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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 11 décembre 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétitions relatives aux inondations de la Meuse (de
Tornaco), à la construction d’une route entre Hannut et Landen (Eloy de Burdinne), à la crise de la pomme de terre à Jalhay (Lys) et à la libre entrée des céréales (Lys)
2) Projet de loi autorisant
le gouvernement à distraire du crédit de 2 millions de francs pour mesures relatives
aux subsistances, inscrits au budget du département de l’intérieur pour 1845,
500,000 de francs pour le perfectionnement de l’industrie linière, les défrichements,
les irrigations et la colonisation de la Campine. Proposition d’ajournement (Orban, Huveners, de
Theux, Lys, A. Dubus, Vandensteen, d’Hoffschmidt,
Orban, Dubus (aîné), Simons, de Garcia, de Brouckere, de Theux, Orban, de Theux, Lys,
de Theux, Lys, de
Tornaco, de Theux, Dubus (aîné))
3) Motion d’ordre relative à
une accusation officielle de spéculation sur les denrées alimentaires par le commerce
d’Anvers (Osy, de Theux, Desmaisières, Osy, Lesoinne, Loos, Rogier,
de Theux, Verhaegen, de Theux, de Saegher, d’Elhoungne, de Saegher, Malou, de Saegher, d’Elhoungne, Dumortier, de Theux, Loos)
4) Projet de loi autorisant
le gouvernement à distraire du crédit de 2 millions de francs pour mesures relatives
aux subsistances, inscrits au budget du département de l’intérieur pour 1845,
500,000 de francs pour le perfectionnement de l’industrie linière, les
défrichements, les irrigations et la colonisation de la Campine. Reprise de la
discussion générale (Rogier), situation sociale dans les
Flandres (Kervyn), situation sociale dans les Flandres, domicile
de secours, dépôts de mendicité, industrie linière (de
Saegher), (Delehaye, Rogier)
(Annales parlementaires
de la Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 257)
M. Van Cutsem
fait l’appel nominal à 1 heure et un quart.
- La séance est ouverte.
M. A. Dubus lit le procès-verbal
de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Van Cutsem présente l’analyse
des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Plusieurs ouvriers tailleurs, à Bruxelles, demandent
des mesures de protection contre
la concurrence qui leur est faite par les détenus dans les prisons et dans le
dépôt de mendicité de la Cambre. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget
de la justice.
« Plusieurs habitants
de Chênée et des environs réclament l’intervention de la chambre, pont obtenir
la dérivation de la Meuse. »
M. de Tornaco.
- J’ai l’honneur de proposer le renvoi de cette pétition à la section centrale,
chargée de l’examen du budget des travaux publics.
Je me permets en même temps de recommander cette pétition
à l’attention la plus soutenue de la section centrale, eu égard à l’objet
important qui y est traité.
- La pétition
est renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du budget des travaux publics.
_________________
« Plusieurs habitants des communes de Braine-le-Château
et d’Ittre présentent des observations contre la demande tendant à réunir en un
seul les deux cantons de la justice de paix de Nivelles. »
- Renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.
« Les membres du bureau de bienfaisance
et du conseil communal de Landen demandent la mise en adjudication de la construction
de la route pavée d’Hannut à Landen. »
- Sur la proposition de M. Eloy de Burdinne, renvoi à la commission des pétitions, avec
demande d’un prompt rapport.
« Les sieurs
Jadot et Ramonfosse, président
et secrétaire de la société agricole et forestière, réclament l’intervention de
la chambre pour qu’il soit accordé aux, habitants de Jalhay une remise d’une
année de fermage des foins aigres provenant des bois et fanges qui leur ont été
loués par le gouvernement. »
M. Lys. - La commune populeuse de Jalhay est dans le malheur
depuis 1845, La plus grande partie de la culture de cette commune est en pommes
de terre ; or les pommes de terre ont manqué en 1845. Cependant cette année-là n’a
pas été complétement calamiteuse, parce qu’il y a eu une récolte de seigle et
d’avoine. Mais en 1846, le désastre a été complet ; les pommes de terre ont pourri
; elles ont été absolument gâtées et il n’y a eu qu’un quart de récolte en
seigle et une demi-récolte en avoine. Je demande le dépôt de cette pétition sur
le bureau pendant la discussion de la loi à l’ordre du jour. J’espère que le
gouvernement aura égard à la situation de cette commune.
- La chambre ordonne le dépôt de la pétition sur le
bureau pendant la discussion du projet de loi à l’ordre du jour.
« Le conseil
communal de Verviers demande une loi qui rende permanente la libre entrée des
céréales. »
M. Lys. – Depuis longtemps,
la loi de 1834 est reconnue défectueuse ; je crois que la liberté générale des
céréales sera un acheminement indispensable à la liberté générale du commerce.
J’appuie fortement cette pétition, dont je demande le renvoi à la commission
permanente d’industrie.
- Ce renvoi est prononcé.
_________________
« Le sieur
de Bosman, juge de paix du canton de Looz, présente des observations concernant
le projet de distraire les communes d’Aeken et de Rommershoven du canton de
Looz. »
- Renvoi au ministre de la justice.
_________________
M. Veydt demande
un congé de quelques jours pour motifs de santé.
- Ce congé est accordé.
Projet de loi autorisant le gouvernement A distraire
du crEdit de 2 millions de francs pour mesures relatives aux subsistances,
inscrits au budget du dEpartement de l’intErieur pour 1846, 500,000 de francs
pour le perfectionnement de l’industrie liniEre, les dEfrichements, les
irrigations et la colonisation de la Campine
Proposition d’ajournement
M. le président. - M. Orban a déposé
la proposition suivante :
« J’ai
l’honneur de proposer à la chambre de distraire du crédit de deux millions
demandé pour mesures relatives aux subsistances, la somme de 500,000 fr. destinée à faciliter les défrichements,
les irrigations et la colonisation, et de rattacher l’examen de ce dernier
crédit à la loi sur le défrichement des terrains incultes, dont la chambre est
également saisie. »
M.
Orban. - Messieurs, la chambre est en
ce moment saisie de deux projets de loi qui présentent une certaine
connexité : c’est le projet de loi destiné à fournir au département de l’intérieur des crédits relatifs aux mesures à prendre pour les subsistances, et
le projet de loi sur le défrichement des terrains incultes et des bruyères.
Le crédit demandé pour subsistances renferme
en même temps une somme de 500,000 fr. destinée à servir de voies et moyens au projet de loi relatif à
l’irrigation et à la colonisation de la Campine.
Dans une séance précédente, on a demandé
que la commission chargée d’examiner le projet de loi sur les subsistances
voulût bien faire un prompt rapport,
à cause de la nature urgente des besoins auxquels il s’agit de satisfaire. Ce
rapport vous a été distribué hier soir, et la discussion a lieu aujourd’hui.
Il est évident, messieurs, que la question
des défrichements se rattache tout entière à la disposition de la loi sur les
subsistances, qui consacre une somme de 500,000 fr. aux travaux à exécuter dans
la Campine. Or, messieurs, si vous votez maintenant ce crédit avant l’examen de
la loi sur les défrichements, vous admettez la conséquence avant d’avoir admis
le principe. Vous décréteriez l’exécution avant de vous être prononcés sur la
mesure elle-même. Une pareille marche est irrationnelle et ne peut être suivie.
D’un autre côté, l’on doit reconnaître
que les motifs d’urgence qui s’appliquent à la loi des subsistances ne sont en
aucune manière applicables à la loi sur les défrichements. La loi sur les
subsistances est une loi du moment, nécessitée par des besoins actuels et
impérieux. La loi sur les défrichements, au contraire, est une loi d’avenir dont
les conséquences doivent se développer successivement, dont le but n’est pas
d’apporter un allégement immédiat aux souffrances résultant du haut prix des
subsistances.
Aucune loi ne comporte moins la précipitation
que l’on voudrait y apporter que celle qui vous est soumise sur les
défrichements.
Cette question est une des plus graves
et les plus importantes qui aient été soumises à la chambre et au pays depuis
longtemps. Tous les conseils provinciaux, toutes les administrations ont été
consultés, ils ont été appelés à en faire l’objet de leurs méditations. Les corps
savants ont mis cette question
au concours ; elle a fait l’objet des investigations les plus étendues. Et l’on
vous proposerait de voter une loi qui exige l’examen de tant de renseignements,
sans suivre même la marche habituelle et sans la garantie d’un rapport spécial
et suffisamment élaboré ; car l’honorable rapporteur de la loi sur les
subsistances n’a pas lui-même la prétention d’avoir fait un rapport sur les
défrichements dans les dix lignes qu’il a consacrées à cet objet dans son
travail.
Un des hommes les plus distingués du pays,
avec lequel je m’entretenais hier, me disait que s’il avait l’honneur d’être
chargé du rapport sur la loi des défrichements, il croirait devoir consacrer au
moins un moïs à remplir cette tâche importante.
Non seulement nous n’avons pas de rapport,
mais le projet présenté par M. le ministre de l’intérieur manque lui-même des
développements les plus essentiels et les plus indispensables.
La somme de
cinq cent mille francs seulement est consacrée, jusqu’à concurrence de 150
mille francs, selon la demande de M. Kummer, aux irrigations ; le surplus est
destiné à un système de colonisation, à l’érection d’un village avec église,
presbytère, etc. ;la plus grande partie est donc destinée à un objet dont il est à peine dit un
mot dans l’exposé des motifs du projet de loi.
Ainsi, la partie la plus importante du
projet manque absolument de développements ; elle n’est pas en état d’être discutée
par la chambre, à moins qu’on
ne soit d’avis de supprimer la discussion, une discussion consciencieuse et
éclairée.
Evidemment, messieurs, la chambre doit prononcer l’ajournement que je lui
propose.
M. Huveners. - Messieurs, différents crédits nous
sont demandés par le projet en discussion ; ils ont tous pour but principal de donner
du travail à la classe nécessiteuse. Quoi qu’en dise l’honorable M. Orban, la loi qui est actuellement en discussion, n’a
aucun rapport avec la loi sur les défrichements.
Dans l’article 3, le gouvernement ne pouvant
négliger aucune partie du pays, destine à la Campine une somme de 500,000 fr.
pour venir au secours de la classe indigente, en donnant du travail dans les
circonstances malheureuses où nous nous trouvons.
Messieurs, la misère, je dois le dire,
est, cette année, plus grande dans la Campine qu’elle ne l’était l’année précédente
; l’unique récolte d’une partie du pays, la récolte du seigle a généralement
manqué. Eh bien, messieurs, si par impossible le crédit demandé pour les
irrigations (page 258) n’est pas
accordé, qu’arrivera-t-il ? Au lieu d’avoir du travail dans la Campine, au
moyen des 500,000 fr., lesquels sans exagération en donneraient pour une somme
double et triple, la Campine devra se rejeter sur les autres crédits votés par
la législature, en privant ainsi les malheureux des autres provinces d’une
partie des secours que le gouvernement leur destine. Il faudra prendre une
partie des fonds qui sont spécialement affectés aux mesures relatives aux
subsistances, pour venir au secours des pauvres de la Campine ; car enfin les
pauvres de la Campine doivent être secourus, ils ont autant de droits que ceux
des autres parties du pays à la commisération publique.
L’honorable M. Orban dit que la question
des irrigations et des défrichements n’est pas étudiée et qu’il faudrait un
mois pour faire un rapport sur cette question. Mais je suis d’autant plus
étonné de voir l’honorable M. Orban demander le renvoi du crédit de 500,000
francs à la loi sur le défrichement, que dans la section dont je faisais
partie, l’honorable membre a combattu de toutes ses forces ce projet de loi. Sa
proposition tend donc à priver la Campine de toute ressource.
Quoi qu’en dise l’honorable membre, la
question des irrigations est résolue. Elle
ne peut plus être combattue. Les résultats sont par trop évidents. Nous avons
le rapport d’un des hommes les plus compétents...
M. le président. – Veuillez-vous renfermer dans la discussion
de la question d’ajournement ; sans cela la chambre pourrait être entrainée
dans une longue discussion sur la question des défrichements.
M. Huveners. - M. le président, je voulais entrer
dans quelques considérations pour prouver que, quant aux irrigations, nous n’avons
pas besoin d’un rapport spécial ni d’une étude particulière. J’ai dit que la
question des irrigations est résolue ; nous avons les rapports des hommes les
plus compétents, nous connaissons les brillants résultats des ventes de
bruyères préparées à l’irrigation ; en outre il existe un grand nombre de demandes
tant des communes que de différents particuliers : ceux-ci demandent
l’autorisation d’irriguer un millier d’hectares par l’industrie privée, les
autres mettent à la disposition du gouvernement un plus grand nombre encore de
bruyères, pour y faire des travaux préparatoires, en s’engageant à rembourser
au gouvernement le montant des dépenses qu’il aura faites.
Messieurs, je pense que ces faits parlent
beaucoup plus haut que toutes les les théories qu’on a débitées depuis des
siècles sur cette grande question de défrichement.
Je pourrais entrer dans d’autres
considérations, qui auraient surtout pour objet de faire ressortir l’intérêt
qui s’attache à cette question, au point de vue de la généralité, mais je crois
devoir m’en dispenser pour le moment ; d’ailleurs vous êtes en possession des
différents rapports sur la matière, où la question est lumineusement traitée.
Je me résume ;
je dis que dans la Campine la misère sera plus grande que l’année passée ; que
le gouvernement doit venir à son secours ; que le crédit proposé ne doit pas
seulement être utile aux habitants de la Campine, mais doit encore profiter aux
habitants des autres parties du royaume ; car, l’année dernière, une grande
partie des ouvriers employés aux travaux de la Campine, appartenaient aux
Flandres ; ils ont même retiré les plus grands bénéfices à cause de leur
aptitude spéciale pour ces sortes de travaux ; je dis en outre que la
généralité profitera également du travail qu’il s’agit d’exécuter, car en
livrant à la culture les terrains incultes qui se trouvent dans la Campine, on
augmente la richesse du pays, et il y aura là une source de revenus de plus
pour le trésor public ; je fais observer, en dernier lieu, qu’il ne s’agit ici
que de faire une avance de fonds qui rentreront dans les caisses de l’Etat,
après qu’on aura fait exécuter des travaux pour des sommes beaucoup plus
considérables.
Je m’oppose donc de toutes mes forces
à la motion de l’honorable M. Orban.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je
ferai remarquer à la chambre que la motion de disjonction, faite par l’honorable
M. Orban est prématurée,
qu’elle ne peut pas recevoir une solution immédiate. Messieurs, le projet de
loi doit être discuté, et ce n’est qu’après la discussion que la chambre, si
elle n’est pas suffisamment éclairée sur l’une ou l’autre partie du projet,
peut en prononcer la disjonction ou l’ajournement. Je demande donc que, conformément
au règlement, la discussion s’établisse sur le projet ; quand on sera arrivé au
n°3 de l’article premier, la chambre sera seulement à même, après la
discussion, de statuer sur la motion de disjonction.
Maintenant je dois cependant en peu de
mots dissiper le préjugé qu’a voulu faire naître l’honorable M. Orban. Comme député
du Luxembourg, il a épousé les appréhensions que le conseil provincial a montrées,
au sujet de la vente forcée des terrains communaux de cette province. Il a cru
que le vote du crédit de 500,000 fr. renfermait implicitement l’adoption du
projet de loi sur les défrichements ; mais il n’en est rien : ces deux
objets sont parfaitement distincts, c’est-à-dire que quand même la chambre
rejetterait la proposition du gouvernement, tendant à contraindre les communes
à l’aliénation des terrains incultes, l’application du crédit de 500,000 fr.
pourrait être encore faite de la manière la plus utile.
En effet, ce crédit est principalement
destiné aux irrigations dans la Campine. J’ai fait remarquer qu’un très grand
nombre de terrains sont déjà mis à la disposition du gouvernement pour les
préparer à l’irrigation ; que, d’autre part, il y a quelques communes qui
hésitent encore ; qu’il est nécessaire dès lors que le gouvernement soit armé
du moyen d’expropriation, pour que les travaux d’irrigation soient faits avec
ensemble. Voilà donc une destination naturelle.
Déjà la chambre est saisie d’une pétition
venue de la Flandre occidentale qui demande également une part dans cette
allocation. La province de Luxembourg elle-même, par l’organe de sa députation,
s’est adressée au gouvernement pour qu’on mette à exécution, dans cette
province, un système d’irrigation, aussi bien que dans la Campine. Ainsi le
discours de l’honorable membre va à l’encontre des vœux émis par l’administration
de sa province et cela dans la crainte que le vote du crédit de 500 mille fr.
n’emporte d’avance l’approbation de la vente forcée des biens communaux.
Ces objets n’ont aucun rapport entre eux
; c’est à tel point que les 500 mille fr. ne pourraient recevoir d’application
à l’exécution de la loi sur les ventes forcées des biens des communes. C’est un
autre ordre d’idées.
Il est une chose évidente pour tout le
monde, c’est qu’il faut maintenant procurer du travail à la classe ouvrière, et
surtout un travail utile. Or, nous disons que de tous les travaux qui peuvent
être exécutés pendant la saison d’hiver, ceux de la Campine occupent le premier
rang, parce que dans ces localités il n’y a presque jamais d’obstacle aux
travaux pendant l’hiver.
Nous disons qu’ils ont plus d’importance
que d’autres, parce que la disposition d’un terrain à l’irrigation, au moyen de
petites sommes, donne lieu à une dépense plus considérable à exécuter par le
propriétaire.
Maintenant les Flandres, qui ont besoin
d’occuper leurs populations, doivent-elles être indifférentes aux travaux à
exécuter dans la Campine ? Non, l’expérience a fait voir qu’un très grand
nombre d’ouvriers des Flandres ont été occupés à ces travaux.
Il s’agit d’un
ensemble de mesures : les unes tendent à accorder des secours, d’autres à
améliorer le travail linier, et la troisième a pour objet d’amener la culture
de terrains aujourd’hui incultes. Ce sont donc trois modes différents de venir
au secours de la classe ouvrière, mais qui tous tendent au même but et ont
entre eux une connexité intime. Autant vaudrait demander la distraction du
crédit de 300 mille francs pour l’industrie linière, Il n’y a pas plus de motif
pour distraire les 500 mille francs que les 300 mille, et de se borner à voter
le crédit de secours. Je demande donc, comme je l’ai fait en commençant, que la
chambre aborde la discussion du projet présenté et ne se prononce sur la disjonction
que quand le n°3 de l’article premier sera mis aux voix.
M. Lys. - La motion que je voulais présenter était précisément
la même que celle faite par l’honorable M, Orban. Je pense qu’il est impossible
de discuter la question qui se présente relativement à la colonisation et aux
irrigations sans avoir un rapport, sans savoir si la question a été examinée
convenablement dans la section centrale. Je crois que nous pouvons dire,
d’après le rapport, que nous avons la preuve du contraire.
La section centrale n voulu venir sur-le-champ
au secours des malheureux des Flandres et des autres localités du royaume.
Elle fait faire un rapport parce qu’on
ne peut pas ajourner la faim. Ce rapport ne contient rien sur aucune des questions
que soulève l’objet que nous voulons, non pas ajourner indéfiniment, mais que
nous voulons voir renvoyer à la section centrale pour avoir un rapport détaillé
sur cet objet.
Diverses questions
avaient été posées, et nous n’en voyons pas la solution dans le rapport de la
section centrale. Il y avait même une question constitutionnelle : Peut-on
aliéner les biens des communes, sans indemnité préalable ? Voilà une question
qui avait été posée et sur laquelle la section centrale ne s’est pas prononcée.
Sur cette question, le rapport ne dit absolument rien ; c’est réellement un
simulacre de rapport, en ce qui concerne l’objet en discussion. Et puisque M.
le ministre de l’intérieur invoque le règlement, je l’invoque également, et je
fais remarquer qu’aux termes du règlement on ne peut discuter une question sans
avoir un rapport ; or, sur cette question, nous n’en avons pas ; l’honorable
rapporteur le reconnaît lui-même ; car il dit bien qu’une discussion
approfondie a eu lieu à la section centrale ; mais il ajoute qu’il n’a pas le
temps d’en rendre compte à la chambre. Il ne suffit pas sans doute que la
section centrale s’occupe d’un objet, sans présenter un rapport, pour que la
chambre puisse aborder la discussion. C’est cependant là ce que demande M. le
ministre de l’intérieur.
