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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 12 avril 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1225) M. Dubus procède à l'appel nominal à une heure. La séance est ouverte.

M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre :

« Le comte de Robiano-Borsbeek présente des considérations contre le projet de loi sur l'enseignement moyen. »

- Dépôt sur le bureau, pendant la discussion du projet de loi et renvoi à la section centrale.


« Plusieurs habitants de Santbergen prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen.

« Même demande de plusieurs habitants des communes de Kerkxken, Caulille, Mabompré, Noordschote, Solre-Saint-Géry, Leeuwergem. »

- Même décision.


« Plusieurs habitants de Humbeek demandent que, dans les provinces flamandes, les administrations provinciales et communales et, autant que possible, les tribunaux fassent exclusivement usage de la langue flamande, qu'il y ait une section flamande à l'Académie de Bruxelles, et que la langue flamande jouisse, à l'université de Gand et aux établissements d'instruction publique de l'Etat, des mêmes prérogatives que la langue française. »

- Même décision.


« Plusieurs habitants du canton de Vilvorde demandent que l'enseignement de la langue flamande soit obligatoire dans les établissements d'instruction publique des provinces flamandes, qu'on y soit tenu de faire usage de cette langue pour enseigner l'allemand et l'anglais, que le programme des études comprenne l'histoire de la littérature flamande et que les ouvrages donnés en prix soient publiés par des auteurs belges et choisis également dans les deux langues. »

- Même décision.


« Plusieurs habitants de Thielt prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen ou du moins de le modifier profondément.

« Même demande de plusieurs habitants de Pitthem, Denterghem, Sotteghem, Alost, Heldergem, Ayghem, Adinkerke, Belleghem, Furnes, Gheel, Luingne, Saint-Nicolas, Horrues-lez-Soignies, Evergem, Melsbroek, Schelle, Hennuyères, Hamme, Audenarde, Neeryssche, Louvain, Vossem, Nederockerzeel, Rhodes-Saint-Agathe, Heverlé, Wilzele, Linden, Leefdael. »

- Même décision.


« Plusieurs habitants d'Anvers présentent des observations contre le projet de loi sur l'enseignement moyen. »

- Même décision.


Par vingt-six messages en date du 10 avril, le sénat informe la chambre qu'il a donné son adhésion à autant de projets de naturalisation ordinaire.

- Pris pour notification.

M. Moxhon, retenu par une indisposition, demande un congé.

- Ce congé est accordé.

Projet de loi établissant des conseils de prud’hommes à Boussu et à Pâturages

Rapport de la section centrale

M. H. de Baillet. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif à l'établissement de conseils de prud'hommes à Boussu et à Pâturages.

- Ce rapport sera imprimé et distribué; il figurera à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi sur l’enseignement moyen

Discussion générale

M. le président. - Le premier orateur inscrit pour le projet est M. Destriveaux ; mais il a cédé son tour de parole à M. Fontainas. La parole est à M. Fontainas.

(page 1129) M. Fontainas. - Messieurs, le plus grand, le plus sacré de tous nos devoirs, individus, administrations publiques, c'est, sans contredit de former, de développer l'esprit et le cœur de la jeunesse, par de bonnes, par d'utiles institutions.

A ce point de vue, je n'hésite pas à reconnaître que la mission du gouvernement est de jouer un rôle actif et sérieux dans l'enseignement.

Si, dans le grand mouvement des esprits qui s'opère autour de nous, il restait insouciant, s'il ne contribuait pas ardemment à doter le pays d'institutions vraiment nationales pour l'instruction de la jeunesse, il abdiquerait en quelque sorte; car il méconnaîtrait, en engageant gravement sa responsabilité morale, les conditions essentielles de son existence future. Il oublierait cette vérité généralement admise, que les institutions font les hommes ce qu'ils sont. Un homme, comme l'a fort bien dit J.-B. Say, n'est pas seulement producteur et consommateur; non, il est avant tout citoyen. Comme tel, il doit avoir le sentiment de sa dignité, de sa valeur personnelle. Comme tel, il lui faut les lumières qui civilisent et moralisent la société.

Le Congrès national, cette grande et patriotique assemblée, comprenait parfaitement ces vérités; témoin l'article 17 de la Constitution.

La rédaction de cet article a fait naître la question de savoir si l’instruction aux frais de l'Etat était obligatoire pour lui, ou seulement facultative.

Une fois la question résolue dans le premier sens, le principe fut mis à exécution par la loi du 27 septembre 1835, organique de l'enseignement supérieur, et par la loi du 23 septembre 1842, organique de l’enseignement primaire.

Pour mieux faire comprendre l'immense importance de la question, pour mieux justifier l'altitude prise par le gouvernement, j'aime à dire avec un jeune et savant professeur de l'athénée de Tournay : « S'il est vrai, comme on n'en peut douter, que c'est dans une instruction publique bien ordonnée que réside la solution des difficultés qui agitent et affligent notre siècle si remarquable d'ailleurs, est-il une des trois grandes divisions de l'instruction qui mérite plus de sollicitude que l'enseignement moyen ?

« Il prend l'homme dans l'adolescence, âge ou s'opèrent chez lui des révolutions organiques importantes, âge où il commence à s'apercevoir de ce qui se passe en dehors de sa famille, à sentir naître en lui des forces qu'il n'avait pas encore soupçonnées, et dont nul ne peut mesurer la mystérieuse puissance,

(page 1130) Outre que cet enseignement peut réparer le dommage d'une instruction primaire défectueuse, c'est lui surtout qui imprime dans le cœur et dans l'esprit du jeune homme, au moment le plus décisif de la vie, les principes purs et immuables qui doivent le prémunir contre les fausses doctrines qu'il pourra trouver bientôt sur son chemin. C'est lui qui développe dans tous les sens son intelligence et la prépare à l'étude des diverses professions qui plus tard s'offriront à son choix.

« L'enseignement moyen est donc le pivot de l'éducation ; et ce n'est pas sans raison que nous adjurons les hommes sérieux de toutes les opinions d'unir sincèrement leurs efforts pour combler les lacunes de l'enseignement actuel, et de suspendre du moins, par pitié pour ce qu'ils ont de plus cher, des divisions funestes dont la postérité nous demandera compte. »

J'applaudis donc aux généreux, aux courageux efforts du gouvernement pour compléter l'enseignement à tous les degrés. Il doit y intervenir; c'est son droit, c'est son devoir.

Mais le projet de loi répond-il aux nécessités de l'époque, aux besoins d'une bonne et solide instruction ? Répond-il aux justes exigences du libéralisme sincère et vrai que nous professons?

Sur presque tous ces points, j'incline pour l'affirmative ; toutefois, je me réserve de combattre certaines tendances, certaines velléités de centralisation trop absolue.

Au milieu des questions plus ou moins brûlantes qui sont agitées à l'occasion du projet de loi, il en est une surtout qui déjà dans cette enceinte, comme en sections, a servi de texte à de longs discours, provoqué un certain luxe d'amendements.

Je veux parler de l'article 8 si vivement et si injustement attaqué.

Hier, M. le ministre de l'intérieur a déjà, dans une brillante improvisation, repoussé les reproches d'immoralité, d'athéisme, si peu charitablement adressés au projet de loi.

Je reprends l'examen de l'article 8.

Je ne me passionne ni pour ni contre ce texte, mais je félicite le gouvernement de l'avoir produit.

Ce texte, messieurs, est, si je puis ainsi dire, un terrain neutre où tous les esprits peuvent se rencontrer, où tous les hommes sages et modérés, libéraux et catholiques tolérants, peuvent loyalement se donner la main et ajourner leurs querelles de parti.

L'honorable M. Dumortier a dit que la loi ne doit pas être faite dans un esprit de parti.

Je ne veux pas contrarier l'honorable M. Dumortier, dont personne plus que moi ne respecte le patriotisme ardent; mais il me semble que ce reproche, l'honorable M. Dumortier ne l'eût point fait, s'il se fût donné la peine de lire bien attentivement le projet de loi, et de se pénétrer convenablement de ton esprit.

Pour tout homme qui n'est pas sous l'influence de je ne sais quelle préoccupation, le gouvernement a, par l'article 8, fort sagement concilié deux principes qui ont, je le sais, de chauds, d'énergiques défenseurs ; le principe religieux, l'indépendance du pouvoir civil.

Les ministres des cultes, dit la loi, seront invités à donner ou à surveiller l'enseignement religieux.

Je vois dans ce texte, et tout autre, à moins d'être myope ou de fermer les yeux à la clarté, doit y voir, comme moi, un hommage de déférence et de respect. Le gouvernement admet l'enseignement religieux, il admet que les ministres des cultes seront invités à le donner ou à le surveiller. C'est aux ministres des cultes que, tout d'abord, il s'adressera.

Telles sont bien les conséquences de l'article 8, honnêtement, loyalement interprété.

Pour le contester, il faudrait supposer aux auteurs de la loi une insigne déloyauté.

Et, messieurs, je ne fais à personne, pas plus à mes ennemis qu'à mes amis politiques, l'injure de croire à leur mauvaise foi.

Adversaires de la loi, que voulez-vous donc? L'enseignement religieux? Mais on l'admet. L'enseignement religieux donné par les ministres des cultes? Mais on l'admet; toutefois avec sagesse, avec cet esprit de prévoyance sans lequel un gouvernement compromet son avenir.

Le gouvernement devait-il aller plus loin? Devait-il ne pas s'arrêter devant la limite où commençait fatalement pour lui l'oubli de ses devoirs et de sa dignité?

Devait-il proposer que les ministres des cultes donneraient seuls l'enseignement religieux?

Devait-il proposer que cet enseignement, nécessairement donné par le clergé, serait obligatoire?

Je n'hésite pas à répondre négativement.

Déclarer obligatoire l’enseignement religieux donné nécessairement par le clergé, ce serait décréter son intervention dans les établissements de l'Etat, à titre d'autorité. Or, cela n'est point admissible.

La raison et le bon sens ne disent-ils pas qu'admettre obligatoirement l'enseignement religieux donné par le clergé, ce serait enlever au gouvernement, en cas de refus ou de conflit, toute liberté d'action et rompre l'équilibre?

Je m'explique : aux termes de la Constitution, l'Eglise est complètement indépendante de l'Etal; l'Etat, à son tour, doit être complètement indépendant de l'église.

Que diriez-vous, catholiques tolérants et de bonne foi, si l'Etat, sous prétexte de haute surveillance et de protection, prétendait contrôler vos établissements ou y intervenir d'une manière quelconque?

Vous protesteriez hautement, et vous auriez raison. Vous n'auriez point assez d'anathèmes pour condamner, pour flétrir cette impiété inconstitutionnelle, et vous auriez raison !

L'Eglise est libre, diriez-vous; désormais émancipée, elle saura se conduire, elle saura marcher sans s'appuyer sur le bâton de votre expérience à vous, gouvernement; elle n'a nul souci, nul besoin de votre tutelle ; vous le diriez, et vous auriez raison !

Mais, je le demande à votre loyauté, l'Etat ne doit-il pas pouvoir s'armer de votre logique et dire, lui aussi : Je suis libre, indépendant, et cette liberté dont les autres jouissent, moi qui constitutionnellement suis l'expression de la volonté nationale, je dois pouvoir en jouir à mon tour. Ce que vous, catholiques, vous demandez : principes religieux, principes d'ordre et de sagesse; moi gouvernement qui ne suis point athée, je le veux aussi ; mais je le veux, dans la plénitude de mon indépendance, c'est-à-dire sans faiblesse, sans abdication et loyalement, qu'avez-vous donc à craindre ?

Le gouvernement ignore-t-il que, dans ce siècle d'égoïsme et d'incrédulité en toutes choses, il faut répandre abondamment les principes d'ordre et de vertu?

Ignore-t-il, le gouvernement, que, dans ces temps de convulsions douloureuses et de laborieux enfantements, il doit développer le cœur et l'intelligence de la jeunesse avec la plus tendre, la plus vive sollicitude?

Oui, le gouvernement doit remplir cette belle et sainte mission en respectant la liberté que nous avons conquise en 1830 et que le Congrès national a si admirablement organisée!

Oui, la liberté en tout et pour tous, voilà le principe que nous voulons sauvegarder et que respecte l'article 8.

Voilà le drapeau autour duquel, enfants du même pays, nous devons aimer à nous grouper, à nous embrasser tous dans un commun sentiment de dévouement et de fraternité.

À ceux qui réclament l'enseignement religieux donné obligatoirement par le clergé, permettez-moi de répondre encore qu'il ne s'agit point d'internats où l'instruction et l'éducation, se liant intimement, sont inséparables.

Il s'agit d'établissements où les jeunes gens ne feront, pour ainsi dire, que passer, car ils vivront presque constamment au sein de leur famille. C'est le cas de dire avec un homme dont je respecte l'immense talent, avec Thiers :

« Le collège peut quelque chose sur la jeunesse; il peut moins, beaucoup moins que la famille. De quelque manière qu'on s'y prenne, on fera difficilement une génération autre que la société au milieu de laquelle elle est placée. »

Messieurs, dans l'examen de questions de cette importance et de cette nature, il y a malheureusement et toujours de la passion; or, vous le savez, la passion est comme cet autre travers de l'esprit humain, la prévention; elle envenime les choses les plus innocentes, travestit les intentions les plus sages, et souvent nous fait voir ce qui n'existe pas en réalité. De là, sans doute, ce reproche grave fait à la loi, reproche qui, je l'avoue, m'a péniblement affecté.

On a dit : Eh quoi, vous admettez comme rentrant dans le cercle de l'enseignement, section des humanités, les éléments des arts graphiques, la musique vocale et la gymnastique, et pour la religion, vous n'avez pas un mot; et dans votre nomenclature, vous ne daignez pas même parler de l'enseignement religieux ! Erreur, oubli sans doute involontaire. Car on consacre tout un article (le 8ème) à l'enseignement religieux; et si le reproche était fondé, je protesterais à mon tour. Libéral, c'est-à-dire ami du progrès et tolérant, je ne voudrais pas m'associer à un acte de dédaigneuse indifférence.

