Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 3 décembre 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 223) M. Dumon procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

- La séance est ouverte.

M. Ansiau lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Claude-Charles-Louis Clasquin, instituteur communal à Chanly, né à Bazeille-lez-Menil (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur J.-Victor Lambert, à Rossignol, demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Plusieurs bateliers naviguant sur la Dendre, des exploitants d'usines sur cette rivière, et des négociants de Ninove, réclament l'intervention de la chambre pour faire rapporter l'arrêté qui a ordonné la baisse des eaux de la Dendre et demandent qu'au moins la navigation soit rétablie entre Alost et Ath, et qu'il soit fait aux bateliers et aux usiniers une remise sur leur droit de patente, proportionnée au chômage forcé de leur industrie. »

M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, la pétition dont on vient défaire l'analyse a un caractère très urgent. La baisse des eaux de la Dendre ordonnée inopinément par le gouvernement, à la veille de l'hiver et alors qu'à chaque instant la gelée peut venir interrompre de nouveau la navigation, est un fait très grave qui a fait naître de très vives inquiétudes en compromettant une foule d'intérêts.

C'est ainsi, par exemple, que presque tous les industriels de la vallée de la Dendre, habitués à faire dans ce moment leurs approvisionnements de houille, sont menacés de devoir renvoyer leurs ouvriers et de faire chômer leurs usines, si cette mesure n'était pas rapportée promptement.

J'appelle, dès ce moment, toute l'attention de la chambre sur cet objet, et j'ai l'honneur de proposer le renvoi de la pétition à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

M. de Ruddere. - J'appuie cette proposition.

M. Jouret. - Je l'appuie également.

- La proposition de M. de Naeyer est adoptée.


« L'administration communale de Basècles prie la chambre d'accorder au sieur Maertens la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Tournay, avec la garantie d'un minimum d'intérêt. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les huissiers de l'arrondissement de Courtray demandent une loi qui les autorise à instrumenter devant toutes les justices de paix de leur arrondissement, concurremment avec les huissiers attachés à ces tribunaux. »

- Même renvoi.


« Le sieur Navaux demande que le gouvernement soit autorisé à faire l'échange des récépissés d'emprunt de 1848 qui n'ont pas été présentés en temps utile et que cet échange puisse avoir lieu dans tous les bureaux d'enregistrement. »

- Même renvoi.


« Quelques habitants de Jodoigne demandent une loi sur le commerce de la poudre à tirer. »

- Même renvoi.


« Le sieur Malderie, ancien brigadier de douanes, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir la révision de sa pension. »

- Même renvoi.


« La veuve du sieur Ducoing, ancien préposé de douanes, prie la chambre de lui accorder une pension. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Binche prient la chambre d'accorder au baron de Wyckerslooth et à ses associés la concession d'un chemin de fer de Manage à Erquelinnes par Binche. »

M. Dequesne. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à cette concession.

- Cette proposition est adoptée.


« Les membres du conseil communal de Binche présentent des observations contre la pétition du baron de Rothschild et de la société générale relative au chemm de fer d'Erquelinnes et demandent que les chemins de fer de Mons à Maubeuge et de Manage à Erquelinnes soient construits simultanément et fassent l'objet d'une seule concession. »

M. Faignart. - Je demande le même renvoi que pour la précédente pétition.

- Cette proposition est adoptée.


« Un grand nombre d'habitants d'Alost prient la chambre d'adopter la proposition de loi qui modifie l'article 24 de la loi sur la garde civique et demandent l'abolition de l'indemnité annuelle exigée par l'article 75. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi.


« Plusieurs habitants de Bassevelde prient la chambre d'adopter la proposition de loi relative à l'exemption de droits en faveur des actes concernant l'expulsion de certains locataires. »

« Même demande de plusieurs habitants de Meirelbeke, de Sottegem, de Tamise et de Phiiippeville. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner la proposition de loi.


« Par message du 1er décembre, le sénat informe la chambre qu'il a adopté dans la séance du même jour le projet de loi conférant la grande naturalisation au sieur T.-Ch.-Fr. Boulier de Calus, propriétaire à Huy. »

- Pris pour notification.


« Par message du 2 décembre, le sénat informe la chambre qu'il a adopté dans la séance du même jour le projet de loi qui accorde au département de la guerre un crédit de 2,092,000 francs. »

- Pris pour notification.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la guerre

Rapport de la section centrale

M. Thiéfry. - J'ai l'honneur de déposer le second rapport de la section centrale sur la demande de crédit de 2,092,000 fr. pour le département de la guerre.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et, sur la proposition de M. le président, en fixe la discussion après celle du projet de loi relatif à la répression des offenses envers les chefs des gouvernements étrangers.


M. le président. - Le bibliothécaire de la chambre a été nommé pour six ans, ce terme expire le 15 de ce mois. Je propose de fixer la nomination à cette place, au jeudi 9 décembre.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi réprimant les offenses envers les chefs de gouvernements étrangers

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. le président. - Voici un amendement que M. Pierre vient de faire passer au bureau.

« A l'article premier retrancher du paragraphe premier les mots : « ou aura méchamment attaqué leur autorité. » Et supprimer le paragraphe 2. »

M. Pierre aura la parole pour développer cet amendement, lorsque son tour d'inscription sera venu.

La parole est à M. Orts, inscrit sur le projet.

M. Orts. - Je suis inscrit, messieurs, pour parler sur le projet, et la chambre comprend par cette inscription que je n'entends pas combattre le principe de la loi en discussion. J'admets, et je pense que tout le monde admet dans cette chambre, que l'offense envers la personne des souverains étrangers, c'est-à-dire, d'après la définition de la section centrale, l'outrage ou l'injure envers ces hautes personnes, ne peut pas demeurer impunie, ne peut pas être tolérée. Je crois qu'un devoir du droit des gens impose à toutes les nations le respect de la personne des souverains, de ceux que les nations étrangères, dans l'exercice de leur souveraineté, acceptent ou ont choisis pour prendre à leurs destinées.

Si j'avais répondu immédialemeni à M. le ministre de la justice, j'aurais pu emprunter, comme début de mon discouru, les paroles par lesquelles débutait un homme éminent, appartenant à l’Angleterre, à ce pays où l'on comprend si bien l'exercice de son propre droit, où l'on comprend si bien sa propre liberté, parce qu'on y comprend aussi parfaitement le respect du droit et de la liberté d'autrui.

M. le ministre de la justice, pour prouver que ce que nous voulons défendre est en Angleterre également défendu, nous citait un exemple d'application emprunte à la jurisprudence de ce grand pays. Il nous rappelait qu'en 1802 un émigré français fut poursuivi devant les tribunaux de Londres, sur la plainte du gouvernement consulaire. Lorsque la défense de cet homme obtint la parole, sir John Mackintosh, jurisconsulte et homme d'Etat, plus tard appelé à intervenir dans le gouvernement de son pays, s'exprimait en ces termes :

« Je ne veux faire aucune observation dans le but de contester les principes généraux qui ont été exposés par mon savant ami. »

Je maintiens volontiers vis-à-vis de M. le ministre de la justice ce mot qu'adressait sir James à l'attorney général qui venait de se rasseoir.

« J'admets son droit, ajoutait l'avocat, d'accuser devant vous ceux qui offensent par libelle tout gouvernement reconnu par S. M., et en paix avec notre pays.

« Je l'admets, soit que ce gouvernement date d'hier ou qu’il date de mille ans, soit que ce gouvernement constitue une brutale et sanglante usurpation ou l'autorité la plus ancienne, la plus juste et la plus paternelle que l'on puisse rencontrer sur terre. Nous sommes tenus par la reconnaissance qu’en a faite S. M. de protéger également ces gouvernements contre des libelles offensants. »

(page 234) Cette doctrine, messieurs, est la mienne. Si j'accepte donc le principe du projet de loi, je ne puis lui refuser cette adhésion complète que je ne lui donne pas, qu'à la condition de montrer que la loi est peu d'accord avec son principe, tel que le gouvernement le définit.

Le projet dépasse le but qu'on s'est proposé ; son auteur s'est mépris sur sa portée, car le projet ne se borne pas à réprimer ce que tout le monde veut réprimer ; il va au-delà des intentions de ses auteurs qui ont voulu seulement accomplir un devoir égal pour toutes les nations : défendre l'offense envers les souverains étrangers.

Je ne veux donc de la loi qu'autant qu'elle se renferme strictement dans l'accomplissement libre et spontané d'un devoir international ; que s'il est bien constant, par nos discussions, par l'exposé de la pensée dn gouvernement, que la loi ne veut pas autre chose et n'est pas autre chose.

Le gouvernement l'a senti lui-même : là était le point sérieux de nos discussions ; il a senti qu'il fallait convaincre le pays que la Belgique, en faisant la loi. n'entendait faire que son devoir, rien de plus. Et c'est pour cela que M. le ministre des affaires étrangères repoussait hier ce qu'il appelait des préventions et des préjugés injustes, en insistant sur ce point que le gouvernement belge, en présentant ia loi, n'avait cédé à aucune pression étrangère.

Eh bien, messieurs, pour que !a loi soit telle, et surtout pour que le pays soit convaincu que telle est sa source et son origine, il faut (je regrette de devoir le dire au ministère), il faut quelque chose de plus que de simples déclarations ministérielles qui pourraient, à la rigueur, nous satisfaire individuellement ; il faut des actes, il faut que l'intention soit prouvée par le texte même de la loi.

Cela malheureusement n'est pas. Messimrs, j'entends vous le démontrer, et je serais heureux si ma démonstration pouvait amener un changement dans les appréciations des ministres, et nous permettre, à l'aide de ce changement, de donner à la loi l'appui peut-être unanime de cette chambre, appui qui se traduirait, grâce à l'opinion publique, par l'appui du pays.

Le ministère veut persuader au pays que la loi n'est pas présentée à la suite d'une pression quelconque. Il ne peut le prouver qu'à deux conditions, les voici : Il faut que dans cette loi, on ne trouve que ce que toutes les nations accordent dans le même cas aux nations voisines ; qu'on ne trouve dans cette loi que ce que nous avons accordé antérieurement en vertu d'une loi dont l'existence est révoquée en doute : circonstance qui, j'en conviens, lui enlève sa force et nécessite sa révision.

Or, messieurs, le gouvernement ne voit pas que par sa loi il donne plus que ce que donnent les autres nations ; le gouvernement ne voit pas que par sa loi il donne plus que la loi de 1816 qu'il a la prétention unique de remplacer, d'harmoniser avec nos institutions constitutionnelles, lesquelles certainement ne comportent pas d'extension aux principes de la loi de 1816.

Messieurs, je ne veux pas voir dans la loi, pour l'attaquer, plus que ce qui s'y trouve réellement. Qu'il me soit permis, avant d'aller plus loin, d'exiger, dans la défense de cette loi, la même réserve que je mets dans mes attaques. Ne vous persuadez pas, en examinant tout à l'heure les détails de la loi, que ces dispositions sont nécessitées par quelques-unes des considérations auxquelles M. le ministre des affaires étrangères faisait appel au début de la discussion. Ne croyez pas qu'il faille cette loi, parce que dans le pays, je ne dis pas dans cette chambre, quelqu'un réclamerait comme une condition indispensable de la liberté de la presse la liberté d'injurier et d'outrager.

Je suis, messieurs, un ancien soldat de la presse. J'ai longtemps combattu dans ses rangs, j'en suis fier, et je puise dans ce fait le droit de dire au nom de la presse, qu'il n'est en aucune opinion un écrivain quelconque réclamant, au nom de la liberté de la presse, je ne dirai pas la liberté, ce serait prostituer ce beau mot, mais la licence de l'injure. Cette licence serait le plus funeste cadeau que pût faire à la liberté de la presse, son plus cruel ennemi. Car, du jour où la presse userait d'une semblable prérogative, la liberté de la presse périrait écrasée sous le mépris des honnêtes gens, sous le mépris public.

Ne croyez pas non plus qu'il s'agisse d'empêcher dans notre pays des appels insensés à la révolte, des attaques contre la personne des souverains étrangers, de réprimer des provocations à l'assassinat, jusqu'ici douées d'impunité.

M. le ministre des affaires étrangères, pour éveiller vos justes susceptibilités, empruntait hier l'appréciation d'un écrivain étranger qu'il appelle bienveillant. Bienveillant, soit : mais qui dans des sentiments bienveillants pour nous, nous a jugés alors avec cette légèreté qui est un attribut du caractère national du peuple auquel il appartient. M. le ministre des affaires étrangères a cité au moins d'étranges appréciations et bien mal à propos.

Les provocations à l'assassinat, si elles existent, ce que je ne veux pas croire vrai en Belgique, doivent être réprimées autrement, plus énergiquement que vous ne le proposez. Nos lois n'offrent pas ces regrettables lacunes. Vous avez dans le Code de quoi punir le scandale odieux que vous signalez et que votre projet de loi ne fait rien pour empêcher. Vous demandez une loi qui réprime l'outrage et l'injure et vous croyez avec cette arme frapper les provocations à l'assassinat ? Mais ces provocations sont autre chose qu'un outrage et qu'une injure.Si vous vouliez réprimer les provocations à l'assassinat, il fallait demander plus et autre chose que ce que vous demandez aujourd'hui. En voulez-vous la preuve ?

Nous avons une loi qui réprime l'offense et l'injure envers la personne de notre souverain, croyez-vous que c'est avec cette loi que vous puniriez la provocation à d'aussi coupables attentats, si, ce qu'à Dieu ne plaise, quelque indigne citoyen pouvait les rêver ?

Laissons de côté ces moyens de justification du principe de la loi qui a pour sa défense la vérité, qui n'a pas besoin d'exagération.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - J'ai dit moi-même qu« cet écrivain avait été exagéré.

M. Orts. - Je dis qu'il y a exagération à représenter la loi comme nécessaire pour réprimer les faits que vous avez cités. Restons dans la matière dont le projet de loi s'occupe ; parlons de l'outrage, de l'offense, de l'injure, et ne parlons pas d'autre chose.

N’attachons pas trop de prix à un autre genre d'argumentation ; ne croyons pas que les dispositions de cette loi sont indispensables, que la loi elle-même est indispensable pour nous assurer certains avantages matériels dont on ne devrait jamais parler lorsque l'on demande à une nation loyale comme lorsqu'on demande à un honnête homme de faire purement et simplement son devoir. Le profit que nous tirerons, vis-à-vis de l'étranger, de la loi ! ce profit ne peut être pris en considération quelconque par nous au moment de la voter.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je n'ai pas dit un mol de cela.

