe à l'ordre du jour.

Voilà ce que j'avais rédigé ; mais en causant tout à l'heure avec plusieurs de mes honorables collègues, j'ai acquis la conviction que cette proposition être vivement combattue ; et comme on désire, avant tout, aboutir à un résultat prompt et pratique, j'ai pensé à un autre moyen de nous mettre d'accord ; je crois que l'honorable rapporteur de la section centrale est disposé à se rallier à une proposition que je vais soumettre à la Chambre ; elle consiste à modifier les conclusions de la section centrale, en y ajoutant trois mots : on autorisera la poursuite en tant que de besoin. (Interruption.)

Evidemment c'est un moyen de laisser la question en état. (Interruption.)

- Des membres. - Votre ordre du jour vaut mieux.

M. Hymansµ. - Moi aussi, je préfère l'ordre du jour que j'avais rédigé ; je ne demande pas mieux que de le déposer sur le bureau. J'ai cru simplifier la question en m'entendant avec l'honorable rapporteur ; mais je crois sincèrement que mon ordre du jour est préférable. Le mieux est souvent l'ennemi du bien.

Je vais donc faire remettre à M. le président l'ordre du jour que j'ai rédigé.

- La proposition étant appuyée fait partie de la proposition.

M. Hymansµ. - Je crois, messieurs, qu'il y a dans la proposition un mot qui devrait être modifié. Il faudrait : « suspension » au lieu de « cessation ».

MpDµ. - La proposition est donc modifiée dans ce sens. J'ai encore reçu de M. Lelièvre la proposition suivante :

« La Chambre, vu le paragraphe final de l'article 45 de la Constitution, déclare qu’il n'y a pas lieu de délibérer sur la demande du procureur général à la cour d'appel de Bruxelles. »

C'est, au fond, la même chose que la proposition' de M. Hymans.

La parole est à M. Lelièvre pour développer sa proposition.

M. Lelièvreµ. - La proposition que j'ai déposée me paraît clairement fondée sur le texte clair et précis de l'article 45 de la Constitution ct, sous ce rapport, je partage complètement l'interprétation donnée par l'honorable M. Hymans.

La simple lecture de l'article ne laisse aucun doute à cet égard. (L'orateur lit la disposition de l'article 45.)

Il est évident, messieurs, que la Constitution fait une distinction marquée entre la poursuite qui n'est pas commencée lors de l'ouverture de la session et celle qui a été entamée postérieurement.

S'agit-il d'une poursuite commencée pendant la session, l'autorisation de la Chambre est indispensable. Au contraire, est-il question d'une action entamée antérieurement, la poursuite doit continuer et elle ne doit s'arrêter que dans le cas où la Chambre requiert formellement la suspension.

Or, ici il s'agit d'une poursuite entamée antérieurement et la Chambre n'est saisie d'aucune proposition ayant pour but de la suspension.

Par conséquent, j'estime qu'il faut déclarer qu'il n'y a pas lieu à délibérer. Du reste, la distinction dont j'ai parlé est fondée sur des motifs irréfragables.

En effet, lorsqu'une poursuite n'est entamée que pendant la durée de la session, la Constitution, dans l'intérêt de la sûreté et de l'indépendance de la représentation nationale, exige que la Chambre vérifie si la poursuite n'a pas un caractère propre à compromettre des intérêts de l'ordre le plus élevé.

Si au contraire la poursuite est déjà commencée avant la session, alors le pouvoir judiciaire est légalement saisi. Le cours de la justice ne peut être interrompu que dans le cas seulement où la Chambre requiert la (page 355) suspension. Effectivement puisque la poursuite est commencée antérieurement, on conçoit parfaitement que l'autorisation de la Chambre ne soit pas nécessaire. On ne comprend plus l'intervention de celle-ci qu'à l'effet de suspendre la poursuite, ce qui doit résulter d’une réquisition formelle de la Chambre législative dont l'inculpé fait partie.

J'estime, en conséquence, que, dans l'état des choses actuel, il n'y a pas lieu à délibérer sur la demande de M. le procureur général près la cour de Bruxelles.

Le ministère public peut continuer la poursuite, qui n'est arrêtée par aucun obstacle légal.

Du reste, veut-on la conviction que mon interpellation ost fondée sur la vérité, on n'a qu'à prendre lecture des discussions qui ont eu lieu au Congrès. On a dit qu'un membre de la Chambre « détenu au moment de l'ouverture de la session » ne serait pas mis en liberté de plein droit ; il ne le sera, a-t-on dit, que dans le cas où la Chambre aura prononcé cette mise en liberté.

Or, s'il en est ainsi de la détention, à plus forte doit-il en ainsi d'une poursuite commencée avant la session.

Je crois devoir persister dans ma proposition.

MpDµ. - M. Lelièvre demande donc la question préalable.

La question préalable cst-elle appuyée par cinq membres ?

Elle fait partie de la discussion.

M. Dewandre, rapporteurµ. - Messieurs, personnellement je partage l'opinion des deux honorables préopinants sur l'interprétation qu'ils ont donnée à l'article 45 de la Constitution et cependant je crois devoir défendre les conclusions de la section centrale, sauf peut-être à les modifier légèrement dans leurs termes.

Et en effet, messieurs, de quoi s'agit-il ?

Nous sommes saisis par M. le procureur près la cour d'appel de Bruxelles d'une demande d'autorisation de continuer les poursuites commencées contre l'honorable M. Coremans.

M. le procureur général croit donc n'avoir pas le droit de continuer les poursuites sans notre autorisation.

Lorsque la demande s'est présentée dans la séance d'avant-hier par-devant la Chambre, l'honorable M. Coremans lui-même s'est joint au procureur général pour demander que l'autorisation soit immédiatement donnée ; il semble donc partager l'opinion de M. le procureur général sur la nécessité d'une autorisation.

Il y a donc tout au moins un doute, une controverse possible sur le point de savoir si l'article 45 de la Constitution doit être interprété comme l'honorable M. Hymans l'a fait ou comme le fait M. le procureur général prés la cour d'appel de Bruxelles.

Avons-nous qualité pour donner l'interprétation législative dans la circonstance actuelle ? Evidemment non. Nous pouvons avoir une opinion ; l'unanimité de la Chambre pourrait être de l'avis de M. Hymans, qu'encore la magistrature ne serait pas liée par cette opinion.

M. le procureur général pourrait persister dans sa manière de voir et la faire partager par la cour d'appel. Il arriverait alors que quand nous aurions décidé qu'on peut continuer la poursuite sans autorisation, les magistrats chargés de juger sur ces poursuites décideraient au contraire qu’ils ont besoin de l'autorisation, qu'en conséquence ils ne peuvent pas juger. Et la prescription serait acquise.

Eh bien, je crois qu'en présence de ce doute, alors que nous ne pouvons pas imposer notre interprétation à la magistrature, il est bon d'accorder l'autorisation sollicitée par les deux principaux intéressés. D'autant plus que cette autorisation n'a pas pour but de restreindre nos prérogatives parlementaires, mais que c'est, au contraire, une extension que la demande de M. le procureur tend à donner ces prérogatives.

D'après l'honorable M. Hymans, le procureur général pourrait suivre sans autorisation. M. le procureur général et le principal intéressé, M. Coremans, nous demandent, au contraire, l'autorisation. Il s'agit d'une extension de nos prérogatives. Eh bien, quel inconvénient y a-t-il, dans ces circonstances, à accorder, pour autant que de besoin, l'autorisation demandée et à accepter, avec l'addition de ces mots « pour autant que de besoin », les conclusions de la section centrale.

Ces conclusions étaient ainsi conçues : « Votre section centrale, à la majorité de trois voix contre une et deux abstentions, a en conséquence l'honneur de vous proposer d'accorder l'autorisation demandée. »

En présence du doute qui existe sur l'interprétation de l'article 45 de la Constitution, on pourrait dire : « vous propose d'accorder, autant que de besoin, l'autorisation demandée. »

Messieurs, j’avais l'intention de compléter le rapport qui a été fait très rapidement hier, en vous donnant connaissance des pièces du dossier qui a été mis sous les yeux de la section centrale. Quelques membres m'ont exprimé le regret que le temps ait manqué à la section centrale pour analyser ces pièces dans le rapport. Si la Chambre le désire, je donnerai satisfaction à ces membres en vous lisant les principales pièces du dossier.

- Des membres. - Non !

M. Coremansµ. - Messieurs, je n'entends pas parler sur la question préalable. Je sais donc prêt à céder mon tour de parole aux membres qui voudraient traiter cette question, me réservant de prendre la parole plus tard. Si personne ne demande plus la parole sur la question préalable, je parlerai, ainsi que j’en avais l'intention, avant que la question préalable fût posée.

MpDµ. - Quelqu’un demande-t-il la parole sur la question préalable ?

Personne ne la demandant, la parole est à M. Coremans.

M. Coremansµ. - Permettez-moi tout d'abord, messieurs, de remercier la Chambre d'avoir si promptement examiné en sections la demande de M. le procureur général, et de remercier plus spécialement la section centrale d'avoir, avec une promptitude dont je lui sais gré, rédigé et déposé son rapport. C’est avec plaisir que j'ai constaté que la section centrale conclut à l'octroi de l'autorisation demandée.

J'espère que la Chambre votera les conclusions de sa section centrale, je l'espère : car je désire que les poursuites, si étrangement dirigées contre moi, puissent avoir leur cours régulier ; je désire qu'il puisse intervenir un mandement définitif de justice qui, j'y compte, mettra à néant les accusations, les mensonges, les calomnies dont certains journaux ont abusé, par trop, à mon égard.

La Chambre comprendra que je ne viens pas devant elle plaider ma cause : ce n'est ici ni le lieu ni le moment. Aussi je renoncerais volontiers à la parole, n'était-ce que je pense avoir à remplir un devoir que je ne saurais accomplir efficacement ailleurs.

J'ai à constater, et certes, messieurs, c'est une chose pénible pour un citoyen qui voudrait croire à l'impartialité de la justice de son pays, qui voudrait pouvoir affirmer, du haut de cette tribune, que jamais la magistrature belge ne sacrifie à la politique, j'ai malheureusement à constater que, dans toute cette affaire, l'esprit de justice, le respect de la loi, la recherche de la vérité n'ont jamais, à aucun moment, guidé les auteurs et les agents de cette poursuite. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - C’est outrager la magistrature !

