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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 25 mars 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page 767) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Vermeire procède à l'appel nominal à 2 heures et demie.

M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Puers prient la Chambre d'introduire dans les élections, à tous les degrés, le vote par lettre alphabétique. »

« Même demande d'habitants de Sauvenière et du conseil communal de Termonde. »

- Renvoi à la section centrale du projet de loi concernant la nouvelle répartition des représentants et des sénateurs.


« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers présente des observations sur la pétition des membres du barreau d’Anvers, relative à la réorganisation des tribunaux de commerce. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projets de loi portant règlement définitif des budgets de 1849 et de 1850

Rapports des sections centrales

M. Deliége. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente des finances, sur le projet de loi portant règlement définitif du budget de 1849.

M. Moreau. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente des finances, sur le projet de loi portant règlement définitif du budget de 1850.

- Ces rapports seront imprimés et distribués, et les projets de loi mis à la suite de l'ordre du jour.

Prompts rapports de pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Châtelet, le 29 novembre 1.S58, un grand nombre d'habitants de Châtelet demandent la division du canton de Charleroi en deux justices de paix, et la désignation de Châtelet comme chef-lieu de l'un de ces cantons.

Par pétition datée d'Aiseau, le 2 mars 1859, des habitants d'Aiseau prient la Chambre de rejeter la demande ayant pour objet la division du canton de Charleroi en deux justices de paix.

Même demande d'habitants de Pont-de-Loup. Giliy, Bouffioulx, Presles, Gouguies, Cerpinnes, Joncret, Viilers-Potterie, Acoz.

Vous le voyez, messieurs, ces derniers pétitionnaires demandent le contraire de ce que les premiers sollicitent. Dans ce conflit, et votre commission n'ayant ni les moyens ni la mission d'apprécier les besoins des localités, et l'utilité qu'il peut y avoir à diviser ou à renforcer des cantons, elle doit se borner à vous proposer le renvoi de ces pétitions à M. le ministre de la justice.

Toutefois, la commission a fait l'observation qu'en présence de ce qui se passe aujourd'hui pour beaucoup d'autres localités, la division du canton de Charleroi serait contraire aux antécédents du gouvernement.

En effet, les deux cantons qui forment actuellement le canton d'Audenarde ont été réunis et jamais aucune plainte n'a été articulée à ce sujet La même mesure a été prise à l'égard du canton de Courtrai, et, encore une fois, elle n'a donné lieu à aucune réclamation de la part des intéressés.

Sous réserve de ces observations, la commission, je le répète, ne peut que vous proposer le renvoi de ces pétitions à M. le ministre de la justice.

M. Pirmez. - Messieurs, il ne peut être question d'examiner maintenant le fondement des pétitions sur lesquelles il vient d'être fait rapport, ni par conséquent d'apprécier les observations que M. le rapporteur vient de présenter.

Je me bornerai à appuyer le renvoi à M. le ministre de la justice et à le prier de vouloir faire instruire la question soulevée, en consultant las différentes autorités de manière à arriver à la solution la plus conforme à l'intérêt général.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Calloo, le 22 février 1859, l'administration communale de Calloo demande que M. le ministre de la guerre soit invité à donner des explications sur les ouvrages militaires qu'il se propose de faire exécuter au fort Sainte-Marie.

Les pétitionnaires, messieurs, s'expriment comme suit dans leur requête : (L'orateur donne lecture de ce passage.)

Tous les jours messieurs, nous nous plaignions de la multiplicité des pétitions et de l'insistance des pétitionnaires à revenir sur l'objet de leurs demandes. Mais, d'un autre côté, il faudrait bien déterminer aussi le nombre de pétitions qui doivent être transmises à MM. les ministres, avec demande d'explications pour que ces explications soient envoyées à la Chambre.

Il y a évidemment un temps moral qui doit être réservé au gouvernement pour communiquer les explications qui lui sont demandées. Mais lorsque ce laps de temps est écoulé et qu'aucune explication n'a été donnée, il n'est pas étonnant que les pétitionnaires reviennent à la charge, surtout lorsque l'objet de leur demande a été pris en considération par la Chambre et qu'elle a trouvé bon de la renvoyer au gouvernement avec demande d'explications.

Il paraît que, dans cette affaire, les intérêts des pétitionnaires sont gravement compromis. C'est ce que les pétitionnaires disent dans leur requête. Ils ne s'opposent pas aux travaux à exécuter dans l'intérêt d'une bonne défense du pays ; mais ils demandent que les sacrifices qu'ils font au profit de tous soient au moins compensés par des indemnités. D'un autre côté, messieurs, les pétitionnaires croient que la Chambre n'est pas au courant des dépenses et des travaux considérables qui vont être faits dans leur localité.

C'est encore un motif pour lequel les pétitionnaires insistent, afin que la Chambre examine s'il y a lieu d'approuver les travaux que le gouvernement se propose de faire au fort Sainte Marie, qui devient un fort très compliqué, nécessitant l'emprise d'une foule de terrains dans cette localité.

Votre commission, sans rien préjuger à cet égard, conclut au renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre, avec demande d'explications.

M. Janssens. - Messieurs, je n'aurai que peu de chose à ajouter au rapport qui vient d'être fait. La question que soulève cette pétition est certainement très grave. Il s'agit de travaux militaires importants qui compromettent gravement les intérêts des habitants de Calloo dont l'administration s'adresse à vous.

Ces travaux, messieurs, grèvent de servitudes militaires un grand nombre de propriétés qui sont situées jusqu’au centre d'une commune populeuse.

Si ces travaux avaient l'utilité qu'ils devraient avoir pour autoriser ces expropriations, les habitants de Calloo pourraient se résigner. Si ces travaux avaient été décrétés par une loi, ils devraient se soumettre. Mais aucun de ces faits ne se présente. D'abord, l'utilité des travaux est contestée par des hommes très compétents qui ont fait du régime de l'Escaut une étude spéciale. Les travaux ne sont pas non plus décrétés par une loi. Car les pétitionnaires prouvent que les dépenses dans lesquelles entre le gouvernement dépassent de beaucoup les crédits dont il dispose.

Je trouve que c'est un fait extrêmement grave de voir, de la part du gouvernement, cette espèce de parti pris, quelle que puisse être l'opinion de la Chambre, de passer outre. Car c'est réellement le cas qui se présente.

Déjà, depuis trois mois, le fait qu'on nous signale a été porté devant la Chambre. La Chambre attend les explications du gouvernement et le ministre de la guerre trouve plus commode de ne rien expliquer et de pousser les travaux avec plus d'activité.

Pour moi, cette espèce de besoin qu'on éprouve d'éviter la discussion, les explications et le vote me fait douter de l'utilité de ces travaux. Si cette utilité pouvait être seulement démontrée, on n'aurait pas craint de venir demander les crédits nécessaires.

Je déclare que, pour ma part, je ne suis pas disposé à voter après coup des dépenses faites d'une manière aussi arbitraire.

Je demande que, dans tous les cas, les explications qui sont pour la troisième fois demandées par la commission, ne soient pas retardées au-delà de la discussion du budget de la guerre. Elles pourraient se présenter à l'occasion de l'article 21, matériel du génie.

M. Van Overloop. - Messieurs, mon honorable collègue et ami M. Janssens vient de faire ressortir la gravité de la réclamation que l'administration centrale de Calloo vous adresse.

Il y a un principe et un principe constitutionnel qui défend de faire des dépenses autres que celles autorisées par une loi.

Il y a un principe, également constitutionnel, c'est le principe qui défend d'excéder les dépenses qui ont été allouées.

Voyous maintenant en fait ce qui s'est passé. La loi du 4 juin 1855 a autorisé le département de la guerre à faire des dépenses pour compléter le système définitif de l'Escaut et pour la construction de bâtiments destinés au service de l'artillerie. Elle a alloué à cet effet 1,460,000 fr. dont, d'après l'annexe 1 du projet de loi, 890,000 fr. devaient servir à (page 768) compléter le système défensif de l'Escaut et 570,000 devaient servira la construction de bâtiments pour l'artillerie.

La dépense relative au système définitif de l’Escaut devait, d'après l'exposé des motifs de la loi, porter quatre objet s: la construction de nouvelles batteries sur l'Escaut, le relèvement du fort Philippe, l'augmentation de valeur des forts de Lillo et de Ste-Marie.

La Chambre a donc entendu que les fonds qu'elle allouait fussent employés exclusivement à ces quatre objets et M. le ministre de la guerre de l'époque répondait même (le rapport de la section centrale le constate), que ce serait le dernier crédit demandé à cet effet.

Eh bien, messieurs, que fait le département de la guerre ? Malgré la prétendue urgence de la loi du 4 janvier 1855, déclarée obligatoire le lendemain même de sa promulgation, jusqu'en 1858, il ne dispose pas du crédit. Alors pour ne pas être obligé de demander par une loi nouvelle le maintien du crédit, que fait-on ? Un arrêté royal du 23 novembre 1858 transfère, au budget de 1858, « matériel du génie », la somme de 1,358,963 fr. 14 c. restée disponible sur le crédit de 1,460,000 fr., et immédiatement après le département de la guerre met en adjudication les travaux d'un nouveau fort à construire à Ste-Marie.

Les habitants de Calloo s'alarment, et ils ont quelque peu raison de s'alarmer, car ils se souviennent de ce qui s'est passé chez eux en 1831. Ils s'adressent à la Chambre ; la Chambre renvoie leur requête au département de la guerre avec demande d'explications ; le département de la guerre ne répond pas. Le renvoi est ordonné le 10 décembre et le 15, l'adjudication est faite.

Il est vrai que d'après un article du cahier des charges le ministère se réserve le droit de ne pas donner suite à l'adjudication, mais il paraît que c'est là un article tout à fait anomal, d'après ce que dit le Précurseur d'Anvers qui s'est beaucoup occupé de la question, ainsi que l’Union commerciale.

Une nouvelle pétition arrive, c'est celle du sieur Van Alstein. Dans l'intervalle on avait commencé des expropriations.

La nouvelle pétition est renvoyée à M. le ministre de la guerre, avec demande d'explications, le 28 janvier. Cette demande d’explications n'a pas plus de résultat que la première, mais on procède avec une nouvelle activité aux expropriations nécessaires, non pour augmenter la valeur défensive du fort Sainte-Marie, mais pour construire véritablement une citadelle à Sainte-Marie.

En ce moment même des poursuites en expropriations sont pendantes devant le tribunal de Termonde.

