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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 12 décembre 1850

Séance du 12 décembre 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 267) M. A. Vandenpeereboom procède à l’appel nominal à deux heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le sieur François-Barthélémy Ferrand, préposé des douanes à Neerpelt, prie la chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Ambroise Vallantin, capitaine d'infanterie, prie la chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur Dupont, saunier à Charleroy, prie la chambre de lui accorder la remise des droits afférents à une quantité de sel brut, déclarée sur son compte de crédit à terme et qui a été anéantie par les inondations de la Sambre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Louis Pépin, chef de la division de comptabilité à la cour des comptes, sollicite la place de conseiller vacante à cette cour. »

« Même demande du sieur Deaynssa, chef de division à la cour des comptes. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


M. Jullien, retenu chez lui pour affaires urgentes, demande un congé.

- Accordé.

Projets de loi approuvant les traitéd de commerce conclus avec le Pérou et la Bolivie

Rapport de la section centrale

M. T’Kint de Naeyer dépose le rapport de la section centrale qui a examiné les projets de lois relatifs aux traités de commerce conclus avec le Pérou et la Bolivie.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et en fixe la discussion à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1851

Discussion générale

M. de Perceval, rapporteur. - Messieurs, avant l'ouverture de la discussion générale, je tiens à rectifier trois erreurs qui se sont glissées dans l'impression du rapport.

Ainsi, à la page 5, le rapport imprimé dit : « La section centrale ar soumis ces considérations à M. le ministre, qui a fait observer que la question relative au nombre sans honoraires des avocats, etc. » ; il faut lire : «... que la question relative au nombre et aux honoraires des avocats, etc. »

A la page 18 on lit : « Il demande l'exécution de la loi du 3 avril 1845, qui a décrété le canal de la Campine. » Il faut lire : « ... la loi du 10 février 1843. »

Enfin, au bas de la page 37 il est dit : « Il est adopté à_ l'unanimité des sept membres présents. » Il faut lire : « Adopté à l'unanimité des sixr membres présents. » Un membre était absent et s'est réservé sou vote.

M. Delehaye. - Je demanderai à M. le ministre s'il se rallie au projet de la section centrale.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Oui, M. le président, sauf les observations que je présenterai dans le cours de la discussion.

M. Moncheur. - Messieurs, la discussion générale du budget des travaux publics me fournit l'occasion de fixer l'attention de la chambre sur quelques questions, sur quelques faits spéciaux, et de réclamer en même temps de M. le ministre de ce département quelques explications sur ces faits.

Et d'abord, messieurs, vous ne serez pas surpris d'entendre un député de Namur vous entretenir un instant du grand désastre arrivé, l'été dernier, au chemin de, fer de l'Etat, dans la partie située entre Namur et Charleroy.

Vous savez que, par suite des inondations extraordinaires du mois d'août, cinq ponts en pierre, jetés sur la Sambre pour le railway, se sont écroulés.

Toute communication s'est donc trouvée subitement interrompus (page 268) entre deux centres de population qui ont entre eux des relations de commerce continues et importantes,

Cet événement funeste causera une perte très considérable à l'Etat.

A ce point de vue donc déjà, je crois qu'il serait convenable que M. le ministre des travaux publics voulût bien donner à la chambre quelques explications tant sur l'étendue présumée de cette perte, que sur les résolutions qu'il a cru devoir prendre d'urgence, sous sa responsabilité, pour réparer les dégâts, résolutions qui engagent fortement, sans doute, les deniers du pays, mais pour lesquelles, je me hâte de le dire, je lui donnerai avec empressement, pour ma part, un bill d'indemnité.

Mais, messieurs, si le trésor public doit souffrir considérablement de ce désastre, sans compter beaucoup d'autres causés par les inondations fatales de 1850, le commerce et l'industrie de nombreuses localités et de Namur en particulier en ont également éprouvé de grands dommages.

Ce qu'il y a de regrettable, messieurs, mais ce que je dois dire, parce que cela est vrai, et parce que cela est dans le sentiment de tous ceux qui connaissent les lieux et les circonstances, c'est que l'administration du chemin de fer n'a pas fait, en cette occurrence, pour diminuer le mal, tant au point de vue de ses intérêts propres, qu'au point de vue des intérêts du public, tout ce qu'elle aurait pu, tout ce qu'elle aurait dû faire.

En effet, immédiatement après la rupture des ponts entre les villages de Ham et de Farciennes, que devait faire l'administration du chemin de fer ? Evidemment son intérêt et son devoir lui commandaient d'organiser un service provisoire pour le transport des marchandises et des voyageurs.

Rien n'était certainement plus facile, puisqu'il existe entre les stations de Floreffe et de Châtelineau une excellente route.

Mais rien de semblable n'a été fait par l'administration.

On s'est donné, il est vrai, beaucoup de mouvement dès le principe. Il y a eu des allées et des venues, des demandes de renseignements et d'avis adressés aux autorités locales, mais ces renseignements et ces avis qui, tous, si je suis bien informé, tendaient à l’établissement immédiat d'un service provisoire, sont restés à l'état de lettre morte.

Aucune mesure n'a donc été prise, et Namur s'est trouvé tout à coup et est resté dans un état d'impasse réelle.

Cependant, messieurs, ne scmble-t-il pas que lorsque l'Etat s'est attribué le monopole des transports d'un lieu à un autre, et lorsqu'il a ainsi empêché tout autre service public de s'établir ou de subsister, s'il survient quelque cause d'interruption dans l'emploi de ses moyens de transport ordinaires, il soit tenu aussi strictement, plus strictement même que îout autre entrepreneur ne le serait à sa place, d'y suppléer d'une manière quelconque, alors surtout que la chose est possible, qu'elle est facile ?

Oui, sans doute, mais à part la question du devoir envers les administrés, n'était-il pas même de l'intérêt bien entendu de l'administration de se maintenir en possession des transports des voyageurs et des marchandises, transports dont l'industrie particulière s'est emparée à son défaut, mais tant bien que mal, et en réalisant, en tous cas, les bénéfices que l'Etat aurait dû réaliser lui-même ?

A mes yeux, cela ne peut former aucun doute, puisque l'Etat est un grand exploitant et veut rester grand exploitant.

Je passe, messieurs, à une autre question plus grave dans ses conséquences et qui est relative également au chemin de fer de l’Etat.

Il est certain que, dans l'état où se trouvent nos finances, on doit demander au chemin de fer tout ce que le chemin de fer peut produire.

Mais il ne faut demander ce produit que par deux moyens, par une sage combinaison de tarifs et par une sévère économie dans l'exploitation.

On ne doit rien attendre de l'emploi de certains petits moyens, nécessairement éphémères parce qu'ils sont contraires à la nature même des choses, contraires à toute idée saine de commerce et d'économie politique. Or, c'est sur l'emploi d'un moyen de ce genre que je veux attirer un instant l'attention de la chambre. Je m'explique.

D'après le système admis jusqu'à présent par l'administration du chemin de fer de l'Etat, les chemins de fer concédés seraient pour ainsi dire considérés comme n'existant point, en ce qui concerne le transport des marchandises qui lui sont confiées, alors même que ces chemins de fer concédés offrent la voie la plus courte et par conséquent la plus avantageuse vers le lieu de destination.

Ainsi, messieurs, pour vous faire comprendre par un exemple ce que j'ai l'honneur de vous dire, lorsqu'un expéditeur de Verviers, je suppose, voudra envoyer des marchandises à Mons ou en France, l'administration du chemin de fer de l'Etat ne prendra ces marchandises qu'à la condition de leur faire faire le grand tour par Malincs et Bruxelles, au lieu de les expédier par la voie la plus directe qui est celle de la vallée de la Meuse et de la vallée de la Sambre.

Les marchandises feront donc un long circuit inutile et payeront le trajet en conséquence. Or, peur éviter ce circuit inutile et dispendieux, l'expéditeur de Verviers n'aurait, dans l'exemple proposé, qu'un moyen, mais encore ce moyen serait impraticable, à cause des embarras et des frais auxquels il serait soumis. Il devrait adresser ses marchandises à la station de Liège, peur y être remises au chemin de fer concédé de Liège à Namur ; là ces marchandises seraient transbordées et passibles de la réinscription. Arrivés à la station de Namur, nouveau transbordement et nouvelle réinscription pour le chemin de fer de l'Etat, jusqu'à la station de Manage ; là encore un nouveau transbordement et une nouvelle réinscription par le chemin de fer de Manage jusqu'à Mons, et enfin, à la station de Mons, quatrième transbordement et quatrième droit de réinscription parle chemin de fer de l'Etat vers Quiévrain.

Vous voyez, messieurs, que cela est tout simplement impossible. Cependant en fait de transports de marchandises comme en toute autre chose, la ligne la plus courte est en définitive celle qu'il faut suivre, et j'ajoute que c'est celle qu'on finira par suivre.

Il est donc nécessaire, selon moi, que le département des travaux publics renonce dès à présent au système étroit et anti-commercial qu'il semble avoir adopté sur ce point.

Ce n'est pas, je le répète, à l'emploi de semblables moyens qu'il doit demander des produits au chemin de fer, mais à la bonté des tarifs et à l'économie de l'exploitation.

Tous les railways qui sillonneront la Belgique ne doivent former, au point de vue des expéditeurs et des voyageurs, qu'un seul et vaste réseau. Ils doivent se prêter un mutuel appui et se vivifier réciproquement non seulement au bénéfice de l'industrie et du commerce, mais à leur propre bénéfice à eux-mêmes.

Des conventions, des arrangements doivent donc intervenir entre les diverses administrations de ces chemins de fer, et ces arrangements doivent être basés sur des principes larges, solides et durables.

Messieurs, je viens de faire allusion au chemin de fer de Namur à Liège. L'ouverture récente de cette voie ferrée est un fait d'une haute importance pour le pays, et je félicite le gouvernement de l'avoir autorisée immédiatement, malgré quelques prétentions contraires.

Je dirai, cependant, qu'il est à regretter que les trains ne puissent encore pénétrer jusque dans la station des Guillemins à Liège, et qu'ils doivent s'arrêter au pont du Val-Benoît.

