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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 16 décembre 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétition relative au projet de société d’exportation linière
(de Brouckere, Desmet, de Garcia, David)
2) Projet de loi relatif
aux droits sur les cuirs et les peaux (David)
3) Projet de loi fixant le
contingent de l’armée pour l’année 1847 (de Garcia)
4) Projet de loi portant le
budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1847. Croix de fer et
légion d’honneur (de Brouckere)
5) Motion d’ordre relative
à l’absence de rapport sur l’état de l’instruction primaire (Delfosse, de Theux, Delfosse, de Theux)
6) Motion d’ordre relative
aux défrichements dans le Luxembourg (d’Hoffschmidt,
Orban, de Theux, Vanden Eynde, Orban, d’Hoffschmidt)
7) Projet de loi portant le
budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1847. Discussion générale.
Industrie linière et situation sociale dans les Flandres (de
Foere, Delfosse, Delehaye),
ordre de la discussion (Mast de Vries, de Brouckere, Lebeau, de Brouckere), octrois communaux, monopole des
assurances par l’Etat (Mast de Vries), industrie linière
et situation sociale dans les Flandres (Liedts, Lebeau), octrois communaux, monopole des assurances par
l’Etat (de Theux), industrie linière et situation
sociale dans les Flandres (de Brouckere, Desmet, Delehaye, Desmet, de Theux), condamnation
théologique de Galilée (Sigart), industrie linière et
situation sociale dans les Flandres (de Foere)
(Annales
parlementaires de la Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 303)
M. A. Dubus
procède à l’appel nominal à 1 heure.
M. Van Cutsem lit le
procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. A. Dubus présente l’analyse des pièces adressées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Mignolet, commissaire de police à
Heyst-op-den-Berg, demande qu’il soit accordé un traitement spécial aux
commissaires de police qui remplissent les fonctions de ministère public près
les tribunaux de simple police. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du
budget de la justice.
______________
« Le sieur Gatellier, propriétaire cultivateur à
Lavacherie, présente des observations sur la question du défrichement des
Ardennes. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner
le projet de loi sur le défrichement des terrains incultes.
______________
« La chambre
de commerce et des fabriques de
Bruxelles demande une réduction de péages sur le canal de Charleroy à Bruxelles
et sur la Sambre canalisée.»
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La
chambre de commerce et des fabriques de Bruxelles demande l’établissement d’une
société destinée à opérer l’exportation de la généralité des produits de la
Belgique. »
M. de Brouckere. - Messieurs, avant la séance, j’ai
pris connaissance de cette pétition, et j’ai pu me convaincre qu’elle était de
la plus haute importance. Voici quel est son objet.
Le gouvernement a annoncé un projet de loi portant
création d’une société d’exportation, laquelle société ne doit avoir pout objet
que les produits de l’industrie linière. La chambre de commerce de Bruxelles
demande que le projet de loi s’applique à tous les fabricats, à toutes les
marchandises se fabriquant en Belgique. Elle expose son plan et elle dit quels
sont les moyens auxquels il faudrait avoir recours, selon elle, pour
l’établissement de cette société.
Vous voyez donc que, comme je l’ai dit, la pétition
est extrêmement importante ; et je puis ajouter qu’elle est d’un intérêt
actuel, d’un intérêt pressant. Je demanderai que la chambre veuille bien
ordonner l’impression au Moniteur, et
voici le motif de ma demande
Lorsque le projet portant création d’une société
sera présenté, il est certain que les chambres de commerce du pays vont nous
adresser leurs observations. Ces observations arrivant tardivement, il pourra
en résulter que nous ne pourrons pas discuter immédiatement le projet. Si, au
contraire, l’attention des chambres de commerce du pays est appelée dès à
présent sur cet important objet, elles pourront nous adresser leurs
observations avant le moment où nous serons à même de discuter. En lisant la
pétition de la chambre de commerce de Bruxelles, il est incontestable que les
autres chambres de commerce s’occuperont de cet objet. Ce sera donc un service
rendu au pays, et nous-mêmes nous pourrons discuter plus tôt et d’une manière
plus convenable le projet que le gouvernement nous a annoncé.
J’espère que la chambre voudra bien consentir à
cette insertion qui, du reste, n’est pas une chose nouvelle. (Appuyé ! appuyé !)
- La chambre décide que la pétition sera insérée au
Moniteur.
M. le président. - La pétition
sera, en outre, renvoyée à la commission des pétitions.
M. Desmet. - Il me paraît qu’il serait plus
convenable de renvoyer cette pétition à la commission permanente d’industrie.
M. de Garcia. - Je crois qu’il vaudrait mieux décider qu’elle sera
renvoyée à la section centrale, qui sera chargée d’examiner le projet de loi
annoncé par le gouvernement.
M. David. - La commission permanente d’industrie ayant déjà à
statuer sur une quantité d’autres objets, il me paraît effectivement qu’il
vaudrait mieux que la pétition fût renvoyée à la section centrale qui aura à
examiner la question à laquelle elle se rapporte.
- La chambre décide le renvoi à la commission
permanente d’industrie.
______________
M. A. Dubus continue la
communication des pièces adressées à la chambre :
« Le président de la commission administrative
du Musée d’industrie adresse à la chambre deux exemplaires du catalogue des
collections du Musée de l’industrie. »
- Dépôt à la bibliothèque.
______________
M. Verwilghen demande un congé de quelques jours.
- Ce congé est accordé.
PROJET DE LOI RELATIF AUX DROITS SUR LES CUIRS ET LES PEAUX
M. David. - Messieurs, la commission permanente d’industrie
m’a chargé de vous présenter son rapport sur le projet de loi tendant à
modifier le tarif des douanes en ce qui concerne les cuirs et les peaux. J’ai
l’honneur de déposer ce rapport sur le bureau.
Je demanderai à la chambre de bien vouloir mettre
cet objet à l’ordre du jour à la suite du projet de loi concernant la sortie
des étoupes. L’humanité exige que nous votions le plus tôt possible ce dernier
projet, vu la position fâcheuse où se trouve l’industrie linière ; mais le
projet de toi sur lequel je viens de présenter le rapport, présente aussi un caractère d’urgence très grande.
En effet, messieurs, des achats considérables ont
été faits, et si la loi est
votée dans un bref délai, ces marchandises pourront jouir des avantages du
tarif modifié.
- La proposition de M. David est adoptée.
PROJET DE LOI FIXANT LE CONTINGENT DE L’ARMEE POUR L’ANNE 1847
M. de Garcia donne lecture
du rapport sur le contingent de l’armée.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE L’INTERIEUR POUR
L’EXERCICE 1847
M. de Brouckere, au nom de la
section centrale du budget de l’intérieur, dépose trois états nominatifs des
décorés de la Croix de Fer, des membres de la Légion d’honneur et des veuves de
décorés de la Légion d’honneur qui ont touché des subsides sur le budget.
M. le président. - Ces documents resteront déposés
sur le bureau pendant la discussion du budget de l’intérieur.
MOTION D’ORDRE
M. Delfosse. - Le gouvernement n’a pas encore
fait distribuer un rapport sur
l’instruction primaire. Cependant ce document est très important, et nous
aurions dû le recevoir avant la discussion du budget de l’intérieur. Je
remarque avec peine que le gouvernement est toujours en retard de publier les
pièces qui peuvent nous éclairer ; ainsi les documents relatifs au projet de loi sur les subsistances n’ont été
distribués que quelques jours après le projet de loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs,
vous savez qu’à l’ouverture de la session, une foule de documents vous ont été
communiqués. Les imprimeurs étaient tellement surchargés qu’il ne leur était
pas possible de faire face aux impressions. C’est ce qui a retardé notamment la
distribution des documents relatifs à l’emploi des deux millions.
En ce qui concerne l’instruction primaire, quand
l’honorable membre aura le rapport sous les yeux, il comprendra parfaitement la
cause du retard apporté à la publication de ce document. On
n’a pu réunir les renseignements qu’un certain temps avant l’époque où le
rapport devait être présenté. Ensuite il a fallu rédiger le rapport qui est
extrêmement volumineux, et la lecture du rapport fera connaître à la chambre
l’étendue de ce travail. Je puis dire que je n’ai cessé de presser le
fonctionnaire supérieur, chargé de la confection du rapport, et qu’il n’a
dépendu ni de lui ni de moi que
le travail fût prêt plus tôt.
Cependant,
comprenant que la chambre devait, surtout pour la discussion du chiffre demandé
pour l’instruction primaire, connaître la situation financière, j’ai fait
imprimer ce travail à part, et le document doit avoir été distribué aujourd’hui
aux membres de la chambre. C’est avec beaucoup de peine que nous avons obtenu
ce résultat. Pour le 25 de ce mois, le rapport entier sera distribué, et chacun pourra voir alors s’il y a eu
négligence ou non ; pour moi, je
suis convaincu qu’il n’y en a eu aucune
; surtout il n’y a eu aucun désir de ma part de retarder la publication ; il
nous est plus agréable de discuter sur des documents déposés qu’en l’absence de tous documents.
M. Delfosse. - M. le ministre de l’intérieur
aurait dû faire paraître le document dans les premiers jours de la session ; la
cause principale du retard,
c’est qu’on ne veut pas que les abus soient connus avant la discussion du
budget.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs,
je proteste de toutes mes forces contre l’insinuation de l’honorable membre. Je
viens de déclarer que j’ai pressé la confection du rapport autant qu’il était
possible de le faire, et que l’employé supérieur à qui la rédaction du travail
a été confiée, n’a cessé de s’en occuper, autant que ses forces le lui ont
permis ; mais il n’a pu le commencer que lorsque le département le l’intérieur
a été nanti de tous les documents ; on a mis la main à l’œuvre il y a plusieurs
mois. L’honorable membre pense que des travaux de ce genre peuvent
s’improviser, mais il n’en est
pas ainsi.
MOTION D’ORDRE
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs,
je crois que la chambre sera bientôt saisie du rapport sur le projet de loi
relatif aux défrichements ; je demande à M. le ministre de l’intérieur s’il
n’est pas dans l’intention de faire distribuer aux membres de la chambre, le
rapport le la députation permanente du Luxembourg ; ce rapport est très
détaillé ; il jette une grande lumière sur la question des défrichements
dans le Luxembourg (page 304),
province qui est la plus intéressée en quelque sorte, dans cette question,
puisque c’est celle qui possède le plus grand nombre de terres incultes. Je
pense donc qu’il serait très utile de distribuer aux membres de la chambre le
document que je viens d’indiquer et de le faire de suite, afin qu’ils puissent
l’examiner avant la discussion.
M. Orban. - J’ignore
si des membres de la chambre n’ont pas reçu ce document ; s’il n’en était pas
ainsi, j’en serais étonné ; car je dois vous faire connaître que la députation
permanente du conseil provincial du Luxembourg avait demandé et obtenu le concours
du gouvernement dans les frais de publication de ce document, à la condition
d’en fournir au gouvernement un certain nombre d’exemplaires ; ces exemplaires,
nous avons toujours pensé qu’ils étaient destinés aux membres de la législature.
Je regrette d’autant plus que ce travail n’ait pas été distribué, que l’on
a prêté à la députation permanente, en matière de défrichement, des opinions
qui ne sont pas les siennes ; je désirerais beaucoup qu’on pût s’éclairer sur
les véritables opinions de ce collège, autrement que des analyses et des
extraits inexacts.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs,
tous les documents relatifs à la question des défrichements ont été communiqués au conseil d’agriculture,
lors de sa première session. Ce conseil a désiré, pour l’information de chacun de
ses membres, d’avoir une analyse d tous
ces documents ; c’est ce qui a été fait. Ce travail a été imprimé pour les
membres du conseil d’agriculture et pour les membres de la chambre ; la distribution en a eu lieu. Maintenant,
on demande l’impression en entier d’un rapport de la députation permanente du
Luxembourg ; je ne vois aucune difficulté à cette impression ; je communiquerai
ce document à la chambre.
L’honorable M. Orban croit qu’il a été imprimé un nombre suffisant d’exemplaires par suite d’un
arrangement avec M. le ministre de l’intérieur. Ce fait est antérieur à mon administration ; je prendrai des
informations, et si l’arrangement dont a parlé M. Orban a eu lieu, la
communication sera d’autant plus facile.
M. Vanden
Eynde. - Je ferai observer que ce document,
dont j’ai obtenu un exemplaire,
est très volumineux, car il forme un in-quarto de deux doigts d’épaisseur, et son impression coûterait assez cher si la
chambre l’ordonnait. Il vaudrait mieux rechercher s’il n’existe pas assez
d’exemplaires pour vous en faire la distribution.
M. Orban. - Si, contre
mon attente, il n’existait pas un nombre suffisant d’exemplaires de ce document
pour le distribuer aux membres qu’il fallût recourir à l’impression, il y
aurait moyen de réduire la dépense en se bornant à faire imprimer et distribuer le texte du rapport. Car si le volume est considérable, les
trois quarts consistent en pièces, annexes, documents divers qu’on pourrait
retrancher.
M. d’Hoffschmidt. - J’avais
redemandé la parole pour faire l’observation que vient de présenter M. Orban.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE L’INTERIEUR POUR
L’EXERCICE 1847
Discussion générale
M. de Foere. - Dans les dernières
discussions qui ont eu pour objet l’industrie linière et dans celles qui les
ont précédés, plusieurs orateurs ont posé en fait l’agonie de l’ancienne industrie linière. Partant
de cette prémisse, ils en ont
conclu qu’il fallait l’abandonner et la transformer en industrie nouvelle.
Comme l’exactitude
des conclusions dépend de la justesse des prémisses, il importe d’examiner la
question de savoir si l’ancienne industrie linière est à l’agonie, et s’il est de l’intérêt des Flandres et
du pays de la transformer en industrie nouvelle.