Il y a plus, c’est
que nous n’avons reçu sur cette question aucun document de quelque portée.
Ainsi nous ne recevons qu’aujourd’hui dans les Annales parlementaires, l’avis du conseil supérieur d’agriculture sur
une quantité de questions, mais c’est un avis qui n’est pas motivé. C’est la
discussion dans le conseil supérieur d’agriculture que nous devrions avoir. Il
me semble que le ministère travaille au rebours. Le conseil supérieur
d’agriculture a eu à se plaindre de ce que le projet de loi a été soumis à son
examen, après qu’il avait été présenté à la chambre. A notre tour, nons disons
qu’il est inutile de nous communiquer la décision du conseil supérieur
d’agriculture, si les débats qui ont précédé cette décision ne nous sont pas
communiqués avant la discussion.
Je le répète, si
M. le ministre de l’intérieur invoque le règlement, je crois pouvoir l’invoquer
en demandant qu’il y ait un rapport avant la discussion.
M. le président. - La proposition de M. le ministre de
l’intérieur tend à ce que la chambre ne se prononce sur la demande d’ajournement
qu’après la discussion sur l’ensemble du projet.
M. A. Dubus. - Je
m’oppose de toutes mes forces à la proposition de l’honorable M. Orban.
(page 259) C’est une erreur de croire que
les travaux de la Campine ne procureraient aucun soulagement à la population
des Flandres. La construction du canal de la Pierre-Bleue à Turnhout a donné, pendant l’hiver dernier, du travail
à 3,500 ouvriers, dont plus de 1,800 sont venus des Flandres. M. le comte
Vilain XIIII, sénateur, qui habite une ces provinces, en a envoyé un très grand
nombre.
La majeure partie des ouvriers qui ont travaillé
aux canaux de la Campine sont des ouvriers étrangers, des ouvriers des Flandres
; ils sont bons terrassiers, parce qu’ils travaillent bien.
En ce moment, on
peut mettre à l’œuvre, dans la Campine, dix mille ouvriers, si l’on juge la chose
nécessaire. Ce grand nombre de travailleurs peut y être réuni parce qu’il est
aisé de les abriter ; on y trouve à vil prix les gazons des bruyères et les perches
de sapin, seuls matériaux employés à la
construction des baraques qui leur sont nécessaires.
En Campine,
messieurs, l’exécution des terrassements est en quelque sorte toujours
possible, même pendant toute la durée de l’hiver. Le sol y est sablonneux et présente des parties suffisamment
élevées pour se trouver inaccessibles aux eaux.
En outre, l’expérience
a prouvé que l’exécution des terrassements est à la portée de toutes les classes
d’ouvriers indistinctement, tisserands, fileurs ou autres. C’est donc dans la
Campine que l’exécution de travaux dans l’intérêt de la classe ouvrière peut
produire les résultats les plus avantageux ; car, à part le caractère d’utilité
générale, ils tendent encore à
activer l’œuvre du défrichement.
Je suis étonné
qu’un député du Luxembourg s’oppose à un projet de loi qui a pour objet le défrichement
de la Campine. Nous avons voté, depuis plusieurs années, tous les travaux
nécessaires dans les autres provinces. Tous les députés de la Campine ont voté
pour les routes et les chemins de fer à construire dans le Luxembourg.
Et maintenant lorsqu’il
s’agit de voter cinq cent mille francs pour des travaux de colonisation et de
défrichement, je suis peiné que des membres de cette chambre, des députés du
Luxembourg y fassent opposition ; car je regarde la proposition de l’honorable
M. Orban comme une opposition au projet de fertiliser la Campine.
M.
Orban. - C’est une erreur.
M. A. Dubus. - Messieurs,
l’époque à laquelle l’œuvre nationale de la fertilisation du sol de la Campine pourra
être accomplie, dépendra de cette qui sera déterminée pour l’achèvement des
canaux en train d’exécution et la construction des routes reconnues indispensables.
M. Vandensteen. - II est évident (et je ne pense pas qu’on
puisse le contester) que, dans les documents qui nous ont été communiqués, la
question principale n’a été qu’effleurée ; dans les développements qui ont été
déposés, le principal document, c’est l’ouvrage de M. l’ingénieur Kummer.
Pour moi, les intentions
du gouvernement y sont plus ou moins indiquées.
En effet, dans
le principe, M. Kummer ne demandait que 150,000 fr., comme fonds de roulement. C’est sur une information qui lui a
été adressée par le département de l’intérieur, qu’on lui a demandé s’il n’accepterait
pas 500,000 fr. En lui offrant cette somme, on lui a dit : Nous voulons
embrasser tous les systèmes proposés. Quels sont donc ces systèmes ? Dans les
nombreux développements donnés, tant par les autorités constituées que par les
personnes compétentes, on voit qu’il faudrait, d’après les uns, coloniser ;
d’après d’autres, l’acquisition des terrains par le gouvernement ; et enfin,
simplement des travaux d’utilité publique Le gouvernement, pour être certain
d’adopter le bon, n’en excepte aucun ; aussi les adopte-t-il tous en vous
proposant de voter les 500,000 fr.
En présence du
projet de loi dont la chambre est saisie, sur le défrichement des terrains incultes
qui se trouvent dans les autres parties du pays, il me semble, messieurs, que nous ne pouvons nous prononcer en ce
moment.
A mes yeux, la
question serait tranchée selon le vœu du gouvernement, qui aurait la faculté de pouvoir faire vendre les terrains communaux.
On lui donnerait le droit d’en agir de la sorte. Si l’on votait la somme de
500,000 fr. qui est demandée en vue de pouvoir acquérir les terrains jugés
convenables pour poursuivre les travaux, lorsque viendra l’examen du projet de
loi sur le défrichement, la question serait déjà résolue en fait.
Qu’on ne croie
pas que ceux qui proposent l’ajournement soient systématiquement opposés à adopter
toute proposition analogue dans la suite.
Il n’en est rien,
messieurs, quant à moi ; mais ce que je veux, avant de de me prononcer, c’est
que la question soit entièrement examinée. Je veux que le gouvernement nous
établisse son système bien défini, et rien d’incertain. C’est ce que le projet actuel ne fait pas. On
a invoqué la question du moment. Messieurs, cette position m’afflige ; je sais
très bien qu’il existe des souffrances ; nous devons les déplorer, nous devons
tous concourir à les alléger ; mais quelque grave que puisse être la situation,
nous ne devons cependant point, pour une question de circonstance, décider
l’application d’un principe avant d’avoir admis le principe, c’est-à-dire la
vente des terrains communaux.
Si c’est sous le
seul point de vue d’alléger les misères des habitants pauvres de la Campine, comme un honorable collègue l’a dit, qu’on
nous présente ce projet. Pourquoi alors ne pas agir de même de tout côté ?
Donnez de l’argent pour des travaux, car, partout, il y a des ouvriers sans ouvrage.
Un membre. - C’est une question de clocher.
M. Vandensteen. - Ce n’est
pas une discussion de clocher que je défends ici, mais je dis que partout,
notamment dans l’arrondissement de Stavelot, dans tout le Luxembourg, dans une partie de la province de Namur,
il y a des souffrances à
soulager, et que vous pouvez les soulager en y faisant exécuter des travaux
publics.
Je termine par
une considération que je livre à
l’attention de la chambre ; c’est que la somme qui est demandée ne pourrait être
employée si elle n’est point demandée en vue de faire des acquisitions ;
que si, au contraire, ou se croit autorisé à acquérir, vous aurez décidé le
principe de la vente, question qui doit être
réservée pour le moment.
Messieurs, je suis
bien persuadé que mes honorables collègues qui partagent mou opinion, ne sont
pas du tout hostiles à la Campine. Nous l’avons prouvé, nous avons voté le canal
de la Campine je l’ai voté comme d’autres et je m’en applaudis. Je suis encore
prêt, lorsqu’un travail d’ensemble nous sera présenté, de faire tout ce qui me
sera démontré utile pour la Campine et le pays en général.
Ainsi, messieurs,
l’adoption de l’ajournement est ce qui me semble le plus naturel dans ce
moment, c’est la seule marche raisonnable qui puisse être suivie dans cette
discussion.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs,
je viens également appuyer la proposition qui vous est faite par l’honorable M.
Orban ; et j’y trouve d’abord un premier avantage, c’est de faciliter beaucoup l’examen
de la partie la plus importante du projet qui nous est soumis c’est d’empêcher
qu’il y ait confusion dans la discussion ; c’est d’empêcher le vote sur une loi
qui a un caractère d’urgence que tout le monde reconnaît.
Déjà,
messieurs, un honorable député des Flandres nous avait fait la même
proposition, il y a quelques jours, dans le but de hâter le vote du projet de loi.
Messieurs, que
nous demande-t-on par la proposition de voter 500,000 fr. ? On nous demande en définitive
de décider le principe de trois grandes, de trois immenses questions. Car ces
500,000 fr. sont destinés à faciliter les défrichements, les irrigations et la
colonisation.
Ainsi en votant
cette somme, vous vous prononcez implicitement en faveur du principe du défrichement
tel qu’il est proposé par la loi qui vous est soumise ; vous décidez que
les irrigations que l’on propose sont un mode avantageux de défrichement, et
vous vous prononcez, messieurs, pour cette grande question de colonisation. Or,
je crois que ce n’est pas à la suite du rapport qui vous a été soumis, rapport
qui ne contient que quelques lignes sur cette question, qu’il est possible que
la chambre vote sur une proposition semblable.
Remarquez, messieurs,
que la proposition de l’honorable M. Orban, n’est pas un ajournement indéfini.
Un pareil ajournement n’est nullement dans la pensée de cet honorable membre,
ni dans celle des autres orateurs qui ont défendu sa proposition ; c’est un
ajournement de quinze jours ou trois semaines au plus.
L’honorable M.
Orban, messieurs, ne veut pas même se prononcer d’une manière formelle contre la
proposition du gouvernement. Telle n’est pas non plus mon intention. Mais nous
croyons qu’il faut que la loi de principe sur le défrichement soit votée avant
les moyens d’application. Ce qu’on nous demande aujourd’hui n’est, comme on
vous l’a fort bien dit, qu’un corollaire de la loi de principe. Appliquer les
conséquences avant d’avoir pris une décision sur la question de principe, c’est,
me paraît-il, une inconséquence.
M. le ministre
de l’intérieur voudrait que l’on ne se prononçât sur la proposition de l’honorable
M. Orban qu’après la discussion. Mais il me semble, messieurs, que nous ne
pouvons pas en agir ainsi. Ce serait perdre un temps précieux. Comment ! nous
aurions discuté ces questions si importantes, ces questions qui peuvent soulever
une discussion très longue ; car la proposition qui nous est faite peut amener
de très longs débats ; on peut parler pendant huit jours de défrichements ;
chacun de nous peut faire de très longs discours sur des projets de
colonisation ; chacun peut indiquer à M. le ministre de l’intérieur un mode de
défrichement qui lui semble préférable, qui lui semble préférable même aux
irrigations que vous voulez adopter. Et ce serait, messieurs, après une semblable
discussion que nous aurions seulement à nous prononcer sur la question de
disjonction. ? Ce serait réellement, messieurs, commencer par la fin.
Remarquez,
messieurs, que la proposition qui vous est faite est aussi très importante au
point de vue du crédit demandé. M. l’ingénieur Kummer ne demande dans son
rapport que 150,000 fr. pour les défrichements, et l’on vient vous proposer
d’allouer un crédit de 500,000 fr.
Messieurs, je ne
me prononce pas, dans ce moment, sur le fond de la question ; je ne l’ai pas assez
étudiée encore ; mais le chiffre élevé qui nous est demandé mérite que la question
soit très sérieusement examinée, d’autant plus qu’on annonce qu’on nous
demandera d’autres sommes encore après celles-ci.
Vous décideriez
donc implicitement que 500,000 fr. seront consacrés aux irrigations de la
Campine ; car c’est là que ces 500,000 fr. seront appliqués, et vous seriez
obligés plus tard, sans examen approfondi, d’ajouter à ce crédit d’autres
sommes qui vous seront demandées.
Je pense, messieurs,
que nous devons adopter la proposition de l’honorable M. Orban. Elle n’a rien
d’hostile à celle qui nous a été faite par le ministre de l’intérieur, et elle
aura pour avantage de faciliter et de hâter l’examen du projet relatif aux
subsistances.
M. Orban. – On a
représenté ma proposition comme étant hostile au projet de défrichement et
d’irrigation de la Campine. Messieurs, il (page
260) n’en est rien ; je ne suis en aucune façon contraire ce projet, et
bien moins encore au défrichement en général ; mais je crois que cette grave
matière mérite les honneurs d’une discussion régulière et spéciale ; je crois
surtout qu’à ce projet doivent se rattacher d’autres idées qu’on doit nous
laisser le temps de produire à la chambre. C’est pour cela que j’ai demandé
qu’on suivît la marche habituelle des travaux de la chambre, qu’on nous donnât
au moins un rapport et vingt-quatre heures pour réfléchir.
Je l’avoue, messieurs,
j’ai été extrêmement surpris de la détermination adoptée dans cette circonstance
par M. le ministre de l’intérieur. M. le ministre ne veut pas que nous ayons
vingt-quatre heures pour nous préparer à une discussion de cette importance ; et hier vous aviez à l’ordre du jour
un projet pour une délimitation de commune, cette affaire était depuis trente
ans en instruction, et on a demandé un ajournement de deux mois pour
l’examiner.
J’approuve encore
moins les raisons qui ont été données par M. le ministre pour combattre ma motion. A entendre M. le ministre,
le vote des 500,000 fr. ne serait nullement la conséquence de la loi sur les défrichements
et du principe d’expropriation qui s’y trouve formulé.
Eh bien, messieurs,
c’est avec les paroles de M. le ministre que je vais vous prouver qu’il est à
cet égard tout à fait dans l’erreur.
M. le ministre nous fait connaître, dans cet exposé des
motifs, qu’une somme de 150,000
francs seulement avait été jugée suffisante par M. l’ingénieur Kummer, mais que
par suite de la faculté d’exproprier les communes qu’il se proposait de faire consacrer
par une loi spéciale, il serai nécessaire que le gouvernement pût disposer
d’une somme de 500,000 fr.
Ecoutez plutôt,
messieurs, la lecture même de ce passage de l’exposé des motifs.
« M. Kummer
demande, de ce chef, un fonds roulant de 100,000 fr. Son évaluation est basée
sur les arrangements déjà projetés avec certaines communes ; mais ayant fait
connaître à cet ingénieur le
projet de loi par lequel nous demandons la faculté d’exproprier les terrains que
les communes ne mettraient pas volontairement à la disposition du gouvernement,
et lui ayant fait connaître également l’intention de demander un crédit de
500,000 fr., tant pour ces expropriations que pour les travaux d’irrigations et
autres mesures relatives à la colonisation, cet habile ingénieur a fortement
approuvé ces vues et nous en promis les résultats les plus satisfaisants pour
la Campine. En effet, il est certain que d’immenses étendues de bruyères
peuvent jouir des bienfaits de l’irrigation, non seulement pour la création de
prés, mais encore pour la création de terres arables ; mais il faut que ces
travaux soient effectués avant le morcellement des bruyères, et conséquemment
avant qu’elles ne tomben dans le domaine privé. »
Ainsi, messieurs,
vous le voyez, la demande d’une somme de 500,000 francs ne vous est présentée
que par suite de la détermination, prise par M. le ministre de l’intérieur, de
soumettre aux chambres un projet de loi tendant à permettre au gouvernement
d’exproprier les propriétés communales. C’est le projet que nous discuterons dans
quelques jours, et on voudrait, avant son adoption, nous faire sanctionner
d’avance les conséquences de cette adoption même.
La chambre ne sanctionnera
pas, j’en suis sûr, une manière de procéder aussi peu rationnelle et qui aurait
pour résultat de supprimer en réalité une discussion de la plus haute
importance pour la province à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir.
M. Dubus (aîné). - Je viens aussi,
messieurs, m’opposer à la motion
de l’honorable M. Orban, et je dirai tout d’abord que je ne suis pas étonné que
d’honorables membres appartenant aux provinces de Liége et de Luxembourg soient
satisfaits de la première disposition du projet de loi, et se soucient peu des
inconvénients qui résulteraient de l’ajournement de la dernière disposition.
Ils veulent aussi du travail dans leur localités, mais il paraît que lorsqu’on
vote des fonds pour mesures relatives aux subsistances, ce sont eux qui en
obtiennent la plus grand part. Ainsi, messieurs, sur le crédit de deux millions, une somme de 425,657 fr. a été
consacrée à l’amélioration de la voirie vicinale ; et savez-vous combien les
provinces de Luxembourg et de Liége ont reçu dans ce subside ? Le Luxembourg a
reçu 59,462 fr., et la province de Liége près de 450,000 fr., tandis qu’une
province comme Anvers n’a obtenu que 28,000 fr., qu’une province comme le
Hainaut n’a également obtenu que 28,000 fr.
M. Rodenbach. - La Flandre occidentale
n’a reçu que 15,000 fr.
M. Dubus (aîné). - J’allais en
faire l’observation.
Et voilà que les
honorables membres trouvent que l’on doit, pour occuper les ouvriers, faire exécuter
de nouveaux travaux dans la province de Liége et dans la province de Luxembourg,
qui ont déjà reçu la part du lion ; et lorsque nous demandons la discussion
d’une disposition qui donnera au gouvernement le moyen de faire exécuter aussi
des travaux et d’occuper les classes ouvrières dans une contrée où règne la
misère la plus affreuse, où la population attend du travail et du pain, du pain
au moyen du travail, ils veulent renvoyer cette discussion aux calendes
grecques ; car, messieurs, cet ajournement aura pour résultat qu’il s’écoulera
plusieurs mois avant que cette partie du projet de loi ne soit discutée.
On avait, messieurs,
interrompu un honorable membre en disant que c’était une question de cloche,
et, en effet, il avait parlé tout â fait pour son clocher.
On a voulu écarter
une des dispositions du projet de loi sous prétexte qu’elle ne présentait pas
d’urgence tandis que l’autre avait ce caractère.
Mais la même urgence
existe pour toutes deux ; il s’agit de donner du pain à ceux qui en manquent et
cet objet est tout aussi urgent dans la Campine anversoise ou limbourgeoise que
dans les Flandres. Il règne dans la Campine aussi une misère extrême qu’il faut
soulager. Là aussi une foule de malheureux sont sans travail et sans pain. Il
ne suffit donc pas de prendre une mesure immédiate pour les Flandres, il faut
également venir au secours de la Campine.
Mais, dit-on, vous
allez décider le principe de l’expropriation. Pas du tout, messieurs, il suffit
de savoir lire pour s’assurer qu’en votant le premier projet de loi dans les
termes dans lesquels il est conçu, on ne vote nullement le principe du second
projet.
Qu’arrivera-t-il
si vous votez la première loi sans voter la seconde ? Il arrivera qu’on ne pourra
pas faire d’expropriations. Mais ne pourra-t-on pas donner du travail aux
classes ouvrières de la Campine ? Certainement, et si l’honorable membre avait
lu avec attention les rapports dont il a argumenté, il aurait vu qu’on peut
immédiatement donner ce travail. Il aurait vu, par le rapport de M. l’ingénieur
Kummer, que les communes de la Campine demandent des subsides au gouvernement
pour l’irrigation de 865 hectares de terre. Voilà un travail considérable, qui
doit nécessiter une notable avance de fonds ; mais c’est un travail qu’on
demande de faire immédiatement, et qui, par conséquent, donnera immédiatement
du pain aux populations.
