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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 31 mars 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1191) M. Troye procède à l'appel nominal à deux heures un quart.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Troye fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Van Swygenhove présente des observations complémentaires à sa demande relative à l'élection des médecins de la garde civique. »

(page 1192) - Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la garde civique.


« Plusieurs habitants de la communes d'Ortho présentent des observations contre le projet de loi sur l'emprunt. »

« Mêmes observations de quelques habitants de Bievène. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet d'emprunt.


« Les membres du conseil communal de Bras proposent des mesures qui ont pour objet d'améliorer la situation du pays et notamment du Luxembourg. »

« Mêmes observations du sieur Wanderscheid. »

- Renvoi à la commission des pétitions/

« Le sieur d'Henry demande l'abolition de la peine de mort en matière politique. »

- Même renvoi.


« Plusieurs pharmaciens dans la province du Limbourg demandent l'établissement d'un jury spécial pour l'examen des pharmaciens, »

- Même renvoi.


« Le sieur Delsemme, ancien officier, prie la chambre de lui faire obtenir la croix de fer ou toute autre récompense nationale. »

-Même renvoi.


« Le sieur Delem demande qu'il soit donné suite à sa proposition relative à la fourniture des lits militaires, et que les cantines établies dans les forts et dans les casernes soient mises en adjudication. »

- Même renvoi.


« Le sieur Dauvv, distillateur à Santbergen, demande l'annulation d'un procès-verbal de contravention qui a été dressé à sa charge par des employés des accises. »

« Même demande de l'administration communale de Santbergen, »

- Même renvoi.


« Des habitants de Courtray se plaignent de la conduite d'un des magistrats de cette ville. »

- Même renvoi.


« Plusieurs élèves de l'université de Gand proposent un mode de nomination du jury d'examen universitaire. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de l'arrondissement de Nivelles demandent que pour les élections aux chambres qui doivent se faire dans l'arrondissement, les électeurs soient convoqués au chef-lieu du canton ou qu’au moins ceux des cantons de Wavre, Jodoigne et Perwez se réunissent à Wavre. »

- Même renvoi.


Par divers messages en date du 29 et du 30 mars, le sénat informe la chambre qu'il a adopté :

1° Le projet de loi prorogeant la loi du 3 janvier 1847, sur des étoupes.

2° Le projet de loi relatif au cens électoral pour la formation des conseils communaux.

3° 23 projets de loi de naturalisation ordinaire.

- Pris pour notification.

Rapports sur des pétitions

M. Pirmez, rapporteur. - « Par pétition saris date, la dame Mathieu, veuve du sieur Colin, ancien militaire, prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à obtenir un secours. »

Renvoi à M. le ministre de la guerre.

- Adopté.


M. Pirmez, rapporteur. - « Par pétition datée de Vellereille-le-See, le 21 décembre 1845, le sieur Siller, curé à Vellereille-le-Sec, atteint d'une grave infirmité, demande une augmentation de traitement. »

Renvoi à M. le ministre de la justice.

- Adopté.


M. Pirmez, rapporteur. – « Par pétition datée d'Ostende, le 10 juin 1846, le sieur Samyn, ancien employé des douanes, prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à obtenir une augmentation de pension. »

Dépôt au bureau des renseignements.

- Adopté.


M. Pirmez, rapporteur. - « Par pétition datée de Renaix, le,7 juillet 1846,, la dame Gondallier prie la chambre de faire accorder une pension de retraite à son mari, le sieur Vervaert, ancien facteur de la poste rurale. »

Renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


M. Pirmez, rapporteur. - « Par pétition datée de Saint-Aubin, le 12 août 1816, le sieur Thibaux, ancien instituteur,, réclame, l'intervention de la chambre pour obtenir un secours. »

Dépôt au bureau des renseignements.

- Adopté.


M. Pirmez, rapporteur. - « Par pétition datée de Vilvorde, le 6 mai 1846, le sieur Debrichy, ancien soldat mis à la réforme par suite d'une blessure, qu'il a reçue à la jambe, demande une pension. »

Renvoi à M. le ministre de la guerre.

- Adopté.


M. Pirmez, rapporteur. - « Par pétition datée de Gand, le 6 avril 1847, la dame Van de Weyer, veuve du sieur Bastin, ancien vérificateur des douanes à Gand, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir la révision de sa pension. »

Dépôt au bureau des renseignements.

- Adopté.


M. Pirmez, rapporteur. - « Par pétition datée de Lanaeken, le 25 novembre, 1847, le sieur Schragen, préposé des douanes, pensionné, demande une augmentation de pension. »

Dépôt au bureau des renseignements.

- Adopté.


M. Pirmez, rapporteur. - « Par pétition datée d'Ixelles, le 30 novembre 1847, la dame Bristow, veuve du général Lecharlier, demande une pension. »

Renvoi à M. le ministre de la guerre.

- Adopté.


M. Pirmez, rapporteur. « Par pétition datée de Flobecq, le 26 décembre 1847,, la dame Haegman, veuve du sieur Mouligneau, chevalier de l'ordre de la Légion d'honneur, prie la chambre de lui faire obtenir, tout ou partie de la pension dont jouissait son mari, en sa qualité de légionnaire. »

Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

- Adopté.


M. Pirmez, rapporteur. - « Par pétition sans date, le sieur Blistin, ancien gardien de deuxième classe à la maison d'arrêt de Liège, demande une augmentation de pension. »

Dépôt au bureau des renseignements.

- Adopté.


M. Pirmez, rapporteur. - « Par pétition datée d'Andenne, le 21 janvier 1848, la dame Mackers, veuve du sieur Crispin, garde forestier, demande une augmentation de pension ou un secours. »

Dépôt au bureau des renseignements.

- Adopté.


M. Zoude, deuxième rapporteur. - « Par pétition datée de Louvain, le 11 mars 1848, le conseil communal de Louvain présente des considérations en faveur de quelques réformes politiques, et appelle l'attention de la chambre sur plusieurs intérêts particuliers à la ville e t à l'arrondissement de Louvain. »

La pratique régulière de notre Constitution avait amené, disent les pétitionnaires, la manifestation du vœu national, et dans un avenir plus ou moins rapproché, les questions d’ordre et de liberté doivent recevoir une solution que les événements de France ont précipitée.

