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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 1 février 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 377) M. de Vrintsµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance du 28 janvier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Rossiusµ présente l'analyse des pièces adressées la Chambre.

« Le sieur Guilleaume demande la révision de la loi sur la pêche fluviale pour l'époque de la fermeture de la pêche ou du moins qu’un arrêté interdise pendant ce temps la vente et le colportage des poissons de rivière. »

- Renvoi la commission des pétitions.


« Des habitants de Veneimont demandent le remplacement du déservant de cette paroisse ou du moins une enquête à son sujet. »

- Même renvoi.


« Des habitants d'Erpent demandent l’abattage des arbres bordant la route de Namur à Arlon sur le territoire de cette commune. »

- Même renvoi.


« L'administration communale d'Orgeo prie la Chambre d'autoriser M. le ministre des travaux publics à accorder au sieur Brassine la concession d'un chemin de fer d'Athus à la frontière française dans la direction de Givet. »

« Même demande des administrations communales de Patignles, Willerzies, Sart-Custine, du conseil communal d'Izel et d'une commune non dénommée. »

- Même renvoi.


« Des officiers pensionnés prient la d'augmenter le taux de leurs pensions. »

- Même renvoi.

M. Bouvierµ. - Je demande que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur A. Guillaume prie la Chambre de considérer sa demande de naturalisation comme non avenue. »

- Pris pour notification.


« Le sieur Loquet déclare retirer sa demande de naturalisation. »

- Pris pour notification.


« M. le ministre de l’intérieur adresse à la Chambre 128 exemplaires du tome XVII du bulletin du conseil supérieur d'agriculture. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« M. Mulle de Terschueren, ne pouvant s'absenter de chez lui pour le moment, demande un congé de quelques jours.é

- Accordé.

Projet de loi révision le code de commerce (titre III, livre premier : Des sociétés)

Discussion générale

MpMoreauµ. - La discussion s'ouvre sur les amendements présentés par M. le ministre de la justice et auxquels la commission s'est ralliée.

La parole est à M. Jonet.

M. Jonetµ. - Messieurs, j'ai lu avec attention le remarquable rapport que M. Pirmez, aujourd'hui ministre de l'intérieur, a fait à Chambre, en 1866, sur le projet de loi relatif aux sociétés commerciales. Je n'examinerai aujourd'hui que deux points sur lesquels je ne suis pas d'accord avec l’honorable rapporteur ; ils ont trait aux sociétés en commandite.

Je demanderai la suppression du deuxième paragraphe de l’article 21, qui stipule que l'associé commanditaire peut être contraint, par des tiers, à rapporter les intérêts et les dividendes qu'il a reçus, s'ils n’ont pas été prélevés sur les bénéfices réels de la société.

Je proposerai également la suppression de l'article 24, qui veut que le capital des sociétés en commandite ne puisse être divisé en actions qu'à la condition que les actions restent nominatives.

En introduisant dans son projet de loi cet article 24, la commission a eu pour but de remédier aux abus et aux fraudes qu'ont engendrés, surtout dans ces derniers temps, les sociétés constituées par action au porteur.

Mais une disposition aussi absolue est, à mon avis, trop rigoureuse et certainement n'est pas impérieusement exigée par l'intérêt des tiers, intérêt que l'on se propose surtout de sauvegarder par cet article.

On ne peut se dissimuler, en effet, que cette mesure ne soit une restriction considérable à la liberté des conventions, une atteinte profonde au droit du capital et du travail de choisir, entre toutes les formes d'association. celle qui répond le mieux à leur convenance. Sa conséquence inévitable sera de détourner de l'industrie une masse importante de capitaux, auxquels la facilité de circulation du titre au porteur offre un avantage apprécié et incontestable dans la pratique.

La multiplicité des sociétés sérieuses qui l’ont adopté dans leur constitution prouve, mieux que les raisonnements eux-mêmes, combien ce mode de division du capital social répond à un intérêt réel.

Pourquoi d'ailleurs proscrire de la société en commandite l'action au porteur ? Le gouvernement répond ; Dans l'intérêt des tiers.

L'intérêt des tiers, dans une société en commandite, consiste à connaître la nature et l'organisation de cette société, le nom et la personne du gérant, les engagements souscrits par les commanditaires.

Le droit des tiers, c’est de pouvoir contraindre les souscripteurs commanditaires à accomplir les engagements qu'ils ont pris dans l'acte constitutif de la société.

Cet intérêt, messieurs, le mode de publicité prescrit par le projet de loi le sauvegarde suffisamment ; ce droit, la législation proposée permet de l'exécuter en son entier.

En n'autorisant la création du titre au porteur qu'après la complète libération des actions et l’accomplissement des engagements souscrits, ce droit est parfaitement garanti et toute raison disparaît d'interdire à l’actionnaire qui a rempli ses obligations de choisir la forme du titre qu'il préfère donner à sa part sociale.

La forme du titre, en effet, n'intéresse plus les tiers. Sils traitent avec la société en commandite, ils ne seront déterminés que par la confiance que leur inspireront la moralité, la capacité et la solvabilité du gérant commandité.

Proscrire de la commandite l'action au porteur, c'est donc priver l’industrie et le commerce des capitaux nombreux qui fuient la responsabilité au delà d'une mesure connue et déterminée à l'avance et recherchent, après l'accomplissement de leurs engagements, le mode de circulation et de négociation le plus simple, le plus dégagé de formalités inutiles, le moins coûteux.

Pourquoi d'ailleurs refuser à la société en commandite ce que le projet de loi accorde à la société anonyme ?

La responsabilité du gérant n'est-elle pas plus réelle et dans la première de ces sociétés que dans l'autre ?

Le gérant commandité n'engage-t-il pas et son honneur et son avoir d'une façon plus complète, puisque les engagements qu'il prend sont illimités tandis que, dans la société anonyme, le gérant n'est responsable que dans une mesure fort restreinte ?

(page 378) Et, si de grands abus ont été signalés. si des fraudes ont été commises, si de grands désastres ont été essuyés, dans ces derniers temps surtout, n'est-ce pas bien plutôt dans les sociétés anonymes ?

Une seconde question, soulevée par le projet de loi, mérite le sérieux examen de la Chambre. Je veux parler de l'obligation pour les porteurs d’actions dans les sociétés en commandite, de rapporter les intérêts et dividendes qui n'auraient pas constitué un bénéfice « réel ».

Sil est un abus qui ait pris des proportions déplorables, c'est, certes. celui qui consiste dans la distribution d'intérêts et de dividendes « fictifs » ; mais quelque importantes et quelque nombreuses qu’aient été les fraudes signalées, le projet de loi va trop loin.

A-t-on suffisamment songé, en édictant cette mesure, ce que serait, pour le capitaliste, pour le rentier, un placement de fonds dans de pareilles conditions ?

On obligerait l'actionnaire, avant de consentir à la réception des produits de l'entreprise, à un contrôle, à des vérifications de livres, d'expertise, d’appréciations difficiles déjà pour ceux qui sont spécialement chargés de champ de gestion des affaires sociales, mais impossibles, à coup sûr, pour la masse du public.

Il s’ensuivrait une telle insécurité dans les placements de fonds, que les détenteurs de capitaux renonceraient certainement à les engager d'une façon aussi précaire et à leur donner un emploi qui cesserait de leur offrir la perspective d'un revenu régulier et destiné, d'habitude, à faire face aux besoins de la vie.

Qui donc oserait encore accepter et surtout employer les distributions faites en songeant qu'un an, que deux ans plus tard il pourrait être contraint de restituer l'argent loyalement dépensé ?

Les difficultés inextricables d'expertise, d'appréciation des valeurs sociales, les frais énormes, les longueurs qu'engendreraient les contestations judiciaires soulevées à ce sujet, et elles seraient nombreuses, ne constitueraient-elles pas un inconvénient bien autrement grave que celui auquel le gouvernement se propose de porter remède ?

Par toutes les considérations que je viens d'avoir l'honneur de soumettre à la Chambre, je proposerai la suppression du deuxième paragraphe de l’articlc21 et celle de l’article 24 du projet de loi.

M. Lelièvreµ. - Messieurs, aux considérations que j'ai exposées dans la discussion générale, lorsque le projet actuel a été pour la première fois des soumis à la Chambre, je n'ajouterai qu'une simple réflexion.

projet énonce que les parties peuvent, par leur volonté, rendre commerciales les sociétés dont l'objet est l’achat des immeubles pour les revendre.

Cette disposition nous paraît exorbitante. L'achat d'immeubles pour les revendre ne constitue, par sa nature, qu'une opération purement civile qui n'a rien de commercial.

Comment admettre que les parties puissent, par leur volonté, changer le caractère d'une opération et en changer la nature ?

Ne perdons pas de vue que semblable disposition permettrait aux particuliers de se soumettre à la contrainte par corps et toutes les obligations attachées à une dette commerciale, alors que les principes repoussent le système, qu'on puisse volontairement accepter les conséquences de pareil régime. On pourrait ainsi, par sa seule volonté, se faire déclarer en état de faillite.

Je pense que la question de savoir si l'opération est ou non commerciale ne peut dépendre de la volonté des parties.

C’est l'acte lui-même qu'il faut considérer.

L'article 2063 du code civil est en opposition avec le principe qu'on veut décréter.

L’achet et la revente d’immeubles ne présentent aucun caractère commercial et les parties ne peuvent être admises à porter atteinte à l'essence même de l'opération et à lui imprimer un caractère qui lui manque.

En ce qui me concerne, je pense qu'il est préférable de se référer à l'amendement proposé par M. le ministre de la justice et ayant pour objet de ne pas laisser subsister dans l'article premier la disposition qui autorise les parties à rendre commerciales les sociétés dont l'objet est l'achat des immeubles pour les revendre. Le système du gouvernement est conforme aux principes de la matière, tandis que le projet de la commission, en sens contraire, tend à permettre aux parties de changer la nature d'une opération essentiellement civile, conséquence qu’il est impossible d'admettre en droit.

Je me bornerai, pour le moment, à cette simple observation, dont la justesse ne me paraît pas pouvoir être révoquée en doute.

M. Delcourµ. - Messieurs, vous venez d'entendre les observations présentées par les deux honorables préopinants : l’honorable M. Jonet s’est occupé des sociétés en commandite. l'honorable M. Lelièvre vous propose d’introduire dans l'article premier une modification qu'il a indiquée.

Dans la discussion générale, je voudrais, mon tour, présenter quelques observations générales.

Je veux combattre une doctrine qui, selon moi, est dangereuse, au point de vue des grands intérêts engagés dans les sociétés commerciales et spécialement dans les sociétés anonymes.

Vous n'ignorez pas, messieurs, qu’il existe une école qui voudrait accorder l'émancipation la plus complète aux sociétés anonymes ; une doctrine qui tend à écarter l'intervention du législateur dans la matière délicate qui nous occupe. Cette doctrine, je le sais, est combattue dans le rapport de la commission ; et je me rallie aux considérations invoquées par l'honorable rapporteur.

Oui, messieurs, on doit reconnaître que l'intervention de la loi en cette matière est commandée par les intérêts les plus considérables.

Grâce à l'association, on a créé, en Belgique, ces vastes entreprises qui s'élèvent chaque jour, et sans lesquelles la lutte serait impossible dans le champ de la libre concurrence.

Que faut-il, messieurs, pour vaincre dans cette lutte ? Il faut d'abord apporter dans nos efforts de l'intelligence, du courage et de la constance ; il faut ensuite la puissance qui vivifie toutes les autres : le crédit et l'association.

La création d’une société n’est qu’un moyen.

