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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 28 janvier 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 368) M. Dethuinµ procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

M. Wasseigeµ. - J'ai vu, messieurs, que mon nom se trouvait compris dans le résultat de l'appel nominal parmi ceux qui avaient voté en faveur de l'autorisation des poursuites contre notre collègue, M. Coremans. Si réellement j'ai voté dans ce sens, cela n'a pu avoir lieu que par inadvertance. Mon intention était bien de voter contre cette demande et je désire que la déclaration que je fais en ce moment puisse servir de rectification à ce vote.

MpMoreauµ. - Malgré la déclaration que vient de faire M. Wasseige, il n'y a pas lieu de modifier la rédaction du procès-verbal.

Pièces adressées à la chambre

M. de Vrintsµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Baileux demandent une enquête sur des faits relatifs aux élections communales du 31 octobre dernier. »

- Renvoi la commission des pétitions.


« Les bourgmestres du canton de Beeringen présentent des considérations en faveur du tracé du chemin de fer projeté entre Diest et le camp de Beverloo, qui traverserait le centre du canton de Beeringen. »

M. Hagemansµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Les exploitants du bassin houiller du Centre demandent la réduction des péages sur les canaux d'embranchement du canal de Charleroi. »

M. Bruneauµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

M. Sabatierµ. - Une pétition ayant exactement le même objet a été renvoyée à la commission de l'industrie. Je demande que la Chambre prenne la même résolution au sujet de la requête qui vient d'être analyser.

M. Bruneauµ. - Il y a près d'un an que le gouvernement a opéré le rachat des embranchements du canal de Charleroi dans le but d'abaisser le tarif des péages. Ce but n'a pas encore été atteint ; nous désirons savoir pour quel motif le gouvernement n' apas encore, depuis lors, appliqué l'abaissement du tarif sur les embranchements du canal de Charleroi et quand il pourra l'être. C’est à ce point de vue que je demande un prompt rapport.

- Les propositions de MM, Bruneau et Sabatier sont adoptées.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. de Brouckereµ, au nom de M. Jouret, M. Moutonµ, de Bouvierµ et Thienpontµ déposent divers rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire.

Proposition de loi relative à la composition de cens provincial et communal

Rapport de la section centrale

M. Sabatierµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner la proposition de M. Delcour sur la composition du cens provincial et du cens communal.

- Ces rapports seront imprimés, distribués et les objets qu'ils concernent mis à l'ordre du jour.

Motions d’ordre

M. Bouvierµ. - J'ai l'honneur, à l'occasion du budget de la guerre pour l'exercice 1871, de demander à l'honorable ministre de la guerre s'il n'était pas dans sa pensée de rapporter l'arrêté du 15 avril 1855, fixant la limite d'âge pour la mise à la retraite des officiers de l'armée.

J’ai exposé les motifs qui me paraissaient devoir le porter à reculer de deux ans le terme auquel les officiers sont mis à la retraite. J'ai ajouté que la réalisation de cette mesure offrirait au trésor public, sans atteindre les contribuables, une ressource précieuse pour augmenter la pension des officiers actuellement en retraite.

L'honorable ministre a bien voulu me promettre d'examiner cette demande avec la plus grande bienveillance.

Je sais qu'une commission a été instituée au département des finances pour se livrer à une étude sérieuse sur l'augmentation de ces pensions ; je désire également savoir si elle a terminé son travail et, en cas d’affirmative, quelles sont ses conclusions ?

MgRµ. - Messieurs, ainsi que vient de le dire l'honorable membre, une commission a été instituée par M. le ministre des finances pour examiner le mémoire que je lui ai remis sur les pensions militaires. Cette commission es' à l'œuvre ; lorsque son rapport sera fait, nous l'examinerons en conseil, et nous verrons quelles conclusions on doit en déduire. Ces conclusions vous seront soumises.

La question de la prolongation du temps de service, soulevée récemment par la Chambre, a été l'objet de mes préoccupations ; c'est une question très grave, qui ne peut pas être résolue à la légère, qui doit faire l'objet d’un examen long et consciencieux.

Elle tient pour ainsi dire aux entrailles de l'armée ; de sa solution dépendent la bonne constitution, la force, le bon esprit des cadres. Il est impossible de modifier du jour au lendemain un état de choses établi, et de croire qu'on peut indifféremment prolonger de deux ou trois ans le temps de service.

Je crois cependant devoir présenter quelques considérations qui feront voir combien la matière est délicate.

Les admissions à la pension, quand elles ne sont pas soumises à des règles fixes, excitent d'ordinaire, dans l'armée, de très graves préoccupations. Lorsque en France, comme en Belgique, on pensionnait les officiers alors seulement qu'on les jugeait incapables de rendre de bons services, il était bien peu d'officiers qui se rendissent justice et qui convinssent qu'effectivement ils n'avaient plus assez de vigueur pour supporter les fatigues de la guerre.

Il arrivait aussi que, grâce des sollicitations et à des suggestions de toute nature, on prolongeait la carrière d'hommes devenus invalides. De là le favoritisme. L'esprit de l'armée en était notablement ébranlé. Chacun se plaignait, redoutait sa mise à la retraite et criait à l'injustice lorsqu'elle lui était notifiée.

En France, on a voulu mettre fin aux convoitises, au favoritisme et aux mécontentements de tous genres en adoptant une limite d'âge. Comment fallait-il l'établir ? Evidemment on n'a pas pu prendre pour base l'exception.

Il y a des hommes qui, doués d'une constitution très robuste, peuvent servir longtemps ; d'autres, au contraire, vieillissent prématurément. On a donc pris pour limite moyenne l’âge auquel d'ordinaire l'homme n'est plus capable de rendre des services efficaces.

Dans notre pays, nous avons reconnu la nécessité d'adopter le même système, et la limite d'âge des officiers subalternes a été fixée à 55 ans.

Cette limite n'est-elle pas assez étendue ? Faut-il ajouter un an ou deux ans au temps de service des officiers ?

Si nous en jugeons par ce qui s'est produit lors de la guerre de Crimée, elle devrait, au contraire, être restreinte, car beaucoup d' capitaines français furent éloignés des bataillons de guerre, et cependant les officiers subalternes sont pensionnés en France plus tôt qu'en Belgique.

(page 369) Un fait analogue a pu être constaté dans notre armée en 1859.

On se rappelle que, pendant la guerre d'Italie, il y eut un moment où la Prusse, craignant l'invasion du territoire de la Confédération germanique, donna l'ordre de mobiliser quelques-uns de ses corps d’armée. La guerre menaçait d'éclater sur le Rhin et le gouvernement belge, fortement préoccupé de la mise éventuelle de l'armée sur le pied de rassemblement, demanda des renseignements sur l'aptitude physique des officiers pour satisfaire aux exigences du service en campagne.

Il fut établi que, bien qu'ils n'eussent pas atteint l'âge de la retraite, 156 officiers étaient incapables de supporter les fatigues de la guerre. Dans ce nombre, se trouvaient 137 officiers d'infanterie. Il faut y ajouter 55 officiers qui demandèrent spontanément à être pensionnés, total 211, sans compter les officiers qui devaient être mis à la retraite en vertu des prescriptions existantes.

Telle est la situation qui s'est produite sous l'empire de l'arrêté de 1855, et ceci, veuillez-le remarquer, messieurs, quatre ans seulement après la promulgation de celui-ci.

Cette situation ne serait-elle pas fortement aggravée si nous gardons les officiers en activité plusieurs années de plus ? Voilà la question qu'il s'agit d’examiner mûrement. Car, messieurs, si le pays fait de grands sacrifices entretenir une armée, ce n’est pas pour y maintenir des quasi-invalides, hors d'état de rendre aucun service réel lorsque le moment d'agir sera venu.

On reconnaîtra que l’arrêté de 1855 a posé des limites extrêmes si l'on envisage ce qui se passait auparavant, alors que l'on conservait les officiers aussi longtemps qu'ils pouvaient être utilisés, mais aussi qu'on les pensionnait dès qu'on les considérait comme incapables.

M. Bouvierµ. - C'était comme en Prusse.

MgRµ. - Je vous dirai tout à l'heure ce qui se fait en Prusse.

En Belgique, avant 1855, un certain nombre de capitaines doués d'une aptitude physique exceptionnelle furent maintenus en activité jusqu'à l'âge de 59 ans, mais en revanche, on se montrait beaucoup plus sévère envers ceux qui n'étaient plus capables de rendre des services et on les pensionnait au moment même où l'incapacité était reconnue.

C’était là, messieurs, je le reconnais, un système logique ; mais il était moins favorable au trésor que le système actuel.

