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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 22 janvier 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page ) (Présidence de M. Orts, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe procède à l'appel nominal à 2 heures et demie et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« Le sieur Aerts, ancien instituteur, demande un emploi. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Poppé demande que son fils Adolphe, milicien de 1858, soit exempté du service militaire. »

- Même décision.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Loring, Nicolas, cultivateur à Tintange, province de Luxembourg »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Rapport sur des pétitions

M. De Fré. - Messieurs, je remercie l'honorable ministre de l'intérieur de la courtoisie qu'il a mise dans ses réponses, et je le félicite de l'attitude franche et loyale qu'il a prise dans la question de l'enseignement obligatoire. L'honorable ministre appartient à cette race d'hommes chez lesquels le cœur est placé aussi haut que l'intelligence, et pour ceux-là, quelles que soient leurs fatigues et leurs longs travaux, ils restent toujours accessibles aux idées du progrès. En politique, c'est par le cœur que les hommes se sauvent ; c'est par le cœur aussi qu'ils se relèvent.

M. le ministre de l'intérieur appartient à cette génération forte et vigoureuse de 1830 qui a fondé deux grandes choses, deux choses glorieuses et immortelles : la nationalité belge et la Constitution belge.

Mon intelligence s'est éveillée à ces chants de triomphe et aussi longtemps que je vivrai, je bénirai tous ceux qui nous ont fait trouver, dans le même sillon, à côté de la liberté du citoyen, l'indépendance de la patrie. Et ici, messieurs, je ne distingue pas entre M. Rogier et M. Vilain XIIII ; je ne distingue pas entre l'homme d'Etat qui, par ses conseils, a consolidé notre nationalité, et l'humble prêtre qui, par ses paroles enflammées a donné aux masses le frisson du patriotisme.

C'était une grande époque que celle de 1830, et les hommes qui ont traversé ces épreuves difficiles, conservent, malgré leur âge, quelque chose de ce feu sacré qui enflammait le pays tout entier. A cette époque on était tout entier à la politique, et l'amour de l'industrie n'avait pas fait ses ravages. On s'exposait à l'exil, à la mort peut-être, mais on était grand, on était fier, on déchirait les traités de 1814 et on en jetait les lambeaux à la face de l'Europe.

Il n'est pas bon, dirai-je à l'honorable M. Muller, d'isoler, dans cette Chambre, les hommes qui ont passé à travers les rudes épreuves de 1830 ; car souvent ils tournent leurs regards vers le Dieu de leur jeune âge pour y puiser une sève printanière.

Je ne comprends pas la nécessité d'isoler l'honorable ministre de l'intérieur ; n'isolons pas les hommes de 1830 ; car ceux-là ont été grands ; pour ceux-là nous devons toujours avoir du respect.

En ce qui concerne la question de l'enseignement obligatoire, l'honorable ministre de l'intérieur n'est pas le seul de son avis. Il y a dans le cabinet, à côté de l'honorable ministre de l'intérieur, l'honorable ministre des affaires étrangères. Voici ce qu'en ouvrant la session du conseil provincial de la Flandre occidentale en 1855, disait l'honorable ministre des affaires étrangères, qui était alors gouverneur :

« Beaucoup d'enfants encore aujourd'hui ne reçoivent qu'une instruction stérile, au point de vue de l'intelligence ; beaucoup d'autres ne reçoivent ni instruction ni éducation quelconque, soit que leurs parents n'y attachent aucun prix, soit que ceux-ci préfèrent les employer à des travaux incompatibles avec la fréquentation de l'école. Dans les deux cas, l’avenir de l'enfant est menacé, et la société voit grandir dans son sein un être qui viendra peut-être quelque jour aider à la troubler, et qui, quoi qu'il arrive, lui fera honte. On a souvent demandé si l'autorité du père de famille était sous ce rapport sans limites, et si l'intérêt social n'exigeait pas que la loi, qui protège l'enfant contre les mauvais traitements de parents dénaturés, pût également le protéger contre l'incurie ou la cupidité qui le condamne au pire des malheurs, celui de l'abrutissement. »

L'honorable gouverneur concluait ainsi :

« Nous voyons des exemples de cette action tutélaire de la loi en Autriche, en Prusse, dans la plupart des Etats d'Allemagne et des cantons de la Suisse, en Norwège, eh Danemark, etc. Et quand je songe qu'il est plusieurs de ces pays où l'on ne trouve plus un homme ou une femme qui ne sache lire, écrire et calculer, quelque respect que je professe pour un large système de liberté, je ne puis m'empêcher de regretter que d'autres contrées possèdent mieux que la nôtre les moyens d'élargir la base sur laquelle reposent dans tous les pays la civilisation, l'harmonie et la sécurité de la société. »

Tout le monde connaît le caractère chevaleresque de M. le ministre des affaires étrangères, et certes il ne viendra pas déclarer ici que depuis cette époque il a changé d'avis.

Le conseil communal de Liège qui a envoyé dans cette enceinte l'honorable M. Muller....

M. Muller. - Non, ce n'est pas le conseil communal.

M. De Fré. - L'arrondissement de Liège a envoyé dans cette enceinte l'honorable M. Muller et en 1842, le conseil communal de Liège envoyait à la Chambre, à l'occasion de la présentation de la loi sur l'instruction primaire, une pétition dans laquelle se trouvent les paroles suivantes :

« Le projet de loi ne contient guère qu'un principe satisfaisant : c'est celui qui veut que chaque commune ait son école ; encore ce principe sera-t-il insuffisant pour assurer les bienfaits de l'instruction primaire, si la fréquentation des écoles n'est pas rendue obligatoire. »

Vous voyez bien, messieurs, que les autorités ne font pas défaut et que dans l'arrondissement qui a envoyé l'honorable M. Muller à la Chambre des représentants, il y a eu un corps constitué qui a la pratique des affaires, qui applique les lois sur l'enseignement et qui est venu demander en 1842 qu'on inscrivît dans la loi le principe de l'enseignement obligatoire.

M. Cousin qui s'est occupé toute sa vie de la question de l'enseignement, qui a été chargé par le gouvernement français de faire des rapports sur l'instruction en Prusse, en Hollande et dans toute l'Allemagne, M. V. Cousin s'exprime ainsi sur la loi prussienne qui oblige les pères et mères d'envoyer leurs enfants à l'école. Voici comment il juge cette loi :

« C'est une loi qui oblige les parents, les tuteurs, les maîtres d'ateliers ou de fabriques, à justifier, sous des peines correctionnelles plus ou moins fortes, que les enfants confiés à leurs soins reçoivent les bienfaits de l'instruction publique ou privée sur ce principe, que la portion d'instruction nécessaire à la connaissance et à la pratique de nos devoirs, est elle-même le premier de tous les devoirs et constitue une obligation sociale tout aussi étroite que celle du service militaire ; selon moi, une pareille loi, légitime eu elle-même, est absolument indispensable et je ne connais pas un seul pays où cette loi manque et où l'instruction du peuple soit florissante. »

Le conseil central de salubrité publique de la ville de Bruxelles a envoyé à l'honorable ministre de l'intérieur un rapport dans lequel je lis le passage suivant :

« Que le gouvernement rende l'instruction obligatoire, qu'il ouvre des écoles gratuites, qu'il contraigne les parents à y envoyer leurs enfants dès l'âge de six ans, par exemple, qu'il défende sévèrement de recevoir dans les ateliers des enfants ne sachant ni lire ni écrire, et, tout en restant fidèle à sa mission civilisatrice, il fera disparaître une bonne partie des abus déplorables existants aujourd'hui. Nous ne nous arrêterons pas à démontrer que le gouvernement peut rendre l'instruction obligatoire pour tout le monde parce que ce droit n'est pas douteux ; l’intérêt individuel doit toujours s'effacer devant l'intérêt de la généralité des individus, désignés collectivement par les mots : société, corps social, et, en imposant cette obligation, l'Etat ne fait que multiplier les garanties de moralité publique. Faut-il maintenant démontrer que le gouvernement doit prendre cette mesure ? A quoi bon, puisque nous venons de faire comprendre que c'est un devoir qu'il a à remplir envers la société et que l'ordre public y est intéressé ? Il n'y a donc aucune nécessité de prouver une chose évidente pour tout le monde ; seulement nous ajouterons en terminant, que si l’on pouvait ne pas tenir compte des considérations de haute et de sage politique que nous venons de rappeler rapidement, il faudrait toujours encore en revenir à la mesure que nous cherchons à faire prévaloir, parce qu'on ne peut songer à abréger la durée du travail des enfants, sans qu'on ne pense aussi à les occuper utilement durant les heures que la loi ne leur permettra pas de consacrer au travail manuel.