Cet inconvénient, qui occasionne des frais et des embarras considérables aux voyageurs, n'est dû, si je suis bien informé, qu'à la non exécution, de la part de l'Etat, de certains travaux d'appropriation dan la station des Guillemins, travaux que le gouvernement s'était pourtant engagé à faire exécuter pour l'époque de la mise en exploitation du chemin de fer concédé.

J'ose espérer que cet état de choses cessera bientôt, et j'appelle, au besoin, sur ce point, l'attention de M. le ministre.

Mais, messieurs, comme complément de ce chemin de fer, il est un autre travail d'un haut intérêt public et qui doit être exécuté le plus tôt possible, c'est le pont qui doit relier les deux rives de la Meuse entre les villes de Huy et de Namur, vis-à-vis de la ville d'Andenne.

Avant même l'exécution du chemin de fer de la Meuse, ce travail était déjà jugé nécessaire comme complément des routes offrant une communication nouvelle entre les provinces de Brabant, de Namur et de Luxembourg. Le plan en a été fait, et la mise en adjudication par concession de péages en a été tentée sous le ministère de l'honorable M. Rolin. Mais aujourd'hui, il est, je le répète, comme le corollaire indispensable de la nouvelle voie ferrée.

En effet, celle-ci se trouvant sur la rive gauche de la Meuse, ce n'est qu'au mojen du pont projeté que toute la partie de la rive droite qui avoisine Andenne et la ville d'Andenne elle-même pourront participer aux bienfaits qu'elle est destinée à répandre.

Que dis-je ? messieurs ; sans le pont projeté, le chemin de fer de la Meuse, au lieu d'être utile à l'industrie si considérable, si variée de la ville d'Andenne et des environs, lui deviendrait fatal, serait pour eux un malheur, car il ferait disparaître, sans aucune compensation, tous les moyens de transport qui existent aujourd'hui, les laisserait dans un isolement complet et les rejetterait en dehors de tout mouvement commercial.

De l'exécution ou de l'inexécution de cet ouvrage, dépend donc ou la prospérité ou la ruine de toute une contrée.

Au surplus, messieurs, je me hâte de vous rassurer sur le chiffre de la dépense qui incomberait à l'Etat.

Ce n'est pas moi, d'ailleurs, qui, lorsqu'on parle de nouveaux impôts, vous pousserais à l'entreprise d'énormes travaux publics.

Mais, grâce à la convention qui est intervenue entre le prédécesseur de M. le ministre actuel des travaux publics et la société du chemin de fer concédé, celle-ci doit se charger de la moitié de la dépense. La province s'est engagée à fournir une somme de 15,000 francs, comme pour constater la nécessité de cet ouvrage quoiqu'il sera placé à l'extrémité de son territoire ; enfin la commune d'Andenne fera peut-être au-delà de ses moyens en souscrivant pour un sixième des frais.

80,000 à 100,000 francs seront donc tout au plus le chiffre de la part contributive de l'Etat, et il faut remarquer que cette somme ne sera pas placée à fonds perdus, mais qu'elle rapportera son intérêt par les péages à établir sur ce pont.

Cette somme n'excède donc point, au besoin, les limites de l’allocation pétitionnée au budget pour les routes, allocation sur laquelle la dépense pourrait, s'il le fallait, être imputée, sinon sur un exercice, du moins sur plusieurs exercices.

J'adjure donc M. le ministre de mettre tout de suite la main à l’œuvre pnur ce travail, car tous délais seraient funestes.

Ce n'est, du reste, que la restauration d'un état de choses bien ancien que nous demandons, car, au onzième siècle, il existait un pont à Andenne sur la Meuse. Ainsi, chose remarquable ! messieurs, nous sommes amenés, après huit siècles et par la force même des choses, à reconstruire un monument édifié jadis par nos pères.

(page 269) M. de Liedekerke. - Messieurs, le chemin de fer donne lieu à un renouvellement de débats de plus en plus animés de plus en plus dignes de notre attention. L'an dernier, l'honorable M. Dumortier, avec cette ardente énergie qui le caractérise, et peu de temps après, l'honorable M. Vermeire, avec cette sagesse réfléchie qui donne tant de poids à ses paroles, quoique différant sur quelques chiffres, sur quelques appréciation, arrivaient tous deux au même résultat, c’est-à-dire qu’ils constataient de nombreuses erreurs dans l’exploitation et une insuffisance considérable dans les revenus du chemin de fer. J'ai assurément moins de titres que ces honorables préopinanls pour espérer de verser de nouvelles lumières dans la nuit trop sombre qui enveloppe le chemin de fer, mais je m'estimerais déjà très heureux si je parviens à fortifier et à étendre les vives lueurs qu'ils ont su répandre sur cette administration si compliquée.

Je prie cependant la chambre de se rassurer et de croire que je n'engagerai pas son attention dans des discussions très minutieuses de tarif ; je ne lui demanderai que la permission de lui communiquer quelques chiffres, quelques comparaisons, de soumettre à son appréciation quelques faits, d'où me semblent découler ces trois conséquences. : c'est que le chemin de fer est une charge sérieuse et grave pour l'Etat ; c'est, ensuite, que ses revenus et ses ressources ne couvrent ni ses dépenses, ni ses intérêts et l'amortissement ; enfin, que l'Etat est incapable d'exploiter les voies ferrées.

Messieurs, qu'il me soit permis d'abord de dégager complétement de ce débat toutes les questions de personne, de dégager surtout celle de M. le ministre des travaux publics, arrivé depuis si peu de temps à la direction de son département. Il ne saurait, non il ne peut être question de personnes ici. Sous tous les régimes, sous toutes les influences politiques, quels qu'aient été les hommes qui ont dirigé le ministère des travaux publics, jeunes ou expérimentés, actifs ou intelligents, tous sont restés en face des mêmes hésitations, des mêmes tâtonnements, des mêmes incertitudes et des mêmes résultats.

C'est donc ailleurs qu'il faut chercher la racine des graves défauts de cette exploitation et des difficultés incessantes et presque insurmontables que rencontre cette administration : les vices ne tiennent pas aux hommes, ils sont tout entiers dans la situation elle-même.

Messieurs, veuillez-y réfléchir, ces résultats pourraient cependant devenir à la longue et plus graves et plus sérieux qu'on ne le pense. L'opinion publique reste longtemps étrangère à certains défauts qui frappent d'une manière plus particulière notre attention et notre intelligence, à nous qui, chaque jour, voyons les affaires de plus près ; mais, tôt ou tard, son jugement se forme, et on entend alors s'élever un cri universel, juste, mais exagéré, qui provoque une réaction fatale et dangereuse contre un établissement, quelque magnifique et quelque utile qu'il puisse être aux intérêts généraux du pays.

Messieurs, il y a eu, à toutes les époques, des entraînements et des engouements considérables ; il y a eu, à toutes les époques, des séductions et des ivresses d'esprit ; elles ont aussi et dans tous les temps, l'histoire l'atteste, menacé d'aboutir à des crises périlleuses et pleines de dangers, à des résultats durs et oppressifs pour les nations.

Or, que devons-nous faire ? Quels sont nos devoirs à nous, législateurs, hommes d'Etat, et hommes publics ? Ce qu'il faut faire en hommes dévoués aux intérêts de l'Etat : c'est de conjurer, de prévenir, autant que possible, ces crises, avant qu'elles pèsent trop fatalement sur le pays et sur les contribuables.

Notre époque présente deux traits principaux : deux traits qui relèvent sa physionomie d'une manière toute spéciale. L'un, c'est la diffusion des droits politiques, c'est l'intervention, c'est l'influence politique, s'étendant à toutes les classes de la nation, ce qui donne lieu à une fermentation et à une agitation morale et intellectuelle incessante. Le second, c'est une aspiration ardente vers le bien-être, vers la richesse, vers la fortune matérielle.

Eh bien, messieurs, de ces deux tendances, de cet entraînement des esprits sont résultées de grandes témérités et souvent d'immenses imprudences.

C'est à cette agitation, à cette fièvre qu'est due cette facilité avec laquelle nous créons des ressources artificielles, par l'emprunt grevant sans ménagement l'avenir et obérant trop souvent le présent. C'est ainsi que nous nous laissons séduire et entraîner vers des entreprises et les travaux publics les plus gigantesques. Et cette fièvre n'est pas seulement particulière à ce pays ; elle étend son influence sur toutes les autres nations, et, j'ose le dire, sur l'Europe entière ; eh bien, les chemins de fer occupent le rang le plus considérable, le plus éminent dans ces entreprises fabuleuses et dans ces colossales dépenses. Messieurs, les sommes engagées dans l'année 1845 pour les voies ferrées s'élèvent à la somme de 113,559,160 liv. st.

La somme qui devait encore être consacrée à des travaux de voies ferrées, voies ferrées autorisées et en train d'être construites, s'élève à la somme immense de 164,209,690 liv. st. Et ces sommes n'étaient point prises sur les revenus de la fortune générale, elles étaient empruntées sur les capitaux, elles étaient en grande partie empruntées à un taux nominal qui n'a pas été effectivement réalisé. Ainsi, par exemple, dans les emprunts que vous avez faits pour vos chemins de fer, vous perdrez un capital de 20,141,304 fr„ c'est-à-dire que le capital emprunté est de 20 millions supérieur à celui qui a effectivement été consacré à nos travaux.

Je sais bien, messieurs, que l'on répond à cela que la richesse publique a fait d'immenses progrès, que la propriété foncière a pris un accroissement de valeur considérable, malgré les charges croissantes qu'elle a subies, et l'absence directe de toute protection sérieuse ; que la richesse mobilière a suivi cette ascension progressive, que d'anciennes industries se sont développées, que de nouvelles industries ont vu le jour, qu'enfin le mouvement industriel, et qu'une agitation inconnue aux temps passés a fait pour ainsi dire circuler le sang avec plus de vivacité dans les veines de toutes les nations ; cela est vrai. C'est un spectacle qui, par moments, a souvent été merveilleux et magnifique ; mais ne nous laissons pas trop entraîner ni subjuguer par tant d'éclat, la prudence le veut, et là où nous voyons un désordre grave, sérieux, sachons y porter un remède efficace, salutaire et rigoureux.