M. Orts. - C'est le rapport de la section centrale qui le dit.

M. Lelièvre. - Le rapport de la section centrale n'a pas cette portée. J'ai dit que les faits étaient illicites.

M. Orts. - Voulez-vous me permettre de continuer ? Et veuillez mettre dans os paroles la même modératio que celle que j’ai mise dans mon discours. Les impatiences ne nous mènerons pas plus vite au but. Chacun aura son tour de parole. La chambre et le pays sont trop pénétrés de la gravité du débat et de la gravité des circonstances pour ne pas permettre à toutes les opinions de se produire librement.

Je n'ai pas imputé à M. le ministre des affaires étrangères d'avoir fait appel à des intérêts matériels pour obtenir le vote de la loi. J'ai dit à M. le ministre ce que j'ai répondu à un autre système d'argumentation. Ce que je disais maintenant s'adressait an rapport de la section centrale, et je vais prouver la vérité de ce que j'avance. Après avoir posé les principes généraux que je reconnais vrais à la page 3, que dit le rapport ? J'y lis ce qui suit :

« Ces principes sont surtout incontestables dans l'hypothèse particulière qui nous occupe. En effet, la Belgique a des intérêts importants à régler avec les gouvernements étrangers ; elle doit poursuivre des négociations qui supposent une bienveillance réciproque. Nul doute que des attaques méchantes, que des outrages dirigés contre les chefs de ces gouvernements ne soient de nature à troubler les relations amicales qui doivent présider aux négociations pour en assurer le succès et à porter ainsi un préjudice notable à l'intérêt national. Le législateur a donc le droit de réprimer des actes qui peuvent avoir des conséquences fâcheuses pour les intérêts matériels du pays... »

Ainsi donc, c'est notre sollicitude à sauvegarder les intérêts matériels et non pas nos intérêts moraux que vous invoquez !

Je dis que cela ne doit pas être pris en considération. Nous nous trouvons devant notre devoir, et l'accomplissement d'un devoir serait-il fâcheux autant qu'il nous sera utile, le devoir reste le même pour nous.

Laissez-moi ajouter, messieurs, que sous ce rapport il ne faut pas même attacher trop d'importance aux éventualités que l'on fait miroiter devant vos yeux. L'histoire est là pour nous dire que les lois de cette espèce, lors même qu'elles sont faites et qu'elles sont appliquées n'écartent pas toujours les inconvénients qu’on voudrait éviuter. Pour le prouver, je ne veux pas d'autre exemple que celui que citait hier M. le ministre de la justice en faisant appel à la jurisprudence anglaise. En 1802, à la demande de la diplomatie française on a puni des offenses dirgiées cantre le gouvernement français: le jury a condamné Peltier.

Que s'est-il produit quand justice a été faite ?

M. le ministre vous l'a dit : après la condamnation prononcée, la guerre a éclaté brusquement même avant l'exécution de la sentence prononcée, et remise a été faite de sa peine nonobstant la condamnation à raison précisément du trouble apporté par la France aux relations amicales des deux pays.

Je dis donc qu'il faut examiner le projet de loi en lui-même, sans songer à ses conséquences matérielles ; qu'il sera acceptable, s'il se borne à protéger, parce que c'est notre devoir de le faire, la personne des souverains étrangers, mais que, sous ce rapport, le projet va au-delà da son but.

Le projet de loi punit d'abord l'attaque méchante envers l'autorité des gouvernements étrangers ; le projet de loi prononce comme peine l'interdiction de certains droits de famille, de certains droits politiques, soit, d'après le projet primitif, dans toutes les circonstances, soit, d'après une modification apportée par l'amendement d'un membre du cabinet, dans le cas de récidive ; et même avec cette restriction le projet de loi va au-delà de son véritable but que j'ai défini tout à l'heure. Il fait quelque chose de plus encore, et sur ce point je demanderai une explication au ministère, en imposant au gouvernement belge l'obligation absolue de poursuivre sur première réquisition d'un gouvernement étranger.

Le projet par ces trois dispositions dépasse le but. Il fait de deux choses l'une à chacune de ces trois prescriptions ; ou il fait plus que la loi de 1816 que le gouvernement a la prétention de remplacer ou il fait plus (page 225) que ce que fait dans les mêmes circonstances la majorité des peuples européens admettant dans leur législation une loi analogue à celle que nous discutons.

Comment voulez-vous, si pour l'une de ces choses ou pour toutes vous faites plus que la loi de 1816, et plus que les autres nations, comment voulez-vous faire croire à la sincérité de cette affirmation que le gouvernement belge agit dans son indépendance et d'après sa propre initiative ? Si vous faites plus que la loi de 1816, c'est, vous dira-t-on, que la loi de 1816 n'a pas été trouvée suffisante, c'est qu'on vous a demandé de compléter, de fortifier cette loi : prétention que le gouvernement répudie. Si vous faites plus que les autres nations, ce n'est pas par pur plaisir, ajoutera-t-on ; nous connaissons vos sentiments, vous êtes trop de votre pays, de votre siècle pour le vouloir faire. Mais vous faites ce que ne font pas les nations puissantes auxquelles on n'ose pas le demander, parce que vous êtes le gouvernement d'une petite nation, n'ayant pour protéger son indépendance que son bon droit et son courage.

Vous faites plus que les autres et plus que ne faisait la loi antérieure.

En effet, la loi de 1816 défend-elle l'attaque même méchante contre l'autorité des gouvernements étrangers ? Non. Elle ne la défend pas. La législation des pays qui nous entourent, là où il existe une loi semblable à celle que nous discutons en ce moment, admet-elle ou n'admet-elle pas que les citoyens peuvent attaquer l'autorité des gouvernements étrangers, et qu'ils sont tenus à respecter seulement la personne des chefs ds gouvernements étrangers ?

La loi de 1816, vous en connaissez le texte. Ce que je viens de dire peut être vérifié par chacun de vous ; le texte est sous vos yeux ; il est à la suite de l'exposé des motifs, et si vous y cherchez la défense d'attaquer même méchamment l'autorité des gouvernements étrangers, vous ne l'y trouverez pas.

Quant à la législation des pays qui nous entourent, j'en citerai quatre. Ce sont nos voisins les plus immédiats. La France, les Pays-Bas, l'Angleterre, la Prusse, ont des lois analogues à la loi qui est présentée à la chambre.

La loi des Pays-Bas, vous la connaissez ; c'est la loi de 1816.

La loi anglaise punit le libelle, c'est à-dire l'offense envers la personne. Le délit y esl le même, qu'il soit commis envers un particulier ou envers un souverain étranger. Comme un particulier n'est pas une autorité, il est évident qu'il n'y a aucune différence quant à l'attaque entre le souverain étranger et le particulier.

La loi française ? C'est la loi de 1819, à laquelle M. le ministre de la justice reconnaît qu'il a emprunté le texte de l'article premier du projet. Y voyez-vous autre chose que la répression des offenses (c'est-à-dire les outrages et des injures) envers la personne des souverains étrangers ? « La personne ». Le mot y est, et il n'y a pas un mot de plus à côté de celui-là. Je dirai tout à l'heure pourquoi, à côté de ces mots-là, il n'y a pas dans la loi de 1819 un mot de plus que ceux que je viens de citer.

J'ai cité les Pays-Bas, l'Angleterre, la France. Je complète ma citation par la loi prussienne.

En Prusse, en 1851, un nouveau code pénal a été mis en vigueur ; il porte la date du 1er juillet 1851, et je lis au paragraphe 79 la définition du délit dont nous nous occupons et la peine comminée contre ce délit. Voici en quels termes il est conçu :

« Celui qui par paroles, écrits, imprimés, signes, emblèmes, etc., offense le chef d'un Etat allemand est puni d'un emprisonnement d'un mois jusqu'à deux ans. La même punition aura lieu lorsque l'offense est dirigée contre le chef d'un autre Etat, dans lequel la réciprocité est garantie par des traités ou des lois publiés. »

D'attaques envers l'autorité, d'attaques même méchantes, il n'en est pas question. L'offense, voilà tout ce qu'on punit, voilà tout ce qu'on réprime.

Pourquoi donc exigez-vous davantage dans votre loi (n'ai-je pas le droit de vous le demander ?), dans votre loi qui ne devait être que le rétablissement de la loi de 1816, qui ne devait défendre que ce que défend cette loi, pourquoi ne vous bornez-vous pas à prescrire ce qui est le droit commun des nations ? Pourquoi allez-vous au-delà ?

Je n'ai pas cru devoir m'enquérir de la législation des autres nations, par une excellente raison : c'est que j'ai voulu me borner à la législation des nations qui ont pour la liberté de la presse un certain degré de respect. J'ai pris la loi des pays à régime représentatif. Je n'ai pas recherché la législation d'autres Etats où les délits dont il s'agit ici ne peuvent se commettre, parce qu'ils vivent peut-être sous le régime préventif de la censure.

Ce que je dis de l'attaque méchante envers l'autorité, je le dis également et à aussi juste titre, en invoquant les mêmes preuves, de l'interdiction des droits civils, même restreinte comme le propose l'amendement qu'à déposé l'honorable ministre des travaux publics.

Trouvez-vous, dans la loi anglaise, le pouvoir de frapper un citoyen anglais dans l'exercice de ses droits civiques, parce que dans un moment de vivacité, d'exaltation du sentiment national, il aura offensé l'autorité d'un gouvernement étranger ? Non, vous ne trouverez pas cela dans le Code de la libre Angleterre.

Le trouverez vous dans la loi des Pays-Bas ? La loi de 1816 répond à cette question.

Le trouverez-vous dans la loi française de 1819 ? Non, vous ne le trouverez pas.

Le trouverez-vous dans le texte du Code prussien, que je viens de vous lire ? Non, vous ne l'y trouverez pas.

En établissant l'interdiction des droits civils dans votre loi, vous faites donc plus pour les gouvernements étrangers (et vous prétendez le faire spontanément !) que ne fait aucun des Etats voisins. De quoi donc se plaindraient ces Etats, si cette pénalité ne se trouvait pas dans votre loi ? S'ils venaient un jour vous adresser le reproche de n'avoir pas maintenu dans votre législation ce que vous voulez y inscrire, la privation des droits civils et l'attaque méchante contre l'autorité des souverains étrangers, vous leur répondriez :« Je fais chez moi ce que vois faites chez vous. La justice que vous me rendez, je vous la rends ; mais je ne fais pas un pas de plus, parce que dans l’accomplissement de mes devoirs, je ne suis tenu qu’à une chose : accomplir ces devoirs comme les comprennent les autres peuples, remplir ma tâche comme la remplit la justice des autres nations. »

Cette réponse serait victorieuse ; elle devra suffire à tout gouvernement qui réclamerait de bonne foi. Il n'y a qu'une seule espèce de gouvernement qu'elle ne satisfera pas. Ce sont ces gouvernements que ne satisfont jamais les concessions faites dans les limites de la justice, qui veulent des concessions plus grandes, parce qu'ils sont les plus forts. Mais, ne l'oubliez pas, pour ces gouvernements toutes les concessions sont inutiles ; il leur faut des prétextes et non des griefs. Pour eux, les prétextes viendront après votre loi comme avant votre loi. Votre loi ne leur fermera pas la bouche, pas plus qu'elle ne fermera la bouche à ces prétentions insolentes qui n'émanent pas, j'aime à le supposer pour leur honneur, des gouvernements étrangers, mais qin nous trouvons formulées dans la presse étrangère, dans les journaux qui appuient les gouvernements, dans ces journaux qui disaient hier encore, en parlant de votre projet : cette loi ne suffit pas aussi longtemps que la justice du jury sera chargée de présider à son application. (Interruption dans les tribunes.)

M. le président. - Je préviens les tribunes qu’elles ne peuvent se permettre aucune espèce de manifestation.

M. Orts. - Je demanderai donc, comme condition de mon vote, la suppression, dans l'article premier, de la phrase qui fait également l'objet de l'amendement déposé déjà par un honorable collègue, ayant devancé mes intentions : la suppression des mots « aura méchamment attaqué l'autorité des souverains étrangers ».

Je ne propose pas à titre d'amendement la suppression de l'interdiction des droits civils comme peine, parce qu'une suppression ne se demande pas par voie d'amendement. Il s'agit simplement de voter contre l'article.

Ai-je raison, messieurs, au point de vue légal, comme au point de vue politique, lorsque je refuse de laisser inscrire dans la loi la phrase dont je demande la suppression à l'article premier ? Ai-je raison, an point de vue du législateur, ne m'occupant que de ce qu'il doit faire dans l'intérêt de notre pays et au sein de notre pays ? Ai-je raison de ne pas vouloir que vous défendiez l'attaque même méchante contre l'autorité des gouvernements étrangers ? Deux mots vont l'établir.

Messieurs, je vous annonçais tout à l’heure que je dirais pourquoi, ces expressions ne se trouvent pas dans la législation des pays voisins. Sous ce rapport, permettez-moi de faire appel, pour ma démonstration, à une autorité que M. le rapporteur de la section centrale ne contestera pas être une des plus légitimes qu'on puisse invoquer, à l'autorité à laquelle il a fait appel lui-même pour appuyer le principe général de la loi, à l'autorité de Benjamin Constant. Et cette autorité j'irai la prendre dans la matière même dont nous nous occupons, et non pas dans un traité général de politique constitutionnelle. Mon autorité aura, sur celle qu'a invoquée M. le rapporteur de la section centrale, cet avantage que ce sera précisément au point de vue où je m’arrête, que Benjamin Constant a émis l’opinion dont je vais m’armer.

Lorsque la loi de 1819 fut présentée à la chambre française, elle ne prévoyait que la répression de l'injure et de l'outrage envers les souverains étrangers. Les mots : « envers la personne des souverains étrangers », que ce texte renferme aujourd'hui, n'étaient pas contenus dans le texte primitif. Les mots : « l'injure ou l'outrage envers les souverains étrangers » avaient paru, lorsqu'on ne les limitait par aucune expression indiquant suffiraient l'intention de ni réprimer que ce qui s’adresse aux personnes, ces expressions isolées avaient paru trop vagues et fait concevoir des craintes à Benjamin Constant.

Benjamin Constant craignait que la défense pourrait être comprise en ce sens que la discussion du principe, des actes de l'autorité étrangère se trouverait entravée par une extension top grande donnée aux mots : « injures envers les souverains étrangers » et il ajoutait qui la critique de l'autorité est nécessaire au point de vue de l'intérêt national. Nous devons pouvoir critiquer, si nous le trouvons utile comme citoyen français, les actes des autorités étrangères, Il justifiait cette nécessite dans les termes que voici :

« Il se pourrait que dans un avenir très lointain notre prospérité même, notre amour pour notre gouvernement constitutionnel excitassent des jalousies.