La plupart des réformes ont été accueillies de manière à convaincre que le temps de les accorder était venu.

Aussi la ville de Louvain, dont les pétitionnaires sont les représentants, et l'organe, déclare que la chambre jouit de toutes ses sympathies ; les pétitionnaires adhèrent de toute la force de leur conviction à la réforme électorale, à l'abaissement du cens pour les communes.

Toutefois l'extension subite des droits politiques à un nombre considérable de citoyens, ne les trouvera pas tous également préparés à l'exercice de ces nouveaux droits ; c'est pourquoi il importe que a jeune, génération appelée bientôt à jouir des droits de la réforme électorale, soit formée de bonne heure à l’initiation politique ; dès lors il est de la plus évidente opportunité de rendre obligatoire l'enseignement élémentaire des droits et des devoirs du citoyen.

Les pétitionnaires expriment le regret que la chambre ne soit pas revenue purement et simplement à la loi de 1836 pour la nomination des bourgmestres. .

Depuis la réforme électorale pour les élections des chambres, des conseils provinciaux et communaux, il est difficile de croire que le moment de la réforme parlementaire ne soit pas venu.

Cette réforme, pour être complète, doit déclarer que le mandat législatif est incompatible avec les fonctions salariées par l'Etat.

Après la réforme politique, il est urgent de s'occuper des améliorations sociales, il faut chercher les moyens d'éteindre le paupérisme. Pleins de confiance dans la chambre et le gouvernement, ils déclarent qu'ils prêteront au pays leur part de concours et de sacrifices nécessaires à assurer son indépendance et sa prospérité.

Mais, comme les adhésions les plus durables sont en raison des intérêts particuliers satisfaits, ils croient devoir exposer les causes qui répandent le malaise dans leur population.

Ils sont dans l'entière confiance que l'on respectera, à leur égard, la, Constitution qui a décrété la liberté de renseignement.

Ils se plaignent du retard apporté à l’organisation du personnel de leur tribunal, lorsque le ministre de |a justice en a reconnu l'utilité.

Ils se plaignent du tort, que le chemin de fer a occasionné à leur canal, surtout alors que les denrées alimentaires circulaient gratuitement, par cette voie, ce qui a anéanti le transport par le canal et a fait perdre à la classe ouvrière une somme de 80,000 francs, ce qu'ils démontrent par des chiffres. On avait bien promis une indemnité, mais elle n'a jamais été payée.

Ils indiquent les moyens de compenser cette, perte ; tels seraient la construction d'une maison centrale de détention, le remboursement du cautionnement fourni pour le chemin de fer de Louvain a la Sambre, ce qui mettrait la compagnie en position d'achever les travaux commencés dans, l'intérieur de la ville ; l'assimilation de l'entrepôt de Louvain aux entrepôts libres ; ils proposent encore d'autres moyens de venir au secours de la classe malheureuse.

Ils protestent d'avance contre l'intention qu'on pourrait leur supposer de chercher à créer des embarras au gouvernement.

Cette pétition tout entière se recommande par des vues sages et patriotiques, et mérite toute l'attention du ministère.

Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de la pétition au département de l'intérieur.-

M. de La Coste. - Messieurs, les questions d'une nature politique qui sont traitées dans cette pétition ont déjà été, pour la plupart, l'objet de travaux de la chambre ou de propositions du gouvernement, ou le seront incessamment. Il y a d'autres questions, par exemple, celles qui concernent l'enseignement, qui effectivement rentrent dans les attributions du ministère de l'intérieur. J'appuie donc le renvoi à ce département.

Mais la chambre aura remarqué qu'il y est aussi question du tribunal de Louvain, de la prison, du chemin de fer, de l'entrepôt de la ville de Louvain. Par conséquent, le renvoi au département de l'intérieur ne répond pas entièrement à l’objet de la pétition. Quant à ce qui concerne le département des travaux publics, .comme les objets qui se rapportent à ce département ont été traités dans une pétition spéciale, je ne m'en (page 1193) occuperai pas maintenant ; mais je demanderai que la pétition soit également renvoyée au département de la justice et au département des finances.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - J'extrairai de la pétition toutes les demandes qui peuvent concerner mes collègues, et je m'empresserai de les leur communiquer.

M. de La Coste. - Messieurs, d'après cette déclaration, je n'insiste pas sur ma proposition ; le renvoi au département de l'intérieur suffit.

- Le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur est mis aux voix et prononcé.


M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition sans date, plusieurs habitants de Neufchâteau demandent la réduction des traitements des fonctionnaires publics et des ministres du culte et celle de l'armée. »

Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

- Adopté.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Il est bien entendu que c'est un renvoi pur et simple ? (Oui ! oui !)


M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée de Louvain, le 14 mars 1848, le conseil communal de Louvain demande que le gouvernement soit autorisé à restituer à la société concessionnaire du chemin de fer de Louvain à Namur le cautionnement qu'elle a déposé. »

Conclusions : Renvoi à M. le ministre des travaux publics.

M. de La Coste. - Messieurs, l'honorable ministre des travaux publics étant présent, je lui demanderai s'il est à même de donner quelques explications sur l'objet de cette pétition. Lorsque les conditions de la concession du chemin de fer de Louvain à la Sambre eurent été modifiées en dernier lieu, la société a demandé avec instance que la ville de Louvain secondât de tous ses moyens l'exécution des travaux qui devaient s'exécuter dans cette ville.

Ces travaux cependant paraissent abandonnés. Tous les efforts de la société semblent se diriger vers une autre extrémité de la ligne. La reprise des travaux dans la ville de Louvain rassurerait cette localité sur l'avenir du chemin de fer, et en même temps procurerai du travail à la classe ouvrière.

Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il peut donner quelques explications à cet égard, et s'il veut bien s'engager à donner à la pétition toute l'attention que réclame l'importance de sou objet.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Le conseil communal de Louvain a fait, il y a quelque temps,' une démarche auprès de moi, pour obtenir que les travaux de la compagnie concessionnaire du chemin de fer de Louvain à la Sambre puissent être continués aux abords de la ville. J'ai agi auprès de la compagnie par tous les moyens en mon pouvoir. La compagnie a fait valoir différentes objections que je n'ai pas vaincues jusqu'à présent. Je ferai en sorte (je l'ai recommandé déjà à diverses reprises) que la compagnie emploie les ouvriers aux travaux indiqués par l'honorable préopinant. Je doute que, dans les circonstances actuelles, quoi qu'on fasse, on obtiendra d'elle qu'elle y mette une très grande activité.

J'examinerai néanmoins cette pétition qui m'est recommandée par l'honorable député de Louvain.

M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, il est une demande des pétitionnaires qui n'a pas été éclaircie par le gouvernement dans sa réponse à l'honorable M. de la Coste.

Le conseil communal de Louvain émet le vœu que le cautionnement soit restitué à la compagnie concessionnaire du chemin de fer de Louvain à la Sambre. Je demande que l’on traite cette compagnie comme l'on a traité la compagnie concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg. M. le ministre des travaux publics ne nous a donné aucun renseignement relativement à cette demande et elle est importante, car le gouvernement pourrait imposer comme condition de la restitution du cautionnement, l'obligation de reprendre les travaux dans la ville de Louvain.

Je désirerais donc savoir si la compagnie concessionnaire du chemin de fer de Louvain à la Sambre a demandé la restitution de son cautionnement, et si le gouvernement ne serait pas disposé à nous présenter un projet de loi destiné à ce que cette restitution pût s’opérer sous certaines conditions.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - J’ai répondu tout à l’heure aux observations de l’honorable M. de La Coste. La pétition ne s’y applique pas précisément. Elle avait pour objet la restitution du cautionnement, ainsi que le disait l’honorable M. de Man. Il n’est pas à ma connaissance que la compagnie l’ait demandée. Le cautionnement est du reste réduit maintenant à une somme assez minime. Je ne pense pas que la restitution de cette somme serait considérée comme assez importante pour l’accepter avec la condition de faire exécuter, dans la ville de Louvain, les travaux dont il s’agit.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée de Liége, le 11 mars 1848, plusieurs habitants de Liège demandent la réforme parlementaire et la suppression du cens d'éligibilité aux fonctions communales, et appellent l’attention de la chambre sur plusieurs questions de l'ordre moral et de l'ordre matériel. »

La réforme électorale, disent les pétitionnaires, ne serait qu'une mesure sans valeur, si elle n'avait pour résultat la réforme parlementaire qui doit écarter de la représentation nationale tout élément qui pourrait en altérer l'indépendance. Ils demandent, en conséquence, de décréter l'incompatibilité absolue des fonctions publiques salariées avec le mandat législatif.

Ils appellent également l'attention de la chambre sur la loi de 1836 qui exige, comme condition d'éligibilité aux fonctions de conseiller communal, le payement du cens requis pour être électeur. Cette disposition étant maintenant modifiée, il n'y a plus lieu de s'en occuper.

Parmi les questions qui intéressent la prospérité du pays, ils signalent l'organisation de l'enseignement national sous la direction exclusive du pouvoir civil.

La condition de la classé ouvrière doit également réclamer la sollicitude de la chambre, et en attendant une solution satisfaisante à cet égard, on recommande les moyens propres à instruire et à moraliser la classe pauvre, l'établissement de caisses de prévoyance dans toutes les industries et l'abolition complète des droits de douane sur l'entrée des céréales et des bestiaux.

Cependant on recommande de ne pas perdre de vue les besoins de l'agriculture, cette branche importante de la richesse nationale, qui peut contribuer si puissamment à prévenir ou au moins à atténuer les effets du paupérisme.

Les pétitionnaires terminent en disant qu'ils ont cédé à leur devoir en portant à la connaissance de la chambre les vœux de l’opinion publique ; ils la conjurent d'adopter les réformes immédiatement praticables et d'aider le gouvernement de ses conseils dans la réalisation des réformes qu'ils ont indiquées.

Renvoi au département de l'intérieur.

- Adopté.


M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 18 mars 1843, le sieur Victor Faider, avocat à Bruxelles, transmet une copie de sa réclamation contre la note publiée par le Moniteur, relativement à l'arrestation de son client ; le sieur Marcx et sa femme, et prie la chambre d'en ordonner l’insertion dans ce journal. »

Conclusions : Dépôt au bureau des renseignements.

M. Bricourt. - Messieurs, lorsque je me suis occupé, dans la séance du 11 de ce mois, de l’arrestation du docteur Marcx et de sa femme et de celle du sieur Gigot, j’ai signalé plus faits de nature à motiver contre leurs auteurs l’application de peines graves.

En présence de cette déclaration, il était du devoir de l'autorité d'ouvrir une enquête judiciaire, conformément aux dispositions du code d'instruction criminelle. C'est ce qui a été reconnu par M. le ministre de la justice qui a d'ailleurs pris l'engagement de suivre cette marche.

Si les renseignements, qui me sont parvenus sont exacts, il paraîtrait qu'une enquête a en effet eu lieu par-devant l'un des juges d'instruction de Bruxelles.

Je m'attendais donc à rencontrer cette instruction dans le dossier déposé sur le bureau de la chambre par M. le ministre de la justice ; mais, à mon grand étonnement, je n'en ai trouvé aucune trace.

En effet le dossier déposé ne contient qu'une espèce de procès-verbal dressé par M. Vanhauwen, commissaire adjoint, faisant fonctions de commissaire de police de la première division de la ville de Bruxelles et quelques lettres de M. le procureur général et de M. le bourgmestre de Bruxelles.

Ces lettres ainsi que le rapport qui vient de vous être fait par l’honorable M. Zoude se fondent uniquement sur le procès-verbal dont je viens de vous parler. Or, messieurs, quelle est la valeur de ce procès- verbal, et quelle confiance peut-il inspirer ?

Veuillez remarquer que M. Vanhauwen est ici partie intéressée ; il est prévenu lui-même d’avoir donné à ses agents l’ordre d’arrêter et d’incarcérer M. et Mme Marcx.

Le procès-verbal de M. Vanhauwen contient ensuite une déclaration de l’adjoint-commissaire Daxbeck. Cette déclaration n’est pas moins suspecte, car c’est cet adjoint qui a pénétré dans le domicile des époux Marcx et qui les a arrêtés. Singulière instruction que celle où l’on prend les prévenus pour témoins et pour juges !