La société ne devrait être que cela. Mais, malheureusement, elle n'a été trop souvent qu'un moyen de s'enrichir pour les fondateurs.

Au lieu de préparer d'utiles entreprises, elle a dégénéré et, dans trop de faites circonstances, la société en commandite et la société anonyme ont servi à tromper la confiance publique.

Le projet ne modifie pas complètement le régime des sociétés commerciales. Presque toutes les règles auxquelles les sociétés sont soumises reposent sur la nature des choses ; on tenterait. en vain, de changer la plupart de ces règles.

Les principales modifications introduites par le projet sont relatives aux sociétés anonymes. La loi supprime l'autorisation du gouvernement pour former la société ; et elle la remplace par des dispositions nouvelles qui tendent à faire régner la vérité dans les actes de société

Je citerai, messieurs, pour justifier l'intervention de la loi, le nombre des sociétés anonymes qui existent en Belgique, les grands intérêts qu'elles représentent ; les valeurs qui y sont engagées s'élèvent à des sommes considérables.

Voici, messieurs, quel était l'état des sociétés existantes au 1er janvier 1865. J'ai dû arrêter ma statistique à cette époque, le temps ne m'ayant pas permis de la poursuivre jusqu'à nos jours.

Je n'exagère pas, messieurs, lorsque j'affirme que le capital engagé dans nos sociétés commerciales dépasse 1,200 millions.

MfFOµ. - Dans les sociétés anonymes.

M. Delcourµ. - Dans les sociétés anonymes. Ce sont surtout celles-là qui ont donné lieu aux plus graves abus. Le gouvernement s'est surtout occupé de cette de société dans le projet de loi.

Les sociétés anonymes se divisent en sept catégories : 1° les sociétés financières ; 2° les sociétés d'assurances, 3° les sociétés de chemins de fer ; 4° les sociétés de charbonnage ; 5° les sociétés métallurgiques ; 6° les sociétés de routes, ponts et canaux, et 7° diverses sociétés particulières telles que : papeteries, linières, verreries, etc.

Au 1er janvier 1865, le bilan de ces sociétés se répartissait comme suit :

Les sociétés anonymes financières étaient au nombre de 19 ; la valeur des actions émises s'élevait à 92,852,130 francs ; et le montant des sommes versées était de 30,591,440 francs.

Il avait 29 sociétés d'assurances, qui se décomposent de la manière suivante :

11 ont pour objet l’assurance ou la réassurance contre l'incendie ; 12, l'assurance maritime ; 4, l'assurance cumulative contre l'incendie et les risques maritimes ; et 2 l’assurance sur la vie.

La valeur nominale des actions engagées dans ces sociétés est de 63,214,794 francs.

Viennent en troisième lieu les sociétés de chemins de fer. Leur nombre était de 38.

Les actions réunies s'élèvent à 365,475,087 francs et les obligations émises à 352,750,475 francs.

Les sociétés de charbonnages étaient, au 1er janvier 1865, au nombre (page 379) de 47, et la valeur nominale des actions réunies s'élevait, à cette époque, à 121,245,226 francs.

A la même époque, la Belgique comptait 39 sociétés métallurgiques, dont plusieurs exploitent en même temps des charbonnages. La valeur des actions réunies de ces sociétés était de 41,070,000 francs.

La sixième catégorie comprend les sociétés de routes, de ponts et canaux, autres que les chemins de fer. Nous trouvons là une valeur nominale de 33,519,324 francs.

Enfin, en septième lieu. nous rencontrons diverses sociétés anonymes, au nombre de 41, connues sous le nom de papeteries, linières, verreries, etc. ; le capital engagé dans ces dernières sociétés est de 73,819,524 francs.

Telle était la situation de nos sociétés anonymes au 1er janvier 1865 ; le chiffre du capital engagé dans ces sociétés s'est considérablement accru depuis cette époque ; en le portant à 1,200 millions, je suis resté en dessous de la vérité.

Eh bien, je vous demande st, en présence de faits aussi importants, il n'y a pas, pour le législateur, un devoir impérieux d'intervenir ?

Cependant, je n’hésiterais pas à repousser dans le règlement des sociétés l'intervention de la loi, si elle était contraire aux principes du droit ou à la liberté des conventions.

La liberté des conventions, nous la voulons aussi étendue que possible.

Mais, messieurs, à côté de la liberté des conventions, il y a, pour les sociétés commerciales, des intérêts spéciaux, des considérations particulières qu’un législateur prudent ne saurait négliger ; ce sont les intérêts des actionnaires ainsi que ceux des tiers.

La formation d’une société anonyme ne ressemble pas à la formation d'un contrat civil ordinaire.

Je suppose une vente. Quand on vendeur et un acheteur se rencontrent, on peut s'en remettre à eux du soin de débattre librement leurs intérêts. Il y a deux intérêts privés directement en lutte ; chacune des parties est éclairée sur la question à résoudre.

Mais, peut-on placer sur la même ligne la société anonyme et surtout la société par actions qui est d'une nature tout autre que la société civile ?

La société anonyme est une création pour ainsi dire artificielle de la loi ; c'est une agrégation de capitaux sans responsabilité personnelle.

Une société de cette nature n'offre aux tiers ni aux intéressés les garanties des conventions ordinaires.

En effet, comment les choses se passent-elles dans la vie réelle des affaires ?

A part les fondateurs, qui débat et discute les statuts de la société ?

Rarement les intéressés les connaissent. Le plus souvent ils sont attirés dans la société par un prospectus qui leur fait les plus belles promesses ; ils souscrivent, entraînés par la confiance que leur inspirent les noms des fondateurs.

Sans doute, on peut reprocher aux actionnaires de ne pas avoir pris leurs précautions ; mais je réponds qu'il faut, avant tout, se préoccuper des faits et assurer aux sociétaires eux-mêmes la sincérité des statuts sur la foi desquels ils se sont engagés.

Voyons maintenant quelle est la position des tiers. Ici encore on dira que les tiers qui veulent entrer en relation avec la société doivent connaître les conditions sous lesquelles cette dernière existe, les garanties que ces conditions leur présentent soit au point de vue du capital, soit au point de vue des gérants.

Sans doute. il devrait en être ainsi. Mais ici encore la vérité est que la rapidité et le nombre des affaires ne permettent pas d'étudier, à l'occasion de chaque opération, les stipulations sociales, comme cela se fait dans les actes ordinaires de la vie.

Ne croyez pas, messieurs, que je veuille que la loi vienne remplacer la convention ; non, je sollicite seulement les garanties indispensables pour assurer aux créanciers qu’ils peuvent compter dans la société anonyme.

Permettez-moi, messieurs, de rencontrer en peu de mots les observations que vous a présentées l'honorable M. Lelièvre ;

L'honorable membre a critiqué, avec raison, le paragraphe 2 de l’article premier, mais je pense que, dans sa critique, il n'a pas tenu compte suffisamment du dernier amendement présenté par le gouvernement.

Les sociétés commerciales ne peuvent avoir pour objet que des actes de commerce. Là est le principe.

Les actes de commerce résultent de la nature de l’acte ou de la détermination de la loi ; mais ils ne peuvent résulter de la volontés des parties.

A cette règle le projet du gouvernement avait fait deux exceptions : l’une ayant pour objet l'achat d’immeubles pour les revendre ; la seconde concerne l'exploitation des mines, minières et carrières et de ces deux exceptions, l'amendement du gouvernement n'a maintenu que la seconde.

Ici, j’ai une explication à demander au gouvernement, car je ne me rends pas bien compte du paragraphe 2 de l'article premier.

Messieurs, vous connaissez la loi du 21 avril 1810 sur les mines. L'article 32 de cette loi porte, en toutes lettres, que l'exploitation des mines n'est pas considérée comme un commerce et qu'elle n'est point sujette à patente. Il en résulte que la société formée par l'exploitation d'une mine ne peut être qu'une société civile, puisqu'elle a pour objet un acte qui n'est point un acte de commerce. Peu importe encore que capital soit divisé en actions et que la société soit anonyme ; l’article 8 de la loi de 1810 porte : « que les actions ou intérêts dans une société ou entreprise pour l'exploitation des mines seraient réputés meubles, conformément à l'article 529 du code civil. »

Tel est le système de la loi de 1810.

Je demande. au gouvernement si ce système est changé par l'article premier, paragraphe 2, du projet.

Voici le doute que je rencontre. Il est positif qu’une société minière n’est point convertie en société commerciale, par cela seul qu'elle se soumet à la forme anonyme. (Interruption.)

Non, messieurs, il ne peul pas en être autrement en présence du texte du projet de loi conçu en ces termes :

« Les parties peuvent, par leur volonté, rendre commerciales les sociétés dont l'objet est l'exploitation des mines, minières et carrières. »

Pour que la société devienne commerciale en vertu de la disposition de la loi proposée, il faut que les parties déclarent leur volonté. Où cette expression de volonté doit-elle se manifester ? Résulte-t-elle de la seule circonstance que les parties ont adopté la forme d’une société commerciale, ou bien exige-t-on une déclaration expresse des parties ? Si la société devient commerciale par cela seul qu'elle a adopté la forme d'une société commerciale, il convient de retrancher les mots : ‘par leur volonté », qui n'ont plus aucun sens, et il serait préférable de décider d'une manière formelle que la société qui a pour objet l'exploitation d'une mine ou d'une carrière est commerciale, lorsque les parties ont adopté la forme de la société anonyme, par exemple.

Le maintien des mots « par leur volonté » entraînera d'autres difficultés encore. On se demandera en quels termes la déclaration doit être conçue ? Si elle peut se faire après que la société a été constituée sous une forme commerciale quelconque ? Il faut que ces difficultés soient levées par des textes précis.

J'ai une dernière remarque à présenter encore. Il me paraît incontestable que si une société minière devient commerciale par cela seul qu'elle s’est constituée sous la forme commerciale, le système de la loi de 1810 est radicalement changé. Ce serait là, messieurs, une modification des plus graves, et devant laquelle je pourrais reculer. Lorsque en France on a discuté la loi de 1856, plus tard, celle de 1865, le gouvernement n'a pas voulu se prononcer ; le corps législatif français a écarté les amendements qui avaient été présentés dans ce sens.

La solution de la question a été ajournée, et le gouvernement français n’a voulu s’engager qu’à faire étudier la question. Une question de cette importance, messieurs, ne peut être décidée incidemment.

Si vous modifier la loi de 1810, si vous voulez en changer le système, dites-le.

Ne nous placez pas dans cette alternative de voir la loi de 1810 décrétant un principe qui ne se concilie pas avec la disposition nouvelle que vous proposez.

Je me résume : je demande des explications au gouvernement ; de la réponse dépendra l'amendement que j'aurai l'honneur de présenter.

Il faut que je sache si l'adoption d'une des formes de la société commerciale par société minière change la loi de 1810.

J'ai lu avec soin le rapport, et je n'y ai point trouvé une solution satisfaisante. Le rapport indique certaines hypothèses, mais il n'établit pas une solution complète.

MiPµ. - Je vais donner immédiatement à M. Delcour les explications qu'il demande. Quant aux autres observations, on pourra les discuter au fur et à mesure de la discussion des articles.

Les opérations qui ont pour objet l’exploitation des mines sont, aux termes de la loi de 1810, des opérations purement civiles. Ce principe doit rester intact, et le projet qui est soumis à la Chambre n’a pas pour (page 380) objet de modifier la nature même des opérations qui concernent l'exploitation des mines. C’est ce que le rapport déclare formellement.

