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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 3 mai 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1591) M. Maertens procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Dumon donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

M. Maertens présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Le sieur Van Buggenhout, négociant à Bruxelles, prie la Chambre des représentants de rejeter le projet de loi relatif à la réunion des faubourgs à la capitale. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Par dix pétitions, des propriétaires et habitants de Saint-Gilles, d’Ixelles, Molenbeek-Saint-Jean, Cureghem, Saint-Josse-ten-Noode, Laeken, Schaerbeek, Etterbeek et du Quartier-Léopold demandent l'annexion des faubourgs à la capitale. »

- Même décision.


« Le sieur Criquelion et les conseils communaux de Ghislenghien, Hellebecq, Mevergnies, Aeltre, Brugelelte, Gages, Gibecq, Meslin-Levesque, Hières, Lanquesaint, Resbaix, Bouvignies, Ostiches, Mainvaullet Houtaing proposent des mesures pour venir en aide à la classe nécessiteuse. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Palmers, Vandervoort et autres membres du comité central flamand, demandent que, dans les provinces flamandes, les affaires provinciales et communales soient traitées en flamand ; qu'il soit fait usage de cette langue devant les tribunaux, lorsque les parties ou les accusés la comprennent ; qu'il soit fondé une Académie flamande, ou une division flamande à l'Académie de Bruxelles ; que la langue flamande jouisse à l'université de Gand des mêmes avantages que le français et qu'elle soit enseignée d'une manière approfondie dans les athénées et dans les collèges de l'Etat. »

M. de Perceval. - Messieurs, la pétition du comité central flamand, dont M. le secrétaire vient de vous présenter l'analyse, mérite à tous égards de fixer l'attention de la législature. Comme je désire que la Chambre puisse encore s'occuper, avant sa séparation, de l'objet dont cette requête nous entretient, je demande que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport.

M. Lelièvre. - Je me joins à l'honorable M. de Perceval pour que la Chambre veuille accueillir la demande qu'il vous a faite.

- La proposition de M. de Perceval est adoptée,


« Le sieur Wyvekens réclame l'intervention de la Chambre pour que sa famille soit indemnisée des pertes qu'elle a éprouvées par suite du naufrage du navire qui devait transporter à Sidney son frère appelé aux fonctions de consul à cette résidence. »

- Même renvoi.

M. David. - C'est encore une pétition qui présente un certain caractère d'urgence. Il y a si longtemps que M. Wyvekens, consul à Sidney, a fait naufrage, il y a si longtemps qu'une certaine somme paraît due aux parents de M. Wyvekens, qu'il serait désirable que la Chambre pût, avant de se séparer, prendre une décision sur le contenu de la pétition.

Je demande donc que la Chambre invite la commission des pétitions à faire un prompt rapport.

M. Lelièvre. - La demande du pétitionnaire me paraît fondée en équité. C'est ce motif qui m'engage à appuyer la proposition de M. David et à demander le renvoi de la pétition à la commission avec prière qu'elle veuille bien faire un prompt rapport.

- La proposition de M. David est adoptée.

« Le sieur Decoster, cultivateur à Elewyt, demande à être indemnisé des pertes qu'il a éprouvées par suite de l'ouragan du 9 juillet dernier. »

- Même renvoi.


« Le sieur Restiaux, caporal réformé du troisième régiment de ligne, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la continuation de la pension provisoire qui lui a été accordée à raison de l’ophthalmie dont il est affligé. »

- Même renvoi.


« Des pharmaciens à Cuesmes, Ghlin, Antoing et Havre déclarent adhérer à la pétition du cercle pharmaceutique du Hainaut relative au cumul de l'exercice de la médecine avec celui de la pharmacie. »

- Même renvoi.


« Quelques docteurs en droit demandent que les récipiendaires pour la candidature au notariat soient dispensés de subir un examen sur le code civil, lorsqu ils ont déjà obtenu le grade de docteur en droit. »

- Même renvoi.


« Par dépêche du 1er mai, M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, une demande de grande naturalisation et deux demandes de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Ordre des travaux de la chambre

M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, à la suite d'une résolution de la Chambre et à la demande de l'honorable M. de Perceval, on a mis à l'ordre du jour des sections l'examen du projet de loi sur le recrutement. Par une décision postérieure, on a ajourné cet examen jusqu'à une époque à déterminer.

Les sections sont, en ce moment, encombrées d'ouvrage et nous approchons de la fin de la session. Comme ce projet de loi, si important, exigera un examen très long, je demanderai s'il ne convient pas de le renvoyer à la prochaine session.

M. de Perceval. - Je ne m'oppose pas à la proposition de l'honorable M. E. Vandenpeereboom. La session étant très avancée et le projet de loi sur la milice touchant aux questions les plus gravex de notre organisation sociale, je crois qu'il y a lieu d'accueillir la motion de l'honorable député de Courlrai.

- L'ajournement à la prochaine session de l'examen du projet de loi sur la milice est adopté.

Projet de loi approuvant le traité de navigation conclu entre la Belgique et l’Autriche

Dépôt

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Messieurs,, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de présenter à la Chambre un projet de loi tendant à approuver uuntraité de navigation conclu entre Bruxelles entre S. M. le Roi des Belges et S. M. l'Empereur d'Autriche.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; la Chambre eu ordonne l'impression et la distribution, et le renvoi à l'examen des sections.

Projet de loi relatif à la réunion de faubourgs à la ville de Bruxelles

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, l'honorable M. Manilius a demandé hier le dépôt des documents qui exposent la situation du produit de l'octroi dans ses détails. J'ai l'honneur de remettre ces documents sur le bureau.

M. le président. - La parole est continuée à M. Thiéfry.

M. Thiéfry. - Hier, à la fin de la séance, l’honorable M. David m'a fait des observations sur les pétitions dont j'ai rapproché les signatures.

Je mets trop de franchise et de loyauté dans tous mes actes, dans toutes les discussions, pour ne pas rendre constamment hommage à la vérité ; j’ai cru qu’il était nécessaire de donner des renseignements sur les faits que j’ai cités, bien que que je me sois déjà trop étendu hier sur cet objet.

J'ai vu les pétitions à trois reprises déférentes. Lorsque j'ai entendu dans le sein de la section centrale les arguments que l'on tirait de leur grand nombre, et connaissant les moyens employés pour les obtenir, j'ai pris la résolution de les examiner. J'ai prié un employé du greffe d'envoyer chez moi toutes celles adressées à la Chambre. Je les ai comparées, j'en ai trouvé bon nombre signées par les mêmes personnes.

Le 25 avril, c'est-à-dire le jour même de la reprise de nos travaux, plusieurs centaines de pétitions ont encore été déposées sur le bureau, je les ai fait aussi porter chez moi, j'ai également trouvé des doubles, ce sont les deux paquets que j'ai remis en second lieu.

Finalement 1,432 pétitions de Saiut-Josse-ten-Noode ont été adressées à la Chambre qui a demandé un rapport supplémentaire à la section centrale. Comme elles sont restées chez M. le rapporteur jusqu'au lundi, veille de l'ouverture de cette discussion, je suis venu au greffe ce même soir pour les examiner ; j'en ai trouvé 15 sans signatures ni croix, quelques-unes doubles, et j'ai reconnu beaucoup de signatures que j'avais déjà vues.

Voilà les faits tels qu'ils se sont passés pour les pétitions de la Chambre.

J'ai voulu savoir aussi ce qui avait été envoyé au conseil provincial, je me suis rendu dans les bureaux du gouvernement : M. le greffier m'a mis en communication avec le chef de division chargé de ce service ; ayant demandé combien l'on avait reçu de pétitions de Schaerbeeket de Saint-Josse-ten-Noode, il m'a présenté l'exposé des motifs de la députation permanente. Voici ce que j'y ai lu :

« Lorsque nous eûmes à décider quelle serait l'étendue de l'enquête à ouvrir, les localités qu'elle embrasserait, nous ne crûmes point devoir en exclure les parties qui avaient déjà été consultées.

« Nous aurions cependant pu soutenir que l'on continuait une première instruction ; mais nous ne voulions pas donner matière à discussion sur ce point, nous préférions l'éviter en suivant la voie la plus large. Cette circonstance était favorable à l'opposition, aussi a-ltelle fait de grands efforts pour s'organiser, se produire d'une manière formidable. En résumé, le nombre des signatures qu'elle a recueillies n'est que de 3,032, y compris celles apposées sur la requête du bas dIxelles tendant à former une commune distincte en cas de réunion des faubourgs à la ville. Or, ce chiffre, comparé à la population des communes les plus intéressées, est égal à 3 1/4 pour cent. »

(page 1592) Ayant fait remarquer à M. le chef de division que je désirais connaître le nombre des pétitions de chacune des communes, il me présenta les deux rapports que voici, l'un renferme les pièces déposées lors de l'enquête, et l'autre les pièces remises après l'enquête ; j'en ai fait le relevé, il en résulte qu'en déduisant les pétitions qui ont trait au bas Ixelles, il y a eu 2,573 oppositions de toutes les communes dont 658 de Schaerbeek et de St Josse-ten-Noode. J'ai donc considéré avec raison le chiffre de 2,800 indiqué par l'honorable M. David, comme le résultat d'une erreur.

On m'a fait un reproche d'avoir comparé des pétitions d'une date antérieure avec celles dont il est question dans le rapport de la section centrale. Je le déclare franchement, je n'ai nullement fait attention aux dates, parce que j'ai supposé que ces imprimés avaient été faits pour la cause, et que l'on s'en servait aussi longtemps que la pacotille n'était pas épuisée, beaucoup même ne sont pas datées.

On m'a dit qu'il y avait des pétitions envoyées au conseil provincial, ce n'est que ce matin que l'employé du greffe m'a fait connaître qu'il les avait joints aux autres ; je dois ajouter que cette idée ne m'est pas même venue ; je ne me serais pas douté qu'on viendrait ici faire étalage des pétitions adressées à des administrations étrangères ; je croyais qu'on s'était borné à les rappeler dans le rapport.

Du reste, en admettant que le nombre des doubles soit bien diminué, je demanderai toujours comment il se fait qu'il y a des personnes qui ont signé 3, 4 et 5 pétitions. Il y aurait toujours 2, 3 et 4 signatures de trop ; peu importe le nombre des doubles emplois, j'ai tenu seulement à constater qu'ils existent.

J'ajouterai encore une chose : si des pétitions qui se trouvent sur cette table, il faut en retrancher les 2 gros paquets qu'on m'aurait envoyés par erreur, que reste-t-il donc ? Y a-t-il matière à s'écrier que le projet de loi a soulevé la plus formidable opposition, et que les pétitions témoignent de la réprobation générale dont il est frappé dans les faubourgs ? Certainement non, car ce serait le cas de rappeler ici la fable de la montagne.

La partie la plus importante du projet de loi est celle qui concerne la nomination et les attributions du bourgmestre. Les propositions du gouvernement dénotent les craintes d'une grande capitale de 250,000 à 300,000 âmes, ayant à la tête de son administration un magistrat élu par les habitants ; on a peur qu'en cas de dissentiment entre le ministère et la commune, celle-ci n'entrave la marche du gouvernement. Pour éviter que cela n'arrive, on veut une loi exceptionnelle pour la ville de Bruxelles, on porte ainsi une grave atteinte à ses libertés communales, on la prive en réalité de son bourgmestre pour le remplacer par un commissaire royal qui surveillera l'administration. C'est un acheminement vers l'arbitraire, et si cette disposition était adoptée, qui oserait prétendre, comme on le fait remarquer dans le rapport de la section cenirale, que plus tard on ne viendra pas dire aussi que les populations d'Anvers, de Gand, de Liège sont très élevées, et que dans l'intérêt de la tranquillité publique, il faut les assimiler au régime établi à Bruxelles ? Cette observation, dit M. le ministre de l'intérieur, manque complètement de justesse ; la position que l'on veut faire à Bruxelles est une exception. Ce ne sera pas nous, ajoute-t-il, qui proposerons jamais des mesures réactionnaires. Il me semble que le projet présenté n'est pas fait pour inspirer beaucoup de confiance ; et puis les hommes changent, et le principe une fois posé, il est permis de craindre que dans un avenir plus ou moins éloigné, on ne veuille suivre ce mauvais exemple.