Depuis 1835, des orateurs, que les Flandres n’avaient
point envoyés dans cette chambre,
ont prêché avec chaleur cette transformation, Depuis 1835, nous nous y sommes
opposés, et les événements ont
prouvé que les Flandres se seraient laissé conduire par l’ignorance, si elles
avaient eu le malheur de suivre
ces conseils.
En effet, depuis onze ans que des hommes, complètement étrangers au commerce de toiles, ont donné ces
conseils, l’ancienne industrie a encore exporté,
en moyenne, pour dix millions de ses produits par an.
Dans ce chiffre n’est pas compris celui qu’a atteint, pendant le même
espace de temps, la consommation intérieure.
Ce seul fait prouve, à l’évidence, combien ces
conseils, suggérés par un aveugle
esprit de progrès, eussent été désastreux pour les Flandres, s’ils avaient été
suivis.
Afin de ne rien laisser à désirer à vos
convictions, messieurs, je vous ferai remarquer que, depuis 1835 jusqu’à présent, l’étranger est venu demander
aux marchés des Flandres presque exclusivement les toiles confectionnées selon
les anciens procédés.
Donc, si les Flandres n’avaient pas fabriqué ces
produits, elles auraient subi, pendant ces onze années, une perte de 110
millions en matière première et en main-d’œuvre. Elles auraient bénévolement concédé cet
avantage soit à la France, soit l’Allemagne. Elles se seraient, en outre,
dépossédées de leur marché extérieur.
D’après ces faits commerciaux constamment posés et
généralement connus dans les Flandres, la discussion se réduit à ces simples
questions :
Le commerce n’est-il plus la règle de l’industrie ?
Fallait-il confectionner des toiles
que le commerce demandait, ou des toiles que ni le commerce intérieur, ni le
commerce extérieur ne demandaient pas ? Poser ces simples questions même devant
l’écolier assis sur les bancs de la science économique, c’est les résoudre, Les résoudre dans le sens de nos
adversaires, fussent-ils même les députés
des grandes villes, absorbassent-ils tous les talents parlementaires, ce
serait insulter au simple bon sens industriel. Heureusement les ouvriers
liniers des Flandres, quelque ignorants que l’on puisse les supposer, n’en sont
point encore arrivés ce merveilleux progrès de l’intelligence parlementaire.
Devant ces simples faits commerciaux tombe
l’absurde accusation qui a été
dirigée contre le clergé des Flandres. Selon un honorable membre étranger aux
Flandres, le clergé de ces provinces aurait été en partie la cause de la misère
à laquelle la population linière des Flandres est aujourd’hui réduite. Selon
lui, ce clergé serait coupable parce qu’il n’aurait pas conseillé à cette
population d’abandonner l’ancienne industrie linière.
Déjà, messieurs, vous avez compris que je n’ai plus
à justifier ce clergé. Mais je
vais plus loin. L’honorable membre, auquel je réponds, habite la ville de
Liége. Moi, je suis un des députés du plus grand district linier des Flandres.
Je suis né dans le chef-lieu de ce district, qui a le marché hebdomadaire de
toiles le plus considérable, auquel les produits de toutes les communes
environnantes sont apportés d’une distance de plusieurs lieues. M. Delfosse
assure que le clergé des Flandres a donné à la population ouvrière le conseil
de persister dans l’ancienne fabrication, et moi je dois le dire en conscience,
je l’ignore ; mais ce que je
sais et que l’honorable M. Delfosse ne sait probablement pas, c’est un fait
connu dans la majeure partie de la Flandre occidentale.
Il se publie un journal flamand dans le chef-lieu
du district linier dont je viens de parler. Ce journal prêche, chaque semaine,
en faveur de l’ancienne industrie
linière, la doctrine dont l’honorable M. Delfosse accuse le clergé des Flandres.
Savez-vous par qui ce journal est rédigé ? Par des membres du clergé ? Pas du
tout. Il est rédigé par deux membres de l’Alliance de Bruxelles, qui ont
assisté au premier congrès
libéral. Voilà, si culpabilité il y a, les deux prêtres coupables. Voilà aussi
à quelle position parlementaire on arrive
quand on est obsédé d’aveugles préjugés et tourmenté d’un besoin incessant
de dénaturer les faits et de dénigrer le clergé.
Je suppose maintenant que le clergé eût donné des
conseils conformes à l’intelligence
industrielle et commerciale de l’honorable député de Liége. Quels en eussent été les résultats ? Ils auraient
rencontré la résistance la plus positive dans le simple bon sens de la
population ouvrière, et, en admettant, par
supposition impossible, que ces
conseils eussent été écoutés, la misère de cette population eût été centuplée.
La nouvelle industrie rencontre dans presque tous les districts liniers un
obstacle insurmontable. Ses produits n’y sont demandés ni par le commerce
intérieur, ni par le commerce extérieur.
M. Delfosse
ignore jusqu’aux premiers éléments pratiques de toute industrie. Il faut, à côté de chaque industrie, un
commerce qui en achète les produits. Dans l’absence de cette condition
indispensable, l’industrie travaille à pure perte. Or, ce commerce en produits
de la nouvelle industrie linière ne s’exerce, dans les Flandres, qua sur une
échelle presque imperceptible.
Si l’honorable membre a, en principe, connu la
nécessité de ce commerce, alors
il n’a pas consulté les faits commerciaux, et, dans l’un et l’autre cas, il
s’est laissé aller aux aveugles suggestions de son imagination progressive en
dirigeant contre le clergé des accusations qui ne sont fondées ni en principe, ni en fait.
J’ai dit que le commerce en tissus nouveaux ne se
pratique presque pas dans les Flandres. Je crois avoir énoncé un fait
incontestable. Mais il est un district de la Flandre occidentale dans lequel
des fabricants ont fourni des
fils mécaniques à un certain nombre de ses tisserands ; c’est celui de Roulers.
Je n’ai pas appris que le clergé de ce district se soit opposé à ces essais ;
mais ce qui est de ma parfaite connaissance, c’est que ces tisserands ne sont
pas moins malheureux que ceux qui tissent des toiles avec des fils à la main.
Si je suis dans l’erreur sous le rapport de l’un ou de l’autre de ces deux
faits, les deux députés du district de Roulers sont là pour me contredire. Au
surplus, les deux membres de l’Alliance de Bruxelles, qui rédigent le journal
publié à Thielt, nous apprennent que ces
essais en nouvelle industrie linière, tentés dans le district de
Roulers, ont à peu près complètement manqué.
Je vous ai dit la raison pour laquelle, dans les
Flandres, on n’a pas fabriqué,
dans une plus grande extension, ces toiles avec des fils mécaniques ; cette
raison est simple, elle est péremptoire. La consommation intérieure ne les a
pas demandées. La France et l’Espagne ne les ont pas demandées d’avantage. La
France fabrique elle-même ces toiles ; mais elle ne produit pas les toiles,
confectionnées avec des fils à la main, en
quantités suffisantes pour ses marchés intérieurs, ou en qualités
requises par le goût de ses consommateurs.
Il s’élève peut-être dans l’esprit de quelques
membres, étrangers aux Flandres, la question de savoir si, depuis 1835, on
avait transformé l’ancienne industrie en nouvelle, l’étranger ne serait pas
également venu nous demander ses produits. A cette question il y a encore une
réponse très simple : Si le
commerce étranger avait demandé les tissus de la nouvelle industrie, sans aucun
doute, les Flandres les auraient fabriqués ; mais la demande a eu constamment
et presque exclusivement pour objet les produits de l’ancienne industrie.
Depuis que la concurrence s’est établie entre les deux industries, le commerce
étranger a même pris des précautions très sérieuses, afin de s’assurer qu’on ne lui livrât pas
des produits de la nouvelle industrie pour des produits de l’ancienne.
Cette situation du marché s’est opposée jusqu’à
présent énergiquement (page 305) à
toute transformation industrielle. Dans cet état de choses, toute tentative
spontanée aurait été un acte de déraison que l’insuccès n’aurait d’ailleurs pas
tardé à réprimer.
Il s’est présenté d’ailleurs un autre obstacle,
égaiement insurmontable, à tout nouvel essai.
Les filatures mécaniques du pays ont trouvé, dès le
commencement et pendant longtemps, le moyen de placer leurs fils à des prix que
le tissage ne pouvait atteindre, sans se constituer en perte. Le prix des fils
mécaniques n’était pas en rapport avec le prix de la toile. Le tisserand
trouvait plus avantageux de tisser des toiles avec des fils obtenus par le
travail de sa femme et de ses enfants. C’était, au surplus, une main-d’œuvre
qui lui restait acquise.
C’est dans une semblable situation industrielle que
l’on reproche à l’ancienne fabrication de la toile de ne pas s’être convertie
en nouvelle !
Je crois avoir justifié les Flandres des reproches
d’avoir maintenu jusqu’à présent son ancienne industrie.
Maintenant j’examinerai la question de savoir si,
dans la situation actuelle, il est de l’intérêt des Flandres et du pays
d’abandonner l’ancienne industrie toilière et de se jeter dans la nouvelle. La
réponse à cette question me paraît encore simple : la situation du marché des
toiles n’a pas changé. Le commerce extérieur et le commerce intérieur demandent
encore constamment de préférence les toiles confectionnées avec des fils à la
main.
Il est du plus haut intérêt pour les Flandres de
continuer à les fabriquer. L’industrie, en général, ne peut, sans se suicider,
connaître d’autre règle que celle de la demande, d’autre direction que celle
que le commerce lui imprime. Fabriquer des produits que le commerce ne demande
pas est, j’en conviens, un principe de progrès en libéralisme, mais nos
tisserands flamands ne savent pas le français et leur intelligence n’a pu
encore se façonner à ce genre de progrès. Il résulte aussi de certain discours,
j’en conviens encore, qu’au moyen de la langue française, les ouvriers d’autres
provinces peuvent extraire la houille des mines, charger les bateaux de
charbons, fondre, couler et battre le fer ; mais nos ouvriers flamands, qui
ignorent le français, n’entendent rien aux prodiges que cette langue peut
opérer en industrie et en commerce. Ils ne savent qu’une seule chose sous le
rapport des langues, c’est que, dans toutes les langues, il faut produire ce
que le commerce demande.
Les Flamands ne comprennent pas non plus pourquoi
Rome aurait emprisonné Galilée pour une découverte dont, cent ans avant lui,
Copernic s’était rendu coupable. Quand on sait le français et l’histoire
ancienne, on n’avance pas un anachronisme de cette force. En effet, la
découverte du mouvement de la terre était déjà généralement connue, pendant
tout un siècle, sous la dénomination de
système de Copernic,
comme elle est encore généralement connue aujourd’hui sous le même
titre. Mais comme les Flamands aussi ont un peu de bon sens, le motif de
l’emprisonnement de Galilée, assigné par un orateur de cette chambre qui ne
sait pas le flamand, leur a paru impossible ; et comme ils ont appris aussi un
peu d’histoire, ils savent, malgré leur ignorance, que Galilée a été
emprisonné, non pas pour avoir découvert le mouvement de la terre, découverte
qui, cent ans avant lui, avait été faite par un prêtre de Varsovie, découverte
que ce prêtre avait apportée, en personne, à Rome même ; mais pour s’être
obstiné, malgré tous les avis de ses amis et des savants de son temps, à
vouloir tirer du système de Copernic, qu’il était d’ailleurs autorisé à
enseigner et à développer, pour s’être obstiné, dis-je, à vouloir tirer de ce
système des conséquences théologiques qui n’y étaient pas renfermées,
conséquences qui, depuis ce temps jusqu’à nos jours, ont été repoussées par
tous les astronomes, comme ne découlant pas du système de Copernic.
Quand on sait l’histoire, on connaît l’exacte
vérité de ce fait historique. Il n’est pas même nécessaire de savoir le
français. Il suffit qu’on sache le latin, ou l’italien, ou l’espagnol, ou
l’allemand, ou même le flamand.
Aussi, si les Flamands voulaient rappeler les actes
de violence que les prêtres de toutes les religions ont commis, ils auraient
assez d’impartialité pour discerner, dans ces déplorables événements, entre
l’attaque et la défense, entre la provocation et la protection. Ensuite leur
impartialité historique irait jusqu’à ne pas oublier les actes sanguinaires,
les révoltantes atrocités dont, dans tous les temps, les prêtres de la liberté
se sont rendus coupables.
Mais détournons nos regards de ce hideux aspect de
l’espèce humaine, et dirigeons ensemble tous nos efforts pour que la religion
ne dégénère plus en fanatisme, la liberté en oppression, la tolérance en
intolérance, le libéralisme en illibéralisme. Ce n’est pas en exhumant les
atrocités réciproques des temps passés que nous remplirons cette belle mission
qui est pour nous, représentants de la nation, un des devoirs les plus sacrés.
Revenons donc à l’examen des moyens les plus efficaces de donner du travail à
la population ouvrière du pays.
Je me suis prononcé pour le maintien de l’ancienne
industrie linière. J’en ai dit les motifs. Je passe à l’examen des objections
qui ont été élevées contre cette opinion.
Cette industrie, dit-on, est à l’agonie ; il faut
se presser de la traduire en industrie nouvelle.
Déjà j’ai cité le chiffre qu’atteint encore
aujourd’hui l’exportation de cette industrie.
Il faut encore l’augmenter de toute la valeur que
la fabrication produit pour la consommation intérieure. Ce simple fait répond,
me semble-il, suffisamment l’objection.
Cependant ma réponse ne se borne pas à ce fait.
La France est si peu disposée à croire que
l’ancienne industrie, est mourante que, dans la dernière convention, elle a cru
devoir limiter dans l’intérêt de sa propre industrie, l’importation des toiles
belges à trois millions deux cent mille kilos. Le gouvernement français sait
qu’outre les nombreux commissionnaires belges que le commerce français emploie
sur nos principaux marchés de toiles, les Français eux-mêmes viennent, chaque
semaine, acheter de préférence, sur tous nos marchés les toiles confectionnées
selon les anciens procédés.