« Que si alors quelque souverain étranger, qu ne serait pourtant pas notre ennemi public, chargeait son envoyé de faire renaître des discordes et des défiances, de présenter le zèle de la nation pour ses institutions libres, comme des ferments de démagogie, faudrait-il ôter à nos écrivains la faculté d'attirer au moins l'attention publique sur ces atteintes portées à la dignité du trône et à l'indépendance française ? Les lois doivent tout prévoir, messieurs.

(page 226) « Encore une fois, nous ne voulons pas pas qu'on puisse blesser les souverains étrangers ; mais nous croyons qu'il faut nous conserver le droit de dire notre pensée sur les actes des gouvernements étrangers comme ils exercent ce droit à notre égard, et la loi doit être assez claire et assez préservatrice pour que tout écrivain, sans être menacé d'accusation vagues, puisse souhaiter aux rois la sagesse et aux peuples le bonheur. »

Ces paroles, messieurs, firent impression sur le gouvernement qui avait présenté la loi. Je serais heureux de leur voir produire, après le long intervalle de temps qui nous sépare de la discussion de 1819, le même effet sur le gouvernement belge. Après ces observations de Benjamin Constant, après l'appui qu'y donnèrent d'autres orateurs mons éminents et que je ne cite pas, le garde des sceaux, M. de Serre, que je reconnais volontiers avoir été un ami et un chaud défenseur de la liberté sage, de la liberté conciliée avec l'ordre, M. de Serre se leva et dit, en parlant de l'orateur qui avait émis les craintes que vous connaissez :

« Au surplus, il a fait ressortir un danger qui pourrait être réel, ce serait que les tribunaux dans l'application de la loi ne confondissent la critique des actes des gouvernements étrangers, critique qui doit être entière et libre, avec les offenses aux personnes des souverains eux-mêmes. Pour écarter ce danger, je proposerai à la chambre, en adoptant l'amendement de M. Courmisier, d'ajouter à ce mot « offenses » ceux « envers la personne des souverains », pour indiquer que ce que vous voulez réprimer, c'est uniquement l'offense personnelle et non pas la critique et encore moins la discussion des actes des souverains étrangers, critique qu'il importe de laisser parfaitement libre. »

Voilà ce que disait le garde des sceaux de France dans la séance du 19 avril 1819, à la chambre des députés.

Les raisons de Benjamin Constant nous démontrent, messieurs, comment, au point de vue de l'intérêt national interne, au point de vue des faits qui pourraient se passer sur notre territoire, il est urgent que la critique des actes de l'autorité étrangère soit aussi large que possible. Mais permettez-moi d'ajouter quelques observations pour démontrer combien, au point de vue extérieur, au point de vue de ce qui peut se passer au-delà de nos frontières, le maintien de ce droit de critique est indispensable pour sauvegarder complètement les intérêts de notre nationalité.

Messieurs, il ne faut pas se le dissimuler, la Belgique est loin d'être une puissance capable de se faire respecter toujours des gouvernements étrangers, par la force. Nous sommes un petit pays, un pays libre, c'est vrai, un pays qui mérite de l'être, qui l'a prouvé par l'usage qu'il a fait de la liberté

Eh bien, pour un tel pays quelle est la sauvegarde de ses droits ? N’est-ce pas, si ces droits étaient menacés, la faculté de faire et de faire largement, énergiquement, violemment, appel à l'opinion publique de tous les pays qui pourraient lui porter aide et assistance ? Qu'une nation, petite comme la Belgique, libre et digne de la liberté comme la Belgique, soit l'objet d'une attaque violente de la part d'une nation puissante, qu'à l'égard de ce pays il se fasse un de ces trafics que Lamennais flétrissait si énergiquement en rappelant que les rois échangent là des hommes contre de la terre, de la terre contre des hommes et de l'or comme appoint.

Qu'un scandaleux abus de la force conlre le droit, semblable au hideux partage de la Pologne, se reproduise, n'aurions-nous pas le droit et le devoir de critiquer ces excès sacrilèges d'une autorité que Dieu ne confie aux rois que pour le bonheur des peuples, ne serait-ce pas céder au cri de notre conscience comme à la voix de l'intérêt de notre préservation personnelle, que de reclamer aussi haut que possible et cela pour éclairer l'Europe, pour éclairer d'autres puissances garantes de notre indépendance et de notre neutralité, dont l'intérêt et le devoir est de la défendre, de les avertir du danger auquel d'autres ont succombé, par suite d'attentats dont l'impunité menace notre existence de peuple ?

Et nous le devrions faire en attaquant « méchamment », c'est-à-dire en vue de nuire à d'indignes agresseurs, avec malveillance, car le contraire serait lâcheté.

Et ce que je proclame est si vrai, si juste, si instinctivement patriotique, que j'ose cous adresser un défi. Viennent les circonstances que je signale, qu'il y ait une loi, qu'elle défende d'attaquer l'autorité des souverains étrangers, cette loi ne sera pas respectée par les citoyens belges, elle ne sera pas même appliquée par le gouvernement belge, car il manquerait en le faisant à son premier devoir, à son devoir de conservation des intérêts nationaux.

Oui, messieurs, l'autorité est respectable, quel que soit celui qui l'exerce, j’en conviens avec un orateur que vous avez entendu hier, avec l'honorable abbé de Haerne.

Le principe de l'autorité est un principe qui vient d'en haut, car dans ce monde rien ne se passe, ni en bien ni en mal, si ce n'est par permission divine. Mais en reconnaissant la source sublime de l'autorité dans ce monde, n'oublions pas que plus d'un qui se prétend investi de l'autorité par la grâce de Dieu, ne la doit peut-être qu'à une tolérante patience de la Divinité, qui se sert souvent de l'autorité pour en faire le châtiment des peuples méchants, ou l'humiliation des peuples orgueilleux.

Quelle objection, messieurs, a-t-on faite contre la proposition que je développe maintenant et que j'avais soumise à la section centrale ? Qu'a-t-on dit pour justifier la présence dans la loi de ces mots qui viennent je ne sais d'où dans une loi pareille, car je n'en trouve la source dans aucune législation ? On a dit : Mais la critique de l'autorité, elle est défendue par la législation belge : vous trouverez dans le décret général sur la presse de 1831, dans l'œuvre du Congrès national aux traditions duquel le ministère s'inspire, qu'il est défendu d'attaquer méchamment l'autorité constitutionnelle de notre Roi, l'autorité de nos chambres

Oui, messieurs, je le sais, je le comprends ; je comprends que ce mot, qui, du reste, n'est pas entré dans nos lois sans critique, je comprends que ce mot « attaque méchante » ait été admis alors qu'il s'appliquait exclusivement à l'autorité constitutionnelle du chef de l'Etat, à l'autorité de nos chambres. Mais je m'étonne que l'on ne comprenne pas la différence entre le respect qu'on doit avoir pour le chef de la nation à laquelle on appartient, pour l'autorité constitutionnelle du pouvoir législatif de son pays, et le respect qui est dû à l'autorité établie chez les nations étrangères.

Cette diféerence est pourtant capitale. Ce que nous avons défendu en défendant les attaques contre l'autorité constitutionnelle du Roi, c'est de critiquer une délégation qui est notre oeuvre, la délégation de la portion la plus importante des pouvoirs publics. Nous avons entendu que ce qui est l'objet du respect de tous les Belges, fût conservé dans cette position élevée où nous l'avons librement placé nous-mêmes. D'ailleurs on oublie quelque chose, c'est que dans un pays qui, librement, a déféré la couronne à un roi de son choix et qui a tant de raisons de s'applaudir du choix qu'il a fait, c'est que dans ce pays l'autorité, l'honneur de la personne du Roi, tout cela est solidaire avec l'autorité et l'honneur de la nation.

Dans notre pays le Roi n'est-il pas protégé de plus par une maxime avec laquelle les pouvoirs étrangers n'ont rien de commun ? Nous vivons sous un régime de responsabilité ministérielle ; il implique l'idée que le Roi ne peut mal faire. Cette maxime protége-t-elle les souverains étrangers ? Ira-t-elle protéger des souverains qui ne l'admettent pas chez eux et qui se proclament responsables de leurs actes, qui n'admettent pas d'intermédiaire entre leur responsabilité personnelle et la nation ? N'assimilons donc pas l'autorité et la personne du Roi à l'autorité et à la personne des souverains étrangers.

Remarquons, messieurs, où nous mène ce système, cette défense d'attaquer l'autorité des gouvernements étrangers : M. le ministre des affaires étrangères vous a dit hier (et je suis intimement convaincu que sa pensée est sincère comms son expression était loyale) M. le ministre des affaires étrangères nous a dit : « Notre loi n'est pas une loi contre la presse, car elle ne veut pas défendre la discussion, elle veut protéger les personnes, elle ne s'occupe pas des actes et des principes. »

Mais qu'est-ce donc alors que vous voulez défendre en défendant l'attaque contre l'autorité des gouvernements étrangers ? L'autorité des gouvernements étrangers, mais je puis l'attaquer de deux façons ; je puis l'attaquer dans son principe ou dans son exercice.

Si je l'attaque dans son principe, et si c'est là ce que vous ne voulez pas que j'attaque même méchamment, si j'attaque le principe de l'autorité, mais alors je ne pourrai donc pas discuter avec l'énergie que je voudrais et pour le détruire... Quoi ? la légitimité du suffrage universel et le principe du droit divin ; je ne pourrais pas discuter ces théories, qui sont aussi dangereuses pour notre régime constitutionnel, aussi antipathiques à nos instituions, que toutes les théories qui ont pu compromettre le salut de l'Etat dans d'autres pays.

Si c'est là ce que vous avez voulu, je ne vous comprends plus ; je ne comprends pas surtout le rapport de la section centrale qui dit que la défense de la loi de 1816, de contester la légitimité des gouvernements étrangers, ne peut pas être maintenue, puisqu'elle n'est pas en harmonie avec nos institutions actuelles.

Si c'est le principe de l'autorité qu'on ne peut pas attaquer, rétablissons cette disposition de la loi de 1816, et dites qu'en Belgique, terre de souveraineté nationale, nous nous tiendrons chapeau bas devant le principe de la légitimité du droit divin ; vous ne le voulez pas ; vous êtes donc en contradiction avec vos prémisses.

Si maintenant il s'agit de l'exercice de l'autorité, mais alors vous touchez aux actes ; je ne vous comprends pas davantage ; exercer l'autorité, c'est poser des actes. Ce sont des faits que vous soustrayez à l'examen ; ce ne sont plus uniquement les principes que vous avez en vue, vous touchez aux faits ; vous allez, donc encore au-delà de votre but.

Le rapport de la section centrale signale une objection que je ne puis pas laisser sans réponse, parce qu'elle pourrait exercer de l'influence sur l'appréciation de ce que je soumets à l'examen de ta chambre.

La loi de 1816, dit le rapport de la section centrale, renferme une disposition qui est la traduction de l'idée exprimée dans le projet de loi par les mots « aura méchamment attaqué l'autorité des gouvernements étrangers » ; la loi de 1816 défend de critiquer en termes injurieux ou offensants les actes des gouvernements étrangers.

Mais, messieurs, remarquez la différence du tout au tout entre cette expression de la loi de 1816 et celle du projet de loi. Critiquer en termes injurieux, c'est offenser ; or, l'offense est déjà punie par le paragraphe premier de la loi ; j'accepte cela ; si la loi de 1816 a défendu de critiquer les actes des souverains étrangers au point d'aller jusqu'à l'injure et à l'offense dans l'expression, le projet de loi défend d'une manière absolue toute espèce d'offenses, c'est-à-dire l'outrage et l'injure ; on n'esl donc pas fondé à s'appuyer sur les dispositions de la loi de 1816, pour introduire dans le projet de loi des mots surabondants qui m'empêchent de lui donner mon assentiment.

Une attaque méchante naît de la mauvaise intention, de l'intention de (page 227) nuire, d'imputer à mal ; la condamner implique le blâme du fond de l'idée qu'on exprime.

Mais la condamnation des termes « injurieux » et « offensants » implique le blâme de l'emploi d'une forme condamnable, abstraction faite du fond et de l'idée ; or, le ministère ne veut pas atteindre le fond ; il ne veut qu'une chose, le maintien de la modération dans les termes et dans les expressions. Cette modération dans les termes et dans les expressions, c'est ce que vous exigez en prohibant toute espèce d'offenses, d'injures ou d'outrages ; donc encore une fois, vous, ministres, vous allez au-delà de ce que vous prétendez restaurer et rajeunir ; vous avez fait plus que vos devanciers.

Il faut donc, messieurs, maintenir notre droit de critique, le droit de la libre discussion des principes aussi large que possible ; notre intérêt, notre dignité nous le commandent ; la défense de tous nos droits, des principes que nous avons consacrés par nos institutions, exige cette liberté que je réclame ; cette liberté, si elle reste intacte, ne laisserait plus, je pense, prise à une critique sérieuse du projet de loi.

Je ne veux pas m'étendre davantage sur ce point ; je remercie la chambre de la bienveillance indulgente avec laquelle elle m'a écouté ; car, j'avoue que j'ai développé un amendement tout en parlant dans la discussion générale.

Mais observez, pour mon excuse, que mon opposition à la loi tient à un principe général, c'est-à-dire à ce principe qui m'interdit d'accepter la loi, sinon à la condition d'y trouver uniquement ce que tout le monde donne autour de nous, ce que nous donnions par la loi de 1816, loi dont des circonstances indépendantes de nous ont fait aujourd'hui révoquer l'existence en doute.

Par les mêmes raisons, comme application du même système général, je ne veux absolument pas de l'interdiction des droits civils et politiques.

Je ne serai pas long sur ce point, ic dis que cette peine, de l'aveu de la plupart des criminalistes, est une mauvaise peine, si ce n'est pour certains délits spéciaux qui n'ont rien de commun avec le projet actuel ; cette peine, je ne la comprends pas comme chose raisonnable et juridique, appliquée au délit dont nous nous occupons.

En effet, prononcer l'interdiction des droits civils et de famille, c'est enlever à quelqu'un une des prérogatives qui découlent de son état de citoyen. Je comprends qu'alors qu'un citoyen belge, méconnaissant un des devoirs imposés à tout citoyen belge, fait un usage condamnable d'un de ces droits civiques ou de famille ; je comprends qu'alors la loi pénale intervienne et retire à ce citoyen, à toujours ou momentanément, l'exercice de ses droits civils, de ses droits de père de famille. Qu'un citoyen belge méconnaisse les devoirs de père de famille à l'égard de ses enfants, par exemple, à tel pont que la loi doive intervenir pour réprimer l'écart, je comprends la loi, disant à ce citoyen :

« Cette magistrature de chef de famille que la loi vous avait donnée, vous l'avez fait tourner contre les membres de votre famille ; je vous interdis l'exercice ultérieur de cette dignité, pour vous empêcher de continuer à en abuser de même. » Qu'un citoyen belge fausse la sincérité du système électoral, qu'il se parjure devant la justice, qu'il mésuse de son pouvoir de juré, par exemple, ou de fonctionnaire, je comprends qu'on vienne lui dire : « En vous punissant, je vous ôte l'exercice des droits politiques, l'occasion de commettre le même abus. »

Maintenant, est-ce parce que j'aurai méconnu les devoirs de citoyen belge, abusé de la liberté des droits que je tiens comme citoyen, que je serai interdit de l'exercice de mes droits civiques en vertu du projet nouveau ?

