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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 10 février 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 445) M. Reynaert procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Vrintsµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les sieurs Ratinckx frères demandent l'abolition de l'impôt sur les affiches et la révision de la loi sur le timbre. »

- Renvoi la commission des pétitions.


« Des propriétaires à Spy demandent que l'ancien revenu du cadastre de cette commune existant avant la mise en vigueur de l'arrêté royal du 25 juillet 1867 serve de multiplicande pour fixer la valeur vénale de leurs biens-fonds. »

M. Lelièvreµ. - Cette pétition mérite un examen spécial. Elle a un caractère d'urgence. Je demande qu'elle soit renvoyée à la qui commission sera invitée à faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Van Hoorebeke demande :

« 1° Une réparation du chef de la séquestration dont il a été l'objet ;

« 2° Le remboursement de la somme qu'il a payée comme pensionnaire à l'hospice Guislain ;

« 3° Sa réintégration dans les droits civils et politiques ;

« 4° La restitution des sommes qui lui reviennent à quelque titre que ce soit ;

« 5° La remise en possession des objets qui ont été enlevés, notamment en 1866. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par dépêche du 8 février, M. le ministre de la justice transmet le rapport de M. le procureur général près la cour d'appel de Gand sur la question de droit que soulève la fausse signature de la pétition qui a été renvoyée à son département par décision de la Chambre du 26 novembre 1869. »

- Dépôt au bateau des renseignements.


« M. de Naeyer, retenu par une indisposition, demande un congé de huit jours. «

- Accordé.

Projet de loi révisant le code de commerce (titre III, livre premier : Des sociétés)

Discussion des articles

Section III. Des sociétés en commandite

Article 23

MpMoreauµ. - Nous sommes arrivés, hier, à la discussion de l'article 23.

M. Thonissen propose à la Chambre d'ajouter à cet article le paragraphe suivant :

« Cette responsabilité n'existera qu'à partir du jour où il s'est immiscé dans la gestion de la société. »

M. Watteeu avait également présenté à cet article un amendement qu'il a modifié aujourd'hui de la manière suivante :

« Si, par suite d'un empêchement accidentel, la société se trouve sans gérant investi du droit d'agir pour elle, le président du tribunal de commerce du siège social désignera, à la requête du commanditaire le plus diligent ou d'un tiers intéressé, un administrateur provisoire qui pourra pourvoir aux actes urgents et de simple administration jusqu'à la désignation d'un nouveau commandité. Cette gérance ne pourra se prolonger au delà de trente jours, sans rendre responsable l'administrateur provisoire. »

La parole est à M. Watteeu pour développer son amendement.

M. Watteeuµ. - Messieurs, l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer à la Chambre, hier, vient d'être modifié comme vous venez de l’entendre.

J'ai pensé, en effet, qu'il pourrait y avoir des inconvénients à permettre à l'un ou à l'autre des commanditaires de prendre de sa propre autorité la gérance, même momentanée, de la société.

J'ai donc modifié mon amendement dans le sens indiqué par M. le président.

Messieurs, les raisons qui me déterminent à proposer cet amendement au projet me paraissent d'un intérêt tellement palpable, tellement évident, que je crois que ce serait chose fort utile, et reconnue bien nécessaire, de combler une lacune constatée dans l'ancienne loi.

Dans notre pays, Il existe un grand nombre de commandite importantes. Les unes exploitent une branche industrielle, les autres se livrent des opérations commerciales, d'autres aux opérations de la navigation maritime, d'autres au commerce de banque. Eh bien, pour de ces industries ou de ces catégories commerciales, il ne me serait pas difficile de vous signaler une foule d'inconvénients qui peuvent résulter de la mort instantanée du gérant. En effet, quand dans un établissement industriel ou un établissement important de commerce constitué en société en commandite, il arrive que par un cas tout à fait imprévu, tout à fait fortuit, une mort subite, par exemple, cet établissement se trouve privé de la seule personne qui ait qualité, qui ait capacité pour agir, il peut du jour au lendemain se présenter des cas excessivement graves auxquels personne ne peut porter remède et qui cependant entraînent des pertes considérables, soit pour la soclété soit pour des tiers.

Je pourrais citer comme exemple : d'abord un établissement industriel chargé d'une commande importante de matériel de chemins de fer, de rails ou d'autres produits manufacturés, obligé de faire cette livraison à jour fixe. Pendant qu'on est à l'œuvre pour exécuter la commande, tout coup le gérant vient à mourir.

Il faut cependant continuer le travail qui est en cours d'exécution sous peine d’encourir les pertes les plus considérables.

Comment pourvoir à une pareille situation

Le moyen est fort simple : c'est de nommer un administrateur provisoire sur une requête présentée au président du tribunal de commerce, lequel administrateur, bien entendu, ne pourra se livrer à aucune opération nouvelle, mais pourra, tout au moins, pourvoir au plus pressé et achever ce qui est en cours d'exécution.

Un commerçant reçoit un navire d'un pays lointain. Le navire arrive au port, et constate que la marchandise a subi des avaries plus ou moins fortes, plus ou moins grosses. Là encore il s'agit de prendre une mesure immédiate, sous peine d'encourir un dommage, parce que le capitaine, s'il ne peut immédiatement décharger sa cargaison, a droit, de par la loi, à des jours de planche ou à des jours de surestarie.

Il en résulte encore une fois des pertes souvent élevées el, de plus, les dégâts occasionnés à la marchandise peuvent s'aggraver de jour en jour.

Or, qu'arrive-t-il en pareil cas, lorsqu’une société en commandite se trouve tout à coup privée de son chef ? Il faut réunir une assemblée d'actionnaires, chercher un nouveau gérant, et ce n'est pas toujours chose facile de trouver un gérant propre à être placé à la tête d'un établissement commercial ou industriel. Il s'écoule nécessairement un certain nombre de jours, et pendant ce délai les préjudices que la société subit grandissent chaque jour, vont constamment en augmentant.

(page 446) Je pourrais multiplier ces exemples, mais je crois que ceux que je viens de vous signaler suffisent pour faire comprendre tout à la fois l'utilité et la nécessité de l'amendement que j'ai l'honneur de proposer.

S'il était combattu, je croirais de mon devoir d'insister et de signaler beaucoup d'autres cas pour en démontrer l’utilité. Je borne là pour le moment les développements à l'appui de l'amendement que j’ai l'honneur de proposer à la Chambre.

- L'amendement est appuyé.

M. Lelièvreµ. - Je partage l'opinion de l'honorable M. Thonissen, en ce qu'il estime que le commanditaire ne peut être tenu des conséquences édictées par notre article qu'à dater de la gestion qu’il a eue des affaires sociales.

- Des membres. - Terminons d'abord avec l’amendement de M. Watteeuµ. -

MiPµ. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

Il y a une série d'amendements. Si nous allons les discuter tous à la fois, cela fera le plus agréable mélange qu'on puisse imaginer ; personne n'y comprendra absolument rien.

Il me paraît convenable de discuter successivement chaque amendement. On a commencé à discuter l'amendement de l’honorable M. Watteeu, on pourrait achever. (Adhésion.)

M. Lelièvreµ. - Cela est vrai. Je parlerai quand viendra l'amendement de l'honorable M. Thonissen.

MpMoreauµ. - Si la Chambre partage l’avis de M. le ministre de l'intérieur, nous continuerons la discussion de l'amendement de M. Watteeu.

La parole est à M. le ministre de la Justice.

MjBµ. - Je ne comprends pas très bien la portée de l'amendement de l'honorable M. Watteeu.

L'honorable membre demande que le président du tribunal de commerce soit autorisé à désigner un administrateur provisoire à la requête des commanditaires, dans le cas d'empêchement accidentel ou imprévu du gérant. Mais n'est-ce pas de droit ?

Le président du tribunal, jugeant en référé, n'a-t-il pas ce droit ? Il a même été décidé que le fait d'un actionnaire d'avoir concouru en cette qualité à faire rendre l'ordonnance de référé qui a nommé un gérant provisoire au lieu et place du gérant titulaire, ne constitue pas un acte d'immixtion réelle dans les affaires de la société.

A la rigueur, on pourrait invoquer, dans des cas semblables, la disposition de l'article du code civil.

L'amendement de l'honorable M. Watteeu n'a donc qu’un but : c'est de restreindre à trente jours les pouvoirs de l'administrateur provisoire. Cela peut être très dangereux. Il peut se faire que, dans l'espace de trente jours, on n'ait pu pourvoir à la nomination d'un nouveau gérant.

Je crois donc que le droit commun fournit les moyens de résoudre les difficultés auxquelles l'honorable M. Watteeu veut faire face par son amendement et qu'il n'y a aucun inconvénient à laisser les choses dans l'état elles se trouvent.

M. Watteeuµ. - Messieurs, toutes les questions qui ne trouvent leur solution que dans la jurisprudence sont, par cela même, des questions qui ont donné lieu à discussion ; car s'il n'y avait point eu de discussion, il n'y aurait point eu d'arrêts et la jurisprudence ne se compose que d'arrêts. Or, quand il est constant que la question a donné lieu à des débats judiciaires et quand on fait une loi nouvelle, n'est-il pas plus sage de consacrer par un texte de loi ce que la doctrine seule a introduit dans les usages et dont la controverse peut encore s'emparer ?

Remarquez bien, messieurs, que les dispositions nouvelles qui sont proposées relativement à la commandite sont beaucoup plus rigoureuses que la législation ancienne ; il faut donc éviter que, précisément à cause de cette rigueur, on ne vienne prétendre que la loi nouvelle ne doit pas tenir compte de la jurisprudence ancienne. Il faut écarter toute espèce de doute pour que désormais l'on sache d'une manière positive ce qu'il est permis de faire.

Maintenant l'honorable ministre de la justice, qui comprend l'utilité de la mesure, voit-il donc un si grand inconvénient à convertir en texte ce qui existe aujourd'hui d’après la jurisprudence ? (Interruption.) Ce n'est pas le cas da séquestre ; le séquestre n'est nommé que quand il y a contestation sur le point de savoir à qui revient la propriété ou la possession d'une chose à laquelle deux personnes prétendent droit.

Je me permettrai de faire une comparaison ; il s'agit de faire, en quelque sorte, pour la société qui vient inopinément de perdre son gérant, ce que l’on fait relativement à l’administration des biens d'un absent. Lorsqu'un individu est absent, qu'on n'a pas reçu de ses nouvelles depuis un temps déterminé, on ne veut pas laisser ses propriétés exposées à tous les dangers et l’on nomme un administrateur provisoire.

L'honorable ministre de la justice trouve que le délai de trente jours est trop court ; je ne tiens pas au délai, on peut le supprimer ; mais j’avais craint qu'une trop grande latitude à cet égard ne fît dégénérer l'e administrateur provisoire en gérant dissimulé, n’ayant point de responsabilité, car nous sommes d'accord sur le point essentiel, c'est que cette administration provisoire n'engage pas d'une manière indéfinie la responsabilité de l'administrateur.