Evitant toute confusion dangereuse, le gouvernement a fort sagement respecté le grand principe de la liberté de conscience et le principe non moins sacré de l'indépendance du pouvoir civil.

Et qu'est-ce à dire? La loi de notre temps n'est-elle pas de ramener le sentiment religieux par la plus complète liberté de conscience, et la stabilité sociale par le plus haut degré de liberté civile? (Villemain.)

Messieurs, ne vous trompez pas sur le sens de mon argumentation.

Je suis de ceux qui acceptent l'enseignement religieux, mais dans le sens vraiment libéral et constitutionnel du projet de loi ; je suis de ceux qui veulent essentiellement une bonne éducation; car, il faut bien le reconnaître, l'égoïsme humain ne saurait capituler que devant une forte éducation de l'âme et un travail intérieur qui conduisent au détachement et à l'abnégation.

L'honorable M. Dumortier a vivement combattu le principe déposé dans l'article 10 ; il ne veut pas qu'il soit obligatoire de n'admettre que des professeurs diplômés dans les établissements d'instruction moyenne créés soit par l'Etat, soit par la province, soit par la commune.

Je viens, au contraire, défendre le principe de l'article avec l'énergie d'une conviction profonde.

Messieurs, il est des rigueurs auxquelles il faut tenir; il est des conditions précieuses, quand elles ne font que régulariser l'exercice, la jouissance de la liberté.

Tel est bien le caractère de la loi. La direction de la jeunesse ne doit pas être facilement livrée à tout venant. Il existe, comme on l'a fort bien dit, des différences essentielles entre la liberté de la presse et la liberté d'enseignement.

« La presse agit à ciel ouvert, en sens divers, sur des citoyens majeurs. L'enseignement au contraire agit dans l'intimité, en un seul sens, sur des mineurs. »

(page 1131) Eh quoi? Pour l'exercice de tant d'autres professions qui n'intéressent pas au même degré l'avenir, l'existence de la société, on pose des conditions, on exige des certificats de capacité, et pour l'enseignement public, nous serions d'une tolérance aveugle, je dirai d'une coupable indifférence?

Mais ceux qui décident du sort, des destinées de la jeunesse; mais, si l'expression est permise, les médecins de l'âme ne doivent-ils pas, à bien plus forte raison, être dans les meilleures conditions d'aptitude, de capacité, de moralité?

Exiger des conditions d'admissibilité, ce n'est pas, messieurs, restreindre la liberté; au contraire, c'est la rendre nécessairement utile, nécessairement bienfaisante.

Et comment donc l'honorable M. Dumortier, lui qui, je pense, a voté pour la loi sur l'enseignement primaire, comment peut-il combattre le principe consacré par l'article 10?

Exiger un certificat ou diplôme, c'est, dit-on, porter atteinte à la liberté? Mais d'où vient que ce scrupule ait sommeillé pendant la longue discussion de la loi du 23 septembre 1842, et ne fasse explosion qu'en 1850, à l'occasion de la loi sur l'enseignement moyen ?

Aux termes de l'article 10 de la loi sur l'enseignement primaire, les conseils communaux doivent, sauf l'exception prévue au paragraphe 2, choisir leurs instituteurs parmi les candidats qui justifient d'avoir fréquenté avec fruit, pendant deux ans au moins, les cours de l'une des écoles normales de l'Etat, les cours normaux adjoints par le gouvernement à l'une des écoles primaires supérieures, ou les cours d'une école normale privée, ayant, depuis deux ans au moins, accepté le régime d'inspection établi par la loi.

Ce que vous avez jugé bon, utile, opportun pour l'enseignement primaire, pouvez-vous le condamner en 1850, à l'occasion de l'enseignement moyen ? Mais entendons-nous.

Nous voulons, parce que nous sommes libéraux, de la morale, des principes religieux ; mais nous les voulons sagement, constitutionnellement, tout en respectant l'entière indépendance du pouvoir civil.

Toutefois, si je veux des garanties qui tranquillisent les pères de famille, ce n'est pas à dire pour cela que j'accepte la prétention de faire sortir, en quelque sorte, d'un même moule tous les aspirants au professorat. Je prétends qu'on ne doit créer pour personne, ni embarras, ni entraves. Donc il ne faut pas consacrer le principe que ceux-là seront uniquement admissibles qui sortiront de telle ou telle école normale exclusivement créée par l'Etat.

Messieurs, je l'ai déjà déclaré; j'approuve la loi dans son ensemble, dans son esprit ; ce qui ne veut pas dire que j'en accepte toutes les dispositions, tous les principes.

Le Congrès national nous a légué la liberté d'enseignement. Cette liberté ne doit pas, quelque soit le prétexte, être mutilée; elle perdrait sa dignité en devenant un privilège.

Le gouvernement s'est-il bien rappelé cette vérité? J'aime à le croire ; et cependant, dans la crainte d'un abus réel (j'en conviens) il s'est, par une certaine exagération, jeté dans un autre abus.

J'admets volontiers des établissements modèles créés par l'Etat avec le concours sérieux de la commune; je reconnais même avec M. Coume, professeur au collège de Liège, qu'un enseignement national est aussi nécessaire pour obvier aux abus de la liberté que pour prévenir les abus du monopole.

Mais je dis que si, par une centralisation trop absolue, on restreint sensiblement les prérogatives de la commune, ou aura malheureusement inauguré un système peu en harmonie avec le libéralisme de nos institutions.

Telles ne sont pas, j'en suis convaincu, les tendances, les intentions du ministère; mais telles sont cependant les conséquences de certaines dispositions du projet de loi.

Voyons, tout d'abord, l'article 20. Il impose à la commune des charges assez lourdes, sans compensation, sans réciprocité sérieuses; et si la commune a déjà un établissement d'instruction moyenne qu'elle veut maintenir, devra-t-elle contribuer aux frais de l'établissement rival que le gouvernement aura créé dans le voisinage?

Messieurs, dans un pays comme le nôtre, où les franchises communales ont poussé de si profondes racines, où les libertés politiques et constitutionnelles, sont, pour ainsi dire, proverbiales, il ne peut pas être admis que l'Etat emprunte les ressources de la commune et ne lui donne, en retour, qu'une trop faible part d'influence morale et d'autorité.

L'article 51 est aussi le produit, à mon avis, d'une assez malheureuse inspiration.

Je veux bien admettre que le gouvernement subordonne son concours, ses subsides à des conditions plus ou moins sévères ; mais qu'il aille jusqu'à se réserver exclusivement le droit de nommer tout le personnel des athénées et des écoles moyennes; mais qu'il réserve à lui seul le droit de révoquer les professeurs près les établissements exclusivement communaux ou provinciaux; mais permettre au gouvernement ce que, au nom de la justice, de la liberté pour tous, je reproche à l'épiscopat belge, voilà, messieurs, une inconséquence, ou plutôt une faute dont je ne veux pas, en m'y associant, assumer la responsabilité.

Et puis, vient un autre principe contre lequel ma conscience se roidit, principe avec lequel il me serait bien difficile, pour ne pas dire impossibles de capituler.

Ce principe est dans l'article 6 dont voici les termes :

« Les résolutions des conseils, communaux, portant fondation d'un établissement d’instruction moyenne, sont soumises à l'avis de la députation permanente du conseil provincial et ne peuvent recevoir leur exécution qu'après avoir été approuvées par le Roi.

« Par suite de la présente loi, les communes auront à décider, endéans les trois mois, si elles entendent maintenir les établissements d'instruction moyenne dans lesquels elles interviennent soit directement soit indirectement, et dans quelle catégorie elles veulent les faire rentrer. Ces résolutions sont soumises à l'avis de la députation permanente du conseil provincial et à l'approbation du Roi.

« Les communes ne peuvent déléguer à un tiers, en tout ou en partie, l'autorité que les lois leur confèrent sur leurs établissements d'instruction moyenne. »

Les communes sont libres aujourd'hui et l'on prétend assez brusquement leur enlever le droit d'initiative, la force de spontanéité!

Vous craignez l'abus, dirais-je au ministère, mais rappelez-vous que l'abus est dans la nature des choses et que le bon sens, qui est la sagesse des nations, finit toujours par triompher.

J'admets que telle ou telle commune ne sera pas toujours à la hauteur de sa mission ; j'admets, l'histoire me force malheureusement de le reconnaître, que telle ou telle commune se laissera déborder par des craintes chimériques, par des influences antilibérales.

Mais, pour des communes retardataires, faut-il nécessairement, fatalement sacrifier une des plus précieuses prérogatives de toutes les communes?

Et puis, messieurs, la garantie des élections n'est-elle pas toujours là?

Le pouvoir communal est impérissable. Au contraire, les mandataires de la commune passent et tombent pour faire place à des intelligences nouvelles plus au niveau des progrès et de la civilisation.

Et puis encore, n'y a-t-il pas une certaine mobilité dans les opinions que le gouvernement représente? Un jour, ne pourrait-il pas, lui aussi, soit par inintelligence des vrais besoins de l'époque, soit par esprit d'hostilité à tel ou tel parti, ne pourrait-il pas abuser du pouvoir exclusif qu'on lui aurait abandonné?

Qui vous dit que demain, après-demain, un changement ministériel ne jettera pas le doute et l'inquiétude dans l'esprit de ceux-là mêmes qui comptent sur le libéralisme et les bonnes intentions du cabinet actuel?

Je ne prétends pas, sachez-le bien, combattre la loi dans son ensemble, moins encore dans l'esprit qui la domine. Mais, mandataire de la commune, dévoué sincèrement de corps et d'âme à tous ses intérêts, à la défense de toutes ses libertés, je combattrai partout et toujours l'amoindrissement de son importance et de ses prérogatives.

Et qu'arrivera-t-il, en définitive, si nous respectons le droit, pour la commune, d'ériger librement des établissements d'instruction moyenne, d'en nommer, d'en révoquer librement les professeurs? Il y aura sans doute encore des abus, des mécomptes, mais pourquoi s'étonner? Quand on vit sous un régime libéral et constitutionnel, loin de se désoler de certains écarts, il faut presque s'en applaudir en disant avec un auteur justement célèbre : « Les tiraillements de l'opposition, dans une société, sont comme les dissonances en musique ; isolées, elles blessent l'oreille; dans leur ensemble, elles finissent par opérer l'accord parfait. »

J'appuie donc l'avis de la majorité de la section centrale qui n'admet pas sans modifications l'article 6, et je soutiens qu'une part plus large d'influence morale et d'autorité doit être attribuée à la commune; je soutiens aussi que l'article6 doit être sérieusement, profondément modifié.

Mais si, par respect pour les libertés communales, je combats certaines dispositions du projet de loi, n'allez pas en tirer de fausses conséquences. Je ne reconnais pas moins, et sans hésitation, qu'il faut enlever aux communes la faculté de déléguer à un tiers, en tout ou en partie, l'autorité que les lois leur confèrent sur leurs établissements d'instruction moyenne.

Je ne reconnais pas moins, et sans hésitation, que les communes ne doivent pas pouvoir prendre des établissements sous leur patronage sans l'avis conforme de la députation.

Ces principes, messieurs, sont fort sages. Ils ne restreignent aucune liberté. Ils enlèvent seulement aux communes le triste privilège de se suicider.

Les communes ont des attributions nettement définies par la loi qui les organise. Bien qu'elles constituent des sociétés à part, ayant des intérêts, un pouvoir, un territoire qui leur sont propres, elles n'en font pas moins partie de l'Etat. Dès lors, leurs attributions doivent se concilier, s'harmoniser avec le système qui régit l'ensemble de l'association politique.

Déléguées, si je puis ainsi dire, pour exercer une partie de l'administration générale, elles ne doivent pas pouvoir déléguer à d'autres un droit qui réside, qui doit résider en elles seules; elles ne doivent pas pouvoir aliéner, sans une autorisation spéciale, leurs devoirs de tutelle directe, de protection immédiate.

Messieurs, le meilleur des maîtres, c'est l'expérience; la plus imposante autorité, c'est incontestablement l'histoire. Eh bien, consultons l'histoire des dernières années, et nous approuverons l'intervention du gouvernement dans l'instruction, et nous serons tous convaincus de l’indispensable nécessité des principes déposés dans le dernier paragraphe de l'article 6 et dans l'article 32. L'intervention de l'Etat est nécessaire; tous les ministres qui se sont succédé au pouvoir l'ont reconnu; l'honorable (page 1132) comte de Theux, tout comme l'honorable M. Van de Weyer, et, comme ce dernier, l'honorable chef actuel du département de l'intérieur.

En effet, et cette considération répond au principal argument des adversaires de la loi, l'honorable comte de Theux, alors ministre, n'admettait-il pas, en 1846, la création immédiate de dix athénées de l'Etat, dirigés et administrés exclusivement par le pouvoir central ?

Dans sa probité politique, l'honorable comte de Theux ne venait-il pas, en quelque sorte, protester contre des tendances antilibérales, des prétentions exorbitantes, quand il disait : Les conseils communaux pourraient se concerter avec l'autorité ecclésiastique pour assurer à leurs collèges les garanties morales et religieuses, sans toutefois (entendez-le bien), sans toutefois « déléguer le droit de nomination et de révocation ». (Quatrième projet de loi sur l'enseignement moyen, présenté à la chambre sous forme d'amendement, en 1846, par M. de Theux. Voir le rapport de M. de Dequesne, p. 6 et 7.)

J'ai dit que si nous consultons l'histoire des derniers temps, nous serons tous convaincus de l'indispensable nécessité des principes déposés dans l'article 32 et dans le paragraphe dernier de l'article 6.

Je dois justifier cette allégation. Avant-hier, l'honorable M. Dumortier lisait un passage d'un rapport de M. le ministre de l'intérieur. Je dois suivre cet exemple.

