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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 8 décembre 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page 178) (Présidence de M. Verhaegen.)

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Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Vermeire fait l'appel nominal à 2 heures et un quart,

M. Vander Stichelen lit le procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vermeire présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Joachim, gendarme pensionné et combattant de septembre, demande qu'on lui accorde la pension dont jouissent quelques décorés de la croix de Fer. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Calloo se plaignent de ce que le génie militaire se propose de faire exécuter des travaux de fortifications dans cette commune. »

M. Van Overloop. - Je demanderai le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un très prompt rapport ; le fait que signalent les pétitionnaires réclame une décision dans le plus bref délai.

- La proposition de M. Van Overloop est adoptée.


« Des habitants de Louvain demandent que M. le ministre de l'intérieur soit invité à se prononcer sur ses intentions relatives aux réclamations qui ont été adressées en faveur de la langue flamande. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Toussaint-Antoine-Florent-Victor Knapen, ancien sergent-fourrier à Maeseyck, né à Sittard, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la requête en obtention de la naturalisation ordinaire du sieur Flament (Corneille-Alexandre). »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. le ministre de l'intérieur informe la Chambre qu'à l'occasion de l'anniversaire de la naissance du Roi un Te Deum sera célébré, le jeudi, 16 de ce mois, à midi, en l'église des SS. Michel et Gudule. »

La Chambre décide qu'elle se rendra en corps à cette cérémonie.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Lelièvre dépose des rapports sur des demandes en naturalisation.

M. Savart dépose sept rapports sur des demandes en naturalisation.

M. de Paul dépose trois rapports concernant des demandes en naturalisation.

Projet de budget de la chambre de l’exercice 1860

Rapport de la commission

M. Moreau dépose le rapport de la commission de comptabilité sur le budget de la Chambre pour l'exercice 1860.

Rapport de pétitions

M. Loos dépose le rapport de la commission d'industrie, sur des réclamations de négociants d'Anvers, contre le régime de faveur qu'ils prétendent établir au profit du port de Dunkerque.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de tous ces rapports, et les met à l'ordre du jour, à la suite des objets qui s'y trouvent déjà portés.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1859

Discussion générale

M. Magherman. - Il est de principe que les budgets des voies et moyens ne sont que des lois d'application ; en d'autres termes, que par ces budgets on ne vote pas de nouvelles contributions, qu'on ne les augmente pas, qu'on ne les diminue pas, mais qu'où se borne à renfermer dans un seul cadre les impôts tels qu'ils ont été déterminés par des lois spéciales.

Ce principe a été méconnu, en ce qui concerne la contribution foncière, depuis l'exercice 1855.

La loi du 9 mars 1848 détermine le contingent de la contribution foncière en principal à 15,500,000 fr. ; avec les centimes additionnels cela formait la somme de fr. 18,359,750.

Ce contingent a été modifié, mais pour un exercice seulement, par la loi du 31 décembre 1855.

Cette loi porte à son article unique :

« Par modification au budget des voies et moyens arrêté pour l'exercice 1854 par la loi du 8 juin 1855, et par dérogation pour une année seulement à la loi du 9 mars 1848, le contingent en principal de la contribution foncière, pour cet exercice, est porté à la somme de 15,944,527 francs.

Cependant, malgré la prescription formelle de la loi que l'augmentation n'était que pour une année, on a continué à porter aux budgets des voies et moyens la majoration de 526,542 fr. Le budget aujourd'hui en discussion consacre de nouveau cette majoration. Serait-il donc vrai de dire que lorsqu'un impôt a acquis droit de cité au budget, il est impossible de l'en déloger !

Lorsque cette majoration a été votée pour une seule fois, elle était motivée par la situation financière. Il n'en est plus de même aujourd'hui. D'après l'exposé que nous a présenté le gouvernement, cette situation est des plus florissantes : les recettes de cette année surpasseront de 4,672,200 celles qui sont portées au budget de l'exercice précédent, et pour ce qui concerne celles de 1859, on présume qu'elles seront encore de beaucoup supérieures aux recettes de 1858.

L'on objectera que cette augmentation est à peine sensible pour le contribuable. S'il est vrai que la somme n'est pas bien importante en elle-même, c'est un motif de plus de respecter la loi qui n'a établi cette majoration que pour une fois.

Messieurs, l'impôt foncier atteint principalement l'agriculture : cette branche importante du travail national, sans être dans la détresse, se trouve momentanément dans une situation peu favorable : les grains sont descendus à un prix à peine rémunérateur, et un ouragan qui a étendu ses ravages à toute la Belgique, est venu détruire les espérances d'une récolte exceptionnellement abondante qui aurait pu compenser la vileté des prix. Si l'on en excepte les pommes de terre, qui ont donné un bon produit, les marsages en général ont été d'un rendement nul. Dans ces circonstances un soulagement donné à l'agriculture, si minime qu'il soit, sera reçu avec faveur. Ce soulagement se ferait principalement sentir dans les Flandres où la surtaxe de l'impôt foncier est tellement évidente, qu'enfin le gouvernement convaincu de l'iniquité de cet état des choses s'est décidé, ce dont je le félicite, à procéder à une révision cadastrale.

Je prie M. le ministre des finances de vouloir faire connaître ses intentions à l'égard de la diminution de l'impôt foncier que je viens d'indiquer.

Puisque j'ai la parole, je me permettrai de dire quelques mots de la réforme postale.

Cette réforme est généralement désirée par le commerce et l'industrie.

Je crois, avec le gouvernement, que l'on n'a pas encore atteint le revenu net de deux millions que doit produire la taxe des lettres actuelle, avant qu'aux termes de la loi sur la réforme postale la taxe uniforme à 10 centimes soit applicable ; les preuves du contraire qu'a voulu nous donner l'honorable M. Prévinaire ne n'ont pas convaincu.

Mais est-il absolument nécessaire que ce produit net de deux millions soit atteint, pour que nous puissions songer à un dégrèvement ? La loi du 22 avril 1849 ne peut nous lier à cet égard d'une manière absolue.

Ce que nous avons à examiner avant tout, c'est la question de savoir si la situation financière du pays permet de songer à cette amélioration ! Je n'hésite pas de répondre affirmativement. L'on nous a présenté un si brillant tableau de cette situation, qu'il est permis d'affirmer que la diminution, pendant quelques années, de quelques cent mille francs, sur le revenu postal, n'est pas de nature à jeter la moindre perturbation dans notre système financier. Cette diminution, du reste, ne serait que momentanée.

La progression qui se remarque maintenant dans le revenu de la poste se produira avec une nouvelle vigueur et recevra une impulsion remarquable de l'administration de la taxe. Sans être prophète, il est permis de dire dès à présent que le produit de ce jour ne sera pas longtemps sans être atteint de nouveau.

Messieurs, nous avons depuis quelque temps amélioré le sort d'un grand nombre de fonctionnaires. II est temps de songer à une catégorie de citoyens qui est beaucoup plus nombreuse, je veux parler des contribuables. Dans les moments de détresse du trésor, on s'ingénie à trouver de nouveaux moyens de remplir ses caisses ; mais lorsque ces besoins ne se manifestent plus, on songe rarement à renoncer à des ressources qui, n'ayant été créées que pour des besoins temporaires, devraient disparaître avec les circonstances qui les ont amenées.

Je pense que les circonstances actuelles permettent de donner aux contribuables les deux soulagements que j'ai indiqués : à l'agriculture le retour à l'ancien contingent de l'impôt foncier ; au commerce et à l'industrie l'uniformité de la taxe postale.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai à répondre à quelques observations qui ont été présentées dans la discussion générale. Mais je ne crois pas devoir suivre l'honorable M. Vermeire dans la discussion théorique qu'il a soulevée sur les limites de l'intervention de l'Etat dans ce qu'il a nommé les affaires privées.

C'est, comme vous le savez tous, une des questions qui peuvent donner lieu aux plus longues controverses.

Il serait même à peu près impossible de la décider d'une manière absolue, sans envisager les faits particuliers, sans tenir compte de la situation spéciale des pays, de leur condition sociale et économique.

Messieurs, pour ce qui me regarde personnellement, je puis dire, en thèse générale, d'accord avec l'honorable M. Vermeire, que tout ce qui peut comprimer l'activité individuelle, entraver l'énergie (page 179) individuelle, mettre obstacle à la liberté de l'homme, est une chose mauvaise en soi. On doit donc, à mon avis, tendre, dans l'administration et dans les lois, à faire prévaloir le principe que l'homme doit, autant que possible, suffire par lui-même à sa propre destinée. Il a la liberté, il doit avoir la responsabilité. Nous n'envisageons pas le gouvernement comme une sorte de providence, appelée à pourvoir à tous les besoins individuels.

Reste à déterminer où peut commencer légitimement, où doit s'arrêter l'intervention du gouvernement dans les affaires de la société. C'est, lorsque des questions se présenteront, qu'il y aura lieu de se prononcer sur chaque cas particulier.

Une autre observation générale, faite par l'honorable M. Vermeire, s'applique aux impôts ; il en a signalé l'augmentation.

Je crois qu'ici l'honorable membre a fait une confusion. Ainsi que je l'ai indiqué dans la note préliminaire du budget des voies et moyens, il y a eu en réalité, très peu d'impôts nouveaux en Belgique depuis 1830 ; j'ai dit à quel chiffre on pouvait évaluer cette aggravation ; j'ai indiqué, d'autre part, les dégrèvements qui ont eu lieu, et, en vérité, bien que l'on ne puisse rien préciser, je suis porté à croire qu'il y a eu presque compensation.

Mais le revenu s'est accru, grâce au développement de la richesse publique, grâce à l'accroissement de la population. C'est une situation qu'on peut assurément considérer comme fort heureuse ; nous devons nous efforcer de la maintenir ; nous devons nous attacher à conserver tout ce qu'il y a de légitime dans les revenus publics que nous possédons, afin de ne pas arriver à de nouvelles aggravations, à de nouvelles charges pour les contribuables.

L'honorable membre a aussi parlé de l'accroissement de la dette. Il y a eu incontestablement un accroissement de la dette ; mais sauf certaines exceptions, à quelles causes faut-il attribuer ces accroissements ? Particulièrement à nos travaux publics extraordinaires.

