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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 29 avril 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 792) M. de Vrintsµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Dethuinµ donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Vrintsµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« L'administration communale de Seraing demande une augmentation du subside alloué par le gouvernement à l'école moyenne de filles établie dans cette commune. »

M. Mullerµ. - Je demande le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.

- Adopté.


« Les gardes champêtres dans le canton de Templeuve demandent que le code rural contienne une disposition instituant une caisse générale de retraite en faveur des gardes champêtres. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de code rural.


« Les membres de l'administration communale de Saint-Gilles (Waes) proposent des modifications au projet de loi sur le domicile de secours. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Movris demande que les distilleries agricoles continuent à jouir de la déduction de 15 p. c. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant augmentation des droits sur les eaux-de-vie. »


« Des distillateurs à Wavre demandent que le gouvernement continue à leur accorder les 15 p. c. de remise dont les distilleries agricoles ont joui jusqu'à ce jour. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant augmentation des droits sur les eaux-de-vie.


« Des instituteurs primaires déclarent adhérer aux propositions formulées dans une pétition ayant pour objet l'organisation des caisses provinciales de prévoyance en faveur des instituteurs primaires des communes rurales. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. Kervyn de Lettenhove, au nom de la commission de l'Académie chargée de la publication des œuvres des grands écrivains belges, fait hommage à la Chambre du premier volume des œuvres de Froissart. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi approuvant la convention conclue entre la Belgique et la France sur l’assistance judiciaire

Dépôt

MaeVSµ. - D'après les ordres du Roi, j’ai l'honneur de déposer un projet de loi approuvant une convention conclue avec la France, relative à l'assistance judiciaire.

- Il est donné acte du dépôt de ce projet de loi, qui sera renvoyé aux sections.

Projet de loi rectifiant les limites séparatives entre les communes d’Antoing et de Bruyelles

Rapport de la commission

M. Allardµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission spéciale qui a été chargée d'examiner le projet de loi ayant pour objet la rectification de la limite séparative entre la ville d'Antoing et les communes de Calonne et de Bruyelles (province de Hainaut).

- Impression, distribution et mise la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi relative à la cession de la citadelle de Gand

Dépôt

MfFOµ. - Messieurs, j'al l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi ayant pour objet d'approuver la convention conclue le 25 avril 1870, entre le gouvernement et la ville de Gand, au sujet de la cession des terrains et des bâtiments de la citadelle de cette ville.

- Impression, distribution et renvoi aux sections.

Projet de loi relatif à la concession conclue entre l’Etat et le sociétés des chemins de fer des bassins houillers du Hainaut et la société générale d’exploitation de chemins de fer

Dépôt

MtpJµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi ayant pour objet d'approuver la convention relative à des chemins de fer concédés, conclue le 25 avril 1870 entre le gouvernement belge, d'une part, la société anonyme des chemins de fer des bassins houillers du Hainaut et la société anonyme dite : Société générale d'exploitation de chemins de fer, d'autre part.

- Impression, distribution renvoi aux sections.

Projet de loi érigeant la commune de Sart-Bernard

Rapport de la section centrale

M. Wasseigeµ. - J’ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale sur le projet de loi qui a pour objet l'érection de la commune de Sart-Bernard.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et l'objet qu'il concerne mis à la suite de l'ordre jour.

Projet de loi abolissant les droits sur le sel et le poisson, abaissant la taxe des lettres et augmentant les droits sur les eaux-de-vie

Discussion des articles

Article premier

MpDµ. - L'article premier est ainsi conçu :

« Les droits d'accise établis sur le sel brut et sur l'eau de mer, ainsi que les droits de douane perçus à l'entrée du sel raffiné, du sulfate, du sulfite et du carbonate de soude, sont abolis. »

M. Visart propose à cet article l'amendement suivant :

« Les droits d'accise établis sur le sel brut et sur l'eau de mer, ainsi que les droits de douane perçus à l'entrée du sulfate, du sulfite et du carbonate de soude, sont abolis.

« Les droits d'entrée sur le sel raffiné sont réduits à 3 francs par 100 kilogrammes et seront, au 1er janvier de chaque année, à partir de 1871, diminués de 50 centimes. Au 1er janvier I875, ils resteront fixés à 50 centimes. »

La portée de l'amendement est donc de faire disparaître dans le paragraphe premier les mots « du sel raffiné. »

M. Thibautµ. - Messieurs, le gouvernement propose la suppression du droit d’accise sur le sel brut et, comme complément de cette réforme, la suppression du droit de douane sur le sel raffiné.

(page 793) L’effet de la suppression du droit de douane sera de faire disparaître l'industrie nationale du raffinage, c’est-à-dire de transporter une certaine quantité de travail hors du pays, au profit de nos voisins, et d'anéantir des capitaux belges, à l'avantage de capitaux étrangers.

Y a-t-il des raisons sérieuses qui justifient une mesure destinée à produire de tels résultats ?

Le gouvernement, dans l'exposé des motifs, s’exprime en ces termes :

« La valeur du sel à l'arrivée dans le pays est si peu élevée, qu'un droit d'entrée sur le sel raffiné, si faible qu'il fût, maintiendrait le prix du sel en consommation beaucoup au-dessus de ce qu'il coûterait, s'il était exempt de toute taxe. »

C'est donc l'intérêt des consommateurs, et c'est cet intérêt seul qui est invoqué par l'auteur du projet de loi .

Voyons, messieurs, si l'on ne s'est pas mépris en jugeant cette question d'après les règles ordinaires.

M. le ministre des finances nous a fait connaître que, selon toute probabilité, après la suppression des droits d'accise et de douane, le prix du sel raffiné ne descendra pas au-dessous de 10 francs ou de 8 francs au minimum par 100 kilogrammes.

Je crois que c'est parfaitement exact ; c'est exact surtout relativement aux classes les plus nombreuses, aux classes qui n'achètent que par kilogramme ou par demi-kilogramme et même par dixième de kilogramme. Celles-là payeront peut-être le sel à raison de 20 francs les 100 kilogrammes, ou 2 centimes le dixième de kilogramme.

Aujourd'hui, les grands raffineurs ont pu diminuer leurs prix jusqu'à 22 et 21 francs, somme sur laquelle ils doivent prélever 18 francs pour le trésor public. Le prix du sel raffiné, dégagé de tout droit, devrait donc tomber à 4 et même à 3 francs par 100 kilogrammes.

Si on le vend 8 ou 10 francs, il est clair que les négociants bénéficieront de 4, 5 ou 6 francs par 100 kilogrammes en plus qu'aujourd'hui, c'est-à-dire que, sur les 18 francs qu'ils payaient au trésor, les consommateurs économiseront, dans la supposition la plus favorable, 12, 13 ou 14 francs par 100 kilogrammes et les négociants encaisseront le restant comme profit nouveau, ou 4, 5 ou 6 francs par 100 kilogrammes.

Ce bénéfice nouveau, comparé à la valeur de la marchandise, n'est pas moindre de 150 à 200 p. c.

M. le ministre des finances en conclut que les raffineurs ont tort de se plaindre. Cette conclusion serait rigoureusement vraie, si le commerce de sel devait rester exclusivement en mains des raffineurs. Mais il est évident que les débitants de sel se multiplieront ; on le vendra dans les rues comme le sable, disait hier avec une certaine exagération un député de Bruxelles ; de sorte que la plupart des raffineurs, tout en faisant de plus gros bénéfices sur les quantités vendues, seront en perte, parce qu'ils vendront moins.

Les raffineurs sont donc intéressés à l'adoption d'une législation qui leur permette de lutter contre la production étrangère du sel raffiné, c'est- à-dire au maintien d'un droit de douane compensateur. C'est le seul moyen pour eux de conserver et d’augmenter leur clientèle, qui est le corollaire de leur industrie.

Quant aux consommateurs, ils ne payeront pas le sel raffiné plus cher, qu'il y ait un droit de 2 à 3 francs à l'entrée ou qu'il n'y en ait pas. Mais dans le premier cas, une partie du prix entrera dans le trésor sous forme de droit de douane, et une autre partie sera distribuée en salaire, entre les ouvriers employés par les raffineurs. Dans le second cas, ces deux fractions du prix augmenteront le bénéfice des négociants.

A la différence de ce qui arrive dans presque toutes les autres questions économiques, l'intérêt des consommateurs n'aurait pas ici à souffrir d'une protection modérée accordée aux producteurs.

Je parle surtout des consommateurs les plus nombreux, de ceux qui appartiennent aux classes laborieuses et qui achètent le sel par petites quantités.

Un léger droit de douane sur le sel raffiné serait donc parfaitement justifié. Mais surgit l'objection du traité de 1861 conclu avec la France et du traité anglo-belge.

Constatons d'abord, messieurs, que le gouvernement n'en dit pas un mot dans l'exposé des motifs. Que faut-il conclure de ce silence ? C'est que le gouvernement ne croyait pas que les traités fussent obstatifs à un droit protecteur, pour me servir des expressions du rapport de la section centrale. Le gouvernement n'avait ni les craintes ni les scrupules manifestés par la section centrale. Et, en effet, le cas de la suppression totale des droits d'accise n'était pas prévu. Il n'en était pas question, et je suis convaincu que si le gouvernement avait maintenu dans son projet de loi un léger droit de douane sur le sel raffiné, aucune réclamation n'aurait surgi, ni du côté de la France ni du côté de l'Angleterre.

Mais je le dis à regret, la section centrale, et après elle M. de Vrière, puis enfin M. le ministre des finances lui-même ont donné des armes contre nous.

Ils ont défendu des intérêts anglais et français contre des intérêts belges ; ils ont attribué à la France et à l'Angleterre des droits que ces nations ne soupçonnaient probablement pas, mais qu'elles ne négligeraient pas maintenant de revendiquer.

La difficulté à laquelle les paroles de M. le ministre des finances ont donné une gravité qu'elle n'aurait pas eue après les expressions hésitantes de la section centrale (car celle-ci n'affirme pas les droits de France), la difficulté, dis-je, ne peut être écartée que par le maintien d'un droit d'accise sur le sel brut. De là naît la question de savoir s'il faut abolir complètement ce droit.

A mon avis, on ne peut pas plus, à propos du sel brut que du sel raffiné, argumenter de l'intérêt des consommateurs. Il n'est pas en cause, du moment que le droit est peu élevé, non pas relativement à la valeur, mais relativement aux quantités consommées. N'oublions pas que les consommateurs, en l'absence de tout droit, payeront toujours le sel plus qu'il ne vaut, parce qu'il sera impossible de faire descendre le prix au niveau de la valeur réelle de la marchandise.

Je désire donc que l'on m'explique pourquoi on pourrait maintenir un droit d'accise de 1 fr. 50 c. 2 francs aux 100 kilog. Le trésor y trouverait un certain revenu qui, je ne puis trop le répéter, ne pèserait pas le moins du monde sur la consommation. Ce revenu, pour le dire en passant, remplacerait avantageusement, selon moi, d'autres impôts tels, par exemple, que le droit de débit sur les boissons distillées.

Je désire que l'on examine sérieusement la question que je viens de poser.

Si l'on peut sans grave inconvénient, et je n'en vois aucun, laisser subsister un droit d'accise sur le sel brut, en le réduisant non pas à la moitié ni au quart, mais au neuvième de ce qu’il est aujourd'hui, et un droit de douane modéré qui égalise les positions entre les raffineurs belges et les raffineurs étrangers, la Chambre et le gouvernement agiraient sagement, prudemment et équitablement en entrant dans cette voie.

M. Declercqµ. - En se plaçant au point de vue du consommateur, on peut applaudir au principe de liberté commerciale inscrit dans le projet de loi en discussion.

Sous le rapport financier, la mesure n'a pas de conséquences fatales ; le trésor trouve, dans les ressources nouvelles qu'on lui assure, une riche compensation aux droits fiscaux qu'il abandonne. Le producteur seul trouve à se plaindre et ses plaintes sont légitimes.

Quelle est la situation où la législation dorénavant le place ? Soutenir la concurrence avec la fabrication étrangère, cela devient radicalement impossible et la chose a été prouvée surabondamment, en dernier lieu par l'honorable M. Hymans ; il serait oiseux de s'y arrêter davantage, tous nous devons en être parfaitement convaincus : les usines indigènes sont condamnées, inévitablement elles se fermeront.

De là, tout le monde en convient encore, préjudice grave, même ruine pour plusieurs industriels ; mais l'on se divise quand il s'agit de réparer le mal causé et cela par le fait du gouvernement qui, introduisant brusquement la mesure, n'a pas laissé le temps aux industriels de se prémunir contre les suites désastreuses qu'inévitablement la situation nouvelle aurait pour eux.

L'honorable M. Hymans s'en préoccupe fort peu, très lestement il jette par dessus bord les sauniers ; il les condamne et les exécute. D'autres honorables membres s'en inquiètent un peu plus, ils adressent au moins aux sauniers des compliments de condoléance, puis ils ajoutent : Les raffineurs de sel se feront marchands de sel.

