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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 11 décembre 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. Rousselle, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 195) M. Maertens procède l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Calmeyn donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les sieurs Mathieu et Volvers, gardes forestiers, demandent une augmentation de traitement. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Penaranda présente des observations relatives à la liquidation de rentes, à charge de la France et adresse à la Chambre une notice à l'égard de la position exceptionnelle qui lui a été faite au sujet des créances dont il est question au paragraphe 3 de l'article 22 du traité du 19 août 1839. »

- Même renvoi.


« Le sieur Holvoet, ancien volontaire des chasseurs francs de la ville de Bruges, blessé à l'attaque du Hazegras, demande une pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Chalon, ancien facteur rural, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la liquidation de sa pension. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Collet, Laport, président et secrétaire du comité central du Nord, à Liège, et plusieurs habitants de cette ville, demandent la fermeture de l'usine à zinc de la Vieille-Montagne »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants et propriétaires du canton d'Eeckeren demandent que le projet de loi relatif à la libre entrée du charbon de terre étranger soit étendu au bois à brûler venant du Brabant septentrional. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Des extracteurs de minerai de fer demandent la libre sortie de ce minerai. »

M. Wasseige. Messieurs, on vient de faire l'analyse d'une pétition qui a pour objet de demander pour le minerai de fer la faveur dont jouit déjà la houille, c'est-à-dire la libre sortie. On comprend difficilement qu'on soumette à un régime différent deux industries à peu près similaires, pour lesquelles les mêmes motifs peuvent être invoqués. En effet, l'extraction des minerais de fer, comme l'extraction de la houille, a une grande importance pour les provinces wallonnes ; elle occupe un grand nombre d'ouvriers, et ce nombre augmenterait encore si la sortie des minerais de fer était libre, ce qui aurait pour résultat de faire prendre à cette industrie un grand développement. En accordant aux pétitionnaires ce qu'ils réclament, on ferait donc chose extrêmement utile au pays dans les circonstances actuelles, et on ferait cesser une anomalie que rien ne justifie.

Je demande le renvoi de la pétition à la commission d'industrie en la recommandant à sa sérieuse attention.

- Ce renvoi est ordonné.


« M. Faignart demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi fixant le contingent de l’armée pour l’année 1856

Rapport de la section centrale

M. de Perceval. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif au contingent de l'armée pour 1856.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi concernant les denrées alimentaires

Discussion générale

M. Dumortier. - Messieurs, dans la séance d'hier, vous avez entendu deux orateurs qui se sont opposés à la prohibition de la sortie des grains. Ces honorables membres acceptent la libre entrée des céréales, mais ils ne veulent pas de la prohibition à la sortie.

Malgré l'exorbitante cherté des denrées alimentaires et les souffrances du peuple, ils entendent permettre la libre exportation des grains produits par notre sol. C'est là, il faut le reconnaître, le point capital de la loi aujourd'hui en discussion.

Tout le monde, messieurs, est d'accord sur la libre entrée des grains, leur prohibition à la sortie est aujourd'hui seule en question. L'an dernier, à la suite d'une longue et solennelle discussion, nous avons demandé et obtenu la prohibition à la sortie des céréales. L'expérience qui en est résultée a-t-elle prouvé que nous avions eu tort ? Le pays a-t-il eu à se féliciter que nous ayons conservé à ses enfants les produits de sa propre culture ? Voila le point de départ de la discussion qui s'agite en ce moment.

S'il était démontré que nous avons eu tort de demander qu'on conserve pour les enfants de la patrie les grains que la terre produit sur notre sol, s'il était démontré qu'en cela nous avons nui à l'intérêt public, que nous avons amené une élévation dans les prix, je reconnaîtrais que les observations des honorables membres ont quelque chose de fondé.

Mais alors même que ces observations seraient fondées, je n'en persisterais pas moins dans mon vote de l’année dernière, car ce qui doit dominer dans les assemblées délibérantes comme dans le monde entier, c'est l'opinion ; nous ne devons pas la fronder. Ici, permettez-moi, messieurs, de vous rappeler à ce propos ce mot d'un grand écrivain : « Il y a quelqu'un qui a plus d'esprit que nous, c'est tout le monde. » Ce mot s'applique complètement à la situation actuelle, c'est le moment de l'admettre dans toute son acception.

Il y a quelqu'un qui a plus d'esprit que nous, c'est tout le monde. Or, allez dans tous les lieux de la Belgique, parcourez toutes les provinces, partout où deux hommes se réunissent, vous verrez qu'il n'y a qu'un cri : c'est qu'il faut conserver pour les enfants du pays les grains que produit le pays dans les années de disette. Ah ! je conçois que si nous étions dans une année d'abondance, lorsque le pain est à bas prix, dans une de ces années où le salaire de l'ouvrier vient compenser largement les nécessités de sa vie, je comprends qu'en pareille circonstance nous permettions la libre sortie des céréales.

Mais, messieurs, il est un point sur lequel il faut tous être d'accord ; c'est que depuis deux ans et aujourd'hui, plus que jamais, il n'existe plus d'équilibre entre le salaire de l'ouvrier et le prix des aliments nécessaires à sa subsistance. Cet équilibre est rompu, et pour moi comme pour plusieurs d'entre vous sans doute, c'est un mystère, un mystère profond que de deviner comment l'ouvrier peut se sustenter dans des moments où les matières de première nécessité sont à des prix aussi élevés.

Je pense donc que nous ne devons pas nous lancer ici dans ces théories absolues qu'on appelle le libre échange, et qui ne sont pratiquées nulle part, pas même par ceux qui ont importé le mot chez nous.

J'ai toujours, messieurs, combattu très vivement la théorie du libre échange et croyez-le bien, je l'ai toujours combattue avec le sentiment d'une conscience profondément convaincue. Et pourquoi, messieurs ? Parce que, dans ma conviction profonde, il n'est pas un seul d'entre vous qui voulût appliquer à sa famille la théorie qu'on nous prêche aujourd'hui. Il n'est pas un seul d'entre vous qui voulût, dans sa propre maison, admette la théorie du libre échange. Moi, j'envisage l'Etat sous un point de vue différent.

Je n'appartiens pas à cette classe d'hommes qui prétendent envisager l'intérêt de l'humanité entière répandue sur tout le monde. J'envisage avant tout l'intérêt de mon pays ; j'appartiens à mon pays et je suis ici pour défendre ses intérêts et non ceux de l'étranger. C'est pour cela que je repousse ces théories insensées que leurs apôtres eux-mêmes repoussent dans leur intérieur. Eh bien, quel est le libre-échangiste qui appliquerait chez lui la théorie qu'il prétend appliquer au pays ? Il n'en est pas un seul.

La théorie du libre échange, mais par qui donc est-elle prêchée ? Par l'Angleterre ! On vous parle souvent de l'Angleterre ; mais ceux qui en parlent avec tant d'assurance, ont-ils lu, ont-ils examiné les tarifs anglais ? Non, vous ne les avez pas examinés. Je dis aux libre-échangistes : Lisez les deux articles qui ont paru, hier et aujourd'hui, dans le « Journal de Bruxelles », et où sont analysés les tarifs anglais. Vous verrez ce que c'est que le libre échange en Angleterre. Tous les produits des colonies anglaises, sans en excepter un seul, sont imposés à 100. p. c. de moins que ceux qui viennent du continent de l'Europe. Et voilà ce qu'où appelle du libre échange !

Je n'appelle pas un pays de libre échange le pays comme l'Angleterre où une paire de souliers fabriquée sur le continent doit payer sa valeur en impôt, doit payer 10 francs pour entrer, où une paire de bottes paye 18 francs de droits de douanes, afin de protéger le travail de l'ouvrier anglais.

Est-ce là, messieurs, ce que vous appelez du libre échange ? Faites du libre échange comme en Angleterre, je serai des vôtres ; mais ne venez pas nous prêcher la théorie du libre échange alors que les apôtres de ce système n'osent pas l'appliquer chez eux. Ce sont des théories creuses ; des théories que repousse le simple bon sens, des théories qui peuvent se défendre dans la chaire d'un professeur, mats qui ne devraient jamais entrer dans le tabernacle des lois, dans le sanctuaire des représentants de la nation.

Messieurs, on nous parle de liberté commerciale, mais qu'est-ce donc que la liberté commerciale, si vous n'avez pas avant tout l'égalité commerciale ? Vous voulez, dites-vous, la liberté commerciale absolue ? Mais avez-vous l'égalité commerciale avec l'Angleterre ? Quel est celui qui oserait le dire ? Vous ne l'avez pas. Vous n'avez ni les moyens de production de l'Angleterre, ni ses moyens de fabrication, ni ses inventeurs, ni ses machines, ni sa puissante marine, ni ses capitaux à bon marché, ni ses comptoirs répandus dans tous les ports en dehors de l'Europe.

Vous n'avez rien de tout cela ; vous êtes des pygmées à côté de l'Angleterre, et vous voulez l'imiter. Mais ne voyez-vous pas que la liberté sans l'égalité c'est toujours le droit pour le plus fort d'écraser le plus faible, et que votre liberté commerciale, alors que vous n'avez pas l'égalité commerciale qui doit en être le corollaire, n'aurait qu'un résultat, celui d'amener votre pays au dernier degré de décadence, au dernier degré d'appauvrissement.

(page 196) Allez voir en Portugal ce qu'a amené le libre échange, et voyez si vous voulez réduire cette riche et puissante Belgique à un état d'avilissement industriel comme celui où est tombée cette belle et autrefois si florissante contrée.

Les économistes, avec leurs théories, négligent toujours une chose, c'est la valeur pour un peuple du travail, la valeur du travail qui produit les capitaux. Car le travail est la seule et unique source de la richesse publique, l'origine de la puissance des nations. Comme le disait jadis mon excellent et honorable ami, M. le comte de Muelenaere, le travail est la seule et unique source de la richesse d'un peuple.

Or, si, sous prétexte de considérer tous les hommes comme des consommateurs et non comme des producteurs, si pour avoir tout à bon marché, vous amenez par vos lois la suppression du travail national, savez-vous à quoi vous arriverez ? Vous arriverez à ce que le pays ne produise plus de capitaux. Car la paresse d'un peuple est la première source de sa ruine. Un peuple qui travaille s'enrichit ; un peuple qui ne travaille pas s'appauvrit. Si vous voulez enrichir le pays, faites travailler ; car chaque journée de travail est un capital ajouté à la fortune publique, chaque journée de paresse et d'absence de travail est un appauvrissement de la fortune publique.

Voilà, messieurs, pour quels motifs j'ai toujours si vivement combattu cette théorie funeste du libre échange. Voilà pourquoi, tant que j'aurai l'honneur de siéger sous cette voûte, je combattrai ce système insensé abandonné par ceux-là mêmes qui s'en font les apôtres, et que je regarde comme la chose la plus funeste, comme l'idée la plus perverse qu'on puisse appliquer à un pays comme le nôtre, si admirablement doté par la nature, si admirablement doué de tous les moyens de production, mais qui n'a pas encore acquis la force de la puissante rivale qui voudrait l'écraser pour lui ravir son industrie et pour s'enrichir à ses dépens.

