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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 11 novembre 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 17) (Présidence de M. Vervoort, second vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

MpVervoortµ. - M. de Liedekerke, retenu chez lui par une indisposition, s'excuse de ne pouvoir assister aux séances.

- Pris pour information.


MpVervoortµ. - Le bureau a été chargé de compléter les sections centrales des divers budgets ; voici le résultat de ce travail :

A la section centrale du budget de la justice, M. de Luesemans est remplacé par M. Carlier.

A la section centrale du budget de l'intérieur, M. de Luesemans est remplacé par M. Van Volxem.

A la section centrale du budget des travaux publics, M. de Luesemans est remplacé par M. de Rongé, et M. Godin, par M. Wasseige.

A la section centrale du budget des voies et moyens, M. de Luesemans est remplacé par M. Pirmez.


(page 25) M. Vander Donckt (pour une motion d’ordre). - Messieurs, la Chambre s'est réservé le jour du vendredi pour entendre les rapports des pétitions qu'elle a renvoyées à la commission avec demande de prompts rapports ; j'ose appeler toute son attention sur cet objet ; la question monétaire dont la solution est attendue avec la plus vive impatience et plusieurs autres objets de la plus haute importance font partie des rapports compris dans le feuilleton imprimé et distribué et qui devait être examiné par la Chambre dans sa séance du 19 août 1859. Jusqu'ici nous n'avons pas été admis à les présenter ; je ne demande pas d'interrompre la discussion actuelle, mais je prie la Chambre de mettre les prompts rapports à l'ordre du jour immédiatement après le vote sur la question des péages.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi réduisant les péages sur le canal de Charleroi

Discussion générale

(page 17) .M. Dechamps. - Messieurs, hier l'orateur que vous avez entendu, l'honorable M. Hymans, a envisagé la question qui vous est soumise, principalement sous le rapport des intérêts du batelage. Il a plaidé chaudement et avec beaucoup d'étendue la cause très juste, très intéressante des bateliers. Je puis donc me dispenser de me placer sur ce terrain.

Mon intention, messieurs, est de traiter la question des péages principalement au point de vue de l'intérêt industriel, de l'intérêt du trésor public et au point de vue des idées de justice qui ne peuvent manquer d'exercer une grande influence sur vos esprits.

Messieurs, depuis 10 ans, vous le savez, le bassin de Charleroi, par ses organes dans les deux Chambres, a constamment réclamé la réforme de notre système différentiel de péages, dont les anomalies choquantes et les nombreuses inégalités vous ont été souvent signalées.

Nous demandions des péages uniformes comme pour les chemins de fer, proportionnels aux distances parcourues et établis d'après des idées qui ont dicté la réforme des péages en France, en 1836.

Nous avons obtenu une première concession en 1849 ; une réduction de 35 p. c. a été opérée sur les péages du canal de Charleroi. L'honorable M. Hymans l'a rappelé hier : nous avons obtenu cette réduction malgré la longue résistance du ministère de cette époque ; l'honorable membre a même cru devoir remonter jusqu'à une influence irresponsable, pour expliquer l'amélioration obtenue.

Messieurs, il n'est pas nécessaire de remonter si haut. La réduction de 35 p. c. a été obtenue en 1849, parce que le ministère, comme la Chambre, a dû s'incliner devant un fait. Ce fait était l'arrêté du 1er septembre 1848, qui avait réduit d'une manière assez considérable les tarifs des chemins de fer. Une différence notable entre le fret de la navigation et les nouveaux tarifs des chemins de fer résultait de cet arrêté ; il a fallu combler cette différence, et la réduction de 35 p. c. a été la conséquence nécessaire, logique, de l'adoption du tarif du 1er septembre.

Depuis cette réduction que les bassins de Charleroi et du Centre avaient obtenue en commun, le Centre s'est emparé du principe que nous défendions : l'uniformité des péages proportionnels à la distance, mais en le retournant contre nous, par l'application partielle et exclusive de ce principe juste au canal de Charleroi. C'était aggraver par une injustice nouvelle l'injustice ancienne dont nous nous plaignions.

Le bassin de Charleroi demandait donc la réforme générale et le Centre la réforme partielle des péages.

Vous savez, messieurs, qu'une transaction est intervenue ; la commission mixte, nommée par le gouvernement, et deux sections centrales ont adopté cette transaction, consistant à admettre une réduction de 40 p. c. et une distance fictive de 12 lieues et demie pour le Centre.

L'honorable M. Pirmez, dans le rapport qu'il nous a présenté, disait : « L'abaissement du droit, en diminuant l'importance du débat, a permis un rapprochement auquel, sous la condition de cet abaissement, ont pu se rallier les représentants des deux bassins rivaux. »

Ainsi, la transaction repose sur deux bases : la moyenne admise entre la distance parcourue et la distance réelle, et une réduction de péage assez efficace pour amoindrir l'importance du conflit ; cette réduction, aux yeux de la commission des péages et de vos deux sections centrales, ne peut être inférieure à 40 p. c.

J'espérais que l'honorable ministre des finances, qui a tant aidé à faire abolir les droits différentiels sur les transports maritimes extérieurs ; j'espérais que l'honorable M. Frère, fidèle à ses principes, aurait aidé avec nous à abolir ou du moins à restreindre les tarifs différentiels qui grèvent nos voies navigables d'une manière bien moins justifiable.

Veuillez remarquer, messieurs, que si la Chambre adopte la proposition du gouvernement de ne réduire le droit que de 25 p. c, un des termes de la transaction disparaît. Je demande à mes honorables collègues du Centre comme à mes honorables collègues de Charleroi s'il n'est pas vrai que si la Chambre adoptait la réduction de 25 p. c., le conflit dès demain renaîtrait, les mêmes réclamations se reproduiraient, le pétitionnement du batelage recommencerait, et avant une année ou deux, la Chambre serait de nouveau saisie de la question de réforme des péages sur le canal de Charleroi.

La proposition du gouvernement, c'est donc la rupture de la transaction acceptée par les deux bassins, sanctionnée par la commission mixte et par vos deux sections centrales, transaction dont la première condition est une réduction de péages qui ne peut être inférieure à 40 p. c. Ce motif suffirait seul pour que la Chambre, dont l'intention est de mettre fin à la lutte engagée entre les deux bassins houillers, repoussât la proposition du gouvernement.

Il y a d'autres raisons plus péremptoires qui vous détermineront à ne pas accepter cette proposition, et même à élever la réduction de 40 p. c. à un chiffre plus élevé.

Le chiffre de 60 p. c. que plusieurs de mes collègues et moi avons proposé est seul en rapport avec les faits et avec les principes qui doivent présider à la tarification des voies navigables.

Quels sont les faits ? J'en signale deux à l'attention de la Chambre : le premier, c'est la concurrence des voies ferrées, rivales du canal de Charleroi ; il faut rétablir le niveau entre le fret de la navigation et le tarif des chemins de fer rivaux.

Le deuxième fait, c'est la réforme douanière que la Chambre a adoptée il y a quelques années sur les houilles et sur les fers, réforme douanière que vous devez mettre en corrélation avec la réforme des péages qui se lie étroitement avec la première.

Par rapport à la concurrence des voies ferrées, quel est le taux de la réduction des péages que nous devons admettre sur le canal de Charleroi, pour rétablir les conditions de cette concurrence ? Les chiffres ont déjà répondu, chiffres qu'on n'a pas cherché à contester ; ils sont indiqués dans le rapport de l'honorable M. Sabatier. L'écart entre le fret du canal de Charleroi et les transports par les chemins de fer concurrents de Charleroi à Louvain, de Manage à Bruxelles, de Manage à Wavre et de Dendre-Waes est au détriment du canal de 1 fr. 08 pour Bruxelles, de 1 fr. 83 pour Anvers et Gand, de 1 fr. 90 pour le bas Escaut et de 3 fr 48 pour Louvain.

En ce qui concerne Louvain, ce marché est définitivement perdu, quoi qu'on fasse, pour le canal de Charleroi ; vous aboliriez le péage entier, qu'il ne pourrait pas être reconquis par le batelage.

