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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 9 février 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 433) M. de Rossius fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Dethuin donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Rossiusµ présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Ozeray demande une disposition légale déterminant, en dehors du code rural, les cas où les gardes champêtres peuvent verbaliser et où leurs procès-verbaux font foi jusqu'à preuve contraire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Dargilo demande que le permis de port d'armes de chasse soit taxé à 75 francs. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Fransman, Soetens et autres membres de l'association libérale de Ninove prient la Chambre d’adopter la proposition de M. Delcour, modifiée par la section centrale, qui exclut du cens électoral le droit de débit sur les boissons alcooliques. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition qu'elle concerne.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation du sieur Linnen. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. de Borchgrave, obligé de s'absenter, demande un congé de quelques jours. »

« M. Bieswal, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

« M. Coomans, empêché par les soins que réclame sa santé, demande un congé de trois à quatre semaines. »

« M. Crombez, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé. »

- Ces congés sont accordés.

Projets de loi relatifs à la circonscription des certains cantons judiciaires

Dépôt

MjBµ. - J'ai l’honneur de déposer :

1° Un projet de loi délimitant la circonscription des deux cantons de justice de pays d'Anvers ;

2°Un projet de loi qui distrait la commune de Bolland (province de Liége) du canton judiciaire de Dalhem et la réunit au canton judiciaire de Herve.

- Il est donné acte M. le ministre de la présentation de ces projets de loi.

La Chambre en ordonne l'impression et la distribution et les renvoie à des commissions qui seront nommées par le bureau.

Rapport sur une pétition

M. de Maereµ. - Messieurs, la question dont s'occupent les pétitionnaires est des plus importantes pour la ville de Gand ; aussi, à diverses reprises déjà, tant à la suite de pétitions semblables à celle-ci, qu'à la suite d'interpellations directes faites par les représentants de l'arrondissement de Gand, la Chambre a retenti des plaintes que l'état actuel du canal de Terneuzen a fait naître.

Pour se convaincre de la gravité de la question que soulève de nouveau la requête qui vous est parvenue, il suffit, en effet, de se rappeler que le canal de Terneuzen constitue la voie directe qui relie le port de Gand à la mer.

Gand, bâti au confluent de deux rivières, la Lys et l'Escaut, n'a d'accès naturel à la mer que par le seul Bas-Escaut ; c'est-à-dire par un fleuve qui après avoir poussé à droite jusqu'à Anvers, faisant un détour de 35 lieues, tourne brusquement sur lui-même et repasse à une distance de 6 à 7 lieues seulement au nord de la ville. Il est évident qu'à toute époque, soit pour écouler les produits de l'intérieur, soit pour recevoir ceux d'outre-mer, les Gantois ont dû se préoccuper de la nécessité de couper le coude immense du fleuve et de s'ouvrir une voie directe vers la mer.

Aussi, est-ce avec raison que les pétitionnaires rappellent les efforts et les sacrifices de toute nature faits dans ce but durant plus de six siècles par tous les gouvernements qui se sont succédé en Belgique.

Déjà, sous le règne des anciens comtes de Flandre, en 1251, les Gantois obtinrent malgré l'opposition des Brugeois, opposition qui dégénéra en hostilité ouverte, le droit d’établir une communication directe avec la mer.

Ils creusèrent la Liève, et réunirent le port de Gand à celui de Damme qui à cette époque passait pour être un des plus vastes de l'Europe occidentale.

Trois siècles plus tard, le port de Damme et la Liève s'étant complètement ensablés, Charles-Quint, en 1547, ordonna le creusement du chenal du Sas. On canalisa, à cet effet, un cours d'eau appelé la Pêcherie des Châtelains ; on le prolongea jusqu'au bras de l'Escaut dit Braeckman et à l'endroit appelé : sas de Gand, on bâtit l'écluse de mer. Malheureusement, cette écluse et d'autres travaux d'art furent presque aussitôt détruits, car les guerres de religion venaient d'éclater. Durant quatre-vingts ans, elles arrêtèrent en fait toute navigation sur le canal, jusqu'au jour où le traité de Munster (1648) vint ériger en droit la fermeture de l'Escaut et enlever à la Flandre espagnole tout le littoral de la rive gauche du fleuve.

Une autre tentative fut faite sous Albert et Isabelle. Par octroi de 1613, les Etats de Flandre furent autorisés à creuser un canal qui s'étendait depuis la ville de Gand, à travers les paroisses d'IHansbeke et de Saint-Georges jusqu'à la ville de Bruges, et de là, en canalisant l'Yperlée, jusqu'à Ostende.

Cette fois-ci, plus heureusement que pour la Liève, tous les obstacles d'ordre matériel avaient été vaincus ; mais il s'en présenta bientôt d'autres d'une nature plus sérieuse, devant lesquels toute l'énergie des anciens Flamands resta impuissante.

C'étaient les longues guerres des XVIIème et XVIIIème siècles, et les traités malheureux qui en furent la suite.

Le traité de Munster de 1648 en fermant les bouches de l'Escaut avait ruiné du même coup le port d'Anvers et celui de Gand.

Le traité des Pyrénées (1659) consacra le morcellement de la Belgique.

Le traité de paix d'Utrecht (1713) mit fin, il est vrai, à la guerre de succession, mais il fit passer la Belgique sous la domination autrichienne aux conditions odieuses et désastreuses que l'on sait et parmi lesquelles figura, en premier lieu, la clause relative la fermeture de l’Escaut.

Ce triste état de choses fut aggravé encore par le traité de Vienne de 1731 qui interdisait définitivement à nos provinces toute relation directe avec les Indes orientales ; dès lors tomba tout ce qui restait encore du haut commerce dans l'ancienne Belgique et plus particulièrement dans la ville de Gand.

C'est en vain que Marie-Thérèse chercha à relever nos provinces de l'état d'accablement et de torpeur les avaient jetées les luttes dont nous venons de parler. Le port de Gand était mort, tout commerce, toute (page 434) industrie avaient fui ; la grande commune d'Arteveldc, la puissante cité de Charles-Quint ne comptait plus qu'une population appauvrie de 50 mille âmes.

Joseph II vint. Il visita nos provinces et tenta les affranchir de toute suzeraineté étrangère.

Déchirant les traités des Barrières et de Vienne, il suscita des difficultés à la république batave au sujet de la navigation de l'Escaut. Dès 1781, Ostende avait été déclaré port franc, et cette mesure, si elle avait pu être complétée par l'affranchissement de l'Escaut, aurait suffi peut-être pour changer la face des choses dans notre pays.

Quoi qu'il en soit, la révolution brabançonne (1787) vint arrêter brusquement la réalisation de tous ces projets. L'invasion française, au point de vue spécial qui nous occupe, ne nous avait encore rien laissé, quand vint le traité de Paris du 30 mai 1814, qui réunit la Belgique et la Hollande sous le sceptre du roi Guillaume.

Aussitôt tout antagonisme commercial entre les deux pays cessa ; les obstacles qui depuis plus de deux siècles s'étaient opposés au développement de notre navigation maritime vinrent tomber et la ville de Gand put reprendre l'œuvre tant de fois interrompue.

Un arrêté royal de 1823 décréta le creusement du canal de Gand à Terneuzen.

Les travaux furent poussés avec célérité ; l'inauguration en eut lieu le 18 novembre 1827.

Le canal de Terneuzen est donc le quatrième effort fait, dans l'espace de six siècles, pour ouvrir entre Gand et la mer une communication directe.

J'ai tenu, messieurs, à rappeler ces faits historiques connus de tout le monde, parce que je crois que dans les précédents de la question, dans ses traditions séculaires, la ville de Gand trouvera une grande force pour les réclamations qu'elle a à faire valoir.

J'ai voulu démontrer qu'il ne se produit pas dans ce moment une tentative nouvelle ou isolée, mais que la population gantoise obéit à un courant d'idées et à des besoins qui se sont établis dans son sein depuis de longs siècles.

Ce qu'elle demande aujourd'hui est la chose même que, malgré les réclamations et la vive opposition des Brugeois, Marguerite de Flandre n'a pu refuser ; ce que Charles-Quint même, avant d'avoir achevé sa formidable forteresse, a dû donner ; ce que tous les souverains de la maison d'Autriche ont cherché à conserver ; ce qu'enfin la ville de Gand a sollicité et obtenu du roi Guillaume presque au lendemain de son inauguration, à savoir : un accès direct, profond et facile vers la mer.

Cela dit, il nous reste examiner si l'accès tel qu'il existe aujourd'hui est suffisant et répond à tous les besoins.

Ici ma tâche sera beaucoup simplifiée et réduite par le discours que j'ai eu l'honneur de prononcer devant la Chambre lors de la discussion du dernier budget des travaux publics. Je me suis alors longuement occupé du canal dont il s'agit et je n'ai pas eu de peine, les chiffres à la main, de démontrer son entière insuffisance.

Je puis donc me dispenser de revenir sur cette démonstration et de reproduire les détails techniques dans lesquels j'ai cru devoir alors entrer.

Je me bornerai à rappeler que l'insuffisance signalée résulte de deux causes, l'une locale, l'autre générale.

La convention internationale de 1845 avait fixé la jauge légale du canal à 4 m 40 pour le bief supérieur et à 4 m 20 pour le bief inférieur.

Ces cotes réglementaires, déjà insuffisantes par elles-mêmes, ne sont presque jamais atteintes, le tableau que j'ai produit en a fourni la preuve. De plus il démontre que c'est durant les mois d'été, alors précisément que la navigation est la plus active, que la pénurie d'eau se fait sentir le plus vivement.

La seconde cause d'insuffisance git dans l'augmentation constante du tonnage des navires. C'est là une cause générale qui s'est produite ailleurs qu'en Belgique. Le port d'Amsterdam, je l'ai cité déjà, durant des siècles a été desservi par le Zuiderzée, qui n'offre en moyenne qu'un tirant d'eau de 3 m 50. En 1825, on construisit le grand canal de la Nord-Hollande, dont la jauge est de 5 mètres.

En moins d'un demi-siècle ce canal est devenu insuffisant à son tour, et en ce moment même la ville d'Amsterdam se voit obligée, au prix des plus grands sacrifices et sous peine de perdre son rang de métropole commerciale, de s'ouvrir une voie nouvelle, plus large et plus profonde vers la mer, en perçant les dunes de la Hollande septentrionale.

Les dimensions du canal nouveau dit « Holland op zijn smalst » sont du canal de Suez, à savoir : 100 mètres de largeur à la ligna de flottaison, 8 mètres de profondeur.

Ce n'est pas tout, d'autres travaux de même nature s'exécutent en Hollande.

Tout le monde connaît la position exceptionnelle de Rotterdam.

Bâtie sur la rive droite de la Meuse à 30 kilomètres seulement de son embouchure, c'est à peu près la distance qui sépare Gand de Terneuzen, elle communique avec la mer par trois chenaux différents.

Le premier, le plus direct, celui de Brielle unc profondeur de 4 m 50 (0 m 30 de plus que le canal de Terneuzen).

Le deuxième, celui de Goerée, situé plus bas, présente un tirant de 5 m 20.

Le troisième enfin, celui de Brouwershaven oblige, il est vrai, les navires à un assez long détour, mais il a, par contre, une profondeur de plus de 10 mètres.