Une des sources les plus permanentes de nos déficits, c'est évidemment celle qui naît des chemins de fer. On l'a contesté, il y a eu sur ce sujet de fréquentes controverses, de nombreux débats dans cette enceinte ; mais enfin, si l'obscurité s'est si longtemps prolongée, si de grandes incertitudes ont pu semer le doute dans nos esprits ; c'est que la comptabilité même des chemins de fer offrait d'inextricables difficultés ; c'est qu'il y régnait une confusion perpétuelle entre les frais d'exploitation et les frais de construction ; c'est qu'il était impossible dans ce dédale et dans ce labyrinthe si compliqué de découvrir quels étaient les chiffres appliqués à l'exploitation et à la construction.

Grâce enfin à la provocation d'un de mes honorables collègues qui demandait une situation financière du chemin de fer, nous sommes sortis de ces nuages et de toute cette obscurité. Nous connaissons enfin au vrai la situation financière réelle et le coût du chemin de fer.

La cour des comptes a établi différentes situations et des chiffres divers, selon l'aspect sous lequel elle a envisagé la situation du chemin de fer. Mais tous sont également authentiques, et je ne suppose pas qu'on veuille les contester ni infirmer leur valeur. Ainsi, voulez-vous prendre l'ensemble de toutes les dépenses du chemin de fer, tels que les frais de construction, les frais et les intérêts des capitaux (j'entends par frais tout ce qu'a pu coûter l'acquisition de ces capitaux), les annuités de l'amortissement et les dépenses d'exploitation, vous trouvez un total de 348,357,849 fr.

Voulez-vous maintenant prendre le chiffre le plus bas, c'est-à-dire l'ensemble des sommes résultant des emprunts à leur taux nominal, vous trouvez 189,383,940 fr.

De cette somme d'emprunts qui ont été faits paur la construction de chemins de fer, il faut défalquer les 20,141,000 fr. de perte qu'il a fallu subir en les contractant ; il faut tenir compte des 392,006 fr. bénéfice obtenu sur l'emprunt de septembre 1842, puis soustraire les 13,310,019 francs consacrés à l'amortissement, et vous arriverez au chiffre de 155 millions, auquel il faut ajouter 44 millions versés par le trésor public pour combler le déficit de construction du chemin de fer. De ces 44 millions je sais qu'il faut déduire 3 ou 4 millions que le trésor public n'avait point versés pour les amortissements de l'année 1842 et 1843, ce qui réduit leur chiffre à 30,977,774 fr., lequel ajouté aux 155 millions que j'indiquais tout à l'heure à la chambre, présente le compte du compte d'argent des sommes brutes consacrées au chemin de fer en opérations effectives comme s'élevant à un total de 193,318,352 fr.

Eh bien, messieurs, quelle devrait être la fonction financière du chemin de fer à l'égard de ce capital ? Il devrait d'abord couvrir les intérêts du capital, en second lieu, satisfaire à l'amortissement ; enfin satisfaire aux frais d'exploitation. Eh bien, le chemin de fer répond-il à cette triple destination, et à ce que ferait toute entreprise industrielle ou commerciale sagement et judicieusement conduite ? Je crains que non, et je crois qu'il me sera facile de vous en fournir la preuve.

Je tiens ici à la main un tableau, et si la patience de la chambre le tolère, en prenant un certain nombre d'années depuis le mois de janvier 1841 jusqu'au 31 décembre 1848, et en comptant, d'une part, tous les revenus, et d'autre part, toutes les dépenses, frais d'amortissement et intérêts, nous arrivons à des déficits permanents d'année en année et à un total que je trouve effrayant.

Ainsi pour établir cette situation je comprends d'une part, dms les recettes de l'exploitation proprement dite, les produits divers de celle-ci, tels que prix de rétrocession, sommes résultant des ventes d'herbages, matériel hors d'usage, buffets-restaurants, etc., et, d'un autre côt.é, si j'ajoute aux dépenses d’exploitation les frais des intérêts, amortissements, en un mot, toutes les dépenses couvertes par le budget de la fortune publique, je trouve des déficits constants qui varient d'un minimum de 2,711,341 fr. à un maximum de 8.074,748 fr. Voici au surplus le tableau de ce bilan dont je soumets les chiffres par année à la chambre.

(page 270) (tableau non repris dans la présente version numérisée)

Est-il quelque chose de consolant dans ce tableau, messieurs ? Cette constante insuffisance des revenus du chemin de fer qui constitue vos finances en une perte de fr. 38,148,260 78 c. au bout de huit années, n'est-elle pas digne d'éveiller nos préoccupations les plus sérieuses ? Supposez même que ce chiffre eût été moindre, admettez des conditions moins défavorables, serait-il prudent de continuer un tel système ? Seriez-vous justifiables de le perpétuer par une sorte de connivence, et d'impuissant laisser-aller ? Non ! non ! cela n'est plus possible.

Je le sais bien, l'honorable M. Vermeire le disait l'année dernière,qu'il faut considérer le chemin de fer comme ayant emprunté un capital rapportant 5 p. c ; par conséquent si l'on transformait la valeur du chemin de fer en actions, si on les répandait sur le marché, on se trouverait en face d'actions valant 60 ; et par conséquent en présence d'une perte de 40 p. c. du capital. De pareilles opérations, avouons-le, messieurs, seraient fatales aux finances de tous les industriels qui s'y livreraient.

Si pour une dépense de 100 francs de capital je me trouve ne plus posséder qu'une valeur de 60 fr., ou si ayant emprunté ce même capital à 5 p. c, mon revenu tombe de 5 à 3 p. c., je fais évidemment une opération ruineuse, et je me mets dans une situation si onéreuse, qu'elle doit être à la longue insupportable.

Tout financier, tout industriel, tout entrepreneur, qui ferait de pareilles opérations succomberait, et n'éviterait pas la banqueroute.

Si nos chemins de fer ne sont pas arrivés à ce résultat, c'est qu'ils ont à leur disposition toute la puissance financière du pays, c'est qu'ils peuvent puiser dans la caisse publique de la nation ; sans cela, il y a longtemps, en supposant la durée des mêmes conditions, n'en doutez pas, messieurs, que les locomotives auraient cessé de fumer, que nos voies ferrées ne seraient plus parcourues et que les stations seraient fermées.

Je vais au-devant d'une observation que faisait le prédécesseur de M. le ministre actuel ; je sais qu'on dit que le gouvernement, que le pays est assez riche pour payer 2, 3, 4 millions par an afin que chacun puisse se transporter plus facilement, plus promptement, plus commodément ; pour voiturer d'une manière plus rapide les produits du commerce et de l'industrie, et pour faciliter les rapports internationaux. On dit que les routes ne rapportent pas ce qu'elles coûtent, infiniment plus que le chiffre de leur recette, qu'on y consacre des sommes considérables ; qu'elles ne produisent que 1,766,000 francs et que les dépenses annuelles s'elèvent à 2,666,000 francs, je crois.

Oui, les routes coûtent plus qu'elles ne rapportent ; mais ce sont de véritables nécessités sociales ; les routes sont le premier besoin de tous les pays civilisés ; elles sont inséparables d'un certain degré de civilisation et de progrès ; elles sont aussi nécessaires à un État que le sont les étages ou le toit à une maison, qui sans cela ne serait qu'un édifice apparent sans utilité !

Dès lors, le raisonnement, et d'ailleurs la concurrence des voies ferrées a beaucoup diminué le revenu des routes, n'est ni juste, ni fondé, tandis que le chemin de fer répond, à quoi ? Aux besoins du commerce, aux intérêts industriels, à des profits qu'on veut faire et qu'on atteint.

Eh bien, ces profits, ces avantages qu'on veut retirer doivent se partager entre l'exploitant et celui qui se sert de l'exploitation. C'est sur cette base d'un profit commun entre l'exploitant et celui qui se sert de la voie ferrée que se sont établies toutes les entreprises particulières de chemins de fer soit en Angleterre, soit en France. Nous seuls, messieurs, nous faisons une fâcheuse exception, et j'ose le dire, qui est préjudiciable à nos finances et qui n'est nécessaire à personne.

Quelle a été la pensée du législateur, qui, en 1834, décréta l'établissement du chemin de fer par une majorité de 55 voix contre 35 ? La majorité, ainsi que l'a rappelé l'honorable rapporteur de la section centrale, l'a clairement, netlement indiquée dans l'article 3.

Que dit cet article ? Que les frais, l'intérêt et l'amortissement du chemin de fer seraient soldés sur les péages.

Voilà quelle est la pensée du législateur de 1834.

Si cette pensée n'a pas été remplie, si le chemin de fer, dans les conditions les plus heureuses, les plus brillantes, comparativement à tous les autres chemins de fer de l'Europe, n'a pu approcher, même de loin, des résultats des autres chemins de fer, c'est qu'il y a dans son exploitation, dans son organisation, des vices profonds.

Qu'il me soit permis donc de vous entretenir de quelques faits, de vous fournir quelques comparaisons entre les chemins de fer de ce pays-ci et ceux d'Angleterre et de France. En ces matières, les faits ont seuls une véritable et persuasive éloquence. Que voyons-nous ? Il y a deux exploitations, tellement en dehors (sous le rapport du produit et de la richesse) de toutes les autres voies ferrées, que je les cite maintenant sans vouloir cependant les invoquer comme un exemple absolument concluant à l'égard des nôtres.

C'est une concession que je fais, afin d'écarter les chiffres qui seraient trop accablants pour nous.

Les chemins de fer du North-Western, en Angleterre, et de Paris a Orléans et Corbeil, donnent un revenu brut de 82 à 81 mille francs par kilomètre ! C'est un résultat admirable !

En 1849, les 5,996 milles de chemins de fer d'Angleterre ont donné un produit brut de 11,806,000 liv. st., soit 301,053,000 francs ; ce qui répond à une moyenne de 31,000 francs par kilomètre.

Le chemin de fer du Nord a vu tomber, en 1848, son produit brut (il faut considérer l'année à 33,250 fr. par kilomètre), il a été de 34,000 francs en 1849. Mais en 1850, on calcule qu'il donnera 40 à 41,000 francs.

Le chemin de fer du Havre donne un produit de 37,500 fr.