« Une loi, qui rendrait l'instruction obligatoire, est par conséquent une loi désirable sous tous les rapports : c'est une loi nécessaire, urgente et nous l'appelons de tous nos vœux ! Puissent ces vœux s'accomplir, et, si faible que soit notre voix, nous nous féliciterons de l'avoir élevée en faveur d'une mesure que nous considérerons toujours comme un véritable et immense bienfait ! »

Le principe de l'enseignement obligatoire, indiqué ainsi comme étant un moyen de progrès et de salut pour la société par tous les hommes qui ont été mêlés au monde des affaires, ce principe ne constitue donc pas une innovation dangereuse.

En Angleterre, on s'agite beaucoup pour faire arriver ce principe à maturité, et il y a des meetings présidés par le prince Albert lui-même en faveur de l'instruction du peuple.

L'honorable ministre de l'intérieur nous a dit hier qu'il était partisan de l'enseignement obligatoire ; mais, a-t-il ajouté sagement, il faut, préalablement, multiplier les locaux, former des instituteurs ; le gouvernement doit faire, par tous les moyens administratifs et surtout par les moyens attrayants, tout ce qui est en son pouvoir pour remplir ces locaux.

(page 370) Mais, a ajouté l'honorable ministre de l'intérieur, quoique je ne veuille pas faire inscrire de suite dans un projet de loi l'amende et la prison contre le père de famille qui n'enverra pas son enfant à l'école, je reconnais que la société a le droit d'aller jusque-là, si tous les moyens administratifs n'avaient pas réalisé le but que la société doit atteindre, c'est-à-dire l'extension ou l'universalité de l'enseignement du peuple.

L'honorable ministre de l'intérieur a dit sur la question de principe : « Oui, la société a ce droit. » Et en effet la société a ce droit, car proclamer 1'enseignement obligatoire et ne pas reconnaître en même temps que la société a le droit de forcer le citoyen à instruire son enfant ; dire que la société a le droit de faire inscrire l'enseignement obligatoire dans la loi, et ne pas attacher une sanction à cette prescription, c'est une contradiction, un non-sens.

L'honorable M. Muller nous dit : Vous n'avez pas besoin de faire insérer dans la loi la pénalité de la prison et de l'amende ; il y a en Belgique un immense besoin de s'instruire, parce qu'il y a dans les masses un immense désir de s'élever à des conditions meilleures.

Mais dans ce cas il ne sera pas nécessaire d'envoyer les pères de famille en prison, puisque leurs enfants iront à l'école. La crainte manifestée par l'honorable M. Muller, à savoir qu'on agira violemment, cette crainte ne se réalisera donc pas.

Voici ce qui est arrivé en Prusse. Dans ce pays où il y a 16 millions d'habitants, le statistique constate qu'il n'y a eu que six condamnations pendant l'année dernière.

Messieurs, c'est au XVIème siècle, c'est le lendemain de la réforme que, dans les pays protestants on a créé l'enseignement obligatoire. Cet enseignement a été demandé, non seulement par le pouvoir civil, mais encore et surtout par les sectes religieuses.

C'est à la réforme du XVIème siècle que l'on doit l'introduction de ce principe. Et savez-vous pourquoi ? Parce que pour le protestant il n'y a pas d'intermédiaire entre l'homme et Dieu et que pour se sauver la Bible lui suffit ; le protestant est donc obligé de savoir lire, il se trouve ainsi émancipé par sa propre religion.

Dans les pays catholiques l'instruction n'est pas réclamée par le prêtre qui seul enseigne la Bible dont il défend la lecture à ses ouailles ; mais la société civile, qui se trouve à côté de la société religieuse, a des devoirs à remplir, et je vais faire voir que, pour ce qui concerne notre pays, le principe de l'enseignement obligatoire n'est que le corollaire indispensable de toute notre législation.

Il y a un principe de droit élémentaire et que tout le monde connaît ; c'est qu'on est censé connaître la loi ; on est censé connaître la loi, même les lois qui infligent les peines les plus sévères à ceux qui les transgressent. Eh bien, si vous voulez, vous, législateurs, que les prescriptions que vous insérerez dans la loi soient obéies, faites en sorte qu'on puisse lire votre loi. Ne frappez pas sans avoir averti.

Certes, celui qui est condamné ne pourra pas dire : Vous n'avez pas le droit de me condamner. Mais il dira au juge qui le condamne : Je n'étais pas averti, vous m'appliquez une loi que je ne connais pas ; vous ne m'avez pas mis à même de la lire, de la comprendre.

La loi civile contient, pour le père, cette obligation formelle : « Les époux contractent ensemble, et par le fait seul du mariage, l'obligation de nourrir, entretenir et élever les enfants. » (Article 203 du Code civil).

Il est évident que si nourrir et entretenir s'appliquent surtout aux besoins physiques, élever s'applique spécialement aux besoins moraux.

Eh bien, quand le père ne nourrit pas son enfant, la société intervient, la société intervient par le pouvoir judiciaire et l'enfant peut demander des aliments. La société n'abandonne pas l'enfant quand il s'agit d'intérêts matériels, quand il s'agit des besoins du corps.

Ainsi, sous ce rapport, l'obligation imposée au père est appuyée d'une sanction sérieuse. Si Napoléon Ier, le créateur du Code civil, avait eu autant de souci de l'homme sous le rapport moral que sous le rapport physique ; s'il avait compris que l'homme est autre chose que de la chair à canon, il aurait, à côté de l'obligation de développer moralement l'enfant, inscrit une sanction dans la loi civile.

Lorsqu'un enfant vient au monde, quelle est la première obligation du père ? C'est de le déclarer à l'état civil ; la société a besoin de connaître quels sont les hommes qu'elle a dans son sein, afin de savoir quels sont ceux qui, plus tard, pourront lui rendre des services.

Voilà la première obligation du père de famille, c'est de faire connaître publiquement à la société civile le nom de l'enfant qui vient de naître, le nom du nouveau citoyen qui plus tard aura à servir son pays comme militaire, comme juré, comme électeur, etc. C'est un homme sur le courage et l'intelligence duquel la société doit pouvoir compter ; qui aura des droits à revendiquer, des droits à transmettre ; il faut donc que la société le connaisse dès qu'il vient au monde.

Voilà ce que, dans sa sagesse, le législateur a voulu ; il a voulu que cela fût légalement réglé. Et voici ce qui arrive ; quand cette obligation n'est pas remplie, la loi punit le père de famille.

Voici ce que porte l'article 346 du Code pénal : * Toute personne qui, ayant assisté à un accouchement, n'aura pas fait la déclaration qui est prescrite par l'article 56 du Code civil et dans le délai fixé par l'article 55 du même Code, sera puni d'un emprisonnement de six jours à six mois et d'une amende de 16 fr. à 300 fr. »

Vous voyez donc bien que l'amende et la prison se trouvent dans la législation ; vous voyez donc bien que ce n'est pas une innovation ; vous voyez donc bien que la société s'est de tout temps reconnu le droit d'employer des moyens coercitifs pour forcer le père de famille à remplir ses obligations !

Permettez-moi de vous lire, à propos de cette question, un arrêt de la cour d'Amiens, en date du 2 janvier 1837, ainsi que les observations de l'arrêtiste, qui prouve que le père qui ne déclare pas la naissance de son enfant tombe sous l'application de l'article 346 du Code pénal.

Voici d'abord le jugement de première instance.