C'est précisément ce qui arrive en France. L'empereur veut aujourd'hui que les conseils communaux de Toulouse, de Bordeaux, de Marseille et de Lille soient composés comme celui de la capitale.

Cette pensée hostile à nos libertés a été motivée, sans nul doute, par les événements qui ont surgi à Paris depuis un demi-siècle, et par l'influence que cette ville a exercée sur les destinées de la France.

Qu'on me permette de le dire, la population parisienne et la population bruxelloise diffèrent essentiellement entre elles ; celle-ci a bien plus de respect pour les lois, plus d'attachement pour ses institutions. Depuis 23 ans que la Belgique forme un Etat indépendant, les Bruxellois apprécient mieux chaque jour les bienfaits de notre Constitution. Peut-on en dire autant des Parisiens ? Non, messieurs, car les faits répondent suffisamment à cette question. La comparaison serait plus juste, si on allait la chercher en Angleterre, où l'on voit Londres, avec une population double de celle de Paris, rester constamment fidèle aux lois et à ceux qui gouvernent.

On pense donner plus de force au gouvernement en plaçant un commissaire spécial à la tête de l'administration communale de la capitale ; on se trompe, la force d'un gouvernement repose sur la confiance qu'il inspire, et cette confiance n'existe réellement que pour autant que les ministres respectent les lois, l'opinion publique et gouvernent avec justice. Les événements qui ont surgi à Paris en sont la meilleure preuve. Il y a peu de capitales où le chef de l'administration communale a des pouvoirs aussi étendus, et pourtant malgré l'autorité dont il jouissait, et la force armée dont disposaient le préfet de police et le gouvernement, on n'a pu éviter la chute ni de Charles X en 1830, ni de Louis-Philippe en 1848 ; tandis que la Belgique avec des magistrats électifs et une milice citoyenne est restée en 1848 et 1852 parfaitement calme au milieu de l'Europe entièrement agitée.

En France la nécessité d'un pouvoir fort a anéanti toutes les libertés ; en Belgique au contraire les franchises communales font la force de la nation, parce que les avantages qu'elles procurent nous attachent de plus en plus à notre Constitution. Ainsi donc, dans l'intérêt bien entendu du gouvernement, il faut que l'homme placé à la tête de l'administration communale soit, autant que possible, un des élus du peuple. S'il ne sympathise pas avec ses concitoyens il n'aura pas leur confiance, il ne jouira d'aucun crédit, il se dépopularisera en peu de temps, il excitera la défiance entre le pouvoir royal et la commune. On craint un bourgmestre présenté par les électeurs, mais ceux-ci choisissent toujours les hommes les plus convenables pour les représenter, et la garantie contre les empiétements ou les excès dans le bon sens même des électeurs, dans le renouvellement des mandats électifs, dans l’influnece que la presse et les Vhambres législatives exercent sur le pouvoir et sur l’opinion publique. Le maintien à la tête de la commune d’un homme dont les actes seraient impopulaires me paraît impossible de quelque part que lui vienne son mandat ; d’un autre côté, le gouvernement a une grande influence sur la capitale, par ses ministres, par ses fonctionnaires, par la magistrature, et par la force armée dont il dispose. Le conseil communal de Bruxelles a-t-il pesé sur le ministère alors que celui-ci, pendant nombre d’années, était composé d’hommes dont il ne partageait pas les opinions politiques ? Vous le savez, messieurs, il n’en a rien été.

Le bourgmestre est aujourd'hui choisi dans le sein du conseil communal, mais la loi permet au gouvernement de le prendre en dehors pour autant que la députation permanente émette un avis favorable. C'est pour la commune une garantie contre un acte arbitraire, et pour le gouvernement un appui que lui donne un collège intéressé au maintien de l'ordre et à la bonne administration de la commune. Si la députation permanente émettait un avis défavorable, c'est que la nomination du bourgmestre en dehors du conseil serait sans nécessité, contraire à l'opinion publique et présenterait même des dangers au point de vue gouvernemental.

Je comprends pourtant que dans certaines circonstances, il peut être nécessaire de révoquer sur-le-champ le bourgmestre sans devoir en alléguer les motifs, et je suis tout disposé à accorder ce droit au gouvernement. J'appuierai donc un amendement qui aurait pour conséquence le maintien de la loi communale, ou, au moins, qui ne s'en écarterait que faiblement.

Quant au plan de la nouvelle ville, si on en compare la superficie avec celle de Gand, on trouvera seulement une différence de 108 hectares. Cependant plusieurs membres de celle Chambre ayant pensé que la partie rurale incorporée avait une trop grande étendue, j'appuierai également un amendement qui laisserait le bas Ixelles en dehors de l'enceinte. Que la capitale soit un peu plus ou un peu moins grande, cela n'y fait absolument rien, l'objet principal est de réunir, dans l'intérêt de l'ordre public, toute la partie agglomérée sous une seule administration.

M. David (pour un fait personnel). - Messieurs, hier, l'honorable M. Thiéfry a prétendu que j'avais confondu les pétitions portant les mêmes signatures ; il vient de reconnaître qu'il s'était trompé, qu'il avait confondu des pièces adressées au conseil provincial en novembre 1853 avec des pièces adressées à la Chambre depuis le mois de mars 1854 ; sous ce rapport donc, j'ai reçu pleine satisfaction. Mais l'honorable membre a allégué aussi que des enfants très jeunes avaient signé les pétitions ; depuis 1817 jusqu'en I8iS, vous avez pris les miliciens sur toute la population, y compris les enfants à la mamelle comme les vieillards, etc. ; c'est seulement depuis 1848 que cet état de choses a été modifié ; lors donc qu'il s'agit de pétitions, ce sont les chefs de famille qui signent et qui représentent leurs enfants. Voilà l'explication de ce fait qu'un enfant à la mamelle figure parmi les pétitionnaires, mais non dans le nombre des signatures indiquées dans nos rapports.

M. de Steenhault. - Suppression de sept communes jouissant de leur existence comme personnes civiles et politiques au même titre que Bruxelles.

Morcellement de deux autres, Laeken et Anderlecht, auxquelles on enlève, sans compensation ni indemnité, des ressources indispensables ; voilà un côté de la question que nous avons à discuter.

Ajoutez-y l'extension indéfinie d'une institution odieuse au peuple, l'octroi, l'amoindrissement de libertés qui lui sont chères, et vous aurez le résumé fidèle du projet qu'on vous propose de convertir en loi.

Au point de vue de l'existence inviolable des communes, en leur qualité de personnes civiles reconnues par nos lois, nous avons avant tout dans ce débat une question non seulement de droit politique et civil, mais constitutionnel, national.

Le législateur a-t-il le pouvoir légalement, constitutionnellement parlant, d'effacer de la carte de Belgique des communes qui en font partie intégrante et dont l'ensemble constitue notre nationalité ?

Peut-il prendre une mesure aussi capitale nonobstant l'opposition formelle, énergique des autorités constituées dans ces communes, et en présence des protestations presque unanimes de leurs habitants ?

Je n'hésite pas à déclarer que, selon moi, le caractère du peuple belge et son histoire, interrogés sur cette question, la résolvent négativement.

La commune n'est pas pour les Belges ce qu'elle est pour d'autres nations, une simple division administrative, susceptible de mille variations selon les circonstances et les fantaisies du moment.

(page 1593) Elle m'apparaît comme un diminutif de l'Etat lui-même, l'expression la plus simple, la plus saisissable de la patrie.

Aussi a-t-elle eu de tout temps, chez nous, ses privilèges, sa constitution, j'allais dire son gouvernement à part, ses libertés, dont on peut affirmer qu'elles sont les plus anciennes du monde.

La Constitution de 1831, où tous les sentiments vraiment nationaux sont venus se refléter et se fixer, la Constitution ne parle que de changements de délimitation entre communes.

Elle est muette sur la suppression telle qu'on la propose. Le législateur de 1831 a pensé que jamais un pareil sacrifice ne serait demandé.

El en effet, n'était-ce pas par un suprême effort de ce vieil esprit national, dont le dépôt sacré est conservé dans les communes, que la liberté venait de triompher ?

Le pouvoir exécutif d'alors ne venail-il pas de le reconnaître en décernant aux communes des drapeaux d honneur, distribution dans laquelle les faubourgs eurent leur part, mais moins large cependant qu'ils ne l'avaient eue dans les combats dont elle était la récompense ?

Si la Constitution est muette, pouvons-nous suppléer à son silence ?

C'est une question sur laquelle peuvent certes s'établir d'éternelles discussions, mais un point sur lequel nous serons sans doute tous d'accord, c'est que le sacrifice d'une commune est toujours un fait regrettable, malheureux, et auquel on ne peut se résoudre qu'en cas de nécessité inévitable, absolue, incontestée.

Sommes-nous dans une situation aussi pénible, devant une nécessité suprême aussi fatale ?

C'est, dans tous les cas, aux auteurs de la mesure à en fournir la preuve.

Cette preuve, à mon avis, ne résulte ni des discours que nous avons entendus hier, ni de l'exposé des motifs servant d’introduction au projet et que je me bornerai à examiner aussi brièvement qu'il me sera possible.

Je parlerai d'abord de cette étrange prétention, que partout j’entends mettre en avant, et qui consiste à nous faire croire que la Chambre serait liée par une décision antérieure, que nous serions condamnés à accepter le projet, sous peine de nous déjuger, d'être en contradiction avec un vote émis à l'occasion de l’annexion du Quartier-Léopold.

Pour réfuter cette argumentation sur laquelle on fonde cependant beaucoup d'espoir, il sutlil de rappeler la vérité.

Les motifs qu'on invoquait alors puisaient leur origine dans deux faits d'une tout autre nature, et résultaient d’une situation essentiellement dissemblable.

L'augmentation rapide de la population, l'impossibilité de la renfermer dans les limites actuelles.

Le manque de terrain indispensable à la ville de Bruxelles, pour de grands travaux d'utilité publique, et l'érection d’édifices n'intéressant pas moins l'Etat que la capitale elle-même.

Ces motifs étaient vrais, sérieux, la Chambre les a appréciés et la loi a été votée à une immense majorité.

Aujourd'hui, messieurs, il importe de le bien constater, nous nous trouvons en face d'un ordre d’idées complètement différent.

Le projet de la réunion de tous les faubourgs à la capitale est une question neuve, n'ayant en réalité aucune connexion avec celle que vous avez résolue, sans analogie aucune par sa nature, et surtout par les conséquences qui doivent en découler.

L'incorporation du Quartier-Léopold était une vérilable expropriation pour utilité publique légitimée par les motifs que je viens de vous rappeler, et ayant d'autant plus ce caractère qu'une indemnité préalable se trouvait expressément stipulée.

Il ne s'agissait de la suppression d'aucune commune, et le gouvernement signalait même ce fait comme un argument favorable en affirmant que Saint-Josse-ten-Noode resterait toujours, après l'annexion, une des communes les plus importantes du royaume.

Cette incorporation avait de plus le mérite, disait-il, de ne froisser aucun droit réel, ni sous le rapport de l’intérêt public, ni sous celui des intérêts privés.

Le Quartier-Léopold restait affranchi de l'octroi. S'il y avait augmentation pour les autres branches de l’impôt de l’Etat, elle ne frappait pour la plupart que des habitations somptueuses. Elle n'entraînait généralement pas d'augmentation pour cette catégorie d'habitants pour qui le plus petit impôt est une charge toujours trop lourde.

Sous ces différents rapports donc dissemblance complète.

Quant aux vœux émis par quatre de vos sections, soyons de bonne foi, messieurs, personne de nous, à cette époque, n'était fixé ni sur les projets du gouvernement, ni sur ceux de la ville de Bruxelles, qui elle-même n'avait aucune idée arrêtée.

Frappés des inconvénients de l'octroi, rassurés par les dispositions du gouvernement, qui paraissait décidé à ne froisser aucun intérêt ni public ni privé, nous devions tous penser que la réunion de tous les faubourgs ne serait proposée que lorsqu'on serait parvenu à écarter les difficultés qui aujourd'hui sout la cause de l'opposition qu'elle soulève.