Je conçois très bien que les contrées maritimes de notre pays s'arrangeraient à merveille du libre échange. C'est tout simple : moins la Belgique produira, plus les ports de commerce seront florissants ; plus il faudra acheter à l'étranger, par conséquent plus il y aura de ventes, et par suite de bénéfices pour les lieux maritimes. C'est à sauter aux yeux de l'homme le moins clairvoyant ; mais est-ce que la Belgique entière par hasard consiste uniquement dans le port d'Anvers et dans celui d'Ostende ? Nul n'est plus que moi heureux de l'importance du port d'Anvers que j'ai souvent nommé le plus beau joyau de la Couronne belge. Mais aussi je dirai toujours qu'il ne faut jamais sacrifier les entrailles aux extrémités ; qu'il ne suffit pas d'avoir un port d'Anvers magnifique et qui plus tard doit devenir un des principaux ports commerçants de l'Europe, mais qu'il faut encore tenir compte de tout le pays, surtout de ses ouvriers, en si grand nombre sur notre sol et auxquels vous devez, la première de toutes choses, du pain, et gagner sa vie. Gagner sa vie, pour l'ouvrier : c'est la prospérité et le bonheur.

En matière de libre échange des céréales, je considère la théorie qui vous est présentée comme ne tenant aucun compte des conditions nécessaires à la vie. Cette théorie voudrait soumettre les corps organisés, les êtres vivants aux lois qui commandent la matière. Or, cela est-il possible ? N'est-il pas évident qu'il y a des conditions toutes particulières et spéciales pour tout ce qui est animé et que vous ne pouvez en aucune manière appliquer aux corps inanimés ? Quand on vient dire : Laissez sortir le grain, il en reviendra, je prétends qu'on pose une théorie essentiellement absurde. Si cela signifie : Laissez sortir le grain, nous ferons un bénéfice là-dessus à l'exportation, puis il en reviendra et nous ferons un second bénéfice ; si c'esl là ce que l'on veut dire, je le comprends fort bien ; mais un système comme celui-là est-il avantageux au pays ? Il peut faire les affaires d'un port de mer, mais encore une fois le pays se compose-t-il donc d'un port de mer ?

La première chose à faire c'est de consulter non point l'économie sociale, mais l'économie domestique. Traitez les affaires du pays comme vous traitez vos affaires privées. Donnez vos soins constants à améliorer tout ce qui est national sans vous inquiéter de l'étranger.

Eh ! sommes-nous donc envoyés ici comme apôtres du genre humain ? Non, nous sommes envoyés ici pour défendre les intérêts du peuple belge, et quand nous les dcfendons, nous remplissons notre mandat, et non en nous livrant a des théories humanitaires.

L'honorable orateur qui a ouvert hier la séance, mon honorable ami, M. Osy, a soutenu que la prohibition votée l'an dernier, à peu près à pareille époque, a fait plus de mal que de bien. La prohibition a fait plus de mal que de bien ! Il est futile, messieurs, de démontrer à l'honorable membre qu'il est dans une profonde erreur. Je tiens en mains le tableau des prix moyens du froment et du seigle, par hectolitre, pour l'an dernier et pour cette année.

L'an dernier, on vivait sous le régime de la libre sortie. A partir du mois de décembre, nous sommes entrés sous le régime de la prohibition des grains à la sortie. Or quel était le prix des grains au mois de novembre de l'an dernier, avant le vote de la prohibition de sortie ? Je choisis le mois de novembre, parce qu'à cette époque de l'an dernier la sortie était libre et que déjà l'on consommait les grains de la récolte qui venait d'avoir lieu quelques mois auparavant.

En novembre de l'année dernière, le prix moyen était de 30 fr. 36 c. l’hectolitre.

Or, à peine avons-nous fait la loi qui prohibe les grains à la sortie, que la moyenne tombe de 30 fr. 36 c. à 29 fr. 30 c. Elle descend ensuite, en janvier, à 24 fr. 81, et, en février, à 23 fr. 94 c. ; et cela toujours pour les grains del àamême récolte.

La moyenne remonte un peu en avril pour descendre en mai à 23 fr. 80 centimes.

Eh bien, messieurs, en présence de ces chiffres est-il constant, oui ou non, que la prohibition à la sortie a été favorable ? Comment ! en novembre, la moyenne était de 30 fr. 36 c, vous la faites tomber à 25 fr. 80 c. et vous prétendez que le pays a eu à se plaindre de la prohibition à la sortie !

Je ne conçois pas qu'on puisse venir soutenir une pareille erreur. Il est évident que l'effet de votre loi de prohibition de sortie des céréales saute à tous les yeux ; elle a été un immense bienfait pour le pays. Au mois de novembre, vous aviez le prix de 30 fr. 80 c., et pendant les cinq mois suivants, vous avez eu 7 fr. de réduction. Voilà le résultat de la politique nationale, de la politique qui songe à la nécessité de conserver les bienfaits de la récolte aux habitants du pays, et la condamnation éclatante du libre échange et de ses folles théories. Il a fallu la gelée des grains pour ramener les prix à la hausse.

L'honorable M. Osy prétend qu'à Londres et en Hollande la moyenne des prix a été, en octobre, inférieure de 4 fr. 75 c. à la moyenne des prix en Belgique.

Il est possible qu'il en ait été ainsi pendant le mois d'octobre ; mais le même fait ne s'est pas présenté pour les mois que j'ai indiqués ; pendant tous ces mois, les grains ont été infiniment plus chers en Angleterre qu'en Belgique ; or, si alors que les prix des grains étaient plus élevés en Angleterre que chez nous, vous aviez laissé sortir nos céréales, vous auriez eu un déficit dans votre approvisionnement, et vous auriez eu une hausse immédiate.

Mais, messieurs, si, comme le prétend l'honorable M. Osy, le grain est à meilleur marché en Angleterre qu'en Belgique, quel besoin avez-vou sde laisser sortir votre grain ? Vous demandez donc une chose qui n'aurait pas de résultat, car, sans nul doute, vous n'irez pas exporter nos grains en Angleterre, où le prix des céréales est à 4 fr. moins élevé que chez nous ; vous n'irez pas les y exporter, en supportant, d'ailleurs, les frais de transport, de déchargement et de commission.

Les arguments de l'honorable membre vont donc directement à l’encontre de la thèse qu'il soutient.

Un honorable député de Verviers, M. Moreau, a prétendu que la liberté de sortie amènerait plus de grains et que par conséquent le pain serait à meilleur marché. Mon honorable ami, M. Rodenbach, a déjà cité un fait qui sert de réponse à l'argumentation de l'honorable M. Moreau ; permettez-moi, messieurs, d'en ajouter quelques-uns.

Je tiens en mains le Moniteur universel (journal officiel de l'empire français) de mercredi dernier et j'y trouve un tableau comparatif du prix du pain blanc dans les principales villes de l'Europe. Or, le pain blanc de première qualité à Paris se vend à 58 centimes le kilogramme, et si le prix n'est pas plus élevé, c'est grâce à l'énorme sacrifice que la ville de Paris s'impose sur la panification, et qui monte à 6 centimes le kilogramme.

M. David. - La caisse de la boulangerie fait jusqu'à présent une perte de 50 millions.

M. Dumortier. -Le pain blanc est donc à Paris à 58 centimes ; maintenant, à quel prix le pain blanc se vend-il à Bruxelles où l'administration communale ne s'impose aucun sacrifice pour la panification ? Il se vend à 58 centimes. Il est donc bien constant que nous payons le pain blanc à Bruxelles 6 centimes à meilleur marché qu'il ne coûte à Paris sans la remise aux boulangers. Et c'est en présence de pareils faits qu'on veut nous faire sortir de ce système !

A Londres, quel est le prix du pain blanc de première qualité ? 67 c, c'est-à-dire 9 centimes le kilogramme plus cher qu'à Bruxelles, où, je viens de vous le dire, le prix est de 58 centimes. Mais voyons : on a parlé de la Hollande ; à Amsterdam quel est le prix du pain de première qualité ? 88 centimes, c'csi-à-dire 30 centimes plus cher qu'à Bruxelles. Contestez, si vous voulez le Moniteur universel ; quant à moi, je crois qu'on sait aussi bien faire des statistiques dais les bureaux des ministères français que dans les cabinets des partisans du libre échange.

Pour moi j'ai plus de confiance dans les chiffres que je viens de lire dans ce document officiel que dans les chiffres avancés par nos adversaires pour le besoin de la cause, et ils vous prouvent combien le système que nous avons adopté l'an dernier était avantageux au pays. (Interruption.) Si le même pain qui se vend a Bruxelles 58 centimes, se vend à Londres 67 centimes, ouvrez vos portes à la sortie et vous verrez bientôt le prix du pain arriver au même niveau.

M. Lesoinne. - Et Liverpool ?

M. Dumortier. - A Liverpool le prix du pain est à 55 centimes, c'est aussi le prix indiqué par le Moniteur universel pour la ville de Mous. J'entends qu'on dit : Ah !

Je vais vous répondre. Je soutiens que nous ne saurions avoir au moyen de notre propre commerce des grains étrangers aux prix des grands ports maritimes parce que le port d'Anvers est incapable de fournir le grain étranger à aussi bon marché que les ports anglais qui font le commerce direct des céréales. Vous avez la libre entrée des céréales, examinez les tableaux d'importation et vous verrez qu'au-delà des 5 sixièmes, des importations nous viennent de seconde main ; Anvers ne reçoit pas un sixième de ses importations de première main ; (page 197) presque tout ce qui arrive à Anvers provient des ports d'Europe ou d'achats sous voiles, avec bénéfice, c'est-à-dire de seconde main.

Comment donc avec ce commerce Anvers pourrait-il nous donner les grains à aussi bon marché que Liverpool et Amsterdam ? Anvers achète des marchands de Liverpool et d'Amsterdam qui prélèvent un bénéfice assez considérable ; c'est ce qui fait que les prix sont toujours plus élevés à Anvers que sur les marchés que je viens de citer.

Je sais que d'après la statistique, le grain est à meilleur marché à Anvers que sur beaucoup d'autres marchés de la Belgique. Mais d'où cela provient-il ? comment y établit-on la mercuriale ? Sur l'ensemble de toutes les ventes.

Or, à Anvers on ne se borne pas à vendre des grains de première qualité comme ceux de notre culture, on y vend des grains de basse qualité, des grains non avariés mais qui se livrent à meilleur marché que le seigle ; tel est le grain d'Egypte qui est meilleur marché que le seigle et ne se vend que pour les amidonneries, C'est en comprenant ces grains vendus pour les amidonneries ; dont le prix est de beaucoup inférieur à celui des grains de notre pays, qu'on arrive à une moyenne fausse. C'est ainsi qu'on forme une mercuriale inférieure à celle des autres marchés. Si on n'y comprenait que des grains de première qualité, comme ceux de notre sol an arriverait à des prix supérieurs, car on y fait figurer des grains d'Egypte qui à cause de leur odeur nauséabonde ne sont pas mangeables.