Je pense qu'on s'exagère singulièrement la compensation qui résultera du commerce de sel et pour une raison fort simple, c'est que ce commerce passera en d'autres mains.

D'abord, en ce qui concerne le sel brut devant servir aux besoins de l’agriculture, et c'est principalement pour l'agriculture que les besoins grandiront, le commerce de ce sel s'établira en général dans les campagnes ; il y aura des dépôts le long des canaux et des rivières, non loin des stations de chemin de fer, très exceptionnellement dans les villes là où se trouvent pourtant les usines que l'honorable ministre des finances transforme très gratuitement en magasins de sel. En un mot, il en sera pour ce sel absolument comme pour le guano. C'est dans les campagnes qu'on l'emploie, là aussi l'on ira s'approvisionner .

(page 794) Mais, ajoutera-t-on, si les sauniers actuels n'ont pas le négoce du sel brut, au moins ils conserveront celui du sel raffiné. Encore une déception probable, je la crains bien pour eux : on ne sera pas plus marchand de sel, parce que l'on a été saunier, qu'on serait marchand de sucre, parce que précédemment on l'aurait raffiné. Très probablement le commerce des denrées coloniales comprendra également celui du sel, et s'approvisionnera directement à l'étranger sans passer par l'intermédiaire des sauniers, dépossédés de leur industrie.

Tout devient par conséquent très problématique pour ceux-ci ; ce qui malheureusement l'est beaucoup moins, c'est la perte qu'ils essuient. Je pourrais en citer, pour ma part, plusieurs, qui, nouvellement installés, verront leurs établissements perdre, du jour au lendemain, le tiers de la valeur à laquelle ils viennent à peine de les acquérir ; tout cela est fort dur à supporter, messieurs, et n'en fût-il pas ainsi même pour un seul saunier, fussent-ils tous établis depuis longtemps, eussent-ils tous vu prospérer leurs affaires, en souffriraient-ils moins un préjudice, et cela par le fait du gouvernement qui, jusque dans ces derniers temps, a par des déclarations répétées fait croire à la durée d'une législation protectrice pour l'industrie du pays ?

Eh bien, messieurs, le préjudice directement causé, on le répare, qu'on soit particulier ou gouvernement, et cette réparation doit aussi entière que possible ; ce ne sera pas un acte de générosité, je le répète, c'est un acte de justice. Et la section centrale, le gouvernement avec elle, le reconnaissent implicitement en accordant une légère atténuation au mal causé : 12 p. c. de remise sur les crédits à terme non échus.

D'ailleurs, ils le reconnaissent encore, en assurant que les sauniers auront une riche compensation dans ce commerce de sel, compensation qui, comme nous venons de le voir, est un véritable mirage, rien de plus.

Mais ces 12 p. c. de remise qu'on accorde, qu'est-ce, en définitive ? C'est toujours faire essuyer 88 p. c. de perte sur la marchandise non consommée, et, dès lors, on comprend facilement que les usiniers feront tout au monde pour éviter le cadeau qu'on veut bien leur faire.

Evidemment, ce n'est pas là une indemnité ; il ne suffit pas d'être juste au huitième ni même au quart, mais il faut l'être aussi pleinement que faire se peut.

Si le gouvernement n'avait pas fait cette déclaration officielle, qu'il est lié par le traité avec la France, que l'article 8 de ce traité est obstatif au maintien d'un droit de douane, du moment qu'on abolissait le droit d'accise, l'amendement de mon honorable collègue M. Visart aurait eu pour effet d'atténuer le préjudice dans une certaine mesure.

C'était là pour eux une préparation à l liberté commerciale entière, un avertissement aux industriels, qui, dès lors, auraient pu se prémunir et par conséquent mieux sauvegarder leurs intérêts ; mais encore ici, le moyen échappe, peut-être bien, l'interprétation donnée à l'article 8 par l’honorable membre, est-elle la véritable, et je pense qu'il y en a beaucoup de cet avis dans cette Chambre, mais enfin, et ici je partage complètement la manière de voir de l'honorable rapporteur, après la déclaration du gouvernement, il faut passer condamnation ; il n'y a plus à revenir.

Dans cette occurrence, que conviendrait-il de faire ?

L'Etat depuis la dernière loi fiscale qui régit la matière, c'est-à-dire depuis 1844, a encaissé bien près de 400 millions, je ne crois pas me tromper ; le sel lui rapporte actuellement près de 6 millions de francs annuellement ; prenez une moyenne de 4 millions et calculez le produit depuis les vingt-cinq dernières années seulement, vous arrivez à cent millions.

Ces cent millions, c'est la part du lion. Généralement les sauniers ne se sont pas enrichis, et comme ils le disent justement dans leurs pétitions, leur industrie, c'était un gagne-pain. rien de plus. L'Etat a perçu la très grande part, la part la plus liquide, laissant à l'industrie toutes les chances mauvaises qui, si fréquemment, sont venues l'atteindre, trouvant même dans ces chances des ressources nouvelles.

C'est l'Etat, en définitive, qui a exploité le consommateur ; il avait besoin de ressources, il a cru devoir continuer à frapper le sel, il n'y a rien à dire.

Aujourd'hui les barrières tombent, sans que rien l'ait fait prévoir, les usines se ferment, convient-il d'achever la ruine de ceux-là qui ont été l'instrument de la fortune publique ?

Eh bien, messieurs, il y avait un moyen d'accorder une compensation sérieuse et qui, en définitive, n'aurait rien coûté au gouvernement.

Dans l'intention primitive du gouvernement, le 1er juin était la date fixée pour la mise à vigueur de la loi ; à partir de cette époque, rien serait plus entré dans ses caisses du chef du droit d'accise sur le sel raffiné ; l'Etat, à partir de ce moment, en faisait le sacrifice.

En reculant jusqu'au 1er janvier prochain la mise en vigueur de la loi, mais en abandonnant aux sauniers ce à quoi il avait renoncé d'abord lui-même, le gouvernement vis-à-vis de ces derniers poserait un acte de stricte justice et réparerait ainsi, partiellement, ce qu'une certaine précipitation aura de désastreux pour une classe intéressante d'industriels.

Mais, je suis le premier à le reconnaitre, ce moyen peut encourir le reproche de laisser, pendant six mois, les sauniers exploiter à leur profit exclusif, ce que l'Etat a cru pouvoir faire dans l'intérêt du trésor public, jusqu'à ce jour. Malgré toutes mes sympathies pour ces industriels si funestement atteints, je pense que la législature ne peut pas porter la main à une pareille combinaison, en définitive l'exploitation du consommateur par l'industriel.

Je crois donc que pour arriver à une solution qui, dans une certaine mesure, puisse donner satisfaction à tous les intérêts, il faudrait, au moins temporairement, maintenir un droit plus ou moins élevé de douane, ainsi qu'un droit plus léger d'accise, et je me rallierai volontiers à toute proposition qui se produirait à cette fin.

M. Tackµ. - Messieurs, je n'entends pas prolonger le débat sur la question relative à l'accise sur le sel. La discussion me semble épuisée et je serais fort embarrassé de présenter des considérations nouvelles et de me faire écouter par la Chambre. Je me bornerai donc à énoncer ma manière de voir sous forme de déclaration et j'ajouterai quelques mots en réponse aux observations qui ont été présentées, dans la séance d'hier par l'honorable rapporteur de la section centrale, M. Watteeu, à propos de l'accise sur les bières.

MfFOµ. - Il s'agit du sel.

M. Tackµ. - Je le sais ; mais à propos du sel, on a parlé beau coup de l'accise, sur la bière.

MfFOµ. - Dans la discussion générale. Si on veut la recommencer, je le veux bien.

M. Tackµ. - Je serai très bref. Je ne ferai que rattacher les observations que j'ai à présenter sur ce point spécial, à ce que j'ai à dire à propos du sel. Il n'a pas été répondu aux observations de l'honorable ministre des finances et de l'honorable M. Watteeu ; je tiens au moins à faire mes réserves et à protester contre leurs assertions.

Messieurs, on est d'accord sur une chose : c'est que le moment est venu où il est opportun de supprimer le droit qui grève le sel ; je ne pense pas qu'il y ait à ce sujet une voix discordante dans la Chambre. Je dirai même que les raffineurs n'ont formé aucune objection contre cette abolition.

Il est un autre fait que je constate et que tout le monde reconnait, c'est que l'abolition du droit sur le sel aura pour conséquence inévitable de porter un coup funeste aux raffineries de sel, aura pour conséquence, selon beaucoup d'honorables membres, la ruine, la destruction entière de cette industrie, que, par parenthèse, on a trop rapetissée dans cette enceinte.

Mais si les sauniers ne s'opposent pas à la suppression de l'accise sur le sel, de quoi se plaignent-ils et que demandent-ils ? Ils se plaignent de ce que la mesure prise à leur égard est trop brusque, a été inopinée, est arrivée au moment où personne ne s'y attendait, surtout en présence des déclarations que l'honorable ministre des finances a constamment faites devant la Chambre. (Interruption.) Je sais, monsieur le ministre, que vous avez fait certaines réserves, mais j'aurais voulu qu'on eût au moins ménagé la transition.

Il n'y aurait guère eu d'inconvénient si, par exemple, on avait aboli le droit sur le sel par tiers, 6 francs au 1er juin prochain, 6 francs au 1er janvier 1871 et 6 francs au 1er juin suivant, ce qui aurait amené, dans une année, la suppression totale du droit. Cela eût ménagé beaucoup d’intérêts.

Que demandent les sauniers ? Ils demandent deux choses : ils demandent un droit modéré à l'importation du sel ; ils demandent, en outre, une compensation des pertes qu'ils vont incontestablement éprouver.

Je partage entièrement l'opinion exprimée par les honorables MM. Thibeau et Visart, à savoir que nos traités de commerce ne sont pas du tout obstatifs à la perception d'un droit d'entrée sur le sel. Comme l'ont prouvé ces honorables membres, l'article 8 a été fait pour une situation qui n'existe plus.

L'article 8 a eu en vue des exemptions partielles, mais nullement l'abolition totale du droit d'entrée.

Si vous vous attachez à la lettre du traité, oui, on pourra dire que l'abolition du droit d'accise sur le sel brut entraîne en quelque sorte l'abolition du droit à l’importation du sel raffiné ; mais, si vous voulez vous pénétrer de l'esprit du traité, vous arriverez à la conséquence inverse.

(page 795) Maintenant, messieurs, depuis la déclaration qu’a faite dans cette enceinte l'honorable ministre des finances au sujet de l'interprétation qu'il donne au traité, depuis la confirmation donnée à cette interprétation par l'honorable baron de Vrière qui a négocié le traité avec la France, depuis les paroles prononcées par l'honorable rapporteur de la section centrale, depuis la rétractation faite par l'honorable M. Lambert, évidemment il ne peut plus être question d'établir un droit d’entrée à l'importation sur le sel.

C'est le cas de dire que l'honorable ministre des finances a brûlé ses vaisseaux. Désormais il serait mal venu vis-à-vis de l'étranger d'admettre un droit de douane quelconque.

Mais, messieurs, il est possible, ce me semble, d'accorder une compensation aux raffineurs au point de vue des pertes qu'ils éprouvent par suite de la suppression complète de leur industrie.

Je partage, sous ce rapport, l'opinion de ceux qui veulent élever, autant que possible, la décharge proposée pour les crédits à terme.

Je voterai l'amendement de l'honorable M. de Vrière et je voterais plus volontiers encore un amendement qui accorderait une décharge supérieure.

Nous sommes autorisés à le faire, ce semble. Nous avons pour cela différentes raisons.

Ainsi, comme vient de faire observer encore tout l'heure l’honorable M. Thibaut, dans la pensée du gouvernement, il s'agissait d'abord d'abolir le droit sur le sel à partir du 1er juin de cette année ; or, M. le ministre des finances en est arrivé à remettre cette abolition au 31 décembre.

Le gouvernement va donc percevoir un droit qui, dans le principe, n'était pas dans ses prévisions ; il n'y a donc aucun inconvénient, au point de vue de l'équilibre financier, à augmenter la remise que l'honorable ministre des finances propose d'accorder aux sauniers. Nous devrions, mon sens, prendre en considération la situation tout à fait exceptionnelle dans laquelle on les place. Evidemment, il est inadmissible qu'on leur accorde une indemnité pour cause d'expropriation.

Mais ici est-ce de cela qu'il s'agit ? Au fond, en augmentant la remise en faveur des sauniers, que ferait-on ? On réduirait le droit d'accise pour le dernier semestre de 1870, qui en profiterait ? Les sauniers et les consommateurs. Je ne vois pas qu'il y ait aucun obstacle à ce que la décharge qu'on accorde soit plutôt de 25 p. c. que de 12 p. c. et même de beaucoup supérieure.

Je voterai donc volontiers la proposition de M. de Vrière et toute autre proposition dans le même sens qui viendrait à augmenter la proportion qui, d'après lui, devrait être adoptée.

J'en viens aux observations que je voulais présenter à propos de la fabrication de la bière.