Voici, messieurs, le rapport sur l'état de l'instruction moyenne en Belgique, 1842-1848, p. 4; il prouve, et c'est un malheureux aveu, que plus d'une commune n'a pas eu grand souci de son pouvoir, de ses attributions. Voyez plutôt : « Dans les provinces d'Anvers, de Brabant, de la Flandre occidentale, de la Flandre orientale, du Hainaut, de Liège, du Limbourg et de Namur, on voit des conseils communaux traiter avec MM. les évêques, leur abandonner la direction des établissements d'instruction, la nomination et la révocation des professeurs, etc. »

Je le dis sans colère, sans passion, en vertu de délibérations de plusieurs conseils communaux, on voit, messieurs, les évêques s'emparer de l'instruction et les administrations locales légitimer cette espèce d'usurpation ou de confiscation par des sacrifices assez lourds.

(L'orateur lit différents extraits du rapport sur l'instruction moyenne en Belgique.)

Voilà ce que dit, voilà ce que nous apprend l'histoire.

Et maintenant, en présence de ce témoignage tout puissant, est-il encore possible de contester l'utilité des principes consacrés par l’article 32 et par le paragraphe dernier de l'art. 6?

Est-il possible encore de soutenir que beaucoup de communes ne doivent pas être protégées contre leurs propres faiblesses?

Je m'arrête ici, et je dis en me résumant : Rédigé dans d'excellentes intentions, le projet de loi ne méritait pas les superbes et dédaigneuses tirades dont on l'a gratifié.

Il présente sans doute des défectuosités, et je n'ai point hésité à les combattre; sans doute il faut le dégager de tout alliage et le produire dans la plus grande pureté de principe.

Mais il ne faut pas vouloir l'impossible; la perfection est comme le bonheur absolu : une ombre vainc, insaisissable.

Soyons donc justes, et nous approuverons le projet de loi dans son ensemble; sauf, bien entendu, le respect religieux des antiques franchises, des précieuses libertés communales.

Soyons justes, et nous reconnaîtrons que, dans une question de cette importance, il n'est point permis d'être intolérant ni d'obéir à ses rancunes de parti.

Oui, amis ou ennemis du ministère, soyons justes avant tout, c'est le moyen d'être libres; car, on l'a dit, l'homme n'est jamais plus libre que quand il assujettit ses passions à la raison, et sa raison à la justice.

(page 1125) M. Thibaut. - Messieurs, l'intérêt qui s'attache à la discussion du projet de loi sur l'enseignement moyen n'a pas seulement pour motifs l’importance de la matière et la longue attente du pays. La Belgique tout entière suit avec anxiété nos délibérations, parce que l'œuvre à laquelle nous travaillons, ou bien nous entraînera dans le fatal tourbillon qui agite, fatigue et tourmente nos voisins, ou bien nous aidera à préserver l'avenir des malheurs qui nous ont épargnés jusqu'ici.

Nous faisons donc de la politique sociale, au milieu de circonstances bien graves. Si un honorable ministre a pu dire, il y a quelques jours, à la tribune française, qu'en France, le principal devoir d'un citoyen est de sauver la société, je dirai qu'en Belgique, notre principal devoir est de conserver la société sur des bases qui ne sont pas encore ébranlées. Je n'hésite donc pas à déclarer que, fût-on dans le vrai en abritant derrière la Constitution une loi que je crois dangereuse pour la société, je ne lui donnerai pas mon adhésion.

Vous dites que la loi que vous proposez est l'accomplissement d'une prescription constitutionnelle; vous soutenez qu'en présence de notre pacte fondamental, vous ne pouvez pas proclamer d'autres principes que ceux qu'elle renferme. En fût-il ainsi, messieurs, je dois combattre une loi que je crois mauvaise.

Mais est-il vrai que la Constitution impose à la législature l'obligation d'organiser l'enseignement moyen? Est-il vrai surtout que l'esprit du projet de loi est l'esprit même de la Constitution? Non, messieurs, et d'abord je dis que vous pourriez, sans violer le paragraphe 2 de l'article 17, déclarer que vous n'organiserez pas d'enseignement moyen, aux frais de l'Etat et sous sa direction.

Permettez-moi de vous rappeler l'un des actes législatifs les plus importants qui aient été provoqués par le ministère :la loi des incompatibilités. Avez-vous violé la Constitution, en statuant que l'exercice de certains emplois était incompatible avec le mandat de membre de l'une ou de l'autre chambre? Vous ne le pensez pas. Et cependant l'article 36 suppose à tout fonctionnaire le droit de siéger dans la représentation nationale, puisqu'il ne le soumet qu'à la réélection si les fonctions lui ont été accordées pendant son mandat. Or, si vous avez pu distinguer, en présence de cette disposition, vous pouvez aussi distinguer en présence de l'article 17. De même que vous avez interprété l'article 36 en ce sens que tout fonctionnaire nommé à un emploi qui n'est pas déclaré incompatible avec le mandat de membre des chambres, est soumis à réélection, vous devez interpréter l'article 17 en ce sens que toute instruction qu'il sera reconnu nécessaire de donner aux frais de l'Etat sera réglée par la loi. Dès lors, vous pouvez ne donner aucune instruction aux frais de l'Etat, comme vous pouvez ne donner que l'instruction primaire et l'instruction supérieure, ou une instruction spéciale comme, par exemple, celle qui est le but de l'école du génie civil. En un mot, vous devez, avant de décréter un enseignement, consulter les besoins du pays.

Nous pouvons donc nous demander, messieurs, s'il est utile de donner un enseignement moyen aux frais de l'Etat ; et pour entrer spécialement dans la discussion même du projet de loi, nous devons examiner si l'enseignement qu'il propose est favorable au progrès des études, s'il est destiné à produire un bien social. On m'accordera certainement que la Constitution ne permet pas à l'Etat de donner un enseignement antisocial.

Pour moi, je le déclare franchement, j'ai la conviction que l'enseignement, organisé comme vous le proposez, ne réalise ni l'une ni l'autre des deux conditions que je viens d'indiquer.

Vous voulez d'abord former un corps professoral, lequel corps, suivant l'expression de l'honorable rapporteur de la section centrale, est l'âme et la vie de toute instruction.

Or, êtes-vous assurés que les membres de ce corps auquel vous garantissez la propriété de toutes les places de professeurs dans l'enseignement public, seront constamment sains et aptes à remplir les fonctions auxquelles vous les destinez? Vous prenez cependant l'engagement de les placer tous, de les occuper tous, de les mettre tous en action sur la jeunesse. Si donc il arrivait, et il arrivera, j'ose le prédire, s'il arrivait que quelques-uns d'entre eux fussent gangrenés, ils iront infecter les sources de la science auxquelles vous invitez la jeunesse à venir puiser. S'il arrivait et cela arrivera, j'ose encore le prédire, que quelques-uns ne fussent pas à la hauteur de leur mission scientifique, le niveau des études baissera jusqu'à eux.

D'ailleurs, la certitude qu'ils auront d'être placés, leur inamovibilité de fait, diminueront leur ardeur à se perfectionner par le travail.

Mais, nous disait hier M. le ministre de l'intérieur, il faut restreindre le cercle de ceux qui peuvent aspirer aux places de professeurs. Vous, vous voulez, au contraire, éveiller les appétits, les ambitions de tout le monde.

En entendant ces paroles, je me rappelais celles que venait de prononcer l'honorable baron Osy : Il n'y a que le premier pas qui coûte ; le temps n'est peut-être pas éloigné où l'on mettra pour condition à l'obtention d'une place quelconque, l'obligation d'avoir étudié préalablement dans un établissement de l'Etat.

En effet, le raisonnement de M. le ministre ne peut-il pas s'appliquer à toutes les catégories de fonctionnaires? Ne faut-il pas, par exemple, diminuer le nombre des concurrents pour les places de notaire, déjuge, d'avoués? N'éveillons-nous pas les appétits, les ambitions de tous, en proclamant le principe que les fonctions doivent être confiées aux plus dignes, sans distinction?

Si toutes les carrières sont encombrées, messieurs, cela tient en partie à ce que les moyens d'acquérir une instruction inutile sont déjà trop nombreux, trop faciles ; cela tient aussi à ce que, trop souvent, les emplois sont accordés par faveur, sans égard au mérite.

Mais ce serait un étrange remède au mal qui est signalé, que d'accorder un privilège aux hommes sortis de tels ou tels établissements.

Après avoir créé un corps professoral, vous faites un programme d'études où vous n'oubliez peut-être rien de ce qui peut orner l’esprit et par (page 1126) conséquent exciter l'ambition, mais où vous oubliez ceux qui peuvent former le cœur de la jeunesse, lui inspirer des sentiments de modération et d'obéissance, c'est-à-dire la morale et la religion. Et cependant vous n'ignorez pas que les hommes sont portés naturellement au mal. Quel frein imposerez-vous aux inclinations vicieuses, non seulement des élèves, mais aussi des professeurs? Comment pouvez-vous espérer que les professeurs respecteront les enfants qui leur seront confiés, s'ils vivent dans une atmosphère exclusivement profane? Comment les enfants se pénétreront-ils de l'esprit religieux s'ils ne voient pas dans toute leur autorité les ministres auxquels Dieu a confié la mission d'enseigner sa loi? Et sans principe religieux, messieurs, que devient la jeunesse dans un pays libre, que devient la nation elle-même, que devient la société?

Vous croyez avoir tout fait, quand vous écrivez dans la loi que le clergé sera invité à donner l'enseignement de la religion. Vous vous applaudissez d'avoir trouvé un mot qui renferme tout ce que vous voulez faire pour appeler à votre aide l'élément religieux. Je ne partage pas votre admiration. Il ne suffit pas d'inviter le prêtre, il faut préparer l'athénée, le collège, l'école à le recevoir, et à le recevoir comme représentant de Dieu. Or vous ne faites rien de ce qu'il faut pour cela. Vous pouvez cependant, sans blesser les droits du pouvoir civil dont vous êtes si jaloux, vous pouvez déclarer dans la loi, que tout enseignement aura pour base les principes de la religion professée par la majorité des élèves. Vous pouvez déclarer que les ministres du culte, partout où ils seront présents, pourront exercer la surveillance sur les mœurs et la conduite des élèves. Vous pouvez reconnaître qu'aux ministres du culte seuls appartient le droit d'enseigner la religion. Vous pouvez enfin déclarer que le cours de religion est obligatoire.

Vous pouvez tout cela, sans abaisser le pouvoir civil ; pourquoi ne le faites-vous pas?

Vous prétendez vous montrer soucieux de la dignité du clergé. Vous ne pouvez, dites-vous, l'exposer à désobéir à la loi, à se mettre en révolte ouverte contre la loi. Vous ne pouvez inscrire dans la loi que le clergé donnera l'enseignement religieux, parce qu'il serait obligé de le donner, tandis que vous ne voulez ni ne pouvez enchaîner sa liberté.

Je ferai remarquer en passant que la formule qui soulève maintenant des scrupules si vifs dans l'esprit de M. le ministre de l'intérieur n'est autre que le texte même de l'article 26 du projet de loi qu'il avait déposé en 1834. Que cette formule soit imparfaite, inacceptable même, j'y consens. Non pas précisément, parce qu'il manquerait une sanction à cette prétendue obligation imposée au clergé. Elle eût manqué également au projet de 1834, ce qui n'arrêtait pas M. Rogier; mais l'article 10 du projet actuel nous offre une meilleure rédaction, c'est celle-ci : ne pourront être appelés à donner l'enseignement religieux et moral que les ministres des cultes, autorisés par leurs supérieurs. Quelle objection pourriez-vous faire contre une disposition conçue en ces termes? Direz-vous que vous êtes exposés à essuyer un refus? Mais n'en essuyez-vous pas quelquefois de la part de laïques? D'ailleurs pourquoi supposer un refus, si vous ne faites rien pour le mériter? De bonne foi, l'objection n'est pas sérieuse, et je n'en connais pas d'autre.

Je crois avoir assez indiqué les principales raisons qui me font regarder le système d'enseignement proposé par le projet de loi, comme renfermant les plus graves dangers, et j'ai signalé aussi les principales modifications que je désire voir introduites. Il me reste quelques mots à dire sur l'étendue que le projet assigne à l'ensemble de l'enseignement donné par l'Etat, et sur les attributions laissées aux pouvoirs communaux. Le projet de loi est-il, sous ce rapport, conforme à l'esprit de la Constitution?

Le projet comprend 10 athénées, donc chacun comprend deux sections, pour lesquelles l'enseignement sera séparé autant que faire se pourra. C'est donc, de fait, 20 établissements. Le projet comprend 50 écoles moyennes dont la constitution est tellement élastique que chacune pourra se subdiviser eu section préparatoire, école moyenne et collège. Ces cinquante écoles moyennes renferment donc en germe 150 établissements.

Voilà, messieurs, les vastes cadres destinés à enrégimenter la jeunesse belge sous les ordres du ministre de l'instruction publique.

En outre, il y a des cadres de réserve, ce sont les collèges communaux, les écoles moyennes communales, qui seront aussi sous la dépendance du gouvernement. En vain M. le ministre de l'intérieur a-t-il prétendu que les libertés communales étaient sauvegardées; il n'a prouvé qu'une chose, c'est qu'il existe aujourd'hui un enseignement donné aux frais de l'Etat, qui n'est pas réglé par la loi, qui dépend du caprice ministériel, ce qui est inconstitutionnel.

On ne vous a d'ailleurs montré qu'un côté de la médaille, permettez-moi d'en présenter le revers. La commune ne pourra fonder un établissement d'enseignement moyen sans y être autorisé par le gouvernement. La commune ne pourra maintenir un établissement d'enseignement, si le gouvernement trouve qu'il devient inutile.