M. Loos. - La mercuriale a toujours été plus élevée à Anvers que partout ailleurs dans le pays.

M. Dumortier. - On nous a dit le contraire l'année dernière.

M. Loos. - Je l'affirme.

M. Dumortier. - Je sais que l'honorable membre est mieux à même que personne de savoir ce qui se passe à Anvers, aussi je ne conteste pas ce qu'il affirme, mais je répète que l'année dernière on disait le contraire et qu'on s'en faisait un titre en faveur du libre échange. Si ce mode a été changé, tant mieux.

Savez-vous, messieurs, quelle serait la conséquence de la libre exportation des céréales ? Ce serait de faire exporter les grains des provinces voisines de la France dans le département du Nord, où les prix sont 4 francs plus élevés que chez nous.

Examinons les marchés indiqués par le gouvernement comme les points où le froment s'est vendu le plus cher, nous verrons que ce sont toujours ceux voisins de la frontière de France. Aujourd'hui c'est Tournai, demain ce sera Ypres, après demain Courtrai, quelquefois Dînant, Namur, parce que le marché du département du Nord est celui où les prix des grains sont toujours plus élevés.

Aujourd'hui les grains se vendent à Lille 3 et 4 francs plus chers qu'à Tournai. D'où vient que les prix sont plus élevés sur les marchés voisins de la France ? D'abord de l'action que produit toujours le voisinage d'un marché où la même denrée se vend plus cher ; et ensuite de l'exportalion qui a toujours lieu par infiltration quoi qu'on fasse. L'honorable M. de Haerne me fait observer qu'on exporte beaucoup de pain.

Toujours est-il que les grains sont plus chers à Tournai, Courtraî et Ypres, parce que sur les marchés de Lille et de Valenciennes les prix sont de 3 à 4 francs plus élevés que sur les marchés de la Belgique.

Maintenant, messieurs, ovivrez vos frontières, laissez exporter vos céréales. Qu'arrivera-t-il ? Immédiatement votre grain partira pour la France et vous aurez une hausse de 4 fr. Si c'est là ce que vous voulez, dites-le, soyez sincères, mais ne dites pas que votre système doit amener une baisse de prix, qu'il est plus favorable à l'alimentation publique. Le commerce, je le sais, vous fournira toujours des grains, plus il y aura de bénéfice à faire, plus il en fournira ; mais aussi parce qu'il est commerce il cherchera à vous le faire payer aussi cher que possible. Notre but est tout différent, il est de procurer le pain à l'ouvrier à aussi bon marché que possible.

Quand l'agriculture était en souffrance, je suis venu ici chaque fois prendre sa défense. Aujourd'hui c'est la population ouvrière des villes et même des campagnes qui souffre, c'est à elle que je dois mon appui ; c'est aux malheureux qu'il faut porter secours, voilà ce qui doit être dans la disette, car d'abord il faut vivre et gagner sa vie. Aujourd'hui je n’ai pas à m'occuper des intérêts de l'agriculture pour y revenir plus tard, et pourquoi ? Parce que l'intérêt qui doit nous préoccuper en ce moment est celui de la classe ouvrière, dont le salaire n'est plus en rapport avec les dépenses qu'elle doit faire pour vivre.

Je ne suis pas de ceux qui croient qu'il y a en Belgique un déficit considérable de denrées alimentaires. Il y a eu déficit dans la récolte du froment, mais si vous considérez les produits de toutes les recoltes, les marsages qui ont été très abondants et les pommes de terre dont la récolte a été remarquable par la qualité aussi bien que par la quantité, vous trouverez là une large compensation du déficit au froment, et l'on doit reconnaître que s'il y a un manquement dans la récolte du froment, ce manquement est largement compensé par les marsages, en sorte que l'alimentation publique est assurée.

La hausse que nous subissons est donc une hausse purement factice, il faut le reconnaître ; car il est évident que l'immense production de pommes de terre, qui a beaucoup dépassé en qualité et en quantité celle des années précédentes, entre pour beaucoup dans l'alimentation publique, ce qui diminue la consommation du froment et du seigle. Par suite, la récolte est suffisante et peut suffire à tous les besoins.

Déjà, je pourrais citer des fermiers extrêmement éclairés, qui, aujourd'hui, cherchent à faire battre leurs grains, convaincus qu'ils sont que les approvisionnements sont tels chez les cultivateurs qu'il y aura beaucoup trop pour la récolte de cette année.

Une autre cause, une cause malheureuse de la cherté du prix des grains, c'est le commerce des céréales non maritime.

Je ne parle pas du commerce maritime, opération fructueuse pour ceux qui la font, mais également avantageuse pour un peuple, quand il y a un déficit dans la production des céréales.

Mais en est-il de même de ces spéculateurs qui s'établissent dans tous les villages, parcourent les campagnes, allant de ferme en ferme, sans payer patente, agiotant sur le prix des grains, engageant les fermiers à tenir à vendre plus cher ?

Est-ce que, par hasard, on prétendrait que ce commerce est digne de toutes nos sympathies ? Ce commerce me paraît un danger, un malheur dans la situation actuelle.

Aussi, j'aurai l'honneur de proposer de frapper d'une forte patente les facteurs ruraux qui parcourent le pays. J'ai eu l'occasion de m'assurer des abus qui se passent dans tout le pays, en matière de petit commerce des grains. Croiriez-vous que, dans beaucoup de localités ces petits facteurs achètent des grains dans les fermes à la condition d'apporter un certain nombre d'hectolitres sur le marché et de les y faire acheter à prix plus élevé, de manière à agir en hausse sur les mercuriales ? Croiriez-vous que des agents sont envoyés aux abords des villes pour dire aux cultivateurs : Vous apportez des grains ; ils vont hausser. Il faut si peu de chose ; tous les moyens sont employés pour amener de la hausse.

Dans un tel état des choses, il est de notre devoir le plus impérieux de tâcher de mettre un terme à ces abus scandaleux, qui contribuent si puissamment à la cherté des prix des denrées alimentaires.

Un autre malheur signalé depuis longtemps et auquel il faudrait porter remède, c'est que les marchés ne se tiennent pas le même jour. Il en résulte de l'agiotage ; on envoie des grains de Courtrai à Tournai, de Tournai à Courlrai. On leur fait faire la navette volante, de manière à faire hausser les prix.

Tout cela cesserait, si demain vous aviez, ce qui devrait être, tous les marchés du pays fixés au même jour.

Puisque toutes nos grandes villes ont leur marché le vendredi, pourquoi ne pas exiger que tous les marchés aux grains se tiennent le vendredi ? Alors vous n'auriez plus ces agiotages, ces variations continuelles de prix de tous les jours de la semaine.

J'irai plus loin : je voudrais, ainsi que cela se fait en France, que le télégraphe électrique ne pût, pendant la durée du marché, transmettre le prix des grains.

Il faut laisser les rapports entre le fermier et le producteur, empêcher l'intervention de ces agents intermédiaires qui est nuisible à tout le monde, qui est une véritable calamité pour le consommateur et pour le producteur, pour le pays tout entier.

Un autre abus que je désirerais voir disparaître, ce sont les faveurs accordées à l'exportation des denrées alimentaires. J'avoue que je n'ai jamais compris comment on pouvait accorder de pareilles faveurs.

Vous achetez des denrées alimentaires sur le marché de Bruxelles ; vous les envoyez à Liège, vous payez le transport d'après le tarif, sans réduction aucune. Mais vous les exportez en France, en Angleterre : on vous accorde une réduction considérable, pour les exporter hors du pays. Comment ! vous faites une loi de prohibition de sortie, et vous donnez des primes d'exportation ; vous êtes en contradiction avec vous-mêmes. Si vous voulez empêcher l'exportation des céréales, vous ne devez pas faciliter par des primes l'exportation d'autres denrées alimentaires, car nul d'entre vous sans doute ne veut que l'ouvrir soit obligé de se nourrir de pain et de pommes de terre et de boire de l'eau.

Messieurs, un point sur lequel nous devrions tous tomber d'accord, c'est que nous devons chercher à améliorer la condition de l'ouvrier ; or, le premier moyen d'améliorer la condition de l'ouvrier, c'est d'empêcher tous ces trafics honteux, espèce de jeux de bourse, qui n'ont d'autre but que de faire élever le prix des denrées alimentaires. Le peuple, à qui nous devons ce que nous sommes, mérite bien sans doute d'avoir quelques jouissances après avoir mangé le pain de ses sueurs.

Un objet de première nécessité pour le peuple n'est-ce pas le beurre ? Le beurre et les œufs sont des objets de toute première nécessité pour l'ouvrier. Tous ceux qui vivent avec l'ouvrier, qui l'ont vu chez lui, sont forcés de reconnaître que dans toutes les communes voisines de nos cités, il n'est plus possible à l'ouvrier d'acheter du beurre et des œufs.

Encore une fois, ne réduisons pas l'ouvrier à l'état d'ilotisme. Faisons pour lui quelque chose. L'agriculture est assez riche pour se passer de ces faveurs.

On se plaint de la rareté des capitaux, de la hauteur des intérêts. Il ne faut pas aller bien loin pour s'en rendre compte.

D'où viennent la rareté des capitaux et la hauteur des intérêts ? Cela tient uniquement à ce que les cultivateurs ont, par suite de la cherté des denrées, reçu des sommes considérables qui sont restées dans leurs coffres. L'agriculture n'est pas en souffrance, c'est l'industrie la plus prospère du pays.

(page 198) Lorsque je vois le peuple dans cet état de souffrance, il m'est impossible de l'accroître au profit de l'agriculture qui est dans un état de prospérité remarquable.

Avant tout, le peuple ! Puis après viendra l'agriculture.

Quand à son tour l'agriculture sera en souffrance, je serai le premier à demander protection pour elle, et mon vote ne lui manquera pas. Mais je regarde comme un devoir impérieux de ne pas faire prévaloir l'intérêt de l'agriculture sur celui de l'ouvrier qui a bien plus de droits à notre sollicitude.

Je me bornerai à ces observations, et j'aurai l'honneur, quand nous en viendrons aux articles, de proposer quelques articles additionnels pour remédier aux abus que j'ai signalés et que tout le monde connaît en Belgique.