C'est au moins la pensée qui a présidé au vote émis par la deuxième section qui m'avait fait l'honneur de me nommer rapporteur, et d'après ce qui m'a été affirmé par la plupart de mes collègues à la section centrale, je crois pouvoir dire que la même pensée était à peu près dominante partout.

La section centrale avait si bien apprécié les choses à ce point de vue, avait si bien voulu éviter de s'engager et d'engager la Chambre avec elle, que lorsqu'il s'est agi de traduire en un vote émis par elle ceux émis par quatre de vos sections, elle n'est parvenue à s'entendre qu'en émettant, non pas, et veuillez bien remarquer ceci, messieurs, non pas le vœu de la réunion quand même, mais simplement le vœu que le gouvernement procède le plus tôt possible à l'instruction des questions qui se rattachaient à la réunion des faubourgs à la ville.

Les faubourgs eux-mêmes, et ceci est aussi bien digne de remarque, messieurs, pour eux qu'on accuse de rapetisser la question au point de n'en faire qu'une question d'intérêt local, voire même d'intérêt privé, les faubourgs eux-mêmes, dis-je, fascinés, éblouis au prime abord par les idées grandes et généreuses qu'il invoquait à l'appui des projets de la ville pour le Quartier- Léopold, se soumettaient et se taisaient.

Mais aujourd'hui, messieurs, l'enthousiasme a cédé à la réflexion, le calme a pénétré partout. La question de la réunion complète des faubourgs apparaît dans son véritable jour, non plus entourée, du prestige qu'elle héritait en quelque sorte des considérations émises pour le Quartier-Léopold, mais dans sa réalité, avec toutes ses aspérités, ses inconvénients et, je dirai même, ses dangers.

Ce n'est donc pas sans raison que je vous disais tout à l'heure, que non seulement nous nous trouvons en présence d'un ordre d'idées complètement différent, que lorsqu'il s'agissait de l'incorporation du Quartier-Léopold, mais que les circonstances mêmes au milieu desquelles nous délibérons sont tout à fait dissemblables.

Examinons donc le projet en lui même et indépendamment de ses antécédents.

La réunion de tous les faubourgs, dit le gouvernement, est attendue comme un acte auquel se rattachent un grand intérêt politique, de nombreux intérêts de localité.

Voilà une assertion reproduite partout, mais que personne jusqu'ici ne s'est chargé de prouver d'une façon concluante, irréfutable.

Recherchons d abord quels pourraient être ces grands intérêts généraux.

Ou a beaucoup parlé de la nécessité d'avoir une grande capitale comme boulevard sans doute de notre nationalité, comme garantie vis-à-vis des autres peuples.

A Dieu ne plaise que nous en soyons jamais réduits à devoir invoquer l'importance de notre capitale ! Mais cette calamité dût-elle se réaliser un jour, de quelle valeur, je vous le demande, messieurs, pourrait donc être l'annexion des faubourgs ?

Ne serait-ce pas l'importance de la population que vous auriez à invoquer, et cette importance ne l'avez-vous pas indépendamment de l'unité administrative ?

La garantie de notre nationalité ne gît pas dans l'étendue plus ou moins grande d'une ville.

Vous savez tous comme moi, messieurs, que ce n'est jamais à l'importance de nos villes que nous avons dû notre salut ; ce qui nous a sauvés, ce qui a empêché notre absorption, ce qui a fait que nous sommes toujours sortis victorieux des nombreuses crises subies par notre nationalité,c'est notre caractère propre, notre esprit national se retrempant sans cesse dans la commune, c'est surtout la conscience que nous avons toujours eue, depuis le premier jusqu'au dernier, de la valeur que nous attribuent nos libertés et nos franchises communales.

Au point de vue de la sécurité intérieure du pays, y a-t-il nécessité de mettre l'agglomération bruxelloise sous un régime exceptionnel ?

N'avons-nous pas traversé des crises qui nous eussent sérieusement menacées, si notre régime actuel avait été si défectueux, ou plutôt si l'esprit de nos populations ne nous eût prouvé que nous n'avons que faire de mesures de police peut-être préconisées ailleurs, mais inutiles ou inopportunes ici ?

Et puis ces inquiétudes disparaîtront-elles quand vous aurez anéanti ces communes qui composent cette agglomération, et quand vous aurez modifié la loi communale comme le gouvernement vient vous le proposer.

J'en doute, messieurs, et ce dont j'ai le droit de douter plus encore, c'est de la sincérité des craintes manifestées, quand je réfléchis que dans le principe Bruxelles ne voulait pas de Molenbeek-Saint-Jean, qui certes était la commune au point de vue de laquelle l'unité de police était surtout désirable, et que même aujourd'hui elle ne l'accepte qu'en ordre subsidiaire et forcée par le conseil provincial.

Si jusqu'ici des dangers sérieux pour l'ordre public, ne se sont pas révélés dans ce qui existe aujourd'hui, il paraît que le gouvernement et la commune de Bruxelles elle-même en ont vu dans la création d'une agglomération aussi considérable soumise à une seule autorité communale.

Ce danger, le gouvernement cherche à le conjurer aux dépens de nos franchises communales. Pour moi, messieurs, le remède est pire que le mal, et d'autant plus qu'il serait insuffisant et inefficace, comme je vous le prouverai tout à l'heure.

Figurez-vous un instant un conseil composé de 37 membres au moins, représentant une population atteignant bientôt le chiffre de 300,000 ou 400,000 âmes.

Le poids, la puissante influence que doit exercer sur le gouvernement, je dirai même sur le pays entier, une administration communale appuyée sur une population formant dès aujourd'hui la 16ème partie de celle de tout le royaume, et donnant en retour à cette population un caractère d’homogénéité, une unité d impulsion qu'elle n'a pas aujourd'hui, est un fait incontestable et qu'il ne serait pas bien difficile de prouver par des exemples frappants.

Et quels sont à présent les moyens que le gouvernement vous propose (page 1594) pour lui conserver sa part d'influence, et pour qu'il puisse assumer la responsabililé qui lui incombe ?

Quelques modifications à la loi communale qui, telles qu'elles sont même formulées au projet, sans tenir compte encore des concessions que le ministre ne manquera pas de faire, sont sans utilité, sans portée réelle, en présence du but que l'on veut atteindre, et d'un conseil communal composé comme il le sera, avec des attributions et des prérogatives bien autrement importantes que celles des municipalités françaises.

La nomination du bourgmestre en dehors du conseil peut avoir parfois son utilité dans des localités de troisième ou quatrième ordre, mais ici ce n'est qu'une illusion qu'on se créerait, qu'un véritable mirage.

Le bourgmestre ici ne pourra jamais marcher que de concert avec son conseil. Il ne lui serait guère plus possible d'administrer avec un conseil systématiquement opposé qu'à un ministère de gouverner avec une majorité hostile.

Le choix du Roi est donc en réalité restreint et subordonné à cette majorité d'autant plus sûre d'elle-même qu'elle ne peut être dissoute.

La garantie que vous cherchez vous échappe.

L'honorable bourgmestre de Bruxelles le reconnaissait lui-même, quand il disait au conseil communal, dans la séance du 30 avril, que les concessions faites au gouvernement avaient bien moins de valeur alors que l'autorité du premier magistrat se trouvait affaiblie par un collège et un conseil plus nombreux.

Plus vous donnerez ensuite au bourgmestre le caractère d'agent du gouvernement, et plus les conflits, d'éventuels qu'ils pourraient être, deviendraient permanents.

N'oublions pas, messieurs, que personne ne peut nous garantir d'avoir toujours un conseil communal tel qu'il se trouve composé aujourd'hui, n'oublions pas que nous ne vivons pas toujours dans des conditions normales, et qu'alors surtout les instincts d'hommes tenant les uns leur mandat de l'élection, les autres du gouvernement ne peuvent être longtemps identiques.

La dissemblance du mandat doit forcément entraîner la divergence des opinions.

Ne craignez-vous pas, messieurs, qu'après avoir cherché une garantie pour l'ordre dans la centralisation, vous n'ayez fait que déplacer le danger, que le décupler peut-être en puissance, car vous n'aurez fait que le transporter des sphères inférieures dans les sphères supérieures de la population.

Ce qui est avant tout vrai, messieurs, c'est qu'en définitive notre régime communal, expression d'une belle et féconde pensée d'égalité pour toutes nos communes, n'est pas compatible avec des administrations aussi puissantes que celle que l'on veut nous faire. Ce qui est encore vrai, c'est qu'au point de vue du royaume cette puissante commune ne serait ni plus ni moins qu'un non-sens, qu'une véritable anomalie que vous créeriez.

Pour moi, il n'y a donc pas de milieu : où il faut, ce que je ne veux pas, largement entamer nos franchises communales, ou déjà de ce chef seul, renoncer au projet, en maintenant les administrations actuelles qui sont, comme l'a fort bien fait ressortir l'une d'elles, un gage de sécurité pour les crises que l'avenir peut amener, un obstacle aux ambitions, un levier modérateur dans les circonstances critiques.

Mais, nous dit-on encore, il importe d'avoir une capitale belle et puissante qui fasse l'admiration de l'étranger, par le nombre et la splendeur de ses édifices, la magnificence de ses rues, qui lui donne l'idée de la grandeur, de la prospérité du peuple belge, etc., etc., etc. !

Voyons donc ce qu'il y a de vrai, de réel, dans ces phrases que je crois, pour ma part, plus sonores que sérieuses.

D'abord, ce que l'étranger admire en Belgique, c'est, avant tout, l'esprit d'ordre joint à la liberté ; c'est le développement des arts, des sciences, du commerce, de l'industrie, et à coup sûr, cela ne se résume pas dans Bruxelles seul.

Quant à la capitale elle-même, cette annexion des faubourgs lui est-elle nécessaire pour briller au premier rang de nos villes, et couronner dignement notre édifice national ?

Et pour ce qu'elle projette ne possède t-elle pas dès aujourd'hui plus d'emplacement qu'il n'en faut pour les monuments qu'elle pourrait avoir le projet d'élever ? La plus belle partie des faubourgs, la seule propre, peut-on dire, à des constructions de ce genre ne lui appartient-elle pas ?

Ce n'est pas, croyez-le bien, l'emplacement qui manque, mais ce qu'il serait probablement beaucoup plus difficile d'indiquer ce sont des ressources pour couvrir les dépenses à faire.

Et quant à de nouveaux alignements, de nouveaux plans d'ensemble, la chose me paraît bien difficile aujourd'hui, que de nouvelles constructions cernent de toute part étroitement la ville et que d'ailleurs elles ont été élevées d'après des plans arrêtés qui existent et qu'on n'a qu'à faire exécuter ; des plans enfin ordonnés, discutés, arrêtés par l'autorité supérieure.

A un point de vue plus restreint, ceux qui se plaignent des alignements, de la distribution des rues dans quelques parties des faubourgs, devraient, me paraît-il, ne pas perdre de vue la catégorie d'habitants qui les occupent. On ne peut raisonnablement exiger des rues de 20 mètres pour toute nature d'habitation.

Quant aux monuments dont on voudrait doter les faubourgs, j'ignore quels ils peuvent être ; mais pour ce qui concerne les établissements d'utilité publique, les travaux de nécessité immédiate, ils se créent régulièrement, et comme la distribution des agglomérations en nécessitera toujours de séparés pour chacune d'elles, la ville ne pourrait faire que ce que font les faubourgs.

Il n'y a donc là rien à regretter ; et quant à la création de places, de squares, de nouvelles rues, l'autorité supérieure est là ; si les plans existants ne sont pas bons, qu'on les modifie et qu'on leur donne le caractère qui leur manque.

Dans tous les cas, il ne peut jamais y avoir là nécessité d'annihiler des communes, de tout bouleverser, de les tuer en quelque sorte pour leur apprendre à bien vivre.

La législature a le droit de prescrire sous ce rapport, comme sous tous les autres, des mesures d'ensemble qui seraient reconnues d'intérêt général.

M. le ministre a demandé hier comment les faubourgs parviendraient, dans un temps donné, à créer les établissements d'utilité publique que l'augmentation de population nécessitera.