Nous avons eu pendant longtemps, je l'ai dit à d'autres époques, une situation financière telle, que l'insuffisance de nos ressources ordinaires nous a obligés d'y pouvoir par des ressources extraordinaires ; une partie de notre dette se trouve composée de déficits accumulés depuis un certain nombre d'années.

Mais en somme, l'accroissement de notre dette au chiffre indiqué par M. Vermeire, correspond à peu de chose près, aux travaux publics qui ont été exécutés en Belgique. (Interruption.) Je n'entre pas dans les détails. Une différence de quelques millions est admissible ; mais en somme l'accroissement de la dette correspond plus particulièrement au développement des travaux publics en Belgique.

Je n'ai pas, messieurs, comme on l'a dit fort à tort, fait miroiter devant vous une situation financière des plus brillantes ; je l'ai présentée telle qu'elle est ; et telle qu'elle est, elle est bonne et elle est très satisfaisante ; mais ce n'est pas à dire que l'on ne puisse facilement la compromettre. Il est incontestable que, dans la situation actuelle, les ressources ordinaires permettent de satisfaire à toutes les dépenses de même nature et laissent même un excédant.

Toutefois, comme l'honorable rapporteur du budget l'a fait remarquer, il faut tenir compte des crédits supplémentaires, il faut tenir compte ensuite des crédits extraordinaires ; or, il est indubitable dès ce moment que les crédits supplémentaires et extraordinaires que la Chambre sera appelée à voter ne pourront pas être couverts à l'aide des excédants de revenu dont nous pourrons disposer. Voilà la vérité.

Dans ces dépenses il y aura des dépenses extraordinaires qui devraient être couvertes, dira-t-on, par des recettes de même nature.

A mon sens ces dépenses extraordinaires qui se présentent chaque année, bien qu'elles ne s'appliquent pas chaque année aux mêmes objets, devraient, pour constituer une situation tout à fait satisfaisante, pouvoir être couvertes par des ressources qui seraient annuellement à la disposition du gouvernement. Nous sommes loin d'un pareil état de choses.

Aussi d'après les observations présentées par M. Vermeire auxquelles je me rallie complétement, la prudence la plus vulgaire commande de ne pas laisser toucher, sans une nécessité impérieuse, aux revenus de l'Etat.

Nous sommes sous ce rapport d'accord, en principe du moins, car après avoir émis cette opinion, l'honorable membre est arrivé à demander la suppression d'un million de revenu| ; il a insisté pour l'abaissement de la taxe des lettres. La conclusion n'est donc pas en harmonie avec les prémisses.

Cela dit, j'arrive aux points spéciaux qui ont été traités par les honorables orateurs. D'abord, la contribution foncière, dont vient de parler M. Magherman ; il suppose qu'on a augmenté la contribution foncière. Cela n’est pas précisément exact ; d'après le système qui a été admis jusque dans ces dernières années, les accroissements de l'impôt tournaient au dégrèvement de la contribution foncière ; le contingent se réduisait de la somme des valeurs nouvelles qui entraient dans l'impôt.

Qu'a-t-on fait depuis 1853, et je l'avais proposé déjà antérieurement, qu'a-t-on fait depuis 1853 ?

On a décidé que les accroissements successifs acquis dès cette époque et qui représentaient une somme d'environ 500,000 francs, si je ne me trompe, seraient ajoutés au contingent de la contribution foncière. Mais on n'a pas augmenté pour cela la contribution foncière : on a repris ce qui avait été diminué successivement par suite des accroissements qui avaient eu lieu pendant une série d'années. Voilà, messieurs, la vérité, Je ne pense pas que personne songe aujourd'hui à retrancher ces 500,000 francs du contingent pour réduire d'autant la contribution foncière.

M. Magherman. - L'augmentation n'avait été votée que pour une seule année.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je fais remarquer que cette observation est absolument sans valeur : tous les impôts ne sont, aux termes de la Constitution, votés que pour une année. Quand, pour la première fois on a proposé d'ajouter les valeurs nouvelles au contingent, on a dit que c'était pour une seule année, cela est vrai ; mais cette prescription était parfaitement inutile, puisque chaque année, et cette année encore, vous êtes appelé à voter sur le même principe.

D'honorables membres ont appelé l'attention du gouvernement sur la nécessité de réviser la loi sur la contribution personnelle. Depuis longtemps, messieurs, nous avons reconnu cette nécessité. Dès 1849, nous avons eu l'honneur de soumettre aux Chambres un projet complet de révision de cet impôt. Après une longue et minutieuse instruction, après avoir demandé au gouvernement beaucoup de renseignements, ce projet mis en discussion, a été ajourné par la Chambre. Il a été ajourné entre autres par cette considération que l'une des bases principales de la contribution personnelle étant la valeur locative et cette valeur locative ne pouvant être bien déterminée qu'après la révision cadastrale, on devait attendre, avant de s'occuper de cette loi, la révision du cadastre lui-même.

Eh bien, messieurs, les conditions n'ont pas changé. Nous annonçons un projet de révision des évaluations cadastrales ; ce projet vous sera soumis dans le cours de la session actuelle ; et quand ce travail aura été fait, alors viendra le moment, d'après les intentions mêmes de la Chambre, de soumettre un projet de loi sur la contribution personnelle.

Nous n'éprouvons, à cet égard, aucun embarras : le projet, tel qu'il a été présenté en 1849, serait, dans ses bases essentielles, le projet à soumettre de nouveau aux délibérations de la Chambre. Il est donc prêt.

Les péages ont aussi été signalés par l'honorable M. Prévinaire. Cet honorable membre désire particulièrement l'abaissement des péages sur le canal de Charleroi. Vous savez tous, messieurs, combien sont difficiles et délicates les questions relatives aux péages.

Nous n'avons pas seulement ici à nous occuper d'une réduction de taxes ; d'autres intérêts sont en présence, et il y a, entre eux des oppositions, des contradictions, qui accroissent encore la difficulté d'une solution satisfaisante. Sur d'autres canaux des dégrèvements sont également demandé. On signale les vices du système de perception des droits de péages en Belgique ; ils sont extrêmement variés ; chaque canal a non seulement un tarif spécial, mais encore des bases de perception entièrement différentes. Depuis longtemps ces vices sont reconnus ; mais les remèdes sont difficiles à trouver. Le gouvernement a pensé qu'il était nécessaire de soumettre toutes les questions relatives aux péages sur les canaux et rivières à une commission composée d'hommes spéciaux, compétents, et de membres de la Chambre, pour arriver, s'il est possible, à formuler une nouvelle loi.

Celte commission a été instituée. Elle ne s'est pas réunie encore à raison de la maladie de son honorable président M. H. de Brouckere. Les travaux de la commission, je l'espère, commenceront incessamment.

M. H. de Brouckere. - Demain.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous devons en attendre les résultats.

On demande aussi ce que le gouvernement se propose de faire quant aux octrois. Nouvelle et très facile question. Il y a longtemps certes qu'elle est agitée. Elle a été discutée dans la presse, dans de nombreuses réunions. Beaucoup d'écrits, beaucoup de brochures ont paru sur la question. Le gouvernement a lui-même, il y a quelques années, institué une commission, mais jusqu'à présent nous n'avons pas encore découvert, on n'a pas encore signalé les moyens pratiques d'arriver à résoudre cet immense problème.

Nous continuons, messieurs, à étudier, à examiner, et je crois pouvoir dire, pour donner un peu plus de précision à ma pensée, que le gouvernement ne désespère pas de pouvoir soumettre aux Chambres des propositions relatives à la suppression des octrois.

Je dis que je ne désespère pas... je ne vais pas au-delà.

D'après l'honorable M. Lelièvre, la fortune mobilière n'est pas suffisamment atteinte par l'impôt, la fortune immobilière supporte, au contraire, une part très large des contributions. J'ai, à une autre époque, il y a bien des années, indiqué d'une manière aussi juste que possible, quelle était, en réalité, la proportion dans laquelle l'une et l'autre fortune contribuent aux charges publiques. On exagère un peu l'inégalité que l'on signale. Mais je suis d'accord que si l'on pouvait atteindre plus encore qu'on ne le fait la fortune mobilière, on se rapprocherait de ce que commande la justice et l'équité en matière d'impôt.

Et pourtant, chose bien étrange, l'honorable M. Lelièvre, au moment (page 180) où il signale l'insuffisance d'impôts, quant à la fortune mobilière, insiste également pour la réduction de la taxe des lettres.

Quel autre impôt atteint donc mieux la fortune mobilière que celui-là ? Quel autre impôt fait mieux contribuer le commerce et l'industrie aux charges publiques, comme je le démontrerai dans la discussion spéciale à laquelle nous nous livrerons sur l'article poste ? Et n'est-ce pas la plus étrange contradiction de demander qu'on atteigne la fortune mobilière et de demander qu'on supprime ou qu'on réduise la taxe sur les lettres ? Vous aurez, à cet égard, une conviction profonde après avoir entendu le gouvernement dans la discussion relative à la taxe des lettres.

Enfin que projette le gouvernement, que veut-il, quelles sont ses intentions quant aux lois douanières ? Messieurs, il y a sept ans, presque à pareil jour, j'annonçai, au nom du gouvernement, un changement complet de système en ce qui touche nos lois douanières.

Je vous demande la permission de remettre sous vos yeux quelques-unes des paroles que je prononçai alors :

« Dans plusieurs de ses dispositions, notre tarif établit des taxes trop élevées qui entravent le développement d'une foule d'industries et qui tarissent une des principales sources de revenu pour le trésor.

« Le régime différentiel a créé, sans utilité réelle pour aucun intérêt légitime, des taxes et des complications inextricables qui éloignent le commerce de nos ports et provoquent les représailles de l'étranger.

« Différents objets, et notamment des produits à l'usage exclusif des classes aisées, sont soumis à des droits insignifiants qui ne produisent presque rien au trésor, tandis qu'il serait facile d'en obtenir un revenu assez important.

« Dans son ensemble, notre législation forme un dédale de dispositions douanières où le redevable s'égare et où l'administration elle-même ne se meut qu'à l'aide d'un nombreux personnel qui lui occasionne de fortes dépenses, dont la déchargerait en partie un tarif simplifié.

