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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 26 avril 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 753) M. de Vrintsµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Rossiusµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« Des cultivateurs des environs de Gand présentent des observations contre la déduction de 15 p. c. sur la quotité des droits d'accise en faveur des distilleries agricoles. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant augmentation des droits sur les eaux-de-vie.


« Des distillateurs agricoles de la Flandre orientale présentent des observations contre la pétition des distillateurs de la ville de Gand ayant pour objet la suppression de la remise accordée aux distilleries agricoles. »

- Même décision.


« Des cultivateurs à Deynze, Mechelen, Peteghem et Astene prient la Chambre de faire droit à la pétition relative à la déduction de 15 p. c. sur la quotité des droits d'accise dont jouissent les distilleries agricoles. »

« Même demande de cultivateurs à Olsene, Mechelen et Lutte. »

- Même décision.


« Le sieur Meeus demande que le projet de loi portant augmentation des droits sur les eaux-de-vie contienne toutes les dispositions, régissant les distilleries, qui resteront en vigueur, et propose des modifications à l'article 32 de la loi de 1842. »

- Même décision.


« Des distillateurs appellent l'attention de la Chambre sur quelques conséquences à résulter du projet de loi portant augmentation des droits sur les eaux-de-vie et demandent que toutes les dispositions relatives aux distilleries, qui resteront en vigueur, soient résumées en un recueil. »

- Même décision.


« Des vinaigriers demandent que le projet de loi portant augmentation des droits sur les eaux-de-vie contienne des dispositions protectrices de leur industrie. »

- Même décision.


« Des cultivateurs et distillateurs de jus de betterave et de mélasse demandent que, pour toutes les matières sujettes à distillation, la question du rendement soit soumise à un examen approfondi. »

- Même décision.


« Les sieurs Chehet-Allard, Thiévissen et autres membres de l'Union commerciale et industrielle de Liége demandent que les épiciers et les petits cabaretiers soient dégrevés du droit de débit sur les boissons alcooliques. »

- Même décision.


« La chambre de commerce et des fabriques de Termonde présenta des observations concernant le projet de loi portant abolition du droit sur le sel et augmentation des droits sur les eaux-de-vie. »

- Même décision.


« Des distillateurs à Huy présentent des observations coutre une remise de 15 p. c. des droits d'accise en faveur des distilleries agricoles. Ils demandent que la remise, si elle est maintenue, soit réduite à une moyenne de 5 p. c. sur les nouveaux droits proposés, avec la fixation de la limite du travail à 20 hectolitres de matière par jour, et proposent des mesures pour empêcher les abus qu'ils signalent. »

- Même décision.


« Des sauniers à Liége demandent qu'il leur soit permis d'avoir en magasin, au 31 décembre, au maximum dix quinze mille kilogrammes de sel raffiné ; que la loi nouvelle déclare que les droits seront réduits de leur compte après vérification faite par les employés des accises et qu'elle frappe le sel étranger d'un droit d'entrée de 2 francs par 100 kilogrammes. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant abolition du droit sur le sel.


« Des sauniers à Gand et aux environs appellent l’attention de la Chambre sur les conséquences à résulter pour leur industrie du projet de loi portant abolition du droit sur le sel et proposent un droit de balance au minimum de 5 francs par 100 kilogrammes sur le sel raffiné à l'entrée. »

- Même décision.


« La députation permanente du conseil provincial da Hainaut prie la Chambre de surseoir à toute mesure qui serait de nature à trancher la question de propriété des bâtiments et du jardin de l'ancien couvent des filles de Sainte-Marie à Mons. »

- Renvoi h la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi autorisant l'aliénation de biens domaniaux.


« Des habitants de Gelinden et d'Engelmanshoven prient la Chambre d'accorder à la compagnie Rossart la concession chemin de fer de Hal à Maestricht. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur une pétition identique.


« Le conseil communal de Waudrez prie la Chambre de discuter le plus tôt possible le projet de loi apportant des modifications à la loi sur la chasse. »

« Même demande des membres de la société centrale d'agriculture. »

- Renvoi la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Les membres du conseil communal de Moen proposent des modifications au projet de loi sur le domicile de secours. »

« Même pétition des membres du conseil communal de Heestert. »

- Renvoi la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Les employés de l'administration provinciale du Brabant prient la Chambre de voter, au budget de l'intérieur, une augmentation de crédit pour améliorer leur position. »

M. De Fréµ. - Je prie la Chambre de renvoyer cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.

- Adopté.


« L'administration communale de Marienbourg prie la Chambre d'autoriser la concession au sieur Brassine d'un chemin de fer d'Athus vers Givet. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


(page 754 « La dame Smal demande que son fils Pierre-Joseph, milicien de la classe de 1870, soit exempté du service militaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale de Gand appelle l'attention de la Chambre sur la nécessité de régler, par loi, le travail des enfants dans les manufactures. »

- Même renvoi.


« Des négociants en denrées coloniales et boutiquiers à Waesmunster se plaignent que le commissaire de police de cette commune tienne un magasin d'épicerie et d'aunages. »

- Même renvoi.


« La veuve du sieur Dumont, ancien brigadier de la gendarmerie, demande une pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Histerman réclame contre une décision de la députation permanente du conseil provincial de Liége qui oblige son fils Nicolas, milicien de 1870, de servir dans l'armée, malgré son exemption par le sort. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Bouvy, Ansion et autres membres du comité de l'Union commerciale et industrielle de Liége réclament l'intervention de la Chambre pour faire supprimer l'article 64 et le paragraphe final de l'article 20 du livret réglementaire des chemins de fer. »

- Même renvoi.


« Le sieur Libert réclama l'intervention de la Chambra pour obtenir le payement de numéros gagnants à la loterie existante sous le gouvernement des Pays-Bas. »

- Même renvoi.


« Le sieur Guesnet soumet à la Chambre un nouveau système électoral. »

- Même renvoi.


« Le sieur Laurent demande que le droit d'ordonner la fermeture des débits de boissons soit retiré aux administrations communales et que les cabarets puissent rester ouverts toute la nuit. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Saint-Job in t' Goor demande qu'une loi autorise la concession, à la Banque Générale pour favoriser l'agriculture ct les travaux publics, d'un chemin de fer d'Anvers à Turnhout, avec prolongement jusqu'à la frontière hollandaise, dans la direction d'Eyndhoven. »

« Même demande d'habitants et de propriétaires de Saint-Job in t' Goor. »

- Même renvoi.


« Le sieur De Kerf, commissaire de police à Binche, demande un subside pour améliorer sa position. »

- Même renvoi.


« Le sieur Mellier prie la Chambre de lui faire délivrer le congé qu'il a réclamé. »

- Même renvoi.


« Le sieur Mahaux demande la nomination de deux médecins qui soient chargés de visiter son fils Eugène-Désiré, incorporé au régiment du génie comme milicien de la levée de 1867, et de constater si la maladie qu'il a contractée au service et par le fait du service le mettra tôt ou tard hors d'état de pourvoir à sa subsistance. »

- Même renvoi.


« Des propriétaires de moulins à vent pour le blé, dans le canton de Dixmude, proposent des mesures pour faire disparaitre la coutume dite dryven of ketsen »

« Même pétition de propriétaires de moulins à vent pour le blé dans les cantons de Bruges. »

- Même renvoi.


« Par dépêche, en date du 25 avril, M. le ministre de la guerre transmet des explications sur la pétition de la veuve Debrule, réclamant contre la désignation de son fils Gustave pour le service de la milice. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Par lettre du 26 avril 1870, la cour des comptes adresse à la Chambre un rapport circonstancié touchant les vols commis récemment dans les archives de cette cour. »

- Impression et distribution aux membres de la Chambre.


« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, deux demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Il est fait hommage à la Chambre :

« 1° Par M. le ministre de la justice, de deux exemplaires du nouveau volume publié par la commission royale des anciennes lois et ordonnances de la Belgique, comprenant les coutumes la ville d'Anvers ;

« 2° Par la commission administrative de la caisse de prévoyance établie à Charleroi en faveur des ouvriers mineurs, de 125 exemplaires du compte rendu de ses opérations pendant l’exercice 1869 ;

« 3° Par M. G. Nypels, de la onzième livraison de la « Législation criminelle de la Belgique ;

« 4° Par M. Massart, notaire à Lessines, de son « Commentaire général de la loi organique du notariat. »

- Distribution aux membres de l'assemblée et dépôt à la bibliothèque.


« M. Bouvier-Evenepoel, obligé de s'absenter, demande un congé de quinze jours. »

- Accordé.


« M. Delcour, retenu par un service public, demande un congé pour la séance de ce jour. »

- Accordé.


« M. de Haerne, retenu à Rome par une indisposition, demande un nouveau congé. »

- Accordé.

Projet de loi approuvant la convention consulaire entre la Belgique et l’Espagne

Dépôt

MaeVSµ. - J'ai l'honneur de déposer un projet de loi portant approbation d'une convention consulaire avec l'Espagne.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi.

La Chambre en ordonne l'impression et la distribution, et le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi relatif aux concessions de péages

Dépôt

MtpJµ. - J'ai l'honneur de déposer un projet de loi ayant pour but de proroger jusqu'au juillet 1873 de la loi du 12 avril 1835.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; il sera imprimé et distribué. La Chambre le renvoie à l'examen des sections.

Ordre des travaux de la chambre

M. Lelièvreµ (pour une motion d’ordre). - Récemment, le gouvernement a déposé un projet de loi ayant pour objet de décréter la séparation de la section du Sart-Bernard d'avec la commune de Wierde. Comme il importe que le projet soit voté avant la clôture de la session, je demande que la commission chargée d'examiner la proposition du gouvernement s'en occupe sans retard et veuille bien déposer le rapport le plus tôt possible.

MpDµ. - La commission chargée d'examiner le projet de loi est priée de vouloir bien tenir compte de la demande de M. Lelievre.

M. Liénartµ (pour une motion d’ordre). - La Chambre est saisie de deux projets de loi sur la contrainte par corps. L'examen de ces projets a été mis en oubli ; je demande que les sections se réunissent pour examiner tout au moins l'un d'eux, afin que la Chambre puisse prendre une décision avant de s'ajourner.

Le projet dont je demande l'examen immédiat est celui qui abolit la contrainte par corps dans certaines matières et pour certains débiteurs au sujet desquels l'accord est établi entre les deux Chambres et le gouvernement.

Nonobstant cet accord, nous voyons exercer la contrainte dans toute sa plénitude et détenir des débiteurs contre lesquels nous avons condamné l'usage de la contrainte.

La Chambre voudra mettre fin à cette situation ; l'humanité et la justice l'exigent.

Quant au projet sur le fond de la question, je ne demande rien, parce que nous n'avons pas l'espoir d'aboutir en ce moment.

Je conserve mon opinion qu'on aurait pu, en la modifiant, tirer un bon parti de la loi de 4859 ; mais je ne fais aucune difficulté de reconnaître qu'au point de vue pratique, la solution doit être cherchée ailleurs et que tous nos efforts doivent tendre à parer aux inconvénients éventuels de la suppression radicale de la contrainte, à laquelle l'avenir appartient.

Toutefois, ce serait commettre une faute et une injustice de répudier un progrès partiel dans la perspective d'une réforme plus radicale.

En conséquence, je demande que les sections soient convoquées pour examiner le projet provisoire et transactionnel qui nous a été renvoyé par le Sénat.

Projet de loi abolissant les droits sur le sel et le poisson, abaissant la taxe sur les lettres et augmentant les droits sur les eaux-de-vie

Discussion générale

MpDµ. - M. le ministre se rallie-t-il aux propositions de la section centrale ?

(page 755) MfFOµ. - Oui, M. le président.

MpDµ. - La discussion s'ouvre donc sur le projet amendé par la section centrale.

M. de Maereµ. - Messieurs, le projet de loi qui nous est soumis ne modifie point la législation existante sur la fabrication des eaux-de-vie indigènes.

Il se contente de majorer les droits établis sur la capacité des vaisseaux imposables.

Il le fait dans des proportions que je n'entends pas critiquer, car elles me paraissent justifiées par les nécessités nouvelles devant lesquelles le trésor public va se trouver placé par de la réforme qui nous est soumise.

Mais le projet tient debout la distinction que les lois antérieures avaient consacrée entre deux catégories d'établissements appelés, les uns, distilleries agricoles, les autres, distilleries non agricoles ou urbaines.

C’est contre cette distinction, messieurs, que je crois devoir élever quelques objections, car elle maintient un régime de faveur et de protection lequel protestent non seulement, me paraît-il, l'équité et la raison, mais encore l'expérience faite et les résultats acquis depuis un grand nombre d'années.

C'est ce que je me propose de démontrer.

L'article 5 de la loi de 1842 qui est, comme vous le savez, la loi organique sur la matière, accorde aux distillateurs une déduction de 15 p. c. sur quotité du droit à percevoir, quand leur établissement réunit certaines conditions que caractérisent, aux yeux de la loi, la distillerie agricole.

Ces conditions sont :

1° Limiter le travail à la distillation de 20 hectolitres de matières macérées, par jour de 24 heures ;

2° Nourrir une tête de gros bétail par hectolitre et demi de la capacité des vaisseaux soumis à l'impôt ;

3° Cultiver un hectare de terre par chaque hectolitre et demi de la contenance des vaisseaux imposés.

Moyennant l'accomplissement de ces trois conditions, les distillateurs dits agricoles jouissent de la déduction de 15 p. c. sur la quotité du droit.

Lorsqu'on se reporte aux discussions qui ont eu lieu lors de la présentation du projet de loi de 142, on n'a pas de peine à reconnaître qu'il y avait unanimité, dans cette Chambre, sur l'utilité qu'il y avait de maintenir dans la loi nouvelle le principe de la protection inscrit dans la loi de 1837. Même les membres de cette assemblée qui invoquaient l'article 112 de la Constitution, qui défend d'établir un privilège en matière d'impôt, admettaient encore qu'il y avait lieu de favoriser, dans une certaine mesure, les distilleries de la campagne. Le différend et les discussions ne portaient que sur l'importance de la faveur dont elles devaient jouir.

Quant à la définition de l'usine, quant aux conditions qu'elle devait posséder pour avoir, aux yeux de la loi, le caractère d'un établissement agricole, s'il y avait encore divergence d'opinion sur la capacité des vaisseaux imposables, l'étendue des terres à cultiver et le nombre de têtes de bétail à nourrir, il y avait accord complet au moins sur le but que l'on avait en vue, sur la mission spéciale que les distilleries agricoles avaient à remplir.