Ainsi, messieurs
; vous voyez qu’il ne résultera aucun embarras de ce que l’on aurait voté le
premier projet, tandis que l’examen du second projet se ferait attendre encore
quelque temps. Toute la conséquence qui résultera de là, c’est qu’on ne pourra
de sitôt s’occuper d’expropriations, mais on pourra immédiatement exécuter de
très grands travaux qui donneront du pain à de nombreux ouvriers.
Mais, dit-on, nous
n’avons pas de rapport ; le prétendu rapport de la section centrale n’est pas
un rapport. Mais le rapport de la section centrale a été précédé de l’examen
dans les sections, et une circonstance sur laquelle j’appelle toute l’attention
de la chambre, c’est que, dans toutes les sections, pas une voix ne s’est
élevée pour demander l’ajournement que l’on propose aujourd’hui.
Les sections ont
examiné le projet de loi, la section centrale l’a examiné aussi et en propose
l’adoption ; et c’est dans ces circonstances que l’on vient se plaindre qu’il
n’y a pas eu d’examen, qu’il n’y a pas eu de rapport ! Ce rapport est bref,
j’en conviens ; mais il vous avait été distribué d’autres rapports qui sont
développés et auxquels la section centrale a pu se référer.
En effet, on vous
a distribué deux rapports de l’ingénieur Kummer. Vous avez aussi le rapport de
la commission supérieure d’agriculture et, sur ce point, je fais remarquer que
c’est par erreur que l’honorable M. Lys a dit que ce rapport nous a seulement
été communiqué hier ou avant-hier par son insertion dans les Annales parlementaires. L’honorable membre
n’a pas pris garde qu’il y a plus de trois semaines que le rapport nous a été
distribué comme annexe au n°13 des
pièces imprimées par ordre de la chambre.
Je tiens ici cet
imprimé qui ne renferme pas seulement des solutions sèches et sans motifs, mais
qui renferme des solutions précédées d’un développement qui comprend onze pages
in-folio. Je pense que l’honorable
M. Lys n’a pas lu ce document, qu’il lui aura échappé ; mais les autres membres
de la chambre, j’aime à le croire, l’ont lu, et dès lors ils doivent demeurer
persuadés que la section centrale pouvait abréger son rapport, puisqu’il y
avait d’autres rapports qui pouvaient éclairer suffisamment la chambre.
D’ailleurs, messieurs,
ceux qui auraient besoin de voir verser plus de lumière sur les questions que
soulève cette discussion, peuvent s’éclairer par la discussion, mais c’est
précisément le contraire que l’on veut : on veut empêcher la discussion pour
écarter la lumière qui en jaillirait. (Dénégation.) Mais il me semble que c’est bien cela, car enfin on demande
que la chambre, avant toute discussion, déclare qu’elle n’est pas suffisamment
éclairée et qu’elle renvoie la discussion du projet à un autre moment.
Mais laissez
donc ouvrir la discussion ; et si elle ne jette pas des lumières suffisantes
sur la question, ce sera alors seulement le cas de déclarer que la chambre
n’est pas suffisamment éclairée. Mais déclarer cela, avant toute discussion
quelconque, il me paraît que c’est une inconséquence, il me paraît encore que
cela ne serait guère conforme au règlement.
On dit que ce serait
perdre un temps précieux que de discuter ; que savez-vous ? Laissez donc la
discussion se produire, et vous pourrez juger alors si cette discussion rend la
question suffisamment claire, oui ou non. En laissant la discussion s’ouvrir,
on obtiendra au moins cet avantage, que si la discussion éclaire un ou deux
points de la partie du projet qu’on veut écarter, et ne laisse incertain qu’un
autre point, vous pourrez au moins statuer sur les points sur lesquels vous
aurez obtenu les renseignements désirables. Si vous ne voulez pas voter 500,000
francs pour tous les travaux, peut-être reconnaîtrez-vous au moins la nécessité
de voter immédiatement les 150,000 francs pour les travaux indiqués par M. Kummer,
dans les localités où la besogne est préparée en quelque sorte, où les communes
offrent leurs terres, où les ouvriers attendent du travail et du pain ; et
alors vous voterez ces 150,000 francs. Laissez donc, je le répète, arriver la
discussion ; et d’après le résultat de la discussion, vous voterez les sommes
que vous jugerez nécessaires.
Je m’oppose de
toutes mes forces à la motion de l’honorable M. Orban.
M. Simons. - Messieurs, je m’oppose également à la disjonction
de l’allocation de 500,000 fr., demandée par le gouvernement dans le projet de
loi qui nous est soumis.
Quel est le motif
principal que l’on met en avant pour justifier cette demande de disjonction ?
C’est qu’en allouant le crédit de 500,000 fr., nous préjugerions la question
immense qui se rattache à un projet de loi, livré en ce moment à la section centrale.
(page 261) Je le déclare, messieurs, si notre
vote devait avoir cette conséquence, je serais le premier à appuyer la motion
de l’honorable M. Orban, et je voterais pour la disjonction ; pourquoi ? Parce que j’ai des doutes très sérieux sur
la constitutionnalité du projet de loi
dont il s’agit, eu égard aux termes dans lesquels ce projet de loi nous est
présenté.
Mais,
messieurs, en allouant le crédit de 500,000 fr, préjugeons-nous bien réellement
la grande question à laquelle je viens de faire allusion ? Je serais presque
tenté croire que les honorables membres n’ont pas lu le projet de loi qui est à
l’ordre du jour, lorsqu’ils s’imaginent qu’en le votant nous préjugerions
réellement cette question.
En effet, de quoi
s’agit-il dans le projet sur
les défrichements ? De contraindre par expropriation forcée les communes à vendre
leurs propriétés. De quoi s’agit-il en ce moment ? De faciliter les irrigations
qui ont déjà produit un résultat si utile, qui a surpassé notre attente. Nous
voulons tous, dans l’intérêt général, la fertilisation de la Campine ; le
gouvernement dans ce but a fait des essais qui ont parfaitement réussi. On est
maintenant en instance à l’effet d’obtenir ce bienfait des irrigations pour une
étendue de terrain de 1,868 hectares.
Le gouvernement
demande à pouvoir continuer sur une échelle plus grande les essais qui ont déjà
produit un résultat si remarquable ; voilà l’objet unique pour lequel il
réclame le crédit de 500,000 francs. Pour vous en convaincre, il suffit de
jeter un coup d’œil sur le projet de loi ; on y lit : « Pour
faciliter les défrichements, les irrigations et la colonisation. » N’y a-t-il là un mot qui puisse faire
croire qu’il s’agit ici de poser le principe qiu sert de base à la loi
qu’examine la section centrale ? Nullement, car les irrigations devront
continuer et continueront, lors même que le projet de loi relatif à
l’aliénation forcée des bruyères communales sera rejeté.
Je crois donc,
messieurs, que l’adoption de la motion de disjonction équivaudrait véritablement
au renvoi du vote du crédit de 500,000 fr. aux calendes grecques.
Je voterai en conséquence
contre la motion de disjonction.
M. de Garcia. - Messieurs, j’ai
aussi demandé la parole pour combattre la proposition qui a été faite par l’honorable
M. Orban. Je serai très court, car les mesures qu’on nous propose sont des
mesures urgentes ; la misère frappe à nos portes, et je crois que, en acquit de
nos devoirs, nous devons, autant que possible, abréger la discussion de la loi
qui nous est soumise, et réaliser les bienfaits qu’elle se propose.
Pour apprécier
la portée de la proposition de l’honorable
M. Orban, il faut bien se rendre compte du but de la loi et surtout de la
partie de la loi qui tend à favoriser les défrichements.
Il est incontestable,
selon moi, et je suis confirmé dans cette pensée par les explications qu’a
données M. le ministre de l’intérieur ; il est incontestable, dis-je, que cette
partie de la loi n’a nullement pour objet l’expropriation forcée de terrains
appartenant à des communes. Si
cette partie de la loi pouvait préjuger la question d’expropriation, je devrais
appuyer la motion de l’honorable M. Orban.
Mais il n’en est nullement ainsi, et partant, pour démontrer l’impossibilité de
l’ajournement proposé et tout ce qu’il a de désavantageux, il faut, comme je le
disais en débutant, se fixer nettement sur la portée de la partie de la loi
dont on demande le retranchement. Evidemment le crédit des 500,000 fr.
pétitionnés pont défrichement et pour l’irrigation de terres arides, doit
réaliser un double but sans toucher au principe d’expropriation.
Il doit
pourvoir d’abord à une nécessité du moment, à celle de donner du pain aux
pauvres, en leur donnant du travail. A ce premier point de vue, les
circonstances du moment commandent impérieusement cette mesure.
D’un autre
côté, ce crédit a pour objet de faire face aux frais d’un essai qui, en matière
semblable, peut avoir des résultats heureux, beaucoup plus concluants que toutes les théories.
En effet, le gouvernement,
à l’aide de cette somme, pourra faire procéder à des défrichements sur des
terrains dont l’aliénation volontaire sera consentie par les communes.
On le voit, messieurs,
la disposition de la loi, dont on demande l’ajournement, peut atteindre un but
éminemment utile sous un double rapport. Pourtant, je n’hésite pas à le
déclarer, si le n° 3 de l’article premier du projet de loi n’avait en vue que le dernier objet que j’ai signalé,
je demanderais des renseignements ultérieurs ; mais en présence de la misère
publique, qui exige un soulagement immédiat en faveur des classes ouvrières, je
n’hésite pas à donner mon assentiment à
cette partie de la loi ; je crois que nous ne pouvons différer un seul
instant d’accorder au gouvernement les moyens de favoriser les classes les
moins aisées de la société.
J’ai promis d’être
court parce que les circonstances commandent une prompte solution de la question
; dès lors je n’en dirai pas davantage ; d’ailleurs, l’honorable M. Dubus ainé
a développé d’autres considérations auxquelles je m’associe complétement.
M. de Brouckere. - Messieurs, je
ne viens ni défendre, ni combattre la motion de l’honorable M. Orban ; je me réserve
mon vote sur cette motion. J’ai demandé la parole pour faire au gouvernement
une interpellation que je formulerai, après avoir présenté à la chambre
quelques courtes observations.
La motion de l’honorable
M. Orban n’est autre chose que la conséquence de la légèreté qu’on a mise dans
la présentation du projet de loi qui nous occupe et l’insuffisance des considérations développées à l’appui de ce
projet de loi.
On a mis de la légèreté dans la présentation du projet.
En effet, si vous voulez en distraire les 1,200,000 fr. demandés pour mesures
relatives aux subsistances, il
est incontestable, et personne ne contestera, que les 300,000 fr. demandés pour
aider aux perfectionnements de l’industrie linière et les 500,000 fr. qu’on
demande pour faciliter les défrichements sont relatifs à l’application de
principes qui ne sont pas admis, à l’exécution de lois qui ne sont pas votées ;
c’est-à-dire que pour ces 500 et ces 300 mille francs on agit au rebours de ce
qui se fait toujours et partout, au rebours de ce que demandent la logique et
le bon sens. Pour les cinq cent mille francs, on l’a établi ; on a fait voir,
en outre, combien il était bizarre qu’alors que le fonctionnaire qui sera
chargé spécialement de faire l’application du principe qui sera proposé
relativement aux défrichements des bruyères, ne demandait que 100,000 fr. le
gouvernement l’eût prié d’en accepter 500,000 ; on aurait dû ajouter que le
gouvernement semble s’estimer très heureux de ce que cet habile ingénieur ait
daigné accepter 500,000 francs au lieu de 100,000 qu’il avait demandés.
Quant aux trois cent mille francs, veuillez lire la
note annexée au projet de loi. Voici le premier paragraphe de cette annexe : « La
mesure proposée pour le perfectionnement de l’industrie linière est le
complément de celles qui résultent de la société d’exportation pour les
produits de cette industrie. »
Continuez cette lecture et vous verrez que les trois
cent mille francs qu’on avait conseillé au gouvernement de demander, ne sont
sollicités que pour aider à l’exécution du projet de loi qui nous sera soumis,
relativement à la société d’exportation.
Ainsi, on nous présente la loi d’application avant la
loi de principe, la loi complémentaire avant la loi principale ; et M. le ministre
de l’intérieur s’étonnera qu’on fasse des motions de disjonction !
J’ai dit que j’avais une interpellation à faire, la
voici :
Les trois cent mille francs sont donc le complément
de la mesure qui sera présentée à la chambre pour la création d’une société d’exportation.
Je demanderai que le gouvernement nous dise quand il nous présentera ce projet
de loi relatif à la création d’une société d’exportation, projet qui a été
annoncé à l’ouverture de la session, projet qu’on annonce encore aujourd’hui,
et qui paraît cependant n’être pas prêt.
J’espère que le gouvernement me donnera une
explication satisfaisante, car je n’hésite pas à dire que, quant à moi, je suis
disposé à voter les 300 mille francs qui sont demandés. La chambre connaît les
calamités qui pèsent sur les Flandres, et les calamités plus grandes encore qui
les menacent. Aucun de vous n’oserait prendre sur lui de refuser les subsides
demandés pour les Flandres, alors même qu’il aurait la conviction, et cette
conviction, pour ma part, je l’ai, que des fonds alloués on ne tirera pas tout
l’avantage, toute l’utilité qu’on en pourrait tirer.
J’ai dit que les développements à l’appui du projet
étaient insuffisants. Eh bien, pour quiconque alu ces développements, il doit être
manifeste que le gouvernement n’a pas encore d’idées arrêtées, car les explications
sont tellement vagues, il y règne une telle ambiguïté qu’elles démontrent que
le gouvernement ne sait pas encore lui-même ce qu’il fera.
Il y a bien autre chose ! De la lecture de la pièce
annexée au projet de loi, je dois conclure que M. le ministre de l’intérieur
n’a pas lui-même lu cette annexe. Voulez-vous la preuve de cette assertion ? Je
vais vous la donner. Cette annexe est rédigée par M. l’inspecteur Kindt, et il
l’avait rédigée non pour former une annexe, mais pour être insérée dans
l’exposé des motifs.
Cela est si vrai que M. l’inspecteur Kindt parle à la chambre, il croit que la note sera adoptée par M.
le ministre de l’intérieur, et mise dans son exposé de motifs. Voyez page 10 : «
Le crédit de 50,000 fr., relatif aux ateliers d’apprentissage, est aussi, MESSIEURS,
d’une utilité incontestable. »
On avait dit à M. Kindt : Faites un petit exposé de
motifs, et sans lire ce petit exposé de motifs, on l’insère comme annexe à la suite
du projet, sans s’apercevoir qu’il est en opposition avec les explications qui
précèdent le projet. Voilà comment le projet si important qu’on nous présente a
été examiné, mûri au département de l’intérieur.
J’ai un mot à répondre à l’honorable M. Dubus relativement
à la comparaison qu’il a faite entre la province de Liége et les autres
provinces quant à la part qu’elles ont eue dans les deux millions votés l’année
dernière. Il a reproché à M. Vandensteen de prêcher pour son clocher. Je crois
qu’il a un peu imité cet exemple, mais avec cette différence que M. Vandensteen
prêchait pour son clocher natal, tandis que M. Dubus a prêché polir son clocher
d’adoption.
Mais enfin on a dit que la province de Liége dans une
somme de 425 mille francs avait absorbé à elle seule 143 mille francs. Vous savez
que ces 425 mille francs ont été employés aux chemins vicinaux.
L’honorable membre a oublié de tourner la page ; s’il
l’avait fait, voici ce qu’il aurait vu : que dans une somme de 1,426 mille francs
distribués atre les provinces pour remédier à la détresse générale, la province
de Liége a reçu : savez-vous combien ? 21 mille francs ! ! de manière que
la province de Liége a eu pour sa part dans les deux millions une somme de 143
mille francs, plus 21 mille francs, c’est-à-dire ensemble 164 mille francs. Je
ne crois pas que ce soit plus que la part à laquelle elle auvait prétendre. Je regrette qu’on mette ainsi les provinces
non-seulement en état de rivalité, mais en état d’hostilité l’une contre
l’autre.
La province de Liége, que j’habitais l’année dernière,
ne s’est jamais plainte de ce qu’on ne lui donnait pas assez dans les 1,400,000
fr. distribués aux communes les plus nécessiteuses. Moi-même qui avait un
certain intérêt dans la répartition, j’ai toujours reconnu qu’il fallait donner
beaucoup (page 262) plus aux provinces malheureuses, notamment aux
Flandres, qu’aux autres provinces. Mais en ce qui concerne la voirie, les chemins
vicinaux, je puis dire que la province de Liége est une des plus maltraitées du
royaume.
Elle disait : Donnez-nous peu ; nous
nous viendrons en aide à nous-mêmes ; mais donnez-nous quelque chose pour faire
des routes et des chemins vicinaux, parce qu’aucune province n’est plus
maltraitée en qui concerne les routes et les chemins vicinaux.
Messieurs, je n’ai pas hésité à dire que dans la distribution
des deux millions le gouvernement s’était montré juste et impartial ; je le dis
encore aujourd’hui.
Je demande, messieurs, que M. le ministre des affaires
étrangères ait l’obligeance de répondre à mon interpellation et de nous dire
quand enfin nous sera présenté le projet de loi ayant pour objet la création
d’un société d’exportation ; attendu que les 300,000 fr., qu’on nous demande et
que je suis prêt à voter, sont le complément de ce projet.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je regrette véritablement que l’honorable
membre, tout en traitant de grandes questions, ait cru devoir, je dois le dire,
y rattacher de très petites considérations au moins en un point.
Il vous a dit que je n’avais pas moi-même lu l’annexe
de M. Kindt. Or messieurs, le fait qu’il vous a cité prouve précisément que
j’ai lu cette annexe, que M. Kindt avait rédigée pour constituer l’exposé des
motifs mais que je n’ai pas adoptée comme tels. On a donc rayé les expressions
qui supposaient les rapports du ministre à la chambre, et c’est par
inadvertance qu’une seule de ces expressions y est restée. C’était au prote la
supprimer.
L’honorable membre a dit qu’il n’y a pas eu d’ordre
dans les mesures présentées par le
gouvernement ; mais, messieurs, je crois qu’il y a eu beaucoup d’ensemble dans
ces mesures. Le gouvernement avait à pourvoir à la subsistance des classes ouvrières,
et il vous a demandé de ce chef une somme de 2 millions applicables à divers
usages. Voilà ce que nous appelons une mesure d’ensemble.
A la vérité, quant à l’application de cette loi, du
moins quant à l’application partielle, il fallait deux autres lois de principe ;
l’une qui autorise la société linière, et quant à cette société, les statuts en
ont été délibérés par le gouvernement avant qu’il ne vous adressât la demande
de crédit ; si le projet ne vous est pas encore présenté, c’est qu’il est
survenu quelques difficultés dans la recherche du personnel ; des personnes sur
lesquelles on avait compté, ont cru que la charge était trop lourde pour elles,
que leurs affaires particulières ne leur permettaient pas d’accepter cette
mission. Mais je crois que les choses en sont arrivées à un tel degré d’avancement,
qu’il ne se passera que très peu de jours avant que le projet de loi ne soit
présenté.
Quant à ce
qui concerne les défrichements, nous avons, messieurs, présenté la loi de principe
en même temps que celle-ci, et si le rapport n’a pas encore été fait, ce n’est
pas à nous que ce retard est
imputable.
Ainsi viennent à tomber les critiques adressées bien
à tort, quoiqu’avec une certaine amertume, au gouvernement.
Messieurs, qu’on ne se le dissimule pas : la
question des défrichements, des irrigations et de colonisation est une question
éminemment populaire, parce qu’elle est entièrement dans l’intérêt du pays ;
aussi il n’y a pas de question vers laquelle l’attention publique se porte
aussi unanimement que celle-là.
Que l’on ne vienne pas nous dire : Vous auriez dû déclarer
ce que vous vouliez faire, par exemple, en ce qui concerne les mesures de
colonisation ; vous voulez bâtir les édifices nécessaires pour faciliter l’établissement
d’un village ; vous voulez prendre telle autre mesure. Mais, messieurs, ce sont
là des mesures simplement administratives. Il suffit que deux choses soient
adoptées par les chambres : d’une part, les crédits, et d’autre part, la loi de
principe. Le reste se fera de soi-même et avec peu de dépenses. Car la somme de
500,000 francs que nous vous demandons est, en grande partie, une somme à
dépenser en avances et qui ne sera pas perdue pour le trésor.