La commune ne peut choisir des professeurs en dehors du corps professoral créé par le gouvernement. La commune, après avoir été forcée de donner l'investiture à des hommes qui, peut-être, abuseront de sa confiance, ne pourra les révoquer. Si la commune accepte un subside du gouvernement, elle doit, pour son collège, accepter le programme d'études arrêté par le gouvernement, soumettre à l'approbation du gouvernement les livres, les règlements, le programme des cours, le budget et les comptes.

La commune ne peut même patronner purement et simplement un établissement d'enseignement moyen sans l'autorisation du gouvernement.

La commune ne pourra jamais patronner un établissement libre, quand, dans sa circonscription, le gouvernement aura fondé un athénée.

L'autorisation accordée par le gouvernement à la commune de patronner un établissement pourra être retirée en tout temps par le gouvernement, en cas d'abus grave, dont il reste juge. Enfin, les établissements communaux sont soumis à l'inspection des agents du gouvernement.

Voilà, messieurs, un résumé des entraves apportées par le projet de loi à la libre action de la commune. Voilà comment le projet conserve aux conseils communaux le droit de régler ce qui touche à l'un des intérêts communaux les plus importants.

Ajoutez donc aux établissements dirigés exclusivement, directement par le gouvernement, les collèges communaux, les écoles moyennes communales qui seront sous la dépendance du gouvernement, qui seront indirectement mais inévitablement dirigés par le gouvernement, et dites-moi si la place qui restera à la liberté est bien celle que le congrès national lui avait assignée.

Le projet de loi, messieurs, viole l'esprit de la Constitution. Le Congrès national n'avait aucune défiance de la commune ; il ne se défiait que de l'Etat, c'est-à-dire du pouvoir central, du gouvernement.

Le Congrès national avait foi dans la liberté de l'enseignement ; il ne se mettait en garde que contre l'enseignement donné par l'Etat, c'est-à-dire par le gouvernement. Que fait, au contraire, le projet? Il livre au gouvernement les communes pieds et poings liés, si je puis emprunter cette expression appliquée hier aux communes par l'honorable ministre de l'intérieur ; il les courbe, il les met à genoux devant le ministre de l'instruction publique.

Quanta la liberté, il lui permet de vivre, mais en lui retirant, autant qu'il le peut, le pain et l'eau.

M. Toussaint. - Messieurs, si je me suis fait inscrire, dans cette discussion, sur le projet de loi, ce n'est pas dans l'intention d'éluder le terrain brûlant du débat; c'est à l'effet d'être plus à l'aise pour exprimer ma pensée tout entière. Tout en faisant preuve moi-même d'une franchise complète. Je dirai en quoi les autres n'ont pas été complètement francs. Je crois que c'est par la netteté de notre langage que nous pourrons arriver à la conciliation qui doit être notre but à tous. Nous devons désirer de faire une loi pour le plus grand bien du pays en général, et de l'enseignement en particulier. C'est un point de vue qui a été trop oublié dans cette mémorable discussion. On s'est trop préoccupé des questions de lutte, des questions de parti; et pas assez de la question organique de l'enseignement.

Messieurs, il a déjà été admis, il a été avoué, qu'on avait l'intention d'opposer organisation à organisation, que c'était en partie la pensée inspiratrice du projet de loi. Tout au moins est-il clair, et je n'en fais pas un reproche à ceux de mes amis dont c'est la pensée, tout au moins est-il clair qu'ils ont voulu occuper le pays classique à l'égal, avec la même étendue que le parti opposé. Par les dispositions relatives aux communes, il est encore une fois clair qu'on a eu en vue, à l'effet toujours de réaliser cette pensée première, de faire obtenir à l'Etat une notable partie du domaine de l'enseignement.

Par l'institution de l'école normale et par les conséquences qu'on en a fait découler, on montre évidemment le même but d'exclusion et en même temps de la prise de possession la plus exclusive possible, par l'Etat, du terrain de l'enseignement.

Je crois qu'il est parfaitement inutile de le nier. Cela est au fond de toutes les pensées, au fond de toute la discussion, au fond des préoccupations d'une partie de cette chambre.

D'un autre côté, messieurs, on ne doit pas dissimuler non plus qu'en réalité, pour certains membres, la préférence intime est pour l'enseignement du clergé, en tout ce qui concerne la morale et la religion, l'histoire, la philosophie et toutes les sciences qui en dépendent. Ce qui le prouve, c'est l'insistance que l'on met pour avoir, dans la direction suprême de l'enseignement et dans la direction des collèges, une part plus grande que celle qui concerne simplement la religion et la morale. Cela aussi, messieurs, est l'objet des préoccupations de beaucoup d'autres membres de cette chambre.

Eh bien, messieurs, en s'occupant principalement de la bonne organisation de l’enseignement, il eût été, à mon avis, possible de concilier ces deux opinions, au moins dans une certaine mesure, au moins suffisamment pour que la loi reçût une exécution sérieuse, pour obtenir en quelque sorte un laissez-passer des deux opinions.

Ainsi, messieurs , si vous décrétiez une participation plus grande de deux de nos grands rouages politiques, la commune et la province, dans la direction de l'enseignement, ce serait déjà un très grand apaisement. Si, ensuite, vous admettiez au professorat tous ceux qui justifieront de leur capacité d'enseigner, devant un jury impartial, permanent ou autre, ce serait encore un grand point sous le rapport de la conciliation. Ce jury serait une espèce d'autorité judiciaire dont chacun accepterait les décisions.

Quant au nombre d'établissements à organiser par l'Etat sur la surface du pays, si l'on consultait les vrais besoins du pays et non pas le besoin d'opposer tel nombre d'établissements à tel nombre d'autres établissements, alors on ferait taire bien des susceptibilités et on arriverait encore ainsi à une espèce de conciliation de fait, parce qu'on se trouverait devant la vérité.

Or, messieurs, on ne s'est pas attaché à rechercher quel était le nombre d'établissements nécessaire au pays, non pas au point de vue du (page 1127) territoire mais au point de vue des besoins du pays considéré dans son ensemble et en vue des diverses professions utiles auxquelles il s'agit de pourvoir.

Il aurait fallu se garder de se placer aussi exclusivement au point de vue de la satisfaction à donner aux diverses localités.

On n'aurait pas dû se préoccuper de ce point lorsqu'il s'agit de l'enseignement moyen et de la partie supérieure de l'enseignement moyen, de l'enseignement du grec, de l'enseignement du latin, de l'enseignement de l'histoire et de beaucoup d'autres branches qui constituent la partie supérieure de l'enseignement humanitaire.

En effet, messieurs, si vous abondez dans ce sens, après les dix localités que vous aurez satisfaites en leur donnant des athénées, viendront tous les chefs-lieux d'arrondissement et peut-être d'autres villes encore qui toutes auront un égal droit à un enseignement propre à préparer les enfants de quelques familles aux différentes professions que la société offre.

Je crois, messieurs, que dix athénées complètement organisés sont beaucoup trop pour notre pays; je crois que si vous entrez dans cette voie vous commettrez la même faute que vous avez déjà commise lorsque vous avez établi deux universités de l'Etat, lesquelles ont eu immédiatement pour corollaire deux universités libres. Nous ne consultons pas assez le but principal que nous voulons atteindre. Nous ne nous préoccupons pas des véritables intérêts du pays, et par là nous sommes entraînés dans d'énormes dépenses. Nous nous donnons ainsi deux universités faibles, au lieu d'une seule université fortement organisée ; nous nous donnons dix médiocres athénées, au lieu de quatre excellents que nous pourrions avoir.

Ce qui prouve que la partie organique de l'enseignement n'a pas été suffisamment étudiée, c'est la manière dont on parle des écoles moyennes, qui sont cependant une des parties les plus importantes de la loi.

Pour les dix athénées, le projet de loi décrète leur existence ; pour les écoles moyennes, le gouvernement est autorisé à les établir, si cela lui convient. L'auteur du projet de loi ne s'est pas assuré d'avance dans quelles localités il était nécessaire d'établir ces écoles moyennes, puisqu'il n'en mentionne le nombre que d'une manière vague...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y en a déjà trente-huit.

M. Toussaint. - L'interruption de M. le ministre des finances me rappelle un point de vue que j'oubliais. C'est que le projet de loi sur l'enseignement moyen, comme la loi sur l'enseignement supérieur, s'occupe encore une fois de consacrer, sans examen, ce qui existe en fait. Ainsi, l'on a dit pour les universités : « Deux universités existent ; donc il faut les conserver. » Il aurait fallu examiner d'abord s'il était utile de conserver deux universités.

Ce qui manque aujourd'hui, c'est un enseignement scientifique plus approfondi, plus applicable à l'ordre des faits industriels, agricoles et commerciaux. C'est l'enseignement qui tend à la diffusion des sciences exactes, des sciences les plus utiles, de celles qui troublent le moins le cerveau des jeunes gens et des hommes, et qui favorisent plus le bonheur des nations que la plupart de ces sciences creuses qu'on enseigne dans les athénées et dans les universités.

Messieurs, j'applaudis à la partie du projet qui défend aux communes de déléguer leurs pouvoirs. Autant je désire que les communes jouissent elles-mêmes de toutes les prérogatives que nos lois organiques leur ont assurées, autant j'approuve la disposition du projet qui tend à empêcher la commune de déléguer à des tiers l'exercice de ces prérogatives.

Je crois qu'on ne peut pas regarder cette disposition comme une œuvre de parti ; si cela contrarie un parti, on n'a pas à s'en inquiéter, on est logique, on obéit à l'esprit de notre Constitution.

D'après le peu de mots que je viens de prononcer et sur lesquels je n'insisterai pas plus longtemps, et vous pourrez, messieurs, aisément comprendre que, dans ma pensée, le projet s'est trop occupé de la question de lutte et ne s'est pas assez occupé du fond de la question; qu'en se préoccupant de la question de lutte, il a provoqué la lutte ; que par là il a créé des embarras ; que les moyens de conciliation se trouvent uniquement dans une organisation conçue dans l'esprit de liberté et d'impartialité qui caractérise notre pacte fondamental.

Je crois que c'est dans l'institution du jury suprême chargé de l'examen des professeurs, el d'autre part dans un pouvoir de contrôle conféré à la députation permanente et au conseil provincial que nous trouverons cette organisation conciliatrice.

Quant à l'idée qui a été proposée de faire intervenir le clergé à titre d'autorité dans le conseil de perfectionnement, je dois le dire franchement, je ne crois pas que cette intervention puisse avoir d'efficacité; je regretterais de voir mettre cette idée en pratique, car au bout de peu de temps on éprouverait des mécomptes bientôt suivis de déchirements.

Je suis convaincu que l'essai qu'on en veut faire en France sera malheureux. D'un conseil où le protestant sera assis à côté du juif, l'évêque catholique à côté de l'universitaire, il ne peut sortir que des résultats négatifs; et l’enseignement donné sous sa direction n'inspirera de confiance à personne.

En Autriche, il y a quelques années, j'ai entendu des membres du clergé autrichien se plaindre amèrement d'une institution analogue, il y a des synodes provinciaux et un synode central où les membres du clergé siègent à côté de représentants de l'autorité et de nobles qui en font partie à titre de propriétaires des domaines dans ce pays où se trouvent les établissements d'instruction. Par le fait de cette intervention, le clergé n'a plus de liberté pour agir; l’enseignement n'inspire pas de confiance, il languit. Soyez sûrs qu'à la première bonne occasion qui se présentera, le clergé autrichien, comme celui de tous les pays qui ont une Eglise nationale, se retirera de ce lien compromettant ; et il fera bien.

Le clergé n'a de sérieuse garantie que dans son abstention et l’adhésion qu'il peut rencontrer au milieu des fidèles où il vit. C'est par le dévouement qu'il montre aux populations et particulièrement pour les souffrances des petits qu'il peut asseoir solidement son autorité; et son autorité fondée sur ces bases, sera toujours inébranlable.

Le clergé ne doit pas intervenir à titre d'autorité dans l'enseignement public; s'il le faisait, il le regretterait bientôt, le gouvernement lui-même le regretterait. Je demande donc que l'enseignement public soit complètement séparé de l'intervention du clergé comme autorité; non que je la craigne, mais parce que j'y vois une cause de déchirement pour le pays et de difficultés pour le gouvernement.

Je présenterai des amendements dans ce sens, s'il n'en est pas proposé qui me satisfassent complètement.

M. le président. - Je n'ai pu accorder la parole sur à M. Toussaint qu'à la condition de déposer immédiatement un amendement; s'il en était autrement, ce serait un moyen d'usurper un tour de parole.

M. Toussaint. - Je déposerai tout à l'heure les amendements.

(page 1133) M. Destriveaux. - Messieurs, il n'est aucun de vous qui puisse se dérober à l'impression que fait sur nos esprits la gravité de la question que nous sommes appelés à résoudre. Nous avons à examiner et à juger un projet de loi sur la partie la plus importante (je n'hésite pas à le dire) de l'enseignement public.

L'enseignement primaire et surtout l'enseignement moyen, comme on l'a dit, sont les plus importants de l'éducation des hommes. Le premier prend l'enfance dans les premiers temps où la pensée se développe. Le second saisit l'âge, lorsque la pensée s'étend, prend un corps, une puissance plus considérable, et lorsque l'individu est conduit à franchir la plupart des degrés qui le séparent de la vie sociale.

C'est dans cet esprit que nous sommes tous conduits à faire cet examen.

C'est parce que nous ferons cet examen dans un tel esprit que nous devons être certains que les impressions de parti n'auront aucune force ni sur nos discussions, ni sur nos déterminations.

Laissons donc à part ces catégories, ces espèces de préventions nées de convictions différentes, mais qui peuvent cependant amener des résultats semblables.