Cette préférence est due à la spécialité de nos
toiles, à leur solidité, à leur durée, à leur résistance dans beaucoup d’usages
que les nouvelles toiles ne
pourraient prêter. Enfin, la cause de cette préférence ne serait pas connue, ou elle serait même erronée,
le fait est là, le consommateur en France, en Espagne comme en Belgique, y attache sa préférence.
Dans cet état de choses, serait-il rationnel de
renoncer nous-mêmes à la possession du marché étranger ? Ce serait aller à
rebours du sens commun en industrie et en commerce. Conserver la possession
d’un immense intérêt a été constamment l’œuvre de tous les hommes d’Etat les
plus éminents. La possession nous met à même d’attendre toutes les éventualités industrielles et politiques et
d’en saisir les avantages.
En effet, que la France abaisse son tarif, ou qu’il
intervienne une union commerciale, ou, tout au moins, une convention fondée sur
de larges bases, vous comprenez,
au premier coup d’œil, les immenses avantages que nous offrirait la possession
du marché français que nous aurons en partie conservé.
S’il y avait péril dans la demeure, si l’industrie
linière était compromise par le
maintien de l’ancienne fabrication, je concevrais cet empressement à vouloir la
convertir dès à présent en industrie nouvelle. Mais ce danger n’existe pas. Si
les événements conseillent plus tard aux intérêts des Flandres d’opérer cette
transformation, ces provinces
ne tarderont pas un instant à la consommer. Toutes les voies sont préparées.
Nous avons nos grandes filatures de lin établies depuis plusieurs années. Nos
ouvriers sont là pour tisser les fils mécaniques, comme aujourd’hui ils tissent
les fils à la main. La matière première sera récoltée commue aujourd’hui dans
le pays.
Mais, je vous le demande avec la confiance de la
conviction la plus intime, comment serait-il même possible d’engager notre
population ouvrière à fabriquer des toiles qu’elle ne pourrait pas vendre ? Je
vous l’ai déjà dit, il faut, à côté de chaque industrie, des négociants. qui
achètent ou, tout au moins, de grands industriels qui font fabriquer ces tissus
nouveaux ; or, ni les uns, ni
les autres n’existent pas dans toutes les Flandres sur une échelle assez
considérable pour activer cette nouvelle industrie, tandis que le commerce
existe pour nourrir l’ancienne.
Du reste, je ne sache pas que, dans aucun district
des Flandres, il ait été apporté le moindre obstacle aux essais qui ont été faits pour se livrer à la
nouvelle industrie.
Savez-vous, messieurs, quelle est celle de ces deux
industries qui est sérieusement
compromise sur le marché français, si tant est qu’il n’intervienne pas une
union commerciale entre la Belgique et la France ? A mon avis, c’est
l’industrie mécanique.
La France donne une extension considérable aux
filatures de lin. Après l’expiration de la dernière convention, nul doute
qu’elle ne produise abondamment pour sa propre consommation Si,, alors, le
système de bas prix, celui qui se lie à l’intérêt du consommateur, n’est pas
adopté, croyez-vous que la France sera disposée à admettre encore les produits
mécaniques de la Belgique ? Je ne le pense pas.
Pour corroborer mon opinion, je ferai remarquer que
ce n’est pas l’ancienne industrie qui, dans les dernières négociations, a
inspiré de l’ombrage à la France ; c’est la nouvelle. Ce sont nos grands
établissements mécaniques qui ont effrayé les filatures françaises. Ces
filatures ont vu là une concurrence redoutable, tandis que la France
continuera, pensons-nous, d’admettre nos toiles en fils à la main aussi
longtemps qu’elle ne les produira pas elle-même en quantités suffisantes pour
satisfaire à ses besoins. Elle les admettra comme spécialités qu’elle ne
produit pas ; plus elle se jettera sur l’industrie des toiles en fils mécaniques, moins elle fabriquera les
toiles en fils à la main, et plus nos chances augmenteront pour placer ces
toiles sur le marché français.
Une deuxième objection a été soulevée par
l’honorable M. Delehaye. Il est parti de cette position : nous ne pouvons
plus reprendre l’ancienne prospérité de l’industrie linière. En posant ainsi la
question, l’honorable membre s’est placé en dehors de nos discussions. Personne
parmi nous ne songe à un semblable avenir ; personne n’espère de voir renaitre
l’ancienne prospérité de l’industrie à la main ; mais ce que nous espérons,
c’est de la maintenir dans le statu
quo ; c’est de continuer à lui voir produire les valeurs qu’elle produit
maintenant. Telle est la position de la question.
Ce n’est pas la concurrence seule de la nouvelle
industrie qui a mené l’ancienne industrie linière, autrefois si florissante, à
l’état auquel elle est arrivée, état que nous désirons conserver. Il en est
d’autres qui ont plus puissamment contribué à ce résultat. Je les signalerai
afin que, lorsqu’elles seront bien connues, nous puissions les atténuer.
La première cause a été le déplacement de beaucoup
de marchés opéré pendant les guerres de l’empire.
L’Angleterre dominait seule les mers ; les
autres parties du mode n’ont pu verser leurs
produits que sur le marché anglais.
(page 312)
L’Angleterre est devenue par la force des choses le marché général. Elle en a
largement profité ; elle a stimulé sa fabrication par une forte protection, et
elle a réussi à échanger ses
fabricats contre les produits des pays d’outre-mer. Elle est parvenue à habituer les contrées lointaines à ses propres produits liniers.
La deuxième cause, c’est la substitution des tissus
de coton aux tissus de lin dans l’usage des nombreuses populations ouvrières du
continent.
La troisième, c’est la concurrence que nous fait la
fabrication de la France sur son marché, et surtout l’élévation du tarif de
douanes de ce pays. Chaque pièce de toile, d’une valeur moyenne de 70 fr., paye
16 fr. à l’entrée en France.
C’est à peu près le quart de la valeur totale, ou 24 p. c. Il faut
que notre ancienne industrie soit encore pleine de vie pour pouvoir soutenir un
droit qui paraît écrasant.
Enfin, la cinquième cause me semble la plus
nuisible à notre ancienne
industrie ; c’est la hauteur du prix de la matière première qui, souvent, n’est
pas en rapport avec le prix courant de la toile.
La matière première prend une part considérable
dans la fabrication de la toile.
Dans la plupart des autres industries, on calcule
que la matière première n’entre que pour 25 p. c., tandis que 75 p. c. restent
pour la main-d’œuvre.
Telle n’est pas la proportion du lin qui entre dans
la fabrication de la toile. Elle est beaucoup plus considérable.
Si le gouvernement veut atteindre d’une manière
efficace le but qu’il s’est proposé, il doit trouver le moyen de procurer à notre population linière le lin à
un prix qui soit en proportion avec celui de la toile. Il n’obtiendra pas
entièrement le but en fournissant les subsides tendant exclusivement à améliorer les procédés, à
perfectionner les outils, à organiser la fabrication en grand et à créer une société de commerce,
destinée à exporter les produits liniers.
Il me semble que le but ne peut être efficacement
atteint qu’en cherchant le moyen de mettre le prix du lin en rapport avec celui
de la toile.
Il y a
un moyen qui ne lèserait pas essentiellement l’agriculture. C’est la propriété
agricole ainsi que le commerce des lins, qui sont venus constamment s’opposer
au droit qu’on a demandé à l’exportation des lins. Si l’on adoptait une
échelle, comme nous l’avons fait pour l’importation et l’exportation des grains
; si l’on partait d’un prix qui convînt à ‘agriculture et à l’industrie, et si
seulement on élevait le droit dans la même progression que le prix des lins, on
pourrait probablement satisfaire les deux intérêts.
J’ai compris la sollicitude extrême que, depuis
longtemps, la chambre a témoignée, et avec raison, en faveur de toutes les
autres industries du pays afin qu’elles pussent obtenir la matière première au
prix le plus bas. L’industrie linière est la seule pour laquelle on n’a rien
fait sous ce rapport. Cependant cette industrie s’exerce, comme vous le savez,
sur une échelle considérable. Il existe, sous ce rapport, une anomalie
choquante. L’exception que l’on a faite de l’industrie linière, en ne lui
accordant pas la même faveur, est une contradiction palpable.
La chambre
comprend cependant l’immense importance qui se rattache à la prospérité de
cette industrie, attendu qu’elle est le travail, la nourriture, le pain de
populations considérables réduites aujourd’hui à un état misérable. Ce qui fait
souffrir leur industrie, c’est surtout le prix élevé de la matière première qui
souvent n’est pas en rapport avec le prix de la toile.
Si on avait introduit la nouvelle industrie, la
même cause s’opposerait souvent à ses progrès,
à sa prospérité.
Il est une troisième et dernière objection à
laquelle je répondrai en peu de mots.
On a dit : Votre industrie se maintient dans une
proportion considérable. A part la fabrication pour la consommation intérieure,
vous exportez encore, dites-vous, depuis 1835, terme moyen, pour 10 millions
par an. Cette industrie n’en est pas moins mourante, attendu que, malgré leur
travail, vos populations sont si misérables.
Messieurs, l’industrie linière est exploitée dans
les Flandres par deux populations différentes. Sa population agricole se livre
à cette industrie pendant l’hiver et même pendant les autres saisons, lorsque
les besoins de l’agriculture ne réclament pas ses bras. Cette population ne
lutte pas péniblement contre la cherté de la matière première. Elle récolte ses
propres lins ; ses toiles confectionnées par la classe agricole sont les
meilleures. La matière première en est bonne ; elle a été bien soignée. Ce sont
aussi ces toiles qui sont enlevées sur nos marchés avec empressement et qui
sont particulièrement destinées à l’exportation. Je suis disposé à croire que
cette population agricole maintiendra l’ancienne industrie contre toutes les
concurrences, car, pour elle, tout est bénéfice, matière première et
main-d’œuvre.
Mais à côté de cette population
agricole, il en existe une autre très considérable. C’est celle des familles de
tisserands et de fileuses. Elle est misérable, elle ne récolte pas ses propres
lins. Elle lutte péniblement contre la cherté des lins et, par conséquent,
contre un salaire inférieur à ses besoins. Eu égard au prix des lins, elle est
forcée de s’en acheter dans les qualités inférieures. Ses produits sont
ordinairement mal soignés. Nous supplions le gouvernement d’appliquer surtout
ses subsides à cette malheureuse classe ouvrière, de lui venir en aide
particulièrement en avisant aux moyens de lui fournir la matière première à un
prix qui lui permette de subsister par son travail. J’ai déjà dit que cette
classe ouvrière ne serait pas moins malheureuse si elle était réduite à ne
tisser que les fils mécaniques, car alors elle serait bornée au salaire du
tissage.
(page 306)
M. Delfosse
(pour un fait personnel). – L’honorable abbé de Foere, sortant de son calme
habituel, du calme qui convient à son ministère, a attaqué avec beaucoup de
vivacité une idée que j’ai émise dans la discussion de l’adresse, il y aura
bientôt un mois.
L’honorable membre a été très dur pour moi. Je ne
lui en veux pas, mais je déplore profondément l’obstination qu’il met à
défendre une erreur fatale.
Si j’avais besoin de preuves à l’appui de
l’observation que j’ai présentée, dans la discussion de l’adresse, que le
clergé a été l’un des obstacles à la transformation de l’industrie dans les
Flandres et par conséquent l’une des causes de la misère qui afflige ces deux
provinces, je les trouverais dans les discours de l’honorable abbé de Haerne et
de l’honorable préopinant.
Ces deux honorables collègues ne
font-ils pas en effet tous leurs efforts pour entretenir les populations
flamandes dans cette erreur que l’ancienne industrie linière offrirait encore
des chances d’avenir ?
Je pardonne volontiers à l’honorable abbé de Foere
les injures qu’il m’a adressées.
Puisse le ciel lui pardonner un jour le mal qu’il
aura fait aux Flandres !
M. Delehaye. – Messieurs, chacun de vous
comprend que les besoins déterminent l’étendue et l’extension de la production.
Partant de là, il sera facile de répondre aux questions que nous a proposées
l’honorable député de Thielt.
Pourquoi le commerce réclame-t-il des toiles de fil
à la main ? Parce que l-a fabrication de toiles de fil à la mécanique ne répond
pas encore aux besoins des consommateurs, et en second lieu, parce que les
tisserands, poussés par la faim, se défont de leurs toiles à tout prix.
Je pourrais rétorquer l’argument de l’honorable
membre, et lui demander pourquoi le commerce solliciterait des produits qu’il
sait ne pas être fabriqués. Cependant, messieurs, on nous a dit souvent que des
toiles demandées par l’étranger ne se trouvaient plus au marché ; pour ma part,
j’ai entendu souvent des marchands se plaindre de ce que des toiles de
certaines qualités, quoique vivement réclamées, ne se trouvaient plus
fabriquées ; cela provenait de ce que le tisserand, abandonné à lui-même, ne
connaît ni les besoins ni les goûts du moment.
Mais, messieurs, comment veut-on que les toiles de
fil à la main ne soient pas enlevées de nos marchés ? Que se passe-t-il ? Nous
avons plus d’une fois assisté à ce triste spectacle que nous présentaient des
tisserands venant du marché n’ayant pas reçu de leur toile la valeur de la
matière première.
Dans la discussion sur les denrées alimentaires, ne
nous a-t-on pas dit, et avec raison, que les fileuses, les meilleures même, ne
gagnaient pas 15 centimes par jour ? Je connais une commune où l’on ne
trouverait que bien peu de fileuses gagnant 10 centimes.
Il en est de même des tisserands ; beaucoup
travaillent à perte, heureux ceux qui obtiennent trente centimes par
jour !
L’honorable orateur, auquel je réponds, doit
comprendre que lorsque des toiles sont exposées au marché, pour lesquelles on
ne payent le salaire de la fileuse, ni celui du tisserand, il doit être évident
que ces toiles doivent obtenir la préférence.
