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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 3 février 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 399) M. de Vrintsµ procède à l’appel nominal 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Rossiusµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le conseil communal de Bertrix prie la Chambre d'autoriser M. le ministre des travaux publics à accorder au sieur Brassine la concession d’un chemin de fer d’Athus à la frontière française dans la direction de Givet. »

« Même demande des conseils communaux de Bourseigne-Neuve et d'une commune non dénommée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Brunin demande, au nom dos sociétés colombophiles, que le projet de loi modifiant la loi sur la chasse contienne des restrictions en faveur des pigeons voyageurs. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Par dépêche, en date du 1er février, M. le ministre des finances transmet des explications sur la pétition du sieur Amoris, relative à l'obligation qui serait imposée aux employés inférieurs de la douane de s’abonner au service médical. »

- Dépôt au bureau des renseignements.

Proposition de loi modifiant la loi sur les patentes

Développements

MpMoreauµ. - La parole est à M. Liénart.

M. Liénartµ. - Messieurs, le projet de loi que j’ai eu l’honneur de signer avec quelques-uns de mes collègues, et que je prie la Chambre de bien vouloir prendre en considération, n'est pas nouveau.

La plupart des modifications, si pas toutes, que nous proposons d'apporter à la loi du 21 mai 1819 sur les patentes ont été réclamées en diverses occasions ; seulement ces réclamations se produisant incidemment et étant combattues par une fin de non-recevoir n'ont pu aboutir jusqu'à présent.

Réunies autour de la loi du 21 mai 1819, elles se trouvent aujourd'hui former notre projet de loi.

La Chambre pourra critiquer les dispositions nouvelles sans nul doute ; mais au moins elle ne pourra plus prétendre qu'elles ne viennent pas en leur lieu et place.

La première modification concerne le mode de nomination des répartiteurs.

Aux termes de la loi du 21 mai 1819. article 22, la classification des patentables est confiée à une commission de répartiteurs, qui font leur travail à l'intervention du contrôleur des contributions ; et, en cas de désaccord entre eux et lui, la cotisation est arrêtée par le directeur des contributions de la province.

Dans la pratique, les répartiteurs sont nommés dans chaque province par le gouvernement.

Nous ne voulons pas examiner par quelles dispositions législatives il a été dérogé à la loi du 3 frimaire an VII, à laquelle se réfère la loi du 21 mai 1819 par son article 22 et qui attribuait aux administrations communales la nomination des répartiteurs.

Quoi qu'il en soit de la question de légalité, il en résulte que la classification des patentables est aujourd'hui l'œuvre des seuls agents du gouvernement, puisque les répartiteurs sont nommés par le gouverneur, les contrôleurs et les directeurs des contributions par le gouvernement.

A quelque point de vue qu'on se place, soit qu'on envisage le côté fiscal de la question, soit qu’on se préoccupe davantage du côté électoral, ce état de choses semble devoir être modifié.

Au point de vue fiscal, il nous semble juste que puisqu'il y a deux parties intéressées en présence, le gouvernement qui perçoit l'impôt et le contribuable qui le paye, celui-ci soit représenté dans le comité des répartiteurs.

D’un autre côté, puisque le payement du cens est le point de départ du droit électoral, il pourrait y avoir danger sérieux à abandonner aux seuls agents du gouvernement le droit de procéder à la classification.

Les répartiteurs seront représentés dans la commission des répartiteurs et les agents du gouvernement contrôlés dans ce travail, si vous adoptez notre première modification.

Elle consiste à supprimer à l'article 22 les mots « nommés dans chaque commune pour les répartitions des contributions directes » et à les remplacer par les deux paragraphes suivants :

« Les répartiteurs sont nommés dans chaque commune par le conseil communal ; ils ; sont au nombre de quatre dans les villes et de deux dans les communes rurales.

« Le bourgmestre ou son délégué fait de droit partie de la commission des répartiteurs. »

La nomination des répartiteurs par l'administration communale est, sinon dans le texte, je le reconnais, au moins dans l’esprit de la loi communale qui porte, à son article 80 :

« Le conseil nomme les répartiteurs ou répartit lui-même, conformément aux lois, le contingent des contributions directes assigné à la commune. »

Dans la séance du 21 juin 1862, répondant aux critiques qui avaient été dirigées contre le travail des répartiteurs, l'honorable ministre des finances, après avoir pris leur défense, ajouta, pour dégager plus complètement la responsabilité du gouvernement :

« Je répète que la cotisation d'un patentable est le fail des répartiteurs qui ne sont pas les agents du département des finances, mais ceux de la commune. La loi l'a voulu ainsi pour donner aux contribuables une garantie contre tout arbitraire. »

Lorsque M. le ministre des finances s'exprimait ainsi, il ignorait ou plutôt il oubliait que les répartiteurs ne sont pas nommés par la commune, mais bien par le gouverneur, qui est l'agent du gouvernement.

Mais d'un autre l'honorable ministre des finances donnait par avance son adhésion à la modification que je propose et dans laquelle il reconnaissait lui-même une « garantie contre tout arbitraire ».

Je passe, messieurs, à la seconde modification. Lors de la discussion de la loi sur les fraudes électorales, en juillet 1865, l'honorable comte de Theux présenta un amendement destiné à prendre place dans la loi et qui était conçu dans les termes suivants :

« Toute réduction de patente opérée d'office devra être, dans les huit jours, notifiée par écrit à l'électeur inscrit sur la liste de l'année précédente.

« Les patentables peuvent réclamer contre cette réduction, dans les formes voulues pour les instances en dégrèvement. »

L’amendement de l'honorable comte de Theux eut le sort de beaucoup d'autres à cette époque ; il fut écarté par une fin de non-recevoir. Mais la question à laquelle il apportait une solution donna lieu à d'assez longs développements, et M. le ministre des finances déclara, à deux reprises et dans les termes les plus formels, qu'il la ferait étudier par son département.

(page 400) Voici ses paroles :

« Je dis que tout cela mérite d’être examiné et je m’engage volontiers à soumettre la question à mon administration. »

Et plus loin, accentuant davantage sa promesse pour parvenir plus aisément à faire écarter l'amendement de l'honorable comte Theux, M. le ministre des finances ajouta :

« Il ne s’agit pas d'un fait général présentant de grands dangers ; et qu'est-ce que je propose cependant ? Je m'engage à étudier la question, à préparer des propositions de nature à faire cesser les abus que je serai le condamner s'ils existent. Mais pourquoi tant de hâte ? Vous aurez des propositions en temps opportun, des propositions sérieusement élaborées ; pourquoi vouloir en introduire d’impraticables dans la loi que nous discutons ? »

A juger, messieurs, par l'attente dans laquelle le gouvernement nous laisse des propositions soumises, le moment serait pas encore opportun pour les présenter. Nous sommes d'un tout autre avis et nous sérieusement le moment opportun.

Comme je l'ai dit plus haut, la classification des patentables est confiée à une commission de répartiteurs, et l'article 28 de la loi de 1819 permet au contribuable de réclamer contre sa répartition.

Jusque dans ces derniers temps, on avait pu croire que ce droit de réclamation était absolu, général, et qu'il s'appliquait aussi bien en cas de dégrèvement cas de surtaxe, M. le ministre des finances notamment, répondant aux inquiétudes manifestées par l'honorable M. de Theux, dans la séance du 17 mai 1867, affirma l'existence de ce double droit.

Voici ses paroles :

« Si des particuliers ont à se plaindre de ce qu’ils ont été dégrevés ou surtaxés arbitrairement par les répartiteurs, ils ont une action devant la députation permanente. »

C’était là une erreur, le recours n'existe pas en cas de dégrèvement ; ainsi l'a jugé la cour de cassation par son arrêt du 27 avril 1869.

L'arrêt décide en effet, en se plaçant au point de vue des idées de 1849, que l'appel est ouvert seulement au contribuable qui était surtaxé. non à celui qui a été dégrevé, de sorte que s'il plaît aux agents du gouvernement de réduire arbitrairement ma cotisation pour m'enlever le droit électoral, je suis sans droit pour réclamer.

Si mes souvenirs sont exacts, cette lacune a été signalée par M. l'avocat général Faider, qui a porté la parole devant la cour suprême.

Le danger d'une pareille situation ne sera contesté par personne.

Ce qui peut vous donner une idée des abus possibles en cette matière, c’est que, dans la Flandre orientale seulement, il a été formé cinquante-trois pourvois par le directeur des contributions directes de la province, c'est- à-dire qu'au jugement de la députation permanente de la Flandre orientale il y a eu, dans le cours de la révision de 1869, seulement cinquante-trois électeurs qui auraient été privés de leur droit électoral par les agissements arbitraires des agents.

Pour porter remède cet état de choses, nous proposons de rédiger autrement le paragraphe premier de l'article 28 de la loi de 1819, dont la rédaction actuelle, par trop restreinte, a servi de base à l'arrêt de la cour de cassation.

Au lieu de dire : « Ceux qui se croiront grevés par leur cotisation », il faudrait dire : « ceux qui auraient été indûment omis sur le rôle des patentes ou qui croiront avoir à se plaindre de leur cotisation. »

En agissant de la sorte, nous avons approprié la loi de 1819 aux exigences nouvelles de l'époque. Si, comme l'a jugé la cour de cassation, l'idée de fiscalité a seule guidé le législateur de 1819 et s'il s'est uniquement préoccupé d'une question d'argent, la vue du législateur moderne doit porter plus loin : il doit découvrir, sous la question d'argent, l'existence du droit électoral, et il ne peut pas s'intéresser moins à la réclamation du contribuable qui se plaint d'avoir été privé, par le fait des agents du gouvernement, de son droit électoral qu'à celle du contribuable qui se plaint d'avoir été surtaxé par eux.

Mais, messieurs, une autre manœuvre est également possible. Si les agents du fisc peuvent enlever à un électeur son droit électoral en abaissant arbitrairement sa cotisation, ils peuvent aussi faire conférer à un contribuable le droit électoral en augmentant arbitrairement sa cotisation.

C’est à cet abus que nous avons voulu remédier en donnant aux tiers le droit de réclamer contre les inscriptions indues et les cotisations exagérées.

De nos jours, messieurs, le tiers n'a pas d’action : il en résulte que la fraude ne peut pas être déjouée ; car la seule personne qui pourrait réclamer, c'est le contribuable, et nous supposons qu'il est de connivence avec les agents.

On pourra objecter que les décisions du fisc ne lient pas le juge de l'instance électorale et que le tiers peut réclamer et soutenir que le contribuable ne possède pas les bases de sa cotisation. Mais, messieurs, combien ces réclamations tardives, élevées devant un juge étranger à l’application des lois fiscales, sont difficiles et le plus souvent inefficaces et illusoires !

La jurisprudence de ces derniers temps accuse une tendance manifeste, de la part de nos cours d'appel, à s’en rapporter purement et simplement aux décisions fiscales.

L'on peut dire sans exagération que, si ces décisions ne constituent pas une présomption juris et de jure, elles n'en constituent pas moins, en faveur de l'électeur, un préjugé tel, qu'il est bien difficile, sinon en droit, au moins en fait, de le renvverser.