Le temps dans lequel nous vivons nous révèle plus que jamais la gravité, l'importance de l'intérêt que nous avons à débattre. Autour de nous gronde la tourmente révolutionnaire. L'esprit humain semble être, dans plusieurs pays, en proie à une fièvre brûlante qui produit d'épouvantables ravages. Les meilleures doctrines, des lois partout et toujours observées jusqu'ici sont méconnues; la société est menacée dans les conditions de son existence; et si la main puissante de celui qui a créé tous les mondes ne les soutenait, on ne pourrait calculer l'immensité de la ruine dans laquelle on pourrait tomber.

Dans ce temps et guidés par cette pensée, nous allons examiner l'ensemble, la gravité du projet qui nous est présenté, laissant à la discussion des détails l'appréciation de ces détails menus, l'appréciation des amendements qui pourront être présentés au projet, de leur justice, de leur utilité, de leur équité.

La première question qui se présente est la question constitutionnelle de la portée de l'article 17 de notre pacte fondamental.

Le Congrès, dont j'avais l'honneur de faire partie, a posé des garanties et proclamé des principes de liberté. La liberté d'enseignement ne pouvait lui échapper. L'enseignement privé a été décrété dans la plus immense étendue; et je dois à la vérité de dire que, frappé de cette immensité de liberté, je n'ai pu me résoudre à accepter l'article 17 de la Constitution dans toute son intégralité.

Frappé de la possibilité d'un enseignement confié aux mains de tout individu, sans mesures préventives, sans surveillance et n'encourant que la répression contre des délits prévus par les lois, je me suis demandé si cette liberté n'était pas une licence. Je me suis demandé si c'était inspirer de la confiance dans l'enseignement privé, que d'admettre sans examen un individu frappé, flétri par la sentence de la justice criminelle. Il m'a paru que l'individu sortant d'un bagne, avec la flétrissure de sa condamnation, avec la privation des droits politiques et d'une partie des droits civils, ne pouvait pas être admis avec confiance dans l'enseignement.

J'ai donc voté contre une partie de l'article 17. Ce n'est pas ici le moment d'examiner si j'ai eu tort ou raison. Mais j'ai pensé qu'il était bon d'indiquer franchement quelle avait été ma conduite au Congrès, lorsque cet article a été présenté et admis.

Mais que l'on y prenne garde, il n'a pas été dans la pensée du Congrès, et ici je suis entendu par d'honorables membres qui ont fait partie de cette assemblée et que leurs talents avaient placés au plus haut rang, il n'a pas été entendu dans l'article 17 que l'enseignement privé serait la représentation de tout l'enseignement ; il n'a pas été entendu que si l'enseignement privé était jugé suffisant pour les besoins de la jeunesse, l'Etat ne devrait pas avoir le souci, n'aurait peut-être pas le droit d'en établir un.

On l'a prétendu cependant dans les temps où nous vivons, et à l'occasion de la discussion qui nous occupe. On a été jusqu'à écrire que l'enseignement pour l'Etat n'était pas un droit positif, n'était pas une obligation comme celle d'établir des tribunaux pour rendre la justice; que si l'enseignement privé suffisait aux besoins de l'esprit humain, ou plutôt de l'enfance, alors l'Etat devait rester inactif.

Telle n'a pas été, telle n'a pu être la volonté du Congres. Le Congrès renfermait, comme je l'ai dit tout à l'heure, des hommes éminents par leur jugement, par leurs connaissances, par leur expérience.

Il a senti, parce que la vérité est palpable, qu'à côté de la liberté la plus grande, la plus illimitée de l'enseignement privé, il fallait cependant que l'Etat donnât une garantie à la nation. Il a senti qu'abandonner entièrement l'enseignement aux mains privées, c'était dépouiller l'Etat d'une partie de ses prérogatives, c'était l'exonérer d'un véritable devoir.

L'Etat n'est pas maître, messieurs, de donner à son choix ou de ne pas donner l'enseignement public. C'est un devoir pour l'Etat; l'Etat, société générale collective, doit exercer la première de toutes les tutelles sur tous les citoyens qui le composent, et surtout à l'âge et dans les conditions où l'individu a le plus besoin d'être éclairé.

Que serait donc une société dans laquelle une loi fondamentale déclarerait implicitement qu'elle s'en rapporte, en matière d'enseignement, aux efforts particuliers, à tous les systèmes particuliers, aux passions, peut-être ou aux faiblesses des particuliers ? Où a-t-on vu un pareil système admis, je ne dirai pas de nos jours, mais dans tous les temps?

L'éducation, l'enseignement n'a-t-il pas fait partout l'objet de la sollicitude, et nous qui applaudissons, avec raison, au libéralisme véritable de nos institutions, nous chercherions à dénaturer la Constitution qui nous régit et nous protège, et pour lui donner un sens qui conduirait à quoi? Qui conduirait à placer l'Etat sans armes, sans moyens de surveillance, sans moyens de prévention, en face d'établissements d'enseignement dont le secret serait protégé par l'épaisseur des murs et la solidité des portes, et qui propageraient toute espèce de doctrines, entraîneraient dans toute espèce d'erreurs la faiblesse de l'enfance, la faiblesse du jeune âge.

Le Congrès aurait déclaré qu'il abandonnait à des mains étrangères, à des mains mercenaires peut-être, qu'il abandonnait à des hommes étrangers au pays, le soin de guider les premiers pas de l'homme dans la carrière de la vie, le soin d'éclairer la moralité des individus et de la préparer !

Mais, dans une pareille abdication, il y aurait de la démence, il y aurait oubli de toute espèce de devoirs. Une pareille constitution ne serait pas un acte fondamental; ce ne serait pas un acte social; ce serait un acte de perversité, un acte de ruine.

On a parlé de monopole. Mais que l'on admette l'interprétation que l'on veut donner au paragraphe 2 de l'article 17, dans les mains de qui serait tombé le monopole de l'enseignement? Je viens de le dire, messieurs, dans des mains qui peuvent être plus ou moins impures, dans des esprits qui peuvent obéir plus ou moins à de mauvaises passions; et le gouvernement, cédant avec une honteuse facilité à un pareil monopole, se serait placé ou plutôt aurait été placé par la Constitution dans un état complet d'impuissance. On aurait, voulant constituer l'œuvre d'une bonne civilisation,, placé sous les fondements qu'on voulait lui donner, la mine sans cesse prête à éclater, à détruire tout l'édifice. On ne peut pas le supposer, messieurs.

L'enseignement est un devoir pour tout État. L'enseignement est un devoir sacré, et l'enseignement doit être donné dans notre pays par l'Etat, avec la libre concurrence de l'enseignement privé, je le reconnais, il doit être donné par l'Etat, à moins, comme je le disais tout à l'heure, que l'on ne suppose que la Constitution n'est qu'un vain mot; que l'on ne suppose que l'Etat, que le gouvernement n'a pas d'obligations à remplir sous ce rapport.

Je viens de parler de monopole. Messieurs, je sais qu'on a reproché au projet qui nous est présenté, d'établir la possibilité du monopole. On a même été jusqu'à voir dans la loi l'intention d'établir le monopole de l'enseignement au profit du gouvernement.

La multiplicité des établissements d'instruction publique a été vivement discutée. On a dit : Mais il y avait déjà des écoles, et dans les projets qui ont été présentés avant l'époque actuelle on n'avait pas voulu aller jusqu'à ce luxe exubérant. Aujourd'hui tout le sol va être surchargé d'établissements d'instruction moyenne. Dix athénées pour tout le pays ; 50 écoles pour tout le pays, c'est une profusion qui épouvante et ce qu'on ne fait pas encore aujourd'hui, nous avons des raisons pour supposer qu'on le fera dans l'avenir ; on veut accoutumer la nation au spectacle de ce grand nombre d'établissements; on veut se réserver le moyen de l'augmenter encore et d'augmenter les matières d'enseignement, afin d'arriver ainsi à neutraliser tous les établissements d'enseignement privé.

Mais, messieurs, lorsque nul précédent ne légitime de pareilles suppositions, peut-on croire qu'un ministre, que le gouvernement tout entier ait recours à des moyens aussi odieux et cela pour détruire ce que la Constitution a établi, croire que, n'osant pas combattre ouvertement la Constitution, il cherche, par des moyens souterrains, à la miner? De quel droit élève-t-on de pareilles suppositions ? De quel droit suppose-t-on des pareilles combinaisons?

Je n'ai point l'habitude, messieurs, de me faire le défenseur des ministres. Je conçois que, dans l'immensité de leurs travaux, ils tombent quelquefois dans l'erreur; alors notre devoir est de les éclairer. S'ils s'égarent volontairement, notre devoir serait de leur résister. Mais quand je les vois en butte à de pareils soupçons, que rien ne justifie, alors notre devoir est de les défendre. Oui, messieurs, on doit défendre l'homme honnête qui, sans être directement accusé, se trouve l'objet de soupçons injustes et mortels peut-être.

Le monopole. Mais, en vérité, quand on descend dans l'appréciation des causes qui ont pu donner naissance à ces appréhensions, on se demande d'où peut provenir cette crainte du monopole. Est-ce parce que 12 écoles nouvelles seront établies, car tout le reste existe? Douze écoles nouvelles seront établies, et de là le monopole, de là une guerre à mort contre tous les établissements privés. On n'ose pas dire qu'il s'agit des établissements créés par telle ou telle opinion ; on parle des établissements privés, en général; c'est plus commode. Mais, messieurs, veut-on voir jusqu'à quel point cette crainte du monopole est fondée, veut-on voir que les créations qu'on demande ne suffiront pas même aux besoins de l’enseignement dans toute l'étendue du territoire?

Il faut accoutumer les populations à trouver à côté d'elles l’enseignement; il faut les accoutumer à désirer l'enseignement ; il faut les accoutumer à cette pensée que l'homme qui n'est point instruit, qui n'a pour (page 1134) ainsi dire qu'une éducation matérielle, n’est ni bon citoyen ni complètement homme moral. Eh bien, dans un compte-rendu sur la population des écoles primaires, moyennes et supérieures, arrêté au 15 octobre 1846, je vois que, sur une population de 897,082 enfants de l'âge de 5 à 15 ans, seulement 472,590 ont fréquenté ces écoles. Ainsi la moitié de ceux qui auraient dû recevoir l'enseignement à différents degrés, la moitié de cette population n'aurait pas d'enseignement! Et aujourd'hui parce qu'on augmentera de 12 écoles le nombre de celles qui existent, pour placer l'enseignement à la portée de ceux qui en ont besoin, vous criez au monopole!

Mais, messieurs, il me semble que, si l'on voulait être sévère, on serait plutôt conduit à dire que le gouvernement n'a pas bien reconnu tous les besoins de la population et qu'il n'a point fait assez d'établissements pour suffire à ces besoins qui augmentent tous les jours, car la population de la Belgique augmente chaque année.

Voilà, messieurs, le monopole que l'on prétend être dans les vues du gouvernement, dans le but de la loi proposée. En vérité on parle d'esprit de parti, de préoccupations passionnées, mais je demande si c'est dans la froide raison qu'on peut trouver la cause de ces accusations préventives, ou s'il ne faut pas plutôt la chercher dans je ne sais quelles erreurs, dans je ne sais quelles hallucinations, quelles préoccupations que certaines personnes se dissimulent à elles-mêmes.

Laissons donc, messieurs, ce reproche de velléités, de monopole. Ce monopole est impossible pour l'Etat. L'Etat formera des établissements, mais il n'a pas d'agents pour les préconiser, il n'a pas l'action locale et l'action vicinale, si je puis m'exprimer ainsi, pour faire le recrutement; il formera des établissements, il les peuplera des meilleurs professeurs; il fera le meilleur programme qu'il pourra pour l'enseignement; mais là s'arrêteront ses soins. Dans les établissements privés, au contraire, il y a des agents, des individus qui les préconisent, soit par intérêt, soit par zèle. Vous voyez, messieurs, par ce rapprochement, que l'Etat perdra en présence des établissements privés, bien loin de pouvoir arriver au monopole.

Qu'est-ce que c'est que le monopole? C'est l'absorption de toute une espèce de capital. Or, peut-on soutenir sérieusement que le gouvernement, au moyen des établissements qu'il s'agit de créer ou de maintenir, absorbera, si je puis m'exprimer ainsi, tout le capital de l'enseignement? Vous comprenez, messieurs, qu'une pareille insinuation ne peut reposer sur rien et que rien ne justifie cette espèce de soupçon, que c'est là soulever des craintes chimériques.

Maintenant j'arrive à une seconde question. Elle est également constitutionnelle. On s'est ému considérablement de l'atteinte qu'on prétend être portée aux franchises et aux libertés communales.

Franchises et libertés communales!.....J'avoue que je ne comprends pas trop ce que, dans le langage constitutionnel de notre pays, on peut appeler franchises et libertés communales. J'aurais compris des franchises communales dans un temps où de grandes communes, par la force de concentration, avait conquis une indépendance que le reste du pays n'avait pas. J'aurais compris que, dans un temps où la corvée existait dans les campagnes, où des juridictions particulières, spéciales, étaient attachées comme un privilège à certaines maisons, quand il y avait un ordre, ou, si l'on veut, un désordre particulier dans les campagnes, j'aurais compris alors qu'on donnât le nom de franchises aux concessions obtenues par des communes, soit par la force, soit par des sacrifices d'argent; le langage était alors clair, parce qu'il indiquait une espèce d'émancipation; sous ce rapport, je conçois qu'une commune pût paraître libre, si on la rapprochait d'autres communes qui, sans être complètement esclaves, vivaient cependant sous l'empire de liens tout particuliers, et quelquefois portaient des chaînes assez lourdes, que j'ai entendu regretter; j'avoue que je ne partage pas l'amertume de ce regret.

Avons-nous aujourd'hui des franchises dans notre pays? Nous vivons tous et partout sous les mêmes lois. Avons-nous des libertés dans nos communes? Les communes ont leur organisation; elles ont part à la liberté générale dans la sphère d'action que les lois lui ont tracée.

Dans les dispositions de la Constitution où il est question de l'administration provinciale et communale, voyons-nous l'expression de franchises et provinciales et de franchises communales? Non, messieurs, nous trouvons des institutions provinciales et communales ; ce sont des institutions constitutionnelles.