* Considérant, en droit, que l'article 346 Code pénal ne punit, pour défaut de déclaration de la naissance d'un enfant dans le délai prescrit par l'article 55 Code civil, que les personnes qui ont assisté à l'accouchement ; que si aux termes de l'article 56 Code civil le père doit faire cette déclaration dans les trois jours, cette infraction de sa part à cette obligation n'est punissable, aux termes de la loi, que s'il a assisté à l'accouchement ; que le concours de cette dernière circonstance est nécessaire pour constituer le délit prévu par l'article 346 précité.

« Considérant, en fait, que Prévost était absent lors de l'accouchement de son épouse ; qu'il n'est rentré que le 19 octobre au soir, au domicile conjugal ; qu'ainsi, le défaut de déclaration de sa part de la naissance de son enfant, sans le concours de sa présence à l'accouchement, ne constitue aucun délit ;

« Le tribunal le renvoie des fins de la plainte sans dépens.’

Appel ayant été interjeté de ce jugement, intervint l'arrêt suivant :

« La cour, adoptant les motifs des premiers juges, confirme. »

La Chambre a remarqué que si, dans l'espèce, le père a échappé à la pénalité, c'est parce qu'il ne se trouvait pas sur les lieux dans les trois jours ; mais il n'en résulte pas moins qu'il tombe sous l'application de l'article 546 et que cet article le range parmi les personnes présentes à l'accouchement.

Voici maintenant les observations que le jurisconsulte joint à l'arrêt :

« Nous ne saurions admettre le système sanctionné par cet arrêt.

« De la combinaison des articles 55 et 56 du Code civil et 346 du Code pénal, il résulte évidemment, selon nous, que le père est obligé de déclarer, dans les trois jours, la naissance de son enfant, qu'il ait ou non assisté à sa naissance, à moins qu'il n'y ait eu de sa part impossibilité de le faire.

« Dans l'espèce, cette impossibilité n'existait pas, puisque le père était de retour chez lui avant l'expiration des trois jours depuis la naissance.

« L'obligation de déclarer la naissance d'un enfant, que la loi impose à différentes personnes, doit être plus sacrée et plus rigoureuse pour le père que pour tout autre, et la loi n'a pu vouloir en dispenser celui-ci, alors que des étrangers s'y trouvaient encore soumis. »

Voulez-vous prendre toutes les autres dispositions de la loi ? Le père est responsable du dommage que cause son enfant, si celui-ci est mineur. La loi punit le père qui est négligent, qui abandonne son enfant. Lorsque celui-ci, n'ayant pas la raison voulue, cause préjudice à autrui, elle le punit ; c'est encore une fois la sanction du devoir imposé au père de bien élever ses enfants.

Je ne veux pas citer toutes les dispositions de nos lois. Lorsqu'un négociant tombe en faillite, s'il n'a pas tenu ses livres, parce qu'il ne sait pas écrire, il peut être constitué en banqueroute simple, être renvoyé devant le tribunal correctionnel et condamné de ce chef.

Lorsqu'il s'agit d'obligation au-delà de 150 francs, encore une fois il faut savoir écrire.

La société doit donc vouloir que le père élève son enfant, qu'il l'élève moralement et lui donne les moyens d'apprendre à lire et à écrire.

Messieurs, la société est obligée de nourrir les mendiants et les vagabonds. Mais le corollaire obligé encore une fois pour elle, afin de ne pas les nourrir, c'est de leur donner, comme je le disais dans mes premières observations, un instrument de travail.

Mais, dit-on, et ce reproche n'a aucune gravité apparente, inscrire l'enseignement obligatoire dans la loi, c'est porter atteinte à la liberté individuelle.

Messieurs, la société ne se compose que de sacrifices individuels, personne n'est libre de faire ce qu'il veut. L'action de la société est un immense cercle ; l'action des individus ce sont de tous petits cercles qui s'agitent autour du grand.

On ne peut pas faire de votre propriété ce que l'on veut ; on ne peut pas bâtir où l'on veut, vous ne pouvez pas bâtir près des forteresses ; vous ne pouvez pas bâtir en dehors des alignements que vous donne l'autorité communale ; vous ne pouvez même bâtir, dans les alignements voulus et indiqués par la salubrité publique, qu'après avoir soumis vos plans à l'autorité communale.

Vous ne pouvez pas faire de votre enfant ce que vous voulez ; vous êtes obligé de le faire servir dans l'armée ; vous ne pouvez pas garder votre propriété, si la société trouve qu'elle en a besoin, en vous indemnisant.

Messieurs, ce sont là des sacrifices à l’intérêt individuel au profit de la société. Jamais on n'a critiqué ces atteintes à la liberté individuelle, parce que c'est au profit de tout le monde qu'elles ont lieu. Ce n'est que dans les bois, parmi les sauvages que l'on fait ce qu'on veut. Mais là la liberté, mais là la propriété ne sont pas garanties.

De sorte que la première chose que l'homme doit faire dans la vie sociale, ce sont des sacrifices et encore des sacrifices et toujours des (page 371) sacrifices. C'est moyennant ces sacrifices individuels que la société peut garantir à tous la liberté et la propriété. Mais à côté de la liberté et de la propriété garanties, il faut garantir le progrès ; et pour faire marcher le progrès on peut porter des atteintes à la liberté individuelle comme on porte des atteintes à la liberté et à la propriété lorsqu'il s'agit de les garantir.

L'instruction du peuple, messieurs, c'est, pour me servir d'une expression que vous connaissez, le baptême que la société civile doit verser sur la tête des masses. Il faut que la société civile lui administre ce baptême, non pas pour lui donner la foi, cela ne la regarde pas, mais pour éveiller sa raison, pour lui donner la force morale dont le peuple a besoin.

J'arrive à la seconde partie de mes observations. C'est pour la première fois, a dit l'honorable M. Muller, que j'ai entendu soutenir la séparation complète de l'enseignement religieux et de l'enseignement laïque et l'exclusion du prêtre de l'école.

M. Muller. - Comme programme adopté par le libéralisme.

M. De Fré. - C'est la première fois, a dit l'honorable M. Muller, que j'ai entendu parler de l'exclusion du prêtre de l'école.

Voici ce qu'à la séance du 20 novembre 1847, disait l'honorable M. Verhaegen :

« Qui oserait douter après cela de l'indépendance complète du pouvoir civil et par suite de l’impossibilité pour l'église d'intervenir désormais dans l'enseignement public, pas plus comme auxiliaire officiel que comme pouvoir dirigeant, car l'église est incompétente lorsqu'il s'agit d'instruction donnée aux frais de l'Etat, autant que l'Etat est incompétent pour s'occuper des questions religieuses ? »

L'honorable M. Verhaegen disait dans la discussion qui a été soulevée en 1856, à propos des lettres pastorales et à propos de la conduite que l'honorable ministre de l'intérieur de cette époque avait tenue à l'égard du corps professoral :

« Je répondais qu'en supposant que cela pût être vrai au point de vue des convenances et des intérêts du plus grand nombre, cela n'était pas vrai au point de vue constitutionnel ; qu'il fallait concilier la liberté des cultes avec la liberté d'enseignement et mettre les intérêts des enfants appartenant à des cultes dissidents sur la même ligne que l'intérêt des enfants catholiques, qu'ainsi, en admettant dans l'école le prêtre catholique, il fallait aussi y admettre les ministres des autres cultes, puisqu'il ne s'agit pas d'une question de chiffres, mais bien d'une question de droit et d'équité ; que, du reste, j'étais loin de m'opposer à ce que les enfants fréquentant les écoles primaires reçussent une éducation religieuse ; mais que, d'après moi, il n'y avait qu'un seul moyen de concilier les deux libertés en présence ; c'était d'envoyer les enfants pour l'instruction religieuse aux églises respectives de leur culte. »

Voilà le programme d'un homme qui depuis vingt ans a professé les principes libéraux les plus purs sans mélange de conciliation et sans mélange de modération. (Interruption.)

