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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 5 mars 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 843) M. Ansiau procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier. La rédaction en est approuvée.

M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

Pièces adressées à la Chambre

« Le sieur Decock, ancien militaire, demande une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des conseillers communaux et des cultivateurs de Couture-Saint-Germain et autres communes voisines, demandent que les vétérinaires non diplômés soient admis à continuer l'exercice de lear profession. »

- Même renvoi.


« Le sieur Vanlierde, gardien de 2ème classe à la maison de sûreté civile et militaire de Bruxelles, ancien combattant de septembre et maréchal des logis au 1er régiment de chasseurs à cheval, demande a être classé pour la pension dans la catégorie des officiers volontaires de 1830. »

- Même renvoi.


« Des propriétaires et cultivateurs à Herenthout demandent que le sieur Van Goubergen, vétérinaire non diplômé, soit autorisé à continuer l'exercice de sa profession ou du moins à traiter les maladies qui ne sont pas contagieuses. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Louvain demande la révision des lois sur les dépôts de mendicité et sur le domicile de secours. »

- Même renvoi.


« Le secrétaire communal d'Hérinnes déclaré adhérer à la pétition des secrétaires communaux en date du 21 décembre dernier. »

M. Lelièvre. - J'appuie la pétition et je prie le gouvernement de prendre sans délai des mesures sur l'objet énoncé à la réclamation.

- Même renvoi.


« Les administrations communales de Bourseigne-Vieille, Javingues, Bourseigne-Neuve, Beauraing, Felenne demandent la construction d'une route de Beauraing à Witterzée, se raccordant avec le chemin de fer à Vireux. »

- Sur la proposition de M. Lesoinne, renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Le conseil communal de Saint-Gilles-Waes présente des observations relatives au droit d'entrée sur le lin. »

M. Janssens. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission permanente d'industrie avec prière de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Des habitants de Kerckom demandent que la compagnie concessionnaire d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain soit tenue de prolonger cette ligne jusqu'au camp de Beverloo, par Winghe-Saint-Georges, Diest et Beeringen. »

- Renvoi à la commission ceutrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession de plusieurs lignés de chemins de fer.


« Le conseil communal de Rebecq-Rognon prie la Chambre d'accorder au sieur Tarte la concession d'un chemin de fer de Brainc-le-Comte à Courtrai. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Hasselt demande que le chemin de fer projeté de Louvain au Camp de Beverloo passé par Aerschot. »

- Même renvoi.


« M. Thienpont demande un congé de quelques jours. »

- Ce congé est accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1857

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Le Roi m'a chargé de vous présenter le projet de budget du département de la justice pour l'exercice 1857.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoi à l'examen des sections.

Projet de loi accordant un crédit au ministère de la guerre, pour le camp retranché d'Anvers

Motion d'ordre

M. Osy. - M. le ministre de la guerre a envoyé à M. le président un mémore et un devis faisant suite aux développements du projet de loi la semaine dernière pour les travaix à faire à Anvers. M. le président nous a fait connaître la demande de M. le ministre, que ces pièces ne soient pas imprimées. J’ai pris lecture de ce mémoire. Ce n’est rien autre chose que le résumé des travaux de la commission mixte que le gouvernement a nommé l’année dernière et l’opinion du gouvernement sur la même question.

Il est impossible aux sections d’examiner le projet de loi sans évoir ce mêmoire explicatif et je demande à M. le ministre de la guerre s’il verrait des inconvénients à le faire imprimer et distribuer pour que nous puissions nous rendre compte de ce que désire faire le gouvernement. Quant à moi je ne vois pas quel inconvénient cette impression pourrait présenter.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Lorsque j’ai eu l’honneur d’envoyer à M. le président de la Chambre le plan des travaux que le gouvernement se propose de construire, avec une note à l’appui, j’avais prié M. le président de vouloir mettre cette note à la disposition de chacun de membres de la Chambre, de le déposer sur le bureau de la section centrale et conséquemment aussi sur le bureau de chacune des sections, lorsqu’elles examineraient le projet de loi. J’avais cru que cette publicité était suffisante.

Puisque quelques membres paraissent désirer l’impression de la note dont il est question, je ne vois pas de raison de m’y opposer. Seulement comme elle est écrite un peu en style confidentiel, je demanderai de le revoir avec l’impression, et je prierai M. le président de me la renvoyer.

M. Osy. - Je suis satisfait de cette explication.

M. le président. - Cette pièce sera imprimée après révision de M. le ministre de la guerre.

Projet de loi autorisant la libre sortie du minerai de fer

Discussion générale

M. Osy. - Messieurs, j'ai écoulé hier avec une grande attention les opinions pour et contre la libre sortie du minerai de fer.

Il est vrai que lorsque nous avons discuté, cette année, la loi sur les céréales, je me suis montré partisan de la libre sortie. Mais la question qui nous occupe n’est pas la même que celle des céréales.

Si le gouvernement nous proposait en même temps la libre entrée des fers, je concevrais la mesure ; mais l'exportation des minerais fera augmenter encore le prix des fers, déjà si élevé aujourd'hui,

Le gouvernement s’est engagé à nous présenter l'année prochaine une loi de révision de notre tarif douanier et dès lors je pense qu'il serait sage de ne pas toucher aujourd'hui à la sortie du minerai de fer. En France il y a encore un droit protecteur considérable, notre minerai sera donc exporté en France, et sur la limite des deux pays on établira des hauts fourneaux, de sorte que la Belgique perdra en même temps la fabrication du fer et le minerai et que le prix des fers augmentera dans une forte proportion.

Dans le projet de loi qui a été présenté par l'honorable M. Liedts, le gouvernement proposait d'abaisser le droit sur les fers de 5 à 3 frahes ; si cette mesure était décrétée, les prix seraient encore extrêmement élevés pour tous ceux qui sont loin des centres de production.

Je dis donc que ceux qui demandent la libre sortie des minerais auraient dû demander en même temps la libre entrée des fers. Quant à moi, je pense, messieurs, qu'il ne faut pas décider cette question isolément, mais qu'il faut l'ajourner jusqu'à ce que nous connaissions l'opinion du gouvernement sur la réforme du tarif en général. Cependant comme nous avons admis la libre sortie pour le Luxembourg, nous pourrions l'admettre également pour la Flandre orientale, comme le gouvernement le propose, ainsi que pour la Campine.

Ainsi, messieurs, je voterai le projet du gouvernement, mais j 'repousserai la proposition de la section centrale, que je considère comme dangereuse en ce moment. Je repousserai également la proposition de l'honorable M. Julliot, qui me semble devoir être renvoyée aussi à la révision générale du tarif.

M. Lelièvre. - Je déduirai en quelques mots les considérations qui motiveront mon vote.

Je suis partisan de la libre sortie des minerais, parce que le système contraire porte une grave atteinte au droit sacré de propriété et empêche qu'on use de sa chose comme on le trouve convenable.

La loi de 1810 a considéré les minerais de fer comme appartenant au propriétaire du sol qui a droit de les exploiter comme il le juge bon.

C'est seulement dans certains cas exceptionnels que le minerai de fer est concessible, aux termes de l'article 69 de la loi dont nous venons de parler.

La loi de 1837 a confirmé ce principe et a même prohibé toute concession de minerais de fer, ce qui prouve que leur exploitation a été considérée comme une dépendance de la propriété.

En conséquence il est impossible d'empêcher le propriétaire de débiter les produits de son fonds comme il croit devoir le faire, et à ce point de vue, toute prohibition à la sortie me paraît devoir être supprimée comme consacrant une violation du droit de propriété.

Certes les propriétaires de forges et de hauts fourneaux peuvent vendre leur fer et leur fonte comme ils le jugent convenable. Pourquoi en serait-il autrement des propriétaires des minerais qui constituent un véritable revenu du sol même ?

Si l'on demandait la prohibition à la sortie des charbons et des fontes, il est évident que les propriétaires des charbonnages et des (page 844) hauts fourneaux élèveraient des réclamations dont le fondement ne saurait être méconnu.

Pourquoi dès lors traiter moins favorablement l'industrie minière et la sacrifier contre tous principes à d'autres intérêts ?

L'honorable M. Dechamps estime que la libre sortie du minerai de fer devrait avoir pour conséquence la révision de la loi de 1810. Je ne puis partager ce système. La loi du 21 avril 1810 peut recevoir son exécution pleine et entière, même dans le cas où les propriétaires de minières sont autorisés à vendre leurs produits à l'étranger. La loi dont il s'agit crée un ordre de choses qui n'a rien de contraire au système émis par la section centrale, et dès lors, il ne s'agit nullement de porter atteinte aux dispositions de cet acte législatif.

Les articles 59 et suivants de la loi de 1810 ne limitent en aucune manière le droit des propriétaires des minerais en ce qui concerne la liberté de l'exportation.

Du reste, l'industrie sidérurgique est déjà protégée par un droit prohibitif contre la concurrence étrangère. Elle ne peut raisonnablement exiger davantage, et on ne saurait avec justice sacrifier en sa faveur une autre industrie importante qui, après tout, ne réclame que la liberté de se produire.

Je suis, du reste, convaincu que la prohibition, contraire à tous principes économiques, ne peut produire de bons résultats. L'expérience de tous les jours atteste les avantages de la liberté commerciale que nous devons sanctionner en toute circonstance.

La libre sortie stimulera nécessairement la production et la recherche du minerai de fer, et par conséquent, elle assure pour l'avenir des prix favorables.

En conséquence, je me rallie au système proposé par la section centrale.

M. Julliot. - Ce qui me détermine principalement à reprendre la parole, c'est l'attitude prise par l'honorable M. Dechamps vis-à-vis mon amendement dans la séance d'hier. L'honorable membre s'est étonné de ce que je ne voyais pas que ma proposition jetée à l'improviste dans ce débat est de nature à augmenter la confusion douanière que je déplore.

Messieurs, si je plaçais mon amour-propre au-dessus des intérêts que nous débattons, j'étonnerais la Chambre sur l'étonnemcnt de l'honorable M. Dechamps, jè n'aurais qu'à tripler le droit que je vous propose, et l'honorable M. Dechamps serait des miens, il trouverait la proposition sage, méditée et bien conçue, ; mais dans ce cas vous continueriez à avoir la prohibition, car un droit de 3 francs serait à peu près prohibitif, c'est ce que je ne veux pas.

L'honorable M. Dechamps m'a reproché encore de n'avoir aucune donnée pour établir le chiffre d'un franc, il présente ce droit comme le fruit de l'imagination, sans base ni raison d'être. Mais c'est une erreur.