Sans doute, messieurs, il est beau de protéger une
industrie qui, tout en maintenant des principes moraux au sein des familles,
donne du travail à tous les membres ; il est favorable, utile pour le tisserand
de pouvoir lisser le fil fabriqué par sa femme et ses filles ; mais si les
produits de ce travail, venant en concurrence avec d’autres, doivent être
vendus à perte ou avec un bénéfice insuffisant, sans leur laisser le moyen de
vivre à ‘aide de leur travail, est-il avantageux d’encourager une pareille
production ? Lorsque cette industrie ne laisse aucune ressource à ceux qui
l’exercent, ne faut-il pas, par humanité, par sollicitude pour l’ouvrier,
l’engager à embrasser une autre carrière, à se livrer à une autre industrie qui
lui permettra de trouver dans son travail une existence honnête pour lui et sa
famille ? S’il n’en était ainsi, les sommes destinées à venir au secours de
l’ouvrier devraient figurer au budget d’année en année, sans espoir de les voir
supprimées un jour.
Il ne peut en être ainsi. Il faut que le
gouvernement fasse tous ses efforts pour que la classe ouvrière se pénètre bien
de cette idée que ce n’est que temporairement, pour ménager la transition, que
nous venons à son secours ; que ce n’est que parce que les denrées alimentaires
sont au-dessus du salaire attribué à son travail.
Messieurs, l’honorable membre sait que ce qui fait
la prospérité d’une industrie, ce sont les besoins. Ce sont les besoins qui,
lorsqu’ils sont considérables, rendent la production elle-même considérable.
Or, comment se fait-il qu’aujourd’hui les produits de l’ancienne industrie sont
encore réclamés ? Est-ce parce que ses produits constituent une spécialité sous
quelque rapport ?
Non, messieurs ; mais c’est parce que la nouvelle
industrie, quelque développement qu’elle ait pris, ne répond pas encore aux
besoins qui se font sentir, c’est en outre parce que les produits de l’ancienne
industrie se rendent à tout prix. On comprend, messieurs, que la nouvelle
industrie, établie seulement depuis quelque temps, ne puisse satisfaire à tous
les besoins de la consommation.
Et, en effet, comment pourrait-elle le faire, alors
que, comme vous l’a dit lui-même l’honorable abbé de Foere, on ne place encore
le fil mécanique que dans le seul district de Roulers. Ce n’est qu’à Roulers
que quelques personnes bien pensantes, quelques personnes amies du progrès, ont
introduit la fabrication du fil mécanique. Il est donc naturel que la France ne
nous demande que des toiles de fil à la main.
Messieurs, il est une autre observation sur
laquelle je dois également appeler l’attention de l’honorable membre, et qu’il
m’étonne qu’il n’ait déjà pas faite lui-même.
Pourquoi les produits de l’ancienne industrie se
placent-ils encore en France ? Mais c’est parce que, comme il l’a dit en
finissant, et comme il l’aurait dû dire en commençant, ces produits ne sont pas
en rapport avec le prix du lin, j’ai vu au marché de Gand, et souvent les
journaux l’ont annoncé, que le fil à la main se vendait au prix du lin ; j’ai
vu, et l’honorable M. de Foere doit l’avoir vu avec moi, des toiles vendues
pour le prix de la matière première. Or, messieurs, on conçoit que la France
est heureuse de se jeter sur des toiles pour lesquelles ou ne paye que la
matière première.
On conçoit d’ailleurs que le tisserand est
entièrement à la disposition de l’acheteur ; il se rend au marché alors que,
poussé par la faim, il a besoin de se défaire de sa toile ; il ne saurait
attendre le bon moment ; arrivé à la ville, ayant payé les frais du transport,
ceux de marché, il ne peut pas retirer sa pièce de toile ; il doit, de crainte
d’augmenter encore la perte, la céder au prix qu’on lui offre.
Il faut encore envisager la question sous un autre
rapport, sous celui de la position de ceux qui s’adonnent à l’ancienne
industrie. Cette position est telle qu’ils ne trouvent plus dans leur travail
des moyens de subsistance. Il n’est pas de fileuse, et à cet égard je ne crains
pas d’être démenti, dans le district représenté par l’honorable membre
lui-même, qui gagne 25 centimes par jour. Dans certaines communes, il n’est pas
une seule fileuse qui gagne 10 centimes par jour. Or, comment voulez- vous, M.
de Foere, qu’une industrie qui ne donne pas 10 centimes de salaire à une fileuse, puisse être maintenue ?
Pourquoi s’obstiner à soutenir une industrie qui produit de pareils résultats ?
J’irai plus loin encore. L’honorable membre a dit
que l’ancienne industrie est avantageuse aux populations des Flandres, en ce
sens que le tisserand pouvait fabriquer de la toile avec le fil filé de la main
de sa femme. Mais que gagne le
tisserand qui tisse ce fil ? Son salaire et celui de la fileuse réunis ne
s’élèvent pas à six sous par jour. En portant ce salaire à 60 centimes, ce qui
peut-être même est exagéré, est-il donc suffisant pour qu’il faille engager les
ouvriers à continuer leur travail ?
Mais, dit l’honorable membre, voyez ce qu’a fait la
France. Elle a limité l’introduction de nos toiles. Je ne sais ce que prouve
cet argument. Mais, messieurs, la France n agi dans son intérêt. Pourquoi
a-t-elle limité l’introduction de nos toiles ? Parce qu’elle vient prendre le
fil à la mécanique pour lui donner la main-d’oeuvre et s’assurer ainsi tout le
bénéfice de la fabrication.
La France, en faisant cette stipulation, n’a eu
qu’un seul but, c’est de se réserver le bénéfice de la main-d’œuvre.
Je ne puis pas croire, messieurs, que l’honorable
membre, qui a une idée très nette des besoins du pays, ait pu se faire illusion
à ce point qu’il croie à l’avenir de l’ancienne industrie linière. L’honorable
membre a beaucoup de philanthropie ; il a donné des renseignements très utiles
à plusieurs personnes appartenant à la Flandre orientale, et je lui en exprime
ici toute ma reconnaissance ; eh bien, il a senti lui-même que l’ancienne
industrie linière avait fait son temps, il a voulu la remplacer en établissant,
partout où il l’a pu, des écoles dentellières. Et ici, messieurs, permettez-moi
de revenir sur ce que je disais tantôt, en réponse à l’argument de l’honorable
membre qui disait que la nouvelle industrie n’était pas appelée à satisfaire au
besoin du commerce.
Je suppose, remarquez que ce n’est qu’une
hypothèse, que le goût du jour exige tout à coup le tulle en remplacement de la
dentelle ; aussi longtemps que la production du tulle ne répondrait pas aux
besoins, la dentelle serait demandée ; ce ne serait que lorsque le tuile serait
fabriqué en quantité suffisante que la dentelle serait abandonnée.
Il en sera de même de la nouvelle industrie ; quand
les produits seront mis en rapport avec les besoins de la consommation, on
abandonnera les toiles anciennes qui n’auront pour elles aucun des avantages de
la nouvelle industrie sur laquelle se portera le goût du jour. Je prie la
chambre de ne pas perdre de vue que je ne me sers de cette comparaison que pour
expliquer ma pensée.
Eh bien, messieurs, la même chose se produira quant
à l’industrie linière ; si l’ancienne industrie peut encore travailler, c’est
uniquement parce que l’industrie nouvelle ne peut encore pourvoir qu’à une
faible partie des besoins. Comment voulez-vous, en effet, messieurs, que
l’étranger vienne demander en Belgique des toiles à la mécanique, alors que,
comme l’honorable membre en convient lui-même, on ne fait de ces toiles que
dans le seul district de Roulers ? Et dans ce district même, messieurs, nous
savons tous combien l’industrie des toiles à la mécanique a rencontré
d’obstacles, combien il a été suscité de difficultés à son établissement. L’on
est allé jusqu’à la dépeindre comme ne présentant aucune solidité.
L’honorable membre a caressé une autre idée, il faut
mettre, a-t-il dit, le prix de la matière première en rapport avec le prix des produits
fabriqués et ce résultat il veut l’obtenir par l’établissement d’un droit à la sortie sur les lins.
Messieurs, j’ai prouvé dans maintes circonstances
que je ne reculerai jamais devant aucune protection à accorder à l’industrie ;
mais frapper le lin d’un droit de sortie, ce serait imposer de nouvelles
charges à l’agriculture, et je ne m’y prêterai jamais. Quand on est venu
demander des droits plus élevés sur les céréales, je m’y suis opposé dans
l’intérêt des (page 307) consommateurs et par suite dans l’intérêt des
gens de la campagne ; je m’opposerais également à ce qu’on établît un droit de
sortie sur les lins qui sont le principal produit de l’agriculture dans nos
provinces.
Ce remède-là même serait inefficace. Supposons, en
effet, que la chambre adopte le système préconisé par l’honorable membre, qu’arrivera-t-il
? Les tisserands seraient-ils plus heureux qu’ils ne le sont aujourd’hui ? Mais
ils n’obtiendraient pas encore le lin à bas prix, pourquoi ? Parce qu’ils ne
présentent pas les garanties qu’offrent les sociétés. Vous concevez, messieurs,
que le cultivateur n’aime pas beaucoup de vendre son lin à crédit, à un pauvre
tisserand qui ne gagne son salaire qu’à son corps défendant ; il donnera
toujours la préférence, aux grands établissements qui disposant de capitaux
considérables, peuvent faire de grands achats et les payer comptant.
Ainsi donc, messieurs, le système de l’honorable M.
de Foere ne produirait pas l’avantage qu’il en attend, car le lin fût-il
maintenu à un prix peu élevé, à l’aide d’un droit de sortie, le tisserand ne
pourrait pas encore profiter de ce prix réduit.
Déjà, messieurs, je vous ai fait connaître ma
manière de voir sur ce qu’il importe de faire, si l’on veut être utile aux
tisserands. Je le répéterai de nouveau, il faut qu’on établisse dans le pays
des fabriques de toiles, afin que ce soit le fabricant, le chef de
l’établissement qui achète le fil ou le lin, comme les fabricants de coton achètent
le coton en laine. De cette manière, connaissant et le prix de la matière
première et la qualité qu’il lui faut, il pourrait s’assortir avantageusement
de tout ce qui est nécessaire à la fabrication ; il achèterait à meilleur
compte, travaillant sur une échelle plus étendue, il indiquerait à ses
ouvriers, à ses tisserands la manière dont ils doivent travailler ; il leur
ferait connaître le goût des consommateurs, la mode du jour, l’espèce
recherchée, dont le débit est le plus facile, dont les demandes sont les plus
nombreuses.
Le tisserand, à son tour, n’ayant plus à s’enquérir
du prix dii lin bornerait son industrie à produire, conformément aux
instructions reçues ; il travaillerait le fil qui lui a été confié, et, sa
toile achevée, il irait recevoir le salaire de la main-d’œuvre, sans être
exposé, comme aujourd’hui, à devoir passer par toutes les exigences du
négociant qui peut profiter de la nécessité dans laquelle se trouve l’ouvrier
de se défaire à tout prix de sa toile.
Le tisserand serait ainsi soustrait aux
conséquences fâcheuses de la concurrence que lui font aujourd’hui les grands
établissements et contre laquelle il lui est impossible de lutter aussi
longtemps qu’il est abandonné à lui-même.
L’honorable membre a mis en avant une assertion bien
extraordinaire ; il a dit qu’en France la nouvelle industrie disparaissait, qu’elle
n’obtenait pas même le marché français…
M. de Foere. – Je n’ai pas dit cela.
M. Delehaye. - J’avais compris ainsi les
observations de l’honorable membre, mais puisque je me suis trompé, je retire
ce que j’ai dit.
Je ferai seulement remarquer que, dans le
département du Nord, c’est l’ancienne industrie qui disparaît tous les jours
devant la nouvelle. Il s’est créé à Lille un établissement, travaillant sur une
échelle immense ; je ne sais pas même si, avant deux ans d’ici, il
n’emploiera pas, à lui seul, autant de broches qu’en emploient aujourd’hui tous
les établissements du département du Nord réunis.
Il est donc incontestable, messieurs, que
l’ancienne industrie linière doit disparaître devant l’industrie nouvelle.
C’est un malheur, j’en conviens, j’aime tout autant que qui que ce soit cette
industrie qui permettait à chacun de travailler au sein de sa famille. Il est
certain que c’était là une industrie très favorable à la moralité des
populations, mais enfin rien ne peut l’empêcher de succomber sous la
concurrence d’une industrie plus perfectionnée et pouvant livrer ses produits à
meilleur marché, et force nous est bien de suivre les progrès du siècle.
D’ailleurs, si l’on veut que le peuple soit moral, on obtiendra ce résultat en
lui faisant connaître ses devoirs, en lui prouvant tout ce qu’il peut attendre
du gouvernement et en lui apprenant ce qu’il se doit à lui-même.
En instruisant
la classe ouvrière, en la faisant marcher dans les progrès du siècle, nous ne
tarderons pas à conquérir cette ancienne puissance qui nous rendait un objet
d’envie pour les Etats qui nous environnaient.
M. Mast de Vries. - Messieurs,
de toutes les questions que nous pouvons discuter à l’occasion du budget de
l’intérieur, la plus importante, tant
sous le rapport matériel que sous le rapport moral, est peut-être celle des
octrois municipaux.
M. de Brouckere. - Je
demanderai à l’honorable M. Mast de Vries s’il ne pense pas qu’il conviendrait
d’épuiser la question soulevée par M. de Foere.
M. le président. - C’est la discussion générale, et
elle embrasse toutes les matières qui se rattachent au budget.
M. de Brouckere. - Il est
incontestable que M. Mast de Vries a le droit de parler ; mais la question
qu’il va soulever est une question très importante, et dans l’intérêt de cette
question il serait peut-être utile de terminer d’abord la discussion provoquée
par M. de Foere.
M. Mast de Vries. - Je ne m’y
oppose pas.