Enfin, messieurs, l'administration communale de Calloo s'adresse à son tour à la Chambre pour lui exprimer les inquiétudes qu'elle éprouve et pour le prier de vouloir bien examiner si, oui ou non, la législature a autorisé la création d'une citadelle à Ste Marie, et au cas que la Chambre jugeât que l'exécution de cette citadelle est nécessaire dans l'intérêt de la défense nationale, l'administration de Calloo prie la Chambre de décréter qu'il sera alloué une juste indemnité, pour la moins-value qu'éprouveront les propriétés et pour les dommages que les habitants pourront éprouver par suite de faits de guerre.

Il ne reste de disponible que 1,358,963 fr. 14 c., et cependant, d'après les pétitionnaires, la dépense déjà faite peut être évaluée à 1,700,000fr. uniquement pour la construction du fort Sainte-Marie, alors que, d'après le système de la loi de 1855, 1,460,000 francs devaient suffire pour ériger de nouvelles batteries sur l'Escaut, pour relever le fort Philippe et pour augmenter la valeur défensive des forts de Lillo et de Sainte-Marie.

Messieurs, convient-il que M. le ministre de la guerre, malgré deux demandes d'explications faites depuis assez longtemps, dans des circonstances assez graves ; convient-il que M. le ministre de la guerre s'abstienne de donner des explications ?

Convient-il ensuite que le département de la guerre consacre à un seul objet un crédit qui était destiné à quatre objets différents ?

Convient-il que le département de la guerre, étant autorisé à faire une dépense de 1,460,000 fr., se permette de faire le double de cette dépense ?

Enfin convient-il que ce département fasse cette dépense, alors qu'il n'y avait pas d'autre nécessité que celle de demander à la Chambre le maintien du crédit alloué en 1855 ?

Pouvons-nous laisser passer ces faits inaperçus ?

D'après les pétitionnaires, la dépense s'élève déjà à 1,700,000 francs ; le crédit de 1,460,000 francs alloué en 1855 se reportait à des travaux à exécuter à quatre endroits différents ; on n'a fait jusqu'ici des travaux qu'à un seul endroit. Que viendra-t-on nous demander plus tard ?

Persiste-t-on, oui ou non, dans la volonté d'ériger de nouvelles batteries sur l'Escaut ? Persiste-t--on à relever le fort Philippe ? Persiste-t-on à augmenter la valeur défensive du fort Lillo ?

Si l'on y persiste et si déjà les dépenses du fort Ste-Marie s'élèvent à 1,700,000 fr., à combien ne s'élèvera pas la dépense nécessaire pour les autres objets prévus par la loi de 1855 ?

Si mes renseignements sont exacts, le système qu'on veut exécuter à Calloo, tel que le génie militaire l'a arrêté aujourd'hui, occasionnerait peut-être une dépense de 15 millions.

Le département de la guerre suit, pour les travaux à exécuter à Calloo, absolument la même marche que celle qu'il a suivie pour les travaux d’Anvers.

On commence par demander 5 millions, on déclare que cela suffit, et après qu'on a mis la main à l'œuvre, on vient dire qu'on s'est trompé dans son évaluation ; de sorte que nous votons des dépenses que nous n'avons pu apprécier.

Messieurs, il convient que le département de la guerre marche carrément, loyalement, militairement, comme il convient à des soldats. Quant le département a besoin de fonds, qu'il s'adresse à la législature, et jamais, quand le département de la guerre viendra demander les fonds qu'il justifiera être nécessaires à la dépense nationale, jamais les Chambres belges ne refuseront de voter ces allocations.

Mais il faut que le département de la guerre emploie les fonds votés à l'exécution des travaux pour lesquels ils ont été votés, et que, lorsqu'un crédit a été voté pour quatre objets, il ne soit pas absorbé par un seul objet.

Voilà quelle doit être la règle de conduite du département de la guerre, et cette règle il ne la suit pas à Calloo.

Je demanderai donc que M. le ministre de la guerre veuille répondre aux observations des habitants de Calloo, quand nous serons arrivés à l'article 21, « matériel du génie » du budget de la guerre.

Il y va de l'intérêt du trésor, il y va de la dignité de la Chambre et du régime constitutionnel tout entier, qu'on ne fasse pas des dépenses non autorisées par la loi budgétaire. Ce serait, selon l'expression d'un collègue, la violation de la Constitution et de toutes les lois organiques.

M. Thiéfry. - Il n'y a aucune opposition aux conclusions de la commission de renvoyer la pétition au ministre de la guerre, avec demande d'explications ; par conséquent toute la discussion dans laquelle est entré l'honorable M. Van Overloop ne me paraît pas avoir été faite à-propos. Nous n'avons pas à discuter sur les réclamations des pétitionnaires, mais sur l'utilité du renvoi au ministre de la guerre, proposition qui ne rencontre aucune opposition.

L'honorable M. Van Overloop est dans l'erreur quand il dit que les travaux dont il s'agit n'ont pas l'importance qu'on semble leur attribuer. Il l'est également quand il ajoute que ces travaux n'ont pas été autorisés par la Chambre.

Ces travaux ont été soumis à plusieurs commissions qui en ont reconnu l'utilité et les ont approuvés ; ils ont été indiqués dans l'exposé des motifs d'un projet de loi ; le général Goblet faisait partie de la section centrale ; aucune observation n'a été présentée pour en retarder l'exécution.

Voilà pour l'importance.

Quant à la régularité de la dépense ; sous le ministère de l'honorable M. de Decker le ministre de la guerre a demandé un crédit de 9,400,000 fr. dans lequel se trouvait comprise une somme de 890,000 fr. pour des constructions à faire aux forts Ste-Marie, Lillo et Philippe. Il y avait donc une somme de 890,000 fr. demandée pour ces trois forts.

La Chambre n'a pas alloué le crédit nécessaire à l'établissement du camp retranché d'Anvers, mais elle a reconnu la nécessité des travaux pour lesquels une somme de 890,000 francs était pétitionnée puisqu'elle a voté le crédit.

L'honorable M. Van Overloop prétend que la somme allouée ne suffira pas et que la dépense s'élèvera à quatre millions : cela est possible. (Interruption.)

Je dis que cela est possible parce que l'honorable membre l'affirme, je voudrais cependant que pour établir l'exactitude de ce chiffre, il vînt avec des données qui puissent nous convaincre ; sinon j'aurai plus de confiance dans les appréciations des officiers du génie. Dans tous les cas si on n'a pas agi franchement, loyalement, c'est au ministre qui tenait le portefeuille de la guerre sous le ministère de M. de Decker, que l'honorable membre doit reporter ses accusations.

Les pétitionnaires demandent qu'on affecte les fonds destinés aux forts que je viens de rappeler aux fortifications de la ville d'Anvers. (Interruption.)

J'ai la pétition sous les yeux, cela y est en toutes lettres. Ils demandent, dis-je, qu'on change la destination que le ministre de la guerre a annoncé devoir être donnée au crédit. Cela est inadmissible.

L'honorable membre se plaint du silence gardé par le ministre sur les pétitions qui lui ont été renvoyées, avec demande d'explications. Je ferai remarquer qu'il y a une question soulevée qui est des plus graves. On a dû prendre un certain temps pour l'examiner. La première a été adressée à la Chambre d y a trois mois ; la seconde, celle de M. Van Alstein, l'a été il y a six semaines.

Le fait dont je viens de parler est l'ensablement de l'Escaut. Si les renseignements que j'ai reçus sont exacts, il paraîtrait que la passe de l'Escaut s’ensable d'un côté et qu'il s'en forme une autre à côté. C'est là un point à examiner et sur lequel on ne peut pas se prononcer du jour au lendemain.

Je dis donc que les principes consacrés par la loi sur la comptabilité de l'Etat n'ont pas été violés en cette circonstance.

Les travaux étaient réclamés pour les besoins de la défense du pays, et M. le ministre de la guerre avait parfaitement le droit de les faire exécuter.

Les pétitionnaires voudraient qu'il fût accordé à tous les intéressés une indemnité à dire d'experts pour la moins-value des terres et des propriétés bâties situées dans le voisinage du fort. Mais je ne sache pas que, quand on a construit des fortifications en 1818 dans tout le pays, on ait accordé des indemnités pour la moins-value des propriétés situées (page 769) dans leur voisinage ; il faudrait aussi en donner pour toutes celles qui entourent Anvers ; si on admettait ce principe, on ne pourrait plus construire la moindre ligne de chemin de fer, sans que les riverains des routes tracées dans la même direction se crussent en droit de réclamer des indemnités en compensation de la moins-value de leurs propriétés.

Les pétitionnaires demandent encore que les terrains tombant dans le nouveau rayon du fort, soient affranchis de toute servitude militaire. Autant vaudrait ne plus construire aucune fortification et détruire toutes celles qui existent. Nous avons fait une vive opposition au maintien de l'enceinte actuelle d'Anvers, précisément parce qu'on a permis de bâtir tout autour de la ville et qu'on a par-là complétement annihilé la force de la défense.

J'aurais bien d'autres observations à présenter, mais je les crois inopportunes attendu qu'elles trouveront mieux leur place lorsque M. le ministre de la guerre nous aura adressé des explications sur la pétition qui lui sera renvoyée. J'ai cru seulement, messieurs, devoir vous soumettre quelques réflexions pour ne pas laisser sans réponse les discours des honorables membres qui m'ont précédé.

M. H. de Brouckere. - La discussion à laquelle on vient de se livrer me semble anticipée. A quoi, je le demande, ont pu servir les deux discours prononcés par les honorables membres qui ont appuyé la pétition, alors que ces discours s'adressaient à un honorable ministre de la guerre qui, ne se trouvant pas ici, ne pouvait pas y répondre ? Mais il y a une chose toute simple à faire, c'est de demander à la Chambre de décider que la requête des habitants de Calloo soit déposée sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre. De cette manière, quand nous arriverons au chapitre concernant le matériel du génie, les membres qui désireront avoir des explications pourront interpeller M. le ministre de la guerre.

Si M. le ministre est en état d'y répondre, il le fera ; s'il ne peut pas fournir les renseignements réclamés, il déterminera l'époque pour laquelle ces renseignements pourront être communiqués. Je demande donc tout simplement que la Chambre décide que la pétition sera déposée sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je regrette que cette discussion, qui se rattache au budget de la guerre, ait précédé la discussion de ce budget et que je n'aie pu entendre le discours de l'honorable représentant de Saint-Nicolas ; il ne m'est donc pas possible d'y répondre. L'honorable général Berten avait préparé une réponse que j'ai sous les yeux, réponse qui renferme des explications de nature, je pense, à satisfaire entièrement la Chambre. Si la Chambre le désire, je pourrai en donner lecture.