Centres de fertilisation dans nos landes et dans nos bruyères, disait l'honorable M. de La Coste ; situées att milieu des mauvaises terres, éloignées des villes. elles doivent livrer à la culture des terres qui sont restées en friche, ajoutait le comte de Theux.

Quant à moi, disait l'honorable M. Verhaegen, je n'entends par distilleries agricoles que celles qui sont établies dans les localités où l'on a besoin d'engrais, dans les landes, par exemple, les usines sont réellement utiles à l'agriculture.

A mes yeux, déclarait l'honorable M. Cools, une distillerie agricole n'est pas plutôt une petite distillerie qu'une grande distillerie ; c'est une distillerie située là où les engrais sont rares, loin des centres de population. C'est l'emplacement seul qui lui assigne son caractère de distillerie agricole.

Donc, féconder, loin des villes et des grands centres de population, les terres incultes, fertiliser les landes et les bruyères, telle était, je le répète, la mission que les distillateurs agricoles avaient à remplir et c'est uniquement pour atteindre ce but élevé, ce but qu'on peut appeler patriotique, que le législateur de 1842 a cru devoir maintenir en leur faveur la protection que la loi de 1857 leur avait accordée.

Cela est vrai, tellement vrai, messieurs, que l'honorable Duvivier ayant proposé un amendement tendant à ajouter à l'article 5 le mot « prairies », suivant celui de terres, l'honorable M. Zoude, rapporteur de la section centrale, s’écria : « Ce n'est plus aux bruyères qu’il faut défricher, ni aux terres arides qui ont besoin d'engrais, qu'on veut borner la faveur de la remise d'une portion de droit, c'est aux prairies maintenant qu'il faut l’appliquer, c'est-à-dire à la partie la plus riche de nos exploitations rurales. »

M. Zoude obtint gain de cause et l'amendement fut retiré.

Il y avait donc entente entière, d'une part, sur le caractère essentiel de toute distillerie agricole, d'autre part, sur la nécessité qu’il y avait de leur venir législativement en aide. Mais il n'en a plus été ainsi, lorsqu'il s'est agi de déterminer la quotité de la déduction de droits dont elle devait jouir. Aussi plusieurs amendements ont été présentés, les uns tendant à maintenir le dégrèvement ancien de 10 p. c., les autres le majorant, suivant le cas, à 20 et même 30 p. c. La Chambre n'accueillit aucune de ces propositions. Elle considéra la réduction inscrite dans le projet de loi comme suffisante et l'article 5 tel qu'il avait été proposé par le gouvernement fut mis aux voix et adopté.

Maintenant, messieurs, en chiffres voici comment la protection accordée aux distilleries agricoles peut s'établir.

L'article 2 de la loi de 1842 avait fixé la quotité de l'accise à un franc par jour et par hectolitre de capacité imposable.

Le rendement moyen par hectolitre de matière féculente étant évalué à sept litres d'eau-de-vie à 50°, le droit par hectolitre de genièvre était de 14 fr. 30 c.

L'article 5 de la loi accordant une déduction de 15 p. c., il en résulte que le taux de la protection montait à 2 fr. 14 c. par hectolitre vie produite.

Celte déduction de 2 fr. 14 c. par hectolitre de genièvre était aux yeux de tout le monde un maximum ; au delà, la modération d'impôt devenait privilège inconstitutionnel. La Chambre, en rejetant tous les amendements contraires, a prouvé par son vole que telle était, en effet, sa conviction.

Moyennant ce droit protecteur de 2 fr. 14 c., le sort des usines agricoles était à tout jamais assuré ; sous son influence bienfaisante, les distilleries allaient se multiplier à l'infini, fertilisant, peuplant partout nos landes et nos bruyères.

Les faits, messieurs, ne répondirent pas à ces prévisions.

Les distilleries agricoles en 1843 étaient au nombre de 455 ; sept années plus tard, en 1830, elles n'étaient plus qu'au nombre de 362. La protection en avait fait mourir 93, un peu de 13 par an.

En 1851 on modifia la loi de 1842. L'article 2 de la loi du 20 décembre de cette année fixe la quotité de l'accise à 1 fr. 50 c. par hectolitre de capacité imposable. L'article 5 de la même loi maintient la déduction de 15 p. c. accordée aux établissements agricoles.

Le rendement par hectolitre de matière macérée restant évalué à 7 litres, le taux de la protection montait de 2 fr. 14 c. à 3 fr. 22 c. par hectolitre de genièvre ; écart 50 p. c.

Durant neuf années, les distilleries agricoles vécurent sous le nouveau régime ; durant ces neuf années, elles jouirent de ces nouvelles faveurs.

Voici les effets de cette nouvelle protection :

De 362, chiffre de l’année 1850, les distilleries descendirent à 316. Perte 46. 46 usines agricoles disparurent de 1851 à 1860, et ce malgré la majoration de 50 p. c. du droit protecteur.

En 1860, fut présentée et votée la loi portant abolition des octrois communaux. L'accise sur la fabrication des eaux-de-vie indigènes subit une nouvelle augmentation, elle fut portée de 1 fr. 50c. à 2 fr. 45 c. par hectolitre de capacité de cuve, soit de 21 fr. 43 c. à 35 francs par hectolitre d'eau-de-vie à 50°. La déduction fut maintenue à 15 p. c., et dès lors la faveur accordée aux distilleries de campagne monta de 5 fr. 22 c. à 5 fr. 25 c. par hectolitre de genièvre. Ecart 63 p. c.

Dix autres années se sont passées sous l'influence de cette nouvelle protection, presque triple de celle de 1842, que tout le monde considérait comme un maximum.

Les distilleries agricoles se sont-elles enfin relevées, leur nombre décroissant jusqu'alors s'est-il au moins maintenu ?

La statistique va répondre.

En 1860, on comptait encore 316 distilleries agricoles en Belgique ; en 1870, on n'en trouve plus que 274. Différence, 42.

Récapitulons maintenant, et résumons les trois phases principales que la distillerie agricole a parcourues.

Nombre d'usines en 1843, 455. Droit protecteur par hectolitre de genièvre : 2 fr. 14.

Nombre d'usines en 1852, 375. Droit protecteur par hectolitre de genièvre : 3 fr. 22.

Nombre d'usines en 1861, 325. Droit protecteur par hectolitre de genièvre : 5 fr. 25.

Nombre d'usines en 1870, 274.

(page 756) C’est-à-dire que le nombre des usines a diminué à mesure que devenaient plus grandes les faveurs dont elles jouissaient. En 28 années, de 1842 à 1870, le droit protecteur a augmenté de 245 p. c. ; le nombre des usines a diminué d'environ 50 p. c.

La marche a été continue, seulement elle s'est faite en sens inverse. A mesure que la protection montait, le nombre d’usines baissait. Eloquente démonstration des effets habituels de la protection.

Et voilà, messieurs, comment ont été réalisées les prévisions du législateur de 1842 ; au moins quant au nombre et quant à la multiplication des distilleries agricoles.

Centres de fertilisation, elles devaient féconder nos terres incultes. Grâce à leur concours, nos bruyères et nos landes allaient se transformer.

Véritables colonies agricoles, elles auraient appelé à elles les populations et arraché à l'abandon des contrées entières.

Eh bien, messieurs, je vous le demande, est-ce là ce que nous voyons ? Est-ce dans les bruyères de la Campine, dans les landes du Limbourg, dans les sables de nos Flandres, que les distilleries agricoles se sont élevées ?

Se sont-elles placées loin des grandes villes et de toute communication ?

Sont-elles restées faibles et petites, ainsi qu'on le croyait, incapables de lutter contre les grands établissements urbains ? Leurs appareils sont-ils moins parfaits, leur rendement est-il inférieur ?

Examinons ces divers points.

Sur les 274 distilleries agricoles qui existent aujourd'hui dans tout le pays, le Brabant en contient 64, la province d'Anvers 6, la Flandre orientale 144, le Limbourg 22, le Luxembourg 1. Sont-ce donc les provinces les plus pauvres qui en contiennent le plus ? Et dans chacune de ces provinces, où les rencontre-t-on ?

Est-ce, ainsi que le voulait le législateur, dans les contrées sablonneuses et perdues loin des grands centres, ou bien sur les terres riches et fertiles, et dans les cantons les plus peuplés du royaume ?

Dans la Flandre orientale, par exemple, qui contient 144 usines agricoles, plus de la moitié du chiffre total, on en trouve à Alost, 24 ; à Audenarde, 18 ; à Grammont, 14 ; à Sottegem, 17 ; à Termonde, 9. Sont-elles établies celles-là dans les mauvaises terres de la province ou dans les plus riches ?

Voilà quant à l'emplacement. Maintenant quant à la fabrication : L'importance industrielle des usines a-t-elle décru ? A-t-elle rendu nécessaire et justifié les augmentations successives de droits protecteurs ? Peuvent-elles moins encore aujourd'hui qu'en 1842 soutenir la lutte avec les grands établissements ?

Ici, encore, messieurs, la réponse est négative.

En 1843, les contenances imposables déclarées montaient, pour les 155 usines existantes, à 850,000 hectolitres ; elles étaient pour les 299 usines restantes en 1868 de 681,274 hectolitres. La capacité moyenne a donc, au contraire, augmenté. De 1,870 hectolitres, elle est montée a 2,280 hectolitres. Différence en plus, 22 p. c.

Alors, est-ce une fabrication moins parfaite ? Est-ce un rendement inférieur qui pourraient légitimer la déduction des 15 p. c. d’impôt ?

Non, messieurs ; car les membres de cette Chambre, ainsi que le constate le rapport de la commission permanente de l'industrie de 1865, qui ont combattu le privilège des distilleries agricoles, n'ont guère trouvé de contradicteurs quand ils ont soutenu que la distillation faite sur de faibles quantités ne doit pas nécessairement donner un rendement inférieur à celui qu'on obtient en opérant sur une plus vaste échelle.

L'appareil le plus perfectionné, disait, de son côté, le rapporteur de la section centrale de 1842, ne peut produire un atome d'alcool de plus que les chaudières du plus petit distillateur.

Mais, messieurs, si tout ce que nous venons de dire est exact, et nous croyons qu'à cet égard il ne peut exister aucun doute dans votre esprit ; nous avons suivi pas à pas les statistiques et les documents officiels, a quel point de vue, pour quelles raisons pourrait-on justifier, je ne dis pas seulement le maintien du dégrèvement actuel, mais encore l'énorme majoration que l'on propose ? La déduction qui, en 1842, représentait par hectolitre de genièvre 2 fr. 14 c. ; en 1851 3 fr. 22 c. ; en 1860, 5 fr. 25 c., sera, en 1870, de 9 fr. 75 c. ! Cinq fois la quotité qu'en 1842 on considérait comme un maximum, au delà duquel commençait le privilège inconstitutionnel !

Et pourquoi ?

Pourquoi, puisque les distilleries agricoles n'ont pas rempli la mission spéciale que les auteurs de la loi de 1842 leur avaient confiée, maintenir en leur faveur un régime de droits différentiels qui jure avec toute notre législation économique et que rien ne saurait plus justifier ? Jadis, sous le règne des octrois. on invoquait pour leur défense un argument puissant. On signalait les droits d’octrois comme protecteurs de l'industrie urbaine.

« Dans certaines villes, disait, dès l'année 1842, l'honorable M. Mercier, on restitue à la sortie du genièvre un droit beaucoup plus élevé que celui qui est perçu comme impôt communal. La concurrence doit partout être soumise aux mêmes règles. Il ne faut pas que les distillateurs des villes viennent, au moyen de primes, faire une concurrence redoutable aux distillateurs de la campagne, dont les produits sont soumis à des droits exorbitants à leur entrée en ville. »

Aujourd'hui, par la suppression des octrois, cet argument tombe, les distilleries agricoles n'ont plus à craindre la concurrence redoutable des usines urbaines.

L'abolition des octrois a été un pas vers l'égalité ; il faut en faire un second, en faisant rentrer, de leur côté, dans le droit commun les distilleries de la campagne.

D'ailleurs, toutes les distilleries sont agricoles, toutes produisent des résidus qui servent à l'engraissement du bétail. .

« Qu'importe, observait avec beaucoup de sens l'honorable M. Cools lors de la discussion de 1842 ; qu'importe que le résidu serve la nourriture du bétail du distillateur ou à celle du voisin ; que les terres soient cultivées par le distillateur ou par des personnes demeurant dans le voisinage ? Le résultat pour l'agriculture est le même. »

Evidemment, messieurs, le résultat est le même, puisque personne ne fait du défrichement ; puisque personne ne remplit la condition sine qua non attachée au privilège.

Ma conclusion est donc qu'il faut modifier l'article 5 de la loi de 1842.

Il faut compléter la définition de l'usine agricole y attachant une condition d'emplacement ; dire, par exemple, que l'usine, pour être considérée comme agricole, doit être située à une distance d'un nombre donné de kilomètres, d'un centre de population donné.

Ou bien, supprimer toute distinction entre les deux catégories d'usines. Puisque, je le répète, le but principal que le législateur de 1842 avait en vue n'est pas atteint, puisque le défrichement des terres incultes est désintéressé dans la question, le privilège n'a plus de raison d’être ; personne n’a jamais songé en effet à protéger la fabrication du genièvre, pour la fabrication elle-même, et uniquement pour la raison que telle usine de campagne peut être moins grande et moins bien outillée que telle autre usine de ville.

Entre ces deux propositions extrêmes, il s'en place évidemment une troisième, qui est de réduire la quotité de la déduction dans une certaine mesure ; de reprendre une proposition déjà faite au sein de la section centrale en 1860, de porter la déduction de 15 à 10 p. c.. c'est à celle-là que je serais assez tenté de me rallier si un amendement dans ce sens devait être présenté.

Un dernier mot pour finir. L'article 22 n'accorde la décharge des droits à l’exportation que pour des quantités d'eau-de-vie supérieures à 10 hectolitres.

La loi première, celle de 1842, stipulait en outre que l'exportation ne pouvait avoir lieu que par mer et par les bureaux à désigner par le gouvernement. Une loi subséquente, celle dit 5 mars 1850, modéra cette rigueur extrême et autorisa l'exportation pour les quantités fixées par voie de terre et de rivières.

Je demanderai à l’honorable ministre des finances si ces dispositions ne pourraient pas être de nouveau quelque peu étendues ? Si les quantités fixées, c'est-à-dire le minimum admis à l'exportation ne pourrait être réduit ?