Ainsi donc, lorsque l'on constituera, sous la forme commerciale de société anonyme une société qui a pour but des exploitations de mines, la société sera commerciale et les rapports entre les sociétaires seront réglés par la loi commerciale. Mais les opérations qu'ils feront vis-à-vis des tiers auxquels la forme de la société est étrangère au moins quant l'exploitation resteront des opérations purement civiles.

Voici pourquoi cette disposition a été introduite dans la loi.

La loi commerciale détermine un certain nombre de sociétés ; il y en a trois principales : la société en nom collectif ; la société en commandite et la société anonyme.

Ces formes de sociétés sont exclusivement propres aux opérations commerciales, en sorte que l'on peut pas constituer l'une ou l'autre de ces sociétés pour des actes purement civils.

Voilà un principe qui n'est pas contesté. Or, la loi de 1810, par une fiction, plutôt que par une saine appréciation de la réalité des choses, a décidé que l'exploitation des mines, qui est une opération industrielle, doit être considérée comme un acte purement civil.

Si nous avions maintenu le principe général que les formes des sociétés commerciales ne s'appliquent pas aux sociétés qui font des actes civils, il en serait résulté qu'une société de mines ne pouvait être constituée sous forme anonyme.

Il est certain que la pratique demande une autre solution. Comment fallait-il résoudre la contrariété qui résulterait du principe général et de la nécessité qui oblige de permettre la société minière sous la forme anonyme ? C'est ce que a l’article eu pour but de trancher et il décidé que les opérations d'exploitations de mines tout en restant purement civiles pourront faire l'objet des sociétés que les parties, par leur volonté, pourront déclarer commerciales.

On voit donc que la forme commerciale de la société n'a pas pour objet de modifier la loi de 1810. Je satisfais ainsi l'une des observations présentées par l'honorable M. Delcour.

Mais l'honorable membre pose une seconde question Il demande comment doit se manifester la volonté des parties. Comment saura-t-on, dit-il, que les parties veulent rendre leur société commerciale ? Mais, messieurs, en le saura quand les parties, pour une opération d'exploitation de mines, donneront à leur société la forme commerciale.

Il est incontestable que si les parties constituent une société en nom collectif, en commandite ou une société anonyme, c'est-à-dire une société essentiellement commerciale, elles manifestent clairement par là leur volonté de rendre leur société commerciale : et, comme on ne peut constituer une société commerciale qu'en adoptant une des trois formes que je viens d'indiquer, il en résultera, comme conséquence ultérieure, qu'il n'y a pas d'autre moyen de manifester cette volonté qu'en adoptant l'une ou l'autre des trois formes énoncées dans la loi.

Je reconnais qu'une autre rédaction, celle de l'honorable M. Delcour, par, exemple, eût pu être adoptée ; mais je ne crois pas que, tout en atteignant le même but, elle eût été meilleure.

On eût pu dire, par exemple : Les parties peuvent adopter pour les sociétés minières les formes des sociétés commerciales. Mais comme les des sociétés ne sont pas encore indiquées à l'article premier et que cette indication ne vient que plus loin, je pense qu'il est préférable de parler en termes généraux, dans l'article premier, de la forme des sociétés et d'en renvoyer le détail aux articles suivants.

Du reste, aucun doute n'est possible sur le sens de l'article premier et l'on comprendra parfaitement que la loi, en disant que les parties peuvent, par leur volonté, rendre commerciales les sociétés ayant pour objet l'exploitation des mines, on comprendra, dis-je, que cette volonté devra se manifester par le seul moyen rationnel, c'est-à-dire par l'adoption de la forme commerciale.

M. Lelievre. —Messieurs, je crois devoir faire observer que, sous la législation actuelle, il était permis de rendre commerciales les sociétés ayant pour objet l'exploitation des mines, etc. La jurisprudence a souvent statué en ce sens, de sorte que, sous ce rapport, le système du gouvernement ne fait que maintenir l'état de choses existant. Il existe de nombreux arrêts qui ont considéré comme commerciales certaines sociétés relatives à l'exploitation des mines. Par conséquent, sur ce point, on ne change pas la législation en vigueur.

M. Thonissenµ. - J'étais inscrit pour parler sur le paragraphe 2 de l’article premier ; mais comme les orateurs que nous veons d’entendre se sont mis à discuter ce paragraphe, je demande à la Chambre la permission de présenter dès à présent mes observations.

Je crois, messieurs, qu’on ferait bien de supprimer purement et simplement le paragraphe 2 de l’article premier.

Le code de commerce, en traçant les formes et en indiquant les effets des sociétés commerciales, n'indique pas quelles sont les matières qui peuvent être l'objet de ces sociétés.

La loi française du 24 juillet 1867 garde le silence : elle aussi n'a pas commencé par indiquer les opérations susceptibles d'être l'objet des sociétés commerciales.

On se trouve, en effet, en présence d'une règle excessivement simple.

Quand une société a pour objet des opérations commerciales, cette société est une société commerciale ; quand, au contraire, elle a pour objet des opérations civiles, c’est une société civile.

A cet égard, messieurs, je ne puis mieux faire que de lire trois lignes du rapport. rédigé par l'honorable M. Pirmez.

« Il est universellement admis, dit-il, que c'est l'objet d'une société qui en détermine la nature : une société est commerciale, lorsqu'elle a pour objet de faire des actes de commerce ; elle reste civile, lorsqu'elle a pour objet de faire des actes civils. »

Pourquoi donc parler ici des sociétés ayant pour objet l'exploitation des mines, des minières et des carrières ? Pourquoi ne pas garder le silence, comme on l'a fait en France ?

On a voulu faire le contraire en Belgique ; et, en agissant ainsi, ou est arrivé des hésitations, des tâtonnements, qui ne fourniront pas précisément une page brillante à l'histoire de notre législation nationale.

Prenons pour exemple ce qui a eu lieu pour les sociétés immobilières, dont nous a parlé l'honorable M. Lelièvre. Suivant la rédaction primitive du gouvernement, la société ayant pour objet l’achat d'immeubles pour les revendre est une société commerciale. Voilà un premier système.

Suivant le projet qui nous a été présenté par la commission, la société qui a pour objet l’achat d'immeubles pour revendre peut, par la volonté des parties intéressées, devenir une société commerciale. Deuxième système.

Ensuite est venu l'amendement du gouvernement, qui supprime purement et simplement la partie de l'article concernant les sociétés immobilières. Troisième système.

On a suivi un autre système pour les mines, les minières et les carrières. Suivant la rédaction admise par l'honorable ministre de la justice, les sociétés formées pour leur exploitation pourront être rendues commerciales par la volonté des parties intéressées. Si les fondateurs de la société gardent le silence, la société reste civile ; mais, s'ils manifestent une autre intention, la société devient commerciale.

Une telle faculté accordée aux contractants me semble contraire à tous les principes de droit. En principe, c'est le caractère des opérations qui détermine seul la nature de la société.

La volonté des parties intéressées est ici complètement inopérante. L'honorable ministre de l'intérieur a lui-même approuvé cette règle de la manière la plus formelle et la plus nette, dans le rapport que j'ai déjà cité.

Voici comment il s'est exprimé à cet égard :

« Le principe est que l'objet de la société seul détermine sa nature et partant détermine l'applicabilité du titre qui nous occupe. Une société commerciale est donc toujours soumise à ces règles, une société civile ne l'est jamais ; la première ne peut pas plus se soustraire à leurs prescriptions que la seconde invoquer leur privilèges. Quelle que soit la volonté des parties à cet égard, le principe est inébranlable. »

Et cependant le gouvernement fait céder le principe, il tient compte de la volonté des parties, puisqu'il leur permet d'imprimer ou de ne pas imprimer le caractère commercial aux sociétés ont pour objet l'exploitation des mines, minières et carrières !

Je préfère qu'on s'en tienne simplement à cette vérité, qui est incontestable, que la société qui a pour objet des opérations commerciales est une société commerciale, et que celle qui a objet des opérations est une société civile.

Le système suivi par le gouvernement n'est pas seulement en opposition avec la nature des choses, mais il est encore contraire aux règles fondamentales des lois de compétence et de procédure. En voici la preuve :

Aujourd'hui il est incontestablement reconnu, par tous les tribunaux français et belges, que les parties ne peuvent, même de commun accord, déférer une cause civile à l'appréciation d'un tribunal de commerce. Si l'incompétence de la justice consulaire n'est pas opposée par l'un des plaideurs, le tribunal, aux termes de l’article 170 du code de procédure civile, devra d'office se déclarer incompétent.

Quel est système que vous cherchez faire prévaloir aujourd’hui ? Vous voulez autoriser les parties à faire indirectement ce qu'elles ne (page 381) peuvent pas faire directement ; en donnant le caractère commercial à des opérations civiles, elles transfèrent nécessairement la connaissance de ces opérations à la justice consulaire,

Maintenant je vous demanderai pourquoi on veut étendre aussi considérablement la compétence des tribunaux de commerce. Il y a deux ans, je pense, nous eu une longue discussion, dans laquelle beaucoup de membres ont montré très peu de sympathie pour les tribunaux de commerce. Plusieurs de nos honorables collègues ont demandé qu'on leur donnât pour président un jurisconsulte, un docteur en droit. D'autres membres de cette assemblée, parmi lesquels on compte les honorables MM. Orts, Watteeu et Nothomb, ont demandé purement et simplement la suppression des tribunaux de commerce.

Que fait le gouvernement ? Il va étendre d'une manière notable la compétence de ces tribunaux ; il va soumettre aux juges de commerce quelques-unes des questions les plus difficiles du droit moderne.

Il ne faut pas oublier, messieurs, que la jurisprudence tend aujourd'hui de plus en plus à rendre la justice consulaire compétente pour juger les faits dommageables, les obligations contractées sans convention, en d'autres termes, les quasi-délits, quand ces quasi-délits ont leur source dans des opérations commerciales.

Qu'arrivera-t-il ? Supposons que deux mines se rencontrent, que l'une empiète sur l'autre, que l'une d'elles s'inonde. C'est un quasi-délit, et vous savez, messieurs, qu'on rencontre ici les questions les plus épineuses et les plus difficiles à résoudre.

Ce quasi-délit, après l'adoption du paragraphe 2 de l'article premier, sera de la compétence des tribunaux de commerce.

MiPµ. - Pas du tout.

M. Thonissenµ. - N'opposez donc pas une dénégation à cette assertion.

Il y a ici un honorable membre que je n'ai pas besoin de nommer, parce qu'il se nommera bien lui-même, qui a l'habitude de traiter les questions commerciales avec une grande autorité, et qui m'a dit que telle était réellement la jurisprudence. Voici, d'ailleurs, comment cette jurisprudence est résumée par Dalloz, aux mots : « Compétence commerciale », chapitre III, article 2, n°127

« La juridiction consulaire a qualité pour se prononcer sur les actions résultant d'engagements formés, même sous convention, entre commerçants, quand ces engagements prennent naissance dans des faits commerciaux. »

L'honorable ministre de l'intérieur me dira que ce ne sont pas là de véritables actes de commerce. En principe, il a raison. Je ne vois pas plus que lui des opérations commerciales dans des quasi-délits ; mais, en fait, les tribunaux consulaires se déclarent compétents pour apprécier le dommage causé par les faits dommageables, quand ces faits prennent leur source dans des opérations commerciales.

Ce n'est pas tout. Avec le système de l'honorable ministre de l’intérieur, il y aura, à chaque pas, des difficultés inextricables ; les plaideurs et les juges devront faire sans cesse une foule de distinctions plus moins subtiles. Pour en fournir la preuve, je n'aurai qu'à lire les lignes suivantes, écrites par l'honorable ministre lui-même dans son remarquable rapport.