Du reste, messieurs, il n'y a point de nécessité de prolonger trop longtemps l'administration provisoire ; elle engendrerait des inconvénients. On pourrait, le cas échéant, présenter une nouvelle requête au président, lui exposer la nécessité de prolonger la durée des pouvoirs de l'administrateur et le président pourrait, dans certains cas, accorder cette prolongation quinze jours ou trois semaines.

J’ai craint, messieurs, d'aller trop loin ; j'ai craint qu'on ne pût voir dans la mesure que je proposais le moyen d'échapper d'une manière détournée à la responsabilité des gérants ; mais, dans ma pensée, et je tiens à le déclarer, l'administrateur provisoire n'est point appelé à faire de nouvelles opérations ; il ne peut pas contracter à nouveau ; il ne peut, un mot, faire que ce qui est de pure administration.

Il y a des établissements industriels qui ont des fonds déposés à la Banque Nationale, qui ont des comptes courants chez des banquiers ou chez des négociants ; ils laissent ces fonds en dépôt jusqu'au moment ils en ont l’emploi, ils se trouvent devant des échéances qui vont se succéder, le gérant meurt ; il n'y a plus personne qui puisse même retirer les fonds qui appartiennent à la société. Dès lors la société est exposée à subir des protêts, à recevoir des atteintes dans son crédit et des dommages irréparables. Ces graves inconvénients seront évités par la mesure protectrice que je propose.

MjBµ. - L'amendement de M Watteeu est ainsi conçu :

« Si, par suite d'un empêchement accidentel et imprévu du commandité, la société se trouvait sans gérant investi du droit d'agir pour elle, etc. »

Il ne s'agit donc pas de la mort, il ne s'agit que du cas d'absence ou de maladie.

M. Watteeuµ. - Et du cas de mort.

MjBµ. - La mort n'est pas un empêchement accidentel, c'est une impossibilité.

La question que soulève de M. Watteeu est très grave. Que se passe-t-il lorsque la mort d'un gérant se produit ?

A moins de disposition contraire dans les statuts, la société est dissoute.

Lorsque le gérant meurt, la société est donc en état de dissolution, à moins que les statuts n'aient prévu le cas, et alors il faut suivre les statuts. Mais on ne peut pas déroger au droit commun. Si le gérant vient à mourir et que les statuts ne disent pas qu'en cas de mort du gérant, la société continue d'exister, la société est dissoute de plein droit et il faut procéder à sa liquidation dans la forme légale. Et si les statuts disent, au contraire, qu'en cas de mort du gérant, la société n'est pas dissoute, ils doivent prévoir ce qui doit arriver, et alors il faut suivre les statuts.

M. Jacquemynsµ. - Les statuts ne peuvent pas prévoir qu'un commanditaire prendra la place du commandité.

MjBµ. - Le second amendement de M. Watteeu ne dit pas cela ; le premier demandait que le commanditaire pût être le mandataire, l'employé du commandité.

Mais M. Watteeu ne demande plus cela aujourd'hui.

M. Jacquemynsµ. - Je préfère le premier.

M. Watteeuµ. - Vous vous trompez.

MjBµ. - Je vais vous lire votre amendement.

M. Watteeuµ. - Me permettez-vous une explication ?

MjBµ. - Volontiers.

M. Watteeuµ. - Je ne veut que rectifier l'interprétation que vous donnez à l’amendement que j'ai déposé hier. Je n’entendais pas que le commanditaire qui prenait momentanément la gestion fût le mandataire ou du commandité, puisque je prévoyais le cas où le mandat vient à cesser, car le mandat cesse par la mort du mandant, sinon il ne faudrait pas même cette précaution. En effet, si le commandité donnait un mandat et si ce mandat survivait à celui qui l'a donné, la mesure serait inutile. Mais il en est tout autrement.

Vous prévoyez le cas de mort. Dans beaucoup de contrats de société, il (page 447) est stipulé que la mort du commandité ne mettra pas fin à la société ; il faudra donc qu’on procède au choix d’un nouveau commandité. Tout cela demande du temps et c’est pour ce motif qu’il faut une mesure transitoire.

Pour liquider une société, il faut encore nommer des liquidateurs et il peut se faire que, du jour au lendemain, il y ait des actes importants à faire, actes qui ne sont susceptibles d’aucune espèce de retard et dont l'absence pourrait engendrer des dommages souvent irréparables. Eh bien, c’est à ce danger-là que je veux soustraire les sociétés, sans préjudice possible pour les tiers, pour sauvegarder les intérêts de tous ; car les créanciers sont eux-mêmes intéressés à la conservation de l'actif, qui répond de leurs créances.

MjBµ. - Vous allez voir, messieurs, que l'amendement de l'honorable membre, tel qu'il vient de l'expliquer, serait très dangereux. Il en résulterait, en effet, que, sur l'initiative d’un commanditaire, le premier venu pourrait remplacer provisoirement un gérant et faire des actes très importants et de nature à engager les intérêts de la société. Cela n'est évidemment pas possible.

Voici, messieurs, ce qui s'est passé. L'amendement que l'honorable membre a présenté hier était ainsi conçu :

« En cas d'empêchement accidentel et imprévu du commandité, l'un des commanditaires pourra pourvoir aux actes urgents et de simple administration. jusqu'à la désignation d'un nouveau commandité. »

Ainsi, il n’exposait pas sa responsabilité ; il se mettait à la place du commandité. Mais maintenant l'honorable membre demande tout simplement que, dans une situation déterminée, c'est-à-dire celle où le gérant est empêché de gérer, soit par suite de maladie, soit à cause de son état mental, soit même par suite de décès, on puisse, à la diligence d’un commanditaire, nommer un administrateur provisoire.

Eh bien. Je réponds à l'honorable membre que si le gérant est mort, il y a lieu à dissolution et que l'on doit observer les formes garantissantes de la dissolution.

Vous voulez que la gestion de la société puisse être confiée à un administrateur provisoire nommé à la requête d'un commanditaire.

Mais, messieurs, je le répète, ce serait là une faculté extrêmement dangereuse et qui pourrait engendrer parfois les plus graves abus. De deux choses l’une : ou le cas de l'impossibilité d'administrer pour le gérant sera prévu dans les statuts, et il n’y aura pas de difficulté, ou le cas ne sera pas prévu, et alors il faut s'en référer au droit commun.

M. Ortsµ. - Quand j'ai demandé la parole, je me proposais de présenter les observations que vient de faire M. le ministre de la justice, en réponse à l'honorable M. Watteeu. Pour moi, en règle générale, la mort du gérant entraîne et doit entraîner la dissolution de la société.

La société en commandite repose sur un contrat par lequel le commanditaire se lie avec un cocontractant, principalement sinon exclusivement en raison de la confiance qu'il a dans la personne du gérant.

J'apporte mon argent dans la société, parce que je crois que la personne qui s'est mise à sa tête est une personne honorable et capable, méritant toute confiance, puisqu'elle expose sa fortune et son honneur aux chances de la faillite et de la contrainte par corps.

Et si, à la mort de cette personne dont l'honorabilité m'a déterminé à lui confier mes capitaux, une majorité d'intéressés avec moi veut m'imposer un autre gérant, cette majorité modifie évidemment les conditions essentielles du contrat qui me lie.

Ainsi, messieurs, en règle générale, la mort du gérant entraîne la dissolution de la société et s'il y a dissolution, l'amendement est inutile. Tout commanditaire peut, sans compromettre sa position, liquider sa situation, l'arrêter ; il ne peut pas gérer la société comme administrateur provisoire, à défaut du gérant.

De plus, le droit commun est là. Partout où des intérêts en souffrance exigent une solution urgente, immédiate, le président du tribunal de première instance peut statuer en état de référé et il le fait lorsqu'il en est requis au cas prévu par l’honorable M. Watteeu.

Je vais citer un exemple ; il m'est personnel. Je l'emprunte à ma pratique d'avocat.

Un des journaux les plus importants de la capitale était exploité financièrement par une société en commandite. Le gérant de la société, pour des raisons étrangères à des considérations financières, n'inspirait plus confiance à la société.

Le conseil de surveillance, qui avait le pouvoir de le révoquer, le révoque ; mais ce conseil n’avait pas le droit de nommer un nouveau gérant. Le journal était donc exposé d'heure en heure à ne pas paraître.

Qu'a-t-on fait ? On s'est adressé au président du tribunal de première instance. Ce magistrat a désigné immédiatement un administrateur provisoire ; comme le disait fort bien M. le ministre de la justice, une sorte de séquestre, non pas, comme le suppose l'honorable M. Watteeu, en vertu de cette disposition spéciale du code civil, mais en vertu de cette disposition générale et prudente du code de procédure qui, partout où il y urgence, donne pouvoir de prendre une décision provisoire au président du tribunal de première instance, statuant en référé.

On suppose maintenant d'autres cas d'empêchement, on suppose qu'un gérant tombe malade. Le gérant, s’il est un homme prudent en affaires, doit avoir prévu ce cas et réglé les affaires sociales comme chacun règle les siennes. Il a le droit de déléguer sa gestion à un mandataire, un tiers sous sa responsabilité.

Que maintenant il s’agisse d'une aliénation mentale, le gérant ainsi frappé ne peut plus remplir ses fonctions, il meurt moralement et la cessation de son existence intellectuelle produit les mêmes conséquences que la cessation de l'existence physique, une dissolution. Or, au cas de société qui se dissout, vous avez des dispositions parfaitement organisées pour parer à toute éventualité.

Je pense, en résumé, que l'amendement présenté par l'honorable M. Watteeu, non seulement n'est pas nécessaire, mais je le crois dangereux.

M. Watteeuµ. - Messieurs, mon amendement n'a pas eu le mérite d'être compris, ni par M. le ministre la justice, ni par l'honorable M. Orts.

L'honorable ministre dit d'abord que le cas que j'ai prévu peut également se présenter pour les sociétés qui ne continuent pas à la mort du commandité.

Sans doute, il peut arriver de deux choses l'une : ou les statuts sont silencieux et, dans ce cas, la mort du gérant emporte nécessairement la dissolution de la société ; ou les statuts pourront dire que la société ne sera pas dissoute et qu'il sera pourvu à la nomination d'un nouveau commandité.

Dans ce cas, l'objection présentée par l'honorable M. Orts disparaît nécessairement, car on ne peut plus dire alors qu'on impose aux actionnaires une disposition à laquelle ils se sont soumis.

Je n'admets pas non plus, et c'est le motif qui m'a engagé à modifier mon amendement, je n'admets pas non plus qu'un homme qui n'inspire pas confiance puisse prendre les rênes d'une société en commandite, et c'est pour éviter ce danger que je propose, au lieu de permettre au premier commanditaire venu de s'emparer de la gestion, de confier la désignation de l'administrateur provisoire à la prudence et au discernement du président du tribunal de commerce.

Or, vous ne pouvez pas supposer que le chef d'un corps judiciaire, un président, ira mettre la tête d'un établissement une personne qui ne lui paraîtrait pas digne de la confiance de tous à tous les points de vue.

