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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 18 novembre 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page 42) (Présidence de M. Orts, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Vanden Stichelen procède à l'appel nominal à 2-hcures et un quart ; il lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre :

« Le sieur J. Engel, ouvrier tailleur à Louvain, né à Utrecht (Pays-Bas), demande la naturalisation avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Legrain, médecin vétérinaire à Assesse, demande qu'il soit introduit des réformes dans l'école de médecine vétérinaire de l'Etat. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur F.-G. Plasman, soldat au régiment du génie, demande à recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Des habitants de Gand demandent que M. le ministre de l'intérieur soit invité à se prononcer sur ses intentions relatives aux réclamations qui ont été adressées en faveur de la langue flamande. »

« Même demande d'habitants de Louvain et d'Héverlé. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Langen, ancien volontaire liégeois, demande une pension. »

- Même disposition.


« Le sieur Raucq, ancien sous-officier, blessé de septembre, demande la pension dont jouissent quelques décorés de la croix de Fer. »

- Même disposition.

« M. le ministre de la justice informe la Chambre que les sieurs Leyder, Nicolas, hôtelier, demeurant à Virton et Weyland, Guillaume, demeurant à Bastogne, renoncent à leurs demandes de naturalisation ordinaire. »

- Pris pour notification.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, deux demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de loi sur la contrainte par corps

Rapport de la commission

M. le président. - La parole est à M. de Boe, rapporteur de la commission qui a examiné le projet.

M. de Boe, rapporteur. - Messieurs, avant de vous faire un rapport sur les modifications qui ont été adoptées hier dans le sein de la section centrale, de commun accord entre cette commission et M. le ministre de la justice, je vous dois quelques explications sur les motifs qui nous ont déterminés à vous présenter ces modifications nouvelles.

Il nous restait des doutes sur la légitimité de certaines dispositions et de certains amendements que nous avions adoptés.

Ces doutes portaient surtout sur les articles 3 et 4. Les diverses dispositions qui y sont énoncées sont la reproduction d'articles du Code civil et du Code de procédure, c'est-à-dire de dispositions qui sont depuis longtemps en vigueur. Le gouvernement avait cru, en conséquence, ne pas devoir donner des explications très étendues sur ce point ; et il restait des doutes dans l'esprit de la section centrale sur la nécessité de maintenir en cette matière la contrainte par corps ; elle avait donc en quelque sorte, si je puis m'exprimer ainsi, adopté provisoirement certains amendements, se réservant de provoquer une délibération ultérieure entre la section centrale et M. le ministre de la justice. Malheureusement cette conférence ne put avoir lieu, et lorsqu’au mois de juin la Chambre manifesta momentanément le désir de discuter la loi, ne pouvant rien changer à ce rapport sans l'agrément de la section centrale, je fus obligé de le faire imprimer et de le déposer sur le bureau, tel qu'il était, me réservant de présenter, avant la discussion, un travail supplémentaire, à la suite d'une conférence entre la commission et M. le ministre de la justice. Cette conférence a eu lieu hier, et, comme je l'ai dit.la section centrale a adopté des amendements nouveaux et retiré des amendements anciens.

Tous les changements sont proposés par la commission, de commun accord avec M. le ministre de la justice.

La première des nouvelles modifications porte sur le n°3° de l'article premier.

Le n°3° serait rédigé de la manière suivante :

« Contre toutes personnes pour l'exécution des engagements relatifs au commerce et à la pêche de mer. »

Cette disposition est empruntée à la loi de germinal an VI.

Cette loi comprenait dans sa généralité tous les contrats concernant le commerce et la pêche de mer. Les lois nouvelles peuvent régler des contrats maritimes analogues à ceux du livre II du Code de commerce. Par l'effet de la rédaction nouvelle du paragraphe 3, ces contrats seront garantis par la voie de la contrainte par corps, sans qu'il soit nécessaire de rien changer à la loi sur cette matière.

A l'article 3,1a commission a consenti à retirer presque tous les amendements qu'elle avait adoptés. Pour le paragraphe 3, M. le ministre de la justice nous a fait observer avec beaucoup de raison que l'amendement embrassait une foule de cas pour lesquels la loi actuelle n'édictait pas la contrainte par corps ; qu'il n'y avait pas lieu d'étendre cette mesure.

Nous nous sommes rendus à cette observation ; l'article 3 reste donc rédigé tel qu'il a été proposé par le gouvernement.

Il en est de même du paragraphe premier, article 4.

Des difficultés s'étaient présentées sur l'interprétation de cet article, difficultés d'autant plus plausibles, que la disposition qu'il renferme avait donné lieu à des controverses de la part des hommes qui se sont le plus spécialement occupés de la contrainte par corps, MM. Dalloz, Troplong et Laurent.

Dalloz n'admettait pas que pour le délaissement d'immeubles on pût agir par la contrainte par corps ; il prétendait que dans ce cas le délaissement devait être opéré par la force militaire, manu militari.

M. le ministre a fait observer qu'il était des cas où la contrainte par corps pouvait être utile, par exemple dans le cas où le détenteur refuserait de quitter l'immeuble. Dans ce cas, la contrainte par corps serait exercée jusqu'à ce que le détenteur indu ait déguerpi, c'est-à-dire ait laissé l'immeuble en tel état que le vrai propriétaire y puisse librement entrer.

Le paragraphe 5 reste tel que l'a proposé la section centrale.

Au n°5° nous proposons une rédaction nouvelle ainsi conçue :

« Contre le fol enchérisseur, après saisie d'immeubles ou de rentes constituées sur immeubles pour différence de son prix avec celui de la revente. »

De cette manière, le paragraphe 3 sera en concordance avec la loi du 15 août 1854, sur l'expropriation forcée. Nous n'avons pas voulu innover, cette loi ayant été votée il y a quelques années seulement.

Au paragraphe 7 nous maintenons aussi la disposition du gouvernement. La section centrale, en supprimant ce paragraphe, avait pensé qu'il n'y avait lieu d'accorder la contrainte par corps que pour le recouvrement de dommages-intérêts qui pourraient être alloués aux créanciers. Le paragraphe 3 permet au juge de prononcer la contrainte par corps pour les dommages-intérêts dus en cas de dol, de fraude ou de violence, celui qui dénie son écriture de mauvaise foi commet une fraude, et s'il est condamné à des dommages-intérêts, il tombera sous l'application de ce paragraphe. Le gouvernement a fait observer qu'il ne fallait pas rendre la loi moins rigoureuse pour le principal que pour l'accessoire, et qu'il y avait lieu d'accorder aussi la contrainte par corps pour l'exécution de l'obligation principale à laquelle le débiteur aurait cherché à se soustraire par un acte de fraude éminemment attentatoire à l'ordre public.

L'amendement à l'article 6 est adopté.

Nous supprimons la contrainte par corps à l'égard de la caution. Cette mesure n'est pas indispensable dans l'intérêt de l'Etat ou des établissements publics ; de plus, ce serait une dérogation aux articles 17 et 18 qui défendent aux individus de se soumettre à la contrainte par corps. Elle serait, dans l'espèce, conventionnelle de la part de la caution. Il en est de même de l'article 7.

Art. 10. Cet article a été l'objet d'une observation faite par M. Lelièvre, il a dit que les juges de paix prononçaient la contrainte par corps quand la somme excédait en principal 200 francs.

La section centrale a dit s'élève parce qu'elle a trouvé ce mot dans le projet, c'est une erreur de plume. Nous n'ignorons pas que les juges de paix prononcent sur des sommes de 200 fr., et dans certains cas sur toute somme à charge d'appel.

Ce titre IV consacre un droit spécial contre les étrangers non domiciliés. Ainsi, messieurs, si leurs engagements sont de telle nature que, contractés par un Belge ou un étranger domicilié, ils entraînent la contrainte par corps contre ceux-ci, les étrangers seraient également soumis à cette mesure. Si, au contraire, les engagements sont de telle nature, qu'ils n'entraîneraient pas la contrainte par corps contre le Belge ou l'étranger domicilié en Belgique, dans ce cas il faudrait que l'engagement eût été contracté directement par l'étranger envers le Belge ou l'étranger domicilié en Belgique.

Je prends une espèce : je suppose un étranger non domicilié en Belgique et poursuivi en vertu d'un titre négociable, non commercial d'un billet à ordre, par exemple.

Dans ce cas, si le billet à ordre a été originairement souscrit au profit (page 43) d'un étranger et s'il est tombé dans les mains d'un Belge, celui-ci ne peut pas exercer la contrainte par corps. Cet article a pour but de remédier à de graves abus, que nous a signalés l'honorable député d'Ostende.

Des Belges achètent des titres négociables civils à l'étranger pour des sommes minimes et poursuivent par corps l'étranger non domicilié, réfugié en Belgique pour éviter la contrainte par corps.