MpDµ. - M. Coremans, permettez-moi une observation.

Je ne crois pas que puissiez aborder la question du fond. Ce serait entraîner la Chambre sur un terrain qui doit lui rester complètement étranger. La Chambre est saisie uniquement d'une question constitutionnelle et d'une question d’autorisation, ce qui ne doit pas entrainer l'examen du fond des poursuites. Je vous en prie, n'insistez pas.

M. Coremansµ. - Il est impossible, M. le président, que vous vouliez étouffer ma voix ; M. le ministre de la justice, s'il le juge convenable, défendra la conduite de ses agents du parquet.

MpDµ. - Je répète que vous ne pouvez traiter que la question d'autorisation. Je ne puis pas vous permettre de rester sur le terrain où vous vous êtes engagé.

M. Coremansµ. - Comment la Chambre peut-elle apprécier en connaissance de cause la demande d'autorisation, si elle ignore complètement le caractère de la poursuite ? (Interruption.) 0h ! je me garderai bien de plaider ma cause, et d'entrer dans le fond des faits émis à ma charge ; telle n'est nullement mon intention. Mais il importe qu'il soit constaté ici, ce qui, à l’occasion d'autres faits, a été constaté itérativement dans cette Chambre, c'est-à-dire, l'intervention de la passion politique dans certains actes posés par certains membres de la magistrature.

MpDµ. - M. Coremans, je vous engage à vous renfermer dans la question.

M. Coremansµ. - Je pense être en plein dans la question.

MpDµ. - Je ne le crois pas, M. Coremans, et si vous continuez, je devrai consulter la Chambre.

M. Coremansµ. - Il faut bien que la Chambre sache ce que c’est que cette poursuite ! Comment voulez-vous, messieurs, apprécier en connaissance de cause s’il faut autoriser la continuation des poursuites, alors que vous ne me permettez pas de vous signaler le caractère de cette poursuite ?

J'use donc de mon droit de représentant du peuple.

Dans cette Chambre, à cette tribune je ne suis pas accusé, et je me fais accusateur. C'est mon devoir, c'est incontestablement mon droit et j'en userai, à moins qu'on ne m'enlève la parole par un acte de violence, par un coup de majorité.

(page 356) MpDµ. - La Chambre a le droit, par un vote, qui n'est jamais un acte de violence, de retirer la parole à un membre qui s'écarte de la question.

Croyez-moi, M. Coremans, écoutez le conseil que je me permets de vous donner ; il y a une question préalable posée et en bonne règle, c'est celle qui doit être préalablement discutée.

M. Coremansµ. - J'ai dit, avant de commencer mon discours, que je traiterais pas la question préalable, et la Chambre m’a laissé prendre la parole. Comment ! on me traduit devant le tribunal correctionnel en pleine période électorale, je me vois injurié, insulté, calomnié dans tous les journaux ministériels du pays, on me traduit à la barre de cette Chambre et quand je veux prendre la parole pour répondre aux accusations qui sont dirigées contre moi, on vient me dire : Vous ne pouvez pas traiter la question, nous ne vous permettons pas d'user de la parole !

Vous ne pouvez pas éclairer la Chambre sur le caractère de la poursuite qui vous est intentée ! La Chambre doit voter en aveugle sur la demande de M. procureur général. Mardi dernier, je disais moi-même : N'entrez dans aucun débat, votez d'emblée l'autorisation qu'on vous demande. La Chambre n'a pas adopté cette manière de voir. Elle a voulu la discussion, elle a voulu voir clair et voter en connaissance de cause. Je veux lui faire connaître les faits, et aussitôt on me menace d'étouffer mn voix sous un vote de la majorité, alors qu'il s'agit cependant d'une question d'honneur pour un membre de cette Chambre ; alors qu'il s'agit des droits sacrés de la défense.

J'espère que la majorité n'abusera pas sa force numérique, à supposer, ce que je ne crois pas, que M. le président veuille donner suite à l'intention qu'il vient de manifester.

MpDµ. - M. Coremans, je dois vous faire observer que la doctrine que vous soutenez consisterait à faire préjuger par la Chambre le jugement qui interviendra.

Je répète donc que je ne puis vous laisser continuer sur ce terrain sans consulter la Chambre.

Je vous invite encore suivre le conseil que je vous donne.

M. Coremansµ. - Je ne crois pas, après la décision prise par la Chambre, mardi dernier, qu'il soit possible de m'empêcher aujourd'hui de caractériser les poursuites qu'il s'agit de laisser continuer.

Il faut certainement que je caractérise cette poursuite, alors que la Chambre a voulu l'examen. Permettez-moi donc d'user de mon droit, et de remplir un devoir.

MpDµ. - M. Coremans, vous voulez vous constituer juge la poursuite. C'est un rôle que la Chambre ne peut admettre.

M. Coremansµ. - Mais, M. le président, M. le ministre de la justice défendra, s'il le juge convenable, les actes que je viens constater à la tribune. Et la Chambre aura, le cas échéant, à se prononcer sur la conduite de M. le ministre.

Il me semble qu'il n'y a plus de liberté parlementaire, si l'on étouffe la discussion sur ce terrain. Je crois donc que je puis continuer.

- Plusieurs voix à gaucheµ. - Non ! non !

MpDµ. - Comme président, je ne puis pas, dans un débat de cette nature, permettre que vous sortiez de la question. je dois vous rappeler au règlement.

L'article 21 du règlement porte :

« Nul n'est interrompu lorsqu'il parle, si ce n'est pour un rappel au règlement. »

C’est ce que je me suis permis de faire.

« Si un orateur s'écarte de la question, le président seul l'y rappelle.

« Si un orateur après avoir été deux fois, dans le même discours, rappelé à la question, continue à s'en écarter, le président doit consulter la Chambre pour savoir si la parole ne sera pas interdite à l'orateur pour le reste de la séance sur la même question. »

Voilà le devoir que vous me forceriez à remplir.

Je crois un bon conseiller, dans votre intérêt comme dans l'intérêt de la dignité de la Chambre, en vous conseillant de ne pas continuer sur ce pied.

M. Coremansµ. - Messieurs, an corps législatif de France, on admet la plus liberté de discussion. M. Berryer y a pu, sans qu'on ait voulu étouffer sa voix, stigmatiser certaine chambre du tribunal de la Seine.

Permettez-moi de vous demander que la Chambre législative de Belgique ne se mette pas au-dessous du corps législatif de France.

Je ne pense pas, messieurs, que la majorité accepte cette position.

Je maintiens mon droit de faire connaître à cette tribune le caractère exclusivement politique de la poursuite dirigée moi. Je crois qu'en agissant je ne fais que remplir mon devoir.

Si cependant M. le président, soutenant que je m'écarte par là de la question, croyait devoir consulter la Chambre sur le point de savoir si je puis continuer dans cet ordre d'idées, M. le président fera comme il le jugera convenable ; le pays jugera.

Mais quant à moi, je maintiens mon droit, je prétends que je ne m’écarte pas de la question, que j'y suis en plein ; que mes explications sont indispensables et que la Chambre ne saurait pas se prononcer en connaissance de cause, si elle ignore les caractères véritables de la poursuite qu'on demande à continuer.

M. Bara pourra répondre s'il le juge convenable... (Interruption) Si vous étouffez ma voix sous un vote, je devrai évidemment me soumettre, mais vous commettrez une violence parlementaire. Que M. le président soumette, s'ii le veut, la question à la Chambre ; si elle m'enlève la parole, je me tairai, ne pouvant faire autrement ; sinon, je continuerai ainsi que j'avais commencé.

MpDµ. - Je crois avoir le droit de consulter la Chambre sur la question.

MjBµ. - Messieurs, je n'ai qu'une très faible part à prendre à ce débat, mais la Chambre me permettra d'exprimer mon opinion, d'abord sur la question préalable qui a été soulevée par M. Hymans. Je dois déclarer que, d'après moi, la question constitutionnelle est douteuse.

MpDµ. - M. le ministre, je ne puis vous donner la parole, en ce moment, que sur l'incident.

MjBµ. - Parfaitement, mais je croyais pouvoir exprimer mon opinion sur l'ensemble. Je vais me borner à l'incident. L'honorable M. Coremans a commencé par attaquer la magistrature ; il a représenté ta poursuite dirigée contre lui comme un acte de partialité et d'esprit politique de la part du parquet.

MpDµ. - Prenez garde de discuter.

MpDµ. - Je ne discute pas, M. le président.

MjBµ. - Je ne puis, M. le ministre, vous permettre ce que je n'ai pas permis à M. Coremans.

La question est de savoir si M. Coremans s'écarte de la question quand il se place sur le terrain où il vient de se placer.

MjBµ. - Fort bien, M. le président ; mais M. Coremans ayant dit que les poursuites dirigées contre lui étaient le résultat d'un acte de partialité et d'esprit politique de la magistrature, je méconnaîtrais tous mes comme ministre de la justice si je ne venais pas protester avec énergie contre une pareille accusation.

MpDµ. - Bien, M. le ministre ; mais bornez-vous là, car maintenant ce terrain ne peut être abordé pas plus par vous que par M. Coremans.

MjBµ. - Si M. Coremans veut discuter la prévention dont il est l'objet, qu'arrivera-t-il ? C'est que je serai obligé de demander la continuation de la discussion, pour pouvoir donner lecture à la Chambre des pièces du dossier. Et puis, quel sera le rôle de la Chambre ? Entendra-t-elle des témoins ? Prendra-t-elle connaissance des pièces, et prononcera-t-elle sur la question de savoir si M. Coremans a tort ou raison ?

M. Coremansµ. - Il ne s'agit pas de cela.

MhBµ. - La Chambre n'a qu'à se prononcer sur la demande d'autorisation des poursuites ; quant à la culpabilité ou la non-culpabilité de M. Coremans, c'est devant les tribunaux qu'elle se discutera. L'autorisation de poursuivre n'implique pas la culpabilité ou la non-culpabilité, elle a simplement pour but de laisser libre cours la justice.