Pour moi, l'abolition du droit sur le sel entraîne, dans un avenir peu éloigné, et l'abolition du droit d'entrée sur les farines et les céréales et l'abolition du droit d'accise sur la bière.

L'honorable M. Kervyn, dans une séance précédente, affirmait que le droit d'accise avait été doublé ; M. le ministre des finances s'est récrié contre cette affirmation en disant : Mais l'augmentation ne frappe que sur une partie de la fabrication. Cela est vrai, mais c’est bien certainement sur la partie la plus importante de la fabrication qu’a porté l'aggravation. Voulez-vous une preuve des résultats produits par l'augmentation du droit d'accise sur la bière ? Voici des chiffres que j'ai extraits des statistiques officielles :

En 1859, l'année qui a précédé la suppression des octrois, les contenances imposables se sont élevées à 3 ,812,434hectolitres ; le droit perçu a été de 7,880,752 francs. En 1866, les contenances imposables ont été 3,635,734 hectolitres et le droit perçu s’est élevé à 14,483,235 francs. Ainsi, pour une contenance imposable moindre, le droit d'accise a été presque doublé. Je dois cependant reconnaître qu'il faut tenir compte dans ce résultat de l'abolition du droit d'octroi ; mais en fait, on ne saurait contester que le droit d'accise a produit notablement plus.

MfFOµ. - Qu'est-ce que cela prouve ?

M. Tackµ. - Cela prouve que l'honorable M. Kervyn a dit très vrai en affirmant que l'accise sur la bière avait été considérablement augmentée ; cela est indéniable.

MfFOµ. - Mais les quantités produites ont été plus considérables.

M. Tackµ. - Les quantités produites ont été plus considérables ? C'est là une véritable fantasmagorie, elle vais vous le prouver.

Le rendement a augmenté dans des proportions fabuleuses, dit-on ; mais depuis quand est-on parvenu à extraire du grain plus qu'il ne contient ? C’est cependant à cette conclusion, en dernière analyse, que conduit l’affirmation que M. le ministre des finances a tirée des statistiques officielles. Un hectolitre de cuve-matière produit aujourd’hui 2 hectolitres 19 litres de bière ; autrefois il n'en produisait que 1.75, prétend M. le ministre. Eh bien, je suppose pour un instant que vos statistiques soient exactes, que votre affirmation corresponde à la vérité des faits ; ce que je n’admets pas. Qu'entendez-vous par rendement ?

Est-ce que, par hasard, le rendement serait la quantité produite de liquide ? Pas du tout : Le rendement, c'est la quantité produite de liquide mise rn rapport avec la richesse saccharine qu'il contient ; il faut raisonner de la bière, de même que, quand vous parlez de distilleries, pour apprécier le rendement, vous avez égard à la densité et vous soin de mettre l'hectolitre de rendement en relation avec la quantité d'alcool qu'il contient.

Vous parlez d'eau-de-vie à 50 degrés. Eh bien, pour la bière, c’est identiquement la même chose.

MfFOµ. - Allons donc !

M. Tackµ. - Cela n'est pas contestable. Si, avec un hectolitre de farine, je fais deux hectolitres de bière qui se vendent 14 francs les deux hectolitres, ou si, avec le même hectolitre de farine je fais un hectolitre de bière francs, quelle est la différence du rendement ? (Interruption.) Il n'y en a aucune.

- Une voix. - Le prix de bière est augmenté.

M. Tackµ. - C’est une erreur ; le prix de la bière n'a pas varié en Belgique.

Que s'est-il passé après que l'accise a été augmentée ? L'ouvrier s'est obstiné à ne pas payer davantage le litre de bière qu'il consomme ; le cabaretier a dû vendre au même prix ; mais qu'a-t-on fait ? On a modifié la qualité la bière. Voilà le fait. Il n'est pas autre.

Les conditions de la fabrication sont changées du tout au tout. Le grain est généralement plus cher. Le prix de l'argent a diminué. L'accise est augmentée. Comment voulez-vous qu'il soit possible que, dans ces conditions, on aujourd'hui la même qualité de bière sans augmenter le prix ?

La preuve que la consommation est frappée par l'augmentation du droit d’accise, ce sont vos propres assertions.

Ainsi, d'après une statistique de 1859, l'hectolitre de cuve matière produisait 1 hectolitre 88 litres et aujourd'hui il en produit 2 hectolitres 16 litres.

Selon moi, cela est exagéré ; cependant, il doit y avoir une différence. mais moins considérable. A quoi tient cette différence ? C’est que vous avez aggravé l'impôt, aggravation qui a dû nécessairement influer sur la qualité dès lors qu'elle ne faisait pas varier le prix.

Augmenter l'impôt de consommation, c'est évidemment augmenter le prix de revient et par suite, directement ou indirectement, le prix de vente. C'est une chose élémentaire et indiscutable encore une fois.

Je n'admets pas, comme je l'ai dit tout à l'heure, l'exactitude des statistiques officielles. Les renseignements fournis par M. le ministre des finances ne sont que des renseignements tout à fait approximatifs. Com ment les recueille-t-on ? Un employé des accises vérifie deux trois fois dans une année la quantité de bière qui est produite, mais il peut se tromper grossièrement. connaît-il la qualité des bières ? Sait-il quel est le prix de vente ? Nullement.

Ainsi, un brasseur ayant une cuve-matière de 50 hectolitres produira aujourd'hui 60 hectolitres et demain 80 ; le rendement est-il différent ? Pas le moins du monde. Dans la première hypothèse, il aura produit une qualité supérieure, et dans la seconde, une qualité inférieure. Dans un même brassin, on produira des bières de qualité et de prix différent. Que signifient, au milieu de tout cela, vos statistiques, si vous ne tenez aucun compte des facteurs les plus importants du problème, la qualité et le prix.

Je suis convaincu que les renseignements que donne la statistique ne sont pas conformes à la vérité ; je ne dis pas qu'ils sont volontairement erronés ; mais je crois que le mode de vérification n'est pas bon.

MfFOµ. - Le connaissez-vous ?

M. Tackµ. - Oui.

MfFOµ. - Quel est-il ?

M. Tackµ. - Je ne le connais pas dans son ensemble, et M. le ministre des finances non plus.

MfFOµ. - Vous vous trompez.

(page 796) Je connais des faits spéciaux, et ce qui se passe dans une localité se passe dans toutes. Ainsi, je pourrais nommer telle usine où, pour une cuve matière de 40 hectolitres, le produit en liquide n'excède pas 58 hectolitres, et l'hectolitre de bière se vendant au prix de 14 francs, l’impôt s'élève plus de 21 p. c.

Je suis en mesure d'en donner la démonstration à M. le ministre des finances quand il le voudra.

Quelle est la conséquence de cet état de choses ? C'est d'amener, comme je le disais tout à l'heure, la suppression complète da droit d'accise sur les bières, d’autant plus que le mode de perception a pour résultat une gêne considérable dans le travail des brasseries.

L'abolition du droit d'accise sur les bières amenant la liberté de fabrication ferait que, sous le rapport de la qualité, les bières gagneraient énormément.

J'ajouterai que les brasseries qui ont été le plus frappées pat' l'augmentation sur le droit d'accise, ce sont les brasseries agricoles du Nord de la Flandre.

Elles font un produit moins réconfortant, moins hygiénique et voilà peut-être comment il s'est fait que l'ouvrier de la campagne s'est davantage rejeté sur la consommation du genièvre. Il n'y a, messieurs, qu'un moyen qui produirait de bons effets : ce serait l'abolition totale du droit d'accise sur les bières et j'espère que le moment n'est pas éloigné où l'on atteindra à ce résultat.

Maintenant, messieurs, si la Chambre le permet, je demanderai à M. le ministre des finances une explication au sujet de l'amendement qu'il a introduit à l'article 12.

MfFOµ. - Quand nous y serons arrivés.

M. Tackµ. - Soit. J'attendrai alors que l’article soit mis en discussion pour présenter l'observation qu'il me reste à faire.

M. Jacquemynsµ. - Messieurs, l'honorable M. Tack et d'autres orateurs se sont plaints de ce que l'impôt sur le sel eût été aboli brusquement ; ils se sont plaints de ce que les raffineurs de sel n'eussent été prévenus d'aucune manière, en aucune façon, de la ruine qui ces menace aujourd'hui ; mais, messieurs, depuis de longues années, cette enceinte a retenti de récriminations contre cet odieux impôt sur le sel. L'honorable M. Coomans s'est exprimé avec une éloquence convaincante à ce sujet ; l'honorable M. Jamar, actuellement ministre des travaux publics, a engagé Ic gouvernement, à une certaine époque, à ne plus réduire aucun impôt avant d'être arrivé à réduire notablement l'impôt sur le sel.

Le projet de l'honorable M. Jamar était d'appliquer toutes les économies réalisables à réduire l'impôt sur le sel. Depuis plusieurs années, l'honorable M. de Naeyer n'a plus voulu voter le budget des voies et moyens en donnant pour raison qu'il était trop opposé à l'impôt sur le sel pour voter un budget consacrant cet impôt.

Enfin, messieurs, il y a un an, dans la dernière session, la commission de l'industrie, à l'unanimité de ses membres moins un, a proposé l'abolition du droit sur le sel en indiquant, comme moyen de compenser la perte qui en résulterait pour le trésor, l'augmentation du droit sur les alcools.

Maintenant, messieurs, si les raffineurs se sont imaginé que jamais il ne serait fait droit à ces récriminations, je trouve qu'ils ont eu parfaitement tort. Il me semble que, lorsque des plaintes s'élèvent ainsi de toutes parts contre un impôt, cet impôt est bien près d'être aboli ; lorsque ces plaintes sont fondées, il est du devoir du gouvernement d'aviser à les accueillir dans la mesure du possible.

Et messieurs, l'impôt sur le sel a quelque chose de cruel que ne présente aucun autre impôt. Je ne me place pas, en parlant ainsi, au point de vue de l'agriculture, jamais je n'ai demandé que l'impôt sur le sel fût aboli en faveur de l'agriculture proprement dite. Mais il était important, en faveur des ouvriers agricoles, que l'impôt sur le sel fût aboli.

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu estime la moyenne du salaire des ouvriers du pays à 2 francs par jour.

Dans une notable partie du pays, l’ouvrier agricole ne gagne que 1 franc par jour en hiver.

Cet ouvrier est chef de famille ; il a une femme ; il a des enfants et tous mangent du sel. Ils mangent plus de sel que le riche, par la raison que le riche a d'autres condiments pour relever la saveur de ses aliments, tandis que les pauvres ouvriers n'ont qu'un seul condiment pour donner une saveur leurs aliments : c'est le sel.

Chaque membre de famille paye donc tout au moins la moyenne de l'impôt sur le sel, 1 fr. 20 c. par an. Si une famille est composée de cinq personnes : le père, la mère et trois enfants, c’est un impôt annuel de 6 francs que paye cette famille, et il faut que l'ouvrier consacre une semaine de son travail à payer l'accise sur le sel.

Faut-il conserver cet impôt en partie ? Faut-il le réduire dans une certaine mesure, le réduire au quart, au cinquième, au dixième ?

Messieurs, vous avez vu, par une discussion incidente, ce que c'est que ces petites impositions. A Louvain, la ville met une taxe d'un pour cent sur le poisson, et cela devient 18 p. c. par les frais accessoires. A tous moments, il arrive que pour un droit de douane de quelques centimes, on a un compte qui se trouve grossi de manière à atteindre un ou deux francs. Si l'on maintient un droit, si faible qu'il soit, sur le sel, ce droit se trouvera constamment augmenté par des frais accessoires, qui pourront atteindre des proportions considérables et qui, dans tous les cas, seront très élevés relativement au chiffre du droit.

Du reste, on a assez longtemps récriminé contre cet impôt du sel pour que nous nous trouvions fondés à en demander aujourd'hui l'abolition complète et absolue.

Faut-il indemniser les sauniers ? Messieurs, je voudrais de tout cœur indemniser les sauniers, s'il y avait un moyen légitime de le faire. Ainsi je voterai avec plaisir les1 2 p. c. que l'on fait aux sauniers, par la raison que c’est la compensation d'une perte directe qu'ils éprouvent. Mais est-il possible de songer à les indemniser pour la dépréciation de leurs ustensiles, pour la perte de valeur que leurs appareils subissent ?

Messieurs, le sort commun des industriels, c'est de se trouver toujours menacés par quelque progrès dans leur industrie. Ainsi, quelque industrie que l'on pratique, à chaque instant on est exposé à voir les ustensiles, les machines, les bâtiments dont on se sert, dépréciés par des découvertes nouvelles ; on n'a pas d'indemnité pour cela.

La conclusion à en tirer, c'cst qu'il faut toujours être prudent dans l’industrie, qu'il faut toujours prévoir le progrès ; et il est un progrès qu'il faut avant tout prévoir, c'est le progrès dans les sciences politiques, le progrès dans les sciences sociales.

Or, c'est un progrès dans les sciences politiques et sociales qui pèse actuellement sur l'industrie saunière.

