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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 4 décembre 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 143) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à deux heures un quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Luesemans fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le secrétaire du parquet de Namur prie la chambre d'allouer au budget de la justice, pour chacun des secrétaires des parquets de deuxième classe, une augmentation de 300 fr. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de la justice.


« Les membres du comité houiller du bassin du Centre demandent que les péages du canal de Charleroy soient mis en harmonie avec les péages des autres canaux, et qu'ils soient réglés d'une manière uniforme et en raison de la distance parcourue. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la réduction des péages des canaux et rivières de l'Etat.


« Le conseil communal de Merxplas demande l'abrogation de la loi du 10 février 1845, relative à la canalisation de la Campine. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Gembloux demande que les couteliers soient exemptés du droit de patente. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet défini sur les patentes.


« Le sieur Vanderzande réclame contre les dernières élections communales qui ont eu lieu à Tervueren. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les cabaretiers de Bruxelles prient la chambre de remplacer l'impôt de consommation sur les boissons distillées, par un droit sur les distilleries. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La chambre de commerce et des fabriques de Gand présente des observations contre la proposition de désarmer et de mettre en non-activité le brick le Duc de Brabant. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des affaires étrangères.


« Le conseil communal d'Adegem présente des observations contre le projet de supprimer l'arrondissement administratif d'Eecloo. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Le conseil communal de Wyngene exprime le vœu que la résidence du commissaire des arrondissements réunis de Thielt et de Roulers soit maintenue à Thielt, et prie la chambre de ne point se prononcer sur cette question. »

- Renvoi à la section centrale chargea d'examiner le budget de l'intérieur.


« Le sieur Hela, inspecteur des douanes dans la province de Namur, se présente comme candidat à la place de conseiller devenue vacante à la cour des comptes. »


« Le sieur Diericx, archiviste à la cour des comptes, se présente comme candidat à la même place. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers prie la chambre de ne pas voter la réduction proposée par la section centrale sur les remises et traitements des pilotes. »


« Même demande des pilotes de rivière attachés à la station d'Anvers et des négociants, armateurs et courtiers de cette ville. »

M. Osy. - J'ai déposé sur le bureau ces pétitions qui réclament contre la proposition de réduction du pilotage faite à la section centrale. J'en demande le renvoi à la section centrale qui a examiné le budget de la marine, avec invitation de présenter un rapport supplémentaire.

M. de Luesemans. - Je dois faire remarquer à la chambre que la section centrale, dans une question qui présente des difficultés assez compliquées, et surtout beaucoup de détails de chiffres, a cru devoir faire un rapport assez compliqué, je puis même dire assez complet. Je viens de lire dans un journal une des pétitions dont l'analyse vient d'être communiquée à la chambre. Il serait à regretter que les autres pétitions ne continssent pas une réfutation des chiffres du rapport de la section centrale. Si ces pétitions contenaient une réfutation, si elles pouvaient fournir à la section centrale des renseignements plus complets que ceux, qu'elle avait, lorsqu'elle avait examiné la question, comme rapporteur de la section centrale, au nom de mes collègues, je suis autorisé à dite que la section centrale se rallie à la proposition de l'honorable M. Osy, qu'elle désire même ce renvoi.

Dans une question comme celle-ci il serait très utile que la section centrale l'examinât de nouveau, et fit un nouveau rapport si cela était nécessaire.

- La pétition est renvoyée à la section centrale du budget des affaires étrangères.


M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 110 exemplaires du compte rendu de la session du congrès agricole.

- Distribution aux membres de la chambre.


M. le bourgmestre de Malines adresse à la chambre 110 exemplaires du mémoire du conseil communal de celle ville sur la question de la suppression des octrois.

- Distribution aux membres de la chambre.


M. le président. -M. le président de la cour des comptes me transmet la lettre suivante adressée au président de la chambre, par M. Willems :

« M. le président,

« J'ai l'honneur de vous informer que, forcé de prendre un repos absolu à cause de mes infirmités, je me trouve dans la nécessité de donner ma démission de mes fonctions de conseiller à la cour des comptes, renonçant ainsi à un mandat dont j'eusse été heureux, sans cet impérieux motif, d'obtenir, pour la quatrième fois, le renouvellement de la bienveillance de la chambre.

« Je vous prie, M. le président, de vouloir être mon interprète auprès d'elle dans l'expression de ma reconnaissance pour la confiance qu'elle avait bien voulu m'accorder, regrettant vivement de me voir contraint d'adresser requête au Roi, avec les titres qui sont de nature à me faire obtenir les avantages que la loi du 21 juillet 1844 autorise le gouvernement à conférer à tous magistrats fonctionnaires ou employés faisant partie de l'administration générale.

« Veuillez agréer, etc. »

- La chambre consultée accepte cette démission.

M. le président. - Il sera donné avis de cette décision à M. Willems, au remplacement duquel il sera pourvu, le 15 de ce mois, époque fixée pour le renouvellement du mandat des membres de la cour des comptes.

Ordre des travaux de la chambre

M. Cools (pour une motion d’ordre). - Dans une des dernières séances de la session ordinaire, M. le ministre des finances a déposé le compte définitif de 1 exercice 1843 et le compte provisoire des exercices 1844et 1845. Ces pièces, d'après l'usage reçu, ont été renvoyées à l'examen de la commission permanente des finances.

Mais par suite de la dissolution de la chambre, ce renvoi est resté sans résultat. Je pense qu'il suffirait de renvoyer ces pièces à la commission permanente des finances. Je crois qu'elles pourraient être consultées avec fruit pour la discussion du budget des voies et moyens.

- La proposition de M. Cools est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère des affaires étrangères de l’exercice 1849

Discussion générale

M. Thibaut. - Messieurs, je n'ai pas la prétention d'aborder toutes les questions qui se rattachent à nos relations extérieures, ni même d'en traiter aucune d'une manière approfondie. Je ne puis, je l'avoue, m'élever à la hauteur des orateurs que vous avez entendus à la dernière séance, et auxquels je rends l'hommage dû au talent et à une plus longue expérience. Mais je désire au moins, à mon tour, faire toutes mes réserves, au nom des intérêts les plus graves du pays, contre l'esprit dangereusement parcimonieux qui a dicté quelques-unes des propositions de la section centrale, et, en certains cas, les résolutions du gouvernement lui-même.

La section centrale, messieurs, a reconnu que le système qu'elle vous invite à inaugurer est une épreuve. Une épreuve! Les temps sont-ils bien choisis pour la tenter? Est-ce dans un moment de crise, d'ébranlement universel que nous, Belges, qui n'avons d'autre force que celle que donnent la prudence et la sagesse, nous pouvons nous livrer à une épreuve qui ruinera peut-être tout notre avenir? C'est une épreuve; et l'on convient que l'expérience peut démontrer qu'elle a été poussée trop loin ! Mais si ce résultat, possible selon vous, certain selon moi, se manifeste, pourrez-vous réparer les effets funestes qui en auront été la conséquence ?

Messieurs, il ne faut rien livrer au hasard. Il faut tout étudier, tout examiner, je le veux ; mais, quand il s'agit surtout de toucher à une organisation importante, il ne faut innover que quand les changements sont parfaitement justifiés.

N'oublions pas ce que nous sommes; n'oublions pas que nous n'existons point uniquement par nous-mêmes ; notre nationalité n'est pas assise sur une base tellement inébranlable, que nous puissions être indifférents à (page 144) ce qui se passe dans les conseils des peuples voisins. Leurs traités et leurs querelles, leurs caprices même, peuvent décider de notre sort. En vain essayerait-on d'établir un parallèle entre la Belgique et quelque autre peuple, la Suisse, par exemple, pour nous engager à y puiser des enseignements économiques; la nature et l'histoire ne permettent pas de les assimiler. Nous ne sommes que d'hier; nos frontières sont ouvertes, notre pays est un champ de bataille; et, pour ne pas cesser d'être, nous ne devons cesser de porter notre attention sur tout ce qui se passe autour de nous. I

D'un autre côté, et au point de vue commercial, des débouchés nous sont nécessaires. L'excès de notre production, et l'impossibilité où nous sommes de la déverser assez abondamment sur les marchés extérieurs, étouffe nos populations. Et il faut l'avouer, nos commerçants manquent du génie et de l'activité qui distinguent d'autres nations ; contre leurs concurrents, ils ne pourraient lutter sans la direction, sans l'aide du gouvernement et de ses agents.

Je ne pousserai pas plus loin, messieurs, ces considérations générales. L'histoire de la diplomatie, le rôle civilisateur et de haute moralité qu'elle a joué dans le monde, les services qu'elle nous a rendus et ceux qu'elle est appelée à nous rendre encore pendant les luttes qui se préparent sur notre vieil hémisphère, ont tour à tour été évoqués devant vous, dans la dernière séance, en termes éloquents et non sans succès. La Belgique doit conserver une diplomatie fortement organisée. Ce n'est pas à dire, remarquez-le bien, messieurs, que la Belgique ne doive se préoccuper aussi des dangers d'une situation financière trop tendue; mais si la Belgique doit faire face à des nécessités financières, elle doit faire face aussi à des nécessités politiques et à des nécessités commerciales: Forteresse exposée aux assauts de trois ennemis à la fois, elle ne peut employer toutes ses forces à repousser l'un, sans se livrer à la merci des deux autres.

Il faut des économies, moi-même aussi, je suis entré dans cette chambre, avec la ferme intention de retrancher des dépenses de l'Etat, tout ce qui ne porte pas en soi un caractère incontestable de nécessité ou d'utilité réelle.

Il faut des économies; mais des économies prudentes, et il faut ne rien négliger pour maintenir noire nationalité, .pour protéger notre commerce extérieur, et pour ne pas déchoir de la considération que nous avons acquise dans le monde politique.

La section centrale, je regrette de devoir le dire, ne s'est pas toujours placée à ce point de vue; elle a peut-être trop sacrifié au désir, légitime sans doute, mais exagéré, de réaliser de grandes économies; et par la réduction qu'elle ajoute aux réductions proposées par le gouvernement, elle compromet en même temps et nos alliances politiques et nos relations commerciales.

Permettez-moi, messieurs, de justifier cette appréciation par quelques détails qui fortifieront la thèse que, dans la dernière séance, d'autres orateurs ont défendue déjà.