Relativement à Gand et à Anvers où la différence est 1 fr. 83, et au bas Escaut où elle est de 1 fr. 90, eu défaveur du canal, la réduction de 25 p. c, proposée par le gouvernement, serait de nul effet ; les chemins de fer de Charleroi à Louvain et de Dendre-et-Waes, conserveraient un avantage, tel que la concurrence deviendrait impossible.

Reste Bruxelles. La différence là est moins grande ; elle est d'un fr. Mais cette différence d'un franc, la proposition du gouvernement ne la comble pas, puisqu'il ne réduit le péage que de 50 c, c'est-à-dire de la moitié.

Pour rétablir le niveau détruit entre le canal et le chemin de fer, il faudrait donc au moins 40 p. c.

Messieurs, l’honorable M. Sabatier, en vous signalant ces chiffres irréfutables, n'a pris pour point de comparaison que le chemin de fer de Charleroi à Louvain, qui, en effet, est le concurrent le plus redoutable jusqu'à présent du canal de Charleroi. Mais la Chambre me permettra de lui citer un fait nouveau que probablement elle ne connaît pas suffisamment et qui va exercer une grande influence sur le transport des houilles par le chemin de fer de l'Etat du Centre vers Bruxelles.

(page 18) Veuillez remarquer, messieurs, que le bassin de Charleroi abandonne de jour en jour le canal. C'est le bassin de Piéton qui alimente presque tous les transports inscrits an bureau de Dampremy. Vous savez que le Centre figure dans les transports vers Bruxelles pour les deux tiers, sinon pour les trois quarts. Par conséquent tout ce qui est relatif aux transports du Centre doit être pris par vous en sérieuse considération et attirer votre examen attentif.

Or, voici le fait dont je veux parler : Vous savez qu'un chemin de fer du Centre aux Ecaussinnes est construit. Il sera ouvert à l'exploitation très prochainement. D'après le tarif actuel du chemin de fer, les houilles sont transportées du Centre à Bruxelles à 4 fr. 30. Par la voie nouvelle qui raccourcit d'une lieue la distance, le tarif sera de 3 fr. 80, différence 50 cent.

Or, veuillez remarquer que d'après la proposition du gouvernement, qui établit une réduction des péages de 25 p. c., il n'y a de diminution sur le parcours du canal que de 50 cent.

Le gouvernement avait bien l'intention, en faisant cette proposition, de modifier la situation actuelle qu'il regarde comme mauvaise au point de vue de la concurrence des chemins de fer. Eh bien ! demain, lorsque le chemin de fer des Ecaussinnes sera ouvert et exécuté, il est clair que le tarif du chemin de fer étant réduit de 50 centimes, l'état de choses ancien sera maintenu, et les conditions de lutte et de concurrence restent absolument les mêmes. La réduction de 25 p. c. sera donc de nul effet.

Voulez-vous connaître, messieurs, quelle est l'importance de ces transports concurrents, par le chemin de fer de l'Etat, par le chemin de fer de Manage à Wavre sur Bruxelles et Louvain et par le chemin de fer de Charleroi à Louvain ? On a nié l'importance de cette concurrence ; voici les chiffres qui répondent :

Au tarif actuel, par le chemin de fer de l'Etat du Centre à Bruxelles on paye 4 fr. 30 ; c'est à peu près le fret moyen du canal de Charleroi. Eh bien ! malgré l'égalité de ce tarif et des péages, le chemin de fer de l'Etat a transporté en 1858, sur 146,000 tonneaux, 122,000 tonneaux en destination des localités desservies par le canal de Charleroi. Il est donc clair que le jour où le chemin de fer d'Ecaussinnes sera ouvert, amenant une réduction de 50 centimes, le développement des transports sera considérable sur la voie ferrée.

Le chemin de fer de Manage à Wavre n'a transporté que 45,000 tonneaux, et sur ces 45,000 tonneaux 26,000 en destination des localités desservies par le canal. Ce chiffre n'est pas élevé ; mais savez-vous pourquoi ? Depuis que l'Etat a repris l'administration du chemin de fer de Manage à Mons, il a trouvé bon de doubler le tarif du Centre à Manage. Le droit était de 80 centimes ; il est maintenant de 1 fr. 60, à cause du droit fixe, qui écrase, comme vous le savez, le transport à petite distance. Ainsi le transport des houilles, qui aurait pu prendre la direction du chemin de fer de Manage par Wavre, a trouvé là un obstacle. Les frais étant doublés, les transports n'ont pu s'étendre.

Mais il est évident que cet obstacle artificiel ne pourra être maintenu et que par ce chemin de fer, comme par celui de l'Etat, les transports ne tarderont pas à s'accroître.

Mais enfin, sur le chemin de fer de l'Etat et le chemin de fer de Manage à Wavre, il y a eu, en 1858, 150,000 tonnes transportées en destination des localités desservies par le canal, et par conséquent enlevées à la clientèle de ce canal.

Pour le chemin de fer de Charleroi à Louvain, les chiffres sont d'une tout autre importance.

Ce chemin de fer a été ouvert en 1854.

En 1855, le matériel n'était pas suffisant ; le chemin de fer était à peine exploité, et ce n'est qu'à dater de 1856 que l'exploitation a pris une certaine régularité. Aujourd'hui encore, les journaux l'attestent, le commerce de Charleroi se plaint hautement de l'insuffisance du matériel sur cette voie.

Or, voulez-vous savoir quels sont les chiffres de ces transports ?

En 1856, la première année de l'exploitation réelle, ce chemin de fer a transporté en grosses marchandises, vers Louvain et Bruxelles, 346,000 tonnes. En 1857, il a transporté 525,000 tonnes ; en1858, 620,000 tonnes.

Ainsi, en 1858, 620,000 tonnes, ajoutez-y les 150,000 tonnes du chemin de fer de l'Etat du centre à Bruxelles, et du chemin de fer de Manage à Wavre, et vous verrez qu'un transport de près de 800,000 tonnes a alimenté ces trois voies concurrentes ; c'est presque le tonnage entier du canal de Charleroi.

Ainsi, le chemin de fer de Louvain à Charleroi, exploité depuis trois ans, avec un matériel insuffisant, atteint déjà à peu près la quantité de transport du canal de Charleroi exploité depuis vingt-six ans ! Je ne m'en plains pas, à coup sûr ; cette concurrence est utile à l'intérêt public ; mais il faut que le canal de Charleroi l'accepte et en subisse les conditions.

Depuis quelque temps, un nouveau concurrent est entré en lice ; c'est un concurrent pour ainsi dire caché et masqué ; je veux parler du chemin de fer de l'Etat, et voici sous quel rapport.

L'honorable M. Hymans a prétendu hier que le tarif du 1er septembre de 6 centimes par tonne-kilomètre, plus les frais fixes, était un tarif ruineux et qui constituait l'Etat en perte. Je ne partage nullement cette manière de voir. Ainsi je cite à l'honorable M. Hymans un seul fait ; je pourrais en citer cent. Le chemin de fer du Nord transporte la houille, non pas à 6 centimes, avec 1 franc de frais fixe, mais à 3 1/2 centimes ; et le chemin de fer du Nord n'est pas, je pense, en perte ; il donne à ses actionnaires de très beaux dividendes.

Ainsi mon honorable collègue de Bruxelles commet une erreur que je suis loin de partager.

Mais je ferai connaître à l'honorable M. Hymans et à la Chambre un fait qui semble ignoré.

Le gouvernement, au moyen de ce qu'on appelle les distances légales, c'est-à dire une moyenne entre la distante parcourue et la distance à vol d'oiseau, le gouvernement a réduit sensiblement, surtout pour certaines localités, les tarifs des chemins de fer.

Un nouveau fait s'est produit, au moins d'après ce qu'on affirme, et M. le ministre des travaux publics pourra rectifier mes assertions si je suis mal informé, l'administration du chemin de fer, et je suis loin de blâmer l'essai que l'on fait, l'administration du chemin de fer a admis, dit-on, le système des tarifs commerciaux, c'est-à-dire des marchés par abonnement.

On accorde des remises, lorsque de grands producteurs assurent des transports permanents et considérables. Ces remises sont plus fortes à mesure que les distances sont plus grandes.