Messieurs, j'ai voulu dire que l'honorable M. Verhaegen avait dans toutes les circonstances de sa vie, montré la même fermeté, et que quelles que pussent être les variations de l'atmosphère, il n'a jamais mis son thermomètre à la rue pour savoir de quelle opinion il devait être.

M. Verhaegen continue ainsi :

« L'honorable ministre de l'intérieur (il s'agit de l'honorable M. de Decker), qui était alors simple député, n'hésita pas à déclarer qu'il était d'accord avec moi sur ce point et à dire que c'était en effet le seul moyen de concilier la liberté des cultes avec la liberté d'enseignement. »

L'honorable ministre de l'intérieur, interrompant M. Verhaegen, dit : « J'ai dit que c'était le moyen extrême. »

Je n'ai pas, messieurs, à relever cette proposition avec tant d'autres. Si elle se réalisait, elle n'amènerait pas la conséquence que les écoles de l'Etat seraient désertes.

Cette proposition n'est pas inconnue, elle ne date pas d'hier, et il n'est pas à craindre que les prêtres qui savent se soustraire à l'influence de la théocratie, que les vrais catholiques s'insurgeraient contre vos écoles.

Voici ce qui est arrivé en Hollande, dans la discussion de l'instruction primaire, discussion que vous connaissez, le parti catholique a demandé ce que demandait l'honorable M. Verhaegen, ce que demandait, comme moyen extrême, l'honorable M. de Decker...

M. de Decker. - Je ne l'ai pas demandé.

M. De Fré. - Vous l'auriez admis comme moyen extrême.

M. de Decker. - Je demande à dire deux mots pour expliquer une pensée qu'à plusieurs reprises déjà l'on m'a attribuée en interprétant mal une phrase d'un de mes discours.

Il y a une différence radicale entre le système de l'honorable M. Verhaegen et le mien. M. Verhaegen n'admettait aucune espèce de négociation avec le clergé, pour donner l'enseignement religieux dans l'école ; il demandait que l'instruction religieuse fût donnée dans l'église. Pour moi, j'ai seulement prévu les cas où on aurait dû constitutionnellement finir par-là, lorsque tous les moyens de faire donner l'enseignement religieux dans les établissements de l'Etat auraient été épuisés.

C'était à propos de l'article 8 de la loi sur l'enseignement moyen. Il s'agissait de savoir si le clergé ne répondant pas à l'invitation de donner l'instruction religieuse dans l'école, l'exécution de l'article 8 ne devenait pas impossible. J'ai dit alors que, si le clergé croyait devoir s'abstenir de se rendre à l'invitation du gouvernement, il restait encore, comme moyen extrême, à donner l'enseignement religieux dans les temples.

M. De Fré. - Je crois, messieurs, que ce que M. Verhaegen soutenait en 1856, ce que les catholiques soutenaient en Hollande dans la discussion de la nouvelle loi sur l'instruction primaire, constitue les vrais principes de la société moderne : la liberté pour tout le monde, le prêtre maître dans l'église et l'instituteur maître dans son école.

Autrefois, messieurs, et on l'oublie trop, autrefois, tout se faisait par l'église : l'église tenait l'état civil, l'église mariait les citoyens ; aujourd'hui l'état civil est à la commune et on doit se marier à l'hôtel de ville ; à l'église, si l'on veut. Voilà la séparation pour les naissances et pour les mariages ; il en est de même pour les décès.

En ce qui concerne la charité, c'est encore la même séparation. Mais l'honorable ministre de l'intérieur et l'honorable ministre des finances et toutes les sommités du parti libéral n'ont jamais admis, en matière de charité, l'intervention du prêtre dans les bureaux de bienfaisance, et quand M. Faider est arrivé avec son projet de loi qui mettait le prêtre dans des bureaux, votre section centrale (dont l'honorable M. Tesch était rapporteur) a repoussé cette innovation.

Et lorsque, plus tard, l'honorable M. de Decker a présenté un projet de loi dans lequel l'intervention du prêtre dans la charité était encore plus considérable, toute la gauche, au nom des principes de 1789, a repoussé comme un danger ce principe.

Après 1789, on a créé tout à la fois la charité laïque et l'enseignement laïque.

La première loi sur l'instruction sépara complétement la société civile et la société religieuse. Voici dans quels termes s'exprime le rapporteur de la loi :

« La Constitution, en reconnaissant le droit qu'a chaque individu de choisir son culte, en établissant une entière égalité entre tous les habitants de la France, ne permet point d'admettre dans l'instruction publique un enseignement qui, en repoussant les enfants d'une partie des citoyens, détruirait l'égalité des avantages sociaux et donnerait à des dogmes particuliers un avantage contraire à la liberté des opinions.

« Il était donc rigoureusement nécessaire de séparer de la morale les principes de toute religion particulière, et de n'admettre, dans l'enseignement public, l'enseignement d'aucun autre culte religieux. Chacun d'eux doit enseigner dans ses temples par ses propres ministres. Les parents, quelle que soit leur opinion sur la nécessité de telle ou telle religion, pourront alors sans répugnance envoyer leurs enfants dans les établissements nationaux, et la puissance n'aura point usurpé sur les droits de la conscience, sous prétexte de l'éclairer et de la conduire. »

L'honorable ministre de l'intérieur a dit : « J'admets l'intervention du prêtre dans l'enseignement, comme autorité morale ; je ne l'admets pas comme autorité légale ; je désire que le prêtre vienne dans l'école, mais sans autre autorité que l'autorité de sa personne, que son autorité de prêtre. »

Messieurs, c'est là un rêve. Le prêtre ne vient pas dans l'école comme prêtre ; il y vient comme le représentant de la théocratie, de l'épiscopat, et je m'en vais le prouver.

Le conseil communal d'Alost avait été compris dans le blâme que M. l'évêque de Gand avait lancé contre les écoles moyennes ; le conseil se réunit et il prit une résolution à l'effet d'établir qu'on avait tort de comprendre l'école moyenne d'Alost parmi les écoles qui avaient été privées d'enseignement religieux.

Voici, messieurs, la délibération du conseil communal d'Alost, du 1er octobre 1856 :

« Considérant que dans sa lettre pastorale du 8 septembre dernier, qui a été publiée et lue au prône de l'église de cette ville, M. l'évêque de Gand, parlant des écoles moyennes, dit : « Que la religion en est bannie ; que l'instruction qu'on y donne est sans garantie et l'éducation sans base ; que les sciences qu'on y enseigne n'ont aucune utilité ; qu'elles ne sont propres qu'à enfler l'esprit, qu'à semer les malheurs dans les maisons, le trouble dans les familles, la désolation dans la patrie ;

« Qu'il y insinue que les enfants élevés dans ces écoles ne croient à rien, se flattent de n'avoir rien à craindre après la mort et de là deviennent capables des plus grandes monstruosités ;

« Considérant que ce langage, dans sa généralité, s'adresse à l'école moyenne de cette ville, qui est placée sous le patronage et l'administration de l'autorité communale ;

« Considérant que les allégations contenues dans la lettre pastorale sont contraires à la vérité et dénuées de tout fondement en ce qui concerne l'école moyenne de cette ville ; qu'en effet, le directeur comme les régents et les instituteurs ont à cœur et se font un devoir d'inculquer aux élèves les principes de la morale en même temps qu'ils professent les branches spéciales aux cours qu'ils donnent ;

» Que l'instruction religieuse y est donnée d'après le catéchisme de Malines ;

« Considérant d'ailleurs que le bureau administratif veille sur l'école avec une sollicitude toute paternelle ;

« Le conseil,

« (page 372) Voulant à la fois rassurer les familles et sauvegarder la considération du corps enseignant et du bureau administratif,

« Déclare, eu ce qui concerne l'école moyenne de cette ville, repousser les imputations contenues dans la lettre pastorale du8 septembre dernier.