Qu’est-il arrivé l’année dernière ? J’avais dans la
session de 1845 signalé le premier le rapport fait par M. Kummer sur les irrigations. Aucun projet ne fût présenté à la
chambre pour demander un crédit. Mais la
circonstance fortuite du manque de récolte des pommes de terre mit des fonds
aux mains du gouvernement, et sur ce fonds des subsistances, il prit 50,000 fr.
pour faire un premier essai des travaux d’irrigation. Ces essais ont répondu
aux espérances de l’ingénieur et du gouvernement, et dès lors la preuve a été
acquise que ce système était bon en lui-même, qu’il ne s’agissait maintenant
que de lui donner tous ses développements.
Ainsi ne dites donc pas que ce sont là des faits inconnus,
que ce sont des faits nouveaux pour la chambre. Vous avez eu le premier rapport
présenté par M. Kummer au printemps de 1845 ; vous avez eu l’application
de ce rapport, et les résultats vous sont connus. Vois avez maintenant un
second rapport de M. Kummer, qui
est imprimé depuis plusieurs semaines ; vous avez le rapport du conseil d’agriculture
et l’exposé du gouvernement.
Si une pareille question n’est pas instruite, je ne
sais pas quand il aura des lumières suffisantes pour se former une opinion.
Qu’après cela, M. le rapporteur n’ait pas cru devoir
entrer dans des considérations étendues, il vous en expliquera peut-être les
motifs, mais c’est qu’il aura pensé que la question était claire, que tout développement,
tout détail nouveau serait superflu.
L’honorable M. Orban prétend toujours que cette loi
préjuge l’aliénation forcée des terrains communaux. En aucune manière. Il y a deux
choses dans la loi qui vous a été présentée quant aux défrichements. Il y a
d’abord les ventes forcées et publiques des terrains communaux. Quant au principe,
il n’est nullement préjugé par l’adoption du crédit.
Il y a un second principe ; c’est l’expropriation des
terrains communaux à faire par le gouvernement pour les disposer à l’état d’irrigation.
Ceci, messieurs, est entièrement connexe au système que la chambre a déjà
apprécié et qu’aucun orateur ne combat ; de manière que, pour ce point-là, je
ne doute pas que la chambre n’adopte le principe que le gouvernement a proposé.
Mais, dit-on, attendez au moins que la chambre ait adopté le second principe de
la loi des défrichements. Mais, messieurs, la chose me paraît tellement simple,
que nous ne voyons aucune espèce d’inconvénient à ce que la chambre vote le
crédit.
D’ailleurs les 500 mille francs ne seront pas employés
à l’expropriation. Aucune partie n’en sera employée aussi longtemps que le
principe n’aura pas été voté. Mais nous emploierons tout ce qu’il sera possible
d’employer pour les terrains que les communes mettent volontairement à la
disposition du gouvernement. Voilà quelle sera la première application de ce crédit.
On dit : M. Kummer n’a demandé que 100 mille
francs. C’est une erreur. M. Kummer demandait 150 mille francs. Mais nous avons
fait mention des 100 mille francs nouveaux qu’il demandait, parce qu’il croyait
que les 50 mille francs qui avaient été dépensés pouvaient être de nouveau
employés au même usage. C’était donc 150 mille francs qu’il demandait.
Il les demandait à titre de fonds roulant ; car cette
somme de 150 mille francs serait évidemment insuffisante ; mais il comptait
employer de nouveau ses fonds d’année en année à mesure qu’ils rentreraient.
Maintenant, messieurs, que les fonds seront plus considérables
si la chambre adopte le crédit, on donnera toute l’activité possible aux
travaux de l’irrigation, et pour le reste nous attendrons que la loi de
défrichement ait été votée.
En tout état de cause, comme l’a fort bien fait observer
l’honorable M. Dubus, si la chambre ne se croyait pas suffisamment éclairée
pour allouer la somme entière de 500,000 francs, on ne pourrait se dispenser
d’allouer au moins une grande partie de cette somme, pour commencer les travaux
d’irrigation, principe qui n’est plus contesté aujourd’hui, que personne
n’oserait plus contester, tellement les faits sont évidents, tellement la chose
est populaire.
S’il en était autrement, messieurs, qu’arriverait-il
? C’est que cette année-ci on marcherait à reculons. L’année dernière, sur le
crédit total de deux millions, le gouvernement a pu imputer pour les
irrigations. Mais cette année, comme on a demandé un crédit spécial, il ne
pourrait imputer, et ainsi il n’y aurait plus aucun travail à faire dans la
Campine.
Telle serait la conséquence ultérieure de ce que propose
l’honorable M Orban.
Cet honorable membre demande le renvoi du crédit de
500,000 fr. à la discussion du projet de loi sur les défrichements. Or,
l’honorable membre dit qu’il faut un mois à l’homme le plus intelligent
uniquement pour rédiger le rapport. Et combien de mois faudra-t-il à la chambre
pour le discuter ?
On dit : Nous allons nous enfoncer dans des discussions
interminables. Mais, messieurs, quelque mince que soit un projet, si la chambre
n’avait pas le bon sens de mettre un terme aux discussions, il est en sa
puissance de discuter des années entières. Il faut donc compter sur notre
propre bon sens et penser que nous n’irons pas donner à cette discussion une
importance démesurée, une importance qu’elle ne comporte pas.
Ainsi, messieurs, de deux choses l’une : ou la
chambre adoptera le crédit entier de cinq cent mille francs, ou tout au moins elle
adoptera ce qui est nécessaire pour commencer immédiatement les travaux d’irrigation,
sans rien préjuger quant à l’autre partie du crédit ; et de toute manière, vous
voyez que la proposition de disjonction faite par M. Orban est prématurée,
qu’il faut au moins attendre que nous soyons arrivés à la discussion du 3° de
l’article premier.
Plusieurs membres. - Proposez la
question préalable.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - On m’engage
à proposer la question préalable. Messieurs, je la proposerai pour mettre fin au
débat.
Mais je prie la chambre de faire attention à l’effet
moral de son vote. Connue je l’ai dit, de toutes parts ou demande la loi des
défrichements ; de toutes parts ou demande que les travaux d’irrigation dans la
Campine soient poussés une la plus grande activité.
Le rejet de tout crédit, messieurs, porterait en
quelque sorte le découragement dans l’esprit de tant de personnes qui se sont
occupées de cette question, qui y ont consacré un temps considérable, qui même
ont fait imprimer à leurs frais des mémoires ; et véritablement on ne saurait
pas interpréter un semblable vote de la chambre, surtout en présence de circonstances
aussi graves que celles-ci, où tout nous convie à procurer du travail et du
travail en abondance à la classe ouvrière.
- La clôture est demandée.
M.
Orban. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour modifier mon amendement. Je
proposerai de renvoyer à l’époque de la discussion du projet de loi sur les
défrichements, le vote de la partie du crédit de 500,000 fr. qui a été ajouté
par M. le ministre de l’intérieur à celle qui était (page 263) demandée par M. Kummer, et que cet ingénieur jugeait
suffisante pour continuer les irrigations. De cette manière il sera fait droit aux réclamations soulevées par
les honorables députés de la Campine, qui demandent qu’il soit donné
immédiatement du travail aux classes ouvrières ; et de l’autre côté nous
laisserons intacte la question relative à la colonisation, celle des
défrichements et toutes celles qui s’y rattachent.
Je propose donc de distraire du projet une somme de
350,000 fr., spécialement destinée à cet objet.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, si
la chambre veut accorder 150,000 fr. pour les irrigations, travaux qui peuvent
être immédiatement exécutés, je consens volontiers à l’ajournement des 350,000
fr. jusqu’à la discussion de la loi sur les défrichements. Mais je demande que
ce crédit fasse alors partie de la loi. (Oui
! oui !)
M. Lys. - Je demande la
parole pour un fait personnel.
M. le président. - Je dois dire
que je n’ai entendu faire aucune observation qui vous fût personnelle.
M. Lys. - L’honorable
député de Turnhout m’a renvoyé aux Annales
parlementaires, et je désire expliquer ce que j’ai dit. Je n’en ai que pour
un moment.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Lys. - L’honorable
député de Turnhout m’a renvoyé aux Annales
parlementaires. Messieurs, je n’ai trouvé dans les Annales que le rapport de M. l’ingénieur
Kummer, fait au conseil d’agriculture, et le rapport du conseil d’agriculture.
Mais ce que j’ai demandé, c’est la discussion qui a eu lieu au conseil
d’agriculture sur la question dont il
s’agit aujourd’hui. Cette discussion existe dans les archives du département de
l’intérieur. Elle doit nous éclairer pour l’examen de la question. Je demande
donc que M. le ministre veuille la faire distribuer aux membres de la chambre.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Le conseil d’agriculture a arrêté un rapport au
ministère sur cette question et je crois que c’est tout ce que le conseil
d’agriculture avait l’intention de faire publier. S’il a été tenu note de
quelques observations de détails faites par des membres, j’aurai à examiner si
elles sont de nature à être publiées.
M. Lys. - Les pièces qui
nous ont été communiquées ne nous apprennent rien, tandis que la discussion qui
a eu lieu au conseil d’agriculture est très intéressante. C’est un membre du
conseil même qui m’a dit lui-même, que cette
discussion servirait beaucoup à éclairer la question. On ne veut sans
doute pas prétendre, que nous nous en rapportions à l’avis du conseil
d’agriculture, sans examen des motifs qui l’ont dirigé, car c’est là le seul
moyen d’apprécier convenablement leur mérite.
M. de Tornaco. - Je demande
la parole sur la position de la question.
Je crois, messieurs, qu’il est nécessaire de préciser
la question que nous avons à résoudre.
D’après l’amendement de l’honorable
M. Orban, il s’agirait d’accorder, je le crois du moins, le complément de la
somme qui a été demandée par M. l’ingénieur Kummer. (Non ! non !) Mais alors vous n’êtes plus d’accord avec
les chiffres de M. l’ingénieur Kummer ou avec ceux du ministère. Je pense qu’il
serait préférable de prendre pour base les chiffres de M. l’ingénieur Kummer,
et d’accorder purement et simplement le complément de la somme de 150,000 fr.,
qui était demandée par lui.
Remarquez, messieurs, que M. l’ingénieur Kummer demande
cette somme de 150,000 fi, pour faire un travail de 15 millions de francs. Je crois que cela est suffisant pour
donner du travail aux ouvriers de la Campine et aux Flamands qui y iront
chercher de l’occupation.
Je propose donc formellement d’allouer au
gouvernement, sur le chiffre de 500,000 fr., la somme de 97,000 fr. De cette
manière nous accordons le chiffre que M. l’ingénieur Kummer juge nécessaire.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, si
l’honorable préopinant avait fait attention au discours que j’ai prononcé, il
n’aurait point présenté cet amendement. J’ai dit que l’ingénieur Kummer avait
demandé seulement 97,000 fr., parce qu’il supposait que les fonds déjà employés
pour les irrigations pouvaient être de nouveau consacrés à cet objet, ce qui avec les 97,000 fr.
aurait formé la somme de 150,000 ; mais il n’en est pas ainsi, les règles de la
comptabilité s’y opposent et dès lors il faut voter toute la somme de 150,000
fr.
Maintenant, messieurs, qu’on ne
suppose pas que 150,000 fr. employés une fois, donneraient du travail pour 15
millions. C’est la somme de 150,000 fr. employée très souvent qui pourrait
faire obtenir ce résultat au
bout de plusieurs années.
Mais, messieurs, il s’agit de donner une impulsion bien
autrement grande à ces travaux et c’est ce que nous demanderons en discutant la
loi sur le défrichement. Avec la somme de 150,000 fr., nous pourrons pourvoir
au plus pressé, et c’est ce qui m’a déterminé à ne pas m’opposer à
l’ajournement tel qu’il est maintenant restreint. Lorsque nous discuterons la
loi sur le défrichement, il me sera très facile de démontrer que la somme de
350,000 fr. est de la plus urgente nécessité.
M. Dubus
(aîné). - Je n’ai qu’un
mot à répondre, messieurs, à l’honorable député de Verriers. Cet honorable
membre dit que je l’ai renvoyé aux Annales
parlementaires ; il se trompe, c’est lui qui a invoqué les Annales parlementaires pour en
conclure que depuis hier ou avant-hier seulement nous avions connaissance du rapport
du conseil supérieur d’agriculture, et je lui ai fait remarquer que depuis
trois semaines cette pièce avait été imprimée par ordre de la chambre, comme
annexe au projet de loi que nous discutons aujourd’hui ; j’ai ajouté que ce
n’est pas seulement une série de résolutions sèches qu’on nous a distribuée, mais
que les questions et les résolutions se trouvent précédées d’un rapport de 11 pages in-folio.
- La proposition de M. Orban est mise aux voix et adoptée.
MOTION D’ORDRE
M. Osy. - Messieurs, il
y a peu de jours, nous avons eu à combattre, dans cette enceinte, des paroles
peu bienveillantes contre le commerce qui a rendu de si grands services pour
l’alimentation du pays.
Ce n’était qu’une opinion individuelle d’un membre du
parlement, mais aujourd’hui, j’ai à signaler un acte d’une autre importance. C’est
un rapport officiel de M. le gouverneur de la Flandre orientale, inséré au Moniteur d’hier et qui a fait la plus
pénible impression Sur tous mes honorables collègues qui l’ont lu.
Un gouverneur d’une province où il règne tant de misère
et où le commerce a tant fait pour amener des subsistances, pour faire abaisser,
le plus possible, les prix, ose dire (et le ministre fait publier cette lettre)
:
« Il est hors de doute, d’après moi, M. le ministre,
que la spéculation est la cause principale du haut prix qu’ont atteint les
céréales dans ces derniers temps. »
Plus loin, ce haut fonctionnaire, allant encore plus
loin dans son rapport du 2 juin, dit :
« C’est le haut commerce, me semble-t-il, dont
les intérêts ont été éveillés par cette loi (du 27 septembre 1845) qui ayant pu
disposer, en peu de temps, de quantités extraordinaires de blés importés, a
poussé, par des moyens qui lui sont familiers, à la hausse des céréales. »
Aussi, on importe à force, on fait des ventes journalières,
au fur et à mesure qu’il y a des acheteurs ; au point que M. le ministre des
finances. disait lui-même samedi : « Le
mouvement de nos entrepôts a prouvé qu’une importation de 450,000,000 de
denrées alimentaires s’est faite, sans que jamais les entrepôts aient été
encombrés. Et un gouverneur d’une province malheureuse fait tout ce qu’il peut,
par des paroles plus qu’imprudentes, je dirai même méchantes, pour déconsidérer
une classe si utile à la société et qui a rendu de si grands services, et
ameuter une classe contre l’autre, le consommateur contre le commerce ! Il
faut craindre que ces paroles officielles, adressées au ministre, sont
également répétées aux administrés, et les conséquences peuvent en être les
plus funestes.
Ayez de la haine pour le commerce et portez toute votre
affection sur les campagnards, qui vous seront, peut-être, plus utiles que les
citadins, dans une autre circonstance ; mais comme haut fonctionnaire, le
gouvernement doit publiquement réprimer des paroles aussi inconsidérées que celles
qu’il a fait publier par le Moniteur.
Pour ma part, je proteste de toutes mes forces contre
cette opinion de M. le gouverneur de Gand ; mais daus l’intérêt du pays et de
la tranquillité de nos grandes villes commerciales, M. le ministre nous doit
une explication sur la publication de cette dépêche du 2 juin, et en désavouant
les paroles inconvenantes du haut fonctionnaire de Gand, nous pouvons espérer
qu’on pourra éclairer les populations et rassurer le haut commerce. Car sans
cela, soyez persuadés qu’il s’arrêtera dans ses opérations, et si le pays a
encore de grands besoins, nous serons pris au dépourvu et les prix des céréales
pourraient encore hausser considérablement. Et alors, nous pourrons dire que
cette nouvelle hausse n’est à attribuer qu’aux paroles inconsidérées d’un haut
administrateur.
J’espère que l’honorable M. de Theux
voudra prendre la parole, pour blâmer, comme moi, son préfet ; mais
malheureusement, si même c’était par des paroles chaleureuses, je crains que le
mal ne soit déjà fait et qu’on ne pourra le réparer qu’en partie ; car vous
savez, messieurs, que de toute calomnie, il en reste toujours quelque chose. Je
dis calomnie, parce que les paroles de M. le gouverneur ne sont appuyées
d’aucun fait à l’appui et qu’il ne pourra pas se justifier.
Je n’ai le droit d’interpeller aucun de nos collègues,
mais nous pouvons nous en prendre à M. le ministre de l’intérieur, sauf à lui à
s’arranger avec ses administrateurs dans les provinces et l’en rendre
responsable.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je suis
persuadé, messieurs, que l’honorable membre a donné au rapport du gouverneur de
la Flandre orientale une portée que ce rapport ne comporte point.
M. le gouverneur de
la Flandre orientale ne signale pas que tel ou tel négociant aurait, par un accaparement
illicite, donné lieu au renchérissement extraordinaire des denrées ; telle
n’est point sa pensée ; la simple lecture du rapport le fait voir. Lorsque le
commerce achète des blés à l’étranger, il reste juge du moment le plus opportun
pour ses intérêts de les déverser dans la consommation. Si les négociants, qui
ont fait venir les céréales, ne les ont pas vendus immédiatement, c’est qu’ils
ont cru de leur intérêt de ne les vendre que successivement ou d’en suspendre
la vente jusqu’à ce qu’ils pussent l’opérer plus avantageusement.
Cette
observation, du reste, a encore été faite par un autre gouverneur que celui de
la Flandre orientale, et c’est évidemment dans le même esprit que l’une et
l’autre observation ont été faites. Je crois donc que l’honorable membre a eu
tort de la considérer comme un blâme adressé au commerce, comme une sorte
d’appel aux populations affamées contre les membres du haut commerce qui ont
fait des importations de céréales. Voilà, messieurs, la seule explication que j’aie à donner, et je ne vois réellement
aucun inconvénient à la publicité qu’ont reçue les différentes (page 264)
opinions émises sur la question si grave des subsistances, question qu’il
importe d’éclaircir par tous les moyens disponibles.
M. Desmaisières. - Messieurs, j’ai
déjà dit, dans une autre occasion, que toutes les fois qu’un membre de cette
chambre se permettra de m’interpeller…
M. Osy. - Je ne vous ai pas interpellé.
M. Desmaisières. - Ou de m’accuser en ce qui concerne les fonctions
que je remplis en dehors de cette chambre, je ne répondrais pas. J’agirai
encore aujourd’hui de la même manière. Mais l’honorable M. Osy s’est permis, à
mon égard, des paroles que je ne qualifierai pas... (Interruption.) parce
que, contrairement à ce qu’il a fait à mon égard, je ne veux me servir que
d’expressions permises dans cette enceinte, et qu’il n’y a pas de termes parlementaires assez forts pour faire
sentir l’inconvenance des accusations qu’il n’a pas craint de porter contre un
collègue. II a commencé, en parlant de moi, par faire bien remarquer à la
chambre qu’il s’agissait d’un membre de la chambre ici présent.
M. Osy. - Je n’ai pas dit cela.
M. Desmaisières. - Vous avez dit : « un honorable membre de cette chambre », je
l’ai très bien entendu ; j’ai écouté
vos paroles avec la plus grande attention, et vous m’avez accusé d’avoir, dans la
lettre que j’ai adressée à M. le ministre de l’intérieur, « agi méchamment contre le commerce, d’avoir montré
de la haine contre le commerce ». Eh bien, j’ai dans cette chambre,
tous mes honorables collègues en sont témoins, j’ai dans cette chambre mille
fois défendu la cause du commerce ; et dans la question de sucres, par exemple,
qui est-ce qui l’a plus défendu que moi ? Est-ce M. Osy ?