Il est même certaines questions qui touchent au droit électoral et que la cour de cassation tient pour souverainement décidées par l'autorité administrative ; je n’en citerai qu'un exemple : c'est la question de l'affinité entre les patentes (arrêt du 18 octobre 1869).

Cette tendance, messieurs. est attestée par un jeune publiciste, assurément très compétent dans la matière, et qui a suivi avec le plus grand soin le mouvement de la jurisprudence électorale avant et après la loi du 5 mai 186i9.

Voici comment il s'exprime :

« Cette décision, dit l'honorable M. Scheyven en note de l'arrêt que je viens de citer, a une importance majeure ; elle révèle la tendance de la cour suprême de restreindre, dans certaines limites, le droit du juge, saisi d'une contestation en matière électorale, de ne point admettre, pour la formation du cens, un impôt qui a été réellement payé par celui qui s’en prévaut... On objectera sans doute que l'administration des contributions agissant sans contrôle pourrait abuser de son pouvoir dans l'intérêt d'un parti : mais c'est là plutôt faire le procès à la loi qui, d'après la jurisprudence de la cour de cassation, laisse à l'administration des contributions un large pouvoir quant à la cotisation des contribuables... Qu'en résulte-t-il si ce n'est que nos lois fiscales et électorales reposent sur une confiance très grande dans l'impartialité politique de l’administration, et que les abus qui pourraient, sous ce rapport, se produire devraient être signalés et énergiquement réprimés. »

Je ne viens pas critiquer cette tendance, elle repose sur la confiance que doivent inspirer les décisions fiscales, mais il faut que cette confiance soit justifiée et c'est pourquoi nous demandons que le tiers ait le droit de contrôler le travail des agents répartiteurs et fiscaux. A cette condition, mais à cette condition seulement, le travail des agents pourra, en toute sincérité, servir de base à l'établissement du droit électoral.

Ceci, messieurs, fait l'objet de notre troisième modification, qui consiste à insérer dans l'article 28 le paragraphe nouveau suivant :

« Le même droit appartiendra à tous les individus jouissant des droits civils et politiques. Le réclamant joindra à sa réclamation les pièces à l'appui, ainsi que la preuve qu'elle a été notifiée par lui aux parties intéressées. »

Ce paragraphe devra nécessairement recevoir quelques compléments de détail pour fixer le délai endéans lequel le tiers devra réclamer.

Ce délai, qui pourrait être le même que pour le contribuable lui-même, pourrait prendre cours du jour de la publication que l'administration municipale tenue de faire lorsque les rôles sont mis en recouvrement.

Messieurs, il me reste à vous dire quelques mots de la quatrième et dernière modification que nous proposons d'apporter à la loi de 1819.

Les modifications qui précèdent ont pour but de prévenir les abus ; celle-ci a pour objet de punir les abus, quand ils viendraient à se produire.

L'article 37 de la loi de 1819 commine certaines pénalités contre les contribuables qui ne remplissent pas les obligations que la loi leur impose ; nous appliquons la même pénalité aux agents qui manquent leur devoir, devoir de justice, devoir de sincérité.

Sans doute, la matière que les agents sont appelés à régler est délicate, la classification des contribuables est un fait complexe qui renferme des éléments de diverses natures ; mais tout ce que l'on peut inférer de là, c'est qu'il y aura lieu d'user de beaucoup de réserve dans les poursuites. J'ajouterai que je me confie davantage dans le droit d'intervention du tiers que dans l'action répressive. Mais il nous a semblé impossible de ne pas punir les abus patents qui viendraient à être dénoncés.

Tel est l'ensemble des modifications que nous avons proposé d'apporter à la loi de 1819, législation déjà ancienne et qui est étrangère aux préoccupations qui agitent aujourd’hui les partis.

Vous avez voté une loi destinée à garantir la sincérité des listes (page 401) électorales ; ce but ne sera atteint que si vous assurez en même temps, en adoptant les dispositions que j’ai eu l’honneur de vous présenter, la sincérité des rôles des contributions.

Prise en considération

MfFOµ. - Messieurs, je ne viens pas m’opposer à la prise en considération de la proposition de loi dont les développements ont été présentés par l’honorable M. Liénart ; et cependant, je ne crois cette proposition acceptable sous aucun rapport.

Sans doute, je reconnais que les questions que la proposition a la prétention de trancher méritent un examen, et que peut-être il pourrait résulter de cet examen quelques améliorations à introduire dans la législation. Mais, assurément, les changements qui sont proposés ne constitueraient pas une amélioration ; ils présenteraient, au contraire, d'après mon appréciation, les plus graves inconvénients.

Comme il s'agit d’une matière tout à fait spéciale, peu familière à la plupart des membres de la Chambre, je ne crois pas inutile de donner quelques explications sur la situation que l'on veut modifier par la proposition qui vous est soumise.

Et tout d’abord, je tiens à constater quelle est l'origine de cette proposition.

Des faits assez étranges, constituant, comme vous allez le voir, de tables de véritables fraudes en matière électorale, ont été pratiqués spécialement à Bruges, à Alost et à Berchem. Dans cette dernière commune, surtout, ces faits ont eu un caractère des plus extraordinaires. A Bruges, un particulier qui occupait une très petite maison, avec une porte et une fenêtre, je crois, et qui toujours avait remis la même déclaration pour la contribution personnelle, fait, à un moment donné, une déclaration entièrement différente et de nature à faire accroître assez notablement la cotisation qu'il avait à payer jusqu'alors ; cette nouvelle déclaration était formulée de manière à lui faire attribuer précisément une cotisation suffisante pour qu'il obtînt le cens électoral.

Usant du droit que la loi lui donne, l'administration fait contrôler cette singulière déclaration, et il est reconnu par une expertise spéciale qu'elle est inexacte ; l'administration, toujours en vertu de la loi, la rectifie pour la ramener à la réalité des faits. Pourvoi du contribuable devant la députation permanente, laquelle, usurpant un droit qui lui appartient pas, décide qu'elle fera, à son tour, opérer la vérification de l'exactitude de la déclaration ; de son autorité privée, elle ordonne une enquête, dont, chose étrange, le résultat est tout à fait contraire à celui de la première expertise, et en suite de laquelle la déclaration fausse est proclamée exacte. En conséquence la députation décide le maintien dans le rôle de la nouvelle cotisation du contribuable. Pourvoi de l'administration devant la Cour de cassation contre cette décision, et la Cour de cassation donne raison à l'administration.

Dans les faits de Berchem, les choses se passent encore à peu près de même. Il s’agit de ces électeurs qui ont fait surgir la difficulté, et qui étaient nombre de cinquante-trois dans la Flandre orientale ; or, il y en avait quarante-huit dans seule commune de Berchem. Deux partis étaient en présence dans cette localité, où il s'agissait d'ure lutte communale ; je ne sais pas si la politique y était engagée, s'il s'agissait de catholiques et de libéraux', mais la lutte était des plus vives, et, de part et d'autre, on fabriquait des électeurs qui mieux mieux. Il en résulte que dans cette petite commune de Berchem, qui compte 2,600 habitants, on arriva à constituer quelque chose comme 248 électeurs. Au nombre de ces électeurs il s'en trouva quarante-huit qui avaient fait des déclarations de patente et que le comité des répartiteurs avaient rangés dans une classe où ils ne devaient payer que 2 fr. 55 c. Mais comme c'étaient des contribuables d'une espèce à fait particulière, ils trouvèrent que les répartiteurs avaient eu le plus grand tort de les taxer seulement à 2 fr. 55 c. et ils voulaient absolument payer 8 fr. 48 c. : c'était la somme qui leur était nécessaire pour les faire arriver au cens électoral. Les répartiteurs avaient agi conformément à la loi ; ils étaient dans leur droit et ils ont maintenu la cotisation de 2 fr. 55.

Pourvoi devant la députation permanente de la Flandre orientale.

Devant cette députation permanente, la question s’élève de savoir si des contribuables ont le droit de se pourvoir lorsqu'ils prétendent ne pas payer assez, et si le pourvoi que la loi ouvre n'est pas en faveur de ceux qui se présentent surtaxés.

Nous ne pas ici, remarquez-le bien, messieurs, en matière électorale, mais en matière fiscale pure.

La députation permanente, se fondant sur quelques paroles que j’aurais prononcées devant cette Chambre et que l’honorable M. Liénart vient de rappeler, paroles dont le sens a été mal rendu par suite d’une erreur de la sténographie, comme le prouvent d’autres passages du discours sur le même sujet, se déclare compétente et trouve que ces particuliers avaient très justement le droit de se plaindre de ce qu'ils ne payaient que 2 fr. 55 c. et qu'ils devaient payer 8 fr. 48 c.

L'administration s'est pourvue devant la Cour de cassation contre cette décision de la députation permanente. Cette décision, comme je viens de le dire, se fondait, quant à la compétence, sur les paroles que j’aurais prononcées. Or, même en les supposant exactes, il est bien évident qu'elles ne sauraient précisément être invoquées comme faisant autorité, et comme formant jurisprudence : je ne sache pas, en effet, que j'aie la puissance de faire des lois par les appréciations que je puis émettre sur le sens de telle ou telle disposition légale.

Cette grande importance qu'on leur attribuait était d'autant plus extraordinaire de la part de la députation permanente de la Flandre orientale, que dans une autre circonstance, lorsqu'il s'agissait du droit de débit des boissons distillées, cette même députation avait soutenu, envers et contre tous, contre la Cour de cassation, et, on peut le dire, contre l'évidence même, que les déclarations les plus formelles du gouvernement, consignées dans l'exposé des motifs, et celles que j'avais faites à la Chambre, toujours au nom du gouvernement, pour fixer le véritable sens de la loi, n’avaient aucune valeur. Elle a décidé alors qu’elle avait le droit de juger, sans tenir compte des déclarations ayant ce caractère formel et officiel, et elle a proclamé que le droit de débit sur les boissons distillées ne devait pas être compté dans cens électoral.

Cette même députation, abandonnant tout à coup un système auquel elle s’était attachée avec tant de ténacité, voulait donc, dans cette nouvelle espèce, interpréter la loi et ce fixer la portée, uniquement à l'aide de quelques paroles qui m'étaient attribuées.