Quant à l'Allemagne, la section centrale nous propose un système de missions, comprenant une mission principale et deux missions secondaires.

Eh bien, messieurs, veuillez comparer Berlin, Vienne et Francfort, et demandez-vous pourquoi deux de ces villes peuvent être le siège de missions secondaires, plutôt que la troisième, et pourquoi l'une de ces villes peut être le siège d'une mission principale plutôt que les deux autres.

Ferez-vous de Vienne, le siège d'une mission secondaire en Allemagne ? Mais n'apercevez-vous pas le mouvement qui entraîne l'Autriche ? Cet empire est-il encore un .Etat allemand. En ce moment même, une scission profonde éclate entre lui et le pouvoir central de Francfort. Mais si l'Autriche perd l'influence qu'elle a longtemps exercée sur l'Allemagne, elle pèsera d'autant plus nécessairement et plus directement sur l'Orient. Ces transformations ne peuvent nous être indifférentes; nous ne sommes pas du tout certains que le sort de la Belgique ne soit point lié à des questions qui seront décidées sur les bords du Danube. Sans attacher une importance excessive aux déclarations des organes non officiels de la pensée politique des grands Etats, je ne puis me défendre de rappeler que, déjà sous la restauration, il était bruit d'un projet d'alliance entre la France et la Russie, dont les provinces danubiennes d'une part, et la Belgique de l'autre étaient le prix; ces idées peuvent renaître après le 10 décembre.

Car si l'ambition du gouvernement ne devient pas la cause d'une conflagration générale, un accident, dans un temps extraordinaire, peut enfanter la guerre; la guerre extérieure peut même devenir la dernière ressource des peuples dont le cœur est rongé par des théories dissolvantes. Or l'Autriche peut, en protégeant les provinces danubiennes, protéger la Belgique. Ses intérêts se confondent dans cette question avec les nôtres; il est donc impérieusement nécessaire de. conserver des rapports intimes avec cet empire.

Veuillez remarquer d'ailleurs que la Constituante autrichienne n'aura fait que la moitié de son œuvre quand elle aura achevé l'organisation politique des vastes Etats qu'elle représente. Elle réglera ensuite les douanes de l'Autriche, les douanes de la Hongrie, des douanes de la Lombardie; et nous avons le plus grand intérêt à nous assurer, fût-ce au prix de quelques sacrifices, une position favorable suc ce vaste marché. L'Allemagne nous sépare; mais l'Allemagne, d'après les dispositions qui paraissent devoir être adoptées à Francfort, abolira les. droits de transit sur son territoire; et les chemins de fer et les canaux transporteront rapidement nos produits jusqu'au cœur de l'Autriche, si par une action forte et habile, nous pouvons obtenir que ses frontières nous soient ouvertes. Il n'est pas jusqu'à notre commerce avec la Méditerranée, dont Trieste est un des principaux centres qui ne réclame, en ce moment surtout, les soins les plus actifs de nos agents diplomatiques, à Vienne.

Vienne ne peut donc être considéré comme un poste d'une importance secondaire. Il est impossible cependant que nous ne conservions pas aussi une représentation forte et sérieuse à Berlin.

La Prusse, vous le savez, messieurs, a créé le Zollverein; le traité du 1er septembre 1844, qui règle nos relations avec le Zollverein, est dû à l'influence prépondérante de la Prusse. En échange des avantages qui étaient accordés à nos fontes, le Zollverein a stipulé d'autres avantages pour ses navires à l'entrée de nos ports : or, les navires du Zollverein sont surtout les navires de la Prusse.

Le traité du 1er septembre ne favorise pas autant les nations industrielles du midi de l'Allemagne; entre elles et la Prusse existent des tiraillements suscités par des intérêts divergents. Nous devons en profiler; nous devons entretenir, à Berlin, des dispositions favorables à l'égard des produits de notre métallurgie, à l'égard de nos tissus de laine et de coton, afin de vaincre à Francfort les réclamations puissantes de la Bavière, du Wurtemberg, qui appellent contre nous des tarifs rigoureux. Nous devons conserver à Berlin notre point d'appui, et ne pas oublier que c'est par les démarches actives et intelligentes de notre diplomatie à Berlin, que nous avons obtenu les premiers l'exemption des surtaxes qui avaient été établies par le Zollverein sur les produits étrangers.

Du reste, notre position intermédiaire entre la France et la Prusse, entre deux grandes puissances qui, en certains cas, peuvent, pour notre plus grand avantage, se servir mutuellement de contrepoids, nous oblige, près de l'une et près de l'autre, à une représentation égale.

Quant à Francfort, le moindre doute ne peut s'élever sur la nécessité d'y être fortement représenté.

Francfort est le siège du pouvoir central allemand; Francfort exerce, sur la plus grande partie de l'Allemagne, une action souveraine, et, qui deviendra peut-être irrésistible. De plus, et il faut y prendre garder : le pouvoir central a manifesté plus d’une fois l'intention d'étendre son action sur tous les peuples de race germanique. Il y a, messieurs, dans cette prétention, une source de dangers pour nous. Le gouvernement, sans doute, s'est préoccupé vivement de la question du Limbourg; je n'entreprendrai pas de toucher à cette- matière délicate; mais je dirai seulement que si le pouvoir central persiste, il déchire le traité de 1830, traité sur lequel se fonde notre neutralité. La prudence la plus vulgaire commande donc que nous soyons représentés à Francfort dignement et par un homme de haute influence et de grande valeur.

C'est là, d'ailleurs, que le système commercial de l'Allemagne sera arrêté ; c'est là que se décideront toutes les questions qui s'y rattachent. C'est là que nous devons maintenir le traité du 1er septembre. C'est là que nous devons incessamment rechercher de nouvelles faveurs pour nos exportations. Demandez au commerce belge, si vous pouvez affaiblir notre diplomatie à Francfort, et je n'hésite pas à affirmer que le commerce belge qui attend avec anxiété l'apparition du système commercial qui s'élabore en ce moment à Francfort, sera à peu près unanime pour vous en détourner.

Il est donc évident, messieurs, que soit que l'on réunisse ces trois missions, Vienne, Berlin et Francfort, sous un même libellé, soit qu’on les divise, elles doivent nécessairement être toutes trois du même ordre.

Je ne puis non plus, messieurs, consentir à ratifier par mon silence l'arrêt très laconique porté par la section centrale sur la mission d'Italie.

Il y a quelques jours, je vous eusse dit qu'à part toutes autres considérations, le cœur d'un Belge ne peut se refuser à donner à notre représentant dans la première ville du monde, la qualification la plus élevée que l'envoyé d'un peuple chrétien peut porter.

Aujourd'hui, Rome n'est plus dans Rome. Le Quirinal est désert. Le sublime pontife Pie IX a dû fuir loin d'un peuple ingrat et cruel, et si je ne consultais que mon indignation pour les crimes dont Rome a été le théâtre, je m'écrierais qu'en ce moment, le représentant du peuple beige ne peut pas y rentrer.

Mais, si j'en crois mes espérances, le règne de l'anarchie ne sera pas long. L'aube plus douce d'un jour nouveau, selon la belle expression d'un honorable collègue, ne peut tarder à luire. Après un triste pèlerinage qui donnera peut-être à la République française l'occasion de réparer les outrages faits par son aînée à un autre pape, entraîné de force et mort captif sur la terre de France, Pie IX sera sans doute rappelé par les peuples d'Italie, et la Belgique doit être prête à figurer dignement dans la pompe qui honorera son retour.

Messieurs, je quitte ce sujet douloureux pour vous prier d'arrêter un instant votre attention sur la Sardaigne. Le gouvernement me paraît avoir posé un acte regrettable en supprimant la légation que nous y entretenions. Car c'est à Turin que se discuteront les conditions de la ligue commerciale italienne dont les bases ont été jetées même avant les derniers événements, ou au moins, c'est de Turin que naîtront les influences les plus prépondérantes. A Turin donc nous devrions avoir un agent pour veiller a nos intérêts; un agent qui ferait les plus grands efforts pour que les conditions de cette alliance entre les peuples d'Italie soient en harmonie avec les intérêts de notre commerce, et pour conclure ensuite un traité commercial qui élargisse pour .nous ce débouché déjà important. Or, la suppression de cette légation, ne nous permettra pas même (page 145) de conserver les relations qui se sont établies depuis quelque temps entre notre pays et la Sardaigne.

Nous serons évincés de ce marché par des influences rivales, auxquelles nous abandonnons à tort le terrain après avoir remporté sur elles de brillants avantages. On ignore trop que c'est grâce à l'intervention de notre diplomatie que nous sommes parvenus à livrer à la Sardaigne des fournitures considérables d'armes et de machines, qui étaient auparavant le partage exclusif des Anglais. Il n'est pas douteux qu'après le départ de nos agents, les agents anglais ne reprennent leur ancienne influence et ne fassent ainsi servir nos économies intempestives à l'avantage de leurs nationaux, nos concurrents commerciaux.

Messieurs, je ne passerai pas en revue d'autres pays d'Europe dont l'importance est moindre peut-être du point de vue où je me suis placé, mais je dirai quelques mots de l'Amérique.

Je loue la section centrale d'avoir rétabli les postes diplomatiques de Rio et de Washington ; mais elle a eu tort, selon moi, de ne pas rejeter complètement le projet du gouvernement, et de souscrire à la diminution du crédit affecté aux consulats.

Malgré le désir si populaire de faire des économies, on n'a jamais prétendu, que je sache au moins, que ce crédit était trop élevé. Et, en effet, l'ensemble de notre commerce s'élève à une valeur de plus de 700,000,000 de francs ; notre budget consulaire n'était que de 103,000 fr. et vous le restreignez à 67,000. Il n'y a aucune proportion entre ces chiffres. Le crédit de 103,000 ne suffisait pas pour rétribuer un grand nombre de consuls, et cependant les consuls rétribués seuls rendent d’importants services. Tenons compte d'ailleurs de la nécessité où nous nous trouverons de les multiplier, si nous prenons la résolution de créer une société d'exportation. Pour moi, je crois être d'accord avec le vœu du pays en m'exprimant ainsi. A cet égard encore, je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères quelle est la conduite qu'il se propose de tenir vis-à-vis des consuls qu'il a nommés à Rio et Washington.