La question des minerais de fer touche directement au droit de propriété ; je ne puis admettre que tantôt pour une province, tantôt pour une autre, ou fasse une loi qui émancipe la propriété. Le projet de loi ne s'occupe que des Flandres, l'arrondissement de Nivelles demande qu'on reconnaisse pour lui ce qu'on reconnaît pour d'autres ; fera-t-on une troisième, quatrième et dixième loi, au fur et à mesure qu'il y aura des réclamations ? Non, cela n'est pas sérieux. Je n'ai pas eu de base pour établir le droit que je propose, dit-on. On se trompe et vous allez le voir.

Dans l'état actuel des choses, la Belgique refuse à la France, en présence des droits élevés que cette dernière perçoit sur nos fers, la matière nécessaire pour produire le fer. C'est une représaille sous une forme déterminée ; on propose la libre sortie du minerai, c'est-à-dire un avantage supplémentaire et gratuit aux droits élevés que la France déjà perçoit sur nos fers ; je demande, moi, que tout en plaçant tous les propriétaires de minerai sur la même ligne, ou procède à leur émancipation complète par voie de transition. Or, pour m'arrêter au chiffre d'un franc, j'ai dû chercher une base pour le justifier, et la voici :

Il faut en moyenne trois tonnes de minerai pour fabriquer une tonne de fer.

La France perçoit sur nos fers trois droits différents, 1° 48 francs, par tonne sur la première qualité, 40 francs sur la seconde et 25 sur la troisième qualité, or la moyenne de ces trois chiffres est de 37 francs ; il s'ensuit qu'une partie de ces droits d'entrée en France, seront annulés au profit du producteur de fer belge par le droit de sortie sur le minerai que je vous propose et que supportera le fabricant de fer français ; notez que par la libre sortie du minerai, le fer français sur le marché français sera fortifié considérablement, tandis que par ma proposition la position de la fonte belge y sera moins mauvaise de sept a huit francs qu'on percevra sur le minerai à la sortie ; c'est-à-dire que l'on peut admettre que ma proposition a pour but de réduire le droit d'entrée en France à 29 francs au lieu de 37 francs ; cet effet sera produit d'une manière indirecte et par réaction. On m'objectera peut-être que le droit à la sortie du minerai ne sera pas supporté par le métallurgiste de France, mais alors j'irai prendre les discours au Moniteur, sur les droits d'entrée sur les céréales, et ces discours serviront de réfutation aux objections qu'on me fera ; ils démontreront que les droits de sortie et d'entrée sont supportés par ceux qui consomment la denrée imposée à l’une ou l'autre frontière.

Messieurs, de deux côtés on nous propose une mesure radicale, le gouvernement maintient la prohibition comme règle et propose une nouvelle exception pour les Flandres.

Je ne puis admettre des lois spéciales régissant la propriété de quelques-unes de nos provinces et refusant le même régime à d'autres ; je ne voterai donc pas ce projet.

La section centrale est radicale dans le sens opposé ; elle vous propose de fortifier encore le fabricant français contre le fabricant belge et cela gratuitement. Si la France vous proposait de diminuer ses droits, je le comprendrais ; mais non, elle laissera faire sans qu'elle fasse un pas vers les bons principes.

Eh bien, dans cette situation je vous propose une position transitoire approchant de la liberté, et propre à stimuler et à sauvegarder les deux intérêts qui sont en présence.

Mais je ne puis me résoudre à régir la propriété d'une même nature par des lois spéciales et locales contradictoires entre elles, c'est le plus mauvais moyen des trois qui nous sont proposés, je dis même que le principe en est dangereux.

Je voterai donc contre le projet de la section centrale.

Je voterai de même contre le projet du gouvernement, mais je voterai mon amendement que je crois utile à l'intérêt général.

M. Wasseige. - Messieurs, les orateurs qui ont pris la parole jusqu'ici pour s'opposer aux conclusions présentées par la section centrale qui propose la libre sortie du minerai de fer par toutes les frontières, les chambrés de commerce qui ont été consultées sur cet objet, les ingénieurs des mines, tous se sont, à mon avis, préoccupés exclusivement de l'intérêt des maîtres de forges belges et ont négligé complètement l'intérêt des propriétaires de minières.

En effet, on vous a dit que la libre sortie du minerai de fer pourrait faire acquérir à cette matière une valeur telle, qu'elle rendrait la lutte impossible de la part des maîtres de forges belges en concurrence avec les maîtres de forges français.

C'est avouer, implicitement que le minerai de fer n'a pas en Belgique la valeur qu'il pourrait avoir, c'est protéger la forgerie belge au détriment des propriétaires de minerai de fer, c'est en quelque sorte une expropriation pour causé d'utilité de la forgerie belge, mais expropriation qui ne serait pas précédée d'une juste et préalable indemnité.

Je pense, messieurs, que c'est créer pour nos propriétaires de minières et surtout pour ceux de la province de Namur qui renferme les sept dixièmes des minières exploitées en Belgique, une injustice flagrante, injustice que je voudrais voir disparaître.

Une circonstance cependant m'a frappé dans les raisonnements qui vous ont été présentés hier par les honorables MM. Brixhe et Dechamps. Ils vous ont dit que le minerai qui manque surtout à la France, c'est le minerai de fer fort, le seul avec lequel il soit possible de produire de la fonte d'affinage que nous puissions encore livrer à la France, eu égard au droit énorme qui frappe les fontes à leur entrée dans ce pays. Ces honorables membres ont ajouté que ce minerai n'était pas inépuisable en Belgique, qu'au contraire il y a lieu de craindre que l'épuisement n'en soit assez prochain. Cette considération a été présentée également par les chambres de commerce de Namur et de Charleroi ainsi que par MM. les ingénieurs des mines dans leurs rapports.

Ils ont ajouté qu'en tout cas l'entrée de ce minerai mettrait les maîtres de forges français à même de se passer de la fonte belge, et produirait par conséquent l'anéantissement inévitable de la forgerie belge.

Je ne sais pas, messieurs, si ces craintes ne sont pas quelque peu exagérées. Cependant si elles étaient vraies, ce serait peut-être une raison d'ajourner la question, non pas de l'ajourner, comme on l'a dit, aux calendes grecques, mais de l'ajourner, de manière seulement à donner le temps au gouvernement d'entrer en négociations avec la France ; voilà le seul ajournement raisonnable, ajournement pour un but déterminé et pour un délai fixe.

En effet, si réellement la France est aussi complètement dépourvue qu'on l'a prétendu, du minerai propre à faire du fer fort, l'avantage que nous voulons faire à ce pays, en proclamant la libre sortie de ce minerai, me paraît assez considérable pour ne pas être complètement gratuit. Je pense donc que si cet avantage est aussi important qu'on le suppose, la France ne reculerait pas devant l'obligation de l'acheter par une diminution sur le droit dont elle frappe l'entrée des fontes belges chez elle.

Ce serait un moyen également favorable pour les propriétaires de minières, car ces propriétaires, pour espérer une plus grande valeur de cette matière, ont à compter surtout sur la concurrence entre les forgeries belges ét les forgeries françaises.

Or, s'il arrive, ainsi que l’ont dit les honorables MM. Dechamps et Brixhe, que la libre sortie du minerai de fer fort ait pour résultat d'anéantir complètement la forgerie belge, les propriétaires de minerais n'auraient plus qu'un seul marché et se verraient dans la même position qu'aujourd’hui, cette rivalité sur laquelle ils ont droit de compter pour obtenir de leurs produits toute la valeur dont ils sont susceptibles, ne se réaliserait pas et le prix en resterait à peu près le même. Telles sont les raisons qui me feraient voter un ajournement en ce sens que le gouvernement serait invité à entrer en négociation avec la France pour amener une réduction du droit sur l'entrée, de nos fontes en compensation de la libre sortie de tous les minerais de la Belgique.

(page 845) Si cependant cette motion d'ajournement n'était pas accueillie, s'il fallait résoudre la question du fond, je déposerais, de concert avec l'honorable M. Thibaut, un amendement qui serait conçu dans les termes suivants :

« Par dérogation au paragraphe premier de l'article 2 de la loi du 26 avril 1853, le gouvernement pourra autoriser la sortie, par toutes les frontières, des minerais violets (oligistes).

« Il pourra aussi autoriser la sortie de tous minerais de fer, par la frontière entre l'Escaut inclusivement et la mer. »

Veuillez remarquer la portée de cet amendement. Il admet d'abord le projet qui nous a été présenté par le gouvernement. Quant au projet de la section centrale, cette proposition l'amende de manière à donner toute satisfaction à ceux qui craignent de priver notre industrie du minerai de fer fort dont elle a besoin, au bénéfice exclusif de l'industrie française ; d'un autre côté l'adoption de cette proposition procurerait un large débouché au minerai violet (oligiste) des bords de la Meuse au grand avantage des propriétaires des terrains où se trouvent ces minerais, sans nuire à la forgerie belge.

Je ferai remarquer que les honorables membres qui ont traité cette question ne sont pas d'accord. Les honorables MM. Brixhe et Dechamps ont prétendu que si la proposition de la section centrale était adoptée, elle amènerait forcément la sortie de tout le minerai de fer fort qui se trouve en Belgique, tandis que l'honorable M. Moreau soutient que le minerai violet sortirait seul et que le minerai de fer fort ne serait aucunement demandé.

Notre proposition donnerait donc satisfaction aux députés de Charleroi, en conservant à la consommation intérieure tout leur minerai de fer fort ; elle donnerait également pleine satisfaction à l'honorable M. Moreau qui nous assure que le minerai violet serait seul demandé par la France pour le cas où l'amendement de la section centrale serait adopté. Toutes les chambres de commerce et les ingénieurs des mines sont unanimes pour déclarer que des gisements de minerai violet qui existent sur les bords de la Meuse sont inépuisables.

Ainsi disparaîtraient les craintes que pourrait faire naître la proposition de déclarer la libre sortie des minerais de fer fort, dont on prétend que les gisements sont très restreints.

Je pense donc en résumé qu'il serait plus convenable, même au point de vue de l'intérêt des propriétaires de minerais, d'ajourner pour un temps déterminé, jusqu'à la session prochaine, par exemple, la proposition de la section centrale, afin de donner au gouvernement le temps d'ouvrir des négociations à l'effet d'obtenir, en retour de l'avantage qu'on ferait à la France, une compensation qui consisterait dans la réduction du droit d'entrée sur nos fontes, réduction qui permettrait aux maîtres de forges belges de lutter en toutes circonstances avec les maîtres de forges français, et qui établirait une concurrence tout à fait favorable aux propriétaires de minerais.

Mais si l'ajournement n'était pas adopté, il n'y aurait, à mon avis, aucune raison plausible pour repousser l'amendement que mon honorable ami M. Thibaut et moi avons l'honneur de déposer.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - J'ai demandé la parole uniquement pour donner une explication.