Dans la décision que j'ai prise pour ordonner le pourvoi en cette matière, j'ai répondu dans les termes suivants à cette objection de la députation permanente :

« Considérant que la députation permanente cherche vainement à se prévaloir des discussions à la Chambre des représentants dans la séance du 17 mai 1867, et entre autres d'une réponse à l’honorable M. de Theux à l'occasion de laquelle les Annales parlementaires font dire au ministre des finances, que les particuliers qui auraient à se plaindre d'avoir été dégrevés ou surtaxés, ont une action ouverte devant la députation permanente ; qu'en effet, indépendamment de la possibilité d'une erreur de la sténographie, erreur qui devient apparente si l'on rapproche de ce qui précède une autre réponse du ministre dans laquelle il émet des doutes sur la possibilité d'un recours contre les classifications faites par les répartiteurs (séance du 8 décembre 1868, Annales parlementaires, p. 131 ), il est à remarquer que les allégations avancées dans un discours improvisé à la Chambre ne peuvent jamais être élevées la hauteur d'une disposition législative ; que la députation permanente eût dû d'autant mieux le comprendre qu'elle va parfois jusqu'à méconnaître l'autorité d'un exposé des motifs dans lequel le gouvernement précise avec maturité le but et la portée d'un projet de loi ; qu'ainsi, à diverses reprises, ce collège a refusé de reconnaître au droit de débit en détail de boissons alcooliques et au droit de débit de tabac le caractère d'impôt direct, devant être compté dans la formation du cens électoral, et cela sous prétexte que, pour interpréter la loi, les tribunaux n'avaient à s'inspirer ni des débats de la Chambre ni des documents parlementaires ; qu'il est même à remarquer que deux arrêtés motivés de la sorte ont été cassés par arrêts de la Cour suprême du 13 novembre 1865 et du 27 juillet 1869 (Pasicrisie, années 1866 et 1867, pages 95 et 309) ;

« Considérant que la députation permanente s'étaye sans plus de raison du réquisitoire du procureur général à l'occasion de l'arrêt rendu par la cour de cassation le 22 février 1868, et qu'il est superflu d'ajouter qu'en rappelant en cette circonstance le droit de réclamation consacré en matière de patentes, l'honorable chef du parquet n'a pu entendre que ce droit pouvait s’exercer en dehors des conditions déterminées par la loi elle-même. »

J'autorise donc, par ces motifs, le pourvoi contre la décision de la députation permanente de la Flandre orientale, et ce pourvoi est admis par la cour de cassation qui renvoie l'affaire devant une autre députation, celle de la Flandre occidentale, si je ne me trompe. Celle-ci juge comme la députation la Flandre orientale. Nouveau pourvoi devant la Cour de cassation...

M. Liénartµ. - Non, il n'y a pas eu de renvoi.

MfFOµ. - Alors c'est dans l'araire dont j’ai parlé tout à l'heure que la Cour de cassation a dû décider, chambres réunies, pour convaincre les députations permanentes des deux Flandres.

(page 402) Ainsi donc. voilà les faits qui se sont produits. les décisions qui sont intervenues, et sur lesquels on se fonde pour demander à la Chambre une modification la loi.

Si des citoyens avaient été injustement privés de leurs droits. S’ils avaient été lésés dans leurs intérêts, s’ils avaient été surtaxés, je comprendrais qu'on demandât une réforme de la législation actuelle. Mais les circonstances dont nous nous occupons, on se fonde exclusivement sur des faits manifestement frauduleux, avoués frauduleux... (Interruption.) Vous pouvez lire la pétition qui vous a été adressée et le mémoire qui y est annexé, de la part du conseil communal de Berchem, où l'on avoue tout au long qu’il s'agissait, de part et d'autre, de fraudes pratiquées sur la plus vaste échelle. (Interruption.)

C'est parce que ces faits de fraude n'ont pas été consacrés par loi qu'on vient dire : Changeons la loi. Cela ne me paraît pas très convenable. (Interruption.) Je ne pense pas que ce soit se fondant sur des faits semblables qu’on puisse infirmer l'autorité de la législation actuellement en vigueur.

Un mot maintenant des propositions qui vous faites.

Dans l'état actuel de la législation, les répartiteurs sont nommés par les gouverneurs ; ils opèrent dans une commission avec le concours du contrôleur des contributions. S'il y a accord entre eux, la décision est prise ; s'il y a désaccord, chacun formule ses observations et le directeur des contributions statue. Que propose-t-on de substituer à ce mode ? La nomination des répartiteurs par le conseil communal. Remarquez que je veux pas prétendre que le mode qui existe soit absolument le meilleur ; je dis pas qu'il n'y aurait rien à faire, aucune amélioration à introduire.

Mais de tous les systèmes dont on pourrait être tenté de faire l’expérience, le moins admissible assurément serait celui qui chargerait le conseil communal de nommer les répartiteurs.

En effet, qu'arriverait-il dans cette hypothèse ? C'est qu'un corps politique aurait dans ses attributions la nomination des répartiteurs. (Interruption.)

M. de Naeyer dit : C'est un agent politique qui nomme aujourd'hui.

M. de Naeyerµ. - Pardon ; je dis que c'est le fond de la question.

MfFOµ. - J'ai averti la Chambre tout à l'heure ; si elle pensait qu'une discussion est inutile, je serais tout disposé à me taire, mais je crois que, dans une question de cette nature, il est utile que je donne quelques explications.

D'ailleurs, c'est notre droit de discuter complètement la proposition ; car on peut évidemment démontrer qu'il n'y a pas lieu de prendre la proposition en considération. Je puis donc la discuter, à plus forte raison en signaler les vices dès ce moment.

Je ne prétends pas, je le répète, qu'il n'y a rien faire ; j'ai déclaré que si des améliorations paraissaient praticables, nous serions disposés à les admettre. J'ai dit qu'il était utile d'étudier la question. Mais il importe aussi de faire connaître les difficultés dont elle est entourée.

Que propose-t-on ? On propose d'abord de faire nommer les répartiteurs par le conseil communal. Or qu'arrivera-t-il ? Le conseil communal est un corps politique, sans aucune espèce de responsabilité ; et c'est ce corps politique, irresponsable, qui serait chargé de procéder en cette matière. Je vous le demande, quelle garantie sérieuse un pareil système pourrait-il présenter ?

Il ne s'agit pas ici d’un parti ou d'un autre : tous les conseils n'appartiennent pas précisément à la même opinion politique. Eh bien, je le répète, quelle garantie trouveriez-vous dans une organisation qui les chargerait de nommer les répartiteurs ? Aujourd'hui, il est vrai, c'est le gouverneur qui nomme ces agents, chargés d’agir de concert avec l'administration des contributions. Mais il y a là une garantie sérieuse, car il y a une responsabilité : vous pouvez, dans le système actuel, nous interpeller tous les jours, nous faire rendre compte des actes des gouverneurs et des agents de l'administration. C'est quelque chose que cette garantie-là, messieurs ; mais le jour où les répartiteurs seront nommés par le conseil communal, le gouvernement ne pourra plus être interpellé sur leurs actes, il n'y aura plus de responsabilité ; les répartiteurs, nommés par le conseil communal, pourront agir comme ils le voudront, ou plutôt ils seront les agents des passions politiques qui animeront le conseil. Le système qu'on vous propose n'est donc pas bon.

On propose, en second lieu, d'ouvrir une action publique contre l’élévation ou l'abaissement des cotisations.

Eh bien, je crois que l'on confond ici deux choses : l'ordre fiscal et la matière électorale.

Qu’en matière électorale vous ouvriez l’action publique pour faire naitre les droits des citoyens, c'est parfait. Mais qu'en matière fiscale vous ouvriez une action de même nature pour faire discuter le rôle des contributions, c’est ce qui ne me paraît pas admissible.

Enfin, on propose de frapper d'une pénalité le répartiteur qui aurait agi arbitrairement. Je veux bien qu’on punisse ceux qui agissent arbitrairement ; mais je demande où sera la justice de la peine qu’on veut infliger lorsque des répartiteurs auront été d’avis différents, quand c'est le contrôleur qui émet une opinion et le directeur qui statue ensuite dans le sens de cette opinion.

Les répartiteurs ne sont-ils pas même obligés, selon les cas qu'il s'agit d'apprécier, de juger en leur âme et conscience ? Pour certaines industries, la classification se fait d'après des bases fixes, déterminées par la loi ; mais, pour d'autres, il faut apprécier par comparaison avec des commerces identiques ou analogues, d'importance semblable ; comment voulez-vous qu’on puisse punir les répartiteurs qui se seraient trompés dans leurs supputations ? comment trouverez-vous des répartiteurs qui voudront s’exposer à des poursuites, à des pénalités, parce qu'ils seront accusés d'avoir arbitrairement apprécié le commerce exercé par tel ou tel individu qu'il s'agit de soumettre à la patente ?

Enfin, d'après la proposition, on veut punir le répartiteur qui refuserait de recevoir une déclaration de patente. Or, d'après ln législation actuelle, les répartiteurs n'ont pas à recevoir ces déclarations. D'après la loi de 1819, c'est aux receveurs qu'elle doivent être remises.

Voilà tonte l'économie de la proposition de loi ; voilà son objet. Je ne pense pas que la Chambre puisse accueillir cette proposition. Mais, je le répète, on peut examiner utilement s'il n'est pas quelques garanties nouvelles à introduire dans la législation actuelle, Je suis, pour ma part, très opposé aux fraudes et manœuvres pratiquées en matière électorale. Je suis très disposé à donner mon appui à tous les moyens de répression imaginables, pour que les droits des citoyens soient parfaitement garantis, qu'ils ne soient pas plus à la merci des agents de l'administration qu'à celle des caprices d'un conseil ou d'une députation permanente.

Ainsi que l'a rappelé tout à l'honorable M. Liénart, à l’occasion de la discussion de la loi sur les fraudes électorales, et à la suite d'une observation présentée par l'honorable Theux, j'avais dit que je m’engageais volontiers à examiner s'il y avait quelque moyen de donner plus de garanties que la législation actuelle. Ces études ont été faites, mais je ne suis pas arrivé à une conclusion satisfaisante. Je n'ai pas découvert un moyen pratique, réellement efficace, pour empêcher que certains abus ne puissent se commettre.

Si l'on découvre des moyens, je serai toujours prêt à les discuter, à les examiner et à les appliquer, s'ils sont réellement bons.

Je m'étais demandé si, en cas de contestation, on ne pourrait pas avoir recours à une expertise qui serait organisée d'après le mode suivi pour les expertises ordinaires, chaque partie nommant un commissaire, et le président du tribunal nommant un tiers expert, en cas de désaccord. Eh bien après avoir entendu les fonctionnaires de mon administration, plus spécialement compétents dans ces matières, j'ai reconnu que ce système offrirait des inconvénients et peu de garanties ; je ne m’y suis donc pas arrêté et j'ai pensé qu'il y avait, quant à présent, d'autant moins de raison de modifier la législation, qu'on ne signale point de faits qui méritent sérieusement d’être pris en considération.

Car, remarquez-le, messieurs, à part quelques faits exceptionnels, comme ceux dont nous nous occupons, et où il s'agit de personnes qui se plaignent de n'avoir pas pu réellement pratiquer la fraude, on n'a pas dénoncé, à charge des répartiteurs, des faits qui soient de nature à commander impérieusement une modification à la législation existante.

M. Wasseigeµ. - Messieurs, l’honorable ministre des finances ne s'oppose pas à la prise en considération de notre proposition de loi ; je n’ai pas, dès lors, à entrer pour le moment dans de longs développements, en réponse aux observations que M. le ministre des finances a bien voulu présenter.

Ces observations serviront de contre-poids aux développements de mon honorable collègue ; l'on pourra ainsi d'autant mieux examiner la question en plus grande connaissance de cause, et j'espère que d'un examen impartial, il sortira une mesure de nature à être adoptée par toute la Chambre.

Cependant je dois deux mots ; nous avons attendu longtemps la présentation d'un projet loi que l'honorable ministre des finances nous avait fait espérer en nous disant qu'il rechercherait s'il n’y avait pas un moyen d'obvier aux inconvénients qu'il avait signalés lui-même ; ne voyant rien venir, nous avons pris l'initiative.

(page 403) J'ajouterai que M. le ministre des finances rapetisse singulièrement la question, lorsqu'il pense que le projet de loi a été uniquement motivé par les faits qui se sont passés à Alost. Bruges el Berchem.

