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Note
d’intention
Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du mardi 22 avril 1834
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2)
Vérification des pouvoirs d’un membre de la chambre (Cornet
de Grez)
3) Rapport du
gouvernement relatif aux actes de pillage commis à Bruxelles les 5 et 6 avril
1834 (notamment rôle des forces de l’ordre et, entre autres, de la garde
civique de Bruxelles) (Rogier)
4) Rapport
du gouvernement sur les expulsions d’étrangers (journalistes orangistes,
républicains ou socialistes) par suite des troubles de Bruxelles des 5 et 6
avril 1834 (Lebeau)
5) Fixation
de l’ordre du jour (mise à l’ordre du jour de la discussion sur les deux rapports
susmentionnés). Expulsion des étrangers (de Robaulx, de Brouckere, Trentesaux, Lebeau, Pirson, Trentesaux, Lebeau, A. Rodenbach, Dumortier, Jullien, Lebeau, Pirson,
Trentesaux, de Robaulx)
(Moniteur belge n°113, du 23 avril 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse, l’un des secrétaires, fait l’appel
nominal à midi et demi ; 46 membres sont présents ; la séance ne peut être
ouverte, la chambre n’étant pas en nombre suffisant pour délibérer.
- Les tribunes publiques et les tribunes
réservées sont remplies d’auditeurs.
A une heure moins un quart la séance
est ouverte.
M. Dellafaille fait lecture du procès-verbal ; la
rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître l’objet des pétitions adressées
à la chambre.
PIECES
ADRESSEES A
« Le sieur F. Ottevaere, délégué du canton de Loochristi
pour examiner les opérations cadastrales, adresse à la chambre copie de sa
protestation contre ces opérations. »
« Plusieurs propriétaires de terres
agricoles et boisées dans la province de Namur élèvent une réclamation contre
les évaluations exagérées faites par les employés du cadastre des revenus des
bois. »
« Le sieur Massillon, géomètre
de 1ère classe de la province de Liége, réclame le paiement du solde des
indemnités cadastrales qui lui sont dues. »
« Les administrations locales et
plusieurs propriétaires de diverses communes du canton de Beaumont expriment le
vœu d’obtenir en 1833 la répartition de l’impôt foncier par le cadastre. »
- Ces quatre pétitions sont
renvoyées à la commission chargée d’examiner la situation des opérations
cadastrales.
_______________________________
« La dame veuve Cloosen,
locataire de la barrière de Houtalen, demande une indemnité
du chef de l’incendie de sa propriété par l’armée hollandaise. »
« La darne Susanne Clausse, veuve Braconnier, réclame le congé définitif de
son fils Jean-Hubert Wathelet, soldat au 3ème
régiment de chasseurs à pied. »
- Ces deux pétition sont renvoyées à
la commission des pétitions.
________________________________
« Les notaires de résidence à
Anvers adressent des observations sur le projet de loi déterminant la
circonscription des justices de paix. »
« Cinq notaires de la ville d’Ypres
s’élèvent contre les changements proposés à la loi organique du notariat dans
le projet d’organisation des justices de paix. »
« L’administration communale de Mylen demande que cette commune soit détachée du canton d’Heyst-op-den-Berg, pour être réunie à celui de Lierre. »
« Les membres du conseil municipal
d’Ehien élèvent une réclamation contre le projet de
réunir cette commune au canton de Seraing, et demandent qu’elle soit maintenue
au canton de Seny ou à celui de Heny. »
« Les membres du conseil
municipal de Clermont adressent la même demande. »
« Le sieur Wadeleux,
notaire à Brée, adresse des observations sur le
projet de circonscription cantonale des justices de paix. »
« Les administrations
communales de Barvaux et Friez,
et les habitants de Fansel, commune de Mormont (Luxembourg), réclament contre le projet de
distraire diverses communes de cette province pour les réunir à celle de Liége
dans la nouvelle circonscription des justices de paix. »
« L’administration communale de
Peruwelz élève une réclamation contre le projet de suppression du canton de Quevaucamps, et d’en réunir les communes aux cantons de
Leuze, Chiévres et Peruwelz. »
« Les notaires de la ville de Gand
réclament contre la disposition du titre IV du projet d’organisation des
justices de paix. »
« Les bourgmestres des
communes de l’ancien canton de Havelange demandent le
rétablissement de ce canton.»
- Ces neuf pétitions sont renvoyées
à la commission chargée de l’examen du projet de loi sur la circonscription des
justices de paix.
_______________________________
M. Vanderbelen écrit à M. le président pour s’excuser de ne
pouvoir se réunir immédiatement à ses collègues ; l’état de sa santé l’en
empêche.
______________________________
Il est
fait hommage à la chambre de deux exemplaires d’un ouvrage ayant pour titre le Parfait Greffier, et pour auteur, M. Verrassel.
COMMISSION
DE VERIFICATION DES POUVOIRS D’UN MEMBRE DE LA CHAMBRE
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) adresse à M. le président la lettre
suivante :
« Monsieur le président,
« J’ai l’honneur de vous
transmettre ci-joint le procès-verbal de l’élection qui a eu lieu à Bruxelles,
le 11 de ce mois, conformément à l’arrêté royal du 28 du mois dernier. Il en
résulte que M. le comte Ferdinand Cornet de Grez a été élu membre de la chambre
des représentants, en remplacement de M. F. Basse, démissionnaire.
« Le ministre de l’intérieur,
Ch. Rogier. »
M. le président. - Aux termes du règlement, il va être tiré au
sort une commission pour la vérification des pouvoirs du nouvel élu.
- La commission est composée de MM. Frison,
Ernst, Meeus, de Renesse. Poschet,
Ullens, Pollénus.
M. le président. - Ces messieurs sont invités à se réunir le
plus promptement possible.
RAPPORT
DU GOUVERNEMENT SUR LES PILLAGES DES 5 ET 6 AVRIL
M. le président. - La parole est à M. le ministre de
l’intérieur. (Un silence profond règne dans l’assemblée.)
(Moniteur belge n°114, du 24 avril 1834) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier)
- Messieurs, quand naguère la chambre des représentants suspendit les travaux
de sa session, elle venait de donner à
On se rappelle que l’administration
des biens séquestrés de la maison d’Orange, pour faire face à ses dépenses, fut
amené à vendre certains objets d’un entretien coûteux ou susceptibles de
détérioration. Cette mesure avait été depuis longtemps provoquée par les
chambres.
La vente du haras de Tervueren eut lieu le 20 mars.
Quatre chevaux furent rachetés pour
être offerts en hommage au prince d’Orange, au moyen d’une souscription dite
nationale ouverte à Bruxelles, à Liége, à Gand, à Anvers et dans quelques
autres localités.
Pour apprécier le caractère et la
portée de cet hommage au général en chef de l’armée ennemie, dans un moment où
le pays se croyait menacé d’une invasion, il suffira de citer quelques passages
des articles qui accompagnaient les listes de souscription. Le 28 mars, après
avoir annoncé « que les quatre chevaux rachetés étaient arrivés en lieu de
sûreté et sans avoir éprouvé le moindre accident, » un Journal ajoutait : «
qu’en vain d’illustres personnages avaient pu les lorgner d’un œil de
convoitise. Il faut leur dire un dernier adieu : non que ces animaux aient
quitté pour jamais le séjour royal qu’ils ornaient ; mais quand ils y reviendront,
« Toutes les listes,
ajoutait-on, seront mises sous les yeux du prince au moment où l’hommage lui
sera offert. »
« Dans toutes les provinces,
écrivait-on ailleurs, une souscription est ouverte, bien moins pour couvrir
l’avance faite par les honorables citoyens qui ont déjoué les manœuvres de la
haine et de la cupidité, que pour assurer tous les amis de la justice à une
action inspirée par les sentiments les plus louables. »
De son côté, un journal de Gand
accompagnait la liste de souscription de la recommandation suivante :
«
Enfin un prétendu organe des
intérêts populaires, publiait le 5 avril l’article suivant :
« Un fait, dont la portée est
plus étendue qu’il ne paraît d’abord, est sans doute cette souscription pour le
rachat des chevaux du prince d’Orange, dont le Lynx a publié la liste. A voir
tous ces noms qui appartiennent à la haute société et aux plus nobles familles
de
Je vous demande pardon, messieurs,
de ces citations. Elles exciteront le dégoût de tout cœur belge. Mais elles
m’ont paru nécessaires pour jeter du jour sur le but de la manifestation
orangiste, et sur l’origine de la réaction populaire qui en fut la suite.
Une certaine fermentation ne tarda
pas à se manifester dans les lieux publics. Pendant la nuit du 4 au 5 un pamphlet
menaçant fut répandu à profusion dans tous les quartiers de la ville. On y
lisait :
« Les cendres des martyrs de
nos immortelles journées sont encore remuantes et souffrent de la molle
insouciance où semblent être plongés ceux à qui ils ont légué la tâche
d’extirper jusque dans sa tige l’insolent parti qui ne cesse de couvrir de boue
l’œuvre immortelle que vous avez commencée aussi glorieusement.
« Depuis trois ans le lion
sommeille, il est temps enfin qu’il se réveille. Patriotes, combattants de septembre, c’est à nous à demander vengeance
puisque le gouvernement reste impassible devant ces injures, ces affronts
continuels auxquels il semble s’habituer. L’orangisme nous jette le gant :
ramassons-le, etc. »
Le libelle contenait la liste
nominative des souscripteurs avec ces mots à la suite :
« Tous ces infâmes sont livrés
à la vengeance des vrais amis de la patrie. »
La journée et une partie de la
soirée du 5 se passèrent tranquillement. Mais, vers les 11 heures du soir, le
spectacle étant terminé, un groupe, après avoir chanté
Arrive devant l’hôtel de M. de
Béthune, au Grand-Sablon, il eut de la peine à préserver cette propriété. Mais
enfin la foule se dispersa. Vers deux heures et demie de la nuit tout était
rentré dans l’ordre.
Les désordres que l’autorité avait
pu considérer comme apaisés recommencèrent le 6, à l’hôtel d’Ursel, vers les 8 1/2 heures du matin ; M. le bourgmestre
se rendit sur les lieux, mais ses exhortations ne furent pas cette fois
écoutées, et des menaces lui furent même adressées. L’arrivée des troupes
préserva cette propriété d’une entière dévastation.
Vers 9 1/2 heures, les dévastateurs
se portèrent presqu’en même temps rue de l’Evêque, à la maison du sieur Schovaerts, local d’une société désignée comme orangiste ;
au bureau du Lynx, rue des Augustins ; chez le carrossier Jones, rue de Laeken
et chez le prince de Ligne, rue de
Les groupes apparurent
successivement sur divers autres points où ils portèrent la dévastation. Ils
marchaient aux cri de Vive le Roi ! à bas
les orangistes !, accompagnés d’une foule nombreuse où leurs actes, quelque
odieux qu’ils fussent, rencontraient, il faut le dire, de vives adhésions.
On remarquait que leur fureur
procédait avec une sorte de discernement. C’est ainsi qu’en se portant sur les
meubles, elle épargnait généralement les personnes. Ici la partie des maisons
occupée par des locataires non signataires des listes était ménagée ; là on ne
s’en prenait qu’à l’appartement du locataire, et la maison était épargnée.
La chambre n’attend pas de moi que
je m’arrête sur le tableau de ces scènes hideuses, malheureusement trop
connues, et qui, malgré le zèle et les efforts des autorités, malgré de
nombreuses arrestations, malgré l’intervention active dc la force armée en
plusieurs endroits, ne purent être entièrement comprimées que vers la fin de la
journée.
_________________
Il importe maintenant de déposer les
mesures prises et la conduite tenue par diverses autorités dans ces
malheureuses et difficiles circonstances.
Dès le 5 au matin, apprenant la
distribution d’un pamphlet dirigé contre les souscripteurs, l’administrateur de
la sureté publique en fit part immédiatement au ministre de la justice qui le
chargea d’en prévenir aussitôt le bourgmestre de Bruxelles, le commandant
militaire de la province et le colonel commandant la gendarmerie :
« Bruxelles, le 5 avril 1834.
« M. le bourgmestre,
« La publication que le journal
le Lynx a donnée à la liste de souscription pour payer le prix des chevaux à
offrir au prince d’Orange, cause beaucoup de rumeur en ville et y excite du
mécontentement. Déjà même des menaces plus ou moins vagues ont été proférées
contre plusieurs signataires de cette liste. On dit qu’il est question de la
réimprimer pour l’afficher au coin des rues, ce qui tendrait à appeler
l’animadversion du peuple sur les souscripteurs, et pourrait amener des
désordres très graves qu’il importe de prévenir pour ne pas se trouver dans la
double nécessité de les réprimer et d’en indemniser les victimes.
« Je n’entends, en ce moment,
qualifier aucunement la conduite des signataires de la souscription ; mais,
quelque blâmable qu’elle puisse paraître aux yeux de ceux qui sont dévoués au
Roi et au gouvernement, on ne leur doit pas moins protection pour les personnes
et leurs biens.
« Je vous prie donc, M. le
bourgmestre, de vouloir bien prendre les mesures convenables pour assurer le
maintien de l’ordre et de la tranquillité publique en cette circonstance, et
par conséquent pour que les personnes et les propriétés de tous soient
respectées.
« L’administrateur de la sûreté
publique, François.
« A M. le bourgmestre de
Bruxelles. »
_________________
« Bruxelles, le 5 avril 1834.
« M. le commandant,
« Les journaux ont donné une
imprudente publicité à la liste de souscription pour le rachat des chevaux du
prince d’Orange. Sans entendre nullement qualifier la conduite des signataires
de la liste, je signale à votre attention la fermentation qu’elle cause en
ville, et les menaces qui ont été proférées et semblent annoncer une prochaine
manifestation du mécontentement populaire. Des imprimés sont répandus partout
pour pousser le peuple à des excès.
« Il importe de prendre toutes
les mesures pour protéger les personnes et les propriétés, et s’éviter ainsi la
double nécessité de réprimer les désordres et d’en indemniser les victimes.
« Je vous prie donc, M. le
commandant, de vouloir en distribuer vos ordres en conséquence.
« L’administrateur de la sûreté
publique, François.
« A. M. le commandant militaire
de la province de Brabant. »
______________________
« Bruxelles, le 5 avril 1834.
« M. le colonel,
La publicité donnée aux listes de
souscription en faveur du prince d’Orange cause beaucoup de rumeur en ville, et
déjà des menaces proférées et des imprimés répandus avec profusion semblent
indiquer que l’on se prépare à appeler contre ces souscripteurs, au moins
imprudents, l’explosion du mécontentement populaire. Il importe de prévenir les
désordres qui pourraient résulter de ces provocations, afin de ne pas se
trouver dans la double nécessité de les réprimer et d’en indemniser les
victimes.
« Je vous prie donc, M. le
colonel, de vouloir bien donner les ordres convenables pour assurer, en tant
qu’il dépendra de vous, le maintien de la tranquillité publique et faire
respecter les personnes et les propriétés.
« L’administrateur de la sûreté
publique,
« François.
« A. M. le colonel commandant
la gendarmerie nationale. »
_______________________
Le même jour M le bourgmestre
répondit en ces termes :
« Régence de la ville de
Bruxelles,
« Bruxelles, le 5 avril 1834.
« Monsieur
l’administrateur-général,
« Je viens de recevoir la
lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser, en date de ce jour,
n°4183, ind. ord. 2B. Les faits et circonstances
exposés en cette dépêche m’étaient connus. J’ajouterai, monsieur, que
l’indignation et le ressentiment de tous ceux qui sont à leur pays et au Roi de
leur choix sont portés au plus haut degré. J’ai pris les mesures qui dépendent
de moi pour calmer les esprits et engager les plus irrités à s’abstenir de
toute démarche qui pourrait troubler l’ordre public ou porter atteinte aux
personnes et propriétés des orangistes auxquels nous devons, malgré tous leurs
torts, protection contre des violences et les voies de fait.
« Je ferai tout ce qui dépendra
de moi pour assurer la tranquillité publique, en me concertant avec M. le
gouverneur civil et le commandant militaire. Et comme, d’après les rapports
parvenus, il y aurait lieu à craindre quelque mouvement pour demain soir, je
prendrai encore dans la journée de demain les précautions et mesures
ultérieurement jugées nécessaires dans la circonstance.