Maintenant j’ai émis, en ma qualité de fonctionnaire
public, une opinion sur la question des subsistances, mais mon honorable
collègue de la province d’Anvers
a émis la même opinion. Voici en effet ce qu’il a dit dans sa lettre :
« Si la spéculation est
aujourd’hui la cause principale du haut prix des céréales, y obvierait-on par
l’établissement de greniers d’abondance, de halles aux grains, par la création
de caisses d’avances pour la boulangerie, etc. »
Vous voyez donc bien que l’opinion que j’ai émise d’une
manière dubitative, du reste, dans ma lettre à M. le ministre de l’intérieur,
d’après les rapports que j’ai reçus, et qui attribuaient à des spéculations le
haut prix des céréales ; vous voyez donc bien, messieurs, que cette opinion
était à la même époque entièrement partagée par mon honorable collègue de la
province d’Anvers.
M. Osy. - Messieurs,
j’ai dit que nous n’avions pas le droit d’interpeller un membre de la chambre
et que je rendais responsable M. le ministre de l’intérieur à qui je demandais
des explications. Voilà tout ce que j’ai dit, mais j’ai trouvé les paroles,
publiées hier au Moniteur, tellement
dangereuses que, pour ma part, je ne pouvais me dispenser de protester coutre
ces paroles.
M. Lesoinne. – Messieurs, j’ai
lu aussi, avec un sentiment semblable, la lettre du gouverneur de la Flandre orientale,
parce qu’elle tend à maintenir un préjugé faux et dangereux dans ses conséquences.
Ces idées d’accaparement, on en a fait justice depuis
longtemps. Dans un temps de
disette, un commerçant risque ses capitaux pour aller chercher des denrées alimentaires
pour son pays ; et on l’accuserait de vouloir l’affamer ! Mais quand on lance
une accusation pareille, on devrait l’appuyer de preuves qui pussent faire
croire qu’on a dit la vérité...
M. Rogier. – C’est cela !
M. Lesoinne. - Et je crois qu’on
serait fort embarrassé de le faire. L’année dernière déjà on était gêné pour
l’approvisionnement du pays ; l’année qui va finir n’a pas été meilleure ;
au contraire, il a été plus difficile encore de se procurer les denrées
alimentaires. Je dirai que le fret d’Odessa à Anvers s’est élevé jusqu’à 100
florins le last ; ce qui porte le fret à 8 fr. par hectolitre environ ; eh
bien, les ordres transmis dans ce pays-là n’ont pas pu être exécutés, même dans
des limites très larges. Si l’on pouvait connaître le résultat des opérations
qui ont été faites dans les grains sur les différents marchés, on trouverait
que beaucoup de ces opérations ont plutôt présenté de la perte que du gain. Si
M. le gouverneur de la Flandre orientale s’était donné la peine de prendre des
renseignements sur les prix et les frets des céréales sur les marchés
étrangers, je suis persuadé qu’il n’aurait pas écrit à M. le ministre de
l’intérieur la lettre qui provoque aujourd’hui cette irritante discussion.
M. Loos. - Messieurs, je ne sais si nous avons plus à nous émouvoir de la lettre
inconcevable du gouverneur de la Flandre orientale, que de la publicité que M.
le ministre de l’intérieur a donnée à une opinion aussi absurde.
Je dis une opinion absurde ; je ne critique pas ici
l’opinion d’un membre de cette chambre ; je m’attaque à l’opinion d’un haut fonctionnaire
qui n’a pas craint de dire au pays que c’était le commerce qui faisait
renchérir le grain par des manœuvres qui lui sont familières. Je vous l’avoue,
messieurs, l’indignation me déborde quand je vois un haut fonctionnaire émettre une semblable doctrine.
Comment ! c’est en présence du
tableau que nous présente le gouvernement des opérations faites par le
commerce, tableau d’où il résulte qu’en 2l mois sur 455 kilog. de denrées
alimentaires introduites dans le pays, 34 millions seulement ont passé en
transit, de sorte que plus de 400
millions de kilog. de denrées alimentaires ont été procurés à la consommation
du pays par le commerce ; c’est en présence d’un semblable résultat qu’un haut fonctionnaire du pays s’avise d’envoyer
au gouvernement une opinion absurde, opinion que le gouvernement produit au
Moniteur.
Messieurs, je me sens profondément humilié pour mon
pays, quand je songe que c’est un gouverneur
de province, un ancien ministre des finances, un ancien ministre des travaux
publics, qui, à l’époque où nous vivons,
écrit de semblables absurdités à son
gouvernement. Je vous demande, messieurs, pardon de la vivacité de mes paroles
; mais, comme je l’ai dit en commençant, l’indignation me débordait quand j’ai
lu une semblable accusation
dans la feuille officielle. Je demande donc que le gouvernement désavoue une
opinion contribué à répandre dans le pays.
M. Rogier. - Messieurs, si
M. le ministre de l’intérieur avait donné une réponse satisfaisante à
l’honorable M. Osy, je n’aurais pas pris la parole ; mais je dois le dire, la
manière dont M. le ministre de l’intérieur a répondu, pourrait faire croire que
l’opinion si extraordinaire exprimée par un de ses agents, ne contrarierait pas
tellement la sienne propre qu’il
se crût dans la nécessité de la désavouer.
Dès lors cette opinion, que nous aurions pu couvrir
d’un silence indulgent, cette opinion revêt
un caractère beaucoup plus important
; le gouvernement, en la publiant par la voie du Moniteur, l’a faite en quelque sorte sienne.
Je veux croire que c’est par une distraction que
cette lettre singulière a figuré parmi les documents officiels émanés du
gouvernement ; mais l’effet de cette distraction n’en peut pas moins être
déplorable sur l’opinion, et je crois que M. le ministre de l’intérieur, à
moins qu’il ne veuille partager, aux yeux du public, la solidarité de cette
opinion, doit aux membres de la chambre de la désavouer et de la combattre. Si
nons devions supposer que l’opinion de M. le gouverneur de la Flandre orientale
est celle de M. le ministre de l’intérieur, dès à présent nous combattrions M.
le ministre de l’intérieur sur ce point
avec toute l’énergie dont nous pouvons être capables.
Je demande donc
que M. le ministre de l’intérieur
s’explique sur cette question.
J’ai eu tout récemment à combattre l’opinion isolée
d’un de nos collègues ; je l’ai fait alors avec trop de vivacité peut-être ; mais,
messieurs, si cette opinion, d’isolée qu’elle était, venait à remonter jusqu’au
gouvernement, oh ! alors je n’aurais pas assez d’énergie pour m’élever
contre de semblables doctrines, je demanderais compte au gouvernement de la
propagation de pareilles erreurs.
M. le ministre de l’intérieur vient de nous dire :
« De quoi vous plaignez-vous ? Aucun négociant n’a été nominativement accusé ;
dès lors, cette opinion peut librement circuler sans inconvénient pour
personne. »
M. le ministre de l’intérieur a-t-il
pris garde à ce qu’il disait ? Non, on
n’a pas accusé tel ou tel individu « de pousser à la hausse du prix du grain par les manœuvres qui lui sont familières » ;
car une pareille accusation aurait nécessairement donné lieu à un
procès, soit contre l’auteur de ces manœuvres, soit contre l’auteur de la
calomnie qui aurait frappé ce commerçant ; nous n’aurions pas dû nous occuper
de l’accusation, si elle avait atteint un seul individu ; mais il en est tout
autrement quand l’accusation, se produisant par la voie officielle et sous
patronage du gouvernement, s’applique à toute une classe de citoyens, à tous
les commerçants indistinctement, même à ceux de la ville où le haut
fonctionnaire dont il s’agit exerce ses fonctions ; car je ne sache pas que le
commerce de Gand s’abstienne de faire arriver des céréales. Eh bien je fais un appel au commerce de Gand lui-même contre de pareilles doctrines, contre de pareilles
assertions.
En finissant, je demande de nouveau à M. le ministre
de l’intérieur si l’opinion exprimée dans la lettre qui a été publiée dans le Moniteur sous ses auspices, est la
sienne.
M. le
ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je n’ai nullement à déclarer ici si
je fais mienne la rédaction de M. le gouverneur de la Flandre orientale ; je n’ai
rien à avouer ni à désavouer ; j’ai donné aux paroles du gouverneur de la Flandre
orientale le sens naturel qu’elles m’ont semblé comporter ; et d’après les
explications que j’ai données, je crois que ces paroles sont irrépréhensibles dans
le sens que j’y moi-même attaché, et l’honorable gouverneur, membre de cette chambre,
en prenant la parole, n’a en aucune manière désavoué l’explication que j’ai
donnée. J’ai dit que je pensais que dans l’opinion de ce fonctionnaire, il s’agissait
d’importations de blés dont les commerçants avaient fait tel usage qu’ils avaient jugé convenir, mais qu’il n’avait signalé
aucune manœuvre illicite qui fût de nature à blesser l’honneur du commerce.
L’honorable M. Lesoinne dit que les frais
d’importation ont été considérables. C’est un des motifs pour lesquels le
commerçant ne s’empresse pas de vendre quand il a fait des importations à ses
risques et périls ;
On sait que le commerce des céréales est un commerce
plein de dangers, que rien n’est plus variable que le prix des céréales.
Celui qui
consacre ses capitaux à acheter des céréales à l’étranger pour les importer,
attend le moment opportun de les vendre, pour réaliser le bénéfice qu’il trouve
raisonnable et dont il est seul juge.
On ne fait pas du commerce par esprit de charité, par
patriotisme ; on fait du commerce parce qu’on y trouve son compte, parce
que la profession du commerçant est honorable. C’est dans ce sens que j’ai
compris l’opinion de l’honorable M. Desmaisières, comme j’ai compris dans le
même sens l’opinion de M. le gouverneur de la province d’Anvers.
Nous vivons sous un régime de publicité, on ne doit pas se montrer si chatouilleux.
(page 265)
Je ne pouvais pas supprimer tel ou tel document
d’une enquête qui a été instituée par mon prédécesseur. M. Van de Weyer a institué une enquête sur la cherté du pain, je
l’ai livrée à la publicité
telle que je l’ai reçue, car M. Van de Weyer s’était retiré à cette époque.
M. Verhaegen. - M. le
ministre de l’intérieur, pour se justifier de l’imprudence au moins qu’il a
commise, vient de dire que nous vivons sous un régime de publicité, et parce
que nous vivons sous un régime de publicité, il a cru devoir publier une lettre
qui, si on s’en rapporte aux observations que vient de présenter M.
Desmaisières, serait une lettre non destinée à être livrée à la publicité. Nous
avons vu en maintes circonstances M. le ministre de l’intérieur nous refuser,
dans des occasions solennelles, de nous communiquer sa correspondance avec ses
subordonnés. Il venait nous dire alors que cette correspondance était de sa
nature secrète, et que s’il la livrait à la publicité, il arrêterait les
fonctionnaires dans le développement des renseignements dont souvent il a
besoin.
Maintenant le fait est grave. M. de Theux aura beau dire qu’il n’a pas ni cette gravité
que nous voyons, il aura beau donner une interprétation forcée à des termes qui
sont clairs, précis ; toujours est-il, et pour mon compte j’en ai l’intime conviction,
que si on avait consulté M. Desmaisières sur la question de savoir si sa lettre
du 2 juin devait être publiée, il s’y serait complétement refusé. Eh bien, je
demande maintenant à M. le ministre de l’intérieur quelle utilité il a trouvée,
lui, à publier, au milieu du mois de décembre 1846, une lettre qui porte la
date du 2 juin ? Car les dates sont importantes. Cette lettre porte la date du
juin. Pourquoi, dis-je, au milieu du mois de décembre a-t-on jugé nécessaire de
la publier ?
Oh ! s’il y avait dans cette lettre des renseignements
importants pour l’exécution du projet de loi qui nous occupe, je comprends que
M. le ministre pourrait se justifier de cette publication. Mais il n’y a dans
cette lettre, au fond, autre chose, si ce n’est, comme l’a dit mon honorable
ami M. Rogier, une calomnie caractérisée par la loi pénale, si l’imputation
avait eu lieu contre un individu déterminé. Peu de mots suffiront pour le
démontrer.
Celui qui emploie des manœuvres pour faire hausser le
prix des grains, se rend coupable d’un délit ; et il est, aux termes de nos lois
pénales, sévèrement puni.
En effet, ce fait est grave : spéculer sur la misère
publique est de tous les faits, le fait le plus odieux ; outre la peine déterminée
par le code pénal, il expose son auteur à la haine, à l’animadversion de ses
concitoyens, surtout à l’animadversion de la classe nécessiteuse.
Attribuer à quelqu’un un pareil fait, c’est en quelque
sorte provoquer au pillage et à tous les désordres ; c’est notamment eu égard à
l’importance, à la gravité de cette accusation, que la loi pénale a sévi
gravement contre ceux qui se rendent coupables d’une pareille calomnie.
Je dis que les termes de cette lettre sont clairs ;
et l’explication que vient de donner M. le ministre de l’intérieur n’a réellement
aucune portée.
On impute à tous les individus d’une même catégorie
un fait odieux qui, s’il avait été imputé à un seul, constituerait un délit de calomnie
; c’est une calomnie contre tous, au lieu d’être une calomnie contre un ou
deux, et la chose en est d’autant plus grave.
Quoi qu’il en soit, comme il faut que chacun réponde
de ses œuvres, j’ai pensé qu’il était de mon devoir de faire remarquer que si
l’honorable M. Desmaisières a communiqué au ministre de l’intérieur une opinion
qu’il pouvait avoir, quelque erronée qu’elle fût, au moins il n’y a pas à déverser sur lui ce blâme que nous
déversons sur M. le ministre de l’intérieur, à moins qu’il ne l’ait autorisé à
publier sa lettre.
Comme chacun répond de ses actes, quoiqu’il ne nous
appartienne pas d’interroger dans cette enceinte M. Desmaisières comme gouverneur,
je pense qu’il conviendrait, pour sa justification aux yeux du pays, qu’il
s’expliquât lui-même quant à cette publication. Je le prie de me prêter un
instant son attention.
Je pense que lorsque l’honorable membre a écrit à ses
supérieurs, dans la hiérarchie administrative,
la lettre dont il est ici question, il n’entrait nullement dans ses intentions
de la voir publier ; et évidemment quelque erronée qu’ait pu être l’opinion de
l’honorable M. Desmaisières, l’énonciation de cette opinion ne pouvait amener
aucune conséquence fâcheuse, du moment où elle restait concentrée dans la
correspondance administrative.
Or, messieurs, si la publication de
cette lettre a eu lieu sans l’assentiment de l’honorable M. Desmaisières, qui
est responsable, si ce n’est le ministère ? J’ai ajouté que si l’honorable M.
Desmaisières ne reconnaît à aucun de nous le droit de l’interpeller dans cette
enceinte comme gouverneur, au moins il était de son intérêt de s’en expliquer
lui-même ; il était de son intérêt de se justifier aux yeux du pays, et de ne
pas prendre pour son commerce qui doit être exclusivement pour le compte de M.
le ministre de l’intérieur.
En terminant, messieurs,
je dirai que la publication de cette lettre est injustifiable. Je dirai que
publier cette lettre au milieu du mois de décembre, alors qu’elle porte la date
du juin et cela sans utilité quelconque, ce n’était faire autre chose sinon
déverser le blâme sur le commerce tout entier, exciter la haine des citoyens
contre le commerce tout entier ; et ceux qui ont agi de la sorte doivent en
assumer toute la responsabilité.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). – Messieurs, l’honorable
membre attaque avec véhémence la publication de cette lettre ; il allègue
que la lettre est du 2 juin, et qu’elle n’a été publiée qu’au mois de décembre.
Messieurs, la question est évidemment aujourd’hui à
l’ordre du jour. Elle s’agite dans presque toutes les grandes communes du royaume
; elle a été plusieurs fois agitée dans les chambres législatives, et nous
avons cru que la publication de toute l’instruction qui avait été faite par
notre prédécesseur, pouvait avoir un caractère d’utilité, ne fût-ce que pour détruire
certaines opinions erronées que l’on se formait quant à la tarification du
pain.
Messieurs, les correspondances du ministère avec MM.
les gouverneurs n’ont eu absolument aucun caractère confidentiel. Nous n’avons
pas demandé à MM. les gouverneurs si leurs rapports pouvaient être publiés ou
ne pouvaient pas l’être ; mais nous avons cru qu’il s’agissait d’une question
d’un haut intérêt et qu’il n’y avait aucune espèce d’inconvénient à la publication
de l’enquête.
Du reste, comme nous l’avons dit, messieurs, on a donné
à la lettre de M. Desmaisières un caractère qu’elle ne comporte pas.
M. de
Saegher. - Messieurs, je
ne conçois vraiment pas le procès que l’on vient faire dans cette enceinte à un
honorable membre de la chambre, sous prétexte qu’on le fait seulement au gouverneur
d’une province. Je ne conçois la proposition ni quant à la forme, ni quant au
fond.
Quant à la forme, messieurs, à quelle occasion, je vous
le demande, par quel motif plausible cette question a-t-elle été introduite
dans cette enceinte, incidemment et lorsqu’il s’agissait de presser, de hâter
la discussion d’un projet de loi accordant un crédit pour aider à la subsistance
des pauvres, loi dont nous avons le plus grand besoin, que les populations des
Flandres attendent avec la plus grande anxiété ?
Que s’est-il passé ?
Un honorable gouverneur d’une province est consulté
par le gouvernement à l’effet de connaître son opinion relativement à une question
qui doit s’agiter. Ce gouverneur examine la question, il donne consciencieusement
son avis. Où donc est le mal ? Je le répète, conçoit-on les accusations que
l’on vient de lancer contre cet honorable membre ? Conçoit-on les injures qu’il
a été obligé d’essuyer depuis trois quarts d’heure que dure cette discussion ?
Quant à moi, je ne puis les comprendre.
Quant au fond, messieurs, ce fonctionnaire a émis
son opinion. Cette opinion est fondée ou elle ne l’est pas ; mais enfin c’est
une opinion qui est partagée par d’autres ; c’est une opinion qui est loin
d’être aussi isolée que veulent bien le faire croire les honorables
représentants du haut commerce d’Anvers.
Cette opinion existe, messieurs, et cette opinion n’injurie
personne ; cette opinion n’attaque l’honneur de personne.
En effet, messieurs, quelle est la question ? Il s’agit
de savoir si la spéculation ou, si l’on veut, si les opérations commerciales
peuvent faire hausser le prix des grains. Eh bien, messieurs, cest une opinion
qui existe sans doute dans le pays, et je ne crains pas de le dire, lorsque la
question est ainsi posée, cette opinion est la mienne. (Interruption.)
Je comprends vos rires, je sais que je suis de fort
peu de valeur dans cette chambre ; mais j’ai une opinion libre et j’ai une raison
droite.
Je dis donc, messieurs, que cette opinion ne peut pas
être imputée à crime ; parce qu’en admettant que ceux auxquels on impute les
opérations dont il s’agit s’y livrent réellement, leur honneur n’y est pas intéressé.
Messieurs, croyez-vous donc sérieusement que la chose
n’existe pas en réalité, en ce sens que des spéculateurs font venir des cargaisons
de grains dans le pays, dans l’espoir que les prix augmenteront ; qu’au moment
où leurs greniers sont remplis, et quoique les prix aient augmenté, quoiqu’ils
puissent vendre avec un honnête bénéfice, cependant ils tiennent encore leurs
grains en magasin, dans l’espoir que les prix augmenteront encore ? Sans doute
que cela est licite, et c’est dans ce sens que la lettre du gouverneur de la
Flandre orientale doit être, non pas interprétée, car elle est claire, elle
n’exige pas d’interprétation, mais comprise.