M. Sigart. - Je désire aussi dire quelques mots.
M. le président. - Vous êtes inscrit.
M. Lebeau. - Messieurs,
je crains que si nous adoptons la motion de parler uniquement sur chacune des
questions qui se présentent, on ne pose un précédent fâcheux pour l’avenir.
D’où vient l’inconvénient qu’on signale ? C’est que la discussion actuelle
n’est pas véritablement à sa place comme discussion spéciale ; si l’on veut en
faire une discussion spéciale, elle doit naturellement trouver son siège à
l’article du budget de l’intérieur relatif à l’industrie linière. Agir
autrement, c’est déjà une déviation des bonnes règles d’une discussion générale
; car, dans une discussion générale, l’orateur a le droit d’aborder à la fois
toutes les questions d’ordre politique, moral ou matériel ; ce serait
nuire au droit de l’orateur, que de circonscrire le débat général dans chacun
des incidents, à mesure qu’ils se produisent dans la discussion.
Du reste, je ne veux pas être plus exigeant que
l’honorable M. Mast de Vries ; s’il croit devoir renoncer à son tour de parole,
je n’insisterai pas sur mon observation.
M. de Brouckere. - Messieurs,
si j’avais fait une proposition, tentant à ce que la chambre décidât qu’on
commencerait par examiner la question de l’industrie linière à l’exclusion de
toute autre, l’observation de l’honorable M. Lebeau serait parfaitement juste ;
mais je n’ai fait aucune motion ; j’ai présenté une observation à l’honorable M. Mast de Vries personnellement ; je
lui ai dit : « Je suis inscrit après vous, et je vais parler en
réponse au discours de l’honorable M. de Foere ; on perdra de vue la question
très importante que vous avez l’intention de soulever ; je vous demande de juger
vous-même si vous préférez parler maintenant ou plus tard. » Ce n’est pas là
faire une proposition, et je reconnais parfaitement le droit, pour l’honorable M. Mast de Vries, de parler dès à
présent, s’il le veut.
M. Mast de Vries. – M. le
président, je désire conserver mon tour de parole.
M. le président. - La parole vous est continuée.
M. Mast de Vries. - Messieurs,
je disais qu’une des questions les plus intéressantes qui puissent être
soulevées dans cette chambre à l’occasion du budget de l’intérieur, est
certainement la question des octrois municipaux. Cette question touche à la
fois aux intérêts matériels et aux intérêts moraux de la société. L’honorable
M. de La Coste, dans des séances antérieures, a déjà appelé l’attention de la
chambre sur cette importante question ; c’est peut-être à la persistance que
cet honorable membre a montrée, que nous avons dû le travail, si complet, qui
nous a été distribué, il y a quelques mois, sur les octrois municipaux, sous
l’administration de l’honorable M. Nothomb. Chacun de nous aura examiné ce
travail ; plusieurs, sans doute, l’auront étudié ; quant à moi, par la position
que j’occupe, obligé de m’occuper beaucoup d’octrois, j’ai étudié la question
avec attention, je l’ai étudiée sous tous ses rapports, et j’ai acquis la
conviction que le système actuel des octrois est un système à la fois immoral,
injuste, vexatoire et impolitique. En persévérant dans ce système, je crois que
nous aurons dans l’avenir de grands mécomptes, peut-être même de terribles
catastrophes.
Ce système, messieurs, est injuste ; parce qu’en
frappant les comestibles, les boissons, le combustible, on frappe
particulièrement les classes les plus pauvres de la société, et on les frappe,
proportion gardée, bien plus fortement que les classes élevées. Les pauvres
sont forcés de faire une consommation beaucoup plus grande de ces articles que
les personnes fortunées. N’est-ce pas une amère dérision que d’entendre parler
chaque jour de la situation de la classe nécessiteuse, et de voir en même temps
qu’il n’y a peut-être pas un seul ménage pauvre qui ne rende deux ou trois fois
à l’octroi ce qu’il reçoit du bureau de bienfaisance ? Je pourrais prouver qu’il
n’y a pas un seul ménage pauvre qui ne paye un bon nombre de francs pour
l’octroi. Eh bien, nous avons la conviction intime que la journée du pauvre
n’est plus en rapport avec ses besoins ; et cependant les octrois frappent
principalement les individus qui ne peuvent pas payer. Que doit-il avenir à la
fin de tout cela ? Il faut que le pauvre se passe des 20 ou 30 fr. qu’il paye à
l’octroi ; se fasse à lui-même et à sa famille une part qui le conduit à
l’hôpital et finalement à la mort.
Je dis ensuite que le système actuel des octrois
est immoral.
En effet, nous voyons le chiffre de l’octroi
augmenter de jour en jour dans toutes les villes. Qu’en résulte-t-il ? Qu’on
offre par là un appel immense à la fraude. Les droits d’octroi sont
partiellement fraudés ; et qui pousse-t-on à commettre cette fraude ? Ce sont
encore les pauvres, que des personnes plus adroites emploient, pour miner leurs
concurrents.
Voyez ce qui se passe à Bruxelles ; l’octroi sur
les vins, par exemple, est, si je ne me trompe, de 24 fr. par baril ; eh bien,
vous faites assurer pour 15 fr. l’introduction, à Bruxelles, d’un baril de vin.
Et qui se charge de cette introduction ? Ce sont des malheureux, poussés en
avant par un individu plus fin qui se tient derrière les coulisses, pour qu’on
ne puisse pas l’atteindre. Je dis donc qu’à ce point de vue le système actuel
des octrois est de la dernière immoralité.
Je dis que ce système est vexatoire. En effet,
voyez ce qui a eu lieu dans toutes nos villes. Il est impossible à l’étranger
de connaître tous les articles qui sont frappés d’un droit d’octroi dans la
ville où il entre ; dès lors, sans le vouloir, il est à peu près certain de
commettre la fraude ; et alors vous êtes puni pour un délit que vous n’aviez
pas l’intention de commettre. Combien d’entre nous, arrivés aux portes de
Bruxelles, se trouvent dans ce cas ? Nous avons peut-être tous fraudé sans le
savoir Ce qui se passe à Bruxelles
se passe dans toutes les localités ; et il y a des localités où le moindre
délit est puni d’une manière extrêmement sévère.
Je ne connais pas de vexations plus désagréables
que celles qui résultent de l’application du système actuel des octrois.
Je dis enfin que ce système est impolitique.
N’est-ce pas un non-sens (page 308)
que de voir chaque petite localité faire, pour ainsi dire, un Etat séparé dans
le grand Etat ? La tendance de tout ce qui se fait dans chaque localité, c’est de s’isoler. Nous parlons de
liberté commerciale avec l’étranger, il faudrait commencer par appliquer ce
système à nous-même ; eh bien, nulle part,
en Belgique, vous ne trouvez le principe de la liberté commerciale mis
en pratique. Les villes sont séparées entre elles par des lignes de douanes.
Fabrique-t-on un tel article dans telle localité, vous pouvez être sûr que cet
article va être imposé à l’entrée par une autre ville.
Je sais très bien que si je signale des abus, on me
demandera ce qu’il faut faire pour y porter
remède ; mais c’est précisément parce que j’ai étudié la question que je
me permets d’en parler, et je crois que
je pourrai indiquer le moyen
de faire disparaître l’abus que je vous ai dénoncé.
Messieurs, si vous avez examiné le travail qui a été distribué par l’honorable M. Nothomb, vous avez été étonné, comme moi, de l’extension extrême que prennent les octrois Ainsi, par
exemple, le chiffre total pour toutes
les villes à octroi de la Belgique, s’élevait en 1820 à 5,865,000 francs (chiffre rond) ; en 1835 le chiffre s’est élevé à 7,990,000 francs.
Vous voyez déjà l’extension qu’il prend : 2,200,000 francs et quinze années.
En 1843 nous le voyons monté à 9,120.000
francs, de manière que la différence entre 1843 et 1820 est de 3,255,000 francs c’est-à-dire
une majoration moyenne de 150 mille francs
par an. Ces 150 mille francs sont prélevés en très grande partie sur les classes que
je viens d’indiquer et auxquelles nous portons le plus grand intérêt.
Examinons maintenant le chiffre des dépenses de perception
:
En 1820, la
perception d’un produit de
5,800,000 francs coûtait 280,000
francs, c’est-à-dire 4 4/5
pour cent.
En 1835, le produit de
l’octroi augmente de
2,200,000 fr. ; mais la
dépense de la perception
augmente dans une bien plus grande
proportion ; de 280 mille fr.
elle s’élève à 461 mille fr., c’est-à-dire que de 4 4/5 p. c., elle s’élève à 5 3/4.
Maintenant, pour vous faire voir où nous marchons, je vais vous dire où nous sommes déjà arrivés : de 1835 à 1843 les produits présentent une augmentation de 1,200,000 Fr. mais le chiffre du coût de la perception monte de 5 3/4 p. c. à 10 ! de sorte
qu’aujourd’hui ou plutôt à la fin de 1843 la perception des
octrois coûtait 10 p. c., c’est-à-dire
qu’on paye le chiffre énorme de
1,200,000 fr. de frais de
perception des droits d’octroi.
Les chiffres que je viens de présenter s’arrêtent à
la fin de 1843 ; aujourd’hui
le chiffre total des
octrois s’élève probablement à onze millions
environ. Mais vous avez vu que le
chiffre des dépenses pour les
faire rentrer augmente dans une
proportion bien plus forte. Qu’est-ce que cela prouve ? Cest que la difficulté devient plus grande, que
l’immoralité augmente, que chaque localité
sent l’impérieux besoin
d’augmenter les employés pour forcer les recettes.
Messieurs, je viens de dire que signaler
les abus est une chose extrêmement facile, et qu’il est peut-être difficile de signaler les moyens d’y porter
remède.
Je crois avoir bien étudié la question des octrois ; il est résulté
pour moi de l’étude que j’ai
faite, la conviction que les octrois peuvent être supprimés et remplacés par d’autres bases
d’impôt. La première réforme qu’on pourrait faire, et elle serait importante si on considère le chiffre élevé des
frais de recettes, ce serait de faire
en sorte que les recettes
fussent faites par des employés de l’Etat
résidant dans les localités. Vous auriez
une économie extrêmement importante.
Voici le
système que je livre à vos méditations.
Y a-t-il un objet plus en rapport avec les octrois
que les assurances ? On a déjà parlé de
cette question des assurances, je
sais qu’elle est étudiée
par le gouvernement. Mais je pense
que si on veut couper court aux graves
inconvénients des octrois, on peut le faire par l’établissement d’un système
d’assurances générales, par le gouvernement, au profit des communes en raison
des propriétés qu’on leur assurerait.
Je suppose un système général
d’assurances établi ; la ville de Bruxelles, par exemple, recevrait une part du produit en proportion de
ce qu’elle a de propriétés assurées.
J’ai fait quelques calculs ; le produit serait immense, vous seriez
étonnés du résultat auquel on pourrait
arriver.
En supprimant les
octrois, on fait disparaître
toutes les perceptions qui se
font à l’entrée des villes sur les
boissons distillées, sur les vins,
sur les bières. Vous pourriez
faire percevoir par l’Etat l’équivalent de ce droit que vous supprimez, sauf à l’Etat à en tenir compte aux communes. Vous trouveriez là d’immenses ressources, sans augmenter les droits
en réalité, qui, soit dit en passant,
sont portés à un chiffre élevé, Un
troisième moyen serait l’établissement
de centimes additionnels, les centimes additionnels sont payés par la classe qui possède ; les assurances
sont encore payées par la classe qui possède ; et quant aux droits
à prélever sur les boissons
distillées, il n’y aurait pas de majoration,
car si les droits perçus par l’Etat
étaient augmentés, il y aurait compensation
dans la suppression des droits
établis à l’entrée des villes.
De cette manière,
je pense que le système des octrois pourrait être révisé. 1° remettre entre les mains du gouvernement la perception ;
2° faire des assurances un objet
d’octroi, par l’intermédiaire du gouvernement ; 3° voir ce qu’il
conviendrait de faire pour les boissons, notamment pour les distillés et les
vins, pour remplacer les droits perçus à l’entrée des villes.
Voilà un système que j’engage le gouvernement à étudier. Le ministère quel
qu’il soit, qui voudrait apporter des modifications importantes au système d’octroi,
mériterait du pays une éternelle reconnaissance.
En présence de la propension qu’ont les villes à
faire de nouvelles dépenses, on doit reconnaître qu’on marche à la banqueroute.
D’ici à peu de temps l’octroi sera tellement élevé qu’il surpassera toutes les ressources à faire, toutes les propriétés
sont vendues, les autres droits des villes sont diminués à tel point que le
chiffre des recettes ordinaires autres que l’octroi n’est augmenté en 23 ans
que de 150,000 fr. la tandis que l’octroi. seul l’est de 3,255,000. Tout nous
oblige donc à examiner sérieusement cette question.
M. le président (M. Liedts). - Je dois
faire une observation. On a dit tout à l’heure que le discours de M. de Foere
n’était pas à sa place. Je ferai remarquer que dans la loi relative aux
subsistances, lorsque M. de Foere, a parlé contre la clôture, la chambre a paru
consentir à ce qu’il prononçât son discours lors de la discussion du budget de
l’intérieur. En second lieu, au budget de l’intérieur figure une allocation de
150 mille fr. pour subsides eu faveur de l’industrie linière et de la classe
des tisserands et des fileuses.
De sorte qu’il m’a paru que son discours était à sa
place dans la discussion du budget de l’intérieur.
M. Lebeau. - Je serais désolé que M. le
président, à l’impartialité duquel j’ai souvent rendu hommage, ainsi qu’au tact
avec lequel il dirige nos travaux, ait cru voir une critique indirecte, une
observation du moins qui lui serait personnelle dans la réflexion que j’ai
soumise tout à l’heure à la chambre. Mais il n’en est absolument rien ; car
lorsque M. le président déclare que dans la discussion générale on peut parler
de l’industrie linière, qui appartient au budget de l’intérieur, il ne fait que
reconnaître le droit de tous les orateurs. Par conséquent, il est loin de ma
pensée de vouloir adresser le moindre reproche à la conduite de M. le
président.