Lorsque je me suis opposé à la proposition d'ajournement que faisaient quelques honorables membres, je croyais qu'elle portait sur la loi tout entière, c'est-à-dire sur la proposition du gouvernement et sur les amendements. Les honorables auteurs de la proposition d'ajournement sont venus me dire qu'elle ne concernait que les amendements. A ce point de vue, si la Chambre juge convenable de voter l'ajournement, soit en vue des éventualités dont vient de parler l’honorable M. Wasseige, soit pour toute autre considération, je n'ai pas de motifs pour m'y opposer.

M. Visart. - Messieurs, aussi longtemps que la France frappera de droits aussi élevés que ceux d'aujourd'hui les fontes de la Belgique, ce serait une duperie et une imprudence de laisser sortir, sans droits équivalenls, notre minerai, surtout celui de fer fort ; la zone de ce dernier est fort circonscrite ; et cette spécialité menace de s'épuiser, ce qui atteindrait au cœur nos principaux établissements.

D'après les documents qui ont été produits et des renseignements que j'ai obtenus de bonne source, un grand désordre, une sorte de gaspillage, accompagne aujourd'hui presque partout l'extraction : on se contente d'enlever la couche de la surface, parce que les frais sont alors moins élevés qu'en suivant des filons capricieux et en descendant à une certaine profondeur.

On veut encore, immédiatement après, obtenir des produits en bois ou en céréales et, à cet effet, on remplit l'excavation et l'on met au-dessus de la terre végétale ; il en résulte que des gîtes, riches encore, et souvent de beaucoup plus abondants que la portion enlevée, se trouvent enfouis et masqués. On n'ignore point d'abord que ce dépôt existe ; mais le saura-t-on encore dans cinquante, dans cent ans ? Non, beaucoup de ces amas précieux ne se retrouveront plus ; ou bien leur exploitation deviendra doublement coûteuse, les générations passent vite et les traditions, non écrites, passent avec elles.

Je pense qu'il convient de s'enquérir du mode actuel appliqué aux principales exploitations, afin d'en corriger, autant que possible, les vices et d'amener une réglementation, autant dans l'intérêt des possesseurs que des hauts fourneaux ; pour cela il faut que le système soit large et, délaissant un intérêt mesquin, qu'il embrasse à la fois le présent et l'avenir.

Un devoir difficile, mais digne d'un gouvernement éclairé, e'est, au milieu des préoccupations du présent, de conserver des pensées paternelles, si je puis m'exprimer ainsi, envers les générations futures, et de les préserver des difficultés et des privations que les fautes ou la cupidité du siècle peuvent leur préparer.

J'engage donc instamment messieurs les ministres de l'intérieur et des finances à nommer une commission spéciale, qui serait chargée de leur soumettre un projet de réglementation concernant l'extraction des principaux gîtes sidérurgiques.

Elle pourrait s'occuper aussi de quelques questions débattues ici depuis deux jours. Ainsi éclairés et guidés, les extracteurs agiraient avec ordre et méthode, au moins dans les zones contenant la matière première des fers forts, et peut-être celles de qualités inférieures pourraient encore être négligées.

Une certaine augmentation des frais d'extraction pourra donner lieu à des réclamations de la part des propriétaires et même des maîtres de forges ; mais il est à espérer que, sagement conseillés, ils reconnaîtront qu'il vaut mieux, surtout pour ces derniers industriels, de payer un peu plus quand le résultat est d'assurer, pour eux et pour leurs descendants, l'avenir de leurs importantes usines.

M. Thibaut. - Messieurs, j'ai signé avec mon honorable ami M. Wasseige l'amendement qu'il vient de vous faire connaître. Je puis m'en référer, pour en définir le sens et la portée, aux développements qui vous ont été présentés par mon honorable collègue ; je crois qu'il a été parfaitement compris par la Chambre.

J'ajouterai seulement une réflexion, c'est que les différences externes entre le minerai violet et tout autre minerai, qui sont une des conditions exigées pour la mise en pratique de notre amendement, ces différences sont parfaitement saisissables pour tout le monde. Il est impossible que l'on s'y méprenne.

On ne peut donc objecter qu'il faudrait soit un certificat d'origine, soit des experts pour s'assurer, à la sortie, si les minerais que l'on présente sont réellement des minerais violets. Il suffit d'en avoir vu une seule fois pour ne pas être exposé à le confondre avec les autres.

L'honorable orateur qui vient de se rasseoir a insisté, messieurs, comme l'ont fait du reste jusqu'à présent les honorables orateurs qui parlent en faveur de la prohibition, sur la rareté du minerai de fer fort sur son indispensable nécessité aux hauts fourneaux qui se trouvent en Belgique.

Eh bien, sans admettre comme vrais tous les raisonnements qui on été développés dans la discussion de cette question, je tiens seulement à faire remarquer à la Chambre que, dans l'amendement que nous proposons, nous laissons le minerai de fer fort sous la législation actuelle, c'est-à-dire sans une législation prohibitive.

Les minerais violets ne donnent que des fers métis et des fers tendres. Personnellement, messieurs, je suis ennemi de la prohibition ; mais comme je crains que la majorité ne partage pas l'opinion de la section centrale, je voudrais tout au moins que la Chambre autorisât la libre sortie des minerais violets. Ces minerais sont en immense abondance dans notre pays ; on en découvre pour ainsi dire tous les jours ; et la distance qui les sépare de la frontière, le prix des transports vers des points éloignés ne permettent d'ailleurs pas de supposer que les maîtres de forgés étrangers fassent une concurrence ruineuse aux maîtres de forges belges. On n'emploie ce minerai que pour des mélanges.

Je ne pense pas que nos producteurs de fer puissent se plaindre de l'adoption de notre amendement. Je me borne à ces courtes observations.

M. Manilius. - Messieurs, je vois qu'il est en général dangereux de toucher aux grands principes qui se trouvent établis dans notre système douanier. Déjà, en plusieurs occasions la commission d'industrie a été invitée par la Chambre à s'expliquer sur des demandes partielles de libre sortie de minerai, et vous avez dû remarquer que chaque fois une forte majorité, je dirai même l'unanimité de la commission, a été favorable à cette libre sortie, mais dans un cadre exceptionnel, c'est-à-dire poux les minerais dont les propriétaires ne trouvent pas à se défaire dans le pays et qu'ils ne peuvent vendre qu'à l'étranger, pour les minerais qui, ne se trouvant pas à proximité de gîtes charbonniers, sont laissés à l'abandon.

La loi que nous a proposée le gouvernement est conçue dans le même sens. Elle vous demande exceptionnellement la sortie des minerais qui se trouvent dans les parties du pays où il n'y a pas de charbon et où il n'y a pas même de bois, comme dans le Luxembourg, pour convertir ces minerais en fer ; nous n'avons trouvé là, messieurs, qu'une proposition raisonnable.

Quant à moi, et je crois que mes collègues de la commission d'industrie partageront mon avis, j'ai vu avec plaisir le gouvernement nous proposer ce projet de loi tout exceptionnel. Mais que se passe-t-il ? C'est que tout à coup on veut généraliser cette disposition. Les partisans de cette généralisation peuvent la trouver excellente. Je n'ai pas l'intention de combattre leur opinion. Mais je crois qu'une pareille réforme doit être faite avec beaucoup de réflexion, avec beaucoup de maturité, à la suite d'un long et sérieux examen.

Car que s'est-il passé pour ce petit projet de loi ? Il est soumis à la Chambre depuis plusieurs semaines. On a consulté les ingénieurs des mines, les chambres de commerce, enfin les intéressés à tous les degrés, et ce n'est qu'après avoir obtenu tous ces renseignements qu'on (page 846) consent à accueillir le projet du gouvernement. Voudriez-vous à l'instant même vous décider sur des amendements improvisés tendant l'un à l’établissement d'une taxe d'un franc par mètre cube, un autre à un ajournement de toute la question, un autre à la levée de toute prohibition, un autre encore au maintien de cette prohibition ? Car vous avez entendu hier le discours de l'honorable M. Dechamps. L'honorable M. Dechamps veut maintenir l'état actuel de choses. Le district dont cet honorable membre défend les intérêts avec talent, trouve qu'il a besoin du minerai, que ce minerai doit rester dans le pays, qu'on peut l'y utiliser, et il a raison à son point de vue. Mais des propriétaires peu éloignés de là, et en assez grand nombre, ne se trouvent pas dans une position aussi heureuse, et ces propriétaires sont beaucoup plus près de la frontière française que des houillères du Hainaut.

Ils disent : Puisque nos maîtres de hauts fourneaux ne veulent pas acheter notre minerai, laissez-nous le vendre aux maîtres de hauts fourneaux d'un pays voisin qui nous le demandent, et laissez-nous jouir aussi de la richesse de notre propriété. Il y a même à cet égard une véritable concurrence entre les divers districts du Hainaut. En effet, nous avons reçu cinq ou six pétitions du voisinage du Centre et de Charleroi, nous en avons même reçu une de Ligny, de Saint-Amand, de Sombreffe, qui demandent la libre exportation des minerais de ces localités parce qu'ils ne conviennent pas aux hauts fourneaux voisins.

La question est donc extrêmement difficile, elle est très complexe, parce que ce qui est favorable pour les uns pourrait être très nuisible pour les autres.

Mais la question n'offre pas les mêmes difficultés pour certaines parties de la Flandre qui possèdent des minerais et où il ne se trouve pas de hauts fourneaux. Ces contrées serout heureuses de recevoir de l'argent en compensation d'une mauvaise terre, car les terres ferrugineuses ne sont pas de bonne qualité et lorsqu'elles seront enlevées, on les remplacera par des terres favorables à la culture, et on recevra de l'argent en sus.

Je voterai donc le projet du gouvernement, mais je dois repousser les amendements. J'avais moi-même l’intention de proposer un amendement, mais la grande circonspection dont il faut user en pareille matière, me fait hésiter. Je dirai cependant quelle est mon idée. Le gouvernement demande qu'on l'autorise à laisser sortir le minerai de la Flandre orientale comme il peut le laisser sortir du Luxembourg.

Eh bien, messieurs, remarquez bien que tout le minerai ne peut pas sortir du Luxembourg, il ne peut sortir que de certaines localités où il n'est pas nécessaire aux maîtres de forges. C'est, remarquez-le bien, messieurs, que quand le gouvernement est autorisé à laisser sortir il est aussi autorisé à ne pas laisser sortir. Eh bien, messieurs, quel inconvénient peut-il y avoir à donner un pareil pouvoir au gouvernement ?