En effet, il résulte d'un travail remarquable de M. Liagre, communiqué à la Chambre en 1859, que les généraux de division n'arrivaient qu'à l'âge moyen de 62 ans 5/10 au lieu de 65 ans ; les généraux de brigade à l'âge moyen de 59 ans au lieu de 63 ans ; les colonels à 58 ans 2/10 au lieu de 60 ans ; enfin les capitaines à 53 ans 1/10 au lieu de 55 ans.

On voit donc que si l'on consentait à subir les inconvénients et les difficultés de ce système rationnel qui consiste à mettre à la pension ceux qui ne peuvent plus servir efficacement et à conserver ceux qui sont encore aptes à supporter les fatigues de la guerre, on obtiendrait une limite d'âge moyenne moins élevée que celle qui a été fixée par l'arrêté de 1855.

Ce n'est pas seulement dans l'armée belge et dans l'armée française que l'on a adopté une limite d’âge. Les armées autrichiennes et italiennes après la guerre se sont empressées d'adopter ce système, parce que, au moment de leur entrée en campagne, elles s'étaient trouvées en présence d'une masse de non-valeurs qui avaient été une cause sérieuse d'embarras. ces décisions sont récentes et datent seulement de 1867 et de 1865. Là les limites adoptées sont encore inférieures aux nôtres, et c'est dans l'armée belge que l'âge moyen des officiers reste le plus élevé.

On a parlé de la Prusse et on a dit que là il n'y a pas de limite d’âge ; cela est vrai, mais les officiers ont des avantages dont les nôtres ne jouissent pas.

Ainsi, après quinze ans de service, tout officier a droit de demander un emploi civil ; et beaucoup d'entre eux en obtiennent.

En Belgique, les officiers ne peuvent demander leur pension pour ancienneté que lorsqu'ils ont 40 ans de service.

En Prusse et dans d'autres Etats, on a le droit de la demander après 30 ou même 25 et 20 années de service.

Chez nous cette faculté ne séduit pas beaucoup d'officiers parce que les pensions sont minimes ; mais en Prusse, par exemple, où les pensions sont relativement très élevées, l'officier, même jeune encore, s'empresse de prendre sa retraite dès qu'il en a le droit, parce qu'il y a peu de différence entre le montant de sa pension et son traitement d'activité.

Si l'on joint à cela que les officiers prussiens jouissent d'un privilège pour l'obtention d'emplois civils, on comprendra aisément qu'une foule d’officiers disparaissent et que les commandants de bataillon et de compagnie soient moins âgés en Prusse que chez nous, bien qu'il n'y ait pas pour eux de limite d'âge légale.

J'ai eu sous les yeux un rapport du commandant du 11ème ligne, datant de 1859, où il est dit que l'âge moyen des capitaines de régiment est de cinquante ans et que plusieurs d'entre seraient incapables de faire campagne.

Qu'arriverait-il donc si, prolongeant la limite de deux ans, la moyenne d'âge des capitaines s'élevait à cinquante-deux ans au lieu de cinquante ans ?

Je ne présente pas ces considérations, messieurs, pour vous dire que je repousse tout examen de la question. je veux seulement vous faire remarquer combien cet examen est délicat, et je désire pouvoir le faire d'une manière sérieuse et approfondie. Je soumettrai à la Chambre les conclusions auxquelles je serai arrivé.

M. Bouvierµ. - Je remercie l'honorable ministre de la guerre des renseignements qu'il vient de nous donner et de la déclaration qu'il s'occupe d'une manière sérieuse et bienveillante de l’étude de la question.

Messieurs, si j'ai interpellé le ministre de la guerre sur le point qui vient d'être l'objet de ses explications, c'est parce qu'on est généralement d'accord pour affirmer, non seulement dans cette enceinte, mais ailleurs, que la position des officiers pensionnés est vraiment intolérable.

C'est leur position malheureuse qui m'a suggéré l'idée de prolonger la carrière militaire des officiers pendant un an ou deux, et j'ai vu avec plaisir que cette opinion était partagée par de très bons esprits de cette Chambre, entre autres l'honorable M. de Brouckere qui se trouve en ce moment côté de moi, l'honorable M. Vleminckx et d'autres honorables membres.

Si mon idée se réalisait, nous y trouverions les éléments financiers nécessaires pour secourir les officiers pensionnés.

Comme je le disais à l'occasion du budget de la guerre, nous appartenons un petit pays dont la neutralité est garantie par des traités solennels.

La seule guerre à laquelle nous devons nous attendre est une guerre défensive qui ne semble pas exiger les mêmes ressources que quand il s'agit de porter au loin la guerre.

Je ne veux pas dire cependant que la question que j'ai soulevée n'offre pas certaines difficultés ; mais avec un peu de bon vouloir, je pense que l'honorable ministre à la résoudre d'une manière satisfaisante.

J'espère que quand la commission instituée au département des finances aura donné ses conclusions, l'honorable ministre des finances voudra bien se consulter avec son collègue de la guerre pour qu'ils puissent porter ensemble devant la Chambre les résultats de leurs investigations, attendus avec la plus légitime impatience.

M. Vleminckxµ. - Moi aussi, je remercie l’honorable ministre de la guerre des déclarations qu'il vient de vous faire.

Il ne repousse pas absolument la demande qui est faite de reculer la limite d'âge d'un certain nombre d'officiers.

Je crois cependant qu'il est impossible d'admettre la comparaison que fait l'honorable ministre entre notre armée et celle des autres pays.

Quoi qu'on en dise, on ne nous fera jamais comprendre qu'il y a une égalité complète, au point de vue des fatigues de la guerre, entre les armées française, prussienne, autrichienne, italienne et belge.

Nous sommes, en définitive, un pays qui n'aura jamais à soutenir qu'une guerre défensive. On a beau dire qu'éventuellement nous pourrions devoir aller à Rome, Saint-Pétersbourg ou ailleurs, je dis qu'en réalité nous ne sortirons jamais de notre pays.

Eh bien, dans ces conditions, il me semble qu'on doit examiner très sérieusement la question de savoir si, pour une grande catégorie d'officiers, on pourrait pas reculer la limite d'âge : parmi ces officiers, d'ailleurs, il en est de diverses sortes.

L'honorable M. Thonissen, dans une autre séance, a particulièrement appelé l'attention de l'honorable ministre de la guerre sur les officiers de l’intendance. Il est impossible d'assimiler ces officiers de même que les officiers de santé, au point de vue des fatigues du service, aux officiers de cavalerie et d'infanterie par exemple.

L'honorable ministre vous a dit tout à l'heure que, suivant lui, les capitaines étaient tous plus ou moins inhabiles à servir à 55 ans. Soit. C'est à voir.

Mais, parmi les officiers supérieurs, pourquoi en déclare-t-on un certain nombre inhabiles à servir à 58 ans, et une autre catégorie à 60 ans seulement ? Pourquoi fait-on une différence, en ce qui concerne la limite d'âge, entre le lieutenant-colonel et le colonel, par exemple ? Si les uns sont aptes à servir jusqu'à 60 ans, pourquoi les autres ne le pourraient-ils pas (Interruption).

(page 370) Leur service est le même ou à peu près, et je ne vois pas une bonne raison de ne pas les maintenir au service jusqu’au même âge.

J'ajouterai que ne comprends même pas pourquoi, pour les uns et les autres, la durée du service ne pourrait pas être prolongée jusqu'à 62 ans.

Si nous avons une armée dont nous faisons grand cas, que nous estimons et sur laquelle nous estimons pouvoir compter dans toutes les circonstances, nous ne devons pas non plus oublier les intérêts des contribuables. Ces intérêts doivent être sacrés pour la Chambre comme ceux de l'armée. Or. il est évident qu'en reculant quelque peu, si possible, la limite d'âge des officiers, on ferait des économies considérables sur le budget de la dette publique. et ce point mérite bien, il me semble, d'être pris en sérieuse considération par la Chambre.

Nous ne nous refusons pas à faire pour l'armée tous les sacrifices nécessaires, mais nous désirons aussi qu'on réduise le plus les dépenses qui ne sont pas absolument indispensables.

J’espère donc que l’honorable ministre voudra bien examiner cette question, non seulement avec toute l’attention qu'elle mérite, mais avec le désir de faire quelque chose de véritablement utile.

L'arrêté de 1855 n'est pas, en définitive, une arche sainte à laquelle on ne puisse pas toucher ; il peut être soumis à un examen sérieux et révisé, s'il a lieu. Quant à moi, je suis convaincu que cet examen, fait avec le désir d'aboutir, produirait un bon résultat.

Je sais bien que reculer la limite d'âge, c'est une jeter une certaine émotion dans l'armée, spécialement parmi les jeunes officiers ; mais ceux-ci perdent de vu que ce qu’ils perdent dans les premiers temps de leur service, ils le regagneraient incontestablement plus tard et avec usure. En dernière analyse, la compensation se ferait et nul ne serait lésé.