Aujourd’hui les conditions du transport sont entièrement changées. La facilité et la rapidité ont remplacé les lenteurs et les difficultés des temps passés.

Le commerce et l'industrie ont subi l'influence de cette profonde modification. Partout avec les obstacles on voit disparaitre les intermédiaires qui sous l'ancien régime s'interposaient entre le producteur et le consommateur. Ce dernier s'adresse aujourd’hui, pour toutes choses, directement au lieu de production. Il y trouve un avantage évident, car avec les intermédiaires disparaissent tous les frais supplémentaires absorbés par eux. Il en est de même du fabricant qui, s'étant fait détaillant, bénéficie de tous les profits réalisés par ce dernier.

Or, messieurs, cela étant, je me demande si les quantités fixées à 10 hectolitres pour l'exportation ne sont pas trop élevées ; si par cela même elles n’empêchent pas les commandes individuelles d'arriver jusqu’au distillateur directement et sans entremise.

(page 757) Il m'est revenu que tel était le cas et que bien des ordres en différentes circonstances avaient dû être refusés, rien que pour la raison qu'ils étaient inférieurs aux 10 hectolitres fixés par la loi.

Je recommande cette question, comme celle de la déduction du droit en faveur des distilleries agricoles que j'ai plus longuement traitée, à toute la bienveillance et à l'équité reconnue de l'honorable ministre des finances.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Messieurs, dans l'exposé du projet de loi, le gouvernement reconnaît, à juste titre, qu'en élevant le droit sur les alcools, il fait droit à des représentations qui, à diverses reprises, se sont fait entendre dans cette enceinte et qui n'étaient elles-mêmes que l'écho de plaintes vives et nombreuses émanées des principaux centres industriels.

En ce qui me touche, messieurs (qu'il me soit permis de le rappeler), je n'ai cessé d'insister sur l'opportunité, sur la nécessité de ces mesures. De divers côtés de cette Chambre, à gauche l'honorable Sabatier, à droite l'honorable M. Liénart ont bien voulu appuyer les considérations que j'ai eu l'honneur de présenter.

C'est qu'en effet, messieurs, il n'y a pas ici une question politique, mais une question véritablement sociale.

Dans un moment ou le développement de l'industrie, ou le développement de l'association par l'industrie tend à grouper un grand nombre d'hommes qu'anime la même pensée, qu'agite le même souffle, il importe de développer tout ce qui peut les améliorer et les moraliser, et d'éloigner d'eux tout ce qui les dégrade et les abrutit.

Dans un moment où nous nous préoccupons souvent de l'extension de nos lois électorales, ou nous nous demandons si, en dehors du cadre électoral, il n'y a pas des situations que recommande l'indépendance par l'aisance, par l'honorabilité, par les lumières, il est un point où, en dehors de tout système et de toute théorie, une même opinion nous rapproche : c'est qu'il est bon que le travail puisse arriver à cette aisance, à cette honorabilité, à cette dignité qui doit former le premier caractère de la participation de tout citoyen à la vie politique. Ce résultat si désirable, la consommation des boissons fortes le rendait en quelque sorte impossible.

A côté de l'intérêt spécial de l’ouvrier se place l'intérêt général de l’industrie qui, au milieu de ses luttes dans le vaste champ de la concurrence étrangère, ne peut réussir par ses efforts persévérants et continus qu'autant qu'elle s'appuie sur l'ouvrier robuste et intelligent, c'est-à-dire affranchi de l'influence deux fois délétère de la consommation des boissons alcooliques.

Aussi, la loi que nous discutons en ce moment est-elle bien moins une loi de finances qu'une loi dictée par l’intérêt le plus sérieux de nos classes laborieuses.

Mais je voudrais, pour ma part, qu'on y ajoutât un commentaire qui en fît ressortir la véritable signification.

Il est bon que l'on sache que, sous le régime de nos libres institutions, l'aisance est à quiconque veut la conquérir, l'influence à quiconque sait la mériter. Disons bien haut que, lorsque le travail s'allie au culte des bons exemples, la pratique des saints devoirs, il n'est rien que nous honorions plus que le travail. Répétons à l'ouvrier que le prix de son travail, loin d’être un moyen de jouissances honteuses et grossières, doit représenter pour lui la paix de la famille, les joies du foyer domestique. Dans ce que l’ouvrier dépense en dégradantes orgies, il y a plus que son salaire ; il y a aussi son aisance, sa dignité, son honneur qu’il consume en même temps et qu'il jette dans le même gouffre.

Voilà l'enseignement moral que je voudrais joindre à cette loi de finances, et si ma voix est trop faible pour qu’elle soit entendue, j’appellerai, messieurs, dans cet ordre d'idées, l’appui de votre sympathique adhésion.

Je n'ai qu'un reproche à faire au projet de loi dont nous nous occupons aujourd'hui : c’est qu'il est incomplet, c'est qu'il lui manque un corollaire ; et, en m'exprimant ainsi, je suis fidèle au langage que j'ai déjà tenu dans cette enceinte. Je disais, en 1867 :

« Afin de substituer à la boisson dont nous voulons éloigner l'ouvrier une boisson saine et utile, il aurait fallu en même temps une diminution notable de l'impôt sur les bières. Assurer au peuple une boisson saine et fortifiante, c'est l'éloigner d’une boisson nuisible et enivrante. »

C'est là du reste, messieurs, la doctrine soutenue par tous les économistes. En Angleterre, le gouvernement a été jusqu'à établir des privilèges en faveur de maisons où l'on n'offrait au peuple que de la bière. LC résultat n'a pas répondu aux espérances qu'on en avait conçues, parce que là aussi on a vendu des boissons plus ou moins frelatées qui ont produit des conséquences presque aussi désastreuses que les boissons fortes elles-mêmes.

Ce qu'il faut un peuple, c'est une boisson saine et fortifiante qui, reposant sur un mélange convenable de houblon et de fécule, ranime les forces vitales et développe l'énergie musculaire.

C'est à ce point de vue, messieurs, que les hommes qui se sont spécialement occupés de cette question, ont déclaré que les bières de cette catégorie formaient une consommation de première nécessité. L'honorable M. Ducpetiaux qui, dans ses nombreux ouvrages. n'a négligé aucune des questions qui se rapportent au bien-être des classes laborieuses, a été jusqu'à déclarer que la bière devait être rangée parmi les aliments nutritifs.

Aussi, messieurs, est-il permis de s'étonner que le gouvernement ait cru ne devoir rien faire pour amender la législation de 1860 qui a élevé le droit de 1 fr. 48 c. à 4 francs.

Depuis ce jour, une de nos plus anciennes industries nationales est dans un profond état de souffrance, car les bières se trouvent frappées d'un impôt qui n'est pas inférieur à 20 p. c.

MfFOµ. - Ce n'est que pour une partie des bières.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Le tonneau de bière se vendant 20 francs dans nos campagnes est frappé d'un droit de 4 francs qui représente bien 20 p. c.

MfFOµ. - Avant 1860, il y avait une certaine quantité de bières qui étaient frappées d'un droit supérieur à 4 francs.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Je demande, messieurs, comment dans un moment où il est universellement reconnu qu'il ne faut frapper d'aucun impôt tout ce qui touche à l'alimentation des masses, on perçoit un droit si élevé sur la principale boisson du peuple.

MfFOµ. - Je n'ai pas eu l'avantage d'être bien compris ; à l’observation que vous faisiez qu'en 1860 on avait porté de 2 fr. 6 c. à 4 francs le droit sur les bières, j'ai répondu que cette augmentation n'avait pas affecté la quantité totale, puisque, avant 1860, une partie très considérable des bières fabriquées étaient passibles d'un droit de 4 francs, qui était même dépassé dans quelques localités.

M. de Lettenhoveµ. - L'observation que j'avais l'honneur de présenter à la Chambre répondait à cette pensée : qu'au moment nous voulons frapper l'alcool comme boisson nuisible, il est opportun de dégrever une boisson saine et fortifiante ; tel est le caractère que les hommes qui se sont occupés davantage et avec le plus de zèle des intérêts des classes laborieuses, ont attribué à la bière en considérant cette boisson comme nécessaire à leur bonne alimentation.

Vous engagez avec raison nos ouvriers et nos cultivateurs à fuir l'usage des boissons alcooliques. Lorsque après de rudes et laborieux travaux ils goûtent le repos acheté par leurs sueurs, ne faut-il pas reconnaitre que vous frappez, par l'impôt sur la bière, le plus légitime, le plus honnête da leurs délassements et de leurs plaisirs ?

Je tiens aussi à faire remarquer que, dans le projet de loi même qui vous est soumis, on dégrève d'une manière absolue le poisson comme servant la consommation populaire. On va même jusqu'à prendre des mesures de précaution pour que, sous forme d'octroi ou de toute autre manière, aucun impôt ne puisse être rétabli, parce qu'il s'agit, dit-on, d'une matière alimentaire ; et je me demande, en me plaçant à ce point de vue, comment on ne comprend pas qu'il y a aussi quelque chose à faire pour la bière, s'il est vrai qu'elle forme également une partie de l'alimentation populaire ?

Et lorsque, dans le même projet, nous rencontrons le dégrèvement sur le sel, dégrèvement qui se justifie à coup sûr par la différence énorme qu’il y avait entre le taux de l'impôt et la valeur de l'objet imposé, on arrive également à se demander si le sel joue dans l'alimentation du peuple un rôle aussi important que la bière.

M. Ducpetiaux, que je citais tout à l'heure. évalue la consommation du sel par chaque individu à 2 fr. 50 c. par année. Or, il est évident que pour le cultivateur. pour l'ouvrier qui ne prend que 2 à 3 litres par semaine, ca qui à coup sûr n’est pas un excès, la consommation de la bière représente une somme au moins décuple.

Je n'insisterai pas davantage sur cette question.

Il est dans le projet de loi un point très important, sur lequel je me sens tenu de dire quelques mots. Le gouvernement nous annonce que, grâce à la loi soumise en ce moment à notre examen, le fonds communal obtiendra probablement une part de recette qu'on n'évalue pas à moins de 3 millions de francs, ce qui permettra aux communes de consacrer une partie de ces ressources (page 758) à la construction de maisons d'école et au développement de la voirie vicinale.

Personne plus que moi, messieurs, n'applaudira à ce résultat. J'appelle de tous mes vœux le moment où les communes, ayant assez de sagesse et de prudence pour gérer leurs intérêts, auront également des ressources suffisantes pour s'occuper directement des mesures d'exécution qu'ils réclament, sans devoir sans cesse s'adresser au gouvernement, dont l'intervention, difficile, entourée d'embarras et quelquefois suspecte de partialité, devrait, ce me semble, dans un système bien entendu de décentralisation, être réduite le plus possible.

Cependant, je tiens à faire remarquer qu'avant d'arriver à ce résultat que j'appelle, je le répète, de tous mes vœux, nous aurons à traverser une époque de transition.

Il est évident qu'en présence du projet dont nous sommes saisis, la fabrication des alcools et leur introduction par toutes les frontières ont pris des proportions exagérées et, que, pendant une période dont il est difficile de déterminer la durée, il y aura des résultats fâcheux, des résultats stériles aussi bien pour le trésor que pour le fonds communal.

Le gouvernement lui-même semble l'avoir compris, car dans ses récentes propositions, il demande un nouveau crédit d'un million pour les maisons d'école, et j'espère que la législature, à coté de ces crédits en faveur de l'instruction publique, n'hésitera pas (la situation satisfaisante du trésor l'y autorise) à voter un autre crédit qui permette, pendant la période de transition, de poursuivre et d'achever ces vastes travaux de voirie vicinale qui ont une influence si considérable sur le développement de la prospérité publique.

Grâce à votre sollicitude pour ces intérêts qui en sont si dignes, nous pourrons attendre, messieurs, que cette période de transition, quelles qu'en soient les incertitudes, quels qu'en soient les embarras passagers, s'efface devant une situation désormais normale, où la commune, s'administrant de plus en plus, étudiera avec zèle tous ses besoins parce que c'est d'elle surtout que dépendra le soin de les satisfaire. Répandre la vie dans toutes les artères du corps social, c'est y porter l'activité et la force ; c’cst développer en même temps ce sentiment patriotique qui s'attache d'autant plus aux institutions qu'il en éprouve davantage les bienfaits.

Projet de loi simplifiant les formalités d’expropriation

Rapport de la section centrale

M. Anspachµ. - J’ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la simplification des formalités en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique.

Projet de loi relatif à la caisse des veuves et orphelins des officiers de l'armée

Rapport de la section centrale

M. Vleminckxµ. J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la caisse des veuves et orphelins des officiers de l'armée.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et la mise à la suite de l'ordre du jour des objets qu'ils concernent.

Projet de loi abolissant les droits sur le sel et le poisson, abaissant la taxe sur les lettres et augmentant les droits sur les eaux-de-vie

Discussion générale

M. Lambertµ. - Le projet de loi présenté la Chambre des représentants, en la séance du 10 mars 1870, marquera dans les actes remarquables accomplis par le chef du département des finances. Il constitue un progrès sérieux, une réforme même.

Les modifications économiques renfermées dans ce projet étaient réclamées depuis longtemps ; mais leur réalisation, si désirable qu'elle fût, était nécessairement soumise aux éventualités budgétaires.

Heureusement le moment était arrivé de combiner les ressources financières de telle sorte que le gouvernement pût proposer l'abolition de l'impôt sur le sel et sur le poisson, d'abaisser à dix centimes la taxe d'affranchissement des lettres simples, quelle que soit la distance à parcourir dans le pays, et enfin d'adopter des mesures propres à prévenir un déficit dans les recettes.

Pour ma part, entendant M. le ministre des finances développer ce projet de loi, j'ai applaudi sans réserve. Et comment ne l'eussé-je pas fait ? Voir disparaitre cet impôt sur le sel, traditionnellement impopulaire et frappé de réprobation, c'était la réalisation d'une espérance sans cesse entrevue, mais toujours disparaissant comme une vaine chimère ; c'était ramener un aliment de la vie à un prix insignifiant, après l'avoir vu établi à raison de droits tellement exorbitants qu'ils allaient jusqu'à dépasser seize fois la valeur brute de la marchandise ; c'était livrer, sans nulles entraves, un nouvel élément de prospérité à l'agriculture et au commerce ; enfin, c'était, pour ainsi dire, assurer la santé publique.