Eh bien, messieurs, malgré cette situation exceptionnellement favorable, je le répète, malgré le creusement du canal de Voorne, effectué en 1827, et destiné à relier directement la ville de Rotterdam au chenal de Goedereede, (canal de jonction dont la jauge première avait été portée à 5 m 15, et dont on propose de relever aujourd'hui les eaux de 1 m 70 afin d'avoir un tirant de 6 m 85) ; malgré, dis-je, les avantages de toute nature et d'autres encore que je ne puis pas énumérer ici, le gouvernement des Pays-Bas se trouve saisi de onze projets différents, ayant tous pour objet l'amélioration des voies navigables qui aboutissent à Rotterdam.

Une somme de plus de 13,000,000 de francs sera affectée à approfondir la passe de Brielle.

La profondeur de cette passe est, comme nous venons de le voir, de 4 m 50 ; elle sera portée à 7 mètres en moyenne. Le coude nord de l'embouchure de la Meuse, qui déplace et étrangle l'entrée de la rade, sera coupé ; et bientôt, grâce à ce double travail, la ville de Rotterdam jouira de cet avantage précieux qui s'impose d'ailleurs comme une nécessité de premier ordre à tous les ports intérieurs, celui d'avoir un accès large, profond et direct vers la mer.

Eh bien, messieurs, tous ces travaux qui absorberont des sommes considérables et qui seront exécutés dans un pays déjà entrecoupé de fleuves et de canaux et par une nation à laquelle on ne peut certes contester la maturité dans le jugement et une sage économie dans les dépenses publiques. par quelles raisons les justifie-t-on ?

Par une raison unique que nous avons signalée, qui se fait sentir partout, et qui consiste dans l'augmentation constante du tonnage des navires, augmentation qui rend nécessaire un approfondissement correspondant des passes navigables.

L'augmentation du tonnage est une conséquence naturelle la lutte qui s'est établie, dans les derniers temps, entre la navigation à vapeur et la navigation voilière. A la vitesse du steamer on a voulu opposer la capacité du bateau à voiles. Le creux de ces navires, qui n'était généralement que de la moitié de la largeur, s'est agrandi jusqu'aux deux tiers et même jusqu'à la dimension de la largeur totale. On tend à construire de véritables magasins flottants.

A Glascow, il est entré : En 1834, 4,005 voiliers jaugeant 186,576 tonnes. Et en 1866, 4,115 voiliers jaugeant 465,756 tonnes.

C'est-à-dire que le tonnage moyen est monté de 46 à 115 ; il a presque triplé en 35 ans.

Aujourd'hui, la moyenne des 26,140 navires à voiles que possède l'Angleterre est de 190 tonnes.

Les chantiers de Nantes ont mis en construction, de 1865 à 1867, 23 navires d'une capacité totale de 6,894 tonnes, ce qui fait moyenne de 200 tonnes.

Voici dans quelle mesure l'augmentation de tonnage s'est manifestée en Belgique.

Il est entré au port d'Anvers : En 1848 1,158 navires d’une capacité moyenne de 153 tonnes, en 1850 1,406 navires d’une capacité moyenne de 166 tonnes, en 1860 2,547 navires d’une capacité moyenne de 209 tonnes, en 1864 2,722 navires d’une capacité moyenne de 246 tonnes, en 1868 3,513 navires d’une capacité moyenne de 322 tonnes.

C'est-à-dire qu'en vingt-huit ans, le tonnage moyen des navires qui on visité le port d'Anvers a doublé.

Il est monté de 155 à 322 tonnes.

Le même fait s'est produit à Gand. Là aussi la capacité des navires a à peu près doublé ! Les chiffres suivants le prouvent.

Il est entré en 1842 314 navires de 98 tonnes, en 1852 de 227 navires de 124 tonnes, en 1860 257 navires de 138 tonnes, en 1863 de 306 navires de 163 tonnes, en 1865 464 navires de 170 tonnes et en 1869 379 navires de 177 tonnes.

(page 435) Pour Gand et pour l’année 1869, il y a lieu de remarquer en outre que, plusieurs navires, et des plus grands précisément, ont dû être déchargés durant les mois d'été, dans l’avant-port de Terneuzen, par suite de la mise hors de service de l'écluse ouest de cette ville.

Leur capacité plus grande n'a donc pu réagir sur la capacité moyenne de cette année que nous venons de rapporter.

Même observation pour les navires, au nombre de 18, déchargés à Selzaete et qui ne sont pas non plus compris dans les chiffres qui précèdent.

Je me résume, messieurs.

Je crois avoir démontré, l’histoire à la main, que la prospérité de la ville de Gand est intimement liée à celle de son port ; qu'à toute époque on a vu décliner la première lorsque, par des causes physiques, telles qu'absence ou insuffisance de voies de communication, par des causes politiques, telles que guerres ou traités, le commerce était comprimé dans son essor.

Je crois avoir démontré, avec des chiffres à l'appui, que la communication directe de Gand à la mer, telle qu'elle est établie par le canal de Terneuzen, ne répond plus au besoin de notre époque.

Avec la chambre de commerce de la ville de Gand, il me sera donc permis de dire en finissant : « Une plus longue hésitation est impossible ; il faut ou prononcer la déchéance définitive du commerce gantois, condamner la ville à rester à jamais privée de communication avec la mer, et rendre stériles tant de millions dépensés jusqu'à ce jour dans ce but, ou mettre résolument la main à l'œuvre. »

Mue par ces diverses considérations, votre commission vous propose de renvoyer la pétition dont il s'agit au ministre des travaux publics, arec demande d'explications.

MtpJµ. - La question à laquelle se rapporte la pétition sur laquelle l'honorable M. de Maere vient de faire rapport à la Chambre est une de celles qui, depuis longtemps, ont éveillé le plus vivement la sollicitude du département des travaux publics.

Ni mon honorable prédécesseur, ni moi-même n'avons méconnu un seul instant l'importance considérable que la solution heureuse de cette question devait avoir sur les développements de la prospérité commerciale du port de Gand.

Toutefois, je ne crois pas que le moment soit opportun pour aborder la discussion du fond de cette affaire.

Je prépare en ce moment, concert avec mon honorable collègue M. le ministre des finances, les éléments d'un projet de loi destiné à solliciter de la législature divers crédits destinés soit à terminer les travaux commencés, soit à mettre la main à de nouveaux travaux dont l'utilité et l'urgence sont reconnues.

Le discussion de ce projet de loi nous fournira, je pense, l'occasion naturelle d'examiner et de débattre toutes les questions qui se rattachent à la situation du canal de Gand à Terneuzen.

En effet, messieurs, comme les déclarations que j'ai faites à la Chambre dans la séance du 29 avril dernier le faisaient pressentir, je compte comprendre un crédit pour les modifications à apporter au canal de Gand à Terneuzen parmi les divers crédits spéciaux que j'aurais à solliciter de la législature.

MpMoreauµ. - Les conclusions du rapport tendent au renvoi à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explications.

M. Vleminckxµ. - Les explications seront données lors de la discussion du projet de loi qui vient d'être annoncé la Chambre.

M. de Maereµ. - Ainsi il est entendu que la discussion est réservée jusqu'au moment ou le projet de loi dont vient de parler M. le ministre des travaux publics sera soumis à la Chambre

MtpJµ. - Je ne m'oppose nullement au renvoi de la pétition à mon département avec demande d'explications ; il résulte, en effet, de ce que je viens de dire à Chambre ces explications seront données lors de la discussion du projet de loi relatif aux crédits spéciaux dont je viens de parler.

M. de Maereµ. - Et qui sera déposé dans lec courant de cette session, M. le ministre ?

MfFOµ. - Probablement.

M. Vermeireµ. - Je n'ai qu'un mot à dire. Puisque la question a fait l'objet d'un examen très approfondi dans le sein du gouvernement, je demanderai à M. ministre s'il pourrait fixer l'époque approximative à laquelle il pourra donner une suite favorable aux conclusions du rapport de l'honorable député de Gand.

MtpJµ. - Il m'est difficile de préciser à l'époque j'aurai terminé le travail dont je m'occupe. Mais je ferai tous mes efforts pour que le projet de loi puisse être non seulement déposé, mais voté dans le cours de cette session.

- Les conclusions du rapport sont adoptées.

Projet de loi révisant le code de commerce (titre III, livre premier : Des sociétés)

Discussion des articles

Section III. Des sociétés en commandite

Article 21

MpMoreauµ. - La discussion continue sur l'article 21.

M. Delcourµ. - Messieurs, à la fin de la séance d’hier, j'ai demandé la parole pour résumer en quelques mots les explications que j'avais données à la Chambre dans la séance de vendredi dernier.

La plupart des questions soulevées dans la séance d'hier se rapportent à des points qui ont appelé déjà l'attention de la Chambre.

Trois questions ont été soulevées. La première concerne le paragraphe premier de l'article 21. Le gouvernement a proposé à l'article 21 un amendement qui ne me paraît pas susceptible d'une discussion sérieuse.

L'amendement a pour objet de rendre l'associé commanditaire passible des dettes de la société dans les limites de l'apport qu'il a promis à la société.

Je me demande quelle est la portée de l'amendement ?

M. le ministre de la justice l'a indiquée d'une manière très nette, selon moi. L'honorable M. Lelièvre a critiqué l'amendement parce qu'il y a vu une dérogation aux principes généralement admis. Se demandant quelle est la nature de l'action que les créanciers de la société peuvent être appelés à exercer contre les commanditaires, débiteurs de tout ou partie de la mise qu'ils ont promis d'apporter la société, l'honorable membre craignait qu'on n'attribuât au mot « dettes » une portée aux principes.

Les créanciers, s'est-il demandé, agiront-ils « nomine proprio » ou bien n'exerceront-ils contre le commanditaire que les droits de la société elle-même ? Si j'ai bien compris l'honorable ministre de la justice, les créanciers n'exerceront que les droits de la société. Je précise la pensée de M. le ministre.

Sous l'empire du code de commerce, il existe un doute sur le point de savoir si les commanditaires peuvent être poursuivis directement par les créanciers. Le projet de loi lève ce doute. D'accord avec la commission sur le principe, le gouvernement a pensé qu'il convient de prévenir le retour de la controverse, en ajoutant le mot « dettes », il est donc certain que le projet a en vue les rapports de créancier à commanditaire, aussi bien que les rapports des associés entre eux.

Selon les explications de M. le ministre, les créanciers ont une action directe en ce sens qu'ils peuvent obliger le commanditaire à verser dans la caisse sociale tout ou partie de la somme dont ce dernier est débiteur, mais sous la réserve de tous les droits qui appartiennent au commanditaire, et par conséquent, sous la réserve des exceptions que ce dernier peut opposer la société.

Tel est, messieurs, le sens que j'attribue aux paroles de M. le ministre, paroles que je complète par les développements si lucides dans lesquels est entré l'honorable M. Lebeau.

L'honorable M. Lebeau disait : Le principe consacré par l'article 21 et par l'amendement du gouvernement est une application du droit commun qui accorde aux créanciers la faculté d'exercer les droits et actions de leur débiteur.

Celle interprétation, conforme aux principes, a l'avantage d'écarter des difficultés, qui pourraient devenir très graves, si on accordait aux créanciers une action directe, spéciale et qu'ils exerceraient « nomine proprio ».

Cette action directe et propre appartenant à tous et à chacun des créanciers autoriserait ces derniers à s'approprier exclusivement le bénéfice, le résultat de la poursuite.

Telle ne peut être la pensée de la loi, et, sous ce rapport, les explications de l'honorable ministre de la justice ont confirmé mon interprétation.

J'arrive au paragraphe 2. Il concerne les intérêts et les dividendes qui n'ont pas été prélevés sur les bénéfices réels de la société.