Je ne blâme pas ; c'est un système pratiqué par beaucoup de compagnies et qui doit être étudié ; je ne l'approuve ni je ne le repousse. Mais il n'en est pas moins vrai qu'à l'aide de ces tarifs commerciaux et à l'aide des distances légales, on arrive à un abaissement de tarif tel, que depuis quelque temps, je puis l'affirmer, le bassin de Liège fait sur le marché de Bruxelles une très rude concurrence au bassin de Charleroi et au bassin du Centre. Je suis étonné que l'honorable ministre des finances, qui a signalé l'illégalité du système des remises que la société de Dendre et Waes se croyait en droit de pratiquer, ne s'oppose pas à l'application d'un système analogue au chemin de fer de l'Etat, ou du moins ne rende pas cette application publique. Lorsque la loi a établi des tarifs, le gouvernement peut-il les modifier administrativement à l'aide de tarifs commerciaux tenus secrets ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Le cas est prévu par la loi : nous pouvons réduire les tarifs dans le but d'obtenir une augmentation de transports.

.M. Dechamps. - Il est certain cependant qu'il y aurait abus à les modifier ainsi d'une manière essentielle, sans l'intervention des Chambres.

Du reste, messieurs, je le répète, je ne condamne pas le système en lui-même ; il peut être bon, mais il faudrait qu'on l'appliquât d'une manière générale, d'après des principes fixes et connus, et non d'une manière individuelle.

Mais je m'aperçois que je m'écarte de ma thèse. Ce que je veux établir, c'est que, indépendamment de la concurrence des chemins de fer, un nouveau concurrent, caché encore, s'est présenté dans la lutte et enlève déjà, m'assure-t-on, une partie de la clientèle du bassin de Charleroi et du bassin du Centre, sur le marché de Bruxelles. C'est une raison de plus de réduire le péage du canal, d'une manière efficace.

Messieurs, on a fait une objection, on a dit : Mais cette concurrence des voies ferrées dont vous nous effrayez n'existe pas ; depuis quelques années les transports augmentent sur le canal de Charleroi, et la recette s'élève.

Messieurs, si cela était vrai, on n'en pourrait rien conclure et l ne faudrait pas s'en étonner. L'honorable M. Ch. de Brouckere l'a fait remarquer à cette tribune : lorsqu'une voie nouvelle est créée à côté d'une voie ancienne, celle-ci s'appuie sur de longues habitudes commerciales qu'il est difficile de déraciner ; autour du canal de Charleroi, à Bruxelles, par exemple, se sont établis les marchands et les magasins ; il faut un long temps pour déplacer ces habitudes et ces clientèles.

Il faut donc pour les voies nouvelles, alors même qu'elles présentent des avantages marqués, il faut un certain temps pour qu'elles puissent attirer à elles les transports. Ainsi, il serait vrai que les chemins de fer rivaux du canal, qui ne sont exploités que depuis hier et avec un matériel incomplet, n'auraient pas nui jusqu'ici aux revenus du canal, qu'on ne pourrait en tirer aucune conclusion pour l'avenir.

Mais, messieurs, cette allégation est une erreur : en 1856 la recette du canal de Charleroi était de fr. 1,452,000 , et en 1858 elle n'a plus été que de fr. 1,410,000 ; il y a donc eu une décroissance de 42,000 fr. dans la recette.

La vérité est que depuis la réduction des péages de 1849, la recette et les transports ont successivement augmenté d'année en année, jusqu'en 1856 ; mais depuis 1856, époque de l'ouverture du chemin de fer de Charleroi à Louvain, le tonnage et les recettes du canal sont restés stationnaires et tendent à diminuer.

Messieurs, veuillez remarquer que cette décadence qui commence àse manifester est bien plus rapide que les chiffres qui l'indiquent, si l'on compare le mouvement des transports du canal de Charleroi au développement de la production dans les deux bassins de Charleroi et du Centre, pendant la période quinquennale de 1853 à 1858, l’augmentation (page 19) de la production dans les deux bassins a été d'un tiers, de 3 millions à 4 millions de tonnes.

Le mouvement des transports sur le canal de Charleroi aurait donc dû s'étendre dans une proportion analogue, si l'exagération des péages n'y avait pas mis obstacle.

Or, ce mouvement au lieu de s'accroître d'un tiers, comme la production elle-même, est resté non seulement stationnaire, mais il a diminué. Ne dites donc pas que l'effet de la concurrence des voies ferrées est nulle ; au lieu d'un progrès, c'est un recul que nous avons à constater.

L'excédant d'un million de tonnes dans la production correspond à peu près au chiffre du tonnage que j'ai indiqué tout à l'heure pour le chemin de fer de l’Etat, le chemin de fer de Manage à Wavre et le chemin de fer de Charleroi à Louvain Cet excédant a été absorbé par ces voies ferrés rivales et le canal n'en a pas profité. J'appelle cela une décadence.

Ainsi, messieurs, l'on peut dire dès à présent qu'il y a décadence, et il ne faut pas s'en étonner.

Ma conviction est qu'à la longue le chemin de fer doit avoir, à tarif égal, la préférence sur les voies navigables, il ne faut pas un long examen pour se faire cette conviction.

Le commerce de la houille qui se transporte par le chemin de fer n'a plus à supporter ni l'intérêt ni l'entretien de magasins coûteux, ni les frais de déchargement et d’emmagasinage aux lieux de destination. Le producteur a le même avantage que le consommateur à employer les voies ferrées. Les waggons se chargent aux fosses et vont directement aux consommateurs : ce qui aura pour résultat de supprimer les intermédiaires ; il faudra du temps pour cela ; mais ce fait se réalisera et se réalise déjà.

Aussi, les waggons se chargent aux fosses mêmes, tandis que par eau le transport, depuis la houillère jusqu'au canal, coûte 50 centimes ; les frais de chargement dans les bateaux, 25 à 30 centimes ; voilà 80 centimes de frais épargnés aux transports par chemin de fer.

Le producteur a donc le même intérêt que le consommateur à employer la voie ferrée.

Voici, messieurs, quelques chiffres que je me permets de vous citer. Ils vous prouveront combien déjà la concurrence des chemins de fer est redoutable pour nos voies navigables.

De 1857 à 1858, sur le canal de Mons à Condé et sur la Sambre canalisée, le tonnage a diminué de 258.000 tonnes ; tandis que sur les chemins de fer concurrents, Mons à Valenciennes, Erquelinnes, Mons à Haumont, etc. le tonnage a augmenté de 470,000 tonnes.

Si j'envisage l'état de la Sambre isolément, je trouve que de 1857 à 1858, la Sambre a perdu 104,000 tonnes, et le chemin de fer du Nord a gagné 180,000 tonnes, c'est à dire 50 p. c.

Ainsi c'est se faire une étrange illusion que de croire que les transports sur le canal de Charleroi ne souffrent pas et ne souffriront pas de la concurrence des voies ferrées. Les faits répondent et parlent assez haut.

La réduction de 25 p. c. sera évidemment insuffisante pour empêcher la décroissance rapide des transports sur le canal. Il en résultera une perte sèche pour le trésor, sans compensation, parce que par ces faits, le tonnage ne pourra pas se relever et se développer.

Le second fait dont j'ai parlé, c'est le fait relatif à la réforme douanière. Vous savez, messieurs, que nous avons, il y a quelques années, levé la prohibition de la houille et du fer, sous l'empire d'un renchérissement du prix de la houille, nous avons remplacé cette prohibition par un droit très modéré.

Nous avons accepté cette épreuve ; mais veuillez remarquer combien la situation des produits étrangers dont on a appelé la concurrence sur les marchés du littoral, à Ostende, à Bruges, à Gand et à Anvers, combien, dis-je, cette situation est différente de celle des produits du pays.

Non seulement on a passé du régime de la prohibition à un droit faible, à un droit de libre échange, mais les produits étrangers, la houille anglaise, pour arriver sur le marché du littoral, empruntent des voies sans péages : l'Escaut, le canal de Terneuzen et le canal d'Ostende à Bruges et à Gand.

J'appelle l'attention de la Chambre sur ce point. L'Etat rembourse 3 fr. 17 par tonne sur le canal de Terneuzen et sur l'Escaut. Ainsi, là, gratuité de péage ; sur le canal d’Ostende à Bruges et à Gand il y a également gratuité de péages pour les transports venant de l'étranger ; et lorsque ce sont des navires belges allant de Gand et Bruges à Ostende, ils y sont astreints à un péage. C'est là une anomalie non seulement choquante, mais monstrueuse.