L'honorable ministre de la justice disait encore que si la mort du gérant arrive subitement dans une société où l'on n'a pas prévu son remplacement, il y a lieu liquidation.

Sans doute, mais il faut un certain temps pour choisir des liquidateurs. comme il faut un certain temps pour choisir un commandité. Eh bien, dans l'intervalle qui s'écoulera, les inconvénients que j'ai signalés tantôt se présenteront dans toute leur force.

Maintenant l'honorable Orts pense qu'on peut y obvier à l'aide d'une instance en référé. Il donne au président du tribunal civil un pouvoir omnipotent. Je pense, messieurs, que ni le code de procédure, ni aucune autre disposition de notre législation ne donne à un président quelconque un droit aussi étendu que le suppose l'honorable M. Orts.

Mais, admettons pour un instant que, dans une société qui se trouve tout à coup sans administrateur parce qu'elle a perdu son gérant, quelques-uns des intéressés de cette société s'adressent au président du tribunal civil, exposent la position difficile et délicate dans laquelle la société se trouve et que le président désigne un administrateur provisoire.

Pense-t-il, l'honorable M. Orts, que si cet administrateur se présentait à la Banque Nationale pour retirer un capital plus ou moins important qui appartiendrait à cette société et dont il ne pourrait être disposé que contre la signature du gérant, pense-t-il que, dans de pareilles conditions, la Banque Nationale s'en dessaisirait sans crainte d'engager sa responsabilité ? C'est au moins fort douteux.

(page 448) D'ailleurs, l’ordonnance du président peut être réformée en degré d'appel.

- Un membre. - L'ordonnance est exécutoire nonobstant appel.

M. Watteeuµ. - L’ordonnance est exécutoire nonobstant appel. Cela est vrai, mais elle peut être réformée.

Or, celui qui est dépositaire de fonds appartenant à autrui ne s'en dessaisira pas, si ce n'est à bon escient. Vous vous trouverez donc encore une fois devant des difficultés auxquelles il serait si simple et si facile de mettre un terme.

Tous les périls qu'on signalait tout à l'heure sur le choix de cet administrateur disparaissent complètement en raison même de la personne à qui le choix de cet administrateur provisoire sera dévolu par la loi.

MiPµ. - Messieurs, je ne veux faire qu'une seule observation :

Votre attention est ici uniquement appelée sur la société en commandite. Mais la situation indiquée par l'honorable M. Watteeu en matière d'affaires commerciales se présente fort souvent dans d'autres cas.

Cette situation n'a absolument rien de spécial aux sociétés en commandite ; elle peut se présenter notamment dans les sociétés en nom collectif. Le gérant d’une société en nom collectif peut, en effet, être incapable ou disparaître exactement comme le gérant d'une société en commandite. La disposition proposée pour cette dernière société devrait donc être appliquée aussi à la société en nom collectif.

La même situation, d'ailleurs, peut se présenter aussi dans les affaires purement personnelles.

M. Watteeuµ. - Il y a trois mois pour faire l'inventaire et délibérer.

MiPµ. - Le délai pour faire inventaire n'a aucune espèce de rapport avec la situation d'une maison de banque ou celle d'une fabrique.

Je crois, en un mot, qu'il n'y a pas lieu d'insérer dans notre législation une disposition de ce genre pour la société en commandite. alors qu'elle n'existe pas pour les autres sociétés et pour les affaires personnelles.

MpMoreauµ. - Si personne ne demande plus la parole sur l'amendement de M. Watteeu, je donnerai la parole à M. Lelièvre sur l'amendement de M. Thonissen.

- Des membres. - Votons !

MjBµ. - On peut décider par motion d'ordre qu'on votera successivement sur chaque amendement.

L'amendement de l'honorable M. Thonissen est dans un tout autre ordre d'idées que l'amendement de l'honorable M. Watteeu. C'est une autre discussion.

MpMoreauµ. - La Chambre entend-elle se prononcer sur l'amendement de M. Watteeu, avant d'aborder l'examen d'un autre amendement ? (Oui ! oui !)

- L'amendement de M. Watteeu est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

MpMoreauµ. - La discussion continue sur l'articlc 23 et l’amendement de M. Thonissen.

M. Lelièvreµ. - Je disais tout à l'heure que l'amendement de M. Thonissen recevait mon assentiment, en tant qu'il ne fait peser sur le commanditaire les conséquences prévues par notre article qu'à dater de la gestion qu'il a eue des affaires sociales.

Je pense toutefois que cette obligation ne doit courir qu'à dater du jour où il a géré les affaires sociales.

En effet, la pénalité ne doit exister qu'à dater de l'infraction. Or, l'infraction n'existe que dans le cas où il y a eu gestion habituelle.

Lorsqu'un seul acte de gestion a été fait, le commanditaire pas changé sa position primitive. Il n'a pas enfreint le contrat, il ne doit pas, dès lors, avoir la pénalité.

Quant au principe de la proposition de M. Thonissen, je m'y rallie complètement. En effet, voyons les motifs de la disposition pénale dont nous nous occupons.

Le commanditaire est frappé d'une pénalité vis-à-vis des tiers, parce qu’il a induit ceux-ci en erreur par sa gestion habituelle.

Les tiers ont donc dû, à raison de ces actes de gestion, le considérer comme leur débiteur ce sa qualité d'associé solidaire. Mais, évidemment, ces motifs ne s'appliquent qu'à l'état de choses postérieur à l'infraction.

Quant aux faits antérieurs, les tiers n'ont pas été induits en erreur. Ils ont connu la position du commanditaire ; il est donc juste que celui-là conserve, à leur égard, la position qu'il avait lorsque la dette sociale a été contractée. Il est impossible qu'une infraction postérieure, qui ne peut nuire qu'aux créanciers à venir, donne aux créanciers antérieurs un droit nouveau que rien ne justifie.

L’infraction est étrangère à ces créanciers et ne peut avoir la moindre influence sur leur créance. Dès lors, cette créance doit rester ce qu'elle était auparavant, et comme elle ne pouvait atteindre le commanditaire, celui-ci ne peut en être touché par un fait dont les créanciers subséquents peuvent seuls avoir à se plaindre.

Il me paraît absolument trop rigoureux de changer la position du commanditaire vis-à-vis des créanciers auxquels l'infraction n’a pu porter préjudice. Il est donc impossible que cette contravention rejaillisse sur des actes antérieurs qui ont conservé la nature qu'ils avaient auparavant et vienne changer la position que le commanditaire a eue au moment de la dette envers les créanciers.

Les créanciers antérieurs, lorsque l'obligation a été contractée, ont su qu'ils n'avaient aucune action contre le commanditaire. Ils n'ont pas dû considérer celui-là comme leur débiteur. Dès lors, ils ne peuvent avoir action contre lui par suite de faits postérieurs qui leur sont étrangers et ne peuvent les concerner.

C'est l'état choses existant lors du contrat, lors de la création de la dette, qu'il faut envisager, parce que c'est à ce moment que naissent les obligations et les droits respectifs. « Servabitur quod ab initio convenit. »

Telles sont les considérations qui me portent à voter le principe de l'amendement de M. Thonissen.

M. de Brouckereµ. - Messieurs, je n'ai pris jusqu'ici aucune part à la discussion qui a occupé la Chambre depuis quelques jours et qui a eu particulièrement pour objet les sociétés en commandite. Ce que je vais dire ne prolongera guère la discussion ; car je ne veux que motiver d'une manière générale et très catégorique les votes que j'ai émis et ceux que j'émettrai encore relativement à ce genre de sociétés.

Selon moi, la société en commandite par actions est la moins bonne des sociétés, celle qui présente le plus de dangers. Pourquoi ? Parce que le gérant y est maître absolu, parce qu'il est la société incarnée.

Vous venez d'entendre les embarras de la société lorsque le gérant vient à mourir, s'il malade, s'il tombe en démence. Ce sont là des cas exceptionnels, je le reconnais. Mais, dans les circonstances ordinaires, je le répète, le directeur-gérant est maître absolu.

Il y a, dit-on, un conseil de surveillance. Oui, mais, en supposant que ce conseil surveille réellement, ce qui n'est pas toujours le cas, si ce conseil découvre des abus, il n'y peut rien ; il les signale au gérant, il lui fait des observations, des représentations ; le directeur-gérant dédaignera et les observations et les représentations et persévérera dans la voie il est entré. Que s'il y persiste et que le conseil de surveillance revienne à la charge, sa position reste la même ; le gérant peut toujours mettre le conseil au défi d'ordonner ou de défendre quelque chose, car dans ce cas le conseil s'immiscerait dans la gestion et deviendrait responsable.

Mais, reprend-on, le conseil de surveillance a toujours un moyen souverain de mettre un terme à tous les abus ; il les signale à l'assemblée générale. Malheureusement, messieurs, les conseils de surveillance se décident très difficilement à signaler des abus à l'assemblée générale. Le conseil de surveillance craint de jeter la zizanie parmi les actionnaires ; il craint un coup de tête du gérant, qui est l'âme de la société, il a peur de déprécier les actions, de diminuer le crédit de la société et il garde le silence.

Voilà, messieurs, ce qui se passe le plus souvent, et les abus continuent d'exister.

Je n'ai pas voulu présenter de disposition plus ou moins radicale, mais j'avoue que j'aurais bien désiré que le gouvernement eût combiné son projet de telle manière qu'il eût établi, pour la société en commandite, les mêmes règles que celles qui sont établies pour la société anonyme.

Cela n'étant pas, comment ai-je voté et comment continuerai-je à voter ? J'ai voté et je continuerai à voter pour toute disposition me paraissant rendre la société en commandite par actions moins attrayante pour les capitalistes et les rentiers.

Ainsi, j'ai voté en faveur de la disposition qui tendait à rendre l'actionnaire responsable des dividendes qui lui avaient été payés et qui n'étaient pas pris sur les bénéfices.

Je voterai pour tous les amendements ayant pour objet de rendre aussi difficile que possible la transmission des actions des sociétés en commandite.

Je gênerai les actionnaires autant que je le pourrai, et cela dans leur intérêt et dans l'intérêt public.

Je voterai pour les dispositions qui donneront au conseil de surveillance le plus d'influence possible, ne pouvant lui donner ni autorité, ni droit de décision, et le moins de responsabilité possible, parce que si nous parvenions à créer, à côté du directeur-gérant, un comité de surveillance ayant une influence réelle et n'ayant pas toujours à redouter la (page 449) responsabilité qui pèsera sur lui, peut-être le conseil de surveillance parviendrait-il à balancer jusqu’à un certain point l’autorité absolue et dangereuse, selon moi, du directeur gérant.

MiPµ. - L’honorable M. de Brouckere n'a appliqué les observations qu'il vient de faire qu’aux commandites par actions, mais il est incontestable que, par leur nature même, ces observations s'appliquent à toute espèce de commandite.

M. de Brouckere a démontré que, dans la commandite par actions, tout dépendait du gérant, que celui-ci est le maître à près absolu et que s'il commet des fautes, ces fautes seront à peu près irréparables attendu que l'on ne pourra contraindre le gérant à entrer dans une voie meilleure.