Je ne vois donc que de très grands inconvénients même pour M. Coremans à ce que la Chambre sorte de ses véritables attributions. Remarquez-le, messieurs, lorsque tout à l'heure M. Dewandre a offert de donner lecture des pièces da dossier envoyé par M. le procureur général, tant à droite qu'à gauche, on s'y est opposé. Et maintenant vous qui demandiez tout l'heure qu'on ne les lût pas...

M. Coremansµ. - Je n'ai jamais demandé cela.

MjBµ. - Sur les bancs de la droite comme sur les bancs de la gauche, on s'est opposé à la lecture des pièces. Et de fait dans le rapport de la section centrale il n'y a pas un mot de la prévention ; les faits n’y sont pas exposés, on ne s’y occupe que de la question préalable et de l'autorisation.

(page 357) La Chambre est restée dans cette voie lorsqu'elle disait à M. Dewandre de ne pas lire les pièces du dossier.

Si M. Coremans discute la prévention, il faudra répondre. Quant à moi, il m'est indifférent d'aborder ce terrain.

Mais je dis que si M. Coremans plaide la non-culpabilité et attaque les membres de la magistrature, il faudra que je réponde, et si je ne suis pas en mesure, par suite d'allégations de M. Coremans, de le faire immédiatement, je serai forcé de prier la Chambre de remettre la discussion à un autre jour, et de cette façon M. Coremans sera couvert par la prescription, c'est•-dire qu'Il atteindra un but contraire aux intentions qu'il a manifestées.

MpDµ. - Je crois réellement, M. Coremans, que vous devriez consentir à ne pas insister pour aborder ici l'examen de votre procès. La Chambre est saisie d'abord d'une simple question préalable, celle de savoir si constitutionnellement il y a lieu ou non d'admettre la possibilité de l'autorisation quand des poursuites ont été intentées avant l'ouverture de la session ; et, subsidiairement s'il y a convenance d'accorder cette autorisation. C'est là une double question que vous pourriez traiter en quelques mots si vous vouliez ne pas vous écarter de ses véritables limites. Permettez-moi, encore une fois, de vous y engager.

M. Wasseigeµ. - Je ne crois pas que l'honorable M. Coremans ait le moins du monde l'intention de plaider devant nous le fond de la question. Il l'a déclaré formellement et, à cet égard, il s'en rapporte complètement à la justice.

Il demande simplement à être admis à s'expliquer devant vous et à vous faire connaître les motifs qui, d'après lui, ont fait agir la justice à son égard. Eh bien, je crois que vous ne pouvez pas lui refuser ce droit ; car c'est là précisément et uniquement la raison d'être et le but de l'article 45 de la Constitution.

Pourquoi, messieurs, a-t-on inscrit cet article dans la Constitution ; pourquoi a-t-on décidé qu'un membre de l'une ou de l'autre Chambre ne pourrait être poursuivi sans une autorisation préalable ? C'est précisément pour empêcher que, sous prétexte de faire respecter les lois, la politique n'intervienne et ne prive un membre de la Chambre de l'exercice de son mandat.

Voilà, messieurs, le véritable motif de l'article 45.

Cet article a pour but de rendre possible l'appréciation des motifs qui ont porté la justice à poursuivre, afin que la Chambre puisse décider, en connaissance de cause, s'il y a lieu d'autoriser la poursuite. Je comprends que la Chambre n'ait pas à discuter le fond ; il est évident, comme le disait tout à l'heure M. le ministre, qu'il ne peut pas être question de produire ici les pièces du procès, d'entendre des témoins, etc.

Mais l'honorable M. Coremans est parfaitement dans son droit quand il vient demander à vous faire connaître les motifs politiques qui, selon lui, ont porté la justice à poursuivre, puisque ce n'est que la discussion de ces motifs qui pourra vous permettre d'apprécier, en pleine connaissance de cause, s’il y a lieu d'accéder à la demande de continuer les poursuites.

Il ne s'agit donc pas seulement ici d'une simple question préalable, qui déclarerait qu'en présence du dernier paragraphe de l'article 45 de la Constitution, il n'y a pas lieu pour la Chambre de se prononcer sar la demande de continuation des poursuites.

Cette question, qui est une question de droit douteuse, est dominée par celle de savoir si, oui ou non, après examen des faits et des motifs, il nous convient d'autoriser ces poursuites.

Je le répète donc, pour nous prononcer sur cette question, nous devons nécessairement être éclairés sur les causes réelles, qui peuvent être indépendantes du fond même de l'affaire.

C'est ce que l'honorable M. Coremans voulait faire et c'est ce que vous devez lui accorder, d'autant plus que vous êtes majorité et qu’il siège sur les bancs de vos adversaires. S'il s'agissait d'un membre de la majorité, vous pourriez vous montrer sévères sans craindre de passer pour injustes, mais il s'agit d'un membre de la minorité et ici vous devriez vous montrer tolérants, sous peine de passer pour ne pas être impartiaux. Je vous engage donc à permettre à l'honorable M. Coremans de s'expliquer sur la question et je l'engage, lui, à le faire avec la plus grande modération.

MjBµ. - L'honorable M. Wasseige se trompe s'il s’imagine que la majorité redoute pour elle ou que le gouvernement redoute pour le parquet la discussion qui pourrait avoir lieu sur la poursuite exercée contre M. Coremans. Je ne la crains en aucune espère de manière. Et si la Chambre décide qu'on doit discuter l’affaire du député d'Anvers. j'interviendrai dans le débat et quoique je n'aie pas donné l'ordre de poursuivre, je prendrai énergiquement la défense des membres du parquet en ce qui concerne leur honneur et leur impartialité.

Mais, messieurs, la question n’est pas : d'après l'honorable Wasseige, discuter la question de savoir de quel esprit le parquet était animé dans la poursuite qu'il a intentée contre M. Coremans, ce n’est pas entrer dans le fond du procès. Je ne comprends réellement pas ce raisonnement. Quand on accuse le parquet d'avoir agi avec partialité, cela signifie qu'il a poursuivi un innocent. Vous plaidez donc l'innocence de M. Coremans. Et comment pourrais-je disculper le parquet, si ce n'est en prouvant la culpabilité du représentant d'Anvers ? Vous me mettez dans la nécessité de remplir ici l’office du ministère public ; cela peut-il entrer dans intentions ? (Interruption.)

Il y a d'autant moins lieu ainsi dans la circonstance actuelle, que M. Coremans demande lui-même que la Chambre autorise la poursuite. Si M. Coremans disait : Je m'oppose à l'autorisation, parce que je suis une victime de la partialité des magistrats du parquet, je concevrais son insistance à vouloir traiter l'affaire au fond. Mais il réclame ses juges et néanmoins il veut discuter ici son innocence, et nous mettre ainsi dans la nécessité de discuter sa culpabilité.

A aucun point de vue et surtout en présence de la position prise par M. Coremans lui-même, il n'y a pas lieu d'entrer dans le fond du débat.

Le fond doit être discuté devant les tribunaux, les seuls juges qui aient à proclamer la culpabilité ou l'innocence de M. Coremans.

M. Teschµ. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour faire l'observation que vient de présenter M. le ministre de la justice. La position que prend l'honorable M. Coremans est des plus illogiques. Je comprendrais parfaitement son système, s’il venait nous demander de suspendre les poursuites ou de ne pas les autoriser.

Si l'honorable M. Coremans venait nous dire : Je suis victime de la haine politique, je suis victime des ressentiments du pouvoir ; on veut m'arracher de mon siège, protégez-moi ! je crois qu'il serait du devoir de la Chambre d’entendre l'honorable M. Coremans dans toutes ses explications ; nais en présence de la position prise par l'honorable membre lui-même, en présence du désir qu'il manifeste de voir autoriser les poursuites, nous avons seulement à examiner si, malgré l'assentiment de l'honorable membre à l'autorisation demandée, il y a lieu de ne pas autoriser ; car s'il y avait, par exemple, un danger social à autoriser la poursuite, ce ne serait pas l'assentiment de l'honorable membre qui me déterminerait à voter pour la poursuite ; mais alors qu'il est établi, de l'aveu même de l'honorable membre, qu'il n'existe pas de raisons pour invoquer l'immunité que le pouvoir constituant à établie pour les membres de la Chambre, il n'est pas admissible nous discutions ici le fond d'une affaire dont la connaissance appartient exclusivement aux tribunaux ; nous ne pouvons pas entamer un débat pour lequel nous ne sommes compétents sous aucun rapport et qui pourrait se prolonger de manière à assurer la prescription à la personne poursuivie.

Il est donc de l'intérêt de Coremans de désirer que ce débat ne prolonge pas.

M. Wasseigeµ. - Messieurs, que l'honorable M. Coremans désire que la Chambre accorde l’autorisation de la poursuite, c'est son affaire ; si nous étions dans sa position, nous ferions très probablement comme lui, là n'est pas la question. Mais, nous Chambre des représentants, nous devons dans l'intérêt des principes, dans l'intérêt de la dignité et de l'indépendante parlementaire, examiné ce que, malgré les instances de l’honorable M. Coremans, il y a lieu de faire, dans notre intérêt à nous.

L'attitude de l’honorable M. Coremans, parfaitement loyale et digne, ne doit pas nous lier ; nous avons à examiner la question en dehors ce que l'honorable M. Coremans peut désirer ; nous avons, avant tout, à sauvegarder notre dignité ; or, pour sauvegarder notre dignité, nous avons intérêt à savoir, sans attaquer le fond, s’il y a des motifs suffisants, des motifs tirés de la loi seule, indépendants de toute passion politique, dans les poursuites qu'on nous demande de pouvoir continuer. Dans cet ordre d’idées, nous ne pouvons pas laisser trop de latitude à notre collègue, sous peine de paraître craindre la lumière et de nous exposer à prendre une résolution erronée.

J'engage donc de nouveau la majorité à être juste, sinon généreuse.

M. Teschµ. - A la place de M. Coremans. je n'accepterais pas le rôle que veut lui faire jouer M. Wasseige. Ainsi M. Coremans. dès le début, demande que les poursuites soient autorisées, et l’honorable M. Wasseige nous dit maintenant : « Donnez à M. Coremans le temps de démontrer qu’il ne faut pas autoriser les poursuites. »

M. Wasseigeµ. - Je n'en sais rien.

M. Teschµ. - C’est évidemment là un rôle que M. Coremans n’acceptera pas.

(page 538) MpDµ. - M. Coremans, vous avez la parole. Je vous rapelle seulement les conseils que je me suis permis de vous tout à l’heure.