Si la chambre adopte la proposition de la section centrale, il est impossible, selon moi, qu'ils obtiennent le grade et les attributions de chargés d'affaires, ce serait faire entrer irrégulièrement dans le corps diplomatique des fonctionnaires qui, quels que soient leurs talents et leurs qualités, doivent lui rester étrangers, alors surtout que des membres de ce corps ne sont pas employés. Ce serait encore ajouter à toutes celles qui existent déjà, une nouvelle cause de découragement pour la jeune diplomatie savante et sérieuse dont l'avancement devient assez difficile et pour laquelle la carrière sera pénible, laborieuse et peu fructueuse.

Messieurs, je borne là pour le moment les observations que je désirais soumettre à la chambre. J'ai cherché à prouver, en m'appuyant surtout sur les intérêts qui nous lient à l'Allemagne et à l'Italie, que nous devions conserver une forte organisation dans notre diplomatie. Si l'on m'objectait que jusqu'à présent la diplomatie n'a pas rendu les services que nous étions en droit d'en attendre, j'aurais deux réponses à faire :

La première, c'est que les services que rend la diplomatie ne revêtent pas toujours une forme saisissable pour tous les yeux; c'est que nous ne connaissons pas les difficultés qu'elle a prévenues ou aplanies, aussi bien dans l'ordre commercial que dans l'ordre politique, les mauvaises dispositions qu'elle a vaincues, et sa coopération efficace pour assurer au nom belge une place honorable parmi les noms des peuples.

La seconde réponse que je ferai, la voici :

Vous prétendez que la diplomatie nous a mal servi ; eh bien, concluez alors qu'il faut la fortifier, qu'il faut la réformer ; mais de grâce, ne la rendez pas impuissante dans l'avenir, ne la détruisez pas.

Je désire me tromper, messieurs, mais je dois le déclarer en terminant, je crains même les suites des réductions excessives selon moi, que le gouvernement impose aux traitements de nos agents à l'étranger ; je crains que les diplomates, actuellement en service, ne se résignent pas longtemps à la dure condition qu'on veut leur faire, et qu'après eux, le gouvernement n'ait trop souvent à choisir qu'entre de brillantes nullités pour remplir les postes qu'ils laisseront vacants. Qui pourrait alors conserver la conviction du maintien de notre nationalité, et quelles espérances pourrait-on nourrir pour la prospérité commerciale et industrielle de la Belgique ?

M. de Luesemans, rapporteur. - Messieurs, votre section centrale m'a confié l'honneur de vous présenter son rapport sur le budget des affaires étrangères et de la marine.

Je ne me dissimule, messieurs, aucune des difficultés de cette mission qui aurait certainement été confiée à notre honorable collège qui fut chargé du même soin en 1847, sans une indisposition, heureusement peu grave, qui l'a tenu éloigné de nos travaux pendant que le budget des affaires étrangères se discutait à la section centrale.

Le premier budget qui vous est présenté, messieurs, se ressent de la situation du pays et des circonstances difficiles que nous traversons.

Nous croyons devoir appeler un instant l'attention de la chambre sur ce point important.

Depuis 1830, époque de notre entrée dans la famille des nations indépendantes, la Belgique a dû entreprendre, des travaux immenses qui la placent, sons plus d'un rapport, au premier rang, des pays industrieux.

Il est peu de progrès qu'elle n'ait tenté de réaliser, il en est beaucoup, qu'elle a conduits à bonne fin..

Avec de la patience et le courage que les nations, comme les individus, trouvent dans la conscience de leur force, elle peut espérer de traverser avec bonheur la crise qui nous entoure.

Pour établir et consolider sa nationalité, la Belgique a fait des entreprises dont nul ne peut contester ni la grandeur, ni la stabilité, ni même l'à-propos; mais dont on ne peut, sans s'aveugler sur l'avenir, mettre en doute la dispendieuse magnificence. De 82 millions, qu'il était en 1832, le budget de l'Etat s'est élevé à 118 millions.

Administration, travaux publics, beaux-arts, institutions civiles, organisation militaire, tout ce qui peut contribuer à la prospérité, au lustre, à la sécurité d'une nation, elle a pour ainsi dire tout su créer à la fois

A-t-elle toujours su garder une juste mesure? N'a-t-elle pas engagé son avenir au-delà de ce qui était commandé par la nécessité? C'est ce que je n'ai pas mission d'examiner; mais, prenons-y garde, c'est un peu la destinée des peuples nouveaux, de dépasser, non le but, mais les moyens de l'atteindre.

C'est la loi du besoin de pousser au-delà des règles de la prudence.

Alors, chez les nations impétueuses et immodérées se produisent des réactions violentes et désordonnées; les nations sages et réfléchies s'arrêtent pour contempler le passé, corriger le présent et mesurer l'avenir.

Ou je me trompe fort, messieurs, ou nous sommes arrivés à ce moment où la prudence nous dit de nous arrêter, dussions-nous rétrograder même un peu, pour mieux nous garantir contre les difficultés que' chaque jour peut nous amener.

Nous avons chez nous un avantage: sur tous les peuples qui nous entourent; cet avantage, chacun de nous l'aperçoit. Nous avons deux fois terminé cette crise politique qui, dans l'éternelle marche de la civilisation, se produit périodiquement; mais il est une crise que nous subissons, et que nous subirons quelque temps encore; cette crise est toute financière, et n'en est pas moins périlleuse. Elle offre en ce moment un spectacle tout particulier, et que nous devons sérieusement tâcher d'approfondir.

Il y a huit mois qu'un événement grave se produisit dans un pays voisin; l'Europe entière s'en émut ; notre pays y était-il préparé ? Nous l'ignorons, mais ce que nous n'avons pas oublié, c'est que, pour sauvegarder les intérêts de la Belgique, le gouvernement fut obligé de recourir à des moyens héroïques. Parmi ces moyens, messieurs, se trouve en première ligne l'emprunt forcé. Cet emprunt forcé, nous n'avons pas à le qualifier, nous n'avons pas à le justifier. Dans notre pensée, cet emprunt a sauvé le pays; mais il a produit un malaise qu'il ne faut pas exagérer, mais un malaise réel et sérieux.

Sous l'empire de ce malaise, les chambres furent renouvelées. Elles furent convoquées au mois de juin. Alors, messieurs, dans tout le pays, un cri général a été poussé. Partout se trouvait le mot « économie »; il était dans toutes les bouches; il sortait de toutes les poitrines : il était dans tous les moyens de publicité qui sont à la disposition des gouvernements représentatifs et libres.

La première communication qui fut faite à la chambre par le gouvernement et qui se trouve déposée dans le discours du Trône, contient les mots suivants : « Mon gouvernement est résolu d'opérer successivement des économies efficaces. »

Des pétitions nombreuses furent adressées à la chambre, et il vous en souvient, messieurs, toutes ces pétitions réclamaient la même chose : des économies, toujours des économies. Nous avons entendu à cette époque plusieurs discours, des discours remplis du patriotisme le plus pur, mais tous formulés sur la même pensée : économies, économies notables, économies efficaces ; et si mes souvenirs sont fidèles, je crois même que le mot « notables « a failli occasionner une crise ministérielle.

Le ministère, interpellé à la chambre, interpellé au sénat sur ses intentions, eut plusieurs reproches à subir, et le plus impétueux de tous ces reproches, il le dut au refus de faire connaître à la chambre et au pays par quels moyens il allait réaliser ces économies, sur quels chapitres des dépenses publiques ces économies allaient porter.

Le ministère donna cependant à la chambre et au sénat l'assurance formelle que, dans les budgets qui seraient présentés, des économies notables, des économies considérables, des économies profondes seraient introduites dans tous les services de l'Etat, et qu'il ne s'arrêterait qu'à la limite où la désorganisation commencerait.

Si je ne me trompe, messieurs, car alors je ne faisais pas partie de la chambre, les budgets de 1849 avaient été présentés au mois de janvier dernier. Ces budgets ne se ressentaient pas encore des économies que l'on n'avait cependant cessé de demander dans les temps antérieurs, ne présentaient pas encore des économies sévères, profondes, dans le genre de celles, qui ont été réclamées depuis les événements de février. Le gouvernement retira les budgets et, après avoir promis à la chambre et au sénat que le parlement serait convoqué pour la fin de septembre ou le commencement d'octobre, il déclara qu'il utiliserait une partie de l'intervalle des sessions pour coordonner avec les économies qu'il se proposait d'introduire dans les budgets, les lois qui devaient en être en quelque sorte la partie concomitante.

Les budgets sont enfin présentés; ils sont examinés en sections; presque toutes les sections travaillent avec une ardeur, à laquelle on n'était pas toujours habitué, à l'examen des détails les plus minutieux des budgets qui avaient été présentés par le gouvernement. Le budget des affaires étrangères est le premier qui passa par le creuset de la chambre. Dans presque toutes les sections, messieurs, et le rapport que j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre en fait foi, dans presque toutes les sections les économies présentées par le gouvernement ont été considérées (page 146) comme n'étant pas assez profondes ; presque toutes réclamèrent des économies larges, des économies considérables. La section centrale, à son tour, après des renseignements nombreux demandés au gouvernement et obtenus de lui, examina à la suite des détails dans lesquels M. le ministre des affaires étrangères était entré, examina, dis-je, tous les points qui lui étaient soumis, et elle se mit d'accord avec M. le ministre des affaires étrangères sur le principe des économies qu'il avait introduites dans son budget, personne n'est mieux placé que lui pour poser le principe; il se trouve évidemment mieux placé que la section centrale, que chacun de ses membres, pour s'assurer que les économies introduites au budget ne vont pas au-delà des limites où commence la désorganisation. La section centrale n'apporta aux propositions de M. le ministre aucun changement notable, aucune réduction qu'elle pût croire profonde; elle s'est bornée à faire des diminutions dont le chiffre total est assez important, mais qui ne portent que sur des détails et qu'elle ne croit pas de nature à ajouter aux difficultés qui, d'après quelques orateurs que nous avons entendus jusqu'à présent, devraient résulter même du budget tel qu'il a été présenté par le ministère. Quand nous arriverons aux articles, messieurs, la section centrale vous exposera, avec la meilleure foi du monde et avec le désir de vous convaincre, comme elle a été convaincue elle-même, pourquoi elle a cru pouvoir, ayant égard à l'état financier où se trouve aujourd'hui la Belgique, aller un peu delà de ce qui avait été fait par le gouvernement.