- Plusieurs voix. - Oui ! oui !

M. H. de Brouckere. - Ajournons cela à la discussion du budget.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - II est bon, je pense, que la Chambre ait, le plus tôt possible, connaissance de ce document.

- Plusieurs voix. - Oui, oui ! lisez.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voici, messieurs, la lettre qui est adressée à M. le président de la Chambre :

« Bruxelles, le 24 mars 1859.

« Monsieur le président,

« J'ai l'honneur de vous faire parvenir les explications que la Chambre a bien voulu me demander sur les requêtes qui lui ont été présentées au sujet de la reconstruction du fort Sainte-Marie par plusieurs habitants de Calloo et par M. Van Alstein.

« Dans la séance du 27 avril 1855, le gouvernement présenta aux Chambres un projet de loi de crédit de 9,400,000 francs pour compléter le système d'Anvers et des rives de l'Escaut.

« L'exposé des motifs indique, en ce qui concerne le fleuve, qu'il s'agissait d'ajouter à ses défenses des batteries nouvelles, de relever le fort Saint-Philippe et d'augmenter la valeur des forts de Lillo et de Sainte-Marie. Cet exposé se termine ainsi :

« La nature de ces divers travaux ne permet pas de déterminer d'avance la répartition des sommes demandées ; mais le département de la guerre s'engage à le faire au moyen d'arrêtés royaux, entre les exercices et les articles du budget sur lesquels les dépenses devront être imputées. »

« Dans son rapport du 26 mai 1855, la section centrale proposa, avec l'adhésion du gouvernement, d'ajourner les travaux relatifs à la place d'Anvers proprement dite ; mais de voter les sommes demandées pour la défense de l'Escaut et pour le matériel d'artillerie.

« Les Chambres adoptèrent cette proposition, et la loi du 4 juin 1855 ouvrit au département de la guerre un crédit extraordinaire de l,460,000 fr. pour compléter le système défensif des rives de F Escaut et pour la construction de bâtiments destinés au service de l’artillerie.

« La généralité de ce texte donnait beaucoup de latitude au gouvernement pour l'emploi des fonds et lui imposait, par cela même, un grand devoir et une grande responsabilité.

« Le premier soin du département de la guerre fut d'examiner si les projets de défense de l'Escaut qui avaient été conçus avant les opérations de la guerre de Crimée n'étaient pas susceptibles d'être avantageusement modifiés, eu égard à la puissance des nouveaux moyens d'attaque que les marines alliées allaient déployer.

« La destruction du fort de Kinburn, avec l'aide des batteries flottantes, ne tarda pas à justifier cette prévoyance.

« Des commissions furent nommées pour examiner avec soin la question de la défense de l'Escaut, et des expériences furent entreprises pour constater la résistance des bordages des batteries flottantes.

« A la suite d'études prolongées, il fut démontré que les conditions de la défense des côtes avaient complétement changé, et l'on tomba d'accord que les mêmes forts, qui suffisaient jadis pour tenir en respect des navires ordinaires, seraient bientôt écrasés par des vaisseaux cuirassés qui ne craindraient pas de s'embosser devant eux à petite distance, et de lutter corps à corps.

« On reconnut que le fort actuel de Sainte-Marie n'est plus en état de défendre la passe du fleuve et qu'il est de toute nécessite de le reconstruire sur des bases plus étendues, afin de concentrer autant que possible la défense du bas Escaut sur le point important occupé en 1585 par le prince de Parme.

« Cette opinion a été adoptée par mon prédécesseur et je n'ai pas hésité à m'y rallier, en présence de l'accord unanime des commissions et des autorités militaires qui se sont occupées de la question.

« Plusieurs personnes ont prétendu qu'il existe entre le système des fortifications d'Anvers et le fort projeté à Sainte-Marie, une dépendance telle que ce fort deviendrait inutile si on renonçait à l'agrandissement de notre métropole commerciale et à l'extension des ouvrages qui la protègent.

« Cette solidarité n'existe pas. Qu'Anvers soit ou non agrandi, il faudra de tout nécessité empêche une escadre ennemie de remonter le fleuve. Eu égard à la formidable puissance des batteries flottantes, ce but ne peut être atteint que par l'établissement du fort projeté.

« La Chambre s'est d'ailleurs prononcée sur ce point de la manière la plus explicite en ajournant le 2 juin 1855 les travaux du camp retranché et en votant à l'unanimité, sauf trois abstentions, le crédit demandé pour la défense de l'Escaut.

« Quant à la position des habitants de Calloo et des propriétaires des polders, elle sera améliorée bien loin d'être aggravée en cas de guerre. Il faut bien remarquer, en effet, qu'il ne s'agit pas de fortifier un point nouveau ; le fort qui existe à Calloo est exposé aux tentatives de l'ennemi, en raison même de sa faiblesse, tandis que si on le remplace par un ouvrage respectable, les chances d'attaque diminueront nécessairement.

« En vous renvoyant les deux pétitions ci-annexées, je vous prie, M. le président, de vouloir bien agréer l'assurance de mes sentiments de haute considération.

• Le ministre de la guerre, « Ed. Berten. »

II résulte clairement de cette pièce, messieurs, que si l'on a attaqué la mesure comme illégale, on s'est gravement trompé, attendu que c'est en vertu d'un vote formel de la Chambre que le gouvernement a appliqué à la défense des rives de l'Escaut la partie du crédit détachée de celui de 9 millions demandé d'abord par le département de la guerre. Qu'a fait la Chambre ? En repoussant les dépenses relatives aux fortifications d'Anvers, elle a spécialement affecté un crédit spécial aux travaux défensifs des rives de l'Escaut.

Ce que le gouvernement a fait, c'était son devoir ; il n'a fait que suivre la marche qui lui avait été indiquée par son prédécesseur, il n'a fait que se soumettre aux prescriptions de la loi. Si de ce chef, il y a eu accusation d'illégalité, je crois qu'on a eu parfaitement tort de se livrer à cette accusation.

Quant aux travaux, les expropriations se font, l'adjudication a eu lieu. Mais jusqu'ici on n'a pas encore commencé les travaux.

M. Van Overloop. - Je dois d'abord dire de nouveau, quoique j'aie déjà interrompu l'honorable membre, je dois relever ce qu'a dit l'honorable M. Thiéfry.

Il m'a imputé d'avoir voulu attaquer M. le ministre de la guerre actuel. Telle n'a pas été mon intention. J'ai attaqué le département de la guerre, je ne m'occupe jamais des personnes. S'il m'échappe par hasard de nommer une personne, c'est malgré moi. J'attaque l'acte de l'autorité, mais non les personnes.

Les explications que vient de donner M. le ministre de la guerre ad intérim ne me semblent pas du tout satisfaisantes.

D'abord M. le ministre de la guerre ad intérim a dit que c'était à tort que j'avais taxé d'illégalité la mesure prise par M. le ministre de la guerre en exercice. Je demande à M. le ministre de la guerre ad intérim, si oui, ou non, lorsque des fonds ont été votés, on peut commencer par en dépenser le double. Or, à l'heure qu'il est, les travaux à faire au fort Ste-Marie excèdent déjà les sommes accordées pour le relèvement du fort Philippe, pour la construction de batteries nouvelles sur l'Escaut et pour l'augmentation de la force défensive des forts Lillo et Sainte-Marie.

Mais je remercie M. le ministre de la guerre des explications qu'il vient de donner en ce sens, qu'il tombe en pleine contradiction avec lui-même.

(page 770) Aujourd'hui on reconnaît que les fonds n'ont été accordés en 1855 que pour augmenter la valeur défensive des forts Lillo et Ste-Marie, et dans les explications qui viennent d'être données, on reconnaît que le fort Ste-Marie n'est pas convenable tel qu'il est, et que, au lieu d'augmenter sa valeur, il faut le remplacer par une véritable forteresse qui occupera un terrain de 30 à 40 hectares.

L'honorable M Thiéfry a fait dire à la pétition de l'administration communale de Calloo, des choses qu'elle ne dit pas.

Non, l'administration communale de Calloo ne demande pas qu'on affecte à Anvers les fonds qu'on veut employer au fort Ste-Marie. Voici ce que dit la pétition :

« Le 27 avril 1855, le département de la guerre vous a demandé un crédit extraordinaire de 9,400,000 francs.

« La haute importance du système adopté pour la défense d'Anvers et des rives de l'Escaut nous impose, disait l'exposé des motifs, le devoir de compléter les travaux commencés par le cabinet précédent…

« Mettre les ouvrages du camp retranché en rapport avec l'importance de leur destination, ajouter aux défenses de l'Escaut des batteries nouvelles, relever le fort Philippe et augmenter la valeur des forts de Lillo et de Sainte-Marie, armer ces ouvrages nouvellement établis et améliorés... tel est le but du projet de loi. »

Cet exposé fait, que disent les habitants de Calloo ?

« D'après l'exposé des motifs de la loi du 4 juin 1855, les travaux à exécuter sur les rives de l'Escaut formaient un ensemble avec les ouvrages à construire à Anvers. Nous croyons pouvoir déduire de ces faits la conséquence que les travaux projetés à Sainte-Marie ne sont utiles que pour autant que de nouveaux ouvrages soient exécutés à Anvers, et que, dans l'hypothèse contraire, ces travaux sont inutiles. Or, nous disons : « A quoi bon faire de grosses dépenses à Sainte-Marie tant que les Chambres n'auront pas alloué les crédits nécessaires pour exécuter à Anvers les ouvrages avec lesquels les travaux de Sainte-Marie se lient intimement, d'après l'exposé des motifs du gouvernement lui-même ?

« La prudence ne conseille-t-elle pas d'affecter les fonds disponibles aux travaux principaux, - qui d'après le gouvernement doivent se faire à Anvers, - au lieu de les employer à des travaux accessoires à Calloo ? »

Vous voyez, messieurs, que les habitants de Calloo ne demandent pas qu'on emploie à fortifier Anvers, les fonds qui sont destinés au fort Sainte-Marie. Ils disent tout simplement ceci : Si les fortifications d'Anvers et les forts de l'Escaut forment un tout indivisible, il convient de commencer par le principal et non par l'accessoire. Personne en effet, ne conteste que si le gouvernement persiste dans l'idée de faire d'Anvers le boulevard de notre nationalité, il est plus important de défendre Anvers du côté de terre que du côté de la mer. Je n'entre pas dans des détails à ce sujet. Tous les membres me comprendront.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nullement, il faut fortifier le pays de tous les côtés.

