Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 16 novembre 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 39) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à trois heures et un quart.

M. Troye donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Luesemans fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Le conseil de fabrique de l'église de Suerbempde demande que cette église soit érigée en succursale. »

M. de Luesemans. - Messieurs, cette pétition est assez importante; elle est surtout très urgente. Il s'agit de la demande d'un conseil de fabrique, appuyée par le conseil communal, et tendant à ce qu'une église où il n'y a qu'un chapelain, soit érigée en succursale. Comme nous examinons dans les sections le budget de la justice auquel cette requête se rattache directement, je demanderai le renvoi à la commission des pétitions, avec prière d'en faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Régnier réclame l'intervention de la chambre pour que son droit de participer à l'affouage communal lui soit maintenu. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

« Le sieur Régnier, conseiller communal à Fetigny, demande la suppression des jetons de présence accordés aux conseillers communaux de Petigny, et la réduction à moitié du traitement des bourgmestre et échevins de cette commune, et propose de supprimer les commissaires d'arrondissement et les gouverneurs de province. >»

- Même renvoi.


« La députation permanente du conseil provincial de la Flandre orientale demande la révision de la loi sur l'instruction, des subsides du gouvernement dans la proportion relative du montant des dépenses pour l'instruction primaire dans chaque province. »

M. de Perceval. - Messieurs, cette requête est des plus importantes. C'est un conseil provincial qui demande, si j'ai bien compris, de notables changements dans l'exécution de la loi sur l'enseignement primaire, et la répartition des subsides alloués jusqu'ici par le gouvernement. Je proposerai le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« L'administration communale et plusieurs habitants de Raudour prient la chambre d'accorder aux sieurs Hallieux et comp. la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Ath. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

« Le sieur Leemans réclame contre l'augmentation d'impôt qu'on lui fait subir chaque année, et demande qu'on n'exerce pas contre lui les poursuites dont on l'a menacé. »

- Même renvoi.


« Le sieur Chômé, ancien inspecteur en chef, receveur des douanes, des accises et de la garantie, à Bruxelles, prie la chambre de s'occuper du projet de Ici concernant un crédit destiné au payement ou à la régularisation de pensions d'anciens fonctionnaires du département des finances. »

- Même renvoi.

Rapports sur des demandes en naturalisation

(page 40)M. de Perceval dépose quatre rapport» sur autant de demandes en naturalisation.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports.

Proposition de loi modifiant l'accise sur les sucres

Développements

M. le président. - La parole est à M. Cools pour développer la proposition dont il a donné lecture dans la séance d'hier.

Texte des modifications proposées à la loi du 17 juillet 1846 sur les sucres

Les articles 3, § 3 ; 4 et 6, § 1er de la loi du 17 juillet 1846 (Bulletin officiel, n°44), sont modifiés conformément aux dispositions suivantes :

« La décharge de l'accise à l'exportation en apurement des prises en charge, résultant de documents délivrés à partir du 1er janvier 1849 est fixée :

« 1° A 62 fr. par 100 kil. de sucre de la catégorie A, provenant de sucre brut de canne ou de betterave ;

« 2° Au montant de l'accise, pour les sucres de la catégorie B, provenant de sucre de canne ou de betterave;

« 3° A 15 fr. par 100 kil. de sucre de la catégorie C, provenant de sucre brut de canne.

« A 12 fr. par 100 kil.de sucre de la catégorie C, provenant de sucre brut de betterave.

« Art. 4. Le gouvernement modifiera, conformément aux dispositions suivantes, le taux de la décharge, pour les sucres de la catégorie A, de manière que le produit de l'accise soit au moins de quatre millions de francs par an.

« A cet effet, à l'expiration de chaque semestre, à partir du 1er janvier 1849, la décharge sera réglée par arrêté royal, d'après la recette effectuée pendant les douze mois précédents.

« La décharge, fixée par l'article 3, § 3, ou par le dernier arrêté, sera maintenue, si la recette excède le minimum de 4 millions ; si elle est inférieure de plus de 100,00 francs à ce minimum, elle sera réduite de un franc par chaque somme de 100,00 francs composant le déficit, sans toutefois que ces réductions puissent s'élever à plus de deux francs par semestre.

« La décharge, réduite en vertu de l'article 4, sera reportée à 62 francs, si la moyenne des recettes constatées pendant deux années consécutives s'élève a plus de 4,500,000 fr. »

M. Cools. - L'impôt du sucre ne donne pas des produits assez considérables.

Cette opinion était celle de la très grande majorité de la chambre précédente. Toutes les discussions financières des deux dernières années le démontrent. Le vœu général d'une réforme dans la législation sur cette branche de revenus et le désir d'y donner une satisfaction, ont déterminé un honorable représentant de Nivelles à déposer, dans la séance du 2 février de cette année, une proposition sur laquelle la chambre actuelle aura à se prononcer.

Nous associant à la pensée qui a guidé cet honorable membre, nous pensons aussi que les intérêts du trésor, et par conséquent des contribuables, ont été sacrifiés trop longtemps et surtout trop fortement à ceux de deux industries qui veulent occuper une position privilégiée parmi les industries du pays. Comme lui, nous ferons des efforts pour faire décider que les sucres doivent A l’avenir rapporter plus qu'ils n'ont fourni jusqu'à présent, la question de la quotité d'augmentation de ce produit pouvant seule, selon nous, faire l'objet d'un débat.

Nous devons cependant déclarer que c'est uniquement sur le résultat fiscal auquel il importe d'arriver, que nous sommes d'accord avec l'honorable représentant de Nivelles. Nous tendons au même but, mais nous voudrions y arriver par une voie différente. Il demande l'introduction d’un système nouveau ; nous désirons une simple amélioration du système établi. Croyant apercevoir un danger réel dans une réforme aussi radicale que celle qui est proposée, il nous a paru qu'il ne suffisait pas de signaler ce danger, mais qu'il fallait en même temps rechercher ce que la loi de 1846 renferme de défectueux, déterminer avec précision ce qui doit y être réformé, ce qu'il suffit d'y réformer, afin de préparer aux débats qui vont bientôt s'engager un terrain convenable à côté de celui qui a déjà été indiqué.

Comme il est probable que la chambre voudra s'occuper de la question des sucres, lorsqu'elle passera en revue les ressources pouvant servir à alimenter le budget de 1849, nous avons cru devoir lui soumettre nos propositions au moment où commencerait dans les sections l'examen du budget des voies et moyens pour cet exercice.

Nous avons en conséquence rédigé et déposé la série des amendements à la loi de 1846 que nous allons avoir l'honneur de développer.

Quatre législations différentes ont successivement réglé l'impôt du sucre depuis 1830.