L'honorable ministre se trompe évidemment ; depuis longtemps, des faits du même genre ont signalés dans toutes les parties du pays.

Voilà pourquoi d'honorables collègues et moi nous avons été amenés à signer la proposition de loi qui a été développée par l’honorable M. Liénart.

On nous dit, messieurs, que les individus que l’honorable ministre a mis en scène sont des contribuables d’une singulière espèce et qui veulent absolument être surtaxés.

Nous pourrions dire, de notre côté, que les agents du fisc qui ont diminué la cotisation de ces contribuables sont des agents du fisc d'une bien plus singulière espèce encore et qui veulent qu'on paye à l'Etat le moins de contributions possible (interruption) malgré l'opinion des plus intéressés et malgré peut-être la justice et l'intérêt évident du trésor public.

Nous pourrions dire aussi que. lorsque vous accusez ces électeurs de vouloir payer un surcroît de contributions pour être maintenus sur une liste électorale, les agents du fisc ont voulu qu'ils payassent moins pour les faire disparaître.

Quoi qu'il en soit, nous voulons, comme l’honorable ministre des finances la justice dans la loi, l'impartialité pour tous et de faveurs pour personne. Mais on nous a dit que nous avions pris pour exemple des gens peu dignes d'intérêt parce qu'ils avaient voulu frauder. Nous n'en savons rien. (Interruption.)

La cour de cassation qui a déclaré positivement que le recours n'était ouvert que pour les contribuables qui se prétendent surtaxés, a décidé une question de droit qui nous avait paru douteuse à tous, même à l'honorable M. Frère, mais elle n'a rien décidé en fait.

Voilà, messieurs, les seules observations générales que je voulais présenter.

Je dirai maintenant deux mots quant à la nomination des répartiteurs.

Ce qu’il y a de certain, que les répartiteurs étant actuellement nommés par le gouverneur, les agents chargés d’établir la position des contribuables sont tout à fait à la disposition du gouvernement.

D'abord je crois ce système contraire aux dispositions expresses des lois des 7 frimaire an VII et 21 mai 1819 ; il présente les inconvénients les plus graves, bien plus graves qu'au moment où ces lois furent votées à cause de l'influence électorale prépondérante de ers agents dans la formation des listes.

Quant à nous, nous voulons qu’il y ait un contrôle, dans ce temps où le contrôle en toute matière est à l'ordre du jour, et nous dirons dans le projet de loi que les répartiteurs seront nommées par les communes et les répartiteurs agissant sous la direction d'un agent du gouvernement, il y aura contre-poids et garantie pour tous.

Mais, dit-on, les communes ce sont des corps politiques. Messieurs, je ne suis pas de cet avis, je dis les communes ne sont des corps politiques que lorsqu'elles sortent de leurs attributions.

Elles sont chargées de veiller aux intérêts de leurs habitants et elles ne deviennent des corps politiques que depuis quelque temps sous l'influence et l'initiative libérale. Cette tendance devient de plus en plus prononcée, c’est vrai ; mais. selon moi, cela ne devrait pas être. Mais enfin le mal n'est pas assez considérable pour m’ôter confiance.

Mais, nous dit-on, quand vous aurez des répartiteurs nommés par les communes, le gouvernement sera désintéressé ; vous ne pourrez plus lui demander des explications, tandis que lorsque c'est le gouvernement qui nomme, la responsabilité ministérielle est engagée et vous pouvez vous adresser à lui et l'interpeller lorsque vous avez à vous plaindre des faits de ses agents.

Eh bien, messieurs, c'est là une erreur ! le gouvernement sera encore responsable jusqu'à un certain point, et d'ailleurs il y a une responsabilité que, pour mon compte. J’en demande pardon à l’honorable ministre, j'apprécie plus que la responsabilité ministérielle ; c'est la responsabilité devant les électeurs.

Or, s'il était reconnu que les administrations communales commettent des injustices, et si elles se montraient partiales dans le choix des répartiteurs, les électeurs sont là pour leur faire payer chèrement cette conduite.

Quoi qu'il en soit. messieurs, je crois que ce court échange d’observations suffit, et qu'il donnera quelques lumières utiles aux sections qui voudront bien s'occuper du projet de loi que, je l'espère, la Chambre voudra bien prendre en considération.

M. Maghermanµ. - Il n’est pas d’usage d'entrer dans le fond du débat à propos de développements donnés à l’appui d’une proposition de loi pour sa prise en considération.

Je n'entrerai donc pas dans cette discussion, mais l’honorable finances ayant cité l'exemple d'une commune que je connais particulièrement, la commune de Berchem qui fait partie de mon district électoral, je demande à compléter les explications qu’il a données. Ce que l'honorable ministre a dit est exact, mais ne présente pas toute la vérité. Dans la commune de Berchem, il s'est passé quelque chose d'extraordinaire. Dans cette commune on a voulu fabriquer, permettez-moi l'expression, un grand nombre d'électeurs, et de part et d'autre les partis en présence ont eu recours à ce moyen.

S'il est vrai que le collège des répartiteurs a écarté un grand nombre de ces déclarations frauduleuses, il ne les a pas toutes écartées, et sans acception de parti. Au contraire, il a usé de sévérité à l'égard des déclarants qui appartenaient à un parti ; mais il a parfaitement admis les déclarations faites dans des conditions identiques par les habitants appartenant l'autre parti. Et c'est en cela que consiste l'abus. Et c'est de quoi s'est plaint, à juste titre, le conseil communal de Berchem dans une pétition adressée à la Chambre et dans un mémoire que nous avons tous reçu.

Il ne doit pas appartenir à un collège de répartiteurs d’admettre arbitrairement, sans recours possible, sur le rôle des patentes des citoyens qui n'y ont pas droit. Il importe de porter remède à cette situation, et c'est ce qui m'a engagé à apposer ma signature au projet de loi dont l'honorable M. Liénart a développé les motifs.

MfFOµ. - D'après l'honorable préopinant, si la commission des répartiteurs avait bien voulu aider à la fraude pour tout le monde, cela eût été parfait ; on n'aurait pas dû demander de modifications à la loi.

On accuse la commission des répartiteurs de partialité. Il est vrai qu'elle avait devant elle des fraudeurs, hommes qui voulaient être électeurs et qui n'en avaient pas le droit. Mais, comme on prétend que l'on aurait favorisé une opinion plutôt qu'une autre, il y a de réviser la législation.

Je ne sais quelle opinion a été favorisée dans cette affaire. Mais, pour moi, cela est peu digne d'intérêt. Que la fraude ait été pratiquée à droite ou à gauche, cela n'est pas digne d'intérêt.

M. Tackµ. - Il fallait renvoyer les parties dos à dos.

MfFOµ. - C'est possible ; mais, je le répète, cela n’est pas digne d'intérêt. Je n'ai pas dit autre chose.

L’honorable M. Wasseige, répondant à cette observation que les contribuables dont je vous avais parlé étaient de singuliers contribuables, qui voulaient payer plus qu'ils ne devaient et qu’on ne leur demandait, a dit les agents du fisc étaient aussi de singuliers agents, puisqu'ils ne voulaient pas recevoir ce que les particuliers offraient de payer. Mais je fais remarquer à l’honorable membre que c'est le devoir des agents du fisc d'opérer ainsi, d’appliquer simplement la loi et d'être équitables.

M. Thonissenµ. - Pour tout le monde indistinctement.

MfFOµ. - Certainement. Je parle en principe. L'honorable M. Wasseige dit que les agents du fisc sont de singuliers agents du fisc quand ils ne veulent pas recevoir ce qu'on leur offre.

Je réponds que le devoir des agents du fisc est de recevoir ce qui est dû, sans plus ; et s'il arrive à des particuliers de payer ce qu'ils ne doivent pas, soit en matière de douane, soit en matière d'enregistrement, et que l'on s’en en aperçoive en vérifiant la comptabilité, on leur fait spontanément la restitution des sommes qu’ils ont indûment versées au trésor.

L'observation de l'honorable M. Wasseige donnerait à croire que, lorsque le fisc a reçu illégalement, illégitimement, il devrait garder ce qu'il a reçu. Il n'en n'est rien. On doit appliquer la loi impartialement, honnêtement, et ne pas abuser de l'erreur qu'un contribuable aurait commise à son détriment.

M. de Theuxµ. - Ce qui est digne d'intérêt, c'est le droit électoral légal. Ainsi il faut éviter que de simples agents du gouvernement ou tous autres agents puissent créer des électeurs en augmentant un peu la cote des contributions ou qu'ils puissent en faire rayer en diminuant un peu arbitrairement la cote. Ce sont deux moyens. Eh bien, ces deux moyens doivent disparaître. Il faut une garantie, et la seule garantie, c'est une loi de réforme contre l'arbitraire constaté. Je crois que personne dans cette Chambre, ne contredira cette maxime.

Recherchons donc bien sincèrement les meilleurs moyens qui peuvent être employés pour obtenir que, dans la répartition des patentes, on ne puisse arbitrairement augmenter ou dégrever. C’est ce que nous demandons et c’est que j'ai déjà demandé plusieurs fois. J'ai cru, à entendre M. le ministre des finances, que ce moyen existait.

(page 404) MfFOµ. - Je n’ai pas dit cela.

M. de Theuxµ. - Je vous demande pardon. Si mes souvenirs sont fidèles, c’est la raison qui m’avait été opposée. On a soutenu que l’on pouvait trouver dans la loi un moyen d’appel de la part des patentables. M. le ministre n'a pas affirmé d'une manière positive que ce moyen existait, mais il le croyait ainsi. Il est résulté de l'arrêt de la cour de cassation que ce moyen n'existe pas.

Il faut donc l’introduire dans la loi et rechercher le plus simple, le plus pratique, le plus garantissant.

C'est tout ce que nous demandons.

M. Liénartµ. - Puisque M. le ministre ne s'oppose pas à la prise en considération, je ne prolongerai pas la discussion et j'attendrai que le débat soit entamé au fond. Comme vient de le dire l'honorable comte de Theux, l'arrêt de la cour de cassation a déterminé la présentation de notre projet de loi. Cet arrêt a tranché une question jusque là douteuse, dans un sens contraire à l'opinion de M. le ministre des finances.

M. le ministre m'objecte un passage d'un de ses discours prononcé quelque temps après celui dont j'ai donné lecture la Chambre ; eh bien, si M. le ministre des finances veut relire ce passage, il constatera qu'à une époque plus rapprochée, il a présenté la question comme douteuse et a émis encore l'opinion que le recours existait aussi bien dans le cas de dégrèvement que dans le cas de surtaxe.

Et quant aux abus dont nous aurions plaindre, je me réserve, lorsque nous discuterons le fond de la question, de produire devant la Chambre des cas où la fraude a été commise par les agents du fisc et où le dégrèvement avait été opéré uniquement et manifestement dans le but de faire rayer certaines personnes de la liste électorale.

L'honorable ministre des finances doit connaître quelques-uns des faits auxquels je viens de faire allusion ; il a même été obligé de sévir contre les auteurs de ces faits.