Je vous ai montré où nous mèneraient les théories funestes que l'on veut faire prévaloir dans ce pays. Je vous ai montré que ces théories ne sont pas admises même en Angleterre, qu'en Angleterre il n'y a pas d'apparence de libre échange si ce n'est dans les mots ; que de fait le tarif anglais est la condamnation la plus manifeste de ce prétendu libre échange. Il est temps, messieurs, d'abandonner ces théories insensées pour en revenir à un système pratique ; il est temps de songer au peuple dont les souffrances sont bien propres à nous émouvoir, il ne suffit pas d'écrire dans la Constitution que tous les pouvoirs émanent de la nation, si la nation meurt de faim sans être secourue par ceux qu'elle a députés pour la représenter et la défendre. Vous voterez donc la prohibition de sortie des céréales et avec elle les mesures contre l'agiotage que le pays réclame de toutes parts et qu'il importe de faire cesser.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, toute la discussion est concentrée sur l'article 2, qui maintient la prohibition a la sortie des denrées alimentaires. Tous les orateurs que vous avez entendus dans la séance d'hier et dans celle d'aujourd'hui, sont d'accord pour proclamer les avantages de la libre entrée la plus complète de toutes les denrées alimentaires.

En ce qui concerne l'article 2, je ne puis m'associer ni aux attaques dont il a été l'objet dans la séance d'hier, ni à la défense que vous en avez entendue dans la séance d'aujourd'hui.

Nous avons, messieurs, à examiner impartialement quels sont les faits ; car c'est l'examen des faits qui doit nous guider dans les mesures législatives que nous sommes appelés à prendre.

Ces faits paraissent évidents aux orateurs qui ont parlé dans la séance d'hier et ils paraissent non moins évidents à l'honorable orateur qui vient de se rasseoir. Cependant leurs conclusions sont diamétralement opposées. Pour ma part, je crois que la judicieuse observation des faits n'est ni d'un côté ni de l'autre.

Est-il vrai que la prohibition à la sortie a eu pour résultat de faire monter le prix des denrées alimentaires en Belgique à un taux plus élevé que dans les pays voisins ? Est-il vrai que le résultat de cette prohibition a été, au contraire, de donner à la Belgique les avantages des prix moins élevés ? Il y a ici lieu de distinguer, et cette distinction a été parfaitement prévue dès l'année dernière par ceux-là mêmes, et j'étais du nombre, qui tout en reconnaissant les inconvénients de la prohibition, la subissaient cependant comme une mesure nécessaire par suite des circonsiances politiques. On avait parfaitement prévu ce qui est arrivé. On avait dit que le résultat de la prohibition devait être et est toujours d'abaisser momentanément les prix, mais pour arriver plus tard à une hausse inévitable. Les faits ont donné parfaitement raison à cette opinion.

Depuis le mois de janvier jusqu'au mois de juin, c'est-à-dire alors que la Belgique consommait les produits de sa propre récolte, la Belgique a eu des prix inférieurs à ceux de l'Angleterre et de la Hollande, pays de complète liberté. Depuis le mois de juillet jusqu'à présent, alors que les approvisionnements intérieurs commençaient à s'épuiser et qu'on sentait le besoin de s'approvisionner au-dehors, nous avons vu les prix monter successivement et monter en Belgique d'une façon plus considérable que dans les pays voisins.

J'ai sous les yeux, messieurs, un relevé des prix moyens par mois en Belgique, en Angleterre et en Hollande.

Voici ce relevé : (ce relevé n’est pas repris dans la présente version numérisée)

M. Dumortier. - Et en France ?

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je n'ai pas les calculs pour la France. D'ailleurs l'exemple de la France pourrait être difficilement invoqué, parce que, comme on l'a reconnu hier, il existé en France des zones très différentesi que vous avez d'un côté des prix relativement très bas, de l'autre des prix très élevés et qu'il est fort difficile d'arriver à une moyenne exacte.

Les pays avec lesquels la comparaison, au point de vue des effets de la prohibition, peut être utilement établie sont l'Angleterre et la Hollande d'une part et la Belgique de l'autre.

Je crois donc, messieurs, que l'honorable M. Osy et l’honorable M. Moreau sont allés trop loin dans la séance d'hier, en disant que la Belgique a eu constamment (car ils n'ont pas distingué) des prix plus élevés que ceux des pays où la liberté complète des transactions existe ; et que l'honorable M. Dumortier a aussi commis une erreur en signalant les prix de Belgique comme constamment moins élevés.

M. Dumortier. - J'ai parlé du département du Nord, et ce que j'ai dit est exact.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Voici, messieurs, la moyenne des dix premiers mois de cette année.

Pour la Belgique, fr. 32-12.

Pour l'Angleterre, fr. 31-63.

Pour la Hollande, fr. 32-43.

Cette moyenne vous prouvera qu'en définitive, s'il y a pour la Belgique un léger désavantage sur l'Angleterre, ce désavantage est à peine perceptible. C'est la conclusion à laquelle je voudrais voir arriver la Chambre tout entière : c'est que nous ne sommes pas maîtres de faire les prix.

Par suite du mouvement incessant du commerce, surtout ayant à nos portes les deux nations les plus commerçantes en matière de grains, nous subissons constamment, que nous le voulions ou que nous ne le voulions pas, l'influence des prix tels qu'ils sont fixés surtout par l'Angleterre.

Ainsi, messieurs, pour la moyenne des dix premiers mois, l'Angleterre a un léger avantage sur nous ; mais en Hollande la moyenne est plus élevée que chez nous.

Les résultats définitifs ont donc été bien peu concluants ; ou ne peut s'en prévaloir ni pour l'un ni pour l'autre système. En présence des graves considérations qui, déjà l'année dernière, militaient en faveur de la prohibition, le gouvernement et la législature ont donc été bien inspirés en accordant cette satisfaction à l'opinion publique.

Au point de vue des principes, messieurs, ce n'est pas d'aujourd'hui que j'ai l'honneur de le faire connaître à la Chambre, je suis partisan de la liberté la plus complète du commerce des grains. J'ai toujours soutenu ce système, je le soutiens encore aujourd'hui en principe, et dans son application aux époques normales.

Mais je tiens compte des circonstances. Je suis aujourd'hui convaincu, comme je l'ai toujours été, que la liberté et la sécurité laissées au commerce des grains sont seules capables de nous donner ce que j'appellerai une moyenne, c'est-à-dire de prévenir les prix trop bas, qui pourraient compromettre l'agriculture, et les prix trop élevés, qui sont une calamité pour les consommateurs. Le meilleur moyen d'équilibrer les intérêts du producteur et du consommateur, c'est la liberté du commerce des grains. Telle est ma conviction, et cette conviction est demeurée entière. Mais, je le répète, ce n'est pas un motif pour regretter le vote que j'ai émis l'année dernière, vote favorable à la prohibition.

Aujourd'hui, ministre et sentant toute la responsabilité qui pèse sur le gouvernement, en présence des besoins de la classe ouvrière, je suis plus tenté que jamais de maintenir la prohibition à la sortie.

On a cherché, dans la séance d'hier, à faire au gouvernement une espèce de crime de céder à la pression de l'opinion publique. Le premier devoir du gouvernement est, sans doute, d'éclairer l'opinion publique ; mais nous savons tous que ce n'est point là l'œuvre d'un jour. Il est bon d'éclairer l'opinion publique, et à ce point de vue je ne regrette pas les discussions auxquelles on se livre sur ces questions ; pourvu qu'elles se fassent, comme elles se font en réalité, loyalement et dans le but de trouver un soulagement à la misère du peuple, ces discussions sont utiles, et c'est au moyen de la publicité de ces débats qu'on parviendra à éclairer les populations.

Mais nous sommes en présence d'une opinion qui a le droit d'exercer sa pression sur le gouvernement comme sur les Chambres. Nous pouvons, sans rougir, subir cette pression lorsqu'elle s'exerce avec calme et d'une manière parfaitement convenable, tout en faisant des vœux pour que l'opinion publique se modifie.

Toutefois, messieurs, il est à remarquer que, sous ce rapport, nous n'avons pas fait de progrès depuis l'année dernière.

Les honorables MM. Moreau et Osy, disaient hier : L'expérience est là ; elle a parlé. Tout le monde voit aujourd'hui les inconvénients de la prohibition.

Messieurs, je cherche en vain où ces conversions ont eu lieu. Est-ce dans la Chambre ? Les opinions y sont demeurées les mêmes. Est-ce dans la presse ? Les journaux qui l'année dernière étaient partisans de la liberté sont encore partisans de la liberté et ceux qui en étaient les adversaires en sont encore les adversaires aujourd'hui. Est-ce dans les chambres de commerce et dans les commissions d'agriculture ? Je suis presque peiné de le dire, mais c'est un mouvement inverse qui s'est opéré. Dans la plupart des chambres de commerce et des commissions d’agriculture, les idées ont évidemment une tendance plus ou moins hostile à la liberté du commerce des céréales. Je ne donne pas à cettte manière de voir le caractère d'une opinion normale et dirigée contre (page 199) la liberté commerciale en général. Ces collèges ont subi comme nous l’influence des faits ; ils sont dominés par les circonstances.

Je constate seulement que le langage des chambres de commerce et des commissions d'agriculture est, cette année, beaucoup, plus prohibitif qu'il ne l'était l'année dernière.

Voilà, messieurs, pour le pays.

Au-dehors je remarque la même tendance. Beaucoup de pays qui, l'année dernière ne songeaient pas à la prohibition, l'appliquent cette année.

Cela nous amène à nous demander s'il n'y a pas là un motif spécial de nous faire décréter de nouveau cette mesure aujourd'hui.

Quand on combat la prohibition à la sortie, on le fait, et avec raison, en thèse générale, à ce point de vue, que la prohibition, en enlevant aux transactions commerciales leur liberté, a par cela même pour conséquence de les restreindre dans leurs résultats.

Cela est vrai, messieurs, mais, cette année le commerce n'a, malheureusement, pas à remplir un très grand rôle dans notre approvisionnement. Dans la plupart des pays la récolte est en déficit tout aussi bien qu'elle l'est en Belgique. Dans les pays qui nous fournissaient ordinairement des céréales, il existe aujourd'hui des motifs de force majeure, qui les empêchent de nous approvisionner.

Il ne reste, à peu près, que les seuls Etats-Unis qui puissent procurer des grains au reste du monde. Nous avons quelques importations encore du Nord, de la Suède, du Danemark, quelques-unes très insignifiantes de l'Espagne ; mais il n'y a réellement qu'un seul marché où l'Europe, en déficit, puisse aller s'approvisionner, ce sont les Etats-Unis.

Nous avons donc moins à espérer du commerce que l'année dernière, où, en général, les récoltes avaient été heureuses dans la plupart des contrées.

D'un autre côté, messieurs, le commerce aura cette année un stimulant qu'il n'avait pas l'année dernière, ce sont les prix élevés. C'est là ce qui décide ordinairement les arrivages, en offrant la perspective d'un bénéfice raisonnable.

Un autre motif encore pour que le commerce remplisse un certain rôle et un rôle avantageux au pays, c'est que ses opérations présentent cette année un caractère moins aléatoire. Il doit être prouvé à peu près pour tous que celle année-ci les prix éprouveront peu de fluctuations, surtout dans le sens de la baisse.

Je voudrais pouvoir espérer le contraire ; mais, d'après toutes les prévisions, il est à croire que les prix se maintiendront.