1° La loi du 24 décembre 1829 qui frappait le sucre exotique mis en raffinage en Belgique d'un droit d'accise de 13 fl., ou fr. 27-50, et qui établissait la décharge à raison d'un rendement de 55 1/2. Cette loi a subsisté pendant huit ans.

2° La loi du 8 février 1838, inaugurant le système des retenues; cette loi n'a plus autorisé la décharge qu'à raison des 9/10 des prises en charge. 1/10 au moins de tous les sucres importés devait donc être livré forcément à la consommation intérieure. La même loi, indépendamment de cette retenue forcée, diminua encore les facilités de l'exportation sous un autre rapport, en portant le rendement de 55 1/2 à 58 1/2 pour les sucres mélis, et à 59 1/2 pour les sucres lumps.

Puis est venue 3° la loi du 4 avril 1843. Jusque-là le sucre de betteraves avait été indemne de tous droits. Pour la première fois ce sucre fut imposé. à raison de 20 fr., mais par contre l'impôt sur le sucre de canne fut élevé de 27 fr. 50 c. à 45: En même temps la décharge fut établie à l'égard de la canne, à raison d'un rendement de 57 pour les mélis et de 60 pour les lumps et, à l'égard de la betterave, à raison d'un rendement de 49 pour les mélis et de 52 pour les lumps.

On le voit, le rendement fut abaissé de nouveau, mais aussi en vertu d'une disposition spéciale, et c’est là le principe culminant de cette loi de 1843, les retenues furent portées aux 6/10 les prises en charge.

Finalement est venue 4° la loi du 17 juillet 1846 qui régit encore aujourd’hui la fabrication des deux espèces de sucre. Les retenues forcées sont abolies. C'est par le moyen d'une élévation successive du rendement qu'on s'est proposé de réaliser une recette déterminée qui a été fixée à fr. 3.000,000. Aux ternies de cette loi, le rendement, fixé provisoirement à 68,18 peut être porté au besoin jusqu'à la limite extrême de 72.58. Du reste la décharge est rendue égale pour la canne comme pour la betterave, pour les mélis comme pour les lumps.

En ce qui concerne l'impôt, tout en maintenant pour la canne le taux de francs 45 qu'avait fixé la loi de 1843 on a adopté pour !a betterave une échelle ascendante, à raison du développement que prendrait cette branche de fabrication sons l'empire du nouveau système d'imposition, de manière à tendre sans cesse vers le régime, de l'égalité des charges, régime qui est adopté dans un grand pays voisin. La charge de la betterave, portée à 50 fr. la première année, a été élevée en 1847 à 34 fr. Un arrêté récent a fixé le taux à 40 fr. La différence entre les deux espèces d'impôt n'est donc plus que de 5 fr. les 10U kilos.

Il nous a paru utile de faire ainsi ressortir les caractères distinctifs dé chacune des quatre législations sur l’impôt du sucre qui se sont succédé dans l'intervalle de ces dix-huit dernières années, avant de nous occuper de l'influence que ces législations ont eue sur les recettes de l'Etat et sur la situation relative des deux espèces de fabrication.

Cette influence présente les différences les plus marquées. La loi de 1845 est la seule qui ait à peu près sauvegardé les intérêts du trésor. Toutes les autres n'ont ravivé momentanément les sources de l'impôt que pour les faire tarir de nouveau après un court intervalle. Sous ce rapport, la loi qui fonctionne en ce moment n'est pas destinée à faire exception. Elle a déjà fait descendre la recette à moins de 1,500,000 francs.

A la vérité, par un revirement inattendu, cette recette s'est élevée subitement dans ces derniers temps à plus de 3,00 0,000; mais le jugement qu'il faut porter des effets d'une loi ne doit pas s'appuyer sur un fait exceptionnel. Ce sont les effets généraux et continus qu'il faut consulter. Nous établirons plus loin que la grande abondance de produits des mois de mai et de juin derniers tient à des causes exceptionnelles et qu’elle exercera très probablement une influence désastreuse sur la situation financière (page 41) des semestres à venir. C'est une remarque importante sur laquelle nous ne devions pas tarder à fixer l'attention. Nous la justifierons dans un instant. Nous disons seulement ici que la recette régulière, au rendement actuel, n'est que d'environ 1,500,000 francs et que cette recette, d'après les calculs les plus larges, s'élèvera tout au plus à un million de plus, lorsque le rendement aura été porté à la limite extrême de 72.58. Ce sont là les seules recettes qu'on est autorisé à admettre comme se trouvant indiquées d'avance par les faits qui se sont déjà produits, lorsqu'on veut sans prévention se rendre compte des effets probables du système établi tant qu'on n'y apporte pas des changements.

Nous disions que les résultats de la loi de 1843 ont eu ce caractère particulier qu'ils avaient à peu près réalisé les espérances du législateur, en ce qui concerne l'influence qu'ils avaient exercée sur les recettes de l'Etat. Malheureusement ils ont également eu pour effet de conduire à la décadence et presque à la ruine du commerce d'exportation des sucres raffinés.

Que ce dernier résultat soit dû au système des retenues forcées ou à l'insuffisance du rendement légal, comme on l'a soutenu tour à tour, qu’il doive plutôt être attribué, comme nous le croyons, à ces deux causes réunies, l'effet désastreux de la loi sur le commerce d'exportation est dans tous les cas incontestable. Le mouvement commercial était descendu de 30 millions à 14 millions de kilogrammes.

La loi actuelle a eu jusqu'à présent une influence heureuse sur la coexistence des deux espèces de fabrication. Depuis son adoption les sucreries de betterave, prises dans leur ensemble, ont prospéré à côté des sucreries exotiques autant qu'a aucune autre époque. Pendant sa discussion, on n'avouait généralement qu'une fabrication en sucre de betterave variant entre 3 et 4,000,000 de kil. La prise en charge, au 1er juillet 1847, n'était encore que de 4,090,503 kil. Elle a été de 5,000,000 de kilogr. pendant la campagne qui a fini au 1er juillet 1848.

Mais, comme nous l'avons déjà fait remarquer, l'influence de la loi sur les recettes de l'Etat a été loin d'être aussi favorable. Ces recettes sont descendues en 1847 à moins de fr. 1,500,000.

On peut hardiment affirmer que le système d'impôt, tel qu'il fonctionne en ce moment, est tout à fait incapable de procurer au trésor d'une manière permanente, les 3,000,000 de francs qu'on a voulu lui garantir, même après qu'on aura porté le rendement à la limite extrême de 72.53. Les faits qui se sont produits jusqu'à ce jour en contiennent la démonstration.