Nous ne pouvons pas sanctionner une pareille fraude, que répriment les tribunaux français, mais en forçant outre mesure l'interprétation de leur loi.

A l'article 11, il y a un simple changement de rédaction. L'amendement porte, au paragraphe 2 : « L'ordonnance énoncera la cause et le montant de la dette à raison de laquelle l'arrestation provisoire est autorisée et portera qu'il en sera référé. » Nous proposons de remplacer les derniers mots par ceux-ci : « et portera que le débiteur sera conduit en référé. » La rédaction de l'article est ainsi conforme à celle de l'article 28.

A l'article 12, vers la fin, nous intercalons le mot et. Nous disons donc : « L'étranger ne sera considéré comme domicilié en Belgique que lorsqu'il aura été admis par autorisation du Roi à y établir son domicile et qu'il y résidera réellement. » Nous réparons ainsi une simple omission.

Art. 13. Cet article a été l'objet d'une observation de la part de l'honorable M. Lelièvre. Cet honorable membre nous a dit que notre amendement aggravait la position faite à l'étranger par le projet du gouvernement, en ce sens qu'il ne suffisait plus que la caution fût une personne domiciliée en Belgique et reconnue solvable.

Il a prétendu que nous soumettions ces cautions aux règles générales en cette matière, c'est-à-dire que nous exigions qu'elles fussent domiciliées dans le ressort de la cour d'appel. Au lieu d'aggraver la position des étrangers, je pense, messieurs, que nous l'avons améliorée. Voici pourquoi le changement de rédaction a été proposé par la section centrale. Nous nous sommes dit : Quand un étranger possède un établissement de commerce ou des immeubles en Belgique ou qu'il présente une caution, il offre une garantie réelle pour le créancier ; mais il y a pour ce dernier une garantie bien plus sérieuse si cet étranger consigne la somme, et il y a garantie aussi sérieuse si un tiers offre une hypothèque ou un gage au moins équivalent à la dette. Nous avons donc voulu comprendre ces trois cas nouveaux dans la rédaction de l'article, et le rédiger de telle sorte que le juge puisse prononcer souverainement sur la qualité de la caution. Cela est, du reste, clairement exposé dans le rapport de la section centrale. Dès lors l'observation de l'honorable M. Lelièvre devient absolument sans objet.

Art. 18 : « Seront également nulles les condamnations par corps prononcées hors les cas déterminés par la loi. » Il n'y a pas d'amendement à cet article ; mais il a donné lieu à un certain doute au sein de la section centrale. Nous avons pensé, conformément à l'opinion de certains hommes de loi, que quand la contrainte par corps est prononcée hors les cas déterminés par la loi, le débiteur peut agir au principal devant les simples tribunaux civils. Ce cas s'est présenté notamment devant le tribunal de Bruxelles qui l'avait résolu contrairement à l'opinion qui avait momentanément prévalu au sein de la section centrale. Nous avons pensé que nous établissions par notre interprétation une dérogation beaucoup trop grande aux principes, et nous avons cru que dans ce cas-là, l'annulation du jugement ou de l'arrêt devait être pour suivie par les voies ordinaires, c'est-à-dire par le recours en cassation.

Nous avions, du reste, été portes à interpréter ainsi cet article, parce qu'il y avait des abus possibles. Ces abus, nous les avons prévus sous l'article 22 et nous les avons, en quelque sorte, rendus désormais impossibles. Je les signalerai tout à l'heure.

A l'article 20 des explications sont aussi nécessaires ; voici pourquoi je crois devoir entrer dans quelques développements à ce sujet.

Il semble résulter des explications qui ont été données sur cet article 20 dans l'exposé des motifs, que lorsqu'un individu est tenu de délivrer un corps certain ou d'exécuter une obligation de faire, tout ce que le tribunal peut faire, c'est de le condamner à une somme fixe ou à une somme pour chaque jour de retard, de telle sorte que la contrainte par corps ne pourrait garantir que le payement de ces sommes. En effet l'exposé de motifs dit : « En principe, l'emprisonnement est le moyen de contraindre le débiteur au payement d'une somme d'argent ; il ne peut servir à assurer l'exécution d'une obligation de faire, ou de délivrer un corps certain, que d'une manière indirecte, au moyen d'une condamnation, soit à une somme fixe, soit à une somme pour chaque jour de retard. »

C'était là, messieurs, une innovation dans le droit. Jusqu'ici les tribunaux et la doctrine décidaient que lorsque, par exemple, un notaire était condamné à délivrer une pièce, le tribunal pouvait le condamner directement à la délivrance de cette pièce, c'est-à dire décider que le notaire serait condamné à délivrer la pièce et le contraindre par corps sans le condamner ni à une somme fixe, ni à une somme par chaque jour de retard.

Nous avons cru devoir maintenir l'ancienne jurisprudence et autoriser le tribunal à condamner directement avec garantie de contrainte par corps, et à condamner aussi soit isolément, soit cumulativement, à une somme fixe ou à une somme par chaque jour de retard, et à la rendre recouvrable par la voie de la contrainte par corps.

Telle est, messieurs, la manière dont nous avons interprété cet article 20. C'était cette difficulté d'interprétation qui avait donné lieu primitivement au doute que nous avions d'abord sur la possibilité d'application de la contrainte par corps au délaissement comme mode direct d'exécution.

Art. 21. Pour cet article, il y a une nouvelle rédaction au paragraphe 3. Ce paragraphe serait ainsi conçu : « Le débiteur étranger qui offrira une des garanties mentionnées à l'article 13, pourra obtenir cette faveur, dans les cas où un Belge serait appelé à en jouir. »

La faveur dont il est ici question, c'est la faveur du sursis. Voici quelles étaient les raisons qui avaient déterminé le premier amendement de la section centrale. Le premier paragraphe dit d'une manière générale que le sursis ne pourra avoir lieu que lorsque la contrainte par corps sera facultative. Or, il n'y a pas de contrainte par corps facultative en faveur de l'étranger. On pouvait donc se demander : Quand ce sursis pourra-t-il avoir lieu ? II y avait là évidemment lieu à une nouvelle disposition. Nous étions partis de ce principe que l'étranger ne pouvait être traité plus favorablement que le Belge.

De là la première partie de l'amendement qui portait :

« L'étranger pourra, moyennant caution, obtenir cette faveur dans les cas où un Beige serait appelé à en jouir. »

Ainsi, en matière commerciale ou en matière civile extraordinaire, c'est-à-dire dans les cas prévus par la loi, l'étranger se trouvait sur la même ligne que le Belge.

Mais il y avait à statuer sur les dettes civiles ordinaires de l'étranger. C'est pourquoi nous avions dit :

« Et pour les dettes civiles ordinaires n'excédant pas 600 fr. »

Nous pensions qu'il n'y aurait pas lieu de nous montrer plus sévères pour celles-ci que pour les dettes commerciales.

Par suite d'un nouvel examen, nous avons cru devoir adopter une rédaction nouvelle d'après laquelle l'étranger, lorsqu'il offrira l'une des garanties indiquées dans l'article 13, c'est-à-dire, lorsqu'il aura un établissement de commerce ou un immeuble, ou lorsqu'il donnera une caution suffisante, pourra obtenir la faculté du sursis, si toutefois il s'agit d'une dette pour le payement de laquelle un Belge pourrait obtenir un sursis et ne serait pas contraignable en vertu de l'article 18.

Art. 22. M. Lelièvre voit dans la disposition finale de cet article, tel qu'il a été adopté par la section centrale, une dérogation à l'un des principes fondamentaux de notre droit. Je ferai observer qu'il y a, dans la loi sur la contrainte par corps, une foule de dérogations aux principes généraux du droit. La contrainte par corps est une mesure excessivement rigoureuse et nous avons cru, dans l'intérêt de la liberté du débiteur, devoir proposer l'amendement qui se trouve au projet ancien.

Voici, messieurs, l'espèce à laquelle se réfère cet amendement.

Presque toutes les condamnations entraînant contrainte par corps surtout en matière de billets à ordre, sont rendues par défaut.

Les débiteurs ne se présentent pas devant la justice. Or, il est arrivé ceci : que le créancier n'agissait pas pendant le délai d'appel ni pendant le délai de recours en cassation, laissait le jugement devenir définitif et exerçait ensuite.

Or, les débiteurs ne se rendent réellement compte de la rigueur d'une exécution par corps que quand cette exécution a lieu. Il y avait lieu de leur laisser une voie de recours ouverte, fût-ce même aux dépens des principes généraux de la législation.