Il y a donc des motifs pour que le commerce ne soit pas, cette année, autant qu'on peut le supposer à une époque normale, entravé par la prohibition à la sortie.

Il y a donc, cette année-ci, des motifs qui n'existaient pas l'année dernière, pour que la prohibition, introduite pour 1855, soit maintenue dans notre législation sur les denrées alimentaires pour 1856.

Celte législation est-elle si étrange ?

D'autres pays, ainsi que je le disais tout à l'heure, ont, cette année, suivi l'exemple de la Belgique. On peut appeler ce système un système bâtard, comme l'a fait l'honorable M. Moreau. Il est évidenl que ce système peut ne pas paraître rigoureusement conséquent ; il décrète d'un côté la liberté d'entrée ; et d'autre part, dit-on, il entrave le commerce des grains par la prohibition.

Il se peut que cela soit plus ou moins contradictoire au point de vue des principes ; mais il faut voir les faits, il faut compter même avec les préjugés ; ce système nous est imposé par la nécessité, et nous ne pouvons pas plus nous soustraire à cette situation que bien d'autres pays.

L'article 2, relatif à la prohibition, a été défendu, en termes, du reste, fort éloquents, par mon honorable ami M. Dumortier. Cependant je ne puis pas m'associer à toutes les idées qui ont été émises par mon honorable ami. L'honorable membre, très consciencieusement, n'est pas partisan de la liberté du commerce des grains ; pour ma part, je suis partisan de cette liberté, et j'espère que mon honorable ami voudra bien reconnaître à mon opinion le même caractère consciencieux.

Mossieurs, je ne veux pas entrer ici dans une discussion avec mon honorable ami sur la liberté commerciale en général ; je veux rester dans le débat particulier relatif aux denrées alimentaires.

L'une des causes de la différence d'opinion entre l'honorable M. Dumortier et moi, c'est que, d'après lui, il n'existe pas de déficit. Messieurs, il me serait sans doute extrêmement agréable de pouvoir me bercer de l'illusion dont se berce mon honorable ami ; mais, selon moi, ce n'est qu'une illusion.

Les relevés statistiques qui ont été faits par le gouvernement sont des documents rédigés avec le soin le plus minutieux, et qu'il serait difficile de rencontrer plus complets dans aucun pays.

Et ici je suis bien aise de pouvoir donner quelques explications sur notre statistique agricole, parce que dans le pays, comme dans la Chambré, on n'attache pas en général a ces travaux de statistique l’importance qu'ils devraient avoir aux yeux de tous.

Voici comment s'exécute en Belgique le travail relatif à cette statistique. On ouvre d’abord une enquête administrative, pour connaître l'étendue des terrains cultivés. Cette enquête se fait par les administrations communales ; les résultats en sont ensuite comparés avec ceux du recensement de 1846 et du cadastre.

Quant à la constatation du produit même de nos récoltes, l’enquête est bien plus exacte encore. Vous le savez, messieurs, nous avons sous ce rapport une organisation très complète en Belgique. Il existe dans toutes nos provinces des comices agricoles.

Ces comices sont composés d'hommes très compétents en agriculture, d'hommes qui s'occupent spécialement, par vocation ou par position, de ces sortes de questions. Nous avons ensuite dans chaque province une commission d'agriculture. Ces commissions sont presque toutes composées des présidents ou des membres les plus influents des comices agricoles, de manière que les travaux du corps inférieur sont dirigés et ensuite contrôlés par le corps supérieur.

Ces travaux sont ensuite examinés par les gouvernements provinciaux et par des hommes particulièrement connus pour s'occuper de ces matières, à qui le gouvernement soumet en dernière analyse les résultats des enquêtes qui ont été faites par les comices agricoles et les commissions d'agriculture. Je le répète donc, il serait fort difficile qu'une erreur un peu importante fût commise, ou s'il y en avait une, qu'elle ne fût pas révélée à l'instant même et redressée.

On peut dire hardiment que peu de pays au monde offrent une statistique aussi complète de la situation agricole que la Belgique. Et cependant c'est un point d'une extrême importance. Lorsque le gouvernement, par l'intermédiaire de ses agents diplomatiques ou consulaires fait demander des renseignements sur la récolte dans les pays étrangers, il lui est fort difficile d'obtenir des informations tant soit peu complètes pour la plupart de ces pays.

Les réponses des gouvernements étrangers sont très souvent évasives ou même impliquent parfois l'aveu de leur impuissance à fournir les renseignements demandés.

En Angleterre, dans ce pays de la statistique par excellence, la statistique agricole, quoique la plus importante de toutes, est fort négligée.

Cela est tellement vrai qu'il est question de présenter d'ici à très peu de temps un bill destiné à organiser une statistique agricole. Déjà, une enquête a été ordonnée par la chambre des lords, et, suivant ce qui se pratique ordinairement dans ce pays, un bill ne tardera probablement pas à être soumis aux délibérations du parlement.

Dans les vues du gouvernement anglais qui sont déjà connues, la statistique agricole se ferait en Irlande par l'intermédiaire de la police locale ; en Angleterre par les bureaux des pauvres, et en Ecosse par une espèce de commissions d'agriculture, organisées à plusieurs degrés et à peu près dans le genre de celles qui existent en Belgique.

Ainsi, en fait, la statistique agricole n'est pas encore organisée en Angleterre, tandis que chez nous, on peut le dire à la gloire du pays, cette statistique est organisée, et ses résultats sont aujourd'hui plus complets qu'ils ne le sont dans aucune autre contrée de l'Europe.

Or, les résultats de notre statistique agricole peuvent se résumer dans cette conclusion : c'est que cette année il y a pour la Belgique un déficit très considérable. On pourrait dès lors dire que la hausse qui se manifeste, en présence surtout de la difficulté des approvisionnements, n'est pas malheureusement aussi factice que le prétend l'honorable M. Dumortier.

Pour les pommes de terre le maintien de la hausse s'explique plus difficilement. Il y a une telle abondance de ce produit qu'on ne se rend pas bien compte du maintien du prix élevé de ce produit. Beaucoup de personnes se livrent à l'espoir rassurant que le prix des pommes de terre baissera, et j'en accepte volontiers l'augure.

Pour les grains on ne peut malheureusement pas soutenir, en présence des faits, que la hausse est factice. Je voudrais pouvoir me dispenser d'un tel aveu ; mais il n'y a pas là d'indiscrétion dangereuse, le pays connaît sa situation. Si nous ne devons pas assombrir le tableau : nous ne devons pas non plus entretenir au sein de nos populations des illusions qui amèneraient des mécomptes d'autant plus terribles.

Il y a, du reste, des motifs de nous rassurer. Les pommes de terre par leur grande abondance peuvent certainement venir en aide à la situation de la classe ouvrière et servir à combler le déficit des grains.

D'un autre côté, nous savons que la consommation du riz a singulièrement augmenté dans notre pays. Nous savons aussi qu'en temps de cherté, comme aujourd'hui, la consommation des céréales malheureusement se ralentit un peu, de façon que le déficit ne se fera pas sentir autant que dans un moment de grande abondance et de grande consommation relative.

Le déficit existe donc et le gouvernement espère qu'à l'aide d'autres produits de l'agricullure, d'autres denrées alimentaires dont la consommation augmente d'année en année, il sera moins sensible qu'on ne serait porté à le croire si on ne consultait que les chiffres.

La crise que nous traversons aura, d'ailleurs, produit ce résultat : c'est qu'on s'est livré à des essais, tous les jours plus heureux, de panification nouvelle au moyen de diverses substances mélangées avec les céréales. Ces essais seront encore un moyen très puissant de combler indirectement le trop grand déficit laissé par la récolte des grains.

Je ne puis pas me rallier à quelques autres observations présentées par mon honorable ami M. Dumortier relativement au commerce intérieur des grains du pays.

Mon honorable ami nous annonce l'intention de déposer une proposition tendante à frapper d'une patente fort élevée les commissionnaires en grains.

Il a parlé de dangers, d'abus scandaleux. Je pense qu'il y a une grande (page 200) exagération dans la manière de voir de mon honorable ami ; je crois que les dangers et les abus, dont il nous a entretenus, ne sont ni aussi nombreux ni aussi scandaleux qu'il le dit.

Il y a pour le commerce des grains des intermédiaires ; mais il n'y a pas plus lieu de s'en plaindre pour le commerce de grains que pour les autres genres de commerce. Ces intermédiaires sont nécessaires dans l'organisation du commerce. Mon honorable ami les considère comme un mal, moi je les considère comme un bien. Ce sont les courses et les démarches de ces commissionnaires qui provoquent la circulation, le mouvement commercial, et amènent sur les marchés les grains nécessaires à la consommation. Dans ce moment, ce commerce est plus nécessaire encore que dans les époques normales.

Que dit-on dans les pétitions ? Que les paysans ne s'empressent pas de venir au marché, parce qu'ayant gagné quelque argent les années précédentes, ils peuvent attendre, qu'espérant des prix plus élevés ils ne se pressent pas. Eh bien, il faut les engager à vendre, qui le fera ? Le commerce. Ce commerce, pourvu qu'il reste dans les bornes d'un commerce loyal, doit être encouragé. Si parmi ceux qui s'y livrent, il en est qui vont par des demandes non sérieuses séduire les paysans, qui vont les engager à ne pas vendre encore, qui vont même les arrêter aux portes des villes, les engager à retourner chez eux et attendre des prix plus élevés, ceux-là sont coupables, et je flétris, avec l'opinion publique, leurs manœuvres odieuses.

Dans le commerce honnête de commission, je ne vois pas plus un abus que je ne vois l'accaparement dans le commerce en grand ; j'y vois, au contraire, une chose utile et nécessaire. Le commerce intérieur, comme le commerce extérieur, doit, selon moi, être abandonné à toute sa liberté.

D'ailleurs, s'ils font réellement un commerce, ils doivent payer une patente.

Mais supposez que vous leur fassiez payer une patente beaucoup plus forte, sur qui en définitive pèsera-telle ? Sur le consommateur. Ces agents retrouveront sur le prix de la vente la somme payée du chef de la patente, et au lieu d'amener ainsi une baisse dans les prix, vous contribuerez indirectement à une hausse.

Mon honorable ami M. Dumortier a parlé aussi de l'établissement des marchés aux grains le même jour, dans toute la Belgique. Cette idée n'est pas nouvelle, elle circule dans le pays et dans, un pays voisin depuis un certain nombre d'années. Ce projet a été instruit de la façon la plus complète en France et dans ce pays. En France, après une étude minutieuse faite par voie administrative, on y a reconcé.

En Belgique, toutes les chambres de commerce, les commissions d'agriculture, les administrations provinciales ont été contraires à l'établissement d’un marché aux grains le même jour dans tout le pays. Il y aurait, d'ailleurs, impossibilité d'appliquer cette idée, parce qu'aujourd'hui déjà il ne faut pas s'imaginer que la majeure partie des ventes se fassent aux marchés ; elles se font dans les estaminets, dans les cabarets.