« Enfin des motifs sérieux, puisés dans des considérations politiques et commerciales de premier ordre, nous font une nécessité de compter avec la situation nouvelle qui résulte pour nous des changements introduits dans le régime commercial de plusieurs autres pays.

« La nécessité et l'opportunité de la révision de nos lois commerciales sont évidentes.

« Le gouvernement n'a pas attendu la proposition de l'honorable M. Coomans pour le reconnaître. Il a annoncé depuis longtemps ses intentions.

« Mais il l'a toujours déclaré aussi, les intérêts nombreux qui se rattachent aux différentes branches d'industrie et de commerce, qui ont été créées ou qui se sont développées sous la législation actuelle, exigent que la transition à un système nouveau, que toute innovation, soient ménagées de telle sorte que personne n'ait à craindre une perturbation violente. Il faut donc, ici surtout, deux choses indispensables : de la prudence et du temps. »

Nous avions résolu dès cette époque, dans un sens libéral, et malgré la plus ardente opposition, la grande question des denrées alimentaires. Nous avions fait pénétrer dans la pratique le principe de la libre entrée des produits étrangers destinés à être soumis à un travail en Belgique, sauf à exporter les marchandises fabriquées. Presque tous les droits de sortie avaient été supprimés.

Nous avions, en un mot, sapé par la base un système qui avait prévalu jusque-là dans la politique commerciale du pays. Nous eûmes à lutter contre une opposition plus formidable lorsque nous eûmes mis à nu les vices de notre tarif douanier en annonçant l'intention de le réviser.

La plupart d'entre vous ont gardé le souvenir des discussions passionnées auxquelles donna lieu l'annonce de ce programme. Nous avons essuyé une énergique résistance, mais depuis, et après avoir appliqué les premières, mesures de réforme, après avoir indiqué ce qu'il fallait faire, après avoir préparé tous les matériaux de cette révision, nous avons eu la satisfaction de voir successivement nos adversaires ceux mêmes qui nous avaient le plus énergiquement combattu, coopérer aux premières mesures de cette réforme.

Par les dispositions prises en 1852, à la suite des traités avec la Hollande et l'Angleterre, le système des droits différentiels a été ébranlé jusque dans ses fondements ; il fut dès ce moment condamné sans retour. Un grand nombre d'articles furent soustraits aux droits différentiels. L'œuvre commencée a été continuée par nos honorables successeurs et la loi du 19 juin 1856 a décidément supprimé le système inauguré en 1844. C'était, comme vous le remarquez, s'associer à la pensée que nous avions exprimée, c'était continuer l'exécution du programme annoncé.

Par les lois du 25 mai 1856 et du 5 février 1857, de fortes réductions des droits d'entrée sur les machinés et mécaniques et sur les denrées alimentaires ont été prononcées. La plupart des matières premières ont été exemptées des droits d'importation ou sensiblement dégrevées. En même temps on a remanié la tarification d'un certain nombre d'autres articles. La dernière loi, celle qui devait être votée avant qu'on pût faire un pas de plus, est de date très récente : elle est du 18 décembre 1857.

Assurément, messieurs, nous ne renoncerons pas à poursuivre l'œuvre que nous avons commencée. Nous serons aidés cette fois (et nous ne l'étions pas alors) par le concours d'un grand nombre d'honorables membres de cette Chambre qui ont reconnu que des réformes sages, prudentes, pouvaient être faites sans aucun danger. Nous serons également aidés par l'opinion publique aujourd'hui mieux éclairée qu'elle ne l'était à cette époque.

La révision du tarif est faite déjà pour un grand nombre d'articles ; la partie la plus délicate, la plus difficile celle qui touche aux produits fabriqués, celle-là reste à faire. Une enquête a été ordonnée par le gouvernement.

Cette enquête doit être communiquée au public ; nous avons besoin, pour marcher, d'éclairer l'opinion publique, nous avons besoin d'éclairer les intéressés eux-mêmes. Cette enquête s'imprime en ce moment ; déjà le travail est fort avancé, il pourra être, en très peu de temps, livré à la publicité.

Le gouvernement, après s'être ainsi enquis de tous les faits, après avoir consulté les hommes spéciaux, les hommes compétents, après avoir entendu les intéressés, le gouvernement avisera et choisira le moment opportun ; il choisira son heure pour présenter aux Chambres des projets de lois destinés à compléter la révision de notre tarif douanier.

M. Vermeire. - Messieurs, je constate que sur les faits généraux que j'avais examinés hier, je suis d'accord avec le gouvernement. Seulement, M. le ministre des finances pense que l'augmentation des recettes n'est pas due à la création de nouveaux impôts, et que les dégrèvements qui ont été accordés sur d'autres articles, équilibrent en quelque sorte les augmentations qui ont été le résultat des nouvelles lois financières. Je n'ai pas sur moi la note dans laquelle j'avais additionné le montant de ces nouveaux impôts ; mais je crois me rappeler que cette augmentation dépasse la somme de sept millions de francs, tandis que les dégrèvements ne peuvent, à beaucoup prés, atteindre ce chiffre.

Je pense donc, messieurs, être resté dans le vrai lorsque j'ai attribué l'accroissement de nos recettes à trois éléments divers : d'abord à la création de nouveaux impôts, à raison de 31 p. c., ensuite à l'accroissement de la population à raison de 60 p. c. ; enfin à l'accroissement de bien-être dans le pays, à raison de 9 p. c.

Dans les observations que j'ai présentées hier, je n'ai pas parlé de la réforme postale ; mais j'ai toujours voté en faveur de cette réforme et je suis d'avis que, dans la situation actuelle de nos finances, celle-ci peut, sans inconvénient, être mise en pratique. Je ne me livrerai pas, pour le moment, à l'examen de cette question ; j'attendrai que la discussion spéciale se soit établie sur l'article Poste, pour présenter les observations que je jugerai utile de faire valoir en faveur de mon opinion.

M. Manilius. - Messieurs, je n'avais pas l'intention de prendre la parole dans la discussion générale, parce que le peu d'observations que j'avais à présenter sur le budget des voies et moyens, je les réservais pour la discussion des articles ; c'est ce que je compte encore faire. Mais, si je romps le silence dans la discussion générale, c'est pour prendre acte des principes que M. le ministre des finances vient de proclamer.

J'applaudis à ces principes ; Je pense avec M. le ministre des finances qu'il y a lieu de pousser le pays, par des moyens bien mûris, bien sages, bien lents, bien circonspects ; de pousser le pays, dis-je, vers tous les progrès qui peuvent lui faire honneur et aider à sa prospérité. Tant qu'il sera fidèle à ces principes, M. le ministre des finances peut être certain de m'avoir toujours pour auxiliaire ; il aura constamment mon appui pour tous les projets qu'il présentera et qui auront ces principes pour base.

J'attendrai, comme je l'ai déjà annoncé, la discussion des articles, pour présenter d'autres observations, notamment sur la réforme postale.

J'ai dit.

M. Magherman. - L'honorable ministre des finances me semble avoir mal compris ou mal interprété le sens de mes paroles, lorsqu'il me répond que tous les ans le contingent de la contribution foncière se vote pour une année. Je n'ignore pas que de par la Constitution les impôts se votent tous les ans.

Mais il n'en est pas moins vrai que ces impôts puisent leur existence dans des lois spéciales dont les lois de budget ne sont que l'application, et que la loi spéciale qui augmente la contribution foncière au-delà du contingent fixé par la loi de 1848, n'a décrété cette augmentation que pour une seule année.

Depuis 1854 on a dénaturé jusqu'à un certain point le caractère de l'impôt foncier qui est un impôt de répartition et non un impôt de quotité, et cela en ajoutant au contingent fixé par la loi de 1848 une contribution proportionnelle qui atteint les propriétés nouvellement bâties, après le laps pendant lequel elles sont exemptes d'impôt ; au lieu de comprendre ces propriétés dans la répartition du contingent général fixé par la loi.

Eh bien, je dis que l'impôt foncier doit être ramené, comme autrefois, en principal à la somme de 15,500,000 fr. Voilà quel a été le sens de mes paroles lorsque j'ai dit que l'impôt n'avait été voté que pour une année, et dans la réalité il en est ainsi.

((page 181) M. Prévinaire. - Messieurs, si dans la séance d'hier j'ai insisté auprès du gouvernement pour obtenir deux réductions de taxe, je viens remplir aujourd'hui un autre devoir, celui d'indiquer au gouvernement le moyen de trouver quelques ressources, sans léser aucun intérêt, en développant, au contraire, la prospérité du pays. Je crois, en effet, que le membre de cette Chambre qui réclame des dépenses nouvelles ou une réduction d'impôt, ne peut se soustraire à l'obligation soit de voter de nouveaux impôts, soit d'indiquer tout au moins des moyens d'équilibrer les recettes du trésor.

Lorsque à des époques antérieures j'ai réclamé des réformes, je n'ai jamais hésité à marcher dans cette voie. En insistant sur la réforme postale, j'ai fait ressortir que, de l'aveu même du gouvernement, une compensation, dans l'intérêt du trésor, avait été votée par les Chambres, compensation qui peut pour le moment ne pas être complète, mais qui, dans un avenir prochain, constituera un supplément de recette.

Il viendra un jour où les faits jugeront les opinions ; pour le moment, nous en sommes réduits à des inductions ; celles-ci reposent nécessairement sur une base incertaine ; ce sont des appréciations ; l'avenir dira quelles ont été les meilleures.

C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai entendu M. le ministre des finances affirmer aujourd'hui, par rapport à la réforme douanière, les principes proclamés par lui il y a quelques années ; l'honorable ministre obéit à ses convictions.

J'espère que les actes répondront aux convictions, et que des réformes prudentes, mais efficaces, nous seront proposées.

Je pense que lorsque nous aurons marché pendant quelque temps dans cette voie, l'expérience nous montrera qu'aujourd'hui on évoque des fantômes, on se crée des craintes chimériques pour combattre toute espèce de réforme.