Ainsi voilà la situation ; on a fait une réforme douanière radicale que le commerce des houilles a dû accepter.

Mais les voies navigables par lesquelles la houille anglaise arrive sur le marché belge, sont exemptes de péages ; on est allé dans le nouveau système, jusqu'à la hardiesse de la gratuité ; tandis qu'on a maintenu des droits exorbitants sur le canal de Charleroi.

On a fait du libre échange pour l'étranger et de la prohibition pour les produits indigènes. Vous posez une barrière aux produits indigènes pour les empêcher d'aller faire une concurrence, à armes égales, sur nos propres marchés, là où l'on accepte les produits étrangers, sans les grever d'aucune espèce de péages.

Je vous le demande à tous, messieurs, cette position est-elle soutenante ? est-elle en rapport avec une idée économique quelconque ? Si vous voulez le libre échange en douane, il faut vous montrer larges dans le système des péages à mainteniràa l'intérieur. La connexité entre ces deux réformes est évidente.

A cette situation, il n'y avait qu'un seul remède : c'était de mettre la réduction des péages en corrélation avec les faits que je viens d'exposer. D'honorables collègues et moi avons cru que la réduction de 40 p. c, qui a été adoptée par transaction, n'était pas suffisante et qu'il fallait l'élever jusqu'à 60.

Messieurs, ce chiffre de 60 n'est pas arbitraire. Il correspond à un principe. Nous avons toujours demandé l'uniformité des péages par distances. Le gouvernement a nommé une commission. On a reculé devant la difficulté de réaliser ce système qui est évidemment le plus juste, puisqu'il consacre l'égalité ; mais, précisément à cause de la gratuité de péage, qui existe sur quelques canaux des Flandres, on n'a pas voulu accepter la nécessité de relever un peu les péages sur ces voies. Eh bien, le principe de notre amendement est celui-ci ; nous restreignons la réforme aux canaux amortis du Hainaut. Ces canaux, c'est-à-dire, le canal de Mons à Condé, celui de Pommerœul à Antoing, la Sambre canalisée et le canal de Charleroi, sont précisément ceux qui servent au transport des houilles et dont le capital est amorti.

Vous savez que le canal de Charleroi a déjà remboursé deux fois le capital de construction ; eh bien, nous demandons, non pas même l'égalité, mais à peu près l'égalité sur ces quatre voies navigables et concurrentes.

Le canal de Mons à Condé n'est grevé par tonne-kilomètre, que d'un droit d'un centime ; celui de Pommerœul à Antoing d'un droit d'un centime 1/10 ; la Sambre canalisée d'un droit d'un centime 1/10.

Pour établir sur le canal de Charleroi le péage d'un centime et un dixième, il faut donc une réduction de 60 p. c. Est-ce trop demander ? Veuillez remarquer qu'en bonne logique, en restant fidèle aux principes vrais, le péage du canal de Charleroi, qui est un canal à petite section, coupé par 55 écluses, grevé de frais de halage considérables, devrait être moins élevé que sur un canal à grande section à grand tirant d’eau, livrant passage à des bateaux de 220 tonnes ; eh bien, nous n’allons pas même jusqu’à l’égalité.

Je n'aperçois qu'une seule objection que l'on pourrait me faire, c'est l'éternelle objection de la pondération commerciale à maintenir entre les bassins houillers.

Nous avons eu bien souvent à combattre cette idée, mais ceux qui la défendaient et ceux qui, comme nous, la combattaient, se sont trouvés jusqu'à présent dans une complète erreur. On a si souvent et pendant si longtemps dit, écrit et affirme que le principe de l'équilibre entre les bassins producteurs avait présidé à la tarification des canaux du Hainaut, que nous avons fini par admettre cette affirmation comme une vérité.

Mes collègues de Charleroi, comme moi, nous avons combattu ce système comme injustifiable, comme contraire à tous les principes ; mais nous en admettions l’existence.

J'ai voulu aller à l'origine des faits ; eh bien, toutes mes recherches m'ont conduit à reconnaître que ce système d'équilibre est un roman. Je vais vous faire l'histoire de la manière dont les tarifs ont été fixés sous le royaume des Pays-Bas.

D'abord pour le canal de Mons à Condé j'ai une réserve à faire : un homme très compétent m'a fourni un chiffre que je crois exact ; mais je n'en ai pu vérifier l'exactitude comme je l'ai fait pour les autres chiffres que je citerai ; en voici la raison : le péage sur le canal de Condé a été fixé par arrêté royal du 17 septembre 1816, confirmé par arrête du 10 août 1817 ; j'ai cherché cet arrête dans la Pasinomie et dans le Mémorial du Hainaut, je n'ai trouvé l'arrêté nulle part ; il m'a donc été impossible de vérifier le chiffre ; je ne l'en crois pas moins exact. Le péage, sur le canal de Mons à Condé, à l'origine, en 1816 et 1817 était de 6 centimes par tonne kilomètre ; le péage du canal de Pommerouel à Antoing, fixé par le cahier des charges du 19 juin 1823, était de 5 6/10 centimes ; sur la Sambre canalisée il a été fixé par arrêté du 2 juillet 1825 à 5 centimes ; sur te canal de Charleroi, par arrêté du 10 janvier 1826, à 4 7/10 centimes.

Vous le voyez, messieurs, les péages d'origine établis sur les quatre canaux du Hainaut, l'ont été d'après les idées logiques qui ont dicté la tarification de presque toutes les voies navigables : 6 et 5 centimes par les canaux de Mons à grande section, 4 7/10 centimes par le canal de Charleroi à section moyenne et à navigation plus coûteuse. Il y avait donc un véritable équilibre de péages et nullement un équilibre entre les bassins houillers.

Un principe commun a présidé à cette tarification.

Quel est ce principe ? Ou a recherché le chiffre de péages qui devait, d'après un tonnage présumé, servir à amortir le capital et les intérêts et couvrir les frais d'entretien et d'exploitation.

M. Vifquain, pour le canal de Charleroi, a évalué le coût du canal à 9 millions, le trafic présumé à 250,000 tonnes ; il en a conclu que pour (page 20) une concession de 30 ans, il fallait un péage, de 3 fr. 64 ; c'est de l'arithmétique.

Ce principe est commun à toutes les voies navigables.

Quand on a parlé d'équilibre commercial entre les bassins, on a fait un véritable roman.

Vous demanderez comment il s'est fait que cet équilibre des péages ait été rompu, que des péages de 6 centimes et de S centimes 6/10 aient été réduits à un centime, tandis que l'ancien tarif du canal de Charleroi a été maintenu pendant si longtemps !

Ce n'est pas en vertu d'un système de pondération commerciale, mais de considérations étrangères à toute idée de ce genre ; le roi Guillaume, en 1819, avait remis l'administration des voies navigables aux provinces.

Dès ce moment l'administration et le règlement des péages se sont faits, non d'après des idées générales, mais d'après des idées provinciales, des intérêts locaux.

Le premier usage que la province de Hainaut a fait de l'arrêté de 1819 a été de fixer en 1822 le péage de l'Escaut supérieur, fr. 0,002, péage qui a été réduit de 50 p. c. en 1852.

La seconde mesure prise par les Etats du Hainaut en 1827, fut de réduira le péage primitif de 6 c. établi sur le canal de Condé à 1 1/10, c'est-à-dire de 82 p. c. !

Le motif de cette réduction a été l'ouverture du canal de Pommeroeul en 1826 et la nécessité de mettre l'harmonie entre la tarification de ces voies navigables. Là encore, aucun vestige de l'équilibre des centres houillers.

En ce qui concerne le canal de Pommerœul à Antoing, voici ce qui s'est passé. Le gouvernement français pour attirer le batelage du canal de Pommeroeul à Antoing sur le canal de Condé, avait réduit les droits des trois quarts ; le roi Guillaume, pour ne pas laisser chômer le canal de Pommerœul, décréta que les bateaux qui emprunteraient la voie française n'en payeraient pas moins les droits établis sur le canal de Pommerœul.

Le gouvernement provisoire trouva ridicule cette mesure de représailles et réduisit de moitié le péage sur le canal de Pommerœul. Le gouvernement provisoire n'a donc pas songé à la pondération commerciale à conserver ; il a été mû. par des raisons étrangères à cette idée et que je viens de rappeler.