Voici comment il s'exprime :

« Il est important de remarquer que la disposition qui permet aux parties de rendre certaines sociétés commerciales, n'a pas pour effet de changer la nature des opérations qui font l'objet de ces sociétés ; l'exploitation des mines restera toujours un acte civil. Par une exception que justifie le caractère de spéculation dont sont empreints ces actes, la loi permet à ceux qui s’y livrent de se constituer en société commerciale, en sorte que sa personnalité prenne cette qualité, sans que ses opérations cessent d'être civiles. De là des conséquences importantes. Toutes les contestations entre les associés seront nécessairement du ressort des tribunaux consulaires, la connaissance des opérations de la société continuera à appartenir aux tribunaux ordinaires, à moins que les faits litigieux soient de cette catégorie d'actes pour lesquels la qualité des parties peut entraîner la compétence des tribunaux de commerce.’

Donnez, messieurs, un tel système à appliquer à des juges consulaires, qui ne sont pas jurisconsultes : pourront-ils faire toutes ces distinctions ? N'aurez-vous pas des questions de compétence à l'infini ? Est-ce que la plupart des procès ayant trait à l'exploitation des mines ne commenceront pas par l'examen d'une exception d'incompétence ?

Je ne vois, en ce qui me concerne, aucune nécessité d'étendre ici la compétence des tribunaux de commerce.

Je sais fort bien que l’opinion que je combats compte des partisans, je comprends même sans peine qu'on puisse être favorable à cette opinion ; mais ce que je ne comprends pas, c’est qu’on donne aux parties le droit de rendre une société commerciale ou non commerciale au gré de leur volonté personnelle.

Si vous le voulez absolument, dites que ces sociétés seront commerciales ; mais, encore une fois, ne laissez pas aux parties la faculté de faire un choix inconciliable avec toutes nos lois de compétence et de procédure. Tous les jurisconsultes savent qu'il n'y a pas un auteur au monde qui n’enseigne que la compétence ratione materiae tient à l'ordre public, à l'intérêt général. Or, dans le système du paragraphe 2 de l’article premier, vous laissez la détermination de la compétence matérielle aux parties intéressées. Evidemment cela ne doit pas être.

A la vérité, le système n'est pas nouveau ; il a été mis en avant, il y a plusieurs années, par M. Troplong. C'est une grande et haute autorité devant laquelle j'aime à m'incliner, mais cependant M. Troplong lui-même n'est pas infaillible et je crois que, dans le cas actuel, Il s'est trompé.

Maintenant, puisque l'honorable ministre de l'intérieur se propose de me répondre, j'espère qu'il voudra bien me faire connaître la raison qui l'a déterminé à étendre aussi notablement la compétence des tribunaux de commerce.

Ainsi que l'ai dit en commençant, je voudrais, messieurs, voir supprimer le paragraphe 2 de l'article premier ; mais je ne présenterai pas d'amendement ; car, si la commission et le gouvernement restent d'accord, l'amendement n'aurait aucune chance de passer.

MpMoreauµ. - Si personne ne demande plus la parole dans la discussion générale, je proposerai d'aborder la discussion de l'article qu'on a déjà commencé à discuter, Cette manière de procéder me semble plus régulière.

- Personne ne demandant plus la parole, la discussion générale est close.

Discussion des articles

Section première. Dispositions générales

Article premier

« Art. 1er. Les sociétés commerciales sont celles qui ont pour objet des actes de commerce.

« Les parties peuvent, par leur volonté, rendre commerciales les sociétés dont l'objet est l'exploitation des mines, minières et carrières.

« Les sociétés commerciales se règlent par les conventions des parties, par les lois particulières au commerce et par le droit civil. »

MiPµ. - M. Thonissen fait erreur complète lorsqu'il croit que le but du projet est d'augmenter la compétence des tribunaux de commerce.

M. Thonissenµ. - Par le fait, vous y arrivez.

MiPµ. - L'intention n'est pas celle que suppose l'honorable M. Thonissen et les faits ne nous feront pas arriver à l'augmentation de la compétence commerciale. L'honorable membre me paraît s'être fait une illusion à cet égard.

Je suis donc obligé d'expliquer quelle est la situation et pourquoi on est forcé d'adopter le système qui est indiqué dans le projet de loi et pourquoi tout autre système est absolument impossible.

L'honorable M. Thonissen ne pourrait soutenir, en présence des faits existants, le système qu'il vient de développer.

Une société est commerciale lorsqu'elle a pour objet un acte de commerce ; elle est civile lorsqu'elle a pour objet des actes civils. Cette règle est prise pour base. Je la maintiens, mais je me demande si cette règle peut être maintenue sans une exception en matière de mines.

Il faut bien reconnaître une première chose : c'est que la conséquence de la règle que je viens d'énoncer est qu'on ne peut prendre la forme de la société en nom collectif ou en commandite et surtout de la société anonyme (car c'est là le point important) que pour les sociétés qui ont pour objet un acte de commerce. Voilà la règle. Nous ne pouvons pas admettre en général qu'on constitue des sociétés anonymes pour toutes espèces de choses ; pour posséder des immeubles, etc. ; il faut donc maintenir la règle, et M. Thonissen est d'accord avec moi, qu'on ne peut en général employer ces formes exceptionnelles de sociétés que pour des actes de commerce, mais si l'on maintenait cette règle sans dérogation, qu’arriverait-il ?

C'est qu'on ne pourrait pas constituer une société anonyme pour les exploitations de mines. Voilà quelle serait la conséquence du principe maintenu dans son entier. Eh bien, tous ceux qui connaissent ce qui se passe en matière d'exploitation de mines savent qu'il est nécessaire, dans beaucoup de cas, d'avoir des sociétés minières anonymes et je crois qua personne, dans cette Chambre, ne voudrait, par respect pour la généralité de la règle, empêcher une société de mines de se constituer sous la forme anonyme.

(Page 382) Ainsi nous devons admettre que les parties peuvent donner aux sociétés de mines une forme qui est réservée, en règle générale, aux opérations commerciales.

Mais, s'il en est ainsi, comment faut-il arriver à décréter cette exception ? Faut-il décréter une autre règle générale et dire que toutes les sociétés de mines constitueront des sociétés commerciales ? Vous un autre excès. Vous arrivez alors à proscrire les sociétés minières extrêmement nombreuses qui existent aujourd'hui sous la forme purement civile. Ainsi, par exemple, dans l'arrondissement de Charleroi, les sociétés charbonnières les plus importantes sont restées sous la ferme purement civile, et je ne crois pas que l’honorable M. Thonissen soit disposé à proposer un changement à cet état de choses.

Nous aurons donc forcément des sociétés de mines constituées sous la forme commerciale et nous aurons des sociétés de mines qui resteront sous la forme purement civile ; parce que, quelle que soit la règle que nous adoptions, à moins d'aller contre des faits pratiques qui ont une résistance que nous ne vaincrons pas, nous devons maintenir ici que les sociétés de mines peuvent être tout à la fois des sociétés dans la forme commerciale et des sociétés conservant la forme purement civile.

Mais qui déterminera soit l'une soit l'autre chose ? Voilà la question. L'honorable M. Thonissen doit bien reconnaître que ce n'est pas ici la nature des faits, quoique les faits soient les mêmes. Il faut donc laisser aux parties une latitude ; il faut leur permettre de prendre la forme commerciale si elles le jugent convenable, ou leur permettre de conserver la forme civile, si elles le croient plus convenable à leurs intérêts.

Et en adoptant ce principe, je ne vois aucune espèce de difficulté. Si les parties ont créé une société commerciale, le tribunal commercial connaîtra entre les parties du fait commercial qu’elles auront posé. Car ce sera un fait essentiellement commercial que d'avoir constitué une société sous une forme commerciale.

La juridiction consulaire connaîtra donc des contestations entre les associés, mais seulement entre les associés qui, par la formation de la société, ont fait un acte régi par la loi commerciale. Si, au contraire, une contestation s'élève entre des associés exploitant une mine, qui ont fait une société purement civile, comme ceux-là n'auront pas fait d'acte de commerce dans l'acte de société, la conséquence sera que le tribunal civil continuera à connaître des actes qui existent entre eux.

C'cst là, me semble-t-il, une conséquence toute simple et toute naturelle du contrat que les intéressés ont fait avec l'autorisation de la loi.

M. Lambertµ. - Les tribunaux ont qualifié la société, nonobstant le nom que les contractants lui avaient donné.

MiPµ. - Les tribunaux doivent évidemment appliquer la loi. Or, la loi n'est pas douteuse. Dès l'instant qu'il y aura une société commerciale créée avec l'autorisation de la loi, les tribunaux seront bien forcés de reconnaître que c'est une société commerciale et ce sont les tribunaux consulaires qui jugeront les parties qui ont fait cet acte.

Mais autre chose est de venir dire que les sociétés qui ont la forme commerciale feront, dans tout acte, un acte commercial. Il n'y a que l'acte constitutif qui soit régi par la loi commercial ; cet acte constitutif, fait par exception aux principes généraux, n'a aucune conséquence sur les actes qui se feront par la société elle-même.

Ainsi, l'honorable membre a parlé de l'empiétement d'une mine sur une autre, c’est là un acte essentiellement civil, et je défierais bien l'honorable M. Thonissen de me citer un cas où un tribunal consulaire belge aurait statué sur un fait de ce genre. Jamais il n'est venu à la pensée d'un tribunal de commerce de se déclarer compétent... (Interruption.)

Vous me dites maintenant que, d'après la loi nouvelle, on le prétendra. Rendons-nous bien compte de la situation nous verrons jamais les tribunaux de commerce ne seront compétents que pour des actes commerciaux.

Le texte même de l'article premier, en déclarant que les sociétés ayant pour objet des actes de commerce sont commerciales, et que celles qui ont pour objet l'exploitation des mines peuvent le devenir, prouve que les actes de cette exploitation sont et restent des actes civils.

M. Jacobsµ. - Je crois, messieurs, qu'il n'est pas aussi difficile de s'entendre que semble le craindre M. le ministre de l'intérieur et je ne désespère pas, pour ma part, de réussir à concilier les opinions opposées.

Le discours de l'honorable M. Thonissen contient une critique extrêmement fondée : une société commerciale qui ne pose que des actes civils est contraire à la nature des choses. Une société commerciale qui ne produirait que des effets civils ressemblerait à un poirier qui ne donnerait que des pommes.

On n’arrive à ce résultat que par la greffe qui, elle aussi, altère l'ordre de la nature.

Mais, s'il est inadmissible de constituer des sociétés commerciales qui ne posent que des actes civils, je crois, comme M. ministre de l'intérieur, qu'il est nécessaire de permettre à certaines sociétés civiles d'emprunter la forme de sociétés commerciales ; on le leur permettra, sans qu'il faille pour cela en faire des sociétés commerciales. Elles resteront sociétés civiles tout en empruntant les formes des sociétés commerciales.

Aujourd'hui mème l'anonymat, forme commerciale, est emprunté par une foule de sociétés civiles. Les sociétés minières revêtent forme commerciale et n'en restent pas moins des sociétés civiles.

De cette façon, nous maintiendrons la compétence civile, l'absence de contrainte par corps, la déconfiture substituée à la faillite ; en un mot, la société sera soumise exclusivement aux lois civiles, sauf la forme, qui sera régie par la loi actuelle. L'article première devrait être modifié de la manière suivante :

Le paragraphe premier serait maintenu.

Le paragraphe 2 deviendrait le paragraphe 3.