« En conséquence invite les parents à se rassurer et à continuer à avoir confiance dans la morale, la science et le dévouement du corps enseignant, comme aussi dans la surveillance continue et la sollicitude constante du bureau administratif. »

Voulez-vous connaître, messieurs, la réponse de l'évêque de Gand ? En voici un extrait :

« Je vous ferai d'abord remarquer, messieurs, que la résolution que vous avez prise contient une assertion erronée contre laquelle je dois protester de toutes mes forces. Pour mettre l'école moyenne d'Alost à l'abri du reproche que l’enseignement religieux y est négligé, vous affirmez que l'instruction religieuse y est donnée d'après le catéchisme de Malines.

« Vous ignorez sans doute, messieurs, que l'enseignement religieux appartient exclusivement à l'église, même celui du catéchisme, et que personne, pas même un prêtre, ne peut le donner, sans une délégation de l'autorité ecclésiastique. Non seulement le clergé, mais tous les catholiques instruits conviennent de ce principe. »

Messieurs, je ne discute pas cette théorie ; M. l'évêque de Gaud a eu parfaitement le droit d'écrire cette lettre. Mais je dis à l'autorité civile : D'après cette doctrine vous ne recevez dans vos écoles que des délégués de l'épiscopat, des représentants d'un corps, d'une force morale immense qui a sa foi et qui a le droit d'avoir sa foi, qui n'aime pas les principes modernes (c'est encore son droit) ; mais vous avez aussi vos droits à sauvegarder, vos principes à faire entrer dans le sang de la jeune génération, ne les exposez pas par l'admission du prêtre dans l'école.

Ce prêtre, qu'est-il ? Il est l'agent de l'évêque. Vous voulez qu'il n'y vienne que comme homme ; et il y vient comme le représentant d'une puissance hostile.

Vous ne pouvez pas détruire cette puissance ; elle existe ; vous ne pouvez pas l'amoindrir ; vous ne pouvez pas prendre ce prêtre, avec son habit de prêtre, le mettre en face de l'instituteur, et lui dire : « Entendez-vous avec lui. » Cela n'est pas possible. Rome ne change pas et ne peut pas changer.

On l'a dit avant moi : « Le dogme catholique est intolérant. » C'est sa vie, c'est sa force, c'est peut-être aussi son danger.

Eh bien, quand on dirige un pays, quand on veut la sécurité, quand on veut conserver en même temps au professeur sa liberté, afin qu'il puisse enseigner ce qu'il doit enseigner, et faire rayonner son établissement, vous ne pouvez pas mettre le prêtre dans l'école, sans y introduire la guerre.

Et les enfants qui sont à l'école ont le droit d'être protestants ou juifs ; et si vous y introduisez le prêtre catholique ne voyez-vous pas que ces élèves juifs ou protestants, qui ne connaissent que la foi que leur mère leur a inspirée, vont chercher à jeter la déconsidération sur le prêtre catholique ? Laissez donc le prêtre à l'église, on le respectera davantage.

Ce n’est pas seulement au nom des principes politiques, au nom du salut de la société, au nom du progrès, que je demande cette séparation ; je la demande aussi dans l’intérêt du prêtre, dans l’intérêt du sentiment religieux, que vous ne pouvez pas exposer, en mettant le prêtre dans une position difficile, ou de l'humilier en lui imposant des doctrines qu'il ne peut pas entendre, sans mettre un germe de mort dans vos propres établissements.

Voici lorsque en 1848 il s'est agi en France de mettre le prêtre dans l'école, voici ce qu’un publiciste renommé écrivait :

« Tout prêtre dérobe au ciel ce qu'il donne à la terre.

« Tout prêtre qui entrerait dans un conseil municipal, dans un conseil général, dans une chambre des représentants, n'est plus un prêtre entier.

« Tout prêtre qui passerait de l'église au monde, n'est plus un prêtre entier.

« Tout prêtre qui s'introduirait dans un conseil supérieur, dans un conseil académique, n'est plus un prêtre entier.

« Or, la religion veut des prêtres entiers.

« Le peuple veut des prêtres entiers.

« La liberté veut des prêtres entiers.

« Toute la question, je l'adresse le plus respectueusement possible, aux futurs prélats du conseil supérieur et des conseils académiques, toute la question est de savoir s'ils veulent ou non rester des prêtres entiers.

« Je leur dirai :

« Qu'avez-vous juré au pied des autels ? (…)

« Vous avez juré que vous ne laisseriez point les passions du siècle faire tempête dans votre âme ; vous avez juré d'être un prêtre et non un représentant du peuple, un ministre de je ne sais quelle espèce de pouvoir, un conseiller de je ne sais quelle espèce de conseil. Vous avez juré d’accomplir les saints sacrifices de la loi ; vous avez juré d'ouïr les péchés et de les remettre dans la majestueuse sérénité de votre conscience ; vous avez juré de prêcher, du haut de vos chaires, la parole du Dieu vivant ; vous avez juré de visiter les affligés, d'aumôner les pauvres, de consoler les souffrants, de bénir les moribonds ; vous avez juré d'enseigner le dogme, la discipline, les mystères et les devoirs ; vous avez juré de passer en prières, en instructions, en méditations, en conférences le temps que vous ne passeriez pas en charités. »

« Voilà ce que vous avez juré.

« Nous ne vous demandons que de tenir votre promesse. »

Je proteste d'avance contre toute interprétation erronée de ma pensée ; je proteste contre l'idée qui s'attache au mot « exclusion » ; ce mot ne rend pas exactement ma pensée ; car il ne s'agit nullement de prendre le prêtre par le bras et de lui dire : Sortez d'ici ! Il ne s'agit pas, pour me servir des expressions de l'honorable M. Muller, de dire au prêtre : Cette maison est à moi, je vous somme d'en sortir.

La société civile doit sauvegarder ses principes ; elle doit, messieurs, non seulement dans son propre intérêt mais encore dans l'intérêt du sentiment religieux le plus fort, le plus consolant, celui dont les masses ont le plus besoin, laisser le prêtre à l'église. Ce sentiment religieux est plus fort que le sentiment de l'amitié ; plus fort que le sentiment de l'amour ; car il console l'homme dans ses déceptions, le soulage dans ses fatigues et lui donne de l'énergie dans le découragement.

Il n'y a pas de l'abondance pour tout le monde ; il n'y a pas de fleurs pour tout le monde, ni de soleil pour tout le monde. Eh bien, ne détruisez pas ce sentiment, ce sentiment qui unit les races passées aux races présentes, les races présentes aux races futures ; laissez-le rayonner dans l'intérêt de la société, car il faut que l'homme se console et que la société espère.

C'est, messieurs, cette intervention contre laquelle je parle ici, qui, à la fin du XVIème siècle, parce qu'elle était trop forte, parce que la liberté était trop comprimée, c'est cette intervention du prêtre qui a créé la philosophie sceptique du XVIIIème siècle, contre laquelle vous autres, honorables collègues de la droite, vous vous élevez toujours.

Lorsqu'on a vu au lendemain de la révocation de l'édit de Nantes que c'était au nom du sentiment religieux qu'on faisait les dragonnades des Cévennes, on a nié le sentiment religieux, et lorsqu'on a vu ceux-là mêmes qui ne devraient parler que de l'immortalité de l'âme et de l'existence de Dieu, intervenir violemment dans les affaires politiques, et souffler la guerre civile, on a pu dire avec raison que le sentiment qui faisait commettre de tels crimes était un sentiment fatal et qu'il fallait l'anéantir.

Quand, messieurs, le prêtre intervint-il le plus dans l'enseignement ? Ce fut au XVIème siècle. Et qu'a produit cette intervention ? Elle a été une des causes de la réforme. Elle a provoqué la révolution religieuse : et vous n'aurez jamais que des révolutions tant que vous ne séparerez pas radicalement l'élément civil de l'élément religieux.

Messieurs, je n'ai pas demandé à M. le ministre de l'intérieur, à propos de la pétition de Saint-Josse-ten-Noode, que j'ai recommandé à sa sérieuse attention, qu'il organise de suite l'enseignement obligatoire ; je ne lui ai pas dit de chasser le prêtre de l'école ; mais j'ai soutenu une opinion plus radicale que la sienne ; je crois qu'on y arrivera et il est bon que la question soit soulevée dans cette enceinte. M. le ministre de l'intérieur a déclaré qu'il croyait nécessaire de modifier la loi de 1842 pour en exclure le principe de l'intervention du prêtre à titre d'autorité.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.