Le gouvernement a déclaré qu'il ne ferait point des économies nouvelles, même de celles qui sont proposées par la section centrale, qu'il n'en ferait point une question de gouvernement ; à son tour la section centrale déclare que si la chambre croit qu'elle est allée trop loin elle ne fera point, des économies qu'elle propose, une question de cabinet.

Nous venons, messieurs, de voir la marche qu'ont suivie jusqu'à présent les demandes d'économies si instamment réitérées, qui ont occupé le pays pendant ces cinq derniers mois et les chambres pendant la session extraordinaire.

Nous avons vu que toutes les sections, sans en excepter une seule, ont d'abord adopté en principe toutes les réductions proposées par le ministère. Quelques-unes en ont ajouté de nouvelles, aucune n'a augmenté le chiffre des dépenses. D'après ces errements, d'après ces rétroactes, d'après ce que nous avions vu et entendu jusque dans cette enceinte, nous devions croire que le système des économies était le vœu de la chambre, le vœu du pays, et que dès lors ce système ne devait rencontrer aucune opposition sérieuse. Quel n'a donc pas été notre étonnement lorsque, dans la séance d'avant-hier, nous avons entendu successivement trois orateurs prétendre que non seulement les économies nouvelles proposées par la section centrale étaient trop profondes, trop radicales, trop notables (mot qui avait failli amener une crise ministérielle à la session extraordinaire de 1848, à la vérité dans le sens opposé aux discours que vous avez entendus), mais que ce caractère de radicalisme devait même être attribué aux économies proposées par le gouvernement lui-même, économies au moyen desquelles il déclare que la marche des services publics est assurée 1...

M. de Mérode. - Il faudrait réfuter ces orateurs.

M. de Luesemans, rapporteur. - Je fais maintenant un exposé; mon intention est de tâcher plus tard, quand il en sera temps, de réfuter, dans les limites des besoins du système de la section centrale, ce qui a été dit dans la séance précédente. Seulement je prie mon honorable interrupteur d'avoir un peu de patience : je n'ai pas, comme lui, l'habitude de la tribune.

Cette réaction, car pourquoi ne pas dire le mot, nous a donc un peu étonnés, et nous éprouverions un très grand embarras, si nous n'étions profondément convaincus que les économies proposées par le gouvernement et celles qui émanent de l'initiative de la section centrale sont commandées par les besoins les plus impérieux du pays.

Messieurs, vous avez entendu d'abord un membre venir plaider la cause de la diplomatie et de la marine. Je crois devoir faire remarquer d'une manière générale que la cause de la marine et de la diplomatie, prise abstractivement, spéculativement en quelque sorte, n'a été attaquée et ne le sera, je l'espère, par personne dans cette enceinte.

Un autre membre a plaidé la cause des fonctionnaires. Cette cause n'a pas été non plus attaquée, et on ne l'attaquera pas.

Un troisième orateur a fait la guerre aux réductions en général, et se posant sur un terrain qui n'est pas exempt de grands obstacles, a établi la question en ces termes :

« Il y a, dit-il, deux manières d'équilibrer les recettes et les dépenses ; la première, c'est de diminuer les dépenses; la seconde, c'est de créer des ressources. » Et procédant de ces principes, cet honorable membre ne trouvait rien de plus simple que d'augmenter les impôts et de maintenir dans le statu quo toutes les dépenses de l'Etat.

Je ne me permettrai de poser qu'une simple question à ce membre : Quel est le moyen d'augmenter d'une manière efficace, et correspondante aux économies proposées par le ministère, les ressources de l'Etat de manière, en fin de compte, à combler le déficit? La question sera bientôt résolue si ce membre nous dit de quelle manière le gouvernement peut arriver, à la fin de l'année, à équilibrer les recettes et les dépenses en réclamant sans danger et sans injustice des ressources nouvelles au pays ; sera-ce par un nouvel emprunt forcé ou par un emprunt volontaire que je crois impossible? ou par des impôts nouveaux? car ce mot a été prononcé. Qu'on le dise, nous conviendrons volontiers que nous avons eu tort de parler si longtemps économies ; je suis prêt à me rallier an maintien du statu quo aussitôt que ce problème sera résolu, mais il faut qu'il le soit, et qu'il le soit sans danger pour l'avenir et la sécurité du pays.

J'ai promis de dire quelques mots relativement aux discours que vous avez entendus; je vais tâcher de satisfaire mon honorable interrupteur de tout à l'heure. Le premier discours que vous avez entendu se divise en trois parties parfaitement distinctes : la première est un cri de guerre aux économies, et le fondement de l'argumentation principale se trouve dans cette assertion qu'il n'y a pas eu, pendant 18 ans que le pays a été gouverné par des hommes à l'intégrité desquels je suis le premier à rendre hommage, qu'il n'y a pas eu d'abus possibles, d'abus notables, je suis prêt à les qualifier comme l'honorable orateur lui-même.

Nous pensons qu'il y a eu des abus, et l'orateur lui-même en a reconnu l'existence, puisqu'il a voté avec nous une adresse, dans laquelle nous promettions de les faire disparaître.

La seconde partie de son discours est uns histoire, une apologie de la diplomatie, faite avec un talent véritable auquel je suis très heureux de rendre hommage; mais, comme nous l'avons vu, personne n'a attaqué la diplomatie.

La troisième partie est une critique du projet du gouvernement, à plus forte raison de celui de la section centrale. Ma réponse sera dans l'exposé suivant :

J'ai pour mission spéciale de vous faire connaître, relativement à la diplomatie, quel a été le sentiment général, quelle a été l'idée-mère de la section centrale. En parcourant les diverses observations consignées dans le rapport que j'ai eu l'honneur de présenter et les travaux des sections, vous remarquerez que quatre principes se trouvaient en présence relativement à la diplomatie. Le premier, qui se réduisait en système, est celui-ci : il est parfaitement inutile dans l'état où se trouve la Belgique à l'égard de l'Europe, qu'elle se fasse représenter au dehors par des agents diplomatiques ; de simples consuls doivent lui suffire, car pour la Belgique les questions politiques sont toutes résolues, il ne lui reste, en fin de compte, que quelques questions commerciales à résoudre.

Vous avez compris par la discussion à laquelle tous les articles du budget ont donné lieu dans la section centrale, que la section centrale n'a pas voulu admettre ce principe, évidemment trop absolu.

Le deuxième système consiste à prétendre que la Belgique pourrait se passer de ministre plénipotentiaire et même de ministre résident; qu'il n'y aurait lieu à se faire représenter au-dehors que par des agents diplomatiques dont le titre le plus élevé serait celui de chargé d'affaires.

La section centrale n'a pas cru devoir adopter ce second système ; cependant, en ne l'adoptant pas elle n'a pas entendu le condamner ; elle ne l'a pas adopté parce que, dans l'état en quelque sorte transitoire où nous nous trouvons, il y aurait un grand inconvénient, et peut-être un danger grave à apporter des perturbations dans les relations existantes; c'est-à-dire que les agents diplomatiques ayant aujourd'hui un titre supérieur à celui de chargé d'affaires ne voudraient pas continuer à résider, avec un grade et un rang inférieurs, près des cours près desquelles ils sont accrédités.

Il en est parmi eux dont le rappel laisserait un vide qu'on ne pourrait remplir, sans condamner d'une manière absolue ce système qui a été pratiqué et l'être encore avec fruit par une grande nation, mais qui ne peut pas s'introduire brusquement. Elle a pensé que s'il était bon, il fallait du moins l'ajourner à une époque où son application serait possible. Un troisième système est celui qui consiste à maintenir le statu quo pur et simple; c'est celui de l'orateur qui a pris le second la parole à la première séance.

La section centrale a cru que c'était entre ces diverses opinions qu'elle devait se placer, et poussant un peu plus loin que le ministère les réductions sur certains points, les ramenant un peu d'autre part, elle a cru que le statu quo pur et simple, eu égard à notre situation financière, ne pouvait pas être maintenu, qu'on pouvait sans aucun danger faire un peu plus que ce que M. le ministre des affaires étrangères avait fait ; c'est ce qui lui a fait adopter un statu quo modifié.

Les modifications qu'elle a cru devoir introduire dans ce budget se trouvent réduites en définitive à très peu de chose.

Il y a une première modification qui consiste à réunir les légations auprès de la confédération germanique, de l'Autriche et de la Prusse en un seul groupe. Quant au principe, la section centrale s'est mise d'accord avec le ministre des affaires étrangères. M. le ministre a reconnu l'utilité de ce changement, quant au principe ; mais il ne s'est pas rallié à la proposition de la section, quant au chiffre et quant à l'importance des agents diplomatiques. M. le ministre n'a pas admis le principe sur lequel nous aurons à revenir dans le cours de cette discussion, soit lorsque ce système sera attaqué, soit lorsque nous arriverons à la discussion des articles.

Le deuxième point sur lequel la section centrale a apporté une modification, c'est celui qui concerne l’article 13, Italie. On nous a accusés d'avoir mis un silence par trop diplomatique dans la manière dont cet article est libellé dans le rapport de la section centrale. Je crois que ces paroles ont trahi la pensée de l'honorable orateur; car ce serait prendre les choses du mauvais côté ; il aurait lui-même fait la critique de la diplomatie qu'il s'était chargé de défendre; nous n'avons pas été silencieusement diplomates dans la mauvaise acception du mot.

(page 147) Voici comment la section centrale a entendu faire application de son, système....

On me fait remarquer que l'expression dont on s'est servi est : « mystérieusement diplomatique ».

Je suis obligé de faire la correction, mais l'accusation n'a rien perdu de sa force. A ce sujet, je vous ferai remarquer que, dans un rapport de 86 pages, nous avons cherché à écarter toute espèce de mystère. Nous avons cru qu'avec une chambre composée en grande partie de membres nouveaux (le rapporteur de la section centrale en est un), il est indispensable de réclamer du ministère et de mettre sous les yeux de la chambre une foule de documents devant servira éclaircir toutes les questions.

Nous l'avons fait consciencieusement et nous croyons pouvoir dire, que si nous avons pu encourir un reproche, ce n'est pas d'avoir été mystérieusement diplomatique, c'est plutôt d'avoir été un peu trop explicites, peut-être un peu trop prolixes.

