Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 2 février 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 389) M. Reynaertµ fait l'appel nominal à 2 heures et un quart. Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Rossiusµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« L'administration communale de Bièvre prie la Chambre d'autoriser M. le ministre des travaux publics à accorder an sieur Brassine la concession d'un chemin de fer d’Athus à la frontière française dans la direction de Givet. »

« Même demande des conseils communaux de Louette-Sainl-Pierre, Malvoisin et Offagne. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les secrétaires communaux du canton de Lennick-Saint-Quentin demandent que l'avenir des secrétaires communaux soit assuré et que leur traitement soit mis en rapport avec l'importance de leur travail et des services qu'ils rendent aux administrations communales, provinciales et générale. »

« Même demande des secrétaires communaux du canton de Chièvres. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions identiques.


« M. Dolez, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.

Composition des bureaux des sections

Composition des bureaux des secteurs pour le mois de février 1870

Première section

Président : M. Watteeu

Vice-président : M. Bouvier

Secrétaire : M. Van Merris

Rapporteur de pétitions : M. de Maere


Deuxième section

Président : M. Lesoinne

Vice-président : M. Le Hardy de Beaulieu

Secrétaire : M. Schmitz

Rapporteur de pétitions : M. Castilhon


Troisième section

Président : M. Lambert

Vice-président : M. Ansiau

Secrétaire : M. Jonet

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Quatrième section

Président : M. de Theux

Vice-président : M. de Vrière

Secrétaire : M. T’Serstevens

Rapporteur de pétitions : M. Bricoult


Cinquième section

Président : M. David

Vice-président : M. Van Wambeke

Secrétaire : M. Sainctelette

Rapporteur de pétitions : M. Vander Maesen


Sixième section

Président : M. Van Iseghem

Vice-président : M. de Macar

Secrétaire : M. Thonissen

Rapporteur de pétitions : M. d’Hane-Steenhuyse

Projet de loi révisant le code de commerce (titre III, livre premier : Des sociétés)

Discussion des articles

Section première. Dispositions générales

Article 8 (13 et 24)

MpMoreauµ. - Nous en sommes restés à l'article 8 ainsi conçu :

« L'extrait doit contenir :

« La désignation précise des associés solidaires ;

« La raison de commerce de la société,

« La désignation des associés ayant la gestion et la signature sociale ;

« L'indication des apports faits et le montant des valeurs fournies ou à fournir en commandite ;

« La désignation précise des commanditaires qui doivent fournir des valeurs, avec l'indication des obligations de chacun.

« L'époque où la société doit commencer et celle où elle doit finir »

MM. Reynaert et Moncheur proposent de supprimer le paragraphe 5 de cet article.

M. de Rossiusµ. - La discussion laquelle s'est livrée hier l'honorable M. Reynaert a prouvé à la Chambre une chose ; c'est qu'il est assez difficile de mettre en discussion l'article 8 qui a donné naissance à un de ses amendements sans examiner la valeur, la portée des articles 13 ci 24. En réalité, la discussion de l'honorable M. Reynaert a porté sur ces trois dispositions. Je demande donc à la Chambre de déclarer que la discussion est ouverte simultanément sur les articles 8, 13 et 24 ; ct, comme conséquence, je la prierai de me permettre de déposer dès à présent, et de développer un amendement à l'article 24.

MpMoreauµ. - M. de Rossius propose à la Chambre que la discussion porte tout à la fois sur l'article 8 et sur les articles 13 et 24, ainsi conçus :

« Art. 13. Toute continuation de société après son terme, toute dissolution volontaire avant le terme convenu, tout changement ou retraite d’associés, toute modification aux dispositions dont la loi prescrit la publicité, et, enfin, la détermination du mode de liquidation, doivent être constatés par des actes de même nature que les actes requis pour la constitution de la société.

« Ces actes doivent recevoir la publicité indiquée par les articles précédents, à peine de ne pouvoir être opposés aux tiers, qui néanmoins pourront s'en prévaloir.

« Art. 24. Le capital des sociétés en commandite ne peut être divisé en actions, qu'à la condition que les actions restent nominatives, et que le transport s'effectue conformément aux dispositions de l’article 33. »

MM. Reynaert et Moncheur ont proposé : 1° la suppression des mots « ou retraite d'associés » dans l'article 13, et le remplacement de l'article 24 par la disposition suivante :

« Le capital des sociétés en commandite peut être divisé en actions nominatives. Les souscripteurs d'actions sont responsables du payement du montant total des actions par eux souscrites.

« Néanmoins, si les actions ont été libérées du tiers, la responsabilité cesse après un délai de trois ans, à partir du transport régulièrement effectué en vertu d'une autorisation expresse des statuts et avec l'agréation du conseil de gérance.

« L'action devra porter un numéro d'ordre et devra être inscrite et transmise conformément aux prescriptions des articles 34 et 35. »

- La proposition de M. de Rossius est mise aux voix et adoptée. En conséquence, la discussion est ouverte simultanément sur les articles 8, 13 et 24 et sur les amendements qui s'y rattachant.

MpMoreauµ. - La parole est continuée M. de Rossius.

M. de Rossiusµ. - La Chambre a sous les yeux, en ce qui concerne la question de la division du capital de la commandite en action, trois dispositions : le code de 1808, l’article 24 du projet primitif déposé par le gouvernement et l'article 24 du projet de la commission, auquel M. le ministre de la justice actuel s’est rallié. Ces trois dispositions consacrent des systèmes différents. Le code de 1808, dans son article 38, abandonne entièrement aux parties la faculté de diviser en actions le capital des sociétés en commandite. Il place dans le domaine de la liberté des conventions, des contrats, il abandonne aux parties le soin de dire s'il y aura des actions et de déterminer la forme de ces actions.

Sous ce rapport, messieurs, au point de vue de la liberté des transactions, assurément l'ancien système, le code de 1808, mérite toute faveur ; il a droit à toutes nos sympathies, à moins qu’il n'en soit résulté de grands inconvénients.

Or, il est impossible de le méconnaître, des abus ont existé : la commandite par actions a été la source, en France, d'un agiotage effréné.

(page 390) En Belgique, les abus ont été beaucoup moins graves. Toutefois ils ont existé, je le concède, et c’est ce qui a déterminé le rédacteur de l’article 24 du projet primitif à formuler une prohibition absolue, une interdiction formelle, entière de créer des actions, qu'elles soient nominatives ou au porteur ; le capital des sociétés en commandite ne pourra pas être divisé en actions. »

Ce système était évidemment une réaction contre l’abus de la liberté laissée aux contractants par le code de 1808.

Si je comprends bien la pensée du rédacteur de l'article 24 du projet primitif du gouvernement, il a eu en vue de pas permettre la forme de la commandite pour les grandes opérations financières et industrielles. Il a voulu réserver pour la forme anonyme, dont il organisait fortement la publicité, les vastes entreprises qui appellent des capitaux considérables et des associés nombreux. Il a cru désirable que la commandite, comme la société collective, fût réservé pour les petites affaires dont les ressources sont faibles et le personnel très limité. C’est pourquoi il a, par l'article 24, défendu la division du capital en actions.

Mais, vous le savez, une fois engagé sur la pente de la réaction on va loin ; on franchit aisément la limite du raisonnable et du juste. Pour éviter un excès, on tombe dans l'excès contraire. C'est ce qui est arrivé au rédacteur de l'article 24 que je critique. L'interdiction qu'il édicte est sévère et peu légitime.

Elle a d'ailleurs paru telle à la commission.

En effet, dans l'article 24 du projet actuel, l’action nominative est autorisée, l'action au porteur est seule prohibée.

Ce nouvel article 24 est une transaction entre le système proposé d'abord et le système ancien ; on a cherché un juste milieu. on a voulu tempérer l'article primitif, on a voulu lui enlever ce qu'il avait de trop rigoureux, et on a imaginé une disposition qui constitue encore une atteinte, mais moins grave, à la liberté des conventions.

Mais, telle qu'elle est actuellement, est-elle acceptable ?

Je ne le pense pas ; je crois que la Chambre ne doit pas aller aussi loin que la commission et que son rapporteur dans la voie de la restriction.

L'honorable ministre de l'intérieur a parfaitement compris que l'action nominative, que l'inscription sur les livres sociaux des noms des souscripteurs, des détenteurs des titres est en général, par elle-même, une barrière efficace élevée contre l'agiotage.

Les spéculateurs sans scrupule n'aiment pas les registres d'actionnaires, qui font connaître leurs cessionnaires désappointés, désabuses et ruinés, les noms de leurs cédants. La spéculation illégitime, la spéculation qui poursuit la prime indue, se réalise surtout sur les actions nominatives. J'ajoute, messieurs, qu'elle s'exerce sur les titres qui sont pas libérés.

Si ceux qui lancent les affaires plus ou moins véreuses n'aiment pas les titres nominatifs, ils aiment moins encore les versements.

L'agiotage est dérouté, du moment qu'il doit verser et ne peut cueillir la prime que sous la condition préalable de faire l'avance de la partie du capital social que représentent les actions qu'il jette sur le marché.

On peut dire hardiment que la commandite dont le capital est fait, versé, est une commandite sérieuse qui ne doit pas le jour la spéculation honnête et que celle-ci respectera.

Pour armer la commandite contre l'agiotage, que faut-il donc faire ?

Il faut, tant que les versements n'ont pas eu lieu, n'autoriser que les actions nominatives.

Voilà la limitation qui doit être apportée à la liberté ancienne.

Mais si tout le capital a été versé, si l'on ne peut rien réclamer des commanditaires, si ceux-ci se sont affranchis de toutes leurs obligations parce qu'ils les ont remplies, où est le danger de l'action au porteur ?

Pourquoi paralyser ainsi la liberté des contrats ? Pourquoi refuser aux parties le droit de décider la conversion des titres nominatifs en titres au porteur lorsque toutes les promesses d’apports ont été exécutées ?

Messieurs, quels inconvénients pourraient résulter de cette modification que je voudrais faire apporter à l'article 24 au point de vue des intérêts engagés dans la commandite ?

Si l'on écarte la préoccupation de l'agiotage, nous constatons dans la commandite deux intérêts : l'intérêt du tiers, l’intérêt du créancier, l'intérêt de celui qui a contracté et, en second lieu, l'intérêt de celui qui est indéfiniment responsable de tous les engagements consentis pour et au nom de la société.