Or, ce fail est également vrai pour la société en commandite simple. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que, si l'autorité accordée au gérant en cette matière offre des inconvénients. il y a, dans la nature même de la commandite, une compensation à cet état de choses.

Je reconnais que tant vaut le gérant, tant vaut la commandite : que le gérant est l'âme de l'affaire ; qu’un bon gérant fera une bonne société ; qu'un mauvais gérant en fera une mauvaise.

Mais cela est vrai pour toute espèce de commandites et pour beaucoup d'autres choses encore.

Les hommes auront toujours en tout le rôle principal.

Si la commandite présente l'inconvénient d'un gérant dont les pouvoirs sont fort étendus, elle offre pour compensation la responsabilité considérable qui pèse sur la tête de ce même gérant.

Je reconnais que, dans la société anonyme, il existe une action plus forte dans le conseil d'administration, dans le conseil de surveillance et dans l'assemblée générale, mais à côté de cet avantage, la société anonyme présente cet inconvénient : que le directeur, au lieu de gérer ses propres affaires, gère les affaires des autres et y apporte, par suite, beaucoup moins de soins, d'activité, de vigueur que le gérant n'en apporte dans la commandite.

II y a donc dans les deux formes de société des avantages et des inconvénients. La société en commandite offre l’avantage et l'inconvénient que la personnalité du gérant se reflète dans toutes les affaires. La société anonyme a 1'inconvénient contraire d'administrateurs trop dégagés des intérêts. sociaux.

S'il fallait. comme le voudrait l'honorable M. de Brouckere, gêner la marche des sociétés en commandite par actions, il faudrait gêner également celle des autres commandites. Quant à moi, j'estime qu'il faut gêner le moins possible et laisser les parties choisir aussi librement que possible leur mode d'association.

M. de Brouckere tire de ses prémisses, que je viens de contester en partie, la conséquence qu'il faut donner au conseil de surveillance le moins de responsabilité possible.

Ici je suis obligé de faire encore une distinction. Si M. de Brouckere veut que l'on donne peu de responsabilité au conseil, quand celui-ci exerce sa surveillance, je suis d'accord avec l'honorable membre, mais s'il entend décharger complètement le conseil de surveillance de sa responsabilité pour absence de surveillance, je ne suis plus de son avis. Je veux, au contraire, imposer une responsabilité au conseil pour son absence de surveillance. Mais je ne veux pas lui imposer une responsabilité illimitée pour avoir surveillé la gestion. A cet égard, nous avons introduit dans le texte de la loi une disposition nouvelle qui donne toute garantie.

J'entends, en un mot, que le conseil de surveillance surveille efficacement sans crainte de responsabilité et qu'il soit responsable s'il ne l’a pas fait.

La Chambre reconnaîtra, au surplus, qu’il existe dans la société commandite diverses espèces. Certaines commandites ont des actions au porteur ; d'autres commandites n'ont pas d'actions du tout. Ces deux espèces de commandites sont ce que j'appellerai des extrêmes. Entre deux se placent les commandites avec des actions nominatives.

Qu'est-ce, en effet, qu'une commandite en actions nominatives ? C'est la commandite simple avec une facilité un peu plus grande de cession quant à l'émission des actions.

Au lieu d'une cession faite par acte sous seing privé, avec signification par huissier, il y a cession faite par inscription sur les titres de la société. Voilà tout.

La différence n'est pas bien grande.

C’est parce qu’un commandite avant actions nominatives se rapproche de la commandite simple que le projet de loi dispose que, quant à cette commandite, aucune disposition spéciale ne lui sera appliquée.

Quant aux autres commandites, quant aux grandes commandites qui contiennent l’action au porteur, nous proposons d’y appliquer toutes les garanties des sociétés anonymes. Cette dernière disposition doit donner toute satisfaction à l’honorable M. de Brouckere, parce qu’elle réalise pour ces grandes sociétés ce qu’il avait pour but d’obtenir en présentant ses observations.

M. de Brouckereµ. - Je désire expliquer à la Chambre pourquoi je fais une différence entre la société en commandite par actions et la société en commandite qui se crée de telle manière qu'il y a trois, quatre, cinq commanditaires et un commandité. Dans cette dernière société, les commanditaires savent parfaitement ce qu'ils font, ils ont complètement étudié l'affaire, ils la connaissait aussi bien que les commandités ; tandis que, dans la société en commandite par actions, les actionnaires sont attirés par l'appât de grands bénéfices, et ils prennent des actions bien souvent sans connaître le genre d'affaires auxquelles ils s'associent ni même celui qui doit diriger la société.

J'ai dit qu'il y a une très grande différence entre ces deux espèces de société en commandite. Que me répond M. le ministre de l'intérieur ? Que la société en commandite présente des inconvénients ; mais qu'elle offre aussi cet avantage que le directeur d'une société en commandite doit, dans son propre intérêt, s'y dévouer entièrement. Le directeur d'une société anonyme, dit-il, peut la diriger sans se préoccuper de sa prospérité, attendu qu'il touche ses appointements et que la société ne l'intéresse pas autrement. Mais l'honorable M. Pirmez sait aussi bien que moi qu'il y a un moyen bien simple de parer à cet inconvénient ; ce moyen, qu'on emploie généralement, consiste à attribuer au directeur une part dans les bénéfices et à diminuer d'autant ses appointements. De cette manière, le directeur-gérant d'une société anonyme, qui n'est pas maître dans la société, qui est subordonné au conseil d'administration, a intérêt à bien diriger la société.

En parlant de la responsabilité qui doit, selon M. le ministre de l'intérieur, peser sur le conseil de surveillance d’une société en commandite, il a surtout insisté sur la responsabilité qui incombe à ce conseil s'il ne surveille pas bien.

Je voudrais bien que M. le ministre de l'intérieur nous indiquât comment doit s'y prendre un conseil dit de surveillance pour surveiller d’une manière efficace.

Il n'a rien à dire ; il n’a pas le droit de commander aux employés : il ne peut leur donner aucun ordre, leur faire aucune défense.

Le conseil de surveillance peut délibérer, émettre des avis, sauf à voir ses avis dédaignés par le directeur.

Eh bien, je dis que cette surveillance est tout à fait insuffisante et inefficace.

Jamais M. le ministre de l'intérieur n'a dit une plus grande vérité que quand il a exprimé cette pensée que si le directeur d'une société en commandite est bon, s'il réunit toutes les qualités, s'il est parfait en un mot, la société sera bien administrée.

Cela est vrai ; mais combien y a-t-il d'hommes dont on puisse faire un semblable éloge sans exagération, qui ne doivent être ni surveillés, contredits dans certaines occasions, ni rencontrer jamais d'opposition ? Ces personnes-là sont extrêmement rares.

Les hommes ont généralement besoin d'être conseillés, et quelquefois de recevoir des ordres et des défenses. C'est là la règle générale.

Mais les hommes comme ceux dont a parlé M. le ministre de l'intérieur, pour les sociétés en commandite, se trouvent très difficilement.

C'est pour cela que tant de sociétés en commandite, créées dans ces derniers temps, non seulement dans tel ou tel pays déterminé, mais partout ont chaviré.

MpMoreauµ. - M. Lelièvre propose de sous-amender l’amendement de M. Thonissen, en ce sens qu'il y ajoute le mot « habituellement ».

M. Ortsµ. - Messieurs, je crois que l'amendement de l’honorable Thonissen ne peut être admis, même avec le correctif que vient de proposer l'honorable M. Lelièvre.

Je crois, au contraire, qu’il faut maintenir le principe de la législation actuelle,

Il faut maintenir, à l’égard de l’associé commissionnaire qui s'immisce dans la gérance, la pénalité consistant à le rendre responsable du passé social et de l'avenir.

Il le faut, messieurs, parce que la loi actuelle qui remonte à 1808 a toujours été appliquée et expliquée dans ce sens ; et qu'à ma connaissance, on n'a pas formulé depuis lors une objection sérieuse contre l'opinion unanime des tribunaux et de la doctrine. Durant soixante années de pratique, jamais on ne s'est plaint ni dans le monde judiciaire, ni dans le monde des affaires, de l'exorbitance de cette pénalité.

(page 450) Il y a, messieurs, de plus une raison pratique pour que le principe de la législation actuelle soit maintenu : elle nous est donnée par un des écrivains du droit les plus estimés. qui s'est plus particulièrement occupé des questions commerciales, par un homme qui s'est illustré non seulement dans le monde juridique, mais dans le monde politique ; je veux parler de M. Troplong. Voici sa raison pratique : Il est presque impossible de discerner le moment précis où commence la responsabilité du commanditaire immiscé à la gérance ; de séparer exactement le passé et l'avenir.

De plus, qu'est-ce, en définitive, que cette responsabilité ? C’est une peine ; et pourquoi ? Pour réprimer un fait dangereux pour l’intérêt public, dangereux aussi pour l'intérêt des sociétaires : l'immixtion, dans la gestion de la société, de personnes qui n'ont pas droit de gérer.

Plus cette peine sera grave, plus la menace sera terrible pour l'associé commanditaire qui, malgré les prescriptions de la loi, s'est immiscé indument dans la gestion de la société ; plus vous aurez de garanties que la loi sera fidèlement observée, mieux votre but sera atteint.

Enfin, messieurs, il n'est pas exact de dire, avec l'honorable M. Lelièvre, que les créanciers antérieurs à l'ingérence illégale du commanditaire sont complètement en dehors des atteintes préjudiciables de ce fait.

Je vais poser deux hypothèses. Elles démontreront rapidement que l'honorable M. Lelièvre s'est trompé en affirmant l'absence d'intérêt des créanciers antérieurs.

Je me suppose créancier d'une société en commandite dont les associés solidairement responsables m'inspirent, à un moment donné, une assez mince confiance, je pourrais retirer mon argent.

Mais je vois intervenir un nouvel associé qui devient indéfiniment responsable parce qu'il s'immisce dans les affaires sociales. Comme, à la différence des autres, ce nouveau venu, à raison de sa solvabilité plus grande, m’inspire de la confiance, au lieu de reprendre mon argent, je le laisse dans les affaires de la société.

Est-ce que dans ces circonstances le fait d’immixtion m'est indifférent ? Evidemment non. Il motive la continuation de mon crédit.

Je suppose maintenant l'inverse. Je suis créancier toujours d'une société. Je suis son banquier et je lui ai ouvert un crédit considérable que je n'ai pas droit de retirer encore.

Arrive un fait d'immixtion.

Un associé nouveau vient se mêler indûment des affaires de la société. Moi, créancier, je ne puis l’en empêcher. Je subis sa présence.

Cependant, cette immixtion d'un homme malhabile quoique honnête compromet les affaires de la commandite. Elle est fatale à la société. Elle amène sa chute. Et vous direz que c'est un fait complètement indifférent pour moi, parce que ma créance est antérieure an fait d'immixtion !

L'immixtion m'enlève précisément ma créance.