Ce qui m’étonne, messieurs, c’est que l’on vienne, au
nom du commerce d’Anvers, attaquer un honorable fonctionnaire à l’occasion d’une
opinion qui a été émise à peu près dans les mêmes termes par le gouverneur de
la province d’Anvers lui-même. Voyons de près sa lettre, confrontons-la avec
celle que vous attaquez, et vous reconnaîtrez qu’il est impossible de s’y
méprendre, que c’est absolument le même sens.
Voici, messieurs, ce que dit M. le gouverneur d’Anvers
dans sa lettre :
« Si la spéculation est aujourd’hui la cause principale
du haut prix des céréales, y obvierait-on par l’établissement de greniers
d’abondance, de halles aux grains, par la création de caisses d’avances pour la boulangerie,
etc. ?
« L’établissement de greniers d’abondance existe en
France. Ce système y a été adopté pour prévenir le monopole dans le cas de disette.
Peut-être cette institution n’y est-elle que la conséquence de l’état peu
avancé du commerce des grains. Car il est digne de remarque que ni l’Angleterre,
ni la Hollande, pays avec lesquels la Belgique peut mieux être comparée qu’avec
la France, sous ce rapport, n’ont de greniers d’abondance. C’est dans le
commerce que ces pays trouvent leurs réserves dans des cas de disette. »
Voici maintenant ce que dit la lettre de M. le gouverneur de la Flandre orientale :
« C’est le haut commerce, me semble-t-il, dont
les intérêts ont été éveillés par cette loi, qui ayant pu disposer, en peu de temps,
de quantités (page 266) extraordinaires
de blés importés, a poussé, par des moyens qui lui sont familiers, à la hausse
des céréales.
« Pour combattre les inconvénients futurs de la
spéculation, l’établissement de greniers d’abondance, de halles aux grains et
aux farines, tels qu’il en existe à Paris et dans divers Etats de l’Allemagne,
me paraît, en même temps, le moyen le plus rationnel et le plus aisément
praticable. Si, grâce à l’influence à exercer sur les marchés par ces établissements,
le prix des grains conserve toujours son taux normal, les mesures indiquées, en
dernier lieu, dans votre dépêche deviennent complètement inutiles.
« Du reste, la création de caisses d’avances pour
les boulangeries pourrait devenir onéreuse pour le trésor public ou pour les
communes qui en établiraient, et la limitation du nombre des boulangeries s’éloigne
trop de la libéralité de nos institutions pour être praticable.
Je le sais, messieurs, c’est l’expression des moyens
qui lui sont familiers qui a servi de prétexte, mais vous ne pouvez pas séparer
l’expression de l’ensemble des phrases.
Vous le voyez, messieurs, il s’agissait de discuter
la question relativement aux greniers d’abondance.
Le gouverneur de la province d’Anvers traite la question
en supposant que la spéculation est aujourd’hui la cause principale du haut prix de céréales, en ne
le déniant pas. Le gouverneur de la Flandre orientale traite la question, en reconnaissant
la spéculation, en l’admettant. Je vous demande non pas s’il y a là quelque
chose d’illicite, mais s’il peut y avoir quelque chose de plus naturel, de
moins blâmable.
C’est tout un système, dit-on, qui se trouve dans cette
lettre, et que dira-t-on, à Gand, d’une semblable opinion émise par le gouverneur
de la Flandre orientale ? Ah ! messieurs, je comprends quel est l’effet
que l’on veut produire à Gand ; mais je vous dirai, moi, ce qu’on dira à Gand.
Je vous dirai qu’à Gand l’opinion est également accréditée, que c’est la
spéculation, toujours la spéculation non contraire aux lois, qui est la cause
peut-être involontaire de la hausse des grains ; et je vous dirai d’avance que
la ville de Gand, que tous ceux qui examineront la question ne seront pas du
tout scandalisés de l’opinion que son gouverneur a émise.
Mais,
messieurs, il y a bien plus. Je me rappelle que les commissions d’agriculture,
si je ne me trompe, il y a deux ou
trois ans, lorsqu’il s’agissait de la loi sur les céréales, ont demandé
l’augmentation des marchés régulateurs. Et pourquoi, messieurs ? Précisément
pour empêcher les spéculations illicites ; tandis qu’aujourd’hui vous voulez
dénier les spéculations même licites.
D’ailleurs, n’a-t-on pas dit cent fois que le projet
de loi sur les céréales avait pour but spécial de mettre un terme à la hausse factice ?
M.
d’Elhoungne. - Messieurs, la
chambre comprendra que C’est avec un sentiment très pénible que je viens prendre
part à cette discussion. J’aurais voulu m’en abstenir ; dans mon opinion, la
discussion ne peut rouler que sur la publicité que le gouvernement a donnée à
la lettre de M. le gouverneur de la Flandre orientale ; M. le gouverneur ne
doit pas être ici traduit devant vous,
et bien que cet honorable membre fasse partie de la chambre, il n’a pas
à s’expliquer sur les actes qu’il pose comme administrateur.
Mais je dois
protester, messieurs, contre l’opinion que l’honorable M. de Saegher vient de
prêter à la ville de Gand. Il n’y a à Gand
que trois négociants, que trois spéculateurs, puisqu’on les appelle ainsi, qui
font de grandes affaires en céréales ; il ne faut pas qu’on vienne ameuter la
population contre eux.
M. de
Saegher. - Je n’ai pas
dit un mot de cela.
M.
d’Elhoungne. – Il ne faut pas qu’on dise qu’à Gand l’opinion
générale est que la cherté des grains ne provenait pas, au mois de juin déjà,
du manque de la récolte des pommes de terre, mais qu’elle provenait
exclusivement de spéculations....
M. Desmaisières. - Je n’ai pas dit cela.
M.
d’Elhoungne. - Messieurs, ce sont les propres paroles de la
lettre de M. Desmaisières que je cite, lettre que M. de Saegher n’a pas lue en
entier. (Interruption.) Il
n’a lu que la deuxième phrase. Il n’a pas lu la première. (Interruption.) On ne doit pas calomnier l’opinion
publique de Gand.
M. de
Saegher. - Je ne l’ai pas
calomniée.
M.
d’Elhoungne. - On a calomnié la ville de Gand en lui prêtant des opinions absurdes, en lui prêtant
des intentions odieuses. (Interruption.)
Je le répète, messieurs, je ne considère comme répréhensible
que la publicité donnée longtemps après, à une lettre, entièrement
confidentielle de sa nature. M. le gouverneur de la Flandre orientale a pensé,
au mois de juin, que la spéculation était la cause principale de la cherté des
grains ; il a pensé en outre que la cherté des céréales était provoquée par des
manœuvres répréhensibles ; mais le gouvernement a reconnu que ces manœuvres
n’existaient pas. La preuve, c’est que pas un procureur du roi, y compris M. le
procureur du roi de Gand, n’a fait de poursuites. (Bruit.) On a donc reconnu que ces
manœuvres n’existaient pas ; cependant on a publié la lettre de M. le
gouverneur, et la discussion actuelle lui donne un éclat plus fâcheux encore, (Interruption.) Ce qui a été écrit au gouvernement
au mois de juin dernier, pouvait être une opinion erronée, mais elle est
devenue dangereuse par la publicité qui y a été donnée, et aujourd’hui elle est
cent fois plus dangereuse encore. (Interruption.) Si des négociants
s’étaient rendus coupables de manœuvres illicites, il eût fallu les signaler à
la justice ; mais il ne fallait pas jeter une accusation odieuse sur le
commerce eu général, il ne fallait pas confondre les innocents avec lei
coupables, et exposer les uns et les autres aux représailles de la multitude.
Il y a, messieurs, dans les renseignements de M. le
gouverneur d’autres inexactitudes. Ainsi, l’on y dit au gouvernement que les mesures
relatives à la taxe du pain sont exécutées parfaitement dans presque toutes les
communes de la Flandre orientale. Eh bien, messieurs, j’ai reçu des plaintes
nombreuses qui me sont parvenues de différents points de la province, et elles
portent principalement sur la taxe du pain et sur la manière dont se fait la
police de la boulangerie. On me signale que dans les campagnes les boulangers
pratiquent, quant au poids, la fraude sur une grande échelle. (Interruption.)
M. le président. - Je recommande à tout le monde une grande modération
; dans un débat aussi brûlant on ne saurait mettre assez de réserve dans les expressions.
M.
d’Elhoungne. - Dans beaucoup de villages on vend du pain qui
n’a pas 50 p. c. du poids légal, et je ne prévoyais pas que lorsque je
signalerais de pareils faits mes paroles seraient accueillies par des murmures,
murmures hostiles pour moi et sympathiques pour ceux qui volent le peuple. (Nombreuses réclamations.)
Je dis que l’on doit faire exécuter les règlements ;
je veux qu’on fasse exécuter les lois et les règlements ; je le veux, messieurs,
pour les spéculateurs comme pour les
boulangers ; point de fraude, point d’illégalité ; voilà ma pensée. Mais je ne
puis permettre, messieurs, qu’on vienne dire à cette chambre que l’opinion
professée par l’honorable M. de Saegher est l’opinion de la ville qui m’a
envoyé dans cette enceinte comme lui. (Interruption.)
Je n’ai pas compris tout à l’heure le
sens des murmures qui ont éclaté lorsque j’ai parlé des boulangers qui vendent
du pain n’ayant pas le poids légal. Peut-être la majorité a-t-elle pensé qu’il
y avait quelque chose d’excitant dans mes paroles. (Oui, oui !) Je les retire s’il en est ainsi, mais la
chambre comprendra que lorsqu’on parle au
milieu d’interruptions continuelles, il devient bien difficile de
modérer ses expressions comme on voudrait le faire. Si j’ai dit un mot imprudent,
provocateur, je le retire immédiatement et avec contrition. (On rit.)
M. le ministre
des finances (M. Malou). – Messieurs, cette discussion, je le crois, au point
de vue de l’intérêt du pays, n’a que trop duré ; nous le dirons tous quand nous
serons rentrés en nous-mêmes.
Que s’est-il donc passé ? La question des subsistances
préoccupe à bien juste titre tous les esprits, depuis deux ans. On a accueilli
avec empressement, sur des questions bien moins importantes, la publication de
toutes les opinions, si erronées qu’on pût les croire après coup. Aujourd’hui
que vient-on faire ? On fait un grief au gouvernement d’avoir publié, dans une
enquête, une opinion isolée, individuelle, qu’on peut ne point partager, mais
qui se trouve combattue dans la même enquête par une foule d’opinions
contraires. Je dis plus, on isole l’opinion d’un fonctionnaire de celle d’un
autre et on la scinde elle-même. En effet, messieurs, à quel point de vue
est-il parlé dans cette pièce, des spéculations ? Mais dans toute l’enquête on
en parle, Sans cesse, quant aux rapports qu’elle peut avoir avec l’établissement
de greniers d’abondance.
On a lu un passage du rapport d’un autre gouverneur
; on n’a pas lu un passage de ce rapport, qui est conçu entièrement dans les mêmes
termes que ceux contre lesquels on s’est élevé. On a vu dans d’autres parties
de cette enquête qui est encore incomplète, on a vu partout énoncer cette idée,
sous une forme ou sous une autre, que dans des circonstances données il peut
être d’une bonne législation, et toutes les discussions antérieures relatives
aux céréales le prouvent assez, d’avoir certaines mesures qui préviennent les spéculations illicites.
Mais dans le passage que l’on incrimine, est-il parlé de manœuvres frauduleuses,
d’actes coupables ?
Un membre. – De
manœuvres.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - On parle de manœuvres, mais est-ce que des manœuvres
seules suffisent pour constituer le délit de calomnie ? Vous n’avez donc pas lu
le Code pénal que vous invoquez ?
Je viens de parcourir rapidement la partie de l’enquête
qui est publiée et partout on rattache la question des spéculations à la
question posée par M. le ministre de l’intérieur : s’il était bon d’avoir des
greniers d’abondance. Mais je le demande à chacun de vous, est-il possible que
le gouvernement ou la chambre fasse encore jamais une enquête sur une question
quelconque si, alors que la moitié seulement de l’enquête est publiée, on peut
venir demander au ministre, sur chacune des opinions émises dans cette enquête,
s’il la partage ou s’il la désavoue ?
Messieurs, je
n’irai pas plus loin. Je disais en commençant, et je termine par cette
observation, qu’il est dangereux au dernier point de discuter ces questions ;
que le retentissement donné à une opinion individuelle émise dans l’enquête,
est infiniment plus dangereux, infiniment plus déplorable que cette opinion
elle-même.
M. le président. - La parole est
à M. de Saegher. Je renouvelle l’observation que j’ai faite tout à l’heure ;
toutes nos paroles dans un semblable débat ont un grand retentissement.
M. de
Saegher. - Messieurs, je
serai très bref, mais j’ai besoin de relever quelques paroles qui m’ont été adressées.
On m’a attribué des opinions dangereuses ; - je pourrais récriminer, je
pourrais dire que les paroles prononcées par l’honorable M. d’Elhoungne, lorsqu’il
a parlé des boulangers et de vols sur une grande échelle, sont beaucoup plus
dangereuses que celles qu’on m’a reprochées.
Des membres. - Il les a retirées.
M. de Saegher. - Mais il me suffira
de rétablir les faits. Qu’ai-je dit ? J’ai parlé des spéculations, uniquement
pour démontrer quelles (page 267)
spéculations M. le gouverneur de la Flandre orientale avait eues en vue dans sa
lettre. J’ai fort bien distingué les spéculations licites des spéculations
illicites, et je n’ai voulu parler que de la spéculation licite, lorsque j’ai
indiqué une opinion manifestée dans la ville de Gand ; et cette opinion, je ne
crains pas de l’affirmer, c’est celle de l’honorable M. d’Elhoungne lui-même.
Je ne crois pas avoir émis une autre opinion que celle qui a été énoncée par
l’honorable membre relativement aux spéculations. Je ne comprends pas qu’on
vienne me faire dire autre chose alors que je me suis exprimé aussi clairement.
M. d’Elhoungne (pour un fait
personnel). - Je voulais faire remarquer à la chambre qu’il est très possible, qu’au
milieu du tumulte qui régnait au moment où j’ai parlé, on n’ait pas bien saisi
mes paroles. Je n’ai pas dit que l’opinion de l’honorable M. de Saegher était
une opinion odieuse ; j’ai dit qu’elle pourrait avoir des conséquences odieuses.
Je n’ai pas entendu attaquer l’opinion de l’honorable membre.
Je dois faire observer également qu’on ne m’a pas compris
lorsqu’on a dit que je voulais exciter la population de la ville de Gand contre
les boulangers. J’ai parlé des boulangers des campagnes, j’ai dit que les
règlements n’étaient pas observés, que j’avais reçu de toutes parts des plaintes
nombreuses et très graves sur la manière dont les boulangers des campagnes
éludent les règlements en ne donnant pas au pain le poids légal, ou abusent de
l’absence de règlements fixant le poids légal du pain.
M. Dumortier. - Messieurs, cette discussion a une
excessive gravité, et elle pourrait avoir un retentissement tel que, dans
certaines circonstances données, elle entraînerait des événements que tous nous
aurions à déplorer. Je viens donc demander à la chambre de bien vouloir clore
ces débats.
Je demanderai aussi à M. le ministre de l’intérieur
que dans les documents qui restent à publier, il veuille bien retrancher ce qui
pourrait avoir un caractère irritant à l’égard d’une classe quelconque de citoyens.
Il est à désirer que dans des questions aussi brûlantes, on ne fasse rien qui
soit de nature à exciter les passions, à jeter l’irritation dans le pays.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je dois dire
à la chambre que je ne me crois pas le droit de mutiler l’opinion d’un fonctionnaire
que j’ai consulté. Les opinions qui me sont transmises doivent être publiées en
entier ou ne pas être publiées du tout. Dans cette circonstance-ci il importe que les différentes
opinions qui ont été émises soient publiées complètement.
Maintenant, messieurs, je demande qu’on mette un
peu de sang-froid dans cette affaire, et je suis persuadé qu’il n’est pas une
seule personne dans le pays qui après une lecture calme et réfléchie, puisse
voir la moindre hostilité contre le commerce dans le rapport qui a été si
vivement incriminé. Prenez le rapport comme vous le voulez ; tout ce que vous y
trouvez c’est que, dans l’opinion de son autour, il y a eu en 1846 et des
spéculations sur les céréales.
Eh bien, messieurs, des spéculations,
il y en a toujours eu et il y en aura jusqu’à la fin du monde. Partout où il y
aura de l’argent à gagner, il y aura des spéculations ; mais il faut distinguer
entre les spéculations illicites et les spéculations ordinaires du commerce.
Quant à ces dernières, aucun de nos discours ne les paralysera. Soit que vous
les blâmiez, soit que vous les approuviez, elles auront toujours lieu ; elles
ont eu lieu depuis le commencement du monde ; elles auront lieu jusqu’à la fin
du monde ; mais le gouvernement a un devoir à remplir, quand les spéculations prennent
un caractère illicite : c’est de faire poursuivre les auteurs de ces spéculations
coupables/
- La clôture est demandée.
M. Loos (contre la clôture).-— Messieurs, je
vous avoue que j’étais trop ému, en prenant
la première fois la parole, pour songer à présenter une justification complète du
haut commerce qu’on a accusé dans la lettre publiée au Moniteur. Je prie la chambre
de me permettre de dire encore quelques mots.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
Projet de loi autorisant le gouvernement A distraire
du crEdit de 2 millions de francs pour mesures relatives aux subsistances,
inscrits au budget du dEpartement de l’intErieur pour 1846, 500,000 de francs
pour le perfectionnement de l’industrie liniEre, les dEfrichements, les
irrigations et la colonisation de la Campine
Reprise de la discussion générale
Plusieurs membres. - A demain ! à
demain !
M. Rogier. - Messieurs, il
n’est que 4 heures ; si un incident, dont nous ne sommes nullement comptables,
a occupé l’assemblée pendant une heure, nous devrions récupérer cette heure, en
restant jusqu’à 5 heures en séance.
M. Mast
de Vries. - On pourrait
fixer l’ouverture de la séance de demain à 11 heures.
M. Rogier. - Soit !
mais je n’en demande pas moins que la séance continue ; nous sommes prêts à voter
toutes les mesures propres à porter remède à la situation ; nous demandons
qu’on commence la discussion dès aujourd’hui ; demain, nous serons à notre
poste à telle heure de la matinée qu’on voudra.
Des membres. – Continuons.
M. Vanden
Eynde. - Je veux aussi
que la séance continue ; mais il me paraît
que quelques membres du côté opposé veulent adresser des reproches à la
majorité ; mais ce n’est pas sur nos bancs que le fâcheux incident a été
soulevé ; c’est l’honorable M. Osy qui a introduit cet incident dans nos
débats.
M. le président. - Je ne permettrai
pas qu’on se livre à des récriminations sur
ce point ; des paroles vives ont été prononcées sur tous les bancs.
- La chambre consultée décide
que la séance continue.
M. Dumont remplace
M. Liedts au fauteuil.
La discussion générale est
ouverte sur le projet de loi concernant les subsistances.
M. le président. - La parole est à M. Kervyn.
M. Kervyn. - Messieurs, la chambre vient de disjoindre du projet de loi en discussion,
les crédits demandés pour les défrichements des bruyères et pour la colonisation. Je m’abstiendrai, en
conséquence, dans les considérations générales que j’ai l’honneur de vous soumettre,
l’examiner ces questions en détail, me bornant à les rencontrer succinctement
lorsque j’y serai amené par l’examen du n°1 du crédit que le gouvernement nous
demande.
Quoique le projet de loi qui nous est soumis ait un
caractère de généralité, embrassant les nécessités qui se révèlent dans toutes les
provinces, je m’attacherai particulièrement à l’examiner dans ses rapports avec les Flandres, parce que c’est
là que les nécessités sont les plus grandes et que le mal est le plus intense.