Le gouvernement est évidemment intéressé à ne pas contrarier les industries et dès lors il ne laissera pas sortir le minerai là où il serait nécessaire aux maîtres de forges, aux hauts fourneaux ; je crois que si, au lieu d'autoriser le gouvernement à permettre la libre sortie pour le Luxembourg et dans la Flandre orientale, on l'autorisait à permettre cette libre sortie partout où il le jugerait convenable, alors le gouvernement, après un examen qu'il est mieux à même de bien faire que qui que ce soit, après avoir pris l'avis des ingénieurs des mines, après avoir pris l'avis des chambres de commerce, pourrait donner des autorisations à l'effet de laisser sortir les minerais qui sont trop éloignés des hauts fourneaux pour que ceux-ci puissent les utiliser.

Ma proposition consisterait donc, messieurs, à remplacer les mots : « entre l'Escaut etc., » par ceux-ci : « par la frontière de terre. » L'exportation ne pourrait jamais avoir lieu par mer, parce que là elle pourrait se faire sur une échelle considérable, tandis que par la frontière de terre on n'exportera jamais que ce qui ne peut pas être utilisé dans le pays.

Remarquez, messieurs, que la libre sortie n'est demandée dans le projet que pour les riverains de l'Escaut. C'est que là il y a des facilités de transport qui n'existent nulle part ailleurs. Il y a une masse de navires qui descendent avec des objets pondéreux et qui ne demandent qu'à avoir un fret de retour ; sans cette circonstance exceptionnelle on ne viendrait pas demander la faculté de transporter des minerais à 15 ou 20 lieues de distance.

Messieurs, la libre sortie est encore demandée dans certaines localités du Hainaut ; nous avons des pétitions de propriétaires de minières du Hainaut qui supplient la Chambre de leur permettre d'exporter leurs minerais vers les régions où ils peuvent les vendre, tandis que dans le pays on ne veut pas les leur acheter.

Il faut donc, messieurs, pour mettre tout le monde d'accord, laisser apprécier sainement par le gouvernement quels sont les minerais du pays qui sont aujourd'hui abandonnés par les hauts fourneaux belges et qui peuvent être utilisés de l'autre coté de la frontière. Il ne peut y avoir aucune espèce d'objection contre une pareille mesure.

Toutefois, messieurs, si on n'accepte pas mon amendement, qui s'étend à toutes les frontières de terre, je demande, au moins, qu'on laisse sortir le minerai qui gît le long des rives de l'Escaut.

M. Magherman. - Messieurs, dans la séance d'hier, mon honorable collègue et ami, M. Vander Donckt, vous a entretenus d'une pétition dont les auteurs manifestent l'intention d'établir un haut fourneau sur les bords de l'Escaut et déclarent, par conséquent, s'opposer à la libre sortie des minerais de fer. Je viens, messieurs, combattre cette demande et je crois que, dans l'intérêt des pétitionnaires, il serait bon de ne pas avoir égard à leur requête.

Vous savez, messieurs, que pour faire de bonne fonte il faut plus d'une espace de minerai ; le haut fourneau qu'on établirait sur le bord de l'Escaut devrait faire venir de très loin du minerai de qualité supérieure pour le mélanger avec celui d'assez médiocre valeur qui se trouve sur les lieux. Ce haut fourneau, d'ailleurs serait très éloigné des charbonnages, ce qui serait pour lui une deuxième source de frais. Il se trouverait donc dans les conditions les plus désavantageuses, et je crois qu'il serait sage de ne pas encourager les spéculateurs aventureux qui songent à créer un semblable établissement.

Messieurs, le haut fourneau de Pommerœul, établi au bord d'un canal et près des charbonnages du couchant de Mons, vient de s'éteindre : est-ce en ce moment qu'il convient d'établir des hauts fourneaux sur les bords de l'Escaut ?

Il existe, messieurs, d'autres exemples de pareilles déceptions. On a voulu établir naguère un haut fourneau près de Louvain, à Leefdael, où se rencontrent des gisements de minerai assez semblable à ceux de la Flandre. Après avoir enterré dans cette entreprise des capitaux considérables, ses auteurs ont dû y renoncer. Tel serait évidemment le sort de ceux qui tenteraient d'établir des hauts fourneaux sur les bords de l'Escaut, dans l'arrondissement d'Audenarde.

Certes, ce n'est pas en vue d'une spéculation de cette nature, dont le résultat est plus que problématique, que la Chambre consentira à défendre aux propriétaires d'exporter des richesses qui, jusqu'ici, n'ont pas été utilisées.

Remarquez, messieurs, que l'exportation du minerai de fer doit produire un bien réel dans les contrées dont il s'agit : d'abord l'extraction du minerai améliorerait le sol au point de vue de l'agriculture, en le dépouillant d'éléments de stérilité ; ensuite on utiliserait une matière aujourd'hui improductive. Enfin le travail d'extraction serait une source féconde de salaires dans une contrée pauvre où les journaliers ne trouvent pas toujours à occuper leurs bras.

La mesure proposée par le gouvernement fera donc très utile et je l'appuierai de mon vote.

Je n'aborderai pas, messieurs, l'examen de la question s'il n'y aurait pas lieu de généraliser la mesure que le gouvernement propose d'étendre seulement à la Flandre, cet examen, à mon avis, trouvera mieux sa place lorsque le gouvernement soumettra à nos délibérations un projet complet de réforme douanière et j'espère que la présentation de ce projet ne se fera pas attendre indéfiniment. J'ajouterai seulement que la bigarrure que la mesure proposée, au dire de l'honorable M. Julliot, doit introduire dans notre régime douanier ne m'effraye aucunement. Si la mesure proposée est utile aux contrées auxquelles elle est applicable, peu importe que cette bigarrure existe, c'est bien moins l'uniformité des lois que le bien-être des habitants du pays, qui doit être le but de nos efforts.

D'ailleurs, ce n'est pas la première fois que des mesures différentes seront appliquées aux diverses parties de la frontière du pays. Je le répète, je voterai le projet de loi.

M. Sinave. - Messieurs, nous sommes près de nous entendre. Je me rallierai à l'amendement de l'honorable M. Manilius, moyennant une réserve. Dès l'instant que vous accordez une faculté au gouvernement dans une loi, il faut un terme à la loi.

C'est ce qu'on a fait dans la loi sur l'entrée des charbons ; agissez de même dans cette circonstance et alors je me rallierai à l'amendement de l'honorable M. Manilius. Cet amendement n'est autre chose que la proposition de la section centrale, si la section centrale consentait à ajouter un délai à sa proposition.

D'un autre côté, on ne pourra jamais vérifier, à moins de faire un essai, si réellement il y a danger à laisser sortir le minerai. On pourra, au bout d'un temps, se convaincre si l'exportation est en réalité nuisible, et alors le gouvernement interviendra.

Il me semble donc qu'on peut sans inconvénient assigner un terme à la loi et permettre l'exportation par toutes les frontières. Autoriser l'exportation partielle, cela n'est pas possible en Belgique. Cela se conçoit, en France où l'on a fait des zones, à raison de l'étendue des territoires. L'exportation partielle chez nous pourrait entraîner une espèce de faveur pour quelques propriétaires ; les autres seraient exclus.

(page 849) M. Dechamps. - Messieurs, nous sommes en présence du projet de loi et de quatre amendements qui ont été successivement présentés, l'un par la section centrale demandant la libre sortie du minerai ; l'autre, par l'honorable M. Julliot qui propose de substituer à la libre sortie un droit de sortie d'un franc par mètre cube ; le troisième, par les honorables MM. Wasseige et Thibaut qui se bornent à appliquer le principe de la libre sortie au minerai oligiste ou violet des bords de la Meuse ; le quatrième enfin, par l'honorable M. Manilius qui demande qu'on ouvre seulement les frontières de terre et qu'on excepte la voie de mer pour l'exportation du minerai. En présence de tous ces amendements, je persiste plus encore dans la proposition d'ajournement que nous avons faite et je pense que ces divers amendements doivent engager la Chambre à exiger un nouvel examen de ces questions si compliquées et difficiles à résoudre. Ces amendements s'excluent mutuellement. En face de tous ces faits opposés, et des assertions contradictoires qu'on a jetées dans la discussion, je demande si la Chambre peut, à propos d'un projet de loi incidente, qui est né d'une pétition isolée d'un propriétaire des Flandres, trancher des questions dont elle peut maintenant apprécier la gravité, sans un examen approfondi, sans s'être entourée de renseignements complets.

Aux assertions que nous avons émises hier, quelques honorables collègues et moi, aux faits que nous avons posés et que nous pensions être incontestés, l'honorable rapporteur de. la section centrale a opposé des assertions et des faits entièrement contradictoires. Nous avions affirmé que le bassin de Maubeuge et de Valenciennes, que le nord-de la France, à l'exception des Ardennes, ne produisait pas de minerais de fer fort de la nature de nos minerais de Morialmé et de Fraire, à l'aide desquels nous faisons notre excellente fonte d'affinage ,nous avons prétendu que 30,000 à 50,000 tonnes de cette fonte d'affinage étaient vendues dans le nord de la France, précisément parce qu'il n'y avait pas là de minerai de fer fort pour la produire ; nous avons affirmé que du jour où la libre sortie serait décrétée, les maîtres de forges du nord de la France nous achèteraient notre minerai et nous laisseraient la fonte qu'ils produiraient eux-mêmes à l'abri d'une protection de 45 p. c , que dès lors l'exportation de nos fontes d'affinage cesserait complètement vers la France. De ces faits nous avons tiré cette conséquence, qu'à cause de la concurrence momentanée qui aurait lieu entre les maîtres de forges français et les maîtres de forges belges, le prix du minerai, déjà doublé depuis trois ans, s'élèverait à un taux tellement exagéré que la production de la fonte deviendrait presque impossible chez nous ; qu'il en résulterait une élévation dans le prix de la fonte et des fers laminés, et que nous aurions facilité ainsi la concurrence anglaise, non seulement sur le marché français, d'où elle nous aurait chassés, mais encore sur notre propre marché ; qu'au lieu d'avoir à exporter en France pour 5 millions de francs de fonte, nous n'aurions plus qu'à y exporter pour 1,700,000 fr. de minerai. Est-ce là ce que l'intérêt général nous commande de faire?

Dans tous les autres pays, on cherche, par tous les moyens possibles, à donner à la production de la houille et du fer le plus grand développement pour arriver à une production considérable et au bon marché, parce que les nations qui sont en possession de la houille et du fer sont maîtres en industrie.

Eh bien, messieurs, quelle est la tendance de tous les efforts que l'on fait, dans la question qui nous occupe ? C'est d'amener l'élévation du prix de la fonte et du fer en Belgique ; d'empêcher ou de restreindre nos exportations, de faire appel à la concurrence étrangère, de nous déposséder de cette grande et riche industrie qui nous a placés dans une position industrielle si élevée vis-à-vis des autres pays. Voilà où l'on veut nous conduire.