Et puis comment aussi ne pas applaudir à l'abaissement de la taxe des lettres ! C'est la disparition d'un surcroît de charges auquel tous citoyens étaient assujettis.

L'impôt sur le poisson disparaît également ; et quoiqu'il fût bien plus une entrave qu'une charge, sa disparition sera encore profitable à l'alimentation générale, qui demande à être sans cesse améliorée.

Si ces avantages sont obtenus au moyen d'une augmentation de l'impôt sur l'alcool, qu'importe ? En effet, et ainsi que le fait remarquer l'honorable rapporteur de la section centrale, il y a opportunité et justice à diminuer le prix de choses indispensables aux besoins de la vie humaine et à la vie commerciale, en frappant, dans des proportions acceptables, une fabrication qui, à côté de certains bienfaits, est arrivée à exercer les ravages les plus désolants sur ses consommateurs.

Je le répète : sous la première impression de l'audition du projet gouvernemental, j'ai applaudi sans réserve et donné mon adhésion entière.

Mais ultérieurement et après que la réflexion eut succédé à une soudaine et vive impression, il m'est survenu un scrupule, qui s'est successivement développé et qui m'a donné la conviction que l'absence de tout droit à l'entrée du sel raffiné constituait une véritable injustice, puisqu'elle aboutissait à la ruine absolue d'une industrie considérable.

C'est animé par cette conviction que je proposais, en section, la conservation d'un droit à l'entrée du sel raffiné, mais droit de deux francs, de 40 fr. c. qu'il était.

Bien que ma proposition fût rejetée, ma conviction est restée intacte et c'est pour lui obéir que j'ai l'honneur de proposer l'amendement suivant à l'article premier du projet.

« Art. 1er. Les droits d'accise établis sur le sel brut et sur l'eau de mer sont abolis.

« Les droits d'entrée sur le sel raffiné sont réduits à deux francs par 100 kilogrammes. »

A mes yeux, l'amendement est juste, il n'en résulte ni monopole, ni privilège, car des charges bien plus lourdes sont imposées à tous les habitants du royaume, en compensation de divers avantages.

« Il est utile, puisque par son résultat une industrie importante continuera à exister et à contribuer à la richesse générale.

Point ne l'ignore : mon amendement se présente en des conjonctures peu favorables, et, dans cette enceinte, combien ne diront-ils pas : Quoi ! déjà songer à rétablir partiellement un impôt abhorré dont l'abolition a été vainement sollicitée pendant des temps si longs !... Et quel abus des mots « juste et utile », lorsqu'on s'en sert pour faire augmenter le prix d'un élément considérable de l'alimentation publique !...

A ceux-là, je répondrai : Ne vous laissez pas entraîner par des sentiments plus généreux que raisonnés et je vous en prie, jugez après avoir entendu.

En. fait, j'aime à le proclamer, le gouvernement a accompli non seulement un progrès, mais surtout une bonne action, en proposant l'abolition de tous droits d'accise sur le sel brut. En effet, assujettir à un impôt de 18 francs une marchandise ne valant qu'un sixième tout au plus, était chose vraiment exorbitante, qui devenait inhumaine, quand cette marchandise est destinée à l'alimentation et à la production de celle-ci.

Je le reconnais : ce progrès, pour devenir une bonne action, devait surtout atteindre le droit d'entrée sur le sel raffiné, qui, étant de 40 fr. 70 e., n'était rien moins qu'une prohibition absolue.

Toutefois, quelque séduisante que soit la proposition gouvernementale, encore doit-elle être examinée avec maturité et appréciée à raison des séquences heureuses ou néfastes qu'elle exercera sur une des industries du pays.

Pour moi, l'industrie de la saunerie est frappée à mort si l'article du projet est adopté.

A-t-elle mérité une telle fin ? Est-elle si peu considérable qu'on puisse la faire mourir, sans que le commerce en éprouve une forte lésion ? Non, certes !

Le raffinage compte 250 établissements, selon mes renseignements recueillis à bonne source, et 197 seulement selon l’assertion de la section centrale ; il représente en immeubles et en matériel une valeur d'au moins 6 millions de francs.

Il est activé par un capital roulant de plus de 4 millions de francs.

Sa production annuelle est de 30 millions de kilogrammes de sel raffiné et il emploie 150,000 tonnes de charbon.

La consommation annuelle de sel raffiné est de 5 kilogrammes par habitant.

Par malheur, la Belgique, quoique si riche en matières minérales, ne possède ni mine de sel, ni marais salant, ni sources salées. Elle n'a que l'eau de la mer, qui est un élément absolument insuffisant ; de sorte que la (page 759) saunerie indigène doit s'approvisionner à l'étranger, principalement en Angleterre et en France.

Le sel brut de ces provenances est rendu, franco, gare belge, à raison de 2 fr. 50 c. les 100 kilogrammes. Or, le raffinage coûtant 1 fr. 50 c., les 100 kilogrammes de sel raffiné reviennent à 4 francs.

Pour l'Angleterre comme pour la France, les frais de raffinage n'existent pas ou sont très considérablement réduits.

Ainsi, en Angleterre, on obtient le sel raffiné directement, sans aucuns frais ; ce qui permet aux raffineurs anglais de vendre le sel raffiné au même prix que le sel brut.

J'ajoute que, de ces jours derniers, des commerçants anglais offraient le sel raffiné de première qualité au prix de 2 fr. 30 c., rendu à Bruxelles.

De ce côté, la lutte est impossible pour nos raffineurs.

En France, d'après le Précis de chimie industrielle de Payen, l'exploitation du sel se fait dans 27 départements, qui comprennent 76 marais salants, 12 source salées et une mine de sel gemme. Il y a, en outre, 21 laveries de sables salés.

Ces exploitations fournissent six cents millions de kilogrammes dont 300,000.000 des marais salants du Midi, des marais de l'Ouest et des salines de l'Est.

Dans le Midi et dans l'Ouest, comme en Angleterre, les frais de raffinage sont nuls, parce qu'il se fait aussi directement sur place. Pour les salines de l'Est, ces frais s'élèvent peu près à 50 centimes par 100 kilog.

La mine de Dieuze, au département de la Meurthe, la principale, est inondée. Elle sert de cuve et la saumure est extraite immédiatement de la mine au degré de la saturation voulu pour être soumise à la cristallisation.

On le conçoit trop bien : vis-à-vis de la provenance française, la concurrence est encore impossible, puisqu'il existe en sa faveur un écart d'au moins d’un franc, sans tenir compte de l'intérêt de l'amortissement des établissements et du matériel des raffineurs belges.

Dans cette position, faut-il abandonner le raffinage indigène à la merci du raffinage étranger ?

Oui, a dit le gouvernement, et à l'appui de sa réponse quelque peu ironique et assurément bien dure, il a émis ces considérations :

« Le sel brut est soumis aujourd'hui à un droit d'accise de 18 francs les 100 kilogrammes. Le droit d'entrée sur le sel raffiné est de 40 fr. 70 c. les 100 kilogrammes. Ce droit est évidemment prohibitif et il a été reconnu qu'un droit de quelques francs dépassant le montant de l'accise, permettait aux produits de nos sauniers de soutenir la concurrence contre le sel étranger. Mais la valeur du sel à l'arrivée dans le pays est si peu élevée qu'un droit d'entrée sur le sel raffiné, si faible qu'il fût, représenterait encore une notable proportion de la valeur de la marchandise, et viendrait ainsi maintenir le sel en consommation beaucoup au-dessus de ce qu'il coûterait s'il était exempt de toute taxe. Le maintien d'un droit de douane sur le sel raffiné compromettrait tous les effets de la réforme projetée. Dans cette situation, le gouvernement n'avait pas à hésiter, et il vous propose la suppression de tout droit sur le sel raffiné comme sur le sel brut. »

Le rapport de la section centrale confirme la sentence fatale proposée par le gouvernement.

Il le fait en ces termes :

« Une innovation aussi radicale ne pouvait s'annoncer sans faire naître de vives alarmes pour le sort d'une industrie qui a vécu sous un régime ultra-protecteur. Les sauneries sont gravement compromises dans leur existence, si pas rendues impossibles. Plusieurs de ces établissements perdront leurs dépenses d'installation et leur valeur industrielle. Ces conséquences certaines, inévitables, légitiment les doléances des sauniers et les nombreuses pétitions adressées à la Chambre. Cependant leurs intérêts, quelque respectables qu'ils soient, doivent fléchir devant la mesure équitable et libérale que la loi est appelée à consacrer ; il ne peut y avoir, sous ce rapport, ni hésitation ni capitulation.

« ... Le maintien d'un droit de douane, même très modéré, ravirait à la loi tout son prestige, en la mettant en contradiction avec les principes essentiels de son origine ; aussi les sollicitations des pétitionnaires n'ont-elles rencontré qu'un faible appui sur ce point. De plus, il a paru à la section centrale que les traités étaient obstatifs à tout droit protecteur, fût-il très minime, et qu'il était convenable de ne jamais donner ouverture à une réclamation sur l'exécution loyale de nos conventions internationales.

« La plupart de ces considérations sont justes, si elles s'appliquent aux droits actuels, c'est-à-dire au droit d'accise de 18 francs sur le sel brut, et à celui de 40 francs 70 centimes à l’entrée du sel raffiné ; mais elles sont singulièrement exagérées et font naître des alarmes non fondées, en tant qu'on les met en rapport avec un simple droit d’entrée de 2 francs sur le sel raffiné, et à peine suffisant pour conserver la vie au raffinage national.

Et d'abord est-il vrai qu'un simple droit de douane sur le sel raffiné de provenance étrangère compromettrait les effets ou le prestige de la réforme projetée ? Le chef du département des finances, l'habile et expérimenté promoteur du projet, sait fort bien que c'est là une expression de plume qui dépasse de beaucoup la réalité. Pour le prouver, il suffit de se dire que le surplus du projet n'est même pas attaqué.

En plus, la preuve devient manifeste, si l'on se demande qui désormais emploiera le sel en plus grande abondance ? Certainement ce ne sera point le consommateur de sel raffiné, qui ne sert guère qu'aux besoins ménagers et à la préparation de certains aliments.

On peut l'affirmer sans craindre une dénégation : ce sera l'agriculture, ce sera l'industrie qui vont faire une très large consommation de sel, mais de sel brut.

Ainsi la partie la plus importante de la réforme ne subira aucune atteinte. Elle produira tous les effets entrevus, et qui, j'en ai la confiance, seront même dépassés.

Mais est-il exact d'affirmer qu'un droit d'entrée sur le sel, si faible qu'il fût, représenterait encore une notable proportion de la valeur de la marchandise, et viendrait ainsi maintenir le prix du sel en consommation beaucoup au-dessus de ce qu'il coûterait s'il était de droit ?

Je le nie jusqu'à ce qu'il soit démontre par des faits expérimentaux quel sera le coût du sel étranger, lorsque les sauneries belges auront cessé d'exister, et alors que le prix se fixera naturellement par le rapport de l'offre avec la demande.

Là est tout le litige qui existe entre le projet et l'amendement. Examinons-le.

En premier lieu, une réflexion s'impose à l'esprit : c'est que l'assiette du droit de douane de 2 francs améliore la position actuelle de 16 francs par 100 kilogrammes. Assurément, un semblable abaissement est très considérable et constitue un changement si favorable, que personne n'aurait osé en concevoir l'espérance il y a quelques mois. Un tel abaissement, à côté de l’abolition de tout droit sur le sel brut, constitue une réforme réelle.

Qu'adviendra-t-il si le droit sur le sel raffiné disparait totalement ? ... Une surélévation inévitable du sel raffiné de provenance étrangère, devenu maître de la place et y dominant sans concurrence et sans contradicteur ; et M. le ministre des finances, quelque légitimes et respectées que soient sa science et son expérience économiques, n'est pas en état d'affirmer et de prouver que le sel étranger ne dépassera pas le prix de 4 et 5 francs par 100 kilogrammes.

C'est qu'il sait que l'industriel, pour devenir maître dominateur de la concurrence, sait abaisser son prix de vente jusqu'aux dernières limites, pour le relever ensuite jusqu'aux dernières limites encore pour empêcher la résurrection de la concurrence qu'il a abattue.

Que se passe-t-il aujourd'hui ? Déjà le sel anglais est offert à 2 fr. 50c. par le motif de démontrer aux Chambres belges et au pays qu'il y a duperie de faire maintenir un droit protecteur, qui fera vendre le sel à 4 francs.

Mais patience ! dès que ce droit aura été repoussé, le sel raffiné de l'étranger augmentera de prix et atteindra ce chiffre de 4 francs. Pourquoi l'industriel étranger ne profiterait-il pas énergiquement de la belle position qu'il a obtenue et à laquelle nous aurons concouru par un aveuglement coupable ?

Vainement on objectera que la concurrence indigène reparaîtra par suite de cette surélévation de prix, car nos sauniers savent, par une triste expérience, que, produisant à un prix très inférieur, les producteurs étrangers abaisseront leur marchandise dès que la concurrence renaîtra et la feront aisément disparaître.

Qui, avec une semblable perspective, osera créer de nouveaux établissements ? .... Qui se lancera dans une carrière non pas aventureuse, mais frappée par avance de mort certaine ? Personne.

Belle perspective vraiment que celle qui est faite aux consommateurs belges et qui consiste à ruiner une de leurs belles industries pour payer le même prix à l'étranger !

La conséquence d'un tel système est celle-ci : la protection indispensable à la saunerie sera remplacée par un monopole institué en faveur de l'étranger. Oui, un monopole, car il ne sera pas libre aux consommateurs indigènes d'acquérir le sel d'autre provenance que celui de France et d’Angleterre.

(page 760) Eh bien, monopole pour monopole, j'aime mieux payer à mes compatriotes qu'à des étrangers le surcroît de prix qu'il engendre.

Surcroît de prix !... si l'on descend au fond des choses, il n’est certes pas exorbitant. En effet, j'ai démontré qu'en Belgique la consommation du sel raffiné était de 5 kilogrammes par habitant ; de sorte qu'avec le droit d'entrée de 2 francs, le sel serait livré à raison de 4 fr. 50 c. les 100 kilogrammes, soit pour 5 kilogrammes 22 1/2 centimes ; tandis que s'il est vendu par les producteurs étrangers, ces 5 kilogrammes coûteront 12 1/2 centimes, différence 10 centimes.