Mais, messieurs, il y a eu dans le pays un moment bien plus important que celui qui se présente aujourd'hui pour les sauniers. Veuillez vous rappeler le moment où la loi sur les chemins de fer fut votée. Il y avait le long des routes, dans tout le pays, des auberges qui avaient coûté des sommes énormes. Il y avait des entreprises de diligences qui avaient des millions en chevaux, en voitures ; il y avait un personnel innombrable dans ces entreprises. Il y avait des rouliers partout. On a établi les chemins de fer dans toutes les directions.

A-t-on accordé un centime d'indemnité aux hôteliers qui demeuraient le long des grandes routes ?

A-t-on accordé un centime d'indemnité aux propriétaires de chevaux et de voitures ?

Il a fallu subir l'influence d'un progrès social. Demain un progrès du même genre peut se réaliser.

Après tout, une société demande la concession d'un chemin de fer. Si vous établissez le principe d’une indemnité pour un intérêt qui tombe devant un progrès, vous ne pourrez plus accorder la concession d'un chemin de fer sans stipuler une indemnité pour tous les établissements qui se trouveront lésés par la création de ce chemin de fer.

Nous ne pouvons donc pas admettre le principe d'une indemnité accordée du chef d'un progrès social, d'un progrès politique.

Messieurs, qu'il soit permis maintenant de dire un mot de l'accise sur la bière.

Lorsque j'entends dire dans cette Chambre que la bière est la boisson de l'ouvrier, je me figure, malgré moi, que les honorables membres qui tiennent ce langage n'ont vu l'ouvrier qu'au cabaret, car, après tout, l'ouvrier ne boit la bière qu'au cabaret. Il ne la boit pas chez lui, et il y a pour cela diverses raisons.

La première raison, c'est que la bière exige des soins de conservation que l'ouvrier ne peul pas y donner.

Pour que la bière se conserve bonne, il faut une cave bien fraîche ; il faut une très bonne cave pour y conserver la bière ; elle ne se conserve, même dans une bonne cave, que pendant un temps très limité. Si on la met en bouteille, elle s'altère encore. Il faut qu'elle ne soit pas exposée à une température trop élevée.

Il y a empêchement matériel à ce que l'ouvrier conserve la bière chez lui.

Mais il y a une raison d'économie et de moralité, peut-être raison de moralité avant tout, pour que l'ouvrier ne boive pas la bière chez lui.

Cette raison, c'est que si l'ouvrier buvait de la bière chez lui, il la boirait en présence de sa femme et de ses enfants, et il lui serait dur de leur refuser leur part de boisson dont il a besoin pour rétablir ses (page 797) forces et dont ils n’ont pas le même besoin que lui. Il boit donc la bière au cabaret, bien qu’il la paye 50 p. c. plus cher qu’il ne la payerait sil la buvait chez lui.

Il n'en résulte ainsi qu'une dépense modérée comparativement à celle qui serait effectué si la famille prenait de la bière.

J’ai fréquenté les maisons ouvrières. J'ai interrogé les ouvriers ce matin encore. Il en est très peu qui aient de la bière chez eux. Je ne parle pas de ceux qui gagnent 7 ou 8 francs par jour, ce sont des artisans, des exceptions, mais d'ouvriers ordinaires ; il en est très peu qui aient de la bière chez eux.

Il est même beaucoup de bourgeois bien posés qui n'ont pas de quoi se donner une provision de bière. Il faut que le fermier atteigne un degré prononcé d’aisance pour avoir de la bière chez lui. (Interruption.)

Le fait est incontestable.

Ils en ont généralement au moment des récoltes, mais pas pendant le reste de l'année.

Par conséquent, messieurs, je reconnais que la bière est une boisson utile pour l'ouvrier qui fait de lourds travaux, mais ce n'est pas la boisson des classes ouvrières. La boisson de ces classes est bien plutôt le café.

Tout à l'heure, une discussion s'est élevée entre l'honorable ministre des finances et l'honorable M. Tack, au sujet de l'augmentation de l'accise sur la bière.

Je demande pardon l'honorable ministre finances de me placer, en quelque sorte, sur son terrain. Il détend si bien sa cause que je ne sais si je dois répondre à l'honorable M. Tack.

MfFOµ. - Certainement.

M. Jacquemynsµ. - Le droit d'accise a été à peu près doublé en 1860.

Il était de 2 fr. 8 c par hectolitre de cuve matière ; il a été porté à 4 francs.

Mais peut-on dire qu'en thèse générale les impôts pesant sur la bière aient été doublés ? Evidemment non, messieurs, car, en même temps que l’on a doublé l’accise sur la bière, on a supprimé l’octroi qui, dans la plupart des villes, grevait la bière d'une taxe locale de 1 fr. 50 c., 2 francs et 2 fr. 50 c. l'hectolitre.

Or, on a doublé l'accise sur la bière pour supprimer les octrois, c'est-à-dire : pour supprimer précisément cette charge qui grevait la bière dans les villes, où se fait surtout la consommation. C'est là seulement que les classes ouvrières ont un salaire assez élevé pour pouvoir consommer de la bière.

Dans les campagnes, les salaires des ouvriers agricoles sont trop faibles pour que la bière puisse y être la boisson habituelle de l'ouvrier.

Ainsi le revenu donné à l'Etat par le droit d'accise la bière a doublé. comme l'a parfaitement dit M. Tack ; mais, pour comparer le revenu donné par la bière, il aurait fallu ajouter au droit d'accise de 2 fr. 8 c. par hectolitre, la taxe locale qui grevait la bière, absolument comme le droit d'accise.

Mais, dit M. Tack, ce droit d'accise a produit une perte sèche pour les brasseurs. Il semble toujours que le droit d’accise grève le producteur.

Tout à l'heure, j’ai cru à peu près que les sauniers avaient payé 100 millions de leur poche à l'Etat en vingt-cinq ans.

M. Tackµ. - J'ai dit exactement le contraire : j’ai dit que les impôts de consommation frappaient les consommateurs.

M. Jacquemynsµ. - Sauf pour la bière...

M. Tackµ - Pour la bière aussi.

M. Jacquemynsµ. - Permettez-moi de continuer ; vous pourrez répondre : Si j’ai bien compris, M. Tack a dit que l’accise sur la bière avait été doublée et que les cabaretiers et les brasseurs n’avaient pas augmenté le prix de la bière. (Interruption.) Nous voilà parfaitement d'accord.

A cet égard je présenterai deux observations : la première c'est que dans les villes où les octrois ont été supprimés, les droits d'octroi augmentaient le prix de la bière exactement comme le droit d’accise. Eh bien, personne n'y a abaissé le prix de la bière. J’en appelle aux membres de la Chambre qui sont dans le cas de consommer de la bière à Bruxelles : A-t-on abaissé le prix de la bière à Bruxelles, alors que les octrois ont été supprimés ?

M. Tackµ. - On a remplacé les droits d'octroi par les droits d'accise.

M. Jacquemynsµ. - C’est-à-dire qu'on a supprimé le droit d’accise.

Auparavant, ils payaient 2 francs environ sous forme d'octroi, ils les payent aujourd’hui sous forme d'accise, C’est le cas dans les villes, et l’on a continué à se faire rembourser les 2 francs, accise ou octroi, par les consommateurs.

Dans les campagnes, il est des localités où la concurrence est telle qu'on n'a pas pu y augmenter le prix de la bière, malgré tous les efforts qu’on a tentés dans ce but.

Mais, dans la plupart des localités, dans une notable partie des Flandres. on a augmenté le prix de la bière de 4 centimes au litre, tandis que l'accise n'a entraîné qu'une augmentation de près de 2 centimes au litre.

Et il y a d'ailleurs un petit expédient qui permet de se retrouver sur ea prix de la bière, sans augmenter le prix du verre, et voici cet expédient :

Par une loi dont je ne me rappelle plus la date, on décidé que les verres employés directement à la consommation des boissons ne devaient plus être poinçonnés ; il en est résulté qu'aujourd'hui le verre contient 5 p. c., 10 p. c., 15 p. c. et jusqu’à 25 p. c. de moins que le demi-litre.

En effet, le consommateur demande rarement un demi-litre, il demande un verre de bière et on lui donne un verre qui ne contient que trois ou quatre dixièmes de litre. On peut compenser ainsi l'augmentation du droit d’accise ; on sait fort bien comment s'y prendre, et Bruxelles on s'y prend fort bien ; les verres y sont tels aujourd'hui que personne ne saurait les confondre avec le demi-litre.

Dans une pétition adressée à la Chambre, et sur laquelle je compte ces jours-ci présenter mon rapport à la commission permanente d'industrie, des brasseurs demandent qu'on rétablisse le poinçonnage des demi-litres.

Je me sers d'un argument bien simple pour démontrer que cela ne doit pas être, que cela est parfaitement inutile ; c'est que tout le monde peut parfaitement constater que les verres dans lesquels on sert la bière ne sont pas des demi-litres : nul n'est trompé.

Mais l'honorable M. Tack et d'autres honorables membres se sont récriés contre le droit d'accise qui grève la bière ; d'après eux, parce que la bière est la boisson du peuple, il faudrait l'exempter de tout droit d'accise. Eh bien, messieurs, je me permets de prévenir les brasseurs et les honorables membres de la Chambre qui s’intéressent à la brasserie, que c'est là une demande imprudente au plus haut degré au point de vue de leur propre intérêt.

Et pourquoi ? Parce que l'accise est la protection des brasseries belges, et quand on en viendra à raisonner les intérêts des consommateurs, on abolira l'accise sur la bière. Je le veux bien ; mais on abolira en même temps le droit d'accise sur les vins, et alors la boisson du peuple sera le vin et non plus la bière. (Interruption.) Et je le prouve :

Quelle est la boisson du peuple dans tout le nord de la France, sous la latitude de Paris ? C'est bien le vin et non pas la bière.

Pourquoi le vin n'est-il pas la boisson du peuple en Belgique comme en France ?

Par la raison toute simple qu'il y a sur le vin un droit d'accise de 22 fr. 50 c. par hectolitre et non pas à cause du prix coûtant ; en quelques heures, en effet, et au prix d'une somme très modique, un franc ou deux, on peut obtenir une barrique de vin de Paris jusqu'à Bruxelles. Pourquoi donc, quand le vin est la boisson du peuple à Paris, ne le serait-elle pas également à Bruxelles ?

Messieurs, j’ai eu l’honneur de faire partie du jury de l'Exposition internationale à Paris ; j'étais membre du jury de la 91ème classe, laquelle s'occupait des objets d'ameublement, de vêtement et des aliments unissant les qualités utiles au bon marché.

Une question importante pour le jury dont je faisais partie, c'était la question des vins. Les vins sont, pour le midi de la France, une industrie très importante, qui équivaut à l'industrie des céréales pour la Belgique. Au point de vue de l'alimentation, ils offrent également une importance considérable : ils sont la boisson du peuple et des riches.

Eh bien, la médaille d'or a été décernée au département de l'Hérault, pour des vins qui ne reviennent qu'à 15 francs l'hectolitre.

J'ai fait venir des vins de l'Hérault, et j'ai pu ainsi en établir le prix rendu en Belgique.

A part les droits d'entrée et d'accise, qui sont de 23 francs par hectolitre, j'ai payé, pour la futaille, la barrique de 109 litres, 9 francs ; mais la futaille n'est pas sans valeur quand le vin est tiré, et je crois n'en devoir porter que 4 fr. 50 c. en dépense.

Il y a de plus 10 fr. 17 c. du port de Montpellier à Gand.

Ainsi l’hectolitre de vin exempt de droit d'accise reviendra à 30 francs (chiffre rond). C'est le double de l'hectolitre de bière ; mais le vin contient quatre fois autant d’alcool que la bière de bonne qualité ; c'est-à-dire que (page 798 ) si, suivant l’illustre agronome de Gasparin, l'homme qui travaille a besoin d'un seizième de litre d'alcool par jour pour sa consommation, il y aurait avantage pour lui à substituer le vin à bon marché à la bière. Mais la brasserie est protégée ; cette industrie est tellement colossale en Belgique que je me garde bien de m'inscrire contre cette protection. MM. les brasseurs se récrient parce qu'ils payeront 1 fr. 89 c. par hectolitre, et ils demandent l'abolition de ce droit d'accise, dans l'intérêt de la classe ouvrière.

Eh bien, s'il faut dégrever la bière du droit d'accise, dans l'intérêt de la classe ouvrière, le même intérêt doit nous porter à dégrever le vin commun. Qu'en résultera-t-il ? Veuillez remarquer que l’ouvrier peut conserver chez lui 2, 3, 4 bouteilles de vin ; il n'a pas besoin pour de cave ; il ne lui faut qu'une armoire, un placard ; il peut mêler de l’eau à son vin, à tel degré qu'il voudra ; ce qu'il ne peut pas faire pour la bière.

J'engage donc MM. les brasseurs à accepter l'accise telle qu'elle est et à discontinuer leurs réclamations ; On pourrait aller plus loin qu'ils le désireraient.