« Agréez, M.
l’administrateur-général,
« Le bourgmestre, Rouppe.
« A. M. l’administrateur-général
de la sûreté publique. »
_________________________
Vous avez déjà. pu voir, messieurs,
que, dans ces tristes circonstances, M. le bourgmestre déploya personnellement
une activité au-dessus de son âge. Les pièces que je vais lire l’attesterons
mieux encore.
« Bruxelles, 5 avril 1834.
« M. le commandant,
« D’après les rapports qui me
sont parvenus, il serait possible que des mouvements ayant pour source la
publication des listes de souscription en faveur du prince d’Orange eussent
lieu ce soir ; comme il importe de protéger, malgré leurs torts, les personnes
desdits signataires et leurs propriétés de toute voie de fait et de toute
violence, et que l’intérêt de cette ville exige le maintien de l’ordre public,
je vous prie et, en tant que de besoin, vous requiers de tenir consignés à la
caserne et à la disposition de MM. les commissaires de police trois compagnies
d’infanterie et un demi-escadron de cavalerie, depuis neuf heures de ce soir
jusqu’à minuit.
« Agréez, je vous prie, M. le commandant,
ma haute considération.
« Votre très humble et très
obéissant serviteur
« Le bourgmestre, Rouppe.
_______________________
« A M. le commandant d’armes de
la place de Bruxelles. »
« Bruxelles, le 5 avril, à 11
heures et demie du soir.
« M. le commandant,
« Des mouvements se manifestent
; l’indignation qu’a excitée l’imprudente publication des listes en faveur du
prince d’Orange, porte à l’excès quelques jeunes gens. Quelle que soit la faute
des orangistes, nous devons maintenir la tranquillité publique et empêcher
toute violation des personnes et de propriétés, En conséquence je vous prie, M.
le commandant, et vous requiers en tant que de besoin de rendre de suite
disponible, à la disposition de MM. les commissaires de police, une force
suffisante en infanterie et cavalerie pour maintenir le bon ordre, le respect
dû aux personnes et aux propriétés même de ceux qui ont fait cette
démonstration malencontreuse.
« Avec considération, etc.
« Le bourgmestre, Rouppe.
« En hâte.
« A M. le commandant d’armes de
la place de Bruxelles. »
_________________________
« Bruxelles, le 6 avril 1834, 8
1/2 heures du matin.
« Monsieur le commandant,
« Le bruit recommence :
veuillez mettre de suite à la disposition de M. le commissaire de police Bartholeyns une force suffisante pour empêcher les voies de
fait, et faire prendre les armes à une partie d’infanterie et cavalerie
suffisante.
« Agréez, monsieur, ma
considération particulière.
« Rouppe.
« Veuillez ordonner de suite de
fortes patrouilles, les commissaires feront les sommations.
« A M. le commandant d’armes de
la place de Bruxelles. »
__________________________
« Devant l’hôtel d’Ursel, rue de Loxum, 6 avril
1834, 9 heures 3/4.
« M. le commandant,
« Dans les circonstances il
importe, je pense, que des patrouilles renforcées (de 50 à 60 hommes)
parcourent, ayant à la tête des agents ou commissaires de police, toutes les
rues des sections respectives pour dissiper les attroupements et déployer la
force, au besoin, par les armes après sommation légale faite par l’officier de
police.
« Mettez, je vous prie, de
suite sur pied tout ce que vous pouvez rendre disponible en infanterie et
cavalerie.
« Je compte, M. le commandant,
sur votre zèle et votre patriotisme.
« Rouppe.
« Les patrouilles circuleront
principalement dans les environs des maisons sur lesquelles on s’est porté
cette nuit.
« A M. le colonel commandant la
place de Bruxelles. »
___________________________
« Bruxelles, le 6 avril 1834.
« M. le général,
Les événements deviennent tellement graves,
que je crois nécessaire de vous inviter, autant que de besoin vous requérir, de
faire battre immédiatement le rassemblement des quatre légions de la garde
civique, pour, à leur poste central respectif, se tenir à la disposition de MM.
les commissaires de police, et d’après leur direction, après sommations
légales, dissiper par la voie des armes les attroupements séditieux qui se
forment sur plusieurs points de la ville. Je vous prie aussi de vous rendre à
l’hôtel-de-ville aussitôt que possible.
« Agréez, M. le général, etc.
« Rouppe.
« A M. Nypels,
général commandant de la garde civique de Bruxelles.
« Expédié à 10 1/4
heures. »
______________________
« Dimanche, 6 avril 1834.
« A messieurs les colonels,
commandant les quatre légions de la garde civique.
« M. le colonel,
« J’ai l’honneur de vous prier
de vouloir bien vous rendre immédiatement à l’hôtel-de-ville pour vous
concerter avec moi sur les mesures à prendre pour maintenir la tranquillité
publique.
« Agréez, M. le colonel,
l’assurance de ma considération distinguée.
« Le bourgmestre,
Rouppe. »
______________________
« Le commandant de la garde de
sûreté est prié, requis en tant que de besoin, de faire porter de suite sa
compagnie vers la rue aux Laines, pour, avec des forces qui s’y trouvent déjà,
et sous la direction de MM. les commissaires de police dissiper les
attroupements séditieux et réprimer les désordres.
« Bruxelles, le 6 avril 1834.
« Le bourgmestre,
Rouppe. »
_______________________
« Monsieur le commandant,
« J’ai l’honneur de vous réitérer
la prière, la réquisition, en tant que de besoin, de faire agir par la force
des armes contre les attroupements séditieux, qui, après la sommation faite par
les commissaires de police chargés à cet effet, ne se dissiperaient point.
« Veuillez donner de nouveaux
ordres en conséquence aux chefs des corps et patrouilles en activité
actuellement.
« Agréez aussi ma considération
particulière.
« Rouppe.
« 6 avril 1834.
« A M. le commandant
d’armes. »
________________________
« Régence de la ville de Bruxelles
« Proclamation
« Habitants de Bruxelles !
« Pendant la nuit des excès
graves ont été commis. Des désordres nouveaux se commettent en ce moment.
« Nos ennemis ont jeté parmi
nous un brandon de discorde.
« L’indifférence publique seule
aurait fait justice de cette bravade imprudente et puérile de quelques hommes
égarés.
« Mais des fauteurs de désordre
et d’anarchie y ont trouvé une occasion de dévastation et de pillage.
« Tout ce qu’il y a de
personnes honorables dans la ville déplore et blâme leurs actes de vandalisme.
« L’autorité municipale a pris
toutes les mesures qui étaient en son pouvoir pour s’opposer à leurs desseins
et prévenir de nouveaux désastres.
« Les bons citoyens qui ne sont
point appelés à faire le service de la garde civique, sont invités à rester
dans leurs demeures pour laisser une action plus libre à la force publique,
laquelle, vu l’extrême gravité des circonstances, est autorisée, par arrêté du
conseil des ministres, à agir immédiatement, même sans le concours de
l’autorité municipale.
« A l’hôtel-de-ville, ce 6
avril 1834.
« Le bourgmestre,
Rouppe. »
________________________
Quant à la conduite des officiers du
ministère public, des pièces officielles attestent qu’elle fut irréprochable.
« M. le procureur du Roi,
« Des désordres ont eu lieu
cette nuit et se renouvellent ce matin. Hier soir on a demandé au spectacle la
représentation de
Je n’ai pas besoin de vous rappeler
que là où le délit est flagrant, la police répressive doit agir, le tout sans
préjudice aux mesures préventives que l’autorité municipale doit, sous sa
responsabilité, arrêter et mettre à exécution pour prévenir tout attentat
ultérieur contre les personnes et les propriétés.
« Le premier avocat-général,
faisant fonctions de procureur-général, J.-L.J. Fernelmont.
« A M. le procureur du Roi à
Bruxelles. »
________________________
« Bruxelles, 6 avril 1854, à 9
heures du matin.
« M. le colonel,
« Je m’empresse de vous
transmettre copie de la lettre que je viens d’adresser à M. le procureur du Roi
concernant les désordres qui ont eu lieu cette nuit, qui se renouvellent ce
matin et qui s’annoncent pour ce soir. Je me flatte que vous prendrez, en ce
qui vous concerne, toutes les dispositions propres à atteindre le but que nous
nous proposons le rétablissement immédiat de l’ordre, la sûreté des personnes,
la garantie des propriétés et la punition des coupables.
« Le premier avocat-général,
faisant fonctions de procureur-général, J.L.J. Fernelmont.
« A M. le colonel commandant de
la gendarmerie à Bruxelles. »
_________________________
« Bruxelles, 6 avril 1834, à 9
heures du matin.
« J’ai l’honneur de vous
transmettre une copie de la lettre que je viens à M. le procureur du Roi,
concernant les désordres qui ont eu lieu cette nuit, qui se renouvellent ce
matin et qui s’annoncent pour ce soir.
« Je me flatte que vous avez
pris et que vous prendrez ultérieurement toutes les mesures propres pour les
faire cesser et livrer les coupables à la justice.
« Quant aux dispositions à
prendre pour prévenir tout attentat ultérieur contre les personnes et les
propriétés, elles rentrent exclusivement dans vos attributions, votre prudence
et votre vigilance bien connues me sont un sûr garant qu’elles ne seront pas
négligées.
« Agréez, etc.
« Le premier avocat-général,
faisant fonctions de procureur-général, J.-L.-J. Fernelmont.
« A M. le bourgmestre de la
ville de Bruxelles. »
________________________
« Le procureur du Roi de
l’arrondissement de Bruxelles,
« Informé à l’instant même par
la clameur publique que des désordres ainsi que des tentatives graves aux
propriétés, qualifiés crimes par la loi, se commettent actuellement à Bruxelles
;
« Vu la loi du 28 germinal an
VI sur la gendarmerie, et l’art. 25 du code d’instruction criminelle,
« Requiert le commandant de la
gendarmerie nationale, à Bruxelles, de vouloir ordonner immédiatement aux
gendarmes sous ses ordres de se transporter à l’instant même sur les lieux,
théâtre des désordres et faits précités, ainsi que partout où leur présence
sera jugée nécessaire, afin de pouvoir, le cas échéant, et tout en déférant aux
réquisitions légales de l’autorité municipale ou administrative tendant à
dissiper tout attroupement ou mettre fin à toute émeute, saisir et arrêter
toute personne surprise en flagrant délit, et les transmettre à la disposition
du soussigné.
« Le présent réquisitoire, fait
au parquet à Bruxelles, le 6 avril 1834, à 10 heures du matin, et remis au
gendarme Van Linthout ; sous enveloppe, à l’adresse
du commandant de la gendarmerie, après l’avoir scellé du sceau du parquet.
« Le procureur du Roi, Gustave
Bosquet.
« A M. le commandant de la
gendarmerie, à Bruxelles. »
____________________
« Le procureur du Roi de
l’arrondissement de Bruxelles,
Informé par la clameur publique et
par des rapports positifs que la ville est actuellement le théâtre de désordres
graves attentatoires aux personnes et aux propriétés, faits réprimés et
qualifiés crimes par la loi ;
« Vu l’art. 25 du code
d’instruction criminelle,
« Requiert tout commandant de
la force publique, et nommément M. le colonel commandant la place de Bruxelles,
d’ordonner à la force armée sous ses ordres de saisir et livrer à la justice
toute personne surprise en flagrant délit, soit comme auteur, soit comme
complice des désordres mentionnés ci-dessus, sans préjudice à toute mesure
préventive que l’autorité municipale ou administrative a jugé à propos et
jugera bon de prendre, afin de dissiper tout attroupement, et de mettre fin à
ces réunions séditieuses et à tout autre attentat contre les personnes ou les
propriétés.
« Fait au parquet, le 6 avril
1834, à onze heures du matin.
« Le procureur du Roi, Gustave
Bosquet.
« A. M. le colonel commandant
la place de Bruxelles. »
____________________
« Le procureur du Roi de
l’arrondissement de Bruxelles,
« Informé par la clameur
publique et par des rapports positifs que la ville est actuellement le théâtre
de désordres graves, attentatoires aux personnes et aux propriétés, faits
réprimés et qualifiés crimes par la loi ;
« Vu l’article 25 du code
d’instruction criminelle,
« Requiert tout commandant de
la force publique, et nommément monsieur le général commandant les gardes
civiques à Bruxelles, d’ordonner à la force armée sous ses ordres de saisir et
livrer à la justice toute personne surprise en flagrant délit, soit comme
auteur, soit comme complice des désordres mentionnés ci-dessus, sans préjudice
à toute mesure préventive que l’autorité municipale ou administrative a jugé ou
jugera bon de prendre, afin de dissiper tout attroupement, de mettre fin à ces
réunions séditieuses et à tout autre attentat contre les personnes et les
propriétés.
« Fait au parquet à Bruxelles,
le 6 avril 1800 trente-quatre, à onze heures du matin.
« Le procureur du Roi, Gustave
Bosquet.
« A M. le général commandant
les gardes civiques à Bruxelles. »
__________________________
Parlons maintenant de la force armée,
et écoutons les rapports des principales autorités militaires dont
l’intervention a été requise.
« Rapport de M. le commandant
d’armes de la place de Bruxelles à M. le ministre de la guerre.
« Monsieur le ministre,
« Bruxelles, le 10 avril 1834,
« Les désordres qui viennent de
de commettre dans la place dont le commandement militaire m’est confié, sont
trop graves pour ne pas nécessiter un rapport particulier de la part des
autorités qui ont concouru à les réprimer.
« Je viens m’acquitter de ce
devoir.
« Informé dans la soirée du 5
avril, par divers rapports qui m’avaient été faits officieusement et ensuite
officiellement par M. le commandant militaire du Brabant, qu’il serait possible
que des mouvements, ayant pour source la publication des listes de souscription
en faveur du prince d’Orange, eussent lieu ce même soir, je m’empressai de
faire consigner toute la troupe à la caserne pour pouvoir en disposer au
besoin.
« Averti de nouveau par M. le
bourgmestre que des mouvements auraient lieu, et invité à tenir à la
disposition de l’autorité municipale deux compagnies d’infanterie ainsi qu’un
demi-escadron de cavalerie, j’ordonnai que ces hommes se missent à l’instant
sous les armes, ce qui fut exécuté sur-le-champ.
« Dans la soirée de ce jour, 5
avril, vers onze heures, prévenu par le capitaine-major de place
« Au même instant, vers minuit,
l’on me prévint que des dévastateurs venaient de se porter à l’hôtel du duc d’Ursel ; je m’y transportai aussitôt, accompagné du major Borlée. Après avoir vainement voulu nous opposer à leurs
excès, dont j’ai failli être personnellement victime, je suis allé chercher de
la troupe, et me suis de nouveau dirigé sur ce point conjointement avec M. le
bourgmestre. Là, nous, parvînmes encore à éloigner les auteurs des
dévastations.
« Dans la crainte que ces excès
ne se renouvelassent et que la troupe qui était sous les armes ne put suffire à
tous les besoins, je donnai l’ordre à M. le Major Borlée
de faire mettre un bataillon entier sous les armes, en sus des compagnies
d’infanterie et du demi-escadron de cavalerie qui avait été mis le soir à la
disposition du bourgmestre.
« Pendant cette même nuit,
j’ordonnai que l’on fît de nombreuses patrouilles. Je me mis, conjointement
avec le bourgmestre, un échevin, le général baron d’Hoogvorst.
et plusieurs officiers de police, à la tête de l’une d’elle. Ces patrouilles
ont circulé dans toutes les directions de la ville jusqu’à trois heures du
matin ; à cette heure, tout étant tranquille, elles rentrèrent dans leur quartier,
où elles demeurèrent consignées et prêtes à marcher en cas de nécessite.
« Le 6, vers huit heures et un
quart du matin, prévenu verbalement par un agent de ville que les auteurs des
désordres se rassemblaient de nouveau et qu’il était à craindre qu’elles se
portassent à quelques excès, j’ordonnai immédiatement au capitaine Ottelet, major de place : 1° de faire mettre toute la
garnison sous les armes ; 2° de renforcer tous les postes, notamment ceux de
l’Amigo, de la prison des Petits-Carmes, et des deux laboratoires de munitions
de guerre situés hors la porte de Namur, avec injonction à tous les chefs de
postes de satisfaire â toutes les réquisitions qui seraient faites, soit par
l’autorité municipale, soit par l’autorité judiciaire ; 3° de se rendre de
suite avec plusieurs compagnies d’infanterie aux endroits où se formaient ces
rassemblements, afin de les disperser. Il se dirigea en conséquence, avec sa
troupe vers l’hôtel du duc d’Ursel, afin d’y seconder
les efforts du bourgmestre qui s’y trouvait avec deux autres compagnies
d’infanterie et les chasseurs Chasteler.