Mais ce n'est pas seulement la considération de la position du débiteur qui nous a guidés, c'est le respect pour l'un des articles fondamentaux de la loi ; le créancier, agissant en vertu d'un billet à ordre, pourrait assigner devant un tribunal de commerce, sous prétexte que son débiteur est commerçant et, comme celui-ci ne comparaît pas, le juge pourrait prononcer la contrainte par corps en dehors des cas prévus par la loi contre un non commerçant par suite d'une erreur sur sa qualité.

Le créancier pourrait éluder l'article 18 en retardant l'exécution du jugement, de sorte que le débiteur pourrait être définitivement arrêté, en dehors des cas prévus par la loi. Nous avons voulu que dans les trois jours après l'arrestation il pût appeler. Alors, si la condamnation est prononcée en dehors d'un cas prévu par la loi, le condamné aura recours à une juridiction supérieure. Bien loin que l'on puisse voir dans cet amendement une disposition exorbitante, j'ai même cru, pour ma part, que ces trois jours n'étaient pas suffisants.

Le condamné se trouvera ordinairement dans ces trois jours dans une prostration morale telle, que très souvent il n'agira pas. Il lui faudra, d'ailleurs, un certain temps pour consulter un homme de loi et se renseigner sur ses droits.

L'amendement à l'article 23 est adopté.

L'article 24 a été l'objet d'une autre observation de la part de l'honorable M. Lelièvre. La voici :

« Le système de la section centrale est contraire à toute l'économie de notre législation, qui ne reconnaît de lien civil qu'entre les enfants naturels et leurs descendants. »

J'avoue n'avoir pas bien compris l'observation. Il me semble que l'article est suffisamment clair. Nous ne créons pas de liens civils nouveaux. Nous nous référons aux liens civils créés par le code. Ainsi la contrainte par corps, en cas de parenté naturelle, ne pourra avoir lieu que lorsque les liens de parenté existent en vertu des lois actuelles.

Des difficultés plus sérieuses se présentent à l'occasion de cet article. Ces difficultés viennent, d'une part, de la sécurité nécessaire pour (page 44) assurer les transactions commerciales et de l'autre, de la nécessité d'empêcher qu'au moyen des cessions, la disposition de l'article ne soit violée.

Quatre hypothèses peuvent se présenter. Je prends deux des individus entre lesquels l'article n'autorise par la contrainte par corps, par exemple une femme et son mari.

Je suppose une femme ayant un titre qui entraîne en vertu de sa nature la contrainte par corps, et qui poursuit son mari devant les tribunaux. Dans ce cas, le tribunal ne pourra pas prononcer la contrainte par corps : si postérieurement au jugement rendu qui ne prononce pas la contrainte par corps, la femme cède son titre, le cessionnaire n'aura pas plus de droit que la femme, quel que soit le titre, même s'il s'agit d'un titre commercial, d'une lettre de change. Dans ce cas, le cessionnaire agit moins en vertu du titre qu'en vertu du jugement et ce jugement ne prononce pas, ne peut prononcer la contrainte par corps.

Seconde espèce. La femme cède son titre avant le jugement. Dans ce cas, le principe, que le cessionnaire n'a pas plus de droit que son cédant, est applicable.

Si, cependant, il s'agit d'un titre commercial négociable, et si le cessionnaire est de bonne foi, il pourra user de la contrainte par corps.

Troisième hypothèse : La femme devient cessionnaire d'un tiers qui a droit à la contrainte par corps antérieurement à tout jugement. Dans ce cas, le juge ne pourra prononcer la contrainte par corps.

Quatrième hypothèse : La femme devient cessionnaire postérieurement à un jugement prononçant la contrainte par corps. Dans ce cas elle ne pourra l'exercer.

Nous modifions la première phrase de la façon suivante : « La contrainte par corps ne pourra avoir lieu. » Cette rédaction est plus large que celle du gouvernement.

Nous avons cru devoir nous expliquer catégoriquement, afin de fournir un élément d'interprétation à la jurisprudence.

A l'article 25, la section centrale introduit un nouvel amendement au n°3° amendé, qui est ainsi conçu :

« Contre les débiteurs qui auront commencé leur soixante et dixième année. »

La section vous propose de dire : « contre les débiteurs qui auront atteint… »

Nous avons cru devoir adopter cette rédaction pour mettre l'article en concordance avec les dispositions de l'article 59 du Code pénal qui sont énoncées à l'article 40 du projet de loi,

A l'article 27, l'honorable M. Lelièvre a fait observer que la section centrale omet de reproduire une disposition favorable aux débiteurs et qui interdit l'exercice simultané de la contrainte par corps par des créanciers divers en vertu d'un même jugement.

Bien loin d'avoir été plus restrictifs que le projet du gouvernement, nous avons été beaucoup plus larges, en ce sens que nous avons interdit l'exercice simultané de la contrainte par corps contre le mari et la femme, même lorsque la contrainte par corps est poursuivie par des créanciers différents, en vertu de jugements différents.

Nous avons même été tellement loin, que l'article laisse encore certains doutes dans l'esprit de M. le ministre de la justice, et je pense qu'il se réserve le droit de revenir sur cette disposition, après une étude ultérieure.

Indépendamment de cette première disposition, nous en avons admis une autre : c'est celle qui interdit la contrainte par corps, contre le veuf ou contre la veuve, ayant des enfants mineurs aux besoins desquels le veuf ou la veuve pourvoit.

L'article 27 serait, en conséquence, rédigé de la manière suivante :

« Dans aucun cas la contrainte par corps ne pourra être exercée.

« 1° Contre le mari et la femme simultanément.

« 2° Contre le veuf ou la veuve ayant des enfants mineurs aux besoins desquels il pourvoit, s

La section centrale, en adoptant le premier amendement, s'est d'abord déterminée par les raisons invoquées par le gouvernement à ce sujet et de plus par cette considération que lorsqu'un des époux est déjà contraint par corps, cette contrainte agit, en définitive, indirectement contre l'autre époux, celui-ci fera tout ce qu'il pourra pour libérer celui qui se trouve en prison ; il est donc peut-être de l'intérêt du créancier que l'un des époux puisse travailler pour amener la libération de l'autre.

La seconde disposition en faveur du veuf ou de la veuve est prise exclusivement dans l'intérêt des enfants, c'est-à-dire dans l'intérêt de tiers.

Il pourrait se présenter ce cas : il s'agit d'un veuf ou d'une veuve avec enfants et n'ayant pas de fortune ; si la contrainte par corps peut être exercée contre ce veuf ou cette veuve, les enfants tomberont à la charge des bureaux de bienfaisance, et ce sera en définitive la commune qui souffrira de l'exercice de la contrainte par corps.

A l’article 29, l'honorable M. Lelièvre propose de revenir à la rédaction du gouvernement, aux termes de laquelle les détenus, pour restitution de dommages et intérêts, restitutions et frais en matière pénale, doivent être assimilés aux détenus ordinaires.

Nous avons cru devoir maintenir l'amendement. En effet, les individus dont il s'agit peuvent avoir été condamnés pour crime et subi plusieurs années de réclusion.

Il est évident que nous ne pouvions laisser ces individus-là en contact avec d'autres contraints par corps qui sont souvent de petits négociants très honorables ou des débiteurs civils en matière de lettres de change.

Il y aurait quelque chose d'immoral dans la rédaction de l'article s'il laissait supposer que ces deux classes d'individus pussent vivre au contact dans la même prison.

Nous proposons de rétablir également dans l'amendement la disposition relative aux dépenses de luxe ; toute dépense de luxe est interdite aux détenus pour dettes. Nous ne voyons pas d'inconvénient à maintenir cette disposition dans la loi. Nous avions pensé d'abord qu'elle pouvait faire l'objet du règlement intérieur de la prison.

A l'article 50, le gouvernement propose une disposition nouvelle, ainsi conçue : « L'emprisonnement se compte par jour et non par heure. »

Souvent cette question a fait l'objet de difficultés devant les tribunaux. J'ai vu dans la Gazette des Tribunaux qu'elle s'est récemment présentée devant le tribunal de Paris, qui l'a décidée, si j'ai bonne mémoire, dans le sens demandé par le gouvernement.

A l'article 35, nous proposons une disposition nouvelle à la deuxième phrase du deuxième alinéa ; nous disons : « Le tribunal compétent sera celui du domicile du débiteur ; si le débiteur est étranger, le tribunal compétent sera celui du lieu où le débiteur sera détenu. »

L'honorable M. Lelièvre nous disait hier : « Il faut décider nettement que le tribunal compétent sera celui qui a prononcé la contrainte par « corps. »

Non seulement nous ne devons pas énoncer nettement que le tribunal compétent sera celui qui a prononcé la contrainte par corps, mais nous ne pouvons pas du tout admettre ce principe. Quand un tribunal a statué sur la contrainte par corps, il n'a plus à s'occuper de la question de savoir si le débiteur est solvable ou non ; ce sont là des faits que le tribunal du domicile du débiteur pourra examiner avec plus de facilité et de fruit que celui qui aurait prononcé la contrainte par corps.