Viennent ensuite deux autres déclarations sans importance, puisqu’elles portent sur des faits étrangers aux délits d’arrestation arbitraire et de violation de domicile. Si ce procès-verbal rapporte si complaisamment des déclarations intéressées, en revanche, il écarte soigneusement celles qui auraient pu faire connaître les curieux détails de cette affaire. Aucun témoin sérieux et important n’a été entendu.

La vérité risquait donc d’être étouffée, si l’administration communale de Bruxelles ne s’était livrée, de son côté, à une enquête sévère et consciencieuse. Cette enquête, dans laquelle on a entendu tous les agents de police qui ont pris part à l’arrestation des époux Marcx, ainsi que plusieurs autres personnes, est venue confirmer les faits que j'avais signalés à la chambre.

Il est à regretter que M. le ministre de la justice n’en ait pas eu connaissance. Je suis persuadé qu'il se serait fait un devoir de la produire avec les autres pièces qu’il a déposées.

Cependant, comme il importe que la vérité se fasse jour dans cette affaire, je demanderai que l’instruction faite par les soins de l’administration communale, ainsi que celle du juge d’instruction, soient jointes au dossier, et qu’il soit sursis à toute décision sur le rapport de M. Zoude, jusqu’au moment où cette production aura été faite.

M. Cans. - L’affaire relative à l’enquête que la section de police du conseil communal a été chargée de faire n’est pas terminée. Elle a reçu (page 1194) avant-hier communication du rapport qui sera présenté demain au conseil communal.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je demande que l'honorable M. Bricourt veuille bien préciser les pièces qui, suivant lui, devraient être fournies encore par le gouvernement ; il y a deux ordres de faits, et pour ainsi dire deux ordres de responsabilité dans cette affaire.

Le gouvernement a cru devoir ordonner l'expulsion d'un étranger. Ainsi que je l'ai déjà dit, il prend sur lui toute la responsabilité de cette mesure, il sera prêt à donner à la chambre, en temps opportun, toutes les explications qu'elle demandera.

A côté de ce fait d'expulsion vient se placer un fait de police locale, l'arrestation d'un individu et de sa femme dans un estaminet, ou, si l'on veut, dans un hôtel où ils séjournaient depuis deux ou trois jours.

Ce fait se détache entièrement de celui d'expulsion ; ce n'était pas pour procéder à l'expulsion que les agents de la police locale se sont introduits dans l'estaminet du Bois-Sauvage.

C'est sur ce fait d'arrestation par la police locale que l'administration de la ville de Bruxelles a ordonné une enquête. Cette enquête est terminée, mais le conseil n'en a pas encore délibéré. Aussitôt qu'elle l'aura fait, l'enquête tombera dans le domaine public ; si l'on désire qu'il soit jointe à l'information judiciaire qui a déjà été faite et produite par le gouvernement, on la joindra.

M. Bricourt. - J'ai déjà dit que je ne critiquais pas l'usage que le gouvernement avait fait, à l'égard du docteur Marcx, de la faculté qui lui est accordée par la loi de 1835. Je répéterai encore la même déclaration, mais je dirai qu'en le faisant arrêter, ainsi que sa femme et le sieur Gigot, on a violé ouvertement la loi, et c'est sur ce point que porte ma critique.

Quant aux pièces dont je demande la production, je les ai déjà fait connaître à la chambre : ce sont l'enquête du conseil communal et l'enquête qui a dû être faite par le juge d'instruction. Bien que les agents de police qui ont opéré ces arrestations ressortissent à l'administration communale, si les faits que j'ai signalés sont vrais, il y aurait délit, et par conséquent obligation pour le gouvernement et pour le parquet du procureur du roi d'ouvrir une enquête et de faire exercer des poursuites.

M. de Brouckere. - L'enquête judiciaire se fait.

M. Bricourt. - Je demande qu'elle soit produite avec l'enquête communale.

M. Zoude. - Comme le pétitionnaire paraît inspirer quelque intérêt, je demanderai à la chambre la permission de lire un écrit qui a été saisi sur lui au moment de son arrestation. Cette pièce était en allemand, mais on l'a traduite :

page 1203

« Prolétaires et tous nos frères unissez-vous,

« Le comité central de l'Alliance des communistes à Bruxelles :

« D'après la décision de l’ex-comité central de Londres par laquelle celui-ci établit la résidence du comité central à Bruxelles et se déclare dissout, le comité central,

« Considérant :

« Que, dans les circonstances actuelles la réunion des membres de l'Alliance principalement des Allemands est impossible ;

« Que les principaux membres sont arrêtés ou expulsés ou peuvent à toute heure recevoir leur expulsion ;

« Que Paris est en ce moment le centre de tout le mouvement révolutionnaire ;

« Que les circonstances actuelles demandent une conduite énergique de l'alliance pour laquelle un pouvoir discrétionnaire est nécessaire en ce moment ;

« Décide :

« Art. 1er. Le comité central est transféré à Paris.

« Art. 2. Le comité central de Bruxelles donne au membre Charles Marx un pouvoir discrétionnaire pour toutes les affaires de la direction centrale de l'Alliance.

« Art. 3. Le membre Marx, aussitôt qu'il aura pris connaissance des événements, établira à Paris un nouveau comité central et y appellera les membres qui ne demeurent pas à Paris.

« Art. 4 Le comité central de Bruxelles est dissous.

« Décidé à Bruxelles, le 3 mars 1848.

« Le comité central, Signé : Engels, G. Fischer, Gigot, H. Steinger, K. Marx. »

(page 1194) Maintenant M. le ministre a déposé sur le bureau une enquête et je remarque entre cette enquête et celle de l'administration communale les contradictions suivantes :

L'enquête déposée par M. le ministre constate que c'est vers minuit, heure à laquelle la police fait sa ronde pour faire fermer les lieux publics, et en voyant de la lumière dans la salle commune...

M. Castiau. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

Plusieurs voix. - On ne peut pas interrompre un orateur pour faire une motion d'ordre.