J'ai ajouté, hier, que les conséquences de cette mesure seraient que les maîtres de forges en Belgique, voyant l'avenir des hauts fourneaux compromis, devraient concentrer tous leurs capitaux, toute leur activité dans les laminoirs et réclamer peut-être la libre entrée de la fonte étrangère, puisque la fonte belge d'affinage leur manquerait.

J'ai indiqué une autre conséquence que vient de contester l'honorable. M. Lelievre, c'est qu'on sera vraisemblablement entraîné à permettre la concessibilité des minières de fer d'alluvion.

Les maîtres de forges n'auraient qu'un moyen de s'assurer de certains approvisionnements de minerais ; ce serait de demander que l'on revienne sur la loi de 1810, qu'on permette la concessibilité des minières.

En 1853, le gouvernement a soumis à l'avis des chambres de commerce et des députations provinciales, un projet de loi dans ce but ; les avis ont été très partages ; or, savez-vous quelles sont les chambres de commerce qui ont été d'opinion qu'il fallait consacrer ce principe de la concessibilité, véritable expropriation forcée qui frapperait les propriétaires de minières,? Ce sont celles qui demandent la libre sortie des minerais, au nom du droit de propriété.

Si je ne me trompe, quand cette question de la concessibilité des mines de fer nous sera soumise, on verra une partie de nos adversaires d'aujourd'hui, si chauds défenseurs de la libre disposition de la propriété, soutenir ce principe que nous combattrons, à moins que la libre sortie des minerais ne soit admise.

Mais quand la production de la fonte sera devenue difficile, limitée ou impossible en Belgique, je le demande, quelle sera la position des propriétaires de la surface ; cette position sera-t-elle meilleure? Je conviens que momentanément une grande concurrence amènera une élévation exagérée du prix du minerai ; mais quand les hauts fourneaux auront vu leur activité réduite ou seront éteints pour la plupart, la situation des propriétaires sera-elle améliorée ? Nullement, ils vendront aux hauts fourneaux français les minerais qu'ils vendent aujourd'hui aux hauts fourneaux belges.

Il y aura un simple déplacement et ce déplacement ne se fera qu'au détriment des propriétaires de minières ; ne vaut-il pas mieux avoir les acheteurs à sa porte et sur son propre marché que de devoir les trouver au-delà de nos frontières? Nos propriétaires miniers seraient à la merci du monopole des maîtres de forges français et soumis à toutes leurs exigences dans l'avenir.

L'honorable. M. Moreau a parfaitement compris que si le fait duquel découlent toutes ces conséquences est bien établi, sa thèse s'écroule et il est impossible de demander l'adoption d'une mesure qui jetterait une aussi grave perturbation dans une grande industrie.

Aussi a-t-il tâché de détruire le fait sur lequel ces conséquences sont établies. Mais je n'aurai pas de peine à démontrer qu'il n'a pas réussi.

Il m'a opposé des affirmations ; il a prétendu que les hauts fourneaux de Maubeuge ne nous enlèveront pas un kilogramme du minerai d'Entre-Sambre-et-Meuse ; il a soutenu que le minerai de fer fort que nous possédons à Morialmé, le bassin de Maubeuge le possédait aussi et l'obtenait à meilleur marché que nous, qu'on l'y payait 9 francs, tandis qu'il coûte chez nous 18 francs aux usines, et qu'avec ce minerai on obtenait une fonte d'affinage avec laquelle on produit du fer d'aussi bonne qualité que dans l'arrondissement de Charleroi.

Voilà l'affirmation de M. Moreau. Il a ajouté que le seul minerai qu'on exporterait serait le minerai oligiste, le minerai violet qui se trouve sur les bords de la Meuse, depuis Huy jusqu'aux environs de Namur.

Je ferai observer que si l'assertion de M. Moreau était fondée, la plupart des partisans du projet de la section centrale, la plupart des pétitionnaires qui réclament la libre sortie du minerai, seraient dans une complète erreur dont M. Moreau les aurait tirés. S'il n'y a que les minerais violets qui soient susceptibles d'être vendus à la France et qui pas un kilo de minerai d'Entre-Sambre-et-Meuse ne doive être exporté, à coup sûr ce seront moins encore les minerais de fer tendre qui seront exportés, ils abondent dans le nord de la France, dans le Boulonnais et ailleurs. C'est le minerai de fer fort qui y manque, je l'ai clairement établi.

Si donc l'opinion de M. Moreau était vraie, que deviennent les espérances dont on a nourri les propriétaires de minerais du Brabant, de la Flandre, de la Campine, de Sambre-et-Meuse? Toutes ces espérances tomberaient ; tous ces minerais seraient exclus en fait du bénéfice de la loi ; on aurait porté atteinte à notre forgerie, on l'aurait alarmée, mais sans profit pour ces possesseurs de minières qui ne vendraient rien en France et qui vendraient moins en Belgique.

Je ne comprends donc pas comment M. Moreau, d'après l'opinion qu'il a émise, puisse se croire et se dire plus que nous le défenseur du droit de propriété.

Mais cette assertion de l'honorable rapporteur est-elle fondée? Je vais chercher à établit qu'elle ne l'est pas.

Avant cette discussion, j'avais pris de nombreux renseignements près de nos maîtres de forges et de nos ingénieurs ; les faits que j'avais affirmé n'avaient été contestés par personne ; le hasard a voulu que ce matin j'aie eu l'occasion de rencontrer un des maîtres de forges français les plus considérables du bassin de la Meuse, qui ne possédait pas de hauts fourneaux, mais qui était à la tête de laminoirs importants à Maubeuge. Il est maintenant retiré des affaires, et se trouve dès lors dans une position d'impartialité.

Je le dis à l'honorable M. Moreau et à la Chambre, je lui ai lu le discours de l'honorable membre, pour mieux apprécier la valeur de l'opinion que j'avais combattue.

Eh bien, c'est l'étonnement que ces assertions ont produit chez lui. Il m'a dit que la bonne foi de notre honorable collègue avait été surprise, que ses renseignements que, sans nul doute, il avait cherchés consciencieusement, étaient complètement inexacts, et qu'il ne connaissait pas un maître de forges qui osât les confirmer.

Mais j'ai d'autres autorités plus officielles à placer en regard de celles que peut avoir notre honorable collègue, mais qui se trouve isolée : j'ai l'autorité des ingénieurs des mines dont on a parlé bien légèrement et dont la réputation européenne me dispense de prendre ici leur défense. Il. me semble que dans une question de science et de faits, leur avis doit être accepté comme prépondérant.

J'ai l'autorité des chambres de commerce les plus directement intéressées, celle de Charleroi et celle de Namur.

Veuillez remarquer que la chambre de commerce de Namur représente bien plus l'intérêt des minières que celui des hauts fourneaux. Il y a bien plus de minières dans cette province que de hauts fourneaux.

La chambre de commerce de Liège s'est, à la vérité, séparée des deux autres, mais M. Brixhe vous a rappelé qu'elle avait exprimé hautement le regret d'avoir à examiner isolement une question qui devrait être traitée corrélativement avec d'autres qui s'y rattachent.

A côté de l'autorité des ingénieurs des mines et des chambres de (page 850) commerce, j'ai à placer celle du comité des maîtres de forges du pays qui ont signalé les faits que M. Moreau conteste, dans une pétition qui est déposée sur le bureau de la Chambre.

Parmi les signatures, j'ai remarqué celles des maîtres de forges non seulement des arrondissements de Charleroi et de Namur, mais de maîtres de forges de l'arrondissement de Liège. Tous les possesseurs des hauts fourneaux de l'arrondissement de Liège, à l'exception de deux, je crois, Seraing et Grivegnée, ont signé la pétition protestant contre la libre sortie du minerai.

Ainsi, chambres de commerce les plus intéressées, ingénieurs, comité des maîtres de forges, gouvernement, tout le monde est d'accord pour confirmer l'opinion que je défends et les faits que j'ai avancés.

Mais il n'y a pas seulement ces autorités ; il y a aussi des antécédents à invoquer. Ainsi pendant 25 ans, les intéressés et les chambres ont repoussé la libre sortie du minerai, toutes les fois qu'on l'a demandée, et cela parce qu'on a toujours pensé que cette libre sortie était profondément nuisible à l'industrie métallurgique, dont les craintes n'ont jamais été jusqu'ici considérées comme chimériques. Est-ce que pendant 25 ans tout le monde se serait trompé ? Il y a plus : cette appréciation faite en Belgique est confirmée par l'appréciation des maîtres de forges français.

Les maîtres de forges français ont souvent réclamé la faveur de la libre sortie du minerai et le gouvernement français, dans les négociations, s'est fait l'écho de ces réclamations, tout en reconnaissant que cette faveur ne devait pas être gratuite mais compensée par d'autres concessions.

Ce fait ne prouve-t-il pas que les maîtres de forges français apprécient l'importance de cette question de la même manière que l'envisagent les maîtres de forges belges? Ils considèrent la libre sortie du minerai belge comme devant produire les résultats que notre forgerie précisément redoute.

Je vous le demande, messieurs, toutes ces autorités et ces antécédents que j'ai invoqués, doivent-ils avoir moins de force et de poids à vos yeux que l'opinion isolée de l'honorable M. Moreau ? Cette question je l'adresse avec confiance aussi à l'honorable rapporteur de la section centrale lui-même.

Mais je n'ai pas voulu me contenter d'autorités pour combattre mon honorable collègue. Les raisons ne me manquent pas.

La Chambre me permettra de suivre l'honorable M. Moreau dans l'argumentation qu'il lui a présentée. (Parlez ! parlez !)

Il y a en France trois bassins miniers, a dit l'honorable M. Moreau : le bassin des Ardennes, celui de Maubeuge et celui de Valenciennes.

Il a prétendu que deux de ces bassins, ceux des Ardennes et de Valenciennes sont désintéressés dans la question, que le seul bassin en cause est celui de Maubeuge, parce qu'il est plus près de nos minières.

L'honorable M. Moreau croit que le bassin de Maubeuge produit le minerai de fer fort de l'Entre-Sambre-et-Meuse, minerai avec lequel nous faisons la fonte d'affinage de première qualité employée à la fabrication des fers de commerce et que nous exportons en France et en Allemagne.

Cette assertion est complètement inexacte. Pour que vous puissiez mieux l'apprécier, je dois vous faire connaître la situation géologique du bassin de l'Entre-Sambre-et-Meuse et de celui de Maubeuge.

Au midi de notre bassin houiller de Charleroi, se trouvent deux zones principales de gisements ferrifères.