MfFOµ. - Chaque fois que des faits m'ont signalés à la charge d'agents de l'administration, et que, après enquête, il a été prouvé que ces faits étaient répréhensibles, j'ai puni sans hésiter ; et l'honorable M. Liénart, faisant allusion tout l'heure à certains faits de ce genre, me prouve qu'il a connaissance des mesures énergiques que j'ai prises dans certaines circonstances.

- La proposition de loi est prise en considération.

La Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoi à l'examen des sections.

Projet de loi révisant le code de commerce (titre III, livre premier : Des sociétés)

Discussion des articles

Section première. Dispositions générales

Article 8 (13 et 24)

MpMoreauµ. - La discussion continue sur les articles 8, 13 et 24.

M. Moncheurµ. - Messieurs, j'avais demandé la parole pour répondre M. le ministre de l'intérieur, car son argumentation repose sur une équivoque ou une erreur de fait, ainsi qu'il me sera très facile de le démontrer et que M. le ministre pourra le reconnaître lui-même.

Que demandons-nous, en effet, M. Reynaert et moi ? Demandons-nous que la loi dise, même implicitement, que le souscripteur d'actions nominatives, dans une commandite, puisse, après avoir promis de verser 1,000 francs, n’en verser que 300 ?

Si nous faisions une pareille proposition, certes, l'opposition de M. le ministre serait fondée ; mais, ou bien le ministre n’a pas entendu notre amendement, ou bien il n'a pas compris que nous ne demandons qu'une seule chose : c'est que les statuts des sociétés en commandite puissent avertir les tiers que l'obligation que les souscripteurs vont contracter ou ont contractée, est celle-ci, ni plus ni moins : à savoir, qu'ils s'engagent, d'abord et en tous cas, à verser la moitié du montant des actions souscrites, et quant à l'antre moitié, qu’ils s'engagent soit à verser également cette autre moitié, soit à présenter à la société un cessionnaire qui puisse être agréé par elle, et à assumer leur responsabilité.

Certes, il n'y a là rien que de parfaitement légitime. Ce sera là une loi du contrat, contrat dont un extrait, qui pourra contenir notamment cette disposition, sera publié selon toutes les formes prescrites par l’article 11, et contrat qui, par conséquent, aura été connu parfaitement des tiers.

Mais, direz-vous les tiers ne feront probablement pas assez d'attention cette clause du contrat ; ces tiers la perdront de vue, ils ne s'en souviendront bientôt plus, et ils seront induits en erreur. Eh bien, si cette publicité ne vous paraît pas suffisante, augmentez-la. Si vous croyez devoir venir au secours de la mémoire des créanciers, rendez la clause, si sous le voulez, permanente sous les yeux de tous, ordonnez pour la commandite ce que vous ordonnez pour la société anonyme, dans un cas analogue, c'est-à-dire à l'article 38 du projet ; prescrivez que la clause dont il s'agit sera rappelée dans toutes les pièces émanant de la société, et si cela ne vous paraît pas encore suffisant, ordonnez, comme vous le faites encore à l'article 38, que jusqu’à ce que les versements dépassant la moitié aient été effectuées, ils ne seront pas compris dans le chiffre du capital annoncé. Ceci serait, il faut l’avouer, une précaution un peu exagérée ; mais, enfin, ce ne sont là que des mesures d’exécution, tandis que le fond reste parfaitement juste et légitime.

En effet, vous ne prétendrez certainement pas que la clause dont il s'agit soit contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs ; vous l'autorisez formellement vous-mêmes dans l'article 38 pour les sociétés anonymes, et vous avez raison de le faire.

Ainsi, le second paragraphe de l’article 38 porte d'abord en principe, pour la société anonyme comme pour la commandite, ce qui suit : « Les actions sont nominatives jusqu'à leur entière libération. »

Les souscripteurs contractent donc d’abord l’obligation de verser l’entièreté de la somme souscrite même dans la société anonyme.

Mais le paragraphe 3 ajoute ceci :

« Les statuts peuvent cependant établir que ces actions nominatives pourront être converties en titres au porteur après libération de moitié. »

Or, vous le voyez, messieurs, ce serait surtout dans ce cas qu'il serait vrai de dire que des souscripteurs qui avaient promis de verser mille francs seront quittes avec cinq cents francs, car les porteurs d'actions sont insaisissables.

L'honorable ministre répondra avec raison que ce sont les statuts qui le permettent et que les tiers sont avertis qu'il ne faut pas compter sur les versements des porteurs d'actions. Eh bien, pourvoyez également comme il vous plaira, pour la commandite, à la parfaite connaissance que les tiers devront avoir que, dans tels ou tels statuts, se trouve la clause qui porte que quoique les souscripteurs soient personnellement et à perpétuité, eux et leurs ayants cause, responsables de la totalité de la souscription, il leur est cependant permis de présenter un cessionnaire à l'agréation de la société pour prendre leur place, et que quant à la seconde moitié, il y a lieu de faire la part de ce que cette clause peut amener d'aléatoire ou d’incertain.

Organisez donc quelque chose de semblable dans le sein de la commission, car ce n’est pas en séance publique que l'on peut improviser un système, toutes les formes de publications ou de précautions surtout. Mais ne venez pas dire que la proposition en elle-même est contraire aux principes du droit et aurait pour conséquence des actes que la morale repousse et autres choses de ce genre.

Si l'agréation des gérants ne vous semble pas suffire, si vous lui croyez même des dangers, mais exigez en outre l’agréation de l'assemblée générale des actionnaires, exigez même, si vous voulez, dans ce cas, la participation à l'assemblée générale des dix ou des vingt plus forts créanciers de la société, s'il y en a ; réglez donc la forme, mais ne repoussez pas le fond, ne condamnez pas a priori la chose elle-même, car cette chose est bonne et utile.

Elle est bonne et utile, messieurs, car vous saisissez tous le but que je poursuis, c'est uniquement celui du repos et de la tranquillité des familles.

En effet, si la disposition indiquée par notre amendement n'était pas adoptée, voici ce qui arriverait :

Vous le savez, messieurs, il est d'usage aujourd'hui, et personne ne pourra changer cet usage, de fonder des sociétés avec un capital considérable, dont la plus grande partie reste en réserve et dont une petite partie seulement est versée.

Eh bien, si un chef de famille a été souscripteur primitif dans une société en commandite qui n'a appelé qu'une faible partie du capital souscrit, ses petits-enfants, ses arrière-neveux, même dans un siècle, ne pourront jamais savoir s'ils ne sont pas sous le poids d'une grave responsabilité, par suite de cette souscription de leur auteur, et alors même que les actions souscrites seraient passées, depuis trente ou quarante ans, dans d'autres mains.

MfFOµ. - Il est de même de tous les engagements.

M. Moncheurµ. - Non ; dans les autres engagements, dans les engagements envers des particuliers, le débiteur peut s'adresser à son créancier et lui dire : Voulez-vous bien accepter un tel pour votre débiteur à ma place et me dégager ? Le créancier répond oui ou non, et le débiteur sait à quoi s’en tenir ; mais j’aurais beau aller demander à une gérance de société en commandite : Voulez-vous bien accepter monsieur un tel à ma place et me dégager envers sous ? Eh bien eussé-je même déjà versé les trois quarts de ma souscription, la gérance devra refuser, parce la loi s'y opposera. Eh bien, je dis que c’est là un vice...

(page 405) MjBµ ; - C'est une erreur ; lisez l'article 13.

M. Moncheurµ. - Ce n'est pas une erreur, car l'article 13 parle de la retraite de l'actionnaire et non point de la cession de ses actions. Ce sont là deux choses toutes différentes. Il est certain que, d'après le projet, la cession d'actions faite par un actionnaire envers une autre personne ne peut jamais, d'après le projet, le dégager de son obligation personnelle vis- à-vis de la société ; c'est même là mon grief, et c’est ce dégagement possible que je veux obtenir.

D'après le projet, les souscripteurs auront eu beau céder leur action à des tiers, ils ne sauront jamais se dégager envers la société, puisque cette cession n'opère rien quant à la responsabilité vis-à-vis de cette société, si la loi ne donne le moyen de le faire. (Interruption.)

Je répète une chose incontestable, c’est que la cession ou délégation d'une dette faite à un tiers ne libère pas celui qui fait la délégation ou la cession de sa dette envers le créancier ; par conséquent, lorsque je suis débiteur envers une société d'une somme de 1,000 francs du chef d'une action souscrite à cette société, j'aurai en vain cédé civilement ma dette à un tiers, je ne resterai pas moins éternellement le débiteur de la société, sans que je trouve, dans la loi, un moyen quelconque de me dégager, même en présentant à l'agréation de la société des actionnaires même plus solides que moi ou mes descendants et beaucoup plus utiles à la société.

Eh bien, je dis que cela est inutile et même mauvais, que cela fera naitre des embarras et des abus et qu'ici, comme pour les sociétés anonymes, vous devriez permettre aux souscripteurs primitifs et à leurs ayants droit de se faire substituer, en certains cas et moyennant certaines garanties, d'autres personnes également inscrites en nom.

MiPµ. - Voulez-vous me permettre une explication ?

M. Moncheurµ. - Volontiers.

MiPµ. - J'ai en l'honneur d'exposer hier à la Chambre que ce qui est possible pour la société anonyme est également possible pour la société en commandite ; mais, puisque je m'aperçois que je n'ai pas été bien compris, je demande la permission de revenir en peu de mots sur démonstration.

Voici le système de la loi quant à la société anonyme.

Les actions doivent être nominatives aussi longtemps qu'il y a engagement, et l'on ne peut se décharger de l'engagement pris envers la société anonyme aussi longtemps que cet engagement n'est pas rempli. Il y a une dette, il faut la payer.

Le pro}et permet de faire que l'action soit transférée au porteur quand la moitié de l'action est payée ; mais à quelle condition ? A la condition que la seconde moitié ne compte que dans le capital social, de telle manière que les tiers n'aient pas pu compter sur le versement de la seconde moitié.

Je m'explique par un exemple.

Une action de mille francs est créée ; on peut déclarer qu'elle pourra être convertie en titre au porteur quand cinq cents francs auront été versés ; mais, comme dans tous les actes de ces sociétés on détermine quel est le capital social, on ne peut pas compter les derniers cinq cents francs pour former le capital, de sorte que si l'on verse ces 500 francs, c'est une ressource sur laquelle les tiers n'ont pas pu compter et dès lors cette somme ne doit pas figurer dans le capital social.

Les tiers ne peuvent donc jamais éprouver aucun préjudice de la faculté de vendre l'action au porteur quand elle a été libérée à concurrence de la moitié. puisque la seconde moitié ne compte pas dans le capital social.

Rien n'empêche de faire exactement la même chose et voici comment. On crée une société dans laquelle il y a cent actions de mille francs ; on veut que le versement de la moitié seulement soit obligatoire. On déclarerait dans le contrat qu'il n'y a pas d'engagement personnel au delà de 500 francs par action et on ne fera figurer que 50,000 francs comme capital social ; le versement du surplus ne sera pas indiqué comme en faisant partie. Maintenant, si des versements supplémentaires sont faits sur la seconde moitié des actions, je ne suis pas même obligé d'en faire mention, dans l'acte déposé au greffe, puisque les tiers n'ont pas dû compter sur un capital de plus de 50,000 francs.