Je suis convaincu qu’ils sont dans votre intérêt et dans l’intérêt de la Chambre. Il ne s’agit pas ici d’un débat qui mérite d’être passionné.

M. Coremansµ. - Il est manifeste qu'il y a dans cette affaire deux côtés : un celui que je dois et que je tiens à faire connaître à la Chambre, parce que je ne pourrais le faire connaître ailleurs ; c'est le côté politique. SI je voulais en parler devant la justice, on me dirait : « Je vous retire la parole, parce que vous n’avez pas à apprécier ici la conduite de la magistrature. » Et je devrais me taire.

C'est donc ici, devant la Chambre, où se trouve M. le ministre de la justice qui pourra défendre ses agents, que je puis traiter le côté politique de la question.

On réplique : Vous ne pouvez pas traiter le coté politique de la question, car vous pourriez y mêler un élément de la question de fond. je m'engage, messieurs, à ne pas le faire. La question de fond doit rester entière, intacte ; la justice seule doit en connaître.

Mais le côté politique, je ne puis le traiter qu'ici ; la Chambre le comprend et elle ne voudra pas m'empêcher de le traiter.

M. le ministre de la justice disait tout à l'heure en faisant une insinuation très malveillante à mon égard : M. Coremans ne veut que gagner du temps. En voulant examiner les faits, il me force à demander la remise de la discussion pour étudier le dossier ; de cette manière, la prescription lui sera acquise. Il réclame de la Chambre l'autorisation demandée et cependant il fait en sorte que cette autorisation vienne tardivement.

D'autre part, M. le ministre ajoute qu'il prendra la défense de tous les actes, de toute la conduite des agents du parquet dans cette affaire.

M. le ministre connaît donc ces actes ; il connaît tous les faits ; il peut donc répondre immédiatement ; sa méchante insinuation est donc mal fondée et l'honorable M. Tesch a eu tort de répéter cette insinuation et de ne pas la laisser à M. Bara.

Je crois donc que le coté politique de la question est le seul que je puisse traiter ici, mais que je dois le traiter ici. Qu'il me soit donc permis de continuer là où M. le ministre m'a arrêté.

Je disais donc, messieurs, que la passion politique, que le désir de rendre un service électoral, de déplacer le plus de voix possible au détriment du meeting, de se signaler au ministère pour services rendus, que tous ces sentiments blâmables ont seuls donné lieu à ma traduction devant le tribunal correctionnel. (Interruption.)

Voici faits, et ces faits parleront d'eux-mêmes ; ce n'est pas moi qui les caractériserai ; ils se caractérisent tout seuls. M. le ministre de la justice les connaît, puisqu'il dit qu'il les justifiera ; qu'il prendra la défense de la conduite tenue par certains agents du parquet.

Quand vous connaîtrez les procédés du parquet dans cette affaire, il n'y aura plus personne parmi vous, messieurs, qui ne reconnaisse que j'ai été très modéré en les qualifiant comme je l’ai fait au début de discours. Voici donc les faits :

L'administration communale d'Anvers m'avait inscrit d'office sur les listes électorales de 1869.

Les listes affichées, le comité électoral de l'association dite libérale d'Anvers demande ma radiation. Le conseil communal. par décision du 2 juin, ratifie la décision du collège et maintient l'inscription sur les listes électorales. Le comité électorat interjette appel auprès de la députation permanente ; celle-ci, par décision du 2 juillet, maintient mon inscription.

Ainsi, les trois autorités administratives inscrivent et maintiennent mon nom sur les listes électorales : le collège échevinal, le conseil communal, la députation permanente.

Appel est encore interjeté par le même comité de l'association libérale, devant la cour de Bruxelles, à la date du 10 juillet. L'affaire, fixée au 6 août, fut plaidée cette date et l'arrêt rendu le lendemain 7 août.

Dans l'intervalle du 10 juillet au 6 août, s'était produite une pièce nouvelle. On avait envoyé d'Anvers, à la cour, un certificat, signé de la propriétaire de la maison dont je soutenais être sous-locataire ; et dans ce certificat, il était affirmé par cette propriétaire que « jamais elle n'avait donné à M. Rul (alors mon collaborateur) l'autorisation de sous-louer sa maison à M. Coremans ; que, bien au contraire, M. Coremans s'étant présentez chez elle, propriétaire de la maison, dans le courant de juillet 1868, pour obtenir son consentement à une sous-location projetée entre lui et M. Rul, elle l'avait formellement refusée. »

Voilà la pièce nouvelle qui fut produite devant la cour.

Je compris que cette pièce exercer une énorme influence sur la décision de la cour.

Aussi, lorsque dans le cours des débats, il me fut donné communication de cette pièce, je dis immédiatement à la cour que les allégations y contenues étaient inexactes, que je les démentais formellement. et que, appelée à déposer sous serment. cette même personne, propriétaire de la maison, n'oserait attester les mêmes faits.

La cour passa outre. Elle crut ne pas devoir tenir compte de mes dénégations, elle préféra croire les assertions d’une personne qu'elle ne connaissait pas, plutôt que les miennes.

Cependant il est acquis aujourd'hui que c'est moi qui avais raison et que c'est la propriétaire qui avait tort. Car appelée à déposer sous serment devant le juge d'instruction, cette même personne a déclaré qu'il ne s'est jamais agi entre elle et moi de sous-location ni de reprisé de bail ; que si c'était une autorisation de sous-location que je lui avais demandée. il est probable qu'elle me l'aurait accordée, c'est-à-dire qu’en déposant sous serment, cette personne affirme littéralement le contraire de ce qu'elle avait affirmé dans le certificat envoyé à la cour.

Eh bien, c'est sur la production de cette pièce déclarée faussé, mensongère, par la personne même dont la pièce émane, que la cour a rendu l’arrêt qui m'a rayé des listes électorales, ou toutes les autorités administratives m'avaient maintenu.

Nous voilà au 7 août. Un mois, six semaines se passent. Nous arrivons au mois d'octobre. Dans l'intervalle, le parquet d'Anvers, soucieux du respect de la loi, avait certainement eu le temps d'étudier l'arrêt de la cour et surtout la loi à laquelle j'aurais commis une contravention. Dans cet intervalle, il avait pu relire également ce qui s'était trouvé dans tous les journaux d'Anvers et ce que le Bulletin communal avait publié officiellement, c'est-à-dire certaines décisions du conseil communal devenues définitives, portant que telles et telles personnes inscrites ou demandant à l'être par l'organe du comité électoral de l'Association, seraient rayées des listes électorales ou n'y seraient point admises, pour des faits qualifiés expressément de frauduleux dans lesdites décisions.

Ainsi, le parquet avait eu le temps relire et de rappeler, par exemple, les décisions suivantes :

« Conseil communal du 4 juin (Bulletin communal, page 684).

« Vu la demande de Vandenschrieck, Hubert-Félix, rue Ommeganck, ;

« Vu la loi etc. ;

« Attendu qu'il ne justifie pas du cens pour 1868 ;

« Attendu en effet que les contributions qu'il produit pour cette année se composent de trois patentes, l'une de commissionnaire, soit 22 fr., la seconde de courtier, soit 16 fr. 50, la troisième de courtier sous forme de supplément, soit 5 fr. 50.

« Attendu qu'il est évident que l'avertissement de cette dernière patente n'ayant été délivré que le 4 février 18G9, cette patente a été déclarée en 1869 pour compléter le cens pour 1868 ;

« Attendu que cela devient d’autant plus évident que, pour1869, le montant des patentes de Vandenschrieck, Hubert-Félix, ne s'élève plus qu'à 29 fr. 70 c., tandis qu'en 1868 les trois patentes s'élèvent à 44 francs ;

« Attendu que c'est de ces fraudes que le législateur a voulu prévenir en augmentant les années du cens, et qui se produit malgré (arrêt cassation 25 juillet 1836) ;

« Décide qu'il ne sera pas inscrit. »

Et d'une :

En voici plusieurs autres où le conseil communal constate des faux en écriture publique.

« Vu la demande d'Edm. Dionijs, rue de la Princesse, n°57, etc. ;

« Attendu que la mère délégante est décédée, le 30 avril dernier, que, par conséquent, la délégation n'existe plus ;

« Attendu, en outre, que la signature dont l'acte de délégation se trouve être revêtue a été reconnue ne pas être celle de la veuve Dionijs ;

« Décide qu'Edm. Dionijs ne sera pas porté sur la liste des électeurs communaux (Bulletin communal, page 726.) »

Une troisième :

« Vu, etc. ;

« Attendu que Satter (L.-G.) demande à être porté sur la liste des électeurs communaux comme délégué par sa mère veuve ;

« Attendu que malgré que la demande d'inscription porte une prétendue signature de la mère, il résulte des informations constatées par procès-verbal en date du 4 juin 1869, que loin que la mère de Satter (L.G.), (page 359) laquelle ne sait ni lire, ni écrire, ait signé la pièce dont question, elle a défendu son fils de prendre aucune part aux élections ;

« Déclare la demande non fondée ;

« Décide qu'il ne sera pas admis. (Bulletin communal, page 743.)

Une quatrième :

« Vu, etc. ;

« Attendu que non seulement la signature qui se trouve au bas de la demande d'inscription est fausse, mais qu'on a employé des manœuvres auprès de la personne qu'elle désigne, en lui demandant si elle savait écrire ;

« Attendu qu'il en résulte qu'aucune demande n'a été faite dans le délai légal, ni par Jean Cnenen, ni par aucun tiers connu ;

« Décide qu'il n'y a pas lieu d'inscrire Coenene en vertu de la susdite dcmande, dépourvue de tout caractère régulier. »

Pour pas abuser de moments, je bornerai là mes citations. Mais je pourrais en faire encore plusieurs autres analogues à celles-là.

Le parquet d'Anvers ne pouvait pas ignorer ces décisions.

Son attention, éveillée sur ma radiation, devait certainement se porter sur ces radiations-là.