Le paragraphe 3, devenu le paragraphe 2, serait ainsi conçu :

« Les sociétés dont l'objet est l'exploitation des mines, minières et carrières, peuvent emprunter les formes des sociétés commerciales ; dans ce cas elles sont soumises aux dispositions suivantes. »

On permettrait ces sociétés d'emprunter les formes des sociétés commerciales sans cesser d'être des sociétés civiles ; elles seraient régies par les lois civiles, à part les dispositions de la présente loi qui ne concernent que leur forme.

La forme seule, régie par la loi commerciale, le fond demeurant, comme aujourd'hui, sous l'empire exclusif des lois civiles, telle serait la loi.

En un mot, nous aurions pour ces nouvelles sociétés, soit anonymes, soit en commandite, soit en nom collectif, ce qui n'existe aujourd'hui que pour les sociétés anonymes civiles.

Ce seront, comme le disait M. le ministre de l'intérieur, ce seront les parties qui, en choisissant cette forme, détermineront.... Mais que détermineront-elles ? Point le caractère de la société, mais exclusivement leur forme.

Satisfaction complète est ainsi donnée à l'opinion de M. le ministre de l'intérieur qui tient, e je le comprends, à ce que les sociétés puissent emprunter la forme commerciale ; et, d'un autre côté, il est également donné satisfaction à l'honorable M. Thonissen qui trouve étrange, et je le trouve avec lui, qu'on déclare commerciale la société qui ne fait jamais que des actes civils.

- L'amendement de M. Jacobs est appuyé ; il fait partie de la discussion.

MjBµ - Il me paraît difficile de ne pas réserver cet article. Je crois, du reste, qu'il y a une différence entre l'interprétation donnée dans le rapport de la section centrale et la rédaction primitive du projet du gouvernement. Comme, en définitive, c'est une matière où tous les systèmes sont plus ou moins bons, il importe que la Chambre connaisse aussi quelle a été primitivement la pensée du gouvernement.

Selon moi, dire qu'on fait une société, ce n'est pas faire acte de commerce. Les actes commerciaux sont définis dans l'article 637 du code de commerce.

Maintenant, on s'est demandé si les actes d'une société charbonnière, par exemple, sont des actes de commerce. Aux termes de la législation spéciale sur la matière, ce sont des actes civils. Le projet de loi, messieurs, a eu pour but deux choses : c'est de permettre aux sociétés charbonnières de prendre la forme anonyme ou la forme de la commandite et de donner le caractère commercial à leurs opérations. Ainsi, une société charbonnière qui vend du charbon fait un acte de commerce. Il est évident que si l'article doit recevoir cette interprétation, l'amendement de l'honorable M. Jacobs ne peut pas être admis, puisque cet amendement se borne simplement à permettre aux sociétés charbonnières de prendre la forme commerciale sans que cette forme les oblige à rien au point de vue de leurs actes. Tous les actes d'une société ainsi déclarée commerciale restent des actes civils.

Voilà l'interprétation consignée dans le rapport de la commission ; mais je crois, pour être exact, que telle n'a pas été la pensée du projet de loi. Je crois que le projet de loi a certainement voulu accorder aux sociétés charbonnières le droit de prendre la forme commerciale ; mais il a aussi entendu que, lorsque cette société charbonnière aurait pris la forme commerciale, tous ses actes seraient des actes commerciaux.

Maintenant, je n’entre pas dans des questions de (page 383) quasi-délits, etc., que l’honorable M. Thonissen a soulevées par suite de la jurisprudence.

C'est une question de fait, mais il pourrait très bien se faire, si le système que J'indique était admis, que l'opinion de l'honorable M. Thonissen triomphât et que les tribunaux civils se déclarassent dans ces cas incompétents.

Je crois dune que l’on ne peut se prononcer actuellement sur l'amendement de l’honorable M. Jacobs et qu'il y aurait lieu de le renvoyer à la commission pour que l'on puisse bien préciser le sens que l'on entend donner à la disposition de l'article premier.

MpMOreauµ. - M. le ministre propose de renvoyer l'amendement de M. Jacobs à la commission.

Je consulte la Chambre.

- L'amendement est renvoyé à la commission. Il sera imprimé et distribué.

Article 2

« Art. 2. La loi reconnaît trois espèces de sociétés commerciales :

« La société en nom collectif ;

« La société en commandite ;

« La société anonyme.

« Chacune d'elles constitue une individualité juridique distincte de celle des associés. »

M. Jacobsµ. - Messieurs, il est une modification de rédaction qu'il importerait d’apporter. Cet article s’exprime comme suit :

« La loi reconnaît trois espèces de sociétés commerciales :

« La société en nom collectif ;

« La société en commandite ;

« La société anonyme. »

Il ajoute ensuite que « chacune d'elles constitue une individualité juridique distincte de celle des associés. »

Puis vient l'article 3, qui dit :

« Indépendamment des trois espèces de sociétés ci-dessus, il y a des associations commerciales momentanées et des associations commerciales en participation, auxquelles la loi ne reconnaît aucune individualité juridique. »

On énonce donc d'abord qu'il y a trois espèces de sociétés commerciales et puis l'on ajoute qu'il en existe encore deux autres.

Cette rédaction est essentiellement vicieuse, il y a lieu de la modifier comme suit :

« La loi reconnaît trois espèces de sociétés qui constituent des individualités juridiques distinctes des associés :

« La société en nom collectif ;

« La société en commandite ;

« La société anonyme. »

On comprend. en effet, que l'on réduise à trois le nombre des sociétés qui constituent des individualités juridiques distinctes des associés.

Mais, commencer par dire : Il y a trois espèces de sociétés commerciales et après les avoir énumérées, ajouter qu'il en existe encore deux autres, c'est se contredire à plaisir.

Je propose donc de rédiger l'article 2 comme je viens de le dire.

- L'amendement est appuyé. Il fait partie de la discussion.

MjBµ. - Le reproche que fait l'honorable membre aux articles 2 et 3 n'est pas fondé, car l'article 3 du projet ne dit pas qu'il y a deux autres espèces de sociétés ; il dit qu'il y a en outre des associations momentanées et des associations commerciales en participation.

La rédaction de l'honorable membre n'empêcherait pas qu'outre les trois espèces de sociétés mentionnées à l'article 2 il y eût encore deux autres genres d'association dont devrait s'occuper l'article 3.

Je pense donc qu'il vaudrait mieux accepter la terminologie qui existe actuellement, et dire d'abord : « Il y a trois espèces de sociétés commerciales : la société en nom collectif ; la société en commandite ; la société anonyme », et puis, indiquer qu'outre ces trois sociétés il y a des réunions, des communautés qui peuvent se constituer, mais auxquelles la loi ne reconnaît aucune individualité juridique.

M. Jacobsµ. -Messieurs, l'on n'a jamais distingué entre les termes « société » et « association » en droit civil et commercial, on les a toujours considérés comme absolument synonymes.

On a toujours admis qu'il y a quatre espèces de sociétés commerciales, les trois principales et ensuite les sociétés en participation. C’est le terme dont on sert usuellement.

Désormais il y en aura cinq : trois principales et deux accessoires : les sociétés momentanées et les sociétés en participation. Dès qu'il y a cinq espèces de sociétés commerciales, et on ne peut le nier, il paraît étrange de déclarer qu'Il y en a trois. Dites au moins que ces trois premières ont un caractère commun et que les deux autres en diffèrent parce qu'elles ne l’ont pas.

Telle est la portée de amendement.

Je le répète : Si les mots « société » et « association » sont synonymes, il ne faut pas dire purement et simplement qu'il y a trois sociétés lorsqu’on ajoute aussitôt après que la loi en reconnaît deux autres.

MjBµ. - L'honorable membre se trompe et son observation n'est pas fondée, parce que la jurisprudence n'a pas reconnu aux associations momentanées le caractère de personnalité distincte.

C’est principalement là la différence qu'on a faite entre les articles 19 et 47 du code de commerce : à l'article 47, vous trouvez le mot « association » et à l'article 17 le terme « société ».

Si l'honorable membre est choqué de la rédaction de l'article 4, on pourrait la modifier et dire : Il y a des associations commerciales momentanées, etc. » en supprimant les mots : « Indépendamment des trois espèces de société ci-dessus... »

M. Jacobsµ. - Je ne crois pas que jamais on ait restreint le mot « société » aux associations qui forment des personnes civiles. C'est ainsi que les sociétés civiles n'en forment pas. d'ordinaire. Le code les désigne cependant sous le nom de sociétés. Ce mot n'est donc pas réservé aux associations qui forment des personnes civiles. On a toujours employé indistinctement le mot « société » et le mot « association ». Dès lors, les associations en participation et les associations momentanées doivent être considérées comme des sociétés, aussi bien que les sociétés civiles, aussi bien que les sociétés coopératives.

Ce qu'il importe de déclarer dans l'article premier, c'est que, parmi les sociétés commerciales, qui sont au nombre de cinq, il y en a trois qui forment des personnes civiles, qui ont une individualité distincte de la personne de leurs associés. Dites-le et vous énoncerez une vérité, tandis qu'en vous bornant à déclarer qu’il y a trois sociétés, vous dites une chose inexacte.

MjBµ. - Du tout, les autres ne sont pas des sociétés.

- L'amendement de M. Jacobs est mis aux voix et n'est pas adopté.

L'article 2 est ensuite mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3/ Indépendamment des trois espèces de sociétés ci-dessus, il y a des associations commerciales momentanées et des associations commerciales en participation, auxquelles la loi ne reconnaît aucune individualité juridique. »

MjBµ. - Je propose la suppression des mots : « Indépendamment des trois espèces de sociétés ci-dessus ».

- L'article 3, ainsi modifié, est adopté.

Articles 4 et 5

« Art. 4 et 5. Les sociétés en nom collectif et les sociétés en commandite doivent, à peine de nullité, être formées par des actes spéciaux, publics ou sous signature privée, en se conformant, dans ce dernier cas, à l'article 1325 du code civil.

« Les sociétés anonymes doivent, à peine de nullité, être formées par des actes publics.

« Toutefois ces nullités ne peuvent être opposées aux tiers par les associés. »

M. Reynaertµ. - Messieurs, on pourrait, à la rigueur, contester la nécessité de renvoyer à l'article 1325 du code civil pour la validité des actes sous seing privé, puisque à l'article premier il est dit d'une manière générale que les sociétés de commerce se règlent par le droit civil.

Cependant pense que cette indication n'est pas sans utilité ; je crois même qu'il faudrait la déterminer davantage, en indiquant d'une manière précise quel nombre d'originaux sera nécessaire pour la validité des actes privés.

Il existe sur ce point un doute, que nous pourrions ainsi faire disparaître.

D'après un arrêt de la cour de Bruxelles du 11 août 1859, lorsque la société est constatée par un acte sous seing privé, la disposition de l'article 1325 doit être exécutée. En conséquence, il faut autant de doubles qu'il y a de parties ayant des intérêts divers.

Messieurs, il peut se présenter, spécialement dans la commandite, plusieurs hypothèses : Ou bien, l’acte sous seing privé ne porte que la signature du gérant, les noms des commanditaires y sont seulement indiqués comme souscripteurs ;

Ou bien, plusieurs commanditaires ont signé l'acte ;

Ou bien encore, plusieurs gérants ont signé l'acte, mais dans des (page 384) conditions très différentes : les uns mettant en commun leur travail, leur industrie, les autres apportant des mises en argent ou en nature.

En présence de cette diversité de situation, comment faudra-t-il interpréter l'article 1325 du code civil ? D'après l'arrêt que je viens de citer, il faudrait, pour la validité de l’acte, autant de doubles que de parties intéressées.

L'article premier de la loi française de 1867 a tranché la question en décidant que l’acte sous seing privé, quel que soit le nombre des associés, sera fait en double original, dont l’un sera annexé à la déclaration de souscription du capital et l'autre restera déposé au siège social.