Voici donc comment la section centrale a cru devoir faire application de son système. Elle n'a pas cru pouvoir adopter l'opinion d'une des sections, qui pense qu'il ne faut plus de ministres plénipotentiaires ; elle a cru qu'il en fallait ; mais elle les a réduits au nombre des cours qui nous entourent immédiatement, et forment autour de nous un arc de cercle, plus à l'Angleterre.

Voilà un premier système.

En France, en Allemagne et en Hollande, nous aurons un ministre plénipotentiaire.

En Angleterre, à cause de son immense importance diplomatique et commerciale, nous aurons également un ministre plénipotentiaire.

Quant aux autres cours, aux autres pays avec lesquels l'importance de nos relations n'est pas aussi bien établie, aussi certaine, aussi déterminée, chez quelques-unes nous aurons des chargés d'affaires ; chez les autres nous n'aurons pas d'agents diplomatiques, mais seulement des agents consulaires. Voilà le système auquel la section centrale a cru devoir s'arrêter.

L'Italie s'est trouvée, dans la pensée de la section centrale, ne pas offrir une importance politique ni commerciale suffisante pour légitimer l'envoi d'un ministre plénipotentiaire. Cette question, la section centrale n'a pas cherché à lui donner une importance plus grande; elle n'a vu dans son système et dans sa réalisation qu'une question de chiffres, une question d'économie; elle y a vu la nécessité impérieuse d'obéir aux obligations de la situation financière. Elle n'y a vu qu'une question d'économie. C'est ce que j'ai déjà eu l'occasion de dire à M. le ministre des affaires étrangères.

La chambre aura à décider si, quant au nombre des ministres plénipotentiaires, il y a lieu d'adopter la proposition du gouvernement ou celle de la section centrale.

La section centrale, en vous faisant ses propositions, croit accomplir un devoir. Rien de plus; rien de moins.

Messieurs, nous avons exposé devant la chambre la pensée, l'idée-mère qui avait présidé au rapport et aux délibérations de la section centrale. Cette idée, nous pensons que nous l'avons développée de manière qu'il ne puisse rester aucun doute sur les intentions de la section centrale. Elle se résume en deux mots : allier ce que nous devons aux exigences légitimes du pays, de sa situation financière, avec ce que nous devons à la nécessité de ses relations à l'extérieur. Voilà quelle a été la pensée qui a dominé notre travail.

La diplomatie est-elle appelée à nous rendre des services plus considérables dans un avenir plus éloigné. Nous ne le nions pas, nous sommes très tentés de le croire. Mais que ce soit aujourd'hui le moment de l'organiser définitivement, comme plusieurs orateurs semblent l'indiquer, et de manière à en retirer tous les services que nous sommes en droit d'en attendre, c'est ce que la section centrale n'a pas cru. C'est pourquoi elle a cru pouvoir opérer quelques réductions nouvelles sur les réductions déjà notables que M. le ministre des affaires étrangères avait proposées; elle a cru surtout qu'elle le pouvait sans danger, et elle n'a pas dû hésiter.

Nous ne contestons pas non plus que si sous étions une puissance de premier ordre, si nous avions à notre disposition des ressources comme celles que possède l’Angleterre et même la France, si nous avions des questions diplomatiques aussi importantes à traiter avec les puissances étrangères, il ne pût être utile d'étendre le cercle de nos relations diplomatiques.

Mais nous pensons, nous persistons à croire que les orateurs qui ont été entendus se sont trop peu préoccupés de la situation du pays, de la nécessité d'économiser, de faire en sorte que tous les services puissent marcher, non pas seulement les services extérieurs, mais encore les services intérieurs; en un mot, nous croyons que les orateurs qui se sont succédé ne se sont pas assez préoccupés des nécessités du budget. Ils ont en vue, et je ne puis que louer ce sentiment national, de nous faire représenter à l'étranger par des hommes capables, actifs, intelligents, pouvant étendre nos relations au dehors, créer des débouchés, conjurer les dangers qui dans leur pensée peuvent nous menacer; ils veulent faire concourir la présence de ces agents au bien-être du pays.

Nous comprenons ce sentiment ; mais nous croyons que le système présenté par le gouvernement et légèrement modifié par la section centrale, offre toute sécurité au présent; nous ne croyons un plus grand développement de la diplomatie réalisable que quand le budget sera armé à l'état normal, quand la crise sera passée, quand l'équilibre, rétabli entre les recettes et les dépenses, nous permettra de rétribuer un peu mieux les services rendus à l'Etat.

Je pense avoir été le fidèle interprète des sentiments de la section centrale.

J'ai dit sous quelle impression ont été votées les modifications au budget qui est sous vos yeux.

Je suis obligé d'attendre que de nouvelles explications aient été demandées.

Avant d'entrer plus avant dans la discussion et pour qu'on ne se méprît pas sur nos intentions, il m'a semblé utile de faire comprendre quelle avait été la pensée, quel avait été le système suivi par la section centrale.

M. Dechamps. - Messieurs, nous discutons notre premier budget des dépenses. J'avais, je l'avoue, éprouvé quelques craintes, en voyant le budget des affaires étrangères, qui est un de nos deux budgets, avec celui de l'armée, exposé aux premières ardeurs de cette bataille que l'on veut diriger contre les budgets au nom des économies. Mais l'accueil que la chambre a paru faire, dans la derrière séance, aux orateurs qui ont combattu les propositions de la section centrale, le peu d'insistance que l'honorable rapporteur de la section centrale m'a paru mettre à défendre ces propositions, puisqu'il vient de déclarer que, pas plus que le ministère, la section centrale ne voulait en faire une question de cabinet pour elle, tout cela a un peu diminué mes craintes, mais cependant je n'en crois pas moins devoir défendre mes convictions avec insistance.

Nous sommes en présence de deux faits, de deux nécessités d'un ordre différent : la nécessité d'économies étendues, sévères même ; les circonstances les exigent, le ministère vous les propose; il est allé loin, et dussé-je exciter encore l'étonnement de l'honorable M. de Luesemans, je serai le cinquième orateur qui dirai que peut-être il est allé trop loin.

Si la nécessité des économies est impérieuse, il en est une autre qui ne l'est pas moins : c'est, comme on l'a dit souvent, la nécessité de ne pas désorganiser les services publics, de ne pas détruire l'œuvre administrative de ces dix-huit années si laborieusement édifiée, de ne pas trop détendre les ressorts du gouvernement au moment où nous avons besoin de toute leur action, de ne pas produire, en un mot, un double résultat, à mon sens, plein de dangers : le découragement administratif et la désaffection politique : le découragement administratif, qui se traduirait bientôt en un déficit que nulle économie ne pourrait combler; la désaffection politique, au moment où nous avons besoin de rallier, autour du gouvernement et des institutions du pays, toutes les influences, tous les dévouements.

L'intérêt des économies est grand, Sans doute, mais il en est un autre plus grand encore qui doit rester le premier de tous, qui ne peut être sacrifié à aucun autre : c'est l'intérêt politique.

L'honorable M. de Luesemans vient de vous dire que la crise est toute financière. J'en demande pardon à l'honorable membre, mais il me semble que s'il est vrai que nous ayons à traverser une crise financière, moins forte pourtant que celle de la plupart des autres pays, la crise politique qui a éclaté le 24 février est cependant pour nous plus importante encore.

L'honorable M. de Luesemans vous disait que nous en parlions comme une nation riche qui n'avait pas besoin de mesurer ses dépenses à ses ressources. Non, messieurs, nous n'en parlons pas comme une nation riche; mais nous n'en parlons pas non plus comme une nation appauvrie, embarrassée, selon l'expression de l'honorable rapporteur; nous en parlons comme une nation intelligente qui sait qu'il est des économies qui ruinent et des dépenses qui enrichissent ; que la question financière est surtout dans le moyen d'augmenter la richesse du contribuable et le salaire de l'ouvrier plus encore que de leur faire payer un franc d'impôt de moins, que l'équilibre dont on vient tant de parler, et auquel se rattache sans doute la question des économies, que cet équilibre est dans la question du travail qu'il faut maintenir, qu'il faut alimenter ! avec lequel il faut battre monnaie, selon l'heureuse expression de l'honorable M. Schumacher.

L'honorable rapporteur de la section centrale aurait dû ne pas oublier pourtant que nous discutons les budgets des dépenses en présence d'un budget des voies et moyens se soldant par un boni, un excédant de six millions. En admettant des réductions possibles dans l'appréciation de ce chiffre, il n'en résulte pas moins qu'il est peu de nations qui pourraient présenter une situation aussi bonne.

Le mal a été, messieurs, qu'on a trop exagéré les périls de notre situation financière. On a représenté la Belgique comme placée, pour ainsi dire, au bord du gouffre du déficit et de la ruine. L'opinion s'en est émue; elle en a conclu qu'il fallait recourir à d'héroïques, à de prodigieuses économies ; qu'il fallait tout reformer, au risque de tout détruire.

Messieurs, dans la tempête qui nous enveloppe, on est résolu, pour sauver le vaisseau, de jeter des marchandises à la mer, et je le veux bien ; mais ce que je ne veux pas, c'est qu'on y jette le pilote et le gouvernail, c'est-à-dire, notre force militaire et notre influence politique.

Le budget des affaires étrangères, messieurs, est, avec celui de l'armée, la question la plus éminemment politique que nous puissions discuter ici ; c'est aussi de politique que j'ai surtout l'intention d’entretenir la chambre.

Quoique l'honorable M. de Luesemans ait été presque seul, jusqu'ici, à défendre les propositions de la section centrale, je m'attends cependant à trouver encore d'assez nombreux et d’assez ardents défenseurs des économies pour pouvoir m’abstenir, sans trop de scrupules, de m’appesantir sur un côte de la question.

(page 148) Je sais que je vais lutter contre un certain courant d'idées, que M. le ministre de l'intérieur appelait courageusement, l'année dernière, les préjugés de l'opinion; je sais que je ne cours pas après une éphémère popularité. Mais nous sommes ici pour remplir notre devoir, selon que notre conscience nous le dicte.

C'est donc un devoir que je remplis, et si je me promets, en passant, d'invoquer l'expérience que j'ai pu acquérir, pendant quelques années au pouvoir, c'est uniquement pour avoir un titre à l'indulgente attention de la chambre.