A moins de dire qu'il est permis au commanditaire dc se transformer en commandité quand bon lui semblera, ce qui n'est la pensée d'aucun de nous, vous devez, messieurs, maintenir la pénalité telle que l'établissait le code de 1808, telle que l’a appliquée, sans réclamation, une pratique plus que semi-séculaire.

- L'amendement est appuyé.

M. Thonissenµ. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur m'a dit, hier, que j'avais soulevé une question entièrement imprévue.

A cet égard, l'honorable ministre s'est complètement trompé. La question est si peu imprévue, que tous ceux qui ont traité la matière des sociétés, depuis cinquante ans, en ont parlé.

Il y a plus : chez nous, dans la capitale même, la question a été examinée, on ne peut plus clairement, dans le Journal de Bruxelles, dès le 10 septembre 1866, par un homme on peut plus compétent, M. le professeur Torné.

Du reste, puisque cette question se trouve discutée dans la doctrine et dans la jurisprudence, mon amendement aura, dans tous les cas, pour résultat d'amener une décision.

L'honorable ministre de l'intérieur m'a adressé, hier, une demande au sujet de laquelle j'ai demandé à réfléchir. J’ai réfléchi, et je vais commencer par dire mon opinion. sauf à prouver ensuite à l'honorable ministre que cette question n'est pas précisément identique à celle que j'ai posée au gouvernement.

Il m'a dit : Un nouveau gérant survient et prend part à l'administration de la société. Est-il responsable. à votre avis, même des dettes contractées par la société avant l’entrée en fonctions de ce nouveau gérant ?

Je réponds que, si le nouveau gérant, avant d'entrer en fonctions, fait constater la situation exacte de la société, il ne sera, sous aucun rapport, responsable du passé.

MiPµ. - Et s’il ne le fait pas ?

M. Thonissenµ. - Alors il pourra y avoir certaines difficultés. Mais encore, même dans ce cas, s'il est possible de constater exactement la position de la société au moment de son entrée en fonctions, il ne sera responsable que des actes ultérieurs.

M. Mullerµ. - La société est dissoute.

M. Thonissenµ. - Elle ne sera pas toujours dissoute.

Supposons qu'il y ait trois gérants et que l'un d'eux meure. On nommera, en se conformant aux statuts de la société, un nouveau gérant, en remplacement de celui qui est décédé.

M. Mulleµ. - Avec publication d'extraits.

M. Thonissenµ. - On devra nécessairement suivre les formalités prescrites, mais l'être moral continuera à subsister :lec nouveau gérant viendra prendre la place du défunt.

La question faite par l'honorable ministre de l'intérieur n'est pas absolument la même que celle que j'ai posée.

Le paragraphe 2 de l’article 23 établit une véritable pénalité ; tandis que, lorsqu'un nouveau gérant remplace un gérant décédé ou démissionnaire, il fait un acte parfaitement régulier ; il entre dans une administration en se conformant aux lois sur la matière, et sa conduite, irréprochable à tous égards, devra être appréciée selon les règles ordinaires.

Il ne faut pas oublier que le paragraphe 2 de l'article 23 prévoit le cas d'une immixtion illicite, accomplie en dehors des règles ordinaires applicables aux sociétés en commandite. C'est pour ce cas que la loi stipule une pénalité, et la loi a raison. Mais je me demande si l'équité exige, si le droit réclame que cette pénalité s’applique aux actes antérieurs à l'immixtion ?

Je crois, messieurs, que l'on satisfait à ce qu'exigent l'équité et les principes du droit en déclarant que l'acte d'immixtion n'entraînera la responsabilité solidaire que pour les actes qui appartiennent à l'avenir.

L'honorable Orts reconnaît qu'il s’agit ici d'une pénalité, établie comme conséquence d'un fait plus ou moins illicite.

Or, de quoi doit-on répondre quand un fait se trouve frappé d'une pénalité ? Evidemment, on ne doit répondre que des conséquences de ce fait. S’il produit des résultats fâcheux, on en sera responsable ; Sil n’en produit pas, on n’encourra aucune responsabilité. On ne doit pas être recherché à raison d'actes accomplis avant le jour où le fait a été commis.

Voilà mon système.

L'honorable M. Orts m'oppose un argument mis en avant par M. Troplong, qui consiste à dire qu'il est difficile de constater exactement l'état des affaires sociales au moment où commencera cette nouvelle responsabilité.

Rien au monde, messieurs, n'est plus simple. Supposons que l'immixtion ait lieu le 1er janvier 1870. Un créancier se présente et réclame la garantie solidaire du nouveau commandité. Celui-ci demandera la date de la créance. Si elle est antérieure au 1er janvier 1870, il ne sera pas responsable, tandis qu'il le sera dans le cas contraire.

Mais, dit l'honorable M. Orts, et ici il a raison, l'avenir peut réagir sur le passé ; et il cite l'exemple d'un banquier qui a ouvert un crédit à la société et qui, par de l'immixtion et des imprudences d'un gérant, subit des pertes auxquelles il ne devait pas s'attendre.

Ce cas, messieurs, ne rentre pas dans l'espèce que nous discutons. Dans l'hypothèse où se place M. Orts, l'application du droit commun suffit. Le banquier invoquera simplement l'article 1382 du code civil suivant lequel tout homme qui cause à autrui un dommage contracte, par cela même, l’obligation de réparer le préjudice causé.

D'ailleurs, si mon système est admis, les banquiers connaîtront exactement la position des sociétés en commandite. En leur ouvrant un crédit, ils sauront à quoi ils s'exposent.

En résumé, messieurs, je ne comprends pas que, lorsqu'on parle de pénalités, on fasse remonter ces pénalités plus haut qu'au jour où l'acte illicite a été commis. Il me semble qu'au point de vue du droit, on ne doit ici répondre que de l'avenir.

L'honorable M. Lelièvre a sous-amendé ma proposition. Je crois devoir me rallier à ce sous-amendement.

Hier, j’ai eu un doute. Voici l'hypothèse qui s’était présentée à mon esprit.

Un homme pose indûment un acte isolé d'immixtion. Il n'est responsable que de cet acte. Dix ans après, cet homme commence à s'immiscer habituellement dans la gestion. D'après mon amendement, on devrait faire remonter la responsabilité jusqu’au premier acte accompli dix ans auparavant.

Cette conséquence, je le reconnais, était trop rigoureuse. Je me rallie donc à l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, et je demande que le commanditaire ne devienne solidairement responsable qu’à partir du jour ou l’on peut dire qu'il y a immixtion habituelle.

MjBµ. - Il y a une objection à laquelle vous avez oublié de répondre : c'est pour le cas où le commanditaire cesserait de gérer. Il serait nécessaire d'avoir une explication complète.

M. Thonissenµ. - Voici ma réponse ; elle est facile à donner.

J’ai cité tout à l'heure l'opinion donnée par Dalloz dans un résumé de jurisprudence que M. le ministre a sous les yeux ; et j'ai dit que, lorsqu'un nouveau gérant, au moment de son entrée en fonctions, fait constater l'état de la société, il n'est responsable que pour le passé. Voici maintenant l'autre hypothèse. Il y a un gérant qui se retire et ce gérant est remplacé par un autre qui fait constater la situation sociale. Eh bien, si le premier s'est retiré d'une manière conforme aux statuts, je déciderai qu'il n'est plus responsable à partir du jour de sa retraite. Mais s'il se retire en violation des statuts, c'est-à-dire sans droit, il devra répondre des conséquences ultérieures qui se présenteront.

MjBµ. - Il ne s'agit pas du gérant ; il s'agit d'un commanditaire qui pose des actes habituels de gestion.

M. Thonissenµ. - De ce commanditaire qui vient s'immiscer habituellement dans les affaires sociales, je fais un véritable commandité à partir du jour il gère habituellement.

MjBµ. - Pour toutes les opérations ?

M. Thonissenµ. - Pour toutes les opérations ; et cela par une raison excessivement simple.

Il vient s'associer à la gestion de la société ; il est, par conséquent, responsable comme ceux à qui il vient s'associer. Cela me semble clair comme le jour.

MjBµ. - La réponse de l'honorable M. Thonissen prouve combien son système est peu juste.

D'où fait-il dériver la responsabilité ? De ce qu'un particulier qui traite avec un commanditaire qui s'immisce dans les affaires sociales, a crû avoir affaire au commanditaire comme gérant. Or, je lui suppose le cas d'une existence de dix années d'une société en commandite. Un commanditaire gère habituellement dans la quatrième année ; mais à partir de cette année, il est constaté qu'il n’a plus géré. L’honorable M. Thonissen le rend responsable pour les six années suivantes. Il ne le rend pas responsable pour les trois premières mais il le rend responsable pour les six années suivantes. Je demande où est la justice cette thèse.

M. Thonissenµ. - Il n’y a aucune inconséquence. Je demande la parole.

MjBµ. - Mais votre principe est celui-ci : c'est parce qu'on a cru avoir affaire à un commandité que l’on doit avoir la responsabilité de ce commanditaire. Eh bien, je dis qu'après la quatrième année, il n'est plus dans les affaires. Il est en Amérique, il ne peut donc plus s'immiscer dans les affaires de la société. Vous le rendez néanmoins responsable pendant six ans encore alors qu'on savait qu'il ne gérait plus.

Si votre principe était juste, vous devriez admettre que cette responsabilité cesse.

Mais la thèse de l’honorable membre n'est pas admissible, parce qu'elle est contraire à l'esprit de la société en commandite. Dans la société en commandite, le commanditaire ne doit pas pouvoir se mêler des affaires sociales.

Pourquoi a-t-on introduit ce principe ? C'est parce qu'il fut un temps où, dans la commandite, les commanditaires étaient les véritables gérants de l'affaire, et ils mettaient à la tête de leurs affaires un domestique, un homme insolvable,. un homme de paille. De cette manière, les commanditaires étaient gérants et n'avaient aucune responsabilité. On a voulu mettre un terme à cet abus.

Vous allez maintenant permettre à des commanditaires de gérer un mois, deux mois, trois mois, quatre mois, selon qu'ils le voudront, et il n'y aura pas de responsabilité sérieuse pour eux. Vous bouleversez ainsi toutes les règles de la commandite. Si vous voulez avoir un changement de gérance, observez les formalités prescrites par le code de commerce, et publiez l’acte de changement ; mais ne prenez pas subrepticement un nouveau gérant, qui ne se rend responsable que pour un temps déterminé.

Mais il est un autre argument auquel l’honorable membre n'a certainement pas répondu. C’est l’impossibilité absolue de de constater l'état de la société à la date du commencement de l’immixtion.

Qu'arrive-t-il quand on change de gérant ? Ou bien la société cesse, pas de difficulté ; ou bien la société continue et on fait un inventaire.

Mais prétendez-vous qu'un va faire des inventaires pour chaque immixtion ? Evidemment non ; vous serez alors dans l’impossibilité d’établir quelle sera la situation de la société au moment où le commanditaire est intervenu.