MgRµ. - L'honorable M. Vleminckx croit qu'en reculant de quelques années la limite d'âge des officiers, on procurerait au trésor des économies considérables. C'est, je pense, une erreur. Le trésor ne profitera que de l'économie résultant de la mise à la pension ; si donc on évalue, par exemple, à 150,000 francs cette économie pour une année, en reculant la limite d'âge ans. on ne réaliserait donc qu’une économie, une fois faite, de 300,000 francs.

- Un membre. - C'est quelque chose.

MgRµ. - Sans doute ; mais si cette économie devait avoir pour résultat d'affaiblir l'armée, je crois que le pays la repousserait. Quant aux officiers supérieurs dont on a parlé l'honorable membre, l'arrêté de 1855 a eu pour résultat de les faire pensionner à un âge plus avancé qu'ils ne l'eussent été sous l’ancien état de choses. Pour cette raison et pour d'autres qui tiennent des circonstances passées, on arrive aux grades supérieurs beaucoup plus tard qu'auparavant ; je présenterai, en temps opportun, des tableaux qui le prouveront de ln manière la p'us évidente.

Le retard qui s'est produit dans l'avancement ne permettra plus aux officiers supérieurs de rester assez longtemps en activité pour obtenir le maximum de la pension attachée à leur grade. Si l'on recule encore la limite d'âge, de deux ans par exemple, on arrivera au grade de général à l'âge de soixante ans, au grade de colonel à l'âge de cinquante-sept, de cinquante-six ou de cinquante-cinq ans au plus tôt.

Or, messieurs, lorsqu'un colonel reçoit un régiment dans ces conditions, il aura la conviction de n'exercer le commandement que peu d'années ; il est à craindre qu'il ne déploie pas l'activité qu'on est en droit d'attendre d'un officier d'un rang aussi élevé.

Je reconnais, messieurs, qu'il y a certaines catégories d'officiers dont on peut sans inconvénient prolonger la carrière. L'honorable membre a cité les officiers de l'intendance. Mais je dois faire remarquer que la carrière de ces officiers a été prolongée. Ainsi les officiers de l’intendance ayant rang de colonel ne sont mis à la retraite qu'à 63 ans ; ceux qui ont rang de capitaine sont pensionnés au même âge que les lieutenants-colonels.

C'est, du reste, erreur de croire que les officiers de l'intendance comme ceux du service de santé ne sont pas astreints, en temps de guerre, à un service aussi pénible que les officiers de troupe.

Je veux bien admettre que les médecins de garnison et les intendants à poste fixe aient moins de fatigues à supporter ; mais les médecins et les intendants attachés à l'armée en campagne sont exposés à toutes les fatigues et à tous les dangers de la guerre.

L'honorable membre pense parce que l’armée ne sera appelée qu'à la défense du territoire, elle n'aurait pas autant de fatigues à supporter qu'une armée agressive. J'estime, messieurs, que c'est là une erreur manifeste.

Une armée agressive, ayant l’initiative des mouvements et des marches est maîtresse de ses mouvements ; elle avance et se repose quand elle le juge utile à ses projets. Il en est autrement pour une armée défensive, qui, ne sachant pas par où et comment on l'attaquera, est toujours sur le qui-vive et doit supporter des fatigues beaucoup plus grandes.

J’ajoute, messieurs, que dans une armée comme la notre, où les cadres inférieurs et les soldats sont fort jeunes, il sera nécessaire que les officiers payent beaucoup de leur personne et, sous ce rapport, la vigueur physique est une condition indispensable.

Voilà, messieurs, la réponse que je devais à l’honorable M. Vleminckx. Je continuerai l'étude de cette question et quand mes convictions seront faites, je présenterai mes conclusions à la Chambre.

M. Vleminckxµ. - Il m'est impossible d'admettre les calculs de l'honorable ministre de la guerre. Pour combattre la demande faite de prolonger la carrière des officiers supérieurs, l'honorable ministre semble dire et que l’on arrive, à l’heure qu’il est, au grade de colonel à 56 ou 57 ans et que, dans le système de l’extension de la limite, on n’y arriverait qu’à 59 ou 60 ans.

Mais, messieurs, en réalité on devient colonel non pas à 56 ou 57 ans, mais à 55 ou 52 ans et même avant, et cela est facile constater. La conclusion que M. le ministre a tiré de ses prémisses n'est donc nullement fondée ; il est certain que les officiers de ce grade y serviraient encore assez longtemps pour s'occuper, avec toute l'activité et le soin désirables, des devoirs de leurs fonctions. Ouvrez l'annuaire et vous constaterez qu'on devient colonel, je le répète, à un âge beaucoup inférieur celui qui vient de vous être indiqué.

Encore une fois, je me borne à soumettre ces considérations à M. le ministre de la guerre ; j'ai confiance dans sa parole ; j'espère qu'il examinera la question sous toutes ses faces et qu'il reconnaîtra qu'une économie annuelle de 150,000 francs qu'il vient d’indiquer lui-même, répétée pendant un certain nombre d'années, est assez importante pour que le gouvernement et la Chambre y prêtent une sérieuse attention.


M. Kervyn de Lettenhoveµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je ne crois pas m'écarter de l’ordre d'idées qui est engagé dans ce débat, en demandant au gouvernement si la Chambre sera bientôt saisie d’un projet de loi sur la rémunération du service militaire.

MfFOµ. - Messieurs, le gouvernement s'est occupé très activement de la question dont l'honorable préopinant vient d'entretenir la Chambre ; mais il n'a pu encore prendre une résolution définitive. On s'est livré à un nouvel examen du système que le gouvernement avait proposé à la section centrale ; d'autres systèmes ont fait également l'objet des études du département de l'intérieur et de celui des finances ; mais jusqu'à présent on n'a rien trouvé qui fût préférable ce qui a été proposé à la section centrale, sauf certaines modifications de détail. J'espère que, dans un bref délai, le gouvernement pourra saisir la section centrale des amendements qu’il compte présenter à ce projet.

Prompts rapports de pétitions

M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Sart-Bernard, le 19 décembre 1869, des habitants de Sart-Bernard demandent la séparation de ce hameau de la commune de Wierde et son érection en commune distincte.

Messieurs, les habitants de Sart-Bernard semblent très pressés ; ils ont depuis quelque temps demandé la séparation de ce hameau d'avec la commune de Wierde ; cette pétition a été renvoyée à M. le ministre de l'intérieur ; l'honorable ministre est occupé de l'instruction de cette affaire.

Votre commission engage MM. les pétitionnaires à patienter un peu, jusqu'à ce que l'instruction de leur demande soit terminée ; alors M. le ministre de l'intérieur, s'il trouve cette demande fondée, viendra nous présenter un projet de loi.

Votre commission, dans cet état de choses, aurait pu proposer le dépôt de la pétition au bureau des renseignements ; cependant par déférence pour les pétitionnaires, qui ignorent peut-être nos usages à cet égard, la commission propose le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

M. Wasseigeµ. - Messieurs, il y a très longtemps que les habitants de Sart-Bernard sont en instance ; il y a plus de cinq ans que leur demande a été intentée ; elle a été soumise à des phases bien diverses ; mais aujourd'hui tout le monde est d'accord sur l'opportunité de cette séparation ; le conseil communal de Wierde tout entier et le conseil provincial de Namur à l'unanimité se sont prononcés dans ce sens ; rien ne (page 371) peut dont plus s’opposer à ce que l'affaire marche rapidement. Tout en appuyant fortement les conclusions de la commission, j’engage M. le ministre de l'intérieur à nous présenter le plus tôt possible un projet de loi qui aura pour objet de donner satisfaction à des intérêts légitimes et sérieux.

- Le renvoi de la pétition M. le ministre de l'intérieur est ordonné.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruges, le 15 décembre 1869, les sieurs Otto de Nieulant, Breydel et autres membres du comice agricole de l'arrondissement de Bruges appellent l'attention de la Chambre sur la nécessité d'adopter un système de défense effcace contre les envahissements de la mer depuis Heyst jusqu'à Wenduyne.

Messieurs, voici comment les pétitionnaires s'expriment.

Ils commencent par dire qu'il existe un danger imminent d'inondation.

Il ne nous appartient pas de juger les travaux de l'administration des ponts et chaussées, mais nous avons pu remarquer que l'état des côtes est sensiblement empiré depuis le jour où, abandonnant l'ancien système, on a remplacé les épis et fascines par des maçonneries sans consistance. Depuis lors, en effet, nous avons cessé de voir les dunes se renforcer insensiblement. Les eaux de la mer se sont, en divers endroits, avancées de 20 à 30 mètres et en plusieurs points des ruptures y sont à redouter.

Vous comprenez, messieurs, que dans ces circonstances, il est d'une urgente nécessité pour le gouvernement de s'assurer de l'état de nos côtes afin que la mer n'empiète pas davantage sur le territoire du pays.