En général le débiteur est détenu dans le ressort du tribunal de son domicile. Tel est le motif qui a fait rédiger l'amendement nouveau de l'article 35.

Pour l'étranger dont il est question au titre IV, cette considération ne peut pas être invoquée, puisqu'il n'a pas de domicile dans ce pays. J'arrive au dernier article de la loi, à l'article 41. Cet article renvoie aux articles 24, 27 et 28.

Il y avait des lacunes à combler, ce que fit la section centrale, tout en sachant que sa rédaction était insuffisante. Après un examen ultérieur elle a reconnu qu'il était nécessaire d'introduire une disposition déterminant le minimum de la dette qui pouvait entraîner la contrainte par corps en cette matière et nous avons dit : « Les articles 20, 24, 27, 28, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37 et 38 de la présente loi sont applicables à la contrainte par corps, exercée en matière criminelle, correctionnelle et de police... » Le reste comme au projet du gouvernement.

« Toutefois quand la condamnation prononcée n'excédera pas 300 fr., la contrainte par corps sera fixée dans la limite de 8 jours à un an. Pour la condamnation aux frais prononcée au profit de l'Etat, elle est réglée par l'article 58, Code pénal, article 40. »

« Dans ce cas la durée de la contrainte sera déterminée par le jugement ou l'arrêt sans qu'elle puisse être au-dessous de huit jours ou excéder un an ; néanmoins les condamnés qui justifieront de leur insolvabilité suivront le mode prescrit par le code d'instruction criminelle seront mis en liberté après avoir subi sept jours de contrainte quand les frais n'excéderont pas 25 francs. »

Je ferai ici une observation. L'article porte : les condamnés qui justifieront de leur insolvabilité d'après le mode prescrit par le code d'instruction criminelle seront mis en liberté après avoir subi sept jours de contrainte.

L'article déclare donc que lorsque le débiteur justifie des conditions requises par l'article 420 I. Cr., il est légalement insolvable. On peut se demander alors quel est le but de cette contrainte de sept jours, et dire qu'elle ne sert plus à rien ; c'est un de ces articles qui ont fourni aux adversaires de la contrainte par corps le plus d'arguments contre cette mesure ; ils ont pu dire que c'était alors une véritable peine qui ne se justifiait pas. Il y aurait lieu de modifier l'article 420 et de dire : Les condamnés subiront sept jours de contrainte si les frais n'excèdent pas 25 fr., et s'ils justifient des pièces dont il est fait mention à l'art. 420, Code d'instruction criminelle. L'article aura alors ce sens. La loi voit une présomption très forte d'insolvabilité dans la production de ces pièces. Et cette présomption d'insolvabilité, qui sera corroborée par sept jours de contrainte si la dette n'excède pas 25 fr., vaudra preuve complète.

La rédaction de l'article serait ainsi en harmonie avec l'idée que nous nous formons du caractère et du but de la contrainte par corps.

J'ai oublié de dire quelques mots sur les doutes soulevés par M Lelièvre à l'article 3 relativement au stellionat ; ce doute n'est pas nouveau ; il a été soulevé par la 6ème section, elle a demandé ce qui aurait lieu lorsque, au mépris d'une vente précédente non transcrite, le vendeur aurait vendu une seconde fois l'immeuble dont il s'était dépouillé.

On demande si le premier acquéreur qui a payé le prix de l'immeuble pourra poursuivre le recouvrement de la somme payée par la contrainte par corps ? Cette question en vertu de l'article 3 ne peut pas faire doute.

Le propriétaire qui vend et qui revend une seconde fois, sachant qu'il (page 45 n'est plus propriétaire, se trouve sous l'application de l'article ; il est stellionataire et par suite tout ce qu'il devra de ce chef sera recouvrable par corps, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre le premier et le deuxième acquéreur.

Le doute soulevé par la 6e section et M. Lelièvre était justifié, car un arrêt de la cour de Toulouse a décidé que, dans le cas prévu par M. Lelièvre, la contrainte par corps ne pouvait pas être exercée. L'explication de la section centrale consignée dans le rapport suffira pour guider la jurisprudence.

Quant aux amendements de M. Jouret, je n'ai pas pu m'en occuper et rédiger le projet de loi comme il le désire. Il s'agit, d'ailleurs, là d'une question de forme ; je m'occuperai demain matin de réviser le texte du projet et d'y introduire les modifications indiquées par l'honorable membre qui seront reconnues nécessaires.

Indépendamment de ce qui précède, une question de principe a été soulevée par M. Lelièvre. Il a dit au commencement de son discours : « J'aurais désiré qu'on eût réglé la durée de la contrainte par corps suivant l'importance de la dette. » Ce système fut pour la première fois introduit dans le projet discuté en 1829 à la chambre des pairs sous le ministère de M. de Martignac.

Il déclarait que quand la somme due était au-dessous de 500 francs, la durée de la contrainte par corps serait de trois années ; et que quand elle serait supérieure à 500 francs, la durée de la contrainte serait de cinq années.

Ce système a été complété par la législation de 1832 et de 1848. D'après cette dernière, une dette de 500 fr. entraîne une contrainte de trois mois ; 1,000 fr., six mois ; 1,500 fr., neuf mois, et 2,000 fr., un an.

La durée de la contrainte s'étend ensuite conformément à une graduation basée sur le chiffre fixe de 500 francs ; de telle sorte que la durée de l'emprisonnement s'accroît de trois mois pour chaque fraction de 500 francs, supérieure à 2,000 fr. sans pouvoir dépasser trois ans pour les sommes de 6,000 fr. et au-dessus. Ce système a déjà fait l'objet d'un examen de la part de la section centrale ; il en a été question dans le rapport que j'ai eu l'honneur de déposer en son nom.

Nous n'avons pas cru devoir l'admettre, parce que nous avons pensé que l'importance d'une dette ne peut pas se mesurer d'après le taux même de cette dette ; mais qu’il faut l'apprécier d'après la position respective du créancier et du débiteur. Ainsi, il est tel débiteur riche pour qui une somme de 6,000 francs est beaucoup moins importante qu'une somme de 600 francs pour un autre débiteur moins riche que lui.

De telle sorte qu'une contrainte égale ou moins longue peut être de nature à vaincre la résistance du premier.

La contrainte par corps est une garantie pour le créancier, les sommes un peu fortes sont généralement dues à des créanciers aisés ; les sommes plus faibles à des créanciers qui le sont moins. La garantie qui résulte de la durée de l'emprisonnement, c'est-à-dire de la force de la coercition serait donc moins grande pour les derniers que pour les premiers. Il y aurait là un principe d'inégalité au détriment du petit commerce que nous n'avons pas cru devoir sanctionner.

Cette modification apportée à la loi aurait, de plus, un inconvénient très grave ; c'est que la graduation qu'elle comporte est tout à fait arbitraire. Pourquoi, en effet, fixer trois mois pour 500 francs ; six mois pour 1,000 francs ; un an pour 2,000 francs ? Aucun principe ne peut, sur ce point, guider la législature.

Je ferai remarquer que, pour être logique, ce système devrait être applicable en matière civile ; or, les lois de 1832 et de 1848 ne l'admettent pas. D'après ces lois, la contrainte peut durer cinq ans en cette matière.

Nous avons dans le projet qui est soumis à la Chambre des dispositions qui offrent, en quelque sorte, les avantages de ce système sans en avoir les inconvénients.

Cette loi fait, à de certains égards, aux débiteurs poursuivis en Belgique une position meilleure que celle que la loi française fait aux débiteurs poursuivis en France.

L'article 35 déclare que quand le débiteur aura fait une année d'emprisonnement, il pourra obtenir son élargissement s'il prouve son insolvabilité ; il y aura peut-être lieu de changer ces mots qui doivent s'interpréter en ce sens, qu'il suffit au débiteur de convaincre ses juges qu'il est sincère dans sa déclaration d'insolvabilité sans qu'il soit tenu de fournir aucune preuve positive.

Ainsi donc, chez nous, un débiteur, quelque considérable que soit sa dette, pourra sortir de prison au bout d'un an ; et ce sera là, messieurs, la position générale de tous les détenus pour dettes ! tandis qu'en France il ne pourra, dans la même hypothèse, sortir qu'au bout de 3 ou de 5 années. Notre législation sera donc plus favorable que la législation française.

Je donnerai de plus longs développements sur ce point sous l'article 35, où cette question pourra être plus utilement examinée.

Le juge français peut, en matière commerciale, prononcer la contrainte par corps si la somme atteint ou excède 200 fr.