A la vérité, comme nous le disions il n'y a qu'un instant, ces 3,000,000 de francs ont été fournis en totalité par les deux sucres pendant les deux derniers semestres, au moment où on s'y attendait le moins. C'est ce qui est constaté par les relevés officiels publiés par le département des finances.

Malheureusement, nous avons dû ajouter que c'est là un fait exceptionnel sans portée pour l'avenir. Les circonstances qui l'ont amené suffiraient pour le démontrer. A la fin de l'année dernière, le gouvernement lui-même avouait que les sucres ne rapporteraient pas 1,500,000 fr. Tout d'un coup, pendant que la crise politique et commerciale sévit avec la plus grande intensité, l'argent arrive en masse dans les caisses de l'Etat. Les comptes de recette sont arrêtés la veille du 1er juillet, et l'on en vient à constater une recette totale de 3.059,000 fr.

Et, qu'on le remarque bien, en même temps que ce résultat pécuniaire était obtenu, le mouvement commercial reparti sur une succession de périodes de douze mois n'avait pas diminué.

Les importations et exportations des 2ème semestre 1847 et 1er semestre 1848 avaient même dépassé le chiffre des deux semestres réunis de 1847. Pendant l'année 1847 le mouvement commercial n'avait pas tout à fait atteint 26,000,000 de kil.; il s'élève au-delà du chiffre de 29,000,000 de kil. pendant la période comprise entre le 1er juillet 1847 et le 1er juillet 1848. Et cependant, chose étonnante, pendant la première période la caisse de l'Etat n'avait reçu que fr. 1,417,075 et elle en reçoit 3,059,000, c'est-à-dire plus du double, pendant la période suivante. Ainsi alors que le mouvement commercial augmente, les recettes progressent également et dans une forte proportion. Or c'est là un résultat que le jeu naturel de la loi devait rendre impossible. Sous l'empire de tout régime établissant un rendement légal inférieur au rendement réel, les recettes doivent diminuer tant que le rendement reste le mène, à mesure que le mouvement commercial se développe, quand les choses se passent régulièrement. Lorsque le mouvement commercial, ou pour mieux faire saisir notre raisonnement et pour parler même plus exactement, lorsque les exportations deviennent plus fortes, les recettes par contre doivent naturellement diminuer. Cette conséquence se présentera à l'esprit de tous ceux qui veulent réfléchir un instant au jeu des rouages composant le système formulé par la loi de 1846.

D'où vient donc que toutes les prévisions ont été déjouées dans ces derniers temps? Comment les recettes ont-elles pu devenir plus considérables lorsque les exportations avaient également été en augmentant?

Ce résultat, tout étrange qu'il paraisse au premier abord, peut cependant s'expliquer très naturellement. C’est que le développement du mouvement commercial n'agit d'une manière défavorable sur les recettes qu'alors qu'on laisse la consommation intérieure suivre son cours naturel. Il est, au contraire, évident que si, alors qu'on obtient une décharge relativement plus considérable sur les sucres exportés, on fait en même temps entrer forcément dans la consommation intérieure une quantité de sucre dépassant dans une proportion encore plus grande les besoins du moment et qu'on arrange les choses de manière à ce que, sur cette quantité surabondante de sucre prise en charge, les droits soient payés avant une époque déterminée, les recettes de l'Etat doivent s'en ressentir momentanément de la manière la plus favorable.

Or, tout indique que le développement qu'a pris subitement le produit de l'impôt pendant le trimestre qui a précédé le ler juillet est dû presque entièrement à une pareille manœuvre, qui bien loin de présenter quelque chose de blâmable pour ceux qui y ont eu recours, a plutôt eu à certains égard un mérite, celui d'avoir profité au moins momentanément aux intérêts de la caisse publique. Les raffineurs se seront empressés d'augmenter extraordinairement leurs prises en charge ou d'apurer leurs comptes en consommation; ils avaient en effet le plus grand intérêt à le faire, les uns parce qu'ils voulaient empêcher pour quelque temps l'élévation du rendement en aidant à parfaire la recette déterminée de fr. 3,000,000, les autres parce qu'ils étaient en mesure de donner en payement des bons du trésor, à une époque où on pouvait tous les jours se procurer ces valeurs à la bourse à 10 ou 12 p. c. au-dessous de leur taux légal.

Voilà, selon toutes les apparences, comment les recettes qu'on devait s'attendre à ne pas voir dépasser le chiffre dé fr. 1,500,000 se sont élevées subitement jusqu'à fr. 3,000,000.

Quoi qu'il en soit des moyens qui ont été employés pour faire monter pendant quelques instants la recette si fortement au-dessus de son niveau naturel, il est démontré à l'évidence que cette recette est factice quant à sa permanence. Il est impossible qu'une situation où tout est forcé puisse se soutenir. Nous ne craignons pas de prédire que la situation, qui sera constatée au 31 décembre de cette année, présentera une différence notable avec celle du 30 juin dernier. La baisse des produits apparaîtra d'une manière encore plus sensible à la fin du 1er semestre de 1849, lorsque les recettes anormales effectuées pendant le 2ème trimestre de cette année ne joueront plus dans les calculs du département des finances.

Or, ce sont là des effets très fâcheux, mats découlant de la nature des choses, sur lesquels l'attention doit se diriger avant qu'il ne soit trop tard, lorsqu'on a à sa disposition des moyens pour les empêcher de se produire.

(page 42) Il est vrai que dans la suite on aura la latitude et ce sera môme un devoir pour le gouvernement, aux termes de l'article 4 de la loi, d'abaisser graduellement la décharge à l'expiration de chaque semestre. Les partisans du statu quo ne se font pas faute de faire remarquer qu'on pourra seulement juger des effets de la loi, alors que l'obstacle qui arrête momentanément l'ascension du rendement aura disparu et après que les effets de cette ascension, qui est entrée dans les prévisions, auront pu se manifester. Or, c'est là une véritable illusion.

La loi avec toutes ses restrictions qui a donné 1,500,000 fr. au rendement de 68.18, ne peut fournir 3,000,000 de fr. au rendement de 72.58, si ce n'est cependant transitoirement, comme recette forcée pendant un semestre donné, au détriment des produits à réaliser pendant les semestres suivants. Mais une recette pareille n'est rien autre chose qu'une anticipation.

Pour que la recette pût être maintenue à 3,000,000 de fr., il faudrait que la loi ne renfermât pas cette disposition qui y a été introduite par amendement, sur la proposition d'un ancien représentant de Malines et qui défend de réduire la décharge de plus de 4 fr., ou en d'autres termes d'élever le rendement belge au-delà du rendement hollandais.