Au reste, pour le cas où la Chambre adopterait le projet de loi, comme j'en ai l'entière confiance, voici les taxes que payeront les divers liquides fermentés.

Pour la bière, les brasseurs emploient de 30 à 40 kilogrammes de farine par hectolitre de ; l'accise est de 10 à 15 centimes. En admettant 1 fr. 89 c. par hectolitre de bière, comme une bonne bière contient environ 3 p. c. d'alcool absolu, l'alcool contenu dans la bière est grevé, à raison de 54 francs par hectolitre d'alcool pur.

Dans la fabrication de l'eau-de-vie de grains, la taxe de 4 fr. 55 c. par hectolitre de cuve-matière reviendra à 30 centimes environ par kilogramme de farine ; elle représentera 130 francs par hectolitre d'alcool absolu.

Je ferai remarquer, en passant, en réponse à ceux qui se plaignent de ce que le droit sur le genièvre a été augmenté, au détriment de l'ouvrier, en même temps qu'on dégrevait le sel ; je ferai remarquer, dis-je, que ce droit est beaucoup moins élevé qu'en France, en Angleterre et en Hollande.

La consommation du genièvre est considérable en Hollande, et pourtant le droit d'accise y est, à peu de chose près, le double de ce qu'il sera chez nous ; il sera chez nous de 65 centimes par litre d'alcool à 50 degrés centigrades. En Hollande, le droit est de 1 fr. 11 c. ; enfin l'alcool dans le vin est grevé au taux de 150 francs l'hectolitre, c'cst-à-dire peu près trois fois autant que dans la bière.

M. Visartµ. - Quelle que soit la valeur de l'opinion que j'ai exprimée sur l'interprétation des traités de commerce, je crains fort aujourd'hui que les déclarations faites par l'honorable ministre des finances et par l’honorable rapporteur de la section centrale ne tranchent la question contre moi. C'est leur autorité beaucoup plus que leur argumentation qui m'écrase. Je crois cependant, et je n'ai pas été convaincu du contraire par les réponses qui m'ont été faites, que cette stipulation, qui remonte déjà à neuf ans, ne devait pas régler une situation toute nouvelle, toute différente de celle que l'on avait en vue à cette époque.

Voyez en effet, messieurs, les conséquences du sens donné à l'article 8 du traité de 1861. Nous avions la faculté d'abaisser le droit d'accise sur le sel brut au taux le plus infime, dix centimes par cent kilogrammes, en laissant subsister un droit protecteur énorme de quarante francs sur le sel raffiné étranger. Le jour, au contraire, que nous abolissons ces derniers dix centimes sur le sel brut, nous sommes contraints de donner la liberté complète et absolue au sel raffiné.

J'en suis convaincu, ce n'est pas là ce qu'on a prévu et voulu.

Par la loi que nous allons faire, nous accordons les plus grands avantages à la France et l'Angleterre. Selon toute apparence, l'importation du sel en Belgique augmentera énormément, au grand profit des concessionnaires des mines anglaises et françaises. Dira-t on que nous n'accordons pas assez et qu'il faut y ajouter, pour la satisfaction de nos voisins, la ruine complète et immédiate des raffineries indigènes ?

Aussi, messieurs, je persiste à croire qu’il est parfaitement conforme à l'esprit et à l’intention des traités de ménager aux sauniers belges un régime qui n'a été refusé à aucune industrie dans des cas analogues.

Il se peut que la lettre du traité de 1861, renforcée par le sens que lui a donné publiquement M. le ministre des finances, soit une difficulté ; mais dans ce cas il y a une chose toute simple à faire, c'est de négocier avec les puissances intéressées et de leur demander une concession bien naturelle et bien légitime en présence des avantages considérables que nous leur faisons par la loi actuelle.

Il eût mieux valu faire ces négociations avant le dépôt du projet de loi, je l’avoue ; mais puisque les articles qui concernent le sel ne doivent être mis en vigueur qu’au 1er janvier 1871, il est encore parfaitement possible de s’entendre avec les gouvernements français et anglais. Nous avons avec eux, en ce moment, des relations excellentes ; ils sont pleins d’égards et de sympathie pour la Belgique ; il est donc permis de croire qu’ils ne s'en tiendraient pas à l'interprétation judaïque du traité de 1861 et cela pour nous empêcher de faire une loi qui donne à leurs producteurs de sel les plus grands avantages.

Le gouvernement belge, s'il voulait interpréter le traité de la même façon, pourrait maintenir un droit d'accise de 40 centimes sur le sel brut et se réserver la faculté de maintenir en même temps 40 francs de droit de douane sur le sel raffiné.

Dans ces conditions, le gouvernement belge a une position très forte pour négocier et peut, au besoin, en retour des bénéfices considérables qu'il assure aux producteurs de sel anglais et français, demander une légère concession.

Il est probable que l'Angleterre sera fort accommodante et ne tiendra guère à appliquer à la rigueur la lettre du traité de 1861.

Je vois, dans le tableau officiel du mouvement commercial, qu'il n'a été importé, pendant les deux premiers mois de 1870, que 39 kilogrammes dc sel raffiné anglais. C’est une valeur de 1 fr. 17 c. Pour la France, l'intérêt dont il s'agit est un peu moins dérisoire. Pendant 1 1869, il a été importé 2,145,081 kilogrammes de sel raffiné français en franchise de droit pour les usages industriels.

Droits déduits, c'est une valeur de 63,000 francs environ. C’est peu de chose en comparaison des bénéfices que la nouvelle lui procurera aux producteurs de sel français.

Il est donc certain que l'intérêt bien entendu de la France lui fera accepter facilement une transaction si elle est nécessaire.

Quant à moi, je veux pousser la conciliation jusqu'aux dernières limites et m'exposer à la désapprobation certaine de la plupart des sauniers en atténuant mon amendement pour le rendre acceptable même par les libre-échangistes les plus déterminés. Je le rédigerai donc en ces termes.

« Art. Ier. Les droits d'accise établis sur le sel brut et sur l'eau de mer, ainsi que les droits de douane perçus à l'entrée du sulfate, du sulfite et du carbonate de soude sont abolis.

« Les droits d'entrée sur le sel raffiné sont réduits à 2 francs par 100 kilogrammes au 1er janvier 1871. Ils seront diminués de 50 centimes au janvier de chaque année suivante et entièrement abolis au 1er janvier 1875. »

Vous le voyez, messieurs, Cet amendement est réduit aux proportions d'une simple mesure transitoire qui n'a rien d'effrayant et ne peut compromettre en aucune façon les effets de la réforme.

Si cette transaction si raisonnable, si conforme aux principes, était impitoyablement écartée, il ne me resterait qu'à constater l'impuissance où nous nous trouvons de sauvegarder les intérêts légitimes de 200 industriels et à laisser à qui de droit la responsabilité de cette situation que nous n’avons pas créée.

Dans ce cas, je me rallierais purement et simplement à l'amendement que l'honorable M. de Vrière a motivé avec éloquence. C'était précisément l'amendement subsidiaire que j’avais l'intention de proposer en cas de non succès du mien.

Je n'essayerai pas d'ajouter quelque chose aux paroles de mon honorable collègue et je me bornerai à constater comme lui que 12 p. c. de remise ne serait qu'une aumône jetée aux sauniers.

M. Beeckmanµ. - Je demande la parole.

MpDµ. - Vous avez la parole, M. Beeckman, mais je vous prierai de vous concentrer dans la discussion de l'article premier, sans quoi nous n'aboutirons pas.

M. Beeckmanµ. - Je serai très bref, M. le président. Je ne m’attendais pas à ce que la discussion portât aujourd'hui sur le droit d'accise des bières. Il y a quelques années, un débat très important a eu lieu au sein de la Chambre au sujet de diverses pétitions, relativement à la diminution des droits d'accise sur la bière.

Je ne veux pas aujourd’hui engager une nouvelle discussion sur ce point, mais je ne puis m'empêcher de protester contre cette idée étrange, que la bière ne serait pas la boisson de l'ouvrier. Je répéterai, messieurs, avec justice, un mot qui a été dit à mes côtés, que la bière est le pain liquide de l’ouvrier.

Je me réserve donc de faire de commun accord avec les honorables collègues de Louvain, quand le moment sera venu, une proposition formelle pour obtenir la réduction des droits d’accise sur la bière.

(page 799) MpDµ. - L'amendement nouveau de M. Visart est appuyé ; il fait partie de la discussion.

MfFOµ. - Messieurs, J'ai toujours pensé que la question la plus importante que la Chambre eût à examiner, lorsqu'il s'agissait de toucher aux ressources du trésor, était de savoir si la situation financière ne pouvait être compromise. La Chambre, et c'est son honneur, la Chambre a toujours été, pour ainsi dire, unanime dans l'appui qu'elle a prêté au gouvernement pour contribuer à maintenir une bonne situation financière. Elle a considéré avec infiniment de raison ce grand intérêt, que l'on ne saurait compromettre sans exposer le pays aux aventures les plus dangereuses, comme étant de beaucoup supérieur à l'intérêt qu'il pouvait y avoir supprimer l'un ou l'autre impôt dans certaines circonstances données.

Assurément, messieurs, ce n'est point par amour des impôts que ceux-ci ont été défendus. Je n'ai défendu à aucune époque l'impôt du sel, pas plus qu'aucune autre des taxes qui alimentent le trésor public. Jamais il n’est venu à ma pensée que ces taxes pussent être préconisées pour elles-mêmes. Mais je les ai défendues, et c'était un devoir essentiel pour moi, pour assurer le maintien d'une bonne situation financière.

Aujourd'hui que nous proposons un ensemble de mesures qui a pour résultat d'introduire certaines réformes désirées, sans altérer cependant les ressources du trésor, on nous annonce que l'adoption de ces mesures aura pour conséquence inévitable, dans un temps rapproché, la suppression de l'accise établie sur les bières, du droit d'entrée sur les farines et même du droit sur la généralité des céréales.

Messieurs, lorsque des propositions de ce genre vous seront faites, j'espère que les honorables membres qui en seront les promoteurs voudront bien, s'inspirant de la pensée de la Chambre, les combiner avec un ensemble de mesures qui soient de nature à garantir la situation financière du pays. Quand ils annoncent les suppressions d'impôt que je viens d'indiquer, ils me paraissent oublier que, de ce seul chef, il y aurait un déficit considérable pour le trésor public, déficit qui ne s'élèverait pas à moins de 16 millions de francs. (Interruption.) Eh bien, lorsque, dans leur sagesse, ils auront décidé qu'il y a lieu de supprimer ces millions de revenu, et que, d'un autre côté, ils auront constaté, ou que les votes de la Chambre auront constaté, que les services publics exigent cependant les dépenses qui ont été décrétées pour y faire face, ils auront, sans doute, le moyen de trouver 16 millions de ressources nouvelles. (Interruption.)

Je ne veux pas, messieurs, discuter, quant à présent, ces diverses questions ; mais je tiens, en passant, à relever certaines erreurs sur lesquelles on se fonde pour réclamer le maintien d'un droit prohibitif sur le sel, erreurs qui se propagent, et qui, si elles n'étaient signalées, finiraient pas passer ultérieurement pour des vérités incontestables.

Ainsi, dans une de nos précédentes séances, un honorable membre déclarait qu'il eût mieux valu supprimer les droits d'entrée sur les farines et sur les céréales, que de supprimer l'impôt sur le sel, et il en donnait cette raison assez singulière : c'est que l'impôt du sel représentait, selon l'évaluation établie par l'honorable M. Vermeire, 90 centimes par tête, la consommation étant présumée de 5 kilogrammes par année et par habitant, tandis que le droit sur les farines représentait 3 fr. 60 c. par tête. Comment l'honorable membre en était-il arrivé à cette conclusion ? Voici, messieurs, l'étrange calcul qu'il a fait. On peut estimer, disait-il, la consommation de farine à 300 kilogrammes par habitant et par année. Le droit d'entrée étant sur les farines de 1 fr. 20 c, aux kilogrammes, cela représente 3 fr. 60 c. par tête.

Evidemment, depuis le moment où l'honorable M. Vermeire a quitté le terrain si solide et si excellent on il s'était établi depuis longtemps, le terrain du libre échange, ses idées se sont malheureusement égarées. Son raisonnement, effet, manque cette fois tout à fait d'exactitude.

Le droit d'entrée sur les farines est, en effet, de 1 fr. 20 c. ; mais il n'a produit que 232,000 francs, ce qui fait environ 5 centimes par tête et non pas 3 fr. 60 c. On n'a pas, en effet, perçu le droit de 1 fr. 20 c. sur toutes les farines qui ont été consommées dans Ic pays ; on l'a perçu sur les quantités de farines introduites de l'étranger ; et s'il fallait même ajouter le droit d'entrée perçu sur les céréales à raison de 60 centimes par 100 kilogrammes, nous arriverions à un total de 1,840,000 francs d'impôt, ce qui ne représenterait encore, pour les deux articles réunis, que 37 centimes par tête. (Interruption.)