M. Castiau. - Alors je demande la parole pour un rappel au règlement.

Je demande qu'on mette d'abord aux voix la proposition de l'honorable M. Bricourt, l'ajournement de la discussion jusqu'à la production de l'enquête. Cet honorable membre demande l'ajournement, et voilà M. le rapporteur qui se lance en plein dans la discussion et vient nous donner lecture de pièces qui sont de nature à soulever contre la réclamation des préventions de nature à la faire rejeter. Réservons les pièces et les observations pour le jour de la discussion.

M. le président. - La proposition de M. Bricourt tend à l'ajournement de la discussion. Il demande qu'on ne statue sur les conclusions du rapport qu'après le dépôt sur le bureau de l'enquête judiciaire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Le résultat de l'information judiciaire se trouve dans des pièces que mon collègue M. le ministre de la justice a remises sur le bureau. S'il y a quelque autre pièce qu'il soit au pouvoir du gouvernement de remettre à la chambre, il la lui remettra.

M. le président. - C'est à la chambre a se prononcer sur l'ajournement.

- La proposition d'ajournement est mise aux voix et rejetée.

M. le président. - Les conclusions tendent au dépôt de la pétition au bureau des renseignements.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée d'Arlon, le 17 mars 1848, plusieurs habitants demandent des voies de communication et des débouchés pour le Luxembourg, la réforme parlementaire et des économies dans les dépenses de l'Etat. »

Les pétitionnaires se plaignent de ce que, pour prix de leur dévouement et de leur coopération à la conquête de l’indépendance belge, ils aient été payés par le sacrifice d'une partie de leur territoire. La dette sacrée de la reconnaissance contractée envers eux s'accroît tous les jours.

Toutes les provinces ont été dotées de voies rapides et économiques, le Luxembourg seul est resté étranger à cette sollicitude ; aussi toutes les industries y sont dans des conditions telles qu'elles ne peuvent concourir avec celles des autres parties du royaume. Dans les temps de disette, les denrées alimentaires y sont plus chères qu'ailleurs, tandis que dans les années d'abondance, elles y sont à meilleur compte que dans les autres provinces, en sorte que la balance ne peut jamais se rétablir.

Dans l'intérêt de ses industries, la Belgique a fait des sacrifices avec la plupart des puissances, tantôt envers l'Allemagne, tantôt envers la France et même envers la Hollande ; dans le Luxembourg, au contraire, on n'a procuré aucun débouché en remplacement de ceux que le morcellement avait enlevés.

C'est un chemin de fer, c'est la canalisation de ses rivières que cette province réclame.

En dehors des intérêts matériels, on demande la réforme parlementaire, l'incompatibilité absolue de toutes les fonctions, celles des ministres exceptées, avec le mandat de représentant.

On réclame des économies dans les dépenses de l'Etat, une forte réduction dans le budget de la guerre, le renvoi des militaires, et que l'économie qui en proviendra soit employée au soulagement de l'industrie et du commerce.

On demande aussi la suppression de la marine, le remplacement des ambassadeurs par des chargés d'affaires, la réduction du nombre des employés dans toutes les administrations, l'abrogation de la loi sur les pensions des ministres, une application plus intelligente et plus modérée de la loi sur les pensions en général.

L'adoption d'un système commercial basé sur le libre échange, l'union douanière avec tous les pays, au moins avec les pays voisins.

Tels sont les vœux que les pétitionnaires demandent de prendre en sérieuse considération.

La commission conclut au renvoi à MM. les ministres des travaux publics et des finances.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 23 mars 1848, plusieurs habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel, après révision de la Constitution. »

Conclusion : Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, jusqu'ici j'ai laissé passer à peu près sans observation les conclusions de M. le rapporteur, par lesquelles il renvoyait au ministre de l'intérieur des pétitions dont les auteurs, usant parfaitement de leurs droits constitutionnels, demandaient au gouvernement beaucoup de choses ou très difficiles, ou déjà faites par le gouvernement, notamment en ce qui concerne les réformes politiques.

J'ai laissé passer, dis-je, sans observation ces pétitions, me réservant, pour mes collègues et pour moi, le soin de les examiner attentivement, et si dans le nombre des vœux exprimés par les pétitionnaires, il en est qui puissent être légitimement satisfaits, nous nous ferons un devoir de donner satisfaction à ces vœux.

Je ne puis pas, messieurs, accepter de même le renvoi de la pétition par laquelle plusieurs habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel et la révision de la Constitution. La Constitution est bonne telle qu'elle est ; elle n'a nullement besoin d'être révisée, et, sous ce rapport, le renvoi au gouvernement serait, de, la part de la chambre, une démarche complètement inutile.

Je demanderai donc, messieurs, le dépôt au bureau des renseignements, à moins qu'on ne veuille voter purement et simplement l'ordre du jour.

M. Castiau. - Puisque M. le ministre conclut au dépôt de la pétition au bureau des renseignements, il me semble, messieurs, qu'il ne peut pas y avoir grand inconvénient à la renvoyer également à l'examen de M. le ministre de l'intérieur. S'il est convenable que la chambre prenne communication de la pétition et examine s'il y a lieu de faire droit aux réclamations des pétitionnaires, les mêmes motifs de convenance existent également pour le gouvernement. J'aurais compris que M. le ministre de l'intérieur proposât purement et simplement l'ordre du jour sur celle pétition, quoiqu'elle fût parfaitement légale, mais il ne le fait pas ; il demande le dépôt au bureau des renseignements, ce qui est une invitation aux membres de la chambre d'examiner la question soulevée par les pétitionnaires. Les mêmes motifs existent pour les ministres. Le renvoi de la pétition au gouvernement est donc la conséquence de la proposition faite par M. le ministre de l'intérieur lui-même. Je demande que la chambre ordonne également le renvoi de la pétition au département de l'intérieur, conformément aux conclusions de la commission des pétitions.