Mais j’ai cru (et j’ai voulu appeler sur ce point
l’intention de la chambre, qui croira d’autant plus à mon impartialité, qu’il
s’agit d’un de mes amis politiques), j’ai cru que ce serait un mauvais
précédent que de forcer la discussion à se concentrer sur un article, à
l’exclusion des autres. Car voici ce qui arriverait : une discussion
spéciale tendait à s’établir sur la question de l’industrie linière ; on aurait
entendu tous les orateurs qui auraient voulu parler sur cette question. Il en
serait résulté que, quand on serait arrivé à l’article du budget concernant
l’industrie linière, on aurait, par le principe du non bis in idem, fermé la bouche aux orateurs tardifs qui,
prenant le règlement au sérieux, seraient venus présenter leurs observations
sur ce chapitre.
Je dis que, si l’on admettait ce
système, il pourrait arriver que l’on privât un orateur, inscrit sur un
article, du droit de présenter ses observations, en disant que, la chambre
ayant eu sur cet article une discussion spéciale, la question est épuisée. Qui
empêcherait qu’après une discussion spécale sur l’industrie linière, il y en
eût une sur les octrois, et une troisième sur un autre point soulevé par un
autre orateur ?
Voilà sur quoi j’appelle l’attention de la chambre
et de l’honorable M. de Brouckere lui-même.
Du reste, je n’ai pas insisté. Si l’honorable M.
Mast de Vries avait cédé, tout était dit.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je désire présenter quelques
observations en réponse à celles de l’honorable député de Lierre.
Assurément, c’est une question très grave que de
savoir s’il convient de supprimer les octrois et de les remplacer par d’autres impôts ; car c’est là la
véritable question. Si la suppression des octrois s’opère, il faudra les
remplacer par d’autres impôts.
Lorsqu’on aura examiné la question des assurances,
dont M. le ministre des finances a promis de s’occuper, on pourra examiner simultanément
cette autre question soumise à la chambre par l’honorable préopinant, à savoir
s’il convient de faire participer au produit des assurances les villes et les
communes où seraient situées les propriétés assurées. Mais tout en admettant
cette possibilité éventuelle, il faudrait en outre recourir à d’autres modes
d’impôt. C’est ce que l’honorable membre a reconnu en proposant d’augmenter les
droits de fabrication sur les eaux-de-vie et sur les bières, et les centimes
additionnels sur les contributions directes.
Cette question de la suppression des octrois a déjà
été soumise à l’examen des députations provinciales ; en général, cette idée a
été accueillie avec peu de faveur.
Maintenant, l’honorable membre signale les octrois
comme un impôt extrêmement odieux ; et il vous en a signalé la progression. Il
est dangereux de présenter les impôts existants comme étant odieux, parce que
cela peut avoir pour résultat d’augmenter l’aversion que déjà l’on n’a que trop
pour acquitter des charges de cette nature.
En y réfléchissant, on comprendra que si les octrois
ont considérablement augmenté, depuis 1823, c’est qu’en général toutes les communes
à octroi ont fait d’énormes dépenses d’amélioration ou d’embellissement. Qui a
surtout profité de ces dépenses d’amélioration et d’embellissement ? Evidemment
la classe ouvrière dont l’honorable membre a chaudement défendu les intérêts ; car les travaux considérables,
exécutés depuis 1830, l’ont été par la classe nécessiteuse.
C’est pour cela que l’on a constamment augmenté les
octrois.
Une autre circonstance importante, c’est que,
depuis 1830, les salaires de tous les employés en général ont considérablement
augmenté. C’est ce qui explique, au moins en partie, que la perception de
l’octroi qui, dans le principe, était de 5 p. c. s’élève aujourd’hui à 10 p. c.
Une tendance particulière de la phase dans laquelle
le pays est entré, depuis 1830, c’est d’augmenter en général tous les petits
traitements, (page 309) les
traitements des employés de l’octroi et de toutes les administrations en
général. C’est ce qui explique en grande partie l’augmentation des budgets des
administrations communales et provinciales et de l’administration générale.
Si vous supprimez les octrois, de même que si vous
supprimez le régime des douanes, vous aurez encore un nombre infini de personne
sans travail. Il ne faut donc pas considérer de telles mesures comme un pur
bénéfice pour la classe nécessiteuse.
Déjà l’on a reconnu que malgré tous les travaux que font les communes, les
provinces et l’Etat, le nombre des travailleurs est encore hors de proportion
avec le travail. Vous supprimeriez ainsi le travail d’un grand nombre de
personnes ; vous augmenteriez par conséquent la concurrence du travail. Ce
serait un moyen de diminuer les salaires plutôt que d’améliorer la situation de
la classe ouvrière.
Il est à
remarquer qu’aujourd’hui les villes à octroi ont, en général fait de grandes
dépenses pour assurer la perception des
octrois ; c’esl ainsi qu’on a construit des enceintes, des portes et les
locaux nécessaires pour la perception. Toutes ces dépenses deviendraient
inutiles. Si un pareil système devait être adopté à l’avenir, il serait
regrettable qu’il n’ait pas été introduit avant que les villes aient fait ces
dépenses.
Quoi qu’il en soit, la question des octrois est
immense, et ainsi que je l’ai déjà dit à la chambre, il serait impossible de la
saisir de cette question, dans la présente session. Ce ne sera que dans la
prochaine session que la question pourra être mûrie, et que nous pourrons vous
faire connaître la détermination du gouvernement.
M. de Brouckere. - Messieurs,
comme l’honorable M. Lebeau, j’aurais préféré, si une nouvelle discussion
devait avoir lieu, à l’occasion du budget de l’intérieur, sur l’industrie
linière et sur la situation des Flandres, que cette discussion n’eût surgi que
lorsque nous en serions venus à l’article du budget qui concerne l’industrie
linière. Mais puisque cette discussion a été ouverte aujourd’hui, puisqu’elle
l’a été dans un discours dans lequel on professe des opinions contraires aux
miennes, par un discours que je regarde comme très fâcheux, comme devant avoir
de mauvais résultats, je demande à la chambre la permission d’y répondre
quelques mots, et je lui promets d’être très court.
Messieurs, je suis député d’une des grandes villes
du pays ; je suis même député de la plus grande ville du pays, et de ce chef,
plus qu’aucun de vous, je dois me regarder comme étant un de ses députes qui,
aux yeux de l’honorable abbé de Foere, au lieu de siéger sur ces bancs, ferait
beaucoup mieux d’aller s’asseoir sur les bancs d’une école où l’on enseigne
l’économie politique.
Je reconnais, messieurs, en toute modestie, que je
ne suis pas très savant en économie politique, et par contre, je reconnais à
l’honorable M, de Foere des connaissances très approfondies en cette matière.
Je lui promets même que si quelque jour il se fait professeur d’économie
politique, ce sera son école à laquelle je donnerai la préférence. Je suivrai
même son cours d’astronomie s’il en donne un. Car il vous a fait une dissertation
très savante sur Copernic et sur Galilée.
Mais en attendant, messieurs, dans mon discours il
ne sera question ni d’économie sociale, ni de Copernic, ni de Galilée ; mais je
tâcherai de démontrer très modestement à mon honorable professeur qu’il a un
peu péché contre la logique, et je m’efforcerai de le faire sans blesser les
règles de la logique.
Voici, messieurs, résumé en bien peu de mots, le
discours de l’honorable M. de Foere : La Flandre exporte annuellement pour 10
millions de produits de l’ancienne industrie linière ; elle n’exporte presque
rien en produits de la nouvelle industrie linière, et les efforts que l’on a
faits pour y introduire cette nouvelle industrie n’ont pas été heureux. Donc il
faut protéger l’ancienne industrie linière, et ne rien faire ou du moins ne
faire que bien peu de chose pour la nouvelle.
Voilà l’analyse la plus fidèle et la plus exacte du
discours de l’honorable M. de Foere.
Je raisonne, moi, tout différemment et je demande à
l’honorable M. de Foere, lui-même, de vouloir écouter mon raisonnement qui sera
fort simple.
La Flandre, dit-il, exporte encore aujourd’hui pour
dix millions de produits de l’ancienne industrie linière. J’admets ce chiffre ;
mais je me hâte d’ajouter que la Flandre exportait autrefois pour 20 à 25
millions de produits de cette même industrie ; je me hâte d’ajouter encore que
c’est précisément parce qu’elle n’exporte que pour dix millions de produits que
la Flandre se trouve aujourd’hui dans la plus affreuse misère.
Que faut-il faire pour tirer la Flandre de la position où elle se trouve ? Il faut, dit
l’honorable M. de Foere, maintenir, protéger, encourager l’ancienne industrie.
Je dis, moi, le contraire. L’ancienne industrie en Flandre était parvenue au
plus haut degré de perfection, à un degré de perfection que n’avait atteint
aucun pays du monde, et malgré cela l’importation a été en diminuant.
Pourquoi cette importation a-t-elle été en
diminuant ? L’honorable M. de Foere a expliqué un grand nombre de causes qui
ont amené cette diminution. Je n’en indique que deux, et ces deux causes les
voici : D’abord c’est l’invention d’une nouvelle industrie ; en second lieu,
c’est le changement de goût à l’égard des toiles dans un grand nombre de
contrées, où, aux magnifiques toiles des Flandres, à ces toiles serrées,
solides, mais chères, on préfère des toiles légères, mais à bon marché.
Voilà les deux véritables causes, selon moi, qui
ont amené la diminution des exportations des toiles.
Voulez-vous, messieurs, lutter contre une nouvelle
industrie ? Gardez-vous en bien ? Ceux qui lutteront se ruineront.
Voulez-vous lutter contre le goût ? Nouvelle cause
de ruine.
Qu’y a-t-il donc à faire pour la Flandre ? A côté
de l’ancienne industrie, en introduire une nouvelle. Car je ne veux pas
détruire l’ancienne industrie linière. Je sais très bien que, si dans un grand
nombre de contrées on préfère d’autres toiles que celles dont on faisait usage
autrefois, il se trouve aussi beaucoup de personnes encore qui continuent à
donner la préférence aux produits de l’ancienne industrie linière ; et il faut
que l’ancienne industrie linière continue à fabriquer pour ceux qui veulent de ses produits. Mais
puisque cette ancienne industrie ne suffit pas, je dis que, pour sauver la
Flandre, il faut, à côté d cette ancienne industrie, en introduire une
nouvelle.
Et laquelle ? Mais évidemment l’industrie linière
mécanique. Pourquoi cette industrie de préférence ? me dira-t-on. Mais précisément parce que les Flamands ont une
disposition toute particulière à travailler le lin ; parce qu’ils travaillent
le lin avec la plus rare perfection, parce que la main-d’œuvre, pour le travail du lin, y est à
bon marché ; parce que la matière première, en Flandre, est excellente et n’y
est pas chère. Voilà pourquoi, à côté de l’ancienne industrie linière, qui ne
suffit plus pour les Flandres, il faut introduire la nouvelle.
Ah ! dit l’honorable M. de Foere, introduisez
la nouvelle ; je ne m’y oppose pas ; mais protégez les deux industries à
l’égal l’une de l’autre.
Non, messieurs ; je crois que l’on aurait tort de
protéger les deux industries à l’égal l’une de l’autre. L’ancienne industrie ne doit plus être protégée
; l’ancienne industrie, je l’ai déjà dit, est arrivée à son plus haut degré de
perfection, et le gouvernement ne doit rien faire pour elle.
Quant à la nouvelle, au contraire, le gouvernement
doit la protéger, parce qu’il ne l’introduira qu’en parvenant à vaincre une
espèce de répugnance de la part de ceux qui se livreront à l’industrie linière
à la main, parce qu’il y a une éducation à faire pour les Flamands ; parce
qu’encor il y a des frais de premier établissement qui sont considérables.
Voilà pourquoi le gouvernement doit tout faire pour
la nouvelle industrie, et autant que possible laisser marcher d’elle-même cette
ancienne industrie à la main qui dans la Flandre, je le répète, est arrivée à
son plus haut degré de perfection.
Messieurs, ce qui se passe en Flandre aujourd’hui
n’est rien de nouveau ; la même chose a eu lieu en Belgique il y a environ une
quarantaine d’années dans une autre partie du pays, toutefois, j’en conviens,
sur une échelle moins grande. Il y a 40 ans environ, la laine se travaillait
également à la main. Les habitants des communes rurales qui entourent Verviers,
par exemple, venaient dans cette dernière ville chercher la laine, la filaient
chez eux et la reportaient ensuite aux fabricants de Verviers. L’on a introduit
à Verviers les mécaniques, les métiers. Quelques fabricants se sont obstinés à
lutter contre cette nouvelle invention ; ils se sont ruinés ; d’autres
fabricants, plus sages, ont adopté le nouveau système. Mais toutes les
fabriques ne se sont pas établies à Verviers, qu’on ne s’y trompe pas ; les
fabriques se sont établies aussi dans les principales communes qui entourent
Verviers, à Ensival, à Hodimont, à Dison, à Lambermont, ) Chaîneux, et dans beaucoup d’autres communes
que je pourrais citer, Et la ville de Verviers et les communes des environs de
Verviers ont continué à prospérer ; je crois même que depuis cette époque leur
prospérité a été en augmentant.