Et c'est pour économiser problématiquement dix centimes par année sur la consommation personnelle que nous détruirons cette industrie qui active deux cent cinquante établissements, qui représente une valeur commerciale de plus de dix millions de francs et qui donne du pain tant de travailleurs ! Ce n'est pas possible, ce n'est pas ainsi qu'on enrichit un pays. C

C'est ici que je dois rencontrer cette objection qui a été attribuée à M. le ministre des finances, lorsqu'il entendait la réclamation des sauniers : « Si vous n'êtes plus raffineurs, vous serez marchands de sel ! consolez-vous. » Belle consolation !... Et que deviendront les bâtiments contenant les sauneries ?... Le matériel sans emploi ? et les ouvriers jetés brusquement sur la rue. Il semble que ces choses et ces personnes méritent quelques égards et qu'il n'y a pas lieu de procéder par forme d'exécution sommaire.

Vraiment à entendre et l'éloquent rapporteur de la section centrale et le chef du département des finances, on dirait que le faible droit de 2 francs sur le sel raciné constitue une monstruosité économique et dont il ne reste plus d'exemple. Mais il en existe et il continuera à en exister en grand nombre, il en est un surtout qui pèse plus sur l'alimentation publique que les 10 centimes dont j'ai fait état.

Cet impôt est celui qui grève la farine provenant de l'étranger, alors que les grains sont libres de tous droits d'entrée.

C'est à ce droit qu'il faut appliquer ces paroles de l'honorable M. Watteeu : « Son injustice s'accuse en mettant sur la même ligne le pauvre et le riche, il fait obstacle aux lois de la nature en assujettissant certaines conditions le droit de faire usage dune substance indispensable à la vie. »

Le droit sur la farine étrangère est de 1 fr. 20 c. par 100 kilogrammes. Sans doute, il n'équivaut pas, comme le droit de 2 francs sur le sel, à 80 p. c. de la valeur de l'objet frappé ; mais c'est là une considération peu importante, puisque ce droit pèse sur le consommateur dans une proportion bien plus considérable que le droit de 2 francs proposé par mon amendement.

En effet, étant admis qu'une personne consomme, par année, 300 kilogrammes de farine et 5 kilogrammes de sel, elle payera sur la farine un impôt de 3 fr. 20 c., tandis qu'elle supportera sur le sel une surélévation de 10 centimes.

On le voit la question n'est point dans le fait que le droit est plus ou moins en rapport avec la valeur de la marchandise ; elle gît dans cette circonstance d'une plus ou moins grande consommation de cette marchandise.

Pourquoi ce droit a-t-il été établi, alors que l'on donnait libre entrée aux grains ? Uniquement pour protéger la meunerie belge, qui, comme la meunerie étrangère, a des coups d'eau, des aliments sur place pour la vapeur, et, enfin, la matière première que lui fournit une agriculture florissante et toujours renommée... Lorsqu'on établissait ce droit sur le pain du pauvre comme sur le pain du riche, on ne songeait pas à invoquer ce document qui reflétant les aspirations libérales de la majorité du pays, contient ces paroles d'une vérité frappante : « L'impôt sur la farine, dans le budget d'un Etat démocratique, nous paraît un véritable anachronisme. »

Alors on trouvait l'impôt juste et utile. Par mon amendement, je demande bien moins ; et si on le repousse, il y aura une injustice commise, entrainant et en pleine préméditation la ruine d'une industrie importante ct jetant dans la misère les ouvriers qui, par elle, gagnaient le pain de chaque jour.

Quoique partisan de la liberté commerciale comme de la liberté politique, jamais je ne me résoudrai à faire application de la théorie du libre échange sur les ruines d'une industrie de mon pays.

Cette liberté commerciale, je l'accepte et je la recommande, mais vis-à-vis d'une industrie qui est en état de lutter contre l'industrie similaire de l'étranger ; aller au delà, c'est faire un marché de dupe en même temps que consacrer une injustice.

Qui a commis ce marché de dupe et cette injustice ? Est-ce la France, l'Angleterre ? ... Je ne puis répondre négativement avec l'autorité des traités que nous avons faits avec elles.

Je le sais très bien : Il est des économistes tout d'une pièce qui ne supportent pas la plus légère protection et ils l’accusent de porter atteinte la libellé. Je réponds que l'accusation n'est pas fondée, car il n'y a d'atteinte à la liberté qu'en ce qui concerne les marchandises prohibées d'une manière absolue, alors que le consommateur, même en les payant, n'est pas libre de se les procurer suivant ses goûts et ses besoins. Mais quant aux objets frappés de droits plus ou moins élevés, ils rentrent dans la catégorie des produits indigènes dont le prix est augmenté par les exigences du fisc pour satisfaire aux besoins budgétaires.

Je réponds encore en disant : Je ne vois pas que les autres pays renoncent à protéger, au moins dans certaine mesure, leurs industries, pour les livrer à une défaite certaine.

Si la Chambre le permet, je citerai, à l'appui de ma thèse, ce passage da M. L. Alby, dans son très remarquable travail intitulé : « La protection et la liberté commerciale ».

« Il est facile de présenter le régime protecteur sous un jour défavorable et de lui donner un vernis d'injustice et de monopole. Il suffit, et c'est ainsi qu'on procède invariablement, de l'attaquer par le détail au lieu de l'envisager dans son ensemble, d'opposer à l'intérêt d'une seule industrie à celui du pays tout enlier. Prenons, par exemple, l'industrie métallurgique. Tout le monde a besoin de fer, et le fer est produit en France par un nombre très restreint de maîtres de forges. Voici comment les libre échangistes posent la question. Le prix du fer est surélevé, disent-ils, par le droit d'entrée qui frappe les fers étrangers. Est-il juste que 38 millions de Français payent le fer plus cher qu'il ne vaudrait sans l'existence du droit, afin d'enrichir quelques maîtres de forges ?

« Si l'on s'en lient là, si la question reste isolée, il n'y a qu'une réponse possible. A l'exception des maîtres de forges, tout le monde s'écriera : Non, cela n'est pas juste, c'est un monopole odieux ! - Très bien, posons une question semblable à une autre industrie, la fabrication du drap. - La réponse sera la même. Seulement cette fois le fabricant de draps se retournera vers le maître de forges et lui dira : De quoi vous plaignez-vous ? Je vous paye votre fer plus cher que je ne payerais le fer étranger, s'il entrait en franchise. N'est-il pas juste vous me payiez mon drap plus cher que le drap étranger ? L'argument est irréfutable ; le maître de forges sera forcé d’en convenir.

« En parcourant le cercle entier de la production industrielle et agricole, à chaque industrie nouvelle que l'on considérera, l'injustice apparente ira se resserrant, et l'on finira par se trouver en face d’une série de gens payant plus cher ce qu'ils achètent, mais faisant payer plus cher ce qu'ils vendant ; ils n'auront rien à se reprocher les uns aux autres. »

Dans l'occurrence, les sauniers sont le marchand de draps, mais auxquels on ne permet pas de répondre comme celui-ci : .

J'achète votre farine plus cher, parce que la farine étrangère est frappée à votre profit d'un droit de 1 fr. 20 c. par cent kilogrammes.

Et si, comme m'y invite M. Alby, je parcours le cercle enlier de la production industrielle et agricole, je puis faire la même réponse.

Je ne considérerai pas chaque industrie ; je serais entraîné trop loin ; je me bornerai, avec le traité du 1er mai 1861 à la main, à signaler les droits protecteurs sur les marchandises alimentaires.

Les voici, avec l'indication des droits d'entrée. Le beurre frais ou salé, il paye par100 kilogrammes, 5 francs ; les boissons distillées des droits de 42 fr. 50 c., 85 francs.

Les vins, bières et autres boissons fermentées.

La chicorée brûlée, 2 francs par 100 kilogrammes.

Le chocolat et le cacao simplement broyé, 35 francs par 100 kilogrammes.

Les conserves alimentaires, 20 francs par 100 kilogrammes.

Le jus de réglisse, 12 francs par 100 kilogrammes.

Le miel, 12 francs par 100 kilogrammes.

Le sucre de betterave, 1 fr. 20 c. par 100 kilogrammes.

Le sucre raffiné, mélis, lumps et candis, 60 francs par 100 kilogrammes.

Je m'arrête pour constater que la nomenclature que je viens d'étaler se compose d'objets de première nécessité et tous d'une consommation plus étendue que le sel raffiné ; et que tous, à l'exception du sucre de betterave, sont frappés d'un droit supérieur à celui proposé par mon amendement.

Je disais plus haut que ni la France ni l'Angleterre ne sacrifiaient leurs industries à celles de leurs voisins : c'est vrai, le tableau D contient la longue liste des marchandises prohibées à l'entrée en France, à l'égard desquelles l'application du traité du 1er mai 1861 est ajournée. Cette liste est longue et prouve que non seulement la France protège ses producteurs, mais même consacre pour certains d'entre eux le système du monopole.

(page 761) Ce n'est pas que je sollicite la proclamation d’un système aussi exclusif ; non, je le rejette énergiquement ; mais je réclame l'application d'une théorie qui ne soit empreinte d'aucune exagération et d'aucun excès.

Je demande, après ces considérations, ce que deviendrait l'industrie nationale, si toutes les branches protégées par les traités de commerce étaient traitées comme le raffinage du sel... Assurément une immense clameur condamnerait un système qui jetterait le désordre et la ruine là où régnaient l'activité, l'ordre et la prospérité.

J’achève en rencontrant cette partie du rapport de la section centrale :

« Il a paru à la section centrale que les traités étaient obstatifs à tout droit protecteur, fût-il très minime, et qu'il était convenable de ne jamais donner ouverture à une réclamation sur l'exécution loyale de nos conventions internationales. »

Assurément ce ne sera pas moi qui ne respecterai point nos conventions internationales ; et si la matière qui m'occupe était réglée par un traité, je me tairais à l'instant, tout en manifestant le regret d'avoir, sans utilité, occupé les instants de la Chambre.

J’ai vainement cherché l'instrument conventionnel qui serait obstatif au maintien d'un droit sur le sel raffiné. Il n'existe pas. Les traités et les conventions du 1e mai 1861 avec la France ne parlent que du sel brut et stipulent son entrée libre.

Mais il ne s'agit pas de sel brut ; il n'est question que de sel raffiné, pour lequel il n'existe aucun obstacle pour l'assujettir au droit d'entrée de 2 francs par 100 kilos.

Tels sont, messieurs, les motifs qui m'ont excité à proposer un amendement qui, j'en ai l'espoir, recevra de vous un bon accueil, si vous voulez bien vous poser cette question :

Faut-il abandonner à l'industrie étrangère le marché belge pour le sel raffiné, qui coûtera aux consommateurs le prix auquel le livrerait la saunerie indigène avec l'établissement d'un droit d'entrée de 2 francs par 100 kilos ?

MpDµ. - Voici la proposition que Lambert vient faire parvenir au bureau :

« J'ai l'honneur de proposer l'amendement suivant :

« Art. 1er. Les droits d'accise établis sur le sel brut et sur l'eau de mer sont abolis.

« Les droits d'entrée sur le sel raffiné sont réduits à 2 francs par 100 kilogrammes. »

M. de Macarµ. - De même que les honorables collègues que vous venez d'entendre, je ne puis que féliciter le gouvernement des mesures qu'il nous propose. L'abolition des droits d'accise établis sur le sel est une preuve évidente de la sollicitude du gouvernement pour les intérêts agricoles.

C'est la réalisation d'un vœu depuis longtemps émis par le conseil supérieur d'agriculture, par les conseils provinciaux. Tant au point de vue de l'alimentation du bétail, que comme amendement direct du sol, ou comme mélange avec d'autres engrais, le sel est appelé à jouer un rôle considérable dans l'économie agricole.

Les formalités à remplir pour obtenir l'exonération du droit d'accise sur le sel pour le bétail et l'amendement des terres, l'ont rendue presque impossible jusqu'aujourd'hui.

Un coup d'œil jeté sur le tableau indiquant les quantités de sel concédées en exemption de droits pour les usages agricoles le démontre : En 1862 environ 141,000 kilogrammes, en 1863 221,000, en 1864 225,000, en 1865 293,000, en 1866 380,000.

Pour cette dernière année, 811 concessions seulement avaient été accordées.

814 pour les milliers d'agriculteurs existant en Belgique ! Le chiffre prouve surabondamment que la mesure protectrice promulguée ne recevait pas d'exécution.

Messieurs, je m’attends aujourd'hui à une progression considérable dans l’usage du sel en agriculture et sans espérer le résultat obtenu en Angleterre où, dès la première année, l’emploi da sel a été décuplé, je ne doute pas que l'agriculture ne retire de la loi actuelle d'immenses avantages.

C'est précisément parce que j'attache un grand prix cette mesure que je regretta l'amendement qu'a proposé la section centrale.

Je crois que si l'on recule au 31 décembre la mise en vigueur de la loi, ce sera une année perdue pour l'agriculture sans bénéfice pour les sauniers.

Je dis sans utilité pour les sauniers, parce que l'époque fixée par le gouvernement était très favorable pour la constatation de l'état de leurs magasins, C'est le moment où ils ne renferment pour ainsi dire pas de sel.

Le 31 décembre, au contraire, est l'époque où il y a les salaisons les plus considérables de viande. A cette époque, la quantité de sel en magasin doit être, pour satisfaire à la consommation, quintuple de celle qui se trouve au 1er juin.

Il est donc probable que la perte sur les existences en magasin équivaudra, dépassera même, le surcroît de bénéfice que l'on accorderait aux sauniers en reculant l'entrée en vigueur de la loi.

Je ne pourrai donc me rallier à l'amendement de la section centrale et je crois qu'il est de l'intérêt de tous d'en revenir à la proposition première du gouvernement.

En ce qui concerne la réforme postale, je ne fais qu'une seule réserve. Nous marchons dans une voie de progrès, mais le service postal rural laisse à désirer.

Ainsi, il existe encore des chefs-lieux de canton, celui de Bodegnée dans mon arrondissement, entre autres, qui n'ont pu obtenir deux distributions. Si la loi devait avoir pour conséquence d'empêcher d'augmenter les facilités de correspondance dans les campagnes, je regretterais la présentation du projet, malgré la faveur avec laquelle il est accueilli.

Je crois qu'il faut, en matière de poste, une grande justice distributive ; il ne faut pas calculer par francs et centimes ce que tel ou tel bureau de poste peut rapporter. C'est une question d'intérêt général. Je demande notamment à l'honorable ministre des travaux publics que, dans la supputation des dépêches qui sont adressées aux communes rurales, il soit tenu compte des journaux.