Dans l'arrêt du 7 août, de la cour d’appel, l'arrêt me concernant, le mot « fraude » ne figure pas une seule fois.

Et tant s'en faut que la cour ait vu dans mon affaire quoi que ce soit de frauduleux, c'est qu'elle ne m'a pas même condamné aux dépens.

Or, c'était le moins que la cour eût pu faire si, dans son idée, une fraude quelconque eût pu m'être imputée. Cela est incontestable !

Donc aux yeux de la cour, pas de fraude quelconque. Donc la condition indispensable à la poursuite répressive faisait défaut.

En second lieu : les autorités administratives, collège des bourgmestre et échevins, conseil communal, députation permanente, toutes m'avaient ou inscrit d'office ou maintenu sur les listes électorales.

Cependant c'est moi, moi seul que le parquet d'Anvers poursuit ; il ne commence même aucune instruction concernant les cas, réellement sérieux, que je viens de citer.

Si le parquet s'était donné la peine d'exécuter la loi qu'il voulait m’appliquer, il aurait vu qu'il ne pouvait loyalement commencer une poursuite à ma charge.

En effet, voici ce que disait l'honorable M. Tesch, alors ministre de la justice, dans l'exposé des motifs de la loi du 19 mai 1867, sur les fraudes électorales

« On ne peut laisser à l'autorité judiciaire l'initiative des poursuites en pareil cas.

« L'existence des faits qui y donnent lieu ne saurait être constatée que par les autorités administratives chargées de la révision des listes électorales.

« Quand elles ont inscrit ou maintenu un citoyen sur ces listes, leur décision doit être respectée.

« Ce n'est pas à l'autorité judiciaire qu'il appartient de rechercher les motifs des radiations et des refus d'inscription... Il est nécessaire que l'autorité administralivc lui fasse connaître les faits dans lesquels elle a cru remarquer l'existence de la fraude. »

Or, où sont les faits frauduleux constatés par autorités administratives ? Ne sont-ce pas les autorités administratives qui décident et maintiennent mon inscription sur les listes ?

L'honorable M. Crombez, rapporteur de la section centrale dans la loi sur les fraudes électorales, n'est pas moins catégorique, lorsqu'il dit dans son rapport :

« Dans les pays où les citoyens ont des convictions politiques diverses, vives et quelquefois passionnées, il importe de ne pas multiplier les poursuites du chef des délits élcctoraux, dont la recherche prêterait trop à l'arbitraire. Partant de ce principe, il n'y a lieu de punir les déclarations frauduleuses dont s'occupe l'article premier, que lorsque la bonne foi des déclarants a été au moins révoquée cn doute par l'autorité chargée de confectionner ou de réviser les listes électorales. La présomption grave qu'un délit a été commis existe alors, mais elle disparait évidemment si l'inscription a été admise par les tribunaux administratifs. »

Et plus loin :

« A quelque point de vue que l'on se place, on peut dire avec certitude que s'il est utile de poursuivre ceux dont les déclarations ont été repoussées comme renfermant des éléments de fraude, il serait dangereux de permettre d'agir en justice répressive contre les inscriptions admises par les tribunaux administratifs. »

Et l'honorable M. Bara, dans la séance du 7 mars 1867, parlant au Sénat, à propos de la loi sur les fraudes électorales, est plus catégorique encore si possible :

« Quel a été le but du projet ?

« Il s'agit d'une matière toute spéciale et fort délicate.

« On n’a pas voulu de délits douteux, sujets à controverse : et l'on a dit que, lorsqu'une demande d'inscription avait été admise par le collège échevinal et la députation permanente sans qu'on prouvât la fraude, on devait admettre qu'en réalité la fraude n'existait pas.

« ... La Chambre des représentants a cru que l'on devait admettrc que l'inseription n'était pas frauduleuse alors qu'elle avait subi le double contrôle de l'autorité communale et de la députation permanente. »

Or, non seulement le collège et la députation permanente mais aussi le conseil communal, c'est-à-dire trois autorités administratives, m'avaient inscrit ou maintenu sur les listes électorales.

En présence donc du texte et de l'esprit de la loi du 19 mai 1867, je vous le demande, messieurs, quel agent du parquet, quel agent impartial, non aveuglé par l'esprit de parti, aurait requis des poursuites répressives, les faits étant ce que vous savez qu'ils sont.

Il y a encore plus : l'administration communale m'avait inscrit d'office, Ce n'était donc que pour me mainlcnir sur les listes que j'aurais produit la pièce incriminée.

Or, pendant la discussion de la loi sur les fraudes électorales, il a été proposé au Sénat un amendement à l'article premier tendant à y insérer le mot « maintenir » après le mot « inscrire ».

« Quiconque pour se faire inscrire ou maintenir sur une liste d'électeurs, etc. »

Eh bien, cet amendement a été rejeté.

Or, on savait l'on devait savoir au parquet, que le collège m'avait inscrit d'office ; que, par conséquent, ce n'était que pour me « maintenir » sur les listes que j'avais produit la pièce incriminée.

Encore une fois, messieurs, je vous le demande, le parquet n'aurait-il pas, dans ces circonstances, dû s'abstenir de toute poursuite ?

Il ne s'abstient cependant pas ; et le 9 octobre, en pleine période électorale, le parquet me met en prévention.

Le soir même et le lendemain, tous les journaux appartenant à ce que l'on nomme encore, dans cette Chambre, l'opinion libérale et ce que nous appelons, à Anvers, l'opinion ministérielle, annonçaient à grands cris ma mise en prévention.

Vous croyez sans doute, messieurs, qu'immédiatement le parquet va s'occuper de la question de savoir si réellement la convcnlion alléguée dans l'écrit daté du 1er janvier 1866 existait ou n'existait pas à cette époque. Si le parquet voulait rechercher la vérité, c'était le point qu'il avait à examiner. C’est ainsi que le parquet de Termonde avait agi dans unc affaire identique, l'affaire de MM. Delrcz frères de Saint-Nicolas.

MM. Delrez s'adressent en 1866 à l'administration communale de Saint- Nicolas pour se faire inscrire sur les listes électorales. Ils produisent, à l'appui de leur demande, un acte d'association daté du 1er janvier 1858 et écrit sur un timbre de 1864.

L'administration communale de Saint-Nicolas voyant cette pièce dit : Voilà un acte écrit sur un papier qui n'existait pas la date que porte la pièce ; et elle transmet l'acte au parquet de Termonde.

Que fait ce parquet ? Il recherche, et c'était la seule chose à faire, si réellement la convention que constatait cet acte, existait au 1er janvier 1858 ; il fait inspecter les livres de MM. Dclrez et trouve que la convention d'association existait réellement et que l'écrit, rédigé postérieurement et antidaté ne faisait que constater une convention antérieure. Et la chambre du conseil décida qu'il n'y avait là ni contravention, ni crime, ni délit.

En conséquence, MM. Delrez furent renvoyés des poursuites. On alla plus loin : les journaux qui avaient accusé MM. Delrez frères d'avoir produit une pièce fausse, notatmnent la Patrie, de Bruges, fut condamnée à 4,500 francs de dommages-intérêts, en faveur des frères Delrez.

Vous devez croire certainement que le parquet d'Anvers a dû immédiatement se renseigner sur l'existence ou la non-existcncc de la convention relatée dans l'acte incriminé. Cet acte portait la date du 1er janvier 1866 comme étant celui de la convention qui établissait mes droits électoraux. Mais il était écrit sur un timbre qui, d'après une lettre de M. le ministre, n'aurait été envoyé en province qu'au mois de septembre 1866. N’est-ce pas sur l’existence ou la non-existence de la convention alléguée qu'auraient porté les recherches d'un parquet impartial ? Le parquet d'Anvers ne devait-il pas faire ce qu'avait fait le parquet de Termonde ?

Nul doute n'est possible ! Que fait cependant le parquet d'Anvers ?

A la date du 14 octobre, mon collaborateur l'avocat Rul est prié de faire parvenir à M. le juge d'instruction le bail qu'il avait fait avec la (page 360) propriétaire de la maison. M. Rul se rend personnellement chez M. le juge

A la date du 14 octobre, mon collaborateur l'avocat Rul est prié de faire parvenir à M. le juge d'instruction le bail qu'il avait fait avec la (page 360) propriétaire de la maison. M. Rul se rend personnellement chez M. le juge d’instruction et en lui remettant cette pièce, il veut lui remettre en même temps un extrait de son livre de caisse, indiquant les dates exactes auxquelles en 1866, en 1837, en 1868 et en 18G9 je lui avais fait les paiements des loyers convenus et stipulés dans l'acte prétendument simulé.

De ces payements de loyers et des déclarations ultérieures, mais surabondantes de M. Rul, résultait à l'évidence l'existence de la convention que j'avais produite et qui justifiait de mon droit électoral. Que répond-on à M. Rul ? Quand nous aurons besoin d'autre chose que des pièces vous demandées, on vous appellera. Et deux jours après, M. Rul, de témoin qu'il était, est mis également en prévention.

D'un témoin gênant, on fail un prévenu. Et voilà comment le parquet recherchait la vérité !

Le 16 octobre donc, M. Rul, de témoin qu'il était, devient prévenu. Moi j’étais en prévention depuis le 9.

Le 19 octobre, c'est-à-dire huit jours avant les élections communales, M. Varlet, substitut procureur du roi, demande à la chambre du conseil mon renvoi devant le tribunal correctionnel. La chambre du conseil, en présence d'un volumineux dossier dont la lecture exige plusieurs heures, rend immédiatement une ordonnance de renvoi. Et l'on m'assigne pour le 25, c'est-à-dire pour la veille des élections. Le soir même du 19, les journaux ministériels et des affiches placardées à profusion aux coins des rues annonçaient, en triomphe, mon renvoi devant le tribunal correctionnel.

Le 25 arrive ; je plaide moi-même ma cause, elle était bonne, je soutiens l'incompétence du tribunal correctionnel et demande à être renvoyé devant le jury, le délit mis à ma charge étant un délit politique.

M. le substitut Varlet, au lieu de rencontrer les arguments que j'avais produits, se contente de lire des conclusions écrites d'avance et rédigées en jugement comme s'il n'y avait plus, pour les juges, qu'à les accepter et à les signer. Je me hâte de le dire, messieurs, le tribunal refusa de se prononcer sur les bancs et remit l'affaire après les élections.