D'ailleurs, figurez vous l'immense perturbation que produirait, dans le pays, la fixation d'un jour spécial pour le marché aux grains. Aujourd'hui ces jours de marché sont consacrés, non seulement à la vente des céréales, mais en même temps aux transactions relatives à tous les produits de l'agriculture et de l'industrie.

Les négociants qui vont faire ces transactions de tous genres, se rendent d'ordinaire d'un marché à un marché voisin et ne reviennent à leur domicile qu'à la fin de la semaine.

En fixant tous les marchés an même jour, vous les entraveriez dans leurs opérations. Vous troubleriez le commerce de toutes les localités.

Mon honorable ami M. Dumortier voudrait voir étendre la prohibition de sortie aux œufs et au beurre ou au moins frapper ces objets d'un droit tel, que la sortie, je suppose, en fût impossible. L'agriculture, dit-il, est assez riche. Mon honorable ami voudra bien distinguer entre agriculture et agriculture.

Sans doute les gros fermiers qui sont en même temps propriétaires, les grands cultivateurs ont fait de bonnes affaires et leur aisance s'est singulièrement accrue ; mais il n'en est pas de même des petits cultivateurs. Ceux-là sont dans une position très difficile ; on constate même qu'ils tendent de jour en jour à disparaître, pour descendre à la condition d'ouvriers agricoles.

Or, ces œufs, ce beurre sont presque tous livrés à nos marchés des Flandres par nos petits cultivateurs. On peut dire, sans crainte de se tromper que la vente des œufs, du beurre et des lapins a sauvé les petits cultivateurs des Flandres pendant ces dernières années si calamiteuses.

Aujourd'hui si vous empêchez l'exportation de ces produits, ou si vous imposez de forts droits à la sortie, dans le but d'en entraver l'exportation, vous aurez déplacé le mal : pour soulager la petite bourgeoisie des villes, vous jetterez dans une misère infaillible, inévitable, toute la population des petits cultivateurs des Flandres. Or, la position de ces cultivateurs exerce, par une réaction naturelle, une influence décisive sur la situation du commerce et de l'industrie des villes.

D'ailleurs pour cette saison, qui est celle dont nous devons surtout nous préoccuper, la mesure viendrait trop tard. L'exportation a déjà eu lieu ; pour le beurre, les provisions sont exportées ; les approvisionnements ont été faits. Ainsi vous n'atteindriez pas le but que vous vous proposez.

Au reste, nous avons été heureux de voir s'établir, avec l'Angleterre, ces relations qui ont été fructueuses pour la Belgique en général, et surtout pour quelques-unes de ses provinces.

Ce n'est pas aujourd'hui que, pour un avantage problématique nous devons rompre ces relations au risque de les voir se déplacer. Il est d'une bonne politique de persister dans le système actuel.

Si ce n'était pas comme ministre, ce serait comme député des Flandres que je demanderais le maintien de ces relations dont j'apprécie toute l'importance.

Messieurs, j'ai rencontré, je pense, toutes les observations faites par mon honorable ami, dans la séance d'aujourd'hui, ainsi que les principales observations faites dans la séance d'hier par les honorables MM. Moreau et Osy. Je persiste à croire que la Belgique, dans les circonstances actuelles, sous l'impression du vœu manifeste de la population belge, ne peut se départir du régime que nous avons inauguré l'année dernière, et que les circonstances nous obligent à maintenir.

M. de Haerne. - L'honorable ministre de l'intérieur vient de nous dire que, dans les circonstances ordinaires, il est partisan de la liberté du commerce des céréales Je suis persuadé que cette opinion est très consciencieuse de sa part ; il a défendu ce système avec loyauté, avec franchise. Mais il admettra que nous aussi nous sommes sincère dans notre opinion, lorsque nous venons déclarer à la Chambre et au pays que cette thèse, dans sa généralité, n'est pas admissible.

Quoi qu'on fasse, il y aura toujours un temps où il faudra bon gré mal gré en venir à la prohibition de la sortie des céréales. Ce qui se passe aujourd'hui en est la preuve évidente. Je n'aurai pas besoin d'entrer dans de longues explications à cet égard.

Quelle est la conséquence naturelle de cet état de choses ? C'est que pour ne pas essuyer de reproches de la part des défenseurs de l'agriculture, il faut d'autres mesures en temps de crise agricole ; lorsque l'agriculture périclite, il faut la soutenir, la protéger. Voilà ma devise, mon système, tel que je l'ai toujours défendu : prohiber aujourd'hui à cause du peuple qui est dans le besoin, protéger l'agriculture lorsqu'elle se trouve dans la même situation calamiteuse.

On a beaucoup parlé des prix qui se sont présentés pendant un certain nombre d'années dans les divers pays qui nous environnent ; ou a établi des comparaisons avec les nôtres.

On a cité, en dernier lieu, les prix de l'Angleterre et de la Hollande ; on a remarqué que les prix avaient été d'abord plus élevés dans ces pays que dans le nôtre, et qu'ensuite ils ont été plus bas. L'on a dit que cet état de choses était la conséquence de la prohibition de sortie qui existe en Belgique et de la liberté qui existe dans les premiers pays. Je ne puis admettre cette dernière conséquence ; car si c'était le résultat de la prohibition, cela devrait s'appliquer à la France, où il y a prohibition de sortie par suite de l'échelle mobile. Or vous savez qu'en général, en France, les prix ont été inférieurs aux prix de l'Angleterre et de la Hollande, soumises au régime de la libre sortie.

On a parlé de zones quant à la France ; mais cela ne peut pas renverser mon raisonnement, car en quoi consistent ces zones ? En ce que, dans certaines circonstances, dans certaines localités une exportation partielle est permise ? Mais il n'en est pas moins vrai que la prohibition a généralement régné en France, à de petites exceptions près.

Dans tous les cas, la véritable question qui nous occupe est de savoir si, avec la liberté d'exportation, nous aurions eu des prix supérieurs à ceux que nous avons eus, quelle que soit notre situation comparativement à celle des autres pays. Et je n'hésite pas à dire que certainement nous aurions eu, si la prohibition de sortie n'avait pas existé, des prix plus élevés que ceux qui existent.

En faut-il d'autre preuve que ce qui s'est passé dans cette Chambre ? Que disait-on l'année dernière à ceux qui demandaient la prohibition ? On leur disait que la prohibition de sortie devait avoir pour conséquence infaillible d'empêcher les importations. Cela ne s'est pas vérifié, c'est tout le contraire qui a eu lieu. En janvier dernier, il y a eu une baisse assez forte dans les importations. Aussitôt l'on s'est écrié dans tout le pays : Voilà l'effet de ces prohibitions ! Nos prédictions, disaient les libre-échangistes, se vérifient. Ce n'était pas cependant l'effet de la prohibition ; car cela se présentait dans une proportion plus forte dans d'autres pays qui étaient sous le régime de la liberté. Comparativement à ce qui se passait chez nous, les importations étaient bien moins fortes en Angleterre qu'au mois correspondant de l'année précédente. Donc ce résultat ne devait pas être attribué à la différence du régime douanier mais à l'insuffisance et à d'autres causes générales. Si l'Angleterre en temps normal reçoit plus que nous, cela est dû à la richesse commerciale à l'aisance qui règne dans ce pays et à l'infériorité de la Belgique son ce rapport. L'année dernière 32,528 navires d'un tonnage de 7,899,741 et dont plus de la moitié appartiennent à l'Angleterre, ont été engagé dans le commerce extérieur de ce colossal empire. Par suite d'un système sagement protecteur adopté aujourd'hui dans ce pays et par suite des droits différentiels qui favorisent ses relations avec les colonies qui lui appartiennent, la masse de ces navires entraînés dans le courant de (page 201) ces relations, ont pris souvent des vivres pour chargement, et ces cargaisons attirées par des avantages de douanes devaient se diriger de préférence vers le Royaume-Uni, qui recevait ainsi de première main toutes ces provisions de bouche. L'opulence et les besoins du pays ainsi que les frais d'un nouveau transport les retenaient pour plus des neuf dixièmes dans les ports de la Grande-Bretagne, qui, grâce à son immense cabotage, les répartissait aussi très facilement. Ce cabotage, en 1854, a occupé 129,031 navires, dont 341 étrangers seulement, d'un tonnage total de 12,808,590. Qu'on cesse, en considérant ces gigantesques moyens d'importation et de transport intérieur, de faire une comparaison entre ce fabuleux pays et la Belgique.

Voilà ce qui explique les avantages de l'Angleterre relativement à notre pays, ainsi que certaines différences quant aux importations et quant aux prix. Mais il reste toujours vrai de dire que, sans la prohibition, les prix eussent été chez nous plus élevés qu'ils ne l'ont été. Evidemment l'immense marine d'Angleterre, qui, d'après son organisation, doit manœuvrer dans l'intérêt britannique, nous aurait encore enlevé une quantité de denrées alimentaires. D'autres pays en auraient fait autant. Nous avons donc bien fait de conserver nos blés, en évitant les excès de la spéculation.

Tout à l'heure, mon honorable ami, M. Dumortier, vous a dit un mot de certains abus, que l'esprit de spéculation produit aujourd'hui dans le commerce des grains, et, selon moi, il les a blâmés avec beaucoup de raison.

D'après ce que j'ai vu, messieurs, d'après ce que j'ai entendu dans beaucoup de localités, c'est là une véritable lèpre pour le pays, et je serai toujours disposé à donner, dans la mesure du possible et du raisonnable, les mains à tous les moyens qui viendraient entraver ce trafic odieux.

Nous avons restreint l'agiotage en ce qui concerne les actions des chemins de fer concédés ; à plus forte raison nous devons l'enchaîner quand il s'agit d'un commerce sur lequel repose l'existence du peuple, qui est pour nous la première loi.

J'admets, messieurs, l'article premier tel qu'il a été présenté et amendé par M. le ministre de l'intérieur. Je voudrais cependant y joindre aussi la prohibition de l'orge, mais nous aurons à revenir sur ce point lorsqu'il s'agira de cet article.

On vous a parlé d'un droit à établir sur les œufs et sur le beurre à la sortie.

L'honorable ministre de l'intérieur, toujours consciencieux, toujours conséquent avec les principes qu'il a émis autrefois, s'élève contre l'idée émise à cet égard par l'honorable M. Dumortier.

Messieurs, je dois le dire, dans la section dont je fais partie, moi aussi j'ai voté pour un droit sur le beurre et les œufs à la sortie. L'une des raisons que j'ai alléguées est celle-ci : c'est qu'en Angleterre on perçoit aujourd'hui même un droit sur les œufs et sur le beurre à l'entrée.

Savez-vous, messieurs, quelle est la somme que l'Angleterre a reçue l'année dernière sur ces articles seulement ? Elle a reçu 3,600,000 fr. Eh bien, je pense que si un pays qui se dit libre-échangiste ne croit pas tomber dans une inconséquence en faisant ce qu'on appelait hier une espèce d'expropriation aux dépens du consommateur, nous ne devons pas reculer devant cette prétendue expropriation à l'égard du producteur. Je crois que nous pouvons en touit sûreté de conscience en agir ainsi.