Troplong l’a très bien dit : La responsabilité doit être pour tous les actes la société, avant et après l’immixtion.

Qu'est-ce que la commandite vis-à-vis des tiers ? C’est l'obligation pour le commanditaire de ne pas intervenir dans la société. Quand le commandité traite avec les tiers, j'ai la certitude que le commanditaire ne doit pas intervenir. Ce commanditaire qui intervient dans les opérations de la société peut être très inexpérimenté ; il ne m’a pas fait, dit-on, de tort pour la créance qui est antérieure ; c'est une erreur absolue. S'il y avait 100,000 francs d'actif et que par son inexpérience il a fait disparaître ces 100,000 francs, il m’a causé un préjudice très grave, et vous voulez prétendre qu'il ne me devra rien !

Cela est évidemment contraire à tous les principes de la justice et de la moralité.

On dit au commanditaire : Si vous ne voulez pas avoir de responsabilité, n'intervenez pas dans la société ; si vous intervenez, prenez la responsabilité entière.

En résumé, l'amendement a pour conséquence de mettre sur la même ligne les gens de bonne foi et les gens de mauvaise foi. Je crois donc qu'il ne peut pas être admis.

M. Thonissenµ. - Je trouve, messieurs, que la réponse que j’ai donné tout à l’heure à l’honorable ministre de la justice n'a absolument rien d'inconséquent ; je pense, au contraire, que cette réponse est la conséquence directe et rationnelle de mon système. Si l'immixtion du commanditaire est accidentelle, il est responsable de l'acte isolé qu'il a posé ; si, au contraire il a géré habituellement, il devient responsable de toutes les dettes de la société.

Voilà la pénalité. Je la lui applique pour l'avenir et, à l’avance, je lui dis, par la loi même, que, dès l'instant qu’il s’immiscera d’une manière illégale dans la festion de la société et qu’il le fera habituellement, il deviendra responsable vis-à-vis des tiers de toutes les conséquences qui pourront se présenter dans l’avenir.

Où donc est le principe de droit blessé ? où est l’équité méconnue.

Remarquez bien, messieurs, qu’il est question, encore une fois, d’une véritable pénalité et que, dans mon opinion, le commanditaire qui abandonne sa position légale doit être déclaré responsable de tout ce qui va suivre, de toutes les conséquence éventuelle et possible de son acte.

Mais, messieurs, ce que je ne veux pas, c’est qu’on fasse rétroagir cette pénalité en étendant ses effets sur le passé.

Une société existe depuis vingt-cinq ans. La vingt-sixième année, j’interviens dans les opérations de la société. Iriez-vous me rendre responsable de tout ce qui s’est passé pendant le quart de siècle qui a précédé mon immixtion dans les opérations de la société ?

Comme l’a très bien dit l’honorable M. Lelièvre, les tiers qui ont traité avec la société avant l’immixtion du commanditaire n’ont pu compter sur les garanties de payement que leur présente ce dernier.

Il est de principe que les pénalités ne rétroagissent pas. Or, si vous dites à un commanditaire qui aura fait, en 1870, par exemple, un ou plusieurs actes d'immixtion : « Vous serez responsable de tout ce qui s'est fait depuis trente ou quarante ans » ; si vous lui tenez ce langage, vous blessez évidemment le principe de non-rétroactivité.

Pour l'avenir, faites ce que vous voulez, le commanditaire sera averti ; mais, pour le passé, vous ne pouvez pas le rendre responsable sans blesser les règles essentielles du droit moderne.

Le commanditaire dont nous nous occupons participe aux actes qui appartiennent au domaine de l'avenir ; il n'a point participé aux actes qui appartiennent au passé.

M. Rossiusµ. - C'est l'avenir qui compromet le passé.

M. Thonissenµ. - Ceci est une autre question. J'ai déjà dit que, aux termes de l’article 1382 civil, celui qui cause un dommage à autrui de le réparer. Qu'on ait agi comme commanditaire ou en toute autre qualité, on est toujours responsable du dommage que l'on a causé. Vous n'avez qu’à appliquer, dans ce cas, les règles du droit commun.

On a dit que je n'ai pas répondu à l'argument de Troplong. (Interruption.)

Mais, messieurs, il ne s'agit pas d’invoquer les auteurs qui ont écrit sous le régime du code de commerce. Vous vous placez au point de vue de l’ancien code, tandis que je demande qu’on fasse une loi nouvelle ; vous ne pouvez donc pas m’opposer les auteurs qui ont écrit sous l’empire de la législation précédente.

Au surplus, en ce qui concerne l’argument de Troplong qu’on m’a opposé, voici ce que M. le ministre de la justice a formulé dans les termes (page 452) suivants : « Devra-t-on faire tous les jours un bilan ?3 M. le ministre oublie une chose essentielle, c’est qu’il s'agit des tiers. en d'autres termes, des créanciers qui prétendent que l’un des commanditaires est devenu leur débiteur solidaire. On n’a qu'à dire à ces tiers : Indiquez la date de votre créance. On verra ensuite si, à cette date, il y avait ou non immixtion dans la gestion sociale.

Je ne m'étendrai pas davantage.

M. Lelièvreµ. - M. le ministre de la justice demande quand finira l'obligation du commanditaire qui s'est livré à la gestion habituelle de la société. La réponse est facile. Le commanditaire, devenu par des actes de gestion associé solidaire vis-à-vis des tiers, perd sa qualité de commanditaire vis-à-vis de ces tiers ; il est désormais un associé solidairement responsable et tenu, comme tel, des obligations sociales.

Or, cette obligation une fois née reste perpétuelle et reste jusqu’à la fin de la société.

Il y a vis-à-vis des tiers un véritable qualité qui engendre une obligation perpétuelle pour l'avenir.

Mais cette question n’a rien de commun avec celle qui nous occupe et qui consiste dans l'examen de savoir quelle est l'étendue de l'obligation au moment elle a été contractée, si elle s'étend au passé ou bien ne comprend que l'avenir.

Cette question a été suffisamment éludée et des développements ultérieurs me semblent inutiles.

M. Delcourµ. - Messieurs, jr ne veux pas intervenir dans le débat, si ce n'est pour mettre sous les yeux de la Chambre un document qui a une haute valeur.

Personne de vous n'ignore, messieurs, que les articles 27 et 28 du code de commerce, dont nous nous occupons en ce moment, ont été modifiés en France par une loi des 3-6 mai 1863. L'exposé des motifs de cette loi est un document remarquable ; la loi française n’est pas conforme en tous points aux propositions qui nous sont faites, quoique la commission y ait puisé quelques-uns des principes sur lesquels nous devons nous prononcer.

Cet, exposé des motifs est dû à la plume d'un jurisconsulte de premier ordre, de M. Duvergier.

Vous le trouverez dans le recueil de Sirey.

Il établit que le gouvernement français a fait une étude sérieuse de la question. Si la Chambre me le permet, je lui donnerai lecture de la partie de ce document qui touche à ce point spécial. C'est la seule réponse que je propose de faire à l'honorable M. Lelièvre.

« Donnera-t-on, sous ce rapport, satisfaction à tous les intérêts en déclarant que la responsabilité du commanditaire qui s’est immiscé dans la gestion s'étendra à tous les engagements qui auront pris naissance postérieurement à l'immixtion ?

« Quels sont, en effet, les tiers qui peuvent se plaindre justement de l'erreur dans laquelle le public a été induit par la conduite imprudente ou frauduleuse du commanditaire ?

« Ce ne sont évidemment que ceux qui ont contracté avec la société depuis le moment où l'erreur a pu s'accréditer, c'est-à-dire depuis les actes d'immixtion dans lesquels l'erreur a pris naissance. »

C'est bien là le motif de l'auteur de l'amendement.

Je lis la réponse :

« La règle ainsi formulée ne serait point cependant aussi satisfaisante qu'elle semble l'être au premier aperçu.

« D'une part, elle conserverait encore ce caractère inflexible qu’on veut faire disparaître de l'article 28. Tout créancier de la société postérieur aux actes d'immixtion pourrait, sans avoir égard au nombre, à la gravité, aux conséquences de ces actes. en faire résulter la responsabilité du commanditaire. Celui-ci serait compromis par un acte isolé, insignifiant, aussi bien que par une série de faits, d'engagements évidemment constitutifs de la gérance la mieux qualifié.

« D'un autre côté, il ne serait pas toujours juste de refuser à des créanciers antérieurs aux actes d'immixtion le droit de faire déclarer responsable le commanditaire. Si ces actes ont nui à la société, si le commanditaire, en s'immisçant, a dissipé tout ou partie de l'actif social, sans doute les créanciers antérieurs ne peuvent point soutenir que c'est avec la confiance qu'il serait tenu envers eux comme gérant, qu'ils ont contracté ; mais ils sont autorisés à dire que, par son fait, l'actif social qui était le gage de leurs créances a disparu, et que, par conséquent, sa responsabilité est engagée.

« Ainsi ce ne serait pas donner à la loi nouvelle une base équitable et juridique, que de distinguer entre les créanciers antérieurs et les créanciers postérieurs aux actes d’immixtion et de refuser absolument aux premiers l'action solidaire contre le commanditaire pour l’accorder aux seconds sans réserve et sans limite. »

Cette lecture prouve, messieurs, que la question n’est pas neuve, et qu’en France, dans ces derniers temps, on a repoussé le système des amendements.

M. Thonissenµ. - L’honorable membre a parlé d’une loi de 1863.

Mais il existe en France une loi plus récente, portant la date du 24 juillet 1867.

Je voudrais savoir de l’honorable membre si les règles posées en 1863 ont été maintenues en 1867.

M. Delcourµ. - La loi de 1867 n’a pas touché à la loi de 1863, qui, comme j’ai eu l’honneur de le dire, a modifié les articles 27 et 28 du code de commerce.

Le gouvernement français a fait étudier les changements à apporter à ces dispositions avec le plus grand soin, et l’exposé des motifs ne laisse point de doute à cet égard.

L’honorable M. Duvergier a rencontré la doctrine que l’on veut vous faire décréter. Il a fait voir qu’on ne peut distinguer entre les créanciers antérieurs et les créanciers postérieurs.

C'était la seule chose que je tenais à faire ressortir.

MpMoreauµ. - Je mets d'abord aux voix l’article 23 ; viendront ensuite les amendements.

- L'article 23 est adopté.

MpMoreauµ. - L'amendement de M. Thonissen est ainsi conçu :

« Cette responsabilité n'existera qu'à partir du jour où il s'est immiscé habituellement dans la gestion de la société. »

- Cet amendement est mis aux voix, il n'est pas adopté.•

Article 24

« Art. 24. Le capital des sociétés en commandite ne peut être divisé en actions, qu'à la condition que ces actions restent nominatives, et que le transport s'effectue conformément aux dispositions de l'article 35. »

MpMoreauµ. - A cet article se rattachent divers amendements : d'abord, celui de M. le ministre de la justice, qui est ainsi conçu :

« Le capital des sociétés en commandite peut être divisé en actions nominatives ; le transfert s’en effectue conformément à l'article 35.

