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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 16 décembre 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 359) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor présente l'analyse des pétitions suivantes :

« Des étudiants de l'université de Bruxelles demandent le rétablissement de la session de Pâques pour tous les doctorats. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Mynzer, boutiquier et cabaretier à Rotseher, présente des observations sur un passage du rapport de la commission d'enquête dans lequel il est nommé. »

- Renvoi à la commission d'enquête.


« Des meuniers demandent la réduction du droit de patente auquel ils sont assujettis. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants d'une commune non dénommée présentent des observations contre les dispositions du Code pénal relatives aux coalitions. »

- Renvoi à la commission du Code pénal.

Rapport de la commission d’enquête sur les élections de l’arrondissement de Louvain

Discussion des conclusions

M. le président. - La parole est continuée à M. Thibaut.

M. Thibaut. - L'honorable M. De Fré nous a dit hier, à plusieurs reprises, que son rapport était une œuvre sérieuse. Je comprends son insistance. L'honorable membre avait travaillé avec passion, pour élever ce monument du haut duquel il foudroyait le parti conservateur. Et aujourd'hui que toutes les pièces du piédestal tombent tour à tour, il voit avec effroi le moment où il devra descendre au rang des simples mortels.

Le rapport, messieurs, n'est pas une œuvre sérieuse. Je crois en avoir donné, dans la séance précédente, des preuves nombreuses : j'en donnerai de nouvelles aujourd'hui.

Dans la séance d'hier, j'ai entrepris la réfutation du rapport par l'enquête. C'est encore ce que je vais faire. L'honorable M. De Fré s'indigne contre le clergé qu'il accuse de profaner le temple du Seigneur.

« Dans certains endroits, dit le rapporteur, le curé ne se donnait pas la peine d'aller à domicile, il faisait venir l'électeur dans la sacristie. Ainsi à Neerlinter, d'après la déposition du premier témoin entendu, le curé faisait venir dans la sacristie Henri Scots et lui dit que s'il veut voter pour sa liste, il lui donnera 8 à 10 fr. »

Henri Scots, messieurs, n'a pas été interrogé. Quelle preuve M De Fré donnera-t-il de son assertion ? La déclaration de Vanrattenborg qui dépose avoir entendu Scots raconter les faits. Voilà tout.

Mais permettez-moi de mettre en regard du fait attribué, sans preuve, au curé de Neerlinter, les dépositions de témoins concernant Vanrattenborg, agent électoral libéral.

Jacques Vranckx, de Neerlinter, dépose (173ème témoin) :

« Lowet, De Coster et Lenaerts plaisantaient entre eux des élections dans le cabaret de Hallet. Lowet dit, en prenant le journal qui soutenait les candidats catholiques : On nous invite à nous rendre à Louvain, mais on ne parle pas de frais de voyage. De Coster dit en riant : Que ceux qui veulent de l'argent pour aller à Louvain aillent trouver M. Vanrattenborg, il en a ; et je n'ai pas prêté plus d'attention. Lowet a répondu qu'il n'avait pas l'habitude de mendier.

« Je n'ai pas entendu dire que M. Vanrattenborg aurait offert ou donné de l'argent à quelque électeur, je ne suis pas électeur. »

J.-B. Lowet, de Neerlinter, dépose (17ème témoin) :

« De Coster m'a dit, dans la maison de François Hallet, que si je voulais être payé pour aller voter pour les libéraux à Louvain, je n'avais qu’à m’adresser à M. Vanrattenborg, secrétaire communal ; j'ai dit que je n’avais pas envie de mendier. Je suis allé voter à Louvain, par le chemin de fer, et j'ai payé moi-même mon voyage. Je ne sais pas si d'autres ont reçu de l'argent. »

Henri de Coster, dépose (172ème témoin) :

« J'ai dit, en plaisantant : si j'étais à votre place, j'irais chez M. Vanrattenborg pour obtenir des frais de voyage. On parlait des élections et de frais de voyage, mais il n'est pas à ma connaissance que M. Vanrattenborg aurait payé des frais de voyage à quelqu'un pour aller voter. »

Vandermeulen, dépose (161ème témoin) :

« Le bourgmestre est venu chez moi avant les élections ; je n'y étais pas ; il a remis cinq francs et un billet qui contenait les noms des candidats catholiques. Le garde est venu après m'apporter un billet et six francs, que j'ai renvoyés par mon domestique ; ce billet contenait les noms libéraux. Le garde n'a pas dit de quelle part il venait ; je n'étais pas à la maison non plus cette fois-là. »

Egide Vandenplas, dépose (186ème témoin) :

« Avant les élections de 1859, j'ai été chargé, par M. Vanrattenborg, d'offrir un billet et six francs pour frais de voyage à Jean Vandermeulen ; il était absent quand je me suis présenté chez lui, et sa femme m'a dit que, si, à son retour, il ne voulait pas les accepter, elle me rapporterait l'argent ; c'est effectivement ce qui a eu lieu. »