Permettez-moi de rappeler à la Chambre que le paragraphe 2 a fait l'objet de nombreuses observations dans l'avant-dernière séance.

L'honorable M. Jonet a demandé la suppression du paragraphe 2 ; je pense même que l’honorable membre, éclairé par la discussion, a retiré son amendement.

M. Jonetµ. - Il n'est pas retiré.

M. Delcourµ. - Il reste par conséquent, et nous aurons à nous prononcer.

Mais avant, il est essentiel que la Chambre se rende bien compte de la portée du projet de loi.

Plusieurs points sont acquis au débat ; je vais les résumer.

(page 436) Lorsque, sous le code actuel, la question de savoir si les tiers peuvent contraindre les commanditaires à rapporter les dividendes qu'ils ont touchés, c'est surtout en vue de la dissolution de la société qu’on se pose la question.

Supposons qu’une société en commandite doive être liquidée ; on se demande si, dans le cas où la société se liquide en perte, les associés doivent rapporter tous les dividendes qu'ils ont touchés ; en d'autres termes, si c'est au moment seul de la liquidation qu’il faut se reporter pour apprécier si les dividendes ont été prélevés ou non sur les bénéfices réels de la société.

Le projet loi décide cette question. II ne va pas aussi loin, et avec raison.

Pour apprécier si les intérêts et les dividendes sont sujets à restitution, il faut considérer chaque distribution. Les dividendes sont légitimement acquis s'ils ont été perçus sur les bénéfices réels de la société, bénéfices constatés par l'inventaire.

Ainsi, chaque distribution d'intérêts et de dividendes donne lieu à un examen spécial, et le rapport n'est dû que dans le cas où ils ont été prélevés sur des bénéfices non acquis.

Cette remarque a son importance ; si l'on devait se rapporter toujours à l'époque de la dissolution de la société, l'associé ne serait plus sûr de rien. Une société qui a prospéré pendant de longues années éprouve des pertes qui l'obligent à entrer en liquidation ; en prenant cette dernière époque pour apprécier, au point de vue des tiers, s'il y a eu ou non des bénéfices acquis, ne voyez-vous pas, messieurs, qu'on expose les associés aux plus grandes pertes ?

Or, sous l'empire du projet de loi, les choses ne devront pas se passer ainsi ; les tribunaux, pour apprécier si le rapport des dividendes est dû, examineront l'état de la société au moment où ils ont été distribués, sans s'arrêter exclusivement à l'état de la société au moment de sa liquidation.

Je reconnais volontiers, messieurs, que le rapport auquel le projet de loi soumet les associés peut, dans certains cas, détourner les capitaux de la société en commandite.

Si la loi devait avoir ce résultat, je les déplorerais. Mais je demande, au contraire, si l'intérêt bien entendu des actionnaires n’est point que la loi leur donne de sérieuses garanties ?

Sous ce rapport, le projet de loi cherche à réveiller la sollicitude des commanditaires, en les appelant à contrôler et à surveiller les actes de la société.

Cependant, messieurs, nous devons nous montrer équitables envers les actionnaires qui ont touché de bonne foi des intérêts ou des dividendes. L'action en restitution ne peut se prolonger indéfiniment ; si on la laissait, pour sa durée, sous l'empire du droit commun, elle entraînerait peut-être la ruine de l'actionnaire.

C'est pourquoi j'ai cru devoir subordonner mon vote à une concession qui m'a été faite par le gouvernement ; j'ai demandé que l'action en restitution fût prescrite par cinq ou trois ans, à compter du jour de la distribution.

Sans se prononcer sur la durée de l'action, le gouvernement a consenti à la soumettre unc prescription spéciale.

Je voterai donc paragraphe 2 de l'article 21 avec une pleine confiance.

Au fond, cette disposition est conforme aux principes de droit ; elle consacre un principe d'équité, de moralité et d'honnêteté dans la société en commandite.

Un mot encore, messieurs, sur l'amendement que M. le ministre la justice a déposé dans la séance d'hier.

La proposition de l'honorable ministre donnera lieu à un résultat que je crains et je déplore.

Elle a pour objet de permettre aux associés qui ont dû faire des rapports de poursuivre les gérants et les membres du conseil de surveillance, en restitution de ce qu'ils ont dû rapporter la société, et les rend solidairement responsables.

Le danger que présente l'amendement a été signalé hier par MM. de Rossius, Lebeau, Watteeu et Lelièvre ; je me réfère aux observations qu'ils ont présentées.

Je dis, avec ces honorables membres, que l'amendement repose sur un principe d'une rigueur extrême.

Quelle est, messieurs, la position des gérants envers les associés ?

C'est celle d'un mandataire envers son mandant, obligé dans les limites du mandat.

Obliger les gérants et surtout les membres du conseil de surveillance à restituer solidairement les intérêts et les dividendes que les associés ont touchés, c'est sortir des règles du droit commun pour les soumettre à une responsabilité exceptionnelle.

Le droit commun est-il insuffisant ? Si le gérant s'est rendu coupable, dans sa gestion, de dol ou de fraude, une actio en dommages-intérêts est contre lui, et, dans les relations civiles, cette action suffit aux associés lésés.

Mais le projet de loi va plus loin ; l'article 86 prononce une peine sévère contre les administrateurs qui, en l'absence d'inventaire. ont opéré la répartition aux actionnaires de dividendes ou d’intérêts non acquis.

Je ne vois donc aucune nécessité de recourir à tant de rigueur, le projet de loi, le droit commun donnent, à cet égard, toutes les garanties désirables.

Si cependant le gouvernement jugeait nécessaire d'étendre l'article 86 aux membres des conseils de surveillance, je ne m'y opposerai pas, quoique je ne pense pas que cette extension de pénalités soit nécessaire.

Je termine, messieurs, par une dernière réflexion. je demande si, par toutes ces rigueurs, vous n'éloignerez pas de la direction des sociétés en commandite des hommes capables et propres, et si vous n'arriverez pas, en exagérant leur responsabilité et leurs obligations, à compromettre l'existence elle-même de ces sociétés.

Je le crains, et c'est pourquoi je voterai contre l'amendement.

MjBµ. - Je ne puis nullement admettre les observations que vient de présenter l'honorable M. Delcour.

L'honorable membre a commencé par donner un commentaire de ce que j'ai dit hier en réponse à l'honorable M. Lelièvre au sujet de l'action directe qui appartient au créancier contre le commanditaire.

J'ai dit, messieurs, que la proposition actuelle avait pour but de trancher une controverse existante au sujet de cette action directe ; mais l'honorable M. Delcour a été au delà de mes paroles en prétendant que le commanditaire pourrait opposer au créancier toutes les exceptions dont il pourrait se servir vis-à-vis de la société.

Voici ce que j'ai dit : Quand un créancier actionne directement un commanditaire, il ne peut pas demander de se faire attribuer le montant des sommes que le commanditaire peut encore devoir à la société.

Et cela se comprend, messieurs. Si l'on admettait une pareille action en l'absence dc la société elle-même, il suffirait au commanditaire de s'entendre avec un créancier pour se faire payer sa créance. Or, messieurs, selon la jurisprudence actuelle, le commanditaire a une action directe ; mais il doit mettre en cause la société même ; c'est-à-dire qu'il a le droit de forcer le commanditaire à verser le complément de sa mise dans l'actif social ; il participera au partage de l'actif au marc le franc de sa créance.

Un autre point que l'honorable M. Delcour a traité est celui du recours que l'amendement que j'ai déposé hier donne au commanditaire contre le gérant.

L'honorable membre prétend que c’est tuer les commandités, qu'on ne trouvera plus d'hommes recommandables et capables disposés à accepter les fonctions de gérant. Il ajoute que l'amendement consacrerait une injustice parce que, comme le dividende n'aurait pas été prélevé sur les bénéfices réels, on ne peut pas forcer le gérant à supporter la perte résultant de payements indûment faits aux commanditaires.

Je demande si vous voulez, oui ou non, une responsabilité sérieuse des gérants ; si vous voulez une responsabilité sérieuse, il faut admettre notre système.

L'honorable M. Delcour ne me dit pas ce qui a produit les faux dividendes ; eh bien, ce sont les faux bilans ; et qui fait ces faux bilans, si ce n'est le gérant ?

Or, c'est pour empêcher désormais les faux bilans et le payement de faux dividendes que nous avons présenté notre amendement...

M. Delcourµ. - Vous punissez cela.

MjBµ. - Nous avons, il est vrai, quelques dispositions pénales ; mais ces dispositions ont été impuissantes pour prévenir les escroqueries. Vous avez, dans la commandite, une administration ténébreuse ; on peut y cacher tout aux commanditaires.

La loi pénale est insuffisante dans cette matière pour protéger les tiers. Rien de plus difficile au parquet que d'instruire lorsqu'il s'agit d'une société en commandite. Aucune pièce ne peut être vérifiée. On n'a pas, comme dans la société anonyme, les rapports lus en assemblée générale, les bilans ; on est absolument dans l'ignorance de ce qui se passe et l'on est dans l'impossibilité de le découvrir.

Tout est secret dans la commandite ; le gérant a un pouvoir dictatorial ; c'est le régime absolu appliqué la société.

L'honorable M. Delcour me dit que mon système est injuste, parce que, selon lui, le gérant est l'agent des commanditaires. C'est une erreur ; la vérité, c'est que le gérant est un négociant qui travaille pour lui-même, dans son propre intérêt.

(page 437) Qu'est-ce que la mise des commanditaires ? C’est le capital qui sert d'appoint à celui que le gérant possède, mis le véritable commerçant, c'est le commandité, et les commanditaires ne sout en réalité que des bailleurs de fonds.

Voyez combien peu les principes du mandat sont applicables dans la matière qui nous occupe. Dans la commandite, les gérants qui, d'après l'honorable M. Delcour, seraient les mandataires des commanditaires, sont indéfiniment responsables, tandis que les mandants, c'est-à-dire les commanditaires ne sont responsables que jusqu'à concurrence de leur mise. Il n'y a donc pas à comparer les gérants aux mandataires.

Voilà un homme qui a en mains une affaire qu'il déclare magnifique ; grâce à la confiance qu'il inspire, grâce à son honnêteté, il obtient des fonds. Plus tard, il fabrique un faux bilan, il accuse un bénéfice fictif et il distribue des dividendes qui sont en réalité prélevés sur le capital social.

Pourquoi les commanditaires n'auraient-ils pas leur recours contre lui ? Pourquoi ne lui diraient-ils pas : Vous avez fabriqué de faux bilans, vous avez distribué de faux dividendes pour vous maintenir à la tête de vos affaires, pour continuer à jouir de gros traitements ; c'est vous qui devez supporter la peine de ce que vous avez fait ; c'est vous qui avez causé les désastres de la société ; c'est vous qui devez en subir la responsabilité.

Ne serait-ce pas là un langage moral ?

Eh bien, c’est pour prévenir de faux bilans que l'amendement est présenté.

La disposition sera efficace, parce qu'elle aura pour effet d'inspirer aux gérants une grande prudence ; quand il y aura un poste qui n'est pas sûr, ils expliqueront à leurs commanditaires en assemblée générale pourquoi on n'a pas inscrit ce poste l'actif ; alors on ne distribuera plus de dividendes fabuleux pour faire mousser une affaire. Je crois que, sous tous les rapports, l'amendement est un frein sérieux de nature à empêcher les gérants de faire de faux bilans. (Interruption.)

Voyez les peines qui atteignent le banqueroutier simple, pour des faits presque insignifiants, parce qu'on n'a pas observé les règles dont un bon père de famille ne doit pas se départir.