Occupons-nous d’abord du tiers. Son intérêt, quel est-il ? Le tiers, quand il contracte avec la société, a en vue le capital social ; il a le droit d’exiger que tout ce capital soit fourni.

Le tiers a deux gages en réalité.

Il a pour premier gage, qui n’est pas exclusif, la fortune particulière, personnelle du commandité. Mais ces biens propres du gérant, vienne la faillite, vienne le désastre, il est obligé de les partager avec les créanciers particuliers du commandité.

Il a un autre gage, exclusif celui-ci. C’est le capital social. Si les engagements dépassent l'actif, si la faillite est prononcée, les créanciers sociaux se présentent et disent : A nous d’abord le capital social, à nous seuls.

Le tiers a donc intérêt à ce que le bailleur de fonds ne puisse s'évanouir au jour du naufrage, et c’est pourquoi je ne puis accepter l'amendement présenté à l'article 8 par l'honorable M. Reynaert.

Cet article 8 organise la publicité en matière de commandite. Il impose l'obligation d’inscrire sur l'extrait destiné à être publié différentes mentions, et autres la désignation précise des commanditaires qui doivent fournir des valeurs, avec l'indication des obligations de chacun.

L'honorable M. Reynaert vous demande de supprimer cette désignation. Je ne crois pas que ce soit possible, précisément par cette raison qu'il faut sauvegarder l'intérêt des tiers, par ce motif que les tiers ont le droit de tenir aux commanditaires ce langage : Versez toutes les sommés que vous avez promises. Il faut donc connaître les noms des commanditaires, et comme le dit l’article 8 dans son paragraphe 5, il faut qu'on donne l’indication des engagements de chacun d'eux.

La rédaction de l'article 8 doit être maintenue, le texte de la commission est excellent.

Je repousse également l'amendement proposé par l'honorable M. Reynaert à l’article 24. D'accord avec M. le ministre de l'intérieur, l'honorable M. Reynaert n'autorise que l'action nominative ; mais il fait la partie belle au commanditaire. Il lui dit : Vous avez contracté une obligation ; vous vous êtes engagé à fournir un apport déterminé. Eh bien, vous pouvez n'en fournir que le tiers ; et lorsque trois années se seront écoulées depuis que vous aurez soldé ce tiers, vous serez libéré des deux tiers restant. A-t-on jamais présenté système semblable et peut-il être accepté ?

L'obligation du commanditaire doit être remplie. Son apport est le gage du créancier. Il faut qu'il soit versé.

Messieurs, il me reste à m'occuper du commandité et à dire ce que commande son intérêt. Nous nous sommes occupés de l'agiotage ; nous nous sommes occupés des tiers. Voyons quelle est la position du commandité.

Il a le même intérêt que le commanditaire. Le commandité a une charge très lourde. Il gère, mais il est responsable. Il répond des dettes sur tous ses biens présents et futurs, conformément à l'article 2092 du code civil. Mais il n'est responsable sur ses propres biens qu'en cas d'insuffisance du capital social, du capital versé et du capital à verser ; et par conséquent. le commandité a le droit de dire au commanditaire : Vous commencerez par verser toute la somme que vous avez promis d'apporter. Pour sauvegarder la situation du gérant, de l'associé en nom, il importe donc aussi de n'autoriser l'action au porteur que si les capitaux souscrits sont entrés dans la caisse commune. Lorsque tous les versements ont été faits, quand les engagements ont été remplis, l'intérêt du commandité disparaît dans la question qui nous occupe, celle de la nature de l'action.

Il est indifférent aux gérants comme aux tiers que le capital soit représenté par des titres en nom ou par des titres au porteur. De sorte que, ni au point de vue de l'agiotage, ni au point de vue du commandité, ni au point de vue de l'intérêt des tiers, il n’est nécessaire de proscrire absolument l'action au porteur.

L'honorable M. Jonet professe la même opinion ; l'honorable M. Jonet a rappelé que des capitaux très nombreux sont engagés dans les commandites par actions ; les petits rentiers, les petits capitalistes placent leurs économies dans les commandites.

Ne touchons pas légèrement à ce qui se fait aujourd'hui. Sachons respecter les usages commerciaux. Le droit commercial n'a pas été fait par les jurisconsultes, on peut même dire qu'il a été fait malgré eux.

Voici où je me sépare de l'honorable M. Jonet. Il demande qu'on en revienne au système du code de 1808, et qu'en toute hypothèse on puisse émettre des titres au porteur ; or, je ne puis admettre des actions non nominatives tant que tous les versements n'aient été effectués.

Voici, messieurs, l'amendement que j'ai l'honneur de présenter.

L'article 24 serait ainsi rédigé :

« Le capital des sociétés en commandite ne peut être divisé en qu'à la condition que les actions restent nominatives ; que le transport s'effectue conformément aux dispositions de l'article 35. »

M. Jonetµ. - L'honorable M. de Rossius, qui vient de se rasseoir, ayant porté le débat sur l'article 24, je pense qu'il convient que je fasse connaître à la Chambre les modifications que je me propose d’apporter à cet article, conformément aux développements que j’ai donnés dans la (page 391) séance d’hier. Avant d’aborder cet objet, je dirai quelques mots en réponse au discours de M. Reynaert.

Je regrette de ne pouvoir adopter son système en ce qui concerne la responsabilité des souscripteurs dans la société en commandite, lesquels, selon lui, cesseraient d'être garants après trois ans, lorsqu'ils auraient payé le tiers de leur souscription. Les formalités exigées par l'honorable membre sont trop compliquées et donneraient lieu, dans la pratique, à de grandes difficultés ; il est préférable que le souscripteur ne soit dégagé de sa responsabilité qu’après l'accomplissement intégral de ses engagements.

M. Reynaert objecte que le souscripteur serait tenu indéfiniment. A cela, je réponds que le souscripteur qui veut faire cesser sa responsabilité n'a qu'à libérer entièrement son action.

Je pense donc que la Chambre préférera, au système de M. Reynaert, celui qec j'aurai l'honneur de proposer à l'article 24.

Cet article sera conçu comme suit :

« Le capital des sociétés en commandite ne peut être divisé qu'à la condition que les actions restent nominatives et que le transfert s’effectue conformément aux dispositions de l'article 35.

« Toutefois, lorsque leur entière libération aura été effectuée, elles pourront être converties en titres au porteur. »

Lorsque les versements sont accomplis, je ne vois plus de motifs d'exiger que les actions restent nominatives, puisque l'intérêt des tiers a reçu complète satisfaction ; dès lors on n'a plus qu'à se préoccuper de la forme du titre qui convient le mieux à l'actionnaire.

M. Moncheurµ. - Messieurs, je crois devoir dire quelques mots à l'appui d'un amendement que l'honorable M. Reynaert. et moi avons déposé hier, et en même temps j'apporterai deux sous-amendements à l'un de ses paragraphes.

Je déclare d'abord que l'honorable M. de Rossius n'a pas bien compris la portée de cet amendement, et les observations que je vais avoir l'honneur de soumettre à la Chambre le prouveront d'une manière évidente. Nous sommes, l'honorable M. Reynaert et moi, parfaitement d'accord avec le projet de la commission sur les principes fondamentaux des sociétés en commandite.

Ainsi nous pensons :

1° Que le capital de ces sociétés ne peut être divisé qu'en actions nominatives ;

2° Que les souscripteurs primitifs sont tenus, en thèse générale, personnellement de verser la totalité des actions souscrites par eux ;

3° Que les tiers ont une action contre les souscripteurs pour le payement de leur souscription.

Ainsi, nous disons, quant à la deuxième de ces conditions essentielles, que les souscripteurs sont, en principe, et sauf l'agréation d'un cessionnaire, tenus au versement total des sommes souscrites par eux, car il faut que les tiers et les associés eux-mêmes aient la certitude que le capital souscrit sera entièrement payé ; ce n'est qu'en vue de l'acte constitutif de la société en commandite que les tiers lui ont accordé certain crédit et ce sont les noms, non seulement des gérants, mais encore des souscripteurs qui ont inspiré confiance aux tiers et aux coassociés. Il faut empêcher que cette confiance ne soit trompée par la substitution d'actionnaires insolvables aux actionnaires primitifs.

Mais nous pensons que lorsqu'un souscripteur primitif offre à ses coassociés un cessionnaire qui présente autant et même peut-être plus de garantie que lui-même et lorsque, d'ailleurs, il a déjà versé soit le tiers, soit la moitié des actions qu'il a souscrites, on doit permettre le transfert avec dégagement de ses obligations quant au restant à verser.

Quant à moi, j'estime que l'on pourrait exiger d'abord la moitié du versement, et c'est là l'objet d'un de mes sous-amendements ; mais vouloir river à toujours et le souscripteur primitif et ses héritiers indéfiniment à une souscription une fois faite dans un acte de société en commandite, ce serait là dépasser le but qu'on se propose et ce serait faire une chose inutile pour tout le monde et nuisible à l'esprit d'association, du moment, bien entendu, où la loi, après avoir exigé le versement d'une partie notable du capital souscrit, peut efficacement établir des règles qui assurent parfaitement le versement. du restant du capital.

Or, ceci n'est pas difficile. Faites attention, messieurs, qu’une foule de capitalistes seraient détournés des sociétés en commandite si la loi ne leur donnait, en aucun cas, la faculté de céder leurs actions, et cela en prenant toutes les précautions nécessaires pour que cette cession ait lieu sans diminuer en rien la sécurité des tiers et des coassociés eux-mêmes.

Messieurs, c'est surtout lorsque, par le décès des souscripteurs primitifs, les actions souscrites passent dans les mains d'autres personnes qu'il est souvent important et même nécessaire que ces dernières puissent substituer d’autres actionnaires en nom à elles-mêmes.

En effet, un homme aime les affaires commerciales. Il les connaît, il s’en occupe, il suit de près les opérations de la commandite dans laquelle il a pris un intérêt, il se rend aux assemblées générales de celle-ci, il est peut-être membre du conseil de surveillance, la qualité d'actionnaire lui plaît et lui convient ; mais s'il vient à mourir et s'il laisse pour héritiers propriétaires de ses actions une femme, des enfants mineurs ou des personnes étrangères même antipathiques aux affaires commerciales, et si, d'un autre côté, une autre personne se présente ayant les mêmes goûts et possédant les mêmes aptitudes que le premier souscripteur, et si cette personne offre d'ailleurs toutes les garanties nécessaires et de moralité et de solvabilité ; si, dis-je, cette personne se présente pour être cessionnaire des mêmes actions, pourquoi donc s'y opposer ?