Celui de Paris à Strasbourg ne produit que 30,000 francs. Mais veuillez remarquer que c'est une ligne inachevée.

Pour toutes ces lignes incomplètes, qui ne correspondent pas à quelque tête de ville importante, qui finissent pour ainsi dire dans une impasse, comme les chemins de fer de Chartres, d'Avignon et de Bâle, les produits varient de 26 à 28, de 30 à 32 mille francs par kilomètre. Mais cette même excuse ne peut se produire pour nos chemins de fer ; car ils traversent le pays le plus peuplé, le plus cultivé de l'Europe ; ils rencontrent les villes les plus considérables.

Quiconque a un peu voyagé sur les chemins de fer, aura pu constater une immense différence entre la quantité de hameaux, de villages, de bourgs, de grandes villes que traversent nos chemins de fer et le parcours du chemin de fer de Paris à Orléans, qui traverse les plainesinsipides et nues de la Beauce, et qui, malgré cela, atteint de si brillants résultats.

Le produit brut des 3,000 kilomètres de chemins de fer exploités en France, en le portant à 85 millions, donnerait une moyenne de 28,333 fr. par kilomètre, somme toujours supérieure à celle de 26,600 fr., produit brut des chemins de fer belges, en 1847, par kilomètre.

En 1843, les frais d'exploitation sur les 24 meilleures lignes d'Angleterre présentaient une moyenne de 41 pour cent de la recotte brute, et sur 24 lignes moins bonnes donnaient une moyenne de 50 pour cent de la recette brute.

Sur les chemins de fer belges la dépense a été en 1841 de 68 pour cent, en 1842 de 62 p. c., en 1843 de 60 p. c., en 1844 de 51 1/2 p. c., en 1845 de 50 8/10 p. c., en 1846 de 53 p. c. et en 1847 de 62 2/10 p. c.

Sur les chemins de fer du Nord la dépense a été ; En 1847 de 46 3/10 p. c., en 1848 de 54 6/10 p. c. et en 1849 de 39 5/10.

Messieurs, il faut remarquer que l'année 1848 a été fatale à tous les chemins de fer ; que, dans cette année, les frais d'exploitation ont été toujours plus considérables et les revenus toujours moindres. Mais les graves incidents politiques de cette fatale année, la perturbation générale qui a eu lieu en France, expliquent suffisamment à quelles nécessités politiques momentanées, à quelles obligations plus grandes envers les ouvriers il a fallu céder, et justifient suffisamment les dépenses d'exploitation de cette époque qui, comme vous le voyez, baissent immédiatement l'année suivante, puisque sur le chemin de fer du Nord de 54 p. c. en 1848, elles tombent à 39 p. c. en 1849.

Il faut d'ailleurs remarquer que l'exploitation du chemin de fer dans notre pays se trouve dans des conditions particulièrement favorables. D'abord les pentes sont faibles en général, à l'exception de quelques fragments de nos lignes ferrées.

En second lieu, partout on trouve avec abondance la houille qui sert à faire le coke. Ainsi voilà deux grandes conditions d'économie d'exploitation qui se trouvent réalisées pour nous et qui ne le sont pas également pour les voies ferrées de la France et de l'Allemagne.

(page 271) Messieurs, je ne voudrais pas que la chambre pût croire que le document dont j'ai eu l'honneur de lui donner lecture soit un document hasardé ou emprunté à des calculs faits à la légère. J'ai puisé à trois sources différentes pour arriver à ces calculs. L'une de ces sources était le travail remarquable, et que beaucoup de mes collègues ont peut-être pu lire, d'un homme aussi distingué par sa science qm par ses connaissances politiques. L'autre élément, je le tiens de l'administration même de deux grandes exploitations de chemins de fer de Paris. Je tiens ici de nombreux tableaux, et ils concordent parfaitement avec le travail que j'ai cité.

Les autres renseignements, je les ai conquis par mes recherches et par mes travaux personnels.

Ainsi, il me paraît que ce que j'ai eu l'honneur de dire à la chambre peut mériter quelque confiance et que si quelques erreurs involontaires s'y étaient glissés, elles ne pourraient être fort considérables et ne sauraient vicier l'ensemble de mes conclusions.

Je serais désespéré, je le répète, soumettant à la chambre des calculs et des questions de chiffres assez fastidieux à entendre, qu'elle pût croire qu'il s'y trouve quelque chose d'irréfléchi et laissé au hasard.

Messieurs, les comparaisons que nous venons d'établir entre les chemins de fer français, les chemins de fer anglais, et les chemins de fer de notre pays ne sont pas évidemment en notre faveur. Arrêtons-nous maintenant à quelques autres actes d'administration du chemin de fer.

Permettez-moi de faire un peu d'histoire rétrospective. Car enfin, messieurs, c'est en reconnaissant ce qui s'est fait dans le passé, en recherchant les fautes, les erreurs, les hésitations auxquelles on s'est livré, qu'on peut s'instruire et craindre pour tout ce qui se fait dans le présent ou qui pourra se faire dans l'avenir.

Messieurs, l'histoire de nos tarifs est une histoire véritablement fantastique ; ce sont des changements continuels, des bouleversements perpétuels, une mobilité que rien n'explique et ne justifie. Le tarif d'une année n'est plus le tarif de l'année d'ensuite. Bien plus, un tarif conçu au commencement de l'année n'atteint pas son dernier mois.

Depuis 1835 jusqu'en 1841, le chemin de fer avait eu à « subir », je me sers à dessein de ce mot, car c'était un véritable martyre qui lui était imposé ainsi qu'aux administrateurs de tous les grades, avait eu à subir six tarifs différents. De temps à autre, on baissait les berlines ou les diligences et on haussait les waggons, ou bien l'on agissait en sens inverse. Ainsi, jusqu'en 1839, un tarif très favorable avait donné annuellement ou du moins pendant deux années consécutives, un bénéfice considérable.

En 1839, tout fut changé : on introduisit un tarif plus élevé quant aux waggons, moins élevé quant aux diligences ; le résultat fut une disparition presque complète de voyageurs de la troisième classe.

En 1841, nouveau tarif ; ici on revint à un taux beaucoup plus modéré pour les voyageurs de la dernière classe ; mais par un phénomène très extraordinaire, tel fut le résultat du nouveau tarif que le nombre des voyageurs étant beaucoup plus considérable, le produit fut beaucoup plus faible ; qu'ayant double ou triplé, par exemple, je n'ai pas l'exact résultat présent, la quantité des voyageurs, on imposait à l'Etat une perte quotidienne de 1,327 fr.

Messieurs, il y a deux principes qui forment la base de la tarification : l'un, c'est de provoquer le plus grand mouvement possible des classes inférieures ; évidemment, puisqu'il faut au chemin de fer un grand mouvement de circulation, il faut aussi la produire là où elle peut être le plus abondante, il faut la prendre dans les classes inférieures, puisqu'elles constituent le grand nombre.

Eh bien, lorsqu'on a voulu appliquer ce principe, on l'a fait d'une manière tellement erronée qu'avec une grande augmentation du nombre des voyageurs on est arrivé à une diminution sensible des recettes. C'est ensuite sur les petites distances qu'il faut aussi porter son attention. C'est seulement sur les petites distances qu'une concurrence quelconque peut s'établir avec le chemin de fer ; il faut donc des prix assez bas pour le parcours des petites distances. Eh bien, qu'est-il arrivé ? Lorsqu'on a voulu régler le parcours des petites distances, on est arrivé à ce résultat qu'un voyageur en prenant deux fois un billet pour parcourir une distance donnée, payait moins que lorsqu'il prenait un seul billet pour parcourir la même distance.

On est tombé dans des bizarreries plus étranges encore, c'est qu'un voyageur en diligence, par exemple, pour aller de Courtray à Bruxelles, payait 8 fr. 80 c, tandis que s'il n'allait que jusqu'à Vilvorde il payait 9 fr. 20 c. Celui qui allait de Courtray à Anvers payait 8 fr. 80 c, mais s'il s'arrêtait à deux lieues d'Anvers, il payait, en descendant à Vieux-Dieu 9 fr. 60 c.

Le voyageur de Bruges à Harlebekc, 4 fr. 40 c ; mais s'il s'arrêtait à Waereghem, 6 francs.

Messieurs, je cite cela pour prouver les anomalies auxquelles on peut arriver et les contradictions extrêmes dans lesquelles on peut tomber lorsque, s'appuyant sur un principe vrai, on en méconnaît complètement l'application.

Qu'arrivait-il, par exemple, pour les parcours à petite distance, par suite de la faculté qu'on avait de payer un supplément ? C'est qu'il n'y avait ici aucun contrôle, aucune surveillance : ces recettes étaient abandonnées à l'arbitraire et à l'honnêteté personnelle des employés inférieurs. Quoique j'aie la plus grande confiance dans l'honnêteté proverbiale de nos employés, c'est cependant un mauvais acte d'administration, car il n'y a point de contrôle.

En 1840 intervinrent, je crois, les tarifs pour les transports des marchandises, et l'année suivante, en 1841, ils subissaient déjà des modifications On fit des concessions, notamment pour les petites marchandises, qui furent diminuées de 25 p. c. D'après le même tarif, l'Etat se chargeait du camionnage pour le transport de toutes les grosses marchandises, c'est-à-dire que l'Etat allait prendre à domicile des cargaisons entières de houille, par exemple, pour les consigner au chemin de fer. La prise à domicile était facultative, mais dès que l'on avait confié au chemin de fer le transport de marchandises pondéreuses, le transport à domicile n'était plus facultatif : il fallait nécessairement se soumettre à laisser transporter les marchandises à leur destination particulière par le camionnage de l'Etat ou payer une certaine somme a l'entrepreneur de ce camionnage, comme transaction.

C'était encore là un acte détestable d'administration et qui excita de légitimes plaintes de la part du commerce.

Puisque j'ai prononcé le mot de camionnage, il m'est impossible de ne pas soumettre à la chambre quelques faits qui paraîtraient incroyables s'ils n'étaient pas authentiques, s'ils n'étaient pas attestés par des documents officiels.

Pour remettre à domicile des marchandises de la première catégorie, l'administration percevait 5 centimes par 100 kilogrammes.

Et payait à Bruges, 14 centimes, perte 7 c.