Le 29 octobre, le tribunal rendit son jugement et se déclara compétent. Appel fut interjeté le même jour et l'affaire, quant au fond, fut remise indéfiniment.

L'appel est donc pendant devant la cour, et c'est pour pouvoir continuer l'affaire que M. le procureur général demande votre autorisation.

Maintenant, messieurs, que vous connaissez les faits, et M. le ministre principal de la justice n'en contredira pas un seul, je vous le demande, avais-je tort, au début de mon discours ?

Ces poursuites inconcevables, dirigées contre moi d’une manière si étrange, sont-elles autre chose qu'une manœuvre électorale à laquelle certains agents du parquet ont prêté leur autorité formidable ?

Messieurs, en France, M. le ministre de la justice vient de déclarer qu'il n'entend pas que la magistrature se mêle d'une manière active aux luttes politiques.

En Belgique, pareille déclaration serait désirable de la part de notre honorable ministre de la justice.

Je sais que le gouvernement belge aime beaucoup, et beaucoup trop en bien des choses, à imiter la France.

Qu'il suive l'exemple donné par M. Ollivier et le pays lui en saura gré.

M. Dewandre, rapporteurµ. - Messieurs, j'ai examiné le dossier sur la même question que M. le procureur général près la cour de Bruxelles nous a transmis par l'intermédiaire de M. le ministre de la justice, et je vous déclare que, dans ma conviction, le parquet, en présence de ce dossier, aurait manqué à tous ses devoirs s'il n'avait pas poursuivi M. Coremans.

L'article premier de la loi du 19 mai 1867 sur les fraudes électorales est ainsi conçu :

« Quiconque, pour se faire inscrire sur une liste d'électeurs ou sur une liste d'éligibles au Sénat, se sera attribué frauduleusement une contribution dont il ne possède pas les bases, ou aura fait sciemment de fausses déclarations, ou produit des actes qu'il savait être simulés, sera puni d'une amende de 200,000 francs.

« Sera puni de la même peine, celui qui aura pratiqué les même manœuvres dans le but de faire inscrire un citoyen sur ces listes.

« Toutefois, la poursuite ne pourra avoir lieu que dans le cas où la demande d'inscription aura été rejetée par une décision devenue définitive et motivée sur des faits impliquant la fraude. »

Voilà le texte de la loi ; voici maintenant les faits.

En 1868. M. Coremans a été inscrit sur la liste électorale d'Anvers par l'administration communale de cette ville, comme payant les contributions d’une maison dont il aurait été le locataire.

Cette réclamation a provoqué une réclamation. La députation permanente a admis cette réclamation et elle a rayé, en 1868, M. Coremans de la liste électorale,

En 1869, l'administration communale d'Anvers a de nouveau inscrit M. Coremans parmi les électeurs communaux, comme locataire de cette même maison ; la députation permanente. a cette fois admis l'inscription de M. Coremans. Elle s'est fondée sur un bail passé en 1866, et duquel il résultait que l'avocat Rul, principal locataire de cette maison, l'avait sous-louée à M. Coremans.

Appel fut interjeté à la cour de Bruxelles de cette décision de la députation permanente.

Je vais maintenant, messieurs, vous donner lecture l'arrêt de cour ; vous rapprocherez le texte de cet arrêt de l'article de la loi que j'ai eu l'honneur de vous lire tout à l'heure, et vous verrez si, en présence des motifs de cet arrêt, le parquet ne devait pas continuer la poursuite.

Voici cet arrêt :

« Vu l'appel interjeté le 10 juillet 1869 par Dewever et signifié le lendemain à André-Edouard Coremans, avocat, membre de la Chambre des représentants, contre la décision de la députation permanente de la province d'Anvers, en date du 2 juillet 1869, qui maintient l'inscription de l'intimé sur la liste des électeurs communaux d'Anvers, appel fondé sur ce que l'intimé ne possède pas la base de la contribution personnelle, qu'il paye à raison d'une maison située à Anvers, rue Everdy, n°35 ; contribution dont l'avocat Rul est seul tenu en sa qualité de locataire principal de cette maison ;

« Vu les pièces produites ;

« Attendu que, pour détruire la présomption qui résulte en faveur de Coremans de inscription au rôle de la contribution personnelle en 1868 et 1869, et pour établir que cet intimé ne possède point la base de cet impôt, l'appelant soutient que l'avocat Rul a seul pris en location de la dame Delahaut, la maison rue Everdy, n°35 ;

« Qu'une clause expresse du bail interdit au preneur la faculté de sous-louer, sans l'agréation de la dame bailleresse, et qu'en juillet 1868, Coremans a, pour lui-même, sollicité de celle-ci cette agréation, qui lui a été formellement refusée ;

« Attendu que ces fait sont pleinement établis par les documents versés au procès :

« Attendu qu'à son tour, Coremans prétend qu'il est devenu locataire principal de la maison précitée, qu'il a produit, en 1869, à l'appui de cette allégation, un acte sous seing privé par lequel Rul, locataire principal de cette maison, comme le porte cet acte, l'a sous-louée à Coremans, moyennant un loyer de sept cent cinquante-cinq francs, plus les contributions personnelles, en se réservant son bureau au rez-de-chaussée ;

« Attendu que cet acte, daté du premier janvier mil huit cent soixante-six, est écrit sur certain timbre de quarante-cinq centimes au filigrane de 1866, qui, d'après des renseignements émanés de l'administration des finances, n'a dû être mis en circulation qu'à partir du mois de septembre 1866, de sorte qu'au jour de la date du bail, le timbre sur lequel ce bail est écrit n'était pas encore à la disposition de Rul et de Coremans ;

« Attendu que l'état matériel de cet acte prouve donc à l'évidence qu’il est antidaté ; qu'il est en outre à remarquer qu'il n'y a pas de traces de cet acte dans les décisions intervenues en 1868 entre Coremans et Bosiers sur la même question que celle du litige actuel ; qu'on ne comprend que Coremans aurait négligé d'invoquer une telle pièce s'il avait déjà pu le faire à cette époque ; qu'il est donc rationnel de croire que cet acte, produit seulement en mai 1869, n'existait pas en 1868 et que, sous ce rapport, Coremans ne peut en argumenter vis-à-vis de l'appelant pour l'exercice 1868 ; que dans tous les cas, d'ailleurs, Coremans ne peut ici se prévaloir d'une sous-location que, dans les conditions prérappelées, Rul n'avait pas le droit de lui concéder ;

« Attendu que l’acte prémentionné se trouvant ainsi écarté, il y a lieu, aujourd’hui comme en 1868, de décider que si Coremans, après avoir été naguère stagiaire de l'avocat Rul, continue à travailler avec son ancien patron dans les bureaux de la maison rue Everdy, n°35, c'est ce dernier qui doit être réputé le principal locataire, et le principal occupant de cette maison dont il est preneur et où il a ses bureaux ;

« Attendu qu'en faisant inscrire le 20 juillet 1869, comme domicilié rue Everdy, n°35, Coremans n'a point par là changé le caractère et les conséquences fiscales de l'occupation de Rul ;

« Attendu que cette même occupation n'a pas non plus été modifiée par la circonstance qu'en 1867 Coremans a fait assurer des livres et autres objets placés dans la maison dont il s’agit ;

« Attendu, en conséquence, que d’après la combinaison des articles 6, 28 et 7 de la loi du 28 juin 1822 celui qui occupe une maison à titre principal (page 361) est seul tenu de l’impôt, sauf son recours contre les occupants secondaires, s'il y a lieu ; que c'est l’impôt ; tel qu’il est dû à l'Etat, qui règle la capacité électorale ; qu'ainsi dans l'espèce, c'est l'avocat Rul et non Coremans qui doit être considéré comme possédant la base de l’impôt mis au nom de ce dernier ;

« Attendu que. dans les circonstances de la cause, la collaboration qui est posée en fait par Coremans, n'est pas de nature à changer la qualité qui vient d'être reconnue à Rul et que dès lors la preuve offerte par l'intimé est irrelevante ;

« Par ces motifs :

« La cour. ouï M. le conseiller Maus, en son rapport fait l'audience publique, sans s'arrêter à la preuve offerte des faits articulés par l'intimé, lesquels faits sont déclarés irrelevants ;

« Met au néant la décision dont il est appel ; émendant, dit que Coremans (André-Edouard) sera rayé de la liste des électeurs communaux de la ville d'Anvers pour l'année 1800 soixante-neuf. »

Vous le voyez donc : la cour déclare que M. Coremans ne possède pas la base du cens électoral, qu’il n'est pas locataire de la maison dont il s'agit. L'arrêt constate, en outre, que M. Coremans, pour prouver ce fait que la cour n'admet pas, a produit un acte antidaté ; le filigrane du timbre l'établit, et cela n'est pas contesté.

En présence de ces deux faits et des termes de la loi de 1867, il était impossible, je le répète, au ministère public de ne pas déférer aux tribunaux répressifs l'appréciation de cette affaire.

M. Jacobsµ. - Messieurs, l'honorable rapporteur vient de vous faire connaître certains faits à la suite desquels, d'après lui, le parquet ne pouvait pas ne pas agir. Je demanderai à l'honorable rapporteur si les faits qui ont été lus par l'honorable M. Coremans, ces décisions du conseil communal d'Anvers constatant des signatures fausses, des signatures faites par une main autre que celle de la personne à laquelle on la prêtait, n'étaient pas des faits certainement plus graves et justifiant infiniment plus des poursuites que le fait de M. Coremans ?

Il y a eu un grand nombre de faits qui se sont passés à propos de la révision des listes électorales, un grand nombre de faits qui avaient des apparences de gravité. Il n'y a eu qu'une seule poursuite ; c'est celle-ci.

Quant au fait reproché à l'honorable M. Coremans, je comprends, comme l'honorable membre, qu'une instruction fût ouverte.