Je crois qu'il serait bon d'introduire dans notre code une semblable disposition et de dire, par exemple, que l'un des doubles sera remis entre les mains du fonctionnaire désigné à l'article 11 ; que l'autre sera déposé au siège social.

Nous obtiendrions ainsi un double avantage : d'abord, de résoudre une question douteuse ; ensuite, de permettre au fonctionnaire chargé de publier l'extrait de l'acte de vérifier la sincérité des déclarations qui y sont contenues.

MpMoreauµ. - Voici l'amendement que M. Reynaert vient de faire parvenir au bureau.

Remplacer les mots : « en se conformant, dans ce dernier cas, à l'article 135 du code civil », par un paragraphe nouveau ainsi conçu :

« L'acte sous seing privé, quel que soit le nombre des associés, sera fait en double original, dont l'un sera remis et restera déposé entre les mains du fonctionnaire désigné à l'article 11 et l'autre, au siège social. »

L’amendement de M. Reynaert est-il appuyé ? (Oui !) Il fait donc partie de la discussion.

MjBµ. - Messieurs, l'amendement de Reynaert ne me semble pas admissible. En effet, l'honorable M. Reynaert propose de faire l'acte sous seing privé en double original et d'en laisser un entre les mains du fonctionnaire désigné à l'article 11 et de déposer l'autre au siège social. Cela peut très bien se faire, messieurs, pour les sociétés anonymes ; mais pour les sociétés en nom de collectif et en commandite cela est inutile ; on n'exige qu'un extrait de l'acte.

Ensuite, messieurs, quel sera le siège social de la société ? Ce sera souvent un des associés qui sera détenteur de l'acte ; les autres membres de la société ne l'auront pas et la maison où se fait le commerce et qui est habitée par un des associés sera le siège social.

Je crois donc que l'amendement de M. Reynaert, admissible pour les sociétés anonymes, ne l'est pas pour les sociétés en nom collectif et en commandite et qu’elle va au delà du projet, car il exige le dépôt d’un double original de l'acte sous seing privé chez le fonctionnaire désigné à l'article, tandis que le projet n'exige que le dépôt d'un extrait.

M. Reynaertµ. - L'honorable ministre de la justice me dit que mon amendement ne pourrait être admis que pour la société anonyme ; mais l'honorable ministre perd de vue que la société anonyme se constitue par acte public.

En ce qui concerne la société en nom collectif et la commandite, il est vrai que le projet de loi exige la publication d'un extrait de l'acte sous seing privé ou de l'acte notarié ; mais rien ne s'oppose ce que l'un des doubles de l'acte reste déposé entre les mains du fonctionnaire qui sera chargé de publier l'extrait.

M.Lambertµ. - Je ne comprends pas l'utilité de l'amendement proposé par M. Reynaert ; dans tous les cas, je le trouve dangereux.

Nous ne pouvons pas, messieurs, à chaque article du code de commerce, établir des exceptions aux règles générales du droit.

Aux termes de ces règles générales, messieurs, on a des facultés très grandes de créer des sociétés ; on peut recourir à des actes authentiques et à des actes sous seing privé lorsqu'il s'agit de sociétés en nom collectif et en commandite.

Si l'on veut avoir des garanties complètes, on les trouve d'abord dans l'acte authentique, dont il reste minute ; ensuite dans l'acte sous seing privé dont chaque contractant retire un double, comme l'exige, sous peine de nullité, l'article 1325 du code civil.

Pourquoi admettre que lorsqu'il s'agira d'une société en nom collectif et en commandite, on pourra faire une exception à la règle de l'article 1325 ? Pourquoi ne pas exiger, pour la sécurité de tous et en vue d'éviter des procès, qu'on se conforme strictement et scrupuleusement au principe de cet article ?

D'après l'amendement, on se poserait au-dessus et en contravention de l'article 1325 ; il y aurait simplement deux titres qui pourraient regarder dix, vingt, trente personnes. Quelle sera donc la garantie ces personnes, lorsqu'elles auront besoin de recourir au titre qui leur sera indispensable ? Ce titre sera, dit-on, dans le local social. Mais est-ce là une garantie suffisante ? Ce titre sera-t-il toujours à la disposition de l'intéressé ? ne pourra-t-il disparaître ? En fait, y aura-t-il toujours un siège social ?

L'article 1325, lorsqu'il a été édicté, a eu un grand but : c'est d'accorder à chaque intéressé le droit d'avoir son titre particulier pour en faire l’usage que bon lui semblerait. Or, le vœu de cet article disparaîtrait complètement par l'amendement dont il s'agit.

Je crois que nous devons rester, et ce sera un acte de sagesse, dans la règle générale édictée par l'article 1325 et qu'il n'est pas besoin, à propos d'actes de commerce, d'apporter encore une exception à une règle générale qui est bonne et qu'il faut conserver.

M. Reynaertµ. - En présence des explications qui viennent d'être échangées, je déclare retirer mon amendement.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Articles 6 à 8

« Art. 6. Les associations momentanées et les associations en participation peuvent être constatées par la représentation des livres, de la correspondance, ou par la preuve testimoniale, si le tribunal juge qu'elle peut être admise. »

- Adopté.


« Art. 7. Les actes de société en nom collectif et de société en commandite doivent être publiés, par extrait, aux frais des intéressés. »

- Adopté.


« Art. 8. L'extrait doit contenir :

« La désignation précise des associés solidaires ;

« La raison de commerce de la société ;

« La désignation des associés ayant la gestion et la signature sociale ;

« L'indication des apports et du montant des valeurs fournies ou à fournir en commandite ;

« La désignation précise des commanditaires qui doivent fournir des valeurs, avec l'indication des obligations de chacun ;

« L'époque où la société doit commencer et celle où elle doit finir. »

- Adopté.

Article 9

« Art. 9. L'extrait des actes de société doit être signé : pour les actes publics, par les notaires qui les ont reçus, et pour les actes sous seing privé, par tous les associés solidaires. »

M. Reynaertµ. - Messieurs, au paragraphe 5 de l'article 8, la commission et le gouvernement rattachent la solution d'une question très grave qui a divisé jusqu'à ce jour la doctrine et la jurisprudence.

L'introduction de ce texte nouveau aurait pour résultat de rendre à l'avenir le souscripteur d'actions personnellement et indéfiniment responsable du montant total de l'engagement souscrit ; contrairement à ce qui se passerait dans la société anonyme, la cession de l'action ne le libérerait pas ; elle transmettrait ses droits, non ses obligations.

Pour attacher ainsi une responsabilité illimitée à la personne du souscripteur, on nous propose de décider : 1° à l’article 8, paragraphe 5, que l'extrait de l'acte de société commandite devra contenir la désignation précise des commanditaires qui doivent fournir des valeurs, avec l’indication des obligations de chacun ; 2° à l'article 13, que toute retraite d'associés devra recevoir la même publicité.

Un texte formel est inutile, dit-on ; la controverse existante se trouve nettement tranchée par les prescriptions de ces deux articles.

Néanmoins, ce double texte a fait naitre dans mon esprit des doutes et éveillé des craintes que je vous demande la permission de vous communiquer.

D'abord. il m'est impossible de me rendre un compte exact de la portée qu'il faut attribuer à ces dispositions nouvelles.

Si je consulte le but que l'on se propose d'atteindre, je suis obligé de croire que l'obligation personnelle et indéfinie qu'elles consacrent s'appliquerait uniquement à la commandite par actions et à la cession ou négociation commerciale.

Quel est, en effet, le but ? C'est de remédier aux abus : d'éloigner de la commandite l'agiotage pour le concentrer dans la société anonyme ; d'attacher l'actionnaire à l'entreprise par un lien réfléchi, solide et durable ; en empêchant les créations éphémères, de mettre un terme aux manœuvres frauduleuses exécutées à l'aide de primes fictives et de cessionnaires insolvables, et ainsi de ramener la commandite à une existence moins aventureuse et plus honorable.

Or, tous ces griefs sont exclusivement propres la commandite par actions, seule susceptible d'une négociation commerciale. Si, au contraire, j'examine le texte du projet de loi et la place qu'occupent les deux articles, je me sens forcé de donner à la disposition un sens plus général embrassant à la fois la commandite simple et la commandite par actions, la cession civile et la cession commerciale.

(page 385) Et voilà une chose que Je ne puis point admettre.

Craint-on. par hasard, que l'agiotage, que la fraude, que les abus de tout genre auxquels on veut porter remède, après avoir été expulsés de la commandite par actions, iront se réfugier dans la commandite par intérêts et dans la cession civile ? La cession civile est trop lente, trop formaliste, trop dispendieuse pour favoriser à un degré quelconque les artifices, les circulations frauduleuses que l'on veut empêcher ?

S'il en est ainsi, pourquoi restreindre inutilement la sphère de la liberté des conventions ? Pourquoi lui imposer des limites qui n'ont pas de raison d’être ?

Quoique l'intérêt soit incessible, rien ne s'oppose actuellement à ce que les personnes qui contractent une société commerciale conviennent que chacune d'entre elles, ou quelques-unes, ou l'une seulement, pourront céder à un tiers leur intérêt ou leur part dans la société ; l’incessibilité est bien de la nature, mais non de l'essence du contrat.

Pendant la société même, l'article 1861 du code civil permet à un associé de se substituer un tiers, moyennant consentement de ses coassociés.

Eh bien, d'après le projet de loi, ces stipulations, qui intéressent avant tout les associés, n'auront plus pour effet de libérer le cédant, si toute sa mise n'a pas encore été versée, à moins d'être considérées comme des actes modificatifs du contrat primitif, devant, aux termes de l'article 13, recevoir la publicité organisée par le projet de loi.

Le commanditaire, dans les limites de sa mise, est donc mis sur la même ligne que l'associé responsable ; le contrat devient pour lui un contrat de personnes. Et une entrave de plus est opposée à la disponibilité des valeurs sociales.

Mais c'est dans la commandite par actions surtout que se manifeste le caractère restrictif du projet de loi.

Aujourd'hui, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, il existe, sur la mesure de la responsabilité qui incombe au souscripteur d’actions, des dissidences profondes.

D'après les uns, la cession du titre ne dégage point l'actionnaire de l'obligation de parfaire sa mise.

D'après les autres, le fait de la division en actions emporte virtuellement le consentement anticipé de la société à toutes les cessions qui pourraient être faites. C’est l’action qui est débitrice, et le fait de la céder a le pouvoir de libérer son possesseur primitif.

Dans le projet de loi, l'action nominative, qui est désormais seule permise, peut encore être aliénée, il est vrai, mais cette aliénation n'a plus qu'une puissance partielle ; elle transfère bien les droits du cédant ; elle ne transfère plus son obligation de verser.

Si je comprends bien le texte, l'action nominative ne pourrait récupérer sa vertu libératrice que par un seul mode de cession, par la cession civile, laquelle serait un acte modificatif du contrat et, comme tel, soumis à la publicité obligatoire de l'article 13.

Ainsi, hormis le cas où la cession serait faite de cette manière et aurait reçu cette publicité, malgré les stipulations des statuts, malgré la volonté des parties contractantes, le souscripteur primitif resterait lié par un engagement personnel dont la négociation de l’action ne pourrait l’exonérer.

Que l'on est loin de l'opinion qui soutient que, en l'absence d'agréation ou d'autorisation, l'action, par sa nature même, implique libération en cas de cession régulière !

Mais pour apprécier exactement toute l'étendue du pas que l'on fait en arrière, il est indispensable de se bien pénétrer des faits existants, autorisés par la loi et consacrés par l'usage.