« Un autre rassemblement
s’étant de nouveau formé rue de l’Evêque, le major de place Ottelet
mit à la disposition d’un officier de police une compagnie d’infanterie
commandée par un capitaine.
« Vers dix heures et demie du
matin, étant informé que plusieurs autres rassemblements avaient lieu dans
divers endroits de la ville, notamment devant l’hôtel du prince de Ligne, je me
transportai au quartier des guides, me mis à la tête d’un demi-escadron et
ordonnai à un autre escadron de venir me rejoindre. Je me dirigeai de suite sur
le point menacé ; mais déjà les malintentionnés, qui étaient très nombreux,
avaient envahi l’hôtel, et tout était presque dévasté, quoique l’autorité
municipale qui m’avait précédé eût été secondée par une compagnie d’infanterie.
« Averti, dans ces moments
difficiles, que des dévastations avaient lieu simultanément dans divers
quartiers, particulièrement rue de l’Evêque, au Sablon, chez la comtesse de Lalaing, chez le marquis de Trazegnies,
puis rue des Sables, rue de Laeken, hors la porte de Laeken, faubourg de
Schaerbeek, plaine Sainte-Gudule, rue des Fripiers, rue des Aveugles, rue du
Poinçon, etc., je m’empressai d’envoyer dans ces diverses localités toute la
troupe dont je pouvais disposer dans ce moment.
« Après m’être transporté sur
d’autres points qui m’avaient été spécialement désignés par M. le bourgmestre,
je parvins à empêcher tout désastre, et je me rendis immédiatement à l’hôtel du
marquis de Trazegnies où déjà de grands dégâts
étaient commis. Je parvins, non sans peine, à pénétrer dans cet hôtel à la tête
de quelques hommes d’infanterie qui me restaient, toute la troupe ayant été
disséminée sur les différents points ci-dessus désignés.
« Nous ne parvînmes à arrêter
que quelques-uns des dévastateurs, le peu de guides qui se trouvaient sur ce
point ne pouvant agir dans l’intérieur de l’hôtel concurremment avec
l’infanterie.
« D’un autre côté, le major Ottelet opéra plusieurs arrestations d’individus trouvés en
flagrant délit, notamment chez le comte de Béthune et chez le comte d’Oultremont, où il fut impossible que la troupe agît avec
efficacité eu égard au trop grand nombre de démolisseurs et au peu de force
dont cet officier pouvait disposer.
« Enfin toute la troupe
demandée par l’autorité municipale a constamment été mise à sa disposition, et
elle a, sinon toujours, au moins très souvent, agi de concert avec cette
autorité.
L’on ne peut se dissimuler qu’avec
le peu de troupes qui se trouvaient dans la ville (il n’y avait que 2,383
hommes disponibles), il était très difficile de défendre l’accès de tous les
points menacés, d’autant plus que les bandes de dévastateurs paraissaient être
organisées par divisions et subdivisions pour commettre leurs excès avec impunité
et se transporter plus facilement dans les divers quartiers de la ville. Ces
bandes agissaient avec un ensemble tellement combiné, que lorsque les soldats
se présentaient sur un point, elles se portaient de suite sur un autre pour
commettre leurs dévastations, et se soustraire ainsi à la vigilance et au zèle
des autorités militaires.
« Quoi qu’il en soit, j’ai,
dans l’intérêt de l’ordre public, et en l’acquit de mon devoir, réprimé, pour
autant qu’il dépendait de moi, les excès déplorables dont Bruxelles et ses
faubourgs ont été le théâtre.
« En terminant mon rapport, je
suis heureux, monsieur le ministre, d’avoir à vous signaler la conduite pleine
de zèle et de dévouement de tous les officiers de état-major de la place. Le
major Borlée, les capitaines Ottelet
et
« Le commandant d’armes,
Rodenbach.
« A M. le baron Evain,
ministre-directeur de la guerre. »
_______________________
« Rapport du commandant de la
province du Brabant
« Bruxelles, le 9 avril 1834.
« Conformément à votre missive
en date du 8 courant (cabinet), litt. J, n° 432, j’ai l’honneur de vous exposer
les faits suivants ;
« Samedi 5 avril, à quatre
heures de l’après-dîner, j’ai reçu de M. l’administrateur de la sûreté publique
une lettre par laquelle il m’annonçait que la fermentation qui régnait en ville
au sujet de la publicité donnée par les journaux à la liste de souscription
pour le rachat des chevaux du prince d’Orange, semblait annoncer une prochaine
manifestation du mécontentement populaire. Au même instant, je reçus également
une lettre de M. le gouverneur civil, qui m’invitait à passer chez lui
seulement le lendemain 6, à 11 heures 1/4, pour m’entretenir avec lui et
prendre des mesures à l’effet d’éviter les désordres qu’il ne soupçonnait ne
devoir arriver que le 6 dans la journée.
« A la réception de ces deux
lettres, qui sont les seules pièces qui me soient parvenues de l’autorité
civile, je donnai immédiatement, par ma lettre du 5 de ce mois, n°8729,
communication de la lettre de M. l’administrateur de la sûreté publique à M. le
commandant de la place, en l’invitant à prendre sur-le-champ, de concert avec
la police, toutes les mesures nécessaires pour maintenir la tranquillité
publique et réprimer les désordres. Je me rendis aussi le 5, dans la soirée,
chez M. le gouverneur civil, qui me déclara ne rien craindre pour la soirée du
5, mais bien pour la journée du 6. Ces ordres donnés, je rentrai à mon état-major.
« Dans la nuit du 5 au 6, à 2
heures du matin, M. le major Borlée vint me rapporter
que des pierres avaient été lancées et que des vitres avaient été cassées dans
plusieurs maisons, mais qu’au moment où il parlait tout était à peu près rentré
dans l’ordre Je l’invitai de nouveau à se tenir sur ses gardes.
« Le 6, à 2 heures 1/2 du
matin, M. le major Borlée vint de nouveau m’avertir
que l’on recommençait à jeter des pierres contre l’hôtel du duc d’Ursel ; je lui intimai immédiatement l’ordre de prendre des
mesures pour faire cesser ces désordres, et d’envoyer immédiatement, des
troupes sur les lieux. Une demi-heure après, j’envoyai mon aide-de-camp à
l’hôtel du duc d’Ursel, pour venir me rendre compte
de ce qui se passait. Mon aide-de-camp m’ayant appris à son retour que les
désordres continuaient, je lui intimai l’ordre de ne pas s’éloigner de mon
état-major et d’y rester autant que possible en permanence pour recevoir en mon
absence les rapports ou lettres qui pourraient arriver et me les faire
connaître : je me rendis alors entre neuf heures et demie et dix heures au
département de la guerre pour vous prévenir, M. le ministre, de ce qui
arrivait.
« A peine arrivé à votre
département, j’appris que l’on était occupé à saccager l’hôtel du prince de
Ligne ; je partis à l’instant sur les lieux, accompagné d’un faible détachement
d’infanterie que je rencontrai sur mon passage. En m’y rendant, je rencontrai
M. le commandant d’armes de cette ville à cheval, et je lui intimai l’ordre
d’aller immédiatement chercher des troupes et de venir me rejoindre à l’hôtel
du prince de Ligne où je me rendais.
« Arrivé sur les lieux le
détachement que j’avais étant trop faible pour résister, aucune troupe ne
venant me renforcer, je courus moi-même à la caserne Ste-Elisabeth, et à la
tête du reste des troupes du 5ème de ligne que j’y trouvai, j’arrivai sur les
lieux en même temps que le commandant de la place qui y arrivait également à la
tête d’un détachement du régiment des guides. J’ordonnai immédiatement d’entrer
dans l’hôtel avec une partie des troupes, je le fis évacuer et je pris sur moi
d’ordonner à un commissaire de police, qui se trouvait sur les lieux, de faire
des arrestations. L’hôtel étant évacué et les pillards ayant pris la fuite, j’y
laissai M. le colonel du 5ème régiment avec les troupes de son régiment et le
commandant de la place à la tête d’un détachement du régiment des guides, pour
protéger l’hôtel et les meubles qui avaient été jetés par les croisées.
« Tous les désordres ayant
cessé sur ce point, et voyant venir Sa Majesté sur les lieux, je profitai de ce
moment pour me rendre à mon état-major afin d’y chercher mon cheval qui tardait
à arriver.
« Un huissier me remet sur ma
route une lettre de M. le ministre de la justice, me requérant de faire, en
l’absence de l’autorité municipale, des arrestations, chose que j’avais déjà
prise sur moi et que je suivis de point en point, partout où ces arrestations
purent s’effectuer.
« Je retournai immédiatement à
cheval sur les lieux, et en passant devant l’hôtel de M. de Trazegnies
je m’aperçus que déjà on était occupé à le dévaster. Je m’introduisis à
l’instant dans l’hôtel et donnai l’ordre aux troupes qui s’y trouvaient de
faire évacuer et d’arrêter les pillards que l’on pourrait saisir. Après avoir
donné ces ordres et en entrant dans un des appartements, je fus obligé de
m’occuper de faire éteindre un poêle allumé, renversé sur le plancher, et qui
menaçait d’incendier l’hôtel. Cet hôtel fut donc encore évacué d’après mes
ordres.
« Je me suis encore porté en
plusieurs endroits, et partout où je me suis trouvé à même de réprimer les
désordres et de faire des arrestations, j’ai agi avec les troupes qui
m’accompagnaient.
« Sur ces entrefaites, j’appris
que l’on me demandait au département de la guerre ; le conseil des ministres y
était assemblé et le commandement supérieur de la ville fut remis à M. le
général de division chef d’état-major-général de l’armée.
« Etant sous les ordres de M.
le général de division Hurel, j’ai empêché la
dévastation du palais du prince d’Orange, en faisant exécuter, de concert avec
M. le général d’Hane, deux charges par des détachements du régiment des guides,
qui eurent un plein succès, et plusieurs arrestations y furent faites. A la
brune, j’ai exécuté moi-même, à la tête d’un détachement des guides, une charge
sur le pont de fer, et j’y ai mis en fuite les pillards qui jetaient des
pierres sur l’infanterie qui se trouvait dans les environs du pont, et qui
menaçaient de l’envahir. Vers les onze heures du soir, j’ai encore exécuté une
charge à la baïonnette sur la place Royale, où un rassemblement considérable
allait forcer le poste qui s’y trouvait.
« Toutes ces charges eurent
toujours des succès, et partout où j’ai pu me porter, jamais je n’ai plié.
« Si les troupes de la garnison
n’avaient pas dû être disséminées dans les différents quartiers de la ville, si
la garnison avait été plus forte, l’on aurait pu agir avec plus d’ensemble et
réprimer partout et plus tôt les excès scandaleux qui se commettaient en même
temps sur différents points. Quant à moi, M. le ministre, je crois avoir fait
tout ce qu’il a été humainement possible de faire vu les circonstances ; j’ai
payé de ma personne, et malgré les menaces et les murmures qui s’élevaient
autour de moi pour les moyens énergiques et rigoureux que je déployais et les
arrestations que j’ordonnais, j’ai réprimé partout où je me suis trouvé les
excès scandaleux et les dévastations qui se commettaient.
« Le commandant militaire de la
province du Brabant, Criquillion. »
________________________
« Rapport du colonel de la
gendarmerie.
« Monsieur le ministre,
J’ai l’honneur de vous adresser les
rapports que j’ai reçus sur les pillages et les dévastations dont la ville de
Bruxelles a été le théâtre les 5 et 6 de ce mois ; vous y remarquerez, M. le
ministre, que la gendarmerie a déployé dans ces malheureuses circonstances tout
le zèle dont elle est susceptible, et que si elle n’est pas parvenue à faire
cesser ces dévastations, c’est qu’elle n’était pas en nombre suffisant (j’avais
cependant fait renforcer la brigade de Bruxelles de dix-sept gendarmes) pour
repousser et en arrêter les auteurs ; car partout où elle s’est présentée, le
pillage cessait pour le moment. Cependant par sa fermeté elle est parvenue à
empêcher l’entière dévastation de l’estaminet des Quatre-Vents, dit
« Le colonel commandant la
gendarmerie nationale, Dupré. »
_____________________
« Bruxelles, 9 avril 1834.
« M. le colonel,
« Conformément à votre missive
du 8 courant, n°555 (cabinet), j’ai l’honneur de vous rendre compte qu’ayant
appris, dans la soirée du 5, qu’un attroupement de 600 personnes environ
parcouraient la ville et cassaient sur leur passage les croisées des maisons
habitées par les personnes signataires de la liste pour le rachat des chevaux
vendus à Tervueren, et destinés à être offerts en
hommage au prince d’Orange, j’ai aussitôt réuni tous les sous-officiers et
gendarmes de la brigade de Bruxelles, et les ai consignés au quartier en
attendant des renseignements positifs sur ce qui se passait ; à cette fin j’ai
envoyé le maréchal-des-logis Pellez, le brigadier Copette
et les gendarmes Debarsée et Faucon, tous quatre
habillés en bourgeois, pour prendre et me donner tous les renseignements à cet
égard ; les quatre susnommés sont revenus vers trois heures du matin, et m’ont
fait rapport que les différents attroupements s’étaient dispersés à la voix de
M. le bourgmestre. Le maréchal-des-logis Larose, que
j’avais également envoyé voir ce qui se passait, m’étant venu dire de même que
tout était calme, et n’ayant pas reçu de réquisitoire, j’ai fait rentrer tous
les hommes avec ordre de se coucher sans se déshabiller afin d’être prêts à
agir à la première réquisition.
« Le 6 à 6 heures du matin j’ai
réuni de nouveau la brigade et l’ai consignée au quartier. Ayant appris, vers
huit heures, que de nouveaux attroupements se formaient et que déjà ils
s’étaient portés à l’hôtel du duc d’Ursel, où ils
avaient saccagé tout ce qui s’y trouvait, je fis monter de suite à cheval le
maréchal-des-logis Larose avec huit cavaliers pour se
porter sur le théâtre des dévastations afin de faire respecter les personnes et
propriétés, partout où elles seraient menacées.
« Ayant reçu, à neuf heures et
demie du matin, un réquisitoire de M. le procureur du Roi, qui m’invitait
d’ordonner immédiatement aux gendarmes sous mes ordres de se transporter à
l’instant même sur les lieux, théâtre des désastres, ainsi que partout où leur
présence serait jugée nécessaire, afin de pouvoir, le cas échéant, et tout en
déférant aux réquisitions légales de l’autorité, tendant à dissiper tout
attroupement et mettre fin à toute émeute, et de saisir et arrêter toute
personne surprise en flagrant délit, je suis monté à cheval avec le
maréchal-des-logis Gérard et le brigadier Huart qui étaient restés au quartier
et me suis transporté avec eux au Grand-Sablon. Arrivés à la demeure de M. le
comte de Béthune, nous l’avons trouvée envahie par plus de deux cents personnes
qui la dévastaient, et toutes les rues de la Grand-Place remplies de
spectateurs. N’y trouvant aucune troupe et voyant l’impossibilité de faire
cesser le pillage, nous traversâmes avec beaucoup de peine la foule et je me
rendis au bureau de la place pour requérir une force armée : on m’y répondit
que M. le commandant de la place se trouvait sur la place des Palais ; je m’y
rendis de suite et reçus ordre de réunir toute ma troupe en face du palais ;
j’expédiai de suite le brigadier Huart à la recherche de la patrouille
commandée par le maréchal-des-logis Larose avec ordre
de me rejoindre.
« Le maréchal-des-logis Gérard
reçut en même temps ordre d’un général de se rendre à la caserne
Sainte-Elisabeth, pour faire arriver toute la troupe disponible, tant
infanterie que cavalerie, ce qui fut exécuté de suite.
« Le maréchal-des-logis Larose étant arrivé avec ses huit hommes et le
maréchal-de-logis Gérard et le brigadier Huart étant de retour, je les ai
placés en vertu d’ordres reçus, à la droite des guides en bataille sur la place
des Palais ; de là nous nous sommes rendus sur les boulevards où les guides ont
mis pied â terre et la gendarmerie est restée à cheval.