Et vous ne pourriez pas exiger la même prudence de la part d'un gérant !

Mais, messieurs, en faisant un bilan, tout le monde peut se tromper, je le comprends ; mais on ne peut pas se tromper au point de distribuer des dividendes qui constituent en réalité une partie du capital social.

Il y a évidemment de la mauvaise foi de la part d'un gérant qui agit ainsi et dès lors il doit supporter la peine de sa mauvaise foi.

Il y a dans l'amendement que j'ai déposé un point que je puis abandonner : c'est la responsabilité du conseil de surveillance.

Je ne reculerais pas du tout cependant devant le vote d'une pareille disposition.

Si l'on veut ure membre conseil de surveillance, il faut l'être sérieusement ; on doit vérifier les bilans et ne pas être là comme un soldat de parade pour attirer la foule. Or, nous ne l'avons que trop vu, les membres des conseils de surveillance portent souvent de magnifiques uniformes, mais ils sont pas plus pour la société que seraient à la guerre des soldats de bois. Il y a là un mal auquel il faut apporter un remède énergique.

Je crois donc, messieurs, que si l'on veut faire une œuvre sage, il faut introduire dans la loi une pénalité sérieuse.

Les peines correctionnelles seront toujours difficiles à appliquer ; la justice aura peu de moyens de pénétrer dans tous ces mystères. Ce qu'il faut maintenir, c’est la pénalité civile ; lt faut laisser aux citoyens le moyen de récupérer l'argent qu'on leur a volé ; il faut qu'ils soient même de faire la police des sociétés en commandite et de faire en sorte que personne ne soit plus trompé.

M. Thibautµ. - Je suis, pour ma part, disposé à appuyer les idées que vient de développer l'honorable ministre de la justice ; mais je me demande quelle utilité il y a à autoriser les poursuites contre les actionnaires, puisque ceux-ci auront un recours contre le gérant.

Ne serait-il pas préférable de déclarer que le gérant sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dividendes frauduleusement attribués aux actionnaires ?

MiPµ. - Et s’il est insolvable ?

MjBµ. - Cela arrive malheureusement.

M. Thibautµ. - De sorte qu'en cas d'insolvabilité du gérant, l'actionnaire devra restituer les dividendes qu'il a reçus et il n'aura plus lui-même de recours utile.

Dans ce cas, je désirerais que M. le ministre maintînt l’amendement dans son intégrité et tel qu'il l’a présenté. Car je ne voudrais pas que les membres du conseil de surveillance qui ont participé à la fraude ou qui l’ont tolérée fussent dégagés de toute responsabilité. Si le gérant est insolvable, les actionnaires ayant recours contre le conseil de surveillance pourront encore conserver l’espoir de ne pas être les victimes de manœuvres frauduleuses.

MpMoreauµ. - M. Jonet demande la suppression du paragraphe 2.

Je vais donc mettre l'article aux voix par division :

« L'associé commanditaire n'est passible des dettes et pertes de la société que jusqu'à concurrence des fonds qu’il a promis d'y apporter. »

- Adopté.

« Il peut être contraint par les tiers à rapporter les intérêts et les dividendes qu'il a reçus, s'ils n'ont pas été prélevés sur les bénéfices réels de la société. »

- Adopté.

MpMoreauµ. - Vient l'amendement de M. le ministre de la justice qui tend à ajouter au paragraphe 2 ce qui suit : « et, dans ce cas, il peut poursuivre contre les gérants et les membres du conseil de surveillance, tenus à cet effet solidairement, le payement de ce qu'il aura dû restituer. »

On a demandé 'a suppression des mots : « et les membres du conseil de surveillance. »

Je mets cette suppression aux voix.

- La suppression n'est pas adoptée.

L'amendement de M. ministre de la justice est mis aux voix et adopté.

L'ensemble de l'article 21, ainsi modifié, est adopté.

Article 22

« Art. 22. L'associé commanditaire ne peut faire aucun acte de gestion, même en vertu de procuration.

« Cette prohibition ne l'empêche pas de donner son opinion sur certaines affaires, d'autoriser les actes qui sortent des pouvoirs des gérants et de surveiller les opérations de la société. »

M. Lebeauµ. - J'ai une explication à demander sur le second para graphe de cet article, ainsi conçu :

« Cette prohibition ne l'empêche pas de donner son opinion sur certaines affaires, d'autoriser les actes qui sortent des pouvoirs des gérants et de surveiller les opérations de la société. »

Je suis d'avis que les commanditaires peuvent donner leur opinion sur certaines affaires et surveiller les opérations de la société. J'estime que c'est leur devoir. Mais le paragraphe que je viens de lire contient une phrase qui ne se trouvait pas jusqu'ici dans les dispositions légales relatives à la commandite.

L'article permet aux commanditaires d' « autoriser les actes qui sortent des pouvoirs des gérants. »

C'est là, messieurs, une grande extension des pouvoirs des commanditaires, et si elle était prise dans un sens très large, on serait amené à conclure que les commanditaires ont le droit, par une simple délibération, de changer les bases de la société. Je comprends que l'assemblée générale des actionnaires puisse modifier les statuts, mais en se conformant aux règles établies par. le projet pour les modifications des statuts des sociétés, et dans ce cas on doit donner de la publicité aux actes de manière que les tiers soient parfaitement avertis.

Je comprends qu'on puisse, par une simple délibération, autoriser le gérant à donner mainlevée d'une inscription hypothécaire, à emprunter et à donner hypothèque sur l'immeuble social ; mais on ne peut pas autoriser les actes du gérant quels qu'ils soient. Il faut donc ajouter que ce sont des actes prévus par les statuts.

Il faudrait dire : « dans les cas prévus par les statuts », ou bien : « en tant que ces actes ne modifient pas les bases de la société. »

MiPµ. - L'honorable M. Lebeau a parfaitement interprété l’article, mais je crois que, pour consacrer cette interprétation, il n'est pas nécessaire d'en modifier le texte.

La disposition ajoutée à la disposition actuelle du code de commerce a eu pour but de lever toute espèce de doute sur certains actes permis aux associés commanditaires.

Souvent les gérants, pour se mettre à l'abri de reproches, aiment à s'entourer des conseils de leurs associés ; ils convoquent le conseil de surveillance ou certains sociétaires et leur demandent leur avis. Il est impossible de considérer cet avis donné au gérant comme un acte de gestion.

Il importait aussi de donner libre action à la surveillance des commanditaires, car s'il y a des abus dans les sociétés en commandite, c’est, à coup sûr, par suite du défaut de surveillance de la part des commanditaires. Il faut donc que le commanditaire puisse exercer ce droit de légitime surveillance sans craindre de devenir solidaire de la société.

Telles sont, messieurs, les deux premières catégories de faits prévus.

Vient une troisième qui comprend les cas où les commanditaires doivent nécessairement intervenir pour qu’un acte puisse se faire.

L’honorable M. Lebeau nous a cité des exemples.

(page 438) Ainsi, dans les statuts des sociétés, on ne s'occupe pas toujours de l’aliénation d’immeubles, ni de la constitution d’hypothèques, ni de mainlevée d’hypothèque.

Si nous n’admettons pas la disposition dont il s'agit, on se trouvera à l’avenir dans le même embarras où parfois on s’est trouvé dans le passé. Si le conservateur des hypothèques ne trouve pas dans les statuts le pouvoir pour le gérant, soit d'aliéner, soit d’hypothéquer, soit de donner mainlevée, il exige l'autorisation de la société. Mais les commanditaires craignant de faire un acte de gestion peuvent refuser de consentir un pareil acte.

Il y a donc là une difficulté sérieuse qu'il faut aplanir et la disposition proposée tranche cette question.

Elle dit que les commanditaires pourront autoriser les actes qui sortent des pouvoirs des gérants.

On n’a pas à craindre que l'on donne à cet article la portée exagérée qu'y attribue l'honorable M. Lebeau. Il ne s'agit pas ici de la constitution de la société. Tout ce qui est relatif à la constitution de la société est réglé dans les premiers articles de la loi et il n'est dérogé en rien à ces règles dans les articles qui nous occupent où l'on traite de ce qui se fait dans le cours de la société.

En disant que les commanditaires pourront autoriser les actes sortant des pouvoirs du gérant, on ne peut avoir d'autre pensée que d'autoriser des actes rentrant dans le cercle des opérations de la société, mais que le gérant ne peut accomplir.

Je crois que, moyennant cette explication, l'honorable M. Lebeau renoncera à son amendement.

Je pense aussi que le texte de l'honorable membre entraînerait des inconvénients. L'honorable membre autoriser des actes sortant des pouvoirs du gérant, dans les cas prévus par les statuts.

Or, la difficulté. à laquelle nous voulons parer est précisément celle qui peut se produire dans le cours de la société raison du silence des statuts.

Si vous introduisez dans la disposition que cela ne s'appliquera qu'aux cas prévus par les statuts, nous placerons les commanditaires dans une fausse position lorsqu'il s'agira d'actes qui se présenteront dans le cours la société et qu'on n'aura pas réglés en la constituant.

MpMoreauµ. - Voici comment l'honorable Lebeau propose de rédiger le deuxième paragraphe :

« Cette disposition ne l'empêche pas de donner son opinion sur certaines affaires, de surveiller les opérations de la société et d'autoriser les actes qui sortent des pouvoirs des gérants, dans les cas prévus par les statuts. »

- L'amendement est appuyé.

M. Watteeuµ. - Messieurs, j'appuie l'amendement proposé par l’honorable M. Lebeau, parce que le commentaire de l'article donné par ministre de l'intérieur justifie l'utilité de cet amendement.

Quand on fera un acte de société, on consultera le texte de la loi et on n’ira pas recourir à la discussion. On ne recourt jamais à la discussion législative que quand le texte de la loi paraît obscur et qu'on est obligé de rechercher la pensée du législateur. Généralement on consulte le texte de la loi qui seul est publié. Ceux qui sont appelés à faire des actes de société ne verront donc que la loi et nullement ses commentaires.

Ces observations démontrent précisément l'utilité de l'amendement. On peut résumer les justes observations de M. le ministre de l'intérieur en deux lignes et éveiller ainsi l'attention des parties contractantes sur le véritable sens de l'article.

MiPµ. - Je demanderai à M. Watteeu ce qu'il arrivera lorsque le contrat sera muet ?

M. Watteeuµ. - Je vais vous citer un exemple. Il se rencontre dans beaucoup de statuts une disposition qui limite les pouvoirs du gérant ; on dit, par exemple, que les opérations qui atteignent telle importance ou dépassent telle somme ne pourront être faites par les gérants que pour autant qu'ils y soient spécialement autorisés.

Voilà un des cas dans lequel l'intervention des commanditaires est parfaitement prévue.

MjBµ. - C'est de l'anonyme. .

M. Watteeuµ. - Les mêmes dispositions se trouvent dans les statuts de sociétés en commandite et je ne serais pas embarrassé de vous le prouver.

Au cas que j'ai cité je pourrais en ajouter bien d'autres. Mais, comme l'a très bien fait remarquer M. Lebeau, cette disposition est un danger. Notez que je parle dans le sens de la prudence qui dicte la loi.

Je crains que l'élasticité de la rédaction, telle qu'elle était proposée, ne donne ouverture à des abus, qu'on ne donne à cette disposition de l’intervention des commanditaires une extension telle, qu’on arriverait à bouleverser toute l’économie du contrat et à détruire en grande partie les garanties que vous voulez introduire en faveur des tiers et que je veux comme vous.