Il y a en présence, avec une contradiction apparente, des idées également respectables, qu'il s'agit de concilier dans la mesure du possible.

D'une part, l'obligation de satisfaire à l'engagement souscrit, obligation basée sur les principes généraux en matière de conventions, et identifiées avec l'intérêt du tiers et, dans une certaine mesure, avec l'intérêt des actionnaires eux-mêmes ; d'autre part, la liberté des transactions, principe vital pour le développement de l'esprit d'association et de l'activité commerciale : tels sont les deux termes du problème.

Comment ce problème est-il résolu aujourd'hui ?

Sous le code actuel, le souscripteur d’actions est tenu du payement intégral du montant de sa mise.

Mais ce principe, consacré par la morale et le droit, comme l'expression du caractère inviolable du contrat, n'est pas un principe absolu, excluant les conventions contraires.

A côté de ce principe existe, d’une manière dominante, la liberté des conventions.

Et fait que voit-on ?

Dans la plupart des statuts, la cessibilité des actions est expressément et permise. La cession est autorisée moyennant l'agréation du conseil d'administration ou du conseil de surveillance, ou sans adhésion de l’assemblée générale.

La cession accomplie, le cédant est, vis-à-vis de la société, affranchi de l'obligation de parfaire sa mise. Une novation a lieu par la substitution d'un débiteur nouveau au débiteur ancien.

Quel que soit vis-à-vis des tiers l'effet d'une cession effectuée dans ces conditions, voilà une catégorie de conventions entre associés d'une part, entre cédant et cessionnaire d'autre part, que le projet de loi prohibe. L'obligation de verser le montant de la totalité de l'action est en quelque sorte élevée à la hauteur d'un principe d'ordre public ; le souscripteur primitif n'a plus la faculté d'y déroger.

Et alors, je me demande quelle est encore l'utilité de l'action ainsi destituée de sa cessibilité ? Pourquoi ne pas s'en tenir à la proposition radicale du gouvernement qui voulait primitivement proscrire d'une manière absolue la division du capital social en actions ?

Si l'action a un avantage, c'est sa circulation de main en main, facile, rapide, économique ; c'est là sa vraie supériorité sur le titre civil et c'est grâce à ces caractères qu’elle a de tout temps constitué une sollicitation si puissante pour l'épargne, qui y trouve des placements temporaires ou définitifs, réalisables au gré de ses possesseurs.

En paralysant la cession dans son effet principal, vous opposez à cette négociation une barrière insurmontable ct, de fait, vous détruisez la commandite par actions.

Quoi ! je ne pourrais plus entrer dans ces sociétés qu'avec l’intention d'y rester indéfiniment, de m'y engager sans esprit de retour, sans contracter une dette en quelque sorte perpétuelle, aussi durable que la société même, que je n'aurai peut-être pas l'occasion ni le pouvoir de payer, si aucun appel de fonds n'est fait, mais sous l'éventualité de laquelle je resterai pendant dix, vingt, trente ans, qu'à mon décès je transmettrai à mes enfants entre lesquels elle se divisera de plein droit.

Sans doute, j'aurai le droit de vendre mes actions. mais vous me placez dans cette alternative : ou bien de recourir, au milieu de lenteurs et de frais sans nombre, au ministère des huissiers et des notaires ; ou bien de faire une aliénation qui n'aura d'autre force que de me dessaisir de mes droits. J'aurai aliéné non seulement mon droit mobilier, mais mon droit de vote et de surveillance, et si plus tard la société périclite, si une direction nouvelle, imprudente, ruineuse, lui a été imprimée, vous permettez que l'on vienne me tenir ce langage : « C'est vous le souscripteur primitif ; vous avez loyalement souscrit et loyalement vendu vos actions ; vous n'êtes pour rien dans les fautes ou dans les événements qui ont précipité la ruine de la société ; mais vous n'en êtes pas moins tenu à payer l'intégralité de vos actions en lieu et place de vos cessionnaires. »

Dans un pareil régime, messieurs, je le demande encore une fois, quelle ombre d’utilité conserve l'action nominative ?

Pour ma part, je ne le comprends pas.

Mais bien d'autres conséquences restrictives sont contenues dans le principe adopté par le projet de loi. Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner un instant la formule sous laquelle on le présente.

Que demande-t-on dans le paragraphe 5 de l'article 8 ?

Que l'extrait de l'acte d' société contienne la désignation des commanditaires qui doivent fournir des valeurs et que cet extrait soit remis, dans les quinze jours de la date de l'acte, entre les mains du fonctionnaire qui est chargé de le publier.

C’est le bouleversement le plus complet de ce qui se pratique actuellement.

Que se fait-il aujourd'hui ?

L'acte de société sous signature privée ou notariée, pour être valable, n'a pas besoin d'être l'œuvre simultanément commune, simultanément collectivc de tous associés. Cet acte peut émaner de quelques-uns des associés seulement, même du gérant seul. Pour former le lien de droit, il n'est pas nécessaire que la masse commanditaire y intervienne ou y soit représentée par un ou plusieurs souscripteurs.

Le contrat de société est sans doute un contrat synallagmatique, qui ne peut exister que par l’accord de deux ou d'un plus grand nombre de volontés, mais il n'est pas indispensable que cet accord se manifeste au même instant ; l'acte signé par le gérant constitue la première phase de la convention sociale, c'est-à-dire l'offre de s'associer, adressée à tous ceux qui voudraient souscrire des actions ; la souscription, qui n'est autre chose que l'acceptation de l'offre, vient compléter le contrat et lui donner la vie.

(page 586) Cette souscription, nécessaire, non à la conclusion du contrat. mais à son achèvement, est presque toujours successive au lieu d'être simultanée, surtout quand l'entreprise est grande, quand le capital social est considérable. Elle ne se fait pas même du jour au lendemain, mais lentement à mesure que l'objet et les conditions de l'affaire pénètrent dans le public et y conquièrent la confiance.

Dans la prévision des fondateurs, la souscription est souvent l’œuvre de deux ou trois années. C'est pourquoi on stipule souvent qu'on abandonne au gérant. soit seul, soit avec l’autorisation du conseil de surveillance ou de l'assemblée générale, la faculté d'émettre une nouvelle série d'actions, ou bien, d’autres fois encore, on convient que, dans le cas où les circonstances ou les nécessités de l'entreprise l'exigeraient, le capital social primitif pourra être porté à une somme plus élevée par le moyen d'une nouvelle émission.

Et ces procédés, autorisés par la loi et consacrés par l'usage, sont invinciblement commandée par l'intérêt des sociétés.

Il est certain, en effet, que beaucoup d'affaires et d'affaires considérables n'ont besoin, au début, que d'une partie de leur capital. Il n'y aurait aucun avantage pour elles à en appeler à la totalité. Il y aurait même quelquefois un préjudice ; car si les sociétés reçoivent un capital plus grand qu’elles n’en ont besoin, elles sont obligées de l'immobiliser, de le convertir en rente, de le mettre en dépôt, ce qui peut devenir préjudiciable.

Eh bien, ces stipulations contractuelles qui ont leur base dans la liberté des conventions et leur raison dans la nécessité seront désormais, je ne dirai pas interdites, mais entravées par les formalités auxquelles le projet de loi les assujettit.

Cette question est grave, messieurs, et mérite toute votre attention.

MiPµ. - Cela est inexact.

M. Reynaertµ. - J'entends M. le ministre de l'intérieur dire que cela n'est pas exact ; mais cela est clair, cela est incontestable ; je vais le démontrer.

Comment, en effet, pourrait-on comprendre autrement le paragraphe 5 de l'article 8 ? Dire à cet article que les noms des commanditaires et leurs obligations seront exactement relatées dans l'extrait de l'acte social, dire ensuite à l'article 11 que cet extrait doit être publié endéans les trois semaines. à peine de dommages-intérêts et d'autres dispositions pénales ou fiscales : n'est-ce pas dire en même temps qu'aucune société en commandite ne sera dorénavant définitivement constituée et rendue publique qu'après la souscription de tout le capital social ? Et n'est-ce pas prohiber, à l'avenir, les souscriptions successives et postérieures au contrat ?

Car dans le cas contraire la prescription que je critique n'aurait plus qu'une valeur insignifiante, et il s'agirait de rechercher le moyen de porter à la connaissance des tiers les noms des actionnaires qui n'ont participé au contrat qu'en apposant leur signature sur un bulletin de souscription.

C'est donc une rupture ouverte avec les usages les plus constants du passé.

En considérant cet esprit restrictif si outré du projet de loi, je ne puis me défendre d'une crainte. Je crains que vous ne dépassiez le but que vous vous proposez et que, tout en comprimant la fraude et le dol, vous ne portiez à la commandite un coup mortel.

C'est pour écarter autant que possible une conséquence aussi fâcheuse que j'ai rédigé, de concert avec l'honorable M. Moncheur, plusieurs amendements que j'aurai l'honneur de développer.

Je demande d'abord à l'article 8 la suppression du paragraphe 5 et, à l'article 13, la suppression des mots : « ou retraite d'associés ».

Je crois avoir suffisamment exposé les motifs de cette double suppression.

Ensuite, je propose à l'article 24 la rédaction que voici :

« Le capital des sociétés en commandite peut être divisé en actions nominatives.

« Les souscripteurs d'actions sont responsables du payement du montant total des actions par eux souscrites.

« Néanmoins, si les actions ont été libérées du tiers, la responsabilité cesse après un délai de trois ans à partir du transport régulièrement effectué en vertu d'une autorisation expresse des statuts et avec l'agréation du conseil de gérance.

« L'action devra porter un numéro d'ordre et devra être inscrite et transmise conformément aux prescriptions des articles 34 et 35. »

Comme vous venez de l'entendre, messieurs, j'adopte le principe de la responsabilité du souscripteur primitif, mais je l’adoucis dans ce qu’il a de trop sévère, je l’atténue dans ce qu'il a de trop restrictif. J'élargis la sphère des libres transactions ; je restreins celle de la loi.

J’aurai à vous exposer d'abord dans quels cas et dans quelles limites existerait la responsabilité ; ensuite, dans quelles hypothèses et à quelles conditions elle viendrait cesser.

La place que j'ai assignée à l'énonciation du principe de l'obligation personnelle, ainsi que les termes dans lesquels il est conçu et que j'ai empruntés à la loi française du 17 juillet 1856, démontrent que son application est limitée à la commandite par actions et à la négociation commerciale de ses actions.

La commandite ordinaire et la cession civile soit des parts d'intérêt, soit des actions elles-mêmes, restent sous le régime actuel.

Sous cette réserve, le principe est général ; il s'applique à tout souscripteur primitif, qu’il ait été, oui ou non, partie stipulante au contrat.

Ce principe, ainsi entendu, j'ai cru nécessaire de le mettre en relief, de l'affirmer en termes formels, afin qu'à première vue, rien qu'en ouvrant le code de commerce, l'individu qui est sur le point de s'engager dans une commandite puisse avec certitude connaître son obligation principale.

Sous ce rapport, le texte du gouvernement laisse à désirer ; à moins d'être initié aux études juridiques, à moins d'avoir lu le rapport de la commission ou les Annales parlementaires, personne n'attacherait à ce texte l'importance qu'on lui attribue.

Dans le système du gouvernement, la souscription totale du capital social est une condition virtuelle de la constitution définitive de la société. Je fais disparaître cette restriction comme inutile, comme gênante pour la formation des grandes sociétés, comme contraire aux usages existants. Il s'ensuit que la liberté conservera son empire, en ce qui concerne les stipulations qui se rapportent à l'émission du par série d'actions ou à l'augmentation du capital lui-même par des émissions nouvelles.