Ce que l'honorable M. Moncheur demande, on peut donc le faire lors de la constitution de la société et même plus tard ; en d'autres termes, on peut, quand on le veut, verser une somme supérieure à celle qui est exigée pour constituer le capital ; mais on ne pourra, sans fraude, mentionner ces sommes éventuelles constituant un capital réel. Il n'est pas même nécessaire de faire connaître ces versements supplémentaires.

D'après le projet de loi, et c'est là un grand progrès, le défaut de publication n'entraîne pas de nullité entre associés ; il peut seulement être opposé par des tiers lorsqu’ils y ont intérêt. Or, ils ne peuvent jamais se plaindre de ce qu'on a versé plus que la somme sur laquelle ils devaient compter.

En fait donc, le système qui a été admis pour la société anonyme, peu être réalisé sans difficulté pour la commandite. L'honorable M. Moncheur a donc toute satisfaction sur ce point.

M. Moncheurµ. - Je vois avec plaisir que M. le ministre de l'intérieur entre plus ou moins dans mes idées : cependant il propose un système nouveau et différent de la cessibilité, à laquelle je ne vols aucune espèce d'inconvénient, du moment que l'agréation du cessionnaire est entourée de toutes les précautions nécessaires.

M. le ministre semble penser que l'on pourrait facilement appliquer à la commandite les dispositions des articles 38 et suivants du projet, articles que la commission a ajoutés, par suite de la faculté qu'elle a introduite de convenir, dans les sociétés anonymes, les actions nominatives en actions au porteur, après libération de moitié ; mais pour faire cette application, il faut un texte nouveau dans la loi, car les explications de M. le ministre ne suffiraient pas pour cela. Eh bien, c'cst ce texte dont j'ai déposé le germe dans mon sous-amendement.

S'il y a quelque chose à y ajouter, quant à la publication de la clause qui permette la cessibilité des actions nominatives avec dégagement des souscripteurs primitifs, ou quant à la désignation de la portion du capital souscrit qui pourra, dans ce cas, être annoncée aux tiers comme certain. ce sont des dispositions accessoires, que je convie M. le rapporteur de cette loi à compléter.

Toutefois je lui dirai que je ne croirais pas juste d'appliquer entièrement. au cas dont viens de parler, les règles qu'il a imaginées pour le cas où il y a faculté, dans les sociétés anonymes. de convertir les actions nominatives en actions au porteur, car dans le premier cas, toutes les actions doivent rester nominatives.

Le souscripteur primitif reste responsable de l'entier versement jusqu'à qu'il ait fait agréer un cessionnaire, et ce cessionnaire est inscrit en nom sur le registre de la société et devient responsable à son tour jusqu'à agréation d'un autre cessionnaire ; il y a donc bien plus de sécurité pour les tiers que dans la conversion en actions au porteur dont les propriétaires sont inconnus.

Il serait donc trop rigoureux d'ordonner qu'il fût fait entièrement abstraction, sur les pièces émanant de la société en commandite, de la partie du capital pour laquelle la cessibilité avec dégagement du cédant sera permise. Au reste, je ne tiens pas à ce point. Les tiers tiendront bien compte de la réalité des choses.

Je n'insisterai pas non plus sur l'utilité qu'il y a souvent, pour les sociétés en commandite, de recevoir, au nombre de ses actionnaires inscrits sur ses livres, des personnes instruites et connaissant les affaires, au lieu d'ignorants, des personnes d'une bonne position de fortune, au lieu de personnes déchues. Il est évident que, parmi les souscripteurs ou parmi leurs héritiers, pour ainsi dire à l'infini, il peut y avoir des crétins ; il y aura des enfants mineurs, il y aura peut-être des titulaires qui seront loin de présenter toute garantie quant aux versements futurs et éventuels à faire. Il faut donc favoriser les transferts réguliers, et si vous tenez les souscripteurs primitifs et leurs héritiers éternellement rivés à leur responsabilité, ce n'est certes pas une bonne manière de favoriser les transferts.

Les actionnaires malgré eux se diront ceci : Plutôt que de rester sous le poids d'une responsabilité quelconque, si minime qu'elle puisse être, plutôt que de ne pas acquérir et procurer à mes descendants une parfaite absence de préoccupation, je reste actionnaire ; et c'est ainsi que la société conservera de très mauvais actionnaires, des actionnaires ne présentant peut-être plus de garanties du tout, tandis qu'elle aurait pu en acquérir d'excellents.

Je me montrerai aussi large que vous le voudrez sur les conditions d'agréation, sur In publicité des clauses des statuts qui permettent la cessibilité moyennant cette agréation, sur la portion du capital dont il y aura lieu de faire état ; mais si je fais bon marché de la forme, je tiens au fond. M. le ministre de l'intérieur disait hier ceci : « Ah ! si l'on disait que le consentement des créanciers sera nécessaire, alors je n'aurais pas la moindre objection à présenter. » Eh bien, introduisez, si vous le jugez nécessaire, l'élément créancier dans l'assemblée appelée à se prononcer sur les agréations ; pour moi, je ne me crois pas nécessaire. mais je ne m'y opposerais pas. Nous voyons souvent à présent les créanciers, les porteurs d'obligations, par exempte, admis et appelés à assister aux assemblées générales d’actionnaires dans certains cas spéciaux.

(page 406) En un mot, pourvoyez aux détails, mais, de grâce, ne refusez pas la chose elle-même, parce qu’elle est bonne et utile.

M. Carlierµ. - Messieurs, le projet qui vous est soumis consacre trois espèces de sociétés : la société en nom collectif, la société en commandite et la société anonyme. Je cite pour mémoire les associations en participation, les associations momentanées, parce que, ainsi que le projet le démontre, ces associations ne sont pas de véritables sociétés.

Ce sont plutôt des opérations faites en commun, des communions passagères d'intérêts, et le projet a très bien rait de ne pas leur donner l'individualité juridique qu'elle accorde aux trois autres sociétés.

La société en nom collectif n’est, pour le moment, l’objet d'aucune discussion ; l'association en participation non plus n'est pas discutée jusqu'à cette heure, et la discussion a tout particulièrement porté sur la société en commandite et sur la société anonyme.

En ce qui concerne la société anonyme. la discussion s'est bornée, jusqu'à présent, à l'émission d'une opinion de la part de l'honorable chef du département de la justice, opinion juridique, contre laquelle l'honorable M. Delcour, l'une des plus hautes autorités en droit que nous possédions dans cette Chambre, et mon honorable ami, M. Sainctelette, se sont élevés dans la séance d'hier et contre laquelle je dois m'élever à mon tour.

Nous savons tous, messieurs, que la société en nom collectif est une association de personnes ; que la société en commandite est une association de personnes et de capitaux ; et que la société anonyme est une association de capitaux.

Dans la séance d'hier, l'honorable ministre de la justice a modifié complètement le système sur le lequel reposent ces différents genres de sociétés et a innové, a créé, si je puis le dire, une quatrième espèce de société dont les administrateurs seraient chargés d'une responsabilité indéfinie, illimitée, à côté des capitaux qui viendraient s'associer et se grouper auprès d'eux.

Il a ainsi mélangé l'élément essentiel, la base de la société en nom collectif, l’élément principal et l’élément partiel et personnel de la société en commandite avec l’élément principal, spécial de la société anonyme.

Cette manière de faire, messieurs, me semble périlleuse ; d'abord, en ce qu'elle détruit complètement les idées reçues, la pratique, les notions généralement répandues sur la nature des sociétés commerciales, en ce que de plus elle détruit pour ainsi dire toute l'économie du projet de loi, en nécessitant la transformation complète des définitions qui ont été adoptées dans ce travail ; et encore, et surtout parce qu'elle vient lancer dans le débat, au moment où l'on touche à une solution, à un vote, une idée complètement nouvelle qui n'a été l’objet d'aucun examen ni par les membres de Cette Chambre lors de la publication du projet de loi, ni par les membres de cette Chambre réunis en sections, ni par la section centrale chargée d'examiner en dernier lieu le projet et de formuler des propositions dans le rapport qui nous est soumis.

Je repousse donc, pour le moment, cette idée de M. le ministre de la justice, constatant d’ailleurs que cette idée ne s’est traduite par aucune proposition formelle, et qu'une simple protestation suffit jusqu'ici pour combattre la manifestation de l'opinion de l'honorable ministre de la justice.

MjBµ. - Cela existe en Angleterre.

M. Carlierµ. - Cela peul exister en Angleterre : cela peut exister dans d’autres législations. Cela peut exister ici. Mais l'honorable chef du département de la justice admettra qu'innover cela à l’heure du débat, au moment du vote, c'est agir avec une promptitude et une légèreté qui ne peuvent être admises dans une matière aussi importante que celle que nous traitons.

L’honorable M. Bara conviendra également que cette idée est complètement inconciliable avec les définitions qui ont été formulées dans le projet.

MjBµ. - Pas du tout.

M. Carlierµ. - Je maintiens qu'il serait impossible de mettre les idées de l'honorable chef du département de la justice d’accord avec les définitions que l’on rencontre dans le projet actuellement en discussion.

Je le répète, aucune proposition n'est formulée en ce moment et je crois devoir borner là l'examen de l'opinion qui a été émise par l’honorable M. Bara.

La société en commandite, messieurs, a été l’objet de la discussion la plus étendue qui ait eu lieu encore à l’égard du projet que nous avons à examiner, et le débat a surtout porter sur la question de savoir si les actions de la société en commandite peuvent devenir au porteur soit avant soit après la libération des engagements des actionnaires.

Les honorables MM. Reynaert et Moncheur ont demandé que l’action pût devenir au porteur aussitôt que le souscripteur se serait dégagé du tiers ou de la moitié de ses engagements.

M. Moncheurµ. - Pas dans la commandite ; c’est une erreur.

Permettez-moi un mot.

J’écarte complètement l'action du porteur de la société en commandite. J'ai dit que le souscripteur d'une société en commandite est tenu personnellement pour le tout. Mais je demande que lorsque le souscripteur versé la moitié de sa souscription, il puisse présenter à l'agréation de la société un cessionnaire qui, après cette agréation et au moyen d’un transfert régulier, devienne débiteur à sa place du restant à verser, et dégage ainsi le premier souscripteur.

M. Carlierµ. - Je remercie l'honorable M. Moncheur de ses explications, qui rectifient l'idée que je m’étais faite de la proposition. Voici comment je l’envisage et je crois être à présent parfaitement dans le vrai.

Selon l'honorable membre, dans les sociétés en commandite, l'action ne deviendra jamais au porteur ; mais bien qu'elle reste nominative, le détenteur pourra se dégager en se substituant un autre détenteur. Je crois, messieurs, que ce système vient tout à fait à l'encontre de l'essence de la société en commandite.

La société en commandite est une combinaison de l'association des personnes et de l'association des capitaux ; or, si l'on admet la proposition, il arrivera ceci : ou bien les tiers auront confiance dans les personnes ou ils auront confiance tout à la fois dans les personnes et dans le capital dont 1le versement est promis ; or, qu’une partie de ce capital vienne à faire défaut, les tiers qui ont traité avec la société seront frustrés ; ils ne trouveront plus dans la caisse sociale un capital suffisant pour répondre des engagements sociaux.