Il n’est plus nécessaire de se livrer à de longues observations
pour faire connaître à la chambre les souffrances des populations flamandes. La
misère les chasse de leurs foyers ; et malgré la surveillance des gendarmes qui
ont mission de leur interdire l’entrée de la capitale, quelques individus
épuisés par la faim, quelques mères de famille traînant après elles leurs
enfants à peine vêtus, parviennent à franchir ce cordon sanitaire d’une nouvelle
espèce, pour vous donner le spectacle de leur dénuement. Ces éclaireurs de la
faim et de la mendicité ont quitté la route qui mène au presbytère et au bureau
de bienfaisance de leurs communes, parce que toutes les ressources locales sont
épuisées ; ils ont pris celle qui mène aux grandes villes parce qu’ils comptent
trouver la charité au milieu du luxe et obtenir nos sympathies et notre appui.
J’espère, quant à moi, qu’ils les obtiendront.
C’est chose vraiment effrayante que de suivre la marche
du paupérisme dans les Flandres. Il n’y a pas un demi-siècle que, dans les
campagnes, les prolétaires agricoles et industriels étaient inconnus. Le travail
était organisé de telle manière que tout le monde avait une existence assurée
résultant d’occupations croissantes, sans chômages, sans intermittence, sans
ces crises qui jettent la perturbation dans les rangs des travailleurs. Il n’est
pas nécessaire de s’appesantir sur ce point ; tout le monde sait que cette
heureuse condition était l’effet de l’alliance de la fabrication des toiles
avec l’agriculture. Aussi lorsque commença le déclin de cette fabrication,
l’alliance fut rompue et le prolétariat apparut. Voici, messieurs, la
progression qu’il suivit pour aboutir à la crise actuelle.
Il se recruta d’abord dans les rangs des tisserands
qui ne se livraient qu’accessoirement à la culture. Ces gens étaient presque tous
propriétaires d’une cabane et d’un champ. Cette propriété fut d’abord grevée,
puis vendue ; puis ils perdirent leur capital, et alors ils se divisèrent en
deux catégories : les uns devinrent ouvriers purement agricoles, n’obtenant que
des salaires au-dessous des besoins de leurs familles ; les autres s’adonnèrent
au tissage d’étoffes pour lequel ils n’avaient pas besoin de capitaux, comme le tissage des calicots, des
cotonnettes, etc. ; les uns étaient devenus prolétaires agricoles, les autres
prolétaires industriels, soumis, ces derniers surtout, à une multitude
d’éventualités. Ils durent chômer lorsque leurs métiers furent remplacés par
les power-looms.
Bientôt le prolétariat fit de nouvelles victimes. Il
se recruta de cette multitude de gens à gages que les fermiers occupaient, tantôt
aux travaux des champs, tantôt à la préparation du lin, au filage et au tissage
des toiles. Lorsque le bénéfice de la partie industrielle de leur exploitation
disparut, ils remplacèrent leurs domestiques par des journaliers.
Jusque dans ces dernières années la classe des petits
fermiers était restée fidèle aux traditions de l’ancienne industrie linière.
Mais dans leurs rangs aussi, la misère a fait de nombreuses éclaircies.
Beaucoup d’entre eux ont été évincés de leurs fermes et sont descendus au
dernier échelon de l’échelle agricole. Il ne fallait pas grand-chose pour que
cette multitude de prolétaires dont l’existence était déjà si mal assurée fît
un pas de plus dans la voie de la dégradation et du malheur. La perte d’une
récolte aurait suffi ; il n’était
pas besoin d’une seconde année calamiteuse pour que la mendicité devînt générale.
De ce qui précède il résulte que nous avons un double
devoir à remplir. D’abord, nous devons aviser aux moyens qui peuvent donner du
pain à tant d’êtres affamés, et qui peuvent empêcher que la mendicité ne se
compte et ne s’organise pour aboutir à une sanglante jacquerie. Pour cela il
nous faut des mesures immédiates. Il importe, en second lieu, de rendre le retour
de pareilles calamités, sinon impossible, au moins plus supportable. Pour cela
il est nécessaire de remonter à la source du mal, de sonder la profondeur de la
plaie pour y appliquer, non des remèdes temporaires qui ne sont que des
palliatifs, mais des remèdes permanents qui ne peuvent se trouver que dans
l’amélioration du sort des travailleurs, soit qu’on organise leur industrie sur d’autres bases, soit que l’on s’ingénie
à appliquer leurs bras à d’autres occupations, soit que l’on s’attache à mieux
répartir la population et à chercher dans le défrichement des terrains
improductifs de nouveaux éléments de travail et de nouvelle ressources contre
la disette.
C’est aussi ce double but que le gouvernement veut atteindre
par le projet de loi qu’il nous a soumis et par d’autres dispositions que nous connaissons et qui en sont les
corollaires.
Pour ce qui regarde les mesures d’avenir, je n’hésite
pas à déclarer que les vues du gouvernement sont saines et offrent une appréciation
exacte de nos besoins. Ainsi, on nous annonce la formation d’une société
d’exportation, qui seule peut soustraire nos produits liniers au mode de vente
défectueux qui en empêchait le placement. Ainsi, on nous demande un crédit de
300,000 fr. destiné cette fois à perfectionner le travail, à nous faire entrer
dans la voie du progrès, à créer des comités industriels dignes de ce nom.
Telles sont au moins les vues que l’on énonce et que j’approuve à beaucoup
d’égards. Il me reste un doute cependant quant à l’application, et ce doute le
voici : l’honorable rapporteur de la section centrale nous dit que notre
infériorité dans l’industrie (page 268)
linière résulte de l’absence de fabricants ; il pense qu’il importe de faire
l’éducation professionnelle des ouvriers, et que bientôt les entrepreneurs
d’industrie se présenteront pour utiliser leurs bras.
Comme lui, je suis persuadé que sans capitaux, sans
entrepreneurs d’industrie, sans division dans le travail, nous sommes condamnés
à végéter sans pouvoir concourir avec nos rivaux qui sont mieux montés et mieux
organisés ; mais, contrairement à son opinion, je suis persuadé que dans l’industrie
linière comme dans toutes les autres, c’est la tête qui doit commander aux bras
; que ce sont les chefs d’industrie qui forment les ouvriers, et que ce ne sont
nullement ceux-ci qui peuvent faire surgir des fabricants. J’engage le
gouvernement à examiner s’il ne serait pas plus utile pour le but que l’on veut
atteindre d’appliquer ces fonds comme subside à une société ou à des
particuliers qui, se plaçant à côté de la société d’exportation, fabriqueraient
dans leur intérêt privé et seraient mieux placés que les autorités
administratives pour former de bons ouvriers.
Enfin l’agriculture est appelée, dans le projet du gouvernement
qui nous est soumis ainsi que
dans celui qui concerne l’expropriation des bruyères communales, à fournir une
grande somme de travail aux populations.
Quoique l’on ait principalement en vue les bruyères
de la Campine, je suis persuadé que les grands travaux d’irrigation et de culture
qui y seront entrepris exerceront une certaine influence sur le déplacement des
populations voisines. Mais je compte surtout sur le défrichement qui peut
s’opérer dans les Flandres mêmes. Je regrette que le gouvernement n’ait pas
étudié sérieusement cette question et qu’il se borne à dire, dans son exposé
des motifs, qu’il y fera quelque chose s’il
y a lieu. Pour beaucoup
de personnes qui connaissent les localités, pour le conseil supérieur
d’agriculture la question est jugée.
Si tous ces projets, si toutes ces améliorations soit
agricoles, soit industrielles, sont conduites avec sagesse et promptitude, nous
avons l’espoir de voir naître une ère meilleure pour nos populations.
Mais nous propose-t-on des mesures suffisantes pour
parer aux nécessités du moment ? Personne ne pourrait l’affirmer. On semble se faire
illusion sur la gravité de la crise ; on semble oublier que tant d’hommes affamés
attendent inutilement du travail pour avoir du pain.
En Irlande, messieurs, 300,000 individus sont occupés
aux travaux publics. Il n’a fallu que quelques semaines pour les décréter et
les exécuter ; l’année dernière 3,500 ouvriers, dont 800 artisans de la ville
de Turnhout, ont été constamment occupés pendant l’hiver à une section des
canaux de la Campine ; mais dans les Flandres que fait-on ? A-t-on convoqué les
propriétaires, comme on l’a fait en Irlande pour les exciter à entreprendre,
avec le concours du gouvernement, les améliorations foncières dont quelques
cantons sont susceptibles ? A-t-on provoqué la réunion de concessionnaires pour
construire des routes ? A-t-on étudié les sources de travail qu’un grand nombre
de localités peuvent fournir ? Loin de là, messieurs ; les rares travaux
décidés par le gouvernement ne reçoivent pas même d’exécution. Le canal de Schipdonck
est une œuvre morte. De la deuxième section du canal de Zelzaete on ne parle
plus. Pour ce qui concerne les routes à construire, je n’en connais aucune.
L’espoir que nous avions fondé sur certaines concessions
de chemins de fer est également évanoui. Rien ne se fait, si l’on excepte
quelques terrassements qui ont lieu dans la Flandre occidentale. Mais ceux qui devaient se
construire dans le Brabant et le Hainaut, ceux qui devaient sillonner la vallée
de la Dendre, si peuplée et si malheureuse, que sont-ils devenus ?
Une crise financière vient en aide à la disette pour
accabler les populations flamandes, et nous ignorons les efforts qu’a pu faire
le gouvernement pour en atténuer les effets. Cependant le mal s’aggrave de jour
en jour ; nos compatriotes meurent d’inanition et la génération qui s’élève
gardera dans son sein le germe de la dégradation physique et morale que la
misère lui aura infligé.
Ainsi nous n’avons à notre disposition aucun de ces
moyens extraordinaires sur lesquels nous devions compter comme mesures immédiates.
Je me trompe, le gouvernement nous demande un crédit de 1,200,000 fr. pour
toutes les provinces ; il consent même à se rallier à la proposition de la
section centrale qui le majore de 500,000 fr. Mais à cette proportion même, ce
chiffre ne serait qu’un faible palliatif ; il faudrait l’élever de beaucoup si
les travaux publics ou privés, organisés sur une large échelle, ne venaient pas
au secours de notre population.
Ceci me conduit à l’examen de la première disposition
du projet de loi.
La crise au milieu de laquelle nous vivons est au moins
égale, sinon supérieure, à celle de l’année dernière.
Les denrées alimentaires sont à un taux plus élevé ;
un nombre immense de familles, ayant épuisé toutes leurs ressources pour se suffire
à elles-mêmes, viennent grossir cette année le bilan de l’indigence ; la
récolte du lin a manqué, et par conséquent les ouvriers liniers ne trouvent plus
de matière première ; la charité particulière a fait un effort suprême ; et on
doute qu’il puisse se répéter ; enfin, les ressources des bureaux de bienfaisance
et de la plupart des communes ont disparu. Elles ont cependant à pourvoir au
soulagement de plus de 300,000 indigents inscrits qui entrent pour plus du
cinquième dans la population totale des deux provinces.
On peut sans exagération évaluer à 200,000 le nombre
d’individus qui subissent de cruelles privations, par suite de l’insuffisance
du travail et du prix exorbitant des vivres. De sorte que nous pouvons dire
avec l’inspecteur général des prisons et des bureaux de bienfaisance que dans
certains cantons nous avons dépassé l’Irlande.
L’année dernière, un certain nombre de communes ont
fait des levées d’argent pour nourrir leurs pauvres. Ces emprunts s’élèvent à une
somme de 295,000 fr. Cent six communes de la Flandre orientale ont établi des
taxes spéciales dans le même but, et ont augmenté de cette manière la taxe des
pauvres d’une somme de 277,894. Croit-on par hasard que les mêmes moyens puissent
encore réussir, en présence de l’élévation de la cotisation personnelle qui
est, dans un grand nombre de localités, plus que doublée quant au chiffre, et
plus que triplée si l’on a égard à la réduction du nombre des contribuables. Je
pourrais citer une commune où leur nombre est descendu depuis 20 ans dans la
proportion de 100 à 37.
On le voit, messieurs, les besoins sont immenses tandis
que les ressources vont en diminuant. Pendant l’année que nous avons traversée
les deux provinces où le paupérisme a principalement établi son empire, ont
obtenu comme subside aux communes une somme de 886,000 fr. Un peu plus d’un
demi-million a été accordé aux autres provinces réunies. Si l’on suit aujourd’hui
la même marche et si l’on consacre aux
chemins vicinaux la même somme, le crédit de 1,500,000 fr. présente une
insuffisance de plus de 350,000 fr.
En présence de ces faits, il ne nous reste que cette
alternative ou d’augmenter encore le chiffre qui nous est proposé par la section
centrale, ou bien de chercher dans des travaux extraordinaires, concédés ou
exécutés aux frais de l’Etat un soulagement immédiat à la misère.
Je déclare hautement que ce dernier parti est de beaucoup
préférable ; qu’il me répugne de voir l’Etat contribuer directement et dans une
trop forte proportion à l’organisation de la charité légale, et j’engage
itérativement le ministère à restreindre la mission facile qu’il s’est donnée.
Faire aux
communes des distributions de fonds est utile sans doute ; c’est une ressource
immédiate qu’on doit employer, qu’on doit même prodiguer lorsqu’il n’y en a pas
d’autres pour conjurer la faim qui menace de faire tant de victimes. Mais
activer, mais inventer le travail, soustraire nos populations laborieuses à la
honte de l’aumône, convertir les libéralités du trésor public en un bien
permanent, en accroissement de la richesse générale, exige sans doute plus
d’habileté et constitue pour un ministère un plus beau titre à la confiance du
pays.
Je voterai donc les chiffres proposés par la
section centrale ; je voterai même toute augmentation qui sera présentée dans
le cours de la discussion, à moins que le gouvernement ne me donne l’assurance
que des travaux variés et nombreux allégeront efficacement les maux des
Flandres.
M. de
Saegher. - Les causes de
la misère qui règne en ce moment dans les deux Flandres sont connues. Depuis plusieurs
années la décadence de l’ancienne industrie linière faisait des progrès
alarmants. Les habitants des campagnes occupés à la confection des toiles,
n’obtenaient plus sur nos marchés un prix rémunérateur qui pût les mettre à
même de pourvoir à l’existence de leur famille. Un grand nombre d’entre eux
abandonnèrent donc la fabrication de la toile pour s’adonner exclusivement aux
travaux de l’agriculture ; d’autres furent obligés de réduire considérablement
leur industrie. Il en résulta qu’un nombre considérable de tisserands et de
fileuses demeurèrent sans travail, et que pour ceux qui, parmi les meilleurs
ouvriers, purent trouver encore de l’occupation, le salaire se trouva tellement
réduit, qu’il n’existait plus aucun équilibre entre ce salaire et leurs
besoins. Les ouvriers employés aux travaux de l’agriculture se ressentirent de
cette crise ; le travail agricole diminua insensiblement à mesure que la
position du petit fermier, devenant plus gênée, l’obligeait à réduire ses
dépenses. D’un autre côté, la population des Flandres allait toujours en
augmentant, de sorte que dans la Flandre orientale la population qui en 1816
n’était encore que de 615,689, s’élevait déjà en 1844, à 803,345 habitants.
C’est dans une semblable position, lorsque d’année en
année on constatait dans la population des Flandres une progression ascendante
si marquée, tandis que la diminution du travail et l’insuffisance des salaires
suivaient une progression descendante plus rapide encore, qu’une double
calamité est venue frapper les classes ouvrières du pays. La récolte des pommes
de terre a presque totalement manqué en 1845 ; le seigle donné en 1846 moins du
tiers d’une récolte ordinaire, et le prix des denrées alimentaires a été porté
à un taux excessif.
Ici encore il est à remarquer que les habitants des
campagnes ont été frappés plus cruellement que les autres, car presque tous plantent
des pommes de terre pour leur provision d’hiver ; presque tous récoltent
quelque seigle. Ainsi dans ces derniers temps les habitants des Flandres ont
été privés de toutes leurs ressources à la fois, de pain, de pommes de terre,
et de travail.
Une autre cause permanente de la grande misère dans
certaines communes du pays, c’est
l’organisation actuelle de la bienfaisance publique ; c’est que la répartition
des secours publics n’est pas en rapport avec les besoins des localités ; c’est
que chaque commune doit pourvoir aux besoins de ses pauvres, quel que soit leur
nombre, quelles que soient les ressources dont la commune peut disposer.
Ceci nous amène à rechercher où est le siège principal
de cette misère affreuse qui nous préoccupe à si juste titre ; quelles sont les
ressources ordinaires dont la bienfaisance publique dispose pour la combattre ;
quelle doit être par conséquent la direction que le gouvernement doit donner
aux subsides que la législature mettra à sa disposition, et quelles sont les
mesures qu’il doit prendre pour l’avenir.
Il est incontestable que le siège de la profonde misère
qui nous occupe se trouve dans les communes
rurales des Flandres. Cela résulte de tous les rapports qui nous sont
parvenus, notamment du rapport du (page
269) gouvernement sur l’emploi du crédit de deux millions alloué par la loi
du 24 septembre 1845, du
rapport de la commission instituée par M. le ministre de la justice pour
l’amélioration de la condition des classes laborieuses, et enfin du rapport de
l’inspecteur général des prisons M. Ducpetiaux.
D’après l’exposé de la situation de la Flandre orientale
pour 1846, le nombre des indigents dans les villes de la province est de 41,192
sur une population de 207,324 habitants ; tandis que dans les communes rurales
ils s’élèvent à 127,924 sur une
population de 584,397, et nous ne craignons pas d’ajouter que ce nombre
augmente considérablement de jour en jour.
Maintenant quel est le sort de tous ces malheureux dans
les campagnes ? Quelles sont les ressources dont on dispose pour venir à leur
aide ?
Examinons le point en ce qui concerne la Flandre orientale
qui nous est mieux connue. La Flandre occidentale se trouve d’ailleurs dans une
position analogue.
Les revenus communaux de onze villes de la Flandre orientale renfermant une population de
207,324 âmes, s’élèvent, d’après le budget de 1846, à 2,115,341 fr.
Les revenus communaux des 282 communes rurales, renfermant une population
de 584,397 âmes, à 1,065,545 fr.
Mais il est à remarquer que la majeure partie de cette
dernière somme est le produit des cotisations
personnelles qui s’élèvent pour les 282 communes à 715,162 fr.
Le montant des sommes affectées par la charité publique
au soulagement des indigents s’est élevé en 1845, à 1,334,247 fr.
Cette somme se décompose ainsi :
Les revenus et moyens des bureaux de bienfaisance des
onze villes précitées s’élèvent à 459,591 fr.
Ceux des 282 communes rurales à 874,655 fr.
Mais ici encore on remarquera que le montant des subsides
accordés par les communes rurales et les collectes faites dans les églises
entrent dans cette dernière somme pour 337,735 fr.
De sorte que les revenus et moyens des bureaux de bienfaisance
des communes rurales proviennent, pour près de moitié, de la charité privée et
des cotisations personnelles.
Les revenus des hospices autres que ceux aux dépenses
desquels il est pourvu sur les ressources des bureaux de bienfaisance, s’élèvent
pour neuf des onze villes de la
Flandre orientale à 626,083 fr.
Deux communes rurales seulement possèdent des hospices
semblables avec un revenu de 6,128 fr.
Tous les autres établissements de bienfaisance érigés
dans quelques localités, ressortissent aux bureaux de bienfaisance et doivent
être alimentés par eux.
Il résulte des données qui précèdent, que les
communes rurales de la Flandre orientale, quoique privées d’hospices et
d’hôpitaux pour y abriter leurs vieillards et leurs malades pauvres, disposent
pour toutes ressources d’une somme de 874,655 fr. C’est à peu près 6 fr. 80 c.
par tête pour une année.
Encore cette somme provient-elle en grande partie, comme
nous l’avons fait remarquer déjà, de la bienfaisance privée des habitants de
ces communes, et des cotisations personnelles si onéreuses dans nos campagnes.
Comment dès lors est-on parvenu jusqu’ici à faire face
aux besoins les plus pressants de la classe nécessiteuse ?
D’abord, beaucoup de communes ont contracté des emprunts,
d’autres ont établi des taxes extraordinaires de capitation ou cotisation
personnelle (tableaux n°41 et 43).