On dit : Vous allez frapper les petits cultivateurs dans certaines localités. Messieurs, s'il s'agissait de la prohibition, je dirais que l'on peut avoir raison. Mais il s'agit seulement d'une restriction qui fera baisser quelque peu les prix, mais qui certes ne mettra pas les petits cultivateurs dans une position plus gênée que celle où se trouve aujourd'hui l'ouvrier.

Et c'est là toute la question, selon moi. C'est que malgré ce petit sacrifice que vous lui imposez, il se trouvera encore dans une position meilleure que celle où se trouve l'ouvrier en général. D'ailleurs remarquez, messieurs, que les petits cultivateurs, toujours pressés de faire de l'argent, vendent leur beurre et leurs œufs du mois d'août au mois d'octobre, lorsque ces denrées sont au meilleur marché. Cette année il y a 20 p. c. de différence entre les prix d'alors et ceux d'aujourd'hui. Le droit en élevant le prix des produits exportés fera acheter davantage à l'époque du bon marché. Les prix se relèveront à cette époque, à laquelle le pauvre vend, et par là il n'y perdra pas. La cherté arrivant plus tard, le droit restreindra l'exportation et le but sera atteint.

L'honorable ministre de l'intérieur a eu, selon moi, parfaitement raison de vous dire qu'il s'opposerait à la prohibition ou à la restriction de l'exportation des lapins. J'adopte son opinion à cet égard pour une raison toule spéciale : c'est que l'élève du lapin en grand est une industrie tout à fait nouvelle et qui a surgi par suite des grands besoins de l'immense ville de Londres et des facilités de communication établies avec elle. Or, du moment que vous prohiberiez cet aliment de la classe ouvrière de Londres, cette poule au pot de l'ouvrier anglais, savez-vous ce qui arriverait ? Vous supprimeriez l'élève du lapin.

C'est à Londres que cet aliment se vend. Le peuple flamand ne mange pas le lapin, ce n'est pas le mets du dimanche ou la poule au pot du flamand, pour me servir du mot du bon Henri. Ainsi prohiber la sortie du lapin, ce serait de gaieté de cœur perdre un avantage que vous possédez maintenant. On nourrit d'ailleurs, cet animal avec des racines et des herbes, perdues souvent sans cela ou employées comme engrais.

Je dois un mot de réponse à certaines insinuations qui ont été faites hier.

On a paru dire que nous cédions à une certaine pression du dehors. Messieurs, je n'hésite pas à le dire, si je n'étais pas convaincu que la mesure proposée est bonne, et utile au point de vue de l'intérêt général du pays, je ne caresserais pas ce que j'appellerais des préjugés populaires ; je croirais que c'est un danger pour le pays que de laisser subsister et de fomenter ces préventions.

Mais si d'un côté il ne faut pas céder à une pression populaire, d'un autre côté il faut rester dans le vrai, il faut être juste envers tout le monde, et lorsqu'on a une opinion consciencieuse, il faut savoir la défendre.

S'ensuit-il, messieurs, que je pense que les mesures proposées doivent amener un bon marché considérable dans les céréales, dans les denrées en général ? Je ne vais pas jusque-là ; mais je dis que j'ai la conviction profonde que ces mesures amèneront une amélioration dans la situation de la classe populaire, et cette amélioration, quelle qu'elle soit, me suffit pour que je me prononce en faveur de la restriction à la sortie.

Messieurs, il faut bien le dire, la cherté des moyens de subsistance est une calamité publique ; c'est un malheur, c'est un fléau du Ciel. En 1845, Robert Peel, parlant au parlement anglais de la maladie des pommes de terre, disait que c'était une épreuve de la Providence, « a great Visitation of Providence ». Ces paroles, nous pouvons les répéter ; nous devons les faire comprendre au peuple. Oui, c'est un malheur auquel nous devons nous résigner ; mais pour faire pénétrer cette vérité dans les masses et pour qu'on nous croie sur parole, lorsque nous prêchons la résignation, il faut que nous fassions aussi de notre côté tout ce qui est possible pour atténuer ce malheur.

Pour moi, je n'aurais pas la force de parler au peuple du devoir qu'il a à remplir dans ces pénibles circonstances, si je ne remplissais d'abord le mien qui consiste à m'opposer à la liberté du commerce que d'autres défendent, je l'avoue, tout aussi consciencieusement que moi.

Savez-vous, messieurs, pourquoi je pense que la prohibition est utile ? C'est d'abord parce que par là vous conservez chez vous les bonnes qualités de céréales. Vous savez que la Belgique sous ce rapport excelle parmi tous les pays. C'est qu'ensuite vous n'empêchez pas les importations, cela est prouvé aujourd'hui à l'évidence. C'est encore parce que vous restreignez par là la spéculation dans des limites raisonnables.

A cet égard, nous avons vu, il n'y a pas longtemps, dans les journaux français, des détails très curieux qui s'appliquent non seulement au commerce des grains, mais au commerce en général et notamment au commerce du sucre. Nous avons eu un exposé extrêmement lucide de la manière dont se fait la spéculation et l'agiotage, nous avons vu comment on joue à la hausse dans cet article comme dans les fonds publics. On dirait que c'est une nouvelle mais bien détestable industrie, qui se développe à la faveur des magnifiques inventions du jour des chemins de fer et des télégraphes électriques. Plus ces abus qu'on fait des meilleures choses s'accroissent, plus nous devous veiller aux mesures propres à les réprimer.

Plus le mal est grand et facile à commettre, plus nous devons songer à y mettre un frein. La liberté n'est pas l'anarchie, elle doit être réglée pour ne pas dégénérer en abus.

Ce qui se fait pour le sucre, se fait aujourd'hui pour les autres denrées, se fait surtout pour les céréales, et je dis que plus un marché est étendu, plus la spéculation s'étend de son côté. Il importe donc de la restreindre dans les limites de la justice et de la raison, et de ne pas abandonner la population sans défense aux étreintes de quelques individus de bas étage qui l'exploitent et la rançonnent dans un esprit de lucre. Cette considération est tellement forte pour moi qu'elle me paraît commander des mesures qui eussent été inutiles autrefois. L'Angleterre, dit-on encore, ne s'inquiète pas de l'agiotage ; elle admet la liberté du commerce inlérieur dans toute son étendue.

Messieurs, je dois le répéter, ces comparaisons entre nations sont rarement exactes.

Hier surtout on s'est appesanti sur la comparaison entre l'Angleterre et la Belgique. Mais on n'a pas fait attention qu'il y a des différences essentielles entre les deux pays. Ainsi, nous avons d’excellent froment, tandis que l’Angleterre qui reçoit des masses de blé étranger, a en général beaucoup de grains médiocres. Il s’ensuit que les mercuriales de l’Angleterre doivent être plus basses que els nôtres, puisque les qualités diffèrent. L’Angleterre a importé l’année dernière plus de 6 millions de quarters, c’est-à-dire plus de 18 millions d’hectolitres de grain et près de 4 millions de farine ; sur cette masse de céréales elle a perçu comme droit plus de 12 millions de francs.

Elle n'a exporté qu’un et un quart (1 1/4) p. c. de ses importations. S'il n'y avait pas de différence quant à la qualité, elle aurait évidemment exporté davantage chez nous surtout, parce que dans certains moments nos prix étaient notablement plus fermes. L'expédistion d'lpswich, dont nous a parlé hier l'honorable M. Osy, prouve que l'Angleterre a exporté en Belgique, ce que personne ne conteste ; mais cela ne prouve pas qu'elle a exporté en raison de ses importations ; ce qu'elle aurait dû faire, si les prix, à valeur égale, avaient été notablement moins élevés chez elle que chez nous.

(page 202) Tout cela fait voir, messieurs, que, dans ces questions compliquées, il faut aller au fond des choses et bien examiner les faits, si l’on ne veut pas être induit en erreur par certaines apparences, par certaines comparaisons.

Pour en "revenir à l'agiotage que tolère l'Angleterre, je dirai aussi que ce trafic est moins dangereux dans ce pays que chez nous, parce que l'Anglais y est plus habitué depuis longtemps, et le connaissant mieux, s'y laisse moins prendre.

La Grande-Bretagne comprend son intérêt, mais c'est à nous de veiller au nôtre et de ne pas nous laisser entraîner inconsidérément par des exemples qui ne s'appliquent nullement à notre situation. Après tout, on ne peut jamais se régler sur l'exemple d'un seul pays.

Ainsi, messieurs, si l'infériorité des prix dépendait de la liberté du commerce, la France ne se serait pas trouvée, sous ce rapport, dans la position où elle est, puisque là aussi la prohibition existe, et que cependant elle a eu des prix moyens constamment inférieurs à ceux de l'Angleterre.

Les Etats-Unis de l'Amérique méritent sans doute aussi d'être consultés, car enfin l'Angleterre et la Hollande ne sont pas les seules nations commerciales du monde ; eh bien, ce grand pays admet la protection, pour les céréales en faisant payer un droit à l'entrée de 20 p. c. à la valeur ; et, pourquoi ? Parce que, malgré leur production extraordinaire en céréales, les Etats-Unis redoutent la concurrence d'autres pays d'Amérique. C'est bien là le système protecteur. Ce pays ne restreint pas la sortie, il est vrai, parce qu'il ne connaît pas la disette. Mais évidemment celui qui entrave l'importation aux époques d'abondance, doit restreindre par voie de conséquence l'exportation, lorsqu'il y a déficit. Voilà un exemple qu'il ne faut pas perdre de vue et qu'on peut bien opposer à celui de l’Angleterre, qu'on nous cite trop souvent comme le seul pays que nous devions suivre. Au fond l'Angleterre est protectrice à sa manière, comme les Etats-Unis, comme la Hollande, ; comme la France et comme la Belgique devrai l'être aussi, en consultant sa situation, son intérêt et ses vrais besoins.

Il me reste un mot à dire du bélail qu'une certaine confusion résultant de la discussion m'avait fait perdre de vue. Je pense, messieurs, qu'un droit pourrait être établi sur ce comestible comme sur le beurre et les œufs ; je rappellerai à cet égard une observation que j'ai lue quelque part et qui m'a paru fondée, c'est qu'il est certain qu'un droit plus ou moins restrictif à la sortie du bétail, du beurre et des œufs, serait plus efficace que les restrictions apportées à la sortie de céréales. Pourquoi ?

Parce que les céréales se conservent et se transportent beaucoup plus facilement que le bétail et surtout que les œufs et le beurre. Quant au bétail, n'est-il pas évident que, si nous voulons rester conséquents avec nous-mêmes, nous devons particulièrement restreindre l'exportation du porc, qui se fait sur une échelle immense.