Eh bien, messieurs, que le gouvernement (et il y a
longtemps qu’il aurait dû le faire), que le gouvernement travaille à ce que
l’on fasse en Flandre ce que l’on a fait à Verviers ; que le gouvernement aide
de tous ses moyens ceux qui voudront établir des ateliers dans les principales
communes des Flandres ; qu’il les aide non seulement en leur accordant des
subsides pour frais de premier établissement, mais en leur donnant des
indications sur les espèces de fabricats dont ils pourront se défaire plus
facilement, en favorisant l’exportation de ces fabricats. Le gouvernement en
employant ces moyens, ne va pas, je le sais, du jour au lendemain rendre la
prospérité aux Flandres, cela est impossible ; les premiers essais sont
toujours pénibles, ils ne peuvent pas être immédiatement couronnés de succès. ;
mais que le gouvernement entre dans cette voie, et je suis bien persuadé que
d’ici à très peu d’années, la position des Flandres sera sensiblement
améliorée.
Je ne suis donc point, messieurs, un ennemi de l’ancienne industrie
linière, à Dieu ne plaise ; mais je le répète, cette industrie ne suffit plus
aux Flandres et tous les efforts que l’on ferait pour rendre aux Flandres leur prospérité à l’aide
de l’ancienne industrie, tous ces efforts échoueraient, tous les sacrifices
pécuniaires auxquels la chambre consentirait seraient sans aucun résultat.
Je sais très bien, messieurs, que pour se rendre
agréable à un grand nombre d’habitants des Flandres le moyen est excellent de
leur dire : « Votre industrie reprendra ; persévérez. Ne suivez pas
les conseils de ceux qui vous disent qu’il faut admettre la nouvelle industrie,
» Oh, messieurs, je n’ignore pas que ce langage plaît, parce qu’un homme trouve
toujours une grande répugnance à devoir, quand il connaît bien un métier, en
apprendre un autre ; mais, messieurs, les conseils agréables ne sont pas
toujours des conseils utiles et, pour moi, j’aime beaucoup mieux dire aux habitants
des Flandres qu’ils ont un sacrifice à faire, un sacrifice pénible, mais enfin qu’ils
doivent y souscrire pour se sauver ; j’aime mieux le leur dire et m’exposer à
être peut-être moins en vue dans les Flandres que ne le seront ceux qui
tiennent le langage contraire ; j’aine mieux le leur dire et être ainsi utile à
mes concitoyens que de leur rendre le mauvais service de les bercer d’espérances
qui ne peuvent point se réaliser et de les éloigner par là des seuls moyens
propres à améliorer leur situation.
(page
310) Je me permettrai, messieurs, de dire en terminant que bien que
j’habite le Brabant, bien que je sois député de Bruxelles, je suis né dans les
Flandres, que j’y ai la plus grande partie de ma famille et que j’y même des
intérêts très réels. Aussi je ferai tous mes efforts, chaque fois que
l’occasion s’en présentera, pour coopérer à rendre la prospérité aux Flandres ;
mais jamais je ne sacrifierai la vérité pour me rendre agréable ; je
tiendrai à cette occasion, comme en toute chose, le langage que je croirai le
plus utile à mes concitoyens.
M. Desmet. - L’honorable préopinant vient de
dire que le discours de l’honorable abbé de Foere aura de mauvais résultats ;
qu’il n’est qu’une leçon d’économie politique. Messieurs, qu’a fait l’honorable
abbé de Foere ? Il s’est borné à répondre à des observations présentées dans
une autre séance.
Je demanderai maintenant si l’honorable préopinant
a répondu à un seul des arguments de l’honorable M. de Foere ? Mais évidemment
non. Tout ce qu’a dit l’honorable M. de
Brouckere se réduit à ceci : Puisque l’ancienne industrie linière est à son
apogée, il ne faut plus la protéger, mais il faut protéger la nouvelle
industrie. Ainsi, messieurs, d’après l’honorable M. de Brouckere, le gouvernement doit protéger la rivale de
l’ancienne industrie linière et, par conséquent, détruire celle-ci,
c’est-à-dire enlever aux ménages pauvres le travail qu’ils ont encore, et cela
en faveur de sociétés anonymes, de sociétés riches.
Messieurs, j’avais demandé surtout la parole pour
répondre deux mots à l’honorable M. Delehaye. Comment ! dit cet honorable
membre, vous voulez continuer encore l’ancienne industrie linière, et cependant
votre industrie ne produit rien de ce que la consommation demande ; vous ne fabriquez
pas ce que demandent les pays lointains. Messieurs, la question n’est pas ici entre
l’ancienne industrie et l’industrie nouvelle, la question est que nous ne sommes
pas bien informés des besoins des pays transatlantiques ; car, messieurs, l’Angleterre
et l’Allemagne vendent bien dans ces pays, et elles y vendent des toiles faites
de fil à la main ; je dirai même qu’on n’y vend pas de toiles mécaniques. En
effet, messieurs, il est connu que pour placer des toiles il faut leur donner
le nom de toiles à la main. C’est ce que font l’Angleterre, l’Allemagne et la
France. Vous ne voyez pas, messieurs, que l’Allemagne substitue l’industrie
mécanique à l’industrie à la main. Si nos rivaux placent plus à l’étranger que
nous, certainement cela ne tient pas à ce que nous fabriquons encore à
l’ancienne méthode, à ce que nous faisons des toiles avec des fils à la main ;
non certainement, aucun commerçant ni aucun armateur ne soutiendra cela ; mais
nous ne plaçons pas, parce que nous n’avons pas les facilités de commerce qu’ont
les Allemands et les Anglais.
L’honorable M. Delehaye dit qu’il n’ya pas de
différence entre les deux industries, que c’est la même fabrication, le même
filage.
Mais alors, messieurs, pourquoi ces
dénominations d’ancienne industrie, de nouvelle industrie ? Alors surtout
pourquoi vouloir anéantir l’ancienne industrie ? Est-ce encore pour favoriser
des sociétés riches et puissantes aux dépens des pauvres mécaniques ?
Mais, dit l’honorable M. Delehaye, vous fabriquez pour rien ! vous donnez le fil au
prix auquel vous achetez la matière première ! Je demanderai, messieurs,
si les sociétés qui travaillent à la mécanique ne doivent pas payer le lin
comme le payent les fileuses ? Et, s’il en est ainsi, je ne conçois pas comment
l’industrie à la mécanique pourrait produire à plus bas prix que le filage à la
main.
Si le filage à la main est à meilleur compte que le
filage à la mécanique, on ne peut nier qu’on ne doive pas alors faire et livrer
la toile à meilleur marché...
M. Delehaye. - Permettez,
M. Desmet, vous ne m’avez pas bien compris. J’ai dit qu’il n’était pas étonnant
que les produits de l’ancienne industrie pussent encore se placer sur nos
marchés, attendu que ces produits étaient vendus au prix de revient de la
matière première ; que c’était là un malheur ; qu’on aurait dû dès lors donner
la préférence à la nouvelle industrie qui réalise annuellement de grands
sacrifices.
Il ne suffit pas à une industrie de placer ses
produits, pour qu’elle puisse se soutenir. Il faut qu’elle accorde à ceux qui
s’y livrent des moyens d’existence.
M. Desmet. - Il résulte de cette explication
que les produits de l’ancienne fabrication ne se vendent pas plus cher que la
matière première même ; il est donc avéré que le filage à la main fabrique à
meilleur compte que le filage à la mécanique. On ne peut pas méconnaître non
plus que les tissus faits à la main ont plus de solidité que les tissus faits à
la mécanique. L’honorable M. Delehaye a reconnu lui-même que le filage à la
main produit à meilleur compte et fabrique de meilleurs produits ; ainsi ce
n’est pas là un motif pour ne pas conserver l’ancienne industrie ; au
contraire, l’argumentation de l’honorable membre conduit à soutenir qu’il faut
conserver l’ancienne, car le bon moyen de placer ses produits, c’est de bien
fabriquer et de fabriquer à bon compte.
Mais, ajoute l’honorable membre, pour que la
fabrication des toiles puisse prospérer, il faut que la fabrication ou le
tissage des toiles se fasse dans les ateliers, que de grands ateliers
remplacent nos petits ateliers domestiques, nos petits ateliers de ménage, que
les petits ateliers de nos campagnes qui font l’admiration de tous les peuples
soient détruits. Mais quelle en sera la conséquence ? Que le travail linier
sera totalement enlevé à nos ouvriers de campagne pour le transporter dans les
villes ; et c’est tout le contraire que l’on désire aujourd’hui ; pour soulager
la classe souffrante, nous devons au contraire chercher à augmenter le travail,
la somme de travail dans le plat pays. Et pour ce qui concerne la bonne
fabrication, on sait combien on fabrique bien dans les campagnes, c’est dans
ces petits ateliers domestiques que l’on donne ces petits soins auxquels nous
devons la bonne renommée de nos toiles des. Flandres.
Mais, dit l’honorable M. Delehaye, en France, on
commence à filer à la mécanique ; mais si réellement il en est ainsi, c’est un
motif pour nous de tâcher de conserver l’ancienne industrie. Il est constant
que les consommateurs français préfèrent les toiles faites à la main aux toiles
faites d’après le nouveau système. Or, si en France on ne fabrique plus de
toiles à la main, il faut nécessairement que nous conservions l’ancienne
industrie, si nous ne voulons pas perdre le marché français.
Je n’en dirai pas davantage ; je crois avoir
répondu suffisamment à toutes les objections que l’honorable M. Delehaye a
faites, au sujet de l’excellent discours de l’honorable M. de Foere ; je pense
que le gouvernement fait très bien de ne chercher à conserver l’ancienne
industrie afin de pas priver le pays de ce travail et de ce commerce ; et quand
l’honorable membre a parlé du tulle qui a remplacé la dentelle, mais c’est là
la condamnation la plus complète de sa manière de voir sur
l’ancienne industrie linière. Cela prouve que quand l’expérience et la
consommation démontrent qu’un produit est mauvais, on l’abandonne et on
retourne à celui qui était meilleur ; il y a eu une époque où l’on faisait un
grand usage de tulle et où l’on avait abandonné les dentelles. Aujourd’hui l’on
en est revenu et l’on fait tous les jours de plus en plus usage de la dentelle,
à tel point que le travail des dentelles est une des principales ressources de
travail et de gagne-pain pour nos pauvres des Flandres. Eh bien il en sera de
même, quand la crise des toiles de la nouvelle fabrication sera passée, et que
le consommateur reconnaîtra que le bon et le beau existent dans la toile de
l’ancienne bonne fabrication ; on retournera à cela et le commerce belge
prospérera. C’est donc une erreur que de prêcher l’abandon de l’ancienne
industrie linière. J’ai dit.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs,
il me semble que, dans cette discussion, on a un peu perdu de vue les faits.
Les uns ont dit que le gouvernement n’avait jamais rien fait pour encourager la
nouvelle industrie. Eh bien, c’est là une erreur. D’abord, le gouvernement n
autorisé l’organisation de la nouvelle industrie de la filature à la mécanique,
à l’état de société anonyme. (Interruption.)
C’était là faciliter l’introduction de cette
nouvelle industrie.
Ensuite il y a eu une augmentation de tarif sur les
fils de toute nature, augmentation qui a été à l’avantage de la nouvelle
industrie comme de l’industrie ancienne.
Les traités de commerce, qui ont été conclus avec
la France, profitent également aux deux industries.
Maintenant de quoi s’agit-il ? S’agit-il de
consacrer des sommes énormes à soutenir exclusivement l’industrie de la
filature à la main, pour faire tomber l’industrie de la filature à la mécanique
?
Une telle prétention serait évidemment absurde. Il
s’agit uniquement d’employer une somme modique à améliorer la filature à la
main, tant par le numérotage que par les dévidoirs et les meilleurs rouets qu’on
pourrait introduire. A cet effet, on a indiqué l’emploi de 50,000 francs mais
nous ne croyons pas que ce soit là un sacrifice bien onéreux pour le trésor, et
puisqu’il est notoire que la spécialité de la filature à la main existe encore et
qu’elle est dans un état de souffrance, on ne peut pas lui refuser ce léger encouragement.
Voilà de quoi il s’agit uniquement, Il est évident que le fil à la main a
encore un emploi spécial ; eh bien, il ne faut pas faire cesser cet emploi, il
faut au contraire le soutenir, en se tenant dans des bornes raisonnables.
On a été jusqu’à dire que les toiles fabriquées
avec du fil fait à la main se vendaient au prix de revient du lin. C’est là une
assertion absurde, Peut-on croire que le tisserand irait travailler uniquement
en vue de revendre au prix coûtant du lin le lin fabriqué (Interruption.)
On dit que les comités ont donné des secours ; mais
que sont ces faibles secours, en comparaison de l’importance de la main-d’œuvre
?
Il s’agit encore, non pas
d’encourager la fabrication des toiles à la main, mais d’encourager la
fabrication des toiles par l’emploi des métiers les plus nouveaux et les plus
perfectionnés. Eh bien, cela tient à l’industrie à la mécanique, et non pas à
l’industrie purement manuelle.
Ce genre de fabrication est très usité en
Angleterre et en France, et il peut très-bien se soutenir et se développer en
Belgique, non seulement pour les toiles, mais pour une infinité de tissus.
C’est ce que l’expérience démontre.
Vous voyez donc, messieurs, qu’on a véritablement
combattu des chimères, en prêtant au gouvernement des intentions qu’il n’a
jamais eues.
M. le président. - La parole est à M. Sigart. (Interruption.)
M. Sigart. - Messieurs, je
n’ai pas reçu du discours de M. de
Foere l’excitation nécessaire pour que je sois entraîné à renouveler les débats
qui ont eu lieu il y a peu de temps. D’ailleurs j’aurais peine à en faire mon
régime journalier. Je répondrai donc avec un grand calme à quelques observations
de l’honorable M. de Foere qui sont à mon adresse.
Les prêtres de toutes les religions ont commis des
excès, dit M. de Foere.
Mais oui, messieurs, je n’ai pas la moindre
partialité envers les diverses théocraties. L’une ne vaut pas mieux que l’autre.
Je conviens très volontiers que la théocratie turque est bien abrutissante,
bien dégradante. Ai-je annoncé du goût pour le régime turc ? Son fanatisme a
fait couler bien du sang. Ai-je vanté le fanatisme turc ? Je vous le demande.