Il n'y aurait pour cela aucune raison plausible, si l'on prend les précautions nécessaires pour éviter toute espèce d'abus ; or, l'amendement que nous proposons contient à cet égard, on peut le dire, un luxe de précaution ; ainsi :

1° Il faut que les statuts aient autorisé d'avance le transfert avec dégagement des souscripteurs primitifs ; donc les tiers seront avertis ;

2° Cette autorisation ne peut exister que pour autant que ces souscripteurs soient personnellement astreints à libérer l'action jusqu'à concurrence de la moitié au moins ;

3° Il faut que le transfert soit fait conformément à l'article 35 du projet ;

4° Il faut que les cessionnaires aient été agréés par le gérant ou les gérants responsables ;

5° Pour éviter toute collusion possible entre la gérance et les actionnaires, il faut que les cédants restent responsables personnellement de tout ce qui reste à verser pendant trois ans à dater du transfert ;

6° Enfin il faut que le gérant communique à l'assemblée générale des actionnaires les noms ou la désignation précise des cessionnaires, et il est évident que, quoique l'accomplissement de cette formalité aura lieu après le transfert agréé, elle constitue une garantie très réelle en faveur de la société et des tiers, car si l'assemblée se trouvait en présence de personnes présumées insolvables, elle pourrait décréter des appels de fonds, avant l'expiration des trois années de responsabilité des souscripteurs primitifs cédants et obtenir ainsi l'entier versement des actions souscrites par eux.

Ainsi, messieurs, vous voyez que j'ai raison de dire que l'honorable M. de Rossius a mal compris l'amendement lorsqu'il affirme que nous faisons la partie belle aux souscripteurs primitifs ; nous ne la faisons pas si belle, puisque nous entourons le transfert d'une foule de précautions qui sauvegardent parfaitement les intérêts des tiers et de la société elle-même.

« Néanmoins, porte l'amendement déposé hier, si les actions ont été libérées du tiers, la responsabilité cesse après un délai de trois ans, à partir du transfert régulièrement effectué en vertu d'une autorisation expresse des statuts et avec l'agréation du conseil de gérance. »

Ainsi, messieurs, vous voyez qu'il y a dans cette disposition plusieurs précautions dont l'honorable M. de Rossius semble ne pas avoir tenu compte.

Il faut d'abord que les statuts aient prévu le cas et autorisé le transfert, et ce transfert ne pourra avoir lieu qu'après le versement qui, selon moi, devra être de moitié.

M. de Rossiusµ. - L'amendement porte : le tiers.

M. Moncheurµ. - C'est vrai, mais j'ai dit que je substitue la moitié au tiers. Il faut, en outre, que le transfert ait été fait régulièrement, d'après l'article 35 ; il faut qu'il ait été de plus agréé par les gérants responsables. .

M. de Rossiusµ. - Et les tiers ? J'ai fait mon observation à propos des tiers.

M. Moncheurµ. - Il est clair que les gérants et tous les coassociés sont intéressés à ce que le capital soit versé entièrement ; mais je reviendrai aux tiers, en faveur desquels surtout les précautions dont je viens de parler sont prises. Il ne faut pas oublier, en outre, que les cédants resteront encore responsables pendant trois ans après le transfert régulier et agréé.

Enfin, j'ajoute encore, comme sous-amendement, une condition aux conditions qui existent dans le troisième paragraphe de l'amendement. C’est que les noms de tous les cessionnaires agréés par les gérants, pendant l'année, soient inscrits à la suite du bilan qui suivra immédiatement les transferts agréés.

Certes, ce n'est pas là une garantie illusoire, car quels sont les gérants qui consentiraient à inscrire, à la suite de leur bilan, des noms de personnes insolvables, ou qui ne remplaceraient même pas amplement et sous tous les rapports les actionnaires primitifs ?

(page 392) Et si cela n'était pas, l'assemblée générale des actionnaires en serait informée dès la première année, puisqu’elle connaîtrait tous les noms des cessionnaires trois années avant que la responsabilité du cédant ne cesse.

Tous les actionnaires auront donc trois années pour s’assurer de la solvabilité et de l'honorabilité des cessionnaires. et si l'assemblée générale avait quelque indice de fraude de collusion pour substituer des hommes insolvables à des souscripteurs primitifs solvables, elle aurait trois ans pour faire des appels de fonds ; et alors qui sont donc ceux qui devront répondre à ces appels ? Mais lès cédants qui, pendant trois ans, sont encore tenus personnellement de tous les versements à faire.

Vous voyez donc que moyennant cette précaution il est tout à fait impossible que la société soit privée du capital souscrit, si ce n'est de sa propre faute. Et que je dis de la société, je le dis aussi des tiers dont M. de Rossius parlait tout à l’heure.

Evidemment, les tiers ont le plus grand intérêt à ne pas voir diminuer le capital, qui forme leur gage, mais eux-mêmes ne seront-ils pas avertis des transferts par la communication faite à la suite des bilans, et puis les coassociés n'ont-ils pas aussi le plus grand intérêt que tous les souscripteurs versent leur part ?

Certes, oui, messieurs ; aussi moyennant les précautions et les conditions que nous stipulons, je pense que l'on peut, sans l'apparence de difficulté, permettre au souscripteur primitif d'offrir à la société en commandite un cessionnaire qui le remplace, alors qu'il a déjà versé la moitié de son capital.

J'ai dit que je n'admettais pas les actions au porteur dans les sociétés anonymes, mais ma proposition est un tempérament du système absolu des actions nominatives, seules autorisées dans ce genre de société.

Ainsi que je l’ai démontré, il est parfaitement inutile et peut-être même très préjudiciable aux intérêts de la société, de tenir un souscripteur primitif et ses ayants cause à perpétuité, riches ou pauvres, majeurs ou mineurs, rivés à une souscription remontant à des temps déjà fort éloignés, alors qu'ils pourraient avantageusement être remplacés par d'autres.

C'est le lieu de parler ici d'un autre article consacrant une disposition très grave, c'est celui qui prescrit le rapport du dividende. Au fond, je ne la critique pas, mais, dès l'an dernier, j'ai fait remarquer que cet article était trop sévère, en tant que l'action en restitution n'était pas frappée d'une prescription assez courte, au delà de laquelle il ne serait plus permis de réclamer les dividendes perçus.

Vous conviendrez, messieurs, qu'une semblable prescription doit être courte, car il est déjà très dur, très anomal d'être exposé à un rapport de dividendes distribués à des gens de bonne foi.

MiPµ. - Mais dividendes qui n'existent pas.

M. Moncheurµ. - Il n'est pas toujours facile de démontrer qu'ils n'existaient pas. Il faut que cela soit bien établi. Quoi qu'il en soit, comme, en toutes choses, il ne faut pas aller au delà du but, il est impossible de décider qu'après un grand nombre d'années on puisse être soumis à un rapport de dividendes qui ont été touchés de bonne foi par les actionnaires et qui ont servi à leurs dépenses journalières.

Cette considération est encore un motif pour qu'on puisse se dégager de l'obligation de verser la totalité des actions nominatives, alors qu'on a déjà versé la moitié de ces actions, alors qu’on offre une personne parfaitement solvable et agréée par tout le monde et qui, du reste, pourrait s'engager éventuellement envers la société, au rapport des dividendes indûment perçus ; ce serait lâ une clause de contrat de transfert.

Veuillez donc remarquer, messieurs, que je maintiens le principe qu'on doit verser toutes les sommes qu'on a souscrites ; mais je crois qu'on peut satisfaire à cette obligation de deux manières : pour une moitié en versant des écus et pour l'autre moitié en offrant un cessionnaire agréé : voila tout mon système.

Vous savez, en effet, que dans beaucoup de sociétés aujourd’hui, on ne fait verser qu'une partie assez faible du capital souscrit et le versement du surplus est différé d’une manière plus ou moins indéfinie.

Eh bien, si une personne qui a souscrit une obligation de 1,000 francs, par exemple, n'a été appelée à en verser que 200, et si elle veut se dégager de l’obligation de payer les 800 francs restant, dans mon système, elle devra, dans tous les cas, verser 300 francs, alors même qu'il ne serait pas fait d'appel de fonds pour cette dernière somme. Elle versera donc 500 francs dont elle ne touchera que les intérêts, sans avoir part à des dividendes pour cette somme.

Mais, ayant fait le sacrifice d’un versement de 300 francs et voulant se dégager de l'obligation de verser le restant, il est bien juste qu'on lui en donne le moyen en observant toutes les conditions que j'exige et qui, en définitive, rendent la société parfaitement indemne et lui donnent une sécurité parfaite quant au versement total de la somme souscrite.

Je dépose donc mon sous-amendement :

« Toutefois, les statuts pourront établir que les actions nominatives, après libération de moitié au moins, pourront être transférées à des tiers avec dégagement des souscripteurs primitifs quant au restant à verser.

« Ce dégagement n'aura lieu que si le transfert a été effectué conformément à l'article 35 ; si les cessionnaires ont été agréés comme tels par la gérance dans l'acte de transfert ; si trois années se sont écoulées depuis la date de ce dernier acte, et si enfin les noms des cessionnaires ont été inscrits à la suite du premier bilan qui été dressé après le transfert. »

MpMoreauµ. - Le sous-amendement de M. Moncheur est appuyé ; il fera partie de la discussion.

MjBµ. - Messieurs, l'honorable M. Reynaert et d'autres honorables membres qui ont combattu le projet de loi du gouvernement et celui de la section centrale n'ont pas tenu compte d’un fait capital : c'est que, d'après les propositions soumises aux délibérations de la Chambre, la société anonyme est complètement libre ; c'est un moyen que la loi met à la disposition des citoyens pour faire fructifier leurs capitaux, et pour y recourir, ils n'ont besoin d'aucune autorisation.

Je comprendrais parfaitement les objections que les honorables membres ont fait valoir, si le gouvernement avait maintenu le système du code de commerce, subordonnant à l’autorisation du pouvoir central l'existence des sociétés anonymes.

Mais du moment que l'autorisation préalable du gouvernement disparaît, on peut faire servir la société anonyme à de nouveaux lisages et par contre on peut modifier les conditions d'existence de la société en commandite.