L'honorable M. Tack a contesté les indications qui ont été données sur la quantité de bière aujourd'hui extraite d'une égale capacité de cuve-matière, comparativement à ce que l'on en retirait autrefois. Il a prétendu que la statistique de l'administration était complètement erronée, qu'on avait fait des évaluations plus ou moins approximatives, dans telle ou telle brasserie, et que c'étaient ces résultats exceptionnels que l'on donnait comme la vérité pour l'ensemble de cette industrie.

Eh bien, l'honorable membre se trompe : les constatations ont été faites dans toutes les brasseries, et l’on me concédera facilement que les employés qui font ces constatations journalières sont parfaitement en état de connaître exactement les quantités qui sont produites. C'est après avoir résumé les constatations faites dans 2,500 brasseries que l'on est arrivé au chiffre que j'ai indiqué, et s'il y a eu quelques erreurs dans un sens, on peut certainement admettre que, opérant sur des chiffres aussi considérables, elles ont dû être compensées par des erreurs en sens inverse.

C'est ainsi que, sur l'ensemble, on est arrivé à une constatation que l'on peut considérer comme exacte, comme étant l'expression réelle des faits. Or, ce point étant admis, les conséquences que nous en avons déduites quant la véritable quotité du droit applicable à l’hectolitre de bière, subsistent parfaitement, et ne peuvent être sérieusement contestées.

Je ne m'arrêterai pas davantage à ces considérations, qui sont d'ailleurs étrangères au débat, et qui le sont surtout à propos de l'article en discussion. L'article qui nous occupe est l'article premier, relatif à la suppression de l'impôt du sel.

Je crois, messieurs, qu’il est temps que la discussion se termine sur cc point, car nous sommes menacés d'une singulière situation : après avoir entendu réclamer très longtemps la suppression de l'impôt du sel, et d'une manière peu près unanime, après des attaques très vives dirigées contre le ministre des finances qui résistait, par les considérations que vous connaissez, aux réclamations que l'on élevait pour obtenir la suppression de cet impôt, voici que nous arrivons à des conclusions tendantes au maintien du droit d'accise sur le sel, ou tout au moins à l'établissement d'un droit d'entrée sur le sel raffiné !

C'est, en effet, ce que les honorables membres ont proposé, et cela dans le seul intérêt des sauniers, car il ne s'agit plus maintenant des consommateurs ; ils sont complètement abandonnés ; il ne s'agit plus aujourd’hui que de ceux qui raffinent le sel, et c'est à leur profit exclusif que l'on demande l'établissement d'un impôt, que l'on essayait de déguiser quelque peu sous nom de droit de balance, et que l'on qualifie aujourd'hui d'impôt modéré, mais qui est en réalité un droit prohibitif, car il ne saurait être moindre de 100 p. c. de la valeur de l'objet auquel il s'appliquerait.

A part les raisons tirées des traités, il y avait des raisons économiques péremptoires pour reconnaître qu'il était absolument impossible de proposer quelque chose dans ce sens.

Comment eussiez-vous accueilli la proposition de conserver un droit de douane de 100 p. c. sur le sel ? Evidemment On aurait dit que c'était une dérision ? Et, en effet, que le droit soit de 2 francs, de 18 francs ou de 45 francs, c'est absolument la même chose, puisque le droit est, dans tous les cas, prohibitif. Dans cette situation, nous n'avions pas à nous occuper des traités en rédigeant notre exposé des motifs.

Et nous avons été déterminés d'autant plus à ne pas proposer une mesure quelconque en faveur de ce que l'on appelle l'industrie des sauniers, lorsque, pénétrant au fond des choses, nous avons vu ce qu'était en réalité cette industrie.

Personne ne saurait considérer comme une industrie véritable ce qui constitue le raffinage du sel. Quand on fait ressortir les inconvénients qui peuvent résulter d'un changement brusque dans la législation douanière, on invoque les capitaux considérables engagés dans telle ou telle industrie, la nombreuse population ouvrière qui y trouve des moyens d'existence.

Aussi, chaque fois que nous avons eu à proposer des mesures de ce genre, nous avons eu plus grand soin d'empêcher qu'il n'y eût quelque perturbation trop grande, quelque secousse trop brusque ; nous nous sommes attachés à ménager, autant que possible, la transition d'un régime à l'autre, par égard pour les divers intérêts engagés dans ces sortes d'affaires.

Nous ne considérons avec dédain ni le commerce ou l'industrie du sel, ni aucune autre industrie : nous considérons toutes les industries avec la plus grande bienveillance ; nous comprenons qu'il est toujours pénible de voir troubler des intérêts légitimes ; mais, examinant consciencieusement la situation du raffinage du sel, nous trouvons que c'est, en fait, l'industrie la plus minime qui puisse exister. Nous trouvons un personnel des plus restreint ; la plupart du temps un ouvrier, un seul, qui devra toujours subsister, car le commerce du sel subsistera à défaut du raffinage ; ajoutez à cela un (page 800) matériel des plus insignifiant, une chaudière et quelques poêles, et voilà toute l'industrie dont on s’occupe avec un si grand souci !

Eh bien, messieurs, il faut le reconnaitre : en présence d'un tel état de choses, il n'était pas possible d’hésiter, et nous avons résolu l'abolition radicale de l'impôt.

En examinant les conséquences immédiates de cette résolution quant aux matières en cours de fabrication, nous nous sommes demandé si les sauniers auraient quelque motif fondé de se plaindre, et sil y avait possibilité d’aller au-devant de ces plaintes, sans porter atteinte à aucun principe.

Dans cet ordre d'idées nous avons dit : Supprimant le droit d'accise, proclamant la libre entrée, il y a des sels qui seront encore en travail au moment de cette suppression. Ces sels auront payé l'impôt et il ne serait pas juste de ne pas chercher quelque moyen de les en affranchir.

L'administration, qui a les éléments nécessaires pour apprécier les faits, a estimé qu'une déduction de 12 p. c. accordée sur les termes de crédit non échus lors de la mise à exécution de la loi, serait une compensation suffisante.

On prétend cependant qu'il faut accorder davantage, que le gouvernement devant percevoir, par suite du retard dans l'exécution de la loi, une somme plus ou moins importante sur l'impôt du sel, il pourra accorder une déduction plus considérable aux sauniers.

Entendons-nous, messieurs. C'est, en réalité, une indemnité que l'on réclame en faveur de ces industriels. Or, il est impossible que la Chambre entre dans cette voie, sans se montrer inique à l’égard des autres industries qui ont été plus ou moins atteintes, chaque fois que des changements ont été introduits dans la législation fiscale.

La question revient, en principe, à savoir si la déduction de 12 p. e. est suffisante pour compenser le droit payé sur le sel non encore livré à la consommation à l'époque de la mise en vigueur de la loi.

On n'a rien dit qui démontre le contraire. En insistant pour faire augmenter le taux de la déduction, on déclare que c'est une indemnité qu'il faut donner, et on la fixe à 25 p. c. des termes de crédit non échus. Moyennant cela, l'industrie des sauniers sera indemnisée de sa ruine, et toute plainte aura cessé.

Messieurs, je veux vous faire toucher la vérité du doigt, et vous montrer combien tout ce mouvement est peu sérieux.

Je suppose, et cela est vraisemblable, que les termes de crédit non échus au moment où la loi entrera en vigueur représenteront 1,200,000 francs, soit même un million et demi. Nous proposons une déduction de 12 p. c. Ce sera donc 180,000 francs. C'est trop peu dit-on. Pour indemniser convenablement les sauniers, il faut accorder 25 p. c. Dans l'hypothèse de l’admission de ce taux, ce serait donc 360,000 francs qu'on leur attribuerait.

Or, je le demande, comment peut-on sérieusement parler d'indemnité quand on arrive à un pareil chiffre ? Partagée entre tous les sauniers du pays, cette somme donnera à chacun d'eux une quotité absolument insignifiante. Répartie proportionnellement aux termes de crédits échus, les grands sauniers, ceux qui ont des comptes ouverts considérables, vont en emporter la plus grosse part. Pour les petits sauniers, il ne restera que des sommes de 20 francs, de 40 francs, de 100 francs !

Vous le voyez, messieurs, pour faire une chose qui ne serait pas bonne, qui partirait d'un principe faux et injuste, peut-on se résigner à voter de prétendues indemnités de ce genre ?

Je crois donc qu'il faut s'en tenir à la proposition du gouvernement. Elle est équitable dans son principe et dans ses conséquences, et je convie la. Chambre à la voter. Elle satisfera, j'en suis certain, les personnes raisonnables parmi les sauniers, et j'ai lieu de croire, d'après les pièces que j'ai produites devant la Chambre, que ce sentiment sera celui de la généralité.

- La discussion est close.

« Art. 1er. Les droits d'accise établis sur le sel brut et sur l'eau de mer, ainsi que les droits de douane perçus à l'entrée du sel raffiné, du sulfate, du sulfite et du carbonate de soude, sont abolis. »

MpDµ. - Il y a un amendement de l'honorable M. Visart ainsi conçu :

« Les droits d'accise établis sur le sel brut et sur l'eau de mer, ainsi que les droits de douane perçus à l'entrée du sulfate, du sulfite et du carbonate de soude, sont abolis.

« Les d'entrée sur le sel raffiné sont réduits 2 francs par kilogrammes au 1er janvier 1871. Ils seront diminués de 50 centimes au 1er janvier de chaque année suivante et entièrement abolis au 1er janvier 1875. »

- L'amendement est mis aux voix par assis et levé. II n'est pas adopté.

L'article est adopté.

Article 2

Discussion des articles

Section première. Disposition générale

« Art. 2. Les droits dentrée sur les poissons de toute espèce sont abolis.

« Il est interdit d'entraver le commerce du poisson, soit en imposant une expertise préalable à la mise en vente, soit en rendant l'usage de la minque obligatoire, soit en défendant la vente à domicile ou le colportage, soit par toute autre mesure restrictive. »

M. Coomansµ. - L'article porte :

« Il est interdit d'entraver le commerce du poisson, soit en imposant une expertise préalable à la mise en vente, soit en rendant l'usage de la minque obligatoire, soit en défendant la vente à domicile ou le colportage, etc. »

Je crois qu'il est dans les intentions des auteurs de l'article d'interdire également la réglementation, car j'ai bien peur que l'autorité, qui aime tant à faire sentir son influence souvent vexatoire, n'interdise, en réalité, le colportage sous prétexte de réglementation.

Or, je crois, avec la section centrale et j’ai cru depuis de longues années qu'il est absolument indispensable de rendre la liberté du commerce de poisson complète, d’interdire même toute ingérence de l'autorité dans la vente du poisson, sous prétexte d'hygiène. C'est sous ce prétexte que se sont produits tous les abus contre lesquels nous voulons nous prémunir. Le mauvais poisson est interdit par lui-même ; il n'ose pas se produire en public. (Interruption.)

Mais, messieurs, cela est évident : On ne colporte guère le mauvais poisson. Dans tous les cas, si l'on ne veut pas aller aussi loin que je voudrais aller, je demanderai jusqu'à quel point on va permettre encore aux autorités locales de s'ingérer dans le commerce du poisson sous prétexte d'hygiène.

Je prierai l'honorable rapporteur de la section centrale de nous donner au moins un mot d'explications à ce sujet.

M. Watteeu, rapporteurµ. - L'article 2 avait été proposé par la section centrale dans des termes tels, qu'il me paraissait que toute crainte, toute appréhension devait disparaître.

La section centrale a généralisé, autant qu'il était possible de le faire, le principe de la liberté la plus absolue dans la vente et le commerce du poisson. Non seulement le texte le démontre, mais le rapport donne encore les motifs qui ont déterminé la section centrale à vous proposer la rédaction de l'article 2.

Il ne faut cependant pas non plus que l'autorité communale ne puisse plus prendre aucune mesure de police, quelle qu'elle soit ; il faut que l’autorité communale conserve le droit de règlementation dans une certaine mesure ; ainsi il ne faut pas, par exemple, que, sous prétexte de colportage, on improvise des marchés aux carrefours de la ville ; il faut nécessairement que le droit de l’autorité communale de prendre des mesures qui assurent, dans la cité, la libre circulation, reste entier.

Vous ne pouvez les diminuer sans porter atteinte à la loi communale. Nos lois consacrent les mesures de police par les communes ; eh bien, tout ce qui ne dépasse pas les limites exigées par les mesures de police ne pourra plus être fait en vertu de la loi nouvelle. Mais il ne faut pas aller trop loin.

La police locale a un droit de surveillance, dans l'intérêt de la santé publique, sur toutes les denrées alimentaires ; il est beaucoup de denrées dont on ne peut reconnaître l'altération comme pour le poisson.