Mais, messieurs, n'est-il pas permis de croire que les ressources augmentant d'ailleurs avec la population, et les faubourgs étant déjà parvenus, avec des ressources restreintes et presque nulles dans le principe, à faire ce qui existe aujourd'hui, ils peuvent être rassurés quant à l'avenir, alors surtout que les travaux les plus importants comme le pavage, les égouts, par exemple, sont presque terminés partout ou du moins fort avancés.

J'ai, aussi brièvement qu'il m'a été possible, passé en revue les intérêts généraux qui me paraissaient le plus directement engagés dans la question ; permettez-moi, messieurs, d'en faire autant pour ce qui concerne les intérêts de localité, à l'égard desquels le gouvernement se renferme aussi dans un prudent mutisme.

Pour Bruxelles, si j'en crois son honorable bourgmestre lui-même, il y ferait un déplorable mariage au point de vue de ses intérêts, de ses finances surtout.

Les faubourgs à qui l'on ne peut, je pense, raisonnablement contester l'intelligence de leurs intérêts, n'en veulent pas.

Mais qui donc en veut ? Quels sont ces intérêts de localité que l'aveuglement des faubourgs leur cache ou leur fait oublier ?

Quelles sont ces considérations assez puissantes, assez saillantes pour dominer l'intérêt financier d'une ville pour qui la question financière est une question des plus majeures, la plus importante peut-être ?

La suppression du mur d'enceinte, nous répondra-t-on.

Elle est désirable, sans doute, au point de vue surtout des habitants des boulevards, tant intérieurs qu'extérieurs ; mais au point de vue de l'intérêt général que nous représentons ici, cette suppression n'a d'importance que pour autant qu'elle signifie abolition de l'octroi.

Il est sans doute fâcheux pour les faubourgs d'avoir devant eux un mur qui les sépare de la ville ; mais il serait cent fois plus fâcheux encore d'en avoir un derrière eux qui les sépare du reste du pays.

On nous dit, il est vrai, que les faubourgs entrent déjà pour une forte part dans l'octroi actuel, en sus de leurs charges communales respectives. Cela est possible, cela est peut-être même vrai, mais alors comment concilier cet argument avec cet autre qui consiste à nous reprocher de jouir de tous les avantages de la ville sans en supporter aucune charge ?

Ce reproche, en tout cas, ne peut être sérieux ; car, en définitive, il est évident que cette population de 100,000 âmes aux portes de Bruxelles ne peut pas ne pas contribuer puissamment à sa prospérité, et que la ville trouve là une compensation qui n'est pas sans mérite. Son commerce, son industrie seraient-ils ce qu'ils sont sans les faubourgs ?

L'argent que nous y portons, les consommations journalières que nous y faisons seraient-elles sans valeur ?

On fait grand bruit de la jouissance de certains établissements subsidiés par la ville ; mais, messieurs, n'est-il pas évident qu'ils demanderaient nécessairement de plus grands sacrifices si les faubourgs, par l'usage qu'ils en font, n'aidaient pas puissamment à leur succès, pour ne pas dire à leur entretien.

L'état de choses actuel constitue une injustice, dit-on ; mais je voudrais bien qu'on me dît, si la mesure que l'on propose n'en consacrera pas de bien plus flagrantes encore que celles dont on veut bien se plaindre.

Sera-t il plus juste, par hasard, d'englober 100,000 habitants, et de dire aux uns : Vous serez soumis à l'octroi, aux autres : Vous en serez affranchis ?

Sera-t-il juste de soumettre des populations encore complètement rurales, à un système d'impôt dont leurs voisins, dans des conditions complètement identiques, seront exemptés ?

On parle d'injustice, messieurs, mais sera-t-il équitable de soumettre aux mêmes charges que l'habitant de la rue de la Madeleine ou de la rue Royale les habitants de la partie rurale ou de l'extrémité des parties agglomérées, ne jouissant d'aucun des avantages de la grande ville, et qui n'ont que faire des embellissements du centre qu'on leur ferait payer ?

Sera-t-il juste le système qui mettra Bruxelles entre l'arbitraire et la banqueroute, car il lui sera matériellement impossible de suffire à toutes les réclamations bien légitimes du reste, de ceux qui, payant comme les autres, voudront être traités comme tout le monde ?

(page 1595) L'habitant des faubourgs gagnera-t-il beaucoup à échanger une administration qui connaît d'autant mieux ses intérêts et ses besoins qu'ils lui sont communs, qui vit avec lui d'une vie commune, contre une admininistration qui, quelque remarquable qu'elle soit déjà à plus d'un titre, ne pourra jamais atteindre que les limites du possible ?

Voyez, messieurs, ce qui se passe en France pour Marseille et Lyon ; et pour ce qui concerne Bruxelles, je ne vous citerai que l'opinion de son honorable bourgmestre lui-même lorsqu'il disait :

« Voilà trois ans que j'écarte cette question parce que je trouve que la police d'une ville de 150,000 habitants et d'un périmètre tel que celui que nous avons, le contact direct que doit avoir le chef de l'administration avec une pareille population, est déjà une tâche assez rude. »

Un pareil aveu est-il fait pour inspirer une grande confiance aux faubourgs ?

On parle d'injustice, mais est-il juste de bouleverser tous les intérêts de ceux qui sont venus s'établir au faubourg sous la foi de l'affranchissement des charges de la ville, de jeter la perturbation dans une foule d'établissements dont les conditions d'existence vont se trouver complètement dérangées, et de forcer à l'émigration toutes les petites fortunes dont les budgets ne sont que strictement équilibrés ?

Et que l'on ne me dise pas que cela n'aura pas lieu ; voyez, messieurs, ce qui se passe à Paris, et permettez-moi de vous lire à ce sujet un passage des études sur Paris de M. Horace Say.

« L'activité et l'industrie de Paris lui font supporter avec courage et sans plaintes positives ce lourd fardeau ; cependant les droits élevés, en renchérissant les subsistances, tendent à décourager le développement de la population, ou, dans tous les cas, la poussent à s'établir en dehors du mur de l'octroi. Tout autour de l'enceinte fiscale il se forme une seconde ville, qui s'étend comme un anneau autour de la première. Les communes de Montrouge, de Vaugirard, de Bercy, de la Villette, de la la Chapelle, présentent des populations qui ont décuplé en peu d'années. Du haut de l'arc de triomphe de l'Etoile, on voit une nouvelle ville se répandre dans la plaine, et multiplier ses constructions, qui bientôt rejoindront le fleuve dans la direction de Clichy et de Saint-Ouen. »

S’il pouvait y avoir quelque fondement à reprocher aux faubourgs de jouir des avantages de Bruxelles, sans en supporter les charges, je mettrais en présence les injustices que je viens de vous signaler et je vous demanderais de quel côté penche la balance.

Cette infériorité relative, cette diversité dans les charges communales, ne se reproduit-elle donc pas, d'ailleurs, dans le pays entier, presque de commune à commune, et si le principe qu'on met en avant avait quelque fondement, n'arriverait-on pas dans l'application à interdire la jouissance des établissements de la moitié de la Belgique aux habitants de l'autre moitié, voire même à devoir repousser les étrangers qui, eux aussi, ne contribuent pas à toutes les charges de la commune ?

Quant à l'octroi, je crois pouvoir me dispenser de vous en parler encore ; c'est une question jugée, et qui n'en serait peut-être que plus avancée, si on en avait parlé un peu moins, en agissant un peu plus.

Mais que ceux qui désirent son abolition y réfléchissent bien. L'annexion des faubourgs est le plus grand obstacle que l'on puisse apporter à sa suppression ou même à de profondes modifications.

Les faubourgs une fois réunis, on ne tentera plus rien de sérieux, tout sera dit et cela est si vrai que dès aujourd'hui l'on débute déjà, à leur en vanter les charmes, en leur prédisant qu'ils seront les premiers à en demander le maintien.

Si l'intérêt des nouveaux Bruxellois devait un jour en être réduit là, il n'en est pas de même du pays, de la province qui, elle surtout, est intéressée dans cette question.

Pour eux, plus la population soumise à l'octroi est considérable, plus le placement de leurs produits devient difficile ou moins avantageux. Toute augmentation de charges équivaut à une diminution de salaires, vous a-t-on dit souvent. Mais ici ce n'est pas seulement le consommateur qui souffrira, c'est aussi le producteur.

Louvain, Diest, souffriront pour leurs bières comme les autres producteurs campagnards pour tous les autres produits frappés à l'entrée.

Les campagnards surtout seront doublement froissés dans leurs intérêts, car, non seulement frappés parce qu'ils importent, ils le sont encore par ce qu'ils exportent, par tout ce dont ils sont obligés de se munir à la ville, et qui, soit directement, soit indirectement, a déjà subi l'augmentation, résultat de l'octroi. Les habitants de la partie rurale de l'arrondissement de Bruxelles ne sont pas mieux traités aujourd'hui que s'ils étaient les voisins d'une ville frontière.

On a prétendu que le pétitionnement des faubourgs était le résultat d'une pression.

Mais sérieusement, messieurs, ne serait-il pas bien plus étonnant qu'ils n'aient pas pétitionné quand ils se voient menacés dans leurs intérêts essentiels ? Et puis une pression quelle qu'elle soit peut s'exercer sur un certain nombre d'individus ; mais peut-on sérieusement soutenir qu'elle pourrait opérer sur une masse aussi considérable, dans quelques communes sur la quasi-unanimité des chefs de famille, s'il n'y avait là un motif réel d'opposition ?

Du reste, messieurs, je ne vous dirai rien de plus de ce petitionnement.

Je respecte le droit de pétition et avec lui les pétitionnaires, mais n'a sur moi aucuue influence. J'avouerai même qu'ici je n'ai lu aucune pétition.

C'est abstraction faîte de cet élément que la chambre doit envisager la question.

Elle n'en a pas besoin pour l'apprécier comme il importe qu'elle le fasse.

Les partisans de l'annexion s'appuient encore sur le vote du conseil provincial, pour soutenir que l'octroi n'est pas un obstacle absolu à l'incorporation ; mais je vous prie, messieurs, de ne pas arrêter votre conviction avant d'avoir lu les discussions de cette assemblée et non seulement de 1853, mais de 1843 et de 1847, et je vous demanderai alors si vous ne croyez pas consciencieusement que le conseil provincial eût pris une décision toute autre, si l'on était venu lui dire comme à nous que l'octroi ne serait pas supprimé ?

Mais dit-on, la question reste entière, et le nouveau conseil, renforcé des abolitionnistes des faubourgs, aura à décider.

Pour quiconque ne se paye pas de mots et voit les choses au fond, il est bien clair que les 7 membres dont on propose d'augmenter le conseil ne feront changer ni la question, ni la manière de voir des représentants de la ville actuelle.

Ou a beaucoup argumenté de la nécessité de donner à la police un caractère d'unité dont elle manque aujourd'hui.

Quant à la police générale, et à la police répressive ou judiciaire, cette unité n'est, me paraît-il, pas contestable, puisqu'elles rentrent respectivement dans les attributions de l'administrateur de la sûreté publique et du procureur du roi.

Si une difficulté se présente quant au droit de poursuite sur des territoires de communes voisines, rien de plus simple, me paraît-il, que de donner aux agents le droit de poursuivre sur des territoires étrangers au leur.

La même chose existe, je crois, à Londres pour la Cité, qui a une police distincte de celle des autres parties de la ville, et je ne sache pas qu'il en soit résulté des inconvénients graves.

S'il y a conflit, ce ne peut être qu'en cas de poursuite, et dès ce moment le conflit devient concurrence et il perd nécessairement par là le caractère de gravité qu'il pourrait avoir dans d'autres circonstances.

Quant à la police préventive ou locale, permettez-moi d'abord de faire remarquer, messieurs, que les habitants des faubourgs qui sont le plus directement intéressés ne s'en plaignent pas, et je crois qu'ils font bien, car je ne vois guère ce que le Quartier-Léopold a gagné à l'échange qu'il a fait.

Les règlements de police sont identiques pour les faubourgs et la ville, si pas dans leur contexture, au moins dans les obligations qu'elles imposent.