Pas le moins du monde et loin del à ; c'est parce que, comme je le disais tout à l'heure, dans un moment où le sentiment national surexcité chez moi, vis-à vis des prétentions audacieuses de l'étranger, m'aura fait dépasser les bornes de la modération, m'aura fait aller plus loin que l'intérêt de mon pays ne le commandait, que l'on viendra me dire: « Citoyen belge, qui avez senti trop vivement l'injure de votre pays, je vous interdis à l'avenir d'exercer votre droit au sein de votre patrie. » Au point de vue de vos intérêts intérieurs, une semblable pensée est antipathique avec les délits que vous voulez réprimer. Pour qu’une peine soit bonne, il faut qu'elle soit en harmonie avec le délit, il faut qu'il y ait une relation directe entre l'attaque et le châtiment qui vient punir cet écart. Dans les circonstances que je viens de vous rappeler, n'est-il pas évident que vous apportez dans la loi une peine antipathique au principe le plus élémentaire des lois pénales ?

On dit aussi, pour la justifier, ce que l'on disait tout à l'heure et ce que j'ai déjà réfuté en m'occupant du premier objet de la loi : les lois belges punissent de l’interdiction des droits civils et politiques le citoyen belge qui attaque méchamment, qui offense la personne royale ou l'autorité constitutionnelle du Roi.

Mais, messieurs, rappelez-vous ce que je disais, il y a un instant, en parlant du principe général et appliquez-le au fait spécial.

Mille raisons d'interdire au citojen belge l’exercice de ses droits civils et politiques ne militent-elles pas en cas d'offense envers la personne ou l'autorité du roi en Belgique, et mille raisons contraires ne viennent-elles pas démontrer que les premières ne militent nullement pour l'extension qu'on veut donner à la peine ? Si quelqu'un en Belgique a commis une offense envers l'autorité du Roi ou envers sa personne, il a méconnu l'un des premiers devoirs du citoyen belge, il a méconnu ce respect pour l'inviolabilité royale, qui est écrite en tête de la Constitution à côté de nos plus chères, de nos plus solides garanties individuelles ; il a méconnu les bases du système représentatif, il a méconnu ce que tout citoyen doit respecter. Il est juste et logique qu'alors l'exercice des droits du citoyen lui soit interdit dans une certaine mesure, si la gravité du délit l'exige.

Je n'ai pas besoin de pousser plus loin mon insistance ; le bon sens, le sentiment intime de chacun de nous répond à cette condamnation du projet du gouvernement. Le gouvernement, qui le sent, a déjà fait sous ce rapport, et je lui en sais gré, une importante concession ; je désire qu'il la complète.

Je demande en terminant au gouvernement une explication sur le sens et la portée donnés par le rapport de la section centrale à un article de la loi qui, sans le commentaire de la section centrale, n'avait pas certainement l'interprétation que je redoute. Je lis dans ce rapport qu'une fois qu'un gouvernement étranger aura transmis au gouvernement belge une plainte contre un écart quelconque de la presse, le gouvernement belge sera sans droit d'examiner si les intérêts du pays commandent ou ne commandent pas que la justice soit saisie.

Il y aura obligation, il y aura une sorte de condamnation envers le gouvernement belge de porter cette plainte à l'appréciation de nos tribunaux, quelques dangers qui puissent en résulter pour la sûreté intérieure ; cette interprétation me paraît une des atteintes les plus graves que la souveraineté et l'indépendance de la nation belge puissent recevoir.

Je ne comprends pas qu'il y ait des cas où les gouvernements étrangers puissent venir imposer au gouvernement belge un acte obligatoire sur le territoire belge. Du jour où cela sera vrai d'une manière absolue, la souveraineté du peuple belge sur son propre sol n'est plus vraie d'une manière absolue ; le jour où cela sera vrai, l'indépendance nationale sera entamée. Dans aucun pays, du reste, les choses ne se passent ainsi.

Dans les autres pays, on soumet aux ministres la première appréciation de l'opportunité qu'il y a à saisir les tribunaux de ces plaintes, ils ont le droit sous la sauvegarde de leur responsabilité personnelle vis à-vis du pays et de l'étranger, d'agir ou de ne point agir.

Je sais que dans, le cas le plus ordinaire, il faudra donner satisfaction au gouvernement étranger ; mais il peut y avoir des cas où l'obligation de porter plainte ouvrirait peut-être la porte à des troubles, à des difficultés intérieures que l'étranger aurait intérêt à provoquer, et c'est de ce danger que je veux que notre ministre des affaires étrangères comme celui des autres pays puisse préserver la nation. Je veux qu'il puisse répondre à l'étranger plaignant si sa conscience le lui commande : Votre plainte versée en justice amènerait des poursuites contraires à l'intérêt national belge : je la repousse, car avant tout je fais les affaires de mon pays. Il en était ainsi sous la loi de 1816, et évidemment encore dans la loi actuelle on fait plus, on va plus loin.

Que se passait-il alors en effet ?

Le ministre des affaires étrangères recevait la plainte, il l'adressait au ministre de la justice et celui-ci la transmettait au ministère public s'il y avait lieu, si selon son appréciation dans l'intérêt national et sous sa responsabilité vis à-vis du pays comme de l'étranger, s'il y avait lieu d'accueillir la plainte du gouvernement étranger.

Remarquez donc quelle singulière position vous allez faire au gouvernement de votre pays, si ce qui existe ailleurs, suis ce rapport, n’est pas maintenu. Vous allez donner à un gouvernement étranger un pouvoir que votre gouvernement n'aura pas, lui qui est l'expression la plus haute, vis-à-vis des nations voisines, de vos droits de souveraineté. Un simple procureur du roi recevra la plainte, on la lui transmettra et il pourra dire : « Dans ma conviction de magistrat, je crois qu’il n'y a pas lieu de poursuivre la plainte devant les tribunaux, » et le procureur du roi ne poursuit pas ! Et le ministre des affaires étrangères sera obligé de poursuivre, même s'il s'agit d'une plainte que le ministère public écartera comme évidemment mal fondée...

La chambre du conseil, on le sait, aura un droit pareil. On n'a porté aucune atteinte à ce droit, on ne le veut pas, j'en suis convaincu ; d'ailleurs notre Constitution serait là pour empêcher toute tentative.

Eh bien ! le corps judiciaire le plus humble dans la hiérarchie judiciaire, une simple chambre de conseil pourra dire, à son tour : Cette plainte du gouvernement étranger n'a pas l'apparence de fondement ; le gouvernement étranger sera obligé d'accepter cette décision, etl vous ne voulez pas que le gouvernement étranger soit obligé de subir une même décision si elle émanait de l'unanimité du conseil des ministres.

Revenons aux vrais principes, obéissons à la raison.

Il faut donc que ceci soit désormais bien entendu : dans le système de la loi le gouvernement belge n'est pas obligé de poursuivre ; il pourra d'abord, comme dit le rapport, faire des représentations en cas de plainte frivole ou dangereuse au gouvernement plaignant, mais si, sur cet avis officieux qu'il n'y a pas lieu de lui donner accès, le gouvernement étranger maintient sa plainte, le gouvernement belge ne sera pas tenu de faire ce qui serait, à mes yeux, une véritable insulte à la justice nationale, de la saisir d'une plainte sciemment mal fondée.

Si la loi était entendue ainsi, un des plus grands griefs que j'ai contre elle viendrait à s'effacer.

Je viens de passer en revue, messieurs, les différents motifs pour lesquels tout partisan que je suis du système général et eu principe de la loi, je ne pourrai pas lui donner mon assentiment. J'avais pris en discutant devant vous sur cette base l'engagement de contribuer, autant qu'il était en moi, à améliorer la loi. J'ai indiqué les améliorations dont je la croyais susceptible ; si elles sont introduites, je serai heureux de donner à cette loi un vote que, quant à présent, je ne puis pas accorder.

(page 228) Que MM. les ministres réfléchissent aux dangers que je viens de signaler en ami de mon pays ; en conscience je les crois sérieux et réels. Qu'ils me permettent de leur adresser, en terminant, les quelques paroles qu'adressait l'orateur éminent de France dont j'ai déjà emprunté l'opinion, l'un des meilleurs guides qu'on puisse prendre pour l'appréciation des questions constitutionnelles, qu'il me soit permis de dire aujourd'hui ce que disait M. Constant, en terminant son discours dans la discussion de la loi de 1819, de dire en mon nom ce que M. Constant disait au ministère le plus libéral peut-être que la restauration ait donné à la France :

Le ministère actuel puise sa plus grande force, qu'il me permette de le dire, dans le souvenir des dangers dont son arrivée au pouvoir nous a préservés. Ce qu'il a empêché constitue jusqu'à présent ses droits notre confiance, au moins autant que ce qu'il a fait ; il dépend de lui de fonder sa popularité sur des titres moins négatifs : nous serons heureux de reconnaître ces titres.

M. le président. - M. H. de Baillet, retenu par une indisposition, demande un congé.

M. Anspach vient de déposer un amendement ; il le développera quand son tour de parole sera venu.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, il est facile de critiquer les dispositions d'une loi, quand on suppose que, dans l'application, tous ceux qui contribueront à faire passer la loi dans les actes commettront soit des absurdités, soit des énormités, et en dénatureront à plaisir le sens et le but.

Je pense, après avoir écouté attentivement le beau discours que vous venez d'entendre, que l'honorable M. Orts s'est placé fréquemment à côté de la réalité et qu'il a donné au texte actuellement soumis à la chambre une interprétation qui mène souvent à l'absurde et fait évidemment tort à l'intention du gouvernement.

Nous voulons réprimer les offenses envers les souverains et les chefs des gouvernements étrangers, nous sommes actuellement d'accord sur la première partie du texte de l'article premier du projet. Il n'y a pas de doute sur la nécessité de punir ceux qui par des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes quelconques, affiches, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public, se seront rendus coupables d'offense envers la personne des souverains ou des chefs des gouvernements étrangers.

Mais, dit-on, vous voulez aller beaucoup plus loin que l'offense personnelle, vous allez jusqu'à punir les attaques méchamment faites contre l'autorité. Cela implique que la critique de l'autorité d'un gouvernement étranger, que la critique des actes de ce gouvernement ne pourra plus entrer dans la polémique nationale. Les journaux belges devront rester muets sur tous ces faits.

Telle n'a jamais été l'intention du gouvernement ; tel n'a jamais été le sens qu'on peut attacher aux expressions « avoir attaqué méchamment leur autorité ». La section centrale l'a parfaitement compris. La section centrale a vu dans cette disposition qui, vous le savez, a été admise à la majorité de cinq voix contre un opposant et une abstention, elle a compris qu'il s'agissait d'une espèce particulière d'offense, et non pas de la critique des actes, de l'expression d'indignation que pourrait provoquer une attaque injuste. Voici comment la section centrale s'exprime sur ce point :

« Les attaques dirigées méchamment, au moyen de la presse, contre l'autorité des chefs des gouvernements étrangers sont de nature à produire les mêmes conséquences fâcheuses que les outrages envers la personne de ses souverains, et par conséquent, il y a égale raison de les réprimer. Des attaques, présentant le caractère dont il s'agit, sont propres à troubler l'harmonie. entre les gouvernements et, par suite à empêcher les relations bienveillantes que des intérêts puissants et nationaux doivent nous engager à entretenir avec nos voisins, quel que soit le régime politique qu'ils trouvent convenable d'établir chez eux.

« Dans le cas prévu par l'article 3 du décret du Congrès national du 20 juillet 1831, l'attaque contre l'autorité constitutionnelle du roi est égalenemt assimilée aux injures envers sa personne. La section centrale a, en conséquence, été d'avis que la disposition dont il s'agit est le complément indispensable de l'article premier qui présenterait une lacune regrettable, si la suppression demandée était admise.

« C'est en ce sens que statue l'article premier de la loi du 28 septembre 1816, article que nous modifions même dans un sens favorable au prévenu, puique le projet ne réprime que les attaques commises méchamment et exige ainsi une cominalité d'intention dont ne s'occupait pas la loi de 1816.

« Les expressions « aura méchamment attaqué leur autorité » ont du reste une portée et une signification qui sauvegardent complètement les droits de la presse ; elles excluent de la disposition répressive la simple critique des actes et de la forme des gouvernements étrangers. Elles consacrent, en un mot, le droit de libre et de légitime discussion, pour n'atteindre que les attaques méchantes, supposant nécessairement une intention criminelle, dont l’existence est essentielle pour constituer le délit. Sous ce rapport, loin d'aggraver la législation existante, nous en atténuons la rigueur, en établissant des règles plus équitables et plus conformes à nos institutions. »

Nous demandons si ce commentaire, qui répond pleinement aux intentiond du gouvernement comme aux mots dont il s'est servi, n'est pas de nature à satisfaire l'honorable M. Orts, et à répondre victorieusement aux critiques qu'il a dirigées contre le projet, en se plaçant dans des hypothèses qui sont en dehors du projet, et qui ne sont nullement dans le sens des explications que nous avons données à la chambre.

Une attaque méchante contre l'autorité du chef d'un gouvernement étranger, c'est, je le repète, une offense d'une espèce particulière ; ou plutôt, c'est un mode spécial d'offense envers le chef d'un gouvernement étranger.

Dans le discours que j'ai prononcé hier, j'ai cité un auteur qui prouve que notre déclaration est sincère : nous déclarons que nous n'entendons nullement exclure par cette disposition ce que de Martens appelle «la liberté d'un jugement politique », et qu'il distingue d'un libelle qui blesse le respect dû à la personne du souverain étranger.

En attaquant méchamment l'autorité d'un gouvernement étranger (le sens de ces mots a été mis en relief par l'honorable rapporteur de la section centrale) on peut diriger contre lui les attaques les plus grossières et les plus dangereuse.

Lorsque l'honorable M. Orts a parlé de la critique des actes d'un gouvernement étranger, il est sorti des limites vraies de la loi ; il a supposé des faits non coupables par eux-mêmes ; il lui a donc été facile de démontrer que le projet allait trop loin, qu'il excédait les limites d'une véritable réciprocité.