M. Van Overloop. - Qu'a fait la section centrale qui a examiné le projet que nous avait présenté le gouvernement en 1855 ? Elle a proposé de supprimer l'article relatif au camp retranché d'Anvers et d'allouer pour la défense des bords de l'Escaut 890 fr. et pour les bâtiments destinés aux parcs de l'artillerie 570,000 fr. Ce qui fait 1,460,000 fr., chiffre que les Chambres ont adopté.

Evidemment les Chambres ont voté les fonds pour les objets indiqués dans l'exposé des motifs du projet de loi, les objets étaient au nombre de quatre et l'on emploie les fonds à un seul objet.

Le département de la guerre a-t-il été autorisé par une loi quelconque à agir comme il le fait ? Evidemment non. S'il avait soumis à la Chambre une demande des crédits nécessaires pour faire les ouvrages que le génie veut exécuter à Calloo, au moins la Chambre aurait pu apprécier. Mais c'est ce que M. le ministre de la guerre n'a pas fait. On met la main à l'œuvre et l'on a déjà excédé les crédits votés.

Qu'arrivera-t-il plus tard ? Quand on se trouvera arrêté, on viendra dire : Il faut de nouveaux fonds, vous avez décrété en principe les travaux ; les fonds qui ont été alloués ne sont pas suffisants ; il faut quelques millions de plus.

Je n'ai pas non plus évalué les travaux à quatre millions. J’ai dit que, d’après ce qu'on m'avait appris, la construction de batteries nouvelles sur l’Escaut, le relèvement du fort Philippe, I augmentation de la valeur défensive des forts de Lillo et de Ste-Marie, atteindront bien le chiffre de 15 millions, l'armement compris. Voilà ce que j'ai dit, mais que je n(affirme pas.

Un seul point est grave, a dit l'honorable M. Thiéfry, c'est l'ensablement de l'Escaut, et l'honorable membre a ses apaisements à cet égard. Je dois dire que je ne suis pas aussi rassuré que lui.

J'ai encore lu ce matin dans le Moniteur des intérêts matériels des articles sur l'ensablement de l'Escaut qui ne sont pas de nature à me faire partager la manière de voir de l'honorable député de Bruxelles.

Quoi qu'il en soit, messieurs, je désire vivement que l'Escaut ne s'ensable pas, mais l’objectton existe. Eh bien, s'il était vrai que l'Escaut s ensablât, les constructions que l'on fait à Ste-Marie seraient parfaitement inutiles et je crois que déjà à l'heure qu'il est, il est impossible de s'avancer vers Anvers avec des vaisseaux de guerre.

Il y a trois ou quatre mois, à mi-marée un navire américain s'est envasé dans l'Escaut et il a fallu jeter une partie de la cargaison par-dessus bord pour le dégager.

On dit, messieurs, dans les explications du département de la guerre, que la construction du nouveau fort Ste-Marie donnera une sécurité plus grande aux habitants de Calloo que le maintien de l'état de choses actuel. Je vous avoue que la portée de mon esprit ne va pas jusqu'à me permettre de comprendre cette observation.

Ce qui est vrai, c'est que les habitants de Calloo seraient les premières victimes du projet qu'on déclare si avantageux pour eux : ils se trouveraient entre deux feux, le feu de la citadelle qu'on se propose de construire et le feu de l'ennemi qui viendrait l'attaquer. C'est donc une véritable dérision que de venir prétendre que les travaux dont il s'agit amélioreraient la position des habitants de Calloo.

Rencontrant une dernière observation de l'honorable M. Thiéfry, que disent encore les habitants de Calloo ?

Ils disent, et j'appelle sur ce point l'attention sérieuse de la Chambre, ils disent ; « Nous n'entendons pas nous opposer à l'exécution des travaux, si la Chambre trouve qu'ils sont nécessaires ; mais nous demandons que si l'on nous impose des sacrifices dans l'intérêt de tous, on fasse respecter les règles de la justice, c'est-à-dire qu'on fasse en sorte que nous obtenions une compensation de ces sacrifices.

J'espère que M. le ministre de la guerre ad intérim pèsera les observations des habitants de Calloo, et la Chambre décidera si elle consent à voir le département de la guerre faire des dépenses qu'elle n'a pas autorisées. (Interruption.)

Le principe a été décrété, je ne l'ai pas contesté ; j'ai commencé par dire qu'aux termes de la Constitution aucune dépense ne peut être faite qu'en vertu d'une loi ; mais j'ai ajouté qu'aux termes de cette même Constitution, aucune dépense ne peut être excédée sans autorisation.

Eh bien, je dis qu'a l'heure qu'il est la dépense est déjà excédée pour le fort Ste-Marie ; c'est ce que la Chambre ne peut pas tolérer.

Je ne puis pas admettre que quand on alloue à un ministère quelconque un million ou deux millions, ce ministère, sans aucun souci des attributions de la Chambre, dépense quatre ou cinq millions. Ce n'es tpas pour cela que nous sommes les gardiens du trésor public.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) (chargé par intérim du département de la guerre). - D'abord, messieurs, il ne s'agit pas d'une dépense de 4 ou 5 millions. Je ne sais pas où l'honorable député de St Nicolas a pu puiser ces chiffres. Le gouvernement reste dans la limite des crédits alloués pour la défense des rives de l'Escaut. Le gouvernement avait le droit de concentrer les dépenses sur un point au lieu de les éparpiller sur plusieurs, et il sera démontré à la Chambre que le gouvernement a employé les fonds de la manière la plus utile et la plus efficace.

M. Coomans. - Il ne peut pas aller au-delà des crédits.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Qui vous dit qu'il ira au-delà ?

Le gouvernement est parfaitement dans son droit et il remplit un devoir rigoureux en fortifiant le point qui est désigné comme le point principal.

Des commissions ont été consultées sur les travaux dont la section centrale de la Chambre avait approuvé en principe la nécessité.

Je dis qu'il ne serait pas au pouvoir de la Chambre de lier les bras au gouvernement alors qu'il n'agit qu’en vertu d'une loi spéciale votée à l'unanimité par cette Chambre, sauf trois abstentions.

Voilà, messieurs, quelle est la position. Si maintenant on veut reprendre la discussion, je demande que les pièces soient déposées sur le bureau et qu'on rattache la question à l'article du budget de la guerre qui concerne les travaux du génie.

La Chambre reconnaîtra la droiture des intentions du gouvernement dans l'exécution des mesures qui ont été prises. Elle reconnaîtra que le gouvernement n'a pas excédé son droit, et surtout il sera établi que le gouvernement n'a pas excédé et n'excédera pas l'allocation qui a été fixée par la loi.

M. Coomans. - Je trouve naturel d'ajourner ce débat jusqu'à la discussion du budget de la guerre, mais d'ici là j'ai quelques remarques à faire comme membre et comme rapporteur des sections centrales de 1855 et de 1856. On se trompe quand on affirme que la section centrale de 1855 a autorisé le gouvernement à faire tous les travaux qui s'exécutent aujourd'hui ; ces travaux ne lui ont pas été soumis, aucun plan ne nous a été proposé ; l'honorable général Goblet qui était le plus perspicace et le plus compétent des membres de cette section centrale, me fait signe que lui non plus n'a eu à se prononcer sur des plans déterminés. Du reste, les plans qui existaient en 1855 ont été fort modifiés depuis : la prétendue approbation de la section centrale n'est donc pas un argument valable. La vérité est que nous avons voté un crédit global de 890,000 fr. pour compléter les travaux militaires sur les rives de l'Escaut et que le gouvernement n'a pas le droit de dépasser ce chiffre ni de prendre des engagements qui le dépassent et nous oblige ainsi à voter tardivement de nouveaux crédits. (Interruption.)

L'honorable ministre me dit que le chiffre ne sera pas dépassé. (page 771) Fort bien, je prends acte de sa déclaration, me réservant d'y revenir en temps et lieu si les faits venaient la démentir. Il y a du reste un moyen bien simple de déterminer toutes les convictions, ce serait de déposer sur le bureau de la Chambre tous les plans, devis et autres pièces concernant les travaux militaires sur l'Escaut. J'ajourne le surplus des observations que j'avais à présenter.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous pourrons reprendre cette discussion, lorsque nous arriverons à l'article « matériel du génie ».

M. H. de Brouckere. - Messieurs, il me semble impossible de prendre une autre décision que le dépôt de la pétitison ur le bureau. La commission propose le renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre, avec demande d'explications. M. le ministre de l'intérieur vient de donner les explications qu'il est à même de fournir dans ce moment. Il n'y a donc plus aucune décision à prendre sur la pétition, sinon d'ordonner qu'elle restera déposée sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre, pour le cas où un membre voudrait faire de nouvelles observations.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Messieurs, je crois devoir donner quelques explications relativement à un passage de l'une des pétitions dans lequel il est question de l'envasement d'une des passes de l'Escaut. On a cité ce qu'a dit à cet égard M. Van Alstein, un des pétitionnaires, dans le chapitre de son mémoire qu'il intitule : « Le barrage à Bath entraîne nécessairement la fermeture matérielle de l'Escaut ». C'est là une assertion qui certainement justifierait de grandes alarmes de la part de tout le monde, si elle était exacte ; heureusement, il n'en est pas ainsi.

M. Van Alstein avance qu'en 1803 il fut constaté par un procès-verbal existant encore aujourd'hui dans les archives que le chenal de navigation de l'Escaut en aval et en amont de Bath avait la profondeur de 21 mètres à mer basse.

D'après lui, en 1857, la profondeur n'était plus que de 4 mètres à mer basse. Différence de profondeur : 17 mètres en 44 ans ou près de 0m 40 par an.

M. Van Alstein n'indique pas les archives dans lesquelles il serait possible de retrouver le procès-verbal auquel il fait allusion.

On peut, sans trop s'aventurer, prétendre ou que ce procès-verbal n'existe pas ou qu'il contient tout autre chose que ce qu'annonce M. Van Alstein.

Le savant ingénieur Beautemps-Beauprez, mort il y a quelques années après avoir accompli des travaux nombreux auxquels on assigne une haute valeur, a levé en thermidor et fructidor an VII et en vendémiaire et brumaire an VIII (août à novembre 1799), tout l'Escaut occidental depuis Anvers jusqu'à l'embouchure.