M. Lebeau. - Messieurs, c'est dans l'intérêt de la dignité même de la chambre que je viens m'opposer au renvoi à M. le ministre de l'intérieur. La chambre, quand elle renvoie une pétition aux ministres, n'entend pas, assurément, leur transmettre des ordres, des injonctions ; mais elle entend cependant faire une chose sérieuse ; elle entend appeler tout au moins la sérieuse attention du ministre sur la pétition qu'elle renvoie à son examen. Or, la chambre peut-elle persister dans les conclusions de M. le rapporteur, alors que M. le ministre de l'intérieur vient de déclarer, de la manière la plus catégorique, la plus formelle, qu'il n'aurait absolument aucun égard au renvoi d'une pareille pétition.

Je ne vois pas qu'il soit possible que la chambre, sans compromettre sa dignité, en présence d'une telle déclaration, à moins qu’elle ne veuille (page 1195) établir entre elle et le ministère un dissentiment profond, qu'il soit possible, dis-je, que la chambre admette les conclusions du rapport.

Je ne combattrai pas le dépôt au bureau des renseignements, parce que je ne prends pas la pétition assez au sérieux pour engager à cet égard une discussion approfondie. D'ailleurs, cette pétition sera une sorte de document historique du nombre de ceux qui servent à l'intelligence de certaines époques où l’on voir surgir beaucoup d'idées excentriques. C’est à ce seul titre que j'adhère au dépôt au bureau des renseignements,

M. Zoude, rapporteur. - Messieurs, la commission, en proposant le renvoi à M. le ministre de l'intérieur, n'a pas eu d'autre intention que de lui confier l'examen de la question de savoir s'il y a lieu, oui ou non, d'accueillir la demande des pétitionnaires.

M. Castiau. - M. le ministre de l'intérieur ayant proposé lui-même le dépôt de la pétition au bureau des renseignements, j'avais cru devoir appuyer la conclusion du rapport qui proposait le renvoi à M. le ministre.

Les observations présentées par l'honorable M. Lebeau m'engagent plus que jamais à persister dans cette proposition.

Quoi qu'en ait dit l'honorable membre, la question soulevée par la pétition est sérieuse et très sérieuse. Il s'agit de savoir, en définitive, si les majorités, auxquelles vous refusez les droits électoraux, ne conserveront pas même le droit de nous faire parvenir leurs vœux et de nous adresser leurs réclamations. Il s'agit de savoir si vous leur refuserez jusqu'au droit de se plaindre de l'exclusion dont vous les frappez, et de s'adresser à notre justice pour obtenir qu'à leur tour elles soient considérées pour quelque chose dans notre organisation politique.

Messieurs, où en est, en réalité, dans ce pays, le principe de l'égalité des citoyens devant la loi, et quelles sont nos institutions électorales ? Sous l'empire de la loi de 1831, vous aviez 45,000 électeurs, pour 4 millions d'habitants ; c’était un électeur par 95 habitants ; maintenant vous avez modifié ces institutions électorales, qui abandonnaient à une faible minorité le pouvoir politique ; vous avez abaissé le cens jusqu'à la limite fixée par la Constitution. Eh bien, quel si grand résultat aurez-vous obtenu par cette réforme ? C'est que vous avez doublé, triplé peut-être le nombre actuel de vos électeurs. Mais malgré cette réforme, votre corps électoral ne représentera encore que la minorité de la nation, vous aurez un électeur par 30 ou 40 habitants.

Ce système est-il tellement parfait, complet et populaire qu'on soit en droit de dénier tout caractère sérieux aux propositions qui seraient faites à l’effet de modifier ce système, de le modifier par les voies constitutionnelles, et de rétablir enfin le gouvernement représentatif sur sa véritable base, la majorité ?

En vérité, à en juger par la manière dont l'honorable préopinant a parlé du suffrage universel, il semblerait que l’honorable membre, qui d'habitude marche avec son siècle et connaît aussi bien que personne les immenses transformations qui viennent de s'opérer, a fermé les yeux pendant six semaines ; cette question du suffrage universel, qu'on relègue dans les régions, de l'excentricité, c'est-à-dire de l'absurde, elle est résolue en France ; ç'à été le premier acte du gouvernement républicain. Il a fait tomber l'ilotisme des majorités et appelé tous les citoyens à l'exercice des droits politiques.

Voici donc le suffrage universel mis en action. De l'application du suffrage universel surgira la plus grande, la plus puissante, la plus populaire des assemblées, nationales ; et vous qui prétendez que toute proposition, tendant à faire examiner la question du suffrage universel, est une proposition excentrique et indigne d’arrêter un homme sérieux ; alors peut-être serez-vous obligé de déposer vos prétentions et de courber la tête devant l’ascendant du génie d’une assemblée issue du suffrage universel et qui renfermera dans son sein toutes les célébrités de la France.

Ce n'est pas, du reste, seulement en France qu'il s'agit du suffrage universel : on le demande encore, et on l’obtiendra très probablement en Allemagne et dans les pays soumis jusqu'ici à l’absolutisme monarchique ; et lorsque des nations, courbées longtemps sous le despotisme de la force brutale, et que nous avions devancées de si loin en progrès politiques, sont sur le point d'être mises en possession du suffrage universel, il n'y a certes ni excentricité, ni exagération à demander chez nous, non pas qu'on résolve immédiatement la question du suffrage universel, mais que les chambres et le gouvernement l'examinent, l'étudient et se préparent à ajouter de nouveaux progrès à ceux que nous avons réalisés.

Je persiste donc à demander le renvoi de la pétition à M. le ministre de l’intérieur.

M. Lebeau. - Messieurs, je n'hésite pas à dire qu’aller au-delà des conclusions de M. le ministre de l'intérieur, ce serait, dans les circonstances où le pays est placé, la plus grande imprudence, le plus dangereux exemple qui pût émaner d'une assemblée législative belge.

Comment, messieurs, le suffrage universel est une question jugée ; le suffrage universel, devant lequel la Convention nationale elle-même a reculé, est une question jugée !...

M. Castiau. - On l’applique en France.

M. Lebeau. - Dites que c’est une question posée ; mais elle n’est pas résolue encore dans la pratique ; c’est un grand problème qui est né de circonstances toutes différentes.

M. Castiau. - On pratique le suffrage universel aux Etats-Unis et en Suisse.

M. Lebeau. - … Qui est né de circonstances toutes différentes (j'en appelle à vous-même, à votre bon sens), toutes différentes de celles au milieu desquelles se trouve notre pays.