Messieurs, nous avons maintenu, pendant dix-huit ans, un corps diplomatique à l'aide de dépenses assez considérables. On en a exagéré souvent l'importance; mais, je le reconnais, ces dépenses ont été assez considérables, eu égard à nos ressources financières. Nous avons maintenu ce corps diplomatique, d'abord après la révolution, pour nous faire reconnaître par les puissances; plus tard pour affermir et développer nos relations politiques et commerciales ; mais nous l'avons maintenu surtout, messieurs, pour le jour où les événements politiques deviendraient menaçants pour notre existence nationale.

Le budget des affaires étrangères a été plus d'une fois attaqué dans cette chambre par une minorité qui voulait aussi en réduire considérablement le chiffre et les proportions. Cette minorité prétendait que la Belgique, déclarée neutre par les puissances, n'avait besoin ni d'influence diplomatique au dehors, ni de force militaire au dedans; que les traités étaient notre sauvegarde; que la bonne foi des puissances était une garantie suffisante pour nous: que leur intérêt voulait qu'on ne touchât pas légèrement à l'équilibre européen dont nous étions l’une des conditions essentielles;- qu'en un mot le peuple belge était un peuple sans mission politique, sans responsabilité.

Une majorité, une très grande majorité a repoussé constamment cette dangereuse tentation d'économie qu'on lui offrait. Elle répondait que nulle nation n’avait autant besoin que nous de diplomatie influente, et d'armée respectable, précisément parce que nous nous appelons la Belgique; placés comme nous le sommes, selon l'expression de l'honorable M. de Liedekerke, au confluent de tons les grands peuples ; précisément parce que nous sommes neutres, parce qu'on nous a confié la défense d'une neutralité non pas passive, mais d'une neutralité active, loyale et forte; parce que nous avons de graves devoirs européens à remplir, les mêmes devoirs européens, disait la conférence de Londres en 1830, qui avaient été assignés au royaume des Pays-Bas, lors de sa formation.

Mais la raison prépondérante pour laquelle les chambres, le gouvernement, le pays ont accepté ces sacrifices assez lourds qu'exigeait le maintien de notre corps diplomatique, c'était pour retrouver son influence, pour nous en servir au jour des dangers, lorsque les événements européens, révolutions ou grandes guerres, viendraient modifier les limites des nationalités, ébranler l'équilibré de 1815, pour amener un remaniement territorial de l'Europe.

Messieurs, ce jour n'est-il pas venu? Les prévisions de la minorité, dont je parlais tout à l'heure, qui voulait s'en remettre à la seule force des traités, au seul bon vouloir des puissances, ces prévisions ne reçoivent-elles pas, sous nos yeux, le plus complet des démentis? Les événements, plus graves cent fois qu'on ne les-avait prévus, pour lesquels précisément nous avons supporté, pendant dix-huit ans, nos dépenses diplomatiques, ces événements ne viennent-ils pas d'éclater? Et c'est ce jour-là même que vous choisiriez pour changer notre système de politique extérieure; pour renoncer aux fruits de tant et de si longs sacrifices, pour acheter notre discrédit probable à l'étranger par une économie en définitive insignifiante dans son chiffre, mais déplorable dans ses résultats.

Noire traité de 1839 est sans doute une déviation importante des traités de 1815, mais l'Europe n'a pas cru que c'en était le renversement.

Ces traités de 1815 sont aujourd'hui déchirés par les uns, ils sont niés par les autres. Nous ne pouvons pas être indifférents au sort que ces traités vont éprouver.

Mais, vient nous dire l'honorable rapporteur de la section centrale, nous ne sommes qu'une nation de deuxième ou de troisième rang, et nous ne devons pas prétendre à peser d'un grand poids dans les conseils de l'Europe.

Messieurs, il est vrai, nous ne sommes qu'une nation secondaire au point de vue du territoire et de la population; mais sommes-nous une nation secondaire au point de vue moral et politique? Je ne sais si un sentiment de fierté et d'orgueil national me fait exagérer l'importance du rôle que nous jouons aujourd'hui dans le monde et que je place très haut; mais, à coup sûr, vous dépréciez cette importance, vous l'abaissez outre mesure, vous qui niez notre influence politique et qui voulez nous refuser les moyens de l'exercer.

Nulle autre nation, en apparence de même rang que nous, ne peut être, sous ce rapport, comparée à la Belgique. Que, par exemple, la Bavière soit demain réunie au Wurtemberg ou à toute autre nation voisine; que le Hanovre soit de nouveau incorporé à la Prusse ;que même les conditions territoriales du Piémont viennent à être modifiées, cela pourra faire naître certaines difficultés plus ou moins graves, mais l'équilibre général pourra n'en pas être profondément altéré, la guerre ne devra pas nécessairement en sortir. Mais que la Belgique, qu'une partie seulement de la population belge vienne à servir d'agrandissement à la France ou à l'Allemagne, je vous le demande à tous, n'est-il pas vrai que le lendemain une flotte anglaise paraîtrait dans l'Escaut, et que, sous l'inspiration d'un nouveau Pitt, les grandes guerres recommenceraient?

Dans le passé, aux traités de Munster et d'Utrecht, plus tard aux traités de Campo-Formio et de Vienne, toujours la Belgique a été la grande, la difficile question.

Je ne sais, nul ne sait quel avenir sortira de ce que nous voyons ; mais quels que soient les événements dont nous allons être les témoins', une chose est certaine, c'est que le lendemain des révolutions ou des guerres, on négociera, et que dans les futurs congrès de paix, le sort de la Belgique pourra encore être discuté.

Ce sort sera ce que nous-mêmes nous l'aurons fait. C'est dans de tels moments que les nations faibles, imprévoyantes, disparaissent, et que les peuples énergiques et intelligents non seulement se maintiennent, mais grandissent. (Applaudissements.)

Dans les grandes commotions politiques, presque toujours, souvent au moins, des nations secondaires en ont déterminé le mouvement et l'ont dirigé; au seizième siècle, c'étaient la Hollande et la Belgique; au dix-septième siècle c'était la Suède.

Mon honorable ami, M. de Liedekerke, dans le discours remarquable qui a reçu un accueil si mérité à la dernière séance, vous a parlé de la paix de Westphalie; permettez-moi d'y rattacher un souvenir. La Suède alors personnifia cette époque; après les désastres de la guerre de 30 ans, alors qu'il fallut négocier, le prestige, l'influence qu'elle avait acquis, en firent l'un des arbitres de l'Europe. La Suède se garda bien de renoncer à sa diplomatie ; elle ne découragea pas ses hommes politiques; aussi nous voyons que c'est un homme d'Etat de la Suède, de ce pays faible aussi; au point de vue de la population et du territoire, qui a dicté les conditions de la paix de Westphalie.

Je ne veux pas assurément établir ici un rapprochement trop ambitieux; mais enfin nous est-il défendu de croire à ce que l'Europe nous dit tous les jours de ce prestige, de cet ascendant moral que nous donne cette propagande de l'ordre et de la liberté que nous faisons par l'attitude calme, courageuse, nationale que nous conservons depuis les événements de février.

Messieurs, comparez la Belgique de 1848 à la Belgique de 1839, alors que l'Europe, malgré les gages de nationalité et de sagesse que nous avions donnés, crut devoir déchirer deux de nos provinces; nous imposer de douloureux sacrifices, et cela parce qu'elle ne croyait pas assez en nous. Le traité des 24 articles, on l'a dit, cela est vrai, a été un acte de défiance de l'Europe contre nous. L'Europe a voulu confier l'importante position de la Meuse et de la Moselle aux mains de la Hollande et de l'Allemagne, parce qu'elle ne nous croyait pas assez forts, assez résolus pour la défendre nous-mêmes.

Or, je vous adresse cette simple question : si le passé pouvait renaître, si les mêmes événements pouvaient se reproduire, l'Europe poserait-elle encore cet acte de défiance contre la Belgique? Et à la réponse que vous ferez tous, vous apercevrez quel chemin immense, sous le rapport de l'influence politique, nous avons fait depuis neuf ans. Ce résultat, tous les pouvoirs, toutes les influences y ont certes participé ; mais enfin pouvez-vous donc exclure la diplomatie de cette participation ?

Messieurs, il faut rendre justice à la France de 1848; elle a su résister à la tentation de substituer au système de paix, qui restera l'honneur et la gloire du règne précédent, d'y substituer le système de propagande et de conquête qui a perdu la première révolution:

Mais le danger pour nous serait de nous bercer de trop d'illusions. Comment croire que la France actuelle verra déchirer, autour d'elle, les traités de 1815, au profit de l'unité allemande, au profit de l'unité italienne, au profit d'une Suisse unitaire, au profit de la Russie dans les provinces du Danube et demain peut-être vers le Bosphore, et cela sans que la pensée lui vienne de demander aussi sa part des dépouilles de l'ancienne Europe.

L'unité allemande, un Etat confédéré allemand, s'étendant de Berlin et Hambourg jusqu'à Francfort, Munich, Vienne et Trieste, cette unité, si elle se réalise jamais, ne serait-elle pas, aux yeux de l'Angleterre, l'union du commerce continental ? ne serait-ce pas, aux yeux de la France, reconstituer en permanence la coalition contre laquelle l'Empire a lutté, refaire cet empire germanique que la France avait cru détruire, lors de l'établissement de la confédération du Rhin ?

Quel était le système de 1815? C'était de fortifier, d'étendre cette ceinture de nations, barrière qui enveloppe la France, la Hollande et la Belgique d'un côté, les Etats du centre de la confédération germanique de l'autre, la Suisse et le Piémont vers le Midi.

Voilà le système de 1815, qu'il est de tradition, en France de détester, selon l'expression de M. Thiers. Or, si jamais les tentatives d'unité nationale à Francfort et à Turin devenaient sérieuses, si une nation de 50 millions d’hommes se formait depuis la mer du Nord jusqu'à l'Adriatique, si une autre nationalité presque aussi puissante se constituait sur les rives du Pô et au pied des Alpes, ne seraient-elles pas considérées à Paris comme le renforcement du système élevé par le congrès de Vienne contre l'influence française, et ne pourrons-nous pas craindre de voir la France de 92 se réveiller aux souvenirs de la Savoie, de la Belgique et des rives du Rhin?