La carte en trois feuilles qui comprend le cours du fleuve, porte le n* 8/3 de l'hydrographie française. Elle se trouve dans tous les dépôts de cartes marines.

Si l'on consulte cette carte, où tes profondeurs sont indiquées en pieds français (valant 0 m 3248), on trouve que depuis le petit banc de Valkenisse jusqu'à Bath, c'est-à-dire en aval de Bath, les profondeurs maxima sont : 49, 50, 60, 44, 46, 43, 36, 49 et 48 pieds.

Moyenne : 48 pieds ou 15 m 50.

En amont de Bath, jusque passé le banc de Saftingen, 'a profondeur varie entre 47, 28, 34, 39, 53, 60, 46, 63 et 59 pieds.

Soit environ 17 mètres en moyenne.

En 1830, les profondeurs en aval de Bath étaient, près du fort, de 2 m 02 ; plus bas, 15 m 03.

En amont jusqu'au banc de Saftingen, appelé communément le Ballastplaet, 17, 11, 16, 10 et 11,09 mètres.

En 1858, les profondeurs en aval de Bath étaient, près du fort, de 20 m 02 ; plus bas, 15 m 03.

Avec cette différence toutefois que la largeur de la passe, en aval de Bath, avait considérablement diminué, mais que la profondeur s'était accrue.

En amont de Bath, la profondeur varie comme suit : 17 m 16, 13 m 09, 14 m 04, 15 m, 15 m 08, 13 m., 10 m 09, 12 m 04 ; moyenne, 13 m 68.

Ce ne peut être par conséquent dans aucune de ces passes que l'on a pu trouver, en 1803, 21 mètres (M. Van Alstein dit partout), attendu qu'en 1799 la profondeur moyenne de mer basse était comme aujourd'hui de 15 mètres.

Il est à supposer que M. Van Alstein a voulu faire allusion à l'envasement de la passe qui s'étend du banc de Saftingen (Ballastplaet) au banc du Doel.

C'est le point de l'Escaut qui a le plus varié depuis quelques années.

La profondeur a diminué, il est vrai, mais dans une proportion de beaucoup inférieure aux assertions de M. Van Alstein. La carte de Beautemps-Beauprez indique dans cette passe : 19, 23, 28, 19, 21, 19, 18, 20, 22, 27, 20, 27, 31, 40 pieds, mais rien au-delà.

On peut dire que la profondeur moyenne, d'après la carte, ne dépasse pas 24 pieds, soit 8 mètres,

En 1830, cette profondeur était encore supérieure à 8 mètres.

En 1858, une partie de la passe a acquis une profondeur de 15, 14, 16 et 12 mètres.

Mais par contre, une oblitération s'est manifestée dans le chenal qui avoisine la rive droite de l'Escaut.

Là les profondeurs ne sont plus que de 7 et 6 mètres au-dessous de mer basse.

La différence que l'on a constatée depuis 1799 jusqu'à ce jour n'accuse donc qu'un déplacement de la passe plutôt qu'un envasement dont les conséquences menaceraient les communications par eau d'Anvers à la mer.

Je ne veux pas dire qu'il faille s'endormir dans une fausse sécurité. Depuis trois ans et plus, le pilotage n'a cessé d'appeler sur ce point l'attention très sérieuse du gouvernement, mais on comprendra sans peine l'exagération de M. Van Alstein.

A moins de supposer qu'il n'ait confondu de bonne foi la cote des sondages exprimés en pieds de France (valant 0 m 3248) avec les mètres employés dans les sondages pus récents, on doit reconnaître qu'il avancé des faits matériellement inexacts.

M. Van Alstein ajoute qu'en 1857, une dépêche du ministre des affaires étrangères, donna aux pilotes défense expresse de conduire à Anvers tout navire dont l'immersion dépasserait 4 m 01.

Je commencerai par déclarer qu'à aucune époque, aucun ministre ne s'est immiscé dans l'exercice des fonctions pratiques des pilotes.

Des sondages sont faits à des époques périodiques. Les résultats en sont communiqués au personnel et c'est d'après cette vérification minutieuse que les pilotes apprécient à quelle heure de la marée ils peuvent franchir les passes les moins profondes.

Aucun ordre de ce genre ou toute recommandation ayant le moindre rapport au fait que signale M. Van Alstein n'a jamais été communiquée au personnel.

Ce que dit M. Van Alstein est du reste démenti chaque jour par les faits.

Ainsi, malgré la prétendue circulaire de 1857, qui défendrait de piloter des navires d'un tirant d'eau supérieur à 4 m 01, voici, au hasard, le tirant d'eau de quelques navires pilotés de la mer à Anvers, pendant l'année 1858 (Cette énumération n’est pas reprise dans la présente version numérisée).

Voilà, messieurs, les renseignements que j'avais à cœur de communiquer à la Chambre sur la situation du cours de l'Escaut, la Chambre reconnaîtra qu'ils ne sont pas de nature à justifier les inquiétudes qui avaient été répandues dans le public sur l'avenir du fleuve.

M. Janssens. - M. le ministre a déclaré que les allocations votées ne seraient pas dépassées, je demande qu'il veuille bien déposer sur le bureau les pièces constatant les sommes engagées dans les travaux dont il s'agit. Je demande qu'il nous fasse connaître les dépenses faites pour achat et expropriation de terrain, ainsi que le montant de l'adjudication qui a eu lieu.

- Le dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre est ordonné.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le 7 mars 1859, un grand nombre de propriétaires de hameaux et bateliers, naviguant sur le canal de Charleroi, prient la Chambre de s'occuper le plus tôt possible, et en tout cas avant la fin de la session, de la réduction des péages du canal de Charleroi.

Messieurs, dans une séance précédente la Chambre a décidé que le rapport sur cette première pétition serait réuni au rapport sur deux autres pétitions qui ne sont pas au feuilleton qui a été distribué.

Ces pétitions sont les suivantes :

Les négociants en charbons à Molenbeek prient les Chambres da discuter le plus tôt possible les propositions faites par la commission spéciale, à l'égard du canal de Charleroi.

Les sieurs Warocqué de la Roche et autres membres du comité houiller du bassin du centre du Hainaut, prient la Chambre de statuer prochainement sur la proposition de loi relative aux péages du canal de Charleroi à Bruxelles.

Messieurs, les pétitionnaires n'entrent pas dans le fond de la question, ils se bornent à attirer l'attention de la Chambre sur cet objet et à demander, comme l'analyse l'indique, que la discussion ait lieu dans le courant de la session actuelle et qu'une décision définitive soit prise.

(page 772) La Chambre n'attend pas de moi que comme rapporteur j'entre dans le fond d'une question qui n'est pas traitée par les pétitionnaires et sur laquelle une longue discussion a déjà eu lieu dans le sein de cette assemblée. La commission s'est bornée à proposer le renvoi de ces pétitions à M. le ministre des finances.

M. J. Jouret. - Je viens appuyer les conclusions de la commission et j'appuierai toute autre proposition qui pourra être faite si elle tend à accélérer la solution des questions dont il s'agit en ce moment.

Messieurs, la nécessité de décréter sans nouveaux retards l'abaissement des péages sur le canal de Charleroi, n'est plus niée par personne.

On sait que le batelage est dans un grand état de souffrance ; cela est dû à deux causes principales : la concurrence des chemins de fer et l'insuffisance d'eau dans le canal.

L’insuffisance d'eau est due à des causes générales et permanentes, auxquelles il est possible de remédier, et à des causes accidentelles, par exemple aux années de sécheresse comme celle que nous venons de traverser.

La pénurie d'eau force les bateliers à stationner dans le canal et à mettre à leur voyage de Charleroi à Bruxelles un temps double, triple quadruple de celui qu'ils mettent dans les circonstances normales. Cela doit affecter d'une manière très sensible le salaire qu'ils gagnent. Le temps qu'ils mettent à faire les transports étant le seul élément variable dans les conditions du fret, le salaire doit, on le comprend, être très minime.

Il y a quelques jours le prix du fret par tonne était de fr. 3 40, aujourd'hui il est de fr. 3,30 seulement.

Des calculs positifs réduisent le bénéfice du batelier à 28 fr. 29 cent, par voyage de Charleroi à Bruxelles ; là-dessus le batelier a à prélever le salaire du conducteur et les frais généraux : entretien du bateau et des agrès, payement de la patente et l'intérêt du capital employé.

On comprend que son salaire est presque nul. Que fait le batelier qui doit entretenir sa famille ? Il est obligé de suppléer à l'insuffisance de salaire par des emprunts sur ce qui constitue son capital, son bateau.

Cette situation dure depuis longtemps, quelquefois elle s'améliore un peu, mais c'est pour s'aggraver ensuite.

Il est donc certain et il est inutile de le répéter, que la ruine des bateliers est imminente. Quant à la concurrence que les chemins de fer font à la navigation du canal de Charleroi, je crois que personne ne la conteste. Les tarifs des chemins de fer de l'Etat ne sont, notamment pour le charbon, que des tarifs nominaux, et à chaque instant on les fait fléchir dans le but d'accaparer les transports.

Ainsi les établissements métallurgiques de Charleroi prennent les charbons au Centre à des prix inférieurs au tarif réglementaire ; on ne leur impose que d'expédier une quantité minimum et de faire les transports dans un temps donné ; il n'y a là rien d'onéreux pour des établissements qui marchent d'une manière régulière et non interrompue ; ils ne sont nullement gênés par ces contrats qu'il leur est très facile de conclure et d'exécuter.

Il en est de même pour les matières premières dont le Centre a besoin ; les hauts fourneaux ont besoin de minerais, de castines ou déchets de pierre calcaire ; les laminoirs ont besoin de fonds venant de Charleroi, ces objets sont transportés à des tarifs de faveur. Vous comprenez que je ne fais pas difficulté de reconnaître que ces mesures ont un bon côté, et que, sous ce rapport je n'aurai pas à me plaindre de cette pratique ; je n'examine ces faits qu'à un point de vue, au point de vue de l’état désastreux dans lequel se trouve le batelage sur le canal de Charleroi.

Ce n'est pas seulement le chemin de fer de l'Etat qui se livre à ces opérations ; les chemins de fer concédés le font davantage encore ; ils le font tantôt ouvertement comme le chemin de fer de l'Etat, tantôt indirectement en accordant des remises qui conduisent absolument au même résultat. Les chemins de fer concédés le font avec d'autant moins d'inconvénients qu'ils jouissent d'un minimum d'intérêt, de sorte que, quelle que soit l'étendue des traités, ils sont à l'abri de tout préjudice, parce que le minimum d'intérêt qui leur est garanti est là pour pourvoir à l'insuffisance des revenus.