Mais au-dessus de ce taux, il doit la prononcer ; si la somme ne dépasse pas 500 fr. il devra condamner à 3 mois d'emprisonnement ; si elle excède ce chiffre il statuera conformément à la graduation que j'ai indiquée plus haut.

Chez nous le juge, si le débiteur lui paraît être de bonne foi dans la déclaration qu'il fait, qu'il ne peut satisfaire à ses engagements, le juge pourra, jusqu'à concurrence 600 fr., ne pas prononcer la contrainte.

C'est là un tempérament extrêmement favorable aux petits débiteurs. Il résulte d'une statistique qu'a bien voulu me fournir M. le ministre de la justice, que cette disposition s'appliquera, indépendamment de 54 détenus qui doivent moins de 100 francs, de 144 détenus qui doivent de 100 à 200 francs, que la contrainte par corps, d'après la loi, ne peut plus atteindre ; à 165 détenus qui doivent de 200 à 300 francs ; à 235 détenus qui doivent de 300 à 500 francs, soit 400 détenus. La statistique parle ensuite de 343 détenus, dont les dettes s'élèvent de 500 à l,000fr, sur lesquels il y en a peut-être 300 qui ne doivent pas plus de 600 fr.

Sur 1,140 détenus en Belgique, depuis 1845, en matière commerciale pour des sommes de 200 fr. et au-dessus, il y en a donc 900 qui l'ont été pour des sommes inférieures à 600 fr., soit plus des trois quarts contre lesquels, le juge pourra, suivant les circonstances, suivant le plus ou moins de bonne foi apparente, ne pas prononcer la contrainte par corps.

Une disposition analogue se trouve dans l'article 4.

En matière civile, la loi française ordonne généralement au juge de prononcer la contrainte, tandis que, d'après notre loi, elle sera presque toujours facultative.

Telles sont, messieurs, les explications que j'ai cru devoir donner à la Chambre, avant qu'elle aborde la discussion des articles. J'ai l'honneur de déposer sur le bureau, pour le cas où certains membres voudraient les consulter, les documents statistiques dont je viens de parler.

M. le président. - Je propose à la Chambre de faire imprimer les amendements nouveaux de la section centrale, pour que chacun des membres les ait sous les yeux. Quant aux développements, ils seront imprimés demain aux Annales parlementaires,

- L'impression est ordonnée.

Discussion des articles

M. Pirmez (pour une motion d'ordre). - L'honorable rapporteur vient de nous faire connaître que de nombreux changements ont été apportés au projet primitif. Il me paraît nécessaire d'avoir le texte définitif de la section centrale sous les yeux pour pouvoir en aborder utilement la discussion. Je propose donc de remettre cette discussion à demain.

M. de Boe, rapporteur. - Les modifications nouvelles adoptées de commun accord par la section centrale et M. le ministre de la justice, se réduisent à trop peu de chose pour qu'il soit nécessaire d'ajourner encore la discussion. Ainsi, à l'article premier on propose un simple changement de rédaction. Aux articles 3 et 4, nous avons résolu de supprimer tous les amendements, sauf deux, sur lesquels des explications viennent d'être données ; on peut donc très bien commencer la discussion, puisque nous revenons aux articles précédemment proposés par le gouvernement et que tous les membres de la Chambre connaissent.

M. le président. - Je ferai d'ailleurs remarquer à M. Pirmez, que demain tous les membres de la Chambre auront sous les yeux le texte même des amendements.

M. Pirmez. - Je n'insiste pas.

M. le président. - Ainsi, nous abordons la discussion des articles ; la parole est à M. Moncheur.

Titre I. De la contrainte par corps en matière de commerce

Article premier

M. Moncheur. - Je donnerai avec plaisir mon assentiment au projet de loi qui est soumis à nos délibérations, pourvu, bien entendu, qu'on n'y introduise aucune disposition nouvelle de quelque importance qui en dérange l'économie.

Autant, messieurs, on doit être adversaire déclaré de la contrainte par corps quand elle est, comme actuellement, basée sur des règles incertaines, mal définies, contradictoires, et qui donnent lieu à des injustices et à des abus nombreux, dont on s'est plaint avec beaucoup de raison, autant on doit en être partisan lorsque, comme ce sera la conséquence de la loi actuelle, elle est entourée des garanties suffisantes pour concilier les nécessités sociales, celles surtout du crédit commercial avec les principes d'humanité et de respect peur la liberté des citoyens.

Je le dis avec conviction, messieurs, si l'on abolissait complétement la contrainte par corps, si on la supprimait dans l'intérêt prétendu des petits commerçants, ce seraient ces petits commerçants qui viendraient les premiers en réclamer le rétablissement, et cela dans leur propre intérêt, c'est-à-dire dans l'intérêt de leur propre crédit.

Je vois donc avec plaisir que personne, jusqu'à présent, n'a contesté, dans cette enceinte, la légitimité de ce moyen, quelque rigoureux qu'il soit, de parvenir à l'exécution des obligations.

Sur ce point donc, messieurs, il ne peut pas y avoir de discussion.

J'ai surtout demandé la parole pour m'expliquer sur l'amendement de l'honorable M. Jouret, et je n'ai pas cru pouvoir me dispenser de présenter quelques observations après la déclaration que vient de faire M. le rapporteur, qu'il s'empresserait de faire, dès demain, les changements demandés par l'honorable M. Jouret, à tout le projet.

Je pense, comme l'honorable M. Jouret, qu'en général, il vaudrait mieux écrire les lois en employant l'indicatif présent que le futur ; mais l'honorable membre est, lui-même, trop versé dans les lois, pour ne pas savoir que tous nos codes ont admis indistinctement l'indicatif présent et le futur.

Depuis la reconstitution de notre nationalité, et assez récemment encore, nous avons fait plusieurs lois organiques importantes et dans toutes ces lois nous avons admis, tantôt l'indicatif présent, tantôt le futur. La besogne serait donc très grande, si l'on devait corriger de cette façon toutes les lois du pays.

(page 46) Je crois d'ailleurs, messieurs, qu'il y a des cas, notamment lorsqu'il s'agit de dispositions pénales, où le futur se présente plus naturellement que l'indicatif présent. Ainsi, presque tout le Code pénal de 1810 est écrit au futur. Dans le projet même qui nous occupe, nous trouvons quelques dispositions pénales où le futur semble être employé d'une manière plus correcte et plus naturelle que l'indicatif présent.

Je citerai, par exemple, l'article 28 ; il porte :

« Tout huissier ou exécuteur de mandements de justice, qui lors de l'arrestation d'un débiteur, se refuserait à le conduire en référé, sera condamné à mille francs d'amende, etc. »

Vous voyez que cette rédaction est simple et naturelle, beaucoup plus naturelle que si l'on disait : « Tout huissier qui, etc., est condamné. » Il s'agit ici, en effet, d'une simple éventualité que la loi prévoit.

Au reste, je répète que je ne conteste pas l'idée de l'honorable M. Jouret en elle-même ; mais je crois qu'il est inutile de se hâter de modifier immédiatement tout le projet dans le sens indiqué par l'honorable membre. Très probablement quelques amendements seront introduits dans cette loi importante ; il y aura donc un second vote, et cette question de rédaction pourra mieux se traiter entre les deux votes. Je borne là mes observations pour le moment, sauf à revenir sur d'autres articles s'il y a lieu.

- La discussion sur l'article premier est close. Cet article est ainsi conçu :

« Art.1er. La contrainte par corps a lieu en matière de commerce ;

« 1° Contre tous commerçants pour dettes de commerce, même envers des non-commerçants ;

« Les billets souscrits par un commerçant seront censés faits pour son commerce, lorsqu'une autre cause n'y sera pas énoncée.

« 2° Contre toutes personnes qui signeront des lettres de change comme tireurs, accepteurs ou endosseurs, ou qui les garantiront par un aval ;

« Toutefois, les non-commerçants ne sont pas soumis à la contrainte par corps, lorsque les lettres de change qu'ils ont signées ou garanties sont réputées simples promesses aux termes de l'article 112 du Code de commerce.

« 3° Contre toutes personnes pour l'exécution des engagements relatifs au commerce et à la pêche maritimes. »

- Cet article est adopté.

Article 2

« Art. 2. La contrainte par corps n'a lieu, en matière de commerce, que pour dettes d'une somme principale de deux cents francs et au-dessus. Elle est facultative, lorsque la dette n'excède pas six cents francs. »

- Adopté.