Quant à la réciprocité, j'ai quelque chose à dire. Nous avons consulté les diverses législations étrangères, avant d'arrêter la rédaction définitive de notre projet, nous avons vu dans la législation de ces gouvernements étrangers qu'on punissait les offenses dans des termes plus généraux que ceux aujourd'hui soumis à la discussion de cette assemblée, puisque nous y avons trouvé l'offense par paroles, c'est-à-dire par des discours dans le sens que nous avons développé au sein de la section centrale.

Nous avons cru qu'à titre de réciprocité, on ne pourrait critiquer la formule « par discours, cris, ou menaces. » Il a paru opportun au gouvernement, afin de concilier plusieurs opinions divergentes sur ce point, de consentir à la suppression de ces mots ; mais en les supprimant nous restons en deçà de ce principe de réciprocité, que l'honorable M. Orts a invoqué pour nous déterminer à retirer du projet les mots « méchamment attaqué l'autorité des chefs des gouvernements étrangers. » Si l'on s'en tenait à ce point de départ de l'honorable M. Orts, on devrait, pour être logique, en citant l'exemple de la Prusse, de la France, de l'Angleterre, admettre le projet tel que nous l'avions formulé. Mais il n'est pas question de revenir sur cette disposition.

Expliqué dans le sens que nous venons d'indiquer, et qui est évidemment le sens accepté par la section centrale, je ne vois pas quel est l'abus qu'on pourrait faire de la disposition qu'on critique en ce moment, et quelles pourraient être les conséquences fâcheuses au point de vue de la réciprocité qu'a indiquée l'honorable M. Orts.

Evidemment, après la déclaration qui a été faite par l'honorable ministre des affaires étrangères, vous devez croire que nous agissons en vertu de principes qui sont reconnus, qui ont été discutés et qu'on ne contestera probablement pas dans cette enceinte.

L'honorable M. Orts vient de dire que pour qu'on nous croie, quant à l'absence de pression de tel ou tel pays, nous devons retrancher les mots : « méchamment attaqué leur autorité. » Eh bien, nous disons qu'après les explications que je viens de donner, et qu'a si bien développées la section centrale, il ne peut y avoir le moindre doute sur la portée de ces mots.

L'attaque méchante contre l'autorité, c'est l'attaque faite avec une intention malveillante évidente, formulée en termes offensants et pouvant amener les mêmes conséquences que ce qu'on appelle les offenses envers les souverains étrangers. Sous ce rapport, la loi ne dit rien de ce que l'honorable M. Orts lui fait dire.

On ajoute que la presse belge ne peut attaquer l’autorité d'un gouvernement étranger, c'est-à-dire que les attaques qu'elle dirigera contre l'autorité d'un gouvernement étranger ne peuveut être considérées comme un délit, puisque l'autorité étrangère n'est rien pour nous. Nous demandons si la personne du chef d'un gouvernement étranger n'est rien pour nous. Evidemment, l'on répondra qu'elle est quelque chose, et beaucoup même, puisque nous réprimons les défenses dirigées contre elle. Eh bien, nous réprimons également les offenses dirigées contre son autorité inséparable de sa personne ; car c'est comme souverain que nous le faisons respecter d'une manière spéciale. C'est comme souverain qu'il occupe dans le droit international cette position particulière qui doit le protéger dans le monde entier, d'après les principes généralement admis. On ne peut séparer le souverain de son autorité. Si le souverain étranger est quelque chose pour nous, son autorité doit être prise en considération, parce que ce n'est qu'à titre d'autorité qu'il est protégé par la loi. On abuse donc du texte, quand on dit que le souverain étranger n'a aucune autorité ; il n'a pas une autorité active, il n'a pas de pouvoir, cela est vrai ; mais il a une autorité passive qui résulte de sa qualité, et qui, au point de vue du droit international, doit être défendue d'une manière spéciale.

Les considérations que je viens de présenter démontreront à la chambre, je l'espère, quelle est la portée des mots que l'honorable M. Orts a critiqués, quel est, à cet égard, le véritable esprit de la loi.

On a parlé de l'interdiction des droits civils : je donnerai sur ce point quelques explications.

Dans le système de notre Code pénal, l'interdiction des droits civils peut être prononcée par les tribunaux correctionnels, lorsqu'un particulier a été calomnié. La calomnie d'un individu contre un autre individu peut entraîner l'interdiction totale ou partielle des droits énumérés (page 229) à l'article 42 du Code pénal. Nous avons vu, messieurs, cette interdiction produite dans plusieurs lois, et notamment dans la loi du 6 avril 1847. Admettant le principe d'une égalité de peine à l'égard des faits que nous punissons, nous avons introduit dans le projet les pénalités comminées par la loi du 6 avril 1847, parmi lesquelles figure l'interdiction des droits civils.

Dans la pratique, messieurs, l'application de l'interdiction des droits civils est rare ; elle est réservée pour les cas graves.

Ainsi lorsque la calomnie entraîne des conséquences considérables ou qu'elle est persistante, l'application de l'interdiction des droits civils peut être prononcée ; elle ne se prononce pas dans les cas ordinaires.

Partant de cette idée, messieurs, nous ne voyons rien d'exorbitant ni de dangereux dans l'introduction de cette disposition dans la loi. Cédant cependant à des observations qui nous ont paru fondées, nous avons déclaré que nous n'entendions faire appliquer cette interdiction, que dans le cas de la récidive légale définie par l'article 58 du Code pénal. C'était, messieurs, exprimer les faits dans le texte de la loi, c'est-à-dire n'admettre l'interdiction que dans des cas très sérieux et très graves. La section centrale l'avait ainsi expliqué et nous n'avons éprouvé aucune espèce de scrupule pour le dire textuellement dans la loi.

Comment, messieurs, s'appliquerait cette interdiction ? Dans l'hypothèse où nous nous sommes placés par suite de notre amendement, il ne s'agirait plus que de l'appliquer à des individus qui font profession de diffamation et de calomnie. Evidemment, messieurs, lorsqu'un individu coupable d'offense envers la personne d'un souverain étranger aura été condamné à plus d'une année d'emprisonnement, il aura figuré plus d'une fois sur les bancs de la cour d'assises. Une première faute n'entraîne pas une peine supérieure à une année d'emprisonnement ; une première faute se traite avec indulgence et n'entraîne ordinairement que le minimum de la peine, ou même l'application de l'article 463 du Code pénal.

Lorsque la peine d'une année d'emprisonnement aura été appliquée, c'est donc qu'il se sera agi d'un individu qui aura dû répondre à plusieurs accusations ; et, il faut en convenir, à l'égard de ces individus, nous ne voyons pas quel serait le danger ou l'abus résultant de l'interdiction facultative des droits prévus par l'article 42 du Code pénal. Car, en définitive, il s'agirait d'un calomniateur de profession ; il s'agirait d'un individu qui ne mérite plus la confiance de ses concitoyens et qui doit être signalé à leur animadversion par une pénalité spéciale, par une pénalité que sa mauvaise conduite aura bien méritée.

Voilà, messieurs, quel est le sens de la disposition, et je verrai par la suite de la discussion quelles seront les objections plus ou moins sérieuses que les observations que j'ai l'honneur de vous présenter peuvent rencontrer.

L'honorable M. Orts a abordé une troisième série d'observations, relatives à l'obligation de poursuivre,

Voici, messieurs, quel est le système de la plainte du projet de loi actuellement en discussion.

La loi du 28 septembre 1816 portait, et il est bon d'en lire le texte qui ne me paraît pas avoir été parfaitement compris par l'honorable M. Orts ; l'article 4 de cette loi portait :

« Art. 4. Toute plainte et réclamation officielle d'un gouvernement étranger, motivée par des écrits de l'espèce mentionnée à l'article premier, sera directement transmise par notre ministre des affaires étrangères, à notre ministre de la justice ; afin que l'auteur, le rédacteur, l'éditeur, le colporteur, l'imprimeur ou le libraire qu'elle concerne, soit, s'il y a lieu, poursuivi en juslice réglée, à la diligence du procureur général ou de l'officier du ministère public dans le ressort duquel il est domicilié. »

J'entends, messieurs, par cet article, que toute plainte officielle d'un gouvernement étranger devait être directement transmise par le ministre des affaires étrangères au ministre de la justice, lequel ordonnait la poursuite au procureur général, afin, s'il y avait lieu, que le prévenu fût poursuivi en justice réglée.

Comment se faisait cette poursuite ? Au moyen d'une instruction préalable, ôu moyen d'une ordonnance de la chambre du conseil, d'une ordonnance de la chambre de mises en accusation et enfin d'un acte d'accusation soumis à un jury.

Voilà quel était le système, et nous pensons qu'il y avait obligation pour le gouvernement de poursuivre dès qu'il y avait plainte ou réclamation officielle d'un gouvernement étranger. La poursuite était alors remise directement par le gouvernement, par le pouvoir exécutif qui n'a pas à y voir, au pouvoir compétent, au pouvoir judiciaire, et il y avait poursuite, s'il y avait lieu ; c'est-à-dire qu'il y avait une instruction avec toutes ses suites et avec la possibilité de la mise hors de cause dès le commencement des poursuites, lorsque la chambre du conseil trouvait qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer devant la chambre des mises en accusation.

Dans le système de la loi française de 1819, la poursuite, aux termes d'un des articles, ne pouvait avoir lieu que « sur la plainte ou la requête » de la puissance étrangère. Ainsi, messieurs, il y avait encore là obligation d'attendre la plainte et, en cas de plainte, obligation de poursuivre. Voilà, suivant moi, quel était le sens naturel de cette disposition.

Quel est, à côté de cela, le système du projet de loi ? Vous verrez, messieurs, qu'il y a une atténuation considérable dans la manière dont la plainte ou la demande se trouve organisée.

L'article 5 dit : « La poursuite aura lieu sur la demande du représentant du souverain ou du chef da gouvernement qui se croira offensé. Cette demande sera adressée au ministre des affaires étrangères et ne sera pas jointe aux pièces dn procès. La dépêche de ce ministre sera seule visée dans le réquisitoire du ministère public. »

Pourquoi, messieurs, cette nouvelle forme ? Parce que nous avons pensé qu'une correspondance échangée entre le représentant du gouvernement étranger et le ministre des affaires étrangères aurait pour effet d'éclairer ce représentant sur le fondement, sur la valeur, sur l'opportunité de cette plainte et de la poursuite qu'il demande, et nous arriverons ainsi à obtenir souvent un désistement qui résulterait d'explications échangées entre le représentant étranger et notre gouvernement.

Nous avons là, messieurs, un moyen de représentation qui peut être souvent utile et qui, bien certainement, sera fréquemment employé. Mais, messieurs, lorsque, après ces représentations, le gouvernement étranger aurait persisté dans sa demande, il nous paraissait évident que la poursuite devait suivre son cours, c'est-à-dire que la demande ou la plainte devait être remise aux organes de la justice qui devait suivre son cours. Il ne pouvait pas appartenir au pouvoir exécutif d'empêcher le cours d'une plainte que la loi autorise les gouvernements étrangers à mettre en avant ; il ne pouvait pas appartenir au pouvoir exécutif d'intervertir l'ordre des juridictions et d'arrêter l'action de la justice lorsqu'elle est légalement saisie.

Quelles sont alors, messieurs, les garanties du prévenu, objet de la plainte du gouvernement étranger ? Ce sont celles que j'ai eu l'honneur d'énumérer tout à l'heure : ce sont les magistrats libres et indépendants de la chambre du conseil et de la chambre des mises en accusation, c'est le jury ; et avec ces garanties, nous croyons que les intérêts du prévenu sont suffisamment sauvegardés.

Il faut, messieurs, pour arriver à la conclusion que l'honorable M. Orts a tirée de l'obligation de poursuivre, il faut supposer que tous ceux qui interviendront dans cette poursuite seront des gens absurdes ou aveugles ; car, en définitive, le gouvernement étranger, par son représentant, ne se plaindra que lorsqu'il aura quelque sujet raisonnable de se plaindre ; le ministre des affaires étrangères ne prêtera pas aveuglément les mains à une poursuite qui aura été imprudemment demandée ; la chambre du conseil, composée de magistrats éclairés et impartiaux, la chambre des mises en accusation se trouvent dans les mêmes conditions ; on ne peut pas croire que lorsqu'une plainte aura été instruite et envoyée ainsi successivement par les corps judiciaires devant le jury, cette plainte sera dénuée de tout fondement et n'aura été suivie d'effet que grâce à la complaisance aveugle et humiliante du gouvernement et de la magistrature.

Cela revient à dire en deux mots, que les plaintes auxquelles il aura été donné suite seront des plaintes sérieuses, qui se rapportent à des faits sérieux et que par conséquent, lorsqu'une plainte aura été suivie d'effet, cette circonstance ne sera pas de nature à compromettre la dignité du gouvernement ni la dignité de la nation.

Voilà, messieurs, les observations que j'avais à opposer à celles que l'honorable M. Orts vient de vous présenter sur ce point important. Je n'en dirai pas davantage pour le moment, persuadé que mes raisons, présentées avec sincérité et bonne foi, seront favorablement accueillies par la chambre.

M. Orts. - M. le président, voici mon amendement :

« Je propose à la chambre de supprimer, dans l'article premier, les mots : « ou aura méchamment attaqué leur autorité. »

M. de Brouwer de Hogendorp. - Messieurs, le patriotique et éloquent préopinant dont je viens soutenir les arguments, quoique je ne les considère certes point comme entamés par le discours que vient de prononcer M. le ministre, a fait allusion à un événement sur lequel je lis les détails suivants dans « l'Histoire générale des traités de paix » par M. de Garden :

M. Otto, qui était toujours à Londres, s'était plaint de quelques numéros d'un journal que publiait dans cette ville un émigré français, nommé Peltier. Ce pamphlétaire y avait passé les bornes que les lois anglaises mettent à la liberté de la presse, en traitant de rebelle le chef du gouvernement français, auprès duquel la Grande-Bretagne entretenait un ambassadeur et en provoquant contre lui le poignard des assasins. Lord Hawkesbury, auquel on avait adressé sa réclamation contre la tolérance à la faveur de laquelle ce pamphlet circulait, exprima de la manière la pius franche l'indignation que cette lecture lui avait inspirée ; et tout en faisant observer au ministre de France combien il était difficile dans un pays gouverné par une Constitution telle que celle de l'Angleterre, d'obtenir la punition des délits de la presse, et combien il était dangereux d'entamer des procès de ce genre sans être sur du succès, il transmit les numéros de l’Ambigu (c'est le titre de ce journal) au fiscal général de la couronne pour sévir contre l'auteur. Ce n'est pas ce que Bonaparte voulait. »

Messieurs, des articles d'une violence extrême, qui ont trouvé leur origine je ne sais où, qui ont été inspirés je ne sais par quelle passion et dans quel dessein, ont déshonoré le journalisme belge.