Comment ! lorsqu'à peine il y a quelques mois, on eût osé rêver les réformes électorales que le ministère vous a apportées sous l'empire, je le reconnais, de circonstances que vous ne prévoyiez pas plus que lui ; comment, messieurs, on trouverait qu'il n'y a pas encore assez, qu'il faut encore lancer les esprits vers l'inconnu, vers des espérances nouvelles, au-delà de notre Constitution !

Je n'hésite pas à le dire : lorsque, par des machinations coupables, que l'honorable membre sera, j'en suis sûr, le premier à flétrir de son indignation, la forme de notre gouvernement est attaquée et qu'on veut la remettre en question, ce n'est pas le moment de prêter aux agitateurs, du dehors, à l'insu certes de la conscience pure de l'honorable préopinant, de leur prêter des armes, de leur donner des encouragements ; et si je n'ai pas été jusqu'à réclamer l'ordre du jour, c'est uniquement parce que M. le ministre de l'intérieur, ne voulant pas pousser les choses à l'extrême, montrant une déférence qui n'allait pas au-delà des bornes de la prudence, a demandé le dépôt au bureau des renseignements, tout en repoussant les conclusions du rapport.

M. de Mérode. - Messieurs, les électeurs ne se représentent pas exclusivement eux-mêmes lorsqu'ils choisissent les membres des chambres ; ils savent, au contraire, qu'ils remplissent un devoir d'intérêt général. Mais le droit politique essentiel et principal, c'est celui d'éligibilité qui appartient à tous les Belges. Je conçois que l'on dépose la pétition au bureau des renseignements, parce qu'après les expériences que l'on aura faites ailleurs, elle sera susceptible d'examen, si ces essais obtiennent d'heureux résultats et augmentent véritablement le bonheur public. Dans ce cas, messieurs, il pourrait être à propos de réviser notre Constitution ; mais, en attendant, n'oublions pas que depuis 1830 nous possédons les institutions les plus libres, expérimentées par une pratique de dix-sept années, Il est donc de toute évidence que le renvoi à M. le ministre-de l'intérieur n'aurait maintenant aucun motif. Il n'en est pas de même à l'égard du dépôt au bureau des renseignements qui laisse la question à résoudre, s'il y a lieu, dans l'avenir. Pour faire le tour du monde, disait récemment un de nos collègues, la liberté n'a pas besoin de passer par la Belgique, et je désire vivement qu'elle passe bientôt par la France, car il s’en faut qu'elle y règne jusqu'ici.

- Le dépôt au bureau des renseignements est mis aux voix et prononcé.

Le renvoi simultané de la pétition à M. le ministre de l'intérieur est ensuite mis aux voix et n'est pas adopté.


M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 27 mars 1848, plusieurs ouvriers typographes à Bruxelles demandent l'abolition du timbre des journaux. »

Renvoi à M. le ministre des finances.

- Adopté.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire de 9 millions de francs au budget du ministère de la guerre

Dépôt

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, le Roi m'a chargé de présenter un projet de loi demandant un crédit supplémentaire de neuf millions, pour faire face aux, dépenses du département de. la guerre jusqu'au mois de septembre.

M. le président. -Il est donné acte à. M. le ministre de la justice de la présentation du projet de loi qu'il vient de faire connaître.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal) demande le renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi d’emprunt.

M. Malou. - Il est impossible de renvoyer ce projet de loi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi d'emprunt. L'emprunt soulève des questions nombreuses et importantes, dont la section centrale s'est occupée sans désemparer. Deux membres ont dû s’absenter pour un ou deux jours ; déjà de ce fait, il résulterait un retard pour l'examen de ce projet ; il y a un autre motif, le crédit demandé s'applique probablement à un certain nombre d'articles du budget de la guerre ; ne convient-il pas qu'il soit renvoyé à une section centrale qui puisse examiner jusqu'à quel point chacun des crédits alloués peut être devenu insuffisant ?

Ainsi, deux motifs se réunissent pour faire renvoyer le projet à la section centrale qui examine le budget de la guerre : plus de promptitude dans l'examen, examen plus rationnel et plus facile pour la section elle-même.

M. Verhaegen. - Il serait difficile d'avoir un prompt rapport de la section centrale qui a examiné le budget de la guerre, car plusieurs des membres de cette section centrale font partie de celle qui est chargée d'examiner le projet de loi d'emprunt.

M. de Man d’Attenrode. - M. le ministre vient de déclarer qu'il serait utile d'avoir un prompt rapport. L'honorable M. Malou, pour qu’on ne renvoyât pas le projet de loi à la section centrale de l’emprunt, a dit que deux membres étaient absents. Je ferai observer que trois membres de la section centrale du budget de la guerre sont également absents. On ne peut donc en avoir un prompt rapport, à moins de charger le bureau de remplacer les membres absents.

M. Orban. - Si l'on veut renvoyer à une section centrale le projet de loi qui vient d'être présenté, c'est incontestablement à la section centrale qui été chargée de l'examen du projet de loi d'emprunt, car les dépenses relatives au département de la guerre ont été examinées par les sections qui ont nommé les membres de cette section centrale. Si l'on veut utiliser les observations faites dans les sections et consignées dans les procès-verbaux, il faut renvoyer le projet dont il s'agit à la section centrale du projet de loi d'emprunt. Au reste, une section centrale n'existe qu’aussi longtemps que la chambre n'a pas pris de décision sur l'objet ont elle a été saisie. Le budget de la guerre a été adopté ; par conséquent la section centrale qui l'a examiné n'a plus d'existence légale.

M. Delehaye. - J'appuie la proposition de renvoyer le projet de loi à la section centrale de l'emprunt. Dans la section dont je faisais partie, des observations o.it été faites sur les dépenses du département de la guerre, et l'honorable M. Orban a demandé qu'on nommât deux rapporteurs, l'un pour discuter les questions concernant l'emprunt, et un autre pour discuter les demandes du département de la guerre. Cette proposition a été trouvée si juste et si fondée que tous les membres s'y sont ralliés. Nous avons été autorisés à nommer, indépendamment du rapporteur chargé de s'occuper de la question de l’emprunt, un autre ayant des connaissances plus spéciales pour les questions relatives au département de la guerre.