Ainsi en résumé, à l'origine, un système d'équilibre des péages existait, péages plus élevés sur les canaux de Mons ; péages plus modérés sur le canal de Charleroi.

Depuis lors, on a réduit les péages sur le canal de Mons à Condé de 82 p. c ; sur le canal de Pommerœul de 80 p. c, et sur le canal de Charleroi de 40 p. c.

M. Dolez. - A quelle date a été ouvert le canal de Charleroi ?

.M. Dechamps. - En 1832.

M. Dolez. - Comparez donc à cette date.

.M. Dechamps. - Cette observation n'a pas d'importance, et je ne comprends pas ce que vous voulez en conclure.

Messieurs, je dis donc que l'idée d'équilibre entre les bassins est un roman ; c’est un rêve que l'on a fait ; et nous avons eu tort en le combattant, d'admettre sa réalité, son existence. Cela n'a jamais existé, ni quand on a établi les péages, ni quand on les a réduits. On les a réduits sous l'empire de circonstances fortuites, de circonstances telles que la réduction devenait nécessaire.

Ainsi la Chambre devra reconnaître que le chiffre de 60 p. c. de réduction que nous proposons, correspond aux faits et aux principes vrais, que même par cette rédaction nous n'atteignons pas l'égalité ; nous ne demandons pas même l'égalité des péages entre le canal de Charleroi, le canal de Condé, le canal d'Antoing et la Sambre canalisée, tous canaux amortis et placés dans une position semblable.

Or, quand un canal est amorti, il est évident que les péages deviennent un impôt. C'est donc un impôt qui frappe les transports. Or, il est impossible d'admettre que cet impôt sur les transport puisse être arbitraire et inégal. La Constitution même vous le défend ; la Constitution a admis le principe de l'égalité de tous devant l'impôt. Vous ne pouvez nier que ce ne soit un impôt sur les transports. Or, si c'est un impôt, vous devez établir l'égalité de l'impôt.

Je dis donc que le principe sur lequel notre amendement repose, c'est l'égalité ou à peu près l'égalité pour les canaux amortis du Hainaut qui servent au transport des houilles. Je suis convaincu que cette réduction qui paraît forte, qui pour quelques-uns paraîtra exagérée, sera non seulement favorable à l'intérêt industrie, à l'intérêt des consommateurs, à l’intérêt du batelage, mais sera même favorable à l'intérêt du trésor public.

Je vous ai démontré par des chiffres et par des faits que si la réduction n'est pas efficace sur le canal de Charleroi, si vous ne ramenez pas le niveau de concurrence entre le canal et la voie ferrée, d'ici à peu d'années, vous verrez es transports déserter le canal et par conséquent la recette diminuer sensiblement, comme cela a lieu sur les canaux de Mons à Condé et sur la Sambre.

En adoptant cet amendement, vous servirez l'intérêt du trésor public, l'intérêt industriel l'exige et les idées de justice constitutionnelle le commandent impérieusement. En tous cas, il est impossible d'admettre un chiffre intérieur à la réduction de 40 p. c. proposée par la section centrale, sans rompre la transaction entre les bassins de Charleroi et du Centre, sans remettre tout en question et sans manquer le résultat que tous nous voulons atteindre, au profit des consommateurs et de l'industrie du pays.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, on me paraît introduire dans cette discussion beaucoup de questions qui y sont parfaitement étrangères. On parle peu de la réduction même qui est proposée ; on parle beaucoup de réforme douanière, de tarifs de chemin de fer. Si l'on parle des mesures qui ont été proposées par le gouvernement, c'est pour les déclarer à peu près sans valeur et comme devant être sans effet.

Je crois, messieurs, que l'on peut ramener la question à des termes fort simples et que si l'on se renfermait dans ce sujet, on pourrait dire en vingt minutes tout ce qui est important à faire connaître sur l'objet qui est actuellement soumis à la Chambre.

Je passe sur les récriminations que vient encore de faire entendre l'honorable préopinant.

.M. Dechamps. - Je n'ai pas récriminé.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si j'en crois ce que vous venez d'exposer, on se montre inintelligent dans l'application des tarifs qui doivent régir les voies navigables et les chemins de fer. On ne fait pas pour le canal de Charleroi ce qui devrait être fait en bonne justice, ce que l'équité commanderait.

Mais comment se fait-il que l'honorable membre n'ait rien tenté, lorsqu'il était au pouvoir, pour réaliser les améliorations dont il nous parle aujourd'hui ? Est-ce que les réclamations, au sujet du canal de Charleroi, sont nées d'hier ?

A l'époque où l'honorable membre était au pouvoir, les mêmes réductions qu'on réclame aujourd'hui, étaient demandées. En 1846, pour ne citer que cette date, par pétitions adressées au Sénat et à la Chambre des représentants, les exploitants du bassin de Charleroi demandaient une réduction de péages de 75 p. c. L'honorable M. Dechamps l'a-t-il proposée ? A-t-il proposé alors de faire cesser cette injustice qu'il signale aujourd'hui, cette surtaxe, ce droit différentiel qui grève les produits venant du Centre ? En aucune façon.

Il a donc eu, j'imagine, d'excellentes raisons pour s'abstenir, et ces raisons qui l'ont fait s'abstenir, il me permettra de les invoquer aujourd'hui.

Je me trompe, nous faisons mieux que lui. Nous avons fait en 1849, spontanément et non pas contraints et forcés, comme l'a dit l'honorable M. Hymans, une réduction de 35 p. c. Nous l'avons faite comme une conséquence du tarif du 1er septembre 1848 qui avait été introduit pour le chemin de fer, parce qu'il en résultait qu'il y aurait eu un préjudice pour la voie navigable.

Depuis, lorsque de nouvelles réclamations se sont élevées, avonss-nous fermé l'oreille, avons-nous opposé des fins de non-recevoir ?

Nous avons, au contraire, fait ce qui n'avait pas été tenté jusqu'alors : c'est de soumettre toutes ces questions à un examen sérieux et approfondi, et qui a abouti à quelle solution ? A la suppression de la surtaxe qui pesait sur le Centre ; solution qui n'est pas, ainsi que l'a dit l'honorable M. Dechamps, en contradiction avec les principes que j'ai défendus en matière de droits différentiels, mais solution qui est conforme au droit commun en Belgique.

Il se trouve, en effet, que par la mesure proposée, on applique aux produits venant du Centre, le principe appliqué sur les voies ferrées, lorsqu'il y a des détours à faire. On prend une moyenne entre la distance à vol d'oiseau et la distance réelle.

Cette moyenne est celle que nous proposons. Cette moyenne a paru si juste et si équitable, qu'elle a été accueillie par les intéressés.

L'honorable M. Dechamps l'a signalée aujourd'hui comme étant une transaction qui comprendrait un autre élément sans lequel elle serait inadmissible. Il faut nécessairement faire concorder avec l'adoption de la distance moyenne, une réduction, non de 25 p. c, mais de 40 p. c.

Eh bien, cette transaction est de pure invention ; il n'y en a de trace nulle part ; et il n'y a pas eu à transiger. Les deux questions ont été résolues par la commission isolément, sans aucune connexité. Elles ont été adoptées par un nombre de voix entièrement différent. Ainsi, la modification en faveur du Centre a été admise à l’unanimité moins une voix. La réduction des péages de 60 p. c. a été repoussée par cinq voix contre quatre. On a ensuite proposé une réduction de 40 p. c. qui a été admise par cinq voix contre quatre.

M. Sabatier. - L'une est la conséquence de l'autre. Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je dis qu'on n'a nullement fait dépendre une chose de l'autre. L’une des résolutions, celle relative à la réduction des péages a d'abord été mise aux voix. On a écarté, par cinq voix contre quatre, la réduction de 60 p. c. et l'on a ensuite admis la réduction de 40 p. c, à la simple majorité de cinq voix contre quatre.

Cette résolution prise, on s'est occupé de la question du Centre, et alors après l'avoir discutée sans faire dépendre sa solution du taux de la réduction des péages, on a admis à l'unanimité, moins une voix, le système qui est consacré par le projet de loi..

(page 21) Voilà les faits.

CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS, SÉANCE* DU il NOVEMBRE 18S9. 21

]M. M. Jouret. — Les deux questions se liaient.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je me garde bien de contester qu'il en ait été ainsi dans votre pensée. Ce que je nie, c'est que tel ait été l'avis de la commission et moins encore du gouvernement ; ce que je n'admets pas, c'est que ces deux choses soient intimement unies. Jamais le gouvernement n'a admis cela, puisqu’il a toujours combattu la réduction de 40 p. c, et pourtant il n'y a pas de transaction à lui opposer.

A ce propos, l'honorable M. Dechamps a fait remarquer qu'on avait, depuis quelque temps, introduit au chemin de fer de l'Etat, des traités, des conventions, des arrangements qui détruisaient l'économie des tarifs ; qu'on l'avait fait en quelque sorte d'une manière subreptice, et il s'est étonné très fort que moi, qui ai tant contribué, dit-il, à détruire le système des droits différentiels, je n'aie rien fait pour empêcher les nouveaux droits différentiels de venir modifier nos tarifs de chemins de fer. Il a surtout fait ressortir fort habilement que les traités spéciaux dont il parlait, avaient pour résultat d'amener, sur le marché de Bruxelles, des charbons de Liège qui venaient y faire une grande concurrence aux charbons du Hainaut.

Que l'honorable M. Dechamps se rassure : la concurrence dont il parle est purement imaginaire. S'il arrive des charbons de Liège sur le marché de Bruxelles, c’est en très minime quantité. Et puis, ce n'est pas le chemin de fer de l'Etat qu'il doit accuser.il doit particulièrement imputer ce résultat à une combinaison arrêtée entre la compagnie du Nord (l'honorable M. Dechamps devrait le savoir, ce serait à lui à contribuer quelque peu à empêcher les faits qu'il dénonce) ,entre la compagnie du Nord, propriétaire du chemin de fer de Namur à Liège, et d'autres compagnies concessionnaires.

Voilà d'abord deux observations dont l'honorable M. Dechamps peut apprécier la valeur, mais je lui apprendrai encore autre chose : c'est que si quelqu'un a combattu le principe des traités spéciaux, c'est moi. Je l'ai fait dans cette Chambre et pendant mon dernier intérim au département des travaux publics, j'ai fixé une époque à laquelle devaient expirer tous les traités particuliers qui avaient été faits, en invitant l’administration à chercher un autre système qui, offrant plus de garanties, pourrait mieux concilier les intérêts du public et ceux du trésor. Je désirais des règles fixes, générales, livrées à la publicité. Depuis lors, la question est à l'examen au département des travaux publics.

Je sais qu'elle y a été l'objet d'études approfondies. Elle est entourée de nombreuses difficultés ; mais je suis persuadé qu'on réussira à les vaincre et, en tous cas, le gouvernement est aujourd'hui en mesure de faire cesser promptement l'effet des conventions spéciales dont nous nous occupons.

Je pense que cette explication satisfera entièrement l'honorable M. Dechamps.

Mais ces objections incidentes ne sont pas les seules qui aient été faites ; et il faut bien que je m'y arrête avant d'arriver à l'objet en discussion. On nous a dit hier que tous les sains principes de l'économie politique, auxquels nous sommes, a dit l'honorable orateur, très dévoués, dont nous sommes les très fervents apôtres, condamnent ce que nous faisons. Vous avez une voie navigable ; cette voie navigable, grâce au péage qui a été établi, est aujourd'hui complètement amortie ; et vous continuez à percevoir un péage. Cela est intolérable, cela est injustifiable. On doute même du droit que peut avoir le gouvernement de maintenir les péages en pareille circonstance.

Aujourd'hui l'honorable M. Dechamps a donné son adhésion à cette doctrine. Et l'on s'est donné le facile plaisir, après avoir énoncé cet axiome, de déclarer que nous étions en opposition avec nos principes, avec les principes de l'économie politique.

Messieurs, je ne connais pas du tout cette économie politique-là. Cette économie, je ne la professe pas. De tout temps dans cette Chambre, j'ai soutenu une doctrine entièrement opposée, j'ai soutenu que l'Etat, ayant un domaine, pouvait très légitimement en tirer un profit. J'ai soutenu que de tous les revenus que pouvait se créer l'Etat, les revenus qui résultent d'un service rendu étaient les meilleurs et que, bien loin d'abolir de pareilles ressources, je voudrais au contraire les maintenir et les multiplier afin de supprimer plutôt d'autres impôts.

L'impôt en général, quelque soin qu'on y mette, agit aveuglement. Croyant s'adresser à celui qui est en mesure de payer, il s'adresse à un individu qui ne le peut réellement pas. Les péages, au contraire, s'obtiennent de ceux qui réclament le service, elles ont l'avantage d'être, tout à la fois, directement utiles au trésor et au public.

M. Hymans. - Vous localisez l'impôt.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne localise pas l'impôt. Ce n'est pas un impôt que je perçois ; c'est un domaine que j'exploite. J'en tire profit, comme je tire profit des arbres de la forêt de Soignes.

M. de Naeyer. - Le domaine public et le domaine de l’Etat sont deux choses différentes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela est parfaitement vrai, mais le domaine de l'Etat comprend, par exemple, la forêt de Soignes, les immeubles que possède le gouvernement, le revenu de ses chemins de fer et de ses canaux. (Interruption.)

Qu'est-ce que cela signifie ? Considéré comme chemin ou canal, ces objets font partie du domaine public, le revenu que l'on en tire rentre dans le domaine de l'Etat.

Admettons toutefois votre distinction, admettons que c'est le domaine public qu'il faut dire et non pas le domaine de l’Etat, soit ! C'est donc le domaine publie et ce domaine public donne un revenu ; pourquoi faut-il l'abandonner ? Et si nous l'abandonnons, par quoi le remplacerons-nous ?

Ah ! si vous aviez un système à l'aide duquel vous puissiez faire subsister l'Etat sans aucun impôt, sans aucun revenu, je concède que vous auriez parfaitement raison d'abl ir vos péages. (Interruption.)

Supposez que le canal soit entre les mains d'une société concessionnaire, comme le veulent les économistes et comme c'est le fait dans certains pays ; le péage sera-t-il un impôt entre les mains de la compagnie ? C'est la rémunération d'un service rendu, et peu importe qu'elle soit perçue par l'Etat ou par une compagnie, cela n'en change pas le caractère.

Maintenant il faut faire ce qui est juste en pareille matière. Est-ce que la taxe perçue est onéreuse ? Nuit-elle à l'intérêt public ? Il faut bien se garder de la maintenir dans de pareilles conditions. Mais c'est là une règle d'application et non une raison pour contester la légitimité du droit.

L'honorable M. Hymans a essayé de mettre son économie politique sous le patronage de l'honorable M. de Brouckere. (Interruption.)

M. Ch. de Brouckere. - Je demande, moi, que les péages soient égaux quand ils sont perçus sur des voies semblables.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voici donc ce qu'on attribue à l'honorable M. Ch. de Brouckere.

« Si un particulier était propriétaire du canal, d'un canal qui ne coûte rien et dont le capital est remboursé, il abaisserait immédiatement ses péages. »

L'honorable M. de Brouckere n'a pas précisément dit cela ; la citation est loin d'être textuelle. Mais elle a un autre défaut, un très grand défaut, c'est qu'elle est prise isolément. Séparée de ce qui précède et de ce qui suit, elle attribue à l'honorable M. de Brouckere une pensée toute différente de la sienne.

« …) Ce qu'il faut pour le gouvernement, c'est que la somme de tous les produits réunis en un seul faisceau augmente, et le gouvernement doit pondérer les éléments qui forment ce faisceau de manière à ne pas détruire une industrie au bénéfice d'autres industries, de manière à ne pas déplacer aujourd'hui les capitaux engagés pour appeler d'autres capitaux à venir s'immobiliser dans une industrie qui ne doit pas avoir de durée.

« Je demande donc que le gouvernement examine dans un bref délai ou s'il faut abaisser les péages des canaux, ou si, dans l'intérêt du trésor, il faut revenir à l'ancien tarif du chemin de fer pour le transport des marchandises pondéreuses. »

Voilà ce que demandait très sensément l'honorable M. de Brouckere.