Comme Peltier, un écrivain a outragé cruellement le chef d'un gouvernement voisin ; le mnistère nous demande de réprimer de pareils excès. Devons-nous accueillir sa demande ?

Nous reconnaissons à l'individu, quel qu'il soit, un droit à l'honneur. (page 230) Quels que soient l'estime ou le mépris que nous ayons pour sa personne, nous considérons comme une violation d'un devoir à son préjudice toute imputation de faits qui, s'ils existaient, l'exposeraient au mépris ou à la haine des citoyens. Nous le protégeons, par la force et la contrainte de la loi, contre de simples injures ou des expressions outrageantes.

Nous punissons la calomnie et les injures, parce qu'elles sont des violations du droit de nos semblables, parce que ces violations sont une atteinte portée au pacte social, parce que le droit de tous exige la répression de l'offense faite dans la personne d'un des membres de l'Etat.

Mais lorsqu'il ne s'agit pas d'un membre de l'Etat, d'un citoyen belge, lorsque la personne outragée est un étranger, simple particulier ou prince, le législateur ne doit-il pas appliquer le droit pénal ?

L'offense contre l'étranger est punissable, non pas parce qu'il y a dans la calomnie ou l'injure contre l'étranger, comme dans le délit contre le citoyen belge, la violation d'un droit. Cette violation n'existe pas, parce que l'étranger, aussi longtemps qu'il n'est pas sur notre territoire, n'est pas placé sous la protection de nos lois et par conséquent qu'il n'y a pas de droit. Mais la calomnie, l'injure contre l'étranger est un acte qui est du ressort de la justice du pays, parce que celui qui s'en rend coupable, s'il ne blesse pas les droits d'un individu, lèse du moins les droits de l'Etat.

Il y a dans l'outrage contre un étranger une violation d'un devoir envers l'Etat. Si un écrivain calomnie, injurie le chef d'un peuple, son acte peut avoir pour effet de produire un mal sensible pour l'Etat. L'offense dont il s'est rendu coupable peut porter atteinte à la bonne intelligence et à l'harmonie entre les deux pays, les intérêts matériels peuvent en souffrir, la sûreté de l'Etat même peut être mise en danger.

Messieurs, ce sont ces principes qui ont guidé les législateurs, lorsqu'ils ont frappé les offenses contre la personne des souverains étrangers, d'une sanction pénale. C'est en vertu de ces principes, que le pays où la valeur de la liberté de la presse est le mieux appréciée, le pays où cette liberté est placée au-dessus de toutes les autres, où son importance est regardée comme aussi grande que celle du parlement, le pays où un grand orateur disait un jour : Qu'on nous ravisse toutes les libertés, mais qu'on nous laisse la liberté de la presse et nous les reconquerrons toutes bientôt ! c'est en vertu de ces principes, que l'Angleterre punit le libelle contre la personne des princes étrangers comme une infraction à sa loi pénale, et c'est par ces considérations aussi que je donne mon adhésion à la partie de la loi qui a pour but de réprimer les personnalités outrageantes dirigées contre les souverains.

Permettez-moi, messieurs, d'ajouter à cette exposition de principes quelques observations propres à expliquer plus clairement ma pensée.

J'ai déjà dit que l'offense contre un souverain ou contre le chef d'un Etat étranger ne peut pas être considérée comme la violation d'un droit au préjudice d'un individu. Elle peut beaucoup moins encore être assimilée à l'offense contre la personne du Roi.

L'offense contre la personne du Roi est un crime de lèse-majesté. Le Roi, ce n'est pas seulement l'homme qui occupe le trône ; le Roi, c'est quelque chose de plus élevé, c'est ce qu'il y a de plus haut ; le Roi, c'est la tête de l'Etat ; c'est l'Etat, c’est-à-dire la libre volonté générale, que l'on révère, que l'on aime, que l'on défend au prix de sa vie dans sa personne. L'honneur du Roi, c'est l'honneur suprême, c'est la majesté.

Le souverain étranger n'a pas ce caractère pour nous ; c'est l'homme qui gouverne l'Etat étranger ; il n'est rien de plus pour nous ; nous ne lui devons ni vénération, ni dévouement ; nous n'avons de devoir envers sa personne qu'en tant que ce devoir nous est imposé par l'intérêt de l'Etat dont nous faisons partie.

Il en résulte que la différence est grande entre l'offense commise contre la personne du Roi et celle qui est commise contre un souverain étranger. On a dit, en France, lors de la discussion de la loi de 1835, et on a répété plus tard en Belgique, que la simple irrévérence pouvait constituer le délit d’offense contre la personne du Roi, et on disait vrai. Mais, grâce à Dieu, la loi belge n'a pas été appliquée à cette espèce d'offense sous le règne d'un souverain qui sait que l'amour des citoyens pour leur prince est d'autant plus grand qu'ils ont plus de liberté de langage.

Des paroles simplement irrévérentes ne sont pas punissables, lorsqu'il s'agit d'un souverain étranger. Il en est de même d'une simple dérision. Les offenses qualifiées d'outrage, de diffamation, d'injure à l'égard des personnes ordinaires, doivent seules être frappées d'une sanction pénale, parce que ces actes seuls sont de nature à exciter à la haine et au mépris de la personne des princes étrangers, qu'ils peuvent blesser la susceptibilité légitime de leurs peuples et avoir des suites fâcheuses pour nos relations avec eux.

Je ne connais pas, messieurs, de législation qui assimile l'outrage contre la personne d'un prince étranger à l'offense commise contre la personne ou Roi et qui le qualifie de la même manière, si ce n'est la loi françaisa de 1819, qui, quelque immense que soit la distinction entre les deux délits, les nomme l'un et l'autre offense. Il est vrai que le garde des sceaux, qui présenta la loi, partait de ce point de vue, faux en 1819, mais plus faux encore en 1852, que la majesté du diadème est une et qu'il faut assurer le respect des couronnes étrangères au même titre que le respect pour la couronne du pays.

La plupart des législations ne distinguent point les conditions du délit, commis contre des régents étrangers, de celui commis contre des particuliers ; quelques-unes seulement établissent des peines plus sévères.

Je vous ai entretenus, messieurs, de cette différence essentielle qui caractérise l'offense contre la personne du Roi et l'outrage contre la personne des souverains étrangers, parce qu'il me semble que l'emploi d'une même expression pour désigner deux délits d'une nature aussi différente, peut donner lieu à des mterprétations fâcheuses. Nous verrons plus tard comment la confusion d'idées diverses conduit à des conséquences étranges.

Il faut qu'il soit bien entendu que nous ne voulons frapper d'une sanction pénale que les actes qui ont pour but d'exciter à la haine et au mépris de la personne des souverains étrangers, et non pas les faits qui peuvent, plus ou moins, blesser les convenances, mais qui n'ont pas la même portée politique.

En tant donc qu'il s'agit d'appliquer la justice pénale aux outrages et aux injures, le projet de loi ne peut rencontrer une contradiction sérieuse. La répression de ces actes est de toutes parts estimée nécessaire.

Mais je crains fort que, comme dans le cas rapporté par M. de Garden, on ne veuille autre chose que la punition d'actes criminels. Et en effet, le gouvernement nous propose de placer, dans le catalogue des délits, l'attaque contre l'autorité du souverain étranger.

Voyez, messieurs, l'effet d'une notion fausse. On n'a pas vu la différence immense qui existe entre le Roi et le souverain étranger. La loi punit l'attaque contre l'autorité constitutionnelle du Roi ; on croit pouvoir rendre punissable l'attaque contre l'autorité du souverain étranger.

Je ne pense pas qu'il y ait, dans aucune législation, un exemple d'une pareille altération de principes. Je me trompe. Le gouvernement des Pays-Bas cédant honteusement aux sollicitations du marquis de Latour du Pin, ambassadeur de Louis XVIII, proposa, le 3 février 1818, une semblable mesure à la deuxième chambre des états généraux, qui la rejeta. Je ne sais cependant si, à cette époque antérieure de bien longtemps à une révolution faite au nom de la liberté de la presse, on sentait mieux qu'aujourd'hui la valeur de cette liberté. S'il n'en était pas ainsi, il faudrait croire que l'on avait un sentiment bien vif de l'honneur national.

On range au nombre des délits punissables d'un emprisonnement qui peut s'élever à 2 ans, d'une amende qui peut monter à 2,000 fr. et de l'interdiction des droits civiques, civils et de famille, l'attaque contre l'autorité d'un souverain étranger.

Il serait utile qu'on nous donnât une définition claire, nette, précise du délit d'attaque contre l'autorité d'un pareil souverain ; il serait utile qu'on nous dît quels sont les actes qui constituent ce délit. Je pense que les idées de l'auteur du projet de loi n'ont pas été très distinctes sur ce point ; je crois qu'il lui serait fort difficile de déterminer le sens des mots qu'il emploie et, le dirai-je ? je suis porté à croire que l'équivoque de ces expressions lui a donné un peu de consolation dans la triste tâche qu'il avait à remplir. Et ce que nous venons d'enterdre fortifie cette opinion. Remarquez, messieurs, comme il a glissé légèrement sur tout ce qu'a dit l'honorable M. Orts sur cette question importante. Voyez combien est obscure, vague, futile la définition qu'il a essayé de nous donner de l'attaque contre l'autorité.

De grâce, que signifie cette définition que M. le ministre vient de nous donner ? « L'attaque, dit-il, contre l'autorité est une offense d'une nature particulière. Il faut qu'elle soit faile dans une intention mauvaise. Le mot ne comprend pas la discussion, l'examen des actes des gouvernements étrangers ; cet examen, cette discussion, resteront libres. » En vérité, je ne sais s'il y a des membres plus clairvoyants que moi. Pour moi, je n'y vois que des ténèbres, et ces ténèbres ne sont pas moins épaisses après qu'avant la définition. Pour ceux qui veulent imposer silence à la presse, les mots : « Attaque méchante contre l'autorité », défendent et punissent tout ; pour ceux qui veulent que la presse reste libre, ces mots semblent permettre tout ce qui peut être permis. Le vague est, en vérité, tel, que noire honorable collègue, le rapporteur de la section centrale, y a cru voir une atténuation de la rigueur de la législation existante, ce dont je le félicite sincèrement, bien sincèrement, car il y a là du moins un refuge pour la consistance de ses principes

Messieurs, nous ne pouvons pas nous contenter de cette équivoque ; il faut que les nuages soient écartés ; ii faut qu'il soit déterminé d'une manière certaine, claire, évidente, ce qui est délit et ce qui seul peut être puni comme tel.

Nous devons le savoir, non pas seulement dans l'intérêt de la liberté, mais dans l'intérêt aussi de notre bonne intelligence avec les puissances, qui est le but qu'on assigne à la loi. S'il pouvait y avoir des doutes sur les actes que l'on a voulu réprimer, la loi ferait, même sous ce dernier rapport, plus de mal que de bien.

Que signifie ce mot « attaque contre l'autorité » ? Je comprends l'attaque contre l'autorité constitutionnelle du Roi ; je ne comprends pas celle contre l'autorité d'un prince étranger ; je ne la comprends pas dans un pays de libre discussion. Je comprends l'article 3 du décret du 20 juillet 1831 ; je comprends les lois de septembre en France ; je ne comprends pas la loi qu'on nous propose.

Si nous nommons délit l'attaque contre l'autorité constitutionnelle du Roi, nous savons quels sont les actes que nous déclarons punissables. Nous regardons, avec justice, comme délit toute violation des droits que la Constitution, que le Roi a juré d'observer, lui a donnés. En protégeant, contre des attaques malveillantes, l'établissement constitutionnel, dans (page 231) la personne du Roi, nous protégeons, contre la malveillance, la volonté nationale, notre propre liberté.

Que protégeons-nous en protégeant l'autorité des princes étrangers ? Le savez-vous ? le savons-nous ? Et, puis, quel intérêt avons-nous à les protéger ?

M. Le Hon. - Nous protégeons ls pays.

M. de Brouwer de Hogendorp. - J'allais venir au-devant de votre interruption. Nous avons le même intérêt, dites-vous, qui nous a fait admettre la punition des outrages. Je repousse la similitude. Si l'attaque contre l'autorité à une gravité telle que notre intérêt exige qu'elle soit punie, elle impliquera nécessairement un outrage ou un autre délit que la loi commune réprime. M. le ministre l'a reconnu lui-même tout à l'heure, quand il a dit que l'attaque méchante serait toujours blessante. Si elle a une portée moins grande, si, par exemple, c'est une critique des actes des souverains étrangers, une discussion des bases, des formes de leur gouvernement, quelque hostile que soit l'écrit, quelle que soit la passion par laquelle vous supposez qu'est mû l'écrivain, vous n'avez pas le droit d'enchaîner sa plume ; la Constitution lui assure une liberté inviolable. L'écrivain est placé sous la protection de notre loi fondamentale. Son droit est entier, absolu. Vous n'avez pas le pouvoir de le restreindre, quels que soient les motifs qui vous déterminent, quelles que soient les circonstances extraordinaires qui vous effrayent. L'écrivain doit rester libre ; vous n'avez pas le droit de lui forger des entraves et moins encore celui de le placer sous le bon plaisir d'un gouvernement étranger.

Je sais que vous vous défendez contre cette intention. Je sais que vous protestez que vous n'avez jamais eu de tels sentiments, que vous ne voulez pas mesurer la liberté avec parcimonie. Vous nous répéterez, ce que déjà vous avez dit tout à l'heure, que le droit d'examen, de discussion et de critique restera entier et libre, que vous ne voulez que réprimer et punir des écarts et des excès qui ont soulevé le blâme public.

Je crois à la droiture de vos intentions ; mais quelque innocents que vous soyez dans votre cœur, si vous maintenez dans la loi la disposition que je combats, vous frappez la liberté de discussion en pleine poitrine.

Je répète la question que je vous faisais tout à l'heure : Savez-vous ce que vous protégez en punissant l'attaque contre l'autorité des souverains et des chefs de gouvernements étrangers ? Savez-vous quels sont les actes que vous rendez punissables ? Vous ne le savez pas ; car l'autorité varie d'après les constitutions et les formes des gouvernements.