Votre commission, dans ces conditions, a l'honneur de vous proposer le renvoi à MM. les ministres des travaux publics et des affaires étrangères.

M. de Vrièreµ. - Messieurs, je ne comprends pas l'utilité du renvoi, qui vient de vous être proposé, de la requête à M. le ministre des affaires étrangères.

Les pétitionnaires se plaignent du danger que présente pour leurs propriétés l'invasion de la mer. Or, c’est là, je crois, un péril que l'habileté de M. le ministre des affaires étrangères ne peut pas conjurer. Mais il n'en est pas de même de M. le ministre des travaux publics.

Je crois que l'honorable ministre peut prescrire des mesures efficaces pour protéger nos côtes contre les envahissements successifs de la mer, envahissements au sujet desquels des pétitions plus en plus nombreuses et de plus en plus vives arrivent à la Chambre depuis quelque temps.

J'aurais désiré, messieurs, présenter quelques observations pour appuyer le renvoi à M. le ministre des travaux publics et pour tâcher de démontrer le bien-fondé des réclamations dont vous êtes saisis.

Mais j'ai eu l'honneur d'entretenir M. le ministre de l'objet de cette pétition le jour même je l'ai déposée ici à la demande du comice de Bruges. M. le ministre a bien voulu alors me promettre de prendre des renseignements et de faire lui-même une étude approfondie de la matière.

Je désirerais donc qu'avant de m'engager dans les observations que j'ai à présenter, l'honorable ministre des travaux publics voulût bien dire s'il est en mesure de donner des explications aujourd'hui. Dans la négative, je réclamerai de son obligeance qu'il veuille bien me promettre des explications à bref délai, et dans cette hypothèse, j'ajournerai jusqu'à ce moment les observations que je me propose de faire.

MtpJµ. - J'aurai une occasion naturelle de donner bientôt à la Chambre les explications que l'honorable M. de Vrière désire obtenir : la discussion de mon budget me la fournira.

Les questions relatives à la défense de nos côtes occupent, en effet, d'ordinaire, une place fort importante dans la discussion du budget des travaux publics.

Je puis cependant donner immédiatement à la Chambre quelques indications quant à la pétition sur laquelle l'honorable M. Vander Donckt vient de faire rapport.

En signalant à l'attention de la Chambre les ravages exercés sur nos cotes par les derniers ouragans qui les ont désolées, les pétitionnaires attribuent les effets funestes de ces tempêtes à des modifications qui auraient été apportées par le corps des ponts et chaussées dans le système de défense de nos côtes. Ils indiquent notamment, comme ayant exercé une action déplorable, la substitution des travaux en maçonnerie aux travaux en fascinage qui, d'après eux, seraient abandonnés.

Il y a dans cette assertion une erreur très facile à démontrer en indiquant à la Chambre l'emploi des sommes affectées dans ces cinq dernières années à l'entretien des travaux de défense de nos côtes.

Le chiffre total de ces dépenses atteint, je pense, 560,000 francs, et dans cette somme les travaux en fascinage seuls ont exigé une somme de 540,000 francs, alors que les travaux en maçonnerie n'atteignaient pas la somme de 20,000 francs.

En même temps que nous employions cette somme de 560,000 francs dans les conditions que je viens d'indiquer, la Chambre a voté successivement divers crédits s'élevant à 750,000 francs pour divers travaux de défense de nos côtes, tels que perrés, murs, etc.

L'obligation de renouveler, après quelques années, les travaux en fascinage qui s'altèrent rapidement sous l'action alternative de la sécheresse et de l'humidité et par les attaques des tarets, a fait rechercher par l'administration s'il n'y avait pas lieu de substituer aux fascinages des matériaux plus durables.

Le premier essai tenté dans cette voie a été fait aux perrés de la digue d’Ostende.

Ce travail consistait en un revêtement de pierres sèches qui, je dois le dire, n'a pas donné de bons résultats.

Les vagues pénétrant dans les interstices des pierres qui composaient ce revêtement produisaient des affouillements qui compromettaient la solidité de l'ouvrage.

Nous avons remédié à cet inconvénient en injectant du ciment dans tous les interstices des pierres lorsque les vides causés par les vagues n'étaient pas très importants.

Ailleurs, nous avons substitué aux maçonneries sèches des maçonneries rendues imperméables par le ciment.

Ce nouvel essai a donné les meilleurs résultats. Je ne citerai qu'un exemple, ce sont les perrés construits entre Blankenberghe et Heyst qui ont parfaitement résisté aux derniers ouragans.

Nous avons, enfin, l'année dernière, construit deux épis en briques maçonnées et j'ai eu récemment sous les yeux un rapport de M. l'inspecteur général des ponts et chaussées qui constatait que ces ouvrages se sont comportés d'une manière remarquable pendant les dernières tempêtes.

Quoi qu'il en soit, j'ai prescrit une étude très attentive de cette question, si digne de la sollicitude du gouvernement et de la Chambre, et j'espère que, lors de la discussion de mon budget, je serai à même de donner à l'honorable M. de Vrière, s'il le désire, des explications complémentaires.

Je dois ajouter cependant que je pense que le moyen le plus efficace pour s'opposer aux corrosions de la dune, ce serait de prolonger les jetées.

J'ai appelé l'attention du corps des ponts et chaussées sur cette question.

L'étude est près d'en être terminée, et si l'examen aboutit à une conclusion favorable à ce système, je n'hésiterai pas à demander à la Chambre les crédits nécessaires à l'exécution de ce travail.

M. de Clercqµ. - Messieurs, je pense qu'il est complétement impossible de revêtir les dunes sur tout leur parcours de maçonneries cimentées, et cependant le ciment est une condition indispensable de la durée de ces ouvrages.

Dans les dernières années, on a raccourci les jetées au lieu de les prolonger dans la mer. Ces ouvrages donnent plus de pied la dune, et je crois qu'on devra revenir l'ancien système, comme vient de le promettre l’honorable ministre des travaux publics. J'aime à croire qu'un crédit beaucoup plus considérable sera inséré dans son budget pour ce service.

M. de Vrièreµ. - Je crois, messieurs, devoir préciser l'objet de la réclamation des pétitionnaires. Ils ne méconnaissent pas que des travaux importants ont été faits par les ponts et chaussées pour combattre les envahissements de la mer ; au contraire, tout le monde reconnaît la haute utilité de certains ouvrages, et l'on reconnaît généralement qu'ils ont été bien faits, qu'ils ont été exécutés conformément à toutes les règles de l'art.

M. de Clercqµ. - Sans ciment.

M. de Vrièreµ. - Un mur en ciment s'est écroulé dans les environs de Heyst, je le sais ; et cet accident vient à l'appui de ce que je vais dire. Je disais, messieurs, que les pétitionnaires ne critiquent pas les ouvrages nouveaux qui ont été exécutés ô la cote ; ils sont, au contraire, très reconnaissants envers le gouvernement et envers la Chambre, qui ont affecté des sommes considérables à l'entretien de la côte. Mais voici ce que disent les pétitionnaires.

Un nouveau système de défense a été mis en usage par l'administration des ponts et chaussées depuis quelques années, et dans ce système il y a un point important que nous croyons au plus haut degré défectueux ; il consiste à raccourcir les jetées, les épis, au lieu de les prolonger. Autrefois les travaux de la côte de Belgique étaient cités comme exemple aux ingénieurs étrangers. Ils faisaient l'admiration des ingénieurs français et, jusqu'à un certain point, des ingénieurs hollandais eux-mêmes. Nous avions, messieurs, des ingénieurs qui avaient été élevés sur nos côtes : c'étaient des praticiens qui, depuis leur enfance, avaient suivi les effets des ravages de la mer et qui avaient appris, sur les lieux mêmes, la manière de combattre ces ravages. ces ingénieurs ont (page 372) disparu, la mort les a enlevés et il est sorti de nos écoles des ingénieurs plus jeunes, plus savants peut-être, je ne conteste nullement leur capacité, mais ces ingénieurs, contrairement à une expérience séculaire, ont voulu introduire un système de fascinage de jetées reposant sur des principes différents.

Ces ingénieurs ou les agents sous leurs ordres ont raccourci les fascinages alors que les ingénieurs anciens les allongeaient le plus possible. Le système de ceux-ci consistait à attaquer l'ennemi le plus loin possible, d'empêcher qu'il vienne creuser sa mine au pica de la côte, et pour cela on ne négligeait aucun effort ; on travaillait de nuit pendant les basses marées des eaux vives pour aller paralyser la mer dans son propre domaine.

Il faut opérer contre la mer de la même manière qu'à l'égard de tout autre ennemi ; il ne faut pas l'attendre chez vous, dans vos derniers retranchements, mais le refouler avant qu'il attaque votre territoire.