Etant retourné sur la place des
Palais, je me suis rendu près de M. le major Deladrière
pour prendre ses ordres, lequel m’ordonna d’aller prendre un brigadier et
quatre hommes : j’exécutai son ordre et vins le rejoindre avec le
maréchal-des-logis Gérard, le brigadier Huart et les gendarmes Tondreau, Plamont, Surmont et Coen ; nous partîmes
sous les ordres de M. le major Deladrière. Arrivés
sur la place Royale, nous vîmes un grand nombre d’individus munis de drapeaux
descendre la montagne de
« Enfin l’hôtel étant vide,
nous sommes remontés à cheval et nous nous sommes dirigés vers le palais du
Roi, où le brigadier Huart et le gendarme Lambert nous ont rejoints ; j’y ai
fait venir également le maréchal-des-logis Larose, le
brigadier Dehollain et les gendarmes Cognard, Machurot et Tondreau, et nous sommes partis ensemble avec M. le major ;
nous sommes descendus la montagne de
« Je fis de suite former le
peloton au trot, et en une minute de temps tout fut balayé de ces rues ; nous
sauvâmes de la destruction la maison de M. le docteur Gilbert et en partie
celle des Quatre-vents ; après y avoir laissé le brigadier Copette
avec douze fantassins, j’ai continué à faire patrouiller jusqu’au lendemain
matin.
« La troupe de ligne ayant pris
position dans tous les quartiers de la ville de manière à ne plus craindre le
renouvellement de pareilles scènes, j’ai dirigé dans la journée du 7 toute la
troupe à ma disposition vers les communes voisines de Bruxelles, afin de faire
respecter les personnes et propriétés qui pourraient être menacées, et je puis
dire qu’avec le concours des autorités communales elle est parvenue à empêcher
tout désordre. Depuis ce jour, je fais faire dans la journée des tournées sur
les routes, et dans la soirée j’envoie des patrouilles dans toutes les communes
pour faire des visites dans les hôtels, auberges et cabarets, afin d’arrêter
toutes les personnes étrangères qui ne seraient pas porteurs de papiers
réguliers. Ces patrouilles ont arrêté, dans sa journée du 7, quatre individus
dans la commune d’Ixelles, soupçonnés auteurs ou complices de ces dévastations,
Dans la matinée du 8, elles en ont reconduit quatre individus qu’elles avaient
arrêtes, trois dans la commune de Molenbeek et un à
Laeken ; tous les quatre comme étrangers et sans papiers, lesquels ont été
conduits devant M. le procureur du Roi, qui les a fait écrouer.
« Depuis le même jour 7 du
courant, j’emploie la gendarmerie à pied, disponible, dans l’intérieur de la
ville, où elle prend des renseignements pour découvrir et arrêter les auteurs
ou provocateurs de ces dévastations et pillages.
« Pour ce qui regarde le
paragraphe 3 de votre lettre mentionnée en tête, j’ai l’honneur, M. le colonel,
de vous informer que je n’ai reçu qu’à 9 1/2 heures du matin le premier
réquisitoire de M. le procureur du Roi et que déjà alors le maréchal-des-logis Larose était depuis une heure et demie en route avec huit
hommes et au moment de la réception de ce même réquisitoire, je suis monté à
cheval avec le maréchal-des-logis Gérard et le brigadier Huart qui étaient
restés disponibles, et ai laissé au quartier M. le capitaine qui, quoique
indisposé, y était venu, et me suis porté partout où ma présence était
nécessaire. Si les divers réquisitoires que j’ai reçu n’ont pas été exécutés à
la lettre par la gendarmerie, on ne peut lui en imputer la faute, car je puis
assurer que partout où elle se présentait, elle a fait cesser pour un moment
les dévastations ; mais n’étant pas en force, et point soutenue, elle a dû
chaque fois se replier, et je crois même, monsieur le colonel, devoir vous
informer que les maréchaux-des-logis Larose et
Gérard, les brigadiers Huart et Copette, ont déployé
dans ces circonstances un zèle et un dévouement au-dessus de tout éloge, et que
la conduite tenue par les gendarmes a été telle que s’ils avaient été plus
nombreux, ils auraient eu bientôt mis fin à ces dévastations.
« Je dois encore ajouter ici,
monsieur le colonel, que messieurs les généraux en disposaient à tout moment
pour faire porter leurs ordres aux différents chefs de corps, ce qui diminuait
encore leur nombre qui déjà n’était pas considérable.
« Le lieutenant commandant ad interim la gendarmerie dans le Brabant, Magonette.
« Pour copie conforme : Le
secrétaire-général du ministère de la guerre, Nicaise. »
_____________________
Les rapports que vous venez
d’entendre, messieurs, ne rendent compte que de l’intervention des troupes de
toute arme qui, dans les cas d’émeute, sont les auxiliaires naturels de la
garde civique. On sait que à cette dernière partie de la force publique que la
loi confie le principal rôle dans la répression des troubles.
Aux termes de l’article 88 du
règlement des villes, maintenu en ce qui concerne les attributions municipales,
par l’article 137 de la constitution, le bourgmestre et les échevins ont la
direction et la surveillance de tout ce qui concerne la police.
L’article 91 du même règlement
s’exprime ainsi :
« Les bourgmestre et échevins,
étant tenus de veiller à ce qu’il n’y ait dans la ville aucun tumulte ni rien
qui puisse en troubler la tranquillité ou la sûreté, peuvent toutes les fois
que semblables circonstances se préparent ou qu’ils pourront les appréhender,
disposer de la garde communale ; et ils peuvent au besoin faire aussi usage de
la force militaire en garnison dans leur ville en se concertant, avec
l’officier commandant, et en se conformant aux dispositions faites où à faire
en cette matière par la loi, à charge d’en informer sans délai le gouverneur de
la province. »
Les articles 38, 39, 40 de la loi du
31 décembre 1830, organique de la garde civique sont ainsi conçus :
« Art.
« Art.
39. En cas de trouble ou d'alarme, tous les gardes du canton prennent les armes
; ils se tiennent disponibles pour, à la première réquisition du chef de
cohorte ou du bourgmestre de la commune en danger, se porter où leur présence
est demandée. »
« Art.
40. La commission permanente du conseil provincial peut seule requérir la
réunion des gardes de plusieurs cantons, dans les cas d'urgente nécessité et
sous sa responsabilité. »
Il résulte de ces textes que les
gardes civiques se réunissent, soit spontanément, soit à la demande du
bourgmestre ; que c’est particulièrement à ce dernier qu’appartient le droit de
faire de semblables réquisitions.
Toutefois, le 5 avril, M. le gouverneur de la province écrivit au général Nypels, commandant de la garde civique de Bruxelles, pour
le prier de s’entendre avec les chefs de légion, afin d’aviser aux moyens de
réunir un certain nombre de gardes. Le général fut en outre invité à se rendre
le lendemain 6, à 11 heures, au cabinet du gouverneur. Là devaient se trouver
également M. le bourgmestre et le commandant militaire de la province, pour se
concerter sur les mesures à prendre. On croyait pouvoir prévenir des désordres,
qui, d’après les renseignements de l’autorité locale, ne devaient éclater que
dans la soirée. Malheureusement les événements devancèrent ces prévisions.
Par une dépêche du 6, dix heures et
demie, M. le bourgmestre avait convoqué la garde civique. Par une autre dépêche
du même jour, il convoqua à l’hôtel-de-ville les colonels de légion.
Les colonels furent successivement
entendus en présence de M. le gouverneur de la province. Tous exprimèrent la
crainte de rencontrer les plus grands obstacles dans la convocation immédiate
de la garde civique. En effet un très petit nombre d’hommes se rendit à
l’appel. Je dois cependant déclarer, pour rendre à M. les chefs de légion la
justice qui leur est due, qu’ils firent personnellement tous les efforts
possibles, pour obtenir un meilleur résultat et que leur voix ne fut pas
entendue : aucun reproche ne peut leur en être adressé. Voici du reste deux
rapports adressés au commandant en chef :
« Rapport du colonel commandent
la deuxième légion de la garde civique de Bruxelles.
« A M. le colonel commandant en
chef de ladite garde.
« Par suite de la dépêche de M.
le colonel en chef, du 6 avril 1834, reçue à 5 heures et demie de relevée, je
me suis rendu immédiatement au poste central de la légion.
« A peine une douzaine d’hommes
s’y trouvaient-ils réunis qu’on vint avertir vers 6 heures qu’une bande de
malintentionnés avait déjà cassé des carreaux de vitres chez M. Messel Blisselt, banquier, rue
St-Christophe, en s’efforçant de pénétrer dans la maison.
« Malgré la faiblesse de notre
nombre contre une masse compacte de plus de 1,500 individus, nous nous
transportâmes immédiatement à l’endroit attaqué, et parvînmes, par une charge à
la baïonnette prompte et résolue, à refouler ces effrénés jusqu’à l’église des
Riches-Claires.
« Obligés de nous séparer pour
garder les deux avenues, et conséquemment encore affaiblis, nous réussîmes
cependant, par nos efforts et une bonne contenance, à maintenir cette foule
exaltée pendant environ une heure, baïonnettes croisées, quoiqu’elle fût
revenue deux fois à la charge.
Voyant alors qu’ils ne pouvaient
nous imposer par leur nombre, ils crièrent aux
pavés, dont ils s’armèrent à l’instant, et vinrent de nouveau à la charge.
Déjà nous étions entourés et les pierres étaient lancées sur nos têtes : une
seule minute de plus, et nous allions peut-être être tous massacrés à notre
poste, quand heureusement un peloton d’une quarantaine d’hommes du 5ème
régiment, commandé par un sergent, vint nous renforcer et, par sa belle
conduite et sa coopération, nous parvînmes à refouler de nouveau et à disperser
les assaillants, dont plusieurs furent arrêtés. La compagnie des chasseurs de Chasteler est alors venue nous rejoindre et y est restée
jusqu’à près de 9 heures.
« Fort avant dans la soirée,
divers groupes ont encore fait des démonstrations hostiles ; mais par la bonne
contenance qu’on leur a faite, ils se sont dispersés d’eux-mêmes.
« Tout se trouvant calme vers 2
heures du matin, le peloton du 5e régiment a rejoint son corps, et celui des
gardes de sûreté qui nous avait rejoints vers 7 heures s’est retiré. Je me suis
établi, avec les hommes de ma légion, dans la maison de M. Messel,
lorsque vers 7 heures du matin, que j’ai requis un détachement de la troupe de
ligne qui se trouvait stationné sur le Vieux-Marché-aux-Grains, et qui nous a
relevés.
« Je ne suis entré dans ces
détails que pour faire connaître à M. le colonel en chef les faits exactement
tels qu’ils se sont passés.
« Je ne puis cependant terminer
ce rapport, sans prier M. le colonel en chef de porter à la connaissance de
l’autorité supérieure la conduite digne d’éloges du sergent Corteveld
des voltigeurs du 1er bataillon, 5ème régiment, qui commandait le peloton de la
ligne ; je ne saurais trop louer son sang-froid, et la manière dont il a
conduit sa troupe, qui, ainsi que lui, mérite d’être honorablement citée.
« Quant à mon petit détachement
(composé en majeure partie d’officiers), je ne puis trop me féliciter de la
manière ferme dont il a sans relâche rempli son devoir, et je me réserve d’en
adresser une liste nominative à M. le colonel en chef et à M. le bourgmestre.
« Bruxelles, le 7 avril 1834,
au matin.
« Le comte Vanderstegen Deputte, colonel. »
____________________
« Rapport de la nuit du 6 au 7
avril 1934.
« Monsieur le colonel,
« D’après vos ordres, j’ai pris
hier, à 6 heures du soir, le commandement du poste central, au Petit-Sablon,
qui. se composait alors d’une trentaine de gardes, nombre qui s’est accru
jusqu’à celui de 49 officiers, sous-officiers et caporaux compris, comme vous
le verrez par le tableau ci-contre. Vers huit heures un chasseur de Chasteler est venu me prévenir que l’estaminet des
Quatre-Vents était assailli par la foule, et que la maison du docteur Gilbert,
rue des Aveugles, était fortement menacée. Je m’y suis rendu immédiatement avec
tous les hommes présents, dont je plaçai une partie à l’entrée de la rue de l’Athénée,
et l’autre à la sortie de l’estaminet des Quatre-Vents. Nous y sommes restés
environ une heure, assistés par un peloton d’un régiment de ligne et par six
gendarmes à pied. Nous sommes parvenus à interdire l’entrée de la rue à la
foule qui, vers neuf heures, s’est dispersée, à l’arrivée d’un détachement de
cavalerie.
« Tout étant parfaitement
tranquille et ayant reçu l’avis que la maison de madame de madame d’Auxy, rue aux Laines, et celle de M. Artan,
rue des Sablons, étaient également menacées, je suis retourné au poste central,
où je me suis mis en communication avec un détachement de guides qui se
trouvait rue aux Laines.
« A minuit le calme me
paraissait parfaitement rétabli : ayant déjà été quitté par quelques-uns de me
gardes, j’ai renvoyé les autres pour pouvoir en disposer le lendemain au matin
si leur concours pouvait encore être nécessaire.
« Le commandant du poste du
Petit-Sablo, F. Delporte, Capotaine, 3ème
Cie, 1er Bataillon.
« Pour copie conforme : Le
général de division commandant en chef la garde civique de Bruxelles, Nypels. »
________________________
Il a été remarqué que presque
partout où des gardes civiques se sont présentes, ils ont agi avec énergie et
efficacité. Les succès partiels qu’ont obtenus leurs efforts, doivent faire regretter
que plus de membres ne se soient pas rendus à l’appel. Les hommes qui ont
refusé le service paraissent avoir cédé à des considérations diverses.
Les uns ont allégué l’espèce
d’abandon où, selon eux, la garde civique a été laissée ;
D’autres, la crainte de n’être pas
soutenus par la troupe qu’ils croyaient avoir agi avec trop de ménagement ;
Le plus grand nombre enfin, leur
antipathie pour les opinions des personnes dont les propriétés étaient menacées
de pillage.
J’arrive aux actes du ministère déjà
connus en grande partie par les pièces publiées par le Moniteur.
Les ministres n’eurent connaissance
des premiers désordres que dans la matinée du 6 ; ils se réunirent
immédiatement au ministère de la guerre.
Le chef de ce département, s’étant
fait rendre compte de l’état des choses, avait prescrit aux commandants de la
province et de la place de mettre les troupes à la disposition de l’autorité
municipale, de déférer à ses réquisitions et de se porter de leur personne, à
la tête de détachements, sur divers points attaqués ou menacés.
Le conseil des ministres, voyant que
l’émeute prenait un caractère de gravité tel que, pour la comprimer, la
garnison de Bruxelles pût avoir besoin de renforts, décida de faire venir, sans
retard, à Bruxelles, deux régiments, quatre escadrons de lanciers et deux
batteries d’artillerie. A cet effet, M. le ministre de la guerre expédia
sur-le-champ des officiers et des ordonnances vers Vilvorde, Malines et
Louvain.
Entretemps, le commandant militaire
de la province vint annoncer qu’il attendait la réquisition de l’autorité
municipale pour faire agir les troupes contre les pillards.
Le ministre de la justice voyant
que, malgré ses instances et ses supplications, l’opinion semblait arrêtée,
chez les militaires, qu’ils ne pouvaient légalement employer la force armée
sans la formalité des sommations préalables, écrivit à la hâte au commandant de
la province, du cabinet du ministre de la guerre, la lettre suivante :
« Bruxelles, 6 avril 1834, à 11
1/2 heures du matin
« M. le colonel Criquillion,
« En l’absence de l’autorité
municipale, je comprends qu’on ne peut employer la force contre la foule ; mais
rien n’empêche que des arrestations se fassent sur tous ceux qui jettent des
pierres, qui cherchent à briser des fenêtres, des meubles. Ce sont là des
délits flagrants qui légitiment l’intervention de tout agent de la force
publique et même de simples citoyens. Des patrouilles de cavalerie pourraient
aussi être très utiles et disperseraient la foule.
« Je vous engage et vous
requiers, en tant que de besoin, de prendre toutes les mesures pour arrêter les
excès déplorables et scandaleux dont le gouvernement aura le premier à
souffrir.