C'est précisément pour renforcer vos intentions, pour atteindre plus sûrement le but auquel vous visez, que je crois qu'il est prudent, si pas dans les termes proposés, au moins dans des termes analogues, d’admettre un correctif.

MiPµ. - Je pose à M. Watteeu cette question : Lorsque les statuts seront muets, qu'arrivera-t-il ? L'honorable membre ne répond pas à cette question, il me dit : Je vals vous citer un exemple où le cas est prévu. Mais ce n'est pas cela que je demande. Je dis : Voilà un contrat de société en commandite fait ; on n'y a pas prévu que l’on pourrait avoir besoin d'hypothéquer un immeuble social. Vous voulez donc que dans ce cas-là on ne puisse jamais arriver à la constitution de l'hypothèque ?

Eh bien, je veux moi que si un événement rend cette hypothèque nécessaire il faut qu'elle puisse être consentie. Tel est le but de l'amendement que nous avons proposé.

Il y a donc deux systèmes : le vôtre met le commanditaire dans une impasse ; le nôtre, au contraire, permet au commanditaire de consentir.

J'ajoute que, quant à l'exemple cité par M. Watteeu, je fais mes réserves.

Je me demande s'il est possible de dire dans un contrat en commandite que certaines opérations, comme, par exemple, des prêts ou des marchés excédant certaine somme doivent être autorisés par le conseil de surveillance.

Je ne me prononce pas ; je laisse à la jurisprudence le soin de décider s'il n'y a pas des faits de gestion.

M. Ortsµ. - Il y a, selon moi, quelque chose de juste dans les observations faites par M. le ministre de l'intérieur pour combattre l'amendement de M. Lebeau, comme dans les observations de MM. Lebeau et Watteeu, et la conclusion pour moi est celle-ci : Pour mettre tout le monde d'accord, il suffirait de modifier très peu l'amendement de l'honorable M. Lebeau,

Que veut, en effet, le gouvernement ? Il veut qu'il soit permis, dans le cas où les statuts n'ont rien prévu, de suppléer à l'insuffisance des pouvoirs ordinaires du gérant par le concours des commanditaires, sans que pour cela ceux-ci soient réputés s'être mêlés de la gestion et aient assumé une part de responsabilité collective avec le gérant.

Pareille disposition est incontestablement utile, par l'excellente raison que, quelque bien faits que soient les statuts d'une société, il est impossible d'y prévoir tous les cas.

D'un autre côté, une disposition aussi large dans la loi permettrait peut-être l'abus que craint l'honorable M. Lebeau. Elle donnerait aux commanditaires réunis au gérant, exerçant un pouvoir qu'ils ne doivent avoir que pour régler les cas imprévus, un pouvoir qu'ils ne peuvent pas avoir, celui de modifier à eux seuls les conditions essentielles du contrat social, de changer les statuts autrement que par les voies prévues pour tous les changements de statuts ou de contrats de société.

Eh bien, tout le monde ne serait-il pas d'accord, si l'honorable M. Lebeau, au lieu de dire dans son amendement que le pouvoir dont parle le gouvernement n'existerait que pour être exercé « conformément aux statuts » pour les cas imprévus, si l'honorable membre disait ceci : « sans que ce pouvoir (celui que donne le gouvernement aux commanditaires réunis au gérant) puisse autoriser des modifications aux statuts. »

MiPµ. - Il n'y a pas de difficulté ; on pourrait dire aussi : « sans pouvoir déroger aux statuts ».

M. Ortsµ. - C'est la même chose.

M. Lebeauµ. - Je dois un mot de réponse à une objection de M. le ministre de l'intérieur.

Quand les statuts seront muets, que ferez-vous, me dit-il ? Quand les statuts seront muets sur des actes qui s'écartent des pouvoirs du gérant, il faudra les modifier. Ainsi, par exemple, si les statuts d'une commandite ne donnent pas au gérant le pouvoir d'hypothéquer les immeubles de la société, c'est que les fondateurs de la société n'ont pas lui donner ce droit. Il ne faut pas perdre de vue, messieurs, que l'hypothèque, qui affecte les biens de la société, conduit directement à l'aliénation et de la chose, c'est l'anéantissement de la société. Or, comment voulez-vous qu'un gérant qui n'a dans ses attributions que des actes d'administration puisse aller jusque-là.

Il est évident que vous ne pouvez pas dire qu'à défaut de stipulations contraires dans un contrat de société, le gérant aura le droit d'hypothéquer, Il faut pour cela le concours de tous ceux qui ont contribué à la (page 439) formation du contrat, à moins que, dans les statuts mêmes, on n'ait dit que l’assemblée pourrait suppléer aux pouvoirs du gérant ; mais alors cela doit se trouver dans les statuts ; il est indispensable que les statuts donnent à l’assemblée des commanditaires un pouvoir qu'elle n'aurait pas sans cette clause formelle. Si les statuts ne prévoient pas le cas, il ne reste qu'à les modifier, mais dans ce cas les modifications seront publiées et les tiers seront avertis. (Interruption.)

Tout à l'heure, on disait qu’on ne pourrait permettre aux commanditaires réunis en assemblée générale d’autoriser les gérants à poser certains actes ; mais que, dans ce cas, les commanditaires interviendraient en réalité dans la gestion des affaires et, partant, deviendraient responsables.

Mais, messieurs, ce n'est pas ainsi qu'on entend le mot « autorisation » ; par autorisation, on entend l' « approbation » ; cela veut dire que le gérant ne peut poser certains actes sans l'approbation de rassemblée.

Naturellement si les commanditaires demandaient aux gérants de faire un acte de gestion. ils seraient solidaires avec le gérant de l'acte que ce dernier aurait posé.

Voilà dans quel cas l'assemblée générale des commanditaires peut intervenir sans engager la responsabilité de ceux qui y participent.

Maintenant, en ce qui concerne la modification demandée par l'honorable M. Orts, il est bien dans ma pensée de ne pas autoriser les actes de nature à modifier les bases de la société. L'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter arrive au même résultat.

M. Jacobsµ. - Messieurs, je viens proposer une autre solution de la difficulté, qui permettra de ne jamais devoir recourir à un nouvel acte de société.

La jurisprudence s'est fait, en général, une idée inexacte de la position de l'associé commandité.

Il n'est pas un gérant, c'est un négociant qui agit pour son propre compte, avec l'adjonction d'un capital social.

En thèse générale, il faut accorder à l'associé commandité, non pas seulement les pouvoirs d'un gérant, mais le droit de disposer, d'aliéner, d'hypothéquer, sauf dans les cas où les statuts auront pris la précaution de le lui interdire.

Les associés commanditaires auraient, au moment où l'acte social se constitue, à déterminer s'ils entendent enlever ou maintenir au gérant ces pouvoirs illimités.

De cette façon, aucune difficulté ne se présentera. Chacun saurait que le gérant est dans la même position que l'associé en nom collectif et qu'il peut disposer de l'avoir social, hors les cas prévus par les statuts. On reviendrait à l'idée vraie de l'associé commandité faisant le commerce pour son propre compte.

MpMoreauµ. - Voici l'amendement proposé par M. Lebeau.

« § 2. Cette disposition ne l'empêche pas de donner son opinion sur les affaires, de surveiller les opérations de la société et d'autoriser les actes qui sortent des pouvoirs des gérants, pour autant que les actes ne modifient pas les statuts. »

M. Jacobs a fait parvenir au bureau l'amendement suivant :

« L'associé commandité peut poser tous les actes que les statuts ne lui interdisent pas. »

Ce paragraphe serait placé avant le premier paragraphe du projet.

- L'amendement est appuyé, il fait partie de la discussion.

MiPµ. - Messieurs, il me paraît que cet amendement, qui nous prend, du reste, un peu à l'improviste, va extrêmement loin.

La jurisprudence a déterminé quels sont les pouvoirs des gérants ; je n'ai pas vu dans les ouvrages de droit que j'ai consultés quand j'ai fait mon rapport sur les sociétés, qu'il y ait eu à cet égard de graves difficultés ; il faut craindre de faire une révolution à cet égard.

Le gérant, d'après la nature même de ses fonctions, est appelé à gérer ma société dans un but déterminé.

Il est donc chargé, s'il s'agit, par exemple, d'une fabrique, de faire les acquisitions de matières premières nécessaires, de la mise en œuvre, de la vente ; en un mot, de tous les actes que comporte un établissement comme celui que je viens d'indiquer.

Il est chargé, dans une autre société, d'opérations analogues, toujours limitées par la nature même des opérations sociales.

Or, M. Jacobs, lui, dit au gérant : « Gérant, vous ferez tout ce que voudrez. »

Or, remarquez bien que l'énumération des choses qu'on ne peut pas faire serait très longue. parce qu'il faudrait prévoir toutes les choses faisables en dehors de celles qui font l'objet de la société.

Si l'on prenait à la lettre l'amendement de l'honorable M. Jacobs, je ne crois pas cependant que soit là son intention, le gérant de la fabrique dont je viens de parler pourrait un beau jour mettre cette fabrique en vente et spéculer avec l’argent qu’il en aurait tiré.

Je crois, messieurs, que cela n'est pas possible.

Il est évident que lorsqu'on constitue une société, il y a dans la société un but déterminé à atteindre avec certains éléments qui sont mis par l’acte de société à la disposition du gérant.

Ainsi, si l'on confie au gérant une usine pour l'exploiter, il est incontestable qu'il ne peut vendre l'usine qui est le but même de la société et qu'un acte semblable viendrait dénaturer complètement les bases de la société.

Je crois donc, messieurs, qu'il est important de pas s'aventurer dans cette voie et de laisser les choses comme elles sont, puisque nous constatons que les difficultés ne sont pas en dehors de la portée de la jurisprudence.

M. Jacobsµ. - Il ne peut s'agir d'interpréter mon amendement de façon à autoriser le gérant d'une filature à la réaliser, à en employer le prix à des opérations de bourse. Il est certain que tous les statuts de société déterminent l'objet de la société et par conséquent interdisent les autres opérations d'une nature différente. Le gérant ne pourra donc jamais employer le capital social qu'à ce qui est l'objet de la société.

Mon amendement aura pour résultat de permettre au gérant, outre les actes d'administration, les actes de disposition qui sont au nombre de deux ; il n'y en a point d'autres ; l'aliénation et l'hypothèque.

L'amendement lui permettra donc, pour augmenter le crédit social, de donner hypothèque sans le concours des commanditaires. Il lui permettra également, dans le cas où l'intérêt social l'exige, de réaliser l’avoir social et de liquider ainsi.

Voilà les deux seuls objets de mon amendement et je crois que, quelque perspicace qu'on puisse être, on ne peut pas y voir autre chose.

M. Watteeuµ. - L'amendement présenté par M. Jacobs me paraît inadmissible de la manière la plus absolue ; il créerait une foule de dangers, tandis que celui auquel je me suis rallié, c'est-à-dire celui de M. Lebeau, sous-amendé par M. Orts, me paraît parfaitement répondre à l'intention que nous voulons réaliser.

L'honorable M. Jacobs part d'un principe tout à fait faux. La doctrine n'est pas admissible lorsqu'il vient nous dire qu'un commandité doit être assimilé à un négociant ordinaire travaillant librement, ayant toute sa liberté d'allure, sauf à rendre compte au capital qui vient accessoirement l'aider.