En quoi les torts des prêtres turcs excusent-ils les torts des prêtres
catholiques ? Ne faut-il pas détester les uns comme les autres ?
(page 311)
Les prêtres de la liberté ont commis des excès, dit l’honorable M. de Foere.
Sans doute la liberté a eu ses saturnales ; sans
doute aussi les ambitions des princes ont arraché bien des larmes aux peuples.
Je ne me charge de justifier aucune horreur. Exécrez-les ces hommes, mais
réservez la meilleure part de votre exécration aux excès théocratiques, qui
ont, je me répète, amoncelé plus de ruines et fait versé plus de sang à eux
seuls que toutes les ambitions et autres mauvaises passions réunies.
Voulez-vous une preuve du caractère de férocité particulier aux excès religieux
? Comparez les guerres ordinaires aux guerres de religion, et une chose vous
frappera, c’est que les guerres de religion sont toujours remarquables par leur
révoltante cruauté. Une seule comparaison : la fronde et la ligue.
M. de Foere me reproche encore d’accorder à Galilée
la découverte du mouvement de la terre.
Mais, messieurs, ai-je dit que c’était Galilée qui
avait découvert le mouvement de la terre ? Je n’ai nullement dit cela. (Interruption.)
Permettez, M. l’abbé, tout à l’heure vous me
reprochiez de vous interrompre ; je vous prie à présent de me laisser
continuer.
Je n’ai pas dit que Galilée avait découvert le mouvement
de la terre je n’ai pas même prononcé le nom de Galilée. J’ai dit : Il faut
bien que l’on puisse emprisonner celui qui a l’impiété de dire que la terre
tourne. Si j’avais cru convenable d’entrer dans les détails, je vous aurais dit
que Galilée avait démontré ce que Copernic avait trouvé.
Galilée était un savant de premier ordre ; ce
n’était pas un théologien. Il n’était pas nécessaire de venir lui faire
rétracter des erreurs théologiques ; jamais il ne s’était occupé de théologie.
Il vient de me venir de notre bibliothèque deux
ouvrages. Eu entendant M. de Foere m’accuser d’ignorance, j’ai demandé une
biographie, sans désigner laquelle. On m’en a apporté une. L’honorable M. de
Bonne, d’une manière très officieuse, dont je le remercie, est allé en chercher
une seconde. Vous jugerez. Voici ce que je trouve dans la première :
« GALILEE (GALILE0 GALILEI), le créateur de la
physique moderne, fut, en même temps que Bacon, l’auteur de cette réforme
scientifique qui, en détrônant la scolastique péripatéticienne, a renouvelé la
face des sciences naturelles. Pendant que Bacon proclamait les règles de la
méthode expérimentale, Galilée la mettait spontanément en pratique par d’admirables
découvertes. »
Vous voyez, messieurs, que c’était un savant que
Galilée, ce n’était pas un théologien.
Après l’énumération de ses découvertes, on
lit :
« Ces brillantes découvertes et la haute
faveur dont il jouissait près de Côme II ameutèrent contre lui l’ignorance et
la médiocrité. Déjà l’on avançait que le système de Copernic et de Galilée sur
les corps célestes était évidemment contraire aux saintes Ecritures. Les
dominicains en particulier l’attaquèrent avec fureur dans leurs écrits et dans
la chaire. En 1614, ils accusèrent hautement d’hérésie non seulement les
opinions de Galilée sur le mouvement de la terre, mais la découverte qu’il
avait faite de diverses planètes. « Cette prétendue découverte, disait un
religieux napolitain, est manifestement contraire à l’Apocalypse, puisque ces
nouvelles étoiles ne font pas partie de celles qui sont figurées dans le
chandelier à sept branches. » Telle était la nature des arguments qu’on faisait
valoir contre Galilée. »
Voici ce que je trouve dans la seconde
bibliographie :
Plusieurs
membres. - C’est assez.
M. le président. - Cela ne se rattache nullement au
budget de l’intérieur.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Cela se
rattache au chapitre de l’observatoire.
M. Sigart. – Pardonnez-moi, M. le président. L’honorable M. de Foere, tout le monde me
demande des leçons d’histoire, il faut bien que j’en donne.
Voici ce que je trouve dans cette biographie :
« Il fut ramené de nouveau au tribunal, le 2
juin, pour y prononcer son abjuration, qu’on lui dicta à peu près en ces termes
: Moi, Galilée, dans la 70° année de mon âge, étant
constitué prisonnier, et à genoux devant Vos Eminences, ayant devant mes yeux
les saints Evangiles, que je touche de mes propres mains abjure, je maudis et
je déteste l’erreur et l’hérésie du mouvement de la terre, etc. » Cette
expiation achevée, on prohiba ses dialogues ; on le condamna à la prison pour
un temps indéfini, et on lui ordonna, pour punition salutaire, de réciter, une
fois par semaine, les sept psaumes de la pénitence, pendant trois ans. Telle
fut la récompense d’un des plus grands génies qui aient jamais éclairé
l’humanité. On dit qu’après avoir prononcé son abjuration, rempli du sentiment
de l’injustice que lui faisait son siècle, il ne put s’empêcher de dire à
demi-voix, en frappant du pied la terre : E pur si innove et
pourtant elle se meut). »
Messieurs, je vous le demande, cela est-il clair ?
M. de Foere. - L’honorable M. Delehaye, en répondant à mon discours,
se plaint de ce que l’industrie linière ne fabrique pas pour les besoins des
contrées d’outre-mer et de ce que le commerce n’existe pas pour ces produits.
Messieurs, j’ai établi le même fait et exprimé le
même regret. J’ai répété plusieurs fois que ce commerce n’existait pas pour
l’ancienne industrie. Il n’existe
pas plus pour la nouvelle. J’en ai conclu que l’ancienne fabrication ne pouvait
produire que pour un autre commerce qui existait et que ce commerce lui offrait
le seul moyen de placer ses produits.
Mais, dit l’honorable membre, il faut créer ce
commerce d’outre-mer. Je partage cette opinion ; je l’ai énoncée depuis dix
ans. Si le commerce d’Anvers se borne en grande partie au commerce de
consignation et de commission, est-ce la faute à l’industrie linière des
Flandres ? Est-ce à elle qu’il convient d’adresser le reproche de ce que nous
n’avons pas un véritable commerce d’échanges ? Notre population ouvrière ne
peut pas se livrer à ce commerce. Que le commerce du pays lui fasse des
commandes, qu’il stipule les qualités des produits, et la fabrication exécutera
ses ordres. Il faut donc nécessairement, comme je l’ai dit, que, dans l’absence
de ce commerce, l’ancienne industrie linière produise les tissus qu’elle peut
vendre à un autre commerce qui existe. Telle est la situation réelle que j’ai
faite à l’industrie linière des Flandres.
L’honorable député de Gand vous a dit encore qu’il
faudrait organiser l’industrie linière sur de larges bases. Que de grands
fabricants, a-t-il dit, s’établissent et fassent fabriquer pour leur compte.
C’est encore entrer dans l’opinion que j’ai
énoncée. Cette organisation n’existe pas dans les Flandres. Tant qu’elle n’est
pas créée, il faut de toute nécessité, comme je l’ai dit, que l’industrie
linière marche d’après les seules ressources qui lui sont offertes pour placer
ses produits. Du reste, je désire, comme lui, que la fabrication s’établisse
sur une grande échelle. Les deux industries, l’ancienne et la nouvelle,
pourront en profiter. Il y a une grande différence entre une opinion qui
dit : Cette grande fabrication existe, et entre une autre qui
dit : Elle devrait exister.
Cependant il me reste un doute : supposez que
cette grande fabrication soit créée et organisée. Quel en sera le résultat
probable ? Je crains que ce ne soit celui qui a été obtenu en Angleterre. Je
doute que le sort de nos tisserands en soit amélioré. On leur fournira des fils
mécaniques pour le tissage. Je crains que leur salaire ne suffise pas à leurs
besoins, car il pourrait arriver que, pour exporter ou pour livrer les tissus
au commerce lointain, le grand fabricant fût forcé de réduire le salaire du
tisserand.
C’est ce qui a eu constamment lieu en Angleterre.
La taxe des pauvres a suppléé à ce qui manquait aux besoins de la famille de
l’ouvrier. Toutefois, il était obligé de justifier, devant l’administration de
la taxe des pauvres, de son travail et de l’insuffisance de son salaire pour
exister lui et sa famille. Je crains que nos populations ouvrières ne puissent
se soustraire, dans ce cas, à la même situation.
L’honorable M. Delehaye a dit, en outre, qu’il a vu
vendre des toiles confectionnées selon les anciens procédés, au prix de la
matière première. Il est possible qu’il ait été témoin de ce fait ; je ne le
conteste pas ; mais alors c’étaient des toiles mal fabriquées, ou
confectionnées avec de mauvaises matières premières ; mais il eût été
impossible à une fabrication qui se développe sur une échelle considérable, de
se maintenir seulement pendant l’espace d’un mois, si telle avait été la
situation générale de cette industrie. L’honorable membre a tiré une conclusion
générale d’un fait particulier. Voilà son erreur.
D’après l’honorable membre, j’aurais reconnu
moi-même que l’ancienne industrie dépérissait, parce que j’ai fourni à des
communes des élèves de mon établissement dentellier, érigé pour la classe
pauvre, pour servir comme maîtresses dans des écoles dentellières que ces
communes voulaient créer en faveur de leur population pauvre.
Il ne faut pas conclure de ce fait, que je considère
l’ancienne industrie linière comme devant être abandonnée. Seulement j’ai voulu
multiplier et augmenter les moyens de travail et d’existence, en faveur de la
population pauvre de nos communes rurales. Notre conduite n’a donc pas eu la
cause que l’honorable membre y assigne.
Il est aussi dans l’erreur, lorsqu’il m’a fait dire
qu’en France la nouvelle industrie linière périclitait. J’ai dit exactement le
contraire. J’ai soutenu qu’elle prospérait et qu’à cause de cette prospérité
même c’était l’industrie mécanique belge qui était menacée, attendu qu’elle
courait le danger d’être exclue du marché français après l’expiration de notre
dernière convention avec la France ; car alors la filature française sera
probablement en position de suffire à la consommation intérieure de la France.
L’honorable membre est d’ailleurs convenu du fait ;
il a dit qu’en France on organisait sur plusieurs points, et notamment à Lille,
de grands établissements liniers mécaniques. C’est la raison pour laquelle j’ai
émis l’opinion que les produits belges à la mécanique étaient compromis, à
l’avenir, sur le marché français.
L’honorable M de Brouckere, de son côté, a cru que
je ne veux pas que l’on protège la nouvelle industrie linière ; il a tiré une
conséquence qui n’est pas renfermée dans les paroles que j’ai prononcées. Je
désire que les deux industries marchent ensemble, et prospèrent. Il a été loin
de ma pensée de vouloir soustraire la nouvelle industrie à toute espèce de
protection. J’ai soutenu d’autres opinions, qui ne menaient pas à cette
conclusion.
Aux causes auxquelles j’ai attribué la réduction de
l’ancienne industrie linière, l’honorable membre en a ajouté une autre que je
n’aurais point indiquée. Cette cause c’est le goût. Mais je vous l’ai dit, les
faits connus, les achats faits hebdomadairement sur nos marchés prouvent que le
goût est demeuré acquis à l’ancienne industrie linière. J’ai ajouté que, si le
goût, depuis 1835, s’était prononcé d’une manière différente, les Flandres
auraient dû adopter la nouvelle industrie. Mais je le répète, à cause de ce
goût même, les Flandres ont été forcées de se conformer à (page 312) ce principe
général que toute industrie doit suivre la demande et la direction du commerce.
Il a aussi comparé l’industrie des laines, celle
des draps à l’industrie
linière. Mais il y a une immense différence entre ces deux industries. Je sais
que l’industrie des draps, l’industrie de Verviers n’a pu se dispenser
d’adopter la fabrication à la mécanique. C’eût été une immense erreur de la
part de cette industrie, de ne pas adopter le nouveau mode de fabrication. Mais
il n’en est pas de même de l’industrie linière. J’ai soutenu et je le répète, que
jusqu’à présent la consommation intérieure et extérieure demande presque
exclusivement les produits de l’ancienne industrie, et que de toute nécessité
il faut satisfaire à ces demandes.
L’honorable M. de Brouckere a paru insinuer que
j’avais parlé en faveur de l’ancienne industrie linière, afin de caresser les
populations de Flandres. Lui, a-t-il ajouté, il disait toujours ce qui leur
était utile plutôt que ce qui pouvait leur être agréable. Jamais il n’est entré
dans ma
pensée, depuis seize ans que je siège dans cette chambre, de rien dire qui pût
me faire supposer l’intention de vouloir être plutôt agréable qu’utile à ces
populations. J’ai parlé de conviction. Je suis, il est vrai, l’un de
représentants du district linier le plus considérable des Flandres. Jamais je
n’ai fait un pas, jamais je n’ai rien écrit, rien dit pour me faire élire.
Depuis plusieurs élections, j’ai même désiré et demandé à mes amis politiques
qu’on me substituât un autre candidat.
Je conçois que la discussion savante que
l’honorable M. Sigart a renouvelée…
M. le président. - Je prie l’honorable membre de ne
pas renouveler ce débat, qui est étranger à l’objet en discussion.
M. de Foere. - Je n’ai pas cette intention. Je
partage l’opinion de M. le président. Seulement je voulais dire que la chambre
n’est pas le lieu pour discuter à fond les points d’histoire controversés. Je
n’a pas l’habitude d’entrer dans ces sortes de discussions.
L’autorité ecclésiastique avait été attaquée sur un
fait qui, dans certaines histoires, est inexactement rapporté ; j’ai cru devoir
prendre sa défense pour la justifier. J’abandonne maintenant la question à la
discussion des savants en histoire.
- La séance est levée à 4 heures et demie.