La société anonyme, telle que le code de commerce l'a organisée, n'avait pour objet que les grandes opérations ; les fondateurs devaient se soumettre à toutes les obligations que le gouvernement leur imposait.

D'après le projet, tout le monde pourra constituer une société sous la forme de l'anonymat.

Voyons les objections qu'on a présentées contre la commandite. L'honorable M. Reynaert et d'autres disent : « Vous voulez réagir contre le code de commerce de 1810, et vous voulez empêcher la constitution des sociétés commandite avec actions au porteur ; vous voulez empêcher par là les capitalistes de venir apporter leur argent dans les sociétés en commandite.

Je réponds à l'honorable M. Reynaert et aux honorables membres qui

ont soutenu son opinion : « Formez une société anonyme ; qui vous en

empêche ? » (Interruption.)

Nous verrons quelle sera la différence entre la société telle que vous voulez l'avoir et la société anonyme.

Votre société, telle que vous voulez l’avoir. ne sera qu'une société anonyme avec une modification... (Interruption.) la responsabilité des gérants.

Vous modifiez la commandite proposée par le gouvernement et la section centrale de façon que les commanditaires puissent, après libération de leurs actions, recevoir des titres au porteur dont ils se débarrasseront comme ils voudront.

Mais, messieurs, c’est évidemment là la société anonyme ? Quelle différence y trouvez-vous ?

Les gérants sont responsables clans la société en commandite ; qui vous empêche de stipuler dans le contrat que les administrateurs de la société anonyme seront responsables ? (Interruption.) Rien ne vous en empêche.

M. de Rossiusµ. - Vis-à-vis des tiers ?

MjBµ. - Aucun principe de droit n’oblige les particuliers à ne pas assumer sur eux des obligations. Quand on dit dans la loi que « les gérants des sociétés anonymes ne sont pas responsables », c'est dans l’intérêt des gérants ; mais la loi ne s'oppose pas à ce que les gérants acceptent une règle qui étende leur responsabilité.

Vous pouvez créer une société idéale, qui empruntera ses caractères à plusieurs types ; ce sera la société anonyme combinée avec la commandite.

M. de Rossiusµ. - Alors il faut changer votre texte. .

M. Thonissenµ. - Lisez la définition de la société anonyme ; elle est contraire à votre interprétation.

MjBµ. - La société anonyme est celle dans laquelle les associés n’engagent qu’une mise déterminée. Cela veut-il dire qu’un gérant ne puisse volontairement assumer une responsabilité plus grande que celle que la loi lui impose ?

(page 393) Citez dune le texte de loi qui apporte cette restriction aux droits des particuliers.

M. Saincteletteµ. - Alors la société anonyme n’est plus la société des capitaux.

MjBµ. - Qu’est-ce que cela fait, si cela n'est pas contraire au droit ?

Vous ne pouvez empêcher les administrateurs de s'engager personnellement et je vous défie de me citer un texte de loi qui défende aux administrateurs d'accepter une responsabilité indéfinie.

Mais nous ne pouvons admettre que l'on constitue des sociétés véritablement anonymes dont l'administration sera secrète.

Si vous voulez une commandite avec des actions au porteur, adoptez les garanties de la société anonyme. Mais c'est précisément ce que les honorables membres n'admettent pas.

M. Moncheur propose d'autoriser la cession des actions après payement de certaine quotité et de maintenir la responsabilité du cédant jusqu'après agréation du cessionnaire par le gérant.

Mais, messieurs, l'agréation des gérants est la chose la plus détestable qu’on puisse imaginer.

La gérance n'est malheureusement pas très souvent l'honnêteté dans la société.

M. Moncheurµ. - Vous avez les communications.

MjBµ. - Vous avez les communications, oui, mais quand la chose est faite ? D'ailleurs, messieurs, les opérations de commandite sont tellement secrètes, que les actionnaires n'ont presque rien à y voir.

Je demande aussi quel sera le grand avantage que les commanditaires atteindront par l'amendement de l'honorable M. Moncheur ? Ils seront responsables pendant trois ans, après avoir payé la moitié de la somme pour laquelle ils sont engagés.

Voyez quelle sera la position de ces ex-actionnaires. Ils n'ont plus le droit d'intervenir dans la société, puisqu'ils ont cédé leurs actions. N'ayant plus le droit d'empêcher les fraudes de la gérance, de la contrôler, ils seront néanmoins tenus pendant trois ans dans la société pour moitié de leur action.

Je vous le demande, qui voudra céder ses actions dans de telles conditions ? Vous me répondrez : Les commanditaires sont aujourd'hui tenus pour toute leur souscription. Oui, mais dans la commandite, telle que nous la comprenons, il n'y aura plus que des actionnaires sérieux, il n'y aura plus que des actionnaires qui voudront poursuivre toutes les chances de l'affaire, qui seront décidés à ne pas spéculer.

Empêchons-nous la retraite de ces actionnaires ? Vous êtes dans l'erreur la plus complète ; nous ne l'empêchons pas ; seulement nous demandons que, si les commanditaires se retirent, ce soit par un acte social.

Par conséquent si votre société est bonne, qu'arrivera-t-il ? C'est que vous trouverez facilement des cessionnaires, et, de la part des associés, l'acquiescement à la cession qui se produira.

Mais il n'y a que dans les sociétés mauvaises que l'on usera du moyen indiqué par l'honorable M. Moncheur. On ira subrepticement à la gérance ; on fera signer la cession et l'on cédera à un insolvable, sauf à voir ce qui arrivera plus tard. et si, au moyen des fraudes employées par la gérance, on parvient à continuer la société pendant trois ans, tous les cédants seront parfaitement libérés. C'est ce qui arrivera. Les gros bonnets de l'affaire prendront toutes les actions en main ; ils les céderont à des insolvables. On traînera l'affaire pendant trois ans et quand ces trois ans seront écoulés, on ne trouvera plus que des insolvables.

Eh bien, nous ne voulons pas de cela. Si vous voulez faire une pareille société, nous vous dirons : Faites une société anonyme. Vous avez, dans la société anonyme, le moyen d'avoir des actions au porteur et de les négocier. Je crois que, sous aucun rapport, si c'est une société sérieuse, l'amendement de l'honorable M. Moncheur ne peut être utile aux actionnaires ; car les actions qu’ils céderaient dans de pareilles conditions seraient parfaitement dépréciées.

M. Thibautµ. - Et en cas de décès.

MjBµ. - En cas de décès, les héritiers prendront la place du défunt. Et bien, si la société est bonne, vous ferez facilement une cession.

J'arrive maintenant à l'amendement de l'honorable M. de Rossius et à l'amendement de l'honorable M. Jonet. L'honorable M. Janet voudrait, ainsi que l'honorable M. de Rossius, que l'action libérée pût être convertie en titre au porteur.

Je vois encore à cela des inconvénients et des inconvénients très graves. Est-ce que vous imaginez que dans une société en commandite on ne peut pas, même après libération, se livrer à des jeux de bourse sur les actions ? Il suffit que la gérance vienne faire un faux bilan et accuse des bénéfices immenses.

M. de Rossiusµ. - On peut abuser de tout.

MjBµ. - C'est précisément pour cela que nous avons fait quarante articles pour les sociétés anonymes, afin d’y voir un peu clair. Eh bien, il importe beaucoup que les dispositions que nous proposons ne soient pas éludées et qu'on ne puisse faire dans la commandite absolument la même chose que dans l'anonyme, mais sans les garanties légales.

Si vous voulez avoir les avantages de l'anonymat, donnez-nous-en les garanties. Mais, comme, pour la commandite, la loi laisse une liberté presque entière, nous demandons qu'on ne puisse se retirer de la société sans avoir satisfait à toutes ses obligations. Or, dans votre système, si les actions sont au porteur, on fera des jeux de bourse et l'on ne retrouvera plus les gens qui ont fait ces opérations.

Je crois qu'il y a là un danger et c'est à ce danger que le projet du gouvernement et de la section centrale a voulu obvier en décidant que dans la commandite il n'y aura que des personnes sérieuses et des affaires sérieuses.

Evidemment le champ de la commandite va être restreint, mais le champ de l'anonyme sera considérablement étendu ; c'est peut-être là le danger de la loi. Mais vous ne pouvez plus réclamer les mêmes avantages pour la commandite. Il faut que la commandite soit réservée aux affaires sérieuses ; et lorsque les règles de la commandite sembleront trop sévères, on recourra aux formes de la société anonyme.

M. de Rossiusµ. - Je ne crois pas, messieurs, que l'interprétation de l'honorable ministre de la justice soit exacte ; je crois qu’elle est contraire aux textes.

Nous sommes dans une matière spéciale, et lorsqu'il s'agit d'interpréter le droit exceptionnel, les textes, les expressions employées ont une grande puissance.

Je trouve une première disposition, signalée par l'honorable M. Muller, dans une interruption. C’est l'article 25, d'après lequel la société anonyme est celle dans laquelle les associés n’engagent qu'une mise déterminée.

Est-il possible de soutenir, à la vue de ce texte de l'article 25, qu'il puisse y avoir dans semblable société certains associés assumant une responsabilité indéfinie ?

Un autre article est plus grave encore, c'est l'article 45 :

« Les administrateurs ne contractent aucune responsabilité personnelle relativement aux engagements de la société. »

- Un membre. - C'est pour eux que l'on stipule.

M. de Rossiusµ. - Permettez, c'est pour eux que l'on stipule. Sans doute et je crois qu'il est parfaitement possible à un administrateur lorsqu'il est en présence d’un tiers qui refuse, par exemple, de prêter à la société, de dire : « Indépendamment du capital social, vous aurez la garantie de ma fortune personnelle. »

Je comprends fort bien qu'il serve de caution à la société, qu'il engage toute sa fortune en faveur d'un créancier, mais je ne crois pas qu'il soit possible de stipuler une dérogation à l'article 45 dans le contrat même de la société. Je ne crois pas qu'il soit possible de stipuler une semblable dérogation d'une manière générale et pour toute la durée de la société, de telle sorte que, l'administrateur disparaissant, un administrateur nouveau soit obligé indéfiniment et solidairement comme son prédécesseur.