Il est donc d’absolue nécessité que le capital entier de la société en commandite soit assuré aux tiers qui viendraient traiter avec elle. En serait-il ainsi si le souscripteur n’était engagé que jusqu'à concurrence de la moitié du montant de ses actions ; s'il pouvait substituer à son propre engagement l'engagement d'un tiers ?

Je ne le pense pas ; ce tiers pourrait pas être solvable, ne pas présenter les garanties qu'offrait le souscripteur primitif, et il pourrait évidemment s’ensuivre un changement radical dans la position de la société.

Le système des honorables MM. Reynaert et Moncheur détruirait l’essence de la société en commandite puisqu'il habituerait les tiers qui auraient à traiter avec la société, à plus compter sur le capital social, à ne plus avoir foi que dans la solvabilité personnelle des administrateurs. Ce système réduirait donc la société en commandite à n'être plus qu'une véritable société en nom collectif.

Mais à coté de la proposition des honorables MM. Reynaert et Moncheur, il en est une autre, émanant de l'initiative de l'honorable M. de Rossius et qu'il a développée avec autant de lucidité que d'éloquence dans la séance d’hier.

Cette proposition consiste à permettre que les actions nominatives puissent devenir des actions au porteur aussitôt que le souscripteur se sera complètement libéré des sommes qu'il a promis d’apporter dans la société.

Je suis disposé à accueillir entièrement le système de l'honorable M. de Rossius et je dois dire que les objections présentées à l'encontre de ce système par l'honorable ministre de l’intérieur ne m’ont pas du tout dissuadé de la première opinion que je m'étais faite, en écoutant les développements que l’honorable M. de Rossius a donnés à sa proposition.

En effet, messieurs. les objections qui ont été présentées à l’encontre de l’honorable M. de Rossius ne sont pas tirées de la nécessité de contraindre les souscripteurs d'une société en commandite à apporter à cette société tout le capital qu'ils lui promis. Ce n'est qu'après le versement intégral de ce capital que l’honorable M. de Rossius propose que l'action nominative puisse devenir au porteur.

Les objections de l'honorable ministre de l'intérieur ont été tirées de cette circonstance tout accidentelle qui ne peut se présenter, dans une société en commandite, que par une fraude, un dol, un fait illicite.

Je veux parler de la distribution qui serait faite aux commanditaires, de bénéfices simulés, n’existant pas réellement, qui seraient pris dans le capital social, qui le réduiraient et dont les intéressés pourront demander ultérieurement la restitution.

C’est en prévision de cette situation anormale, de cet accident si je puis le dire, que l'honorable ministre de l'intérieur se refuse à consentir à ce que l’action, nominative d’abord, puisse devenir au porteur aussitôt qu’elle sera entièrement libérée.

MiPµ. - C'est un des nombreux arguments que j'ai présentés.

M. Carlierµ. - Vous avez fourni aussi la raison tirée de ce que vous ne voulez pas mélanger le système que vous avez créé pour les sociétés anonymes avec le système que vous avez combiné pour les sociétés en commandite.

(page 407) Ce n’est là, pour moi, qu’une raison secondaire, et la raison principale vous avez présentée et que je vais combattre, c’est que le tiers qui aura traité avec la société en commandite pourra rechercher chez l'associé commanditaire les sommes que celui-ci aurait pu recevoir à titre de dividende sur des bénéfices n'existant pas.

Je n'ai pas trouvé votre discours dans les Annales parlementaires. Je combats particulièrement l'objection qui m'a frappé à l'audition. Eh bien, cette objection je ne la trouve pas fondée et je ne trouve pas que nous puissions nous y arrêter.

Quel est le rôle du commanditaire dans une société en commandite ? C’est un rôle passif. Le commanditaire ne participe en rien à la gestion ni à l’administration. Il n'y peut participer, à péril de devenir responsable de tous les actes qui seraient posés avec sa participation.

Il ne participe donc en rien ni à la gestion ni à l'administration, et si le gérant, ou les gérants, les associés en nom collectif, viennent lui attribuer un dividende hors de proportion avec les véritables bénéfices existants, il ne commet aucune fraude en recevant ce dividende.

M. de Brouckereµ. - Mais il a approuvé le bilan.

M. Carlierµ. - Le bilan ne renseigne pas toujours d'une manière bien claire, bien positive, il peut être inexact ou incomplet, et j'allais ajouter au raisonnement que j'avais l'honneur de présenter la Chambre, que je ne parlais que de la situation de l'actionnaire qui n'a pas participé par son vote, par son fait conscient, à la répartition d'un dividende indu et qui l'a perçu sans connaître le vice dont il était entaché. Certes s'il a collusion de sa part, s'il a perçu alors qu'il savait pas devoir percevoir, il existe une action à sa charge et l'on peut lui demander la restitution de ce qu'il a indûment touché, alors mème qu'il aurait transmis son action.

Si l'actionnaire, dans la situation où je le place dans mon raisonnement, a reçu un dividende indu sans le savoir, sans connaître son origine illicite, pouvez-vous le lui faire restituer ? Il n'y a de sa part ni dol, ni collusion ; il est parfaitement innocent de la fraude à laquelle est due la distribution du dividende indu, il ne doit donc pas plus restituer ce dividende, que le détenteur de bonne foi ne doit restituer les fruits qu'il a reçus de bonne foi. Dès lors, la restitution n'est pas due, la recherche de cette restitution ne peut avoir lieu contre cet actionnaire, il n'y a donc rien dans l'objection de M. le ministre qui empêche l'admission du système de M. de Rossius, qui permet de faire d'une action nominative une action au porteur aussitôt cette action libérée.

Mais voulez-vous aller plus loin et pouvoir toujours faire naître la recherche de cet actionnaire à raison du payement indu, eh bien, autorisez la création d'actions au porteur et exigez que la transmission de ces actions se fasse à l'aide d'un endos régulier. Cet endos permettra de suivre l'action aux différentes mains dans lesquelles elle passera et d'aller réclamer les restitutions si l'on juge qu'elles doivent être réclamées.

Pour ces motifs, je voterai l'amendement de M. de Rossius.

M. de Rossiusµ. - J'ai demandé la parole avec l’intention d'examiner de façon très brève l'opinion émise hier par l'honorable ministre de la justice sur les dérogations qu'il serait permis d'apporter aux règles da code de commerce sur les sociétés commerciales.

J'ai émis des doutes que j'ai déclarés très sérieux sur la possibilité pour les contractants d'introduire dans les actes constitutifs d'une société anonyme la responsabilité indéfinie et solidaire des gérants, de ces administrateurs que l'article 39bis du projet de loi déclare être des mandataires à temps, toujours révocables au gré des actionnaires, de ces administrateurs qui, aux termes de l'article 45, n'assument aucune obligation personnelle à raison des engagements sociaux.

La réflexion n'a pas dissipé mes doutes, elle les a fortifiés, ou plutôt s'ils se sont évanouis. c'est pour faire place à la conviction que l'interprétation de l'honorable ministre de la justice est inadmissible.

M. Sainctelette et, après lui, M. Delcour ont rappelé que les principes fondamentaux, les bases des trois types de société commerciale du code de commerce devaient être respectés, qu'ils ont été respectés par le projet de loi. Ils ont fait remarquer qu'il y aurait danger, et cette opinion a été reproduite par l'honorable M. Carlier, à présenter, à affirmer une quatrième formule, inopinément par voie d'interprétation, dans la discussion d'un projet de loi qui a pour but de préciser, de déterminer les caractères essentiels et distinctifs de chacun des types actuellement existants.

J'ai dit moi-même que nous sommes dans une matière exceptionnelle, que nous faisons un droit spécial dont il n'appartient pas aux parties de paralyser les prescriptions.

Messieurs, la société commerciale comment naît-elle ? Naît-elle uniquement de la convention des parties, comme la société civile ? Nullement. la convention des parties seule est impuissante à former une société commerciale ; la convention des parties est inhabile à créer l’une des trois sociétés qui sont prévues par le code de commerce. Pourquoi ? Parce que la société commerciale forme une personne civile ; parce qu'elle forme un être moral qui est propriétaire des biens, qui est titulaire des créances, débiteur des dettes de la société ; parce qu'elle constitue une individualité juridique distincte (c’est le texte du projet) de la personne de chacun des membres de la société.

Supprimez le titre du code qui règle la société civile, vous ne supprimerez pas la société civile. Que demain quelques personnes se réunissent et décident de se former en société civile et voilà une société créée en l'absence de toute disposition légale. Annulez, biffez, faites disparaître le titre III du livre premier du code de commerce et vous tuez la société commerciale ; elle cesse d'exister parce qu'elle n'est autre chose qu'une concession de l'autorité publique.

Et voilà pourquoi hier, pris à l'improviste par M. le ministre de la justice, qui disait : Vous pourrez combiner tous ces textes, j'ai répondu ; Vous méconnaissez la puissance des textes. Ces textes ne stipulent pas au lieu et place des parties et pour suppléer seulement à leur silence ; ils s'imposent aux parties ; ils déterminent les conditions que le législateur a mises à la création de l'être moral.

M. le ministre de la justice dit aux capitalistes, aux commerçants, aux petits rentiers qui ont réuni quelques économies qu'ils veulent placer dans des opérations de sociétés commerciales : ouvrez le code de commerce, vous y trouverez trois types différents entre lesquels tout d’abord vous pouvez choisir :

La société collective, avec sa terrible responsabilité indéfinie et solidaire qui pèse sur chacun des associés ;

La société de capitaux, où l'apport seul peut être compromis ;

Enfin la commandite, combinaison des deux autres, nettement tracée, à la fois société de personnes et de capitaux.

Puis il ajoute :

Ce n'est pas tout, il faut maintenant lire entre les lignes et vous découvrirez une quatrième formule qui, à la vérité, n’est pas exprimée par législateur, mais que vous pourrez déposer dans votre contrat qui sera inattaquable, car on croit à tort que le législateur a déterminé avec un soin jaloux, dans ses textes, les conditions mises la création de l'être moral, concession de l'autorité publique.

Assurément, je ne m'attendais pas à trouver ici pour adversaire l'honorable ministre de la justice qui a toujours revendiqué les droits de l'autorité publique, quand il s'agissait de créer une personne civile.

En réalité, le projet de loi consacrerait un droit nouveau, car, d'après l'honorable M. Bara, ce qui sera possible au lendemain de la promulgation de la loi est impossible aujourd'hui parce que le code de commerce met l'anonymat à l'autorisation du gouvernement, parce qu'actuellement la société de capitaux n'est pas émancipée. (Interruption.)

Permettez, monsieur le ministre, voici ce que vous avez dit hier :

« L'honorable M. Reynaert et d'autres honorables membres qui ont combattu le projet de loi du gouvernement et celui de la section centrale, n'ont pas tenu compte d'un fait capital : c'est que d'après les propositions soumises aux délibérations de la Chambre, la société anonyme est complètement libre ; c’est un moyen que la loi met à la disposition des citoyens peur faire fructifier leurs capitaux, et pour y recourir, ils n'ont besoin d'aucune autorisation. »

« Je comprendrais parfaitement les objections que les honorables membres ont fait valoir, si le gouvernement avait maintenu le système du code de commerce, subordonnant à t'autorisation du pouvoir central l'existence des sociétés anonymes.