La loi constitutionnelle est la même pour tous. La loi qui a organisé le principe déposé dans l'article 108 de la Constitution, cette loi est la même pour toutes les communes ; elle décrète pour toutes un système général et commun d'administration.

La commune, chez nous, n'a donc pas des libertés, des franchises; la commune est une institution constitutionnelle qui est régie par la force de la Constitution et par la force de la loi, qui dérive de cette loi mère.

Ainsi régies, les communes forment-elles des existences séparées de l'existence générale? Les communes, quant à leur administration, ne sont-elles pas des rouages de l'administration générale, comme le sont, de leur côté, la province et l'Etat? Sans contredit, les communes doivent être laissées libres, autant que possible, dans leurs moyens d'administration interne, là on peut élargir le cercle de leurs attributions : la chose est rationnelle, tout ce qui ne touche qu'à l'intérieur de la commune doit être gouverné par la commune; mais si la commune, en se gouvernant, vient rencontrer le gouvernement et la province, il est clair qu'alors la province, placée à un degré plus élevé, doit avoir un droit sur les actes de l'administration communale qui viennent frapper ses intérêts; il en est de même de l'administration provinciale quant au gouvernement.

La loi qui a organisé l'institution communale peut incontestablement être modifiée par une autre loi. La Constitution ne peut être modifiée par une loi ordinaire; on ne peut la modifier qu'en prenant les précautions dont la Constitution renferme l’énumération et le devoir ; mais les institutions d'organisation communale peuvent être modifiées par une loi, parce qu'elles ne sont que le résultat d'une loi.

Maintenant appliquons ces notions, que je crois incontestables, à la difficulté que nous avons à résoudre.

On reproche au projet de loi de porter directement atteinte aux libertés communales (il faut bien que je me serve de ces mots, puisqu'ils se trouvent dans la bouche de ceux que je suis obligé de combattre en ce moment).

Eh bien, le projet de loi offense-t-il dans ses dispositions quelques-unes de celles que renferme la loi de 1836, organisatrice du conseil communal? Non, messieurs, cette prétendue atteinte si mortelle aux franchises, aux libertés communales, est nulle; la raison en est simple à mes yeux.

L'article 108 de la Constitution, en décrétant qu'il y aura des institutions provinciales et communales, en indiquant quelles seraient en général leurs attributions, prévoit le cas où il serait nécessaire de recourir à l'approbation du Roi, c'est-à-dire du gouvernement.

La loi de 1836 dit bien, dans son article 84,que les communes auront la nomination des professeurs dans les établissements communaux.

Or, le projet qui vous est proposé contient-il autre chose? L'article 31 attribue aux communes la nomination du personnel enseignant dans leurs établissements; l'approbation du gouvernement n'est requise que pour les résolutions qui ont pour objet d'établir ou de patronner un établissement d'instruction. On ne va donc pas à rencontre de la loi de 1836, on maintient le principe de la Constitution , on applique la disposition relative à l'organisation provinciale et communale, puisqu'on y prévoit le cas où l'approbation du gouvernement est nécessaire, et qu'ici on subordonne à cette approbation les résolutions à prendre par les conseils communaux, on soumet à cette approbation l'exécution de ce que la commune a résolu.

Maintenant nous voyons que l'institution communale reste intacte, que la loi communale n'est pas violée, que ce qu'on fait, c'est appliquer la Constitution dans son article 108.

Je ne vois pas là d'atteinte portée aux libertés communales, ou, pour parler plus juste, à l'institution communale; et que l'on y prenne garde, je n'ai pas de passion contre l'indépendance de l'administration communale dans les limites constitutionnelles, je la trouve rationnelle, mais il faut se garder de se laisser entraîner au-delà des limites légales de l'institution, par l'exagération de la crainte d'en trop circonscrire l'action.

Tous les intérêts communaux qui ne sortent pas du cercle de la commune peuvent et doivent être gouvernés par l'administration communale ; mais quand il s'agit d'un intérêt moral, qui peut assigner le cercle dans lequel il est enfermé? Quand il s'agit d'enseignement donné dans une localité, qui peut dire que l'effet moral est borné à cette localité? Qui pourra le circonscrire dans telles limites et lui dire ; Tu n'iras pas plus loin ? Est-il vrai que l'effet de l'enseignement soit circonscrit dans le territoire provincial, ou dans le territoire communal? Admettre qu'il doit y être circonscrit par l'application du pouvoir provincial ou communal, c'est fausser complètement la base du système d'administration communale et du système d'administration provinciale.

Voilà comment j'entends le principe de la division du royaume en communes et en provinces.

Je crois que si l'on veut appliquer la Constitution et la loi dans leur véritable esprit, il est impossible d'admettre un système contraire.

Toutefois, j'ai entendu beaucoup parler de conciliation ; j'aime la conciliation lorsque la transaction qu'elle amène n'est pas prise par une des parties comme la reconnaissance d'un droit, comme un premier aveu de la légitimité de ce qui est en litige.

Dans le cours des débats, quand il s'agira d'examiner les articles, de discuter loyalement, comme tout le monde est porté à le faire, qu'on propose dans certain cas d'étendre l'action de l'administration communale, qu'on dise que dans certaines communes à raison de leur situation particulière et des lumières des membres de leur administration ; si par des considérations pressantes, il m'était démontré que mes idées peuvent recevoir une limitation sans compromettre l'existence de l'enseignement, la pureté des principes, je ne me sentirais pas le courage de faire une opposition radicale aux amendements proposés.

J'arrive à un point bien important, bien délicat, et, comme on le dit fort bien, à un sujet qui intéresse des croyances respectables et des consciences bien pures, un sujet que je voudrais ne pas avoir à discuter; mais enfin un devoir se lie au mandat qui m'est donné ; il m'est impossible, par crainte de contredire des hommes que j'estime, de m'arrêter devant des difficultés que je trouve suscitées.

Il n'v a pas, dit-on, d'instruction sans éducation, il n'y a pas d'éducation sans religion. On a cité ces paroles d'un homme certainement très respectable, connu par l'élévation de ses idées, ses profondes connaissances, d'un homme dont le nom est un éloge, de Portalis enfin.

Je ne conçois pas de véritable instruction, d'instruction véritablement utile au point de vue de l'intérêt général de l'Etat, sans éducation; je ne conçois pas de véritable éducation sans morale, et je ne conçois pas de morale sans religion.

(page 1133) Voilà des concessions que personne ne me reprochera et que je m'applaudis do pouvoir faire. Mais la morale est-elle de telle nature qu'elle ne puisse être enseignée que par des hommes qui ont une telle position dans le monde, par des hommes de telle profession, des hommes ayant des principes déterminés, reconnaissant une espèce d'autorité qui n'est pas dans le pays? La morale est-elle tellement mystérieuse, qu'il ait fallu une pénétration particulière, une espèce de mission spéciale de la Divinité pour en reconnaître la nature, pour en formuler les véritables lois pour avoir le sentiment du devoir?

Je dis non ; car il n'y a pas de pays sans morale comme il n'y a pas de famille sans morale.

La raison est que la morale est révélée à l'homme par sa conscience et par sa sympathie pour les autres. C'est la première révélation que le Créateur a faite à l'homme en le plaçant sur la terre; sans quoi, sans cette révélation divine, la moralité de l'homme dépendrait des circonstances dans lesquelles il naîtrait; privé de certain enseignement particulier, il serait réduit à l'état de brute et ces qualités si éminentes, cet esprit dont on a parlé avec tant d'éloge, cette force de tête, ce génie qu'on lui a reconnus, tout cela se serait perdu, rien ne se serait développé si les malheureuses circonstances de la naissance avaient placé un pareil homme dans l'éloignement de ceux qui auraient la mission spéciale de lui révéler la morale.

Nous avons dans nos cœurs, dans nos consciences, une voix qui nous révèle qu'il y a un Dieu qui nous a créés et que nous devons nous conformer à des lois générales, universelles, éternelles. La morale est là ; l'expérience la purifie quelquefois, parce que si la morale est dans nos cœurs, si elle a été donnée à l'homme, il porte aussi le germe des passions. C'est un mystère que nous ne comprenons pas. Mais il existe.

Et puis toujours en suivant ce système, il arrive une chose : c'est qu'il n'existe pas partout des hommes réunissant les qualités qu'on veut représenter comme nécessaires, comme indispensables pour enseigner la morale.

Il n'y a pas de morale sans religion. Mais ici qu'on me permette de parler librement, j'éviterai les questions théologiques. Sur ce terrain, je serai extrêmement faible; je le suis déjà sur un autre. Mais ce qui fait qu'on ne s'entend pas, c'est l'emploi de termes généraux, sur lesquels on n'est pas d'accord.

On dit : sans religion. Mais y a-t-il une religion si intimement liée à la morale que la morale ne puisse exister sans elle? Je me demande si dans les pays où l'empire de cette religion n'est pas connu, dans les pays où cette religion a subi des modifications profondes, il existe, oui ou non, une morale.

Je me demande si dans la famille d'un protestant, d'un israélite, d'un sectateur de l'islamisme, il n'existe pas une morale, une religion, qui vient de la Divinité?

Je me demande si, lorsque l'enfant commence à bégayer, lorsque son esprit commence à s'ouvrir, lorsque ses oreilles s'accoutument à recevoir des leçons suivant son âge, on ne lui parle pas de morale? Quelle est la famille où l'on n'apprend pas à l'enfant qu'il doit aimer, respecter ceux à qui il doit le jour, où la mère, dans sa naïveté, ne parle à l'enfant de ce qu'elle appelle le bon Dieu, langage trivial, j'en conviens; mais je le préfère à celui qui appelle la divinité Dieu puissant, Dieu courroucé, Dieu vengeur. J'aime mieux la naïveté de ce langage : le bon Dieu. Quand la bouche d'une mère parle ainsi au cœur de l'enfant, il y a là déjà un sentiment de religion.

Ainsi nous commençons à nous fixer sur les mots, sur la valeur qu'on doit y donner; et nous sommes conduits à apprécier la portée du projet de loi relativement à la religion.

Il y avait deux partis à prendre : celui de ne pas parler des ministres du culte, celui de leur faire un appel. Que devait-on faire? Devait-on sommer les ministres du culte de donner leur concours? On ne le pouvait pas; c'eût été méconnaître l'indépendance qui est dans le cœur de l'homme. On ne pouvait pas dire à un ministre du culte : Au nom de la loi, je vous somme de venir donner l'enseignement religieux, de faire partie intégrante de l'établissement que j'ai fondé.

Mais il y a, à cet égard, différentes prétentions.

D'abord, ministre de quel culte, ministre de quelle religion? Sous le rapport du dogme, il y en a plusieurs. Y a-t-il chez des ministres d'un culte quelconque un principe qui leur donne droit à une préférence établie, inévitable sur les ministres des autres cultes?

Ici je ne me dissimule pas la difficulté. Mais je déclare que je parle avec franchise.

Je n'ai pas d'esprit de parti; la matière est trop grave pour qu'on la souille par d'aussi mesquines préoccupations, je cherche à m'éclairer. Je demande s'il y a un culte quelconque qui doive être préféré, et qui ait à cette préférence un droit qu'il soit impossible de méconnaître. C'est, si je ne me trompe, le nœud de la question.

J'ai entendu des hommes dont je respecte les convictions, le talent, les lumières, dire : Oui, il y a une autorité que je place à cet égard en face de l'autorité politique; c'est ce pouvoir qu'on appelle spirituel. A qui appartient-il ce pouvoir spirituel? Quel est le culte qui le réclame? Je ne pense pas que l'Eglise anglicane, ni d'autres Eglises aient fait des réclamations à cet égard.

Ce que je sais, c'est que, dans une certaine commune, on a prétendu, à titre d'autorité, intervenir dans l'enseignement. La première conséquence de ce raisonnement serait de donner aux ministres d'une religion un droit dans les établissements de l'Etat, tandis que l'Etat n'aurait aucun droit dans leurs établissements propres. Car pour donner à mon observation un caractère qui la rende plus saisissable, je dirai que l’État n’a pas le droit d'inspection dans les séminaires, qu'un élève sort de ces écoles, honoré du titre de ministre des autels ; lui, dont l’enseignement ne peut être surveillé par l'Etat, il pourrait surveiller l'enseignement de l'Etat, reconnaître s'il est à son jugement véritablement moral et religieux !

Je ne le crois pas, messieurs ; je crois qu'un pareil système est une violation flagrante de la Constitution.

En effet, la Constitution met tous les cultes sur la même ligne quant à la liberté de les exercer. Je n'en conclurai pas que la Constitution méprise tous les cultes; on a fait justice de pareilles allégations. Mais je dirai que la Constitution ne faisant aucune espèce de distinction entre les cultes, les plaçant tous sous un système, sous une règle de liberté, elle serait violée si, à raison d'un culte particulier, on reconnaissait une autorité particulière, une autorité égale à l'autorité publique, et si l'on accordait aux ministres de ce culte des droits dont les ministres des autres cultes ne jouiraient pas.

Messieurs, les ministres des cultes sont citoyens aussi; mais nous n'avons pas à les reconnaître comme une autorité.

Où est d'ailleurs le centre de cette autorité? Le centre de cette autorité spirituelle est-il dans le pays? Non, il est dans un pays qui n'est pas étranger sous le rapport du culte, mais qui est étranger sous le rapport de nos institutions.

Un pareil pouvoir pourrait être exercé dans notre pays par qui ? Par des étrangers. Car rien n'empêche que les chefs de l'autorité spirituelle ne nomment dans notre pays, à différents degrés, des ministres des cultes choisis chez des nations étrangères. Ainsi, par un renversement particulier, on pourrait voir donner un pouvoir d'examen, un pouvoir de surveillance, un pouvoir de censure sur des livres, à des hommes qui ne seraient pas même citoyens belges ! Je demande s'il est possible qu'il en soit ainsi. Ce serait un privilège exorbitant que l'on donnerait à un culte, et ce serait un abaissement en face d'une autorité qui n'a rien de constitutionnel pour nous.