C'est ce que l'on ne fait pas aujourd'hui, on fait des perrés en maçonnerie, c'est fort bien, mais ce n'est là qu'une dernière défense qui a besoin d'être protégée elle-même par des travaux avancés. Si vous laissez enlever, par l'insuffisance des épis, le sable qui doit former l'estran, sous aurez beau construire les perrés les plus solides, les plus élevés et les plus profonds, la mer finira par en miner les fondements et votre ouvrage, fût-il une œuvre de cyclopes, sera enlevé comme un château de cartes.

Il faut donc, messieurs, reprendre l'ancien système de jetées qui consistait à les prolonger dans la mer le plus loin possible. C'est là ce que demandent les pétitionnaires ; et qui sont-ils ? Des gens nés à la côte, qui ont étudié la mer depuis leur enfance, qui ont vu comment opéraient nos anciens ingénieurs et qui ont vu autrefois l'estran s'élever graduellement, tandis qu'ils le voient aujourd'hui s'abaisser d'année en année. Ce sont les wateringues, composées d'hommes habitués à ce genre de travaux. Ce sont les membres des comices agricoles du littoral ; mais il y a aussi, messieurs, des ingénieurs des ponts et chaussées qui luttent eux-mêmes contre la manière vicieuse dont on travaille aujourd'hui, car, il faut bien le dire, il y a eu de profonds dissentiments entre les agents de l'administration au sujet de ces travaux ; et si je suis bien informé, c'est un agent inférieur qui, contrairement l'opinion des fonctionnaires supérieurs, fait prévaloir les pratiques erronées contre lesquelles réclament les pétitionnaires.

Voyez jusqu'où a été l'aberration de l'agent auquel je fais allusion, il a été jusqu'à contester ce fait appréciable par le premier venu que l'estran diminuait et que la dune était minée et perdait de son épaisseur.

La dune a diminué, dans certains endroits, de 180 mètres en 30 ans et l'hiver dernier lui a enlevé 5 mètres sur une très grande étendue.

Il y a des points de repère qui attestent ces faits, et pourtant on les a constatés.

M. de Clercqµ. - Depuis quelques années elle a perdu 30 à 40 mètres.

M. de Vrièreµ. - A Knocke, elle a diminué de 180 mètres en 30 ans.

Je prie donc de nouveau l'honorable ministre des travaux publics de vouloir bien faire de cette affaire si importante non seulement pour le littoral mais pour le pays entier, l'objet le plus sérieux de son attention.

M. de Clercqµ. - J’ai demandé la parole quand mon honorable collègue disait que les pétitionnaires ne critiquaient pas les travaux, et je vois dans la pétition que l'état des cotes s'est sensiblement empiré depuis le jour où, abandonnant l'ancien système de défense, on l'a remplacé par des endiguements et des perrés sans consistance.

Je n'ajouterai qu'une seule considération à celles qu'a fait valoir l'honorable M. de Vrière : c'est que les travaux se font sous la responsabilité du gouvernement et qu'il pourrait en résulter des conséquences extrêmement onéreuses pour le trésor.

On ignore peut-être qu'une invasion des eaux de ta mer, ne fût-elle que momentanée, stériliserait pour longtemps toutes les terres qui auraient été inondées.

Le sel est un amendement pour l'agriculture, mais c'est à la condition que le sol n'en soit pas saturé. Or, c'est là le résultat qu'aurait une inondation, ne fût-elle que momentanée.

M. Van Iseghem. - Je viens, en grande partie, appuyer les considérations que vient de faire valoir l'honorable M. de Vrière.

Aujourd'hui on veut partout créer des digues en perrés, même où elles ne sont pas nécessaires pour d'autres usages, et abandonner en partie les épis. Quand la mer arrive jusqu'à ces digues en perrés, sans qu'il y ait des épis, le strand s’appauvrit et diminue tellement, que l'existence de la digue est compromise. Le courant creuse des bas-fonds le long de ces digues, on est obligé pour que l’eau de mer ne s’infiltre pas par le bas, d'établir alors des bernes au pied du talus, comme on a dû faire à Ostende pour fortifier la digue, qui était compromise.

J'engage le gouvernement, comme on le faisait il y a quelques années, de construire des épis, aussi loin en mer que possible ; ces épis sont indispensables pour arrêter le sable et pour fortifier le strand. C'est en laissant appauvrir le strand que le danger commence. Depuis une trentaine d'années, les épis à l'ouest d'Ostende ont disparu et j'ai vu dans une seule tempête que le strand avait diminué de plus d'un mètre.

Dans le temps il y avait sur les épis des brise-lames, les brise-lames ont disparu depuis une trentaine d'années.

Je prierai M. le ministre des travaux publics de vouloir faire mettre à l'étude la question de savoir si, en prolongeant les épis vers la mer, il ne serait pas convenable de rétablir également les brise-lames, car ces brise-lames avaient été établis pour amoindrir la force des vagues contre les digues de mer, et contre les dunes où elles existaient.

Je recommanderai également à M. le ministre des travaux publics de vouloir faire examiner l'état des dunes dans les communes de Mariakerke et de Middelkerke ; les dunes y sont extrêmement étroites et, en partie, ont déjà dû être élargies. Dans ces communes, ainsi qu'à Wilskerke, les terres sont, si ma mémoire est fidèle, à 1 m 50 au-dessous du niveau de la mer, de la haute marée, dans les temps ordinaires. Avec une tempête, nous avons à peu près un mètre d'eau de plus ; si l'on devait avoir alors une rupture, comme nous en avons déjà été menacés il y a une dizaine d'années, une partie notable de la Flandre occidentale pourrait être inondée. On n'ignore pas qu'à Ostende, à l'ouest de ce port, la mer gagne. Je soumets ces observations à la vive sollicitude de l'honorable ministre des travaux publics.

MtpJµ. - Je n'ai qu'un mot à ajouter.

A entendre les honorables préopinants, il semblerait véritablement que le département des travaux publics ait modifié complètement le système de défense des côtes admis jusqu'à ce jour. On croirait vraiment qu'après avoir construit les perrés nouveaux, nous n'ayons plus pris le souci de les défendre contre les efforts de la vague qui viendra les démolir fatalement, comme l'a dit l'honorable M. de Vrière.

Il n'y a rien de semblable dans notre manière d'agir.

Nous avons, au contraire, entretenu avec soin les épis et les jetées qui doivent protéger ces perrés et la dune ; et, en finissant mes premières observations, j'ai indiqué moi-même comme un des moyens plus efficaces de protéger la côte contre les envahissements de la mer, le prolongement des jetées qui existent.

M. de Vrièreµ. - Je regrette que M. le ministre m'ait mal compris. Je n'ai nullement dit que le système entier de défense ait été changé : j'ai voulu parler seulement du système des épis. Or, l'honorable ministre lui- même vient de déclarer qu'il a mis à l'étude, comme un des moyens de défense les plus efficaces, la question de savoir s'il n'y avait pas lieu de prolonger les épis, c'est-à-dire que M. le ministre vient de mettre à l'étude précisément ce que je réclame, et ce que j'ai signalé comme ayant été abandonné à tort par l'administration.

J'ai dit que les ingénieurs d'autrefois avaient toujours considéré comme un des moyens de défense les plus nécessaires, comme le seul capable de hausser le lit de l'estran, la prolongation, aussi grande que possible, des jetées et que l'administration actuelle, au lieu de continuer ce système, avait au contraire raccourci les épis. Voilà ce dont je me suis plaint, tout en rendant justice à la sollicitude du département des travaux publics qui a doté la cote d'autres ouvrages excellents.

J'apprends aujourd’hui avec plaisir que M. le ministre travaux publics songe à revenir à la pratique que j'avais recommandée et que tous les hommes compétents recommandent avec moi.

MpMoreauµ. - La commission conclut au renvoi de la pétition à MM. les ministres des travaux publics et des affaires étrangères.

M. de Vrièreµ. - Le ministre des affaires étrangères n'a rien à voir dans la question. Je propose le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics seulement.

- Le renvoi de la pétition M. le ministre des travaux publics est ordonné.


M. Carlierµ (pour une motion d’ordre). - D’après l'ordre du jour nous devrions nous occuper maintenant du titre du Code de Commerce relatif aux sociétés. Je crois cependant que, parmi les pétitions sur lesquelles des rapports ont été faits, il en est qui, par des commissions spéciales, devraient être (page 373) soumises actuellement la discussion de la Chambre. Parmi ces pétitions, il en est une dont la Chambre est saisie depuis longtemps et sur laquelle une solution est attendue depuis assez longtemps ; je veux parler de celle qui pour objet la réduction de la patente des bateliers. Je prie donc la Chambre de vouloir bien s’occuper de cette affaire avant de continuer l'ordre du jour.