On a prié la section centrale de vouloir admettre, pour l’examen des questions concernant le département de la guerre, l’honorable M. Brabant, indépendamment de M. Rousselle, nommé rapporteur pour la question d'emprunt ; voilà ce qui s'est fait dans la sixième section, sur la proposition de M. Orban.

J'appuie donc le renvoi à la section centrale de l'emprunt.

M. Manilius. - On pourrait renvoyer le projet à la section centrale de l'emprunt en y attachant quelques membres de la section centrale de la guerre. Je ferai observer que cette section centrale n’existe plus ; elle avait été nommée par l'ancienne législature. Le budget en exercice avait été présenté l'an dernier et examiné l'an dernier dans les sections. Maintenant la section centrale de l'emprunt pourrait s'adjoindre soit l'honorable M. Brabant, soit un autre membre d'une ancienne section centrale de la guerre, pour examiner l'insuffisance des chapitres auxquels se rapportent les 9 millions demandés. C'est ce qui me paraît le plus rationnel ; c'est l'importance des sommes qui seront allouées pour les dépenses de la guerre qui doit décider de l'emprunt.

Je me rallie donc à la proposition du gouvernement avec la modification indiquée par l'honorable M. Delehaye.

M. Delfosse. - Il y a un précédent déjà posé par la chambre en faveur du renvoi à la section centrale qui est chargée de l'examen du projet de loi d'emprunt.

Dernièrement M. le ministre de l'intérieur nous a présenté un projet de loi par lequel il demande plusieurs millions destinés à l'amélioration du sort des classes ouvrières.

Ce projet n'a pas été renvoyé à la section centrale du budget de l'intérieur, mais à la section centrale du projet de loi d'emprunt.

La chambre doit donc, pour être conséquente, prononcer le même renvoi pour le projet qui vient d'être présenté pur M. le ministre de la guerre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Il me serait pénible d'appuyer le renvoi à la section centrale qui examine le projet de loi d'emprunt, si cette section repoussait ce renvoi d’une manière absolue. Mais je dois rappeler à l'honorable M. Malou, qui y fait opposition, que déjà M. le ministre de la guerre a eu plusieurs conférences avec cette section centrale, et que même il avait été entendu que, pour examiner les dépenses concernant le département de la guerre, elle s'adjoindrait l'un ou l'autre membre qui passe pour avoir des connaissances spéciales en cette matière.

Je croyais donc que nous étions d'accord. La section centrale s'attendait à ce renvoi, puisqu'elle a appelé plusieurs fois dans son sein M. le ministre de la guerre, et qu’elle l’a entendu sur les propositions de nature à justifier la demande d'emprunt.

Je prie donc l'honorable M. Malou de ne pas s'opposer davantage à ce renvoi.

M. de Brouckere. - Je ferai remarquer à la chambre qu'il est impossible de renvoyer le projet à une autre commission que la section centrale chargée de l’examen du projet de loi d’emprunt. Je le démontrerai en deux mots : il est reconnu en fait que les sections qui ont examiné le projet d’emprunt ont examiné les questions concernant la guerre ; elles ont donc chargé leurs rapporteurs de traiter ces questions. Vouloir renvoyer le projet de loi à la section centrale du budget de la guerre de l’année dernière, ce serait s’exposer à le renvoyer à des membres qui n’auraient pas examiné ces questions dans les sections ; car il est possible que les membres de la sections centrale du budget de la guerre n’aient pas pris part aux travaux des sections qui ont examiné le projet de loi d’emprunt. Il n’y a donc que la section centrale, à qui l’on peut renvoyer le projet de loi.

Quant à la proposition de l’honorable M. Delehaye, elle n’est pas sérieuse, en ce sens qu’on ne refuse pas aux sections le droit de nommer deux rapporteurs. Lorsqu’il s’agira de traiter les questions concernant la guerre, la section centrale appellera dans son sein M. Brabant au lieu de M. Rousselle.

M. Malou. - Je regrette d’insister. Mais il a été question de ce projet ce matin en section centrale. Si la chambre et le gouvernement désirent que la section termine le plus tôt possible les travaux qui lui sont confiés, il ne faut pas lui en confier de nouveaux. On s'est occupé des questions concernant la guerre, mais pas du projet actuel. Je viens de le parcourir : il se rapporte à plusieurs articles du budget de la guerre, tels que la solde, les vivres, etc.

M. Brabant. - Ces détails sont donnés comme renseignements.

M. Malou. - Encore faut-il les apprécier !

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - J'ai déjà donné des explications dans le sein de votre section.

- La chambre, consultée, renvoie le projet de loi à l'examen de la section centrale du projet de loi d'emprunt.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la guerre

Rapport de la section centrale

M. de Man d’Attenrode dépose le rapport sur un projet de loi de crédit supplémentaire de 50,163 fr. concernant le département de la guerre.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de l'intérieur

Rapport de la section centrale

M. Rousselle. - La section centrale chargée de l'examen du projet de loi d’emprunt, à laquelle vous avez renvoyé un projet de loi tendant à accorder un crédit de 3,700,000 francs au département de l'intérieur, s’est mise d'accord avec M. le ministre de l’intérieur, qui a reconnu que divers travaux compris dans cette demande de crédit et s’élevant à 1,700,000 fr., pouvaient être ajournés jusqu'au mois de septembre. En conséquence, elle vous propose de voter le crédit réduit au chiffre de 2 millions.

Projets de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. Lesoinne dépose les rapports sur deux demandes de crédit supplémentaire concernant le département des travaux publics : l’une de 1,252,705 francs pour travaux exécutés qui doivent être soldés ; l’autre de 226,000 francs pour les canaux de Zelzaete et de la Campine et pour le réendiguement du polder de Lillo.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et, sur la proposition de M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban) et de M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier), met à l’ordre du jour pour lundi les projets de loi qu'ils concernent.

Rapport sur une pétition

M. David dépose le rapport de la commission d'agriculture et d'industrie sur une pétition tendant à obtenir que l'on simplifie les formalités relatives à l'exemption du droit sur le sel destiné à l'agriculture.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et le met à l'ordre du jour de demain.

- La séance est levée à 4 heures.