M. De Fré. - Il a ajouté qu'il est indispensable de répandre l'enseignement, de créer des locaux, le plus de locaux possible, d'y appeler, par des moyens attrayants, tous les enfants pauvres lorsque les parents ne se rendent pas aux conseils de l'administration, avant d'inscrire dans la loi le principe de l'enseignement obligatoire.

Je suis charmé pour ma part de ces déclarations, et si M. le ministre de l'intérieur, qui a créé, dans l'ordre matériel, les chemins de fer, veut, dans l'ordre moral, attacher son nom à ce principe grand et fécond de l'enseignement obligatoire, si sera, non seulement acclamé par la génération présente, mais béni par la postérité.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je dois commencer par adresser des remerciements à l'honorable représentant de Bruxelles pour les paroles plus que bienveillantes par lesquelles il a ouvert et terminé son discours.

Je ne sais pas si, après m'avoir entendu, il maintiendra dans toute leur intégrité les compliments véritablement trop flatteurs qu'il a cru devoir m'adresser.

Je ne rangerai cependant pas, messieurs, parmi ces compliments flatteurs ce qu'il vous a dit de mon âge. (Interruption.) Je n'y mets pas de coquetterie ; je suis né avec le siècle et je compte aujourd'hui 58 ans passés, mais je ne me tiens pas encore pour un vieillard plus ou moins cacochyme... (Nouvelle interruption) ; et je pourrais dire à l'honorable préopinant que je vois aussi avec plaisir que l'âge n'a pas refroidi en lui les sentiments généreux ; car l'honorable préopinant, qu'il me permette de le lui dire, n'est plus de la première jeunesse.

Si je ne me trompe, i ! compte déjà ce que Boileau appelait onze lustres complets, se plaignant des inconvénients du grand âge. (Interruption.)

On me fait observer avec raison que Boileau parlait de onze lustres (page 373) et l'honorable préopinant n'en compte que neuf. C'est toujours 45 ans bien comptés. Je n'en fais pas un reproche à l'honorable préopinant. Je me borne à constater que je compte quatorze années d'expérience de plus que lui.

Messieurs l'honorable préopinant s'est renfermé, je ne sais pas si c'est par prudence ou pour ne pas donner à la discussion de trop grandes proportions, l'honorable préopinant s'est renfermé exclusivement dans les deux questions soulevées par la pétition de l'estimable commune de Saint-Josse-ten-Noode. Il a examiné au point de vue théorique : 1° l'enseignement obligatoire ; 2° le concours du clergé pour l'enseignement religieux dans les écoles primaires.

Pour l'enseignement obligatoire, je le reconnais, il me couronne, il me porte aux nues. Je ne pensais pas, messieurs, avoir mérité tant d'honneur. Qu'est-ce que j'ai dit ? Je suis venu ici apporter mon opinion personnelle en cette matière, sur laquelle, dans la pratique, je pense que tous mes amis et moi sommes d'accord, sur laquelle, en théorie, nous pouvons différer d'opinion.

En pratique nous voulons tous que le peuple soit instruit, non pas pour faire des savants, des académiciens, mais nous voulons que chaque homme et chaque femme du peuple sache lire, écrire et compter. Nous voulons assurer la nourriture morale et intellectuelle à toute la population. Nous voulons par tous les moyens, directs et indirects, amener les populations à fréquenter nos écoles.

Nous voulons les y attirer, ainsi que je l'ai dit, en rendant les écoles attrayantes, par des encouragements, par des exhortations, par l'influence de la femme, par l'influence du père de famille, par l'influence du prêtre au besoin.

Et, tout en rendant hommage aux sentiments du peuple belge, qu'on ne peut pas dire enclin à l'ignorance, je me suis demandé s'il arrivait qu'après avoir tenté tous les moyens, après avoir épuisé tous les moyens de persuasion, tous les bons procédés, il se rencontrait des hommes récalcitrants, des hommes abrupts, des hommes incorrigibles, qui ne voulaient pas remplir ce devoir social, et la société aurait-elle le droit de les contraindre par des peines ? Voilà la question que pour ma part et individuellement j'ai cru pouvoir résoudre affirmativement. Mais je n'ai pas dit que demain j'allais apporter une loi qui forcerait les parents à envoyer leurs enfants à l'école sous peine d'amende et d'emprisonnement, et je ne le ferai pas. Je doute fort que la Chambre reçoive du ministère de l'intérieur actuel, à l'âge où il est parvenu, une pareille loi.

Je maintiens la thèse que j'ai soutenue dans la première discussion, mais je déclare qu'il y a beaucoup de moyens préalables à employer, et je dis avec l'honorable M. Muller que j'ai d'abord grande foi dans la liberté avant d'avoir confiance dans les moyens violents et d'y avoir recours.

Voilà pour l'enseignement obligatoire : et l'on aura beau faire, dans mon humble opinion, il m'est impossible de considérer cette question comme une question de parti. Je crois que dans toutes les opinions, sur tous les bancs, on peut parfaitement être en désaccord sur cette question théorique, si la société a le droit de forcer par des peines le père de famille à faire instruire ses enfants. Ce n'est pas une question de parti ; c'est une thèse à soutenir comme beaucoup d'autres.

Je n'en veux pas à ceux qui ne partagent pas mon opinion ; ils ne peuvent m'en vouloir, si je soutiens une thèse qui est opposée à la leur.

L'important, c'est d'être bien d'accord sur le but à atteindre, sur les moyens préalables à mettre en œuvre. Ces moyens sont nombreux, sont de longue haleine. Peu importe, dès lors, que nous soyons divisés d'opinions sur l’ultima ratio dont j'ai parlé dans une séance précédente.

La seconde question est beaucoup plus importante. Ici nous sommes radicalement, complétement séparés, l'honorable M. De Fré et moi.

J'ai dit, dans la première séance, que pour l'enseignement primaire, nous considérions comme désirable la présence du prêtre en ce qui concerne l'enseignement religieux dans l'école.

Nous avons dit qu'eu égard aux mœurs des populations nous considérerions comme désastreuse la disparation volontaire ou forcée du prêtre de l'école. L'honorable préopinant, s'élevant à des hauteurs où je ne veux pas le suivre, parce que je veux rester dans les questions purement pratiques et administratives, l'honorable préopinant est venu soutenir la thèse de la séparation complète, absolue, des deux sociétés, la thèse que la présence du prêtre dans l'école, que l'enseignement religieux dans l'école primaire était un danger et que le principe devait en disparaître de nos lois.

Ici nous sommes en complet désaccord. Nous maintenons l'état de choses actuel. Nous soutenons qu'à part certains inconvénients inséparables d'ailleurs de toute espèce de législation, l'état de choses actuel, en ce qui concerne l'enseignement primaire, ne réclame pas de réforme immédiate. Nous soutenons que l'on peut administrativement introduire encore beaucoup d'améliorations dans cet important service.

Si la loi d'instruction primaire était encore à faire, je pense qu'il y aurait à modifier la disposition qui semble attribuer au clergé le droit d'intervenir à titre d'autorité publique dans nos écoles ; et je pense aussi qu'en s'adressant au clergé et en le supposant ramené à des sentiments que, malheureusement, il ne témoigné pas dans les circonstances actuelles, il y aurait moyen de lui démontrer que cet article, qui soulève dans une fraction notable de l'opinion des susceptibilités si grandes, pourrait, avec avantage pour tous, disparaître de la loi.

La règle, messieurs, c'est que l'enseignement religieux soit donné sous la surveillance des ministres des cultes. Il doit importer peu à ceux-ci que la loi dise ou ne dise pas qu'ils y viendront à titre d'autorité ; l'important pour eux c'est de pouvoir y venir donner ou surveiller l'enseignement religieux.

L'état de choses qui, je le répète, peut encore être notablement amélioré par voie administrative, ne réclame pas une réforme immédiate. J'ai d'ailleurs dit, et je répète, que les obstacles à cette réforme ne sont pas venus en premier lieu des bancs où je siège avec mes honorables collègues.