La réforme de notre tarif douanier dans le sens d'une application de droits plus essentiellement fiscaux, créera pour le trésor des ressources nouvelles. La réduction des péages et taxes sur nos voies de communication produira le même effet et lorsque nous serons arrivés dans cette voie à rapprocher la taxe du service rendu, le trésor verra ses ressources mieux assurées et surtout abritées contre les réclamations qu'élèvent aujourd'hui si justement et l'industrie et les consommateurs.

Je crois donc que l'avenir nous montrera que l'intérêt du trésor est intimement lié à ces réformes et affirmera de plus en plus ce principe que les petites taxes produisent les plus gros revenus.

Je demanderai à la Chambre la permission de l'entretenir d'un intérêt qui se rattache à l'exploitation du chemin de fer de l'Etat. Le tarif en vigueur permet au gouvernement d'accorder une réduction de 50 p. c. sur les péages. Il a été usé assez largement de cette faculté dans les conditions exigées par la loi, c'est-à-dire qu'il faut que la réduction ait pour effet d'attirer vers le chemin de fer des transports qui n'y afflueraient pas sans cela.

Un grand nombre de nos établissements industriels ont conclu avec l'Etat des contrats pour jouir de cette réduction. Par ces contrats ils s'engagent à faire transporter journellement des quantités déterminées de marchandises. Ce système est très utile au chemin de fer et aux intérêts industriels. Il est évident qu'il est de l'intérêt du chemin de fer d'utiliser le plus régulièrement possible le matériel dont il dispose, c'est ce qui a lieu. Quand l'administration a des contrats avec des industriels qui lui assurent des transports connus et déterminés, il en résulte nécessairement des conditions d'exploitation meilleures que quand elle doit attendre les transports, ce qui l'oblige à avoir une partie de son matériel disponible et improductif dans les gares. Pour les intérêts des industriels, cette mesure présente également de grands avantages ; ils obtiennent, il est vrai, une forte réduction du tarif ; mais celle-ci se justifie par les obligations qu'ils contractent ; le plus grand avantage qui résulte pour eux de l'application de la disposition dont je parle, consiste dans la possibilité d'obtenir la disponibilité du matériel nécessaire aux transports qu'ils ont à effectuer.

Supposons, par exemple, un établissement qui fabrique le fer ; sa consommation en charbon est considérable ; le contrat fait avec le chemin de fer lui assure le transport régulier de ses approvisionnements et lui permet d'organiser des moyens de déchargement prompts et réguliers, qui offrent au chemin de fer l'assurance d'une disponibilité presque immédiate du matériel. Placez-vous au contraire au point de vue de l'absence de ces contrats, et l'industriel aussi bien que l'administration du chemin retombent dans l'incertitude et subissent tous les inconvénients qui en découlent.

Il m'est revenu que le gouvernement se refuse parfois à conclure de semblables arrangements, alors que toutes les conditions exigées se trouvent cependant réunies, et alors que des industriels, ayant les mêmes intérêts et placés dans des conditions identiques ont été admis à les conclure.

Je ne puis qu'engager le gouvernement à se montrer plus bienveillant ; je l’engage aussi à ne pas négliger de donner une extension à ce mode d’abonnement que je considère comme offrant une ressource véritable pour le trésor, en ce sens qu'il offre un moyen de mieux utiliser le matériel, et, par conséquent, d'économiser le capital affecté à cette destination.

- La discussion générale est close.

Discussion du tableau des recettes (titre I. Impôts)

Contributions directes, douanes et accises

Foncier

« Principal : fr. 15,944,527.

« 3 centimes additionnels ordinaires : fr. 478,335.

« 2 centimes additionnels pour non-valeurs : fr. 318,890.

« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 1,594,452.

« 3 centimes additionnels supplémentaires sur le tout : fr. 550,086.

« Ensemble :fr. 18,886,290. »

- Adopté.

Personnel

« Principal : fr. 9,100,000.

« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 910,000.

« Ensemble : fr. 10,010,000. »

- Adopté.

Patentes

« Principal : fr. 3,660,000.

« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 366,000.

« Ensemble : fr. 4,026,000. »

- Adopté.

Redevances sur les mines

« Principal : fr. 580,000.

« 10 centimes additionnels ordinaires pour non-valeurs : fr. 58,000.

« 5 centimes sur les deux sommes précédentes pour frais de perception : fr. 31,900.

« Ensemble : fr. 669,900. »

- Adopté.

Droit de débit des boissons alcooliques

« Droit de débit des boissons alcooliques : fr. 950,000. »

- Adopté.

Droit de débit des tabacs

« Droit de débit des tabacs : fr. 165,000. »

- Adopté.

Douanes

« Droits d'entrée : fr. 13,500,000.

« Droits de sortie : fr. 100,000.

« Droits de transit : fr. 1,000.

« Droits de tonnage : fr. 680,000.

« Ensemble : fr. 14,281,000. »

M. Loos. - Dans la séance du 18 mars de l'année dernière, à l'occasion de la discussion du budget des travaux publics, j'ai signalé à la Chambre le préjudice qu'éprouvaient nos ports de mer et particulièrement le transit maritime, du maintien des droits qui pèsent sur la navigation dans notre pays et qui depuis plusieurs années n'existent plus dans un pays voisin, notre concurrent le plus redoutable.

Ce pays qui, comme le nôtre, est entré, à l'exclusion de ses colonies, dans un large système de liberté commerciale, a compris, qu'en enlevant au commerce ses primes et toutes les protections douanières dont il avait joui jusqu'alors, il fallait en même temps le soulager de toutes les charges, de toutes les entraves, qui pouvaient gêner son libre développement et lui permettre de soutenir la lutte avec les pays où le système de protection serait maintenu.

C'est ainsi que dans ce pays, où le développement de la prospérité commerciale fait l'objet le plus constant des préoccupations du gouvernement, on a supprimé le droit de tonnage, réduit considérablement le droit de pilotage, affranchi de tous droits d'entrée les objets employés à la construction et à l'armement des navires, aboli toutes les entraves d'une fiscalité trop rigoureuse, créé des voies nouvelles de communication et affranchi celles qui existaient des charges dont elles étaient grevées. Toutes ces mesures étaient surtout prises, afin de pouvoir soutenir avec avantage contre nous la concurrence pour l'approvisionnement des marchés de l'Allemagne.

Qu'avons-nous fait de notre côté pour soutenir cette lutte ? Rien, messieurs, moins que rien ; au lieu d'alléger les charges du commerce, nous avons établi sur nos lignes de chemin de fer des tarifs constituant des primes en faveur de nos concurrents !

Il n'était pas difficile de prévoir quelles seraient, pour le commerce belge, les conséquences d'une pareille inertie, d'une aussi incroyable inadvertance. Je ne veux pas exagérer la situation, mais je dois déclarer, qu'indépendamment des effets de la crise commerciale que nous subissons avec beaucoup d'autres pays, le commerce éprouve des souffrances extraordinaires ; les relations tendent à se déplacer, le transit maritime se perd, et avant peu, si l'on n'y porte remède, des perturbations (page 182) irrémédiables se déclareront d'une façon évidente pour tout le monde.

En effet, messieurs, peut-on supposer que la concurrence soit possible entre deux ports rivaux, dont l'un doit acquitter un impôt de près de 3 francs par tonneau, que l'autre ne paye pas, tandis que celui-ci jouit en outre de l'avantage de communications plus économiques avec les pays de consommation ? Cela me paraît complétement impossible. Aussi je prédis que si le gouvernement n'affranchit pas entièrement la navigation des charges qu'elle supporte aujourd'hui, le commerce maritime déclinera chaque jour, et le transit par mer sera bientôt réduit à rien.

Qu'on ne s'y trompe pas, ce n'est pas Anvers seulement qui souffrira d'une pareille situation, c'est le commerce et l'industrie de tout le pays qui en ressentira les conséquences. Déjà l'importation par mer de certains grands articles de commerce a diminué et pour peu que cela continue, les entrepôts d'Europe fourniront bientôt à la majeure partie de notre consommation, et l'industrie du pays perdra ainsi les moyens économiques qu'il trouve aujourd'hui pour l'exportation de ses produits.

Partisan de la liberté du commerce, j'ai voté la suppression de tous les droits différentiels, des primes à la construction des navires, toutes les protections enfin dont jouissait le commerce maritime. Je devais supposer que le gouvernement, en présentant à la législature ces modifications importantes, était résolu à entrer franchement dans un système libéral, dont j'appréciais tous les avantages pour le pays. Je dois le dire, je crains de m'être trompé. On s'est arrêté dans l'application des principes que je croyais définitivement admis comme base d'une législation nouvelle. Je m'aperçois qu'on n'a fait que démolir sans réédifier : après avoir enlevé toutes les protections, on a laissé subsister toutes les charges, toutes les servitudes douanières plus nuisibles encore que les changes pécuniaires.

Je l'ai déjà dit dans une autre circonstance, aucune idée de suite ne semble présider chez nous à la direction des affaires commerciales ; des plans étudiés et mis en pratique aujourd'hui, tombent en désuétude demain devant un obstacle quelconque qui paraît devoir faire craindre quelques embarras. Est-ce ainsi, messieurs, qu'on a pratiqué la liberté commerciale en Angleterre et même en Hollande ? Evidemment non. En ôtant au commerce maritime les liens par lesquels une législation surannée soutenait sa marche, on a eu soin d'enlever aussi tous les obstacles qui jusqu'alors s'étaient trouvés sur son chemin.

Pourquoi dans notre pays n'en a-t-il pas été de même ? Comment veut-on que le commerce ait foi dans le système qu'on a proclamé, quand le gouvernement lui-même semble ne pas y avoir confiance ? En effet, on a prétendu que, dégagée de toute protection douanière, la marche du commerce serait plus certaine, qu'il lutterait avec plus d'avantage contre ses rivaux et qu'une prospérité plus grande, mieux affermie, à l'abri de perturbations fréquentes, compenserait bientôt les sacrifices momentanés que la mise en pratique du système de liberté pourrait lui imposer.