Il y a donc uniformité d'action, et si des nécessités nouvelles se font sentir, ici comme ailleurs, la législature a le droit de prescrire toutes les mesures d'ensemble que l'intérêt général réclamerait, et sans qu'il faille pour cela annihiler 9 communes et courir les chances d'un inconnu dont les conséquences sont au moins fort problématiques.

Je me résume, messieurs, et je termine.

Je n'ai pu, avec le cadre auquel je m'étais restreint afin de ne pas abuser trop longtemps de vos moments, m'occuper des questions de détail. Je me réserve d'y revenir si la chose est nécessaire.

Je me suis borné à quelques considérations générales qui me paraissaient de nature à devoir être mises sous les yeux de la Chambre.

Je vous ai fait voir d'abord, après vous avoir soumis mes scrupules quant à la légalité de la mesure elle-même, que nous n'étions nullement engagés par le vote relatif à l'annexion du Quartier-Léopold.

Je vous ai prouvé que les intérêts généraux comme les intérêts de localité les plus saillants qu'on invoquait erronément dans l'exposé des motifs, n'étaient nullement engagés.

J'ai mis en regard un inconnu plein de périls avec les mesures que le gouvernement vous propose pour les conjurer, et je vous ai demandé alors si la création d'une administration communale, telle qu'on veut nous la faire, n'est pas incompatible avec nos franchises communales, ou la sécurité du pays.

Je vous ai subsidiairement prouvé que cette mesure était inique au point de vue des communes qui en étaient les victimes, et inopportunes s'il ne s'agissait que de remédier à quelques inconvénients qui résultaient de l'état actuel des choses.

Il en ressort évidemment, messieurs, que quelles que soient les mesures que le gouvernement pourrait avoir ultérieurement le projet de vous soumettre, elles devront avoir pour base la suppression de l'octroi ou tout au moins des modifications profondes, et L'application du principe de la division des pouvoirs communaux.

Avec les données actuelles, je refuse mon assentiment au projet de loi, parce que, d'abord, je m découvre nulle part des motifs sérieux pour l'accueillir, et qu'en définitive les avantages qu'il nous promet ne valent pas les difficultés qu'il soulève, les dangers qu'il révèle et les injustices, qu'il proclame.

M. Lelièvre. - Le projet de loi ayant pour objet l'annexion à la ville de Bruxelles des faubourgs qui l’avoisinent en ce moment présente un intérêt important pour tout ami sincère de la nationalité belge. Il est certain qu'une capitale forte et intelligente, importante par sa population et l'étendue de son enceinte, une capitale qu'on puisse montrer avec orgueil à l'étranger n'est pas chose indifférente pour consolider l'existence et l'indépendance de la Belgique libre.

Lorsque en 1853 il fut question de réunir le Quartier-Léopold à la ville de Bruxelles, ceux-là mêmes qui au sein du parlement s'opposaient (page 1596) à cette mesure, se fondaient sur la nécessité de décréter d'une manière générale l'annexion de tous les faubourgs, et c'était à ce point de vue qu'ils résistaient à une réunion partielle. La Chambre s'associait ainsi d'une voix unanime à la pensée qui a dicté le projet que nous discutons en ce moment.

Pour moi, messieurs, qui suis d'avis qu'en tout les choses doivent être appréciées d'un point de vue élevé, je persiste dans l'opinion que j'ai déjà émise il y a un an, et je me rallie au projet du gouvernement, parce que dans ma pensée la capitale de la Belgique ne. doit le céder sous aucun rapport aux capitales des pays qui nous environnent ; et selon moi, tout ce qui tend à augmenter son importance et sa prospérité assure bien plus efficacement l'avenir du pays que des idées étroites qui ne sont propres qu'à tout amoindrir et à faire avorter les plus nobles conceptions.

Le projet de loi a pour appui un grand intérêt national. C'est surtout à ce point de vue qu'il reçoit mon assentiment.

Si nous examinons ensuite les considérations secondaires, elles concourent à justifier mon opinion. Je le demande, l'unité de vues, si nécessaire pour une bonne administration, n'exige-t-elle pas que les faubourgs soient soumis, comme la capitale, à une direction unique ? L'intérêt général bien entendu ne veut-il pas qu'il y ait un plan d'ensemble pour les constructions et les travaux publics ? Aujourd'hui la police de la capitale est dépourvue de l'action dont elle ne peut se passer.

Les délinquants, les malfaiteurs n'ont qu'à franchir le fossé d'enceinte existant actuellement et ils échappent aux poursuites des agents de police qui dans les faubourgs cessent d'avoir un caractère public, et ne peuvent y poser aucun acte de leur fonction.

Sous d'autres rapports, l’état de choses actuel compromet la moralité publique et facilite les infractions aux règlements décrétés en cette matière. C'est là un régime donnant lieu à de graves inconvénients dont l'intérêt de la justice et la nécessité d'une juste répression, d'accord avec les principes d'une bonne administration, réclament immédiatement la cessation.

Du reste, les habitants des faubourgs ne peuvent sérieusement se plaindre des conséquences d'une mesure qui réalisera des avantages notables pour ces localités, fera porter le prix des propriétés à une valeur considérable et procurera aux communes réunies des bénéfices de toute nature qui compenseront largement les charges résultant du nouvel ordre de choses.

D'un autre côté, n'est-il pas équitable que des habitants qui jouissent de tous les avantages de la capitale, participent aux charges qui naissent de cette position ? Alors qu'en fait on est assimilé aux habitants de Bruxelles, à quel titre prétend-on se faire une situation meilleure quant aux impôts et aux charges communales ? Je pense que les règles de la plus stricte équité repoussent les prétentions de ceux qui s'opposent à la réunion.

Au surplus, je n'aperçois aucune utilité réelle à conserver douze ou treize communes séparées, soumises à des règlements administratifs particuliers qui n'offrent aucun système d'ensemble, et j'ajoute que si des doctrines aussi étroites avaient prévalu dans le passé, la ville de Bruxelles se trouverait aujourd'hui dans une position incompatible avec le rang que lui assigne notre Constitution.

Quant à moi, messieurs, sous réserve de présenter des observations de détails concernant le nouveau régime d'administration énoncé au projet de loi, je pense que la proposition du gouvernement réalise une idée grandiose dont l'exécution doit influer sur la prospérité de notre belle patrie, prospérité à laquelle contribue puissamment la splendeur de la capitale, et c'est surtout ce motif qui me détermine à me rallier aux vues du projet en discussion.

Si, du reste, on examine la question au point de vue de l'intérêt général, n'est-il pas évident que les populations qui sont venues s'établir aux portes de Bruxelles ne forment avec la ville elle-même qu'une seule et même agglomération, que les raisons les plus puissantes d'intérêt public exigent qu'elles soient toutes soumises aux mêmes lois de sûreté et de police et à une impulsion commune ; qu'en un mot il y ait unité d'action administrative tant répressive que préventive ?

Est-ce sérieusement qu'on prétend maintenir un régime ayant pour conséquence d'établir aux portes d'une capitale des quartiers resserrés, sans ensemble et formant contraste avec la ville, régime obstatif à la réalisation de tout progrès au point de vue des monuments, des travaux d'utilité publique et des améliorations de tout genre ?

Une chose m'étonne, c'est que parmi les vrais amis du progrès, il puisse se trouver des hommes opposés au projet qui vous est soumis.

Du reste, l'annexion du Quartier-Léopold ne se concevait raisonnablement, qu'en vue d'une réunion générale des localités entourant Bruxelles. Selon moi, la mesure admise l'année dernière serait un hors-d'œuvre si le projet de loi en discussion était rejeté par la Chambre ; la législature serait inconséquente si, après avoir décrété la réunion du Quartier-Léopold à la capitale, mesure qui, pour être rationnelle et équitable, supposait l'annexion générale des faubourgs, elle rejetait aujourd'hui le principe qui seul avait pu motiver la réunion partielle.

Aussi les discussions qui ont précédé l'adoption du projet relatif au Quartier-Léopold, démontrent que les partisans, de même que les adversaires de la mesure, étaient mus par une seule et même pensée, celle que tend à réaliser la proposition qui vous est actuellement soumise par le gouvernement.

Je n'hésite pas, du reste, à émettre l'opinion qu'au point de vue des idées d'avenir et de progrès, le rejet de l'incorporation serait l'un des actes les plus regrettables que la Chambre puisse poser.

Quant à moi, qui ne suis intéressé dans la question que comme représentant le pays entier, jamais je n'associerai mon nom à un système qui sacrifie à de mesquines considérations une pensée noble et des intérêts élevés que tôt ou tard l'on nous reprochera d'avoir méconnus.

Il nous reste à dire quelques mots sur le mode d'administration réglé par le projet. Je conçois que puisqu'il s'agira d'une ville considérable, siège du gouvernement, le pouvoir exécutif ne soit pas astreint à choisir le bourgmestre en toute occurrence parmi les membres du conseil communal. En effet, messieurs, l'administration de la capitale sera assimilée sous le régime nouveau à un véritable gouvernement de province, et dès lors le bourgmestre ne saurait être indépendant du pouvoir exécutif. Nous nous trouvons évidemment dans un cas exceptionnel où les nécessités gouvernemenlales doivent faire fléchir le principe déposé dans nos lois communales.

Il est clair que les règles concernant le choix obligatoire du bourgmestre dans le sein du conseil et introduites dans les lois antérieures n'ont jamais pu être portées en vue de l'ordre de choses tout spécial que le projet fera naître, ni concerner une ville aussi importante que le sera la capitale, si l'annexion des faubourgs est décrétée. Le système contraire pourrait donner lieu à de notables inconvénients qn'un homme sérieux ne peut révoquer en doute. Il est impossible de laisser le pouvoir exécutif piivé de moyens légitimes d'action dans des circonstances extraordinaires qui peuvent se présenter et toucher aux plus graves intérêts de l'Etat. Mais il devrait être bien entendu qu'il ne serait fait usage de cette faculté que dans des cas exceptionnels, et sons la responsabilité du gouvernement devant la législature.

Je désirerais toutefois que le bourgmestre fût en même temps le président du conseil communal et que l'on admît quelques autres modifications se rapprochant davantage du régime actuellement en vigueur.

Ces questions pourront faire l'objet d'un examen spécial lors de la discussion des articles.

Je voterai donc l'annexion proposée, mais j'espère que le ministère adhérera à des amendements proposant des dispositions de nature à satisfaire à de légitimes exigences.

Je suis toutefois disposé à accorder au gouvernement le droit de nommer le bourgmestre en dehors du conseil communal, même sans avis préalable de la députation provinciale, parce que, sous le nouvel ordre de choses, cette mesure me paraît réclamée par les nécessités gouvernementales et des intérêts d'un ordre supérieur qu'il est impossible de méconnaître. Toutes mesures essentielles pour assurer l'ordre public recevront également mon assentiment. C'est en ce sens que j'émettrai un vote dans l'occurrence actuelle.

M. Matthieu. - Messieurs, le projet de loi que nous discutons soulève les questions les plus graves et de l'ordre le plus élevé au point de vue de nos institutions constitutionnelles et des garanties qui en sont les conséquences.

Au nombre de ces questions, la plus capitale, selon moi, c'est de rechercher si oui ou non la Constitution investit la législature du droit de trancher et de traduire en loi la suppression d’une commune sans l'assentiment, bien plus, malgré l'opposition de ses mandataires.

La seconde, non moins importante, pourrait être posée ainsi : La loi communale conçue dans le sens général d'une application uniforme à toutes les communes, peut-elle être modifiée par une exception applicable à une seule commune en ce qui concerne la nomination et les attributions du bourgmestre.

Voilà, je pense, les deux éléments principaux qui résument l'essenc du débat.

Abordant la première question, je n'hésite pas à déclarer que la réunion des communes suburbaines serait un acte inconstitutionnel, que vos attributions vous interdisent de poser tant que subsistera l'opposition des mandataires de ces communes, parce que seuls il ont le droit de régler tout ce qui est d'intérêt communal ; ainsi l'a voulu la Constitution dont la sollicitude s'est appliquée d'une manière toute particulière à affermir et à fortifier les prérogatives communales, toutefois en les renfermant à leur tour dans un cercle d'attributions spéciales.