La première, celle de Morialmé, Fraire, Florennes, comprend le minerai de fer fort, donnant un rendement non pas de 30 à 32 p. c, mais de 35 à 40 p. c. et plus.

Cette zone se prolonge vers Couvin où ce minerai devient rare, et se perd à la frontière de France.

La seconde zone comprend les minerais de fer tendre et métis, donnant un rendement de 22 à 24 p. c. ; c'est celle d'Acoz, de Villers-Poterie, de Labuissière, et qui se dirige vers Maubeuge.

C'est le prolongement de cette zone qui forme le bassin de Maubeuge.

Voilà des faits que je place au-dessus de toute contestation possible. Eh bien, ce que j'ai prétendu hier, je le répète. J'ai dit que dans le nord de la France, on ne possédait nullement nos riches minerais avec lesquels nous faisons notre fonte d'affinage que nous vendons aux laminoirs français. Pas un kilogramme de ce minerai ne se trouve dans cette partie du nord de la France. Je parle du bassin de Maubeuge et de Valenciennes. Avec le minerai de fer métis que l'on possède à Maubeuge, on fabrique de bon fer, du fer propre à faire des rails et certains fers de commerce peut-être. Mais je conteste d'abord que la qualité des rails fabriqués en France vaille celle des rails fabriqués en Belgique. Et je cite un fait pour le prouver, c'est que toujours on a imposé en Belgique, pour les rails, l'épreuve du mouton, tandis qu’en France on n'a osé le faire (sinon, très récemment peut-être), parce que les rails n'auraient pas résisté à cette épreuve. Ces fers sont moins forts, moins nerveux.

La route de Maubeuge peut donc servir à confectionner des rails d'assez bonne qualité, mais elle ne peut servir qu'exceptionnellement à la fabrication des fers de commerce et de marine, qui entrent pour la majeure partie dans la consommation. Voilà ce que j'ai affirmé et ce que je maintiens.

Mais faut-il une autre preuve que le fait connu de tous?

Si en France on possédait ce minerai et si l'on y fabriquait de la fonte d'affinage comme la nôtre, je demande comment, alors que notre fonte est frappée d'un droit de 18 francs par tonne, on m'expliquera que nous exportons 40,000 à 50,000 tonnes de fonte d'affinage en France? Et pour quelle destination ? Mais précisément pour les laminoirs du bassin de Maubeuge, du bassin de Valenciennes.

Pourquoi ces laminoirs nous achètent-ils à si hauts prix des fontes dont ils n'auraient pas besoin?

J'ai un autre fait à citer.

La société des hauts fourneaux et des laminoirs de la Sambre possède des laminoirs en France, à Maubeuge. Elle a placé ses hauts fourneaux en Belgique à Hourpes , et ce sont les fontes de ces hauts fourneaux d'Hourpes qui alimentent les laminoirs établis à Maubeuge. Je demande pourquoi cette société n'a pas établi ses hauts fourneaux dans le bassin de Maubeuge au lieu de les établir en Belgique?

Je signalerai encore un autre fait à l'attention de l'honorable M. Moreau et de la Chambre : c'est que le bassin de Maubeuge ne renferme que huit à dix hauts fourneaux, tandis que l'arrondissement de Charleroi et l'Entre-Sambre-et-Meuse en possèdent, je crois, 50 à 60. Et pourquoi? Parce que la production de la fonte trouvait deux limites qui l'arrêtent : la quantité insuffisante des minerais et leur qualité inférieure.

Les hauts fourneaux de Maubeuge, avec des machines de 50 à 60 chevaux comme celles de Charleroi, ne produisent que 12,000 à 14,000 kilog. par jour, tandis que nos hauts fourneaux de Charleroi produisent en un jour 20,000 à 22,000 kil. de fonte. Je demande pourquoi ; la raison en cet simple, c'est à cause de la qualité du minerai.

M. Prévinaire. - C'est parce que notre minerai est plus riche.

M. Dechamps. - Précisément, c'est parce que notre minerai est plus pur, plus pesant et plus riche. Voilà pourquoi nous produisons plus. Le rendement de nos minerais de fer fort est de 35 à 40 p. c tandis que le rendement des fers métis d'Acoz et de Maubeuge n'est que de 22 à 24 p. c. C'est précisément la différence que j'établis et c'est pour cela que je prétends que la France ne possède pas de minerai de fer fort, qu'elle en a besoin, qu'aussi longtemps qu'elle n'en possède pas, nous lui vendrons nos fontes ; mais que quand elle produira ces fontes, nous devrons renoncer à nos exportations.

Je n'insisterai pas sur les erreurs de chiffres qui ont été commises par l'honorable M. Moreau.

Ainsi, le prix de 9 fr. qu'il a attribué aux minerais de Maubeuge et celui de 18 fr. qu'il a attribué aux minerais de l'Entre-Sambre-et-Meuse, sont exagérés en sens opposés. En réalité ils sont plus élevés en France et moins élevés chez nous.

Voilà pour le bassin de Maubeuge. Il me paraît hors de toute contestation que les qualités de minerai de fer fort de Morialmé, de Florenne, de Fraire qui sont la cause de la supériorité de la forgerie belge et de sa réputation à l'étranger, la France du nord ne les possède pas que les qualités qu'elle possède sont précisément les minerais de fer métis et tendre.

Quant au bassin de Valenciennes, il s'y trouve peu de mines. Les hauts-fourneaux d'Anzin et de Denain sont placés entre deux bassins miniers, le Boulonnais et le bassin de Maubeuge.

Or, il leur est presque impossible, à cause des frais de transport, de se procurer du minerai du bassin de Maubeuge, accaparé d'ailleurs par les hauts fourneaux de la localité. Ils n'ont donc que les minerais du Boulonnais.

Or, ces minerais sont très pauvres et la fonte produite par ce minerai est très mauvaise. Pour réparer ce que cette situation avait de mauvais,, on vous l'a déjà dit, les hauts fourneaux de Valenciennes ont fait venir à grand prix des minerais d'Espagne et des minerais d'Alger. Ils se sont procuré en assez grande abondance des minerais d'Alger, dont le rendement est d'au moins 60 p. c.

Je le demande, lorsqu'il y aura libre sortie de minerai, les hauts fourneaux de Denain et de Valenciennes qui ne peuvent se procurer maintenant que la fonte détestable du Boulonnais, iront-ils encore s'ingénier à faire venir d'Alger ou d'Espagne, des minerais qui lui coûtent excessivement cher ? Evidemment non. Ils aimeront mieux payer 6 à 7 francs de transport pour faire venir nos minerais du Tournaisis et même d'Entre-Sambre-et-Meuse.

L'honorable M. Moreau a commis une troisième erreur, c'est en parlant du fer oligiste qui se trouve sur les bords de la Meuse ; l'honorable M. Moreau croit que le minerai oligiste des bords de la Meuse sera le seul qu'on pourra exporter en France ; eh bien, messieurs, je ne dirai pas précisément que je crois le contraire, on en exportera sans doute, mais je ferai remarquer que le minerai oligiste qui entre utilement dans les mélanges, n'y entre jusqu'ici que dans une proportion assez peu importante ; vous comprenez donc, messieurs, que ces minerais oligistes qui sont les plus éloignés de tous des hauts fourneaux français, seront précisément les derniers que les maîtres de forges français viendront chercher en Belgique.

Ces minerais oligistes, quoique donnant un rendement élevé, ne produisent que du fer métis et du fer tendre. Or le minerai de fer métis est précisément celui que possède le bassin de Maubeuge ; il n'a donc besoin de minerai oligiste que dans la proportion nécessaire pour faciliter la fusion.

Une autre considération, messieurs, qui empêchera que l'exportation (page 851) du minerai oligiste se fasse sur une échelle un peu importante, c'est que, d'après des renseignements que je crois exacts, la plupart des minières oligistes sont maintenant dans les mains de concessionnaires ; elles ont été concédées avant la loi de 1837. Ainsi Couillet, Ougrée, Châtelineau et d'autres forges possèdent maintenant des concessions de ces minerais. Il en résulte qu'au moins cette partie-là ne sera pas exportée.

Ainsi, messieurs, en résumant la thèse contradictoire que nous avons soutenue, M. Moreau et moi, il résulte de ces faits, que je crois vrais parce qu'ils reposent sur des renseignements pris à des sources que je crois certaines, il en résulte que si la libre sortie est décrétée, les maîtres de forges français commenceront par s'approvisionner aux mines de fer qui se trouvent à proximité de leurs hauts fourneaux, c'est-à-dire aux minières de fer de Morialmé et de l'Entre-Sambre-et-Meuse, parce que d'abord les frais de transport pèseront moins sur un minerai riche que sur un minerai pauvre, ensuite parce que ces minières sont beaucoup plus à portée des hauts fourneaux français, en troisième lieu, parce que ces qualités de minerai manquent en France et que la France en a besoin pour produire la fonte d'affinage de première qualité pour le fer de commerce. Lorsque les maîtres de forges français auront épuisé les minières de l'Entre-Sambre-et-Meuse, alors, j'en conviens, ils iront plus loin.

Ainsi, messieurs, je crois que c'est le contraire précisément de l'assertion de l'honorable M. Moreau qui est vrai : on exportera en France nos minerais de riche qualité de l'Entre-Sambre-et-Meuse, avant tout ; les minerais de fer tendre ne seront guère exportés, d'abord parce qu'il y a profusion de ces minerais dans le Boulonnais et le nord de la France, en deuxième lieu, parce que les frais de transport pèseraient trop sur ces minerais pauvres. Pour les minerais oligistes, j'avoue, messieurs, qu'au premier coup d'œil on pourrait croire qu'il y a peu d'inconvénient à permettre la sortie de ces derniers, d'abord parce qu'on peut très bien les distinguer à leur couleur, ensuite parce qu'ils n'entrent dans la fonte que pour une part assez restreinte. Mais je n'oserais me prononcer sur cette question, en l'absence de renseignements suffisants.

On a parlé des propriétaires des minières. Eh bien, messieurs, en examinant les pétitions déposées sur le bureau de la Chambre, je remarque que ce sont précisément les pétitionnaires qui ne profiteraient pas de la libre sortie, au moins immédiatement. Ces pétitionnaires appartiennent généralement au Brabant wallon où il n'y a qu'un minerai pauvre, un minerai siliceux, presque réfractaire ; évidemment ce minerai ne s'exporterait pas à une distance pareille, à cause des frais de transport. Ainsi ces pétitionnaires se font une étrange illusion. La deuxième catégorie de pétitionnaires sont ceux des bords de la Meuse ; eh bien ceux-là, comme je viens de le dire, exporteront peut-être quelque chose, mais ils exporteront peu.