« Mais du moment que l'autorisation préalable du gouvernement disparaît, on peut faire servir la société anonyme à de nouveaux usages et par contre on peut modifier les conditions d'existence de la société en commandite.

« La société anonyme. telle que le code commerce l’a organisée. n'avait pour objet que les grandes opérations ; les fondateurs devaient se soumettre toutes les obligations que le gouvernement leur imposait. »

Ainsi, messieurs. ce serait uniquement à cause de la nécessité qui existe actuellement de réclamer l'autorisation qu'on ne pourrait pas introduire dans la société anonyme la responsabilité indéfinie des gérants. J'avais toujours cru que cette autorisation était une garantie pour les tiers ; qu'elle était formulée pour leur donner la certitude qu'il n'entrait dans la société anonyme aucun élément de fraude, et que si on la remplaçait par l'organisation d'une publicité largo, fortement organisée, c'était parce qu'on avait reconnu son efficacité à atteindre le but qu'on en attendait.

(page 408) Je recherche pourquoi le gouvernement refuserait aujourd'hui son autorisation si le contrat repoussait l'irresponsabilité des administrateurs.

Sans doute, c'est parce que la formule de l'honorable ministre de la justice ne tient pas compte des textes qui, en semblable matière, sont impératifs.

Précisons cette incompatibilité incontestable entre l'opinion que je combats et les prescriptions du projet de loi.

De quoi s'agit-il ?

D'une modification à l'article 45 qui déclare que les administrateurs ne contractent aucune obligation personnelle du chef des engagements sociaux. Voilà le point du débat. Nous aurons donc une société qui aura toute la valeur, toute la portée, tous les caractères d’une société anonyme, d'après M. le ministre de la justice ; nous aurons une société dont toutes les stipulations auront été publiées dans l'intérêt des tiers, qui empruntera sa dénomination à son objet ; une société sans raison sociale ; seulement les gérants seront responsables.

Soit ! Mais que ferons-nous d’une autre disposition, d'une disposition empruntée au code actuel, de l'article 39bis qui porte : « Les sociétés anonymes sont administrées par des mandataires à temps, toujours révocables » ?

Donc, dans les sociétés anonymes les administrateurs sont toujours révocables.

Ils dirigent aujourd'hui les opérations, demain ils peuvent disparaître frappés par l'assemblée générale.

Aujourd'hui ils administrent, demain les voilà révoqués, si les actionnaires le décident. Ainsi le prescrit l'article 39bis, disposition qui, vous me le concédez sans doute, est de l'essence de la société anonyme.

Eh bien, je demande comment vous pouvez concilier la révocabilité des administrateurs avec leur irresponsabilité.

Ah ! vous croyez facile de liquider la position de l'administrateur responsable qu'on révoque ! Ah ! vous croyez qu'il n'y a pas connexité entre l'irresponsabilité et la révocabilité ! Vous trouvez naturel qu'il soit permis à une assemblée générale, à des actionnaires de se réunir un beau jour et de proclamer que les gérants seront démissionnés !

Mais, messieurs, la liquidation de la position de gérant responsable entraîne des difficultés sérieuses.

Un gérant est responsable, non seulement des contrats qu’il a passés, mais des suites de ces contrats ; un gérant est responsable de l'exécution des conventions qu'il a consenties, et comment admettre, dès lors, qu'il soit facile et équitable de dire à des gérants ; Retirez-vous et vos engagements seront remplis par d'autres mandataires !

Lorsqu'on supprime un gérant dans une société en nom, société collective ou commandite, on procède à une liquidation, et vous croyez qu'une assemblée générale souveraine, mais capricieuse, pourra, sans un détriment fatal à la chose commune, faire sauter des administrateurs chaque année ou plus souvent au gré de sa fantaisie !

Ce que vous n'avez pas vu, c'est le lien qui existe entre la révocabilité et l'irresponsabilité. L'article 32 n'existe qu'à raison de l'article 45.

De deux choses l'une :ou bien admettez avec moi que si la responsabilité est proclamée, la révocabilité doit disparaître ; qu'il est impossible de déroger à l'article 45 sans déroger aussi à l'article 39bis, ou bien vous lancerez les sociétés créées suivant votre formule dans d'inextricables difficultés, dans d'interminables procès, et alors vous ferez une œuvre éphémère, une œuvre d'un jour qui périra demain.

Faut-il maintenant parler de l'article 13 qui concerne la commandite ?

Il a paru au législateur de 1808 comme aux rédacteurs du projet actuel que la disparition d'un gérant était chose tellement grave et de nature à soulever des questions si délicates et si compliquées, qu'il l'a entourée de la publicité ordonnée pour la constitution même de la société.

Est-il possible qu'il ait admis que vos gérants, tenus de toutes les obligations sociales, puissent s'évanouit ainsi, simplement, sans que les tiers, qui peut-être n'ont contracté qu'à leur considération, soient avertis, soient prévenus ?

Quoi ! pour la commandite, dans votre article 13, vous entourez d'une publicité que vous déterminez, tout changement, toute retraite d'associé en nom, et vous affranchiriez de cette publicité la suppression et le remplacement de ces administrateurs responsables que vous prétendez mettre à la tête de votre société anonyme !

C'est impossible !

Messieurs, la question a été bien posée par l'honorable rapporteur de la commission. je considère comme inacceptable l'interprétation de l'honorable M. Bara. Pour l'honorable M, Pirmez, la question se présente ainsi ; de deux choses l'une, ou bien l'action au porteur sera permise et la publicité organisée, ou, faute de publicité, le titre non nominatif sera proscrit.

Or, je pense avec mes honorables amis, MM. Jonet et Carlier, qu'il n'est pas nécessaire de supprimer l'action au porteur, parce qu'on n'a pas organisé la publicité.

Je crois que dans la commandite l'action nominative cesse d'être indispensable du moment que tous les fonds ont été versés.

Je ne reviendrai pas sur arguments qui ont été présentés en faveur de cette opinion que l'honorable M. Carlier vient à son tour de soutenir avec une consciencieuse et intelligente énergie.

Je désire éviter de fatiguer la Chambre par des redites inopportunes.

MjBµ. - Je suis fort heureux d'abord que l'opinion que j'ai émise hier ait fait naitre un débat important sur la commandite et sur les combinaisons que l'on peut établir entre les divers genres de sociétés indiquées par le code. C'est un résultat utile. On saisira mieux le caractère des diverses sociétés admises par la loi.

Mais l'honorable M. de Rossius ne m'a pas convaincu. Quand il dit que dans le système du projet de loi, avec la défense des actions au porteur, on ne pourra pas recourir à la combinaison que j’ai indiquée, je l'admets ; et c'est une observation que l'honorable M. Van Humbeeck m’avait présentée hier après la séance. Il m'a dit : La société que vous constituerez sera en nom collectif pour les gérants, sera anonyme pour les porteurs d'action. Mais il peut se faire que les tribunaux déclarent que ce n'est pas une société anonyme et qu'elle n'avait pas le droit d'émettre des actions au porteur. C'est très bien ; cela peut être sous le nouveau projet. Mais cela n'existait pas sous le code de commerce qui permettait, dans la commandite, les actions au porteur.

Or qu’est-ce que nous avons voulu ? Nous avons voulu, quand nous avons parlé de la possibilité de donner une responsabilité indéfinie au gérant, permettre qu'un nouveau moyen fût mis à la disposition du public. Et pourquoi l'avons-nous voulu ? Parce que vous l’avez demandé : patere legem quam ipse fecisti ; parce que vous l'avez réclamé, mais avec de mauvaises conditions pour les tiers. Vous n'avez songé qu’aux associés commandités et commanditaires, et vous n'avez pas pensé aux tiers.

En définitive qu'est-ce que votre société avec des commandités responsable indéfiniment et des commanditaires qui ne sont pas responsables au delà de leur mise et peuvent se dégager de cette responsabilité, en cédant leurs actions ?

Je vous le demande, qu'est-ce en droit naturel ? Mais c'est une véritable société anonyme. Quelle sera la position des commanditaires ? Elle sera absolument la même que celle des porteurs d'actions dans la société anonyme, moins les garanties que présente la société anonyme. Eh bien, je dis : si vous voulez faire cela, je vous l'accorde. Mais vous allez vous soumettre à toutes les obligations de la société anonyme. Vous publierez les bilans ; vous ferez des inventaires ; vous aurez des assemblées générales pour approuver les bilans et les inventaires. Vous devrez communiquer aux associés les pièces qui doivent être déposées à certains moments. Je ne veux pas que votre commandite puisse se soustraire à ces obligations.

Vous dites que c'est une nouvelle forme. Qu'est-ce que cela me fait ? Nous sommes ici des législateurs ; nous sommes ici pour faire réaliser des progrès à la loi.

L'honorable M. de Rossius n'à pas compris mes observations.

Je lui ai dit : Le projet de loi, en supprimant l’autorisation du gouvernement pour les sociétés anonymes, met à la portée des citoyens un moyen facile de gérer leurs affaires.

Il est évident que le grand obstacle à l'emploi de la forme anonyme, c'est que le gouvernement, pour accorder l'autorisation, élevait une foule de prétentions ; eh bien, la société anonyme, devenue absolument libre, va remplacer la société en commandite, et, dès lors, si je mets à votre disposition un moyen aussi efficace, il m'est bien permis de changer la commandite. En quoi cela porte-t-il atteinte à la liberté des citoyens, puisque je vous offre la société anonyme ?

Je disais hier : Vous pourrez rendre les administrateurs responsables, et on me fait une foule d'objections. Mais, en 'définitive, que signifie aujourd'hui la responsabilité de vos gérants de la commandite ? On fait des sociétés avec 100 ou 200 millions et on déclare les gérants responsables ! Est-ce sérieux ?

Je ne défends pas ici mon œuvre, messieurs ; je défends l'œuvre qui été développée par mon honorable ami, M. Pirmez, mais je trouve qu'il a parfaitement raison de renfermer la société en commandite dans certaines règles qui lui donnent un caractère sérieux, alors qu’il offre la société anonyme à ceux qui ne veulent pas de la commandite ainsi organisée. On (page 409) a voulu réserver la commandite pour les affaires auxquelles tous les intéressés sont disposés à prendre un intérêt sérieux et suivi.

Pour éviter toute espèce de doute, je proposerai le texte suivant :

« Le capital des sociétés en commandite peut être divisé en action nominatives. Le transport s'en effectue conformément à l'article 35.

« Il peut être aussi divisé en actions au porteur ; les règles prescrites pour les sociétés anonymes, quant à la constitution de la société, aux actions, au conseil de surveillance, aux inventaires et aux bilans, aux assemblées générales tenues pour l'approbation des bilans et aux publications qui les suivent, sont applicables aux commandites par actions au porteur. »

Je demande, messieurs, quelle espèce d'objection l'on pourrait faire à système.

On dira : Ce n’est pas la commandite, mais nous me sommes pas ici pour respecter la commandite, telle qu'elle existe dans le code actuel, nous sommes ici pour faire une bonne loi.

Je dis que nous devons voir clair dans les opérations ténébreuses de la commandite.

Je demande qu'on la restreigne à son véritable rôle et quand on voudra en faire des sociétés anonymes déguisées, nous devons qu'on accepte alors toutes les garanties stipulées pour la formation de sociétés.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.