Nous avons défendu l'exportation des eaux-de-vie distillées avec du grain indigène, afin de conserver le grain pour l'alimentation du peuple.

Nous n'avons permis cette exportation que lorsque la distillation se fait avec du seigle étranger, pour empêcher que le seigle ne s'exportât sous forme d'eau-de-vie. Eh bien, certains bestiaux se nourrissent de substances propres à la nourriture de l'homme. Nous devons donc appliquer à ce bétail la restitution que nous avons appliquée à la distillation, au moins dans une certaine mesure. Je ferais cependant une exception pour le Luxembourg, où l'élève du bétail et surtout du porc constitue une industrie spéciale. :

Ce que je viens de dire est une induction tirée d'un précédent de la Chambre. Quant au bétail, nous n'avons rien à attendre des pays vers lesquels nous l’exportons en masse. La Hollande qui n'a pas besoin de nous sous ce rapport, nous en enverra comme par le passé, à cause de la proximité des lieux et de la facilité des communications.

Je le répète, messieurs, quelle que soit la position des divers pays, quelle que soit la comparaison que l'on puisse faire entre la Belgique et les pays qui l’entourent, toujours est-il que nous devons avant tout consulter notre situation particulière, les circonstances qui se présentent sous nos yeux, et les besoins impérieux que nous éprouvons dans ce moment.

Or, j'ai la conviction profonde et je crois avoir établi par les faits et par les chiffres quc la prohibition amènera un bon résultat. Elle n'amènera ni le bon marché absolu ni une baisse considérable, mais elle amènera une amélioration réelle.

Messieurs, j'aurais le courage de résister à la pression du dehors, si cette pression dépassait les bornes du juste et du vrai ; mais comme j'ai eu l'honneur de le dire tout à l'heure, je pense que, pour empêcher les écarts où les populations pourraient se laisser entraîner, nous devons faire tout ce qui est posssible dans l'intérêt de l'alimentation du peuple ; et pour lui faire comprendre qu'il doit se résigner dans l'épreuve que la Providence lui envoie, pour lui faire comprendre que dans les calamités qui nous affligent tous, il doit voir avant tout le doigt de Dieu, nous devons, par tous les moyens, suivant l'expression de Bossuet, aider la Providence. Aide-toi et Dieu l'aidera !

M. Anspach. - Dans le projet de loi qui nous est présenté, j'approuve tout ce qui tend à encourager, à faciliter l'importation de toutes les substances qui peuvent être employées à l'alimentation, sous quelque dénomination qu'on puisse les introduire. Nous sommes malheureusement en présence d'un deficit anomal, c'esi-à-dire plus grand que celui qui existe ordinairement, déficit annuel régulier, dont nous ne devons pas nous plaindre ; mais au contraire, dont nous devons nous féliciter, puisqu'il prouve que les cultivateurs donnent la préférence, sur les denrées alimentaires, à d'autres produits qui leur procurent des bénéfices plus considérables ; c'est donc une richesse de plus pour le pays et on serait mal inspiré de s'en plaindre.

Nous aurons encore, il n'est que trop vrai, une mauvaise année à passer, les classes nécessiteuses auront encore beaucoup à souffrir, les prix des denrées alimentaires étant et devant rester très élevés, mais qu'y faire ? Il ne nous reste qu'à courber la tête sous les décrets de la divine Providence, car il n'est donné à personne, à aucune puissance, à aucun gouvernement d'y remédier ; c'est une vérité qu'il est important que tout le monde sache, que tout le monde répète, afin qu'on ne se berce pas d'illusions et qu'on ne rejette pas sur le gouvernement des maux dont il est complètement innocent, parce qu'il lui est impossible de changer la marche de la nature. Mais ce que nous devons faire, nous tous qui pouvons venir au secours des nécessiteux, c'est de redoubler d'efforts pour activer, faciliter la chanté privée en nous imposant des sacrifices proportionnés au malheur des temps.

Cependant, messieurs, n'exagérons pas nos craintes ; notre position est moins mauvaise que l'année passé, en ce sens qu'une classe très nombreuse n'aura presque pas besoin de secours, je veux parler des ouvriers agricoles ; tous ces ouvriers, presque sans exccption, ont un petit morceau de terre à côté de leur maison ; en temps ordinaire, ils récoltent leur provision de pommes de terre et un peu de seigle ; cela leur a manqué pendant plusieurs années, aussi ont-ils été bien malheureux ; aujourd'hui, ils ont beaucoup de pommes de terre, leur nourriture est assurée, et le prix de leur journée n'est plus employé à donner de quoi manger à leur famille ; leur position est donc bien meilleure que l'année passée. Malheureusement il n'en est pas de même des ouvriers des villes qui n'ont aucune ressource lorsque le travail fait défaut, aussi est-ce sur eux que se reporteront les secours qui, bien distribués, bien entendus, ne laisseront, il faut l'espérer, aucune souffrance sans soulagement.

J'approuve donc, sans restriction, le premier article de la loi qui permet la libre entrée à toutes les denrées alimentaires ; il n'en est pas de même de l'article 2 que j'ai été étonné, je l'avoue, de rencontrer dans le projet de loi, car d'après l'exposé des motifs, j'avais vu avec plaisir M. le ministre de l’intérieur appuyer à deux reprises différentes sur l'intervention bienfaisante du commerce agissant avec l'énergie que donnent la liberté et la sécurité et ajouter : « Il convient avant tout de donner à l'action du commerce la liberté la plus étendue et la sécurité la plus complète. » D'après ces excellentes maximes, dont j'apprécie toute la sagesse, je m'attendais à les voir mises en pratique et je pensais que M. le ministre allait lever la prohibition établie par la loi de novembre 1854, car maintenir une mauvaise mesure à cause du fait seul qu'elle existe, ce n'est véritablement pas une raison sérieuse que nous en donne M. le ministre.

L'article 2 prohibe à la sortie le froment, le seigle, le sarrasin, les farines et moutures de toute espèce, les pommes de terre et les fécules. Je crois que cette loi produira l'effet contraire à celui que vous voulez produire, et qui consiste à conserver dans le pays la quantité de grains qui lui est nécessaire pour son alimentation et au plus bas prix possible ; j'avoue que je ne comprends pas le raisonnement qui a motivé cette prohibition, car tant que l'importation surpassera de beaucoup l'exportation, et elle est quatre ou cinq fois plus considérable, il est évident que plus cet état de choses se prolongera, plus le pays se remplira de grains, puisqu'il en tort moins qu'il n'en entre.

Mais, me dira-t-on, si l'importation cesse tout d'un coup et que l'exportation continue, le pays s'appauvrira de grains. Cela serait vrai si cela était possible, mais heureusement il n'en est rien. Un commerce comme celui des grains, pour lequel il faut plusieurs mois pour voir s'exécuter les ordres d'achat et recevoir la marchandise, un pareil commerce ne s'arrête pas brusquement ; les arrivages venant de différents point du globe se succèdent pendant longtemps et il ne peut pas en être autrement.

Mais j'admets par impossible qu'il en soit ainsi : il y a un moyen bien simple à employer pour remédier à cet inconvénient et à faire disparaître toute crainte, c'est de prohiber la sortie alors mais seulement alors que vous verrez l'importation n'être plus que du double de l'exportation ; vous aurez encore de la marge avant que la sortie soit plus forte que l'entrée. Je n'invoquerai pas, messieurs, les principes d'économie politique, il y a des gens qui les ont en horreur et à qui il suffit d'en parler pour leur faire rejeter les meilleures mesures qui seraient proposées en leur nom, mais je vous parlerai bon sens. On vous a répété à satiété que le commerce a besoin de sécurité, d'une grande liberté d'action pour ne pas être gêné dans ses combinaisons, tout le monde est d'accord là-dessus ! eh bien, en prohibant la sortie des grains, lui laissez-vous toute sa liberté d'action ? Evidemment non.

N'est-il pas dans les chances de toute opération commerciale, que dans l'espace de temps qui s'écoule entre l'ordre d'achat et la réception de la marchandise, une circonstance quelconque puisse déterminer le négociant à en changer la destination ? Cela se voit tous les jours. Que fera donc le négociant ? il enverra sa marchandise dans un port d'où il lui sera facultatif de l'exporter, si cela lui convient, et il ne l'enverra pas à Anvers d'où il ne pourra pas la faire sortir. C'est clair comme le jour et il ne faut pas un grand effort d'imagination pour saisir ce raisonnement, l'économie politique et ses principes n’ont pas besoin de s'en mêler.

(page 203) Voyons quels seront les résultats de cet état de choses, en supposant la prohibition à la sortie ? Les grains seront-ils à meilleur marché chez nous que chez nos voisins ? Ce sera tout le contraire qui arrivera et je vais vous le prouver. Etablissons d'abord la position.

Nous avons un déficit et un déficit assez considérable, nous aurons donc à acheter ce qui manquera pour notre alimentation. Par qui et comment nous procurerons-nous ce déficit ?

Apparemment, ce sera le commerce qui nous le fournira. Mais comment et quand conviendra-t-il au commerce de nous le fournir ? Comme il a le choix d'aller partout où il est entièrement libre, il ne viendra chez nous que lorsqu'il y trouvera un grand avantage, c'est-à-dire que lorsque les prix seront plus élevés chez nous que chez nos voisins. Il me semble que cela est de la dernière évidence. Voilà où vous arriverez avec la prohibition !

M. le président donne lecture des amendements suivants :

« Articles additionnels proposés par MM. Dumortier et Rodenbach.

« 1. A partir du 1er janvier prochain, tous les marchés de céréales auront lieu le vendredi de onze heures à une heure.

« Pendant la durée du marché, le télégraphe électrique ne pourra transmettre les cotes d'un marché à l'autre.

« Le gouvernement pourra autoriser un second marché dans les villes qui en jouissent.

« 2. Les faveurs de tout genre accordées à l'exportation des denrées alimentaires sont supprimées.

« 3. Tout facteur en grains ou pommes de terre, parcourant le plat pays, est imposé à une patente de cent francs.

« 4. Le beurre et les œufs payeront 15 p. c. de droit de sortie. »

« Amendement présenté par M. Manilius.

« Art. 1er. A l'article premier, après les mots « viandes de toute espèce », ajoutez : « Sont aussi déclarés libres à l'entrée et au transit, toutes espèces de poissons autres que :

« Les barbues fraîches,

« Les cabillauds frais,

« Les églefins frais,

« Les elbots frais,

« Les éperlans frais,

« Les merlans frais,

« Les soles fraîches,

« Les turbots frais,

« Les saumons frais, salés, fumés et séchés,

« Les anchois frais, salés, fumés et séchés,

« Les écrevisses fraîches,

« Les homards frais,

« Les huîtres fraîches,

« et la morue en saumure et au sel sec. »

« Amendement présenté par MM. Tack et Rodcnbach.

« Art. 2. Ajouter : « l'orge », après le mot : « seigle. »

- Ces amendements, seront imprimés et distribués.

La séance est levée à 4 heures et demie.