- Cette proposition est adoptée.

MpMOreauµ. - La commission permanente de l'industrie, par l'organe de M. Carlier, propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre des finances.

M. T’Serstevensµ. - Un des points principaux sur lesquels les bateliers s'appuient pour demander la réduction du droit de patente, c'est le taux de ce droit plus élevé en Belgique qu’en Hollande et qu'en France.

Le gouvernement a opposé aux produits par les pétitionnaires d'autres chiffres pour atténuer l'importance de leur argumentation.

Je n'insisterai pas sur la valeur des chiffres donnés par les bateliers ; ce serait occuper inutilement les moments de la Chambre, aucune solution n'étant dès aujourd'hui possible. J'ai un second motif pour ne pas discuter le fond de la question, c'est la promesse faite par M. le ministre des finances d'examiner jusqu'à quel point la réduction demandée est possible et de réunir tous les éléments d'un projet de loi sur la matière.

Je me bornerai à prier M. le ministre de bien vouloir hâter ce travail, de manière à nous mettre promptement à même de discuter une loi trop équitable pour être longtemps attendue par les pétitionnaires.

M. Vermeireµ. - La question de la patente des bateliers a fait déjà l'objet de fréquentes discussions dans cette Chambre. Depuis plus de vingt ans, les bateliers ont demandé la réduction de leur patente en se basant principalement sur ce principe que la patente doit être proportionnelle aux bénéfices de l'industrie qui en est frappée.

Le gouvernement, convaincu que la patente des bateliers est trop élevée, d'après ce principe, l'a successivement réduite. Mais un fait nouveau s'est produit qui est venu aggraver singulièrement la position des bateliers ; je veux parler de la concurrence des chemins de fer. Et ce n'est pas seulement la patente, ce. sont encore les droits de péage sur les canaux qui sont restés à un taux beaucoup trop élevé pour permettre la concurrence avec les voies ferrées.

Il est évident, messieurs, que le batelage ne peut pas se soutenir dans les conditions qui lui sont faites actuellement. La comparaison entre le de patente en France et en Belgique prouve manifestement que le droit est beaucoup plus élevé dans ce dernier pays. (Interruption.)

Je ne veux ni ne puis faire momentanément cette vérité, parce que je ne suis pas muni des documents, que je n'ai lus que très superficiellement. Cependant, lorsque nous comparons le bénéfice que peut faire le batelage, au bénéfice que peuvent faire d'autres industries, il avéré que le batelage est énormément surtaxé. Je me rappelle très bien que lorsqu'il y a vingt ans j'ai prononcé dans la Chambre un premier discours sur cette question, j'établissais que beaucoup d'industries à même de réaliser des bénéfices considérables payaient une patente moins élevée que celle que le batelage payait à cette époque.

Vous voyez donc qu'en établissant la patente sur la capacité des bateaux on a une base fort défectueuse. La patente n'est que l'abandon d'une partie du bénéfice qu'on retire de son industrie. Or, si l'industrie da batelage donne plus de bénéfice ou n'en donne que très peu, la patente doit être très peu élevée. Je crois que c’est là un argument auquel on ne peut pas répondre.

Et, en effet, messieurs, il me semble que lorsqu'on veut diminuer partout les frais de navigation, lorsque le gouvernement accorde des subsides énormes pour obtenir la liberté de la navigation sur l'Escaut, lorsqu'on diminue les péages sur les canaux intérieurs, il me semble, dis-je, qu'on est mal venu de surtaxer encore une industrie qui ne retire presque pas de bénéfice de son travail ; la base est certainement défectueuse, et j'engage vivement le gouvernement à établir la patente des bateliers sur le bénéfice probable qu'ils peuvent retirer de leur industrie. La base doit certainement être changée.

J'appuie le renvoi de la pétition à MM. les ministres des finances et des travaux publics ; j'engage M. le ministre des finances à faire de cette réclamation l'objet d'un examen très bienveillant et à baser cette bienveillance sur la justice ; lorsqu'il comparera l'industrie du batelage d'autres industries qui sont peu frappées de patentes, il reconnaîtra avec moi que la patente dont sont grevés les bateliers est beaucoup trop élevée et par conséquent injuste.

M. Dewandreµ. - Messieurs, je partage complètement l'opinion qui a été exprimée par les honorables M.M. Vermeire et T'Serstevens ; et je crois que l'honorable ministre des finances n'aura pas besoin de consulter les chambres de commerce pour s'édifier complètement sur le fondement de la réclamation des bateliers

En effet, les pétitionnaires ont indiqué des chiffres qui démontrent à la dernière évidence qu'entre la patente imposée au batelage et celle dont sont frappées les autres industries, il n'existe aucune proportion.

Ainsi un bateau de la Sambre paye en Belgique 62 fr. 89 c. de patente ; ce qui, d'après les tarifs et les tableaux annexés aux lois du 21 mai 1869 et du 6 avril 1823 sur les patentes, correspond à un bénéfice de 4,252 à 5,290 francs par an. Or, les pétitionnaires établissent, par des chiffres qui paraissent très exacts, que le bénéfice qu’un bateau peut faire par an n'est que 1,350 francs, sans tenir compte encore de l'intérêt du capital que représente le bateau, et de l'amortissement de ce capital, la valeur du bateau diminuant chaque année ; si l'on tient compte de ces deux éléments, le bénéfice se réduit à 300 francs par an.

En supposant même que l'on puisse prétendre que ce dernier chiffre n'est pas tout à fait exact. qu'il doit être augmenté, les pétitionnaires n'en seraient pas moins fondés dans leur réclamation, car la patente qu'on leur fait payer correspond à un bénéfice de 4,252 francs à 5,290 francs par an.

Il est donc évident qu'il y a lien de réduire leur patente sans devoir même recourir à une instruction devant les chambre de commerce, instruction qui demanderait encore un certain temps.

J'engage donc l'honorable ministre des finances à nous présenter très prochainement un projet de loi spécial.

M. Tackµ. - Je suis entièrement d'accord avec les honorables préopinants qui ont pris en main la défense des bateliers ; je crois que les bateliers sont surtaxés et qu'il y aurait lieu de réduire leur patente.

L'honorable M. Vermeire vient de rappeler le véritable principe qui doit dominer en matière de perception des patentes.

Le droit perçu doit être en rapport avec le bénéfice réalisé par le patentable ; or, on ne saurait le contester, le bénéfice des bateliers est notablement diminué par suite de la concurrence que leur suscitent les chemins de fer.

Messieurs, je ne me suis pas levé pour m'occuper de la question relative à le patente des bateliers, je laisse ce soin aux honorables collègues que vous venez d'entendre et qui ne feront pas faute. Pour ma part, je viens rappeler à M. le ministre des finances la demande qui a été adressée à la Chambre par les meuniers, qui, eux aussi, réclament une réduction de leur de patente et qui se trouvent dans une position analogue à celle des bateliers. Je prie M. le ministre des finances comprendre dans le même examen bienveillant la pétition des meuniers et celle des bateliers. La commission permanente de l'industrie a recommandé à M. le ministre des finances la demande des meuniers. Je désire vivement que cet objet ne soit pas perdu de vue.

MfFOµ. - Messieurs, je tiendrai compte des observations qui ont présentées par les honorables préopinants. Je ne puis que me référer à une lettre qui a été adresse par moi à la section centrale, et qui est reproduite dans le rapport que vous discutez en ce moment. J'ai promis un examen bienveillant de la question qui est soulevée ; mais l'administration doit nécessairement s'entourer de tons les renseignements qui peuvent être de nature à former sa conviction, afin de soumettre à la Chambre une appréciation raisonnée.

C’est une matière à laquelle il ne faut toucher qu'avec beaucoup de prudence. C'est la nature même des choses qui l'exige. On comprend, en effet, que s'il est équitable de ne pas faire payer à une catégorie de citoyens des taxes plus élevées que celles dont est grevée une autre catégorie de citoyens se trouvant dans des conditions identiques, il ne faut pas non plus, et par le même motif d'équité, opérer une déduction qui pourrait détruire entre elles l'équilibre et le rapport que la loi a voulu établir.

Nous nous attacherons donc à recueillir les renseignements pour qu'une solution équitable puisse être donnée à question.

Je ne perdrai pas de vue l'observation de M. Tack, qui est relative à la patente des meuniers.

M. Sabatierµ. - Un point me paraît avoir été oublié quelque peu par l'honorable ministre des finances. Il s'en réfère à la lettre qu’il a écrite à la commission permanente de l'industrie comme témoignage de toute sa sollicitude pour les bateliers et vient de nous assurer encore qu'il a le vif désir de faire examiner avec toute la bienveillance possible leur réclamation. C'est très bien, mais une chose qu'il dit pas, c'est le plus ou moins d'empressement qu'on mettra à remplir les intentions qu'il manifeste. Or. je ne doute pas un instant qu'il résultera ale l'examen auquel le département (page 374) des finances va se livrer que la réclamation des pétitionnaires est fondée.