Le gouvernement a cru, sans doute, que ces bons effets, dont le trésor aussi devrait éprouver la salutaire influence, pourraient bien se faire attendre, et c'est probablement par ce motif, qu'en présence de la suppression d'impôts qui s'opérait ailleurs, il a cru pendant de conserver ceux qui jusqu'à présent grèvent la navigation. Pourrait-t-on s'étonner, si, en présence d'une exécution aussi incomplète du système préconisé, le commerce venait à regretter les protections et le système des droits différentiels ? On a enlevé toutes les protections et on a maintenu toutes les charges. On lui a dit : Luttez avec vos rivaux, vous êtes aussi fort et aussi robuste qu'eux et on lui a conservé des liens qui l'empêchent de se mouvoir en liberté. Le 7 février 1852, la Hollande réduit ses droits de pilotage sur la Meuse. Nos traités avaient prévu cette modification et portent, qu'en cas de réduction sur la Meuse, la Belgique aura le droit de réclamer la même faveur sur l'Escaut. Notre gouvernement laisse s'opérer la réduction et se croise les bras ; le trésor pourrait en éprouver quelque perte !

Le 1er janvier 1856, le droit de tonnage est aboli dans les ports de la Hollande, ils continuent d'exister dans les ports belges : Le trésor pourrait perdre à cette suppression.

La Hollande abolit les primes pour la construction de navires, mais en même temps abolit tous les droits d'entrée sur tous les objets propres à la construction ou à l'équipement des navires.

Nous nous empressons de l'imiter, en supprimant les primes, mais nous maintenons nos droits d'entrée sur plusieurs articles indispensables aux navires. Il faut bien, dit-on, conserver une protection à certaines industries qui ne peuvent s'en passer !

Je le répète, messieurs, avec un pareil système, la lutte n'est pas possible. J'adjure donc le gouvernement de placer notre commerce maritime dans des conditions d'égalité avec ses rivaux et d'accepter pour le trésor les chances bonnes et mauvaises que le régime de liberté fait courir au commerce.

Au lieu d'un tarif de chemin de fer, qui crée des primes en faveur de nos concurrents, assurons au commerce des voies de communication aussi économiques que celles dont jouissent ses rivaux. Abrégeons les distances par des lignes directes vers les grands centres de consommation. La prospérité est à ce prix, et si nous atteignons le but, le trésor public n'en recueillera par les moindres avantages.

Je termine en déclarant, que si, le gouvernement ne peut nous donner la garantie qu'il entrera dans cette voie, je serai forcé de m'abstenir dans le vote sur le budget des voies et moyens.

M. de Boe. - Messieurs, la chambre de commerce d'Anvers vous a fait distribuer hier un mémoire contenant l'ensemble de mesures qu'elle juge nécessaires pour que le port d'Anvers puisse lutter avec avantage contre la redoutable concurrence que lui font les entrepôts et les ports de Rotterdam, de Brème, de Londres, du Havre et de Dunkerque.

Au premier rang de ces mesures, se trouve l'abolition du droit de tonnage, qui entre pour une forte part, dans les frais considérables dont se trouve grevée la navigation de l'Escaut.

Cette question se présente naturellement dans la discussion du budget des voies et moyens, je vais donc l'examiner avec quelques détails.

Le droit de tonnage est perçu en vertu des articles 293 et 294 de la loi des douanes du 26 août 1822, qui distingue trois classes de navires, et fixe le droit suivant la classe à laquelle ils appartiennent : 1° les navires belges ; 2° les navires assimilés aux navires belges ; 3° les navires non assimilés. Par suite des traités conclus avec la plupart des puissances maritimes du globe et qui ont assimilé leurs pavillons au pavillon belge, le droit est devenu uniforme pour tous les navires. La seule modification qu'il ait subie, est une augmentation de 16 p. c. centimes additionnels, de sorte qu'il est aujourd'hui fixé à l'entrée, à 1 fr. 10 c, à la sortie, à 1 fr. 10 c., en tout 2 fr. 20 c. par tonneau.

La législation qui règle ce droit est un peu ancienne. Il est des institutions pour lesquelles la durée est une condition de légitimité ; il en est d'autres que le seul fait de l'ancienneté rend suspectes : de ce nombre sont en général les lois qui règlent les finances, le crédit, le commerce, la navigation. Les idées que l'on se fait de nos jours des conditions de développement de ces sources de la richesse publique, diffèrent parfois d'une manière très marquée de celles que l'on s'en faisait il y a quarante ans, il y a vingt ans, il y a quinze ans à peine.

Peu avant la loi de 1822, le gouvernement anglais, afin de protéger son agriculture, d'offrir aux propriétaires terriers une compensation pour les charges énormes dont les avait grevés l'établissement de l’income-tax, le gouvernement anglais décréta un droit prohibitif des céréales. Aujourd'hui des principes complétement opposés ont présidé à la rédaction de sa nouvelle législation sur cette matière.

Il y a quinze ans, on établissait des droits différentiels en Belgique. Des idées tout autres ont guidé depuis le législateur.

C'est de même une idée toute nouvelle dont la mise en pratique a eu sur le développement des finances le plus heureux résultat, qu'un abaissement dans les charges fiscales amène généralement une augmentation de recettes, que l'abolition de tout droit de transit notamment, bien loin de porter préjudice au trésor, accroît en réalité ses ressources par le mouvement plus considérable qu'il procure dans le transport des marchandises transitées, par l'impulsion qu'il donne à toute l'industrie nationale.

Il est aujourd'hui reconnu en principe, sinon en fait, que de tous les impôts le plus détestable est celui qui porte sur le transit. Frappant des gens qui peuvent facilement s'y soustraire, il n'a d'autre résultat que de détourner au profit de voisins plus habiles des marchandises dont le soin, le transport eussent laissé à notre commerce, à notre chemin de fer des bénéfices considérables. Aussi avons-nous successivement aboli tous ces droits, et réduit dans de fortes proportions les tarifs de chemins de fer entre nos diverses frontières.

Si tel est depuis plusieurs années l'esprit de nos lois, on peut s'étonner à juste titre de voir maintenir un impôt qui frappe de la manière la plus onéreuse le transit maritime et dont les effets sont tels, qu'il constitue un véritable droit différentiel au détriment de nos entreprises de transport, au détriment de la ville d'Anvers, de notre commerce maritime et de la prospérité générale.

Cet impôt, c'est le droit de tonnage.

Le caractère désastreux des impôts de transit, de navigation et du tonnage en particulier fut reconnu en Hollande dès 1850.

Le 3 juillet 1850, le ministre des finances disait : « Pour venir en aide au commerce et à la navigation, au lieu de nous borner aux propositions dont la Chambre est saisie, nous aurions désiré supprimer toutes les autres charges dont ils sont grevés. Le gouvernement regarde le droit de tonnage comme une bien lourde charge pour la navigation : il espère pouvoir remplacer au prochain budget ce droit par un autre impôt. »

La seule raison invoquée par M. Van Bosse, non pas contre l'abolition du droit qu’il admettait en principe, mais contre son abolition immédiate c'était la détresse des finances néerlandaises. Cette raison n'a aucune valeur en Belgique dans le moment actuel où nous avons un excédant de recettes de plusieurs millions.

Dès le 24 février 1851, le gouvernement déposa un projet de loi abaissant le droit de tonnage de fl. 0.45 (95 c.) à fl. 0.20 (42.22) et réduisant dans une proportion analogue les droits d'écluse et de canal.

L'exposé des motifs dit :

« Lors de la discussion des scheepsvaartwetten, le vœu avait été émis au (page 183) sein des deux chambres des états généraux que le droit de tonnage sur les bâtiments de mer fût supprimé ou du moins considérablement réduit. Le gouvernement, bien qu'il fût convaincu des avantages pour le commerce et la navigation d'une pareille mesure, avait pensé toutefois qu’elle ne pouvait être inscrite aux projets de loi présentés à cette époque. »

Ce projet de loi, dont l'adoption aurait momentanément privé le trésor d'une recette de 200,000 florins (424,000 fr.), n'aboutit pas, sans doute parce qu'il ne satisfît que d'une manière incomplète les partisans de l'abolition complète et immédiate.

Un an plus tard, le 7 février 1852, le gouvernement, par arrêté royal, abaissa les droits de pilotage de 25 p. c. en moyenne.

20 p. c. pour les navires à voile.

25 p. c. pour les navires remorqués.

30 p. c. pour les bateaux à vapeur.

Le même arrêté déclarait de plus que certains frais qui tombaient auparavant à la charge du capitaine seraient désormais supportés par la caisse générale du pilotage.

C'était dans une certaine mesure accorder à la navigation les avantages qu'elle eût retirés de l'adoption du projet de loi sur la réduction du droit de tonnage. Le gouvernement ne crut pas que la situation du trésor lui permît de supprimer ce dernier droit. Ce ne fut que le 14 juillet 1855 que l'abolition totale eut lieu, et depuis le 1er janvier 1856 la navigation des ports hollandais en est complétement affranchie.

Dans l'espace de quelques années tous les droits qui la grèvent sont ou supprimés ou notablement réduits. Le gouvernement hollandais se prive par sa mesure de près de 5 millions de recettes, largement recouvrées depuis par l'augmentation générale des transports, du transit, des droits de douanes, de ports de lettres, de patente, etc.

Telles sont les mesures à l'aide desquelles le gouvernement néerlandais a su protéger sa marine et son commerce d'entrepôt.

Ces mesures il les a considérées comme la conséquence légitime, nécessaire de l'abolition des droits différentiels. Ces droits disparaissant il n'y avait qu'un moyen de soutenir la lutte avec les nations voisines : c'était de rendre à la navigation vers les ports hollandais le prix du transit le plus économique possible.

C'est ce qu'a fait le gouvernement néerlandais : c'est ce que n'a pas fait le gouvernement belge.

Les conséquences de cette ligne opposée de conduite n'ont pas tardé à se produire. Le commerce des importations des exportations directes du port transit décline, le mouvement de son transit se ralentit d'une manière considérable.

Cette assertion semble être en contradiction avec les faits. Les documents officiels constatent un accroissement continu dans la valeur des marchandises transitées, valeur qui s'est élevée, en 1857, à 386,000,000 de francs, soit 20 millions de plus qu'en 1856. Ces chiffres semblent accuser une situation des plus prospères. Lorsqu'on examine la chose de près, lorsqu'on analyse les chiffres et les éléments dont se compose le transit, on arrive à des conclusions toutes différentes de celles qu'on semblait pouvoir en déduire.