Ai-je besoin d’insister encore, et n'est-il pas clair qu'il n'est pas une nation qui ait plus besoin que nous de surveiller activement le sort des traités qui se rattachent à notre existence officielle !

Si on cherche à établir sur de nouvelles bases l'équilibre européen, nous sommes une des conditions de cet équilibre. Si le sort des Etats secondaires, si étrangement bouleversé par les derniers événements, était remis en question, c'est notre sort même, eu quelque sorte, qui serait en cause.

(page 149) Il n'est pas une seule des alliances qui peuvent sortir des événements et qui ne contienne une menace contre notre avenir national, excepté la grande alliance de la France et de l'Angleterre qui a sauvé si longtemps le monde et peut encore peut-être le sauver.

Un honorable membre le disait tout à l'heure ; l'alliance de 1805 entre la Prusse et la République française, est-elle désormais impossible? La Prusse a cru, à cette époque, que la seule acquisition du Hanovre était un dédommagement suffisant de la perte des provinces du Rhin.

Une alliance, projetée déjà sous la restauration, entre une France impériale ou royale et la Russie, est-elle donc une chose irréalisable? Personne n'ignore que la condition de cette alliance serait l'agrandissement de la France vers le Rhin, pour prix de l'agrandissement de la Russie vers le Bosphore.

J'indique ces hypothèses comme possibles; il en est assurément de moins probables et que nous avons vues se réaliser sous nos yeux ; elles suffisent pour faire comprendre que s'il est une nation à laquelle l'imprévoyance est interdite, à laquelle une diplomatie forte, persévérante et respectée soit nécessaire, c'est la Belgique.

Je prévois, messieurs, ce qu'on va me répondre: On dira que je me préoccupe d'idées vieillies, que je suppose l'existence de cours absolutistes avec une diplomatie à représentation et à prestige personnel; que tout cela a disparu pour faire place aux influences des tribunes parlementaires, de la presse et de.la place publique.

On en conclut qu'on peut sans inconvénient réduire le chiffre des traitements de nos agents et que la diplomatie doit être démocratisée.

Singulier moyen de la démocratiser, pour le dire en passant, que de réduire les traitements attachés à ces fonctions, de manière à ne permettre qu'à l'aristocratie, à la richesse de les accepter.

Mais si la révolution règne sur les places publiques des grandes capitales, est-ce là un ordre normal et définitif? Est-ce à dire que les gouvernements réguliers, qui n'ont pas, du reste, disparu, ne parviendront pas à se rasseoir, comme il est arrivé toujours après de semblables crises?

J'admets que la situation des cours européennes autorise, à certains égards, moins de représentation et permet des économies dans une certaine mesure. Je ne les repousse pas, puisque j'ai dit que je voterai pour le budget présenté par le gouvernement, quoique je regrette qu'il ait cru devoir aller aussi loin.

Il faut reconnaître cependant que, dans le passée l'influence diplomatique se concentrait dans le cabinet des ministres et dans le palais du souverain. Aujourd'hui elle devra se multiplier, être en contact avec plus de monde, depuis que le pouvoir est, pour ainsi dire, dans toutes les mains. Mais croire que dorénavant nos ministres à l'étranger n'auront plus de rang à tenir, plus d'influence de position personnelle à exercer, c'est, selon moi, se tromper gravement. Si vous voulez une diplomatie, il faut la vouloir sérieuse et avec ses conditions ordinaires d'action; il faut que les hommes de talent et de caractère qui occupent le plus souvent de hautes positions dans le pays, puissent accepter les fonctions diplomatiques sans sacrifice. C'est une idée impolitique d'exiger des sacrifices personnels de ceux qui se font les serviteurs du pays.

Il ne faut pas que les fonctions diplomatiques ne soient accessibles qu'aux favoris de la fortune ou aux médiocrités affamées. Ce serait un système antidémocratique au dernier chef, en contradiction formelle avec l'esprit et la tendance de nos institutions.

J'ai dit que j'admettais des économies ; j'aurais voulu que le principe d'après lequel elles eussent été réalisées, eût consisté dans la suppression de quelques postes secondaires, comme le gouvernement le propose, mais sans toucher aussi fortement à nos grandes légations politiques et commerciales. C'est le système adopté par le gouvernement des Pays-Bas, dans le budget rectifié pour 1849.

J'ai vu avec plaisir que la section centrale avait accueilli favorablement une proposition que j'ai faite moi-même dans ma section, et qui consiste à rétablir les légations des Etats-Unis et du Brésil, Lorsque nous arriverons aux détails du budget, je demanderai au gouvernement si, en admettant la proposition de la section centrale, il se croit dégagé de l'obligation de maintenir un consul général à New-York.

Washington est le centre politique; New-York est le centre commercial. Il ne faut pas que nous méconnaissions l'une ou l'autre de ces positions importantes pour nos intérêts. Mais après que le gouvernement vous a proposé de réduire le budget des légations de 43 p. c., de supprimer les légations d'Athènes, de Hanovre, de Suède, et même la légation importante de Turin; après qu'il a cru pouvoir diminuer de moitié l'allocation pour la légation de Londres, où les événements de février ont apporté peu de changements ; après qu'il a proposé de réduire le chiffre des traitements de nos ministres plénipotentiaires à 25 mille francs, ce qui en fait, si l'on veut apprécier le rang de nos agents par le chiffre de leurs traitements, de simples chargés d'affaires; après que le gouvernement est allé aussi loin, admettre encore, avec la section centrale, que nous n'aurons plus à Berlin et à Vienne, ou à Vienne et à Francfort, selon que le gouvernement en décidera, que deux charges d'affaires à 15 mille francs; que pour toute l’Italie, pour Rome, Naples, Florence et Turin, nous n'aurons qu'un seul chargé d’affaires au traitement de 15,000 francs; que pour le Levant tout entier, Constantinople et Athènes, la mer Noire et la Méditerranée, un chargé d'affaires nous suffira, toujours au traitement de 15,000 francs; ce serait non seulement affaiblir, mais détruire noire corps diplomatique. Si ce n'est pas là désorganiser, je ne sais vraiment jusqu'à quel chiffre il faudra descendre, pour me servir encore de ce mot désorganisation.

Je ne discuterai pas maintenant les propositions en détail de la section centrale. Cependant j'ai besoin d'attirer l'attention particulière de la chambre sur une proposition de la section centrale qui, revêt à mes yeux un caractère de haute gravité, pour ne pas dire de haute imprudence.

La section centrale propose de n'allouer qu'un chiffre global pour les missions d'Allemagne. Il y aurait une mission principale où résiderait un ministre plénipotentiaire, et deux missions secondaires qui seraient pour ainsi dire sous l'influence de la mission centrale.

Quelle est la signification évidente de cette proposition ? Elle suppose l’unité allemande le réaliser. Qu'est-ce que l'unité allemande? Ce serait ou bien le renversement des deux grands Etats allemands, l'Autriche et la Prusse, au profit d'un pouvoir central, à Francfort, ou bien la constitution de cette unité sous la prépondérance d'un de ces grands Etats.

La section centrale s'est placée précisément au point de vue de cette double hypothèse. Elle vous dit : Si la Prusse et l'Autriche disparaissent, vous placerez votre ministre plénipotentiaire à Francfort, et vous n'aurez besoin que de deux chargés d'affaires à Berlin et à Vienne. Si au contraire c'est à Berlin ou à Vienne que la prépondérance est établie, vous placerez le ministre plénipotentiaire à Vienne ou à Berlin et vous n'aurez plus que deux chargés d'affaires dans les autres résidences.

N'est-ce pas là la reconnaissance anticipée de l'unité allemande? Cela est tellement vrai que si cette unité ne se constituait pas, il faudrait changer le budget, si la proposition de la section centrale était adoptée ; car il ne pourrait se concilier avec l’état actuel des choses qui comprend trois grandes légations en Allemagne.

La section centrale, elle me permettra de le lui dire, a été bien pressée d'adhérer à l'unité allemande; elle a été plus pressée que la Prusse, qui n’en a pas encore admis ses conditions; plus pressée que l'Autriche, qui est, loin d'y souscrire ; plus pressée que la France et l'Angleterre, qui n'ont eu garde de la reconnaître; plus pressée même que l'assemblée de Francfort, qui n'a pas encore jeté les bases de cette unité.

Mais ceci est plus grave; avant de reconnaître l'unité allemande, l’Europe, je le présume, lui demandera si elle accepte bien positivement les obligations des traités qu'ont acceptés, au nom de l'Allemagne, l'Autriche et la Prusse qui.se trouvaient à Vienne, en 1815, et qui se trouvaient à Londres en 1831 et 1839.

Il me suffit d'indiquer ce fait, pour que vous compreniez que ce n'est pas à la Belgique 'qu'il convient de prendre l’initiative de cette reconnaissance anticipée de l'unité allemande.

M. le ministre des affaires étrangères (je réponds à l'objection de l'honorable rapporteur) n'a pas accepté ce principe; il a admis un chiffre global, mais en maintenant trois grandes légations.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je n'ai pas accepté le principe posé par la section centrale, en ce sens, qu'il faudrait réduire les trois légations à une seule avec deux chargés d'affaires. J'ai seulement consenti à la réunion des trois articles en un seul.

J'ai ajouté qu'en France on réunissait tous les chiffres des diverses légations en un seul article, ce qui donnait plus de facilité au gouvernement ; mais je suis loin d'accepter la proposition de la section centrale, d'avoir un ministre plénipotentiaire qui serait le supérieur de deux chargés d’affaires. Je repousse, au contraire, une semblable proposition qui entraînerait les conséquences que vient d'indiquer l'honorable M. Dechamps, et bien d'autres que j'aurai l'honneur d'exposer quand nous serons arrivés au chapitre II du budget.

M. de Brouckere. - Je prie M. Dechamps et M. le ministre des affaires étrangères de remarquer que le chiffre proposé par la section centrale est tel que le gouvernement pourrait conserver en Allemagne deux postes de ministre plénipotentiaire et un poste de chargé d'affaires et qu'il y aurait encore un excédant.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - La proposition, telle qu'elle vient d'être expliquée par l'honorable président de. la section centrale, ne peut non plus être acceptée par le gouvernement. Le gouvernement maintient le chiffre de 91 mille francs qu'il demande au budget. Son intention est de conserver 3 ministres plénipotentiaires en Allemagne. Seulement, pour donner plus de facilité, dans certaines éventualité, j'ai accepté la réunion des 3 chiffres en un seul, comme j'eusse accepté également ta réunion de tous les articles du chapitre II si la section centrale me l'eût proposée.