Mais dans tous les cas, ce n'est pas 3,000,000 qu'il faut réunir. Il est temps qu'en fasse produire au sucre une somme notablement supérieure. A ce compte, il faut nécessairement toucher à la loi de 1846. Cette loi n'a pas été faite avec l'idée de faire rapporter an sucre plus de 3,000,000 de francs.

C'est ce motif qui nous a surtout déterminé à ne pas tarder à soumettre des propositions à la chambre, à l'exemple d'un honorable représentant de Nivelles. Nous nous sommes préoccupé avant tout des intérêts du trésor : nous le déclarons sans détour. Nous l'avons fait avec confiance, parce que nous avons pensé que la chambre nouvelle, se plaçant résolument au-dessus de quelques intérêts qui ont trop fortement pesé sur les résolutions de la chambre précédente, admettra le principe que nous cherchons à faire prévaloir, dussent même deux industries importantes en éprouver quelque dommage. Ce principe est celui-ci : de manière ou d'autre, faire rapporter au sucre plus qu'il n'a produit jusqu'à présent et plus aussi que le législateur de 1846 lui avait demandé.

Nous nous hâtons cependant d'expliquer notre pensée. Nous plaçons l'intérêt industriel et commercial après celui de la généralité des contribuables représenté par le trésor public, mais nous croyons qu'il est de l'intérêt du pays de ne pas le négliger complètement. Nous demandons au contraire qu'on s'en occupe, mais seulement dans une juste mesure. C'est dire assez que nous ne nous associons pas au projet de transformer l'impôt du sucre en un simple impôt de consommation, à l'effet de lui faire rapporter au moins fr. 5,000,000. Nous croyons qu'on doit se contenter d'une recette de fr. 4,000,000. C'est là notre point de départ. Si cependant la chambre, poussant les choses à l'extrême, voulait à tout prix obtenir fr. 5,000,000, nous croyons qu'alors encore il faudrait tâcher, et il serait possible d'obtenir ce produit par des moyens autres que ceux qui font l’objet de la proposition qui a été déposée avant la nôtre, et qui, à notre avis, apporteraient une perturbation trop forte dans les branches de fabrication auxquelles elle s'applique.

Nous indiquerons ces moyens à la fin de ces développements.

Nous sommes ainsi amené devant cette question : étant donné le chiffre, soit de 4,000,000 soit de 5,000,000 de fr., provisoirement nous disons 4,000,000 de fr. La combinaison à laquelle nous nous sommes arrêté est-elle préférable à toute autre pour rendre cette recette certaine, tout en ménageant autant que possible les intérêts des deux industries atteintes par l'impôt ?

Disons ici sommairement en quoi consiste cette proposition. Nous y reviendrons plus loin avec plus de développement.

Nos propositions sont combinées de manière à donner une base solide au chiffre de 3,000,000 de fr. qui vient d'être obtenu par des moyens factices, et à organiser pour ce chiffre une force d'impulsion qui le fasse monter, par une progression rapide, jusqu'au total de 4,000,000 de fr. La différence qu'il y aura entre la situation actuelle et celle que nous voulons y substituer, c'est qu'aujourd'hui le niveau de 3,000,000 de fr. est condamné à s'abaisser, peut-être jusqu'à 1,000,000 de fr. pour remonter ensuite quelque peu, mais sans pouvoir encore jamais atteindre dans des conditions régulières ce total exceptionnel de 3,000,000 de fr., tandis que, grâce aux amendements proposés, le niveau de 3,000,000 de fr. ne s'abaissera plus, mais s'élèvera, au contraire, jusqu'à 4,000,000 de fr. Et pour avoir la certitude que ce chiffre de 4,000,000 de fr., que nous voulons faire décréter comme recette normale, sera obtenu, sinon en 1849 au moins au plus lard en 1850, nous écartons de la loi tous les obstacles qui pourraient comprimer la force d'impulsion, devant faire monter le rendement indéfiniment , tant que ce produit de 4,000,000 de fr. n'aura pas été verse au trésor.

Si nous nous arrêtons à ce chiffre de 4,000,000 de fr., c'est qu'il nous paraît impossible d'aller au-delà, sans porter un coup mortel à une industrie prospère, celle du commerce d'exportation du sucre raffiné. Le souvenir de l'effet produit par la loi de 1843 ne doit pas être perdu.

D'ailleurs, à la chambre, on a toujours déclaré qu'en se contenterait d'une recette de 4 millions de francs, jusqu'à la fin de l'année dernière, où le chiffre de 5 millions de francs a quelquefois été mis en avant. C'est le chiffre de 4 millions de francs qui se retrouve dans la plupart des discours prononces pendant la discussion du budget des voies et moyens de 1843. Le ministère d'alors l'avait adopté comme base à donner aux calculs étayant le projet qui est devenu la loi des sucres de cette époque.

Nous ne faisons ainsi que reproduire un chiffre accepté dès cette époque par le gouvernement.

Nous voulons ensuite qu'on demande ces 4 millions de francs au système d'impôt qui fonctionne en ce moment. Nous nous déclarons ainsi partisans de la loi de 1846. Nous croyons que cette loi renferme des imperfections qu'il importe de faire disparaître, mais nous verrions avec peine qu'on renversât le système, parce que ce système, dans la situation actuelle des deux industries et du commerce qu'elles alimentent, nous a toujours paru une conception heureuse. Nous devons tâcher de justifier cette opinion.

La loi a fait des conditions équitables à l'industrie de la betterave, dans la position qu'elle peut revendiquer vis-à-vis de la canne.

A chaque changement de législation sur les sucres, on a agité la question de savoir si l'une des deux industries doit être protégée de préférence à l'autre. Le législateur de 1846 est parti d'un principe de neutralité, de ce principe que l'Etat ne doit prendre parti ni pour l'une ni pour l'autre de ces industries. Il leur doit de la protection à toutes les deux, puisque l'une et l'autre alimentent le travail national soit directement soit indirectement, puisque toutes deux aussi favorisent la circulation des capitaux et en attirent de nouveaux dans le pays; mais il faut qu'il se montre neutre dans la lutte qu'elles se livrent entre elles, en se bornant à égaliser autant que possible la dette qu'elles ont l'une et l'autre à payer à l'Etat.

Seulement, le législateur a pensé qu'il devait user de quelques ménagements envers celle des deux industries qui avait si longtemps joui de faveurs exceptionnelles, et que, tout en tendant sans cesse vers l'égalité de l'impôt, il fallait y arriver graduellement, lentement, en avançant dans les moments indiqués par la situation de l'industrie elle-même, mais en ne faisant plus jamais un seul pas en arrière.