Je demanderai à l’honorable ministre, ainsi que je fait le rapport de la commission d'industrie, de ne pas attendre la révision complète de la loi des patentes qui date déjà de quarante-huit ans, pour donner satisfaction aux justes observations des bateliers. S'il fallait rester autant de temps pour qu'il y soit fait droit qu'on en met à nous présenter le projet de loi de révision générale promis depuis tant d'années, il est évident que justice serait fort mal rendue. Il y a ici une question qui demande une prompte solution et qui doit rester indépendante de toute autre mesure relative à l'impôt de patente en général.

MfFOµ. - Messieurs, il ne peut pas être question de subordonner l'examen de la réclamation des bateliers à la révision générale de la loi sur les patentes. Il s'agit de savoir s’il est juste de prendre aujourd'hui une mesure semblable à celle qui a été prise en 1858, sans qu’alors non plus il fût question de réviser la loi sur les patentes. Mais pour que cela puisse se faire, il faut cependant examiner quelle est la condition des industries analogues, quelle est la quotité que l'on prélève sur les bénéfices présumés d'une industrie, pour appliquer une quotité équivalente à une autre industrie se trouvant dans les mêmes conditions économiques. Naturellement, cela exige quelque travail, quelques recherches. On ne peut pas résoudre instantanément ces sortes de questions.

Les pétitions prétendent qu’il faut les mettre sur la même ligne que les intendants et les agents d'affaires. Pourquoi ? Quelle raison y a-t-il de décréter cette assimilation ? Ce sont des points qui doivent être mûris. Il faut établir des comparaisons. On demande seulement le temps de faire les études nécessaires. pas davantage.

On a supposé le gouvernement demandait le renvoi aux chambres de commerce, ce a fait dire, dans un a-parte par l'honorable M. Vermeire, que c'était le renvoi aux calendes grecques. Jamais il n'a été question du renvoi de cette question aux chambres de commerce. Lorsqu'on a parlé du renvoi à ces collèges, on avait en vue un remaniement da la loi générale sur les patentes. Evidemment, cela ne pourrait se faire sans qu'on entendît les intéressés, sans que l'on consultât les chambres de commerce. Mais, ici. il s’agit d'un cas tout particulier, d'un cas spécial, qui peut être examiné isolément par l’administration compétente.

M. Carlierµ. - J'insiste, comme mes honorables collègues, pour que l’examen bienveillant, promis par le ministre lieu dans le plus prochain délai possible. L'honorable ministre vient d'annoncer qu'il n'attendrait pas l’examen relatif aux modifications à introduire dans la loi générale des patentes pour examiner ce qui se rapporte aux bateliers, nais qu'il devait recourir aux chambres de commerce pour avoir leur avis sur cette question : or. il ne me semble pas nécessaire de recourir aux chambres de commerce. Je crois qu'il serait bien facile à l'administration des finances de se renseigner sur l'importance du bénéfice des bateliers. Or, ce bénéfice étant renseigné, la base du droit de patente étant le bénéfice, il ressortira nécessairement de cet examen que la imposée aux bateliers est exagérée.

L'honorable ministre des finances, dans les observations qu’il vient de présenter à la Chambre, s'en réfère aux explications qu'il a données à la commission d'industrie, et dans ces explications, il dit qu'en 1858 la patente des bateliers a été dégrevée de 30 p. c. Cela est parfaitement exact, ce dégrèvement a été le résultat d’un premier examen bienveillant, fait par le ministère des finances et par la Chambre. Mais les conditions qui sr présentaient en 1858 qui et qui ont amené ce dégrèvement étaient que les bateliers avaient énormément perdu de leurs bénéfices à raison de la concurrence que le faisaient les chemins de fer. Or, cette concurrence a toujours été croissant depuis 1858. Elle est telle que les profits du batelage, ainsi que l’exprimait tout à l’heure mon honorable ami M. Dewandre, se réduisent presque à zéro. Il y a donc des raisons qui sont venues s’ajouter à celles qui ont amené un premier dégrèvement, et j’estime que ces nouvelles raisons doivent amener un dégrèvement nouveau.

Les bateliers ont mis en regard le droit qu’ils payent en Belgique et le droit de patente qu’ils payent en France. Le droit de patente payé en Belgique est en principal de 58 fr. 30 c., tandis qu'en France il n’est que de 20 francs, c’est-à-dire un tiers à peu près de ce qu’il est en Belgique. Eh bien, nos bateliers, qui font trois voyages par an, ont à faire 20 kilomètres pour franchir la distance entre Charleroi et Jeumont et ont à faire 300 kilomètres pour franchir la distance entre Jeumont et les environs de Paris où ils conduisent la majeure partie de leurs transports. La distance qu'ils franchissent donc en Belgique, dans ces trois voyages, n'est que de 60 kilomètres et ces 60 kilomètres leur coûtent 58 francs.

Ils franchissent 900 kilomètres en France et ces 900 kilomètres ne leur coûtent que 20 francs. Il y a évidemment là une disproportion flagrante, 20 francs. qui ne peut être méconnue par l'honorable ministre et qui doit nécessairement entraîner le dégrèvement qu'il a promis.

M. Vermeireµ. - Il me semble, messieurs, qu'il n'est pas nécessaire de faire encore une enquête sur la question de savoir s'il serait équitable de réduire le droit de patente sur le batelage. En effet, messieurs, il résulte de faits certains que le batelage, comparativement à d'autres industries, n'a pas des bénéfices assez considérablement le droit sur le batelage. La réduction devrait d'autant plus forte que la concurrence du chemin de est plus grande et que les transports par chemin de fer n'ont pas de patente à payer.

La patente du batelage doit réduite dans une proportion telle, qu'il puisse soutenir la concurrence chemins de fer.

J'engage donc le gouvernement présenter un projet de loi qui réduise dans les limites les plus étroites possibles la patente des bateliers.

M. Vander Doncktµ. - Je viens appuyer les paroles prononcées par mon honorable collègue M. Tack. La patente des meuniers est absolument dans le même cas que la patente des bateliers. C’est le chemin de fer qui fait concurrence aux bateliers, de même que les moulins à vapeur font concurrence aux meuniers. Les meuneries souffrent à tel point que beaucoup de moulins sont abandonnés. Les moulins à vent n'offrent plus de moyens d'existence à ceux qui les exploitent. Eh bien, les bateliers ont une réduction de 50 p. c. sur leur patente, tandis que les meunier n’ont obtenir aucun réduction jusqu’ici.

L'honorable ministre a dit que cet objet serait compris dans la révision générale la loi des patentes ; C'est contre ces paroles que je viens m'élever et je sollicite de la bienveillance de M. le ministre. qu'il veuille bien mettre les meuniers sur la même ligne que les bateliers.

Il est indispensable de réduire la patente des meuniers : la prépondérance des moulins à vapeur est telle, que l'industrie des meuniers est réellement réduite à la misère.

J'ose donc espérer que le gouvernement n'aura pas deux poids et deux mesures et que prompte justice sera rendue à ces intéressants industriels.

J'ai dit.

M. Julliotµ. - Messieurs, qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son, et si tous nous nous taisions ici, on pourrait en inférer que la Chambre entière est de l'avis des honorables orateurs que vous venez d'entendre. Mais il n'en est rien ; je constate que, chaque fois qu'on se lève dans cette Chambre pour parler canaux, c'est pour exiger des réductions tantôt sur les patentes, tantôt sur les péages et vice-versa, mais cela ne fait pas le compte du contribuable, qui aussi doit avoir ses défenseurs.

Il est évident, messieurs, qu'en diminuant tour à tour les patentes et les péages, dont les premières sont un impôt légitime et les seconds le prix d'un service rendu, ce vide devra être rempli par un impôt moins justifié et moins juste.

Si je voulais relever le déficit dans nos recettes occasionné par l'abaissement des péages sur nos canaux et surtout sur celui de Charleroi, j'arriverais à un chiffre considérable.

Aussi l'appétit vient en mangeant à ces honorables, et on ne vous dit pas tout ; j’ai à coté de moi un ami que j'estime beaucoup et qui vient de parler avant moi ; eh bien, il m'a ingénument qu'on visait à la gratuité de la navigation, c’est-à-dire qu'en naviguant sur nos rivières et canaux on ne fournirait plus ni péage ni droit de patente, c'est fort commode.

On objecte aussi que le chemin de fer transportant dans de meilleures conditions que le batelage. les péages sur les canaux doivent être progressivement abaissés.