Titre II. De la contrainte par corps en matière civile

Article 3

« Art. 3. La contrainte par corps a lieu en matière civile :

« 1° Pour stellionat :

« Lorsqu'on vend ou qu'on hypothèque un immeuble dont on sait n'être pas propriétaire ;

« Lorsqu'on présente comme libres des biens qu'on sait être hypothéqués, ou lorsqu'on déclare sciemment des hypothèques moindres que celles dont ces biens sont chargés ;

« 2° Contre les dépositaires nécessaires, les séquestres et gardiens judiciaires, en cas de dol ou de fraude ;

« 3° Pour la restitution des sommes consignées entre les mains des personnes publiques établies à cet effet ;

« 4° Contre les officiers publics, pour la représentation de leurs minutes ou d'autres pièces dont ils sont dépositaires, quand elle est ordonnée par le juge ;

« 5° Contre les notaires, les avoués et les huissiers, pour la représentation des titres et deniers qui leur auront été remis par suite de leurs fonctions ;

« 6° Contre le saisi, à l'effet d'obtenir le payement des dommages et intérêts qu’il aura encourus pour avoir fait des coupes de bois ou commis des dégradations sur l'immeuble saisi. »

M. Lelièvre. - J'étais résolu de proposer une disposition additionnelle, ainsi conçue :

« Est aussi coupable de stellionat, celui qui, après une première cession, non transcrite conformément à l'article premier de la loi du 16 décembre 1851, vend l’immeuble à un second acquéreur, ou le grève d’hypothèque. »

Je le crois réellement utile ; toutefois s'il est bien entendu que le numéro 1° de notre article comprend l'espèce dont il s'agit dans sa teneur, je n’insisterai pas sur une énonciation formelle à cet égard. Je demande des explications précises sur ce point afin qu'il ne puisse s'élever le moindre doute dans l'exécution de la loi.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, j'interprète le paragraphe premier de l'article 3, tout à fait dans le même sens que la section centrale et son honorable rapporteur. Je suis d'avis que quand un propriétaire a vendu un immeuble à un individu et qu'après cette vente consentie entre eux, mais avant que ce premier acquéreur ait fait faire la transcription, s'il vend à un second acquéreur qui se hâte de faire faire cette transcription, il y a stellionat. Il n'y a pas de doute à cet égard.

Mais la difficulté peut venir de ceci : c'est que le stellionat existe plutôt vis-à-vis du second acquéreur, parce que, lorsque le propriétaire a vendu au premier acquéreur, il était encore plein propriétaire.

Toute la question est donc celle-ci : Le premier acquéreur qui est, dans la réalité, la victime du stellionat, a-t-il une action garantie par la voie de la contrainte par corps ?

Eh bien, je ne le mets pas en doute, et telle était en effet mon intention en proposant le projet de loi. Tel est aussi l'avis de la section centrale que ce premier acquéreur aura une action et que la restitution du prix qui sera ordonnée, les dommages-intérêts qui pourront être accordés, seront récupérables par la voie de la contrainte par corps.

- L'article 3 est adopté.

Article 4

« Art. 4. La contrainte par corps pourra être prononcée :

« 1° Pour délaissement d'immeubles et restitution des fruits indûment perçus par le détenteur ;

« 2° Contre les notaires et autres dépositaires en cas de refus de délivrer expédition ou copie aux parties intéressées en nom direct, héritiers ou ayants droit ;

« 3° Pour dommages et intérêts lorsqu'ils sont le résultat de faits prévus par la loi pénale et dans tous les cas de dol, de fraude ou de violence ;

« 4° Pour reliquat de comptes de tutelle, de curatelle ou de toute administration confiée par justice et pour toute restitution à faire par suite desdits comptes ; .

« 5° Contre le fol enchérisseur d'immeubles, pour le payement de la différence de son prix d'avec celui de la revente ;

« 6° Contre le comptable qui, après l'expiration du délai fixé par le jugement, sera en défaut de présenter et d'affirmer son compte ;

« 7° Contre ceux qui auront de mauvaise foi dénié en justice leur écriture ou leur signature ;

« 8° Contre le dépositaire, non fonctionnaire public, d'une pièce de comparaison nécessaire dans une instance en vérification d'écriture ou d'une pièce arguée de faux, pour l'apport de ces pièces ordonné par le juge ;

« 9° Contre les experts en cas de retard ou de refus de déposer leur rapport. »

(Amendement) :

‘Art. 4, § 3 du projet du gouvernement. Contre le fol enchérisseur, après saisie d'immeubles ou de ventes constituées sur particuliers pour le payement de la différence de son prix d'avec celui de la revente.

M. Pirmez. - Messieurs, la section centrale avait proposé un amendement au n°1° de l'article 4. Le rapport fait à la Chambre, au nom de cette section centrale, m'avait pleinement convaincu de l'utilité de cet amendement. L'honorable rapporteur nous a dit tantôt qu'elle abandonne cette modification, et je dois avouer que je n'ai pas été convaincu par les motifs qu'il a présentés à l'appui de ce retour d'opinion.

J'ai donc l'honneur de proposer à la Chambre d'adopter l'amendement que la section centrale avait proposé d'abord.

Voici de quoi il s'agit. Le projet du gouvernement autorise la contrainte par corps pour délaissement d'immeubles et restitution des fruits indûment perçus par le détenteur. Ainsi, d'après ce projet, il y aurait contrainte par corps et pour l'exécution de la condamnation principale et pour l'exécution des condamnations accessoires. La section centrale avait d'abord proposé de n'accorder la contrainte par corps que pour les condamnations accessoires, au délaissement et de ne pas l'autoriser pour l'obtention du délaissement même.

La question que j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre est donc de savoir s'il faut admettre la contrainte par corps pour faire obtenir le délaissement.

Voici le cas dans lequel elle se présente :

Un tribunal saisi d'une action revendicatoire la reconnaît fondée et ordonne au détenteur de l'immeuble de le délaisser, de le mettre à la disposition de celui qui a intenté l'action ; ce jugement doit-il être exécuté par la contrainte par corps, oui ou non ?

Messieurs, nous connaissons deux moyens pour exécuter ce jugement, un moyen direct et un moyen indirect. Le moyen direct, c'est de mettre la force publique à la disposition de celui qui a obtenu le jugement pour qu'il puisse rentrer dans l'immeuble, s'en mettre en possession quels que soient les obstacles qu'on oppose à la sentence judiciaire.

Or, ce moyen direct existe-t-il dans l'espèce ? L'affirmative est incontestable. Lorsqu'un jugement a déclaré qu'une des parties en cause a le droit d'occuper un immeuble, la force publique est de plein droit à sa disposition, en vertu de la formule exécutoire du jugement.

(page 47) Rien de plus fréquent, messieurs, dans la pratique, que ce mode d'exécution directe.

Les tribunaux ne prononcent pas de jugements plus nombreux que ceux qui ordonnent l'expulsion des locataires. Eh bien, lorsque l'expulsion a lieu, la force publique fait mettre les meubles sur le carreau, fait déguerpir le locataire lui-même, en un mot, fait mettre la maison à la disposition du propriétaire.

En cas de délaissement il y a exactement le même résultat à obtenir et on l'obtient de la même manière sans aucune difficulté. Nous avons donc un moyen direct de parvenir à l'exécution du jugement.

Je sais bien, messieurs, qu'il peut se présenter que l'individu condamné au délaissement se refuse à délaisser l'immeuble, qu'il fasse même une certaine résistance à la force publique, mais ici la loi n'est pas non plus désarmée.

La force publique a là puissance nécessaire pour se faire respecter et notre législation pénale contient des moyens rigoureux de réprimer la rébellion qui se manifesterait.

Nous avons donc un moyen direct de faire exécuter le jugement. La contrainte par corps, qu’est-elle ? Le savant rapport de mon honorable ami M. de Boe a fort bien établi qu'elle n'est autre chose qu'un moyen indirect de faire exécuter les jugements pour arriver ainsi à des résultats impossibles à atteindre directement.

Lorsqu'un débiteur soustrait à l'action de son créancier des valeurs mobilières, comme la loi ne peut l'atteindre directement, elle a introduit un moyen indirect, une espèce de question, de torture, pour l'amener, par la rigueur d'un emprisonnement, à faire usage, pour satisfaire son créancier, des moyens qu'il peut lui celer, mais ce n'est là qu'un moyen extrême, que la loi ne peut légitimement employer que lorsqu'elle est dépourvue d'une action directe, et que l'absolue nécessité seule justifie.

Mais s'il en est ainsi, n'est-il pas clair que la contrainte par corps ne peut recevoir une application moins conforme à sa nature que pour obtenir un délaissement, et qu'il ne peut y avoir moins lieu de recourir à cette voie détournée qu'en matière immobilière, puisque en aucune autre l'action de la justice ne peut mieux se faire directement ?

J'ajouterai, messieurs, que la matière du délaissement est purement réelle ; qu'elle ne contient pas même d'obligation personnelle contre celui qui doit délaisser.