Le droit solennel consacré par l'article 108 du pacte fondamental, n’est-il qu'un vain mal, qu'une simple formalité sans force morale pour résister à l'empiétement ?

il serait absurde de le supposer ; mais si ce droit a quelque valeur, comme garantie de l'intérêt communal, c'est surtout dans une circonstance ou le plus puissant des intérêts de la commune est en jeu, c'est lorsque l'existence de la commune elle-même est en péril qu'il acquiert une force suprême ; alors, messieurs, la résistance légale est un devoir, ce devoir les administrations suburbaines l'ont bien compris ; en vain on prétendrait ne tenir aucun compte de leur opposition, formulée par des résolutions régulières prises dans le cercle de leurs attributions (page 1597) constitutionnelles, en vain on chercherait à prouver qu'il y a avantage pour ces communes à être réunies à Bruxelles ; les mandataires de la commune sont seuls juges de cette question (article 108 de la Constitution et 75 de la loi communale), il n'est donne à aucun pouvoir le droit d'annuler ces délibérations parce qu'elles ne rendent pas dans l'application des articles 86 et 87 de la loi communale et qu'elles empruntent une nouvelle force une confirmation plus explicite de ces exceptions au principe constitutionnel.

Ainsi, messieurs, on a beau faire, l'opposition légale et régulière des administrations communales suburbaines pèsera comme un veto absolu sur le projet d'incorporation aussi longtemps qu'on ne rencontrera pas, dans la Constitution, un texte qui autorise la suppression d'une commune pour cause d'utilité publique. Pour moi, messieurs, je me suis livré sous ce rapport à un examen sérieux de notre pacte fondamental et je n'y trouve aucune trace, aucune induction qui pourrait conduire à une argumentation à l'appui de cette prétention.

Toutefois on avait voulu s'élayer des dispositions de l'article 3 ainsi conçu :

« Les limites de l'Etat, des provinces et des communes ne peuvent être changées ou rectificés qu'en vertu d'une loi. »

Je n'aborde cette thèse que pour mémoire, car elle ne pourait supporter une discussion sérieuse. En effet peut-on considérer comme changement ou rectification de limites entre deux communes l'acte par lequel l'une des parties envahit complètement le territoire de l'autre ? Qu'on veuille m'indiquer, dans ce cas, où est la limite de la commune envahie.

Je prends acte, en passant, que les dispositions de cet article sont conçues dans un sens restrictif, et que la Constitution en voulant prévoir, pour certains cas, des exceptions concernant l'intégrité du territoire communal, on a réservé expressément l'appréciation à la législature. Les mots « ne pourront être changées ou rectifiées qu'en vertu d'une loi, » consacrent implicitement en principe général le maintien des communes dans leurs limites actuelles.

Messieurs, aussi longtemps qu'on n'aura pas renversé mon argumentation sur ces questions de principes constitutionnels, j'aurai le droit de soutenir que le projet d'annexion pèche par la base, qu'il est inconstitutionnel, et que vous n'êtes pas compétents pour le résoudre ; j'aurai le droit de dire qu'il constitue un privilège exorbitant et inique au profit exclusif d'un intérêt local auquel on cherche à prêter des proportions tout exceptionnelles d'intérêt public et surtout national, mais qui en réalité ne s'appuie que sur des considérations secondaires qui doivent s'incliner devant l'autorité de la Constitution ; l’énumération un peu pompeuse que l'honorable ministre de l'intérieur en a faite hier ne m'a pas convaincu ; malgré toute son éloquence et l'habileté de ses précautions oratoires ; il n'a ôté à l'acte d'incorporation aucun des caractères qui, à mes yeux, le traduisent en voies de fait réprouvées par notre Constitution.

On vous propose, en effet, sous le titre modeste de réunion des faubourgs à la ville de Bruxelles, de bouleverser des circonscriptions communales sur une étendue de plusieurs milliers d'hectares ; de fractionner et d'anéantir complètement les communes suburbaines, dont l'existence, comme communes indépendantes, quoique sous une organisation imparfaite, remonte aune époque aussi reculée, peut-être, que celle de la ville de Bruxelles elle-même ; on vous propose de rayer leur nom de la carte de la Belgique, de confisquer leurs biens, de partager leurs territoires entre la ville de Bruxelles, qui, dans le tracé arbitraire des nouvelles limites qu'elle veut se donner, s'adjuge la plus grande et la plus riche part (2,000 hectares environ) ; et entre des communes limitrophes des territoires envahis auxquelles on concède par fractionnement les restes de territoire expropriés et laissés en dehors du nouveau périmètre comme peu dignes sans doute de convoitise.

Par cet envahissement inouï et sans précédent on vous propose de mettre hors de la loi communale une population de plus de cent mille âmes équivalant aux 2/3 de la population de Bruxelles et au 44ème de la population totale de la Belgique et de dire implicitement à ces habitants, par le fait que vous posez : De par la loi et pour la plus grande satisfaction et le plus grand avantage de la ville de Bruxelles, votre commune n'existe plus, nous vous incorporons malgré vous dans la capitale pour y subir l’impôt de l'octroi, que vous ne vouliez pas, que vous ne deviez pas, nous vous imposons une surcharge de contributions directes et de patente résultant de la classification de la commune que nous vous forçons d'adopter, sans préjudice de la solidarité dans les dettes et des éventualités de l'avenir.

Messieurs, est-ce bien sous l'empire d'une Constitution dont la sagesse a été citée dans tous les pays voisins, que vous pourriez consacrer une pareille énormité, digne tout au plus de quelque steppe du despotisme ? Voudriez-vous traiter en pays conquis des communes dont l'unique tort consiste dans le développement rapide de leur population et de leur prospéritésous le régime tutélaire de nos institutions et grâces aussi à leur position topographique ? Cette situation a excité l'envie et la convoitise de leur trop puissante voisine ; dont les prétentions manifestées à plusieurs reprises depuis dix ans, n'ont fait que s'accroître en raison de l'énergique opposition des parties intéressées.

Des prétentions de cette nature ne seraient qu'un anachronisme ridicule de la part de toute autre commune, (erratum, page 1607) mais de la part de la ville de Bruxelles, avec la persistance qu'elle y met et les appuis qu'elle se ménage, pareille situation recèle des dangers sérieux pour le maintien de nos institutions et peut compromettre l'avenir de notre indépendance, car le privilège appelle le privilège ; une fois la brèche ouverte pourrez-vous refuser à d'autres grandes cités ce que vous auriez accordé à Bruxelles ? Vous vous verrez ainsi fatalement entraînés à détruire l'indépendance communale, le lien le plus solide de notre organisation nationale, la force la plus vitale de tous les pays.

Messieurs, je pense qu'il est temps de conjurer l'orage qui menace notre avenir politique, n'amoindrissons pas l'autorité de nos institutions organiques ; ne transigeons pas sur les franchises communales, sur des droits imprescriptibles garantis par l'autorité des temps et qui ont reçu une nouvelle consécration dans notre pacte fondamental.

Pour moi, messieurs, je repousse de toute la force de mes convictions, de toute l'énergie de mon devoir de mandataire du pays, le projet de loi qui nous est présenté, parce que je le considère comme inconstitutionnel dans son principe, comme destructif en fait de prérogatives communales en substituant le privilège, l'injustice et la spoliation aux garanties de nos institutions fondamentales.

Je le considère comme désastreux pour les habitants de Bruxelles eux-mêmes par les nouvelles charges auxquelles ils seraient fatalement exposés par suite de dépenses énormes à résulter de la construction d'une nouvelle barrière de l'octroi et des grands travaux indispensables à l'assimilation à la capitale dans un système homogène, des communes incorporées.

L'honorable ministre de l'intérieur, comprenant très bien la faiblesse de son argumentation au point de vue des principes constitutionnels, a voulu la corroborer d'un prétendu droit de revendication que la ville de Bruxelles a voulu exercer à diverses reprises et sur lequel elle veut s'appuyer encore aujourd hui.

Je vous avoue qu'il est résulté pour moi la conviction que l'honorable ministre a fait une étrange confusion des époques en rattachant à notre organisation des faits empruntés au régime féodal, en invoquant les systèmes divers qui ont surgi sous les administrations communales qui se sont succédé.

D'abord, messieurs, concevez-vous en dehors d'une ville qui renferme quelques centaines d'hectares, une banlieue de 3 à 4 mille hectares au moins en dehors de la barrière de l'octroi et ne participant en rien à cet impôt ?

En second lieu, un droit de revendication de propriété doit être fondé sur des titres incontestables et dans des limites fixes, déterminées et invariables, qu'il n'appartient à aucune administration d'amoindrir ni d'augmenter à peine de prouver elle-même que ses réclamations ne sont pas fondées.

Mais dans ce système, de quel droit la ville de Bruxelles pourrait-elle renoncer à une partie de sa propriété pour l'octroyer par fragments à d'autres communes à titre gratuit et sans une enquête ad hoc ?

L'honorable ministre a cité le décret du 17 mai 1810, mais ce décret n'a pas été exécuté à cause, non pas des préoccupations plus graves qui animaient alors les esprits, mais à cause que certaines conditions qui y étaient attachées ne convenaient pas à l'administration municipale de Bruxelles et par dessus tout, a cause de l'opposition formée par le préfet de la Dyle à son exécution, opposition qui a été approuvée par l'empereur, circonstance qui a fait considérer le décret comme non advenu.

Si la ville de Bruxelles avait eu à faire prévaloir des droits incontestables contre les communes suburbaines, c'était après l'affranchissement et la régularisation du régime communal qu'elle aurait dû produire ses réclamations.

Depuis 1814, l'organisation communale a été remaniée plusieurs fois et a consacré l'indépendance des communes et l'intégrité de leur territoire sur des bases solides et incontestables qui ne peuvent être changées que dans les limites des réserves de la loi.

Je dirai un mot sur la seconde question que j'ai posée au début de mon discours, à savoir :

La loi communale conçue dans le sens général d'une application uniforme pour toutes les communes peut-elle être modifiée, d une manière exceptionnelle en faveur d'une seule commune en ce qui concerne la nomination et les attributions du bourgmestre ?

Je ne le pense pas ; car ce système, outre qu'il romprait l’équilibre et l'unité des attributions conférées par une loi organique, constituerait encore un privilège que je repousse comme conntagieux et comme une cause prochaine de perturbation dans notre système communal.

Dans le cas où la Chambre déciderait l'annexion des faubourgs, je pense que le meilleur moyen d'obvier aux inconvénients qui ont été signalés, sans porter atteinte à la loi communale,ceo serait de créer un ministère de la justice qui, sans amoindrir en rien les attributions communales, deviendrait le centre de leur action libre en y rattachant la police générale.

Messieurs, je finis par une déclaration que je vous prie de considérer comme franche et sincère, c'est que dans tout ce que j'ai dit, je n'ai entendu faire aucune application personnelle ni aux membres actuels de l'administration communale de Bruxelles, ni à son honorable président. Dans la question qui s'agite, ils n'ont fait que suivre les errements légués par leurs prédécesseurs, et poursuivre des prétentions demeurées jusqu'ici sans solution, et qu'ils s'étaient habitués à considérer comme légitimes.

De mon côté je n'ai eu d'autre but que d'obéir à des convictions profondes et de remplir un devoir impérieux envers mon pays.

M. Anspach. - Messieurs, la réunion des faubourgs à ia viile de Bruxelles a été l'objet d'une controverse où le pour et le contre ont été (page 1598) vivement soutenus : je ne vous répéterai pas ce qui a été dit pour appuyer la réunion, je ne vous parlerai pas des convenances politiques et administratives qui militent en faveur d'une capitale grande et belle, sagement administrée par ses magistrats avec l'intervention du gouvernement dont elle est la résidence, circonstance qui doit assurer le maintien de l'ordre et de la tranquillité.

Je ne ferai pas valoir les avantages qui résulteront de cette mesure, même pour les parties réunies à la ville et qui compenseront bien au-delà l'augmentation des impositions qui en sera la suite, mais je me propose d'examiner et de combattre les objections qui ont été faites contre cette réunion.