La loi de 1846 nous paraît surtout inattaquable au point de vue des précautions qui ont été prises sous ce rapport. Nous avons vu que la fabrication du sucre de betterave, prise en masse, n'a pas perdu de son importance, bien que pendant la période des sept dernières années l'impôt qu'elle avait à payer ait parcouru l'échelle suivante : fr. 0, fr. 20, fr. 30, et fr. 34 par 100 kilogrammes, à côté d'un impôt invariable de 15 fr. sur le sucre exotique.

Si l'on s'en rapporte aux relevés officiels, cette industrie, malgré l'aggravation croissante de l'impôt, aurait toujours pris un développement plus considérable, au point que la quotité des prises en charge a permis récemment, par l'application d'une des dispositions de la loi, de porter l'impôt à 40 fr. C'est là une nouvelle charge de 6 fr. par 100 kil., qui a pour conséquence de ne plus établir entre les deux impôts qu'une différence de 5 fr.

Le législateur a voulu que la progression s'arrêtât là ; il a supposé que la dernière différence de 5 fr. était compensée par l'infériorité de valeur des bas produits de la betterave. Le but de la loi, c'est-à-dire l'égalité des charges, est donc à peu près atteint.

C'est maintenant à l'industrie de la betterave à lutter contre cette aggravation de charge, avec le même succès qu'elle a lutté contre les aggravations précédentes. Le doute qu'on pourrait avoir sur l'effet de la mesure qui vient d'augmenter pour la dernière fois l'impôt de la betterave n'est pas un motif suffisant pour faire un pas en arrière dans une épreuve qui se poursuit heureusement depuis deux ans. Dans tous les cas, l'industrie de la betterave n'a pas à se plaindre de son sort, comparativement à celui de sa rivale, puisqu'elle a conservé sur cette dernière quatre avantages faibles mais réels : 1° l'exemption du droit de douane qui frappe le sucre exotique; 2° une différence dans le taux de l'accise de fr. 5 ou 1/9; 3° une décharge à l'exportation égale pour la première qualité à celle du sucre exotique, ce qui, pour une inscription en débet inférieure de 1/9 constitue un avantage réel quant à la restitution, et 4° une prise en charge fictive, tandis que celle du sucre exotique est réelle. Ce dernier point demande à peine une explication. La prise en charge du sucre exotique est basée sur la quantité de sucre brut importée en réalité, tandis que celle de sa rivale s'établit sur la quantité de sucre brut qu'on suppose être contenue dans le jus de la betterave au moment de la défécation.

Dans le premier cas le calcul est certain, dans le second il est hypothétique. Or chacun sait que lorsqu'il faut procéder par supposition on ne va pas jusqu'à la dernière limite de la réalité. Ce qui le prouve, c'est que la prise en charge a été d'abord et pendant quatre ans, à raison de 12 hectogrammes de sucre brut par 100 litres de jus par chaque degré de densité au-dessus de l'eau, et que l'année dernière elle a été portée à 14 hectolitres, ce qui démontre bien que la prise en charge de 12 hectogramme était trop faible, mais nullement que celle de 14 hectogrammes ne le soit pas encore.

.Nous ne voulons pas attribuer une importance exagérée à ces quatre avantages, puisque nous avons commencé par déclarer qu’ils sont faibles; nous disons seulement que ce sont des avantages réels et qu'il faut en tenir compte.

La loi de 1846 a également favorisé le développement de la fabrication du sucre exotique. L'état des importations le démontre. Nous reconnaissons que d'après toutes les probabilités, son développement s'arrêtera au moins pendant quelque temps si nos propositions sont accueillies. C'est là le côté fâcheux de ces propositions:, nous le reconnaissons volontiers ; mais puisqu'il faut songer aux intérêts de la caisse de l'Etat, qui est celle de la nation entière, et que !e sentiment public, devançant la raison du législateur, indique comme le meilleur moyen d'améliorer sa position une réduction (page 43) des avantages accordés à l'industrie du sucre par l'insuffisance du rendement, il est assez naturel qu'on se décide à réduire ces avantages, qui, en fait, profitent le plus spécialement au sucre exotique, dans un moment où, en élevant l'impôt de la betterave presque au niveau de celui de la canne, on vient de réduire également presque à rien la catégorie spéciale des avantages qui avaient été ménagés au sucre indigène.

Constatons seulement que jusqu'à ce jour, le régime actuel a été tout aussi favorable au sucre de canne qu'au sucre de betterave.

La loi de 1846 n'a pas moins bien servi les intérêts du commerce maritime que ceux des deux industries du sucre. Le mouvement commercial a été presque doublé, comparativement au point de déclin où il était descendu la veille de l'adoption de la loi. De 14 millions de kilogrammes, composant le total des importations et exportations à la première époque, il s'est élevé pendant l'année 1847 à 25,716,476 kilog. et pendant la période qui s'est écoulée à partir de la première moitié de cette année jusqu'à la fin du premier semestre 1848, il a même atteint le chiffre de 29,148,763 kilog. Nous répétons cependant ici que ce dernier chiffre pourrait très bien être forcé.

Ainsi tous les intérêts sont raisonnablement sauvegardés par la loi de 1846, sauf cependant celui du trésor public. A cet égard, le législateur s'était proposé un problème insoluble : garantir au trésor une recette minima de fr. 3,000,000 et n'apporter aucun préjudice au mouvement commercial. Une pondération exacte entre l'intérêt commercial et l'intérêt fiscal aboutit à une illusion. De toute nécessité il faut que l'un des deux intérêts domine l'autre. Si on veut entourer le commerce d'exportation de garanties complètes, il est impossible de sauvegarder à priori l'intérêt du trésor, et vice-versa. L'un des deux est toujours nécessairement abandonné aux chances de l'avenir. Lorsque le gouvernement, en venant proposer sa loi, voulait lui faire rapporter continuellement fr. 3,000,000 au moyen d'une augmentation progressive mais indéfinie du rendement, il mettait en première ligne l'intérêt du trésor.

Mais quand plus tard, abandonnant cette position, il eut le tort de se rallier pendant la discussion à un amendement qui posait une limite à cette élévation du rendement, il imprima un caractère entièrement différent à la loi, qui cessa dès ce moment d'être avant tout une loi d'impôt. L'intérêt commercial était couvert, mais par contre l'intérêt fiscal était repoussé à l'arrière-plan.

Nous voulons qu'on rende à la loi son caractère primitif, qu'on en fasse surtout une loi d'impôt. Les amendements que nous proposons feront atteindre à cet impôt un chiffre que nous avons déjà dit avoir été accepté par le gouvernement à une autre époque et qui n'a rien d'exagéré. Ces amendements apporteront nécessairement de certaines entraves au mouvement d'exportation du sucre raffiné. Ils lui permettront cependant de continuer sans trop de désavantage la lutte qu'il soutient contre la concurrence étrangère. Un examen un peu attentif de ces amendements en fournira la preuve.