On a cité des exemples à cet égard; on a dit que, dans d'autres pays, l'enseignement était tel que tout le monde pouvait y avoir accès. On a cité les Etats-Unis.

Messieurs, il n'y a pas de comparaison à aller chercher aux Etats-Unis. Mais aux Etats-Unis on serait fort mal venu si l'on disait, soit au Congrès général, soit à la législature particulière de chaque Etat : Je relève d'un chef qui est au Chili et je dois obéir aux inspirations de ce chef. J'ai l'autorité religieuse et vous devez m'accorder les droits qui découlent de cette autorité. On sent bien que comparaison n'est pas raison, et dans cette occasion bien davantage encore.

On a dit : Le privilège vous épouvante; mais le privilège ne serait pas une chose nouvelle relativement aux rapports de vos lois avec les ministres du culte. Ceux-ci ne sont-ils pas dispensés de la milice?

Eh bien, oui, messieurs, mais ce n'est pas là un privilège; c'est une disposition qui honore le législateur; qui prouve qu'il a su apprécier la situation, le caractère véritable des ministres du culte.

Est-ce qu'on aurait fait entrer dans des rangs destinés aux combats, des ministres de paix, des ministres de conciliation, celui qui prie pour que le ciel préserve le monde de grands malheurs et surtout des malheurs de la guerre ? Celui-là irait, les armes à la main, prendre part au carnage, l'exciter peut-être par son exemple; et puis après? Après, il serait peut-être conduit à se mêler aux actions de grâces rendues à la Divinité, parce que, dans les rangs où il servirait, il n'y aurait pas eu autant d'égorgements que dans les rangs contre lesquels il a combattu.

Messieurs, il est impossible d'admettre un pareil système. J'ai entendu faire des observations là-dessus. Je vous avoue que j'ai été surpris de la nature de ces observations. Un ministre du culte, un ministre de paix ne peut servir comme soldat, il est ministre de la religion. Pourquoi? Parce qu'il est le ministre des rapports de l'homme avec la Divinité ; parce qu'il est le ministre des rapports que la Divinité daigne avoir avec l'homme, il est le ministre de la pureté de la Divinité; il ne peut pas amener l'homme à cette pureté ineffable ; mais il l'amène à celle dont il est capable.

Un ministère pareil est admirable. C'est une exception dans la société. Pourquoi? Parce que peu d'hommes sont capables de remplir un pareil ministère dans toute son étendue, avec les obligations qu'il entraine et avec le bien qu'il peut faire.

La loi, dont vous avez le projet, a donc fait tout ce qu'elle devait en déclarant que les ministres du culte seraient invités à s'unir aux efforts de l'Etat pour l'enseignement. On leur fait un appel, et je ne veux pas croire qu'ils n'y répondent pas. Eh quoi ! Ceux qui se souviennent sans cesse des paroles de l'Evangile et de son divin fondateur : Allez et enseignez le monde, ceux-là auraient le courage de résister à l'invitation que leur fait le gouvernement de se joindre à lui pour enseigner la religion, pour enseigner la morale !

Ils s'y refuseraient, sous prétexte qu'ils ne peuvent répondre à une invitation, qu'ils ne peuvent venir dans vos écoles qu'à titre d'autorité ; et cette espèce de raison, tenant plus à quelque chose d'humain qu'à quelque chose de divin, semblerait assez puissante pour motiver une résistance dont les résultats ne seraient favorables ni pour la religion ni pour le clergé ! Non, messieurs; il ne faut pas de schisme; il faut l'éviter lorsqu'il peut être le résultat d'un refus mal à propos donné.

(page 1136) Il ne faut pas que le clergé, placé si haut dans l'opinion, prenne la moindre couleur, révèle la moindre impression des passions ou des susceptibilités humaines. On signale l'école dans laquelle l'enseignement peut être donné ; on demande aux ministres du culte de se joindre aux efforts que fait l'Etat, que ceux qu'il a nommés font aussi, et cela pour donner à la jeunesse de bons principes, et l'y affermir par l'empire de la religion. Et à un pareil appel, il n'aurait à répondre que par une négation ! Je ne puis le croire. Je suis si peu conduit par l'esprit de parti que cette supposition est pour moi un mystère qui, j'espère, ne restera pas inexplicable. Je suis heureux d'être convaincu par avance que les ministres du culte, n'oubliant pas la parole de leur divin Maître, se hâteront de la réaliser, s'empresseront de joindre leurs efforts aux efforts de ceux qui les appellent et de donner un dernier caractère de pureté à l'enseignement qui sera donné.

(page 1127) M. de Haerne. - Messieurs, l'honorable membre que nous venons d'entendre, et aux intentions duquel je rends hommage, nous a rappelé ses souvenirs du Congrès national. Il nous a dit que, d'après ses souvenirs, les principes que le Congrès aurait consacrés en matière d'instruction sont ceux qui se trouvent exposés dans le projet de loi soumis à nos délibérations. Que l'honorable membre me permette de répondre à ses souvenirs par ceux que j'ai gardés moi-même, et de joindre à mes propres souvenirs l'appui de l'opinion d'un grand nombre d'autres membres du Congrès national, qui ont apposé leur signature à des pétitions déposées sur le bureau. Je pourrais nommer parmi les pétitionnaires au moins une dizaine de membres de cette auguste assemblée, qui partagent ma manière de voir.

Je crois que les souvenirs de l'honorable membre ne l'ont pas plus fidèlement servi en matière d'enseignement qu'en ce qui concerne les libertés communales et provinciales, et je crois pouvoir affirmer devant cette assemblée que si des principes semblables à ceux que l'honorable membre a exposés en matière de libertés communales et provinciales, avaient été énoncés au sein du Congrès national, ils eussent été accueillis par une immense et presque unanime désapprobation. Au Congrès, messieurs, on plaçait toutes les libertés sur la même ligne. Alors une grande réaction s'était produite contre le régime que le pays venait de repousser, et cette réaction se produisait sous toutes les formes ; elle mettait, je le répète, toutes les libertés sur la même ligne : la liberté des cultes, la liberté d'association, la liberté de la presse, la liberté d'enseignement, les libertés communales et provinciales, toutes étaient également sacrées aux yeux du Congrès, comme aux yeux de la nation.

Qu'on ne vienne donc pas nous dire qu'il n'existe pas de franchises communales, que les libertés de la commune dépendent de la mobilité de la loi; non, elles sont écrites dans notre histoire, dans nos mœurs, dans le cœur de la nation !

Messieurs, on nous a reproché à plusieurs reprises d'aborder cette question avec une espèce d'hésitation. On est allé même plus loin et l'on a dit que nous avons reculé devant la discussion, que nous l'avons écartée aussi longtemps qu'il a été possible. Je vais parler à cet égard avec une entière franchise; mais je ferai d'abord observer que, d'après l'exposé des motifs de même que d'après le rapport de la section centrale, l'opinion qui soutient le projet se félicite des retards qui ont été apportés à la discussion.

Je suis donc en droit de me demander à qui ces retards ont profité. La vérité est que de part et d'autre, dans un but différent, il y a eu des personnes assez nombreuses qui ont cherché à reculer l'adoption de cette loi ; mais aussi je dois dire que, de part et d'autre, il y a eu des voix qui ont demandé la discussion de ce projet, et je me range dans cette dernière opinion. Les principes que nous défendons aujourd'hui sont ceux que nous avons toujours soutenus et devant la discussion desquels nous n'avons point à reculer.

Nous combattons dans le projet les erreurs que nous avons toujours combattues. Ces erreurs ont une tendance commune, au point de vue religieux, au point de vue de la liberté communale, au point de vue de l'absorption des intelligences, ces erreurs ont une tendance de centralisation contre laquelle je ne puis trop m'élever, tendance qui me semble d'autant plus dangereuse qu'elle se rapporte à la grande erreur du jour qui consiste, elle aussi, à tout centraliser. Oui, je n'hésite pas à le dire, je trouve, dans cette vaste centralisation qu'on nous propose de consacrer dans la loi, le germe de l'hérésie moderne, le germe du socialisme.

Le projet est dangereux au plus haut degré. Je rencontre d'abord le point capital qui a été traité en dernier lieu par l'honorable préopinant, à savoir la question religieuse, et sous ce rapport, lorsque je m'en rapporte aux explications données par l'honorable membre, je trouve la confirmation de l'erreur que j'ai rencontrée dans le projet et je trouve de nouveaux motifs pour le combattre. Dans le projet se manifeste, au point de vue religieux, une tendance à la centralisation, une tendance à absorber au profit de l'Etat ce qui devrait rester sacré et entièrement indépendant.

Messieurs, d'après l'article 17 de la Constitution, le gouvernement a un devoir à remplir sous le rapport religieux, en matière d'enseignement; car remarquez bien que le deuxième paragraphe de l'article 17, qui impose au gouvernement le devoir de régler l'instruction publique par la loi, (page 1128) s'applique nécessairement à tout ce qui se rapporte essentiellement à cette instruction. Or, de deux choses l'une, ou bien il tant soutenir que l'enseignement religieux ne se rapporte pas à l'instruction publique, ou bien il faut soutenir que l’enseignement religieux doit être règle par la loi.

En d'autres termes, si l’enseignement donné aux frais de l'Etat doit être réglé par la loi, à moins de soutenir que la partie religieuse ne se rapporte pas d'une manière essentielle à l'enseignement public, on doit dire que cette partie doit être réglée également par la loi.

Or, messieurs, est-ce sérieusement qu'on viendra soutenir qu'on règle par la loi la partie religieuse de l'enseignement, lorsqu'on se borne à dire qu'on invitera les ministres du culte à donner cet enseignement dans les établissements publics? Une simple invitation ne peut pas être envisagée comme l'accomplissement du devoir qui incombe au gouvernement, d'après l'article 17 de la Constitution, devoir qui consiste à organiser et qui se rapporte à l'instruction publique.

Si l'on considère les explications données à l'appui du projet de loi, tant dans l'exposé des motifs que dans les discours qui ont été prononcés par M. le ministre de l'intérieur, on doit reconnaître que le gouvernement empiète ici sur les droits de la religion. Le gouvernement suppose, dans le cas d'abstention du clergé, qu'il peut donner lui-même l'enseignement religieux. C'est là une grande et dangereuse erreur que je dois combattre de toutes mes forces.

Comment! le gouvernement pourrait lui-même donner l'enseignement religieux! Ce n'est pas seulement inconstitutionnel, c'est encore absurde.

Et remarquez, messieurs, que quand je parle d'enseignement religieux, je ne veux pas dire que le gouvernement ne peut pas enseigner ce qui se rapporte en quelque sorte au matériel de la religion ; qu'il ne peut pas expliquer les mots et les phrases; mais pour ce qui constitue l'essence, l'âme de l'enseignement religieux, le gouvernement est essentiellement incapable de le donner. Car il s'agit ici d'un enseignement religieux positif, d'un enseignement qui doit avoir sa sanction dans l'autorité religieuse, et cette sanction, le gouvernement ne peut pas l'avoir de lui-même.

Le gouvernement, en élevant la prétention de donner lui-même, dans certaines circonstances, l'enseignement religieux, établit évidemment le principe d'une Eglise nationale.

J'en dis autant de l'enseignement de la morale. Que l'honorable M. Destriveaux me permette d'entrer ici dans quelques explications au sujet de ce qu'il vient de dire sur l'enseignement de la morale.

L'honorable membre a développé avec beaucoup de netteté son opinion par rapport à l'enseignement de la morale; il a fait voir que, d'après son principe philosophique, la morale peut très bien s'enseigner sans l'intervention d'une autorité religieuse positive, du clergé.

Mais, messieurs, c'est là une opinion philosophique que je suis loin de vouloir combattre dans cette chambre, opinion à laquelle je pourrais en opposer une autre, si nous discutions dans une autre enceinte; je respecte cette opinion, car l'opinion qui fait dériver la morale de la raison individuelle n'est pas seulement répandue parmi les rationalistes; je trouve cette opinion parmi les philosophes chrétiens, parmi les philosophes catholiques.

Ainsi, je suis loin de vouloir faire le moindre reproche à l'honorable membre, sous ce rapport; mais je dis qu'il a, sans le vouloir, déplacé la question, et que l'enseignement de la morale, tel que le comprennent les catholiques, a besoin d'être entouré de toute la solennité du culte, a besoin de la sanction de la religion positive; il nous faut l'enseignement de la morale, en tant qu'elle se rattache à une origine divine, de cette morale qui a sa source dans la révélation , qui découle des commandements de Dieu, qui s'appuie sur la vie future, sur les récompenses et les peines de l'éternité; voilà la morale que demandent les catholiques. A quelque opinion qu'on appartienne, on doit comprendre qu'elle est la seule efficace pour le peuple.

La morale, comprise de cette manière, ne peut être enseignée que par une autorité divinement constituée, chargée pour cela d'une mission, avant pour cela une véritable juridiction. Le clergé seul à cet égard est revêtu d'une véritable autorité.

Comme dans d'autres circonstances, on a invoqué de nouveau ici un mot devenu fameux : on a dit que le clergé ne peut pas être admis dans l'école « à titre d'autorité ».

Il va sans dire qu'il ne peut être question ici d'autorité civile : il s'agit d'autorité spirituelle.

Je viens combattre cette idée; je ne la combats pas au point de vue religieux seul; mais je viens encore signaler le danger social d'une pareille opinion ; en niant l'existence indépendante de toute religion positive, on va jusqu'à nier l'influence sociale qui doit appartenir à l'autorité d'une religion positive; on confond, sans le vouloir sans doute, l'influence avec la domination. La domination suppose l'abus; mais l'influence suppose ce qu'il y a de plus légitime et de plus sacre.