A ce point de vue, messieurs, j’ai au moins des doutes très sérieux. L'honorable ministre de la justice m'affirme qu'il n’y aurait dans la loi aucun obstacle à une semblable stipulation ; l'honorable ministre de la justice contribue à faire la loi, mais il ne contribue pas à l'application la loi, et je pense qu'il est impossible d'affirmer' avec certitude, d'une façon' non douteuse que les parties ont le droit de stipuler une dérogation à l'article 45.

Je dois dès lors persister à demander à la Chambre de voter l'amendement que j’ai eu l'honneur de proposer.

Cet amendement est le même que le nouvel amendement de l'honorable M. Jonet. Je crois même que celui de mon honorable ami préférable parce qu'il rappelle les formalités à remplir pour le transfert des actions nominatives.

MjBµ. - Messieurs, je n'ai qu’un mot à répondre à l'honorable M. de Rossius. C’est que la disposition de l'article 45, qui dit que les administrateurs ne contractent aucune obligation personnelle relativement aux engagements de la société, est une disposition dans l'intérêt des administrateurs.

(page 394) Il n'y a aucune disposition de loi qui défende à un particulier de prendre des engagements au delà de que lui impose la loi.

L'honorable M. de Rossius a reconnu le partait fondement de mon observation.

Il a dit : Je comprends qu'une personne vienne se déclarer caution d'une opération que la société anonyme fera avec une personne déterminée. Eh bien, si cette personne peut se rendre caution d'une seule opération, elle peut le faire pour toutes les opérations d'une société anonyme. (Interruption.)

M. de Rothschild ne pourrait-il pas se porter caution de toutes les opérations d'une société anonyme ?

M. Delcourµ. - Par l'acte de société. C'est là l’observation de M. de Rossius.

MjBµ. - Il le pourra par le contrat ou en dehors du contrat.

M. Thibautµ. - Il n'y aurait plus d'administrateurs.

MjBµ. - Il n'y a dans la loi aucune disposition qui empêche un particulier de prendre cette obligation. Le gérant peut indubitablement prendre la même obligation.

Dès lors, il est évident que mon observation subsiste et que vous ne pouvez substituer la société en commandite à la société anonyme comme le veulent les auteurs de l'amendement.

M. Saincteletteµ. - Messieurs, j'ai demandé ln parole surtout afin de présenter quelques observations sur la formule indiquée par l'honorable ministre de la justice quant à la création d'un nouveau et quatrième type de société commerciale ; ce type se composerait de gérants personnellement et indéfiniment responsables et d'actionnaires engagés sous la forme de société anonyme.

Dans le droit commercial, il y avait jusqu'aujourd'hui trois formules bien distinctes de sociétés commerciales : La société en nom collectif où toutes les personnes sont indéfiniment et solidairement responsables, contractée uniquement par considération des personnes ; la société en commandite qui est l'alliance d'un certain nombre de personnes indéfiniment et solidairement responsables et de capitaux ; et la société anonyme qui est une simple association de capitaux, administrée par des mandataires toujours révocables dans laquelle l'assemblée générale des actionnaires est maîtresse absolue de la direction de la société pouvant révoquer, quand elle le veut, les administrateurs de la société.

Je ne comprends pas la société anonyme autrement que comme association de capitaux, autrement qu'avec le pouvoir souverain de l'assemblée générale et je demande à l'honorable ministre de la justice ce que sera juridiquement ce type nouveau qu'il veut créer, d'une société en commandite composée d'une société anonyme administrée par des gérants personnellement et indéfiniment responsables. C'est une idée tout à fait nouvelle, tout à fait en dehors des notions qui, jusqu'ici, ont prévalu dans le droit commercial. Je crois qu'il y aurait un grand danger à bouleverser ainsi toutes les idées admises, à introduire à l'improviste une quatrième formule de société commerciale dont la nature et les caractères ne sont nullement définis.

M. Delcourµ. - Je voulais présenter les mêmes observations que vient de faire l'honorable M. Sainctelette.

Je vais plus loin que lui, car je trouve dans le projet dont nous sommes saisis une disposition qui ne se concilie pas du tout avec les explications que nous à données M. le ministre de la justice.

Le titre des sociétés que nous discutons indique d'abord, article 2, quelles sont les diverses espèces de sociétés commerciales que la loi admet : elles sont au nombre de trois.

Chacune de ces sociétés a ses règles propres ; on ne peut donc, sans changer le caractère de chacune d'elles, admettre la légitimité de la convention supposée par M. le ministre de la justice.

M. Sainctelette vient de le dire : jamais on n'a confondu la société en commandite avec la société anonyme.

Si j'ai bien compris l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale, le système du gouvernement repose sur cette idée fondamentale qu'on émancipe la société anonyme, en n'exigeant plus l'autorisation du gouvernement ; mais on s'est gardé de changer les bases, les principes fondamentaux, les caractères essentiels de cette société ; cela est si vrai, que dans les textes cités il n'y a qu'un instant, on retrouve les deux points essentiels sans lesquels il n'y a plus de société anonyme.

L'honorable ministre de la justice vous dit : Mais les conventions sont libres ; si les conventions sont libres, pourquoi nous occupons-nous avec tant de soin des détails de chacune de ces sociétés, avec tant de soin de toutes les règles qui leur sont propres ?

Il y a dans le système préconisé par le ministre de la justice une idée qui, si elle était poussée dans ses dernières conséquences, conduirait à des résultats fâcheux pour les sociétés commerciales.

MjBµ. - L'honorable préopinant prétend qu'il n'y a que trois sociétés ; l'honorable membre se trompe ; il n'a qu'à ouvrir le projet de loi. il y verra à l'article 20 que, lorsqu'il y a plusieurs associés indéfiniment responsables, la société est en nom collectif à leur égard et en commandite à l'égard des simples bailleurs de fonds.

Voilà donc une société mélangée... (Interruption.) Indubitablement ; vous devez me démontrer que les dispositions que je considère comme permises sont contraires. soit à l’ordre public, soit à l'intérêt des tiers, soit à l'intérêt des associés. Or. vous ne démontrez rien de cela.

Je vais plus loin et je dis que ce que vous voulez faire, c'est une société anonyme, en vous soustrayant aux obligations de ce genre de société. (Interruption.)

Que nous demande, en définitive, M. Jonet ? De constituer une société mixte, : il n'y a plus que des gérants responsables. C'est une véritable société en commandite quant aux gérants et une société anonyme quant aux actionnaires...

Eh bien, il ne faut pas de société de cette espèce ; si vous voulez faire des actions au porteur du capital actions de votre commandite, je demande qu'il y ait pour les tiers des garanties sérieuses.

M. Moncheurµ. - Je pense, messieurs, qu’il faut soigneusement se garder de confondre les différentes sociétés qui existent et qui doivent exister d'après la loi nouvelle.

Je crois que chaque société doit avoir et conserver son caractère propre et qu'on ne doit pas les mélanger, les confondre.

Quant à moi, je considère qu'une société en commandite doit conserver toujours son caractère absolu ; c’est-à-dire, entre autres, qu'elle ne peut être divisée qu'en actions nominatives. Je ne sais donc pas comment M. le ministre de la justice a pu dire que je prétendais faire de la commandite une sorte de société avec ales actions au porteur.

Je veux, au contraire, que la société en commandite ne puisse se diviser qu'en actions nominatives. Mais je dis que, dans l'intérêt de la société elle-même, dans l'intérêt des tiers et dans l'intérêt les commanditaires, souscripteurs primitifs, il est utile de leur donner les moyens légaux de se substituer à d'autres actionnaires pour le versement de la moitié au moins du capital souscrit.

Ainsi, je reste complètement d'accord avec notre projet ; mais je dis qu'il est inutile, nuisible même aux tiers, aux souscripteurs primitifs d'interdire la cession d'une partie des actions.

Comme je l'ai déjà dit, en cas de décès de souscripteurs primitifs lorsqu'il y a des mineurs, des femmes, en un mot des personnes qui ne peuvent ou ne veulent pas s'occuper d'affaires commerciales, il est souvent infiniment plus utile à la société et aux tiers, à tout le monde, que des actionnaires sérieux, au courant des affaires commerciales soient substitués à d'autres qui ne sont que les ayants cause des souscripteurs primitifs.

Que voulons-nous ? Des souscripteurs et des actionnaires solvables. Mais n’arrive-t-il pas souvent que ces souscripteurs solvables, vous ne les trouvez plus parmi les souscripteurs primitifs ou leurs héritiers ou ayants cause qui sont déchus et ont perdu toute leur fortune. Eh bien, si cet actionnaire primitif ou ses représentants qui ne sont plus solvables vous offrent un remplaçant parfaitement en position de faire les versements, n'est-il pas de l'intérêt de la société, des tiers, de tout le monde d'accepter ce cessionnaire ?

Répondez à cette considération.

M. le ministre nous disait tout à l'heure que le gérant pourrait s'entendre avec le cessionnaire et le cédant et que tons les gros bonnets pourraient faire ensemble une conspiration contre la société et les tiers, que pendant trois ans on tiendrait l'affaire parfaitement secrète et qu'alors on se trouverait tout à coup en présence de tous actionnaires insolvables. Mais pareille supposition est parfaitement impossible en présence des précautions prises par l'amendement de M. Reynaert sous-amendé par moi. M. le ministre n'a nullement entrepris de démontrer le contraire.

Je suis donc en droit de dire que ses objections ne sont pas fondées et que les inconvénients qu'il croit prévoir n'existent point.

M. Reynaertµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole quand j'ai entendu l'honorable ministre de la justice dire que l'on pourra se dégager de son obligation, mais par un acte social, par un acte modificatif du contrat primitif, soumis à la publicité de l'article 11.

Je comprendrais, à la rigueur, que l'on ne permît plus la transmission des actions que par la cession civile ; il y a eu des abus ; en rendant la transmission des actions plus difficile, plus onéreuse, on peut espérer d’y porter remède.

(page 395) C'est une opinion que l'on peut défendre.

Mais ce que je ne comprends pas du tout, c’est que l'on veuille soumettre la n civile elle-même, soit des actions, soit des parts d'intérêt, à des formalités nouvelles.

Car à quoi bon assujettir la commandite par intérêt et les voies civiles, qui ne connaissent pas ces abus, des restrictions inutiles ?

La publicité, qui n'est pas exigée sous le régime actuel, sera désormais prescrite.

Savez-vous quelle sera la conséquence cette disposition nouvelle ?