A Liège, 29 centimes, perte 24 c.

A Bruxelles, 14 centimes, perte 9 c.

Sur la deuxième catégorie, l'administration percevait 10 centimes par 100 kilogrammes, Et payait par 100 kil.

A Liège, 30 centimes, perte 20 c.

A Bruxelles, 17 centimes, perte 7 c.

A Bruges, 15 centimes, perte 5 c.

Messieurs, j'aurais pu continuer ce tableau, y ajouter plusieurs autres chiffres, ils sont tous de la même portée ; mais ab uno disce omnes ; il suffit d'en connaître quelques-uns pour les apprécier tous.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il faudrait donner le prix de tout le parcours dépuis le point de départ jusqu'à la remise à domicile.

M. de Liedekerke. - Pardon, voici le fait : L'Etat voulant transporter les marchandises au domicile de ceux auxquels elles étaient adressées, avait, dans les différentes localités desservies par le chemin de fer, fait des contrats avec des entrepreneurs de camionnage ; eh bien,les résultats de ces contrats sont les chiffres que je viens de citer ; c'est-à-dire que les traités fails entre l'Etat et le camionneur se résolvaient en une perte pour l'Etat.

Sur les marchandises de la première catégorie par exemple, ainsi que je viens de le dire, pour un poids de 100 kil., l'Etat percevait 5 c. pour le camionnage, tandis qu'il payait à l'entrepreneur 12 c. ; perte, 7 c. C'était là le résultat le moins désastreux, comme je viens d'avoir l'honneur de l'indiquer, puisque la perte allait jusqu'à 24 c. dans quelques localités.

Si M. le ministre avait quelques doutes sur l'exactitude des chiffres que j'ai cités, il me serait facile d'indiquer les différents rapports où je les ai puisés.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne nie pas le fait, mais j'ai dit qu'il faut considérer le prix du parcours tout entier. Il est possible que la perte sur le camionnage soit couverte par le bénéfice résultant du reste du parcours.

M. de Liedekerke. - Je vais citer de nouveaux faits, si vous voulez, messieurs, approfondir la question des frais de camionnage pour des houilles.

Eh bien, vous étiez en débat, à cette époque, sur une interprétation du contrat fait avec des entrepreneurs du camionnage à Liège ; et le transport des houilles d'Ans à la ville de Liège pouvait vous exposer, par chaque transport de 100,000 kilog., à une perte véritable. Voilà le résultat qui a été constaté dans le rapport d'une de vos commissions, et en calculaut sur le coût du transport pour le parcours tout entier, et c'est ce que demandait de moi, M. le ministre, l'Etat aurait pu se trouver non seulement en face d'une recette affaiblie, mais même d'une perte sèche.

Tels sont les résultais de l'entreprise du camionnage et les avantages qu'elle pouvait vous procurer.

Si j'ai cité ces faits, c'est pour vous prouver, messieurs, à quelles incertitudes, à quels tâtonnements, est condamné l'Etat exploitant et quelle est son incapacité pour administrer, d'une manière utile et fructueuse pour la fortune publique, une entreprise industrielle et commerciale quelconque.

L'intérêt personnel est bien autrement habile ; il sait bien mieux combiner et les nécessites de son intérêt et les besoins de sa fortune que l'Etat ne saurait le faire ; il sait mieux satisfaire aux exigences du commerce et de l'industrie que l'Etat ne peut le faire ; il a plus de flexibilité ; il est plus habile que l'Etat à découvrir et à réaliser ce qui est utile au commerce et à l'industrie.

Mais est-ce tout ? Faut-il ne rechercher que des questions rétrospectives ? Et la situation actuelle n'est-elle pas digne de quelques remarques ? Maintenant, malgré tant d'années d'expérience, il est plusieurs inconvénients dont se plaint le commerce. Ainsi, par exemple, l'administration du chemin de fer se réserve 24 heures pour l'expédition des marchandises ; on dira qu'il est naturel qu'on se réserve un pareil espace de temps pour pouvoir expédier les marchandises ; mais après la règle (page 272) vient l'exception, la voixi : « Sauf le cas d’encombrement. » Mais qu’est-ce que le cas d'encombrement ? L’encombrement !... Mais il peut exister dans l'imagination du directeur et des employés du chemin de fer ; il peut exister dans leur négligence, dans leur indifférence. Voila une exception qui tue la bonté de la règle ; voila une exception qui, souvent malheureusement appliquée, provoque les plaintes justes et fondées du commerce, et qui lui fait dire avec raison qu'il lui est tout aussi impossible qu'à l'Etat de retirer du chemin de fer tous les avantages que l'Etat et le commerce sont en droit d'en attendre.

Pour une expédition du poids de douze tonneaux, je crois, il faut prévenir 48 heures d'avance l'administration du chemin de fer ; que si, pour le moment du départ, vous n'avez pas consigné votre marchandise, vous êtes condamné à 5 francs d'amende par waggon.

Voici un autre fait plus frappant, plus hostile, plus contraire aux intérêts du commerce, c'est que si un transport de dix waggons charges arrive dans une station, le déchargement doit s'en opérer dans les six heures, ou bien l'adminislration fait enlever les marchandises, à raison de 20 centimes les 400 kil., ou emmagasiner à raison de 5 centimes les 100 kilogrammes.

Eh bien, ces conditions exorbitantes ne se rencontrent assurément pas dans la plupart des chemins de fer exploités par des compagnies particulières ; au moins je n'ai rien trouvé de pareil dans les recherches auxquelles je me suis livré.

Disons un mot du tarif du 1er septembre 1848 ; ce tarif est le plus moderne sous lequel vivent les chemins de fer, c'est son dernier régime, c'est sa dernière transformation ; ce n'est pas cependant son âge mùr ; au moins je ne le crois pas.

Eh bien, quelle est la pensée qui a présidé au tarif du 1er septembre 1848 ? La pensée qui a inspiré ce tarif, le principe qui y a présidé, c'est d'abaisser le prix de transport des marchandises pondéreuscs, afin d'attirer la plus grande quantité possible de ces marchandises sur la circulation de la voie ferrée.

Or, cette pensée a-t-elle été fidèlement respectée ? Ce principe, I'a-t-on fidèlement suivi dans ses différentes applications ? Non, messieurs, il a fallu s'en écarter, par des considérations particulières, sur la motion de différentes chambres de commerce ou pour satisfaire des intérêts divers.

Quelle est, en effet, l'observation que faisaient les auteurs ou plutôt les inspirateurs de ce tarif ? Ils disaient :

« Dans notre idée, le tarif favorisé n'aurait dû être appliqué qu'à la houille, aux fers et aux denrées alimentaires. Mais cette nomenclature, déjà notablement étendue par la commission des délégués des chambres de commerce, le fut encore d'une manière générale à l'occasion de la publication du livret réglementaire du 11 novembre, et successivement depuis cette époque, pour satisfaire à des réclamations fondées. »

C'est là, messieurs, ce qu'il faudrait débattre, ce dont on peut douter.

Je reprends la citation :

« Les prévisions des auteurs du mémoire ne pouvaient en conséquence se réaliser, et pour les relations intérieures, les transports favorisés représentent, en réalité, les deux tiers du mouvement total de la deuxième période de 1848, tandis que, d'après ces prévisions, ils n'auraient dû en fournir que le tiers. »

Le gouvernement s'est trouvé ici dans la situation où il se trouvera toujours : il a dû céder à des sollicitations diverses, à des intérêts locaux ; il n'a pas pu y résister ; je n'incrimine, je n'attaque personne ; c'est la position où nécessairement, fatalement, se trouvera toujours un gouvernement ; il a dû céder à toutes les sollicitations ; il n'a pas pu se borner à accepter ce qui pouvait être juste et fondé chez les uns ; mais lorsqu'il avait accepté d'un côté, il fallait qu'il cédât de l'autre ; et pourquoi ? Parce que, quand vous avez fondé, avec les deniers des contribuables, des entreprises aussi considérables, quand vous les exploitez au nom des contribuables, tous, messieurs, se croient des droits égaux, ne reculent devant aucune demande, et s'imaginent que c'est une injustice de résister à leurs réclamations, fondées ou non.

Quelle est la conclusion du rapport qui nous a été présenté, il y a quelques mois ? Quelle est la manière dont on envisage les résultats du tarif du 1er septembre 1848 ? Permettez-moi, messieurs, de vous lire le résumé de ce rapport !

« En résumé, considérant d'abord le service des grosses marchandises, l'on doit reconnaître que les résultais financiers de l'exploitation de 1848 eussent été plus favorables pendant la deuxième période que pendant la première et que les tarifs du 1er septembre ne sont pas étrangers à cette amélioration, en ce sens, qu'ils paraissent avoir contribué à l'accroissement du mouvement. »

C'est-à-dire que l'auteur du rapport trouve qu'il y a bénéfice et avantage, parce qu'il a accroissement de mouvement ; mais un accroissement de mouvement n'est pas une augmentation de revenu ; un accroissement de mouvement n'est pas toujours une progression du revenu financier, et sur cet accroissement financier si désirable, silence complet dans le rapport ou du moins rien de concluant.

Le tableau devient plus sombre : « Considérant ensuite le service des petites marchandises, il est impossible de se dissimuler, au contraire, combien l'introduction des tarifs du 1er septembre lui a été défavorable, les résultats financiers de la deuxième période étant plus déplorables encore que ceux de la première. En ce qui concerne ce dernier service, il est donc possible de conclure, dès à présent, qu'il est urgent d'apporter des modifications au tarif. »

Voilà donc qui est bien positif, et assez clair. Quant au tarif des grosses marchandises, on est moins explicite, mais on ne paraît pas avoir une foi bien robuste dans sa boné, tel du moins qu'il existe aujourd'hui.

Si je consulte, messieurs, le rapport de la section centrale, qui, malheureusement nous a été distribué un peu tard et dont il nous a été dès lors impossible de prendre une connaissance approfondie, j'ai recueilli l'impression que les membres de la section centrale étaient sous l'influence de ce même fait, c'est que le tarif du 1er septembre 1848 avait besoin d'être altéré, de subir des modifications, afin d'atteindre des résultats financiers favorables à la fortune publique.