Par le premier, nous voulons faire décider dès à présent qu'au 1er janvier prochain la décharge sera réduite de fr. 4 ou, en d'autres termes, que le rendement sera élevé de 68.18 à 72.58. C'est rentrer tout simplement dans l'esprit de la loi actuelle, car c'est le rendement que le gouvernement avait proposé en premier lieu. Voici comment s'exprimait à cet égard M. le ministre des finances, en présentant son projet : « Le projet fixe à fr. 62 la décharge qui sera accordée à l'exportation des sucres métis, lumps et candis. Cette décharge est calculée sur un rendement de 72.58 kil. de sucre raffiné par 100 kil. de sucre brut. Comparé aux rendements réglés par les lois en vigueur en France et en Hollande, le chiffre proposé doit être considéré comme suffisant; il peut être accepté comme représentant à peu près le rendement réel, alors surtout qu'il faut conserver à notre industrie les moyens de lutter contre l'industrie étrangère. » Cette opinion n'a pas soulevé d'objection sérieuse à la chambre; on est au contraire convenu assez généralement sur tous les bancs que les deux industries avaient fait assez de progrès en Belgique pour pouvoir accepter au besoin le rendement de 72.58. S'il n'a pas été décrété dès ce moment, c'est que, contrairement aux faits qui se sont produits depuis, on s'est flatté de l'espoir qu'avec un rendement inférieur ou pourrait garantir au trésor une recette normale d’au moins fr. 3,000,000. Du reste ce rendement se trouve déjà inscrit dans la loi comme pouvant être décrété dans des conditions données, et dès à présent il est certain que les deux industries devraient le subir au 1er juillet 1849, et peut-être même au 1er janvier prochain.

Ainsi, sous le rapport de es premier changement au système établi, les deux industries n'auront à se plaindre que d'une chose, c'est qu’on leur fasse dès à présent une position que dans tous les cas elles auraient dû accepter quelques mois plus tard.

Nous a vous plusieurs raisons pour demander que par une transition un peu brusque, le rendement soit élevé sans retard à 72.58.

Il a été démontré que les deux industries peuvent l'accepter. Nous ajouterons qu'elles doivent l'accepter si elles veulent réellement maintenir la recette au minimum de 3,000,000 de fr.

On n'a pas d'autre moyen, en conservant le système actuel, d'empêcher que le niveau de cette recette ne s'abaisse dans quelques mois avec autant de rapidité qu'il s'est élevé, comme par enchantement, à la fin du 1er semestre de cette année.

Une recette régulière de 3,000,000 de fr. forme le chiffre principe du système actuel; nous voulons en faire un chiffre transitoire et faire admettre comme principe le chiffre de 4,000,000 de fr. Il faut donc prendre ses mesures pour qu'il ne s'écoule pas un trop long délai avant que le rendement ait parcouru sa période ascendante et puisse finalement s'arrêter au niveau, dépassant nécessairement celui de 72.58, qui sera reconnu être en rapport avec une recette de 4,000,000 de francs.

Par notre deuxième amendement, nous demandons, et dans l'intérêt du trésor nous avons besoin de demander, qu'après l'expiration du semestre prochain, c'est à-dire au 1er juillet 1849, le rendement puisse être fixé à un taux supérieur à 72.58.

Seulement nous entendons mettre les industries du sucre à l'abri de secousses trop fortes, et dans ce but nous voulons qu'on décrète en principe que la réduction de la décharge continuera au besoin, à partir du chiffre correspondant au rendement de 72.58, soit 62 fr., mais qu'elle ne pourra pas dépasser 2 fr. dans l'intervalle qui séparera deux semestres.

C'est une garantie qui sera donnée au commerce d'exportation du sucre raffiné. Elle ne présente pas d'inconvénient, au point de vue des intérêts du trésor, si on ne fixe pas, comme point de départ, un rendement inférieur à 72.58.

Il est facile de comprendre pourquoi nous voulons que la progression du rendement soit lente, à partir du chiffre de 72.58. C'est que ce chiffre correspond à peu près au rendement hollandais qui est de 72.95 et que, dans l'état actuel de nos relations maritimes, les Hollandais sont nos concurrents les plus dangereux, ou plutôt nos seuls concurrents.

Puisque nous voulons que la recette atteigne le chiffre de fr. 4,000,000 dans un avenir prochain, nous devons vouloir aussi que le rendement belge puisse dépasser le rendement hollandais, et nous devons nous attendre à lui voir franchir cette limite. C'est une nécessité à laquelle il faut se soumettre, en se plaçant sur le terrain que nous avons choisi. Il nous est même impossible de prédire si on pourra s'arrêter à un rendement qui soit ou qui ne soit pas sensiblement supérieur au rendement de la Hollande, parce que toute loi d'accise est entourée de mystères quant à son influence probable sur les recettes de l'État. Nous nous bornerons seulement à faire remarquer que du moment qu'on aura fixé une première fois un rendement légèrement supérieur au rendement hollandais, par exemple 73.78 ou 75, correspondant à une décharge de fr. 61 ou fr. 60, il s'établira une sorte d'oscillation entre une élévation subséquente du rendement et une réduction du mouvement d'exportation, l'un et l'autre de ces effets, et peut-être tous les deux à la fois pouvant faire affluer des recettes au trésor. Faire monter la recette générale à fr. 4,000,000, soit en restant aussi près que possible du rendement hollandais, soit en maintenant l'activité du commerce d'exportation, même en s'éloignant de ce rendement, est un problème dont la solution est abandonnée à l'habileté de nos fabricants exportateurs et à la vigilance de l'administration dans la répression de toutes les espèces de fraude.

On aurait tort de s'effrayer outre mesure du danger que présente la concurrence hollandaise. Nos fabricants sont placés dans d'autres conditions que les fabricants hollandais et, sous de certains rapports, ces conditions sont meilleures. C'est ainsi, par exemple, qu'à rendement égal, le fabricant exportateur belge a un avantage sur le fabricant hollandais, par la raison que l'impôt n'étant en Hollande que de fr. 27-57, tandis qu'il est en Belgique respectivement de fr. 40 et fr. 45, le raffineur belge fait un bénéfice plus considérable que le raffineur hollandais sur la quantité de sucre obtenue du raffinage au-delà du rendement légal qu'ils peuvent tous les deux lancer dans la circulation en franchise de droits. Le calcul est fort simple. L'impôt étant en Belgique d'un tiers plus élevé qu'en Hollande, deux kilog. consommés à l'intérieur supportent dans le premier pays les mêmes droits que trois kilog. dans le second.