Le tribunal ne constate pas l'existence d'un lien de droit qui enchaîne celui qui doit délaisser, mais simplement que le demandeur en revendication est propriétaire de l'immeuble litigieux et qu'en conséquence le détenteur de l'immeuble ne peut le conserver.

Or, quelle est l'origine de la contrainte par corps ? Evidemment le droit personnel. Il autorisait sous la législation romaine primitive, le créancier à disposer de son débiteur même, et c'est en s'adoucissant que l'exercice de ce droit s'est réduit à ce mode d'exécution, tel que nous l'avons aujourd'hui. Mais il n'a plus aucune raison d'être, lorsque le droit constaté par le jugement à exécuter s'attache, non à la personne même, mais à une chose, à l'immeuble à délaisser. Faire intervenir la personne dans l'exécution, c'est méconnaître la grande distinction du droit personnel et du droit réel.

Y a-t-il un avantage pratique quelconque à autoriser la contrainte par corps pour le délaissement ? Je n'en vois aucun.

La mise en possession de la personne qui a obtenu le jugement peut toujours se faire en quelques instants ; elle a lieu à l'intervention de la force publique ; y a-t-il résistance, elle la vainc aisément. A quoi pourrait servir de transporter le détenteur dans la maison d'arrêt (bien éloignée peut-être) pour le relâcher aussitôt ? Car, il faut bien le remarquer, dès que le propriétaire a repris l'immeuble, il n'y a plus ni raison, ni droit pour retenir le détenteur évincé, quelles que puissent être les mauvaises intentions qu'il manifesterait. Pour le moment même de la prise de possession, la contrainte par corps est donc inutile, et ce n'est que pour jusqu'à ce moment qu'elle est proposée.

Mais les inconvénients du système que je combats peuvent être graves. En général et sauf des cas très rares, la contrainte par corps n'est autorisée que pour faire payer une somme d'argent et alors le grand avantage qu'a le débiteur c'est qu'en faisant un payement qui est très facile à constater, il est immédiatement relâché.

Mais si, après qu'il a été déposé dans une maison d'arrêt, le détenteur évincé prétend que le délaissement est opéré et que les propriétaires reconnus contestent le fait du délaissement, il faudra nécessairement ouvrir une enquête pour constater les faits ; or, il peut se trouver que le détenu ait parfaitement raison. Si, en effet, le délaissement a eu lieu, il sera relâché, mais il n'en sera pas moins vrai qu'il se sera écoulé un certain délai, avant que l'enquête soit venue établir la vérité de son allégué ; on aura donc détenu injustement en prison un individu pendant un certain temps.

Je soumettrai une autre question aux partisans du projet du gouvernement. C'est en matière possessoire spécialement, si mes souvenirs sont exacts, que le code civil a autorisé l'emploi de la contrainte par corps pour délaissement. Et bien, permettrez-vous au juge de paix de prononcer la contrainte par corps ? Si vous l'autorisez, vous tombez dans l’écueil que vous aurez voulu éviter en soustrayant dans la plupart des cas la connaissance de ce mode d'exécution aux juges de paix ; si vous ne l'autorisez pas, vous devez décider qu'il faudra recourir au tribunal, et alors vous créez deux procès pour un.

Tels sont les motifs qui me font persister à croire que la section centrale était dans le vrai, lorsqu'elle a proposé son amendement à l’article 4 du projet de loi ; tels sont les motifs qui me déterminent à reprendre cet amendement et à vous en demander l'adoption.

M. Lelièvre. - Il m'est impossible de partager l'avis de l'honorable M. Pirmez.

La section centrale, qui d'abord avait émis cette opinion, a reconnu son erreur ; certes, c'est là déjà un argument bien puissant contre le système défendu par M. Pirmez.

Effectivement, ce système n'est pas fondé ; remarquons d'abord que le projet en discussion ne fait que reproduire semblable disposition consignée dans le Code civil, écrite dans le Code de procédure, ainsi que dans la loi du 18 août 1854. Or aucun jurisconsulte n'a jamais critiqué la législation en vigueur sous ce rapport, et certes il n'est pas possible d'admettre des innovations qui ne présentent aucune utilité.

Mais dans l'espèce l'innovation serait dangereuse, parce que dans nombre de cas l'on ne peut obtenir le délaissement d'un immeuble, qu'en déposant dans la maison d'arrêt l'individu qui se refuse à abandonner le bien.

Que ferait-on, par exemple, si cet individu, après avoir été expulsé par la force publique, s'obstinait à rentrer immédiatement en possession de l'immeuble, à cultiver un terrain, etc. ? Il n'y a pas d'autre moyen pour vaincre sa résistance que de l'incarcérer pour donner, à celui qui a obtenu le jugement, la facilité de reprendre sans trouble la jouissance de l'immeuble reconnu être sa propriété.

Il y a plus, je suppose que le condamné s'obstine à laisser ses meubles et effets dans la maison qu'il doit quitter.

Certes on ne peut déposer ces objets sur la voie publique, ce serait une véritable contravention, par conséquent dans ce cas encore l'incarcération du condamné peut être indispensable pour l'exécution du jugement.

Je le répète, la contrainte par corps est souvent d'une nécessité absolue pour assurer l'exécution des sentences de la justice en matière de déguerpissement, et vaincre les résistances que cette exécution rencontre. Il me paraît donc impossible de ne pas maintenir la législation actuelle qui a pour elle l'autorité de la doctrine et de la jurisprudence.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, j'ajouterai une seule observation à celles que vient de présenter l'honorable M. Lelièvre.

L'honorable M. Pirmez prétend que l'obligation de délaisser n'est pas une obligation personnelle, mais qu'elle est une obligation réelle. Je crois que c'est, de la part de l'honorable M. Pirmez, une confusion. L'acquéreur qui a délaissé, n'est pas tenu personnellement de toutes les charges qui peuvent grever l'immeuble ; cela est exact ; mais lorsque l'obligation lui est imposée de déguerpir, c'est là évidemment une obligation personnelle, s'il en fût jamais.

Ainsi que l'a dit l'honorable M. Lelièvre, ces dispositions n'ont présenté jusqu'ici aucun inconvénient ; il n'y a donc pas de motifs pour croire qu'elles en entraîneront dans l'avenir. Je pense, en conséquence, qu'il y a lieu de les maintenir.

M. de Boe, rapporteur. - Messieurs, je ferai remarquer que la disposition relative à cet objet se trouve sous l'article 4, c'est-à-dire sous un article qui rend la contrainte par corps facultative pour le juge. Si celui-ci trouve qu'il y a lieu d'avoir recours à la force publique pour faire déguerpir le détenteur, il autorisera ce moyen de forcer le débiteur d'obéir à la justice ; s'il pense qu'il y a utilité à user de la contrainte par corps, il permettra au débiteur d'user de ce mode de coaction.

Il y a des cas où la contrainte par corps peut être parfaitement utile dans l'espèce. C'est lorsque l'immeuble, une maison, par exemple, renferme les meubles du détenteur indu.

Dans ce cas, la coaction aura pour but de forcer celui-ci à mettre les lieux en tel état, que le propriétaire puisse y entrer et en jouir librement. Le juge sera souverain appréciateur de l'utilité de la mesure, comme il le sera lorsqu'il s'agira d'obtenir le rapport d'un dépôt d'experts. Si ceux-ci n'ont pas fait leur travail, s'ils ne se sont pas rendus sur les lieux où l'expertise doit se faire, il est évident qu'on ne pourra les y forcer en les contraignant par corps. Dans ce cas, conformément à l'article 20 le tribunal les condamnera à une somme fixe ou à une somme pour chaque jour de retard et pourra en assurer le recouvrement par la voie de la contrainte par corps après un certain délai. S'il résulte, au contraire, des circonstances que le rapport est fait et que les experts ne veulent pas le déposer, le juge pourra prononcer la contrainte pour l'exécution directe de l'obligation ; statuer, par exemple, qu'ils déposent leur rapport, et qu'à défaut de ce faire, ils y seront tenus par corps. Ce droit, pour les juges, de condamner ou de ne pas condamner à l'emprisonnement, me semble donc de nature à prévenir toutes les difficultés d'application, aussi bien pour cette hypothèse que pour celle prévue par le paragraphe premier dont il est question.

Si, après le déguerpissement obtenu, le détenteur dépossédé cherchait à se remettre en possession, les tribunaux pourraient voir dans ce fait une atteinte à la propriété et lui appliquer les dispositions pénales qui y sont relatives.

M. Pirmez. - Messieurs, mes honorables contradicteurs combattent mon amendement par des arguments différents.

(page 48) D'après l'honorable M. Lelièvre, si la contrainte par corps n'est pas admise pour le délaissement, il sera quelquefois impossible de mettre le délaissement à exécution.