Mais, messieurs, permettez-moi de vous citer encore un fait.

On n'a pas contesté que le transport des petites marchandises, des objets du messagerie ne soit un article très important pour les revenus et les bénéfices du chemin de fer. C'est un revenu très considérable, puisque la vitesse du chemin de fer étant supérieure à toute autre vitesse, il est évident que pour le transport de ces petites marchandises qui sont ordinairement précieuses, on aime bien mieux avoir recours au chemin de fer.

Eh bien, les formalités de réception de la marchandise sont plus grandes pour les expéditeurs dans les bureaux du chemin de fer que dans ceux des messageries, et les messagistes trouvent dans le prix et les conditions du tarif n° , ainsi que dans une vitesse de transport presque aussi considérable, toutes les facilités possibles pour accepter en détail les colis du commerce et en opérer le groupement.

Ainsi, messieurs, voici un fait extraordinaire : le messagisle ne fait pas concurrence au chemin de fer par un autre moyen de transport. Nullement. Le messagiste attire à lui les paquets, il se sert du chemin de fer pour lui faire une concurrence directe et transporte à meilleur marché que lui par la voie ferrée elle-même. C'est là un résultat que je livre à l'appréciation de la chambre. On peut le caractériser au moins de singulier et de bizarre.

Messieurs, l'on a dit que le temps est une véritable richesse.

La vitesse du chemin de fer réalise-t-elle sous tous les rapports tous les bénéfices qu'on pourrait en attendre ? Non, pas davantage. Il est généralement d'une lenteur désespérante.

Quelle est la vitesse moyenne de nos chemins de fer ? Cette vitesse est de 30, 35 et 40 kilomètres à l'heure au plus. Quelle est la vitesse des chemins de fer français ? Toujours 40 kilomètres, tandis que la grande vitesse en France atteint 60, 70 et 80 kilomètres par heure. On met, par exemple, cinq heures pour venir de Paris à Valenciennes ; de Valenciennes à Bruxelles on met quatre heures et demie ; et l'on ne peut prétexter ici les douanes, car la douane se transporte dans les capitales respectives.

Je sais bien que M. le ministre des travaux publics aura peut-être une réponse toute prête, il l'a déjà faite, et elle se trouvait l'an dernier dans la bouche de son prédécesseur, et vraiment elle commence à être une édition stéréotypée. Cette réponse est de dire que les rails étant trop faibles dans notre pays, ils ne supportent pas la grande vitesse.

Tous les ans nous changeons une partie de rails, nous versons tous les ans des sommes considérables pour remplacer ceux qui sont usés. Change-t-on le poids des rails ? Cela est possible ; mais alors je demanderai pourquoi la vitesse n'augmente pas, et ne se met pas en rapport avec le poids des rails, qui admettent une plus rapide circulation ?

Messieurs, la différence d'une bonne tarification, d'un transport plus rapide, d'un service mieux combine se résout en faveur d'autres lignes d'une manière bien notable.

Quels ont été les produits du chemin de fer du Nord en 1849 ? Il a produit, sur un parcours de 580 kilomètres, la somme de 19 millions ; en 1850 le chiffre sera de 24 millions.

M. le ministre des finances a majoré récemment le revenu probable du chemin de fer belge pour cette année de 200,000 francs ; il sera de 15,200,000 fr. C'est la somme la plus élevée qu'ait jamais produite le chemin de fer belge, et cependant il se trouve de 8,800,000 fr. au-dessous de la recette du chemin de fer du Nord.

Le chemin de fer d'Orléans, sur un parcours de 155 kilomètres (y compris la section de Corbeil), donne un rapport brut de 10,833,000 francs ; et tous les chemins de fer français donnent un produit quoiqu'il soit, brut ou net, infiniment supérieur à celui de nos chemins de fer.

J'en excepte toutefois les chemins de fer du centre ; mais à leur égard cela s'explique ; ces chemins ne sont pas achevés et ne touchent à aucune des grandes villes sur lesquelles ils sont dirigés.

Les actions du chemin de fer d'Orléans, j'ai déjà dit que je ne voulais pas le prendre pour point de comparaison direct et absolu, à cause des circonstances extraordinairement favorables dans lesquelles ce chemin se trouve, donnent 10,33 p. c. ; chaque action de 500 fr. rapporte en moyenne 51 fr. 67 c. Messieurs, les différents faits que j'ai parcourus, les différentes comparaisons que j’ai pu faire ne sont pas en faveur de notre chemin de fer ; loin de là ; ce sont de tristes résultats que j’ai eu à signaler à la chambre ; des résultats très pénibles qui montrent l’insuffisance de l’administration, les vices de l'exploitation, vices qui font peser des charges considérables sur l'Etat.

Au reste, ne nous le dissimulons pas, l'exploitation des chemins de fer est la question la plus difficile à résoudre ; il faut être industriel et administrateur ; il faut beaucoup d'intelligence et non moins d'activité ; il faut savoir réunir et faire agir ensemble et avec un accord éclairé, un grand nombre d'aptitudes diverses ; il faut de la décision et de la (page 273) prudence ; il faut être constructeur, industriel, commerçant, mécanicien, messager, presque machiniste ; il faut réunir toutes ces différentes qualités pour donner à une exploitation de chemin de fer toute sa valeur et lui faire produire tous les bénéfices qu'on a le droit d'en attendre, et sans lesquels les railways sont une ruineuse spéculation.

Messieurs, nos prédécesseurs qui, en 1834, votèrent la construction du chemin de fer et ne la votèrent qu'après de langues hésitations, tout en décidant que le chemin de fer serait construit par l'Etat, n'avaient nullement entendu résoudre la question de savoir s'il serait exploité par l'Etat, ou si l'exploitation serait abandonnée à une compagnie. Loin de là ; en 1835, l'honnorablc M. de Theux présenta un projet de loi qui l'autorisait à régler provisoirement par arrête royal l'exploitation de la section achevée ; une nouvelle loi intervint en 1838, déclarant que l'exploitation serait réglée par une loi définitive sur la matière.

Vous êtes encore sous cette même tolérance, ainsi que le disait mon honorable ami M. de Man ; rien encore n'a été décidé positivement, définitivement par une loi. Ce n'est pas une question résolue. Ce qui est clair aujourd'hui, c'est que cette tolérance a été funeste aux intérêts de l'Etat et aux intérêts de l'exploitation du chemin de fer.

En 1834, quand il s'agissait de décréter la construction du chemin de fer, que proposait M. Rogier ? Pénétré des dangers, des difficultés de l'exploitation du chemin de fer par l'Etat, sous une simple direction ministérielle, il proposait de nommer une commission de surveillance, et voulait que cette commission, composée de représentants, de sénateurs et de trois membres choisis par le Roi, administrât, dirigeât, contrôlât l'exploitation du chemin de fer.

Il est extrêmement regrettable que celle tolérance ait continué si longtemps et que la commission dont je viens de parler n'ait pas été chargée de diriger ou de contrôler l'exploitation du chemin de fer dont le monopole a été abandonné au gouvernement.

Peut-être eussions-nous évité bien des fautes, prévenu bien des erreurs.

Enfin quelles sont les conclusions qui surgissent de l'ordre de faits que je viens de dérouler devant vous ? C'est que l'Etat n'est pas fait pour être le gérant, le directeur d'une entreprise quelconque.

Vous lui confiez l'impôt. Mais qu'est-ce que l'impôt ? La rémunération des services rendus. De quelle nature doivent être les services à rendre par l'Etat ? Est-ce que l'Etat doit avec l'impôt se livrer à des entreprises, chercher à faire des bénéfices, courir des chances, et s'exposer à des pertes ? Tel n'est pas le devoir de l'Etat ; telle n'est pas sa destinée sociale.

L'Etat a une mission plus élevée, des devoirs plus simples, mais immenses et admirables dans leur simplicité.

Il doit protéger l'indépendance, la propriété, le travail des citoyens, sa liberté et sa sécurité ; il doit assurer la moralité des transactions. Voilà la haute mission de l'État.

Oui, l'Etat doit intervenir dans l'intérêt social par la justice qui applique la loi, qui déclare le droit par la force publique, qui fait prévaloir et triompher les décisions prises en vertu de la loi par la puissance administrative, qui règle les intérêts divers de la société et les met en harmonie avec l'intérêt privé et public en combinant dans une juste mesure ce qui convient à l'individu et à la raison d'Etat.

Voilà la haute sphère dans laquelle doit se mouvoir l'Etat ; il exerce alors un pouvoir utile, bienfaisant.

Mais quand vous voulez l'entraîner hors de cette sphère, pour le faire entrer dans le dédale des intérêts matériels, qui peuvent être confiés au génie et à l'initiative individuelle, vous faussez, vous falsifiez sa mission. Oui, permettez-moi de le dire, car c'est ma conviction profonde, sincère, quand vous faites de l'Etat un industriel, un commerçant, un entrepreneur, vous changez l'Etat en un être inepte ou tyrannique.

Il est un seul moyen pour l'Etat de faire des profits assurés, c'est de constituer des monopoles. Oui, messieurs, avec le privilège d'un monopole, l'Etat peut espérer de faire des bénéfices. Ce qui équivaut à dire que, pour qu'il puisse triompher de l'aptitude industrielle des particuliers, il lui faut la ressource d'un absolutisme qui ne tolère pas de rivaux. En dehors de ces conditions, qui ne sont pas, certes, celles de la liberté, l'Etat, tout, en ne réussissant pas, aura cependant sur tous les esprits, sur toutes les habitudes d'une nation, une influence regrettable et qui à la longue peut devenir pernicieuse.

Il décourage les particuliers actifs, il affaiblit les ressorts de l'énergie individuelle, il resserre l'expansion de l'initiative spontanée et courageuse des caractères, il habitue toutes les classes d'une nation à faire un constant appel, dans tous leurs besoins, dans tous leurs désirs, dans toutes leurs espérances, à la garantie, à la caution gouvernementale. C'est une féodalité nouvelle. Mais à la longue, car les suites des mauvais principes ne se démasquent que lentement, il en naît un vaste désordre, ou une servitude universelle.