Eh bien, ou a examiné à cette époque-là et on a dit, en comparant le tarif du chemin de fer au péage du canal de Charleroi, qu'il était juste de les établir de telle sorte que l'Etat pût tirer le meilleur parti des deux domaines.

Un certain abaissement du péage du canal a été jugé nécessaire par le gouvernement, c'était un abaissement de 35 p. c.

On a dit de cet abaissement ce qu'on dit aujourd'hui de celui de 25 p. c. que nous proposons :

« Depuis 15 ans l'arrondissement de Charleroi réclame ; depuis 15 ans il ne soutient son industrie que par des sacrifices sans cesse renouvelés. Consultez, messieurs, les archives du gouvernement de la province de Hainaut, vous y trouverez la preuve authentique que l'arrondissement de Charleroi perd, tous les ans, des capitaux considérables dans sa principale et unique industrie ; l'exploitation des charbons, la fabrication du fer. Notez-le bien, messieurs, il a été démontré que les pertes correspondent à la différence des péages.

« Le gouvernement propose enfin une réduction de 35 p. c. sur les péages du canal de Charleroi à Bruxelles. Permettez-moi de vous le dire, messieurs, c'est là une demi-mesure qui n'aura d'autre effet que de prolonger l'agonie des exploitants de l'arrondissement de Charleroi, C'est une demi-mesure qui va perpétuer une iniquité une inconstitutionnalité. »

Eh bien, l’iniquité a été maintenue depuis dix ans, et je ne crois pas que le bassin de Charleroi soit encore à l'agonie.

M. Ch. de Brouckere. - Il s'agit des consommateurs et non pas du bassin de Charleroi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) - Du moment que vous voulez bien me concéder que toutes les objections que je rencontre ne méritent pas d'être prises en considération, qu’il ne faut discuter sérieusement ni le principe de constitutionnalité des péages, ni la légitimité de cette source de revenus, ni l'économie politique qui nous a été opposée, la question se simplifie.

Nous parlerons tantôt des consommateurs.

Tout cela écarté, messieurs, je vais tâcher de présenter la question aussi simplement que possible. On dit : Vous devez nécessairement réduire le péage sur le canal de (page 22) Charleroi, sinon vous perdez tout produit ; les voies concurrentes sont là ; on peut arriver à Bruxelles par le chemin de fer à de bien meilleures conditions que par le canal. Les faits autorisent-ils à soutenir cette assertion ? Les quantités transportées par le canal de Charleroi ont été (chiffres ronds) : 604,000 tonnes en 1850. 667,000 en 1851, 704,000 en 1852, 675,000 en 1853, 740,000 en 1854, 679,000 en 1855, 803,000 en 1856 et 794,000 en 1857. Et, enfin, dans cette malheureuse année 1858, 805,000 tonnes. Les voies concurrentes ont été ouvertes à partir de 1855. Quel effet ont-elles produit ? Un effet nul. La raison que l'on invoque pour obtenir une réduction soutient-elle l'examen ?

Mais on prétend que si la situation que nous invoquons est réelle, elle est due à un abaissement du fret qui réduit de pauvres bateliers à la plus extrême pénurie.

Je ne veux pas discuter la question du fret telle qu'elle est posée. L'honorable M. Hymans s'est donné beaucoup de peine pour établir ce que le fret devait être ; pour moi, je me contente de savoir ce qu'il est. Je ne veux pas me livrer à la discussion des éléments qui devraient, dit-on, constituer le fret, je me borne à constater un fait.

On me répond : « Le fret n'est pas rémunérateur. » Messieurs, je connais cette théorie des prix rémunérateurs.

J'en ai ouï beaucoup parler, quand il s'est agi des céréales. C’était aussi parce que les prix n'étaient pas rémunérateurs qu'il fallait élever les droits de douane à l'entrée des denrées alimentaires. Cette thèse a fait son temps. Nous n'avons plus à nous en occuper.

Il s'agit donc de savoir ce qu'est le fret en réalité ; eh bien, nous allons donner des chiffres que nous croyons exacts, qui ont été recueillis par l'administration et qui nous permettront d'établir des comparaisons entre les voies concurrentes.

En 1859, le fret de Charleroi et du Centre à Bruxelles a été comme suit : (Le tableau détaillé qui suit n’est pas repris dans la présente version numérisée).

Il résulte donc de ce tableau que la moyenne du fret a été de 3-75 de Charleroi à Bruxelles ; de 4-35, du Centre à Bruxelles. (Interruption.) Voilà des faits qui ne peuvent pas être contestés.

Voyons maintenant le chemin de fer.

Par le chemin de fer, du Centre à la station du Midi, il en coûte fr. 4-76 ; le fret du canal est de fr. 4-35 ; différence : 41 c, au profit du canal.

Par le chemin de fer, du Centre à la station du Luxembourg, il en coûte fr. 5-40 ; le fret est de fr. 4-35 ; différence : fr. 1-05 au profit du canal.

De Charleroi à la station du Midi à Bruxelles, il en coûte fr. 4-90 ; le fret par le canal est de fr. 3-75 ; différence : fr. 1-15 au profit du canal.

De Charleroi à la station du Luxembourg, il en coûte fr. 4-07, le fret était de fr. 3-75, il y a une différence de 32 centimes au profit du canal.

Peut-on soutenir que les voies ferrées détournent les produits destinés au canal ? Nous avons pour en juger les quantités transportées par le canal ; elles n'ont fait que s'accroître ; les prix comparés : le fret des chemins de fer est supérieur à celui du canal.

Il y a, dit-on, pour le canal des frais accessoires. Je veux l'admettre, mais il y a aussi une différence dans les prix. Et puis que voulons-nous prouver ? Qu'une réduction de 25 p. c. du péage est suffisante, et notre preuve n'est-elle pas faite ?

Messieurs, on emploie un autre argument : on compare le prix du transport par le canal de Charleroi à Louvain, et le prix du transport, par le chemin de fer, de Charleroi à Louvain. Cela n'est pas sérieux dans cette discussion. L'honorable M. Dechamps vient de convenir qu'il n'y a rien à faire.

.M. Dechamps. - Pour Louvain.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous pouvez supprimer le péage ; ou ne changera pas les conditions ; n'argumentons donc pas de cela ; c'est uniquement pour les transports de Charleroi et du Centre à Bruxelles que doit s'établir la discussion.

La situation actuelle, a-t-on dit, est telle, que les bateliers sont réduits à la plus déplorable condition, qu'obligés, comme vous l'a appris hier l'honorable M. Hymans, de nourrir une femme et au minimum 5 enfants avec 75 centimes par jour, ce sont des gens condamnes à mourir de faim dans un temps donné...

M. Hymans. - Ils n'ont pas même 75 centimes par jour.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ils n'ont pas même 75 centimes par jour!... Jugez! j'ai toujours été frappé de ces arguments-là ; et je dois dire que je m'y suis laissé prendre. Cependant, il y a quelque temps, des doutes me sont venus. Je réfléchissais à ceci : périodiquement il nous arrive depuis quinze ans de belles et bonnes réclamations dans l'intérêt des bateliers du canal de Charleroi, les doléances, traduites ici, sont répercutées dans la presse. Viennent ensuite des imprimés, des brochures très bien faites où rien ne manque pour démontrer l'injustice dont les bateliers sont victimes. J'eus récemment quelques soupçons que des gens réduits à la condition que nous a révélée l'honorable M. Hymans, devaient s'imposer bien difficilement de nouveaux sacrifices pour faire face à tous ces frais de publicité.

J'ai donc voulu savoir ce qui en était, et j'ai été à la découverte des bateliers ; je n'en ai pas trouvé ; il n'y en a pas, le batelier tel qu'on nous l'a dépeint est un mythe L'honorable M. Hymans croit en avoir vu : il se trompe ; il n'y a pas de bateliers sur le canal de Charleroi ; ils sont supprimés. On a eu pour les supprimer une excellente raison et un grand intérêt, on a supprimé un intermédiaire.

La sensibilité de l'honorable M. Hymans s'est égarée. Les vrais bateliers sur ce canal sont les exploitants du Centre et de Charleroi ; ce sont les marchands de charbon qui opèrent les transports à leur compte à l'aide d'ouvriers à gage sur cette voie navigable.

J'ai essayé d'obtenir à cet égard quelques renseignements précis.