« Le ministre de la justice,
Lebeau. »
_________________
Le ministre de l’intérieur crut
devoir réclamer le concours de la garde civique par la lettre suivante adressée
à MM. les généraux commandant la garde civique :
« Bruxelles, dimanche matin, 11
heures, 6 avril.
« M. le général,
« L’absence de la garde
civique, au milieu des désordres qui affligent la capitale, me laisserait
supposer qu’elle n’a pas reçu de l’autorité locale les réquisitions voulues par
la loi. Je viens, pour autant que de besoin, vous donner l’ordre de convoquer
immédiatement les diverses légions, de les tenir en permanence sous les armes,
de les envoyer en tous lieux où s’exercent les désordres ou qui en seraient
menacés, et de donner aux divers chefs l’ordre de les réprimer avec promptitude
et énergie par tous les moyens légaux.
« Le ministre de l’intérieur,
Ch. Rogier. »
_______________________
La proclamation suivante fut
affichée :
« Habitants de Bruxelles !
« Des scènes de destruction
affligent en ce moment la capitale du royaume. Belges, permettrez-vous que des
ressentiments mal entendus vous entraînent plus longtemps à des actes qui
dégraderaient aux yeux de l’étranger votre caractère national ? Le désordre et
la dévastation sont indignes d’un peuple libre. Habitants de Bruxelles, vous
tous qui tenez autant à l’honneur du pays qu’à son indépendance, hâtez-vous
d’user de tous vos efforts, unis à ceux de l’autorité civile et militaire, pour
faire cesser des violences qui ne manqueraient pas d’éloigner de vos murs ces
étrangers nombreux qui viennent y chercher un asile hospitalier et. favorisent
de leur présence la prospérité de votre industrie. Le gouvernement ne doute pas
que tous les bons citoyens n’embrassent avec dévouement la cause de l’ordre
public.
« Bruxelles, le 6 avril 1834.
« Le ministre de l’intérieur,
Ch. Rogier. »
_______________________
Au même moment, dans la prévision
que les troubles de Bruxelles pouvaient avoir du retentissement dans d’autres
villes où les mêmes causes de fermentation existaient, le ministre de
l’intérieur expédia par estafette, à divers gouverneurs, la. circulaire suivante
:
« Bruxelles, 6 avril, dimanche
matin, 11 heures.
« M. le gouverneur,
« Les désordres imprévus qui
affligent la capitale à la suite de la publicité imprudemment donnée aux listes
de souscription pour l’achat des chevaux du prince d’Orange, pouvant faire
craindre des excès de même nature dans les localités de votre province où les
souscriptions ont eu lieu, je vous invite à prendre immédiatement, de concert
avec l’autorité militaire, les mesures les plus efficaces pour que les villes,
et notamment le chef-lieu de votre province, ne deviennent point le théâtre
d’aussi déplorables excès.
« Je ne doute pas, M. le
gouverneur, que vous ne sachiez déployer toute la prudence, l’activité et
l’énergie dont vous êtes capable, pour prévenir et réprimer, au besoin, des
excès qui compromettent l’honneur du pays et servent même la cause de ses
ennemis, que leurs démarches, tout imprudentes et provocatrices qu’elles sont,
ne doivent cependant pas tenir en dehors de la protection garantie par la
constitution à tous les citoyens.
« Le ministre de l’intérieur,
Ch. Rogier. »
________________________
Le ministre de la justice adressa
aux gouverneurs des provinces de Liége, des deux Flandres, du Hainaut et
d’Anvers, ainsi qu’à MM. les procureurs-généraux près les cours de Gand et de
Liége, et à MM. les procureurs du Roi à Mons et à Louvain, une circulaire
conçue dans le même sens.
Messieurs les gouverneurs, prévenus
par cette circulaire, dont quelques-uns accusèrent la réception le même jour,
purent prendre à temps des mesures pour prévenir tout désordre.
Partout dans les provinces la
tranquillise fut maintenue, sauf quelques excès commis à Louvain dans la
journée du 7, et qui furent promptement réprimés.
La représentation de la Muette
demandée la veille était annoncée pour le soir même. Cette pièce ne pouvait que
contribuer à augmenter l’effervescence des esprits.
Le ministre de l’intérieur écrivit,
à ce sujet, à M. le bourgmestre la lettre suivante :
« M. le bourgmestre,
« Je vous invite à donner
immédiatement ordre au directeur du spectacle de suspendre la représentation
annoncée pour ce soir.
« Veuillez m’accuser réception
de la présente. »
______________________
De son côté, M. le ministre de la
guerre réitéra aux commandants de la province et de la place l’ordre de
dissiper les attroupements, de repousser la force par la force et d’arrêter les
perturbateurs.
Vers une heure M. le bourgmestre se
présenta au palais où les ministres se trouvaient alors réunis.
Ce magistrat ayant déclaré que
l’action de l’autorité municipale, nécessaire pour légitimer la dispersion des
attroupements lui paraissait insuffisante, les ministres se résolurent à
prendre en leur nom un arrêté conçu en ces termes :
« Le conseil des ministres ;
« Vu la gravité des excès qui
se commettent en ce moment à Bruxelles ;
« Vu l’extrême urgence d’y
opposer des mesures de répression promptes et efficaces,
« Autorise l’autorité militaire
à agir partout où le danger se présentera, même sans le concours de l’autorité
municipale, là où son action ne peut s’exercer.
« Bruxelles, 6 avril 1834, à
deux heures de relevée.
« Signé, Lebeau, F. de Mérode,
A. Duvivier, Rogier.
« Pour copie conforme : Le
ministre-directeur de la guerre, baron Evain. »
___________________
En conséquence de cette mesure
extraordinaire, M. le général baron Hurel, chef de
l’état-major général, fut investi du commandement de toutes les troupes de la
garnison de Bruxelles. Il le fit connaître au public par la proclamation
suivante :
« Aux habitants de Bruxelles,
« Le gouvernement m’ayant
investi des pouvoirs nécessaires, pour concourir au rétablissement de l’ordre
dans la capitale, j’invite les habitants à ne prendre part à aucun
attroupement, et à se renfermer chez eux dans la soirée. Tous ceux qui ne se
retireront point aussitôt que l’avis leur en sera donné par l’autorité civile
ou militaire, tous ceux qui participeront à des excès contre les personnes ou
les propriétés, seront immédiatement arrêtés, et en cas de résistance la troupe
fera usage de ses armes.
« Bruxelles, le 6 avril 1834.
« Le général de division, chef
d’état-major général, baron Hurel. »
______________________
Il fallait quelque temps encore pour
expédier et distribuer ces documents, ainsi que pour les imprimer et les
afficher dans les rues et places publiques, M. le ministre de la guerre, après
avoir remis au général ses pouvoirs et lui avoir recommandé d’agir avec vigueur
et promptitude, notifia la décision du conseil aux diverses autorités civiles
et militaires en les invitant, à concourir de tous leurs moyens au rétablissement
de l’ordre.
La remise du pouvoir entre les mains
de l’autorité militaire et l’arrivée des renforts, sans lesquels il eût été
difficile de maîtriser le désordre, mirent en mesure d’agir avec énergie, et
l’on ne tarda pas dès lors à réprimer successivement les excès sur tous les
points.
Depuis, toutes les mesures ont été
concertées pour assurer le maintien de la tranquillité dans les provinces comme
dans la capitale. Partout les intentions du gouvernement ont été secondées avec
autant de zèle que de succès par les autorités provinciales et locales.
Me résumant, messieurs, je pense
avoir établi par des pièces officielles que, dans les journées des 5 et 6
avril, les diverses autorités ont fait chacune dans le cercle de ses attributions
tout ce qui dépendait d’elles pour prévenir et réprimer le désordre. Si l’on a
eu de graves excès à déplorer, d’autre part il est permis de se féliciter de ce
que du moins le sang belge n’a point coulé, dans un moment où la bonne harmonie
entre le peuple et le soldat peut seule faire notre force et contre l’ennemi,
qui est à nos portes, et contre l’anarchie, qui s’apprêtait peut-être à
profiter de nos divisions.
_______________________
Mais, dit-on, si les ordres de
répression n’ont pas manqué, comment se fait-il que dans. les mesures
d’exécution il n’y ait pas du plus de promptitude ?
Nous ne nions pas, messieurs, que
sous ce rapport il n’y ait eu des hésitations, des lenteurs.
Quant à l’inaction reprochée aux
troupes dans la première période, diverses causes l’ont déterminée.
Une erreur paraît avoir constamment
dominé, dans la matinée du 6, officiers et soldats. Ils n’ont pas cru pouvoir
employer leurs armes ni même en divers endroits faire d’arrestations sans que
des sommations leur eussent été adressées par l’autorité municipale. Confondant
le cas d’émeute et d’attroupement, où ils ne peuvent agir sans sommations
préalables avec celui de flagrant délit où l’arrestation du délinquant est
facultative à tout citoyen et obligatoire pour tout dépositaire de la force
publique, ils ont persisté à penser que dans un cas comme dans l’autre leur
action était subordonnée à l’accomplissement des mêmes formalités.
Cette erreur a eu de graves
conséquences. Elle suffirait pour expliquer l’inaction reprochée aux troupes,
et qui cependant est loin d’avoir été aussi complète qu’on l’a avancé. S’il
m’était permis d’anticiper sur le résultat dc l’enquête à laquelle se livre la
haute cour militaire, d’après les ordres du gouvernement, j’exprimerais la
conviction que les éléments de cette enquête fourniront la preuve que les
officiers de police n’ont fait aucune sommation ou réquisition sans qu’il y ait
été satisfait.
On a accusé un officier d’avoir
refusé de déférer à une réquisition qui lui aurait été adressée par un échevin
de la commune de Molenbeeck-St-Jean à l’instant où la
maison du sieur Tilmont était assaillie ; mais le
fait est controuvé : de l’aveu de cet échevin aucune réquisition n’a été faite
par lui.
Il paraît constant aussi que chaque
fois que des officiers ont voulu prendre sur eux d’exercer quelque acte de
rigueur sans l’intervention de la police, ils ont été hués par le peuple qui
les traitait d’orangistes et souvent se portait contre eux à des voies de fait.
D’autres motifs encore que la
conviction de la nécessité des sommations peuvent expliquer, de la part de la
troupe, une inertie dont les officiers gémissaient les premiers. Qu’on se
figure la position du soldat placé entre le peuple dont il partage toutes les
sympathies, entre le peuple qui l’accueille aux cris de vive le Roi, et les personnes qui avaient adressé leurs hommages au
chef d’une armée ennemie campée sur nos frontières.
Les militaires n’avaient pas perdu
non plus le souvenir des événements de 1830 ; ils n’avaient pas oublié de
quelle réprobation furent frappés ceux qui, à cette époque, avaient fait taire
leur sympathie pour leurs concitoyens devant l’inflexibilité des lois
militaires. Ne tenant aucun compte de la différence des circonstances, ils ont
pu craindre de tomber dans ce qui fut qualifié de crime, s’ils agissaient sans
y être dûment autorisés par l’autorité municipale. Cette erreur était tellement
enracinée même chez les officiers du rang le plus élevé, que, pour la détruire,
il a fallu, outre la lettre de M. le ministre de la justice à M. le commandant
de la province, que l’on adressât aux divers chefs de l’armée, l’instruction en
date du 11 avril, qui leur trace la conduite qu’ils ont à tenir dans des
circonstances semblables.
Les scrupules des officiers
s’augmentaient encore de l’influence de diverses circonstances récentes. On se
rappelle les charivaris donnés à l’occasion du projet d’ériger une université
catholique et des mesures prises par l’autorité militaire pour les disperser.
Ces mesures avaient encouru le blâme le plus sévère de certaines opinions qui
n’avaient vu dans les charivaris qu’une sorte de plaisanteries innocentes,
tandis que dans la répression ils n’avaient vu qu’imprudentes illégalités,
massacres même. « On rougissait pour nos soldats que l’on prostitue, disait-on dans
un langage ignoble, à défendre la calotte contre le peuple. »
Toutefois, messieurs, malgré la
forme des réclamations contre les mesures employées pour la dispersion de ces
scènes de désordres, le gouvernement qui ne doit négliger aucun avis, fût-il
donné en termes inconvenants, crut devoir appeler l’attention des autorités sur
les abus que l’on signalait dans l’emploi de la force armée. Des instructions
furent données à cet égard par le ministre de la justice, et M. le commandant
de place de Bruxelles reçut de M. le procureur du Roi la lettre suivante :
« Parquet du tribunal de
première instance séant à Bruxelles.
« Bruxelles, le 1834,
« Monsieur,
« Je crois devoir appeler
spécialement votre attention sur la nécessité de se renfermer strictement dans
les bornes de la légalité, toutes les fois qu’en cas de troubles ou de
désordres il y a lieu d’employer la force armée : cette force, à laquelle il ne
faut pas recourir si elle n’est devenue indispensable, ne doit agir en tous cas
que lorsqu’elle est spécialement et régulièrement requise ; sinon les chefs qui
l’emploieraient s’exposeraient à une grave responsabilité.
« M. le ministre de la justice
a informé M. le procureur-général qu’il n’hésiterait pas à prescrire lui-même
de livrer aux tribunaux les agents de la force armée qui, en pareil cas,
commettraient des actes de violence dus peut-être à un zèle mal entendu, mais
évidemment illégaux. Vous voudrez donc, bien monsieur, si quelques actes de
cette nature parvenaient à votre connaissance, en déférer la poursuite à
l’autorité compétente. Dans tous les cas, je ne doute pas que vous n’observiez
scrupuleusement les dispositions tutélaires de l’art. 252 de la loi du 28
germinal an VI, relative à la gendarmerie.
« Recevez, etc.
« Le procureur du Roi, Gustave
Bosquet.
« Pour copie conforme : Le
commandant d’armes, Rodenbach.
« A M. le commandant de place à
Bruxelles. »
Je prie la chambre de remarquer que
ces instructions sont de plusieurs semaines antérieures à la publication des
listes de souscription pour le rachat des chevaux de Tervueren
; que par conséquent elles ont été écrites avant qu’il fût possible de prévoir
les excès commis à l’occasion de cette publication.
On peut maintenant se faire une
juste idée de la situation d’esprit où devaient se trouver les militaires lors
des troubles de Bruxelles.
Mais, dit-on, il ne s’agissait pas
ici d’attroupements pour la dispersion desquels la sommation de l’autorité
locale est requise ; il s’agissait de flagrants délits pour la répression
desquels il y a pour l’autorité militaire droit et devoir d’agir directement.
La force armée ne doit pas ignorer l’article 106 du code de procédure
criminelle.
Il faut, messieurs, distinguer ici.
S’agit-il de la gendarmerie ? Sans
aucun doute, cette disposition lui est familière. Aussi, dans la journée du 6,
n’a-t-elle point partagé les hésitations de la troupe de ligne et a-t-elle agi,
partout ou elle s’est portée, avec promptitude et fermeté.
Mais l’armée, messieurs, qui, pour le
bonheur et l’honneur du pays, est encore jusqu’ici peu familiarisée avec
l’émeute et la dévastation ; l’armée qui d’ailleurs, pour la répression de
troubles locaux, ne vient qu’à la suite de la gendarmerie et de la garde
civique, l’armée peut être très brave, très disciplinée et ne pas bien saisir
la distinction tracée par les lois entre son droit d’intervenir seule et
spontanément et son devoir d’attendre l’intervention de l’autorité civile.
C’est un fait notoire à Bruxelles
que plusieurs fois, dans la journée du 6 avril, de simples citoyens, qui eux
aussi ont le devoir de saisir les délinquants, aux termes de l’article 106 du
code précité, et qui n’en ont rien fait, excitant des officiers à disperser, à
saisir les dévastateurs, ces officiers répondirent : « Nous attendons l’ordre
d’agir. »
De quel ordre voulaient-ils parler ?
Evidemment des sommations préalables que la presse et l’autorité supérieure
venaient tout récemment encore de leur prescrire d’attendre.
Pour agir, la troupe n’avait pas
besoin d’ordre du ministère ; un ordre contraire, celui de n’agir pas, aurait
pu seul l’arrêter.