Cela suffit, me semble-t-il, pour faire voir que la concurrence entre des canaux et le chemin de fer ne se fait pas dans des conditions de loyauté nécessaires. Et, il cet certain, le fait a été allégué à plusieurs reprises dans cette enceinte, que, par cela même, elle est devenue absolument impossible, si les péages sur les canaux ne sont réduits à leur plus simple expression.

Mon honorable ami M. Sabatier, dans plusieurs occasions, au sein de cette Chambre comme au sein de la commission des péages dont il faisait partie avec moi, a posé des chiffres que l'on a vainement tenté de détruire. Ces chiffres sont restés victorieusement établis et personne désormais ne peut les contester.

Messieurs, cette situation désastreuse pour les canaux avait également préoccupé, il y a quelques années, le gouvernement français, et c'est à la suite de ces préoccupations qu'un dégrèvement très considérable a été opéré sur les canaux français. On a même été jusqu'à agiter la question de savoir s'il ne serait pas convenable d'abolir complétement les péages sur les canaux ? On considérait cette abolition complète comme le seul et unique moyen de maintenir l'équilibre entre les voies navigables et les chemins de fer. Cette question était excessivement grave, et c'est à raison de cette gravité, qu'elle est restée sans solution. Cette circonstance doit encore être attribuée à ce que la question touchait à des intérêts très graves, non seulement pour le gouvernement, mais aussi pour des particuliers qui auraient eu beaucoup à souffrir de l'abolition complète des péages.

Messieurs, ces observations préliminaires m'amènent à ce qu'il y a d'essentiel dans la question dont s'occupe le rapport que vient de vous faire l'honorable M. Vander Donckt, c'est que depuis le vote de la commission des péages, les marchés de charbon, non pas les marchés journaliers, mais les marchés de quelque importance, les marchés d'approvisionnement sont complétement suspendus. Toutes les usines vivent au jour le jour, et vous comprenez qu'il doit en être ainsi, parce qu'elles comptent pouvoir profiter, dans un temps très rapproché, du dégrèvement que font espérer les propositions de la commission des péages.

M. le ministre des travaux publics (M. Partoes). - La commission n'a pas fixé de temps.

M. J. Jouret. - Non, mais il n'en est pas moins vrai que les propositions de la commission des péages qui sont connues du public intéressés ont exercé sur les transactions ce résultat que je vous signale ; et remarquez que cela n'est pas sans un grand danger.

L'industriel nécessairement, en vivant ainsi au jour le jour, s'expose à manquer de combustible et à devoir, en cas d'événement imprévu, faire chômer sa fabrique. Or, si cela venait à se produire, il en résulterait le renvoi des ouvriers et la suspension de tout salaire. Je dis que dans la situation actuelle, ce serait un grand malheur et j'ajouterai : peut-être un grand danger.

Il est donc sage peur le gouvernement, en présence de ce ralentissement de l'activité industrielle, d'apporter un peu de hâte dans les remèdes qui doivent empêcher que des prétextes de chômage ne puissent, dans un cas donné, être mis en avant.

Je crois, messieurs, qu'il y a peu de chose à objecter à ces considérations.

Cependant je m'attends à ce que la principale objection que me feront M. le ministre des finances et M. le ministre des travaux publics sera celle-ci. C'est qu'il importe avant tout de maintenir l'équilibre entre les recettes et les dépenses du budget de 1859. A cette objection que l'on ne manquera pas de nous faire, je me permets de répondre deux choses.

D'abord, si mes souvenirs sont exacts, lorsqu'une première fois, il a été question de la réduction des péages dans cette enceinte (c'était à propos de la discussion du budget des voies et moyens pour 1858), j'ai demandé s'il ne serait pas prudent de prévoir le cas d'un abaissement des péages en réduisant au budget l'article comprenant les produits des péages sur les canaux et rivières.

Je crois que c'est M. le ministre des finances qui, à cette époque, m'a fait observer que cette proposition était assez inopportune. Elle était inopportune, il est vrai, au point de vue du gouvernement. Car dès ce moment M. le ministre des finances tenait à montrer qu'il ne voulait pas prendre une position d'où l'on aurait pu inférer qu'il se montrerait favorable à une réduction des péages ; au contraire, il éloignait autant que possible cette supposition ; c'est au moins l'impression qui m'est restée à cet égard. J'ai tout lieu de croire que les dispositions de M. le ministre des finances sont autres, aujourd'hui.

Quant à l'équilibre du budget, vous savez tous que dans une discussion qui a eu lieu il n'y pas très longtemps, dans la discussion du projet de loi relatif aux grands travaux à exécuter à Anvers, on nous a annoncé à différentes reprises que nous pouvions disposer, sur l'excédant de nos budgets, d'une somme de 4 à 5 millions par an. Il n'y a donc aucune espèce de crainte à avoir qu'il soit porté atteinte à l'équilibre du budget, car ce n'est que d'une faible partie de cet excédant que nous demandons momentanément le sacrifice.

Je dis momentanément, car je conserve ma conviction à cet égard. Je l'ai déjà exprimée au sein de la Chambre ; je l'ai exprimée au sein de la commission, et je la garde tout entière Le dégrèvement des péages amènera nécessairement une diminution dans les prix, la diminution dans les prix amènera une augmentation de la consommation ; l'augmentation de la consommation amènera une augmentation de trafic, et nous en viendrons successivement à une augmentation de produits qui fera, je l'espère, atteindre très rapidement le produit actuel sur les canaux et les rivières du pays, et notamment sur notre canal de Charleroi.

Au reste, messieurs, la réduction pourrait être décrétée immédiatement ; et si l'on craint de porter atteinte à l'équilibre du budget de 1859, que le gouvernement fixe le moment de la mise à exécution au 1er janvier 1860. De cette manière tous les intérêts seront conciliés.

Messieurs, veuillez-le remarquer, le temps presse ; la session sera très courte, cette mesure, si le gouvernement veut s'y montrer favorable, ne nécessitera point un grand travail, et il ne me paraît pas qu'il y ait, dans le travail que cette affaire pourra occasionner, une raison pour ne pas la décréter immédiatement.

La Chambre est saisie d'une proposition de loi. Cette proposition, il est vrai, est spécialement relative au péage différentiel dont se plaint le Centre. Mais il nous est arrivé un grand nombre de pétitions qui demandent des dégrèvements plus considérables. Ces pétitions ont été renvoyées (page 773) à la section centrale, qui a été priée de les examiner simultanément avec la proposition de loi spéciale que nous avons déposée.

La section centrale est donc à même de faire un travail d'ensemble, et si le gouvernement se ralliait à cette idée, il me semble qu'il pourrait amener une solution très prompte en remettant à la section centrale avec son avis, tous les renseignements qui lui permettraient de saisir la Chambre d’une proposition complète.

M. Muller. - Et nous ?

M. J. Jouret. - L'honorable M. Muller me dit : Et nous ? j'arrive précisément à cette partie de mes observations. La commission des péages a également proposé un certain dégrèvement, qu'elle a jugé équitable, sur le canal de jonction de la Meuse à l'Escaut.

Si le gouvernement voulait remettre immédiatement son avis à la section centrale, il ne serait pas bien difficile à celle-ci de prendre une décision qui porterait également sur les péages du canal de jonction de la Meuse à l'Escaut.

Si cependant le gouvernement entend prendre l'initiative d'une proposition autre que la nôtre, nous y donnerons volontiers les mains, pourvu que nous arrivions au résultat que nous désirons. Nous accueillerons avec bonheur la proposition qui nous sera faite, pourvu qu'elle nous soit présentée dans cette session et qu'elle soit de nature à satisfaire les intérêts en souffrance.

Messieurs, je le dirai en terminant, parce qu'il faut être juste avant tout, et je suis toujours heureux de pouvoir l'être envers mes amis, après que la commission des pétitions a, dans son travail, abouti à des propositions qui donnent complétement raison aux intentions bienveillantes, injustement révoquées en doute, il faut en convenir, dont le gouvernement était animé en l’instituant, on ne concevrait pas qu’il ne se hâtât pas de revendiquer légitimement pour lui la popularité d'une mesure qu'il sait être chaleureusement réclamée par tout le monde. Par le grand nombre de consommateurs de la capitale et des deux Flandres, qui doivent en profiter, par toute cette population de bateliers qui en attend une amélioration considérable, que réclame impérieusement sa malheureuse position, par les extracteurs dont la production, chose heureuse pour le pays, doit nécessairement augmenter, par vous, messieurs, les auteurs du projet de loi pendant devant la Chambre, par les membres de la commission, instituée par le gouvernement, dont les propositions indiquent assez les sentiments à cet égard, et je crois ne pas présumer de l’opinion de la Chambre en disant par la très grande majorité de ses membres.

J'espère donc que le gouvernement dans sa sollicitude pour les intérêts importants qui sont en jeu, et se conformant aux paroles généreuses et sympathiques prononcées par M. le ministre des travaux publics dans la séance de mardi, voudra bien, le plus tôt possible et de manière à pouvoir aboutir avant la fin de cette ses ion, mettre la section centrale à même de faire à la Chambre des propositions qui lui permettront de donner à ces graves intérêts prompte et efficace satisfaction.

M. Gobletµ. - Messieurs, je ne veux pas aborder le fond de la question, mais je demande l'exécution d'une promesse qu'on nous a faite il y a quelques jours.

M. le ministre des travaux publics nous a dit qu'il donnerait son opinion sur a possibilité de présenter un projet de loi dans un bref délai. J'attendrai les explications de M. le ministre des travaux publics avant de faire des observations.

M. le ministre des travaux publics (M. Partoes). - Messieurs, dans la séance de mardi je n'ai pas promis de fixer le jour auquel je pourrais présenter un projet de loi ; j'ai dit que, ne connaissant pas le rapport de la commission, je ne pouvais pas déterminer à quel travail ce rapport pouvait m'entraîner.

Ce rapport m'est arrivé mardi soir avec les pièces annexées. A l'heure qu'il est, je n'ai pas eu le temps matériel de tout lire. La question, messieurs, est excessivement grave. Indépendamment de l'examen personnel auquel je dois me livrer, le rapport de la commission, l'ensemble de la question doit être soumis à une triple enquête. C'est d'abord une question mixte, une question qui regarde à la fois le département des finances et le département des travaux publics.