C'est que, pour la transmission des valeurs mobilières de la commandite, il faudra une publicité plus étendue, plus rigoureuse, que pour la transmission des immeubles.

La mutation immobilière ne peut invoquée vis-à-vis des tiers qu'après la transcription qui en est opérée sur un registre tenu par le conservateur des hypothèques. Mais c'est là une publicité essentiellement circonscrite que l'on est obligé d'aller chercher soi-même.

Eh bien, quand il s'agira de la cession civile des actions ou des parts sociales, quand il s'agira de transmettre une action d'une valeur insignifiante, il faudra, pour pouvoir opposer la cession aux tiers, qu'elle ait été publiée dans toute la Belgique à l'aide du Moniteur, et qu'elle soit affichée dans tous les greffes des cours et tribunaux.

La publicité est une excellente chose ; mais encore faut-il qu'elle ait sa raison d'être.

Or, messieurs, dans la question qui nous occupe, il est facile de vous démontrer qu'elle ne répond absolument aucun besoin.

Quels sont, en effet, les modes de transport que la cession civile peut emprunter ?

Il y a le transport à titre onéreux et titre gratuit. Il y a la vente, l'échange, il y a la donation.

Quels actes et quelles formalités faut-il pour que ces transports soient valablement effectués, soit vis-à-vis des intéressés, soit vis-à-vis des tiers ?

Une chose que l'on ne peut point perdre de vue, c'est que le commanditaire qui n'a pas versé toute sa mise, qu'il s'agisse de la commandite simple ou de la commandite par actions, est à la fois, à l'égard de la société, créancier et débiteur, créancier d'un droit mobilier, débiteur de la partie de sa mise non encore appelée,

Il résulte de là que si le commanditaire veut céder à titre onéreux ses parts d'intérêt ou ses actions, il faudra, d'après le droit commun, l’accomplissement de plusieurs formalités.

D’abord, aux 'termes de l'article 1696 du code civil, le cessionnaire ne sera saisi, à l'égard des tiers, que par la signification du transport faite au gérant qui représente la société, ou bien il faudra que le gérant accepte le transport dans un acte authentique.

Je ne comprends pas l'étonnement qu'exprime l'honorable ministre de l'intérieur ; cela est ainsi, ou bien ma part sociale n'est plus un droit de créance.

Ensuite, d'après l’article 1271, le nouveau débiteur devra être agréé par le gérant, sans quoi la créance seule serait transmise. Bien plus, si les statuts n'ont pas dérogé au droit commun, il faudra que tous les coassociés consentent à la substitution du nouvel associé à l'ancien.

Si, contraire, c'est à titre gratuit, par donation, que le commanditaire veut disposer de ses parts sociales ou de ses actions non entièrement libérées, c'est encore à l'acte authentique qu'il devra recourir pour se dessaisir de ses droits, ct, quant à ses obligations, la transmission n'en sera valable que pour autant qu'il y ait, d'après les circonstances, consentement de tous les associés ou du gérant seulement.

S'il en est ainsi, si la cession civile est déjà soumise à des formalités si multiples, si lentes, si dispendieuses, je demande pourquoi il serait nécessaire de subordonner son effet vis-à-vis des tiers à la publicité de l'article 11 ?

Les manœuvres frauduleuses d'une part, l'entraînement et I irréflexion d’autre part, ne sont qu’exceptionnellement possibles dans des actes qui, pour s'accomplir et pour être valables, ont besoin de passer par le bureau d'un receveur d'enregistrement, d'un huissier ou d'un notaire.

Et c'est pourquoi, messieurs, je persiste à croire que ces formalités nouvelles constitueront une entrave inutile et très sérieuse pour la circulation des valeurs sociales.

M. Lambertµ. - Je demande à présenter quelques observations sur l'amendement de M. Moncheur. Je ne puis me rallier, messieurs. aux idées de l'honorable préopinant, parce qu'il me paraît que son amendement un est véritablement une contradiction avec le contrat social.

Vous le savez, messieurs, la société en commandite se compose de deux classes d’associés ; les associés qui sont tenus solidairement et les associés qui ne sont tenus que jusqu'à concurrence de leur mise. Ces derniers ont une position tout à fait exceptionnelle, parce que, en thèse générale, dans les sociétés, tout individu est responsable au moins pour sa part et non pas pour nue somme déterminée, qui peut moindre que sa part. C’est donc là, messieurs, une position de faveur qui ne peut pas être altérée, surtout vis-à-vis des tiers.

On parle toujours de l'intérêt des commanditaires, mais jusqu'à présent je n'ai pas entendu parler de l'intérêt des tiers.

M. Tackµ. - On n'a fait que cela.

M. Lambertµ. - Au moment de la formation de société, on constate cette faveur que j'ai signalée. Le contrat reçoit une forme publique. Il est transcrit au greffe et il est publié. Pourquoi toutes ces formalités, messieurs ? Mais évidemment ce n'est pas en faveur des associés intéressés qui se connaissent parfaitement, mais elle est exigée vis-à-vis des tiers qu'on a voulu mettre en état de connaître les stipulations de l'acte social.

La société donc est connue du public par l'agissement que je viens de faire connaître. Les tiers connaissent chaque personne qui figure dans la société ; celles à titre de solidarité, celles qui ne sont tenues que jusqu'à concurrence de la somme pour laquelle elles ont souscrit. Ces personnes sont nominativement connues ; elles sont engagées vis-à-vis des tiers et c'est à raison de la qualité de ces personnes, simples commanditaires, que les tiers se mettent en relation avec la société.

On voudrait, messieurs, dégager ces commanditaires de l'obligation qu'ils ont contractée dans le contrat social ; payer une partie de cette obligation et se trouver libérés pour le surplus.

Ainsi que je vous le disais en commençant, n'est-ce pas là une dérogation manifeste au contrat social et qui peut préjudicier aux tiers ?

On nous dit : Pourquoi empêcher la circulation des actions lorsqu'une partie du montant de la souscription est accomplie, alors surtout qu'il y a encore une responsabilité qui durera trois ans et qu'il y a une agréation du cessionnaire ?

Mais pour qui l'agréation ? Messieurs, on n'appelle pas les tiers au chapitre, ils n'y formulent point leur assentiment ou leur refus.

De sorte que moi, tiers, qui aurais contracté avec la société à raison de la qualité des personnes que je connais nominativement, on viendrait m'opposer des personnes que je ne connais pas et que je n'aurai pas agréées ! Il est de toute évidence que c’est transformer ce que le législateur a voulu lorsqu'il a permis de créer des sociétés en commandite.

Ces simples observations me semblent suffisantes pour faire justice de l'amendement de M. Moncheur.

Son amendement, je le dis encore une fois, constitue une dérogation au pacte qui doit persister vis-à-vis des tiers et on poserait ceux-ci dans une condition qui pourrait être excessivement dangereuse avec le mode d'agréation proposé.

Les tiers ne pourront pas dire : Mais je la refuse cette agréation, alors qu'il pourra se faire telle combinaison machiavélique. qui fera que des hommes de paille remplaceront des hommes solvables et tenus personnellement.

Je ne puis admettre ce système.

MiPµ. - Messieurs, on a soulevé deux questions.

La première est celle de savoir s'il y a lieu d'autoriser les actionnaires d'une société en commandite à céder leurs actions avant qu'elles soient complètement libérées et à se décharger ainsi, en tout ou en partie, des engagements qu'ils ont pris.

La seconde est celle de savoir si dans la société en commandite on doit permettre l'émission d'actions au porteur.

Je demande la permission à la Chambre de présenter quelques observations sur ces deux points, à l'occasion desquels on a émis. sur le projet de loi, différentes appréciations qui ne sont pas exactes.

D'abord, je dois dire que je repousse de toute mon énergie l'amendement déposé par l'honorable M. Moncheur et par l'honorable M. Reynaert. Je crois non seulement que le système exposé dans cet amendement est contraire aux principes du droit, mais que son introduction dans la loi aurait pour conséquence d'autoriser des actes qui ne seraient pas honnêtes, des actes que la morale repousse et contre lesquels le projet que nous faisons est surtout destiné à réagir.

J'ai eu l'occasion, il y a de cela un an et quelques mois, d'exposer la Chambre les principes fondamentaux du projet et loi de lui dire que l'idée sur laquelle la commission a étayé son principe est celle-ci : accorder, en matière de société, une très grande liberté, mais imposer aux sociétaires l'obligation de toujours dire la vérité.

Or, si vous adoptiez l'amendement qui vous est présenté, vous autoriseriez, par une disposition formelle de la loi, les fondateurs des sociétés (page 396) en commandite à manquer de vérité, à induire les tiers en erreur par de fausses allégations.

Vous ne pouvez à aucun prix introduire un principe aussi démoralisateur dans la loi que vous êtes appelés à voter.

Qu'est-ce qu'une commandite ? C'est une société dans laquelle certains actionnaires s'engagent indéfiniment et dans laquelle d'autres actionnaires, par une faveur exceptionnelle de la loi, s'engagent que jusqu'à concurrence d'une certaine somme.

Lorsque, dans une commandite, on souscrit des actions ou une part jusqu'à concurrence de 1,000 francs, par exemple, on prend par là l'engagement de verser 1,000 francs.

Voilà le principe.

Or, ce que les honorables auteurs de l'amendement dont je m'occupe proposent, c'est que celui qui aura pris l'engagement de payer 1,000 francs ne devra, en réalité, payer que le tiers (selon M. Reynaert), ou la moitié (selon M. Moncheur) de cette somme.

M. Thibautµ. - Vous devrez fournir un autre débiteur pour le reste.

MiPµ. - Je répondrai tout à l'heure à l'honorable M. Thibaut.

Je dis donc qu'il est de principe fondamental matière de commandite qu'il y ait engagement pour une certaine somme déterminée. Sans doute on est libre de ne point s'engager jusqu'à concurrence des l,000 fr., de ne s'engager, par exemple, que pour 500 francs, mais ce qui est incontestable, c'est que l'on doit payer la somme, quelle qu'elle soit, pour laquelle on s'est engagé ; que l'on ne vienne pas dire, en un mot, qu'on s'engage pour 1,000 francs, quand ne s'engage réellement que pour 500 francs.

L'honorable M. Thibaut dit : « On fournira un autre débiteur. Ainsi vous vous engageriez pour 100,000 francs et la loi vous autoriserait à n'en payer que 50,000, sauf à fournir le premier insolvable venu comme débiteur du surplus !