Je comprends qu'on allât rechercher où est la vérité. Je comprends qu'on allât rechercher si cette déclaration de la propriétaire, dont la fausseté a été prouvée par l'instruction, était exacte ou non. J'aurais compris une instruction allant voir si la convention verbale avait été faite à l'époque que lui donnait l'honorable M. Coremans. J'aurais compris une instruction vérifiant tout cela. Mais c'est que l'instruction n'a pas porté sur ces points. On n'a pas cherché à les vérifier ; et il est certain que si la convention verbale avait été faite à l'époque indiquée, l'honorable M. Coremans pas plus que les frères Delrée n'auraient pu être l'objet d'aucun reproche.

Messieurs, un honorable membre très respecté de cette Chambre, l'honorable M. Vilain XIIII, disait au commencement de cette séance : La première fois que j'irai à la campagne, je signerai avec mes fermiers des baux qui portent la date du 31 septembre. Va-t-on, accuser l’honorable vicomte Vilain XIIII d'une fraude électorale, parce que les baux portant cette date n'auront été signés que plus tard ? Et les timbres de ces baux portant la date de 1869, n'ayant été mis en circulation qu'au mois d'octobre, viendra-t-on dire qu'il y a là une preuve de fraude ? je ne comprends pas des poursuites basées sur de pareils motifs.

Du reste, comme l'a dit l'honorable M. Coremans, il n'avait qu'à établir ici des faits qui sont étrangers à la poursuite inique qui est intentée contre lui. Ce but, il l’a atteint. Il a maintenant un autre but à atteindre, c’est de se disculper du fond de l'accusation. Pour cela, il demande à comparaitre devant les tribunaux. Il demande même à comparaitre devant le jury pour être jugé par ses pairs, et c'est pour cela que je me joins à lui pour vous demander que vous autorisiez la continuation des poursuites ou que vous adoptiez l'interprétation constitutionnelle de l'honorable M. Hymans afin que la justice puisse suivre son cours.

MjBµ. - J'ai peu de chose à dire après l'exposé fait par l'honorable rapporteur de la section centrale. Le parquet est, par cet exposé, vengé contre toutes les attaques dirigées contre lui et il aurait manqué à ses devoirs s'il n'avait pas poursuivi le fait qui lui était indiqué.

L'honorable M. Jacobs prétend qu'on a poursuivi M. Coremans seul et que c'est un acte politique. Mais il y a eu dans le pays un grand nombre de poursuites. L'honorable M. Jacobs dit : Pourquoi n'a-t-on pas poursuivi tel et tel électeur rayé par la députation permanente ou par le conseil communal d'Anvers ? Oserait-il affirmer que ces électeurs sont coupables.

M. Jacobsµ. - On aurait dû au moins Instruire.

MjBµ. - Qui vous dit que l'on n'a pas instruit et que la simple lecture des pièces n'a pas établi qu'il n’y avait pas lieu à des poursuites ? Et puis, doit-on toujours instruire, lorsqu'il n'y a pas apparence de délit ? Cela n'est pas possible ; et vous, M. Jacobs, qui vous montrez si léger en reprochant à des citoyens d'avoir eu recours à des faux, à des fraudes pour se faire inscrire sur les listes électorales, êtes-vous à même de prouver vos allégations ? Avez-vous la preuve du délit que vous les accusez, en pleine Chambre, d'avoir commis ? Qu'en savez- vous ? Vous n'avez pas les pièces.

Au surplus, il n'est question que des poursuites contre M. Coremans ; la Chambre n'est pas saisie d'autre chose. Et à propos de cela, vous venez dire que le parquet a manqué à ses devoirs ; mais vous ne précisez rien ; vous ne prouvez rien ; vous reprochez au parquet d'avoir agi tardivement, mais vous oubliez une chose : c'est que les affaires où la peine de l'emprisonnement ne peut être prononcée ne se plaident pas pendant les vacances judiciaires ; la cause ne devait être introduite qu'à la rentrée et c'est ce qui s'est fait.

Ne venez donc pas accuser le parquet : le parquet s'est conduit dans cette affaire très justement, très convenablement. Et vous devriez pas soutenir cette thèse que si un député commet un délit il doit échapper à la répression.

M. Wasseigeµ. - Nous ne voulons pas deux poids et deux mesures.

MjBµ. - Vous le soutenez en disant que rien que le fait des poursuites est un acte de parti. car quel serait votre rôle si M. Coremans était condamné ? Vous devriez reconnaître que si le parquet n'avait pas poursuivi, il aurait manqué à son devoir.

Eh bien, messieurs, est-ce par esprit de parti que la cour a ordonné la radiation de M. Coremans de la liste électorale ? Mais si vous appréciez ainsi les décisions de la justice, nous pourrons dire nous que c'est par esprit de parti que le conseil communal et la députation permanente ont inscrit M. Coremans sur la liste des électeurs.

Dans un pareil système, il n'y a plus que des récriminations, et c'est malheureusement, ainsi que je l'ai déjà signalé, la tendance du parti catholique ; il poursuit d'un dénigrement systématique les hommes et les institutions qui le gênent et chaque fois qu'il trouve un de ses intérêts contrarié par une loi ou par les fonctionnaires publics qui exécutent la loi, il crie à la persécution.

Pour ma part, aussi longtemps que ce système de dénigrement et d’accusation sera mis en pratique, je ne cesserai de faire entendre mes protestations.

M. de Theuxµ. - Je n'hésite pas à déclarer que je voterai l'autorisation de poursuivre. C’est dans l'intérêt de M. Coremans ; il doit pouvoir prouver qu'il n'y a eu, de sa part, ni mauvaise foi ni délit.

Je ne puis pas admettre l'opinion de M. le ministre de la justice que le parquet exerce partout ses fonctions avec une grande impartialité. J'ai signalé un jour dans cette Chambre, ainsi que l'honorable M. Thonissen, ce fait-ci :

On avait distribué, en faveur d'une liste électorale, un imprimé sans nom d’imprimeur, et cette liste a été saisie. Mais le même jour, à la même heure, on tolérait une distribution de la même nature faite sur une échelle beaucoup plus vaste.

MjBµ. - Où cela s'est-il passé ?

M. de Theuxµ. - Cela s'est passé il y a plusieurs années. Je l'ai signalé dans le temps. L'auteur de ces différentes manières d'agir...

M. Thonissenµ. - Il est mort.

M. de Theuxµ. - C'était de notoriété publique dans tout le Limbourg et notamment dans la ville de Hasselt. J'ai signalé les faits et aucune justification n'a été présentée ni alors ni plus tard.

J’ai signalé le grave danger, au point de vue électoral, de l'intervention de beaucoup de fonctionnaires publics qui, quelquefois, montrent un grand zèle. Je suis loin de dire que le gouverneur ait donné des instructions dans ce sens, mais les fonctionnaires montrent un grand zèle, croyant par là obtenir des titres à l'avancement.

Voilà ce que j'ai dit et je vois augmenter tous les jours ma conviction du danger de l’immixtion des fonctionnaires publics dans les affaires électorales.

M. Teschµ. - Messieurs, tantôt, lorsque l'honorable ministre de la justice a pris la parole sur l'incident, il avait commencé à nous faire connaître son opinion sur la question de droit qui préoccupe la Chambre : la question de savoir si la Chambre devait autoriser la poursuite ou si, en (page 362) vertu du dernier paragraphe de l’article 45, la poursuite devait être continuée du moment où la Chambre ne demandait pas qu’elle fût suspendue.

Je ne suis pas complétement éclairé sur ce point, et je désire entendre M. ministre à ce sujet. De ce qu’il nous dira peut dépendre, à mon avis, la formule que la Chambre devra adopter pour sa décision.

MjBµ. - Messieurs, ma réponse à l'honorable M. d" Theux sera très courte.

Le fail auquel il vient de faire allusion ne concerne pas mon administration. Par conséquent, je ne puis être impliqué dans le grief formulé par l’honorable membre.

De plus, s'il veut préciser, je ferai prendre des renseignements. Vous prétendez que la magistrature se mêle de politique. Je le dénie formellement.

Vous dites qu'elle a deux poids et deux mesures, qu'elle poursuit les catholiques et non les libéraux.

Je vous demande de citer des faits.

Vous ne répondez pas.

J'affirme que le gouvernement n'a donné son opinion dans aucune demande de poursuites, relativement à des fraudes électorales. Il a laissé liberté entière aux parquets d'agir comme ils l'entendaient,

M. Wasseigeµ. - Cela suffisait.

MjBµ. - Si vous ayez des griefs, faites-les connaître. Je ne fuis pas le débat. Je déclare que si des fonctionnaires ont empêché des poursuites contre des libéraux, j’agirai contre eux avec sévérité si les faits sont prouvés.

Précisez donc vos accusations et nous répondrons. Mais ce sont toujours les mêmes attaques. Quand on nous accuse de faire des nominations politiques et quand nous demandons la discussion sur nos actes et sur ceux de nos adversaires, on ne dit plus rien et l'on recule.

Quand on prétend que les actes du parquet sont inspirés par la politique et quand nous sommons nos adversaires de discuter ces actes, ils battent en retraite. Voilà ce que le pays doit savoir. (Interruption.)

Messieurs, je n'ai que quelques mots à dire au sujet de la question sur laquelle M. Tesch a demandé quelques explications.

Le gouvernement, messieurs, lorsqu’il a été saisi de la demande du procureur général près la coup d'appel de Bruxelles, a examiné cette question. Mais le gouvernement était pressé par le temps.

M. le procureur général avait demandé l'autorisation le 15 janvier ; sa lettre ne nous a été remise que le lundi suivant ; nous n'avions que quelques jours devant nous, nous n'avons pu examiner que très sommairement le point de droit. Je dois le dire, l'opinion de mes fonctionnaires a été qu'il ne fallait pas d'autorisation lorsque la poursuite avait commencé avant l'ouverture de la session législative.

Mais des objections pouvaient être présentées contre cette opinion et l'on ne trouve pas, dans les discussions du Congrès, des explications décisives.

La question était donc de savoir si, dans le doute, nous devions autoriser le procureur général à agir ou déclarer qu’il n'y avait pas lieu de demander l'autorisation.

Si nous déclarions qu'il n'y avait pas lieu de demander l'autorisation, le pouvoir judiciaire pouvait décider, dans son indépendance, que l'autorisation était nécessaire et alors la prescription venait éteindre la poursuite. Nous ne voulions pas assumer une pareille responsabilité et nous ayons écrit au procureur général que tout en réservant notre opinion sur la question de droit, nous lui laissions la liberté de demander l'autorisation de continuer les poursuites.