Sous une pareille législation, la liberté de la presse, qui est presque absolue, en ce qui concerne notre gouvernement intérieur, serait, par rapport à la politique étrangère, placée dans une position à laquelle il faudrait préférer la censure. Il y aurait dans la censure tout à la fois et plus de sécurité pour l'écrivain et plus de garantie pour la nation. Mieux vaudrait la censure pour l'écrivain ; car vous mettez sa plume et sa liberté à la merci d'hommes à qui la presse n'inspire peut-être qu'effroi et que haine. Mieux vaudrait la censure pour la nation ; car elle ne courrait pas le risque de voir la presse patriote, un jour, à la merci des ennemis de notre nationalité.

Je m'entends accuser d'exagération. Je n'exagère pas : je vois clairement le péril et je vous le signale. Je n'ai pas l'habitude d'exagérer ni les faits ni les principes. Je ne laisse pas égarer mon jugement par la passion. Je suis de l'avis de Burke, que si le poids pèse trop lourdement sur un côté du navire, il faut que l'on porte ce que l'on peut avoir de forces sur l'autre, pour que le navire ne sombre pas.

On a dit qu'il n'y a rien d'étrange dans ce que l'on propose ; que le principe de cette disposition est basé sur le droit des gens ; qu'il est écrit dans la législation ancienne et moderne et dans l'histoire des peuples.

Quant au droit des gens, jusqu' à présent on s'est borné à une simple affirmation sur ce point. J'attendrai pour la combattre qu'on m'ait porté des preuves à son appui.

Je dirai un seul mot de la citation faite de l'opinion du savant Klueber, qui certes doit être placé au premier rang de ceux qui ont illustré la science de la diplomatie ; et ce mot, c'est celui-ci : il faut conclure précisément du passage dont M. le ministre nous a donné lecture, que Klueber était d'avis que le droit pubiic d'un peuple ne doit jamais, jamais, entendez-vous ? être sacrifié aux exigences d'un prince étranger.

Quant aux législations, je défie qu'oit m'en cite une seule. On ne saurait invoquer celle des Etats qui constituent la Confédération germanique. C'est là une législation domestique et intérieure, par laquelle les membres d'une même Confédération, qui se considèrent comme frères et qui ressortissent tous à une seule autorité centrale, essayent de mettre leur personne et les institutions de leur pays mutuellement à l'abri de toute atteinte.

Et quant à l’histoire, qu'enseigne-t-elle ? Je vais vous le dire, messieurs. Voici un épisode de l’histoire du grand Frédéric-Guillaume de Brandebourg.

Un journaliste et philosophe célèbre, Christian Thomasius avait attaqué, dans ses écrits, le principe du droit divin sur lequel se fondait l'autorité des souverains ; il l'avait attaqué avec fiel et colère ; aussi le Danemark s'en offensa comme d'un outrage commis contre l'autorité du Roi, Les écrits de Thomasius furent brûlés sur la place publique de Copenhague ; mais l'électeur de Brandebourg considéra l'offense faite à son sujet comme une offense faite au pays et en demanda réparation au Danemark. - Voilà ce que l'histoire enseigne.

Et puis ce que l'histoire enseigne encore, c'est que de petits Etats, jaloux de leurs droits et de leur honneur, ont grandi et sont devenus puissants ; que des Etats jadis puissants sont tombés pour avoir méconnu leur dignité et leur droit, Je viens de parler de Frédéric-Guillaume, électeur de Brandebourg. Comment ce petit Etat a-t-il grandi sous ce prince ? Comment la monarchie de Frédéric le Grand tomba-t-elle si bas, au commencement de ce siècle, après le honteux traîté de Bâle ? Comment la Hollande, cette république jadis si fière et si glorieuse, était-elle descendue au rang d’une province tributaire et vassale de la France longtemps avant qu’elle fût incorporée dans l’empire français ?

Messieurs, ne l'oubliez pas ! Il y a des sentiments dont un peuple ne se dépouille jamais avec impunité.

Nous sommes faibles, dit-on, et dans notre faiblesse, nous devons nous abstenir de donner des causes de mécontentement à nos voisins. Oui, la prudence exige que nous évitions, si, ce qu'à Dieu ne plaise ! il existait quelque part des sentiments hostiles, de leur fournir une raison pour justifier de mauvais desseins ; oui, nous devons nous abstenir de blesser nos amis et nos alliés. Et, je n'hésite pas à le dire : certains journaux n'ont pas eu cette prudence et ces égards. - J'entends parler ici de ce qui s'est passé à propos du général Haynau. Mais la faute qu'ils ont commise ne légitime pas la mesure que le gouvernement propose.

Je le répète pour la troisième fois : vous ne savez pas, messieurs les ministres, quelles sont les limites le ia loi que vous proposez ; vous ne savez pas où cette première concession vous conduira.

Croyez-vous que, lorsque vous aurez fermé la porte à la licence réelle on ne vous demandera plus rien ? Le mot « licence » a une signification bien vaste et le sens des mots : « attaque méchante » n'est pas mieux défini. Vous ne voulez défendre que des excès réels ! mais vous n'êtes pas juges de la criminalité. C'est le gouvernement étranger qui est juge exclusif de l'opportunité et de la demande de la poursuite. Ce qui ne sera pas un excès à vos yeux, le sera aux yeux de certains princes, ils considéreront comme une attaque méchante conlre leur autorité ce qui, selon vous, ne sera que l'exercice d'un droit légal. Vous voulez permettre la discussion ; on invoquera votre loi pour l'empêcher ; on vous demandera de la réprimer comme une-attaque criminelle.

J'entends une dénégation au banc ministériel. Eh bien, je le répète, oui, on viendra vous demander de réprimer la discussion comme un crime. On vous dira ce que disait M. Thiers, lors de la discussion des lois de septembre.

« Discuter une institution quelle qu'elle soit, signifie : changez-la, modifiez-la ou maintenez-la. Eh bien, discuter la constitution, le prince, est un non-sens, une folie, ou c'est dire : il faut modifier la contistitution, changer le prince. »

On regardera comme une attaque contre l'autorité du prince toute critique des actes de son gouvernement. On vous obligera de demander à la justice du pays le châtiment de l'écrivain qui aura usé d'un droit que personne n'a le pouvoir de lui enlever ! Le jury acquittera ! Oui, mais on dira que le jury est complice de l'écrivain ; que le jury aussi est coupable d'attaques méchantes. Vous avez fait une première coneession ; on voudra que vous en fassiez une seconde. Ce ne seront plus des représentations amicales qu'on vous fera, on exigera insolemment que vous enleviez au jury le jugement des délits de la presse. Vous vous récrierez ; vous direz que la Constitution s'y oppose. Eh mon Dieu, le droit des gens n'enseigne-t-il pas que les constitutions spnt plutôt de domaine de la politique étrangère, que de simples questions de politique intérieure ? N'enseigne-t-il pas que « les souverains ont le droit incontestable de se garantir de la contagion, d'arrêter et de suspendre le progrès de révolte, même par une intervention armée » ?

Oh oui ! vous résisterez, j'en suis sûr ; il y aurait trop de honte à céder et d'ailleurs vous êtes trop bons constitutionnels pour céder sur un point aussi fondamental. Mais dites-moi quelle est la position que vous aurez faite au pays par une première faute ?

Je ne pousserai pas plus loin l'examen de cette loi dont certains journaux français demandent ou plutôt exigent le vote, nous menaçant, en cas de refus, de la colère de leur gouvernement. (Interruption.)

Je puis bien en parler, puisque M. le ministre des affaires étrangères s'appuyait hier sur l'opinion de M. de la Guéronnière. Je dis donc aux interrupteurs que ce n'est pas moi qui introduis le premier la presse française dans nos débats.

Messieurs, un grand événement s'accomplit chez nos voisins. L'empire, dit-on, c'est la paix Je veux croire que le pouvoir qui, hier, déclarait, à la face de l'Europe, n'être pas issu de la violence et de la ruse, sera fidèle à son programme pacifique. Mais si pourtant il revenait aux traditions de 1804, toutes pleines, pour notre chère Belgique, de larmes et de sang, nous regretterions amèrement d'avoir désarmé nos sentinelles vigilantes et d'avoir sacrifié quelque peu de notre dignité, qui est une partie de notre force.

Je supplie la chambre de rejeter le projet du gouvernement et d'adopter les amendements de M. Orts.

(page 232) M. Lelièvre. - Messieurs, le véritable caractère de la loi en discussion a été retracé dans le rapport de la section centrale dont j'ai l'honneur d'être l'organe. Le projet n'est le résultat ni d'une pression extérieure ni de concessions faites à l'étranger au préjudice de nos libertés. C'est un acte national par lequel la Belgique sauvegarde ses intérêts, en réprimant des faits qui sont de nature à les léser notablement.

Voilà qui doit être évident pour tout homme impartial.

La liberté de la presse n'est pas le moins du monde entamée ; le projet atteint ceux qui outragent les gouvernements étrangers et attaquent méchamment leur autorité. Eh bien, la liberté de la presse consiste-t-elle dans le droit d'outrager les gouvernements étrangers, dans le droit d'attaquer méchamment leur autorité ? Telle est la question que l'on devrait résoudre affirmativement pour contester le principe du projet de loi. A moins qu'on ne prétende qu'il est contraire à la liberté de la presse de réprimer les outrages, force est de convenir que la disposition de l'article premier ne peut être sérieusement attaquée.

Dès le début, messieurs, je rencontre comme adversaire l'honorable M. de Perceval, à qui le rapporteur de la section centrale doit une réponse particulière. Certes nul ne rend justice plus que moi aux sentiments généreux et surtout à la pureté des vues du député de Malines ; mais il me permettra de lui dire, avec toute la franchise qu'il a mise lui-même dans l'attaque, qn'il a parlé de tout dans son discours, sauf de la question soumise à la chambre.

Toute son argumentation n'est qu'une pétition de principe. Le projet viole la liberté, dit-on. Je comprends ; mais c'est précisément ce qu'il fallait démontrer autrement que par des phrases pompeuses et par des mots sonores.

Or l'honorable membre s'est abstenu de déduire le moindre argument à cet égard.

Les discours de ce genre pèchent par leur base en considérant comme démontré ce qui est en question.

Ils manquent de toute substance. Le projet viole la liberté. Mais que réprime-t-il donc ? Les outrages et les attaques méchantes contre l'autorité des gouvernements étrangers.

Or, des actes de ce genre ne sont pas, que je sache, des actes de liberté, des actes conformes au droit.

La liberté de la presse est sacrifiée ! Oui, si la liberté de la presse est la liberté de commettre des faits condamnés par la morale et contraires à l'ordre public. Oui, si la liberté de la presse est le droit aux délits et s'étend jusqu'au droit d'outrager les gouvernements étrangers et d'attaquer méchamment leur autorité.

Mais le rapport de la section centrale énonce qu'il faut sacrifier nos libertés en vue des intérêts matériels ! Cette énormité qu'on nous attribue n'est encore que la conséquence du vice radical des argumentations de l'honorable membre.

Le rapport n'a certainement pas le brillant qui distingue tout ce qui émane du député de Malines, mais il repose sur un syllogisme dont nous le défions d'entamer aucune partie.

La section centrale dit : Le législateur a le droit de réprimer des faits illicites, portant atteinte aux intérêts matériels et politiques de la société.

Or, les faits énoncés à l'article premier du projet sont illicites ; en outre, ils portent atteinte aux intérêts politiques et matériels du pays.

Donc, ils doivent être réprimés. Le rapport établit d'abord l'illicéité des faits, et cette prémisse démontrée, il en conclut que les faits illicites lésant les intérêts sociaux ne peuvent échapper à une juste répression.

Ne dites donc pas que nous sacrifions des libertés en vue des intérêts matériels, puisque nous commençons par établir (et nous vous défions de démontrer le contraire) que dans l'article premier, il ne s'agit pas de libertés, mais de faits illicites dans une société civilisée.

M. de Perceval ne peut détruire cette argumentation logique qu'en prouvant que l'outrage contre les souverains étrangers et leur autorité est un acte légitime et rentre dans les limites de la liberté de la presse.

J'ai été, du reste, quelque peu étonné d'entendre l'honorable député de Malines se préoccuper si peu des intérêts matériels, qui cependant sont si essentiels au bien-être de ces classes laborieuses qu'il paraissait avoir prises sous sa protection.

L'intérêt de ces classes n'est-il pas lié intimement à la prospérité industrielle du pays ? et par cela seul que des faits, illicites du reste, compromettent cette prospérité, je verrais dans cette seule circonstance de justes motifs de répression à l'égard d'actes portant atteinte à des intérêts qui sont la condition indispensable de l'existence d'une nation libre.

C'est ici le lieu de répondre à l'honorable M. Orts, qui a également interprété erronément le rapport de la section centrale. Que la chambre veuille bien remarquer que je n'ai argumenté des conséquences dommageables des faits énoncés au projet que pour justifier le droit qui appartient au législateur de punir les faits illicites qui produisent semblables résultats. Si les faits étaient licites, je ne soutiendrais pas qu'il fallût les reprimer. Mais j'établis l'illicéité et, de là, je conclus que nous devons les prohiber, alors qu'ils sont de nature à produire des conséquences préjudiciables au pays. Telle est la théorie que je maintiens et qu'on n'a combattue que parce qu'on ne l'avait pas comprise.

Jamais il ne s'est donc agi de sacrifier des principes à des considération d'intérêts matériels. :

Je n'en dirai pas davantage à M. de Perceval, et je poursuis l'examen du projet.

On a souvent demandé, en dehors de cette enceinte, pourquoi les outrages envers les souverains étrangers sont l'objet d'une disposition spéciale ? pourquoi on n'en abandonne pas la répression aux principes du droit commun ? Le motif est bien simple.

Les outrages envers les souverains étrangers ont une autre portée que ceux commis envers les particuliers. Ils sont de nature à produire des conséquences fâcheuses pour le pays lui-même ; par la perturbation politique qu'ils sont propres à causer, par la grave lésion des intérêts nationaux qu'ils peuvent amener, ils constituent un véritable délit sui generis qui nécessite une répression particulière.

La loi ne réprime les faits dont il s'agit qu'à raison de l'influence fâcheuse qu'ils peuvent exercer sur les intérêts belges, sur l'indépendance même de la patrie.

La Belgique, comme nation indépendante, est obligée d'avoir des relations avec les gouvernements étrangers.

A ce point de vue, elle est tenue d'observer le respect des convenances, qui seul peut amener les rapports de bon voisinage nécessaires pour amener le règlement équitable des intérêts respectifs.

Dès lors, non seulement elle peut, mais elle doit même, dans ses intérêts, empêcher qu'à l'intérieur on ne compromette par des actes imprudents les négociations que, comme nation libre et indépendante, elle est obligée d'ouvrir avec les gouvernements étrangers.