Je tien, à la main le sommier des bateaux naviguant sur le canal de Charleroi ; voici le résultat du dépouillement qui en a été fait par des fonctionnaires de mon département.

Il y a 1,020 bateaux sur le canal de Charleroi ; et par parenthèse je ne me suis pas plaint qu'il y eût trop de bateaux, comme M. Hymans l'a supposé, j'ai seulement constaté le fait.

Il y a donc 1,020 bateaux sur le canal de Charleroi, et de ces 1,020 bateaux, il n'y en a pas dix qui appartiennent à 8 bateaux.

Ce fait acquis, j'ai eu l'explication des plaintes des bateliers, et j'ai compris où devait aller la réduction de péages qu'on sollicite. Je ne dis pas pour cela que la plainte fût illégitime ; je lui donne seulement son véritable caractère.

Le consommateur profitera de la réduction, dit l'honorable M. de Brouckere, et il ajoute: C’est de lui que je m'occupe. Ainsi on fait table rase de tous les autres arguments ; c'est le consommateur seul qu'on a en vue. Il aura peut-être quelque chose.

- Un membre : Incontestablement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela n'est pas certain ; cela dépend des circonstances, le prix de la marchandise variera suivant l'offre et la demande.

El comme la réduction du péage ne représente qu'une fraction très minime dans le prix de la marchandise, il est bien probable qu'elle n'ira pas au consommateur.

Elle n'ira pas surtout au petit consommateur.

Si la demande est abondante le prix augmentera, nonobstant la réduction du péage, le consommateur n'en aura rien.

Mats nous admettrons, pour couper court à cette discussion, pour ne pas faire de théorie là-dessus, nous admettrons par hypothèse la réduction dont on parle.

Que représentent les 40 p. c. de réduction ? 80 centimes par mille kilog. Eh bien, vous me concéderez sans doute que le producteur, le malheureux batelier essayeront d'en retenir quelque chose.. S'il n'en était pas ainsi, ils n'auraient pas eu de motif pour réclamer aussi vivement qu'ils l'ont fait. (Interruption.) C'est, dit-on, pour en faire profiter le consommateur.

Mais, avouez-le, le producteur et le marchand cherchent et très légitimement à vendre aussi cher que possible. Ils feront nécessairement tout ce qui dépendra d'eux pour retenir une part de la réduction des péages, et pour peu que nos quatre-vingts centimes se divisent, la part du consommateur ne sera guère appréciable dans les conditions les plus favorables.

Mais quel sacrifice veut-on faire pour cela ? On nous demande beaucoup plus que nous n’offrons.

Nous offrons par des considérations d'équité à raison de l'élévation du péage sur le canal de Charleroi et non par d'autre raison, l'aliénation d'un capital de 10 millions ou 500 mille francs de revenu. Ce n'est pas assez ! on demande une réduction de 40 p. c. au lieu de 25, c'est-à-dire l'aliénation d'un capital de 14 millions, ou 700,000 francs de revenu.

(page 23) Ce n'est pas encore assez ! On demande 60 p. c. de réduction, c'est-à-dire un sacrifice de 20 millions.

On demande que l'Etat sacrifie ce capital de 20 millions au profit des malheureux bateliers que vous connaissez !

Je sais qu'on me répondra que le sacrifice de tant de millions est de la fantasmagorie, que l'abaissement de la taxe aura pour effet d’augmenter dans une proportion considérable le produit du canal. On nous promettra la restitution du revenu dans un temps donné. Nous avons l'expérience pour nous, ajoute-t-on. Voyez ce qui s'est passé à la suite de la réduction de 1849. L'honorable M. Hymans invoque d'ailleurs cet axiome que l'abaissement d'une taxe amène toujours l’augmentation du revenu. C'est un lieu commun qui a besoin d'être expliqué : l'abaissement d'une taxe peut produire cet effet, mais ne le produit pas nécessairement. Si la taxe est oppressive et de nature à arrêter le développement de la consommation, en l'abaissant, vous obtiendrez ce résultat probablement ; mais si la taxe est faible, si elle n'arrête pas la consommation, l'abaissement ne produira pas les effets que vous attendez.

Ici la quotité du droit appliqué à la valeur de la chose est trop minime pour qu'on puisse espérer un accroissement considérable de la consommation.

Vous avez, dites-vous, les faits pour vous, et vous citez l'exemple de 1849 ! Vous êtes dans l'erreur ; la perte a été complète et réelle pour le Trésor. En 1836 le produit du péage était de 886,000 francs, en 1847 sans abaissement de taxe, le péage avait donné 1,655,000 fr.

Ainsi le produit du péage avait doublé dans cet espace de temps ; sous l'influence de la même taxe, l'accroissement annuel était fort considérable.

Sauf les causes accidentelles la progression avait été constante.

En 1849 on a réduit les péages de 35 p. c. et le revenu s'est successivement élevé ; mais il n'a fait que continuer le mouvement qui avait été constaté antérieurement.

Si le tarif avait été maintenu en 1849, on aurait eu un développement de revenus plus considérable, l'accroissement qui avait eu lieu de 1836 à 1847 aurait continué, et par conséquent l'on peut dire que la perte a été complète, qu'elle équivaut au montant le total de la réduction.

Le même effet se produirait nécessairement si vous réduisiez le péage comme on vous le propose, car vous ne sauriez par ce moyen accroître la consommation. Vous n'auriez qu'un développement successif semblable à celui qui a été constaté aux autres époques.

Dans ces circonstances je crois sincèrement que l'on fait assez en proposant et la mesure applicable aux provenances du Centre et une réduction de 25 p. c. qui représentent cinq cent mille francs de revenu public. C'est une réduction bien assez considérable.

M. Ch. de Brouckere. - Une réduction de 25 p. c. ne doit pas amener une diminution de revenu de cinq cent mille francs.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le trésor perdra positivement par les mesures que nous proposons, cinq cent mille francs de revenu. Remarquez bien que cette réduction nominale de 25 p. c. est en réalité plus élevée. Elle est de 25 p. c. pour Charleroi, mais elle est supérieure pour le Centre. Ainsi avec une réduction de 25 p. c, nous avons en réalité une diminution supérieure au quart du revenu total. La réduction que nous proposons est de 25 p. c. pour Charleroi, de 30 p. c. pour la vallée du Piéton et de 37 1/2 p. c. pour le Centre.

La réduction de 40 p. c. est de 40 p. c. pour Charleroi, de 44 à 48 p. c. pour la vallée du Piéton et de 50 p. c. pour le Centre. Enfin la réduction de 60 p. c. est de 60 p. c. pour Charleroi, de 63 p. c. pour la vallée du Piéton et de 67 p. c. pour le Centre. Evidemment il y a là une exagération que rien ne justifie. L'intérêt public ne demande pas une pareille réduction, l'intérêt du trésor y est assurément opposé, et ce que nous offrons satisfait dans une juste mesure à ce que réclame, sinon l'intérêt privé, du moins celui que l'on invoque au nom des consommateurs.

J'ai cru, en acquit de mon devoir, que je devais éclairer la Chambre et lui dire quelle était la situation ; la Chambre décidera.

- La discussion est continuée à demain.


MpVervoortµ. - Hier, sur la proposition de votre président, vous avez chargé le bureau de compléter les sections centrales qui doivent examiner les budgets et dont des membres ont cessé de faire partie de la Chambre. Je présume qu'il entre dans les intentions de la Chambre de charger également le bureau de compléter les sections centrales ou commissions chargées de l'examen d'autres projets de loi qui sont incomplètes par la non-réélection de quelques-uns de leurs membres. (Adhésion.)

Puisqu'il en est ainsi, le bureau, pour la section centrale chargée de l'examen du crédit relatif à l'église de Laeken désigne MM. Hymans et Muller en remplacement de MM. Thiéfry et de Luesemans. Pour la section centrale chargée de l'examen de la proposition de loi de M. Lelièvre, relative à un crédit pour le payement des toelagen désigne MM. Moncheur et Guillery en remplacement de MM. Lelièvre .et Thiéfry. Enfin dans la commission spéciale chargée de l'examen du projet de loi relatif au cens d'éligibilité au Sénat, il désigne MM. De Fré et Nothomb, pour remplacer MM. Lelièvre et de la Coste.

- La séance est levée à 4 heures et demie.