Je n'admets pas ce raisonnement. L'Etat doit retirer de ses canaux et de ses chemins de fer ce qu'ils peuvent fournir avant de demander l'impôt, ou il manque son devoir, car si chaque perfectionnement dans les moyens de transport doit être suivi d’une réduction dans les recette du trésor, il ne reste qu'à vendre les canaux pour sortir d'embarras.

J’'engage donc l'honorable ministre des finances à ne pas trop s'occuper du bruit qu’on fail autour de cette question et de mettre au moins autant d'énergie à défendre le trésor qu'il mettra de bienveillance à examiner la demande de ces messieurs.

En attendant, nous garderons les mains sar les poches pour ne pas être surpris désagréablement.

M. Vermeireµ. - Messieurs, Je n'ai que deux mots à dire réponse aux observations qui viennent d'être présentées par l'honorable M. Julliot.

(page 375) L’honorable membre croit que le trésor a considérablement perdu à la diminution du péage sur le canal de Charleroi. Il n’en est rien.

MfFOµ. - Oh !

M. Vermeireµ. - Je vais en faire la démonstration. Le gouvernement n'a pas perdu un centime ; au contraire. Si le péage avait été maintenu au taux trop élevé où il était auparavant, la navigation aurait complètement cessé.

MfFOµ. - Ah ! c'est là votre raisonnement ?

M. Vermeireµ. - Il est un fait certain, c’est que lorsque le consommateur a à sa disposition deux voies de transport juxtaposées, il se servira toujours de celle qui coûte le moins. Or, si la voie du chemin de fer coûtait moins que la voie de transport par eau, cette dernière serait abandonnée.

Mais, parlons au point de vue du trésor.

Combien le gouvernement doit-il dépenser par chemin de fer, pour opérer le transport, par exemple. de Charleroi à Gand ? Il doit dépenser 35 p. c. de la recette brute. Et combien doit-il dépenser pour assurer le même transport par eau ? Il doit dépenser 10 centimes par 100 francs de recette.

Donc en diminuant le péage sur les canaux, le gouvernement s'est trouvé dans de meilleures conditions qu'en opérant le transport par chemin de fer.

M. Mullerµ. - Ce n'est plus la patente des bateliers cela.

M. Vermeireµ. - Si maintenant les transports font défaut sur les canaux, le gouvernement ne reçoit rien et s'il continue à maintenir une patente très élevée pour des transports qui font défaut, il commet une injustice.

Messieurs, il est un fait certain, c'est que le fret sur le canal de Charleroi à Gand, qui était autrefois de 5 à 6 francs, est tombé à 3 francs et 3 fr. 50 c.

Même en faisant entrer en ligne de compte la réduction du péage, il n'en reste pas moins avéré que la position des bateliers est beaucoup plus mauvaise qu'auparavant. Je crois donc, messieurs, qu'il n'est pas nécessaire de faire une nouvelle enquête.

Voulez-vous une autre démonstration de ce que j'avance ? Voyez les listes des électeurs. Il y a beaucoup plus d'électeurs bateliers que d'électeurs industriels, bien que ces derniers fassent des bénéfices plus considérables.

Enfin, je me joins aux pétitionnaires et à mes honorables collègues, pour demander an gouvernement de vouloir bien saisir la Chambre, dans le plus bref délai, d'une loi qui diminue la patente des bateliers.

M. Sabatierµ. - L'honorable M. Muller vient de dire quelques mots qui m'obligent à prendre la parole ; il a interrompu M. Vermeire pour lui faire remarquer qu'il s'éloignait singulièrement de la question des bateliers.

M. Mullerµ. - De la réduction des patentes.

M. Sabatierµ. - Bien entendu. J'ai répondu à M. Muller qu'il y avait entre la demande de réduction de la patente et les péages en général une corrélation intime ; je tiens à le démontrer.

L'argument mis en avant par les bateliers de la concurrence que leur font les chemins de fer est fort sérieux. Les pétitionnaires le font valoir hautement et ils ont raison. Les chemins de fer enlèvent aux canaux une quantité considérable de transports. Ce fait a, du reste, déjà été énoncé en 1858 par le gouvernement lui-même ; il doit être établi avec d'autant plus de raison aujourd'hui que la lutte entre deux voies de transport est beaucoup plus vive qu'alors et je n'hésite pas à dire que là est surtout le motif du produit moins élevé des canaux.

L'honorable M. Julliot craint que le mot « réduction de péage », prononcé par l'honorable M. Vermeire, ne soit l'indication d'une nouvelle campagne à entamer contre le gouvernement pour obtenir que toutes charges qui pèsent sur la navigation soient abaissées. Cette appréhension n'est en effet pas stérile. Le département des travaux publics, comme diverses compagnies de chemins de fer, trouvait avantage à attirer les transports dont les canaux se chargeaient ; mais une semblable situation, qui ne tend à rien moins qu'à enlever toute chance de profit aux bateliers, doit avoir pour conséquence, plus prononcée chaque jour, de réclamer du gouvernement des mesures permettant à la batellerie de soutenir la concurrence qui lui est faite. Cela est de toute évidence ; ce qui empêche les canaux de produire autant que par passé c'est la concurrence que fait le ministre des travaux publics à ses canaux au moyen de ses voies ferrées. Et remarquez-le, messieurs, le raisonnement que fait l’honorable M. Jamar est parfaitement motivé ; c'est une simple question d'arithmétique qu'il résout au profit du trésor.

Voici sans aucun doute ce qu'il se dit : Je transporte les marchandises de quatrième classe à 4 centimes au moins en moyenne par tonne kilométrique ; le batelage, sur les voies les plus surtaxées, ne me rapporte que 1 centime par tonne et par kilomètre. Je dois déduire les frais d'entretien, et comme l'exploitation par chemin de fer pour les grosses marchandises se fait à 50 p.c. et peut-être moins pour la quatrième classe, je fais bénéficier le trésor de plus de 2 centimes par rails, tandis que par eau, je ne réalise que de 3/4 de centime. C'est aussi simple que possible, et c'est l'argument que présentait naguère l'honorable M. Vanderstichelen et que M. Jamar, en homme parfaitement intelligent, ne peut manquer de tenir également ; il opère les recettes les plus fortes possible et nous devons l'approuver. Mais vous voyez bien, messieurs, que pour que le batelage ne finisse pas par succomber sous les coups de la concurrence, il faut le dégrever autant que possible, et vous voyez aussi que j'étais dans le vrai en disant que la réduction d’une patente ne venait réduire qu'un des éléments les plus faibles du prix de revient de la batellerie ; les péages ont bien plus d'importance et la corrélation entre les dégrèvements dont je parle, la diminution de recette constatée sur les canaux et la concurrence des chemins de fer saute aux yeux.

Pour ce qui concerne plus particulièrement le canal de Charleroi, je rappellerai que la taxe que l'on y perçoit est, comme sue le canal de Pommerœul à Antoing, celui de Liége-Maestricht, celui de la Campine, de 1 centime, c'est le chiffre que j'ai indiqué tout à l'heure en comparant les deux modes de transport. Cette taxe est fort élevée, et sans aller jusqu'à réclamer la gratuité du parcours, je puis prédire que le moment n'est pas loin où le gouvernement se verra obligé, pour alléger l’industrie batelière, d'opérer sur ce péage une notable diminution.

Certaines voies navigables ne perçoivent qu'un dixième de centime ; la différence est sensible et ne doit pas se perpétuer.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.

Ordre des travaux de la chambre

MpMoreauµ. - L'objet suivant l'ordre du jour est le Code de commerce.

- Voix nombreux. - A mardi.

M. Couvreurµ. - Je veux pas m'opposer à la remise de la discussion à mardi ; mais avant que la Chambre prenne une décision à cet égard, je voudrais demander à M. le ministre de la justice si et quand il compte déposer les amendements concernant les sociétés coopératives, qu'il a annoncés.

Je voudrais également savoir si ces amendements constitueront un ensemble de dispositions spéciales ou si le gouvernement compte les intercaler dans les dispositions qui nous sont déjà soumises.

MjBµ. - La Chambre a été très occupée dans ces derniers temps et il m'a été impossible de soumettre au conseil les travaux élaborés sur les sociétés coopératives. D'ici à peu de jours, je compte déposer les articles que j'ai annoncés.

Je puis dire l'honorable membre que ces amendements feront l'objet d'un chapitre spécial. La loi étant assez longue, on aura tout le temps d'étudier ce chapitre avant d'y être arrivé.

M. Couvreurµ. - Du moment qu'il est entendu que ces dispositions formeront un chapitre spécial et qu'à l'occasion de ce chapitre, nous pourrons entrer dans la discussion générale, je n'ai aucune objection à faire. J'engagerai seulement M. le ministre à déposer le plus tôt possible les amendements annoncés, pour que nous ayons le temps de les étudier à tête reposée.

- L'incident est clos. L'assemblée s'ajourne à mardi prochain.

La séance est levée à 4 heures.