Il est une catégorie de propriétaires, messieurs, qui ne réclament pas, ce sont précisément les propriétaires de nos mines de l'Entre-Sambre-et-Meuse ; aucune pétition de cette contrée n'est parvenue à la Chambre. Pourquoi? Parce que ces propriétaires savent bien que la libre sortie, loin de leur être bonne, leur sera mauvaise ; ils aiment beaucoup mieux vendre leur minerai à proximité de leurs minières aux hauts fourneaux belges que de les vendre aux hauts fourneaux français lorsque les nôtres seront éteints.

Il me reste une considération à vous exposer. Je vous ai dit tout à l'heure que, dans nos négociations avec la France, on avait plusieurs fois agité la question de la libre sortie du minerai.

Qu'avons-nous toujours répondu ? Nous avons dit à la France : Vous frappez nos fontes d'un droit exorbitant, d'un droit qui serait prohibitif si nous ne produisions pas une certaine qualité de fonte que vous ne faites pas ; consentez à réduire vos droits à l'entrée de nos fontes en France et nous vous ferons des concessions pour la sortie de nos minerais. Je le demande à la Chambre, est-il sage, est-il prudent, est-il rationnel, lorsque nous avons si peu d'éléments de négociation avec la France, de nous priver de celui-là? Est-il sage de faire gratuitement à la France cette concession qu'elle n'a jamais réclamée que par traité, c'est-à-dire contre des compensations?

N'est-il pas beaucoup plus prudent de demander au gouvernement d'insister auprès de la France, comme on l'a toujours fait, pour que ces deux questions soient examinées simultanément et d'une manière corrélative? Veuillez-le remarquer, messieurs, si la libre sortie était décrétée, il serait trop tard de faire entrer la question du minerai dans les négociations avec la France.

En effet, à la faveur de cette libre sortie, et en présence du droit de 48 francs qui frappe les fontes belges à leur entrée en France, il est évident qu'au lieu de 9 ou 10 hauts fourneaux qui existent aujourd'hui sur la frontière au nord, on en créerait 50 à 60. Et lorsque ce fait sera accompli à notre frontière, lorsque nos maîtres de forges auront transplanté leurs hauts fourneaux au-delà de la frontière, espérez-vous obtenir de la France ce que vous n'avez pas obtenu jusqu'à présent ? On aura élevé une industrie factice qui aura besoin d'une protection permanente. Il ne faudrait plus songer à des concessions à obtenir sur la fonte.

Je le demande à la Chambre : n'est-il pas plus rationnel de faire de la liberté commerciale par réciprocité, de n'accorder la faveur qu'on nous demanderait qu'en retour d'une compensation?

Je n'ai qu'un mot à dire relativement à l'amendement de l'honorable M. Julliot. J'avais cru hier qu'il était question d'un droit de sortie d'un franc par tonne ; mais en lisant dans les Annales le discours de l'honorable membre, je me suis aperçu qu'il s'agit d'un franc par mètre cube.

Or, un mètre cube, c'est quelque chose comme 1,600 à 1,700 kilog. Ce n'est donc qu'un droit de balance d'un à 2 p. c. Je conviens qu'au point de vue fiscal, ce droit aurait quelque avantage ; mais il n'en aurait aucun au point de vue de la protection douanière.

Je demande s'il est convenable de faire passer une industrie brusquement et à l'occasion d'un projet de loi incidentel, de la faire passer du régime de la prohibition à celui de la libre sortie ou d'un droit de balance.

Je dis que lorsque nous examinerons cette question à tête reposée, entourés de renseignements suffisants, il est fort possible que la Chambre se décide en faveur d'un droit de sortie, au lieu de la prohibition à la sortie ; mais je dis qu'alors nous ne pourrons songer à établir ce droit que proportionnellement au droit qui frappe l'entrée de nos fontes en France, d'après la base d'un rendement à déterminer.

Messieurs, que demandons-nous? Nous ne demandons pas qu'on repousse les divers amendements ; mais nous demandons un examen ; l'examen n'a pas eu lieu ; ou du moins, l'examen a été insuffisant, il doit être complet.

Lorsque les maîtres de forges à l'unanimité, lorsque les ingénieurs des mines, lorsque les chambres de commerce intéressées viennent affirmer avec le gouvernement que vous allez compromettre une grande industrie, la Chambre peut-elle prendre sur elle de prononcer brusquement une semblable décision ? Le gouvernement a nommé une commission d'enquête qui s'occupe de la révision de notre tarif. Eh bien, pourquoi ne pas renvoyer à son examen la question du minerai à l'occasion d'un droit dont on veut frapper l'entrée des fontes étrangères en Belgique? Ce sont toutes questions dont l'examen doit être simultané. Quand à la suite des travaux de la commission d'enquête, le. gouvernement nous saisira d'un projet de loi complet, bien mûri, nous aurons alors à prendre une décision, nous verrons s'il faut maintenir la prohibition à la sortie ou la remplacer par un droit ; si nous nous prononçons alors en faveur d'un droit, nous examinerons sur quelle base il doit reposer. Nous n'avons pas aujourd'hui les éléments d'appréciation nécessaires. C'est là ma conviction.

Je dirai maintenant un mot de l'amendement de l'honorable M. Manilius. L'honorable membre s'est trompé en fait. Il a cru qu'il serait dangereux de permettre l'exportation du minerai par mer et qu'il y aurait beaucoup moins de danger à la permettre par les frontières de terre. C'est le contraire qui est vrai. Si on exporte du minerai, ce n'est que par la frontière de terre ; or la frontière de terre c'est précisément la frontière de France ; c'est là qu'est le danger, et c'est ce que nous nous sommes efforcé de démontrer.

Je me permets de faire cette observation à l'honorable M. Manilius, parce qu'au fond il n'est pas éloigné de notre manière de voir ; l'honorable membre veut agir avec prudence et circonspection ; mais il s'est trompé en fait.

(page 846) M. Moreau. - Messieurs, je ne ferai qu'une courte réponse aux observations qui viennent de vous être présentées contre la proposition de la section centrale, car je ne crois pas que les arguments que j'ai fait valoir à l'appui de la suppression à la sortie du minerai de fer aient été réfutés.

En effet, j'ai dit d'abord que le maintien de la prohibition à la sortie était contraire aux principes économiques. La chambre de commerce de Charleroi le reconnaît, l'honorable M. Dechamps l'avoue, ce point n'est pas contesté ; il n'y a pas plus de motifs pour établir cette prohibition que pour défendre la sortie du pays de la houille, de la fonte ou du lin, toutes matières premières que nos voisins peuvent utiliser et utilisent pour nous faire concurrence tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.

J'ai ajouté que maintenir cette restriction, c'était porter atteinte à la libre disposition de la propriété, commettre une injustice criante envers (page 847) certains propriétaires pour favoriser des maîtres de forges. Les exproprier à leur profit, de cela l'honorable M. Dechamps ne s'en occupe pas. Il n'examine pas, si on veut placer des Belges sous un régime différent suivant que les produits qu'ils retirent du sol sont plus ou moins éloignés de hauts fourneaux.

Cela est encore incontestable, un des ingénieurs reconnaît que la prohibition apporte des entraves à la libre disposition des fruits du travail et vous n'ayez pas oublié avec quelle énergie M. le ministre de l'intérieur repoussait le système dans lequel son collègue des finances cherche à nous égarer de plus en plus.

Le minerai de fer, messieurs, est, comme le grain, un véritable produit du sol ; un professeur distingué soutient même qu'il se produit chaque jour.

Les minières (dit Stanislas de Girardin dans son rapport au corps législatif), les minières placées ou à la surface du sol ou presque immédiatement au-dessous de la couché végétale pouvant être exploitées sans de grands travaux et sans compromettre en rien les ressources de l'avenir, doivent rester à la disposition du propriétaire de la superficie ; ce sont, ajoute-t-il, des productions du sol.

Si le minerai de fer n'est, dans l'état de notre législation, qu'un produit du sol semblable à tout autre, un produit, comme on l'a déjà dit, qu'on peut en extraire avec la bêche, vous conviendrez qu'il y a injustice à en restreindre la vente, à empêcher que les possesseurs ne puissent s'en défaire là où ils le trouvent bon de la manière la plus avantageuse.

Vous conviendrez enfin que le régime différent auquel vous voulez soumettre ces derniers n'est pas plus admissible que celui dont ne voulait à aucun prix l'honorable ministre de l'intérieur pour les détenteurs d'autres produits de la terre.

Ces seules considérations, messieurs, doivent vous suffire pour adopter la mesure que la section centrale vous propose à l'unanimité moins une abstention.

Aussi, c'est par des moyens dilatoires, détournés, qu'on cherche à échapper aux conséquences de ces vérités frappantes.

C'est un ajournement qu'on vous demande ; la question n'est pas mûre, le projet de loi, dit-on, était anodin, à quoi bon troubler dans leur paisible position une classe de privilégiés qui ne se plaignent nullement des faveurs, des protections exorbitantes dont ils jouissent. Attendez la réforme douanière.

Mais, messieurs, il ne s'agit pas ici, à proprement parler, du libre échange, il ne s'agit pas de savoir si nous déclarerons libres à l'entrée telles ou telles marchandises, si nous permettrons à des produits étrangers de venir faire concurrence aux nôtres.

Non, messieurs, telle n'est pas la question.

Ce sont des intérêts belgcs opposés qui sont en présence ; d'un côté, ce sont ceux des propriétaires du minerai de fer, de l'autre, ceux des maîtres de forges qui ont également droit à votre protection.

Il faut donc examiner seulement si les uns doivent être sacrifiés aux autres ; s'il est juste, équitable de placer sous un régime different le produit du travail de premiers et le produit des labeurs des seconds.

La question qui vous est soumise n'a donc pas trait direct à la réforme douanière ; aussi, aucune des dispositions de la loi qui vous a été présentée ne concerne la sortie du pays des marchandises qui, à l'exception de trois ou quatre, peuvent déjà toutes s'exporter librement.

Et je doute fort que la loi sur la réforme douanière, dont le gouvernement doit saisir les Chambres (Dieu sait quand), renferme un seul article relatif à la libre sortie de nos produits.

Des propriétaires ont le plus grand intérêt à ce qu'on supprime la prohibition à la sortie du minerai de fer, ils vous adressent chaque jour de nombreuses pétitions, ils soutiennent qu'ils sont traités avec injustice et vous refuseriez d'examiner leurs plaintes, vous les repousseriez par un ajournement !

Ne dirait-on pas que vous reculeriez devant la manifestation de la vérité ?

Enfin, messieurs, je crois avoir prouvé qu'aucun motif plausible ne milite en faveur du maintien de la prohibition à la sortie du minerai de fer et que les craintes des maîtres de forges, comme les alarmes des chambres de commerce de Namur et de Charleroi sont chimériques.