Le projet de réunir les faubourgs à la ville est très ancien ; déjà sous le roi Guillaume, en 1824 et 1826, le conseil de régence en fit la demande au gouvernement qui la rejeta.

Depuis cette époque diverses tentatives pour obtenir le même résultat restèrent sans succès ; enfin, en 1843, le ministre de l'intérieur Nothomb présenta un projet de réunion qui aurait nécessité un changement complet dans le mode d'impositions ; le collège, sans admettre ces changements, formula aussitôt un nouveau projet ; différentes circonstances politiques et financières empêchèrent la réalisation de cette mesure, et ce ne sont pas, ainsi que le fait entendre l'honorable rapporteur de la section centrale, les difficultés nombreuses que présentait son exécution qui retinrent le gouvernement, mais bien l'inopportunité du moment où elle aurait dû s'exécuter.

En 1852 vint le projet de réunion du Quartier-Léopold, approbation du conseil provincial, avec le vœu que cette incorporation soit un acheminement à l'incorporation de tous les faubourgs, même approbation dans cette Chambre et au Sénat et on peut le dire, dans la même prévision.

Enfin après deux votes favorables du conseil provincial, le gouvernement nous propose la réunion de tous les faubourgs, il demande quelques changements à la loi communale, nécessités par la position nouvelle qui est faite à la capitale de la Belgique ; c'est ce projet, messieurs, que je viens soutenir, à l'exception cependant de quelques dispositions qui diminueraient sans nécessité nos immunités communales, ce à quoi je ne pourrais jamais consentir, et sur lesquelles j'espère que le gouvernement n'insistera pas, en voyant la répulsion générale dont elles sont l'objet.

Ce projet, d'après l'honorable rapporteur de la section centrale, a soulevé, à son apparition, la plus formidable opposition. Je serais bien aise que l'honorable rapporteur voulût bien me dire où il a trouvé cette formidable opposition. Sans doute il l'a vue au travers d'un verre grossissant, car pour moi, je n'ai rien aperçu de semblable. Plus de 540 pétitions, dit-il dans son premier rapport, ont été adressées à la Chambre. C'est vrai, je les ai comptées, mais je remarque parmi ce nombre, 495 pétitions signées le même jour dans le faubourg de Schaerbeck seul, L'honorable rapporteur oublie de nous dire le chiffre des pétitionnaires, ce qu'il fait pourtant avec soin pour toutes les autres pétitions qu il énumère ; n'est-il pas permis de croire que ces 495 pétitions portant la même date, ne sont que des pétitions individuelles ? Ce que je regardais seulement comme très probable, je le tiens aujourd'hui pour certain depuis les faits que nous a dénoncés hier mon honorable ami M. Thiéfry. Alors la formidable opposition se bornerait à 1,322 opposants sur plus de 90,000 habitants, ce qui la réduirait à une proportion un peu homéopathique.

Depuis le rapport de l'honorable M. David, cette opposition est devenue plus forte, mais surtout en ce sens qu'elle fait plus de bruit. Quant au nombre, il n'est pas sensiblement augmenté, si l'on en ôte toutes les croix, tous les ouvriers qui ne sont pas des faubourgs et toutes les personnes qui figurent déjà plusieurs fois dans les précédentes pétitions. Mais j'admetsque ces 495 pétitions soient collectives et qu'elles soient signées chacune par quatre ou cinq individus, ce n'est pas trop.

Cela ferait environ 2,400 signataires, ce qui paraîtra bien étonnant, puisque le faubourg de Schaerbeck ne contient que la dixième partie de la population des faubourgs, et il aura fourni à lui tout seul quatre fois plus d'opposants que tout le reste des faubourgs pris ensemble ; cela ne paraît pas vraisemblable.

Quoi qu'il en soit, ce serait environ 3,000 opposants sur 90,000 habitants, et cela malgré toutes les peines, tous les mouvements que l'on s'est donnés pour se procurer des signatures, démarches qui étaient favorisées, encouragées par les autorités communales elles-mêmes. Je vous demande, messieurs, si l'on peut tirer une conséquence d'une pareille opposition qui, sans ces démarches, aurait été complètement insignifiante !

Je viens maintenant aux véritables motifs de l'opposition des faubourgs.

Nous sommes, disent-ils, dans une position avantageuse, privilégiée ; nous ne voulons pas la quitter ; nos impositions sont proportionnellement moindres quedlans les autres localités ; elles sont calculées d'après celles des communes rurales, quoique tel de nous ait une population agglomérée déplus de 20 mille habitants ; nous jouissons de tous les avantages, de tous les plaisirs, de toutes les distractions que vous autres habitants de Bruxelles pouvez avoir, et cela sans contribuer aux charges que ces jouissances entraînent pour vous. De quel droit voulez-vous nous forcer à entrer dans une communauté que nous repoussons. Nous avons des droits acquis pour rester ce que nous sommes ; nous avons-bâti, nous avons établi des industries dans la prévision des avantages que vous voulez nous ôter ; ce serait une injustice criante et nous nous y opposons de toutes nos forces.

Voilà, messieurs, le véritable et le seul motif de l'opposition, car je ne parle pas des motifs personnels qui influent sur quelques individus à qui cette réunion pourrait faire perdre une position.

Il est facile de répondre à ces arguments.

Voyons d'abord ce que c'est qu'une commune. Voici la définition qu'on en donne : La commune est une agrégation d'individus ou de familles, rassemblés dans une certaine circonscription de territoire, unis par des relations de voisinage et par des intérêts communs, gérés par une administration commune.

Si cette définition est juste, comme elle paraît effectivement l'être, la cause est jugée, la ville et les faubourgs ne sont réellement qu'une commune, une agrégation d'individus ou de familles rassemblés dans une certaine circonscription de territoire, car ce n'est pas le mauvais fossé qui les sépare qui peut changer cette circonscription. Unis par des relations de voisinage et par des intérêts communs, personne ne peut nier que ces relations existent ; et enfin gérés par une administration commune, c'est justement à quoi nous voulons en venir.

Nous avons des droits acquis, disent les faubourgs.

Je ne parlerai pas de l'ancien droit de la ville sur sa banlieue.

Je dis qu'un faubourg ne peut avoir aucun droit contre la ville à laquelle il est attaché comme une plante parasite ; il jouit de fait, mais sans titre d'un privilège qui peut lui être enlevé sans injustice, puisque cela le fait rentrer dans le droit commun. Il continue à jouir de tous les avantages que la ville lui offre ; mais ce n'est plus à titre gratuit, il faut qu'il y contribue comme tous les habitants, rien de plus juste ; un faubourg, sans la ville, n'existerait pas, il n'aurait pas de raison d'être.

Voyez, messieurs, où un système contraire nous conduirait. Une ville dans une situation prospère, environnée de faubourgs, doit nécessairement s'agrandir ; elle a besoin d'air, d'espace ; il faut qu'elle s'en procure sous peine de dépérir. Eh bien, resserrée, étreinte par la ceinture que forment autour d'elle ses faubourgs, elle serait forcée d'arrêter son essor, d'étouffer avec sa population trop agglomérée, et cela pourquoi ? Parce que ses faubourgs rejetteraient une communauté avec la ville qui leur a donné naissance ! La raison et la justice se refusent à admettre une pareille position.

Les opposants ferment les yeux sur les avantages qui en résulteront ; ils comptent pour rien leur participation aux secours des hospices et des bureaux de bienfaisance, aux travaux publics, l'augmentation de valeur des propriétés immobilières, la police qui, quoi qu'en dise l'honorable rapporteur de la section centrale, sera, sans aucune comparaison, beaucoup mieux faite et beaucoup plus active que celle qui existe maintenant, toutes les ressources d'une grande ville appliquées à ce qui est utile ou agréable aux habitants, comme l'instruction publique, l’entretien des rues, l'éclairage, etc. Enfin ils contribueront à la splendeur de la capitale de la Belgique en lui donnant les moyens de devenir et plus grande et plus belle.

M. Laubry. - Messieurs, je n'aurais point pris la parole dans cette discussion, si mon nom n'avait pas été prononcé ; mais je tiens à donner quelques explications sur le reproche qu'on m'a adressé d'avoir changé d'opinion.

Messieurs, la ville de Bruxelles cherche depuis longtemps à obtenir la réunion des faubourgs, mais, je me hâte de le dire, ses tentatives sont toujours demeurées sans résultat, sans doute à cause des difficultés que rencontrait l'exécution de cette mesure.

Désespérant de pouvoir obtenir la réunion totale, la ville de Bruxelles s'est appliquée à étendre sa juridiction, d'abord sur la commune d'Ixelles en s'emparant de l'Esplanade, ensuite sur St-Josse-ten-Noode, en prenant son plus beau quartier, le Quartier-Léopold. Avec le bon accueil que recevaient toutes les demandes de la ville de Bruxelles il n'y avait pas de motif pour que, cette année encore, elle ne vînt réclamer quelque autre morceau de commune à sa convenance.

Eh bien, j'ai combattu ce système d'envahissement ; j'ai cru que c'était jeter l'inquiétude dans les populations des communes et le découragement dans les administrations ; et pour en finir avec ce provisoire, beaucoup de monde pensait qu'il était plus juste devenir proposer une mesure radicale, la réunion de tous les faubourgs, qui pouvait, au moins, s'expliquer et se justifier par une convenance d'unité administrative pour arriver à l'unité de police.

La Chambre, messieurs, et la section centrale, lorsqu'il s'est agi d'examiner la loi sur la réunion du Quartier-Léopold, a manifesté un désir, un vœu, c'est que toutes les questions qui se rattachent à la réunion générale fussent étudiées. Rien n'était préjugé.

Je me hâte de dire que si l'unité administrative a ses avantages, elle a aussi ses inconvénients pour une ville qui aura une circonférence de quatre lieues, avec une population, dans un avenir prochain, de 400,000 habitants.

Le gouvernement l'a parfaitement bien senti ; il a compris qu'il fallait des réserves ; que dans l'intérêt de la sécurité de l'Etat il lui fallait un pouvoir fort ; qu'il fallait, en définitive, modifier essentiellement la loi communale. Qu'est-ce qu'il vous propose ? Il vous propose de substituer au bourgmestre actuel un agent sous sa dépendance ; enfin il veut créer la centralisation.

(page 1599) Eh bien, messieurs, pour mon compte, je repousse la centralisation parce que je la crois contraire à nos institutions, à nos franchises communales, qui font le bonheur de la Belgique.

Si ce régime exceptionnel, quoi qu'en dise M. le ministre, était accepté pour la capitala, comme on est jaloux de la liberté, bientôt il s'étendrait à d'autres grandes villes.

La centralisation n'est pas un élément d'ordre. Là oû elle existe, elle n'a pas sauvé le pays des révolutions. C'est le contraire qui s'est passé. Rappelez-vous ce qui a eu lieu à Paris et vous en aurez l'exemple, et la preuve complète.

Messieurs, pour changer la loi communale, il faut des motifs bien puissants.

Le cabinet tenant à son article 12, au préfet de police ou au préfet de Bruxelles, vous comprenez fort bien avec quelle réprobation cet article de la loi a été repoussé. Quant à l'unité que nous poursuivions et désignons tous, d'après ce qu'a dit tout à l'heure l'honorable M. de Steenhault, elle existe de fait.

Il y a unité de police politique, il y a unité de policé répressive (le procureur du roi) ; il y a même uniformité de règlements dans toutes les communes, et avec un peu de bonne entente, le gouverneur aidant, tous les bourgmestres peuvent parfaitement bien arriver à une solution satisfaisante à leur intérêt commun, pour garantir la sécurité publique.

Il ne faut donc pas pour cela en venir à la mesure extrême de l'incorporation de tous les faubourgs.

Messieurs, si l'on adoptait la demande de la ville de Bruxelles, elle aurait un très grand inconvénient ; celui de déplacer des existences, de ruiner des industries, et cela dans un moment oh nous avons besoin de paix. Pourquoi jeter la discorde et la division dans nos communes ?