Nous demandons partout avec instance la lumière, faisons donc ce que nous pouvons pour l'apporter. Je suis persuadé que si M. le ministre des travaux publics veut examiner avec sa bienveillance habituelle la demande que je lui soumets, il lui donnera une solution favorable. J’ose lui prédire que les intérêts du trésor n'en seront pas trop lésés.

Messieurs, les divers dégrèvements d'impôts que nous allons décréter exigeaient naturellement une compensation pour le trésor.

Notre état financier, si satisfaisant qu'il soit, ne nous eût permis une diminution de recettes de francs qu'à la condition de réduire notablement nos travaux publics.

Personne ne le proposera, et je pense qu'à part les dépenses du budget de la guerre, lesquelles sont contestées, personne dans cette Chambre ne pourra méconnaitre qu'il y a bien peu d'économies à faire sur les diverses dépenses annuelles des budgets.

L'idée d'une augmentation du droit d'accise sur les eaux-de-vie se présentait, je dirai même s'imposait, et en effet, messieurs, alors qu'on se plaignait de l'accroissement considérable du nombre des consommateurs de boissons alcooliques, le droit qui les frappait était inférieur à ceux des pays voisins, tandis que la décharge des droits ne s'élevait en Belgique qu'à 35 francs par hectolitre marquant 50 degrés de l'alcoomètre de Gay- Lussac, il était en Hollande de 105 fr. 82 c., en Angleterre de 275 francs, en France, de 75 francs, plus le double décime par hectolitre à 100 degrés, soit environ 45 francs par hectolitre à 50 degrés ; mais là il faut tenir compte des octrois, lesquels pèsent considérablement sur les prix des eaux-de-vie.

En Prusse je ne puis déterminer l'impôt aussi complètement que pour les autres pays. Il est de 1 fr. 63 3/4 par hectolitre de matière mise en fabrication. Il est moins élevé qu'en Belgique.

Le droit de 65 francs tel qu'il nous est proposé n'est donc pas exorbitant, et cette déclaration que je fais loyalement, malgré l'importance considérable de l'industrie de la distillation dans l'arrondissement que j'ai l’honneur de représenter m vaudra, j'espère, votre bienveillance, lorsque j'arriverai tout à l'heure à vous demander quelques légères concessions dans l'intérêt d'une catégorie de petits distillateurs.

Quelles seront les conséquences de l'augmentation du droit au point de vue général ? Quelles seront-elles pour les distillateurs ? Comment pourra-t-on obvier aux difficultés qui ont été signalées ?

Telles sont les questions qu'il me semble utile de débattre.

Messieurs, an point de vue général, j'ai encore une concession très importante à faire. A mon avis, la consommation de l’alcool ne sera guère diminuée.

Cette consommation ne se fait que dans une très faible proportion au (page 762) domicile du consommateur. C’est le cabaret qui en produit la très large part. Je n'ai pu fixer des chiffres, mais j'estime que les 4/5 de la consommation se font chez eux.

Or, le litre de genièvre valait, avant l'annonce du projet, 70 centimes environ. Admettons qu'il atteigne le chiffre d'environ 1 franc. Le litre contient environ 45 petits verres. Il est vendu en détail à 4 centimes dans les campagnes et 5 centimes dans les villes.

Or, multipliez 45 par 5, vous avez 2 fr. 25 c. comme prix de vente du litre en détail, 43 par 4, 1 fr. 80. Dans le premier cas et sous l'empire de la loi nouvelle, 1 fr. 25 ; dans le second, 80 centimes de bénéfice brut pour le cabaretier.

Je sais bien qu'il faut tenir compte du droit de débit de boissons : 1,500,000 francs ; mais je le porte bien haut en lui attribuant une influence de 3 à 4 centimes au litre.

C'est là un bénéfice suffisant et que l'on augmentera difficilement en présence de la concurrence.

On peut donc conclure que les prix de la vente en détail restant, à peu de chose près, les mêmes, il y aura peu de différence dans la consommation.

Mais il y a plus.

Je crois que le prix de 1 franc que j'indiquais est déjà excessif. Le dégrèvement de 15 p. c. en faveur des distilleries agricoles portant sur une somme plus considérable, la somme de droits à payer au trésor étant plus forte, il n'est pas impossible que de nouvelles distilleries agricoles s'établissent et fassent une concurrence assez sérieuse aux distillateurs de grains.

De plus, l'excédant de produits indemne du droit, la partie d'alcool fabriquée en plus de sept litres auxquels la loi fixe le rendement par hectolitre de capacité de la cuve à macération, ayant une valeur plus considérable, il est possible que lorsque les choses auront repris leur état normal, lorsque la fièvre de spéculation (réellement excessive) qui existe actuellement dans le commerce des alcools sera passée, il est possible, dis-je, que le prix d'un franc le litre que j'invoque soit même assez sensiblement diminué.

Au point de vue des distillateurs, la chose est plus grave.

Trois questions se présentent :

Question de surveillance tant dans les usines qu'à la douane ;

Question de travaux de fabrication et de proportionnalité entre les diverses productions d'alcool ;

Question de cautionnement.

Quoique ce soit celle qui ait été la moins traitée dans les pétitions adressées à la Chambre par les distillateurs, de ces trois points, messieurs, qui tous trois ont une importance capitale, le premier est cependant celui qui doit fixer le plus sérieusement votre attention.

Je n'ai pas besoin de fournir ici des chiffres, mais il est évident que le litre de genièvre valant de 30 à 40 p. c. de plus qu'autrefois, la prime offerte à la fraude sera des plus considérables et que si l'on n'y obvie autant qu'il est possible, le fabricant honnête va se trouver à la merci d'une concurrence déloyale.

Deux mesures sont indispensables, dussent-elles entrainer pour le trésor quelques sacrifices : un redoublement de surveillance à la frontière, une minutieuse investigation du travail dans les distilleries.

A la frontière. Je sais l'objection qui peut être faite. Les alcools étant imposés plus fortement encore dans les pays étrangers qu'en Belgique, il n'y aura pas intérêt à payer une décharge de droit supérieure, 103 francs en Hollande, 225 francs en Angleterre, droits dont le fabricant étranger serait dispensé s'il introduisait loyalement sa marchandise en payant le droit de douane de 77 fr. 50 c. pour la Hollande, de 72 fr. 50 c. pour nos autres frontières.

Cela est parfaitement exact en ce qui concerne la Hollande et l'Angleterre en supposant ce que nous ne pouvons contrôler, mais ce que j'admets cependant, que la fraude ne s'exerce que peu ou point dans les distilleries de ces pays. Mais il n'en est plus de même avec les nouveaux droits en ce qui concerne la France et la Prusse, il y a là un danger nouveau !

En France, le droit est, somme toute, plus élevé qu'en Belgique, mais c'est à cause des octrois.

Sans cela de 45 francs à 65 francs, il y a 20 francs d'écart par hectolitre à 50 degrés et si l'on tient compte du peu de volume que présente l'hectolitre à 100 degrés d'alcool pur, que l’on pourrait ensuite manipuler en Belgique vu la facilité de la fraude, par conséquent, on se convaincra qu'il y a un bénéfice illicite considérable à faire.

Ce bénéfice serait encore plus grand à la frontière allemande, mais le supposant même de 20 centimes seulement par litre, c'est l'hypothèse que j’ai émise, il est plus que suffisant qu’il s’organisât sur une certaine échelle pour anéantir l’industrie belge.

C'est dont une question capitale et j’espère que l’honorable ministre des finances voudra bien nous dire quelles sont les mesures spéciales qu'il compte prendre à cet égard.

Quant à la surveillance des distilleries intérieures, messieurs, vous savez le tort énorme qu'ont déjà fait aux distillateurs honnêtes les fraudes qui ont été constatées dans ces dernières années.

Je ne sais s'il est nécessaire d'augmenter le personnel destiné à surveiller la fabrication. Je le crois, mais à cet égard, le ministre des finances saura se défendre.

Mais ne donne-t-on pas de grandes facilités à la fraude en autorisant la distillation de matières de nature différentes dans le même local ? Je consens volontiers à ce que l'on traite des produits mélangés en se conformant au 3° de l'article 4 et alors rien que ce mélange, mais autoriser que l'on traite dans la même usine parfois le jus de betterave seul qui paye que 5 fr. 20 c., parfois le jus de betterave mélangé avec l'une des substances ci-après : fruits secs, mélasses, sirops ou sucres, qui payent 9 fr. 10 c.

N'est-ce pas tenter bien le distillateur peu scrupuleux qui, ayant constamment sous la main la matière première qui doit augmenter sensiblement son rendement, pourra succomber à son désir de lucre illicite sans avoir trop de chances défavorables à courir, et notez-le bien, un seul litre de mélasse jeté dans une cuve peut produire des résultats considérables.

Je me demande aussi, messieurs, s'il n'est point de mesure à prendre pour empêcher que, sous prétexte de distillerie agricole, il ne se crée de véritables distilleries n'ayant d'agricole que le nom ou la simulation d'un bail qui n'existe pas en fait.

L'esprit de la loi de 1842 est incontestablement de permettre l'existence de la distillation agricole au point de vue seulement de l'extension de l'agriculture.

Le fisc renonce au payement immédiat d'une partie des droits sur la fabrication de l'alcool afin que des engrais indispensables à l'amélioration du sol, au défrichement des landes et bruyères, des mauvais terrains, etc., puissent être fabriqués. C'est de l'argent avancé par l'Etat, mais dont, sous forme d'impôt foncier et alors que la terre sera améliorée, il doit récupérer très largement l'intérêt dans la suite des temps.

L'honorable M. Zoude exprime très nettement cette pensée dans son rapport sur la loi de 1842, et c'était si bien la pensée du gouvernement à cette époque, qu'un amendement ayant pour objet d'étendre la faveur des 15 p. c. aux petites distilleries urbaines, fut vivement combattu par M. le ministre des finances. Je suis d'avis, quant à moi, et je ne puis être suspecté de vouloir sacrifier les intérêts de l'agriculture, que j'ai, vous le savez, toujours défendue aussi énergiquement que je l'ai pu ; je suis d'avis que la distillerie agricole ne doit procurer d'autre bénéfice que la production d'engrais à bon marché. Rien absolument, rien de plus. Ce résultat est suffisant.

Eh bien, je crains que la facilité que l'on met à accepter des déclarations de bail plus ou moins frauduleux ne nuise tôt ou tard à la distillerie agricole.

Plus j’attache de prix à ces établissements, plus je constate leur importance, plus je désire que l'on ne puisse fausser le but pour lequel ils ont été institués.

Je me demande, dans cet ordre d'idées, si l'on ne favorise pas la fraude en permettant la distillation partiellement agricole, partiellement industrielle.

Messieurs, puisque j'en suis aux distilleries agricoles, il faut bien que je dise un mot sur le grand combat qui se livre entre les deux catégories de distillateurs.

Selon les uns, les 15 p. c. portant sur une somme plus forte vont faire surgir de nombreuses distilleries agricoles ; selon les autres, et la section centrale semble ne pas trop défavorable à ce système, cet avantage de 15 p. c. est insuffisant ; on aggrave la situation des distillateurs ordinaires, en proposant de permettre de travailler 40 et 60 hectolitres, moyennant réduction de la remise à 10 p. c. et à 5 p. c.

- Une voix. - Il n'y a pas d'amendement.

M. de Macarµ. - La section centrale a indiqué un.

M. Watteeuµ. - La section centrale s'est bornée à relater l'opinion exprimée par un de ses membres.

M. de Macarµ. - Si l’amendement n'est soutenu par personne, je consens volontiers à ne pas l'attaquer ; mais je ne puis admettre non plus (page 763) l’opinion de M. de Maere ; quant à celle)ci, la réfutation est facile ; en effet, il suffit de renvoyer la Chambre au discours même de l'honorable membre pour la convaincre que les distilleries agricoles se trouvent dans une position telle, qu'il est impossible de supprimer le privilège dont elles jouissent. Sa statistique est assez éloquente pour qu’il n'y ait rien à y ajouter.

Pour moi, messieurs, je crois qu'il faut maintenir le projet de loi purement et simplement, voter les 15 p. c., mais ne pas aller au delà ; les intérêts agricoles sont suffisamment garantis et l’on empêchera que des distilleries ne se déclarent agricoles pour jouir de la remise.

Ce fait s'il se produisait causerait un tort sérieux au fisc ; ce ne serait plus l'Etat faisant une avance de fonds récupérable dans l'avenir ; ce serait l'abandon d'une partie du revenu que l'on attend de la fabrication des alcools. L'important pour l'agriculture n'est pas d’avoir des distilleries agricoles produisant beaucoup, mais c'est d'avoir beaucoup de distilleries agricoles.

M. de Maereµ. - M. de Macar veut-il me permettre de lui faire une question ?

Est-ce oui ou non pour venir en aide à l'agriculture que dans la loi de 1842 la déduction de 15 p. c., en faveur d'une catégorie de distillateurs, a été inscrite ? N'était-ce pas pour pousser à la fertilisation des landes, à la mise en culture des bruyères, que le dégrèvement du droit a été accordé ? Et dans quelle mesure ? N'était-ce pas alors que le droit principal par hectolitre de matière macérée était seulement d'un franc ? Maintenant les distilleries agricoles ont-elles rempli leur mission ? Est-ce dans les contrées stériles et abandonnées qu'elles se sont établies ?

Toutes les statistiques que j'ai produites ne prouvent-elles pas le contraire ? Eh bien cela étant, faut-il maintenir la déduction à 15 p. c., alors que la quotité de droit a presque quintuplé du jour où elle a été inscrite pour la première fois dans la loi ? Evidemment non, personne n'a jamais voulu protéger la fabrication de l'alcool pour la fabrication elle-même.

M. de Macarµ. - Je n'ai pas soutenu que la loi de 1842 avait uniquement en vue de fertiliser les terrains incultes. Son but est d'augmenter la valeur de la terre de façon qu'elle puisse, dans un temps indéterminé, avoir une plus-value suffisante pour que l'Etat récupère par l'impôt foncier le sacrifice momentané qu'il a fait du droit d'accise. Ceci s'applique aussi bien aux bonnes qu'aux mauvaises terres.

Donc le raisonnement reste exactement le même dans l'un et l'autre cas.