Le désordre provient de ce que l'on multiplie les opérations, de ce que l'on fait des dépenses superflues et que les impôts confiés à l'administration vont se perdre, s'éparpiller dans des entreprises mal conçues, plus mal conduites encore, dans des constructions qui dépassent toujours la valeur indiquée ; voilà le désordre matériel dans lequel on tombe ; le désordre, l'abaissement moral ne sont pas moins grands, car en habituant les individus à demander constamment l'appui de l'Etat, on fait du pays une nation de solliciteurs, et la cupidité se glissant dans les caractères, leur trace comme but suprême, comme le couronnement de leurs espérances, les places, les emplois et les fonctions publiques.

Voilà par où l'on s'affaisse dans la corruption et le désordre, et comment s'effacent les nobles attributs de l'indépendance humaine.

Messieurs, je termine par une dernière réflexion : M. le ministre des finances vous disait l'année dernière, en discutant le budget des voies et moyens, qu'en faisant le dépouillement de tous les budgets, depuis 1830, il était arrivé à ce résultat que, sur les dépenses ordinaires, il y avait un déficit de 45 millions et sur les ressources extraordinaires un boni de 9. Ce qui porte le déficit à 35 millions.

Cette année M. le ministre des finances prenant la parole dans la discussion sur le budget des voies et moyens, nous assurait que le déficit était de 31 millions.

Je ne sais si le déficit est de 35 ou de 31 millions. Mais qu'il soit de l'un ou de l'autre de ces chiffres, quoi que vous fassiez, soit que vous vous engagiez plus avant dans de rigoureuses réformes (que je crois impossibles ou peu importantes), soit que vous votiez, que vous imposiez aux contribuables de nouveaux impôts, il est évident, il est patent que ce qui doit surtout éveiller l'attention du parlement, c'est l'organisation profondément vicieuse de l'exploitation du chemin de fer ; c'est là qu'il faut diriger vos plus rigoureuses investigations, qu'il faut apporter un remède réfléchi, mais immédiat ; c'est cette plaie qu'il faut guérir, qu'il faut cicatriser ; c'est ce goufre (il est permis d'employer cette expression, lorsqu'on songe à la quantité de capitaux que le chemin de fer a engloutis) qu'il faut fermer. C'est là ce qui doit devenir l'objet de votre sollicitude, de vos préoccupations ; c'est à de si désastreuses opérations qu'il faut, sans délai, appliquer votre surveillance financière la plus scrupuleuse afin d'arrêter un système déplorable et qui paralyserait, n'en doutez pas, vos résolutions économiques les plus salutaires.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, l'honorable membre vient d'adresser à l'administration du chemin de fer des reproches qui peuvent se résumer dans ce principe : inaptitude, incapacité de l'Etat en matière de travaux publics. Il y a un pays, un seul, qui a proclamé ce principe de l'incapacité de l'Etat en matière de grands travaux publics : c'est l'Angleterre. L'Angleterre est un pays à part ; l'Angleterre, qu'on cite dans toutes les discussions, est un pays de grandes fortunes ; le sol y est immobilisé dans les mains de quelques milliers de familles ; l'esprit d'association y a pris des développements extraordinaires ; l'esprit de spéculation y a une audace à défier les efforts de nos fortunes modestes ; on comprend que, dans ce pays, on ait érigé en axiome l'incompétence de l'Etat en matière de travaux publics. Mais cet axiome, peut-il recevoir son application en Belgique ? Un jour, le principe de la décentralisation des travaux publics a été déposé dans la loi fondamedtale de 1813 ; on n'a pas tardé à recourir à un autre principe, à charger l'Etat de reprendre successivement toutes les voies de navigation fluviale et de communication artificielle.

Pourquoi l'Etat serait-il incapable de diriger les grands travaux publics, de diriger l'exploitation du chemin de fer ? De quoi se compose l'exploitation d'un chemin de fer ? De trois éléments, de trois forces, dont l'Etat en possède deux mieux que l'industrie privée : la première est la puissance de recueillir les capitaux ; le crédit de l'Etat est nécessaire aux sociétés particulières, dans les pays mêmes où le principe de l'incapacité de l'Etat a été proclamée ; la deuxième force, c'est l'habileté à construire le chemin de fer. Est-ce que cet élément, l'Etat ne le possède pas ? Est-ce que, pour construire un chemin de fer, il n'a pas recours à l'industrie privée ? Est-ce qu'il n'a pas un corps d'ingénieurs qui, par sa science, par sa probité, est à l'abri de toute espèce de soupçon ?

Ce serait donc l'inaptitude à exploiter que l'on reprocherait à l'Etat ! Mais que l'on consulte l'histoire des grands travaux publics dans ce pays qu'on nous oppose toujours, l'Angleterre. Avant l'ouverture du chemin de fer, c'étaient les canaux qui étaient en possession de toutes les communications, et comment le petit commerce était-il traité par les exploitants de ces canaux ? Il était rançonné par des tarifs excessifs, qui n'ont été abaissés qu'après l'ouverlure des chemins de fer. Eh bien ! ici encore le monopole, les vexations des concessionnaires étaient tels, les abus si criants qu'à deux reprises le parlement s'est ému des réclamations du commerce et de l'industrie ; il a chargé le bureau du commerce de veiller à la sécurité des voyageurs, des industriels, des voyageurs dans les voitures de troisième classe, qui avaient été relégués la nuit, sur des convois, pêle-mêle avec des bestiaux. C'est depuis ce temps-là seulement qu'on a, en Angleterre, les trains connus sous le nom de « parliament trains ».

L'honorable préopinant, qu'il me permette de le lui dire, rapetisse singulièrement le sujet qu'il a traité, quand il prétend que l'exploitation du chemin de fer n'est qu'une entreprise industrielle, commerciale. Le chemin de fer n'est pas seulement une entreprise industrielle : c'est un grand service public, destiné à embrasser les divers intérêts, à répandre la plus grande somme de bien-être dans les diverses classes de la société. Il a été établi non pas seulement dans un but politique, pour constater, par ce fait national, aux yeux de l'Europe, notre indépendance politique, mais dans un but économique, dans un but commercial, afin de favoriser l'accroissement du transit, l'importation des matières premières qui peuvent être nécessaires à l'industrie nationale et l'exportation des produits de notre industrie.

La cause principale de l'élévation des dépenses du chemin de fer est le fait non pas du gouvernement, mais du public tout entier, du pays et de son impatience : on a voulu relier au chemin de fer les localités les plus importantes et même des localités qui ne devaient pas accroître (page 274) dans une proportion considérable les recettes du chemin de fer ; on a voulu qu'on apportât une activité extraordinaire dans les travaux ; et si les dépenses réelles ont dépassé, en moyenne, de 125 p. c. les dépenses prèsumées, il faut s'en prendre, en partie au moins, à l'impatience avec laquelle les populations ont exigé l'exécution du railway.

Mais, dit-on, le chemin de fer a absorbé 163 millions, a même absorbé 200 millions.

Supposons un instant, messieurs, que ces calculs soient exacts, je demanderai à l'honorable préopinant, je demanderai à tous ceux qui apportent une si regrettable insistance dans cette question, si ce ne serait pas là un mal sans remède ? Vous ne prétendez probablement pas, vous fondant sur un article de la loi de 1834, que le chemin de fer doit rapporter 20 millions ? Vous ne prétendez pas assurément que la loi de 1834 ait pu dire cette énormité ?

Messieurs, il n'y a que deux moyens d'améliorer la situation du chemin de fer : c'est ou de diminuer les frais d'exploitation ou de changer les tarifs de façon à leur faire produire davantage.

Or, ici, messieurs, quant aux dépenses d'exploitation, on commet une erreur capitale, et l'honorable préopinant vient encore de verser dans cette erreur.

Oa invoque les chemins de fer anglais ; on dit : Le rapport de la dépense à la recette sur les chemins de fer anglais est de 33 p. c ; il est de 47 p. c. sur les chemins de fer français, et sur les chemins de fer belges, il est de 62 p. c.

Ce calcul, messieurs, tombe complètement à faux. La dépense d'exploitation est en rapport, non pas avec la recette, mais avec le trafic, Si nous nous avisions de transporter gratuitement sur notre chemin de fer tous les voyageurs, si nous renoncions à la recette produite par les 3,600,000 voyageurs, ce ne serait certainement pas une raison pour que ce transport ne nous coûtât pas aussi cher qu'aujourd'hui, et dès lors la proportion de la recette à la dépense serait totalement renversée.

Je prends pour exemple un chemin de fer étranger sur lequel les tarifs seraient doubles de ce qu'ils sont chez nous et où la dépense d'exploitation ne s'élèverait qu'à 33 p. c. du produit brut. Supposons que sur ce chemin de fer un trafic donné ait fourni une recette de 100,000 francs, la dépense s'élevant dès lors pour ce trafic à 33,000 fr,par l'application de nos tarifs moitié moindres ce même trafic ne donnerait lieu qu'à une recette de 50,000 fr. Si nos dépenses d'exploitation étaient de 62 p. c., le coût de ce trafic nous fût revenu à 31,000 fr. Mais (comme je l'établirai ultérieurement), notre dépense d'exploitation ne s'élève pas en réalité à 47 p. c, de sorte que le trafic dont nous nous occupons ne nous reviendrait en réalité qu'à environ 23,000 fr ; donc beaucoup moins que sur le chemin supposé où cette dépense s'élève à 33,000 fr.

Il n'y a du reste aucune assimilation possible entre les chemins de fer étrangers et les chemins de fer belges. Et pourquoi ? La raison en est excessivement simple.

Les produits des chemins de fer varient en raison de circonstances diverses, en raison de l'importance des populations desservies, en raison de la manière dont les localités sont groupées les unes par rapport aux autres. C'est ainsi, par exemple, que la ville de Bruxelles fournit annuellement à la ville deMalines environ 80,000 voyageurs. Supposera-t-on que Bruxelles fournirait encore à Malines 80,000 voyageurs, si cette dernière ville se trouvait où se trouve aujourd'hui Verviers ? Evidemment non.

Aucune assimilation n'est possible, parce que les conditions dans lesquelles se fait l'exploitation en Angleterre ne sont pas les mêmes que celles dans lesquelles se fait l'exploitation en Belgique.