« Il peut être aussi divisé en actions au porteur ; les règles prescrites pour les sociétés anonymes, quant à la constitution de la société, aux actions, au conseil de surveillance, aux inventaires et aux bilans, aux assemblées générales tenues pour l'approbation des bilans et aux publications qui les suivent, sont applicables aux commandites par actions au porteur. »

M. Dupont propose d'ajouter après les mots : « publications qui les suivent », les mots : « et aux dispositions pénales. »

L’amendement de MM. Moncheur et Reynaert est ainsi conçu :

« Les souscripteurs d'actions sont responsables du payement du montant total des actions par eux souscrites.

« Toutefois, les statuts pourront établie que les actions nominatives, après libération de moitié au moins, pourront être transférées à des tiers avec dégagement des souscripteurs primitifs quant au restant à verser.

« Ce dégagement n'aura lieu que si le transfert a été effectué conformément à l'article 35 ; si les cessionnaires ont été agréés comme tels par la gérance dans l'acte de transfert ; si trois années se sont écoulées depuis la date de ce dernier acte, et si enfin les noms des cessionnaires ont été inscrits à la suite du premier bilan qui aura été dressé après le transfert. »

M. Reynaert propose l'article additionnel suivant à cette disposition :

« La clause des statuts autorisant le transfert sera insérée dans l'extrait mentionné à l'article 8 et inscrite sur toutes les pièces émanant de la société. »

A cet article, se rattache également l'amendement de M. Dumortier qui a été indiqué par erreur comme s'appliquant à l'article 34 et qui est ainsi conçu :

« Il est interdit la société en commandite :

« 1° De racheter ses actions, à moins de modifications aux statuts publiés en conformité de la loi ;

« 2° De prêter aux actionnaires sur dépôt de leurs actions au porteur.

« Il est interdit au gérant de faire les versements appelés sur les actions non libérées en ouvrant aux actionnaires un compte courant dont le débit est chargé de la valeur de ces versements. »

M. Dumortierµ. - Messieurs, vous avez compris, à la simple lecture qui vient d'en être faite, la portée de l'amendement que j’ai déposé à la séance d'hier. Il a pour but de porter remède à des abus très graves qui se commettent en matière de sociétés en commandites et même de sociétés anonymes.

(page 153) Les deux premiers paragraphes de mon amendement ont un but unique : c’est d’empêcher que, par des moyens que j’appellerai frauduleux, on ne diminue le capital social. Le capital social, c’est la responsabilité réelle vis-à-vis des associés ; réduire ce capital social, c’est diminuer la responsabilité réelle. Or, deux moyens très faciles se présentent de réduire ce capital social. Le premier consiste dans le rachat des actions à l'aide du capital ; le second dans le prêt aux actionnaires sur dépôt de leurs actions dans la société.

Il est évident qu’une telle opération a pour conséquence une réduction de capital ; c'est-à-dire une modification du contrat en vertu duquel j'ai confié mon argent à la société. D'après l'amendement que j'ai l'honneur de proposer, chacun saura dans quelles conditions il pourra traiter dans l'avenir, attendu que tout rachat d'actions est interdit à moins de modifications aux statuts et que le prêt un actionnaire sur dépôt d'actions de la société est aussi une réduction du capital social.

La troisième disposition a pour objet d’interdire au gérant de faire les versements appelés sur les actions non libérées en ouvrant aux actionnaires un compte courant dont le débet est chargé de la valeur de ces versements. Vous savez, messieurs, que c'est là un des procédés employés dans certaines sociétés.

Ainsi, je mets cent mille francs dans une société ; mais au lieu de les verser en argent, j’obtiens du gérant qu’il m’ouvre un compte courant de cent mille francs, où il fait figurer les versements appelés sur les actions non libérées.

Il est évident que cette opération a aussi pour de diminuer le capital social et de prêter à la fraude ; c'est donc un abus auquel il importe de porter remède et c’est à quoi tend la partie finale de mon amendement. Quand une action n'est pas entièrement libérée, on ne peut opérer de la sorte sans aboutir à une réduction du capital social, c'est-à-dire sans commettre un véritable abus.

En matière de société, je suis partisan de la plus grande liberté, mais à la condition qu'on empêche les moyens frauduleux. Les affaires commerciales ne vivent que par la liberté ; ce n'est que sous le régime de la liberté qu'elles peuvent prendre tout leur essor ; mais, d'un autre coté, notre devoir est d'empêcher désormais les abus que nous avons vus se commettre. C'est le but de l'amendement que j’ai eu l'honneur de présenter. (Interruption.) Vous en ferez un article spécial, si vous voulez.

MjBµ. - On pourrait placer l'article plus loin.

M. Dumortierµ. - Je ferai à cet égard ce que le gouvernement demandera ; si on en fait un article spécial, on devrait l'étendre aux sociétés anonymes, comme aux sociétés en commandite ; en effet, les mêmes abus peuvent se rencontrer dans les sociétés anonymes, ainsi que dans les sociétés en commandite.

Il conviendrait, dans ce cas, d'en faire l'objet d'une rubrique spéciale, qui viendrait à la suite des deux titres en discussion, et qui serait intitulée : « Dispositions relatives aux sociétés anonymes et aux sociétés en commandite. »

- L'amendement de M. Dumortier est appuyé.

MpMoreauµ. - Il vient de parvenir au bureau un nouvel amendement ou plutôt un article nouveau présenté par M. Orts, et qui est ainsi conçu :

« Les associés solidaires de la commandite ne peuvent être actionnaires. »

M. Ortsµ. - Messieurs, l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau se rattache au même ordre d'idées repris dans le premier amendement développé par l'honorable M. Dumortier. Je veux empêcher que, dans la commandite, le gérant, sous prétexte de faciliter la constitution de la société, ne diminue les garanties que la société doit offrir au public. Pour atteindre ce but, je demande qu'il soit interdit aux associés solidaires de la commandite d'être en même temps souscripteurs d'actions. Voici pourquoi :

La garantie que la société en commandite doit offrir aux tiers qui contractent avec elle se compose de deux éléments : 1° la fortune complète, absolue, la solvabilité entière des associés solidaires, plus 2° un capital déterminé à fournir par d'autres et qui consistera en actions ; le public compte et a droit de compter, dans une pareille société, sur deux garants, toute la fortune du gérant, d'une part ; un capital en dehors de cette fortune, représenté par des actions.

Si maintenant le gérant qui donne au public comme garantie toute sa fortune, en distrait une partie pour souscrire des actions, jusqu'à concurrence de 100,000 flancs par exemple, un capital annoncé de 500,000 francs actions, il est évident qu’il diminue la garantie des tiers d’une somme de 100,000 francs et que le capital de 500,000 francs est réduit à 400,000 francs. (Interruption.)

Je heurte, je le sais, des idées et des pratiques usuelles. Mais, c’est parce que j’ai vu de près un grand nombre de fraudes, ayant abouti à un grand nombre de ruines, se commettre par le moyen que je demande à la Chambre de condamner ; c'est pour cela, dis-je, que j’ai présenté mon amendement.

Des individus se présentent, ils inspirent personnellement peu de confiance au public ; mais ils disent dans les statuts : Nous constitutions une société en commandite entre nous et ceux qui prendront 500.000 francs d'actions ; la société ne sera constituée que quand on aura pris 250.000 francs de ces mêmes actions. Le publie se dit : Au pis aller, la société vaudra 250.000 francs, et lui mesure son crédit sur cette base. Mais les gérants déclarent ensuite que les 250,000 francs, voire même les 500,000 francs d'actions sont souscrits par eux-mêmes et que la société est constituée. Qu'a le public. pour garantie ? Les gérants et rien que les gérants ; juste ce qu'il aurait si la société n'avait pas d'actionnaires.

Le capital pris ailleurs que dans la caisse des gérants n'existe pas. (Interruption)

Il faut bien, me dit-on, qu'un commandité soit associé.

C'est là une vérité indiscutable et que je ne méconnais pas. Que voulez-vous dire ?

Voulez-vous dire par là qu'on doit stipuler dans le contrat que sa fortune personnelle, l'ensemble de ses ressources, constitue le tiers, le quart, la moitié du capital de la société et les actions les reste ? Rien n'est p'us facile, mais il est non moins évident que, parce qu'il faut une proportion entre la part du commandité et la part du commanditaire dans la société, pour régler le partage des pertes et des bénéfices, il ne faut pas pour cela permettre à l’associé d’être un actionnaire et de supprimer ainsi une garantie qu'il a promise.

MiPµ. - Messieurs, les observations que l'honorable M. Dumortier a présentées sont extrêmement justes.

Les abus qu'il a signalés ont été commis, même une très grande échelle, dans certaines sociétés en commandite et dans certaines sociétés anonymes.

Je pense pourtant que certaines dispositions que l'honorable membre propose ne doivent pas être nécessairement insérées dans la loi ; telle est, par exemple, la défense pour la société de racheter les actions au moyen d'une partie de son capital social ; il est évident que c'est là retraire une partie du capital social, fait contraire à l'essence même de la société.

Je pense aussi qu'il en est de même des avances de fonds à faire aux actionnaires sur le dépôt d'actions, car il y a là un commencement de vente ou, si l’on veut, une vente éventuelle pour le cas de non-paiement.

Il serait cependant peut-être utile d'interdire d'une manière générale toutes les opérations de la société sur ses propres actions.

M. Teschµ. - Sauf ce qui est prévu par les statuts.

MiPµ. - On ne peut pas le prévoir.

M. Teschµ. - Cela se fait tous les jours.

M. Jacobsµ. - C'est un emploi des bénéfices.

MiPµ. - M. Jacobs suppose le cas où l'on rachèterait les actions de la société avec les bénéfices réalisés, c'est-à- dire sans diminution du capital social.

Ce n'est pas celui que j'ai en vue. Je n'ai parlé que du rachat des actions au moyen du capital social.

En admettant que nous inscrivions la prohibition dans la loi comme le propose l’honorable M. Dumortier, il nous manquerait encore quelque chose : la sanction.

Je pense donc que les dispositions proposées peuvent trouver place que dans les dispositions pénales inscrites à la fin de loi. Lorsque nous en serons là, nous examinerons s'il y a lieu d'interdire d'une manière générale les opérations sur les actions de société, sauf, peut-être, à excepter le cas spécial indiqué par M. Jacobs.

- Un membre. - Peut-être.

MiPµ. - Je ne me prononce pas dès maintenant. D'ici à la fin de la discussion, nous pourrons examiner les propositions qui viennent de nous faites.

J'arrive au troisième point de l'amendement, à l'interdiction pour le gérant de faire les versements appelés sur les actions non libérées en ouvrant aux actionnaires un compte courant, dont le débit est chargé de la valeur de ces versements,

Il peut évidemment y avoir un cas de fraude.

(page 454) Il peut se faire qu’un versement soit ainsi donné comme réel et qui ne l’est pas.

La disposition que je viens de citer devrait, comme les précédentes, trouver sa place parmi les mesures pénales.