Nous avons constamment dans les grandes villes des analyses chimiques pour constater si tel ou tel liquide n'est pas frelaté, si tel ou tel aliment n'est pas mélangé avec des substances nuisibles. Ce sont là des mesures de police qu'il ne peut entrer dans l'esprit de personne de vouloir abroger. Mais ce que nous voulons consacrer, c'est la liberté la plus large, la plus complète pour le commerce du poisson. Nous avons même été plus loin dans le rapport fait au nom de la section centrale, voici ce que nous y disons :

« La surveillance de toutes les denrées alimentaires est comprise dans les attributions générales de la police, mais elle doit se renfermer dans les limites tracées par les besoins de la sécurité publique. D'un autre côté, les dépenses occasionnées par l'exercice de cette surveillance ne doivent, pas plus que celle qui s'exerce sur la pureté des autres substances, motiver une taxe spéciale. »

Ainsi nous avons poussé la prudence jusqu'à empêcher que, sous prétexte de se faire rembourser des droits de police ou de surveillance, on (page 801) n'établisse des taxes nouvelles. Je crois que les termes dont nous nous sommes servis sont de nature à calmer toutes les inquiétudes.

- L'article 2 est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. Par modification l'article premier de la loi du 22 avril 1849 (Moniteur, n°114), la taxe d'affranchissement des lettres simples expédiées d'un lien à un autre, dans l'intérieur du royaume, est fixée à 10 centimes, quelle que soit la distance à parcourir. »

- Adopté.

Article 4

« Art. 4. L'administration des postes est autorisée à émettre des cartes correspondance pouvant recevoir des communications écrites. Elles porteront un timbre d'affranchissement de cinq centimes.

« La circulation de ces cartes s'étendra aux localités desservies par un bureau de poste formant un canton postal.

« Lorsque plusieurs bureaux de poste se trouvent établis dans une même commune ou dans ses faubourgs, ils seront considérés comme ne formant qu'un canton postal.

« Ces cartes seront émises dans les six mois qui suivront la promulgation de la loi. »

M. Jacquemynsµ. - Lors de la discussion de la loi sur le régime postal, j'ai appelé l'attention de la Chambre et, en particulier, celle de M. le ministre des travaux publics, sur l'opportunité de permettre le transport des petits paquets par la poste.

Je me permets de revenir sur cet objet, par la raison que j'ai tout lieu de croire que rien n'a été fait sous ce rapport.

La faculté que je réclame existe dans la plupart des autres pays, notamment en France ; eh bien, messieurs, des industriels ont vu leur industrie prendre un développement considérable à cause de la seule réduction des frais de transport sur les petits objets transportés par la poste.

Un industriel de France m'assure qu'il reçoit par la poste les divers instruments de chirurgie et de coutellerie qui réclament, de sa part, des soins d'entretien, au prix modique de 10 centimes par 100 grammes.

Ainsi, les instruments de coutellerie sont envoyés de toutes les parties de l'empire français, d'Algérie même, à Paris, pour qu'on les y répare et les affile, et le transport coûte 10 centimes par 100 grammes.

Un honorable ami, membre de cette Chambre, a reçu un bouquet de Nice par la poste ; or, un jardinier belge ne pourrait pas envoyer un bouquet par la poste à Nice ou à Paris.

Je demande que cette faculté soit introduite en Belgique. Elle est consacrée dans beaucoup de pays étrangers, et dans des pays bien moins avancés que la Belgique, dans des pays qui ne devraient pas nous servir d'exemple et auxquels nous devrions plutôt donner l'exemple. J

e me permettrai de citer un exemple encore. Un ami achète un bijou à Moscou ; mais le bijou lui paraît incomplet : il demande qu'on lui en envoie le complément de Moscou à Gand par la poste. Je demande qu'on puisse faire un pareil envoi d'une ville à l'autre en Belgique, de Gand à Bruxelles, à Liége, à Anvers.

Je recommande cet objet à l'attention spéciale de M. le ministre des travaux publics, dans l'intérêt des petites localités qui n'ont pas de station de chemin de fer. Les particuliers qui habitent les localités où il y a une station de chemin de fer peuvent obtenir le transport des paquets à très bas prix ; mais dans les villages dépourvus de station de chemin de fer, cela coûte très cher, et l'on peut très difficilement obtenir le transport de petits paquets jusqu'à destination.

Lors de la révision du régime postal, il existait encore (je ne sais s'il a cessé d'être en vigueur) un décret interdisant à toutes les messageries de se charger du transport de paquets pesant moins d'un kilogramme ; la poste ne les transportait pas non plus ; or, je demande un moyen de faire transporter jusqu'à destination, sans se mettre mal avec les gendarmes, un paquet qui ne pèse pas un kilogramme.

A la vérité, un moyen est employé : c'est d'ajouter au paquet un certain poids d'autre chose et de parfaire ainsi le poids d'un kilogramme ; mais il me paraît inutile, illogique, étrange d'imposer aux particuliers et aux messageries ce surcroît de charge.

Si l'on pouvait transporter les petits paquets par la poste, on recevrait, dans les parties les plus éloignées du pays, à très bas prix, les petits paquets dont le transport est actuellement interdit en Belgique.

Il y a quelque chose de plus étrange : c'est que la poste transporte de petits objets, à la condition qu'ils soient échantillons et sans valeur ; mais du moment que ce ne sont plus des échantillons, le transport n'en est plus permis.

Ainsi, un jardinier pourrait envoyer un bouquet de Gand à Bruxelles, c'est un échantillon de bouquet, et c'est la poste qui juge si c'est un échantillon ou un bouquet. Je puis, du reste, admettre qu'on ne puisse transporter par la poste que des objets déclarés sans valeur. Pendant un nombre d'années, on a confié à la poste des lettres contenant des valeurs considérables ; pourquoi le faisait-on ? Parce qu’on était convaincu que la poste est une administration honnête, loyale et qu'il n'y avait pas de danger à lui confier des objets d'une valeur même considérable, alors même qu’on ne pouvait réclamer, le cas échéant, qu’une indemnité dérisoire.

Il ne me répugnerait donc pas du tout d'admettre que ces objets pussent être considérés par la poste comme étant sans valeur, mais qu'ils doivent servir comme échantillons, je ne le comprends pas. Si l'on peut transporter des échantillons, comment ne point transporter aussi un poids égal de marchandises ?

Je me permettrai, notamment dans l'intérêt des campagnes, de recommander cet objet à la sollicitude de M. le ministre des travaux publics.

M. Dumortierµ. - Messieurs, je crois qu'il est assez difficile de faire droit à la proposition de l'honorable M. Jacquemyns, à moins d'ajouter une disposition en faveur des facteurs ruraux, et de leur donner chacun un âne pour transporter les marchandises. (Interruption.)

Car, aujourd'hui, les facteurs ruraux plient déjà sous le poids des journaux qu'ils doivent transporter de domicile en domicile.

J'ai maintenant, messieurs, une observation à vous présenter relativement à la carte-correspondance dont il est parlé dans l'article que nous discutons.

Je dois dire à la Chambre que lorsque cet article nous a été présenté à la section centrale, je me suis borné à déclarer, après simple examen, que l'utilité de cette innovation ne me semblait nullement démontrée.

Je ne m'étais placé qu'à ce point de vue, mais, messieurs, on a raison de dire que la presse a du bon et qu'elle est la sentinelle à jamais chargée de nous éclairer, car aujourd'hui, messieurs, je suis obligé de le dire, j'ai été profondément frappé des observations que publie la presse au sujet de cet article.

Ces observations sont telles, qu'il me sera impossible de voter l'article car il est évident pour moi que le moyen de correspondance qu'il autorise pourra amener non seulement des désagréments, mais encore des désastres. Et permettez-moi, messieurs, de vous rappeler quelques-uns des inconvénients signalés par la presse et qui réellement méritent l'attention de la législature.

Une personne en voudra à une autre ; eh bien, elle lui enverra une carte-correspondance qui la compromettra au plus haut degré et cette carte pourra être lue par tout le monde. Celui qui voudra compromettre une épouse vis-à-vis de son époux, n'aura, pour se venger, qu'à se servir de la carle dont il s'agit et il y aura des ménages brouillés. (Interruption.)

J'entends dire qu'on pourra arriver à ce résultat au moyen d'une lettre.

Mais, messieurs, la lettre n'est pas ouverte, elle est cachetée et le porteur de la lettre ne sait pas ce qu'elle contient. (Interruption.)

MfFOµ. - On n'est pas obligé de cacheter ces lettres.

M. Dumortierµ. Non, mais cela se fait toujours ; tandis que votre carte-correspondance, arrivant à destination, pourra être lue par tous les domestiques de la maison. Ce moyen de correspondance est donc détestable, selon moi, et de nature à jeter la perturbation dans les familles les plus honorables.

Maintenant, quel avantage présentera cette carte-correspondance ? L'unique avantage qu'elle aura sera de payer cinq centimes au lieu de dix ; mais si c'est là le but que voulez atteindre, abaissez immédiatement le taux de la lettre à cinq centimes.

Si c'est une réforme que vous voulez faire, faites-la sérieusement, sincèrement ; mais n'employez pas un moyen qui peut compromettre des personnes honnêtes, qui peut tantôt les rendre la risée des populations, tantôt les déconsidérer aux yeux des populations.

Si vous adoptez cet article, dites au moins qu'il faut que ces cartes soient signées, qu'elles contiennent une signature responsable de ce qui s'y trouvera.

MfFOµ. - Nous devrons vérifier les signatures.

M. Dumortierµ. - Je ne fais pas ici de plaisanterie, je parle d'une chose trop sérieuse pour que cela soit considéré comme une plaisanterie. Peut-être vous-même un jour serez la première victime de cette invention.

Je dis donc que si vous tenez à cette incroyable invention des cartes d'adresse qui ne servent exactement à rien, qui ne servent qu'à une seule (page 802) chose, à faire payer 5 centimes au lieu de 10, donnez du moins des garanties à la population.

Allez-vous encore employer un nouveau moyen pour faciliter les actes malhonnêtes ? J'ai été fortement frappé de ce que j'ai lu dans certains petits journaux. Les petits journaux ont souvent beaucoup plus de bon sens que bien des grands législateurs.

Je déclare donc qu'il me serait impossible de voter cette disposition, et si l'on y tient absolument, je demande que tout au moins il soit écrit dans la loi que ces cartes devront être signées ; qu'il y ait, en un mot, une responsabilité vis-à-vis de celui qui s'en sert. Comment ! vous avez admis dans la loi que tout journal doit être signé par son imprimeur. Vous avez admis la responsabilité partout. J'ai entendu tout à l'heure parler des télégrammes. Est-ce que le porteur d'un télégramme sait ce qu'il contient ? Est-ce que le télégramme, parce que c'est un télégramme, n'est pas sous enveloppe et transmis sous le secret ? Il est vrai que les employés des télégraphes doivent connaître les télégrammes, puisqu'ils doivent les transcrite. Mais hors d'eux, personne ne connaît ce qu'ils contiennent.

De plus, le télégramme est signé et il y a des pénalités très graves contre les indiscrétions.

Je demande, pour mon compte, qu'on examine sérieusement cette question et je propose à la Chambre de renvoyer cet article à la section centrale à fin de nouvel examen.

M. Jacquemynsµ. - Un mot de réponse à l'honorable M. Dumortier. Cet honorable membre craint que les facteurs ruraux ne succombent sous la charge. J'entends dire à côté de moi : Tant mieux ! et je répète : Tant mieux ! Si les facteurs ruraux avaient trop à porter, on en mettrait quelques-uns de plus et les campagnes seraient d'autant mieux servies.

Il est à remarquer, messieurs, que si un facteur de la poste transportait par jour deux kilogrammes au prix de centimes par 100 grammes, ce serait 2 francs de recette par jour, ce qui donnerait à l'Etat de quoi payer un facteur de plus, de doubler le service.

Je tiens à signaler cette étrange particularité en réponse à l'observation de l'honorable M. Dumortier ; c'est qu'on vient de donner aux facteurs ruraux des casquettes qui, si je suis bien informé, pèsent environ un kilo et demi.

Or, si les facteurs portaient le poids de ces casquettes à la main sous forme de petits paquets, ils gagneraient 1 fr. 50 c. par jour.

M. Coomansµ. - Il y a du vrai dans les observations de l'honorable M. Dumortier. Elles m'étaient venues à l'idée avant de les lire ou de les entendre.

Il y a ici attaché à la carte-correspondance le privilège de l'anonyme, privilège exorbitant dans notre législation. Quoi ! ainsi que vient de le dire l'honorable M. Dumortier, le moindre journal doit être signé, la moindre annonce imprimée doit porter la signature de l'imprimeur.

Vous ne pouvez pas annoncer par la poste la vente de la chose la plus insignifiante, dans les termes les plus généraux, sans une signature, et ici vous permettez à des farceurs, parfois à des malfaiteurs, de faite circuler, sous l'action et la protection du gouvernement, des centaines d'écrits provenant peut-être de la même plume et sans aucun des moyens de protection dont on parle.

On dit en vain que l'autorité postale ne distribuera pas les cartes qu'elle jugera inconvenantes, diffamatoires, mais comment le saura-t-elle dans le plus grand nombre des cas ? Faudra-t-il que les employés des postes, déjà surchargés de besogne, lisent attentivement toutes les cartes ?