Il faut donc que le département des finances examine. Au département des travaux publics, la question doit être soumise en même temps à l'administration des ponts et chaussées et à l'administration du chemin de fer.

Il y a en effet dans cette affaire un élément très important que la commission n'a pas touché, c'est le point de savoir quelle peut être l'influence d'une réduction de péages sur les recettes du chemin de fer.

Il est évident que je ne puis apporter une solution à la Chambre sans avoir déterminé au moins, dans les limites du possible, quel peut être le résultat, sur les recettes du chemin de fer, des réductions qu'on opérerait sur les péages des canaux.

Je dis donc que l'affaire doit être soumise à une triple investigation, à faire en même temps par le département des finances et par le département des travaux publics.

Il m'est impossible de déterminer quand cette triple investigation prendra fin.

Toutefois, je le déclare avec empressement, s'il y a moyen d'aboutir dans le courant de la session, je serai heureux de pouvoir apporter un projet de loi à la Chambre.

Quant au principe, je le déclare encore une fois, nous sommes d'accord.

Il s'agit de réduire, sauf à déterminer la quotité, non seulement pour le canal de Charleroi, mais également, dans mon opinion, pour les canaux de la Campine.

Voilà comment la question se présente.

Je ferai tout ce qui est possible pour apporter un projet de loi dans le cours de cette session.

Dans le cas contraire, je ferai connaître à la Chambre les obstacles matériels qui se seraient opposés, d'après moi, à une solution aussi prompte. Toutefois j'espère que j'aboutirai.

M. Faignart. - Je n'entrerai dans aucun détail, parce que le moment ne me semble pas opportun pour examiner la question. Mais je viens confirmer les explications qu'a données l'honorable M. Jouret et me joindre à lui pour demander que le gouvernement examine, aussitôt qu'i le pourra et surtout dans cette session, la question de réduction des péages sur les différents canaux.

Messieurs, comme vous l'a dit mon honorable collègue, la position est excessivement tendue. D'abord il y a un nombre considérable de bateliers qui, à l'heure qu'il est, au taux où est le fret, ne peuvent plus vivre. Je puis vous donner communication d'un compte simulé que j'ai devant moi et qui vous prouvera à l'évidence qu'il est urgent que le gouvernement et la Chambre se prononcent sur la question qui nous occupe.

Voici, messieurs, un compte simulé d'un bateau naviguant sur le canal de Charleroi, de la capacité de 66 tonneaux, pour effectuer un voyage à Charleroi, à vide, et retour à charge à Bruxelles.

Droits de navigation sur le canal de Charleroi, 66 tonnes à fr. 2 : fr. 132

Halage, 15 étapes à 3-45 : fr. 54 75

Salaire du batelier, 20 jours de navigation à 2 : fr. 40.

Ensemble : fr. 223 75

Fret de 66 tonneaux à 3-30 : fr. 217 80.

Déficit : fr. 5 95.

L'amortissement, l'entretien des bateaux, les agrès et cordages doivent nécessairement entraîner la ruine du patron, dans un court espace de temps.

Et cela, bien entendu lorsque le batelier fait un voyage tous les vingt jours, mais il n'en est pas ainsi parce qu'il est impossible au batelier d'avoir des frets immédiatement après le retour, ils doivent souvent attendre dix jours, de sorte qu'ils ont quarante francs pour vivre pendant un mois environ avec leur famille. Cet état de choses ne peut durer plus longtemps ; il est du devoir du gouvernement d'y porter un prompt remède.

Maintenant l'honorable ministre nous a dit tout à l'heure qu'il ferait tous ses efforts pour que la question puisse être résolue dans la présente session, Je l'engage à faire à cet effet de grands efforts, car la chose est excessivement importante, non seulement vous avez des familles d'ouvriers qui seront dans la détresse, mais si la position actuelle continue vous aurez aussi dans les centres producteurs des ouvriers auxquels on ne pourra plus donner du travail.

A l'heure qu'il est, les rivages sont encombrés de charbons qu'on ne transporte pas parce que le commerce attend un dégrèvement et qu'avant de faire des approvisionnements il veut connaître la décision qui sera prise. J'insiste donc de toutes mes forces pour engager le gouvernement à donner à la question une solution aussi prompte que possible.

M. Vermeire. - Comme l'a dit l'honorable ministre des travaux publics, la question des péages est très compliquée ; il y a en jeu des intérêts divers, l'intérêt du gouvernement, l'intérêt du trésor, l'intérêt des particuliers, mais il y a aussi l'intérêt des consommateurs, dont on a fort peu parlé jusqu'ici. Les industries qui s'exercent dans les parties du pays où il n'existe pas de gisement houiller ont aussi intérêt à recevoir le combustible, élément nécessaire à leur prospérité, au plus bas prix possible.

Maintenant, messieurs, si par suite d'une concurrence naturelle, et non d'une concurrence artificielle, le batelage re pouvait soutenir la concurrence avec les chemins de fer, je n'hésite pas à dire que le gouvernement ne devrait pas intervenir ; mais tel n'est point le cas.

L'honorable ministre des travaux publics disait tantôt que, pour résoudre la question des péages, elle devait être examinée dans ses divers rapports avec d'autres questions avec lesquelles elle a certaines affinités. Ainsi, il y aurait à examiner, d'abord, si les pertes qu'essuierait le trésor, à la suite d'un abaissement de péages sur les canaux, ne seraient pas trop considérables.

Pour moi, je pense que cette question n'en est pas une ; au contraire, je suis convaincu que le trésor n'aurait qu'à y gagner, puisque les produits des canaux s'obtiennent dans la proportion de 144 fr. pour un franc de dépenses, tandis que le chemin de fer de l'Etat donne à peine 25 fr. de recettes pour 13 fr. de dépenses.

(page 774) Ainsi, chaque tonneau de charbon que le chemin de fer enlève au canal, cause au trésor un préjudice de toute la différence qui existe entre les revenus obtenus par les deux modes d'exploitation.

On a parlé, messieurs, du tarif des chemins de fer. Eh bien, ce tarif est appliqué avec une inégalité criante. Il a été prouvé dans cette Chambre, à différentes reprises, que dans plusieurs circonstances on diminue le péage total à mesure que le parcours s'allonge ; en ce sens que pour certaines stations d'arrivée, on paye de 40 à 50 p. c. de moins que pour des stations intermédiaires par lesquelles les convois doivent passer avant d'arriver à destination.

Je pense, messieurs, que le tarif des chemins de fer aussi bien que le tarif des canaux devrait être appliqué dans des conditions d'égalité parfaites. Une quantité donnée de marchandises transportée à une distance donnée, devrait toujours payer d'après les mêmes bases, quelle que fût la direction à suivre.

J'engage, pour ma part, le gouvernement à présenter le plus tôt possible un projet de loi pour régulariser cette situation anomale ; l'état de choses actuel est intolérable. Il est, d'après moi, souverainement injuste.

M. L. Goblet. - Je crois, messieurs, qu'il est inutile de discuter le fond de la question, comme je viens de vous le dire ; maintenant la pétition demande une solution, mais il faut d'abord la présentation d'un projet de loi.

Cette présentation ne peut émaner que de l'initiative de membres de la Chambre, pour le cas où M. le ministre des travaux publics se refuserait à nous soumettre un projet de loi. Je le répète, messieurs, il est inutile de discuter le fond de la question ; la pétition demande une solution dans le plus bref délai, mais pour arriver à cette solution il faut d'abord la présentation d'un projet de loi. Aujourd'hui nous tenons à savoir, nous qui avons soulevé la question, à quelle époque M. le ministre croit pouvoir faire une réponse, quelle qu'elle soit, aux réclamations qui surgissent de tous côtés.

Je crains qu'on ne veuille traîner l'affaire jusqu'à la fin de la session en venant vous déclarer que la question doit être examinée par le département des finances, par le conseil des ponts et chaussées ; toutes les administrations y passeront ; on nommera peut-être même une nouvelle commission ; et d'ajournement en ajournement, une question qui est déjà beaucoup trop ancienne, s'éloignera de plus en plus d'une solution nécessaire.

Cette solution est cependant bien urgente. Une grave responsabilité pèse sur ceux qui sont chargés de la proposer. Si M. le ministre des travaux publics ne veut pas proposer de réduction, qu'il le déclare...

M. le ministre des travaux publics (M. Partoes). - Je n'ai pas dit que je ne voulais pas proposer de réduction.

M. L. Goblet. - Vous dites : Je suis favorable à la réduction ; mais je ne sais pas encore quand je pourrai la proposer ; je dois étudier la question ; mes collègues doivent l'étudier ; le conseil des ponts et chaussées doit l'étudier. Mais à ce compte, une solution n'arrivera jamais ; voilà dix-huit mois que l'affaire est sur le tapis, et nous attendons toujours en vain.

Pour ma part, je me joindrai avec empressement, s'il le faut, à l'honorai le M. Ch. de Brouckere, pour soumettre à la Chambre une proposition de loi de nature à faire cesser l'incertitude dans laquelle nous sommes demeurés trop longtemps et cela même tout le courant de la session actuelle.

M. le ministre des travaux publics (M. Partoes). - Messieurs, si la Chambre veut que, sans avoir suffisamment examiné la question, le vienne à jour fixe présenter un projet de loi, je le ferai, mais à la condition que la Chambre me déchargera de toute responsabilité ; si, au contraire, je dois présenter un projet de loi sous ma responsabilité, dans ce cas je demande à pouvoir faire une étude préalable de la question.

Mais, dit-on, quand cet examen sera-t-il terminé ?

Je ne suis pas seul à me livrer à cet examen. Pour ma part, j'irai aussi vite que possible. Mais je dois consulter le département des finances, demander l'avis du conseil des ponts et chaussées et de l'administration du chemin de fer ; si cette étude combinée n'est pas faite, comment obtenir des éléments suffisants d'appréciation ?

J'ai dit que j'accélérerai l'examen de la question autant qu'il dépendra de moi ; je répète cette déclaration et cette promesse.

Que veut-on de plus ? Du reste, si je n'ai pas fini mon examen à temps, ceux des membres de la Chambre qui ont déjà usé une première fois de leur droit d'initiative, pourront reprendre leur projet de loi et la Chambre décidera.

Je le répète encore une fois ; je ne demande pas mieux que de finir ; que veut-on de plus ? Nous sommes d'ailleurs d'accord sur le point de départ ; il faut réduire certains péages.