Vous n’attendez pas, messieurs, que
nous cherchions à établir que de tels ordres, soit écrits, soit verbaux, n’ont
pas été donnés. Nous nous croyons au-dessus d’une absurde imputation, qu’une
haine aveugle ou une insigne mauvaise foi a pu seule inventer.
Nous avons fait voir comment, avant
la publication de la mesure extraordinaire arrêtée par les ministres, la troupe
avait pu montrer quelque hésitation dans la répression des troubles.
D’autres causes toutes matérielles
expliquent aussi l’inefficacité de son intervention dans plusieurs cas.
Dans la matinée du 6, la garnison de
Bruxelles se composait de 2,583 hommes.
Il faut retrancher les postes
suivants :
Les Petits-Carmes, l’Amigo,
l’Arsenal, le poste central, les portes de la ville, l’hôpital.
Tous ces postes retranchés, nous
supposons qu’il pouvait rester deux mille hommes disponibles, dont le quart
environ en cavalerie. Celle-ci, il est vrai, pouvait faire des arrestations ;
mais il lui était impossible de pénétrer dans les maisons une fois envahies.
Quant à l’infanterie, disséminée sur
quinze ou vingt points, elle n’était pas toujours capable d’intervenir
efficacement. Parfois, lorsqu’avertie qu’on se portait vers une habitation
désignée à la colère du peuple, elle s’y rendait, l’attentat était consommé,
les coupables dispersés à son arrivée. Il a été constaté qu’en moins de quinze
minutes des maisons ont été complètement dévastées.
Enfin, messieurs, il faut tenir
compte à la troupe de la position bizarre où elle se trouvait. C’est aux cris
de vive le Roi, à bas les orangistes,
que la multitude exaspérée commettait ces excès. Les soldats, chez nous
surtout, messieurs, sont aussi du peuple ; ils éprouvent sa haine, ses sympathies
contre lesquelles le sentiment de la discipline lutte seul. Est-il assez
puissant ? Nul, je pense, n’oserait l’affirmer.
Qu’on se rappelle ce qui s’est passé
à Paris, au sein d’une nation en paix avec toute l’Europe, dans les tristes
journées de février 1831. Pendant trois jours des dévastations se sont commises
presque sans obstacles, en présence de 70,000 hommes de garde nationale et de
30,000 hommes de troupe de ligne.
Nous ne retracerons pas ici ces
scènes de vandalisme, elles sont assez connues.
Je ne parlerai pas non plus des
sanglantes émeutes de Paris, de Lyon, que n’a su prévenir l’administration
vigoureuse dont M. Casimir-Périer fut le chef ; je ne parlerai pas davantage
des récentes et horribles scènes dont Lyon et Paris viennent d’être de nouveau
le théâtre. Mais, ne fût-ce que pour rendre plus circonspectes quelques voix
accusatrices dont certains journaux anglais ont été l’écho à l’occasion des
troubles des 5 et 6 avril, il suffirait de mettre sous vos yeux quelques
détails sur la dernière émeute de Bristol. On verrait si ceux-là, qui vivent
dans un pays en paix avec toute l’Europe, dans un pays où l’autorité est
fortement constituée et parfaitement obéie, ont bonne grâce de nous traiter
avec cette sévérité, lorsque, depuis trois ans, le calme dont jouit la
Belgique, au milieu des provocations les plus flagrantes, n’a été sérieusement
troublé que pendant 24 heures.
Le résultat des excès commis à
Bruxelles consiste dans la dévastation totale ou partielle de dix-sept
habitations. Les dégâts que les experts de la ville ont pu constater jusqu’ici
sont évalués à la somme de 300,000 francs. Tout bon citoyen déplore ces
hideuses scènes ; le gouvernement, messieurs, est le premier à en gémir. Il
sait l’arme qu’elles mettent aux mains de ses adversaires politiques, de ses
ennemis extérieurs. Il sait quel texte elles offrent à la haine, à la calomnie.
Plus juste que l’esprit de parti, la
sagesse des chambres repoussera des inculpations passionnées ou odieuses. Elle
fera la part des circonstances ; elle tiendra compte des provocations insensées
adressées à un peuple qui se recommande entre tous les peuples de l’Europe par
sa moralité, et qu’une déclaration de guerre insultante a pu seule arracher à
ses paisibles travaux, à ses tranquilles habitudes.
Si la chambre déplore comme nous les
tristes scènes du 6 avril, elle tiendra compte de la sollicitude du
gouvernement, de la vigilance des autorités qui, au milieu d’embarras
innombrables, ont prévenu de bien plus grands désordres encore.
Le parti de l’ex-roi comprendra-t-il
que si l’autorité avait été, nous ne dirons pas complice, c’est une imputation
que nous ne consentirons jamais à discuter, mais portée à ne lui accorder qu’un
simulacre de protection, une réaction bien terrible aurait attristé notre pays
?
Messieurs, nous ne prétendons pas
toutefois que des fautes n’aient pu être commises dans l’action répressive des
troubles du 6 avril, au milieu de la confusion inévitable qui a règne dans les
premières heures ; nous n’oserions affirmer encore que chacun ait fait
immédiatement son devoir, et tout son devoir. C’est la double enquête instituée
par les soins même du gouvernement, qui doit éclaircir tous les faits, dissiper
tous les doutes.
Le gouvernement s’est borné au rôle
de narrateur. N’ayant aucun reproche à se faire, il n’a rien eu à cacher, rien
à déguiser ; c’est là ce qui explique les détails dans lesquels il a cru devoir
entrer ; il livre d’ailleurs avec confiance l’examen de tous ses actes à
l’impartialité de la chambre.
RAPPORT
DU GOUVERNEMENT SUR LES EXPULSIONS D’ETRANGERS PAR SUITE DES TROUBLES DE
BRUXELLES DES 5 ET 6 AVRIL 1834
(Moniteur belge n°113, du 23 avril 1834) M. le ministre de la justice (M. Lebeau) -
Je demande la parole.
M. Dumortier. - Je la demande pour une motion d’ordre. Je
réclame l’impression et la distribution du rapport fait par M. le ministre de
l’intérieur.
Plusieurs membres. - C’est de droit.
M. le président. - S’il n’y a pas d’opposition, l’impression
et la distribution du rapport sont ordonnées.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, je viens vous
soumettre quelques observations sur une mesure d’ordre public dont les
circonstances nous ont paru faire une loi au gouvernement.
Depuis quelques mois, les journaux
du parti orangiste, enhardis par une tolérance, excessive peut-être, qu’ils ont
prise sans doute pour de la faiblesse, dépassent en violences et en
provocations tout ce qu’ils avaient écrit jusque-là.
La vente des chevaux de Tervueren donna lieu à une souscription dont le
gouvernement eut bientôt connaissance, mais dont il ne pouvait s’inquiéter
aussi longtemps qu’on ne lui donnait point de publicité.
Cette publicité, si imprudente, on
n’hésita pas à la produire. Les commentaires, les outrages au pays, les
sinistres prédictions, les menaces dont on l’accompagna vous sont connus. Vous
connaissez aussi l’indignation qu’elle excita et les excès qui en furent la
conséquence.
Pour l’honneur du pays, nous sommes
heureux de reconnaître que ces excès de la presse orangiste, ces outrages
quotidiennement verses sur la nation, sur le Roi qu’elle s’est librement
choisi, étaient en grande par la l’œuvre d’étrangers salariés par la Hollande.
Nous aurions pu les livrer aux
tribunaux, où sans doute ils n’eussent pas échappé à la justice du jury. Mais
il était à craindre que les vrais coupables ne se fussent abrités derrière des
mannequins, disposés, comme on l’a vu ailleurs, à garder prison, moyennant
salaire. Quant à l’infliction d’amendes, la main qui soudoie l’outrage n’eût
pas manqué de s’ouvrir pour libérer le coupable.
D’antres considérations trop longues
à développer ici, mais que la sagesse des chambres comprendra, ne devaient pas,
dans ces circonstances, pousser le gouvernement à entrer dans cette voie.
Nous avons pensé, messieurs, que le
recours au droit politique valait mieux ici que le recours au droit pénal.
Nous nous sommes demandé si, alors
qu’à la frontière des démonstrations assez ostensibles pour éveiller la
sollicitude des chambres, du gouvernement et du pays, coïncidaient avec des
provocations furibondes, sorties de la plume d’étrangers soudoyés par
l’étranger, la première loi, celle de la conservation, ne prescrivait pas à
l’administration des mesures urgentes, empruntées au droit des gens ?
Il nous a paru que l’étranger
appelant le retour de l’étranger lorsque celui-ci est l’ennemi, lorsque cet
ennemi est sur nos frontières, qu’il y est en armes, qu’il semblait naguère
faire ses dispositions pour une attaque ; il nous a paru, dis-je, que cet
étranger était moins un écrivain, justiciable, comme un régnicole, des
tribunaux du pays, que l’avant-garde-même de l’armée ennemie, fomentant la
guerre civile au profit de la guerre étrangère.
Sous ce premier point de vue, nous
n’eussions pas hésité à éloigner de tels étrangers, en l’absence même d’une
législation régulière, et de venir demander aux chambres un bill d’indemnité
que son patriotisme ne nous aurait pas refusé.
Une autre considération, toute d’ordre
intérieur, nous a encore déterminés. Quelle est la cause première des tristes
scènes des 5 et 6 avril ? Le pays a déjà prononcé : sans aucun doute,
l’imprudente manifestation d’un parti frappé de cécité, les provocations
furibondes de ses écrivains.
Attaquer le mal rapidement,
directement, dans sa source, c’était faire, pour le retour et le maintien de
l’ordre si malheureusement troublé, beaucoup plus que de lentes et incertaines
procédures n’eussent pu produire. C’était en outre faire cesser un grand
scandale, le spectacle du plus honteux, du plus criminel abus de l’hospitalité.
C’était calmer l’effervescence populaire, c’était rendre plus coupable encore
la vindicte des rues, c’était en rendre la répression plus certaine, plus
immédiate, c’était renforcer la protection due à ceux de nos compatriotes qui
ont le triste courage d’envisager de sang-froid, d’un œil riant, la honte et
les malheurs d’une restauration.
A-t-il conservé quelque droit à
l’hospitalité belge celui qui, le 3 avril, trois jours avant les troubles de la
capitale, écrivait ces lignes :
« C’est par amour-propre,
dit-on, que des propriétaires, des nobles, tous riches et indépendants, se
décident à se proclamer les improbateurs d’une révolution insensée, à se dire
orangistes sous les lames des poignards d’une bande de forcenés, sûrs de
l’impunité et qui se prétendent constitues en gouvernement…
« Non, il n’y a point d’amour-propre
à braver un brigand dans sa caverne, au milieu de ses complices.... »
« Tous les preux de la Belgique
ont levé leur bannière ; tous les Belges dignes de ce nom, tous les hommes purs
de crimes et d’attentats sanglants s’empresseront de venir se ranger sous ces
enseignes nationales. Que les pillards, les incendiaires, les spoliateurs, les
imposteurs, les calomniateurs ; que toute la horde révolutionnaire enfin
s’irrite et grince des dents à cette vue, que nous importe ! L’Europe est là
pour défendre l’innocence contre le crime. Elle saura sans doute apprécier la
démonstration qui s’effectue sous les yeux même des représentants de tous les
monarques. »
Ces passages sont extraits d’un
journal publié à Gand.
Eh bien, messieurs, à Gand, au
milieu d’une population de trente mille ouvriers patriotes, réunion d’autorités
presque toutes quotidiennement bafouées, outragées par le libelliste
provocateur, nul désordre n’a été commis. Rendons-en grâce à la fermeté, au
dévouement de ces autorités, à la haute moralité de nos populations si
indignement calomniées.
Placez ces provocations à La Haye,
écrites par un étranger salarié de la police belge, et demandez-vous,
messieurs, si les choses se seraient passées comme à Gand. Mais les efforts de
l’autorité ne sauraient parvenir toujours à contenir l’effervescence populaire.
En lui ôtant un de ses principaux aliments, par l’absence du forcené dont la
présence seule exaspérait la multitude, on faisait déjà beaucoup pour le
maintien de l’ordre.
D’autres journaux de la même
couleur, dignes émules en calomnies, en outrages, en provocations du libelle
auquel je viens de faire allusion, tinrent à peu près le même langage, et
semblaient obéir au même mot d’ordre.
Les principaux rédacteurs de ces
feuilles sont aussi des étrangers.
D’autres étrangers, moins coupables
peut-être, mais ouvertement dévoués à la même cause, mais témoignant, par
d’ostensibles manifestations, de leur haine et de leur mépris pour le
gouvernement qui leur donnait asile, semblèrent redoubler d’imprudence en
raison directe des organes de la presse orangiste.
A ces démonstrations coupables, à
ces provocations insensées, véritables actes d’hostilité, nous avons opposé des
arrêtés d’expulsion.
Il y a déjà longtemps, messieurs,
que le gouvernement s’est occupé de la question de savoir si la loi du 28
vendémiaire an VI est encore en vigueur. Des doutes nous ont été soumis, des
objections nous ont été faites. Nous les avons pesés mûrement, et nous sommes
restés unanimement convaincus de l’existence et de l’applicabilité de la loi.
J’attendrai qu’elle soit contestée pour établir cette proposition.
Il est, messieurs, pour l’ordre
public dans notre pays un danger moins apparent peut-être que les manœuvres de
l’orangisme, mais qui ne tarderait pas à le menacer plus gravement encore, si
la sollicitude du gouvernement et des chambres n’en prévenait le développement.
Avant d’aller plus loin, je dois
repousser une imputation calomnieuse lancée dans le public. On a avancé que le
gouvernement belge avait obéi à une impulsion étrangère en appliquant la loi du
28 vendémiaire an VI à une certaine catégorie d’expulsés. Nous repoussons de
toutes nos forces cette supposition. Jamais il ne nous a été adressé, soit des
notes diplomatiques, soit des communications confidentielles sur un pareil
sujet. Jamais on ne nous en a parlé. Nous l’affirmons tous sur l’honneur. Nous
n’avons puisé notre résolution qu’en nous-mêmes. Nous n’avons consulté que nos
devoirs, que les intérêts du pays.
Depuis assez longtemps déjà, mais
surtout depuis les sanglantes journées de juin 1832, une foule d’étrangers se
sont précipités sur la Belgique : les uns fuyant la justice de leur pays qu’ils
avaient essayé de déchirer par la guerre civile, les autres envoyés par cette
fameuse Société des Droits de l’Homme,
qui vient de signaler son agonie, il faut l’espérer, par les récents attentats
dont Paris et Lyon ont été le théâtre sanglant.
Ces émissaires ne restèrent pas
inactifs ; ils établirent des réunions démagogiques dans plusieurs de nos
grandes cités. Non seulement les rapports faits à la police, mais les
correspondances de magistrats respectables, font foi des efforts employés pour
étendre et fortifier ces relations.
Les tentatives des anarchistes près
de nos officiers, de nos sous-officiers, sont également attestées. Je suis
heureux de pouvoir dire que, sauf quelques rares exceptions, ces tentatives
sont jusqu’ici restées vaines.
En même temps des journaux, organes
de leurs théories antisociales, furent créés, et, fidèles au mot d’ordre si
ponctuellement suivi soit à Paris, soit dans cette malheureuse cité qui vient
d’essuyer encore une sanglante catastrophe, c’est à corrompre les esprits de
nos ouvriers, de la jeunesse de nos écoles qu’ils s’attachèrent.
Parmi ces journaux la plupart
semi-hebdomadaires et jetés dans les cabarets, on ne sait aux frais de qui, on
en a surtout remarqué deux, l’un qui est tantôt orangiste, tantôt républicain ;
l’autre entièrement démagogique. Héritiers des doctrines de Babeuf, modifiées
par des extravagances saint-simoniennes, c’est l’anarchie la plus effrénée que
les rédacteurs de cette feuille prêchent aux classes inférieures. Elle se
qualifie de Journal de la Propagande
démocratique et des Intérêts polonais. En tête figurent les noms de trois
réfugiés polonais et d’un Français ; nous ne dirons pas que ce journal professe
des principes républicains, car ses théories passeraient pour anarchiques, pour
antisociales, aussi bien à Washington qu’à Bruxelles.
Tantôt c’est à la chambre des
représentants que ces journaux vouent à l’animadversion des classes ouvrières ;
« Organisée comme elle est, disent-ils, la chambre n’est qu’une vaste
association défensive d’intérêts dont ceux du peuple, de l’ouvrier, de
l’industriel sont totalement exclus ; elle est une espèce de compagnie
d’assurance entre la haute propriété et les grands mangeurs du budget.