Je pense donc que l’honorable M. Dumortier pourrait ajourner la présentation de son amendement jusqu'à la fin de la discussion de la loi.

J’aborde maintenant la disposition présentée par l'honorable M. Orts.

D’après sa proposition, il serait défendu au gérant d’avoir un intérêt quelconque dans les opérations de la société. L'honorable membre part de cette idée, inexacte selon moi, que les sociétés en commandite doivent offrir la garantie d’un certain capital et de la fortune du gérant, indépendante de ce capital social.

Il est évident, en effet, que si le gérant avait une somme quelconque d'intérêt dans la société, soit en actions, soit autrement, le principe de M. Orts ne serait plus exact. La société en commandite ne se composerait plus, en effet, que d'un capital-actions, plus la fortune indépendante du gérant.

Or, je ne pense pas puisse admettre une pareille exigence. Je ne crois pas que, si l'on pouvait le faire, ce serait un bien. Je considère au contraire comme extrêmement important que le gérant ait un intérêt dans l'affaire, qu'il y ait apporté une partie de sa fortune. Si même le gérant avait toute sa fortune dans la société en commandite, je crois que la position n’en serait que meilleure, parce qu'il offrirait plus de garanties qu’un gérant tout à fait désintéressé.

Quelque combinaison que l'on admette, dès l'instant que l’on autorise le gérant à verser quelque chose dans la société, quelque minime que soit la somme, on tomberait dans les inconvénients que l'honorable M. Orts a signalés.

Pourquoi l'honorable M, Orts a-t-il présenté sa disposition ? Parce que le principe que je viens s'indiquer lui a paru un principe vrai, tandis que je le considère, pour ma part, comme inexact. Il n’est pas vrai, selon moi, que la société en commandite présente en garantie un capital versé, plus une fortune indépendante de la société. Je crois que la situation vraie est celle-ci : La société en commandite présente d'abord, comme garantie aux tiers, un capital fixe qui consiste dans l’apport fait, n'importe par qui, dans la société. C'est le capital social, le fonds social qui peut être versé n'importe par quelle personne.

Mais remarquez où est la différence au point de vue de la garantie, lorsque le gérant a versé un certain capital dans la société ; c'est que, par le versement de ce capital, il a affecté spécialement une partie de sa fortune aux créanciers de la société pour préférence à ses créanciers personnels.

Je suppose une société on commandite, an capital de 2 millions de francs. Je dis aux créanciers : y a là deux millions de francs comme capital social ; je ne vais pas au delà. Maintenant si j'ajoute qu'il y a encore la solidarité du gérant, je n’affirme pas pour cela que le gérant est complètement désintéressé dans la société ; je dis positivement le contraire. Je leur dis que par cela seul qu'il est gérant, il est intéressé dans la société et qu'une partie de la fortune du gérant, que je ne détermine pas, est engagée dans les opérations sociales.

Voilà la situation exacte.

Il est impossible que le créancier vienne se plaindre d'avoir été trompé, parce que le capital de deux millions que j'aurai trouvé dans la société n’est pas indépendant de la fortune du gérant.

Je pense donc que l'amendement de l’honorable M. Orts nous conduirait à une impossibilité pratique. qu'il n'y aurait plus de commandite si l'on obligeait le gérant à être complètement désintéressé dans l’affaire, et que nous devons le rejeter encore, parce qu'il repose sur une supposition complètement inexacte.

J'ajouterai, comme considération pratique, que la détermination de la part des bénéfices dans la société en commandite repose sur deux choses : d'abord sur les mises sociales qui se font partie par le gérant, partie par les autres associés, et ensuite sur l'industrie du gérant.

Il est nécessaire ainsi que, pour sa part de bénéfice, on donne au gérant une part proportionnelle à son apport, et une autre part pour les soins qu'il donne aux affaires de la société ; cette part est complètement indépendante du capital-actions ; c'est la rémunération de ses services ; mais ce qu'il a apporté lui donne aussi droit à des bénéfices, et pour cela, si la société est par actions, il doit être actionnaire.

Je pense qu’en y réfléchissant, l’honorable M. Orts verra que sa proposition constituerait non seulement un obstacle mais une impossibilité pratique pour la société en commandite.

MpMoreauµ. -M. Dumortier ne s’oppose pas à ce que l’examen de son amendement soit remis à la discussion des dispositions qui concernent les pénalités ?

M. Dumortierµ. - M. le président, j’ai déjà indiqué tout à l'heure que la disposition me semble devoir s'appliquer non seulement aux sociétés en commandite, mais aussi aux sociétés anonymes.

On pourrait donc placer l'article à la fin des dispositions qui concernent les sociétés. Du reste, on pourra en fixer ultérieurement la place.

Proposition de loi relative aux servitudes militaires

Rapport de la section centrale

M. Jacobsµ dépose le rapport de la section centrale qui a examiné la proposition de loi sur les servitudes militaires, émanée de l'initiative de cinq membres de la Chambre.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi révisant le code de commerce (titre III, livre premier : Des sociétés)

Discussion des articles

Section III. Des sociétés en commandite

Article 24

M. Ortsµ. - Messieurs, je désire donner deux mots de réponse à M. le ministre l'intérieur, qui méconnaît complètement le but et l'esprit de mon amendement.

Je n'ai pas l’intention de vouloir constituer des sociétés commandite administrées par des gérants n'ayant pas d'intérêt dans la société. Ce serait une idée absurde qui ne trouverait pas un seul adhérent. Ce serait tuer la commandite.

Voici, messieurs, ce que je veux.

Un industriel, ayant besoin de capitaux pour faire prospérer son industrie, s'adresse à des bailleurs de fonds pour obtenir ces capitaux, qui doivent suppléer à l'insuffisance sa fortune personnelle.

Il dit aux tiers : Je vais mettre dans mes affaires, outre ma fortune personnelle, un capital supplémentaire qui ne me coûtera rien si je ne fais pas de bénéfices. Je demande que cette promesse du concours d'un capital étranger soit sérieuse et qu'il ne soit pas fourni en partie sur la fortune personnelle du gérant qui est déjà tout entière engagée dans l'affaire.

M. Watteeuµ. - Messieurs, j'avais demandé la parole pour démontrer que l’amendement de M. Orts allait à l’encontre de ses intentions, mais M. le ministre de l’intérieur a présenté les considérations que je voulais faire valoir.

Je n’en ajouterai qu'une seule, c’est que, loin de désirer que le gérant d'une société en commandite ou d'une société anonyme ne soit pas intéressé, il faudrait plutôt exiger qu’il fût intéressé pour un minimum.

Quant au point de savoir si la fortune personnelle du gérant est toute entière engagée dans la société, je vous demanderai comment vous empêcheriez que cette fortune fût appliquée à l'achat d'autres actions beaucoup plus mauvaises que celles de la société. (Interruption.)

Vous avez voulu interdire au gérant le droit d'avoir des actions dans une société. (Interruption.)

Or, c'est là pour les tiers le capital le plus certain.

Je crois donc qu'il a pas lieu d'accepter l'amendement.

MjBµ. - Je crois que l'honorable M. Orts a été mal compris.

Il est évident qu'il n'a pu prétende que l'associé commandité cesserait d’être associé.

Quand l'honorable membre parle de la fortune du gérant qui se trouve dans la société, il dit une chose inexacte. La fortune du gérant n'est qu’une garantie en cas d'insuffisance des capitaux de la société pour le payement des créanciers.

Mais l'honorable membre a voulu demander, je pense, si l'on ne pourrait interdire aux gérants d'avoir des actions au porteur et les obliger à n'avoir que des actions nominatives et incessibles.

Voilà, je pense, la véritable portée de cette proposition qui est formulée pour la première fois. Je ne l’examine pas.

Il est évident que très souvent les gérants ont spéculé sur les actions. Ainsi ils peuvent déprécier la société et faire racheter les actions en bourse.

En agissant ainsi ils trompent les détenteurs d'actions et ils commettent un acte répréhensible. Je crois, messieurs, que l'amendement de l'honorable M. Orts devrait venir aux articles qui se rapportent aux pénalités. Nous pourrions donc voter l’article en discussion.

L’amendement de M. Orts est réservé jusqu’à l’examen des dispositions comminant des pénalités.

MpMoreauµ. - L’honorable M. Moncheur vient de déposer une nouvelle rédaction de son amendement.

- Impression et distribution.

Ordre des travaux de la chambre

M. Janssensµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, parmi les objets qui figurent à l'ordre du jour, se trouve un projet de loi relatif aux livrets d'ouvriers.

Je suppose que le gouvernement aura recueilli des renseignements sur cette question et qu'il aura eu recours à ceux qui sont le mieux à même de l'éclairer : les chambres commerce et les conseils de prud'hommes.

Si une enquête de ce genre a été faite, il est très utile que la Chambre en reçoive connaissance. Si elle n'a pas eu lieu, il serait bon qu’elle se fît.

Dans ce dernier cas, je demande que l'on pose aux conseils de prud'hommes les deux questions que soulève le projet : Quels seraient les inconvénients et les avantages que pourrait avoir la suppression des livrets obligatoires et quels pourraient être les avantages pratiques du livret facultatif ?

M. Saincteletteµ. - Messieurs, la législation sur les rapports entre les patrons et les ouvriers a été modifiée tout récemment en Angleterre par un bill dont les discussions sont des plus intéressantes.

Je demande que l'acte du parlement et les principaux documents de la discussion de cet acte soient traduits par les soins du bureau ou de la commission et mis la disposition des membres de la Chambre.

M. Vermeireµ. - Plusieurs rapports sur la question ont déjà été publiés. Les chambres de commerce ont été consultées, le conseil supérieur de commerce et d'industrie a été saisi de la question et l'a discutée ; les conseils de prud'hommes en ont été saisis également. Il me paraît donc inutile faire encore une enquête.

Je demande qu'on ne fasse pas disparaître le projet de l'ordre du jour.

MiPµ. - Le gouvernement a en effet fait une enquête, il y a, je crois, deux ou trois ans, sur la question des livrets d'ouvriers. Les résultats de cette enquête sont à mon département. Si la Chambre désire que je les fasse imprimer, je suis tout prêt à le faire.

M. Sainctelette demande également un renseignement qui a son importance ; il s'agit de discussions qui ont eu lieu dans les chambres anglaises et d'une résolution prise par le parlement de cette nation.

Je n'ai pas maintenant ces pièces à ma disposition, mais le suis prêt à me les procurer, les faire traduire et à les mettre sous les yeux de la Chambre, qui aurait ces documents lors de la discussion du projet de loi.

Toutefois, je ne pourrais m'engager à les fournir pour le moment de la discussion, si elle devait avoir lieu prochainement.

On pourrait provisoirement faire disparaître ce projet de loi de l'ordre du jour pour le rétablir aussitôt que la Chambre sera en possession de ces documents.

- La Chambre décide que les documents dont il s'agit seront imprimés et que le projet de loi sur les livrets d'ouvriers sera porté à la suite de l'ordre du jour.

La séance est levée à cinq heures.