Le mouvement du transit peut, en effet, s'envisager sous trois aspects divers : 1° le transit direct, qui s'effectue sans rompre charge, qui ne donne lieu à aucune opération de commerce sur notre territoire, et ne laisse d'autre profit que l'excédant du prix de transport sur les frais de translocomotion.

Ce transit s'effectue entre nos diverses frontières de terre pour le compte de maisons étrangères à la suite d'opérations faites à l'étranger. Il est dégrevé de tout droit, il n'est donc pas étonnant qu'il soit prospère. Aussi a-t-il subi un accroissement considérable dans ces dernières années. Il entre pour 200 millions dans les 386 millions.

La deuxième espèce de transit est celle qui s'effectue par sortie d'entrepôts et réexportation, auquel on peut ajouter le troisième mode qui a lieu par réexportation de marchandises qui, se trouvant libres, à l'entrée, n'ont point dû jouir du privilège des entrepôts.

Ces deux derniers modes de transit ne s'effectuent en général que par nos frontières maritimes ; ce sont les seuls qui aient une importance réelle, non seulement pour nos ports mais encore pour le pays en général ; c'est le seul dont on tienne compte dans les villes hanséatiques, c'est le seul qui existe réellement en Angleterre par suite de sa position insulaire, c'est le seul qui ait et qui ait jamais eu quelque importance. Sous un nom moderne, c'est le vieux commerce d'entrepôt pratiqué par nos pères au XVIème siècle, auquel Bruges plus tôt, Anvers plus tard, durent leur grandeur, et qui, lorsque l'Escaut se fut trouvé fermé, bloqué pendant le XVIIème et le XVIIIème siècle, passa tout entier aux Hollandais et aux Anglais.

Rien qu'au point de vue des recettes du chemin de fer, voici l'importance de ces deux transits. Le premier, qui s'effectue principalement entre l'Allemagne et la France, et transporte 200 millions de valeur, soit environ 55 p. c. du chiffre total de la valeur, ne comprend en poids que le tiers des marchandises transportées.

Le second est en pleine décroissance.

Si l'on en excepte les grains et les cafés, on trouve pour la moyenne quinquennale du transit maritime des principales marchandises dont s'alimente le port d'Anvers : 64 millions de francs pour la moyenne quinquennale, 59 millions pour 1856 et 43 millions pour 1857.

Je n'ai compris dans ces chiffres ni les grains ni les cafés.

Le transit des grains est très éventuel ; il dépend des récoltes ; considérable pendant une année de cherté, il tombe à rien lorsque le rendement général est favorable.

Quant aux cafés, ce sont des circonstances exceptionnelles qui ont amené l'extrême importation dont il a été l'objet en 1857. La preuve s'en trouve dans la différence des mises en consommation de l'année 1858.

L'importation spéciale des cafés, qui était pour les dix premiers mois de 1857, de 349 mille balles, n'a plus été, pour les dix premiers mois de 1858, que de 91 mille balles.

Le transit d'Anvers vers le Zollverein, qui était en 1856 de 181 millions, tombe en 1857 à 171 millions.

Le transit du Zollverein vers Anvers déchoit de 128 à 124 millions.

Et cette diminution n'est pas le résultat de la crise. La crise n'a commencé à sévir que dans les deux derniers mois de 1857. Elle n'a eu sur les importations, les exportations, le transit qu'une légère influence, surtout pour le commerce transatlantique. Toutes les marchandises expédiées antérieurement à ces deux mois ont continué à arriver. Le ralentissement ne s'est manifesté d'une manière sérieuse que dans les premiers mois de 1858.

La diminution du transit et de nos importations directes est un fait normal, car elle se produit à des époques où le mouvement des affaires a pris des proportions colossales, à une époque où notre voisine la Hollande voit s'accroître chez elle ce genre de commerce de tout ce que perd le nôtre.

En 1856, la Belgique importait 17,107,000 kil. de coton, dont 16,314,000 par mer, 6,287,000 des Etats-Unis. 792,000 kil. par terre.

En 1857, elle n'importait plus que 13,724,000 kil., dont 11,924,000 par mer, 3,595,000 des Etats-Unis. 1,799,000 par terre.

Les provenances indirectes, par voie de terre, s'accroissent.

Les provenances des pays de production diminuent.

Et cela au profit de quelles nations ? De la Hollande et de la France.

En 1857, la Hollande importe 4,500,000 kilogrammes de plus qu'en 1856. C'est à peu près la quantité que le port d'Anvers importe en moins.

Les mises en consommation de coton venant de France, passent de 320,000 kilogrammes qu'elles étaient en 1856 (10 premiers mois), à 1,412,000 kilogrammes pour 1858.

Ceux venant des Pays-Bas étaient en 1856 de 254,000 kil. En 1858, elles montent à 2,441,179.

(Notre transit diminue dans la même proportion que diminuent nos importations.

Même résultat pour les cafés. En 1857, nous importons en consommation 10 1/2 millions de kilogrammes de café des Etats-Unis, des Antilles et du Brésil pour les dix premiers mois. En 1858 nous n'avons plus que 7 millions de kilogrammes mis en consommation de ces provenances, soit une différence de 5 millions que vient combler l'introduction des cafés venus de Hollande en Belgique.

Quoi d'étonnant !

Les frais de navigation sont moins considérables à Rotterdam qu'à Anvers, et l'on transporte de Rotterdam vers Liège, Namur et Charleroi à meilleur compte qu'on ne le fait de ce port vers ces mêmes villes.

En ne prenant que ce dernier avantage, nous trouvons que la différence du prix de transport pour 1,000 kil. de Rotterdam à Liège, Namur, Verviers, Herbesthal est de 0,11, fr. 1-30, fr. 1,10, fr. 1-70.

Ajoutez-y, toutes les conditions de fret et de marché étant les mêmes pour les deux places, 1,000 francs de frais de navigation de moins, sur un navire de 500 tonneaux, et vous trouverez qu'il y a avantage de 3 fr. 70 c. par 1,000 kil. pour certains consommateurs belges, à faire venir leurs marchandises plutôt par Rotterdam que par Anvers, et qu'il est moins coûteux de faire transiter des marchandises pour le Zollverein, par la mer, Rotterdam, Anvers, la Belgique, que de le faire directement d'Anvers ; l'économie est, dis-je, de 3 fr. 70 par 1,000 kil.

Ce qui est vrai pour Rotterdam l'est aussi dans une certaine mesure pour le Havre et surtout pour Dunkerque. Ce dernier port nous a enlevé presque tout le commerce des vins de Bordeaux à l'aide duquel nous alimentions jadis la Belgique.

Les tarifs de chemins de fer, les frais de navigation, et en particulier les frais de tonnage, agissent donc non seulement comme un impôt sur le transit, c'est-à-dire comme un droit différentiel en faveur du transit par l'étranger au détriment du nôtre, mais comme un véritable droit différentiel en faveur des ports étrangers au détriment du port d'Anvers et cela pour l'alimentation intérieure de la Belgique.

(page 184) Par son mode de perception, ce droit favorise les importations par les entrepôts étrangers au détriment des provenances directes transatlantiques. L'impôt est perçu une fois par an, à la première entrée et à la première sortie. Tout voyage ultérieur dans le courant de l’année est dégrevé de tout droit. Il suit de là qu'un navire qui fait les importations des entrepôts anglais en Belgique, qui fera, par exemple, le voyage 26 fois par an ne payera que la 26ème partie du droit à chaque voyage, soit, si c'est un navire de 500 tonneaux, 42 fr., tandis qu'un navire de même tonnage qui, par suite de navigation au long cours, ne pourra faire qu'une fois par an ce voyage payera pour cette seule fois l'intégralité du droit, soit 1,100 fr.

Ce droit constitue donc de plus un droit différentiel contre la grande navigation, de la diminution de laquelle on se plaint surtout à Anvers, et cela en faveur du cabotage, du commerce d'importation par entrepôts anglais, hollandais, français, c'est-à-dire que le maintien de ce droit va directement à l’encontre du but que l'on se proposait d'atteindre par l’établissement des droits différentiels.

Le département des affaires étrangères a reconnu cet effet du droit de tonnage. Le traité nouveau conclu récemment avec les Etats-Unis exempte du droit de tonnage en Belgique les bateaux à vapeur belges ou américains faisant un service régulier entre la Belgique et les Etats-Unis.

Pourquoi ne pas généraliser cette faveur ? Pourquoi laisser le port d'Anvers dans une position d'infériorité notable vis-à-vis des ports voisins et provoquer ainsi la perte d'un commerce qui a fait la prospérité, la grandeur des nations qui ont su l'acquérir et le maintenir. La perte que subirait le trésor, serait rapidement compensée par une augmentation de recettes d'une autre nature. Le fait a eu lieu en Hollande, où les impôts abolis dans l'intérêt du commerce et de la navigation s'élevaient à près de 3,000,000 de florins.

(page 185) M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Messieurs, l'honorable préopinant, en commençant son discours, a invoqué un écrit que tous les membres de la Chambre ont reçu et qui émane de la chambre de commerce d'Anvers. Je vais m'occuper à mon tour de cette publication ; mais avant de commencer je dois relever ce qu'il y a d'irrégulier dans la manière dont le fait s'est produit.

J'ai reçu la brochure au moment où cette discussion allait commencer, et en jetant les yeux sur son titre et voyant les mots décadence du port d'Anvers, j'avoue que je l'avais prise pour un pamphlet, quand j'ai remarqué que ce n'était ni plus ni moins qu'un document officiel, une réponse que faisait au gouvernement la chambre de commerce d'Anvers.

En effet, cet écrit est, en très grande partie, la réponse de la chambre de commerce d'Anvers à une dépêche de mon département qui demandait son avis sur un document très important destiné à rester confidentiel, le rapport de M. Moxhet sur une exploration qu'il a été chargé de faire dans les principaux ports de l'Europe, afin d'examiner par quels moyens de concurrence nous pourrions lutter contre les avantages dont jouissent ces ports.

Je crois, pour dégager la responsabilité du gouvernement qui me paraît ici engagée, devoir protester contre cet acte de la chambre de commerce d'Anvers, qui constitue, je regrette de devoir m'exprimer ainsi, une infraction aux règles et aux convenances administratives.