Remarquez, je vous prie, que ce qu'on applique bien souvent, d'une manière très dangereuse, au clergé, quant à son influence, quant à l'exercice de son autorité spirituelle et indépendante, on l'applique à d'autres autorités, et c'est de cette manière qu'on vient ébranler et saper par sa base toute autorité constituée, en confondant toujours l'abus de l'autorité avec l'influence de l'autorité. Cette maxime dangereuse, on l'applique par une conséquence inévitable à tous les pouvoirs, au pouvoir politique, au pouvoir judiciaire; on va jusqu'à l'appliquer au pouvoir des propriétaires qu'on attaque aujourd'hui en se servant de la même arme, et en confondant l'influence légitime, naturelle, avec ce qu'on appelle la domination.

C'est encore en invoquant le même principe qu'on détruit l'influence légitime, le pouvoir du père de famille. Vous voyez comment tout cela nous conduit fatalement à cette erreur, à cette hérésie du jour que j'avais l'honneur de vous signaler tout à l'heure.

Ne confondons pas dès lors ces choses toutes différentes, et reconnaissons que, par sa nature même, une religion positive, révélée, comporte une autorité spirituelle indépendante, dont on doit admettre l'intervention salutaire, loin de la combattre et de la repousser.

Et puisque, comme je viens de le démontrer, il faut nécessairement qu'en organisant d'après la loi l'enseignement public, on fasse entrer la religion dans cet enseignement, il est évident qu'on doit prendre la religion révélée, telle qu'elle est, avec son influence, avec son autorité spirituelle indépendante.

Permettez-moi de dire que, d'après ma manière de voir, l'erreur que je combats ici est fondée sur une autre erreur ; c'est que bien souvent l'on interprète mal un principe constitutionnel et que, quand on dit que tous les pouvoirs de l'État émanent de la nation, on va jusqu'à faire dériver de la nation l'autorité divine même; ce qui est une véritable monstruosité.

D'après l'opinion que je viens d'avoir l'honneur d'exposer, il faut de toute nécessité que le principe de l'enseignement religieux donné par les ministres du culte soit inscrit dans la loi.

Nous ne sommes pas la seule nation dans cette position ; des lois semblables à celle qui nous est proposée, existent partout ailleurs; en France, en Allemagne, en Hollande, le principe de l'enseignement religieux obligatoire est écrit dans la loi. Si vous vous bornez à la phrase insignifiante qui forme l'article 8, à cette simple invitation adressée au clergé qui abandonne tout à l'arbitraire, à la volonté ministérielle, ne craignez-vous pas qu'une telle loi commentée par la presse ne produise un effet très préjudiciable à la réputation de la Belgique, qui dans tout l'univers passe non seulement pour une nation éminemment libérale, mais en même temps pour une nation profondément religieuse et catholique avant tout?

Je ne crains pas de le dire, la suppression du principe religieux dans une telle loi sera un scandale européen.

Quand nous demandons que l'enseignement religieux soit envisagé comme une chose sérieuse et obligatoire, nous n'allons pas jusqu'à vouloir qu'il y ait ici pour l'autorité civile le moindre obstacle à l'exercice des fonctions qui se rapportent à l'enseignement ; nous ne voulons produire aucun conflit; ce que nous voulons, c'est que l'enseignement soit religieux avant tout; que ce principe, inscrit au fronton de l'édifice, fasse respecter la religion dans l'établissement; que toute l'instruction donnée soit en harmonie avec ce grand principe.

Nous voulons, en un mot, que la religion soit enseignée de telle manière que certains professeurs ne puissent pas annuler, par un enseignement contraire, l'enseignement de la religion et de la morale; abus qui se rencontre parfois et qui est cause de l'hésitation qui s'est manifestée de la part du clergé quand il s'est agi de prêter son concours pour l'enseignement religieux.

M. Allard. Ce n'est pas à Tournay.

M. de Haerne. - Je ne généralise pas, je dis que cela s'est présenté.

On vous a fait peur de la possibilité de l'abstention du clergé. A cet égard on est tombé dans une très grande exagération ; on a supposé qu'elle aurait lieu à plaisir. Qu'on ne se figure pas que les choses se passeront ainsi.

Le passé répond de l'avenir. Qu'avons-nous vu dans l'enseignement primaire et quant aux écoles primaires supérieures? Ces écoles dirigées par le gouvernement sont plus ou moins en concurrence avec celles dirigées par les ecclésiastiques. Le clergé a-t-il refusé son concours? Aucunement, dans aucune circonstance. On ne peut pas aller jusqu'à supposer que cette abstention se présenterait souvent ou systématiquement, par esprit de rivalité à l'égard des établissements du gouvernement.

Elle pourra se présenter, je crois la chose possible, mais ce sera par exception, quand la responsabilité des ecclésiastiques vis-à-vis des parents sera engagée au point de les empêcher de remplir dignement et fructueusement un devoir sacré, de remplir des fonctions qu'ils voudraient pouvoir remplir en toute circonstance.

On vous a fait peur aussi de cette abstention, en disant que c'était mettre la loi au néant, que le clergé en se retirant de l'établissement vient donner un démenti à la loi, que c'est là une chose contraire à la dignité nationale, contraire au respect qui est dû à la loi.

C'est là un inconvénient qui se présente dans d'autres circonstances, qui peut se rencontrer dans l'exécution d'autres lois qui, dans certains cas, peuvent être mises en défaut. Cette loi qu'on nous présente ne pourra-t-elle pas être mise en début par les villes où il s'agit de créer des écoles moyennes ou d'établir des athénées? La loi décrète 10 athénées aux frais desquels les villes où ils seront établis concourront pour un tiers. Ajoutez le cortège de toutes les obligations que le gouvernement leur impose. Vous savez que les entraves imposées aux autorités communales ne plaisent pas à toutes les villes.

Je suppose que quelques-unes de celles où l'on se propose d'établir des athénées se refusent à les accepter, à contribuer aux dépenses, à subir les formalités gênantes qu'on leur impose; dans ce cas la ville se soustrairait au régime de la loi.

(page 1129) Je sais que la loi ne détermine pas les villes où seront placés les athénées, et qu'on a du choix; mais en dehors des chefs-lieux, dans la plupart des provinces, l'érection, d'un pareil établissement devient impossible.

Du moment où vous ne pouvez pas le placer dans le chef-lieu, la dépense seule incombant à la commune empêcherait l'érection d'un athénée ailleurs. Je suppose que dans la province d'Anvers, le chef-lieu refuse l'athénée, trouverez-vous encore une ville qui pourra faire les grandes dépenses nécessitées par l'entretien d'un tel établissement? Evidemment non.

Et puis, je pourrais étendre la supposition : je pourrais vous demander si d'autres villes ne rencontreront pas les mêmes difficultés, au point de vue de la liberté communale que le chef-lieu lui-même.

Que résultera-t-il de là? Que vous aurez décrété par la loi des établissements que vous serez dans l'impossibilité d'ériger.

On pourrait rencontrer les mêmes obstacles quant à l'érection des écoles moyennes.

Ainsi, qu'on ne dise pas qu'il faille reculer devant l'inconvénient de voir l'un ou l'autre article de la loi annulé par une circonstance qui peut naître, mais qu'on ne doit pas envisager comme devant être la règle. Je fais allusion à la position que certaines villes pourront prendre et qui serait exactement la même que celle qu'on suppose qui sera prise parfois par le clergé.

Dans l'un cas comme dans l'autre, il y aura un article de la loi qui pourra être virtuellement annulé. Il y a cependant cette différence, que, pour le cas de l'abstention du clergé, il sera évidemment possible, presque toujours, je pense, d'obvier à cet inconvénient, et que les explications dans lesquelles on entrera suffiront pour aplanir le différend; car l'abstention du clergé tiendra, j'en suis convaincu, à des circonstances locales, passagères ; tandis que de la part des communes, pour l'établissement des athénées ou des écoles moyennes, il y aura parfois des résistances qui seront invincibles parce qu'elles seront basées sur des principes.

J'ajouterai que le vœu de la loi sera rempli jusqu'à un certain point, si l'on conduit les élèves aux instructions paroissiales, quoique cet enseignement me paraisse insuffisant, comme n'étant pas approprié à la position particulière des étudiants.

Il est à remarquer que, d'après le projet de loi, cette disposition relative à l'enseignement religieux, que je ne puis admettre en aucune manière, s'applique non seulement aux établissements du gouvernement, mais même aux établissements communaux proprement dits, aux établissements communaux qui ne reçoivent pas de subside du gouvernement; car, d'après l'article 30 du projet, les établissements purement communaux sont assimilés à ceux de l'Etat et doivent se soumettre aux exigences de l'article 8 et de plusieurs autres articles énumérés.

Ainsi vous placez la commune dans la même position que l'Etat, quant à l'intervention du clergé; vous présentez cette intervention comme tout à fait indifférente par elle-même, et selon moi, tout à fait nulle pour les établissements communaux, comme vous le faites pour les établissements de l'Etat.

Je dois signaler encore un danger qui se rapporte à la rédaction de l'article 8.

Il existe beaucoup de personnes dans cette enceinte et hors de cette enceinte qui font une grande différence entre l'enseignement moyen et l'enseignement primaire au point de vue religieux.

Il en existe beaucoup qui croient que l'intervention du clergé dans les écoles primaires est de toute nécessité, et qu'elle ne peut être réclamée au même titre, pour ce qui regarde l'enseignement moyen. Je crois que c'est une erreur, et qu'on doit placer les deux enseignements sur la même ligne sous ce rapport, parce que les jeunes gens qui fréquentent les écoles moyennes sont en grande partie dans la même position que ceux qui fréquentent les écoles primaires. Mais, d'après l'article 8, les explications qui accompagnent le projet de loi et les discours que nous avons déjà entendus, il est évident que cet article sera inévitablement appliqué plus tard à l'instruction primaire.

Et, soyez-en bien persuadés, une fois qu'on aura consacré ce principe dans la loi sur l'instruction secondaire, on ne manquera pas de l'invoquer plus tard pour changer la loi de l'instruction primaire. Alors, ceux qui ont voulu cette garantie dans la loi sur l'instruction primaire et qui veulent maintenir dans cette loi, ne pourront s'empêcher d'admettre la conséquence du principe posé dans la loi de l'enseignement moyen et appliqué par cette loi aux écoles primaires supérieures ou même aux seules écoles secondaires.

Ne perdons pas de vue les funestes et déplorables conséquences produites dans d'autres pays par suite de l'absence d'enseignement religieux, par exemple, en France, en Allemagne. Voyons ce qu'à produit le monopole irréligieux de la France, monopole devant lequel la nation entière recule en frémissant aujourd'hui.

C'est dans ces pays, comme l'Allemagne et la France, dans ces pays dont le monopole a été plus ou moins irréligieux, que nous avons vu les bouleversements les plus effrayants.

Je sais qu'on cite, pour répondre à cet argument, un autre pays; je sais qu'on a fait allusion, dans cette discussion, à un pays qui a été aussi tourmenté par l'esprit révolutionnaire et où l'on suppose que l'enseignement de la religion a été donné d'une manière efficace. On a cité l'Italie, on a cité Rome. Mais, pour ce qui regarde l'Italie, la Lombardie, la Toscane et d'autres parties de l'Italie étaient soumises, sous ce rapport, au régime autrichien. C'était le joséphisme, c'était le monopole avec son indifférence, avec l'absence de véritables principes religieux.

Il ne faut pas s'étonner si, dans ces pays, les mêmes principes ont produit les mêmes conséquences, comme partout ailleurs.

On a fait allusion à l'auguste souverain qui est le symbole vivant du principe religieux, et dont le tronc a été aussi renversé par un peuple aveuglé et ingrat. L'on a voulu invoquer cet exemple pour faire voir que le principe de l'enseignement n'a pas l'importance que nous y attachons.

Mais que l'on fasse attention que la révolution qui a éclaté à Rome n'était pas une révolution romaine; c'était la révolution de l'Italie; et l'esprit révolutionnaire, le souffle destructeur qui a agité l'Italie a fait explosion à Rome, parce qu'on avait compris que c'était là que se trouvait la citadelle de l'autorité divine et humaine. C'était là qu'on voulait frapper le grand coup, c'était là que le carbonarisme portait tous ses efforts, parce qu'il était convaincu qu'en abattant cette autorité, il abattait du même coup toutes les autres.

Non, messieurs, la révolution faite à Rome n'était pas une révolution romaine; c'était une révolution italienne; et comme presque tout l'Italie était travaillée par l'esprit de l'indifférence religieuse, par l'esprit d'irréligion, il ne faut pas s'étonner qu'elle ait été emportée toute entière par un même flot; sachons profiter de ces grandes et terribles leçons, en évitant de faire des lois qui jettent dans la société des principes d'indifférence religieuse, qui produisent les désordres et les révolutions.

Le projet que je combats a une pareille tendance, une tendance de centralisation, d'accaparement de l'élément religieux par l'Etat, tendance qui me paraît excessivement dangereuse, en ce qu'elle confère au gouvernement un droit qui est contraire à l'esprit de la Constitution et qui est conforme aux idées socialistes.

Cet esprit de centralisation s'étend aussi à d'autres libertés; il s'étend à la liberté communale.

Je devrais entrer ici dans des développements relatifs à cette seconde question. Mais la chambre me paraît disposée à se séparer et je désire remettre le reste de mon discours à demain.

M. le président. - M. Toussaint a fait parvenir au bureau les amendements qu'il avait annoncés. Ils seront imprimés et distribués.

Projet de loi approuvant le traité conclu entre la Belgique et la république de Guatemala

Dépôt

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - J'ai l'honneur de présenter à la chambre un projet de loi portant approbation d'un, traité, conclu entre la Belgique et la République de Guatemala.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi; la chambre en ordonne l'impression et la distribution, et le renvoie à l'examen des sections.

La séance est levée à 4 1/2 heures.