Le moment est bien mal choisi. L'année dernière, la ville de Bruxelles se plaignait de ce qu'elle étouffait dans son sein, de ce qu'elle manquait d'air, de ce qu'elle manquait d'espace pour y établir son hippodrome, pour y élever des monuments publics.

Eh bien, l'année dernière, la Chambre s'est montrée généreuse ; elle a accordé à la ville de Bruxelles le Quartier-Léopold, et aujourd'hui la ville de Bruxelles compte certainement sur les bonnes dispositions de la Chambre, pour concourir avec elle à payer partie des frais que devront coûter les monuments qu'on projette.

L'honorable bourgmestre de Bruxelles disait qu'il était déjà fort difficile, malgré tout le zèle, toute l'intelligence de l'administratiou, de subvenir aux exigences du service de la capitale qui n'avait pas encore le Quartier-Léopold. Eh bien, si vous agrandissez aujourd'hui la capitale qui aurait quatre lieues de circonférence, je vous le demande, messieurs, les honorables magistrats qui se déclaraient incapables d'administrer une ville moins grande avant la réunion du Quartier-Léopold, ces hommes, dis-je, pourront-ils administrer convenablement ? Ils succomberaient à la tâche ! Non, messieurs, dans l'intérêt d'une bonne administration cette réunion n'est pas possible.

Il est vrai que la loi établit des succursales. Mais ces succursales seraient-elles suffisantes ? Ne seraient-elles pas impuissantes dans beaucoup de cas ? Elles ne remplaceraient que d'une manière inefficace les administrations communales qui existent aujourd'hui, et qui sont plus capables de connaître les intérêts des habitants.

La ville de Bruxelles, ainsi agrandie, est déjà une fort belle capitale, et je crois qu'au point de vue de l'orgueil national, on peut être satisfait. Le peuple belge serait-il plus considéré à l'étranger, parce que les faubourgs seraient réunis à la capitale ? Non, messieurs, le peuple belge est considéré à l'étranger par son amour pour ses institutions, par sa fidélité à son Roi et par la vénération qu'il porte à ses anciennes libertés communales.

Je n'entrerai pas dans d'autres développements ; les orateurs qui m'ont précédé, M. de Steenhault et Matthieu, ont abrégé ma tâche. Vous vous demanderez, messieurs, si des communes qui ont un nom, des ressources suffisantes pour subvenir à leurs dépenses, peuvent être effacées de la carte du Brabant, pour complaire à l'administration de Bruxelles.

Votre réponse n'est pas douteuse, vous direz non, parce que vous êtes les protecteurs des communes, et quelle que soit leur importance en population, en considération et en puissance, devant vous les communes sont traitées par suite sur le pied d'une parfaite égalité, parce que le sentiment qui anime la Chambre est le sentiment de la justice.

Messieurs, le ministre vous a dit que la réunion des faubourgs à la capitale, était dans les vœux de tout le monde ; c'est peut-être dans les voeux de quelques personnes de Bruxelles, mais non dans le désir des habitants des faubourgs qui n'en veulent pas ; les pétitions, les protestations nombreuses qui sont arrivées à la Chambre en sont un éloquent témoignage.

Je saisis cette occasion pour demandera l'honorable M. Thiéfry comment il a pu mettre en cause des citoyens honorables, jeter du ridicule du droit de pétition, droit sacré que consacre la Constitution.

Il peut y avoir, dans l'exercice de ce droit, des abus comme en toutes choses, mais on ne peut méconnaître que dans cette circonstance il y a eu une protestation sérieuse et énergique comme on n'en a jamais vu. Et je proteste, au nom du principe consacré par la Constitution, contre les insinuations à l’adresse de ces pétitionnaires.

Si l'honorable M. Thiéfry connaissait mieux les faubourgs des environs de Bruxelles, il saurait que les habitants portant le même nom se retrouvent dans la même commune jusqu'à 8 et même 12. Il n'est donc pas étonnant que, lisant une pétition et la confrontant avec une autre, vous rencontriez plusieurs fois le même nom dans des pétitions d'une même commune. Celle de Schaerbeek compte 10 chefs de famille portant le même nom et quelquefois le même prénom.

Quant aux autres considératios qu'a fait valoir l'honorable membre, je n’ai pas besoin de m'en occuper, l'honorable M. de Steenhault me paraît en avoir fait complète et parfaite justice.

Messieurs, la Constitution reconnaît l'existence de l'indépendance des communes, elle stipule seulement que leurs pouvoirs seront réglés par la loi.

Les communes sont reconnues comme personnifications civiles constitutives par leur ensemble de l'Etat belge et comme principes élémentaires et absolues de nos glorieuses traditions.

Croyez-vous, messieurs, qu'on puisse les absorber contre leur consentement ?

Si pas les termes au moins l'esprit de la Constitution me laissent un doute à cet égard.

« L'article 3 de la Constitution porte que les limites de l'Etat, des provinces, des communes, pourront être changées en vertu de la loi.

Le mot « limite » exclut à mon sens toute idée d'absorption.

Si l'on peut admettre qu'on puisse réunir une commune entière, il faut reconnaîtrer aussi qu'on peut réunir une province à une autre, les termes de la Constitution sont précis, ils mettent la province et la commune sur la même ligne.

L'absurdité d'une pareille interprétation sera plus sensible ; supposons que notre Roi après avoir reçu l'assentiment des Chambres, en vertu de l'article 62 de la Constitution, soit devenu en même temps chef d'un autre Etat limitrophe, est-ce que l'on pourrait raisonnablement soutenir qu'avec l'article 3 de la Constitution l'on pourrait opérer la réunion de notre Belgique à cet Etat et confisquer notre existence nationale ?

Ne peut-on pas dire que le mot « limites » doit être entendu dans son véritable sens, c'est-à-dire dans les rectifications des territoires respectifs ?

Ici l'article 3 ne doit avoir en vue que les limites des communes qui se touchent, et comment est-il possible, je vous le demande, de l'appliquer à des communes qui ne tiennent pas à la capitale et que l'on veut englober ?

Avec le système de la ville on aurait le droit de réunir une série de communes très éioignées de ses murs, ce qui choque le bon sens.

Si même la Constitution n'est pas un obstacle, on ne peut, sans son consentement, absorber une commune sans une nécessité de haute politique.

La loi de 1849, 14 février, a réuni deux communes de la Flandre orientale Hermelghem et Nederzwalm. Cette mesure a été prise du consentement des habitants. C'est le seul exemple, si mes renseignements sont exacts, depuis 1830.

Pour être justes, messieurs, il faut reconnaître que les communes suburbaines sont bien administrées qu'elles subviennent avec leurs ressources à toutes les exigences de l'administration que leurs bâtisses ne font pas disparate avec la capitale, qu'elles rehaussent au contraire sa splendeur, que les habitants qui sont venus s'y fixer sont heureux de vivre sous l'administration de leurs édiles et qu'ils y ont établi leur industrie, leur commerce, leur demeure sous la foi et l'indépendance du territoire de la commune et parce qu'ils savaient qu'ils ne seraient pas soumis à l'octroi et aux charges qui pèsent sur les habitants de Bruxelles.

Cependant la ville de Bruxelles veut persuader aux communes qu'il leur fera des avantages immenses. Et je déclare que ces pétitionnaires ne veuillent pas de ces avantages. Les avantages que vous voulez leur donner, ils les ont ; mais ce qu'ils ne veulent pas, ce sont vos charges. Ils ont une bonne administration, une police suffisante et qui est, je crois, tout aussi bonne qu'à Bruxelles. Quant à la bienfaisance, personne ne se plaint ; la bienfaisance ne laisse rien à désirer dans les faubourgs.

Quant aux désagréments de la réunion, ils auraient des charges beaucoup plus lourdes ; ils seraient soumis aux vexations de l'octroi.

M. le ministre vous a déclaré que l'octroi serait maintenu, et cela, messieurs, quand tous les hommes de progrès cherchent tons les moyens possibles de le supprimer. Je me demande si le moment est bien choisi, alors que la question est à l'étude, pour soumettre à l'octroi, de gaieté de cœur, cent mille personnes de plus. Au nom de l'intérêt général, au nom de l'intérêt du pays, je crois qu'on ne peut pas admettre une telle prétention.

On nous dit : « Si vous avez l'octroi, vous obtiendrez de grands avantages. » Messieurs, nous n'avons pas besoin de l'octroi pour posséder ces avantages ; nous avons des ressources suffisantes que nous pouvons augmenter à mesure que des besoins nouveaux se révéleront.

« Vous aurez, dit-on, une belle ville, les murs qui vous séparent de Bruxelles disparaîtront. » Je crois, quant à moi, que les murs ne pourront pas disparaître : la ville de Bruxelles se trouve dans des conditions de finances telles qu'elle ne pourra pas suffire aux exigences d'une pareille entreprise. On maintiendra donc l'octroi de Bruxelles, et les faubourgs resteront séparés par un mur d'enceinte, c'est-à-dire que les inconvénients actuels continueront à subsister.

(page 1600) « Mais, nous dit-on, il y aura une démarcation. » S'il y a une démarcation, au lieu de vexation, ce fera une véritable inquisition ; on viendra vous arrêter dans les promenades publiques et vous demander si vous n'avez rien dans vos poches. Est-ce là une chose tolérables ?

Un honorable économiste de notre pays, disait :

« Les octrois sont un débris du moyen, âge que la révolution avait renversé avec tout, l'échafaudage de la féodalité, impôt que les bons esprits répudient en France comme ici. Les octrois communaux sont injustes, vexatoires et onéreux, ils nuisent au libre développement de l'industrie et, par conséquent, à la richesse publique, ils détruisent l'égalité de droits entre les citoyens et portent atteinte à la propriété,

M. de Brouckere. - C'est moi qui ai dit cela.

M. Laubry. - Je ne sais pas si vous vous reconnaissez ; si c'est vous, je le veux bien.

Que l'on ne touche pas à l'octroi existant pendant qu'on étudie à rechercher des ressources pour le remplacer, je le veux bien ; mais qu'on vienne proposer de soumettre cent mille personnes à cet impôt alors que les communes ont des moyens pour suffire à leurs exigences administratives ; c'est ce que je ne veux pas au nom de l'intérêt général.

On disait hier, pour justifier la demande de la ville de Bruxelles, que les communes suburbaines avaient fait partie de la cuve, qu'elles étaient autrefois sous sa juridiction et qu'il était juste qu'elle puisse invoquer un droit de retour. Mais, messieurs, vous savez tous qu'un nouvel ordre de choses s'est élevé dans ce pays depuis un demi-siècle, et que par suite les communes de la prétendue cuve sont rentrées dans leurs droits primitifs, le torrent révolutionnaire a renversé tous les vieux restes de la féodalité.

On a fait valoir un autre motif, on a dit, et l'honorable M. Lelièvre a répété que c'était une injustice flagrante de laisser les faubourgs jouir des avantages de la capitale sans leur en faire supporter les charges. Mais, messieurs, les faubourgs, par leur prospérité, font à leur tour la prospérité de Bruxelles.

Les habitants des faubourgs fréquentant les magasins de la ville, les lieux publics, les spectacles, sont, pour eux, tous les jours une source de prospérité, et si les faubourgs prospèrent, la ville de Bruxelles a prospéré à son tour, et disons, pour être justes, qu'ils prospèrent ensemble.

La ville n'a pas décru, au contraire ; sa population augmente de jour en jour.

Les paroisses de Londres existent aussi à côté de la métropole, et contribuent à la prospérité commune. N'est-ce pas là un problème que l’on peut réaliser ici ?

Messieurs, je crois que, malgré toutes les bonnes dispositrons de la ville de Bruxelles, elles ne pourront, en supposant même la réunion possible, suffire dans sa position financière à remplir les promesses qu'elle fait aux faubourgs.

Il faudrait des sommes immenses pour satisfaire tout le monde. En ne prenant que des demi-mesures, on ne satisferait que quelques localités, et on exciterait les plaintes de beaucoup d'autres. Nous aurions peut-être des plaintes, des divisions dans les faubourgs, alors, que plus que jamais nous avons besoin de paix et de concorde.

Je voterai contre le projet de loi.

- La séance est levé à quatre heures et demie.