« Oui dit l’un d’eux, la
Société des Droits de l’Homme s’organise ; elle donne au peuple, pour reprendre
sa souveraineté, ce qui lui manque, et c’est en quoi consiste le progrès
conquis pendant l’année qui vient de s’écouler...
« Félicitons-nous ! l’année qui
commence tiendra les promesses de celle qui vient de s’écouler… (janvier 1834.)
« Le réseau des associations,
ajoute-t-il, s’étend présentement sur toute la société civilisée. Toutes ces
associations sont républicaines, car toutes elles se constituent juges de leurs
droits ; toutes sont républicaines, parce que, d’après leur formation, elles
proclament l’insuffisance de la monarchie à satisfaire des besoins
sociaux. »
Ailleurs, on lit de fréquentes
excitations aux ouvriers de nos fabriques à s’organiser en associations.
« C’est avec une vive satisfaction, dit l’un d’eux, en parlant des
ouvriers de Gand, que nous avons vu une brochure écrite en flamand qui a rendu
aux ouvriers le service que nous n’avons pu leur rendre ; c’est avec un
sentiment de reconnaissance pour le citoyen zélé qui, par cette œuvre de haut
civisme, a si bien couronné son passé révolutionnaire, que nous avons lu cet
écrit plein de l’amour du peuple et qui indique à la plus importante fraction
de la société l’unique moyen d’obtenir le bien-être, de faire cesser
l’oppression qui pèse sur elle. L’estimable auteur de cette brochure fait voir
aux prolétaires qu’ils ont en eux-mêmes des forces invincibles. Il s’agit
seulement qu’ils veuillent les connaître.
« Traduite en français, ajoute
l’écrivain (sans doute pour les ouvriers de Liége et du Hainaut), et réimprimée
en flamand, la brochure du démocrate gantois se répandra dans tout le pays, et
la formation de la redoutable force du prolétaire sera son résultat. »
En même temps d’antres journaux
prodiguaient l’outrage à d’augustes personnages. La vie privée d’honorables
citoyens n’était pas mieux épargnée.
Ce n’est pas seulement par leurs
articles incendiaires que ces démagogues, évidemment affiliés pour la plupart à
cette Société de Droits de l’Homme qui vient de faire couler le sang français
dans les rues de Lyon, de Paris, de St-Etienne, essaient d’empoisonner l’esprit
de nos ateliers et de nos écoles. Des publications à bon marché viennent
concourir à l’œuvre de démoralisation. Je viens d’en citer des exemples. Tout
récemment, il n’y a pas huit jours, ces émissaires de la propagande parisienne
ont fait distribuer à très bas prix et avec profusion la déclaration des droits
de l’homme, non celle du général Lafayette, messieurs, mais celle de
Robespierre, un des héros de ces fanatiques, celle où l’on trouve la loi
agraire et le suffrage universel, celle dont les conséquences firent reculer la
convention elle-même.
J’en tiens un exemplaire publié à
Bruxelles, avec nom d’imprimeur ; il coûte un cents : vous voyez, messieurs, à
qui cela s’adresse. J’ignore si on aura eu le temps de le traduire en flamand
pour l’instruction des ouvriers gantois.
D’autres étrangers fuyant les
poursuites de leur gouvernement, et qui eussent trouvé en Belgique un
inviolable asile s’ils n’avaient manqué de la plus commune prudence,
poursuivaient de leurs sarcasmes d’augustes personnages, déclamaient contre la
monarchie, enseignaient à mépriser comme une duperie le respect pour
l’inviolabilité royale, disaient qu’attaquer le ministère était une tactique
surannée, qu’il fallait laisser là le ministère et viser plus haut.
Pouvions-nous souffrir plus
longtemps, messieurs, sans mettre gravement notre responsabilité, sans manquer
à nos premiers devoirs, que ces apôtres de la propagande, d’origine diverse,
mais réunis dans un but commun, continuassent à répandre au milieu de nous
leurs doctrines empoisonnées, cherchassent à enflammer la convoitise de
l’ouvrier contre le maître, du prolétaire contre le bourgeois, l’industriel, le
fabricant, que la Société des Droits de l’Homme appelle des aristocrates, des
oisifs, des oppresseurs du peuple ?
Vous comprenez, messieurs, que dans
toute occasion la parole vient aider l’œuvre de la plume, et que le
prosélytisme revêt toutes les formes, use de tous les moyens de captation.
Que pourraient des procès de presse
contre de pareilles machinations ? Assurément les parquets de France ne s’en
sont pas fait faute ; qu’y ont-ils gagné ?
Et c’est en présence des dernières scènes
de Paris et de Lyon que nous aurions dû rester impassibles !
Et c’est lorsque des milliers
peut-être d’auxiliaires se préparaient à venir seconder leurs précurseurs,
lorsque déjà de hauts fonctionnaires nous signalaient l’approche d’un grand
nombre de ces prédicants d’anarchie, que nous serions restés spectateurs
indifférents ! Le ministère qui eût craint, dans de telles circonstances,
d’engager sa responsabilité, n’eût mérité que le mépris de tous les bons
citoyens.
On objecte que la république ne rencontre
nulle sympathie chez nous. Peu s’en faut qu’on ne qualifie de rêveurs, de
visionnaires, ceux qui semblent la craindre.
Le grand obstacle, dit-on, c’est la
langue flamande. D’abord l’obstacle n’existe que pour une partie de nos
provinces. Ensuite vous avez vu comment, à l’aide de Belges que leur
inexpérience a rendus les séides de la propagande parisienne, la démagogie sait
traduire ses doctrines dans la langue de l’ouvrier flamand.
Il faut s’entendre, messieurs. Les
anarchistes (car je ne saurais consentir à nommer républicains de pareils
hommes), les anarchistes n’ont, à mon avis, aucune chance actuelle ni prochaine
d’ébranler nos institutions ni notre dynastie nationale. Mais est-ce à dire
qu’un gouvernement doit pousser l’imprévoyance jusqu’à attendre l’imminence du
danger pour se mettre en garde contre lui ?
La première fois qu’on parla de
république à l’assemblée constituante, ce fut, je crois, à l’occasion d’une
pétition. L’ordre du jour fut proposé. Pas une voix ne s’éleva pour le
combattre. Un orateur proposa le renvoi du pétitionnaire à Charenton.
L’assemblée passa à l’ordre du jour au milieu des éclats de rire. Deux ans
après la république était proclamée, et la France se couvrait d’échafauds.
C’est que personne ne se mettait en
garde contre le danger, qu’on regardait avec indifférence, avec complaisance,
l’affaiblissement du pouvoir et le relâchement de toute hiérarchie, de toute
subordination. C’est que l’instinct de l’ordre s’effaçait dans le sentiment
d’une liberté jeune encore, et par cela même inquiète et jalouse. Impuissant,
nous le croyons, pour menacer nos institutions, l’esprit démagogique soufflé
dans nos écoles, dans nos ateliers par les émissaires de la Société des Droits
de l’Homme, parviendrait au moins, si nous n’attaquions le mal dans sa source,
à susciter le trouble, à organiser l’émeute, à créer peu à peu chez nous des
éléments de discorde intérieure et de conflits sanglants. L’énergie suppléerait
aisément au nombre. Si, comme d’ordinaire, les meneurs se cachent à l’approche du
danger, les citoyens, les séides de la propagande déploient en général un
courage, une intrépidité, une abnégation de leur vie, dignes d’une meilleure
cause.
L’immense majorité de la France
repousse aujourd’hui la république. Cela empêche-t-il que le sang des meilleurs
citoyens n’ait coulé à grands flots depuis trois ans, pour repousser un régime
que l’immense majorité de la France a en horreur ?
Il appartient à des hommes d’Etat, â
des législateurs, de ne pas s’exagérer le danger. Mais il y a une faute bien
plus périlleuse à craindre, c’est de se le dissimuler trop.
L’orage, messieurs, ne se forme pas
en un instant. Ce n’est d’abord qu’un point noir à l’horizon. Reposez-vous dans
une imprudente sécurité ; c’est la foudre qui vous en tirera.
Le travail des idées se fait
longtemps inaperçu : ouvrez vos frontières aux émissaires de la propagande,
livrez à leurs captations la jeunesse de vos universités, l’inexpérience
crédule de vos populations manufacturières. Vienne ensuite une disette, une
crise commerciale, quelques agitations politiques, et vous verrez de quels
éléments les fauteurs d’anarchie disposeront. Que l’exemple de Lyon ne soit pas
perdu pour vous ! Deux fois l’émeute n’y fut qu’industrielle, la troisième fois
l’élément industriel fut absorbé par l’élément politique. C’est aux cris de vive la république que les ouvriers de
Lyon, conduits au carnage par des émissaires, des chefs étrangers à leur ville,
viennent de marcher au combat, de massacrer des soldats français, et cette
garde nationale, dans laquelle on leur avait montré les oppresseurs, les
exploitants du peuple.
Le gouvernement sait ce qu’on doit
de respect à l’hospitalité. Il sait que l’hospitalité est dans les mœurs du
Belge, qu’il la considère comme un élément de l’honneur national. Il sait que
ce devoir s’augmente en raison du malheur de celui qui réclame asile. Aussi, à
ses yeux, l’hospitalité sera toujours la règle ; l’expulsion de l’étranger,
toujours l’exception. J’en atteste ces braves Polonais qui figurent si
honorablement dans les rangs de notre armée, les proscrits de diverses
contrées, naguère des Espagnols, aujourd’hui Polonais, des Italiens, accueillis
dans tous les salons de la capitale, au sein de nos familles et dont plusieurs
sont liés avec des membres du gouvernement. Que tous ces honorables réfugiés en
reçoivent l’assurance, la terre de Belgique est une terre aussi inviolable pour
eux que pour le régnicole.
Et tous ces étrangers qui
enrichissent le pays de leur industrie, qui l’honorent de leurs talents, qui
l’éclairent de leurs lumières, qu’ils dorment en paix sur le sol belge : nul
n’aura jamais la puissance de les y inquiéter.
Je puis le dire, j’ai vu de ces
étrangers, de ces proscrits, dont quelques-uns m’honorent de leur amitié ; j’en
ai vu qui avaient le cœur ulcéré, la rougeur au front, en voyant l’indigne abus
que plusieurs de leurs compatriotes faisaient de notre généreuse hospitalité.
J’en ai vu saisis d’indignation à l’aspect de ces outrages prodigués par
quelques-uns au chef du gouvernement qui leur donnait asile, à l’aspect de ces
hommes coupables qui paient la dette de l’exilé par des provocations à la
guerre civile, au renversement de nos institutions.
La république française ne se
bornait pas à frapper d’exclusion l’étranger qui venait attaquer ses principes.
Je doute que ses continuateurs fussent moins implacables, car des hommes qui en
sont encore à Robespierre ne peuvent en vérité se dire en progrès.
L’hospitalité, messieurs, est un
contrat bilatéral. En regard du droit figure le devoir. Celui qui méconnaît, qui
foule aux pieds le devoir, n’est plus apte à invoquer le droit : il a déchiré
le contrat de ses propres mains.
Si vous entendez autrement
l’hospitalité, j’ose dire que vous répudiez les maximes des publicistes les
plus éclairés comme les plus généreux, que vous violez les lois de la plus
vulgaire prudence, que vous finirez par chasser tous les étrangers honorables
de votre pays ; ils le fuiront comme le réceptacle de la lie des autres
peuples, comme la sentine de l’Europe.
Quiconque a conspiré contre son
gouvernement, fût-ce pour conquérir des institutions, fût-ce même pour
recouvrer une nationalité toujours chère, n’a point acquis par là le droit de
payer l’hospitalité en provocations anarchiques, en brandons de discorde et de
guerre civile. Le droit des gens n’admet pas ces immunités impies. Quant à
nous, messieurs, nous le déclarons ici formellement, jamais nous ne les
reconnaîtrons. L’adhésion que cette mesure d’ordre public a rencontrée dans
presque toutes les classes de la capitale et dans le reste du pays nous aurait
raffermis dans nos résolutions si nous avions pu hésiter un moment.
Je me réserve de revenir sur la
légalité de nos mesures, toutes prises en conseil des ministres et à
l’unanimité. Je me flatte d’établir qu’elles sont aussi fondées en droit
qu’équitables, qu’impérieuses en fait. Je dépose ici, en égard aux
circonstances et sans consentir à poser un antécédent, la liste des étrangers
compris dans les arrêtés d’expulsion. Les chambres verront si en principe nous
avons abusé de notre droit, si dans l’application nous avons manqué aux lois de
l’humanité.
« Liste des étrangers auxquels
il est enjoint de quitter le royaume en vertu de l’article 7 de la loi du 28
vendémiaire an VI.
« (Successivement : nom et
prénom, nationalité, demeure, et date de l’arrêté royal)
« Charles Froment, Français,
Gand, 12 avril 1834.
« J. Manuel de la Boissière,
Français, Bruxelles, 12 avril 1834.
« Charles de Culhat, Français, Bruxelles, 12 avril 1834.
« Edain
dit de Tournay, Français, Bruxelles, 12 avril 1834.
« Jean-Fortuné Dobelin, Français, Liége, 12 avril 1834.
« Castillon, Français,
Bruxelles, 12 avril 1834.
« Bellet,
Français, Bruxelles, 13 avril 1834. (Exécution suspendue eu égard aux
explications et garanties fournies par le sieur Bellet).
« Louis de Béthune, Français,
Bruxelles, 13 avril 1834. (Exécution suspendue, le sieur de Béthune est alité.)
« Ant-.Claude-Gab. Jobert, Français, Bruxelles, 13 avril 1834.
« Joachim Lelewel.
Polonais, Bruxelles, 13 avril 1834. (Exécution suspendue, le sieur Lelewel étant en ce moment occupé à rassembler les
matériaux d’un ouvrage scientifique).
« Stanislas Worcel,
Polonais, Bruxelles, 13 avril 1834.
« Casimir-Alex. Pulawsky, Polonais, Bruxelles, 13 avril 1834.
« Renaud, Suisse, Bruxelles, 13
avril 1834.
« Dandurand,
Français, Bruxelles, 13 avril 1834.
« Baril, Français, Bruxelles,
13 avril 1834. (Exécution suspendue en considération de l’état de sa femme
dangereusement malade).
« Dugard,
Français, Bruxelles, 13 avril 1834.
« Wolfrum,
Polonais, Bruxelles, 13 avril 1834.
« Etienne Cabet, Français,
Bruxelles, 14 avril 1834.
« Libert-Batave
Cramer, Hollandais, Anvers, 17 avril 1834.
« Félix Van Reuth,
Hollandais, Anvers, 17 avril 1834.
« Vanden Ouweland,
Hollandais, Anvers, 17 avril 1834.
« Jacques Levoir,
Hollandais, Anvers, 17 avril 1834.
« Joseph Vitalevi,
Italien, Bruxelles, 17 avril 1834.
« Guillaume Oldi,
Italien, Bruxelles, 17 avril 1834. (Exécution suspendue en suite d’explications
et de garanties fournies par le sieur Oldi).
« Emile Labrousse, Français, Bruxelles,
17 avril 1834.
« Bruxelles, le 22 avril 1834.
« Le
secrétaire-général du ministère de la justice, J. Vinchent. »
FIXATION
DE L’ORDRE DU JOUR (RAPPORTS RELATIFS AUX TROUBLES DE BRUXELLES ET AUX
EXPULSIONS D’ETRANGERS)
M. le ministre de la justice (M. Lebeau), continuant. - Messieurs, nous
avons également un devoir à remplir devant une autre branche du pouvoir
législatif en ce moment assemblée ; si la chambre voulait le permettre, nous
nous rendrions au sénat, et nous la prierions de vouloir remettre la séance à
demain. (Adhésion).
M. de Robaulx. - Je demande que l’on mette à
l’ordre du jour de demain la discussion des deux rapports faits à l’assemblée.
M. le ministre de la
justice (M. Lebeau) - Ils ne sont pas imprimés.
M. de Brouckere. - Imprimés on non, la chambre a
été assez attentive pour les saisir et les discuter sur-le-champ ; pour moi je suis
prêt. Pourtant on peut renvoyer la discussion à après-demain.