Cela n'était pas ainsi sous l'ancien code de commerce ; mais cela l'est bien moins encore sous le projet que nous discutons, Ici le commandité n'est plus isolé, puisque nous trouvons dans le projet en discussion diverses dispositions qui permettent même aux tiers d'atteindre les commanditaires. Vous voyez donc que vous ne pouvez plus isoler, comme vous cherchez à le faire sous l'empire de l'ancien code de commerce, les commandités.

Je le répète, pas plus sous l'ancien code que sous la loi que nous discutons, le commandité n'a jamais pu être considéré comme étant complètement libre. Il a un capital avec lequel il travaille, c'est vrai. Mais ce capital ne lui est confié qu'à certaines conditions. Il ne peut enfreindre ces conditions et il doit rendre compte non seulement aux commanditaires, mais aux tiers. Il serait donc excessivement dangereux de lui laisser cette liberté illimitée que lui laisse l'honorable M. Jacobs et qui nous jette dans l'inconnu.

Restons dans les principes dont l'expérience nous a montré le mécanisme et ne modifions la loi que lorsque cela peut être réellement utile.

M. Thonissenµ. - J'ai une explication à demander.

L'article 27 du code de commerce de 1808, porte : « L'associé commanditaire ne peut faire aucun acte de gestion, ni être employé pour les affaires de la société, même en vertu de procuration. »

La commission a supprimé ces mots : « Etre employé pour les affaires de la société. » Je voudrais savoir de M. le ministre de l'intérieur, quelle est la portée de la suppression de ces mots.

MiPµ. - C'est expliqué dans le rapport.

M. Thonissenµ. - Oui, mais votre explication n'est pas complète. Je vais poser la question.

Un commanditaire pourra-t-il occuper un emploi dans les bureaux de société ? Pourra-t-il être commis de la société ? S'il est commis, il prend, mon avis, une position absolument incompatible avec le rôle d'un commanditaire. Il sera aux ordres du gérant, il sera son véritable employé ; il sera en rapport avec les tiers, il contractera avec eux.

Il y a là, je le répète, une position qui n'est pas compatible avec le rôle d’un véritable commanditaire, avec la position légale que vous lui assignez.

Il y a une autre expression dont je désire connaître le sens réel. C'est celle ci : « son opinion sur certaines affaires ». Qu'entend-on par ces mots ? Le (page 440) commanditaire ne peut.il pas émettre son opinion sur toutes les affaires en général qui sont traitées par la société ? Je ne pense pas que ces termes aient pour but de limiter son droit d'émettre un avis sur les opérations de la société.

MiPµ. - Messieurs, le rapport a donné à la suppression des mots : « ou être employé pour les affaires de la société », son véritable sens. Il est évident que ce que la loi a voulu en défendant l’immixtion des commanditaires dans les affaires sociales. c'est l'interdiction de gérer les affaires sociales, c'est-à-dire de représenter la société vis-à-vis de tiers.

Voilà le véritable sens qu'a l'article du code de commerce.

Mais les mots : « ni être employé pour les affaires de la société », dépassent évidemment le but. Il n’y a aucune espèce d’inconvénient à ce qu'un employé de la société, un simple scribe, un simple faiseur de calculs ait action dans la commandite. Quelle espèce de confiance doit-il inspirer aux tiers ? Comment représente-t-il la société vis-à-vis des tiers ? Mais évidemment en aucune façon.

Il était donc important de faire disparaître du texte les mots que cite l'honorable membre.

L'honorable M. Thonissen sait que peu de temps après la publication du code on a reconnu que cette disposition rendait pas la pensée que son auteur avait eue en vue.

Le véritable sens de l'article est donc celui-ci : le commanditaire ne peut pas représenter la société vis-à-vis des tiers. .

M. Thonissenµ. - Les mots : « sur certaines affaires... »

MiPµ. - Ces mots n'ont rien de limitatif ; ils ont pour but d’autoriser le commanditaire à donner son avis sans se compromettre.

M. Thonissenµ. - Je propose de remplacer les mots : « sur certaines affaires » par ceux-ci : « sur les affaires. »

- La discussion est close.

L'amendement de M. Jacobs est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Le paragraphe premier de l’article est mis aux voix et adopté. Il est ainsi conçu

« L'associé commanditaire ne peut faire aucun acte de gestion, même en vertu d'une procuration. »

L'amendement de M. Lebeau est ensuite mis aux voix et adopté dans les termes suivants :

« Cette disposition ne l'empêche pas de donner son opinion sur les affaires, de surveiller les opérations de la société et d'autoriser les actes qui sortent des pouvoirs des gérants, pour autant que ces actes ne modifient pas les statuts. »

L'article ainsi rédigé mis aux voix et adopté dans son ensemble.

Article 23

« Art. 23. L'associé commanditaire est solidairement tenu, à l'égard des tiers. de tous les engagements de la société auxquels il aurait participé en contravention à la prohibition de l'article précédent.

« Il est tenu solidairement à l'égard des tiers, même des engagements auxquels il n'aurait pas participé, s'il a habituellement géré les affaires la société. »

M. Thonissenµ. - Messieurs, dans le projet primitif du gouvernement, l'article 25 du projet que nous discutons était la reproduction pure et simple de l'article 28 du code de commerce de 1808, ainsi conçu :

« En cas de contravention à la prohibition mentionnée à l'article précédent, l'associé commanditaire est obligé solidairement, avec les associés en nom collectif, pour toutes les dettes et engagements de la société. »

Cet article avait donné lieu à une foule de controverses.

Les uns disaient que l'associé commanditaire, ayant posé un acte d'immixtion, devenait solidairement responsable avec les gérants, mais seulement pour les engagements qu'il avait lui-même contractés.

D'autres prétendaient que l'associé, dans l'hypothèse que je viens de poser, devenait solidairement responsable de tous les engagements quelconques contractés par la société.

Puis, parmi ces derniers il y avait même une sorte de subdivision d'opinion : les uns soutenaient que le commanditaire était tenu solidairement des engagements de la société, même de ceux contractés avant le jour où il avait posé l'immixtion ; les antres disaient, au contraire. qu'il était tenu seulement des engagements pris à partir du jour où il s’était immiscé dans la gestion des affaires sociales.

Ce n'est pas tout. Une cinquième controverse avait surgi sur le point de savoir si le commanditaire, payant des dettes sociales, avait son recours contre le gérant.

La rédaction proposée par le gouvernement à l'article 23 est infiniment meilleure que celle du Code de 1808. Il est visible que l'honorable ministre de la justice a voulu trancher des controverses.

Il les a probablement tranchées dans un sens que j'approuve, mais il ne les a pas toutes tranchées, et je crois dès lors devoir réclamer quelques explications.

Je voudrais savoir si, dans l'opinion du gouvernement, le paragraphe 2 de l'article emporte l'obligation de répondre solidairement des engagements contractés par la société, même avant le jour le commanditaire a commencé k se mêler habituellement de la gestion, ou bien si, comme je le suppose. cette obligation pèse seulement sur lui à raison des actes posés à partir du jour où il a commencé à poser les actes indiqués.

Il est évidemment nécessaire que l'on s'explique à cet égard.

Dans le premier paragraphe je trouve les mots : « à l'égard des tiers ».

Je demanderai à l'honorable ministre de la justice si, dans l'opinion du gouvernement, ces mots emportent la conséquence que l'associé sera tenu solidairement à l'égard des tiers, mais qu'il aura son recours contre les gérants à la gestion desquels il s'est associé ?

Voilà deux points importants. li me semble, je le répète, que le gouvernement ferait bien de s'expliquer pour éviter, à l'avenir, des controverses. .

MjBµ. - Quant à la deuxième question posée par l’honorable membre, je crois qu'il ne peut y avoir aucun doute. Si le gérant laissé le commanditaire intervenir dans l'administration de la société, il ne peut pas se prévaloir de cette intervention contre le commanditaire. Par conséquent, les rapports de la gérance et du commanditaire ne sont pas changés ; l'obligation n'existe que vis-à-vis des tiers, et c'est pour ce motif qu'on a introduit dans l'article les mots : « à l'égard des tiers ».

Quant à la première question, il me semble que si un associé se mêle habituellement de la gérance, il est responsable vis-à-vis des tiers comme les autres associés.

M. Thonissenµ. - Mais à partir de quand ?

MjBµ. - Il faudra voir quelle est la jurisprudence ; nous ne changeons rien à ce qui existe aujourd'hui ; nous ne stipulons rien quant aux engagements. Le code de commerce s'exprime ainsi :

« En cas de contravention à la prohibition mentionnée à l'article précédent, l'associé commanditaire est obligé solidairement avec les associés en nom collectif, pour toutes les dettes et engagements de la société. »

Eh bien, il en sera de même ; la jurisprudence décidera.

L'honorable membre croit qu'il faut restreindre le temps de la responsabilité ; je ne puis pas me prononcer maintenant à cet égard ; il ne faut pas aller au-delà de la pensée de l'article, qui n'a pas été de fixer l'époque.

Le gouvernement n'a voulu fixer que la nature des engagements vis-à-vis des tiers.

M. Thonissenµ. - Veuillez remarquer, messieurs, que cette question est excessivement grave.

L'article 28 du code de commerce était conçu en termes généraux ; il disait que, dès l'instant que le commanditaire posait un acte de gestion, il devenait solidairement responsable de toutes les dettes et de tous les engagements de la société.

Voilà un texte bien général, et cependant les tribunaux et les auteurs sont divisés sur le point de savoir à partir de quel moment et dans quelle mesure le commanditaire qui s'est immiscé dans la gestion de la société devient solidairement responsable.

J'ai soutenu qu'il serait par trop sévère de rendre le commanditaire, dans le cas prévu par le paragraphe 2, indéfiniment responsable de toutes les dettes, même de celles qui ont été contractées avant le jour où il est intervenu dans la gestion.

Une société existe depuis trente ans ; pendant vingt-cinq ans, un commanditaire n'a posé aucun acte de gestion ; il commence à en poser la vingt-sixième année. Je comprends qu'à partir de cette vingt-sixième année on lui applique le paragraphe 2 de l'article 23. Cette décision est rationnelle ; mais je ne puis concevoir qu'on le rende solidairement responsable des faits accomplis. posés pendant un quart de siècle, durant lequel il est resté complètement étranger à toute gestion sociale.

L'honorable ministre de la justice nous dit : Nous ne tranchons pas la controverse, nous laissons les choses telles qu'elles sont. Messieurs, il me semble que, dans une question aussi grave, nous devons nous efforcer de réaliser tous les progrès qui sont à notre portée, et ce n'est pas progresser que de laisser subsister des doutes qui embarrassent les jurisconsultes et les juges. Quand. pendant cinquante cas, on a eu des arrêts pour et des arrêts contre un système, des auteurs pour et des auteurs contre une doctrine, le législateur ne peut pas raisonnablement laisser les choses dans l'état où elles se trouvent. Il faut toujours s’efforcer d'améliorer la législation (page 441à existante, et une grande amélioration consiste â mettre un terme à des controverses, éteindre une multitude de procès.

Si le gouvernement n'est pas décidé sur le parti qu'il convient de prendre, nous pourrions renvoyer l'article à la commission : mais nous devons, en toute hypothèse, nous prononcer catégoriquement sur la difficulté que j'ai signalée.

Quant à moi, je le répète, la seule opinion qui me paraisse équitable en fait et juste en droit, c’est celle que j'ai eu l'honneur d'indiquer à la Chambre.

MiPµ. - Il est extrêmement difficile, messieurs, de répondre de but en blanc à toutes les questions qu'on peut soulever.