M. Moncheurµ. - Ce n'est pas cela.

MiPµ. - Qu'est-ce donc que la substitution d'un débiteur à un autre ?

M. Moncheurµ. - Il faut qu'il soit agréé.

MiPµ. - Agréé par qui ? par le créancier ! S'il en est ainsi, je le veux bien, mais ce n'est pas là ce que vous proposez.

Je dis donc que lorsque vous avez pris personnellement l'engagement de payer une somme, vous ne pouvez être libre de dire que cette somme sera due par un autre.

Pourquoi voulez-vous vous dégager ? Ce ne peut être que par crainte que le cessionnaire ne soit pas solvable. Si vous attachez tant d'importance à ce que le cédant soit libéré, c'est parce que vous supposez, et avec beaucoup de raison, que le cessionnaire peut n'offrir que peu de garanties.

- Un membre. - Le cédant peut aussi être insolvable.

MiPµ. - Il ne s'agit pas de savoir si le cédant est solvable ou insolvable. Le cédant a pris un engagement ; il est ce qu'il est ; mais quand j'ai un débiteur, je ne veux pas qu'on m'en donne un autre qui peut présenter moins de garanties.

Les conséquences de l'insolvabilité dans votre système retombent non pas sur celui qui a pris l'engagement, niais sur le créancier, qui n’en peut rien. Ah ! si l'on disait que le consentement des créanciers sera nécessaire, alors je n'aurais pas la moindre objection à présenter. Vous ne demanderiez alors que la consécration d’une chose qui se fait tous les jours ; ainsi lorsqu'une maison de banque cède ses affaires, elle écrit à ses créanciers : « je vous informe que j'ai cédé mes affaires à un tel ; l'acceptez-vous pour votre débiteur ? »

Cela est parfaitement légitime, mais, ce qui n'est pas légitime et ce que ne ferez pas admettre comme tel, c'est que l’on puisse, après pris un engagement, s'en décharger.

M. Thibautµ. - Et si celui qui s'est engagé est mort.

MiPµ. - S'il est mort ? Mais vus devez savoir ce qui se passe en cas de décès du débiteur. Les héritiers sont tenus, voilà tout.

M. Moncheurµ. - C'est pour cela que l'on a intérêt à ne pas être éternellement tenu.

MiPµ. - Chaque fois que l'on prend un engagement, on engage ses héritiers. Je ne vois pas pourquoi l'obligation prise par la commandite ferait exception à cette règle.

Mais la dette est bien plus grave pour les associés en nom, pour les gérants solidaires, dont les héritiers sont tenus solidairement et ultra pares.

Je m’étonne que l'honorable M. Reynaert ait soutenu une pareille doctrine. Il nous a développé les abus possibles de la commandite. Je veux, nous a-t-il dit, prévenir les commanditaires pour qu'ils ne s’engagent pas trop légèrement et leur apprendre à se défier des trompeuses promesses et des déceptions qui les suivent.

L'honorable M. Reynaert, avec son système, aurait dû abonder dans mes idées.

Ecoutez ce qu'il disait hier au souscripteur d'actions : « Prenez-y garde ; l'obligation que vous allez souscrire n’engage pas seulement le présent, elle engage l'avenir.

« Si la société ne répond pas à vos espérances, vous croyez peut-être qu'en cédant vos actions avec une légère perte, vous pourrez passer à autrui la responsabilité de votre engagement. Détrompez-vous, avant de pouvoir songer même à aliéner efficacement vos actions, la loi vous force à verser le tiers de leur montant. »

Ainsi l'honorable M. Reynaert, pour être sévère, dit aux gens : Vous vous êtes engagés à payer 1,000 francs, et vous pensez que cela ne signifie rien ? Détrompez-vous. L'engagement que vous avez pris est sérieux, vous êtes tenus de verser... 333 fr. 33 c.

Est-ce sérieux ?

Savez-vous ce qu'on fera avec ce système ? On annoncera, par exemple, qu'onc société est fondée au capital de deux millions de francs, mais que les actionnaires doivent verser que 300 francs par action 1,000 et que, ce versement fait, les actions seront au porteur.

Or, la vérité, dans ce cas, c'est que la société ne sera constituée en réalité qu'au capital d'un million de francs, et cela par le motif qu’il n’y a aucun moyeu de faire entrer le second million.

Inscrire pareille chose dans les actes de la société, ce serait induire le publie en erreur. L'on ne peut indiquer comme gage répondant des obligations de la société, que ce que l'on est en droit d'exiger de personnes certaines.

L'honorable M. Reynaert critique le système du projet, parce qu'il contient l'obligation d'inscrire, dans l’acte de société, les noms des personnes qui doivent effectuer les versements, les commanditaires qui ne sont pas libérés.

Mais je demande la Chambre si n'est pas là l'exigence la plus élémentaire et la plus indispensable ? Est-il oui, ou non, indifférent d'avoir pour débiteur d'une somme telle ou telle personne ; c'est-à-dire une personne solvable ou une personne insolvable ?

Si l'on dit que c'est indifférent, je ne discute plus. Mais, comme personne ne fera cette réponse, je maintiens qu'il est essentiel pour les associés de connaître ceux qui doivent apporter le capital.

L'honorable Reynaert me permettrait-il, par exemple, de fonder une société en commandite au capital de dix millions, de faire souscrive par un individu qui n'a ni sou ni maille l'engagement de verser pareille somme, et d'afficher ensuite au greffe du tribunal de commerce que ma société est constituée au capital de dix millions sans dire par qui ?

Cela serait-il raisonnable ? Croyez-vous qu'en agissant ainsi. je ne friserais pas un peu l'escroquerie ? Voilà cependant ce que l'amendement tend à autoriser ! Eh bien, je dis que cela est inadmissible.

Certainement on ne doit pas exiger que tous les commanditaires se fassent connaître. Du moment que les fonds sont versés, il est indifférent qu'ils proviennent telle ou de telle personne. Mais en ce qui concerne les engagements, comme toute leur valeur repose sur la solvabilité de ceux qui les ont pris, il est clair qu'il faut les faire connaître pour pouvoir apprécier si le capital est sérieux ou non.

M. Reynaert, à cet égard, est tombé dans une erreur profonde sur la portée du projet de loi.

On exige incontestablement et on doit exiger que le nom des personnes qui prennent des engagements soit indiqué.

L'honorable membre induit de là que toute cession exigera un acte signifié conformément aux prescriptions du code civil. Mais veuillez remarquer que le projet de loi autorise les actions nominatives ; or, tout le monde sait que les actions de cette nature peuvent être cédées par une simple inscription sur les livres de la société.

M. Reynaertµ. - Et les parts civiles ?

MiPµ. - Vous les céderez en vertu des principes ordinaires.

M. Reynaertµ. - Votre disposition s'applique très nettement aux deux.

MiPµ. - Pas du tout.

M. Delcourµ. - On ne touche à la cession civile.

(page 397) MiPµ - Evidemment ; vous pouvez faire des parts de commandite ordinaires ou des parts par actions : c’est à vous à choisir : si vous avez pris des actions nominatives, vous aurez le moyen de cession des actions nominatives ; cela dépend des fondateurs de la société. Remarquez, d'ailleurs, que dans beaucoup de sociétés en commandite il y a intérêt à ce qu'on ne cède pas les parts ; je connais des sociétés de cette nature où la cession des parts est interdite. Or, si les actionnaires ont que la cession fût impossible ou n'ont pas voulu d’actions, vous ne pouvez pas leur imposer la cessibilité ou un mode de cession... (Interruption.)

Je dis donc que le projet permet de céder la part de commandite au moyen d'une simple inscription dans les livres de la société.

- Une voix. - Avec dégagement ?

MiPµ. - Mais non, pas avec dégagement ; il ne peut s'agir que des actions libérées.

J'ai déjà répondu à votre système de dégagement : il y a de la confusion dans tout cela. On admet en droit la cession des créances ; il y a un chapitre dans le code civil sur cette matière. Ainsi, si j'ai une créance sur l’un de vous, je puis la céder ; mais, si je suis votre débiteur, je ne puis céder ma dette.

Nous vous demandons qu'une seule chose : c'est la déclaration que celui qui a pris un engagement doit le payer. Nos prétentions ne pas au delà.

Veuillez remarquer, au surplus. que le projet vous offre les moyens de réaliser honnêtement toutes les combinaisons et j'appelle, à cet égard, l'attention des honorables membres.

Sans doute, il ne vous sera pas loisible d'annoncer que vous allez constituer une société au capital d'un million, alors que cette somme ne doit pas être réellement versée ; mais rien ne vous empêchera, en publiant, dans l'acte constitutif, que des engagements sont pris jusqu'à concurrence d'un million, d'ajouter que vous vous réservez la faculté d'émettre d'autres obligations par la suite. Seulement, dans cette hypothèse, vous ne pourrez pas déclarer que votre société est « constituée » au capital de deux millions.

Vous serez libres encore, si vous le voulez, de créer des actions de 500 francs réellement exigibles, en ajoutant que les actionnaires pourront être tenu de verser ultérieurement une seconde somme de 500 francs ; mais tant que cette dernière somme n'aura pas été réclamée, il vous sera interdit d'en faire état dans l'indication de votre capital social ; si vous le faisiez, vous vous rendriez coupables d'une véritable escroquerie. Vous pouvez donc, en un mot, faire tout ce que vous voulez, si ce n'est induire les tiers en erreur par des affirmations contraires à la vérité.

J'aborde maintenant l'examen de l'amendement présenté par l'honorable M. de Rossius, avec qui nous sommes bien près de nous entendre, car nous sommes, lui et nous, parfaitement d'accord sur tous les principes que je viens d'exposer.

Toute la question est celle-ci : Faut-il permettre que, dans la société en commandite, les actions entièrement libérées puissent devenir des titres au porteur ?

J'appelle l'attention de la Chambre sur la situation dans laquelle on s'est trouvé pour décider cette question en présence des précédents résultant de la législation française.

L'honorable M. Reynaert a rappelé avec beaucoup de raison que la commandite avait donné lieu, en France surtout, à de graves abus, à des tromperies de toute espèce. Le législateur français a eu plusieurs fois à s'occuper de cet objet et dans le but de réprimer les abus, il a introduit un système de formalités, de publicité, de garanties qu'il a appliqué aux commandites par actions.