J'ai donc appelé son attention sur la question. Le procureur général a sans doute jugé qu'il ne pouvait pas trancher le doute dans le sens de l'absence de demande d'autorisation, qu'il ne pouvait pas accepter la responsabilité de la prescription et il a adressé à la Chambre la dépêche sur laquelle nous délibérons.

Maintenant, en droit, il est clair que si on ne lit que la dernière partie de l'article 45, il ne faut pas d'autorisation lorsque les poursuites sont commencées avant la session, Mais on pourrait faire une objection. Comment ce paragraphe est-il conçu ?

« La détention ou la poursuite d'un membre de l'une ou de l'autre Chambre est suspendue pendant la session et pour toute sa durée si la Chambre le requiert. »

Cet article ne distingue pas si la poursuite a été commencée avant ou pendant la session, mais il donne à la Chambre le droit de requérir la suspension des poursuites ou de la détention. Or, cela peut arriver dans deux cas.

En cas de flagrant délit, la justice a le droit de poursuivre sans autorisation. mais la Chambre peut requérir la suspension de la poursuite ou de la détention. Ou bien la Chambre a autorisé des poursuites ou l'arrestation, et des circonstances spéciales se présentant, elle requiert la suspension des poursuites ou de la détention.

Il y a donc deux cas où le paragraphe final de l'article 45 peut recevoir son application en dehors de l'hypothèse où les poursuites auraient été commencées avant l'ouverture de la session. Eh bien, dans cette situation, je dois le dire franchement, je suis d’avis qu'il convient d'étendre les prérogatives parlementaires plutôt que de les restreindre. En effet, quel est le but de l’immunité qui nous est accordée de ne pas pouvoir être poursuivis pendant la durée de la session sans l'autorisation de la Chambre ? C'est de nous mettre à même de remplir notre mandat.

Eh bien, que les poursuites soient commencées avant la session ou qu'elles aient lieu pendant sa durée, la raison n'est-elle pas la même ? Evidemment ; et s'il y a le moindre doute, devons-nous pas trancher la question en faveur de nos prérogatives ? Car, si l'on admettait la thèse qui a été soutenue et si un député avait été arrêté, il ne serait plus libre au commencement de la session ; il faudrait, pour le mettre en liberté, une résolution de la Chambre requérant la suspension de détention.

En présence da doute, je crois qu'il vaut mieux autoriser les poursuites.

M. Dumortierµ. - Depuis quarante ans que la Constitution est faite, c'est la première fois qu'une demandé de poursuites est faite à cette assemblée contre un de ses

- Un membre. - C'est une erreur.

M. Mullerµ. - Il y en a eu une autre.

M. Dumortierµ. - Oh ! pas dans les mêmes conditions.

Si un membre venait dire: J'ai besoin de me justifier devant les tribunaux ; je demande à la Chambre de pouvoir ester en justice, je n'hésiterais pas un seul instant à accorder l'autorisation.

- Une voix à gauche. - Le membre en cause l'a demandé.

M. Dumortierµ. - Laissez donc. Mais ici qui prend l'initiative ? C'est le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles.

Eh bien, messieurs, cela me suffit pour me décider à refuser la demande d'autorisation de poursuites. Ne vous faites pas illusion, messieurs ; pareille solution, surtout après les discours qui ont été prononcés, notamment par l'honorable rapporteur, aurait ou moins pour effet de préjuger la décision sur le fond.

- Voix à gauche. - C'cst précisément ce qu'on a dit tout à l'heure.

M. Bouvierµ. - Pourquoi M. Coremans a-t-il voulu discuter le fond ? (Interruption.)

M. Dumortierµ. - Je le répète, messieurs, la demande de poursuite émanant de l'initiative des membres en cause, je l'admets parfaitement ; mais je ne puis pas l'admettre quand elle émane de l'initiative du ministère public. Je me rappelle parfaitement ce qui s'est passé il y a une bonne vingtaine d'années: on avait répandu le bruit que le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles se proposait de présenter une demande de poursuite contre M. Verhaegen. Eh bien, un de mes honorables amis, nu cœur généreux et vraiment patriotique, est venu déclarer qu'il protesterait contre une pareille demande et qu'il prendrait des mesures pour l'empêcher de parvenir jusqu'à nous, Ce membre, c'est l'honorable vicomte Vilain XIIII.

MjBµ. - La demande d'autorisation a été faite.

M. Dumortierµ. - Oui, mais elle n'a pas été accueillie ; la Chambre pas voulu livrer un de ses membres au parquet et elle a eu parfaitement raison. La Chambre ne doit pas, pour des choses légères, autoriser la poursuite de ses membres ; et je suis convaincu, avec l'honorable M. Jacobs, qu'il y a ici quelque chose qui n'est pas juste, quelque chose qu'on ne peut pas assez qualifier.

Est-il concevable, en effet, que sur cinq ou six personnes qui étaient dans le d'être poursuivies on n'en ait choisi qu'une seule, qui est précisément l'honorable M. Coremans ?

Mais il y a quelque chose de plus grave et qui domine tout ce débat, c'est l'immunité parlementaire que nous avons reçue des auteurs de la Constitution et que nous devons transmettre intacte à nos successeurs.

Dans une pareille situation, je voterai contre la proposition de continuer les poursuites.

- Plusieurs membres. - La clôture !

- La clôture est prononcée.

MpDµ. - Nous sommes en présence de quatre propositions.

(page 363) Nous avons d'abord la proposition de M. Lelièvre, posant la question préalable modifiée ; nous avons ensuite la proposition de M. Hymans. ayant à peu près le même caractère, mais qui ajoute quelques mots relativement à l'interprétation qu'il donne l'article 45 de la Constitution ; en troisième lieu, il y a la proposition première de la section centrale, et. enfin il y a la proposition amendée par son rapporteur, qui consiste à ajouter les mots « pour autant que de besoin ».

Je mets aux voix la proposition de M. Lelièvre, ainsi conçue :

« La Chambre, vu le paragraphe final de l'art. 45 de la Constitution, déclare qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur la demande du procureur général près la cour d'appel de Bruxelles ».

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

- L'appel nominal est demandé.

M. Teschµ. - Ceux qui pourront avoir des doutes sur la manière dont Il faut interpréter l'article 45, paragraphe final de la Constitution, repousseront la question préalable.

- De toutes parts. - C'est cela. président.

MpDµ. - Il est donc entendu que cela ne peut avoir une autre portée.

- Il est procédé à l'appel nominal.

87 membres sont présents.

72 membres répondent non.

14 membres répondent oui.

1 (M. Liénart) s'abstient.

En conséquence, la Chambre n'adopte pas la question préalable.

Ont répondu non : NM. Lippens, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Pirmez, Preud'homme, Reynaert, Rogier, Sainctelette, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, E. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Merris, Van Wambeke, Verwilghen, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Watteeu, Allard, Bara, Beke, Bieswal, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Castilhon, Coremans, Couvreur, de Baillet-Latour, de Breyne-Dubois, de Brouckere, De Clercq, De Fré, de Kerchove de Denterghem, Eugène de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Macar, de Montblanc, de Naeyer, de Rongé, Descamps, de Terbecq, de Theux, Dethuin, de Vrière, Dewandre, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hayez, Hymans, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Le Hardy de Beaulieu et Dolez.

Ont répondu oui : MM. Magherman, Notelteirs, Schollaert, Vander Donckt, Vermeire, Visart, Wouters, Carlier, de Muelenaere, de Vrints, Dumortier, Kervyn de Lettenhove, Lefebvre et Lelièvre.

M. Liénartµ, qui s'est abstenu, motive son abstention en ces termes. - J'ai cru devoir m'abstenir, parce que je ne suis pas fixé sur le sens de l'article 45 final de la Constitution.

MpDµ. - Je mets aux voix l'ordre du jour proposé par M. Hymans.

M. Hymansµ. - Je vois que tout le monde professe des doutes graves au sujet de l’interprétation de l’article 45, paragraphe final de la Constitution ; mais on a fait valoir tout à l'heure un argument sérieux. à savoir que la justice pourrait ne pas admettre l'interprétation de la Chambre. Je ne veux pas exposer la Chambre à être désavouée devant les tribunaux.

Dans cet état de choses, je retire mon ordre du jour, pour me rallier l'amendement de l’honorable M. Dewandre aux conclusions de la section centrale, amendement consistant à autoriser les poursuites, « en tant que de besoin ».

- La proposition de M. Dewandre est adoptée par assis et levé.

Les conclusions de la section centrale, ainsi modifiées, sont adoptées.

MpDµ. - Je crois cependant qu'Il y a lieu de procéder un vote par appel nominal sur la proposition d'être adoptée par assis et levé.

- Voix nombreuses. - Oui ! oui !

MpDµ. - Il en sera ainsi.

- Il est procédé au vole, par appel nominal, sur la proposition de M. Dewandre.

86 membres y prennent part.

68 répondent oui.

18 répondent non.

En conséquence la Chambre adopte.

Ont répondu oui :

MM. Liénart, Lippens, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Notelteirs, Orban, Pirmez, Preud'homme, Reynaert, Rogier, Sainctelette, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Ernest Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Merris, Van Wambeke, Verwilghen, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Watteeu, Allard, Bara, Beke, Bieswal, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Castilhon, Coremans, de Baillet-Latour, de Breyne-Dubois, de Brouckere, de Clercq, De Fré, de Kerchove de Denterghem, Eugène de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Macar, de Naeyer, de Rongé, Descamps, de Terbecq, de Theux, de Vrière, Dewandre, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Gumery. Hayez, Hymans, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, Jonet et Le Hardy de Beaulieu.

Ont répondu non :

Visart, Wouters, Carlier, Couvreur, de Montblanc, de Muelenaere, Dethuin, de Vrints, Dumortier, Kervyn de Lettenhove, Lefebvre, Lelièvre et Dolez.

MpDµ. - Je propose maintenant de mettre en tête de notre ordre du jour de demain deux prompts rapports et de procéder immédiatement après à la discussion du titre des Sociétés.

- Adopté.

- La séance est levée à 5 heures.