Au reste, messieurs, les 15 p. c. peuvent être acceptés sans danger pour une autre raison ; les distillateurs d'une part, le fisc de l'autre, sont intéressés à ne pas laisser faire des bénéfices trop considérables à la distillerie agricole. Question de concurrence d'une part, question de voies et moyens de l’autre. L'honorable ministre pourra parfaitement se rendre compte des diminutions de rendement ; dans le cas où la différence de neuf à dix centimes dans le prix de revient des distilleries agricoles provoquerait de leur part une fabrication anomale, il y aura lieu d'examiner, mais seulement alors, une nouvelle combinaison qui consisterait à défendre aux distillateurs agricoles de faire autre chose que des phlegmes lesquels devraient ensuite être rectifiés dans les distilleries. Mais pour le moment il me semble inopportun de combattre la réduction de 15 p. c.

J'entre maintenant dans un autre ordre d'idées : il s'agit de la question da cautionnement. La loi que nous allons voter va avoir pour conséquence immédiate de doubler à peu près le cautionnement exigé actuellement des distillateurs ; la proportion d'augmentation est de 80 p. c.

Ainsi, dans les distilleries les moins importantes, celles pour lesquelles caution de 50,000 francs était nécessaire, la caution va être portée à 90,000 francs.

En principe, je n'ai rien à dire. Le gouvernement exige que la loi d'impôt ait sa sanction, elle prend les moyens nécessaires pour atteindre ce but, c'est légitime.

Mais est-ce légitime aussi de prendre subito, sans délai, sans donner aux intéressés le temps de se couvrir, de pareilles mesures ?

C'est ce que je ne crois pas. Je sais que les lois d'impôt peuvent être modifiées chaque année, rien que par l'adoption d'un budget. Mais dans un pays comme le notre où jusqu'ici nous avons traité paternellement avec modération toutes les questions dont la solution immédiate pouvait amener la perturbation dans une industrie, devons-nous inaugurer aujourd'hui un système absolu dont la conséquence immédiate sera la chute d'un assez grand nombre de petits distillateurs ?

Et en effet, messieurs, par qui ont été fondée ces distilleries de petite importance ? Par des personnes n'ayant que des ressources restreintes, Cela est évident ! Le bénéfice à retirer d'une industrie augmente en proportion de l'importance de cette industrie, les frais généraux restant, à peu de chose près, les mêmes dans un grand établissement que dans un petit (frais de direction, de surveillance, d'agence de vente, d'achats de grains, etc.).

On peut donc affirmer que les petits distillateurs ont, en thèse générale. employé toute leur fortune, tout leur crédit pour fonder leur affaire. Comment voulez-vous, si l’on exige immédiatement un supplément de caution aussi exorbitant, qu'ils trouvent à satisfaire à cette exigence ?

Le fait est indéniable. C'est la ruine de plusieurs, la ruine inévitable.

Et cependant, je le reconnais, le fisc ne peut être désarmé et l'on dira, j'en suis certain, qu'il n'y avait pas d'engagement pris par le gouvernement de ne point augmenter ses droits d'accise, que l'on pouvait même prévoir cette éventualité depuis quelque temps ; en un mot, que si l'on a fondé sur du sable, rien d’étonnant à ce que l'édifice croule.

Tout cela est vrai, mais il est vrai aussi que nous ne sommes pas habitués aux coups de théâtre ni en politique, ni en économie politique, ni en administration en Belgique. Nous avons marché dans une voie de progrès, mais sagement, sans secousses, sans soubresauts. Libre-échangistes, nous n'avons pas décrété en un jour le libre-échange. Libéraux, nous avons attendu, nous attendons encore patiemment, trop patiemment pour beaucoup, la réalisation lente et progressive de nos principes. Pourquoi ne pas accepter ici des mesures transitoires ?

L'enjeu, notez-le bien, c'est, pour ainsi dire, la ruine d'un certain nombre de nos concitoyens.

Et ces mesures transitoires sont-elles impossibles ? N'en est-il point qui sont parfaitement pratiques ? Un peu de bonne volonté et, je le reconnais. quelques ennuis pour l'administration suffiraient pour les réaliser.

Une première mesure, celle-ci définitive, est recommandée par la section centrale : ce serait d’accepter, pour les cautions en immeubles non bâtis, le multiplicateur admis par le fisc en matière de succession en ligne directe. Cc qui est équitable dans un cas, pourquoi ne l'est-il pas dans l'autre ?

Pourquoi encore exiger que les biens à donner en caution soient absolument quittes et libres de charges ?

Une hypothèque quelconque, une rente si minime qu'elle soit, suffisent pour qu'on puisse les refuser. Qu'on les accepte la valeur cadastrale, déduction faite des charges qui les grèvent. La mesure telle qu'elle existe est vexatoire et donne prise à l'arbitraire.

Pourquoi aussi refuser toute caution personnelle de personnes habitant une autre province que celle du distillateur ?

Notre Belgique n'est pas si grande que l'administration des finances ne puisse savoir sûrement, d'une province à l'autre, la position et l'état de fortune d'un citoyen.

Enfin, messieurs, puisque j'en suis aux détails d'administration, et que ceci soit étranger à la question que je traite, ne pourrait-on codifier tous les arrêtés royaux sur la distillerie qui se sont succédé depuis 1842 ? Plusieurs distillateurs m'ont exprimé le désir que ce fait se réalise, et je dois le déclarer, il est bien difficile de se rendre un compte exact de ce qui a été fait depuis cette époque sans feuilleter beaucoup trop de documents.

Pour les propriétés bâties, il faudrait provisoirement, pour un terme de deux années, accepter également la valeur cadastrale.

On objecte que ces propriétés peuvent par suite de la loi perdre une grande partie de leur valeur. Mais si vous ruinez le propriétaire, n'est-il pas juste de participer dans une certaine proportion à cette perte ?

On objectera que les agents du fisc, les receveurs étant personnellement responsables de la rentrée de l'impôt, ce serait découvrir ces fonctionnaires, les exposer à des pertes.

Messieurs, c'est précisément pour cela que je réclame, la valeur devant être acceptée par l'administration, si la vente en cas de faillite n'atteignait pas la somme déterminée, la différence serait à charge de l'Etat. Evidemment, il y aurait injustice à rendre le receveur responsable, mais en y mettant de la modération, l'hypothèse est peu probable.

Messieurs, la loi aura des effets très différents, au point de du cautionnement, entre les divers groupes producteurs d'alcools.

Là où il existe des entrepôts, le producteur crédité des droits n’aura à apurer son compte pour les marchandises y déposées qu'à leur sortie, lorsqu'elles auront été vendues par conséquent, et qu'il pourra disposer de leur valeur soit au comptant soit au crédit (par escompte).

Au contraire, là où il n'existe pas d'entrepôt, la marchandise emmagasinée ou en citerne devra solder le droit dans les termes déterminés.

Il en résulte l'obligation d'une sortie de fonds immédiate dans ce second cas. Donc nécessité d'un capital de roulement effectif considérable, alors que les concurrents favorisés d'un entrepôt pourront jouir d'un crédit à peu près illimité.

(page 764) En présence de la majoration considérable de crédit de banques indispensable aux distilleries, ce fait est important.

En réalité, messieurs, je crois que ses conséquences ne manqueront pas de se produire dans un délai très rapproché.

Je le disais tout à l'heure, la fièvre de spéculation qui s'exerce sur le commerce du genièvre a pour conséquence actuelle : 1° 1'achat de quantités énormes d'alcools étrangers ; 2° la production aussi intense que possible d'alcools dans toutes les distilleries belges.

Le marché va donc être encombré par un surplus de produits dont l'écoulement sera certainement difficile.

On exportera, me dit-on. C'est là une erreur, on ne pourra exporter en décharge de droit (bien entendu, c'est là la condition sine qua non de l’exportation) que des quantités très limitées. D'abord il n'y a que les distillateurs qui pourront user de ce droit. Ils ne pourront le faire qu'à concurrence de leur fabrication établie par les déclarations qu'ils auront faites en conformité de l'article 15 de la loi de 1842, et ce, dans un délai déterminé.

Il s'ensuit que presque tout le surcroît d'alcools arrivés de l'étranger et fabriqués en sus de la fabrication habituelle restera en Belgique et que nous serons condamnés à le boire avant que nous rentrions dans une situation normale.

Or, cette grande consommation ne se fera pas, espérons-le, en un jour. Il faudra que les détenteurs conservent assez longtemps leur marchandise. Là où il y aura des entrepôts. pas de grand inconvénient ; il ne sera pas nécessaire de faire l'avance du droit ; mais là où il n'y a pas d'entrepôt, comme à Huy et dans toutes les campagnes, le payement des droits sera immédiatement obligatoire.

C'est là une charge écrasante et qui amènera forcément deux choses :1° l'obligation de vendre immédiatement, donc baisse considérable momentanément des alcools ; et 2° cessation de fabrication dans la plupart des petites usines.

Voici ce que je propose, c'est que provisoirement, pour un terme de deux années, il soit permis aux distillateurs de fournir en caution du droit les alcools qu'ils auront en citerne aux conditions suivantes : 1° que ces alcools se trouvent dans un endroit parfaitement isolé du reste de la fabrique ; 2° qu'ils soient mis sous scellés après vérification de leur qualité et de leur nature, faite contradictoirement par le fisc et le négociant intéressé, en opérant sur la valeur arrêtée une réduction de 10 p. c. ; 3° que les scellés ne puissent être levés qu'après l'autorisation du contrôleur et en présence de l'agent qui les aura apposés.

Messieurs, je crois que l'administration des finances peut consentir à la modification que je demande ; il en résultera sans doute un surcroit de travail pour ses employés. Un inconvénient à côté du fait si grave de la ruine éventuelle de quelques-uns, doit-il vous arrêter ?

Messieurs, je n'ai plus qu'un point de détail à traiter, une question intéressant spécialement l'arrondissement le plus vinicole de la Belgique, l’arrondissement de Huy. La distillerie du marc de raisin est assujettie à un droit égal à celui qui frappe la distillation des fruits à pepins (article 5 de la loi actuelle). Classer le marc dans les fruits à pepins, n'est-ce pas l’assimiler au raisin lui-même alors qu'il n'en est que le résidu ? Raisonnablement le fait est-il admissible ?

En France, où la distillation du marc pourrait avoir une véritable importance, par la quantité des vignobles qui s'y trouvent, cette distillation est néanmoins, m'assure-t-on, permise moyennant une simple patente et constituerait même une profession pour certains possesseurs d’alambics portatifs.

Messieurs, vous savez que nos vins du pays jouissent d'une certaine réputation. Je ne dis pas cela pour moi, j'avoue que je ne les aime guère, mais il semble qu'on puisse les améliorer assez sensiblement en permettant aux vignerons qui voudraient épuiser tout ce que le raisin peut donner, d’extraire du marc quelques litres d'eau-de-vie qui, joints au vin lors du pressurage, donneraient à nos vins un corps dont ils manquent parfois ; la chose a si peu d'importance, au point de vue des alcooleries, que je me fort d'avoir l'appui de tous les distillateurs belges et que j'ose espérer même le bienveillant appui de M. le ministre des finances.

M. Thonissenµ. - Je ne viens pas combattre le projet de loi soumis à nos délibérations. Je me contenterai d'appeler l'attention de l'honorable ministre des finances sur quelques améliorations de détail qui pourraient y être introduites.

Je commencerai par dire quelques mots de la partie du projet relative à la distillation des différents produits de la betterave.

Sous ce rapport, le projet actuel est plus complet et plus équitable que la législation existante. Le rendement présumé du jus de betterave a été porté de 7 à 8 litres d'alcool ; celui des mélasses, de 11 à 12 litres, et celui provenant du mélange du jus et de la mélasse de 11 à 14. Grâce à des renseignements qui m'ont été fournis, avec l'autorisation de M. le ministre des finances, par deux fonctionnaires éminents de son département, je suis en mesure d'affirmer que ce rendement, de même que celui du grain, ont été fixés loyalement et en parfaite connaissance de cause.

Malheureusement, je dois ajouter que ce système, tout en étant équitable en lui-même, aura pour conséquence inévitable des fraudes journalières des droits du trésor, pratiquées sur une vaste échelle.

Je vais le prouver.

Quand on distille séparément le jus de betterave, le rendement est de huit litres par hectolitre de contenance de cuve-matière ; tandis que, si l'on mêle de la mélasse au jus, le rendement est de quatorze litres ; on obtient six litres de plus. Or, ces six litres payeront désormais un impôt de 3 fr. 90 c. ; de sorte que, chaque fois que le distillateur, à l'insu des commis des accises, jettera une petite quantité de mélasse dans le jus de betterave, il gagnera, sur l'impôt seul, 3 fr. 90 c. C'est une prime considérable à la fraude.

Je demanderai au gouvernement de quelle manière il entend empêcher cette fraude, de quelle manière il préviendra ce mélange si facile à opérer. A mon avis, ce moyen fait complètement défaut.

L'arrêté royal du 8 juin 1866 défend la distillation, dans le même établissement, de plus d'une matière première. Dans le cas actuel, cette précaution sera complètement illusoire. Le distillateur de jus de betterave, qui voudra frauder, mettra, dans sa cave ou dans son grenier, quelques centaines de kilogrammes de mélasse, et, au moment même où il verra les commis des accises s'éloigner de son usine, il jettera quatre ou cinq kilogrammes dans la cuve, et le tour sera joué, Il sera si bien joué que toute possibilité d'en constater les traces fera défaut au gouvernement. La chimie ne peut pas, en effet, lui venir en aide, parce que les deux matières ont, l'une et l'autre, des produits de même nature.

On m'objectera peut-être que l'administration a le droit de faire des visites domiciliaires pour déjouer la fraude. Je répondrai que ce moyen ne sera pas ici plus efficace que les autres. La loi permet de faire des perquisitions dans les usines et dans les dépendances des usines. Mais la maison du distillateur n'est ni l'usine, ni une dépendance de l'usine, et c'est là qu'il placera la mélasse. Il pourrait même, au besoin, la placer dans une maison voisine.

Je soutiens que l'arrêté royal du 8 juin 1866 ne serait pas un obstacle sérieux à cette fraude, quand même les établissements l'on distille le jus et ceux l'on emploie la mélasse devraient se trouver à la distance de plus d'un kilomètre. A plus forte raison, ne sera-t-il pas un obstacle aujourd'hui, puisque les deux établissements peuvent se trouver pour ainsi dire côte à côte.