Je crois cependant que la solution indiquée par l'honorable M. Thonissen est extrêmement contestable. J'avoue qu'au premier abord j’étais entièrement de son avis et voici comment je raisonnais : je me disais : Le commanditaire intervient, à un moment donné. dans la société. Or, il est évident qu'il ne peut pas avoir inspiré confiance aux tiers quant aux dettes de la société contractées avant son immixtion et que par conséquent les créanciers ne peuvent pas l'actionner du chef des créances antérieures à sa gestion.

Mais je me permettrai de poser, à mon tour, une question à l'honorable M. Thonissen ; je lui demanderai ceci : lorsque, dans une société, par un changement aux statuts, un nouveau gérant est substitué à un autre ou ajouté à un autre, est-ce que ce nouveau gérant sera solidaire des dettes anciennes ?

M. Thonissenµ. - Ceci est une autre question.

MiPµ. - Je vois que l'honorable M. Thonissen n'cst pas très disposé à répondre à ma question.

M. Thonissenµ. - J'entends y réfléchir comme vous-même.

MiPµ. - Soit, mais pour le moment l'honorable M. Thonissen serait, paraît-il, assez embarrassé de me répondre.

M. Thonissenµ. - Provisoirement, oui.

MiPµ. - Eh bien, je m'abstiendrai aussi provisoirement, parce que je crois que la question que je viens de poser est exactement la même que celle que l'honorable M. Thonissen m'avait posée ; et je vais le démontrer.

Quand le commanditaire s'immisce, qu'est-ce qu’il fait ? Il fait, de son autorité, un changement aux statuts. (Interruption.)

M. Saincteletteµ. - Un acte isolé.

MiPµ. - Peu importe ; je dis que, par l'effet de la loi, il est incontestable que le commanditaire qui s'immisce, se convertit, lui commanditaire, en gérant. Voilà ce que dit la loi. Le commanditaire devient associé solidaire, c'est donc un nouveau gérant qui intervient.

Vous me demandez maintenant si ce nouveau gérant sera tenu des dettes anciennes comme commanditaire ou bien comme gérant.

Je réponds cela par cette autre question générale : Le nouveau gérant est-il tenu des dettes anciennes, oui ou non ? Si vous dites que, par cela seul qu'il serait gérant, il prend à sa charge toutes les dettes, je dis que le commanditaire est également tenu des dettes anciennes par le même fait de son immixtion. Si vous dites, au contraire, que le nouveau gérant n'est pas tenu des dettes anciennes et que sa solidarité n'existe que pour les dettes futures, je réponds que le commanditaire qui s'immisce n'est tenu que des dettes futures.

En résumé, dis l'honorable M. Thonissen : Répondez à ma question, je répondrai à la vôtre ; de votre solution dépendra la mienne.

Je pense, messieurs, que qu'il y aurait de mieux faire serait de voter provisoirement l'article et de prier la commission d'examiner de nouveau la question d'ici au second vote.

M. Jacobsµ. - J'appuie la demande de renvoi à la commission, pour qu'il soit fait de cette question un second examen.

Pour moi, messieurs, je ne trouve pas une assimilation complète entre l'adjonction régulière d'un nouveau gérant et le cas qui nous occupe. En général, la survenance d'un gérant constitue en quelque sorte une société nouvelle, et dès lors, en règle générale, il n'est pas tenu des dettes de l'ancienne société ; mais toujours dans ce cas-là, il interviendra un contrat qui précisera les obligations du nouveau gérant, qui dira s’il assume on non les charges anciennes de la société.

Dans le cas qui nous occupe, au contraire, il n'existera jamais de contrat ; il faut nécessairement que la loi décide ce qu'une convention n'aura pas décidé.

Il me paraît que l'opinion de l'honorable M. Thonissen doit prévaloir.

Le projet modifie complètement le système de l'ancien code. Celui-ci voulait que le commanditaire, dès qu'il s'immisce dans la gestion, fût-ce par un seul acte, assume la responsabilité de tous les engagements de la société.

Le projet, au contraire, admet en principe qu'on n'est responsable que des actes qu'on pose. Tel est le sens du premier paragraphe de l'article : mais lorsqu'on intervient habituellement, il n'est pas possible de distinguer entre les actes exceptionnels auxquels on reste étranger et la grande majorité des actes auxquels on participe.

C'est ce qui fait admettre la responsabilité de tous les actes indistinctement en cette période.

Tel est but du deuxième paragraphe. Mais on n'a pu vouloir dans ce paragraphe prendre le contre-pied absolu du premier, revenir à la responsabilité indéfinie, sans distinction d'époques.

Le commanditaire qui s'est immiscé habituellement dans la gestion doit être responsable à partir de son immixtion, mais non auparavant.

Voilà comment la question doit être résolue. Et il est certain qu'elle doit être résolue dans le cas qui nous occupe, tandis qu’il n'est pas indispensable de la résoudre dans le cas d'un nouveau gérant.

J'appuie le renvoi de l'article à la commission ; et j'engage la commission à adopter la solution indiquée par l'honorable Thonissen.

MjBµ. - Messieurs, je ne crois pas qu'il soit utile de renvoyer l'article à la commission. Cet article est très clair. Pour moi, l'associé commanditaire qui a géré habituellement les affaires de la société, s'est fait de commanditaire commandité ; c'est là ce qui est décidé par le code de commerce actuel.

Je comprends parfaitement la distinction faite ; On n'a pas voulu, lorsqu'un commanditaire gère dans une seule affaire, qu'il soit seul responsable de toutes les obligations de la société ; On a voulu limiter sa responsabilité dans ce cas ; mais lorsqu'un commanditaire vient s'immiscer habituellement dans les affaires de la société, il est impossible d'établir une différence quant au temps où il sera responsable. Ce serait une preuve extrêmement difficile à faire.

Messieurs, je crois que nous devons maintenir la responsabilité absolue de ceux qui s'immiscent dans les affaires de la société, comme cela existe dans le code de commerce en vigueur. Je le répète en terminant : il a rien de changé sous ce rapport.

M. Van Humbeeckµ. - Messieurs, si la Chambre croit devoir renvoyer l'article à la commission, celle-ci se fera un devoir de l'examiner de nouveau, pour répondre aux intentions de l'assemblée ; mais je crois devoir vous faire remarquer que la commission s'est déjà prononcée dans un sens contraire à celui du gouvernement, avec lequel cependant elle devait se croire d'accord.

Lorsque la dernière rédaction nous a été proposée, M. le ministre de l'intérieur, remplaçant à cette époque son collègue de la justice empêché, soumettait à la commission une note dans laquelle, à propos de la disposition relative à l’immixtion habituelle du commanditaire, se trouvait l'explication suivante :

« Si le commanditaire a pris la position d'un gérant habituel, sa situation devient tout autre ; la fréquence des actes posés par lui le signale aux tiers comme ayant attaché son crédit à l société, or, les tiers ne doivent pas être déçus, et le commanditaire qui a ainsi abdiqué sa qualité, doit subir les conséquences d'un fait qui peut influer sur tous les engagements sociaux.

Cela est parfaitement juste, mais seulement à partir du moment où commencé la gestion habituelle du commanditaire. Avant cela, les raisons données de la disposition par le gouvernement lui-même n'existent pas.

La commission a délibéré sur la proposition accompagnée du commentaire du gouvernement ; en l’examinant dans ces conditions, elle a cru voir dans la disposition proposée une satisfaction donnée à des idées déjà anciennes, à des idées exprimées par des tribunaux de commerce à l'époque de la discussion du code de 1808. Elle a pris en considération notamment les observations du tribunal de commerce du Havre, qui étaient conçues de la manière suivante :

« Qu'une maladie, une absence nécessaire de l'associé commandité, oblige le commanditaire à surveiller, à diriger même momentanément les intérêts sociaux. perdra-t-il par cela seul l'avantage attaché à sa qualité de commanditaire, de ne pouvoir être tenu que jusqu'à concurrence de sa mise et les dispositions de l’article 18 lui seront-elles applicables ?

« Cette rigueur nuirait à la formation de ces sortes de sociétés, parce qu'elle les rendrait trop dangereuses, en s'opposant à ce que celui qui aurait confié ses intérêts à ce titre, eût le droit de les surveiller. »

La commission, après avoir reproduit ces observations dans son rapport, dit :

« L'article nouveau fait droit à ces observations dans la mesure du possible. Il maintient le principe de la législation ancienne, en y apportant un tempérament conciliable avec l'intérêt des tiers et favorable à celui des associés. »

Dans l'esprit de la commission, l'article signifiait que l'immixtion accidentelle ne rend le commanditaire responsable que de l'acte auquel il a participé ; en cas d'immixtion habituelle, il est responsable de tous les engagements sociaux se rapportant à l'époque de cette immixtion, même s'il n'y a point participé, parce que les tiers ont pu voir dans le commanditaire un gérant et croire à sa responsabilité comme tel.

Ainsi compris, l'article était une innovation heureuse et ne paraissait pas présenter de dangers. Mais avec le commentaire que donne aujourd'hui M. le ministre de la justice, en réalité, l'article ne donne pas d'avantages nouveaux aux commanditaires qui se trouveraient, par exemple, dans le cas prévu par le tribunal de commerce du Havre.

Nous avons cru que, dans un tel cas, le commanditaire pouvait, sans compromettre pour toujours sa responsabilité, se mettre temporairement lui-même à la tête de ses intérêts jusqu'au moment où celui qui devait seul en être chargé dans une situation normale pourrait reprendre ses fonctions.

Le gouvernement trouve aujourd'hui que ce système présenterait des dangers ; qu'il y a impossibilité de diviser la gestion en périodes de responsabilités diverses. Je ne dis pas qu'il ait tort. Il est possible qu'il y ait là des difficultés pratiques. Mais alors ayons un texte précis qui ne fasse pas croire à une innovation ; restons même, au besoin, dans les termes du code de commerce qui du moins éclairent les commanditaires sur les dangers de leur situation, tandis que le texte nouveau leur fera croire une liberté qu'ils n'auront pas.

MjBµ. - On m'a accusé, dans une des séances précédentes, de vouloir tuer la commandite.

Je crois, messieurs, qu'on est en train, en ce moment, de faire ce travail sans ma participation.

Si vous stipulez dans la loi que les associés commanditaires vont pouvoir à tout moment intervenir dans les affaires de la société sans une responsabilité indéfinie, dans beaucoup de circonstances les commanditaires viendront demander de gérer les affaires. On fera des combinaisons de statuts telles, que toutes les opérations pourront se faire et que la gérance de la commandite n'existera plus que de nom.

M. Van Humbeeckµ. - Avec la responsabilité en plus.

MjBµ. - Oui, mais l'honorable M. Van Humbeeck va voir où mène son système.

Il a dit que le gouvernement avait présenté son amendement dans le sens qu'il lui a donné. C’est une erreur. J'ai les pièces qui ont servi de base à l'amendement. Cette question n'est nullement tranchée et le gouvernement a présenté son amendement uniquement pour établir la responsabilité lorsqu'on pose des actes habituels. Mais quant à la durée de la responsabilité, nous avons voulu rester sous l'empire du code actuel ; et la lettre de l'honorable ministre de l'intérieur ne dit absolument rien cet égard.

Que veut l'honorable Van Humbeeck ou plutôt le tribunal du Havre dont il a invoqué l'opinion ? Il veut qu'un commanditaire, lorsque le commandité est malade, vienne se mettre à sa place et en remplisse les fonctions. C'est très grave.

Vous ferez cela sans en prévenir les tiers, sans publication. Vous allez changer la gérance dans la commandite sans publication et allez permettre à un commanditaire, qui n'est pas même autorisé par les autres commanditaires, de venir, du consentement du gérant, gérer la société.