Voilà, messieurs, ce que j'avais à dire quant à la pétition qui a soulevé cette discussion intéressante.

Mais, dans la séance d'hier, on est sorti de ces deux questions, et nous avons entendu le programme de ce qu'on est convenu d'appeler le libéralisme avancé, le jeune libéralisme. On nous l'a formulé, ce programme, en un nombre d'articles assez étendu.

M. L. Goblet. - J'ai déclaré que je ne parlais qu'en mon nom personnel.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Un honorable député de Bruxelles a parlé au nom du jeune libéralisme et nous en a fourni le programme. L'honorable membre dit qu'il n'a parlé qu'en son nom personnel. Je le veux bien ; mais ce programme ne nous était pas inconnu. ! Nous l'avions lu et relu dans des organes de la presse, et l'on ne parle pas là, je pense, en nom purement personnel.

Voyons donc ce programme ; voyons ce qu'il renferme de jeune et de nouveau.

Pour la convention d'Anvers, on en demande la suppression officielle.

Qu'entend-on par la suppression officielle de la convention d'Anvers ? Je m'en suis expliqué hier, d'après les faits qui se sont passés, lorsqu'on a vu que l'une des deux parties acceptait ou refusait cette convention suivant que ses intérêts lui conseillaient d'accepter ou de refuser, cet arrangement, ce traité n'a plus eu de base. Le traité doit être exécute loyalement de part et d'autre ; sinon le traité cesse. J'ai donc pu dire qu'en présence des faits qui s'étaient passés, la convention d'Anvers pouvait être considérée comme une lettre morte, cette même convention ayant été considérée à peu près comme telle par ceux qui ont refusé de l'exécuter.

M. de Decker. - Pas du tout.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et si à l'avenir il se conclut des arrangements entre les communes et le clergé pour obtenir l'enseignement religieux dans les établissements publics, le gouvernement appréciera les termes de ces conventions et il décidera.

M. de Decker. - La loi fait au gouvernement un devoir d'arriver à l'intervention du clergé.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Justement ; il accomplira les devoirs que lui impose la loi.

Pour les conventions qui ont été signées de bonne foi entre les communes et le clergé, je l'avoue franchement, je ne vois pas comment je pourrais arriver à supprimer ces conventions. Je n'aperçois pas les moyens par lesquels je pourrais imposer aux communes l'obligation de faire cesser la convention qu'elles ont acceptée et exécutée de bonne foi. Quant à ces communes, je dois le dire, la convention d'Anvers subsistera aussi longtemps qu'elles s'en contenteront.

Voilà ce que j'ai à déclarer en ce qui concerne la convention d'Anvers. Il n'est pas question de supprimer officiellement les faits accomplis.

Il y a, messieurs, dans le programme qui a été déroulé ici au nom du jeune libéralisme, d'autres griefs contre l'opinion que le ministère représente au pouvoir.

Ainsi le jeune libéralisme n'admet pas la poursuite d'office.

Eh bien, nous admettons, nous, la poursuite d'office.

Et pourquoi ? Parce que nous trouvons qu'il y a pour le gouvernement plus de dignité, plus de liberté dans la poursuite d'office que dans la poursuite forcée, que dans la poursuite obligatoire, qui serait imposée au gouvernement, n'importe par quel traité.

Voilà comment nous envisageons la poursuite d'office. Nous ne voyons pas qu'il y ait de ce chef un grief à articuler contre l'opinion libérale.

La liberté de la presse ! le jeune libéralisme n'admet pas cette aggravation de peine que le vieux libéralisme a tenté de faire peser sur la presse. Messieurs, peut-on de sang-froid, peut-on sérieusement venir imputer à crime à notre opinion, cette prétendue aggravation que l'on a voulu faire subir à la presse ? Eh quoi ! Il y a eu une conjuration contre la liberté de la presse ! Et dans cette conjuration tout le monde était du complot ! Et la commission composée des jurisconsultes les plus éminents, les plus libéraux du pays et la commission de la Chambre, et la Chambre tout entière, et la presse tout entière, ont conjuré pour la destruction de la liberté de la presse ; tout le monde y a concouru ou par des actes directs et formels ou du moins par un silence absolu.

Personne ne s'était avisé de découvrir dans cette réforme du code pénal, réforme qui doit faire l'honneur de l'opinion libérale, l'honneur du parlement tout entier, personne ne s'était avisé d'y découvrir cette affreuse conspiration qui a tout à coup surgi d'où, messieurs ? Il a fallu les avertissements venus d'au-delà de nos frontières pour éveiller toutes ces (page 374) susceptibilités, toutes ces appréhensions qu'on a vainement cherché à faire prévaloir dans le pays. Car voyez le bruit qu'on en a fait et voyez le nombre de pétitionnaires qui sont venus protester contre ces prétendus desseins du gouvernement attentatoires à la liberté de la presse.

Et vous le savez bien, il n'y a pas sur ces bancs un seul homme qui ai songé une seule minute, à aggraver la situation de la presse. Il n'y a pas un seul homme qui ait songé une seule minute à aggraver les pénalités contre la presse. Il y a eu une sorte de malentendu, mais ne dites pas qu'il y a parti pris de vouloir démolir la liberté de la presse. C'est là une grande exagération et c'est là aussi un grief à rayer d'un programme sérieux.

D'après ce programme que pour ma part je suis bien aise de pouvoir tenir dans la main, il y a aggravation de peine dans le Code pénal pour ceux qui outragent les objets du culte. C'est encore là un méfait reproché au vieux libéralisme.

Eh bien, messieurs, nous sommes pénétrés d'un sentiment profond de respect pour la liberté des cultes, et cette liberté des minorités, le culte en a surtout besoin, dans un pays comme le nôtre, de la protection des lois. Nous voulons que les objets du culte soient respectés, mais dans quelles limites, dans quelles circonstances ? C'est dans le temps où les lieux où le culte est mis en action.

Nous voulons que dans le temple et dans les cérémonies publiques, hors du temple, les objets du culte soient l'objet du respect de tous les citoyens. Nous le voulons pour le culte catholique, comme pour le culte protestant et pour le culte israélite ; nous le voulons pour tous les cultes qui ont le même droit, en Belgique, à la protection des lois.

Prenez-y garde ! dans un pays comme le nôtre où les catholiques forment l'immense majorité, il importe surtout que le culte de ceux qui ne sont pas catholiques trouve dans nos lois pénales une protection efficace.

Voilà comment nous entendons faire tomber sous le coup des pénalités du nouveau code pénal les atteintes portées à la liberté des cultes.

D'ailleurs, nous n'avons rien inventé sous ce rapport ; ces pénalités existent depuis que la société a conquis la liberté des cultes ; et ce serait aller contrairement à cette liberté que de supprimer toute espèce de pénalité contre ceux qui se permettent d'y porter atteinte, soit par des actes, même par des outrages verbaux.

Voilà comment il fallait entendre ces articles du nouveau Code pénal, si on n'avait pas eu en quelque sorte le parti pris de se livrer à d'injustes accusations contre le libéralisme gouvernemental, modéré, mais ferme, qui préside à la direction des affaires du pays.

Ce qui précède, messieurs, constitue ce qu'on peut appeler la partie morale du programme du jeune libéralisme, en y joignant l'enseignement obligatoire, en y joignant ce que j'ai entendu hier et ce que je n'ai pas relu aux Annales parlementaires dans les mêmes termes où je l'avais entendu hier ; car j'ai bien entendu hier qu'on voulait écarter le prêtre de l'école primaire, non pas seulement à titre d'autorité, mais à toute espèce de titre.

M. L. Goblet. - Je n'ai rien changé à la copie qui m'a été remise par la sténographie ; vous pouvez vous faire représenter les feuillets qui se trouvent au Moniteur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je dis que j'ai entendu cela, mais je n'accuse pas l'honorable M. L. Goblet d'avoir modifié son discours au Moniteur ; je le répète, j'ai entendu cela, et le Moniteur ne parle que de l'exclusion du prêtre à titre d'autorité.