Je dis attentivement, car la malice pourra s'y prendre de manière à dissimuler adroitement la calomnie. Mais dans le plus grand nombre des cas, cette précaution sera même impossible ; il y a des boîtes à lettres dans toutes les communes, là où il n'y a aucun employé postal.

Pour mieux faire comprendre ma pensée, je suppose qu'un farceur malveillant fasse jeter dans une boîte rurale une centaine de cartes-correspondance écrites avec la plus mauvaise intention à l'adresse d'un habitant quelconque d'un village voisin. Qui ramasse ces cartes ? Est-ce un agent éclairé du gouvernement, comme on peut supposer qu'il s'en trouvera dans la plupart des bureaux de poste ? Point. C'est le facteur.

Le facteur ramasse toutes les cartes ; il les lit ou ne les lit pas ; il les communique à ses connaissances ou en prend lecture ; il les distribue ; le mal aura été fait.

Je n'ai pas besoin de dire que je suis partisan de la plus grande facilité imaginable accordée à la circulation des lettres et écrits, car si ces cartes étaient bonnes, je voudrais qu'elles pussent circuler à un centime dans tout le pays. SÉANCE DU AVRIL 1870.

Je ne vois pas pourquoi l'on prendrait 5 centimes pour un tout petit morceau de papier alors qu'on ne prend qu'un centime pour l'Indépendance, le Journal de Bruxelles, l'Echo du Parlement, dont le poids est vingt fois plus considérable.

Mais la question est de savoir si nous ne sortons pas de nos usages et même des limites de la prudence en attachant le privilège de l'anonymie à ces cartes.

La signature n'est pas demandée et je ne désire pas qu'elle le soit, car elle sera toujours illusoire. On pourra mettre au bas de cette carte le nom qu'on voudra et, dans l'hypothèse où je me place, le nom ne sera jamais le véritable.

Ainsi donc vous ne renoncez pas à la garantie de la signature soit d'un rédacteur, soit d'un éditeur, pour les imprimés et vous y renoncez pour les manuscrits.

J'avoue, messieurs, qu'il y a là une anomalie.

A propos d'anomalies postales, il en est une encore dont j'ai demandé plus d'une fois l'explication, à droite et à gauche, surtout à gauche, et dois dire qu'aucune réponse satisfaisante ne m'a été faite. Je crois même que je n’en ai reçu aucune, car il ne m'en est resté aucune impression dans l'esprit.

Je renouvelle donc mon interrogation.

Pourquoi les livres cartonnés et reliés peuvent-ils être distribués en Belgique alors qu'ils nous arrivent de l'étranger et pourquoi les Belges ne jouissent-ils pas chez eux de cet avantage qu'ils accordent à l'étranger et dont ils profitent eux-mêmes à l'extérieur ?

Je demande que l'on justifie cette anomalie ou qu'on la fasse disparaître.

MtpJµ. - Messieurs, je puis répondre cette fois, d'une manière satisfaisante, à l'honorable M. Coomans.

Mon intention était de soumettre à la Chambre, pour prendre place dans le projet de loi en discussion, un article additionnel ainsi conçu :

« Les livres cartonnés ou reliés, originaires et à destination de l'intérieur du royaume, pourront être expédiés par la poste au prix de un centime par 30 grammes ou fraction de 30 grammes, à la condition d'être complètement affranchis, d'être placés sous bande ou de manière à pouvoir être aisément vérifiés.

« Les dispositions pénales comminées par les lois en matière de fraude postale seront applicables aux objets désignés dans le présent article. »

Les conventions conclues avec les offices étrangers dans les derniers temps avaient effectivement créé l'anomalie que signale l'honorable M. Coomans.

Les éditeurs français et anglais. par exemple, pouvaient expédier en Belgique les livres cartonnés et reliés ; les éditeurs belges pouvaient de même expédier en Angleterre ou en France des livres cartonnés ou reliés, mais ils ne pouvaient effectuer des envois analogues à l'intérieur du pays.

La disposition que je propose a pour but de mettre un terme à cette situation anormale.

Messieurs, l'honorable M. Jacquemyns s'est complètement trompé en supposant que le commerce et l'industrie française trouvent dans l'organisation du service des postes en France des avantages dont ne jouissent pas le commerce et l'industrie belge, et que la poste se charge, notamment en France, du transport des petits paquets. C'est une erreur complète.

Nous avons, quant aux petits paquets et aux échantillons, un régime identique à celui de la France.

La France se charge du transport des échantillons sans valeur, et si des expéditions d'instruments de chirurgie ou d'objets de coutellerie ont été transportés par la poste, ce doit être comme échantillons sans valeur.

M. Jacquemynsµ. - Et le bouquet de Nice ?

MtpJµ. - Je crois que M. Jacquemyns a dû être mal renseigné car, je le répète, l'administration des postes en France refuse absolument de se charger des échantillons qui ont une valeur.

Je rappelle, au reste, à l'honorable M. Jacquemyns que la loi du 22 avril 1869 a donné au gouvernement la faculté d'organiser le transport des petits paquets par la poste.

J'ai ordonné dans mon administration une étude attentive de cette question. Cette étude se poursuit et je désire qu’elle puisse aboutir à un résultat qui donne satisfaction à la demande de l'honorable membre.

(page 803) L'innovation des cartes-correspondance, messieurs, a été l'objet d’une seule critique de la part des honorables Dumortier et Coomans.

J'avais vu, comme eux, cette critique dans les journaux et je dois dire que, d’un autre coté, le projet a rencontré dans la presse une approbation presque unanime. Presque tous les journaux ont reconnu l'utilité considérable que le public pourrait en retirer soit pour les besoins de la vie ordinaire, soit pour les relations du commerce.

On pourra échanger dans l'intérieur du canton postal plusieurs communications dans le cours d'une même journée, à des conditions tellement économiques que ces facilités nouvelles ne peuvent manquer de donner à ce mode de correspondance un sérieux développement. Quant à l'atteinte que cette carte doit porter à la morale, quant à la crainte que M. Dumortier éprouve que ce ne soit entre les mains de malhonnêtes gens un instrument propre à jeter le trouble dans les familles la déconsidération sur les individus, il suffit de remarquer que cet instrument existe aujourd'hui à la portée de ces gens.

On peut déposer aujourd'hui à la poste des cartes affranchies au moyen de timbres-poste de 10 centimes et la poste sera obligée de les envoyer à destination ; tous les jours aussi, la poste reçoit des masses de lettres et d'imprimés qui ne sont pas cachetés, des circulaires autographiées sans nom d'imprimeur quelquefois, enfin la lettre anonyme, qui restera l’arme préférée des misérables dont l'honorable M. Dumortier redoute les actes fâcheux.

Je ne crois pas que les critiques de M. Dumortier puissent déterminer la Chambre à prononcer le renvoi de l’article à la section centrale, comme cet honorable membre en fait la demande.

M. Tackµ. - M. Dumortier a prononcé tout à l'heure par erreur le mot « carte de visite » au lieu de « carte-correspondance ». Cela m'a fait penser aux cartes de visite.

Aujourd'hui on expédie des cartes de visite d'un bout à l'autre du pays moyennant un centime quand on les met sous bande ; l'habitude s'est introduite de les expédier ainsi, on en envoie très peu sous enveloppe. Le grand nombre de cartes envoyées occasionne un surcroît considérable de besogne pour les employés de la poste, surtout à l'époque de la nouvelle année.

En France, il est permis, si je ne me trompe, d'envoyer les cartes sous enveloppe ouverte ; on objectera peut-être que la carte de visite, mise sous enveloppe ouvertes, peut se perdre.

Mais c'est à celui qui fait l'expédition à prendre ses précautions. Si l'on pouvait autoriser l'envoi de cartes de visite sons enveloppe ouverte, moyennant un timbre de 5 centimes, l'habitude de ces envois se développerait, et il en résulterait un profit pour le service de la poste.

Je soumets cette idée à M. le ministre des travaux publics ; si je croyais qu'elle a quelque chance d'être adoptée, je proposerais un amendement à cet égard.

M. Dumortierµ. - M. le ministre des travaux publics, répondant aux observations que j'ai présentées, dit que depuis longtemps on peut expédier par la postes des cartes, des imprimés, des avis autographiés ou autres. Mais je ferai remarquer à M. le ministre des travaux publics que, ni les cartes imprimées, ni les avis autographiés ou autres ne peuvent être remis la poste que sous bandes ou sous enveloppe, tandis que les cartes-correspondance seraient sans enveloppe. Or, c'est là qu'est le danger. Je ne crois donc pas qu'on puisse accepter l'article tel qu'il est rédigé. Je persiste donc à en demander le renvoi à la section centrale.

L'honorable ministre, d'ailleurs, ne s'est pas expliqué sur la signature. J'ai demandé si les cartes-correspondance devaient être signées oui ou non. C'est une question sérieuse et aucune réponse ne m'a été faite.

Il me semble que la loi ne souffrirait aucun retard par le renvoi de l'article à la section centrale, puisque celle-ci pourrait nous faire rapport demain.

Quant à moi, l'article, tel qu'il est rédigé, me semble présenter tant et de si graves inconvénients, que je ne pourrai le voter s'il n'est pas modifié.

MtpJµ. - Il est absolument inadmissible d'obliger le public, qui se servira de cartes-correspondance, à y apposer une signature ; il n'y aurait pas de sanction à cette prescription ; ensuite, il serait absolument impossible de vérifier l'authenticité de la signature.

Quant à la proposition de l'honorable M. Tack tendante à permettre la circulation des cartes de visites sous enveloppe au prix de cinq centimes, je l'accepte très volontiers, mais à la condition qu'on proscrive en même temps l'envoi des cartes de visite sous simple bande affranchie, moyennant un centime.

Je trouve cet échange de cartes une coutume assez ridicule ; et, pour l'administration des postes, c'est un véritable fléau pendant les premiers jours de l'an ; de telle sorte que je serais tout disposé à admettre une proposition qui aurait pour effet d'apporter certaines entraves à la circulation de la carte de visite.

MpDµ. - M. Dumortier demande le renvoi de l'article à la section centrale.

M. Dumortierµ. - Je demande qu'elle examine en même temps la proposition de M. le ministre et celle de M. Tack.

MpDµ. - Je ne suis saisi d'aucune autre proposition que de la vôtre.

MtpJµ. - Si le principe était admis par la Chambre, de ne permettre dorénavant que la circulation des cartes de visite sous enveloppe moyennant une taxe de cinq centimes, je soumettrais demain une rédaction dans ce sens à la Chambre.

MpDµ. - M Tack vient de me faire parvenir la proposition suivante : « La taxe d'affranchissement pour chaque carte de visite, expédiée sons enveloppe ouverte, est fixée à cinq centimes, quelle que soit la distance parcourue. »

- Cette proposition est appuyée.

M. Dewandreµ. - Il me paraît que la rédaction que vient de proposer l'honorable M. Tack ne prohibe pas du tout l'envoi de la carte sous bande moyennant un centime. Or, je crois que c'est là précisément le but que M. le ministre voudrait atteindre.

MtpJµ. - Sans aucun doute.

M. Dewandreµ. - Je pense donc que la rédaction devrait être revue pour réaliser le but qu'on cherche à atteindre.

MtpJµ. - Il est bien entendu je ne me rallie à la proposition de l'honorable M. Tack qu'avec la proscription de toute expédition de cartes sous bande moyennant un centime. En conséquence, comme je l'ai dit tout à l’heure, j'examinerai d'ici demain quelles sont les dispositions législatives qui régissent l'envoi des cartes de visite par la poste et je soumettrai à la Chambre une rédaction énonçant le principe de l'expédition exclusive des cartes sous enveloppe ouverte au prix de cinq centimes.

M. Coomansµ. - M. le ministre semble penser que la Chambre est unanimement disposée à voter la mesure qu'il vient d'improviser. Quant à moi, je n'y adhère pas : je n'entends nullement diminuer les avantages dont le public jouit aujourd'hui. Voulez-vous permettre l'envoi des cartes de visite sous enveloppe ouverte, au prix de cinq centimes, je n'y vois pas d'inconvénient ; mais pour autant que vous ne supprimiez pas l'envoi de la carte sous bande au prix d'un centime.

Je suis tout disposé examiner cette proposition ; mais il me paraît que nous ne pouvons pas statuer stante pede sur des dispositions qui ont leur importance. Vous ne pouvez pas, ce me semble, supprimer l'envoi d'un petit morceau de papier à un centime, alors que vous maintenez à ce prix l'envoi d'une feuille d'un mètre carré.

MpDµ. - Un amendement a été déposé sur le bureau par MM. de Theux et Jacobs.

L'amendement, qui sera imprimé et distribué, est ainsi conçu

« Amendement à l’article 6, paragraphe premier, devant précéder l'article du projet de loi :

« Le droit de débit en détail des boissons alcooliques est aboli. »

- La suite de la discussion est remise à demain, 2 heures.

La séance est levée à 5 heures.