Je crois que c'est là un nouveau système et un système dangereux.

Mais l'honorable membre nous dit : Vous n'avez alors rien donné par votre article.

C'est une grave erreur ; nous donnons beaucoup. Le commanditaire qui avait posé un seul acte de gestion devenait responsable de tout. Voila ce qui était odieux et ce que nous n'avons pas voulu maintenir.

Prenez le système de l'honorable M. Van Humbeeck, que va-t-il arriver ?

Si le commanditaire pose un acte, dit le projet, il n'est responsable que des conséquences de l'acte qu'il a posé. Cela est facile à déterminer. Mais si l'on n'est responsable dans le cas où l'on intervient habituellement dans une gestion, que pour l'époque pendant laquelle on est intervenu, voyez la difficulté. Il faudra non seulement fixer l'époque où a commencé l'intervention, mais l'époque où elle a cessé. Une commandite a duré dix ans. Je ne suis intervenu que pendant la quatrième année. Serai-je ou ne serai-je pas responsable pour les six années qui suivront ? Mais ma gestion de la société pendant un an. mon immixtion dans la gérance de la société pendant un an, peut avoir des conséquences très graves sur les six autres années. Serai-je responsable des six années pendant lesquelles je suis pas intervenu ?

Je crois faut partir de ce principe qui est celui du code de commerce : le commanditaire ne peut pas gérer. C'est la base de la commandite. S’il gère, il change son caractère, il n'est plus un commanditaire, un simple bailleur de fonds. Dès lors il devient un véritable gérant et il doit avoir toute la responsabilité du gérant.

Voilà le principe. Ce principe est sûr ; il ne donne pas lieu à procès, tout le monde est informé des conséquences d'une intervention dans la gérance. On n'a pas à rechercher si cette intervention a commencé à telle ou telle époque. Dès que l'on intervient. on est responsable de tous les actes de la société. S'il en était autrement, il faudrait pouvoir faire ordonner, de la part des tiers, l'apport de toutes les pièces de la société. Sans cela, comment voulez-vous que les tiers connaissent la situation de la société à l'époque où a commencé cette intervention ? Cela est impossible. Je crois donc qu'il faut maintenir l'article tel qu'il est. Il est évident, quoi qu'on en dise, que nous n'avons pas voulu changer le principe du code de commerce quant à la question qui nous occupe.

Je demande en conséquence que la Chambre veuille bien voter l'article 23.

M. Delcourµ. - Messieurs, je dois reconnaître que j’avais entendu l'article 23 comme M. le ministre vient de l'expliquer.

Cet article prévoit deux cas :

Le paragraphe premier règle la responsabilité de l'associé commanditaire qui a fait un ou plusieurs actes de gestion en contravention à la prohibition décrétée par l'article 22.

Dans le paragraphe 2, on prévoit le cas où un associé commanditaire habituellement géré les affaires de la société.

La responsabilité du commanditaire n'est pas la même dans ces deux hypothèses.

L'article 28 du code de commerce est d'une sévérité déplacée. Il ne fait pas la distinction reproduite dans l'article 23 du projet, distinction cependant fondée en raison et en équité.

En effet. le code de commerce oblige l'associé commanditaire qui n'a fait, par exemple, qu'un seul acte de gestion, solidairement avec les associés en nom collectif, à toutes les dettes et engagements de la société.

C'est en ce point, messieurs, que le code de commerce montre une sévérité qui a été vivement critiquée par la doctrine.

Le projet de loi a tenu compte des critiques ; s'inspirant d'une loi française, il décide que le commanditaire n'est plus tenu indéfiniment, et à l'égard des tiers, de tous les engagements de la société ; il restreint son obligation aux engagements de la société auxquels il a participé.

Le projet de loi consacre un progrès. Il ne fait pas seulement cesse rune controverse, mais il établit une règle d'équité.

Dans le second cas, c'est-à-dire lorsque l'associé commanditaire a habituellement géré lés affaires de la société, il s'est posé, vis-à-vis des tiers, comme commandite et, dès lors, il doit être assujetti à la même responsabilité que celle qui pèse sur ce dernier.

Voilà, messieurs, comment j'ai compris l'article 23, et je manquerais à mon devoir si je ne faisais pas loyalement connaître ma conviction sous ce rapport.

MpMoreauµ. - On a proposé le renvoi de l'article à la commission.

MjBµ. - Je crois, messieurs, qu'il est parfaitement inutile de renvoyer l'article à la commission pour en obtenir l'interprétation. Sil y avait un amendement je comprendrais le renvoi, mais personne ne propose de modification, il s'agit uniquement de faire faire un commentaire et ce n'est pas là le rôle de la commission. Si l'on veut faire une proposition pour modifier l'article, je ne m'opposerai pas au renvoi de la commission, mais, moi, j'estime que l'article a le sens que Je lui ai donné.

M. Thonissenµ. - Messieurs, le doute ne sera certainement pas tranché. Nous ne sommes pas d'accord sur la véritable interprétation à donner (page 443) à l'article. Aussi, pour répondre au désir de l'honorable ministre de la justice, je proposerai l'amendement suivant :

« Cette responsabilité n'existera qu’à partir du jour où il s’est immiscé dans la gestion des affaires de la société. »

- La proposition de renvoyer l'article la commission est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

M. Carlierµ. - Je désire savoir. messieurs, si dans la pensée de l'honorable auteur de l'amendement, c'est le fait unique qui est le point de départ de la responsabilité ou s'il faut des faits habituels.

M. Thonissenµ. - Messieurs, mon amendement ne se rapporte qu'au deuxième paragraphe de l’article 23.

Dans le paragraphe premier, on prévoit un acte de gestion isolé ; dans le deuxième, on prévoit des actés habituels de gestion. Il est évident que mon amendement doit être mis en rapport avec ce dernier paragraphe.

M. Ortsµ. - L'honorable M. Thonissen ne répond pas d'une manière complète à la question da l'honorable M. Carlier.

Nous sommes tous d'accord, et l'honorable Carlier l'avait très bien compris, que le commanditaire ne devient responsable que lorsqu'il a posé habituellement des actes d'immixtion dans la gérance. C'est là la différence entre le projet annuel et le code ancien.

Mais ce que l'on demande à l'honorable M. Thonissen qui veut une responsabilité limitée, une responsabilité ne remontant pas au jour du contrat, mais commençant un jour quelconque, c'est de dire si c'est au premier fait de la série qui constitue l'habitude ou au dernier que remontera la responsabilité.

M. Thonissenµ. - Je vais répondre de la manière la plus claire et la plus nette.

Dans le deuxième paragraphe, on prévoit le cas du commanditaire qui se mêle habituellement de poser des actes de gérance. On le déclare solidairement responsable de tous les engagements consentis par la société.

Dans mon opinion, il ne doit devenir responsable que du jour où il fait le premier acte d'immixtion. je n'attends donc pas jusqu'au jour où l'habitude s'est établie.

Ainsi, en supposant qu'il ait posé vingt-cinq actes, il deviendra responsable à partir du premier ; mais je n'entends pas que la responsabilité remonte à une époque antérieure à celle où il posé le premier acte.

J'espère que l'honorable M. Orts est satisfait.

MjBµ. - Il faudrait une définition dans la loi si l'amendement de l'honorable M. Thonissen était admis.

Ainsi, l'escroquerie se compose de manœuvres frauduleuses, etc. Il faut qu'elle ait pour but de faire croire à un crédit chimérique et qu'elle ait pour résultat de faire donner de l'argent, Elle n'existe que lorsque le délit est accompli.

Or, votre fait habituel qui engage la responsabilité pour tous les actes de la société n'existera que lorsque plusieurs faits auront été accomplis.

C'est une question qui sera toujours à l'appréciation des tribunaux.

Si vous ne dites pas que c'est à partir du premier fait, il y aura matière à controverse.

Je ne crois pas, du reste, que l'amendement puisse être adopté ; car, s'il devait l'être, il faudrait une autre disposition pour dire que la responsabilité cesse si l'individu a cessé de prendre part à la gestion pendant un certain temps.

C’est la conséquence logique d'un pareil système.

Nous aurions donc des responsabilités limitées, les unes à un mois, d'autres à trois mois, d'autres à six mois et, en définitive, on ne pourrait jamais connaître la véritable situation de la société.

M. Thonissenµ. - Messieurs, un dernier mot.

Si la Chambre vote mon amendement, aucune difficulté ne pourra surgir en pratique sur la portée réelle des termes que j'ai employés.

Je prends pour base la rédaction du gouvernement et trouve le mot « habituellement ».

Qu'entend-on par cette expression ?

Vous savez comme moi, messieurs, que l'on a eu maintes fois à discuter cette question dans les matières pénales, à l'occasion des controverses soulevées au sujet des infractions qu'on appelle délits collectifs.

Il a été jugé souvent que deux faits ne suffisent pas ; mais que, dès l'instant qu'il y a un troisième, l'habitude commence.

Voici donc l'hypothèse où je me suis placé.

Le deuxième paragraphe atteint l'individu dès l’instant qu'il a habituellement géré.

A cet égard, nous sommes certainement d'accord. Quand un commanditaire a géré habituellement, il devient passible de toutes les conséquences qui résultent des dettes contractées par la société ; mais, dans mon système. il le sera seulement à partir du moment où il aura posé son premier acte de gestion. On n'aura donc qu'à examiner si le commanditaire s'est habituellement immiscé dans la gestion sociale. Dans l'affirmative, vous rechercherez le jour ou il a posé le premier acte, et à partir de ce jour, l'article lui sera applicable.

Je ne crois pas qu'il puisse y avoir au monde un amendement plus clair. On peut le rejeter, mais on ne peut pas lui reprocher d'être confus.

M. Thibautµ. - Je regrette que la Chambre n'ait pas prononcé le renvoi de l'article à la commission. (Interruption.)

On est encore plus loin de s'entendre que tantôt.

Quant à moi, je voudrais également avoir une explication sur le sens qu'il faut attribuer au mot « habituellement ».

Je suppose qu'un gérant devienne malade ou qu'il doive s'absenter pour des affaires personnelles. Est-ce qu'il ne pourra pas prier un commanditaire de le remplacer momentanément dans la gérance ? Et si un commanditaire le remplace, posera-t-il des actes habituels et allez-vous le rendre responsable ? Je trouve que ce serait exorbitant.

Je propose de nouveau le renvoi de l'article et de l'amendement commission.

- Voix nombreuses. - A demain !

MpMOreauµ. - M. Dumortier a fait parvenir au bureau l’amendement suivant à l'article 34 :

« Il est interdit à la société en commandite :

« 1° De racheter ses actions, à moins de modifications aux statuts publiés en conformité de la loi ;

« 2° De prêter aux actionnaires sur dépôt d' leurs actions au porteur.

« Il est interdit au gérant de faire les versements appelés sur les actions non libérées en ouvrant aux actionnaires un compte courant dont le débit est chargé de la valeur de ces versements. »

M. Dumortier demande que cet amendement soit imprimé et distribué. (Adhésion.)

M. Watteeuµ. - Je demande que la Chambre veuille bien également faire imprimer et distribuer l'amendement suivant :

« En cas d'empêchement accidentel et imprévu du commandité, l'un des commanditaires pourra pourvoir aux actes urgents et de simple administration, jusqu'à la désignation d'un nouveau commandité. Cette gérance ne pourra se prolonger au delà de trente jours, sans rendre responsable l'administrateur provisoire. »

- La séance est levée à cinq heures.