Il en résulte que le fabricant belge, pouvant exposer en vente à l'intérieur deux kilos de sucre indemnes de droits, en regard des mêmes produits ayant supporté l'impôt, obtiendra un profit égal à celui que trois kilos procureront, dans les mêmes conditions, au fabricant hollandais. (On ne perdra pas de vue qu'il s'agit uniquement ici des opérations qui se font sur la quantité de sucre raffine que le fabricant parvient à extraire du sucre brut au-delà du rendement légal.} Cet avantage seul dont l'exportateur belge continuera à jouir (à moins qu'on ne veuille aller jusqu'à une recette de 5,000,000 de fr.),et qui a son importance sous le rapport des progrès que le raffineur belge est intéressé à faire faire à (page 44) sa fabrication, peut être évalué, d'après les calculs les plus modérés, à 1 ou 2 p. c.

Ce n'est pas que nous allions jusqu'à prétendre que la concurrence hollandaise ne présente pas des dangers. Nous disons uniquement qu'il ne faut pas les exagérer et qu'il sera peut-être possible aux fabricants belges, même avec un rendement supérieur au rendement hollandais (puisque les exigences du trésor demandent qu'on aille jusque-là), de conserver sur les marchés étrangers la place qu'ils ont su y conquérir.

Après cela, nous sommes des premiers à demander qu’on tienne compte dans une juste mesure des intérêts du commerce d'exportation du sucre raffiné, qui a son importance dans les intérêts généraux du pays et qu'on ne lui fasse pas des conditions trop mauvaises. C'est la raison pour laquelle nous demandons qu'on se contente d'une recette de 4,000,000 de francs; bien que le sucre pourrait rapporter au moins 5 000 000, si on transformait le droit d'accise en un impôt de consommation. De la sorte, les fabricants exportateurs se partageront encore entre eux une prime d'au moins 1,000,000 de francs. À notre avis, l'état de la législation dans les pays qui nous environnent et l'équilibre qu'il importe de maintenir entre tous les intérêts engagés dans la question commandent à la caisse de l'Etat de consentir à ce sacrifice.

Si cependant la chambre voulait supprimer toute espèce de prime et faire rapporter au sucre autant que pourrait le faire un simple impôt de consommation, il suffirait de faire marcher la progression du rendement avec plus de rapidité à partir du point de départ qui resterait fixé à 72.S8, et de déclarer que cette progression ne s'arrêtera qu'après que la recette aura atteint le chiffre de 5,000,000 de francs.

Il y aurait cependant dans ce cas une précaution à prendre. On n'obtiendrait une recette de 5,000,000 de francs qu'en portant le rendement légal à un chiffre très élevé, en le menant à peu près au niveau du rendement réel. Mais il est à remarquer que le rendement réel n'est pas le même pour tous les fabricants. A raison du plus ou du moins de perfection apportée dans les procédés «le fabrication, il est tel fabricant qui extrait de 100 kil. de sucre brut une quantité de sucre raffiné dépassant de 5 ou 6 p. c. et même davantage celle qui est obtenue par tel autre. IL pourrait ainsi y avoir des fabricants auxquels il serait impossible d'atteindre le rendement légal.

Le sucre que ces fabricants voudraient exporter serait frappé d'une surtaxe; en d'autres termes en travaillant pour l'exportation, ils se trouveraient dans des conditions pires que s'ils livraient leurs produits à la consommation intérieure. Si on voulait conserver à ces fabricants quelques chances de pouvoir continuer à exporter, il faudrait nécessairement les soumettre à un régime spécial. Il serait prudent d'adopter en faveur de cette catégorie de raffineurs, qui formeraient l'exception, des mesures analogues à celles que l'honorable M. Mercier demande pour la généralité.

Chacun serait libre de se soumettre au rendement légal ou de s'y soustraire à de certaines conditions. Le régime actuel resterait la règle. La législation conserverait ainsi son caractère de loi de progrès, caractère qui lui vient de ce que, sous son empire, chaque fabricant a le plus grand intérêt à pousser le rendement réel le plus possible au-delà du rendement légal. A ceux cependant qui se reconnaîtraient incapables d'exporter aux conditions générales, on permettrait de se soustraire au rendement légal, en livrant à l'exportation Ions leurs produits sans distinction. A cet effet, il faudrait adopter une disposition nouvelle qui serait à peu près conçue dans ces termes :

« Les articles 3, 4, 6 § 1 et 7 de la loi du 17 juillet 1846 ne sont pas applicables aux fabricants de sucre raffine de canne ou de betterave qui S'obligent à livrer tous les produits du raffinage à l'exportation.

« Les raffineries de cette catégorie seront placées sous le contrôle spécial de l'administration qui constatera les quantités de chaque espèce de sucre obtenues du raffinage.

« La surveillance à exercer sur les raffineries sera réglée par des arrêtés royaux; ces arrêtés seront soumis à l'approbation des chambres dans l'année qui suivra leur mise à exécution. »

Des dispositions de cette nature, quand bien même on les décréterait seulement à titre de régime exceptionnel, comme nous le proposons dans l'hypothèse donnée, présenteraient toujours de nombreux inconvénients. Elles apporteraient une perturbation profonde dans une partie du commerce d'exportation. Tous les produits du sucre ne s'exportent pas avec la même facilité. Les bas et moyens produits ne trouvent pas toujours des acheteurs sur les marchés étrangers. Puis la surveillance deviendrait très difficile et très coûteuse pour l'administration.

Heureusement qu'il ne faudra avoir recours à ces mesures que dans le cas ou on voudra tirer du sucre à peu près tout ce qu'il peut fournir au taux actuel de l'impôt, c'est-à-dire fr. 5,000,000. Or ce n'est que subsidiairement que nous avons discuté cette hypothèse. La chambre, croyons-nous, reconnaîtra que les intérêts généraux du pays demandent qu'on se contente d'une recette de fr. 4,000,000.

Nous pensons avoir justifié suffisamment notre proposition. En résumé nous voulons que des mesures soient prises pour amener une augmentation dans les produits de l'impôt du sucre et dans le choix des dispositions qu'on pourrait adopter dans ce but, nous désirons qu'on s'arrête de préférence à une progression plus rapide et plus efficace du rendement. C'est là provoquer tout uniment une meilleure application du système établi, tout en demandant le maintien de ce système en principe.