M. Loos. - Le rapport a été publié par le Moniteur.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - On n'a publié que deux courts extraits relatifs à un fait spécial.

La conduite de la chambre de commerce d'Anvers a été d'autant plus étrange, qu'en envoyant le rapport dont il s'agit au gouverneur d'Anvers, je l'avais prié de faire observer à ce collège que ce rapport était de nature à lui fournir des éclaircissements sur certains points de fait à l'égard desquels il pouvait ne posséder que des données incomplètes Mais vous comprendrez, ajoutais-je, qu'il ne pourrait être fait usage qu'avec la plus extrême réserve, dans un document destiné à la publicité, des renseignements et des appréciations qui touchent à ce que j'appellerai notre politique commerciale. Vous voudrez bien inviter la chambre de commerce à ne pas perdre de vue cette recommandation ; il va de soi, d'ailleurs, que ces mêmes renseignements ou appréciations peuvent faire l'objet de toutes les observations que la Chambre croirait devoir présenter, mais dans sa correspondance avec le gouvernement.

Le gouvernement, messieurs, je me hâte de le dire, ne craint pas la publicité ; il est loin de la redouter ; mais il entend rester juge de l'opportunité de la publication des documents qu'il transmet aux corps administratifs inférieurs.

Il n'y a pas jusqu'à ce titre de Décadence du port d'Anvers qui ne vous aura frappé. Que dirait-on, en effet, messieurs, d'une maison de commerce qui, craignant de voir les affaires se détourner d'elle, afficherait sur sa porte : « Maison en faillite. »

M. Loos. - Je demande la parole.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - L'honorable M. Loos ainsi que l'honorable préopinant vous ont déclaré que notre commerce maritime se perd, que le transit tend à se déplacer et qu'ils se réduiront bientôt à rien s'il n'est pris des mesures pour empêcher ce résultat.

Messieurs, on a, dans ces derniers temps, représenté sous un jour très sombre la situation de notre commerce maritime. De plus on a semblé rendre le gouvernement responsable du malaise dont on se plaignait.

La première chose à faire était d'établir la vraie situation des choses. Quelques données statistiques très générales et embrassant l'ensemble de nos relations commerciales ont été publiées dans le Moniteur.

Il importait, en effet, de ne pas laisser accréditer à l'étranger l'opinion que le commerce belge se meurt et que la Belgique est un pays avec lequel on ne peut plus traiter avec sûreté et profit. A force de répéter que les ports belges sont placés dans des conditions d'infériorité à l'égard de leurs voisins, on servait la cause de nos concurrents. Des indices venus de divers côtés m'avaient averti que cet inconvénient n'était point imaginaire, et c'est pour en arrêter à temps les conséquences qu'ont surtout été faites les publications dont je parle.

Ces publications atteignaient encore un autre but : Alors même qu'il serait exact qu'une branche du commerce national est dans un état de gêne, il est impossible, en présence des faits officiellement constatés, de nier que l'ensemble de nos affaires marche bien. Le débat se trouvait ainsi dégagé de l'espèce de confusion dans laquelle on avait paru vouloir l'envelopper ; ne pouvant plus s'attaquer à un ensemble évidemment favorable, il devait forcément se restreindre à quelques faits spéciaux ne concernant qu'une branche du commerce national.

On a, vous le savez comme moi, messieurs, contesté la portée des chiffres que le Moniteur a publiés. Je vais essayer de vous mettre à même de faire les parts qui reviennent à la réalité et à l'exagération. Je passerai en revue, à cet effet, les importations, les exportations, le transit et la navigation.

Une remarque préliminaire. On a reproché au gouvernement d'avoir pris pour point de départ l'année 1836. La critique serait fondée si les tableaux se bornaient à indiquer les deux termes extrêmes de la période courante de 1836 à 1857 ; mais il n'en est rien. Les chiffres de chaque année ont été publiés. C'est une histoire complète de notre passé commercial. Chacun restait libre de les diviser de telle manière qu'il jugeait convenir et, de fait, on n'a pas manqué d'user de la permission. Le gouvernement n'a fait qu'aligner les chiffres dans l'ordre naturel des années, il ne les a pas groupés à sa convenance.

La chambre de commerce d'Anvers, dans le travail qu'elle vient de livrer à la publicité, atteste que notre commerce direct décroît, qu'il est en pleine décadence, pourquoi ? Parce que, de 1856 à 1857, l'importation spéciale a diminué de 17 1/2 millions et que l'importation générale n'a augmenté que de deux millions.

Ainsi, messieurs, ce commerce qui a grandi, par une gradation non interrompue, de 69 millions de 1846 à 1857, de 79 millions de 1836 à 1857, à l'importation spéciale ; ce commerce qui a monté de 96 et 117 millions durant les mêmes périodes, à l'importation générale, il est en pleine décadence parce que, en isolant deux années dont l'une a été marquée par une crise intense, on découvre une différence de 17 1/2 millions, qui n'existe même que dans l'importation spéciale ?

Et notez ce que la chambre de commerce entend par commerce direct : c'est le commerce avec les pays hors d'Europe exclusivement, c'est-à-dire qu'on n'y comprend ni les relations avec la mer Baltique, ni les opérations avec la Méditerranée, le Levant, la mer Noire, qui ont pourtant bien leur valeur aussi au point de vue maritime.

D'autres ont été plus loin encore. Ils ont prétendu que, des importations effectuées des pays hors d'Europe, il faut retrancher le riz, le guano et les céréales qui auraient, à eux seuls, composé la plus grosse part de l'accroissement des entrées du commerce spécial.

Eh bien, j'ai voulu savoir ce qu'il en était, et j'ai trouvé que ces trois articles ne sont compris que pour 18 p. c. dans l'augmentation constatée de 1856 à 1857. Il vous paraîtra d'ailleurs assez surprenant que le commerce du riz, du guano et des céréales soit devenu un commerce sans intérêt pour nous, et vous trouverez sans doute qu'à ce compte-là il serait aisé de réduire à rien toutes nos transactions maritimes.

La chambre de commerce d'Anvers, après avoir tiré de la comparaison de 1856 avec 1857 la conclusion que j'ai indiquée et examinée ci-dessus, trouve que ce qui achève de démontrer la ruine de notre commerce direct, c'est le mouvement des importations pendant les dix premiers mois de l'année actuelle.

L'administration n'a pas encore relevé, et je le regrette, le commerce général pendant ces 10 mois, mais nous avons le montant des perceptions opérées sur l'importation spéciale et comparées à celles des périodes correspondantes des deux années antérieures ; les voici :

1856 : 9,593,000 francs

1857 : 10,509,000 francs

1858 : 13,204,000 francs

Il y a donc eu un progrès manifeste dans l'ensemble des importations, et les tableaux mensuels du commerce prouvent qu'il s'est exercé au bénéfice de plusieurs articles du commerce maritime, tels que les sucres, les tabacs, le riz, le café.

Aussi n'est-ce point tant le chiffre en lui-même des quantités importées qui est mis en cause que la provenance des marchandises. On se plaint que nous achetions trop aux entrepôts d'Europe.

Messieurs, il y a un moyen d'empêcher que nos fabricants et nos consommateurs ne s'adressent à Rotterdam, à Liverpool, au Havre, c'est de rétablir les droits différentiels de provenance. Si c'est là ce qu'on veut, qu'on le dise nettement, franchement. Je ferai remarquer, au surplus, que l'accroissement des provenances d'entrepôt n'existe même que pour quelques articles. L'importation spéciale des tabacs a grandi d'un million de kilogrammes durant les 10 premiers mois de cette année, et la majeure partie est venue des pays hors d'Europe tandis que le contingent des Pays-Bas diminuait de 150,000 kil. Pour le riz, la part des pays transatlantiques est de 19 millions de kil. sur 22 ; même résultat pour les peaux brutes ; les cafés de Saint-Domingue ont gagné, ceux du Brésil ont perdu, mais qui ignore la perturbation profonde qu'a éprouvée le commerce des cafés du Brésil sur la place d'Anvers ? La situation du coton est la moins bonne, mais encore faudrait-il convenir que si les arrivages des Pays-Bas ont augmenté, ceux d'Angleterre ont suivi une progression opposée.

J'ajouterai une réflexion qui est commune à tous les articles que nous tirons aujourd'hui, dans une certaine mesure, des entrepôts. Il faut beaucoup d'argent ou de crédit pour faire des opérations directes, sur une grande échelle, avec les pays transatlantiques ; il faut beaucoup moins de l'un et de l'autre pour traiter avec les entrepôts. Telle maison n'osera ou ne pourra faire venir un chargement entier des Etats-Unis, de la Havane ou de Rio qui n'hésitera pas à en acheter un tiers ou un quart sur les marchés de seconde main en Europe. Plus d'une maison enfin, avant de reprendre ses affaires avec les pays d'outre-mer, a besoin d'écouler ses approvisionnements et en attendant, le commerce direct d'importation semble s'arrêter alors qu'il n'est qu'interrompu.

Je passe aux exportations.

La chambre de commerce d'Anvers n'en dit rien, et cela se conçoit. On ne saurait légitimement se plaindre ni de l'exportation générale, ni de l'exportation spéciale. L'une a monté de 145 millions en 1846, à 184 en 1846 et à 451 en 1857 ; l'autre de 166 millions en 1836, à (page 186) 300 millions en 1846 et à 837 millions en 1857. En 1858 même, malgré la crise, l'exportation des produits belges s'est soutenue, à peu de chose près, au niveau de 1857 et a excédé de 25 p. c. les chiffres de 1856.

Toutefois on a trouvé moyen, mais dans des publications étrangères à la chambre de commerce, de s'en prendre aussi à notre commerce d'exportation. On a soutenu que nos expéditions vers les pays hors d'Europe sont, non moins que les importations directes de ces contrées, à l'état de maladie et de mort prochaine.

Et cependant, messieurs, l'exportation totale de Belgique vers les pays transatlantiques a été, en 1836, de 6,316,000 francs ; en 1846, de 16,675,000 francs, et en 1857, de 91,299,000 francs, et l'exportation spéciale, c'est-à-dire des produits belges seulement, a été, en 1836, de 5,050,000 francs, en 1846, de 9,662,000 francs et en 1857, de 51,229,000 francs.