Mais ce principe, dont je viens d'expliquer la portée, n'est point absolu ; il frappe le souscripteur, mais seulement pour un temps déterminé. Sa durée est susceptible d'une espèce de prescription dont j’ai fixé le terme à trois ans.

Si l'aliénation a été régulièrement faite, trois ans après le souscripteur cessera d'être soumis à la responsabilité de la totalité de son engagement. Par l'effet de la novation. un débiteur nouveau prendra la place du débiteur ancien ; c'est le cessionnaire et parmi les cessionnaires successifs, c'est le dernier, c'est-à-dire le porteur de l'action qui sera obligé, le cas échéant. de verser le surplus de la mi

Diverses conditions sont exigées pour que cette prescription triennale s'accomplisse :

La première, c’est que l'action n'ait été négociée qu'après avoir été libérée d'un tiers.

Mais l'action. ai-je besoin de le dire ? n'en sera pas moins transmissible ; seulement, elle ne pourra l'être que dans les formes et suivant les différents modes établis par le droit commun, par donation, par testament, par succession, ou bien encore dans la forme prescrite par l'article 1690 pour la transmission des créances. La négociation commerciale elle-même sera permise, mais elle n'aura pas pour effet de dégager le souscripteur, si le tiers n'a pas encore été versé.

La seconde condition, c’est que la cessibilité ait été expressément autorisée par les statuts de la société et que le cessionnaire ait été agréée par le conseil de gérance.

Ainsi, contrairement à ce que l'on prétend exister sous le code, la nature seule de l'action, en cas de cession, n'emportera pas libération complète. Il faudra la fois une autorisation générale des statuts et le consentement de la gérance.

Cette condition est conforme au droit commun ; elle exige l'accomplissement d'une formalité qui est essentielle à la novation, à savoir l'acceptation par le créancier du nouveau débiteur.

La troisième condition consiste à exiger que transmission se fasse d'après les règles tracées, pour la société anonyme, dans les articles 34 et 35.

Ainsi si l'action a été cédée avant le versement d'un tiers, ou sans l'autorisation des statuts et du conseil de gérance, ou sans l'observation des formes légales, le principe conservera sa force ; la cession sera de nul effet quant à la transmission des obligations du souscripteur.

Ce système, qui laisse certainement une plus grande latitude aux conventions des parties, obvie à tous les abus, répond à tous les besoins.

Il y a, d'après moi, une cause fondamentale de tous les maux qu'a essuyés la commandite, de tous les désastres qui l'ont discréditée.

C’est l'inconsidération, c'est la légèreté, c'est la niaise crédulité de l'actionnaire.

En entrant dans la société. il est, sous l'empire des annonces et des prospectus, livré aux plus chimériques illusions ; il ne voit que le miroitement des gros dividendes.

(page 387) Les chances favorables ou défavorables de l'entreprise éveillent peu sa réflexion ; Il a la foi robuste ; Il suffit que l'on affirme avec aplomb, avec effronterie, le succès de l'affaire pour laquelle on sollicite ses capitaux, pour être cru de lui.

En sortant de la société, de quoi se préoccupe-t-il ?

L'avenir de la société qu'il quitte est le moindre de ses soucis ; sa grande affaire, sa préoccupation exclusive, c'est d'empocher les primes si les valeurs sont en hausse, d'éviter la perte si les valeurs sont en baisse. Pourvu qu'il puisse endosser ses actions à un autre, peu lui importe le cessionnaire. Ce sera peut-être un homme insolvable, un homme inepte, qui, dans l'assemblée générale, gagnera une prépondérance fâcheuse au point de vue de l'avenir des affaires sociales ; encore une fois peu lui importe, pourvu qu'il puisse bénéficier de la hausse ou échapper à la baisse.

Eh bien, il s'agit de forcer l'actionnaire à réfléchir quand il entre dans la société et quand il en sort ; à ces deux moments décisifs, il s'agit d'éveiller à la fois ses préoccupations et ses craintes.

MiPµ. - Tout cela est parfaitement vrai.

M. Reynaertµ. - Oui, cela est vrai ; c’est un mal auquel il faut remédier.

Voici le langage que je tiens au souscripteur d'actions : Prenez-y garde, l'obligation que vous allez souscrire n'engage pas seulement le présent, elle engage l'avenir.

Si la société ne répond pas à vos espérances, vous croyez peut-être qu'en cédant vos actions avec une légère perte, vous pourrez passer à autrui la responsabilité de votre engagement. Détrompez-vous, avant de pouvoir songer même à aliéner efficacement vos actions, la loi vous force à verser le tiers de leur montant. Bien plus, pendant trois ans à partir de la cession, vous resterez responsable et si la société vient à tomber, c'est à vous que l'on s'adressera jusqu'à épuisement complet de vos actions.

Et voici maintenant ce que je dis au vendeur, au cédant d'actions : Avant que de conclure le marché, renseignez-vous bien, non seulement sur la solvabilité, mais sur l'honorabilité et sur les aptitudes de votre cessionnaire, sachez que votre responsabilité se prolongera pendant trois ans et qu'il importe que vous ne mettiez à votre place qu'un homme entendu aux affaires. Il aura son vote à émettre et son mot à dire dans l'assemblée générale, et son intervention pourrait être nuisible à la marche de la société. Dans ce cas, si le désastre arrive endéans les trois ans, c'est vous qui payerez les pots cassés, car c'est vous qui êtes responsable.

Ce langage ne serait-il pas de nature à favoriser, à assurer tout à la fois l'intérêt des actionnaires. l'intérêt de la société et l'intérêt des tiers ?

La prudence est fille de la réflexion ; elle sera la meilleure sauvegarde de la bourse de l'actionnaire.

Pour la société, quelle garantie sérieuse de stabilité et de force ! J'attache l'actionnaire à son sort pendant trois ans et au delà, si les versements ne se montent pas au tiers du capital souscrit. J'identifie l'intérêt de l'actionnaire avec celui de la société dans le choix d'un cessionnaire honnête solvable, et de cette façon j'éloigne à tout jamais de la commandite ce qui a été si souvent son déshonneur et sa ruine, les cessionnaires de paille, les cessionnaires complaisants et insolvables.

Et l'intérêt des tiers peut-il être mieux sauvegardé ?

En toute hypothèse, le capital social leur sera conservé intact ; ils ont la certitude de trouver devers eux un débiteur certain et sérieux, le souscripteur primitif pendant la durée des trois ans, son cessionnaire après cette époque.

Je puis donc dire, je pense, que toutes les garanties désirables se trouvent réunies dans les amendements dont j'ai eu l'honneur de vous faire connaître les motifs.

Je voudrais, avant de finir ce discours, présenter quelques considérations sur le caractère général du projet de loi.

Réagissant contre la doctrine et la jurisprudence, dont les vues larges, dont les tendances libérales avaient élevé la commandite son plus haut degré d'énergie et de fécondité, le projet de loi retourne à l'ordonnance de 1673, aux commentaires de Savary, de Pothier, de Jousse, à l'ancien droit qui ne pratiquait pas la commandite par actions.

Le projet de loi ne se borne pas à réagir ; il modifie les conditions fondamentales de la commandite.

Autrefois, en effet, le commanditaire était occulte ; il se tenait dans l'ombre ; il s'associait de sa bourse, non de sa personne. De ce contrat mixte, composé à la fois de personnes et de capitaux, vous faites un contrat personnel, un contrat fondé sur la considération des personnes, ou les noms sont publiés avec leurs obligations respectives.

La commandite, sous le code actuel, a incontestablement entrepris et réalisé de grandes opérations.

Vous la rapetissez à de minimes proportions.

Je n'apprécie en ce moment ni la suppression des actions au porteur, ni la répétition des intérêts et dividendes, ni l'action directe accordée aux créanciers ; ce sont des restrictions très réelles, mais que je passe sous silence pour m'en tenir aux deux seules qui font l'objet de mes critiques.

En consacrant l’incessibilité de l'action par la voie commerciale, en ce qui concerne les obligations du souscripteur, vous éloignez de la commandite non seulement tous les spéculateurs, tous les financiers, mais, en général, les capitalistes à courte échéance, qui veulent se réserver la possibilité de retrouver, pour un besoin imprévu, les fonds qu'ils mettent dans la société.

En exigeant que le capital social soit souscrit dans sa totalité, comme condition de la constitution définitive de la commandite, vous lui fermez l'accès des grandes affaires. Pour que la commandite puisse prendre son essor, attirer à elle de nombreux bailleurs de fonds et réunir des sommes considérables, il lui faut du temps et de la publicité, il lui faut une souscription à long terme. Or, vous voulez que la souscription soit en quelque sorte instantanée. Les petites entreprises pourront encore s'accommoder de la commandite ; les grandes en sont irrévocablement exclues.

Je crois, messieurs, que les faits qui se sont passés en France devraient nous servir d'enseignement.

En France, sous le manteau de la commandite, des abus nombreux et criants avaient eu lieu ; des spoliations, des dilapidations avaient été commises.

Comme le rapporte Vavasseur dans son excellent ouvrage sur les sociétés par actions, l'opinion publique en fut profondément remuée ; son émotion se manifesta dans les brochures, dans les journaux, dans la comédie, qui poursuivit de ses sifflets et de ses huées, et les gérants éhontés, et les actionnaires non moins avides que bénévoles ; livrant les uns et les autres aux moqueries de la foule et les personnifiant dans des types qu'on n'a point encore oubliés.

En 1838, l'irritation fut à son comble et le gouvernement, obligé de céder à la pression de l'opinion publique, proposa à la Chambre la suppression de la commandite.

La fin de la session arriva fort heureusement avant la discussion ; cette circonstance sauva la commandite.

Elle continua à vivre libre et indépendante, telle que l'avait constituée le code de commerce, jusqu'en 1856, époque laquelle de nouveaux abus, de nouveaux scandales produisirent un mouvement de réaction semblable celui de 1838.

Il ne fut plus question de la supprimer, mais elle fut claquemurée dans une réglementation sévère, inflexible.

Le principe que j'ai eu l'honneur de combattre, le principe de la responsabilité illimitée du souscripteur fut édicté dans toute sa rigueur.

On stipula également, comme condition nécessaire de la constitution définitive de la commandite, la souscription intégrale du capital social.

Bien d'autres restrictions, bien d'autres entraves furent établies, et à côté, des sanctions civiles et pénales rigoureuses.

La commandite s'énerva dans la servitude, y perdit tout son prestige et vit chaque jour sa sphère d'action se restreindre tant pour le nombre que pour la qualité des affaires.

Ces effets désastreux provoquèrent la loi de 1867 ; la commandite y recouvra une partie, mais une minime partie, il est vrai, de sa liberté première.

Notamment le principe de la responsabilité indéfinie fut battu en brèche et réduit de moitié ; et le gouvernement, ayant à justifier ce revirement dans un sens plus libéral, disait devant le corps législatif, par l'organe de M. de Forcade :

« On nous oppose la loi de 1856 ; sans doute, c'est une loi excellente, mais les meilleures lois ont des imperfections et le gouvernement reconnaît que cette loi allait trop loin. Si vous y tenez absolument, le gouvernement reconnaîtra que sur ce point il s'était trompé. »

Des intérêts avaient donc été en souffrance ; le gouvernement lui-même en faisait l'aveu.

Gardons-nous, messieurs, dans la confection de cette loi, d'une sévérité exagérée, de crainte que nous n'ayons un jour à subir l’humiliant regret d'un semblable aveu.

MpMoreauµ procède au tirage au sort des sections de février.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.