- Une voix. - C'est M. De Fré qui a dit cela.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Eclaircissons ce point ; je ne veux pas de discussion puérile sur un mot. Je demanderai à l'honorable M. L. Goblet si elle n'est pas sa doctrine, à savoir que le prêtre doit être exclu d'une manière absolue de l'école.

M. L. Goblet. - Je n'ai pas à exposer ma doctrine en ce moment, puisque je n'ai pas la parole ; mais si j'ai interrompu l'honorable ministre de l'intérieur, c'est que je ne puis pas admettre que, quels que soient son mérite et sa haute position, il m'accuse d'avoir au Moniteur altéré l'expression de ma pensée. Si ce n'est pas là ce qu'il a voulu dire, je lui demande pardon de l’avoir interrompu.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je suis bien convaincu de la franchise et de la parfaite loyauté de l'honorable représentant de Bruxelles ; il en a donné une preuve hier.

Du reste, pour ne pas procéder par insinuation, je demande nettement si l'honorable M. L. Goblet n'a pas professé, ne professe pas l'opinion que le prêtre doit être exclu de l'école primaire comme prêtre, et ne doit pas s'y occuper d'enseignement religieux.

M. L. Goblet. -- Mon opinion est que le prêtre, en aucun cas, ne doit entrer dans l'école, en vertu de la loi. Je n'ai pas dit autre chose.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Supposons que la loi n'en parle pas ; admettez-vous le prêtre dans l'école ?

M. L. Goblet. - Je ne veux pas qu'il intervienne entre l'administration et le clergé une convention quelconque qui autorise le prêtre à entrer dans l'école. S'il y entre, ce doit être l'effet d'une simple tolérance de la part de l'administration. Si le prêtre veut donner l'exemple, si, au nom de sa mission de charité, s'il veut venir enseigner la morale dans l'école et qu'il vous convienne de l'y laisser entrer, je le veux bien, mais je ne veux pas qu'il entre dans l'école à titre d'autorité, en vertu d'une mission légale ; je ne veux pas qu'il puisse dire : « Je viens à vous mais en retour vous devez me faire telle concession. » En un mot, le prêtre ne doit entrer dans l'école que quand l'administration y consent et comme elle pourrait y admettre tout homme de bien, mais il doit être entendu que ce n'est jamais en qualité de prêtre qu'il y entre.

M. le président. - Je ne puis tolérer cette discussion par questions et par réponses.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Hier, l'honorable M. L. Goblet m'a interpellé plusieurs fois personnellement ; et on ne lui a rien dit.

M. le président. - Cette observation ne s'applique pas à moi ; je ne présidais pas hier.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si l'honorable M. L. Goblet admet le prêtre dans l'école, alors qu'il y sera invité par la voie administrative, il est d'accord avec nous.

Mais s'il admet le prêtre, lorsqu'il sera appelé par l'administration, il n'est plus d'accord avec un autre adepte du jeune libéralisme ; car l'honorable M. De Fré, avec beaucoup de franchise, et dans un discours remarquable, a établi que le prêtre ne devait en aucune façon, à aucun titre, entrer dans l'école. Si donc l'honorable M. L. Goblet est d'accord avec nous, il est en désaccord avec l'honorable M. De Fré.

Passons, maintenant, messieurs, à la partie que j'appellerai matérielle du programme du jeune libéralisme.

On veut, au nom du jeune libéralisme, le complément de la réforme postale ; c'est un progrès ; c'est un pas de fait vers la justice. Naguère, on voulait la réforme postale ; on se contente aujourd'hui du complément de la réforme postale, et je le crois bien.

Mais mon honorable ami M. Frère Orban vous a démontré que la réforme postale qu'on poursuit n'est pas à faire, qu'elle est faite, qu'elle s'est opérée en Belgique sur des bases beaucoup plus larges et plus libérales que dans aucun autre pays, notamment en ce qui concerne la presse. Maintenant, que reste-t-il à faire ? Y a-t-il lieu d'étendre à tout le royaume la taxe uniforme de 10 centimes ?

M. L. Goblet. - Oui.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voyons, est-ce sérieusement que l'on décore cette mesure du nom de réforme ? Si l'on avait une expérience quelque peu plus longue de coutumes parlementaires, viendrait-on ranger dans un programme politique la légère modification qui reste à opérer pour compléter la réforme postale introduite en 1849, et vaut-il la peine de faire tant de bruit de ce qu'on appelle fort improprement la réforme postale ?

La réforme douanière est encore un article du programme ; mais on peut en dire à peu près la même chose que de la réforme postale. Une grande partie de la réforme douanière est faite ; elle est faite sur les points les plus difficiles. (Interruption.) La réforme douanière ! mais elle a prévalu précisément à l'occasion de questions où l'on croyait qu'on ne parviendrait jamais à la réaliser.

La réforme douanière a commencé par la réforme des lois protectrices du grand et puissant intérêt agricole. Voilà par où nous avons commencé ; c'est par là aussi que la réforme douanière a commencé en Angleterre. Elle a triomphé par la suppression du droit protecteur qui existait en faveur d'une de nos branches d'industrie, non pas égale en importance à l'école agricole, mais très puissante aussi, l'industrie houillère.

Il y a encore des réformes à introduire ; nous les poursuivons, nous les opérerons successivement en apportant des projets de loi ayant pour but de faire disparaître de nos tarifs ce qu'ils renferment encore de droits exagérés, d'entraves inutiles.

Il ne me semble pas que cela puisse faire l'objet d'un programme soi-disant jeune et nouveau.

Vient enfin la réforme des octrois. C'est, je pense le 9ème article du programme du jeune libéralisme. La réforme des octrois ! Il y a très longtemps que cette question s'agite ; il y a longtemps que la discussion est ouverte, non pas seulement dans les régions gouvernementales, mais dans les conseils provinciaux et communaux, où siègent de jeunes et de vieux libéraux.

Je voudrais bien qu'on me dît à quel résultat ont abouti toutes ces discussions ; à quel résultat pratique est-on parvenu ? Mon honorable collègue vous l'a dit, non pas avec la présomption d'un ministre aveugle qui croit facile les choses les plus difficiles ; qui annonce comme prochaines les solutions qui réclament encore de sérieuses études, il vous a dit qu'il ne désespérait pas d'arriver à la réforme des octrois. Voilà tout ce qu'on peut promettre sur cette importante et difficile question, et quant à nous, nous serions très heureux qu'il sortît, n'importe de quelle opinion, des vues pratiques qui pussent amener le gouvernement à introduire cette réforme qui est depuis longtemps dans ses vues comme elle est dans les besoins généraux du pays.

Mais on reconnaîtra que cette réforme, pour n’être pas nouvelle, n'en est pas plus facile ; beaucoup d'hommes pratiques et de théoriciens s'en sont occupés sans que jusqu'ici on ait pu fournir aucune conclusion saisissable.

(page 575) Voilà donc, messieurs, en quoi consiste le programme qu'on oppose à l'administration libérale et devant lequel on ne craint pas de nous accuser d'impuissance ou de mauvais vouloir. Vous voyez qu'il n'y a rien dans ce programme de bien nouveau ni de bien jeune.

Je ce voudrais, messieurs, prononcer aucune parole désobligeante pour personne ; mais, je dois le dire, si l'on n'a dans son bagage d'opposition que des questions de cette sorte, je ne sais pas si l'on est en droit de se draper superbement dans les plis (la métaphore est un peu usée, mais je l'emprunte à mon honorable adversaire)... dans les plis du manteau du jeune libéralisme.

Si les plis de ce manteau ne renferment pas d'autres secrets, pas d'autres recettes pour changer la face du monde, on pourra, autant qu'on le voudra, se proclamer des novateurs et des hommes jeunes ; mais à mes yeux, de pareils novateurs ne seront que des plagiaires, et de pareils hommes jeunes ne seront que des enfants.

M. le président. - La parole est à M. Verhaegen.

- Voix nombreuses. - A lundi.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.