Nous nous sommes naturellement demandé s'il fallait introduire dans notre législation les garanties prévues par les lois françaises pour la commandite en actions.

Si la solution avait été affirmative, il n'y aurait en aucune difficulté à admettre les actions au porteur, même dans les sociétés en commandite.

Mais nous avons pensé qu'il était préférable de laisser à la commandite une très grande liberté et de ne pas l'assujettir à toutes les formalités exigées pour la société anonyme. Ce point admis, il fallait nécessairement certaines restrictions dans l'intérêt des tiers.

Ainsi deux systèmes : étendre à la commandite les dispositions créées pour la protection des droits des tiers dans la société anonyme ; ou bien maintenir le principe de la liberté en prohibant seulement les actions au porteur. Voilà l'alternative.

Je crois, messieurs, qu'il est nécessaire de proscrire de la commandite les actions au porteur.

Nous reconnaissons qu'en matière de sociétés anonymes, il est impossible de ne pas prendre certaines précautions ; ces précautions sont de diverses natures ; je vais les indiquer en deux mots.

On exige dans la société anonyme, qu’il y ait un bilan annuel, que ce bilan soit vérifié par des commissaires, qu’il soit publié ; on appelle une assemblée générale à statuer sur ce bilan. Tout cela est obligatoire, remarquez-le bien. Lors de la constitution d'une société anonyme, on vent que les souscripteurs d'actions aient le moyen de s'assurer qu'il n'y pas de fraude dans les apports. La Chambre sait parfaitement les exagérations qui ont lieu dans la valeur des apports de sociétés anonymes. On prend donc une série de précautions pour que le contrôle des opérations des sociétés anonymes soit sérieux et prévienne toute espèce de fraude.

Nous faisons plus : comme nous voulons la proclamation de la vérité dans toutes ces matières, nous exigeons que sur les titres au porteur des sociétés anonymes on indique toujours quels ont été les apports faits aux sociétés et quelle est leur valeur estimative, afin que les actionnaires puissent contrôler le plus ou moins d'exagération de cette valeur.

On voit donc qu'il a été pris, en matière de sociétés anonymes, des précautions qui doivent avoir pour effet de prémunir les tiers contre les déceptions qu'ils pourraient rencontrer. Si vous voulez étendre ces précautions aux commandites, comme on l'a fait en France, je ne vois aucune difficulté à ce que les actions des commandites soient au porteur.

Mais, si vous ne faîtes pas cette extension, qui, d'après moi, ne doit pas se faire, il faut que la société en commandite n'ait pas des titres aussi mobiles que la société anonyme.

Je ne puis. comme législateur, dire ceci :

« Je maintiens que les précautions prises en matière de société anonyme sont très sages, très utiles, très morales ; mais je vous avertis qu'il y a un moyen de se passer de toutes ces précautions, c'est de faire sous forme de commandite la société que vous projetez ; et alors vous n'aurez plus de bilan, de publication, de surveillance d'assemblée générale, d'inscription obligatoire sur les actions. »

Il faut appliquer aux commandites les dispositions qui concernent les sociétés anonymes, ou bien il faut maintenir les commandites dans des relations moins mobiles.

Voulez-vous faire appel au publie sur une large échelle par des titres au porteur, permettez au public de voir clair dans vos affaires. Voulez-vous repousser ce contrôle, restreignez vos affaires aux personnes qui s'y intéressent avec l'intention d'y rester.

Il y a de très grandes affaires dont les titres doivent se répandre sur une grande surface du pays, la création d'un canal, d'un chemin de fer ; là, je comprends qu’on doive avoir des actions au porteur ; mais, pour les commandites, je n'admets pas que ce soit une chose nécessaire ni même une chose utile.

Croyez-vous qu'il faille bien encourager ce système d'acheter des actions non pour les faire un bénéfice dans la société, mais un bénéfice sur les titres, non pour les conserver, mais pour les revendre ? On doit entrer dans une société pour faire les affaires da la société, mais non pour faire de l'agiotage.

Je vais vous montrer comment, dans une commandite, il peut être dangereux d'avoir des titres au porteur.

Je vous ai dit qu'un des points importants que le projet a eus en vue dans la prescription de certaines obligations de publicité imposées aux sociétés anonymes a été de proscrire les fraudes dans les apports. C’est ce que s'est proposé aussi le législateur français dans la loi sur les commandites.

Quelle garantie aurez-vous pour les actions au porteur commanditaires que vous voulez créer ?

Aucune.

L'apport, eu égard à son chiffre, est dérisoire, les porteurs n'ont aucun moyen de le contrôler.

Il s'en fait par des retenues de bénéfices fictifs. l'action est un chiffre sans valeur cédé par une personne dont le nom disparaît, rien ne le constate.

Le versement sur les actions se fait par un transfert de compte : l'actionnaire primitif est insolvable ou peu solvable : on libère ses actions en le débitant en compte courant, et il peut disposer de son titre au porteur comme d'une valeur payée en écus. Et cela sera approuvé !

Vous trouvez tout cela inattaquable. Je ne crois pas que cela soit possible.

J’ajouterai encore un autre point, et ici je traite incidemment une question qui a occupé M. Moncheur et M. Jonet. C'est le rapport des bénéfices. Je vous avoue que je comprends pas comment on peut raisonnablement contester que les commanditaires qui se sont partagés des bénéfices fictifs (page 398) doivent être tenus de les restituer. Je laisse de la question de prescription, elle fait l'objet d'un chapitre distinct du projet de loi, mais je soutiens qu'il n'est pas raisonnable qu'un individu qui a retiré d'une société, sous le faux prétexte de bénéfices, une partie de la somme qu'il s'était engagé à verser, une partie du capital, puisse conserver ce bénéfice lorsqu'il est établi qu'il ne l'a touché qu'en frustrant les créanciers, que ces bénéfices sont imaginaires.

Je m'explique.

Je suppose que j'aie souscrit dans une société en commandite pour 100,000 francs d’actions. On me paye, pendant trois ans, 20 p. c. de dividende chaque année ; je retire donc en réalité 60 p. c. de mon capital et il reste 40 p. c. de versé. La société fait plus tard de mauvaises affaires et on s’aperçoit que les bénéfices distribués n'ont jamais été réalisés. Les créanciers me diront alors : Vous avez retiré 60 p. c. de la somme que vous aviez versée pour compléter le capital social sur lequel nous le droit de compter. La société est insolvable. Rapportez donc les dividendes qui vous ont été distribués à tort ! Et ces créanciers auront parfaitement raison.

Je demande à tout homme de bon sens s'il est possible qu'il en soit autrement.

Remarquez qu’il est dans la nature même des sociétés en commandite que celui qui a apporté une somme pour parfaire le capital social ne peut, sous aucun prétexte, la retirer. Ce n'est donc pas une disposition nouvelle qui a été inscrite dans le projet de loi ; cette disposition n'y a été inscrite que pour mettre le public en garde contre des fraudes déjà condamnées aujourd'hui.

Eh bien, messieurs, avec le système de M. de Rossius, vous rendez impossible l'apport des bénéfices.

Il n'en est pas de la société en commandite comme de la société anonyme.

Là, les bilans sont publiés ; les créanciers peuvent les examiner et s'opposer, s'il y a lieu, à la distribution des dividendes. De cette façon, ils peuvent empêeher qu'on ne retire une partie du capital social.

M. Jonetµ. - Et si l'on public des bilans qui sont faux ?

MiPµ. - Mais il y a d’abord la garantie des administrateurs et des commissaires, la décision de l'assemblée générale et la publicité.

Dans la société en commandite, il n'y a rien de tout cela ; il n’y a pas une seule garantie, de sorte que l’on pourra secrètement faire de faux bilans et distribuer des bénéfices qui n'existent pas.

M. de Rossiusµ. - Avec les travaux forcés en perspective, car c’est la banqueroute.

MiPµ. - Oui, mais si le gérant passe à l'étranger, le créancier n’aura plus aucun recours, les commanditaires resteront légitimement investis de son bien.

Ces fuites d'ailleurs ne sont pas rares ; et la répression n’est pas toujours possible.

Je me résume, messieurs, en disant que si l'on veut constituer des sociétés en commandite avec des actions au porteur, il faut assurer aux tiers les mêmes garanties que celles dont ils jouissent en matière de sociétés anomales. Sans cette condition, je ne puis consentir, pour ma part, à l'adoption de l'amendement de M. de Rossius.

Telles sont, messieurs. les observations que j'avais à présenter.

- Voix nombreuses. - A demain !

M. Liénartµ (pour une motion d’ordre). - Je désire adresser une interpellation à M. Ic ministre des finances.

En 1868, l'honorable M. Van Overloop a obtenu de M. le ministre des finances la promesse d'un travail fort intéressant ; ce travail consiste en un tableau de toutes les sociétés anonymes actuellement existantes dans le pays, avec l'indication des immeubles possédés par chacune d'elles.

Je pense que l'honorable M. Van Overloop, en faisant, cette demande, avait pour but de nous mettre plus à même de juger quelles seraient, au point de vue fiscal, au point de vue des droits de mutation, d'enregistrement, etc., les conséquences probables de la grande facilité que la loi que nous discutons apporte à la création de sociétés anonymes. Cette question reprend aujourd'hui une grande actualité, et je désire apprendre de M. ministre des finances s'il n'est pas encore en mesure de nous fournir le travail qu'il a promis. Je suis convaincu que si l'honorable M. Van Overloop n'était retenu ailleurs par indisposition, il m'aurait devancé dans la motion que j'ai l'honneur de faire en ce moment.

MfFOµ. - Je ne pense pas que l'honorable M. Van Overloop ait demandé le travail dont vient de parler l'honorable M. Liénart, en vue de la discussion actuelle du titre des Sociétés. C'était, je crois, un autre point de vue qu'il s'était placé.

Quoi qu'il soit, ce travail a été fait. Il a passé sous mes yeux, mais j'ai y remarquer certaines erreurs et j'ai dû prescrire une vérification dont j'attends les résultats. Il est probable que, dans un bref délai, le travail pourra être soumis à la Chambre.

Rapport sur une demande en naturalisation

M. Thienpontµ. - J’ai l'honneur de déposer le rapport sur une demande de naturalisation ordinaire.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

La séance est levée à quatre trois quarts.