Eh bien, je crois que l'honorable M. Lelièvre a prouvé beaucoup trop.

Comme j'avais l'honneur de le dire à la Chambre, rien n'est plus fréquent que l'exécution des jugements prononçant l'expulsion de locataires. Jamais je n'ai entendu dire qu'une expulsion ait été impossible, parce qu'on ne pouvait pas employer la contrainte par corps.

Si la nécessité de ce moyen était si grande, c'est pour le cas surtout qu'il faudrait l'autoriser ; c'est en cette matière surtout que les résistances sont les plus vives ; mais la force publique sait toujours en triompher.

D'après l'honorable membre, si le détenteur évincé, après avoir été expulsé veut rentrer dans la maison litigieuse, et recommencer toujours ce manège, la mise en possession du propriétaire ne pourra se faire. Mais je demanderai à mon contradicteur comment il fera pour empêcher cet obstiné détenteur à agir de même après avoir été relâché, car il y a deux choses qu'il ne faut pas oublier : c'est que la libération est la conséquence nécessaire de l'occupation du propriétaire et qu'après cette occupation, le jugement ne peut plus servir à une nouvelle arrestation : ses effets sont épuisés.

Évidemment, la contrainte par corps momentanée qu'il propose laisse la position parfaitement intacte, et s'il y avait là une difficulté, ce moyen ne la résoudrait nullement.

L'honorable membre invoque en sa faveur l'opinion de tous les auteurs. Je ne puis répondre par moi-même à cette invocation d'autorités dans une question que la déclaration, faite au commencement de cette séance par M. de Boe, m'appelle seule à discuter. Mais si j'en crois l'honorable rapporteur, les opinions sont loin d'être aussi unanimes que le croit M. Lelièvre, et ce n'est même que par une confusion entre la contrainte par corps et l'emploi de la force publique que la première a été admise dans nos lois.

D'après le ministre de la justice, le délaissement est une obligation personnelle. Je crois que ce qui nous divise, M. le ministre de la justice et moi, n'est qu'une question de mots.

C'est une obligation personnelle pour tous les individus de respecter un droit réel. Si je possède un immeuble, j'ai le droit de ne pas être molesté dans la jouissance de mes droits de propriétaire ; celui qui me trouble dans ma possession manque à cette obligation personnelle, qui résulte d'une manière générale pour tous du droit réel ; à ce point de vue le délaissement est une obligation pour le détenteur. Tenu comme tout autre à respecter le droit de propriété qu'il a injustement contesté, il doit commencer par cesser son illégitime détention qui est un trouble permanent à ce droit de propriété ; mais il n'y a pas là une obligation personnelle dans le sens juridique du mot, parce que le droit du propriétaire a pour objet l'immeuble {jus in re) et ce n'est qu'indirectement qu'il réagit sur la personne du détenteur, comme sur celle de tout autre citoyen. Mais ce n'est que pour les obligations personnelles proprement dites que la contrainte par corps doit être employée, parce que ce sont les seules qui s'attachent directement à la personne du débiteur.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une erreur !

M. Pirmez. - Il y a une troisième observation qui a été faite par M. de Boe. D'après l'honorable reporteur de la section centrale, cette disposition trouve sa justification dans cette circonstance que la contrainte par corps est facultative pour le juge.

Je conçois fort bien que certaines dispositions trouvent leur justification dans cette latitude laissée au juge. C'est lorsqu'il s'agit de prononcer sur des faits connus du juge.

Mais ici quel est le jugement ? Il déclare simplement qu'un tel est propriétaire d'un immeuble détenu par tel autre. Mais le juge peut-il prévoir les difficultés qui se présenteront quand le jugement sera exécuté ? C'est impossible ; la latitude que vous lui laissez est une latitude dont il ne peut user en connaissance de cause, parce qu'il ne peut pas apprécier les faits qui se passeront dans l'avenir. Ce n'est donc pas là une raison pour admettre la contrainte par corps.

Tels sont les motifs qui me font persister à demander l'adoption de l'amendement qu'avait proposé la section centrale.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, les arguments présentés par l'honorable M. Pirmez ne m'ont pas convaincu.

La contrainte par corps a été introduite dans ce cas pour prévenir les collisions. Ce motif existe-t-il encore ? Cela est incontestable. L'honorable M. Pirmez nous dit : « Le juge ne peut pas prévoir s'il y aura ou non collision, la faculté qu'on lui laisse est donc une faculté laissée à des aveugles. » C'est là une grande erreur ; les tribunaux connaissent plus ou moins les justiciables qui comparaissent devant eux ; ils peuvent savoir à l'avance que l'individu condamné au délaissement fera résistance à l'exécution de la sentence prononcée contre lui. Cela arrive très souvent ; ce n'est que dans ce cas que la contrainte est prononcée directement. Il faudrait au moins pour innover prouver les grands inconvénients auxquels la disposition a donné lieu, il ne suffit pas, pour changer une disposition de loi, de supposer des inconvénients, alors surtout qu'où en provoque d’autres qui seraient plus funestes à ceux dont on croit défendre les intérêts.

Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit, quant à l'obligation personnelle. Pour celui qui est condamné à délaisser un immeuble, il est évident qu'il y a une obligation exclusivement personnelle ; elle est telle, qu'elle ne peut être remplie que par celui à qui elle est imposée. L'honorable membre prétend que la contrainte suppose un lien entre le créancier et le débiteur, c'est une erreur ; souvent la contrainte est prononcée contre des individus qui ne sont pas débiteurs de celui qui les poursuit ; aux termes de l'article 9, l'expert, pour refus ou retard de présenter son rapport, peut être contraint par corps pour être amené à l'exécution de l'obligation à laquelle il s'est soumis en acceptant la mission d'être expert.

Je crois donc que la disposition du projet du gouvernement doit être maintenue.

M. de Boe. - La Chambre peut se demander quelle est la question en jeu dans la discussion. La contrainte n'est pas dans certains cas possible, en vertu d'un des articles généraux de la loi. Ainsi, un frère poursuit son frère en délaissement d'immeubles, de parcelles d'héritage ; le tribunal ne pourra pas ordonner la contrainte par corps, l'article 24 s'y oppose. Il ne pourra qu'autoriser le recours à la force militaire ; mais, dans d'autres cas, la contrainte par corps pourra être exercée, comme je l'ai démontré il y a un instant.

- L'amendement de la section centrale, repris par M. Pirmez, est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'article 4 proposé par la section centrale, d'accord avec le gouvernement, est mis aux voix et adopté.

Article 5

« Art. 5. La contrainte par corps en matière civile ne pourra être prononcée que pour une somme excédant trois cents francs, excepté dans le cas de l'article 20 ci-après, lorsqu'une somme aura été adjugée pour chaque jour de retard. »

M. Moncheur. - Je propose de supprimer, dans l’article 5, les mots : « Alors qu'une somme aura été adjugée pour chaque jour de retard. » Voici pour quels motifs : d'abord lorsque dans une loi, on cite un article de la même loi, il est inutile et contraire à l'usage de donner une analyse de cet article.

Il suffit donc que l'on dise, dans l'article 5 « excepté dans les cas prévus par l'article 20 ci-après. » En second lieu si l'on voulait, dans l'article 5, analyser l'article 20, auquel on se référait, il fallait du moins l'analyser d'une manière complète et non point pour une partie seulement de ses dispositions. C'est cependant là ce qu'on a fait par la phrase dont je demande la suppression, et il pourrait en résulter un inconvénient très grave dans la loi.

En effet l'article 20 prévoit deux cas, qui forment deux exceptions au principe que la contrainte par corps ne peut, en matière civile, être exercée que pour une somme excédant 300 fr., c'est d'abord lorsque le contraignable a été condamné pour l'exécution d'une obligation de faire, à payer une seule fois, une somme déterminée et ensuite lorsque ce contraignable, pour semblable obligation, a été condamné à payer une somme déterminée pour chaque jour de retard ; mais il est évident que si l'article 5 ne mentionne qu'un seul de ces deux cas, à savoir, celui où une somme aurait été adjugée pour chaque jour de retard, il semblera exclure l'hypothèse d'une condamnation à une somme à ne payer qu'une seule fois, ce qui est contraire au vœu de l'article 5 lui-même. Il faut donc effacer la dernière phrase de cet article, et se borner à dire : « Excepté dans les cas prévus par l'article 20. »

M. Lelièvre. - Je propose de dire : « Excepté dans les cas prévus par l’article 20. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'article serait ainsi rédigé : « La contrainte par corps en matière civile ne pourra être prononcée que pour une somme excédant 300 francs, excepté dans les cas prévus à l'article 20. » Je me rallie à ce changement, sauf à y revenir au second vote.

- L'article 5, ainsi conçu, est mis aux voix et adopté.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.