Si la section centrale avait même proposé de réunir tous les différents chiffres du chapitre en un seul, je l'eusse également accepté.

M. Dechamps. - Messieurs, je remercie M. le ministre des affaires étrangères de l'explication qu'il vient de nous donner et qui me rassure (du reste, je n'en avais pas besoin), sur les intentions du gouvernement. Mais je ferai remarquer à l'honorable M. de Brouckere que dans le rapport de la section centrale on suppose une légation principale, résidence d'un ministre, et deux légations secondaires, résidence de deux chargés d'affaires. Du reste, messieurs, nous aurons à revenir sur cette question bien grave, lorsque nous arriverons aux articles du budget.

.Messieurs, notre budget des affaires étrangères, tous les ministres qui se sont succédé au pouvoir ont eu plus d'une occasion de le démontrer, a toujours été l'un des plus modestes, sinon le plus modeste de ceux de tous les pays constitutionnels; nos ministres, nos chargés d'affaires à l'étranger ont toujours eu une position d'infériorité à l'égard des représentants de presque tous les pays.

Depuis les événements du 24 février, un changement sans doute a été apporte à l'état de choses ancien, dans la plupart des gouvernements. (page 150) Mais, si mes renseignements sont exacts, la plupart d'entre eux n'ont touché qu'aux petites légations et n'ont diminué que d'une manière bien peu sensible les chiffres des grandes légations politiques et commerciales.

Nous avons deux points de comparaison officielle et de nature à jeter beaucoup de lumière sur la question; c'est le budget rectifié de la république française, et c'est le budget rectifié du royaume des Pays-Bas pour 1849.

Je sais bien, messieurs, que nous ne pouvons pas comparer les nécessités diplomatiques de la Belgique avec les nécessités diplomatiques de la France. Aussi, dans les chiffres que je vais citer, vous pourrez faire la part la plus large à cette différence relative de position, et vous acquerrez la preuve que nous sommes allés beaucoup plus loin que la France.

Veuillez ne pas oublier, messieurs, qu'il s'agit du budget d'une république et d'une république qui est forcée de recourir à d'héroïques économies en face d'un immense déficit financier.

Pour les Pays-Bas, messieurs, la comparaison est beaucoup plus exacte. Vous savez qu'en général nous avons toujours, lorsqu'il s'est agi des chiffres de nos budgets, établi une comparaison, surtout pour l'armée et pour la diplomatie, avec les budgets des Pays-Bas, parce que la Hollande occupe une position à peu près analogue à la nôtre, quoique d'une population inférieure, avec cette différence pourtant que notre position politique est plus importante à coup sûr, placés comme nous le sommes aux avant-postes, et que les conditions de notre commerce extérieur exigent des efforts plus étendus. Voyons quel est le budget rectifié des Pays-Bas comparé au nôtre. Le chiffre des traitements du personnel du corps diplomatique, dans le budget présenté par notre gouvernement, s'élève à 317,000 fr.

La section centrale réduit ce chiffre de 51,000 fr., ce qui porte l'allocation à 266,000 fr., sans y comprendre les deux légations de New-York et du Brésil.

Savez-vous quel est le chiffre du budget des Pays-Bas? Il est de 639,000 fr., c'est-à-dire plus du double du chiffre proposé par le gouvernement et près de deux tiers plus élevé que le chiffre proposé par la section centrale.

La Hollande, dont le commerce extérieur est presque en entier concentré dans les relations avec Java, a besoin moins que nous évidemment de consulats rétribués. Malgré cela, le chiffre porté à son budget pour les consulats est de 114,000 fr., le nôtre n'est que de 103,000 fr.

Entrons dans quelques détails.

Pour la légation de Londres, le gouvernement vous propose un chiffre de 52,000 francs.

Le budget des Pays-Bas porte 109,200 francs.

Le traitement de notre ministre à Londres est de 40,000 fr.; celui du ministre néerlandais est de 90,000 fr.; plus élevé de moitié !

Paris. Le chiffre de notre budget est de 35,000 fr., celui de la Hollande est de 80,800 fr. Notre ministre plénipotentiaire à Pans a un traitement de 25,000 fr. Celui des Pays-Bas un traitement de 72,000 fr.; trois fois supérieur au nôtre.

Autriche. Chiffre de notre budget, 27,000 fr. La section centrale trouve que c'est trop; elle réduit cette somme à 17,000 fr. éventuellement.

En Hollande, cette légation coûte 07,000 fr. Le traitement de notre ministre est de 25,000 fr. ; la section centrale le réduit à 15,000, Celui du ministre néerlandais est de 55,000 fr.

Prusse. Notre budget porte 5-2,000 fr.; celui des Pays-Bas, 60,000 fr.

Le traitement de notre agent est de 25,000 fr. ; le traitement de l'agent néerlandais est de 55,000 fr.

Turquie. Le gouvernement propose 30,000 fr. ; la section centrale, 27,000 fr.

Au budget hollandais, le chiffre se rapproche davantage du nôtre ; il n'est que de 31,000 fr. Mais n'oublions pas que la Hollande possède un consulat général à Smyrne et que le chiffre de cette légation commerciale est de 25,000 fr.; de sorte que la Hollande dépense 56,000 fr. dans le Levant, tandis que la section centrale propose de n'en dépenser que 25,000.

Il serait inutile de prolonger cette comparaison.

Ainsi, messieurs, les traitements du corps diplomatique, en Hollande, sont en général, d'après le budget de 1849, plus élevés du double, comme le chiffre général du budget lui-même, que ceux que le gouvernement vous propose; et pour la légation de Paris, le chiffre est trois fois plus élevé.

Le consul général néerlandais, dans le Maroc, a 18,000 fr., c'est-à-dire qu'il a 3,000 fr. de plus que n'auraient nos ministres à Rome, à Francfort, à Vienne, à Constantinople, si les propositions de la section centrale étaient admises.

J'arrive au budget de la République française. J'ai d'abord une observation importante à vous faire. Je pourrais me borner à dire que dans le budget rectifié, nous retrouvons des traitements pour les ministres plénipotentiaires de 150, de 120, de 100 mille francs, et déjà cette comparaison pourrait nous être favorable. Mais, messieurs, il est un fait qui doit être constaté d'abord : c'est que la France a un double système diplomatique; elle a de grandes légations politiques qui sont en même temps des légations commerciales à un point de vue général, mais elle a, à côté de chaque légation politique, des consulats généraux largement rétribués, tandis que, dans notre système, nous n'avons pas de consulats rétribués là où nous avons des légations politiques, excepté dans les contrées lointaines. Ainsi pour que la comparaison que je vais faire soit exacte, je dois examiner ce que dépense la France dans chacun des pays où nous avons des légations, et ce que nous-mêmes nous y dépensons. Eh bien, voyons :

Grande-Bretagne : Le ministre de France à Londres a un traitement de 150,000 fr.; celui du consul général à Londres est de 35,000 fr., c'est-à-dire que le consul général de la République française, à Londres, a un traitement presque égal à celui de notre ministre plénipotentiaire ! La France a des consuls à Dublin, à Liverpool, à Newcastle, à Richemond; de sorte que le chiffre total des dépenses diplomatiques de la France dans la Grande-Bretagne est de 259,000 fr. Nous y dépensons 41,000 fr., 40,000 pour notre ministre et 1,000 fr. pour notre consul à Lerwich.

Confédération germanique : La France a des ministres à Francfort, à Carlsruhe, à Cassel, à Munich, à Stuttgard; elle a un consul à Mayence... Les dépenses de la France, dans la confédération germanique, montent à 187,000 francs. Le gouvernement propose ici d'y dépenser 25,000 francs, et la section centrale propose de réduire ce chiffre à 15,000 francs.

Prusse et Saxe réunies : La France a un ministre à Berlin, un ministre à Dresde et des consuls à Dantzig, à Stettin et à Leipzig. Le chiffre des traitements diplomatiques est de 140,000 fr.; le nôtre ne s'élève qu'à 25,000 fr.

Italie : La France a des ministres à Rome, à Turin, à Naples. à Florence et des consuls à Nice, à Ancône et dans les divers ports de l'Adriatique. Les dépenses, en traitements, de la France pour l'Italie s'élèvent à 297,000 fr. ; le gouvernement belge proposait d'allouer 25,000 fr.; la section centrale trouve que c'est trop, qu'il faut descendre à 15,000 fr. !

Pour le Levant, la comparaison est encore plus écrasante. La France a un ambassadeur à Constantinople, au traitement de 80,000 fr., un ministre en Grèce à 40,000 fr., sept consulats généraux et 14 consulats rétribués. Les traitements des consuls généraux sont de 18,000, 20,000 et 30,000 fr., et ceux des simples consuls de 10,000 à 15,000 fr. Pour tout le Levant, la France dépense 418,000 fr. en traitements diplomatique, et si on y ajoute les frais des chanceliers et des drogmans, la somme s'élève à 648,000 fr. Chez nous, le gouvernement demande à allouer 30,000 fr.; et la section centrale trouve que 15,000 suffisent!

Les consuls généraux français à Calcutta, à Lima et à Londres, ont le même traitement (40,000 fr.) que notre ministre plénipotentiaire à Londres. Les consuls à Alexandrie, à Buénos-Ayres, à Santiago, à Caracas, et dans beaucoup d'autres régions ont 30,000 fr., c'est-à-dire 5,000 fr. de plus que nos ministres plénipotentiaires à Paris et à Berlin !

Messieurs, je vous le demande à tous, ces faits ne sont-ils pas la réfutation la plus complète, la plus décisive des propositions de la section centrale? Et j'ajoute: Ne doivent-ils pas faire croire que le gouvernement s'est peut-être laissé aller trop loin par le désir de satisfaire à ce qu'il a considéré comme le vœu des chambres ?

Je viens d'examiner la question du budget des affaires étrangères au point de vue politique ; il me resterait à l'examiner au point de vue commercial.

L'heure où la chambre se sépare est arrivée; je me sens moi-même fatigué; je vous demanderai, messieurs, de continuer à la séance à demain. (Oui ! oui !)

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.