M. Trentesaux. - J’appuierai la proposition de M. de
Brouckere, et je demanderai en même temps que le ministre donne les motifs
particuliers de chaque expulsion qui a été faite.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Les mesures d’ordre public
adoptées par le gouvernement sont entièrement du ressort du pouvoir qui est
plus spécialement appelé à veiller à la sûreté du royaume, tant à l’intérieur
qu’à l’extérieur. J’ai peut-être été au-delà de mes devoirs en appuyant mon
rapport par le dépôt d’une liste que j’aurais pu me contenter de faire publier
dans les journaux. Je crois qu’il serait sans exemple que
le gouvernement vînt discuter minutieusement la biographie de tous les
étrangers auxquels la mesure dont je viens d’entretenir la chambre a été
appliquée, c’est à la chambre à voir, par l’indication des individus frappés,
si le gouvernement a agi d’après un système qui mérite son approbation. La
question que nous avons spécialement à discuter, devant laquelle nous ne
reculerons pas, c’est la question de notre droit, c’est la question de légalité
: à celle-là nous donnerons tous les développements que la matière comporte ;
mais nous refusons formellement d’entrer dans des détails précis et individuels
: cela est sans exemple en Angleterre et en France, et nous ne voulons pas
laisser établir un antécédent qui porterait atteinte aux attributions du
gouvernement.
M. Pirson. - La proposition de M. de Brouckere, ou la
demande de la discussion des rapports demain ou après-demain, me paraît devoir
être adoptée. Je demanderai cependant que la discussion commence après-demain,
quoique je sois prêt à la commencer actuellement. Je n’ai pas besoin d’enquête,
ni d’autres pièces que celles qu’on nous présente pour décider la question ; et
ceci doit vous faire pressentir quelle est mon opinion sur la légalité des
mesures prises par le ministère. Il est possible que nous n’ayons pas besoin
aujourd’hui d’insister sur la demande faite par M. Trentesaux ; c’est de la
discussion qui va naître que résultera le besoin d’avoir les motifs des
expulsions individuelles, et la chambre fera connaître ce besoin. Toute
discussion sur la communication des motifs de chaque expulsion serait
prématurée ; elle pourrait d’ailleurs produire quelque irritation que nous
devons éviter, surtout en ce moment. Nous devons tous
examiner scrupuleusement, attentivement et avec modération, les faits et la
conduite du ministère. C’est de cette manière que le public attend de nous
bonne justice. Si on eût agi avec prudence et discernement avant les
expulsions, on eût prévenu les désordres et l’on n’aurait pas eu à les réprimer
et à les déplorer.
Je demande que l’on passe à l’ordre
du jour sur la demande du dépôt des motifs des expulsions, et j’appuie la
proposition de commencer la discussion après-demain.
M. Trentesaux. - Lorsque j’ai fait au gouvernement la
demande du dépôt des motifs de chaque expulsion, je n’ai pas demandé la
biographie de chaque personne frappée ; j’ai demandé purement et simplement
l’indication des motifs principaux.
Le gouvernement se retranche dans
son droit. C’est bien ; nous examinerons ce droit : mais il y a ici autre chose
que le droit ; il y a le fait, et il faut distinguer l’un de l’autre. La
chambre est appelée à porter un jugement ; et pour porter un jugement, il faut
qu’elle connaisse non seulement les actes des ministres, mais encore les motifs
sur lesquels on a basé ces actes : nous n’exigeons pas qu’on nous expose
minutieusement ces motifs ; mais nous avons besoin de connaître les motifs
généraux concernant chaque individu. Il y a loin de là à une biographie.
M. le ministre de la
justice (M. Lebeau) - Messieurs, s’il s’agit de motifs généraux concernant les mesures
public adoptées par te gouvernement, je crois que j’en ai déjà exposé la plus
grande partie. Si, dans le cours de la discussion à laquelle vous allez vous
livrer, sans descendre à des détails purement biographiques, la chambre
désirait connaître plus particulièrement les motifs qui ont déterminé le
gouvernement, je ne me refuserai pas à donner ces explications : je ne crois
pas avoir jusqu’ici montré un manque d’égard envers la chambre ; mais je dois
concilier avec les égards et le respect que je professe pour son autorité,
l’indépendance du pouvoir dont j’ai l’honneur d’être un des organes. Vous
assisterez à cette discussion avec toute l’attention et le recueillement
qu’elle comporte ; vous entendrez les réponses des ministres, et vous
prononcerez. Toute discussion serait prématurée sur la demande de l’honorable
M. Trentesaux, et j’appuie la proposition de fixer la discussion à demain ou
après-demain.
M. A. Rodenbach. - Le ministre de la justice refuse
formellement de donner communication officielle des biographies des personnes
expulsées ; je pense qu’il a parfaitement raison ; il n’y a pas d’exemples en
Europe qu’on ait demandé de semblables biographies quand il s’agissait de
proscrire des hommes ; mais je demanderai au ministre s’il ne peut pas nous
faire des communications officieuses sur les hommes expulsés, car nous devons
savoir quels sont ces hommes, si ce sont des libellistes ou simplement des
hommes égarés.
M. Dumortier. - Deux motions ont été faites, l’une de M de
Brouckere tendant à fixer la discussion à demain ou après-demain, la seconde de
M. Trentesaux tendant à connaître les motifs des expulsions opérées par le
ministère : je demande, relativement à la première que la discussion soit fixée
à demain. Rien n’est plus facile que d’avoir demain matin, dans le Moniteur, les deux rapports que vous
venez d’entendre, et je parle ici comme questeur.
Plusieurs des documents qui
accompagnent le premier rapport ont été imprimés dans les journaux, et le reste
pourra facilement être imprimé dans le Moniteur.
Vous en serez convaincus si vous faites attention que des débats très longs
sont publiés du jour au lendemain quoiqu’on ait encore à les rédiger, tandis
qu’ici vous n’avez que deux discours, étendus à la vérité, mais écrits. Le
temps est précieux et il ne faut pas le faire perdre à la législature.
Quant à la proposition de
l’honorable M. Trentesaux, je la trouve aussi juste que fondée. L’honorable M.
A. Rodenbach demande une communication officieuse ; je ne sais pas ce que sont
de pareilles communications en présence d’événements aussi graves que ceux qui
viennent de se passer. Il nous faut une communication officielle des faits sur
lesquels les expulsions sont appuyées. Je ne me prononce pas sur les expulsions
; plusieurs ont reçu l’approbation du pays mais il en est d’autres qui ont été
l’objet des plus vives contestations.
Le ministre de la justice, tout en
reconnaissant les devoirs qu’il a à remplir envers la représentation nationale,
dit qu’il doit aussi maintenir l’indépendance du pouvoir exécutif ; mais si
vous voulez maintenir l’indépendance du pouvoir exécutif, pourquoi venez-vous
nous présenter une liste de personnes expulsées ? Vous compromettez par là le
pouvoir exécutif ; car vous vous constituer vous-mêmes les juges de vos actes.
J’aurais préféré que le ministère demandât un bill d’indemnité ; cette mesure
m’eût semblé plus légale. Vous demandez un jugement sur vos actes…
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) donne des marques d’adhésion.
M. Dumortier. … et M. le ministre fait un signe affirmatif
; mais comment pouvons-nous savoir si, dans plusieurs cas, des vengeances
privées n’ont pas été mises à la place des intérêts du pays ? Pour le savoir,
il faut connaître les faits qui ont motivé les expulsions de 15 ou 20
individus. Je demande donc que le ministre soit invité à déposer sommairement
sur le bureau l’exposé des faits relatifs à chaque expulsion ; un jugement est
impossible à rendre sans les faits.
Relativement à la question de
légalité, M. le ministre de la justice nous a dit qu’il était prêt à la
soutenir dans le cas où on attaquerait la légalité des actes du gouvernement :
pour moi je ne puis qu’engager le ministre, dans l’intérêt de la discussion, et
dans celui du gouvernement, à déposer sur le bureau les arguments qui militent
en faveur de la légalité des mesures ministérielles.
Le ministre
dit : « Si la légalité de nos actes est contestée, nous nous empresserons d’en
démontrer la justice.» Eh bien, cette légalité a été contestée par un tribunal
; il a refuse l’exécution de vos actes. D’après vos paroles vous voyez qu’il
est convenable que vous déposiez sur le bureau de la chambre les raisons sur
lesquelles vous vous fondez pour croire que les lois dont vous avez fait usage
sont en vigueur. Il faut que la chambre sache si elle peut, oui ou non, donner
un bill d’indemnité.
M. Jullien. - Tout ce qui peut être en discussion
maintenant, pour ne pas anticiper sur ce
que nous aurons à examiner plus tard, ce sont les propositions des honorables
préopinants.
On demande s’il
convient de remettre à demain ou après-demain la discussion des rapports faits
par les ministres : je crois qu’il y aurait précipitation à renvoyer la
discussion à demain : il y a une multitude de faits énoncés dans le rapport du
ministre de l’intérieur et qui pourront peut-être se trouver contesté par la
presse ; il faut que la chambre s’éclaire sur la véracité de ces allégations.
Au reste, quand on parviendrait à imprimer dans le Moniteur deux rapports assez longs, il faut que nous ayons le temps
de les lire avant de venir en séance.
Une autre proposition a été faite
par l’honorable M. Trentesaux. M. le ministre de la justice s’est borné à
déclarer qu’il a déposé sur le bureau, la liste des étrangers expulsés du
territoire belge. Mais cela ne suffit pas. Il faut, comme l’a demande M.
Trentesaux, qu’il détaille les motifs particuliers qui ont déterminé
l’expulsion de chaque individu. A cela l’on a répondu que cette énonciation de
motifs rentrait dans la discussion générale. Je crois que les préopinants ont
parfaitement raison de demander que l’on explique sommairement les motifs
d’expulsion pour pouvoir asseoir un jugement sur ces actes du ministère. Nous
ne voulons pas, comme on l’a dit, des notices biographiques sur les antécédents
de chaque individu ; nous désirons savoir ce qu’il a fait dans le pays, afin de
connaître s’il n’a pas été victime de conjectures, de calomnies. Je demande que
le ministère nous dise pourquoi il a interdit l’habitation de notre pays à un
savant, tandis qu’il la conserve à d’autres étrangers qui mériteraient
peut-être d’être compris dans cette mesure qu’il n’a prise qu’à l’égard de
quelques-uns. Cette demande de M. Trentesaux trouvera son principe dans la loi
même de vendémiaire dont le gouvernement a fait usage. Cette loi n’est pas
aussi arbitraire qu’on a voulu la rendre. Elle conserve au moins une espèce de
pudeur dans l’expulsion des étrangers. Le texte de la loi porte : (L’orateur lit le texte de cette loi.)
Ainsi, même en faisant usage de
cette loi, il faut que vous puissiez juger, que vous puissiez décider si les
motifs qui ont amené l’expulsion d’un certain nombre d’étrangers, prouvent que
leur présence pouvait troubler l’ordre et la tranquillité de l’Etat. Je ne
demande pas que l’on nous produise des jugements, je demande seulement que le
ministère qui a dû prendre des décisions, qui a dû porter des jugements, nous
indique les motifs qui l’ont déterminé à prendre ces mesures. Ainsi, qu’il
ajoute les motifs de ses décisions. Pour nous, il nous est impossible
d’apprécier la justice de ces expulsions, parce que nous ne saurons jamais si
les victimes se trouvent enveloppées dans la même cause de persécution. Cette
énonciation de motifs qui ont guidé le gouvernement dans l’expulsion des
étrangers est d’autant plus nécessaire que la légalité en a déjà été contestée.
Il existe un jugement qui décide que cette mesure est illégale.
Quelques membres. - Ce n’est pas un jugement, c’est un ordre en
référé du président du tribunal d’Anvers.
M. Jullien. - Il est possible que je me trompe. Au
surplus, cela ne détruirait pas mon raisonnement. J’ai dit que c’était un
jugement, on me répond que c’est un ordre en référé. Toujours est-il qu’une
pareille décision doit être respectée parce que dans une pareille matière,
lorsque le tribunal n’a pas le temps de prendre une décision urgente il délègue
son pouvoir à son président qui le représente tout entier.
C’est lorsque nous discuterons la
légalité de la loi de vendémiaire que nous examinerons si elle existe oui ou
non. L’acte de l’autorité judiciaire est isolé, il peut être détruit par une
cour supérieure. Il faut donc que nous nous en occupions nous-mêmes et que nous
fixions l’époque de la discussion. Je crois que l’on doit avant tout hâter
l’époque de la séance et s’abstenir de se prononcer jusque-là.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il nous est indifférent que l’on
fixe le jour de la discussion à demain ou après-demain. Nous nous en rapportons
là-dessus à la sagesse de la chambre. L’on a dit, messieurs, que la légalité de
la mesure prise par le ministère à l’égard de quelques étrangers ayant été
contestée par un tribunal, le gouvernement devait faire connaître les motifs
qui l’ont porté à la prendre. Pour que nous consentions à donner ces
explications, il faut que la légalité de nos actes ait été contestée dans les
chambres ; c’est à elle, c’est devant la cour de cassation, si nous y étions
appelés, que nous répondrions. Mais nous n’avons pas dû reculer devant
l’ordonnance d’un président de tribunal. Son opposition n’est à nos yeux qu’un
acte sans valeur qui ne pouvait arrêter les mesures de sûreté publique de la
nécessite desquelles le gouvernement était le seul appréciateur. Ainsi la
légalité de nos actes ne pourra être et ne sera
régulièrement contestée que dans cette chambre. Alors nous donnerons toutes les
explications que la matière comporte. Quant à la motion par laquelle on insiste
sur l’énonciation des motifs allégués contre chacun des étrangers expulsés, si
elle est renouvelée, nous y répondrons ; nous la combattrons. Mais nous ne nous
renfermerons pas dans un silence absolu ; nous ne dirions pas uniquement que
c’est notre droit. Nous savons bien que la chambre doit encore apprécier en général
la conduite du gouvernement : cet examen est la base de sa confiance et de ses
votes. Elle verra, nous l’espérons, qu’il a su concilier sa conduite avec les
principes de la légalité. Du reste, je le répète, je me rallie à la motion
faite par M. Jullien d’ajourner la discussion à après-demain.
M. Pirson. - J’ai fort peu de chose à répondre. Du
reste, je ne tiens pas à ce que mon opinion soit partagée par la chambre. Quant
à moi, elle est déjà formée d’avance. Il peut y avoir eu de l’arbitraire dans
l’application de la loi de vendémiaire. La question de légalité est une
question qu’il faut avant tout décider. Il est à désirer que vous vous occupiez
tout de suite des actes d’expulsion en particulier.
Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition de
M. de Brouckere, ensuite celle de M. Trentesaux.
M. Trentesaux. - Je consens à ce que la décision
à prendre sur ma proposition soit suspendue, puisque l’on paraît le désirer, me
réservant de la reproduire lorsque l’on traitera la question de légalité.
M. le président. - Il ne s’agit plus maintenant que de fixer
le jour de la discussion des rapports présentés par MM. les ministres de
l’intérieur et de la justice.
M. de Robaulx. - Je ne conçois pas que l’on puisse ne pas
vouloir cumuler les deux questions, que l’on veuille absolument les traiter
séparément. Si vous en agissez ainsi vous n’en sortirez pas. Il faudrait la
question préalable sur la première. Je reconnais qu’elle rendrait inutile la
seconde ; il me semble que l’on ne peut les diviser, parce que la décision que
l’on prendrait à l’égard de l’une aurait une grande influence sur l’autre. Je
crois que ce que nous avons à faire, c’est, lorsqu’il s’agira de discuter la
légalité de la loi de vendémiaire, de demander les motifs particuliers
d’expulsion et de réunir ainsi la proposition de M Trentesaux à la discussion générale.
Il faudra que cette proposition soit adoptée. Nous ne pouvons juger sans
connaissance de cause. Quand un grand procès est pendant, il faut que les juges
en aient toutes les pièces sous les yeux.
M. le président. - Il s’agit de fixer le jour de la
discussion. Je vais d’abord mettre aux voix la question de savoir si elle aura
lieu demain.
- Cette proposition est rejetée.
La chambre décide que la discussion
sur les rapports présentés par les ministres de la justice et de l’intérieur
aura lieu après-demain.
La séance est levée à 5 heures.