Il paraissait que cette marche continue et ascendante devait d'autant plus nous satisfaire, que nous n'avons pas, comme d'autres nations, des colonies ou des relations établies d'ancienne date sur des marchés solidement occupés, et qu'il nous a fallu, on peut le dire, conquérir à la pointe de l'épée la place que nous avons prise dans les débouchés lointains et qui va s'élargissant de jour en jour. Mais non, notre exportation par-delà les mers souffre, quoiqu'elle progresse constamment ; elle souffre... parce que l'exportation vers les pays d'Europe a progressé plus rapidement qu'elle !

Nous nous trouvons encore une fois, messieurs, devant une opinion qu'assurément l'on ne vous fera pas partager : c'est que, pour être dans un état satisfaisant, normal, régulier, notre commerce maritime devrait balancer, ni plus ni moins, notre commerce avec les marchés européens.

Certes, nous ne saurions trop désirer et trop favoriser le développement de nos exportations vers les pays d'outre-mer, et nous sommes loin encore d'avoir fait de ce côté tout le chemin qui nous reste à parcourir ; mais la Belgique, placée au milieu ou à côté des principaux marchés européens, reliée à la France, à l'Allemagne, aux Pays-Bas par des voies navigables et de nombreux chemins de fer, n'aura-t-elle pas toujours et par la seule force des choses, ses relations les plus importantes avec les débouchés placés, en quelque sorte, à ses portes ?

Nous arrivons au transit.

Le transit belge, représenté en valeurs, est parvenu en 1857 au chiffre de 386 millions de francs. Il était presque nul avant la création de notre réseau de chemin de fer. De quelque manière qu'on l'envisage ou qu'on le dissèque, il est évident qu'un tel mouvement d'affaires présente un intérêt considérable pour un pays placé comme l'est le nôtre.

Est-ce à dire néanmoins que ce chiffre, si élevé qu'il soit, répond à toutes les exigences, à tous les besoins de notre position commerciale ? Je ne veux pas l'affirmer.

On a fait remarquer, et le Moniteur a lui-même pris ce soin, que la somme de 386 millions est celle du transit dans toutes les directions, et non point celle du transit qui s'opère seulement par la voie maritime. Cela est vrai, mais faut-il aller jusqu'à regretter l'animation actuelle des transports par chemins de fer entre la Hollande et la France, l'Allemagne et la France, ou vice-versa ? Si c'est réellement un malheur pour le pays, notre devoir serait d'y mettre un terme au plus tôt en créant des obstacles au mouvement de nos chemins de fer, mais je doute que sur ce point on vous trouvât disposés à revenir en arrière.

Laissons donc le transit par terre à son libre essor, et cherchons à nous rendre compte de la situation du transit qui, à l'entrée ou à la sortie, emploie la voie de mer. Ce dernier a été, en 1857, à la sortie, de 88 millions et, à ne considérer que les valeurs, il a été en progrès jusque-là, car la moyenne quinquennale antérieure était de 70 millions et ce n'est que grâce au commerce des grains que l'année 1856 s'était élevée à un taux exceptionnel. A l'entrée par mer, le chiffre global n'est pas indiqué par le tableau du commerce belge, il est vrai que le mémoire de la chambre de commerce produit quelques chiffres ; mais, outre qu'ils ne concernent qu'un certain nombre de marchandises, ils embrassent aussi bien le transit par terre que le transit par mer. Il est donc matériellement impossible de trouver dans ces chiffres la preuve que notre commerce de transit par mer est en pleine décroissance.

Aussi a-t-on raisonné autrement. Ce qui importe en matière de transit, a-t-on dit, ce ne sont pas les valeurs, mais le poids ou le volume, et encore, parmi les articles qui alimentent cette partie de notre activité commerciale, n'en faut-il considérer que sept ou huit qui forment en quelque sorte les grands éléments du commerce maritime.

Je reconnais, en effet, messieurs, qu'au point de vue des transports la quantité des marchandises importe plus que leur valeur, mais on ne doit rien pousser à l'extrême et même dans le commerce de transit, le prix des objets n'est pas chose indifférente pour l'intermédiaire des transactions ou des transports.

J'admets encore, et très volontiers, qu'il est d'un haut intérêt pour nous de conserver ou de fixer chez nous le transit des principaux articles du commerce maritime ; toutefois, ici, on ne peut parler d'une manière générale, absolue ; nos chances ne sont pas les mêmes pour toutes les denrées coloniales. Pouvons-nous, par exemple, espérer de soutenir le transit du sucre brut vers le Zollverein, quand nous voyons la demande du sucre colonial tomber en trois ans, dans les pays de l'association douanière allemande, de 908,000 quintaux à 562,000, et que, d'après un document que j'ai sous la main, la quantité de betteraves travaillées s'élève de 8 à 28 millions de quintaux dans une période de dix ans ? Nous luttons là contre un fait commercial qu'il n'est pas en notre pouvoir d'écarter.

Pour les cafés, ce n'est évidemment qu'au prix de grands efforts que nous pouvons combattre la concurrence d'un pays voisin qui a sur nous l'avantage de posséder dos colonies qui lui fournissent le café non seulement en grande quantité, mais d'une qualité qui séduit les goûts des consommateurs. Et cependant, sauf l'influence de la crise que j'ai déjà mentionnée, le commerce de cette denrée s'est maintenu sur un pied satisfaisant.

Il est des articles pour lesquels nous luttons dans des conditions meilleures, et quant à ceux-là, rien jusqu'ici ne justifie d'excessives alarmes. Il en est ainsi du riz, des peaux, des laines, des tabacs.

Le coton est l'article dont la position est actuellement la moins normale. Anvers devrait être un des grands marchés de coton, et il ne l'est pas. Je n'ignore pas qu'une société étrangère semble vouloir nous disputer le terrain, mais il n'y a là aucun motif de se décourager, puisqu'Anvers a devant lui son propre marché et que la concurrence par les marchés tiers lui sera prochainement rendue plus facile par l'achèvement du pont de Cologne, d'un côté, et la prolongation du chemin de fer du Luxembourg, de l'autre.

J'ai voulu connaître quelle était à l'égard du commerce du coton la situation d'une autre place qui jusqu'à un certain point nous fait aussi concurrence, et voici ce que m'écrit à ce sujet notre consul à Brème à la date du 27 novembre dernier :

« Les causes qui ont contribué au développement qu'a pris le commerce du coton sur notre place sont de natures diverses. Une des raisons les plus naturelles, et qui entre en première ligne, est que l'Allemagne a vu, avant la crise commerciale de l'an dernier, s'accroître d'une manière assez considérable, le nombre de ses fabriques de coton filé et de tissus de coton. Mais ce qui fait que l'approvisionnement de ces fabriques s'opère principalement par la voie de Brème, c'est que ce port, qui par suite de la forte émigration qui a eu lieu dans les années précédentes et de son immense commerce de tabac, a vu sa flotte commerciale s'accroître rapidement d'une manière vraiment importante, est maintenant forcé d'occuper ses nombreux navires de fort tonnage de la manière le plus convenable, c'est-à-dire par le transport d'articles de grand encombrement, parmi lesquels le coton prend la première place.

« A cela vient se joindre la raison que les rapports entre les pays producteurs de coton, tels que les Etats-Unis et les Indes orientales d'un côté, et la ville de Brème de l'autre, se multiplient continuellement par les établissements que le commerce entreprenant de cette ville hanséatique fonde dans ces contrées, en y envoyant quantité de jeunes gens allemands, qui se sont préalablement donné la peine de se rendre aptes aux affaires dont ils vont se charger, et ne craignent pas de se dépayser pour tâcher de faire leur fortune.

« En dernier lieu, je crois devoir citer une maison de cette ville, qui a, par son activité incessante, contribué pour beaucoup à la forte impulsion qu'a prise le commerce du coton sur notre place. MM. Roessing et Mummy, qui ont en mains la plus grande partie des affaires sur cet article, et continuent de faire leurs efforts pour les augmenter. »

Voilà l'explication de la supériorité de Brème, c'est la nature des affaires qui s'y traitent, les efforts intelligents qu'on y déploie qui font de ce port un marché important pour les produits transatlantiques.

Il ne m'appartiendrait pas d'indiquer au commerce d'Anvers un autre cercle d'opérations que celui dans lequel sa prudence et son intérêt l'engagent à se renfermer en général, mais il est évident que le mouvement commercial doit être plus considérable dans une ville maritime lorsque, au commerce de transit et de commission, vient se joindre une plus grande somme d'affaires pour compte particulier.

J'ai eu récemment l'occasion d'être en rapport avec un délégué d'une association de planteurs de coton des Etats-Unis ; cet agent, après avoir visité tous les ports de la mer du Nord, et avoir fait une étude comparée des avantages qu'ils présentent, a jugé le port d'Anvers le mieux situé pour l'établissement d'un marché de coton. Le commerce des cotons à Anvers est un commerce à organiser ou à réorganiser, et le gouvernement sera heureux de seconder, autant qu'il dépendra de lui, tout ce qui sera fait pour atteindre ce but.

En somme, si, effectivement, depuis la fin de 1857 et durant les dix premiers mois de l'année actuelle, notre transit maritime avait fléchi quelque peu, qui pourrait s'en étonner ? Le transit des Pays-Bas n'a-t-il pas, lui aussi, rétrogradé ? Celui du Havre, à part les fers, n'a-t-il pas également reculé ? Le temps d'arrêt de notre commerce en 1858 a été prévu, annoncé, et savez-vous par qui ? Par la chambre de commerce d'Anvers elle-même. Dans son dernier rapport annuel, elle établit que le transit des grains a énormément diminué en 1857 par suite de la baisse des prix et que le transit des articles d'un commerce régulier est demeuré stationnaire (ce qui, par parenthèse, n'est pas tout à fait d'accord avec ce qu’elle écrit aujourd'hui).

« Quant à l'augmentation, ajoute le rapport, que nous signalons dans nos importations et nos exportations, elle est le résultat des affaires considérables des trois premiers trimestres et de l'exécution des ordres donnés pour le quatrième ; ce sera donc seulement en 1858 que les effets de la crise se montreront clairement dans nos statistiques. »

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