M. Julliot. - Messieurs, les considérations que vient d'émettre l'honorable M. Vermeire, qui est très compétent dans la question, facilitent singulièrement la tâche du ministre.

L'honorable député de Termonde a dit que dans la question du transport des charbons des bassins de Charleroi et du Centre, l'Etat se faisait concurrence à lui-même par son chemin de fer et son canal, qu'un transport d'une quantité de charbon donnée qui ne coûtait par canal à l'Etat qu'un franc, demandait à l'Etat une dépense de 50 francs quand il la transportait par chemin de fer.

Il y a donc évidemment deux moyens de raviver le batelage, ou d'élever le tarif du chemin de fer, ou d'abaisser les frais de péage. Or, comme le premier moyen conserve les ressources au trésor, tandis que le second les amoindrit en produisant tous les deux le même résultat économique pour le public, je me déclare pour le maintien du péage sur le canal et l'élévation du tarif du chemin de fer, afin de faire refluer le charbon vers le batelage, et le résultat désiré sera obtenu.

Messieurs, le bruit que l'on fait autour de ce péage est inouï. On dirait qu'il n'y a en Belgique que le canal de Charleroi, ses bateliers, son péage et les consommateurs de Bruxelles ! Mais qu'on ne s'y trompe pas, il y a d'autres canaux, des bateliers, des péages et des consommateurs, voire même des contribuables dont on pourrait dire aussi quelques mots, et je m'en charge.

Qu'on abaisse le péage du canal de la Campine, où il ne passe pas un bateau par l'élévation du péage, afin d'attirer par un abaissement calculé la navigation sur ce canal, je le conçois ; mais qu'on applique ce motif où il n'existe pas, au canal de Charleroi, alors que l'année dernière on déclarait à la Chambre que ce canal était fréquenté par autant de bateaux qu'il pouvait porter, je ne l'admets nullement. Je n'accepte pas cette charge.

Il faut baisser le péage de ce canal, dit-on, et pourquoi ? Parce que d'abord l'eau manque dans ce canal. Belle raison ! Est-ce que l'abaissement du péage fera venir de l'eau où il n'y en a pas ? Un autre jour, on devra baisser le péage parce que la navigation est gênée par une trop forte crue. Mais c'est trop fort, pour qui nous prend-on ? Ce sont l'un comme l'autre des événements de force majeure dont le gouvernement n'est pas responsable. (Interruption sur plusieurs bancs.)

Oh, oh ! si vous m'interrompez tous à la fois, vous ferez bien voire affaire, je ne saurais dominer tout ce bruit.

Quand nos routes sont encombrées de neige et que nos chariots mettent trois jours à un voyage d’un jour, quand on nous ferme les barrières sur ces routes qui nous interdisent de prendre plus du tiers d'une charge, diminue-t-on nos péages ? Evidemment non, on se moquerait de nous et on aurait raison.

Je répète que vos raisons de baisser les péages ne sont pas fameuses. Vous dites encore qu'il faut pondérer les transports entre le chemin de fer et le canal, et ici quoique l'eau fasse défaut vous en mettez dans votre vin. Car autrefois vous prétendiez qu'il fallait pondérer les profits des divers bassins.

Si donc on peut maintenir la recette actuelle en baissant le péage, je ne m'y oppose pas ; mais si nous devons aboutir à un déficit, si c'est un nouveau coup de filet qu'on nous prépare, je n'ai pas dit mon dernier mot

J'engage donc l'honorable ministre des travaux publics à se hâter lentement, à étudier toutes les questions qui se rattachent à l'économie des canaux et à n'abaisser que prudemment et dans la mesure qui puisse lui conserver sa recette.

M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, l'honorable préopinant déplace complétement la question ; il a saisi un coin des observations présentées par l'honorable orateur qui l'a précédé, pour pouvoir argumenter contre le canal de Charleroi.

Nous ne demandons qu'une chose bien simple ; nous disons, et il ne faut pas un long discours pour cela, que sur toutes les routes pavées de l'Etat, le droit de barrières est un, que sur tous les chemins de fer de l'Etat, le tarif est un ; nous demandons la même chose pour les canaux ; et nous sommes même peu exigeants ; nous ne demandons qu'une demi-justice ; nous consentons à payer la moitié de plus que nos voisins ; mais nous ne voulons pas payer deux ou trois, ou dix fois autant qu'eux.

Avez-vous deux droits de barrière sur les routes pavées de l'Etat ? Non ; avez-vous deux tarifs différents sur les chemins de fer de l'Etat ? Non ; pourquoi y en a-t-il deux sur les canaux ? Pourquoi y en a-t-il deux sur les canaux qui sont dans les mains de l'Etat ; pourquoi est-ce sur le canal qui coûte le moins que la navigation coûte le plus ? Qu'on réponde. Si cet état de choses amène des souffrances intolérables, si une population entière est à la veille d'être réduite à la misère, ne faut-il pas y apporter un remède prompt, efficace, afin de relever cette population avant qu'elle soit éteinte, morte ?

Je conçois que M. le ministre des travaux publics nous dise que la question concerne son département et celui des finances ; mais le débat ne peut pas être long. M. le ministre des finances n'est pas novice, il y a assez longtemps qu'il est membre de la Chambre, et ce n'est pas la première fois qu'il occupe un département ministériel.

Cela concerne mon département, dit M. le ministre des travaux publics, et je dois consulter deux divisions. Si j'avais l'honneur d'être ministre, il ne me faudrait pas longtemps pour réunir les employés de mon département et leur dire ; Vous allez vous occuper sans désemparer de cette affaire.

Cet examen ne peut pas être long, en supposant même qu'on veuille procéder à une enquête minutieuse et faire un travail (page 775) comparatif sur ce que rapportent et le chemin de fer et le canal ; M. le ministre ne s'engagerait pas beaucoup en nous assurant que dans la dernière quinzaine du mois prochain il donnerait une solution à la Chambre.

Nous ne lui demandons pas un projet de loi, nous n'en avons pas le droit ; nous nous bornons à demander des deux choses l'une : ou qu'il apporte à la Chambre un projet de dégrèvement ou simplement une solution négative, parce que le jour où il nous répondra non, nous déposerons nous-mêmes un projet.

M. Prévinaire. - La question de la réduction des péages du canal de Charleroi n'est pas nouvelle ; elle s'est présentée déjà en 1849 à la suite de la concurrence résultant d'un abaissement du tarif du chemin de fer de l'Etat. A cette époque la question reçut une solution de nature à remédier promptement au malaise de la situation ; on ne songea point à saisir une commission spéciale de l'examen de la question, encore moins à procéder aux enquêtes compliquées dont nous a parlé M. le ministre des travaux publics. La question ne demande point en effet ces études compliquées ; elle est claire et se présente dans des conditions identiques à celles de 1849.

La situation déplorable du batelage est incontestable ; elle est la cou-séquence de la concurrence des chemins de fer, l'intérêt du batelage n'est pas le seul engagé ; depuis longtemps nous faisons ressortir ce que les péages ont d'exorbitant au point de vue de l'intérêt des consommateurs. Nous invoquons la justice, l'égalité devant l'impôt.

Nous demandons que les péages sur le canal de Charleroi soient mis en rapport avec les péages sur les autres voies navigables ; nous demandons que l'on réduise d'une manière importante des péages qui sont trente-six fois plus élevés sur le canal de Charleroi que sur plusieurs autres canaux. Nos griefs sont sérieux et s'appuient sur la raison et le bon droit.

La circonstance que la réduction des péages sur le canal de Charleroi entraînera une réduction des recettes du trésor, nous paraît secondaire ; n*arrive-t-il pas en effet que la législature vote des allocations considérables de crédit en vue d'un intérêt reconnu légitime ; n'avons-nous pas récemment voté un crédit de deux millions dans l'intérêt de l'hygiène et des chemins vicinaux ? Pourquoi ne pourrait-on abandonner de même une partie du produit actuel des péages pour répondre à un intérêt non moins légitime, celui des consommateurs et des bateliers du canal de Charleroi ? Imputer une dépense sur le trésor ou réduire les revenus de celui-ci, c'est amener le même résultat.

Pour être juste, équitable, il faut tenir compte de ces positions L'honorable M. Julliot s'étonne que la navigation des canaux de la Campine soit nulle et qu'une certaine activité existe sur le canal de Charleroi malgré les réclamations qu'on fait entendre contre l'élévation des péages. Cela se conçoit ; on n'organise pas la navigation sur les canaux de la Campine, parce qu'on trouve les péages trop élevés, mais on maintient la navigation sur le canal de Charleroi à cause des capitaux qui s'y trouvent engagés.

Les propriétaires de bateaux sont forcés de naviguer, sous peine de subir des pertes plus considérables, leur matériel devant inévitablement subir des détériorations irréparables, s'ils cessaient toute navigation ; la plupart d'entre eux ont une organisation commerciale, une clientèle qu'ils perdraient s'ils suspendaient leurs transports. On conçoit donc qu'ils se résolvent à naviguer même à perte, comptant sur un avenir meilleur.

M. de Naeyer. - Je ne prolongerai pas cette discussion ; je me rallie aux excellentes observations de l'honorable M. Ch. de Brouckere ; cette question a été examinée par tout le monde, elle est pendante depuis plusieurs années ; sous prétexte d'un nouvel examen sa solution ne doit pas souffrir de nouveaux retards. J'espère que M. le ministre qui nous a assurés de sa bonne volonté, dont nous ne doutons pas, pourra nous apporter prochainement une solution. Il s'agit, d'ailleurs, d'une question de justice ; je trouve souverainement injuste la surtaxe qui pèse sur le canal de Charleroi, d'autant plus que ce canal est le seul qui soit entièrement quitte envers le trésor, puisque les recettes qu'il a données ont remboursé plusieurs fois le capital qu'il a coûté. J'insiste donc avec mes honorables collègues pour que le gouvernement nous fasse connaître ses intentions dans le plus bref délai possible.

M. le président. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits, je mets aux voix les conclusions de la commission.

M. Ch. de Brouckere. - Il y a eu erreur de la part de M. le rapporteur. Il propose le renvoi au ministre des finances, c'est au ministre des travaux publics que la pétition doit être renvoyée.

M. Vander Donckt. - Il y a en effet erreur, la commission propose le renvoi aux ministres des travaux publics et des finances.

- Le double renvoi est ordonné.

La séance est levée à 5 heures.