En Belgique, c'est l'Etat qui exploite, et on doit lui rendre cette justice, c'est qu'il administre plus paternellement que les compagnies, qu'il tient compte des différents intérêts qui sont en jeu, qu'il fonctionne sous le double contrôle de sa responsabilité personnelle et de l'opinion publique.

L'honorable préopinant a présenté également quelques considérations ou sujet des tarifs. Il a signalé des anomalies qui existeraient dans le tarif des voyageurs. L'honorable préopinant voudra bien ne pas perdre de vue que la chambre se trouve saisie d'un projet de loi qui a précisément pour objet de régulariser les prix actuels et de faire disparaître les anomalies qu'ils présenteraient. J'aurai à soumettre à la section centrale quelques modifications à ce projet, et l'examen pourra en être abordé immédiatement après les objets qui se trouvent en ce moment à l'ordre du jour.

Je ne crois donc pas devoir insister maintenant sur cette partie des observations de l'honorable membre.

En ce qui concerne le tarif du 1er septembre, l'honorable préopinant se trompe quand il affirme que le commerce et l'industrie ont accueilli ce tarif avec mécontentement. Ce n'est, messieurs, qu'après avoir obtenu l'assentiment des délégués des chambres de commerce que le tarif du 1er septembre a été arrêté.

M. de Liedekerke. - Je n'ai pas dit que le commerce se plaint du tarif du 1er septembre ; mais j'ai constaté que ce tarif est très nuisible sous le rapport financier.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - L'honorable membre dit que sous le rapport financier le tarif n'est pas favorable. Eh bien, cela n'est pas complètement exact : en ce qui concerne le transport des marchandises pondéreuses le tarif a été abaissé ; quant aux transports à grande vitesse, il a été plutôt élevé qu'abaissé ; eh bien, messieurs, il y a perte pour les transports à grande vitesse, et il y a bénéfice notable pour les transports à petite vitesse effectués pour les relations intérieures du pajs.

Il n'y a certainement pas bénéfice pour les années 1848 et 1849, mais pour ce qui est de l'année 1850, les transports sont beaucoup plus considérables et les receltes sont au moins de 200,000 fr. plus élevées (je n'ai pas le chiffre sous les yeux) qu'en 1847, qui est l'année la plus favorable. Dans le principe, certains produits, les houilles, les fers et les denrées alimentaires ont été favorisés ; pour satisfaire aux réclamations du commerce on a étendu la catégorie des produits favorisés ; et c'est précisément sur les produits favorisés que porte le bénéfice.

L'honorable membre a parlé aussi de la vitesse des convois. Ici encore, qu’n me permette de le dire, on se livre à de très regrettables exagérations. La vitesse des convois en Belgique est supérieure à celle de 404 convois qui circulent tous les jours en Europe.

On calcule qu'il circule généralement 504 convois en Europe ; sur ce nombre 404 ont une vitesse moindre que les convois belges à grande vitesse. 20 convois ont une vitesse de 17 lieues à l'heure, ce sont des convois anglais, des convois de poste sur lesquels on paye un franc à l'heure ; 2 convois marchent avec une vitesse de 12 lieues à l'heure, 16 avec une vitesse de 11 lieues, 9 avec une vitesse de 10 lieues, 14 avec une vitesse de 9 lieues, 57, dont 8 belges, avec une vitesse de 8 lieues, et 404 avec une vitesse de 6 à 7 lieues.

Vous le voyez, messieurs, quand on compare d'une manière complète, ici encore la comparaison n'est pas au désavantage de nos chemins de fer.

L'honorable membre a prétendu que le chemin de fer du Nord donnerait cette année 24 millions, et que le chemin de fer belge ne donnera que 13 millions. J'ignore si le fait est vrai. J'ai lieu de croire, cependant, que le chemin de fer du Nord donnera, en effet, 24 millions ; mais je dois demander à l'honorable membre s'il a décomposé ce chiffre, s'il a tenu compte de la part de la station de Paris dans ces 24 millions ? En 1847, le chemin de fer du Nord donnait 15 millions, et la station de Paris, tant comme lieu de départ que comme lieu d'arrivée, figurait pour 11 millions dans ce chiffre, de telle sorte qu'il restait pour tout le réseau du chemin de fer du Nord, sauf Paris, 4 millions, ce qui faisait par kilomètre exploité une recette d'environ 13,000 fr., tandis que le chemin de fer belge, en supprimant également la recette fournie par la ville de Bruxelles, a donné 17,000 fr. par kilomètre exploité.

L'honorable membre devrait donc nous dire pour quelle somme la station de Paris figure dans la recette de 24 millions, car si les calculs de 1850 répondaient à ceux de 1847, Paris figurerait dans les 24 millions pour 18 millions, et il ne resterait plus pour tout le surplus du chemin de fer du Nord que 6 millions. Or, si vous retranchez des 15 millions que donnera le chemin de fer belge, les 5 millions fournis par la ville de Bruxelles, il resterait 10 millions et, encore une fois, la comparaison serait à notre avantage.

S'il était possible de dire, messieurs, qu'en 1850 le chemin de fer du Nord a le même développement qu'en 1847, que les lignes de Creil à Saint-Quentin et de Lille à Dunkerque et à Calais n'ont pas été ouvertes, si l'on ajoutait que les conditions de l'exploitation sont les mêmes en 1850 qu'en 1847, et si, d'un autre côté l'on établissait que les tarifs ont été augmentés et que l'on déclarât que c'est cette augmentation des tarifs qui a déterminé une augmentation de recettes de 8 à 9 millions, alors, messieurs, je comprendrais le raisonnement et j'adopterais peut-être la conclusion. Mais il n'en est rien ; au contraire, si le chemin de fer du Nord donne 24 millions en 1850 la cause n'en serait-elle pas, indépendamment de l'extension de son réseau, dans une modération apportée aux tarifs primitifs ? Il est constant que sur le chemin de fer du Nord, pour certains transports à grandes distances, les prix sont beaucoup plus bas que sur le chemin de fer belge. C'est ainsi, par exemple, que les houilles sont transportées à Paris à raison de 20 centimes par tonne-lieue. C'est ainsi encore que le chemin de fer du Nord fait un emploi très large et très fréquent des trains de plaisir qui ne sont autre chose que l'application des tarifs réduits. L'honorable membre n'a pas tenu compte de ces faits si importants qui ont tous bien certainement contribué à l'accroissement du revenu de cette entreprise.

M. Lelièvre. - A l'occasion du budget en discussion, il m'est impossible de ne pas formuler les justes griefs de l'arrondissement de Namur contre la marche suivie par le département des travaux publics. Comme l'on sait, l'inondation du mois d'août a eu pour résultat d'interrompre les communications par chemin de fer entre Namur et Charleroy. Leur rétablissement était un objet d'une extrême urgence, non seulement dans l'intérêt de la ville de Namur et des communes de l'arrondissement, mais aussi dans celui du trésor public. Eh bien, on a procédé avec une lenteur désespérante.

Pendant deux mois et demi rien n'a été fait, et ce n'est que sur la fin d'octobre qu'on s'est occupé de la démolition des ponts détruits et de leur remplacement ; on a ainsi perdu les deux mois d'automne les plus favorables pour achever les travaux.

Le préjudice résulté de cet état de choses pour l'arrondissement de Namur est incalculable ; l'industrie et le commerce ont éprouvé un tort considérable, et tant sous le rapport des difficultés des transports que sous celui de l'augmentation des dépenses, les voyageurs et les expéditeurs de marchandises ont été placés dans la position la plus fâcheuse. Cette situation existe encore aujourd'hui.

Ce n'est pas tout, messieurs ; le gouvernement pouvait facilement établir entre Floreffc et Châtelincau un service de diligences ou d'omnibus qui (page 275) aurait pu au moins diminuer les inconvénients de l'état de choses ; mais rien n'a encore été fait à cet égard, et l'on s'est borné à laisser à l'industrie privée le soin de pourvoir à cet objet important dont le gouvernement n'a pas voulu s'occuper.

Je le demande, aurait-on procédé de cette manière s'il s'était agi de toute autre province ? Les provinces de Liège, de Brabant ou d'Anvers auraient-elles reçu semblable accueil ?

C'est sans doute parce que l'on considère l'arrondissement de Namur comme peu important qu'on a trouvé convenable de le traiter avec une semblable indifférence, pour ne pas dire avec un pareil mépris.

Je dois donc protester contre des procédés que je considère comme contraires à toute idée de justice distributive.

Les désastres qu'a produits l'inondation ont révélé la nécessité de mesures propres à faciliter l'écoulement des eaux de la Sambre canalisée. C'est ainsi qu'à Namur un canal de dérivation vers la Meuse est indispensable pour prévenir le retour des accidents calamiteux qu'ont éprouvés notre ville et les environs.

Il est aussi nécessaire de s'assurer si le système actuel des écluses de la Sambre n'est pas vicieux et si l'on ne doit pas y apporter des changements.

Je ne saurais assez engager M. le ministre des travaux publics à faire étudier ces questions vitales, pour l'arrondissement que je représente spécialement.

Enfin, lors de la discussion du dernier budget, l'honorable M. Rolin nous avait fait espérer qu'on s'occuperait sans délai du chemin de fer de Louvain à la Sambre. Nous désirerions savoir quelles sont les mesures prises jusqu'à ce jour pour arriver à ce résultat.

Le prédécesseur de l'honorable M. Van Hoorebeke s'était aussi occupé sérieusement du pont qui doit être jeté sur la Meuse, à Andennes, et destiné à relier la route de Namur à Liège avec le chemin de fer. Les frais de cette construction ont été imposés en partie à la société du chemin de fer de Namur à Liège comme condition du prêt qui doit être fait à cette société.

C'est encore là un objet important sur lequel je désirerais obtenir des explications catégoriques, et je m'associe entièrement aux observations présentées par l'honorable M. Moncheur.

Les intérêts de la province de Namur ont constamment été négligés par les différentes administrations qui se sont succédé. En ma qualité de représentant d'un arrondissement qui ne le cède en patriotisme à aucun autre, je dois protester contre un système que la justice réprouve et qui, s'il était continué, ne serait guère propre à concilier au ministère les sympathies de nos populations.

- La séance est levée à 4 heures et demie.