Vous n'attendez pas que je réponde à toutes les observations que vient de vous présenter l'honorable M. Dechamps ; je ne crois pas d'ailleurs qu'il soit nécessaire d'entrer dans tous ces détails.

C'est seulement secondairement que j'ai soutenu qu'il ne sortirait pas du pays du minerai de fer fort, mais qu'on viendrait seulement nous prendre des mines riches en métal.

Et je maintiens comme exacts tous les faits que j'ai avancés, mes renseignements ont été puisés à bonnes sources et près de personnes désintéressées, incapables de surprendre ma bonne foi.

Pour confirmer cependant que ce que j'ai avancé est exact, je dirai que l'honorable prédécesseur de M. le ministre des finances actuel connaissait probablement ce qui se passait, lorsque en 1853 il proposait la libre sortie du minerai de fer ; il ne voulait pas sans doute ruiner de gaieté de cœur nos établissements où se fabriquent la fonte, et ce n'est qu'après enquête, après avoir consulté les chambres de commerce, et aussi après avoir reçu des renseignements conformes aux miens, qu'il s'est décidé à abolir la prohibition à la sortie du minerai de fer.

J'ai dit, messieurs, que la tonne de minerai de fer coûtait 18 fr. rendue sur le parc des hauts fourneaux à Charleroi et que son rendement n'était que de 30 à 32 p. c.

On conteste ces chiffres ; eh bien, j'en prouve l'exactitude par un rapport de la chambre de commerce de Liège de 1847.

Pendant cette année, les hauts fourneaux de Marcinelle et de Couillet, au nombre de quatre, ont fabriqué en chiffres ronds 26,000 tonnes de fonte pour lesquelles ils ont employé 86,400 tonnes qui leur ont coûté 1,402,000 fr. Faites les calculs et vous verrez que le rendement n'est pas de 30 p. c. et que la tonne de minerai revenait déjà en 1847 à 16 fr. 77 c.

Le prix de revient de la tonne de fonte était alors de 98 fr. 80 c, je n'ai donc pas exagéré en fixant le prix de la tonne de fonte rendue en France à 22 fr.

Ainsi les maîtres de forges français pour se procurer du minerai belge payeraient 24 fr. pour 300 à 320 kilogrammes de fer contenu dans ce minerai, à ce taux ils auraient encore bénéfice à en faire venir de l'Espagne, à un prix élevé, car il faudrait que ces mines, si riches en métal, ne renfermassent pas 66 à 67 p. c. pour qu'ils n'eussent pas de bénéfices en faisant cette opération.

Je persiste donc à soutenir que les usines de Maubeuge n'ont intérêt à faire usage de minerai belge que pour autant qu'elles y viennent chercher des minerais très riches.

(page 851) Et c'est ce minerai que l'on pourra exporter ; ainsi, toutes les espérances de ceux qui exploitent ou voudraient exploiter des minerais de fer ne seront pas déçues, comme l'avance l'honorable M. Dechamps.

Cet honorable membre ajoute que les propriétaires des minerais de Sambre-et-Meuse ne se plaignent pas de ne pouvoir les exporter, qu’ils comprennent trop bien combien la libre sortie leur serait peu profitable et jetterait la perturbation dans l'industrie sidérurgique prospère, pour pousser jusque-là leurs exigences, qu'ils préfèrent donc vendre leurs produits aux hauts fourneaux indigènes plutôt qu'aux usines françaises. Eh bien, ils resteront parfaitement libres d'agir ainsi si même la libre sortie du minerai de fer est décrétée, rien ne les forcera à se défaire de leurs marchandises à l'étranger, et s'il est vrai que telle soit leur manière d'agir comment les maîtres de forges peuvent-ils craindre de manquer de cette qualité de minerai ?

Je le répète, messieurs, les considérations que vous a présentées l'honorable M. Dechamps ne sont pour moi que secondaires et ce n'est que pour calmer les alarmes de certaines chambres de commerce et des maîtres de forges, que j'ai invoqué des faits contraires à ceux qu'il a avancés et que j'ai tout lieu de croire exacts. Car ce sont les principes que j'ai tantôt indiqués qui dominent la question et qui doivent vous servir à la résoudre.

Je dirai maintenant un mot de l'amendement présenté par mes honorables collègues MM. Wasseige et Thibaut, et qui consiste à laisser au gouvernement la faculté d'autoriser ou non la libre sortie du minerai de fer. Je pense, messieurs, que semblable disposition serait illusoire, puisque bien certainement M. le ministre des finances, dans la disposition d'esprit où il se trouve, n'userait pas de cette faculté ou n'en ferait qu'un usage très restreint ou exceptionnel.

Le système vicieux et inique (car on ne peut le qualifier autrement) qui est actuellement en vigueur continuerait à exister, or, c'est ce que nous désirons abolir ; nous voulons qu'on se montre juste envers tous les propriétaires, et qu'on n'exproprie plus les uns au profit des autres.

(page 847) M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, je dois repousser le caractère que l'honorable préopinant attribue à la proposition du gouvernement. Suivant lui, le gouvernement voudrait entraîner, égarer la Chambre dans un système de prohibition...

M. Moreau, rapporteur. - Non, dans un système différentiel.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Soit, je dirai, en ce cas, sans en décliner la responsabilité, que ce n'est pas le gouvernement lui-même qui a pris l'initiative de cette proposition : elle émane de la commission d'industrie de la Chambre. Du reste, la commission a proposé cette mesure comme n'ayant qu'une faible importance, comme satisfaisant à certains intérêts, sans en blesser aucun.

Le gouvernement a cru pouvoir se rallier à l'avis de votre commission et l'a formulé en projet de loi. Mais il est à observer que cette mesure elle-même n'est qu'une exception à une prohibition prononcée par la Chambre, qui elle-même avait fait une première exception en 1853. Je fais remarquer d'ailleurs que le projet, loin d'avoir uu caractère prohibitif, tempère, au contraire, ce que la loi pouvait avoir de trop exlusif.

Messieurs, beaucoup d'assertions contradictoires ont été émises dans cette discussion ; mais il est un fait incontestable qui domine le débat, c'est que le minerai que nous exporterions en France serait principalement du minerai de fer fort que nous possédons et qui est indispensable à nos établissements métallurgiques. Voilà ce qui est prouvé. (Dénégation.) Cela me paraît prouvé à l'évidence par l'honorable M. Dechamps.

Il est acquis à la discussion qu'au-delà de notre frontière, on possède des quantités suffisantes de minerai de fer tendre ou métis, mais qu'on ne possède pas du minerai fort.

M. Lesoinne. - C'est tout le contraire.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Il me semble résulter des paroles, l'honorable M. Moreau lui-même dit qu'on ne possède pas de minerai de fer fort de l'autre côté de la frontière... (Interruption.) L'honorable membre a parlé d'un minerai avec lequel on pourrait fabriquer du bon fer qui ne cède en rien à celui qui est fabriqué à Charleroi ; mais cette assertion a été contredite par l'honorable M. Dechamps qui s'est basé sur des renseignements puisés à des sources qui méritent toute confiance, notamment dans les avis de nos chambres de commerce ; ces données ont un caractère bien plus sérieux que celles qui ont pu être recueillies chez quelques individualités peut-être intéressées.

C'est aussi les avis des chambres de commerce que j'invoque pour combattre les amendements présentés.

Je crois, avec la chambre de commerce de Charleroi, que ce serait surtout le minerai de fer fort qui serait recherché par les établissements rivaux situés à l'étranger et que les autres espèces de minerai ne seraient exportées qu'en faibles quantités ; il est donc évident à mes yeux que les propriétaires de minerais, considérés à un point de vue général, sont désintéressés dans la question. De plus, quand on considère les conséquences de la libre sortie du minerai dans leur ensemble, on est amené à reconnaître que cette mesure entraînerait une perte plutôt que de produire un avantage pour eux ; au lieu de fournir, comme aujourd'hui, tout le minerai qui sert à la fabrication du fer exporté dans un pays voisin, ils n'en placeraient plus qu'une partie, ainsi que je l'ai expliqué hier ; c'est pour un pareil résultat que nous compromettrions la prospérité d'une des plus grandes indutries du pays.

Messieurs, plusieurs propositions ont été soumises à la Chambre. J'ai déjà déclaré que je repousse l'amendement de la section centrale ; je considérerais comme un embarras pour le gouvernement la faculté d'autoriser partiellement ou généralement, sans désignation spéciale, la libre sortie du minerai par les frontières de terre ; l'intention du gouvernement à cet égard est bien connue.

Je dois le déclarer loyalement, il est très probable qu'il ne ferait pas usage de pareille faculté, et se bornerait à exécuter la loi dans le sens du projet qu'il vous a présenté.

(page 848) - - Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. Prévinaire. - Je demande la parole contre la clôture. Je crois devoir faire remarquer que la discussion a été circonscrite entre M. le ministre des finances, M. le rapporteur et M. Dechamps, qui a pris deux fois la parole. S'il s'agissait d'une discussion brûlante et d'une question exigeant une prompte solution, ou si notre ordre du jour était chargé, je concevrais cette impatience d'en finir ; mais dans la discussion d'une question de la nature de celle qui nous occupe, à laquelle, à l'exception des trois honorables membres que je viens de citer, personne n'a pris part, et après la présentation d'un aperçu qu'on produit comme principal, comme dominant la question, et que nous croyons important de rétorquer, je demande à la Chambre de nous permettre de nous expliquer.

M. de Mérode. - Voilà deux jours entiers que nous discutons sur une très petite proposition, sur une proposition circonscrite qui ne mentionnait qu'un objet sans importance et qu'on aurait pu résoudre en quelques instants si on avait voulu l'aborder simplement telle qu'elle avait été présentée ; mais voila que d'une question longue comme le doigt on fait une question grande comme le corps, on pousse la chose si loin qu'il ne s'agit pas de moins que de jeter une perturbation considérable dans une des industries les plus précieuses et les plus importantes du pays. C'est-à-dire que d'une manière incidente, à propos d'un petit projet qui ne devait pas donner lieu à discussion, on entame une discussion à perte de vue. Ce n'est pas ainsi qu'on fera les affaires du pays. Il faut en finir.

M. Vandenpeereboom. - L'honorable M. de Mérode en se prononçant pour la clôture a prouvé que la discussion doit continuer, car il vous a dit : « D'une question grande comme le petit doigt on en fait une question grande comme le corps. La question s'est élargie, elle a pris de grandes proportions, MM. Dechamps et Moreau l'ont constaté. Puisque la question est devenue aussi grave et aussi importante, il faut permettre à la discussion de continuer encore au moins un jour.

- La clôture est mise aux voix ; elle n'est pas prononcée.

La séance est levée à cinq heures.