Mais telle serait la conduite même de simples particuliers qui auraient à régler ensemble des affaires d'intérêt privé. Que dirait-on d'un individu qui, devant avoir avec son voisin des relations nécessitant une réciproque bienveillance, laisserait ses agents et subordonnés libres de déverser l'injure sur celui avec lequel il est obligé de vivre en bonne harmonie ?

Or, la Belgique comme nation se trouve dans cette position vis-à-vis des gouvernements étrangers.

Il y a plus, messieurs, la situation du pays est tout exceptionnelle. La neutralité de la Belgique est assurée par des traités. Ce sont les gouvernements voisins qui l'ont formellement garantie. Eh bien, je le demande avec confiance, n'est-ce pas compromettre le pacte solennel sur lequel repose notre nationalité que de déverser l'outrage sur ceux-là mêmes qui sont garants de la neutralité belge ? C'est les autoriser à méconnaître la foi promise et à nous ravir le bénéfice de l'acte qui a constitué une Belgique libre et indépendante. Se servir de notre indépendance pour outrager nos voisins, c'est légitimer de la part de ceux-ci la violation du pacte sur lequel repose notre existence comme peuple libre.

Les dispositions du droit commun ne suffisent pas pour réprimer les faits dont il s'agit qui ont un caractère spécial et des conséquences dommageables, qui ne ressemblent en rien à celles qui résultent d'un délit commis envers les particuliers.

Et puis, est-ce bien sérieusement que l'on confond avec de simples particuliers les souverains étrangers avec lesquels le pays doit débattre ses plus importants intérêts ?

Il y a erreur bien grave à assimiler à un particulier celui qui traite de puissance à puissance avec notre gouvernement. Et des droits privés peuvent-ils être confondus avec les droits internationaux ? M. de Perceval, qui a occupé un rang distingué parmi nos agents diplomatiques, devrait-il ignorer les principes élémentaires du droit des gens ?

M. de Perceval. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Lelièvre, rapporteur. - Le projet de loi est donc pour la Belgique non seulement l'exercice d'un droit, mais aussi l'accomplissement d'un grand devoir politique, d'une obligation qu'elle ne pourrait décliner sans remettre en question la base de ses institutions, le principe de son existence nationale, l'acte solennel qui lui a donné rang parmi les nations.

L'on comprend dès lors comment je suis peu ému du reproche que l'on adresse aux partisans du projet, de céder à l'étranger. Messieurs, de même que l'homme privé, la nation qui fait son devoir ne commet ni faiblesse, ni lâcheté. Il y a du courage à faire ce qu'on doit, et dans l'espèce, tout en faisant notre devoir, nous sauvegardons nos intérêts les plus chers, nous posons les actes que nous prescrit la prudence la plus vulgaire et, qu'il me soit permis de le dire, les vrais et intelligents amis du pays sont ceux qui écartent les obstacles propres à compromettre son indépendance et qui prohibent les actes de nature à préjudicier gravement à ses intérêts politiques.

Et puis, messieurs, si le principe du projet portait atteinte aux libertés, ce n'est pas certainement dans les rangs de ses défenseurs que l'on me rencontrerait.

Celui qui veut que les étrangers résidant dans le pays ne puissent, sans formalités tulélaires, être expulsés du sol hospitalier de la Belgique, qui a constamment réclamé les dispositions les plus larges en faveur de la liberté individuelle, qui s'est efforcé d'introduire, dans les lois pénales, les prescriptions libérales en harmonie avec nos mœurs et avec nos institutions nouvelles, qui applaudirait avec enthousiasme à l'acte équitable du gouvernement qui amnistierait nos détenus politiques et inaugurerait ainsi solennellement le système de conciliation inscrit dans le programme du cabinet, celui enfin qui prête habituellement son ministère aux accusés, celui-là ne peut être suspect, lorsqu'il affirme que les dispositions du projet ne contiennent rien de contraire à la liberté.

Cette opinion a, du reste, été partagée par tous mes honorables (page 233) collègues de la section centrale qui ont voté à l'unanimité la première partie de l'article premier telle qu'elle est énoncée au projet. Il en est ainsi de M. Orts lui-même après le rejet de l'amendement tendant à rayer les expressions dont il demande encore aujourd'hui la suppression.

J'aborde maintenant le système de cet honorable membre tel qu'il est formulé dans l'amendement par lui proposé.

On prétend que l'on ne doit pas comprendre dans la disposition de l'article premier le fait d'attaquer méchamment l'autorité des chefs des gouvernements étrangers.

Je ne puis admettre ce système qui est réfuté par la législation existante, les dispositions de la loi de 1816 dont l'article premier punit non seulement les outrages blessant le caractère personnel des souverains étrangers, mais aussi le simple fait d'avoir contesté la légitimité de leur gouvernement.

L'amendement tend donc à innover la législation existante en Belgique. Nous, au contraire, nous la maintenons en la modifiant toutefois dans un sens raisonnable et favorable au prévenu, c'est-à-dire, en la restreignant aux attaques méchantes et de mauvaise foi. Or, rien ne justifie une modification plus radicale de la législation qui nous régit à cet égard.

D'ailleurs, le maintien de la disposition dont il s'agit se justifie par des motifs solides.

N'est-il pas vrai que des attaques méchantes contre l'autorité des chefs des gouvernements étrangers sont de nature à produire des résultats non moins fâcheux que les outrages envers leur personne ? L'attaque contre l'autorité des souverains est absolument de même nature que les injures déversées sur eux ; et en voulez-vous la preuve ? Elle résulte de notre propre législation. L'attaque méchante contre l'autorité du Roi est assimilée aux outrages envers sa personne, tant l'autorité est intimement liée à la personne même du souverain quel qu'il soit. L'autorité d'un souverain étranger ne peut être l'objet d'attaques méchantes pas plus que sa personne même, parce que d'après les principes du droit international cette souveraineté doit être respectée. Le droit des gens ne permet pas que l'essence et l'existence de cette souveraineté puissent être méchamment attaquées, même à l'étranger.

Sans cela d'ailleurs il serait même facile d'éluder les prescriptions de la loi nouvelle, et le but qu'elle se propose serait entièrement éludé.

Ainsi l'écrivain respecterait la personne du souverain étranger, mais il déverserait force injures et outrages contre celui de qui ce souverain tient ses droits, et à l'aide de ce moyen, saperait méchamment l'autorité du chef du gouvernement voisin.

Et puis, messieurs, n'oublions pas à quel point de vue le projet atteint les faits énoncés à l'article premier.

C'est uniquement à raison des conséquences qu'ils peuvent avoir sur nos relations avec l'étranger ; or sous ce rapport il faut également réprimer l'atteinte méchante à l'autorité.

D'un autre côté, la Belgique, dont la neutralité repose sur les traités, n'a pas le droit d'attaquer méchamment l'autorité des gouvernements voisins. Ces gouvernements, par cela seul qu'ils sont établis en fait, ont droit aux égards et au respect des convenances. Sous ce rapport les attaques empreintes de malveillance et excédant les bornes d'une légitime discussion constituent des faits illicites que nous ne pouvons tolérer.

Du reste, remarquez-le bien, il n'y a rien à redouter de notre disposition relativement au droit de critique.

Le droit de critique des actes et de la forme des gouvernements étrangers est incontestable, il résulte de la disposition même.

Il n'y a que l'essence et le principe de l'autorité qu'il est interdit d'attaquer méchamment, c'est-à-dire, avec mauvaise foi et intention criminelle. En conséquence, dans les cas cités par l'honorable M. Orts, où il y aurait non seulement absence de méchanceté, mais même patriotisme à attaquer les gouvernements étrangers dans l'intérêt du pays, il va de soi qu'il n'y aurait pas délit, même aux termes de la disposition que nous examinons.

On dit que la prescription dont il s'agit donnera lieu à des débats. Mais il en sera à cet égard comme des délits en général. Le jury sera appelé à apprécier l'intention, et notre article ne soulèvera que la question de fait à laquelle donne lieu l'article 3 du décret du Congrès national du 20 juillet 1831, relativement à un délit de même nature commis contre l'autorité constitutionnelle du roi que la Belgique s'est donné.

Messieurs, ce que les adversaires du projet ne parviendront pas à réfuter, c'est que ses dispositions sont plus libérales que la loi du 28 septembre 1816, qui nous régit aujourd'hui.

En effet la loi de 1816 réprime le seul fait d'avoir contesté ou révoqué en doute la légitimité des gouvernements étrangers, tandis que l'article premier n'atteint que le fait d'attaque avec méchanceté contre l'autorité des chefs des gouvernements étrangers.

La loi de 1816 frappe d'une peine la critique des actes en termes offensants et injurieux, tandis que, d'après le projet, la critique quelle qu'elle soit des actes du gouvernement, n'est pas atteinte, du moment que la personne et l'autorité des souverains étrangers sont respectées.

Ainsi, quant à la définition du délit (ce qui est le point capital), la loi actuelle est beaucoup plus libérale que la loi du 28 septembre 1816.

Il en est ainsi même quant aux pénalités. La loi du 28 septembre 1816 commine dans tous les cas une amende de 500 florins qui ne peut être réduite, même en cas de circonstances atténuantes. Le projet, au contraire, permet aux juges de ne prononcer que des peines de simple police. En cas de récidive, la loi de 1816 fixant le minimum de l'emprisonnement à une année permet de l'élever jusqu'à trois ans. Sous ce rapport encore, la loi de 1816 renchérit en sévérité sur le projet en discussion.

Quant à l'interdiction des droits civils, je me proposais de combattre le système du projet de loi conformément aux observations que j'avais soumises à la section centrale, et j'appartenais à la minorité de cette section qui pensait ne pouvoir accueillir cette partie de la loi nouvelle. Mais, messieurs, la modification que vient de consentir M. le ministre de la justice est de nature à satisfaire à toutes les exigences raisonnables.

Non seulement l'interdiction des droits civils ne sera plus qu'une faculté laissée aux juges, mais ceux-ci ne pourront en user que si le délinquant se trouve en état de récidive, et dans le cas seulement où une première condamnation aurait infligé plus d'une année d'emprisonnement.

En conséquence, la faculté dont il s'agit ne pourra être exercée que vis-à-vis des délinquants qui auraient déjà antérieurement offensé gravement les lois de la société. Ainsi restreinte, la disposition ne peut donner lieu à aucun inconvénient, d'autant plus que, même dans le cas extraordinaire dont il s'agit, ie juge n'est pas astreint à prononcer cette peine. Je sais gré à M. le ministre de la justice d'avoir fait droit à des observations qui avaient trouvé de l'écho dans plusieurs sections et même au sein de la section centrale. J'aurais préféré sans doute voir supprimer entièrement la seconde partie de l'article 2, mais au moins l'amendement est de nature à réaliser sur ce point une conciliation qu'on peut accepter.

Quant aux garanties que le projet présente en faveur des prévenus, il est impossible de révoquer en doute leur valeur et leur efficacité.

Il faut d'abord que le fondement de la prévention soit reconnu par la chambre du conseil et par la chambre d'accusation. En second lieu, le prévenu n'est convaincu du délit que s'il est reconnu coupable par le jury à la majorité de huit voix contre quatre, et, en ce cas même, la cour d'assises, si elle pense unanimement que le jury s'est trompé, peut annuler la décision du jury.

Le prévenu est-il déclaré coupable à la majorité de sept voix contre cinq, la cour doit délibérer et le délit n'est réputé constant que si la majorité de la cour se réunit à la majorité du jury. Il est donc clair qu'il ne peut intervenir de condamnation que dans le cas où la culpabilité est de la dernière évidence.

Le projet ne contient rien qui doive alarmer les amis de la véritable liberté de la presse ; en présence de la juridiction du jury, il est impossible qu'il donne lieu au moindre inconvénient. Des poursuites vexatoires ne peuvent être exercées, parce que les gouvernements étrangers ont le plus grand intérêt à ne pas provoquer l'éclat d'une poursuite qui se terminerait par un acquittement. Certes les sympathies du jury ne sont pas acquises à des actions de ce genre ; il est donc évident qu'elles ne seront accueillies que lorsque la culpabilité du prévenu sera établie jusqu'au dernier degré d'évidence.

Du reste, messieurs, les nations mêmes qui sont dotées des institutions les plus libérales sont régies par une législation analogue à celle que nous établissons. La loi française de 1819, qui a toujours été considérée comme une législation sauvegardant la liberté de la presse et présentée par un homme d'Etat éminent, M. de Serre, contient sur la matière qui nous occupe des dispositions plus sévères que celles du projet, Je dis que la loi de 1819 a toujours été considérée, même en France, comme introduisant, en matière de presse, les principes équitables de liberté et de justice.

J'invoquerai à cet égard une autorité irrécusable, celle de M. de Grattier qui s'exprime en ces termes :

« L'année de 1819 est remarquable par l'approbation des dispositions législatives des trois années précédentes et par celles qu'elle vit éclore. M. de Serre, dont la mâle éloquence rappela souvent à la tribune les séances les plus brillantes de l'assemblée constituante, eut la gloire d'attacher son nom à une législation qui faisait un retour aux vrais principes, et qui aujourd'hui encore, est presque entièrement en vigueur. Son caractère est purement répressif : elle laisse à chacun le droit de publier sa pensée en répondant de ses écrits. Elle détermine les cas où cette responsabilité est engagée et les peines qui y sont attachées. »

L'Angleterre, la Hollande, le Piémont, la Suisse et d'autres pays libres ont compris la nécessité d'établir chez eux des dispositions qui sauvegardent les intérêts nationaux. Nous ne faisons donc rien d’exorbitant, lorsque nous suivons la ligne de conduite qui nous est tracée par les peuples les plus libres de l'Europe.

L'honorable M. de Perceval s'est donc étrangement trompé lorsqu'il a avancé que notre projet est une innovation inconnue aux nations régies par des institutions libérales.

(page 234) La chambre, qui s'est constamment distinguée par la sagesse et la modération qui caractérisent la nation belge, envisagera le projet sous son véritable point de vue, et convaincue qu'il est réclamé par les intérêtsles plus importants du pays, elle n'hésitera pas à se rallier au principe qu'il consacre et à adopter le projet de loi.

M. de Perceval (pour un fait personnel). - Messieurs, le fait personnel se réduit à une simple rectification. Je n'ai pas demandé l'impunité pour les outrages et les calomnies par la voie de la presse. Ce que j'ai soutenu dans la séance d'hier, et ce que je maintiens encore, malgré le discours que vous venez d'entendre, c'est que le décret du 21 juillet 1831 et les articles 367 et suivants du Code pénal qui se rapportent aux calomnies et auxquels sont soumis tous les citoyens belges, me paraissent suffisants peur réprimer les écarts de la presse.

- La séance est levée à 4 heures et demie.