Si nous nous prononçons pour ce système, c'est que, dans la position présente des deux industries; il nous paraît meilleur que tous ceux qui ont été essayés ou mis en avant jusqu'à présent. Nous ajouterons que lors même qu'il ne faudrait pas avoir de ce régime une opinion aussi favorable que celle que nous exprimons ici, encore il y aurait de l'imprudence à se lancer dans les hasards d'essais nouveaux plutôt que de continuer, au moins jusqu'au moment où des effets fâcheux auront été constatés, l'épreuve sur les effets divers d'une augmentation continue du rendement, épreuve qui n'a pas même commencé d'une manière sérieuse.

Mais si nous nous prononçons pour le système actuel, c'est sous la réserve expresse qu'on le rendra plus productif pour le trésor. Le sucre est une matière éminemment imposable. A une époque comme celle que nous traversons, où plus qu'à toute autre on se livre avec une louable ardeur à la recherche des moyens pouvant conduire à un allégement des charges qui pèsent sur les classes inférieures de la société, on sera sans doute généralement d'accord pour décréter dans les limites de l’équité et de la prudence une augmentation des taxes frappant les objets de consommation qui sont à la fois d'un grand usage et des objets de luxe. Aucun produit ne réunit ces conditions au même degré que le sucre, si ce n'est les vins qui sont déjà fortement imposés. 11 faut demander au sucre au moins un million de plus que le chiffre inscrit dans la loi de 1846.

Ce n'est pas le moment, et il n'y aurait même pas d'utilité, au point de vue de la décision à prendre, d'examiner si ce million est ou n'est pas nécessaire pour ramener l'équilibre dans nos finances, parce que de toute manière ou pourra lui donner une destination utile.

S'il ne doit pas servir à combler des insuffisances, il permettra de faire un pas de plus dans la voie que le gouvernement se propose de nous ouvrir à l'occasion des changements à introduire dans la législation sur les (page 45) patentes et la contribution personnelle. Ce million pourra être utilisé pour le soulagement des impôts qui pèsent plus spécialement sur les classes laborieuses, et il trouverait sa destination la plus naturelle dans une réduction équivalente de la taxe sur le sel.

Le sel est frappé d'un droit d'accise de fr. 18 par 100 kil., donnant un produit de près de fr. 9,000,000. Même à défaut d'excédants sur d'autres articles qui permettraient d'aller plus loin, le million nouveau que fournira le sucre rendrait possible la réduction de la taxe sur le sel au moins jusqu'au chiffre de fr. 16, faisant ainsi une diminution de fr. 2 par 100 kilog. Ce commencement de réduction de l'accise sur le sel exercerait déjà une influence sensible sur le prix de cette marchandise.

L'examen et la discussion des budgets feront connaître si cette destination est la meilleure qu'on puisse donner au million que fournira le changement proposé dans la législation sur les sucres. Il est dans tous les cas urgent de décréter ce changement.

M. le président. - La proposition est-elle appuyée? (Plus de 5 membres se lèvent.) Il s'agit donc d'ouvrir la discussion sur la prise en considération.

- Plusieurs membres. - A demain.

M. Manilius. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

Projet de loi augmentant le nombre de notaires à Bruxelles

Rapport de la section centrale

M. Deliége dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à l'augmentation du nombre des notaires à Bruxelles.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et met la discussion du projet à l'ordre du jour de demain.

Proposition de loi augmentant l'accise sur les sucres

Motion d'ordre

M. Manilius (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je ne me lève pas pour combattre la prise en considération de la proposition de l'honorable M. Cools ; je viens proposer à la chambre de ne statuer sur cette prise en considération qu'après la discussion des budgets que la loi de comptabilité nous fait un devoir de voter avant le nouvel-an.

M. le président. - M. Manilius, vous discutez la prise en considération.

M. Manilius. - Pardon, M. le président; c'est une motion d'ordre ; je propose l'ajournement de la prise en considération jusqu'après la discussion des budgets. Je suis en droit de faire cette proposition ; la chambre est libre de ne pas se ranger à mon avis ; ayant le droit de faire cette proposition, j'ai sans doute le droit de la développer et de la motiver comme je le juge convenable.

Je prie la chambre de considérer (erratum, page 53) que le sucre est la seule industrie qui rapporte encore en accises les précisions du budget. Attendons des temps meilleurs, avant de frapper une industrie qui se trouve placée vis-à-vis du trésor dans une semblable position.

- Un membre. - A demain ! on n'est plus en nombre.

M. Loos. - Messieurs, je ne sais pas si la chambre est en nombre pour prendre une décision ; mais dans bien d'autres circonstances, la chambre a pris une décision, quant à l'impression d'un rapport qui lui était fait ou d'une proposition qui lui était soumise. Je demande donc qu'on ajourne la prise en considération jusqu'à ce que les développements de la proposition de l'honorable M. Cools aient pu être imprimés; de cette manière au moins nous pourrons discuter la prise en considération avec connaissance de cause.

Il eût été impossible de saisir à la lecture les considérations qu'on a fait valoir; la chambre se prononcerait sans connaissance de cause, si elle n'avait pas sons les yeux les développements que M. Cools a présentés à l'appui de sa proposition. Je demande l'impression et la distribution de ces développements et la mise à l'ordre du jour après.

M. Mercier. - Je suis disposé à adopter la proposition de M. Loos ; je me serais opposé à celle de M. Manilius qui serait une fin de non-recevoir à toute proposition qui pourrait être faite d'ici au 1er janvier.

M. Delfosse. - Personne, je pense, ne s'opposera à la proposition de l'honorable M. Loos. Il fait que chacun ait le temps de lire les développements de l'honorable M. Cools. Hais je ferai remarquer qu'il n'est pas nécessaire de les faire imprimer séparément. Ils paraîtront demain dans les Annales parlementaires.

M. Manilius. - Loin de vouloir proposer une fin de non-recevoir, mon intention était de provoquer M. Mercier à renouveler la proposition qu'il avait faite avant la dissolution de la chambre.

Je me rallie à la proposition de M. Loos.

M. le président. - L'impression et la distribution des développements de M. Cools comme pièce de la chambre est de droit, je pense. Au reste je vis consulter la chambre.

M. Delfosse. - Mon observation avait pour but de diminuer les frais d'impression. La chambre dépense beaucoup de ce chef. Hier encore. MM. les questeurs adressaient à la commission de comptabilité une demande de crédit supplémentaire pour frais d'impression.

- L'impression et la distribution sont ordonnées.

M. Loos. - Il est entendu que la discussion ne pourra avoir lieu que la semaine prochaine, afin qu'on ait le temps de lire les développements.

- Un membre. - Il faut fixer un jour.

- Plusieurs voix. - Mardi! Lundi! Mardi !

- La chambre fixe la discussion à mardi.

La séance est levée à 5 heures.