Il existe un moyen très simple, très efficace et, en même temps, très équitable, de rendre cette fraude impossible ; c'est d'imposer ceux qui distillent le jus de betterave comme s'ils y ajoutaient de la mélasse. Devant payer comme s'ils employaient la mélasse, tous l’emploieraient et les intérêts du trésor public seraient complètement sauvegardés. D'un autre côté, on ne porterait aucune atteinte aux droits des fabricants. La mélasse est une matière abondante, que tout le monde peut se procurer et dont le prix est chaque jour fixé à la bourse. Il n'y aurait donc pas d'injustice, puisque, par l'emploi de quelques kilogrammes de mélasse, le rendement serait élevé de 8 à 14 litres.

Je ne proposerai cependant pas d'amendement en ce sens. De telles propositions ne peuvent être votées que sur l'initiative ou, du moins, avec le concours du gouvernement, mais je recommande le sujet à l’attention de l'honorable ministre des finances. La fraude me semble tellement facile et elle sera tellement fructueuse, que les distillateurs de jus de betterave, qui voudront frauder, en obtenant un bénéfice illicite de 3 fr. 90 c. pour six litres, pourraient faire une concurrence ruineuse à tous ceux qui distillent les grains.

Que la Chambre me permette maintenant de l'entretenir un instant d’un changement que je voudrais voir apporter la législation qui régit aujourd'hui les distilleries agricoles,

Cette législation est vraiment bizarre, et, pour le prouver, je n'aurai qu'à rappeler ce qui se passe dans l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte.

En faisant abstraction de la loi, en considérant la nature des choses, toutes les distilleries de Hasselt sont, en réalité, des distilleries agricoles. Tous les distillateurs sans exception cultivent un nombre d'hectares, tous nourrissent un nombreux bétail, tous ou presque tous (page 765) défrichent des bruyères, tous trouvent dans l'agriculture et l'engraissement du bétail l’une des principales sources de leurs bénéfices, et cependant, aux yeux de la loi, ils pourraient être classés en deux catégories.

Si quelques-uns d'entre eux voulaient employer des cuves à macération de moins de vingt hectolitres, ils seraient aux yeux de la loi des distillateurs agricoles et jouiraient d'une exemption d’impôt de 15 p. c. ; ceux, au contraire, qui emploieraient des cuves de plus de vingt hectolitres ne seraient pas des distillateurs agricoles et payeraient l’impôt tout entier. Ces derniers auraient beau répondre que, s'ils emploient des cuves de plus de vingt hectolitres, ils le font afin de pouvoir nourrir plus de bétail et arriver ainsi des cultures et à des défrichements plus considérables. On leur répondrait : Vous n'êtes pas distillateurs agricoles, parce que vos vaisseaux contiennent plus de vingt hectolitres de matières premières ! De telle sorte que ceux qui cultiveraient beaucoup de terres et nourriraient beaucoup de bétail seraient, au nom de l'agriculture, mis en arrière de ceux qui n'auraient qu'une exploitation insignifiante ! On voudra bien avouer, je l’espère, qu'une législation pouvant conduire à de telles conséquences mérite bien réellement la qualification de bizarre.

Mais cette législation n'est pas seulement bizarre ; elle est, de plus, extrêmement sérieuse dans ses conséquences, aussi bien pour le trésor public que pour les distillateurs qui, en vertu de la loi, mais en opposition manifeste avec les faits, ne sont pas réputés distillateurs agricoles.

Sous ce rapport, messieurs, je n'ai qu'à vous lire une seule phrase de la pétition qui vous a été adressée par les distillateurs de Hasselt.

« Une distillerie agricole, disent-ils, en activité pendant trois cents jours de l'année, travaillera 6,000 hectolitres de matières premières, et, au lieu de payer 27,300 francs, à raison de 4 fr. 55 c. par hectolitre, ne payera que 23,205 francs, et jouira par conséquent d’une faveur de 4,095 francs. »

Voilà donc une exemption d'impôt de 4,095 francs sur 27,300 francs. Là Où le distillateur ordinaire paye 63 francs, le distillateur dit agricole ne paye que 55 francs. C’est un système de protection bien plus efficace que celui de notre ancien système douanier, qui a été renversé aux applaudissements du pays. A cet égard, toute contestation est impossible.

J'ai voulu me rendre compte des motifs de ce privilège accordé ceux qui distillent avec des cuves-matières de vingt hectolitres ; j'ai relu les discussions de la loi du 27 juin 1842 et, chose étrange, j’ai trouvé que la presque totalité des distilleries agricoles se trouvent en dehors des prévisions de cette loi.

Je ne vous répéterai pas, messieurs, les citations faites, il y a un instant, par mes honorables collègues, MM. de Maere et de Macar. Je vous rappellerai seulement que M. Zoude, le rapporteur de la section centrale, disait que les distilleries agricoles étaient celles qu'on établissait pour la culture des terres arides et ingrates, qui ont un indispensable besoin de l’excellent engrais fournis par les distilleries.

Or, messieurs, où sont les distilleries agricoles ? Se trouvent-elles toutes, comme le prévoyait M. Zoude, au milieu des terres arides et ingrates ? En aucune manière. Sur leur nombre total de 277, il y en a 64 dans le Brabant, 7 dans le Hainaut, 10 dans la province de Liége et 144 dans la Flandre orientale.

Par une singulière coïncidence, toutes celles qu'on avait placées au milieu des bruyères ont disparu.

Le motif allégué en 1842 fait donc défaut, au moins en très grande partie.

Il y en a un autre qui doit également disparaître.

On dit que les distillateurs agricoles, travaillant sur une petite échelle, n'obtiennent pas un rendement aussi élevé que les distillateurs qui travaillent sur une vaste échelle.

C'est là une profonde erreur.

Un distillateur, connaissant son métier, qui travaille sur une petite échelle, obtient un rendement proportionnellement plus élevé, parce qu'il peut mieux soigner la fabrication, en tenant les instruments et les locaux dans un meilleur état de propreté, ce qui est loin d'être indifférent pour la fermentation des matières.

Il est vrai, je le reconnais, que les choses ne se passent pas toujours ainsi en fait. On transforme une grange en distillerie, on y établit un alambic et une cuve, on métamorphose un valet de ferme en distillateur et l'on n'obtient que de misérables produits. Cette hypothèse se réalise souvent. Mais qu'on promulgue la loi actuelle, qu'on double le privilège en doublant l'impôt, et bientôt on verra surgir un nombre considérable de distilleries agricoles ; on y mettra des ouvriers capables, et la concurrence faite aux distilleries non-agricoles deviendra réellement écrasante. Et alors qu'arrivera-t-il ? C'est que le trésor public, perdant une partie notable de ses ressources, devra supprimer le privilège ; c'est qu'on verra arriver pour les distilleries agricoles ce que nous voyons survenir aujourd’hui pour les sauneries, c'est-à-dire une crise ruineuse et sans remède pour tous les intérêts qui s’y trouveront engagés.

MfFOµ. - J'ai eu beaucoup de prédictions en 1851 et en 1860.

M. Thonissenµ. - Je ne veux pas être et je ne ferai pas de prédictions ; mais je vous citerai des faits que vous ne pourrez pas nier.

Je vous ai prouvé que le distillateur agricole qui distille 6.000 hectolitres obtient sur un impôt de 27,000 francs une réduction de 4,000 francs.

Eh bien, j'ai vérifié les faits, et j'ai trouvé que, en règle générale, chaque distillateur agricole ne cultive que dix hectares. Pour ces dix hectares vous lui donnez 4,000 francs, soit 400 francs par hectare : c'est-à-dire une somme supérieure à la valeur locative des meilleures terres du pays. Je vous demande s'il y a une protection plus large, plus exorbitante que celle-là. Evidemment, le jour ce privilège exorbitant leur serait retiré, la plupart de ces distilleries disparaîtraient, et le gouvernement devrait entendre bien des plaintes et bien des récriminations.

On nous a prouvé, messieurs, en section centrale, que le nombre des distilleries agricoles a considérablement diminué depuis 1843, et je dois reconnaitre que l'argument m’a fortement frappé ; je me disais que la concurrence n'était pas redoutable, puisque, malgré le privilège, le nombre des distilleries avait constamment suivi une marche descendante. Mais, en examinant plus attentivement les faits, je n'ai pas tardé à savoir que la diminution n'était qu'apparente. Le nombre des établissements diminue ; mais la fabrication augmente.

MfFOµ. - Du tout.

M. Thonissenµ. - Voici des chiffres publiés par vous, des chiffres empruntés à vos statistiques officielles. Si je me trompe, vous redresserez mes erreurs. Cela vous sera facile ; vous avez plus de moyens de vérification que moi.

En 1846, il y avait 367 distilleries agricoles, tandis qu’aujourd'hui il n'y en a plus que 277 et 23 mixtes. Mais par contre, en 1846, la matière travaillée était de 601,621 hectolitres, tandis que, à partir de 1857, les matières mises en macération n'ont jamais été inférieures à 700,000 hectolitres.

MfFOµ. - Pourquoi choisissez-vous 1846.

M. Thonissenµ. - Je l’ai fait très loyalement et très sincèrement.

MfFOµ. - Tout est là.

M. Thonissenµ. - Tout n'est pas là. J'ai pris pour point de départ la loi de 1842. Naturellement, au début il y a du certains tâtonnements. On a construit et on a démoli des distilleries. Je n'ai trouvé une situation normale qu'à partir de 1846, et j'ai, par conséquent, envisagé la situation à compter de cette année. Qu'y a-t-il de plus loyal ? Je pose en fait que la mise en macération est plus considérable aujourd'hui qu'à cette époque, et c'est un fait que vous ne contesterez pas.

MfFOµ. - Si ! si !

M. Thonissenµ. - Vous contestez ; j'attends la preuve. J'ai cité mes chiffres ; vous citerez les vôtres.

- Un membre. - Prenez des périodes de cinq ans.

M. Thonissenµ. - Non, il est inutile de prendre des périodes de cinq ans. Je compte depuis 1846 jusqu'à ce jour, et je crois que cela vaut mieux. Est-ce à dire que je demande la suppression complète de toute faveur accordée aux distilleries agricoles ? Non, messieurs. Je pourrais aller et, peut-être même, je devrais aller jusque-là. Le véritable principe à suivre, le principe conforme à notre droit constitutionnel, c'est la suppression de tout privilège en matière d'impôt. Cependant je n'irai pas aussi loin. En demandant tout ce qu'on peut demander, les prétentions les plus légitimes sont souvent écartées. Je demanderai donc simplement que la réduction d'impôt, aujourd'hui fixée à 15 p. c., soit réduite à 10 p. c. L'impôt étant doublé, les distilleries agricoles se trouveront encore dans ure position réellement exceptionnelle. J'espère que le gouvernement ne repoussera pas cet amendement.

J'arrive à un autre détail de la loi qui, lui aussi, a son importance.

L'article 10 du projet élève considérablement le taux amendes encourues par les fraudeurs. Cette mesure est rationnelle à tous égards. L'attrait plus grand résultant de l'augmentation de l'impôt doit être par une crainte plus grande résultant de l'augmentation de l’amende. D’un (page 766) autre côté, le fraudeur ne mérite aucune considération. Il vole le trésor public et, en temps, il réduit le bénéfice légitime du fabricant honnête.

Je prierai seulement le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour distinguer entre les contraventions en quelque sorte matérielles et celles qui sont véritablement le produit de la fraude. Je voudrais notamment que la vérification de la contenance des cuves eût lieu chaque année. Ces vaisseaux s'agrandissent naturellement par le nettoyage et, si l'on attendait trois ou quatre ans avant de procéder à une nouvelle vérification, on pourrait trouver une contenance plus grande, sans qu'il y eût faute de la part du distillateur.

Je voudrais aussi, comme l'honorable M. de Macar, que l'administration se montrât un peu plus large pour l'admission des cautionnements. Par suite de l'augmentation considérable des droits, plus d'un distillateur se trouvera dans une position des plus difficiles. Pourquoi, par exemple, exige-t-on toujours une première hypothèque ; pourquoi ne pas se contenter d'une seconde hypothèque, quand l'immeuble est manifestement suffisant ? Il me semble aussi très rigoureux qu'on ne considère que quinze fois le revenu cadastral pour les fabriques, les usines et les magasins. Il me semble que les vœux de la loi sont complètement réalisés quand le receveur des accises et le trésor public n'ont aucune perte à redouter.

La Chambre aura déjà remarqué que j'ai mis complètement à l'écart le côté moral de la question soulevée par le projet de loi. En terminant, je tiens à lui en dire le motif.

Contrairement à l'espoir manifesté, dans cette séance, par mon honorable ami M. le baron Kervyn de Lettenhove, je n'attends aucun effet moral quelconque de l'augmentation de l'impôt sur les eaux-de-vie, et je crois qua l'honorable ministre des finances partage la même conviction. Je crois qu'il n'a songé qu'aux vingt-quatre millions que les boissons alcooliques doivent fournir la caisse de l'Etat.

A mon avis, on ne boira pas un seul verre de genièvre de moins. La femme et les enfants de l'ouvrier livré à la détestable passion de l'ivrognerie, souffriront un peu plus, voilà tout.

Si je ne craignais d'être traité de pédant, je pourrais justifier cette affirmation au moyen de preuves fournies par mes études historiques. Je citerai cependant un fait, mais un seul. Dans un recuit de lois indoues, qui date au moins du Vème siècle avant l'ère chrétienne, j'ai trouvé un article portant que chaque distillateur de grains devait placer au-dessus de sa porte un drapeau d'une forme particulière, afin que l'attention de la police fût attirée sur son établissement. Un autre article du même recueil ajoutait que ceux qui seraient trouvés ivres d'eau-de-vie devaient être marqués au front d'un fer rouge ayant la forme d'un drapeau de distillateur.

Eh bien, messieurs, cette loi tomba en désuétude, et savez-vous pourquoi ? Un commentateur du IIème siècle de notre ère nous l'apprend. Elle tomba en désuétude parce que, dans quelques districts, toute la population mâle était marquée.

J’en conclus que l'augmentation d'un centime par petit verre, proposée par l'honorable M. Frère, ne fera pas plus d'effet que la marque infligée par les rois de droit divin qui gouvernaient l'Inde brahmanique.

MpDµ. - M. Thonissen vient de déposer l'amendement suivant :

« La déduction de 15 p. c., accordée par l'article 5 de la loi du 27 juin 1842, modifiée (Moniteur de 1853, n°227), est réduite à 10 p. c. »

- La séance est levée à 5 heures.