Surtout la charité privée dans les campagnes a été sans
bornes. On ne peut se faire une idée de l’importance des sacrifices que font
les habitants des campagnes et notamment les fermiers.
Mais, il faut bien le dire, il est impossible que cet
état de choses continue ; 128,000 pauvres sur une population rurale de moins de
600,000 habitants est une charge beaucoup trop lourde, là où, comme je viens de
l’établir, il n’existe presque aucune autre ressource que la charité privée.
Cela est incontestable, surtout, lorsqu’on considère,
ainsi que la commission instituée pour l’amélioration de la condition des
classes laborieuses le fait observer dans son rapport, p. 99, « qu’une commune de 10,000 habitants a proportionnellement vingt fois
moins de ressources qu’une ville de 100,000. Or, il ne s’agit pas même
ici de communes de 10,000 âmes, mais de localités composées de 500 à 5,000 qui
supportent en ce moment des charges aussi accablantes.
Aussi nous n’hésitons pas à affirmer que, pour un grand
nombre de communes de nos Flandres, il est impossible de songer encore ou à
établir des cotisations personnelles spéciales pour les besoins des nécessiteux,
ou à augmenter les cotisations personnelles ordinaires déjà existantes ;
que d’un autre côté tous nos efforts doivent tendre à diminuer dans les
campagnes les charges de la bienfaisance privée.
Et cependant les charges des communes augmentent de
jour en jour, à mesure que les ressources diminuent, et il existe, de la part du
gouvernement lui-même, une certaine tendance à les augmenter encore.
A cet égard, nous croyons devoir dire un mot relativement
à la loi de 1845 sur le domicile de secours.
Cette loi, comme la loi antérieure, consacre le principe
que tout indigent a droit à des
secours publics. Nous n’avons pas à examiner pour le moment quelles peuvent être
les conséquences bonnes ou mauvaises de ce principe. Cependant nous ferons remarquer
que des mendiants de profession commencent à abuser singulièrement du principe
aux dépens de la véritable indigence.
Mais la loi antérieure statuait, que le lieu de la naissance
serait remplacé comme domicile de secours par celui où l’indigent aurait habité
pendant quatre ans. Dans la nouvelle loi de 1845 ce terme est doublé, et il en
résulte une aggravation considérable dans les charges des communes rurales. En
effet, les populations des campagnes sont attirées dans les villes ; elles y
contractent les vices des grands centres de population. Eh bien, les communes
sont obligées de payer la pension d’un grand nombre de ces individus qui n’y
sont plus connus, qui ont quitté le village depuis plus de huit ans, et qui
sont colloqués dans les hôpitaux et dans les hospices de villes, par suite des
infirmités que leur immoralité, quelquefois l’excès du travail dans les
manufactures leur ont fait contracter. Les charges qui en résultent sont
quelquefois si accablantes que dans plusieurs communes les revenus communaux
sont à peine suffisants pour y faire face.
Voilà une position que dans l’état actuel des choses, on n’aurait pas dû faire
aux communes.
Mais on veut aller plus loin. M. le ministre de la justice
vient de déposer un projet de loi sur les dépôts de mendicité, qui aggraverait
encore sensiblement la position des communes pauvres. En effet ce projet, tout
en maintenant toutes les obligations qui existent aujourd’hui pour les
communes, contient une disposition portant : A l’avenir seront reçus dans
les dépôts de mendicité entre autres les individus qui se présentent
volontairement munis de l’autorisation
des bourgmestre et échevins de la localité où ils se trouvent ou dans
laquelle ils ont leur résidence.
Ce n’est pas le moment de discuter ce projet de loi
; mais il nous importe, dans les circonstances actuelles, de signaler la mauvaise
voie où l’on est entré par la loi sur le domicile de secours, et que l’on
paraît vouloir continuer à suivre.
N’est-il pas évident qu’avec une semblable disposition
les autorités des grandes localités s’empresseraient de faire conduire aux
dépôts de mendicité tous les
pauvres étrangers qui mettraient le pied dans leur commune ? Je suppose que la
loi projetée soit en vigueur, que des dépôts en plus grand nombre et mieux organisés soient établis ;
pensez-vous que les autorités de Bruxelles placeraient encore des gendarmes aux
portes de la ville pour en défendre l’entrée aux pauvres ? Non, sans doute,
elles feraient alors ce que l’humanité leur commanderait, elles délivreraient
aux pauvres campagnards des autorisations pour se rendre aux dépôts,
autorisations qui seraient acceptées avec reconnaissance par ces malheureux.
Dès lors, n’est-il pas évident que la position des communes pauvres des
Flandres, d’où ces mendiants nous arrivent, deviendrait encore plus intolérable
qu’aujourd’hui, puisqu’elles seraient obligées d’entretenir un plus grand
nombre de pauvres dans les dépôts.
Je prie le gouvernement de bien examiner les questions
que je viens d’indiquer, et notamment de voir s’il ne conviendrait pas de
mettre les dépenses des dépôts de mendicité à la charge du gouvernement. Déjà
dans quelques communes les sommes payées aux dépôts et aux hospices joints aux
subsides accordés aux bureaux de bienfaisance égalent le produit de tous les
revenus communaux. Déjà dans d’autres communes on ne paye plus, parce qu’on se
trouve dans l’impossibilité de payer. Les pauvres de ces communes sont encore
obligés d’aller mendier ailleurs un morceau de pain ! Que sera-ce si ces charges
doivent augmenter encore ?
Dans notre opinion, si les charges imposées aux communes
rurales devaient accroître encore, il en résulterait que l’administration de plusieurs de ces communes deviendrait
en quelque sorte impossible. Je sais que des députations permanentes tâchent de
parer au mal en augmentant d’office les cotisations personnelles, et en
ajoutant à cette mesure un subside, pour
ne pas décourager les contribuables et les autorités ; mais si les charges
doivent continuer à augmenter, cet expédient n’aura plus le succès. Le
gouvernement, il est vrai, pourrait proposer une loi qui permette d’imposer de
nouveaux sacrifices aux communes, d’augmenter les cotisations personnelles ;
mais encore faudrait-il qu’il y eût moyen d’exécuter une semblable mesure ; or,
la position de quelques communes des Flandres ne le permettrait pas sans donner
lieu aux inconvénients les plus graves.
J’appelle donc l’attention du gouvernement sur cet
objet, je l’engage bien s’enquérir de la position financière des communes, du
nombre de leurs indigents, etc., et à accorder des subsides là où les
ressources sont insuffisantes, et autant que possible, dans la proportion des
besoins.
Nous venons d’indiquer les causes principales de la
poignante misère qui règne dans les deux Flandres. Ce sont, d’un côté, l’accroissement
successif de la population, la décadence de l’industrie linière et par suite le
manque absolu de travail ; de l’autre côté, la mauvaise récolte des deux
dernières années et par suite l’élévation du prix des denrées alimentaires.
Nous venons de démontrer que la bienfaisance publique dans nos communes rurales
n’a pas les moyens d’apporter des soulagements efficaces à tant de maux.
Quelles sont les mesures que le gouvernement pourrait
prendre pour venir en aide à nos populations ouvrières ?
D’abord, en ce qui concerne les causes principales et
permanentes de la misère, le manque de
travail, il n’y a qu’une seule mesure efficace à prendre, c’est de procurer,
par tous les moyens possibles, du travail à ceux qui en manquent ; tous les
autres remèdes que vous essayerez ne seront que des palliatifs ; si vous ne
pouvez parvenir à ce résultat, la misère augmentera d’année en année, et bientôt
nous nous trouverons dans la même position que l’Irlande
(page 270)
Mais comment réussir à procurer du travail à une population ouvrière aussi nombreuse
? En premier lieu, messieurs, on ne peut pas perdre de vue, qu’il existe encore
aujourd’hui dans nos campagnes des Flandres 170 mille à 200 mille ouvriers qui n’ont d’autre occupation que le tissage
et le filage. Il n’est pas possible, pour le moment, de donner au travail d’un
nombre aussi considérable d’ouvriers, une autre direction ; il n’y a, d’ailleurs,
aucune nécessité de le faire.
En effet, ainsi que M. l’inspecteur Kindt nous l’a dit
dans son rapport, beaucoup de négociants respectables ont foi dans l’ancienne
industrie linière ; la France nous achète encore beaucoup de toiles de
l’ancienne industrie et nous avons encore à l’étranger une clientèle nombreuse.
Il est certain d’ailleurs, que notamment pour les toiles fines, nous pouvons
soutenir la concurrence étrangère ; il est certain aussi que nos tisserands,
que nos bonnes fileuses réalisent encore quelques bénéfices, trop faibles sans
doute pour pourvoir entièrement à leur subsistance, mais qui, joints aux
travaux agricoles, suffisent rigoureusement pour entretenir leurs familles.
Dès lors il nous semble qu’il est du devoir du gouvernement
de faire tous ses efforts pour parvenir à améliorer la position de cette
ancienne industrie, pour pourvoir à l’insuffisance du salaire des fileuses et
des tisserands, pour protéger en un mot la fabrication. A cet égard nous
approuvons sans restriction les mesures que le gouvernement se propose de prendre
pour aider au perfectionnement de l’ancienne industrie linière, notamment en ce
qui concerne l’introduction d’outils perfectionnés, dont l’utilité a été
reconnue incontestable, ainsi que le classement et le numérotage du fil à la main. Nous approuvons également
la création d’une société d’exportation pour les produits de l’ancienne
industrie linière. Nous espérons que de cette manière on ouvrira aux fabricants
de nouveaux et d’importants débouchés ; nous avons confiance que par l’emploi
de tous ces moyens réunis, on maintiendra le travail pour une partie du moins
de la population qut s’occupe aujourd’hui de cette industrie, et que l’on
parviendra à lui procurer un salaire plus élevé.
Que si, contre l’opinion de tant d’hommes spéciaux qui
se sont occupés de la question, il n’en pouvait être ainsi pour toujours ; du
moins les efforts du gouvernement auraient pour résultat de rendre la transition
moins brusque, et de permettre, dans l’intervalle, l’introduction dans nos
campagnes d’industries nouvelles.
Car, dans tous les cas, cette première mesure est loin
d’être suffisante pour procurer dars l’avenir du travail à toutes nos populations flamandes qui
en manquent aujourd’hui. La fabrication à la mécanique doit nécessairement restreindre
l’ancienne industrie linière ; il n’est plus permis d’espérer que cette belle
industrie puisse retourner encore à l’état
florissant où nous l’avons vue. Il faut donc songer à d’autres remèdes.
Parmi ceux qui
ont été proposés jusqu’ ce jour, celui qui nous paraît le plus efficace c’est,
ainsi que nous venons de l’indiquer déjà, l’introduction dans nos campagnes de
nouvelles branches d’industrie. Je pense que tous les efforts du gouvernement devraient tendre vers
ce but, et nous voyons avec regret, que dans la position critique où se trouve une
partie du pays, le gouvernement n’y ait pas songé ; qu’il ne propose du moins
aucune mesure nouvelle plus puissante que celles prises jusqu’à ce jour, qu’il
ne nous communique aucun projet nouveau tendant à faciliter l’introduction dans
les communes rurales de nouvelles industries, d’autant plus que les efforts
faits jusqu’ici par la charité privée,
par des communes et par des bureaux de bienfaisance, ont été couronnés d’un
plein succès.
En effet, on a introduit dans les campagnes la fabrication
des gants, la broderie, le tricot, le tissage des mouchoirs, des étoffes
mélangées, etc. Mais c’est surtout la fabrication des dentelles qui a produit
les meilleurs résultats. On a introduit cette fabrication dans 137 communes de
la Flandre orientale, et il a été reconnu que, sans le secours de cette
nouvelle industrie, la misère eût été doublée, triplée même, dans ces localités où l’industrie dentellière
se trouve établie. Dans des communes de 2,000 à 3,000, le nombre des ouvrières,
presque toutes appartenant à la classe nécessiteuse, s’élève de 75 à 125. Chaque ouvrière, après un
court apprentissage, gagne de 50 c. à 1 fr. et plus, par jour. On conçoit de
quel secours a dû être, dans ce derniers temps, un salaire aussi satisfaisant à
répartir entre les familles qui, sans
cela, eussent dû être entretenues par la charité publique et privée.
Il y a donc lieu d’être étonné que la commission, instituée
pour l’amélioration des classes laborieuses, critique cette mesure prise par la
charité privée ; qu’elle veuille en entraver le développement sous le prétexte
qu’il y a déjà une baisse de 15 p. c. dans les prix de vente des dentelles ;
qu’une crise nouvelle peut atteindre plus tard cette fabrication, et qu’il ne
faut pas pousser à la concurrence des industries qui prospèrent
sous le régime du « laisser faire ».
Il y a lieu d’être étonné qu’un homme qui s’est
signalé par ses richesses et ses travaux en faveur de l’humanité souffrante,
ait, dans une note qui nous a
été distribuée sur les mesures à prendre dans
l’intérêt des ouvriers des Flandres, appuyé cette opinion par le motif que « les écoles de dentellières
établies dans le campagnes font déjà une concurrence fatale aux dentellières
des villes », que les salaires tendent à s’abaisser, qu’il faut
donc s’arrêter « sous peine de
provoquer une crise analogue à celle qui afflige
l’industrie linière ».
Quoi ! messieurs, lorsque nos ouvriers meurent
de faim par suite de la perte de leur industrie, on ne pourrait pas les employer
à une autre industrie assez
florissante pour leur procurer le pain nécessaire à leur existence ! Quoi !
parce qu’une baisse s’est manifestée et que par suite le salaire est moindre,
on devrait négliger les moyens de pourvoir aux besoins les plus pressants en
faisant partager ce salaire, quoique réduit, à un plus grand nombre
d’individus, pour les empêcher de mourir de faim ! Quoi, parce que le salaire
des dentellières des grandes localités, où il y a d’autres ressources encore,
se trouve partagé avec les ouvrières des petites communes dénuées de tout, on
ne pourrait plus pousser au développement d’une industrie capable encore de
pourvoir aux nécessités les plus pressantes de milliers de nos concitoyens !
Quoi ! on devrait s’arrêter parce que plus
tard une crise analogue à celle qui afflige l’industrie linière pourrait se manifester ! Mais
oublie-t-on que le premier droit de l’homme est celui de vivre, et le premier
devoir de la chambre d’empêcher qu’un seul homme ne meure de faim ? Plus tard une crise pourrait se manifester ! Mais plus
tard nous verrons ; plus tard
nous vous prouverons que votre opinion n’est pas fondée ; en attendant aidez-nous
à donner à nos pauvres exténués de misère le pain quotidien qui doit les
empêcher de tomber d’inanition dans nos rues et dans nos places publiques. Car
vous devez reconnaître que l’industrie dentellière établie dans nos campagnes a
déjà préservé durant ces dernières années un grand nombre de familles de la
misère la plus affreuse.
Et c’est dans un moment où, malgré l’urgence des besoins,
on ne propose aucune mesure efficace et immédiate, que l’on émet une semblable
opinion, qui, remarquez-le bien, peut s’appliquer à toutes les industries nouvelles que l’on tenterait
d’introduire dans les campagnes des Flandres.
Non, messieurs, ceux qui émettent cette opinion ne connaissent
pas toute l’étendue de la misère qui afflige, qui ronge une partie du pays.
Aussi nous pensons que le gouvernement ne peut pas s’arrêter
un instant devant cette opinion. Nous croyons cependant qu’elle a déjà fait
quelque impression puisque le gouvernement ne s’est pas expliqué suffisamment
sur les moyens d’introduire dans les campagnes d’autres travaux, d’autres
industries, dans le but de donner à la population ouvrière le travail qui fait
défaut aujourd’hui. Nous l’engagerons à examiner la question de plus près ; il
y a urgence.
Une troisième mesure pour obvier aux causes
permanentes de la misère pourrait consister dans le défrichement de terrains
encore incultes, dans la colonisation d’une partie du territoire belge. Mais
les résultats de cette mesure nous paraissent si éloignés que nous croyons
pouvoir nous borner pour le moment à recommander cet objet à la sollicitude du
gouvernement, et nous voterons les sommes qui nous seront demandées dans ce
but.
Je viens d’indiquer quelques mesures qui me
paraissent les plus utiles pour obtenir, dans l’avenir, l’augmentation du
travail, et par conséquent la diminution de la misère dans les Flandres.
Mais qu’allons-nous faire aujourd’hui même ; Quels moyens
allons-nous employer pour pourvoir immédiatement à l’existence de milliers de
malheureux qui manquent de pain ?
Le gouvernement a demandé d’abord, à cet effet, un crédit
de 1,200,000 fr. ; il a consenti
à accepter une augmentation jusqu’à concurrence de 1,500,000 fr. pour aider à la
subsistance des populations dans les communes dont les ressources sont insuffisantes.
Nous approuvons cette mesure sans doute, mais nous avons
la ferme conviction qu’elle sera loin d’être
suffisante. Aussi ne nous serions-nous pas contenté de demander une
augmentation de 300,000 fr. sans la promesse formelle faite par M. le ministre de l’intérieur, qu’il emploiera
le crédit actuel à secourir immédiatement les communes dont les ressources sont
reconnues insuffisantes, et que, si les circonstances l’exigent, il
n’hésiterait pas à nous demander un nouveau crédit.
En effet, messieurs, nous l’avons déjà dit, dans
les communes rurales de la Flandre orientale seulement il y a 128,000 pauvres,
sans compter un grand nombre d’ouvriers
sans travail, qui ne pourront certainement pas pourvoir à leur subsistance
s’ils ne reçoivent aucun secours. Nous avons déjà indiqué le chiffre global des
sommes dont les communes disposent et qui revient à 6-80 par pauvre inscrit au
bureau de bienfaisance. En admettant que les communes rurales des deux Flandres
puissent obtenir sur le crédit proposé un somme de 8 à 900,000 fr., pensez-vous
que cette somme soit suffisante pour faire face aux besoins les plus pressants
! C’est ce que nous ne pouvons admettre.
Mais, dit-on, les travaux publics concédés et ceux entrepris
aux frais de l’Etat seront beaucoup plus considérables qu’ils ne l’ont été
jusqu’ici. (Voir l’exposé des motifs.) C’est ce que nous ne voyons malheureusement
pas. Les seuls travaux importants dans les Flandres sont le creusement du canal
de Schipdonck et du canal de Zelzaete. Mais le canal de Schipdonck seul pourra
être commencé an mois de mars ou d’avril prochain, si aucun obstacle ne vient
entraver les formalités préliminaires. Quant à la deuxième section du canal de
Zelzaete, je crains beaucoup qu’on ne pourra mettre la main à l’œuvre avant
l’été, et qu’ainsi nous pouvons peu compter sur le travail qu’il procurera dans
la saison rigoureuse.
Vous comptez sur le concours actif de
cette multitude de citoyens qui ont déjà déployé tant de zèle, dont la charité
est inépuisable ! En cela vous avez raison ce concours ne vous fera pas défaut, et pour ma part, c’est dans
ce concours généreux que je place ma plus ferme confiance, pour inverser les
mauvais jours que la position malheureuse de tant de milliers de nos concitoyens
nous prépare.
Cependant la charité privée a aussi des bornes. Que le gouvernement ne reste donc pas inactif
; qu’il soit persuadé que jusqu’ici il est loin d’avoir fait assez pour remédier
aux suites funestes du manque de
travail dans les (page 271) soient
prise à cet effet. J’appelle de nouveau sur ce point toute son attention.
M. le président. - La parole est à M. Manilius.
M. Delehaye. - Messieurs, mon
honorable ami, M. Manilius, a
été obligé de partir pour Gand ; il se proposait de prononcer un discours favorable
au projet du gouvernement.
M. Rogier. - Parmi les documents
relatifs aux Flandres, il est souvent question d’un rapport de M. Moxhet sur
l’Irlande ; ce rapport doit présenter beaucoup d’intérêt ; je demanderai à M.
le ministre des affaires étrangères s’il y aurait de l’inconvénient à le
publier.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je le ferai
insérer dans le Moniteur de demain
matin.
- La séance est levée à 5 heures et quart.