Frederickx, de Neerlinter, dépose (177ème témoin) : « M. Vanrattenborg, secrétaire communal, m'a remis un billet, et comme je lui ai dit que je n'avais pas le moyen d'aller à Louvain, à mes frais, il m'a dit qu'il payerait mes frais de voyage, et il m'a remis, je crois, dix francs. »

A propos de Frederickx, messieurs, rappelez-vous, je vous prie, l'histoire du pantalon acheté, selon la déposition de Weustenraed, qui l'avait appris d'un autre, acheté, dis-je, par un électeur de Neerlinter ou d'Oplinter.

Cet électeur avait, dit-on, reçu 10 fr. Rien ne prouve que les conservateurs aient donné une somme de 10 fr. à aucun électeur de ces communes ; mais il est constaté qu'un électeur de Neerlinter, au moins, a reçu pareille somme d'un agent électoral libéral, de Vanrattenborg.

Je vous laisse, messieurs, tirer telle induction qu'il vous plaira de ce curieux rapprochement. Pour moi, je penche à porter le pantalon au compte de la caisse libérale.

Je passe, messieurs, les deux autres faits, car M. le rapporteur en compte trois, où il nous représente le clergé distribuant des bulletins dans la sacristie, pour frapper davantage l'imagination de simples campagnards tels, par exemple, que Ceulemans, qui est lui-même sacristain de son village et qui a, par conséquent, ses entrées libres dans la sacristie.

« Pour mieux agir sur l'esprit de l'électeur, la sacristie ne suffit pas ; on y joint le confessionnal... Ou y parle de listes électorales, et on refuse l'absolution au pénitent qui votera pour M de Luesemans, accusé par le confesseur de vouloir anéantir la religion et ruiner le pays. La déposition de M. Sterckmans est aujourd'hui confirmée par l'instruction faite devant M. le juge Casier, le 21 novembre dernier. »

Ceci, messieurs, devient plus grave. Nous sommes en présence d'affirmations bien catégoriques, de nature à rendre le clergé et la religion un objet de répulsion, de mépris et de haine.

M. De Fré a lu hier ce passage et il l'a maintenu, et il lui a donné de nouveaux développements.

Moi, messieurs, je considère ces affirmations comme odieuses, ainsi que celles du paragraphe suivant que je lirai tantôt, et je dis que le rapport qui les contient fait tache dans les annales du parlement belge.

M. le président. - M. Thibaut, je ne puis laisser passer cette expression. Le rapport d'une commission, émanation de la Chambre, ne peut pas être qualifié de la sorte.

J’invite l'orateur à retirer l'expression dont il s'est servi.

M. Thibaut. - Je vous prierai, M. le président, de vouloir m'en indiquer une autre qui rende ma pensée et dont je puisse me servir.

M. le président. - Ce n'est pas à moi à vous indiquer les expressions qui sont parlementaires, mais je ne puis vous permettre de vous servir de celles qui ne le sont pas.

Si vous ne retirez pas cette expression, je devrai, à mon grand regret, vous rappeler à l'ordre. (Silence de M. Thibaut.)

Le rappel à l'ordre est prononce. (Interruption.)

M, Thibaut a le droit d'en appeler à la Chambre du rappel à l'ordre.

M. Thibaut. - Messieurs, je vous ai lu un passage du rapport que j'ai qualifié d'une manière qui m'a valu, de la part de M. le président, un rappel à l'ordre. Je crois que l’expression dont je me suis servi est permise, parce que le rapport d'une commission est un document qui, me paraît-il, peut être jugé et critiqué par chacun de nous.

M. le président. - Si l'orateur croit devoir en appeler à la Chambre, de la mesure que j'ai prise, il en a le droit. Pour moi, je crois que le rappel à l'ordre a été justement prononcé, et je le maintiens. (Interruption.)

M. B. Dumortier. - Je demande la parole sur ce fait.

M. le président. - Vous ne pouvez avoir en ce moment la parole que pour un rappel au règlement.

M. B. Dumortier. - Eh bien, je le demande pour un rappel au règlement.

(page 360) Je demande si un rapport d'une commission ou d'une section centrale, quelle qu'elle soit, n'est pas un document qui est soumis à la critique de tous les membres de la Chambre. Depuis 1830, nous n'avons pas eu l'exemple d'un rapport qui ait été placé sous le prestige de l'inviolabilité sous lequel on veut mettre le rapport si déplorable que nous avons entendu. Si le système que vous voulez introduire pouvait être admis, ce serait le système du mutisme du parlement.

Notre droit est de juger le rapport. J'ai été souvent rapporteur. J'ai vu mes rapports vivement critiqués par mes honorables adversaires et jamais je n'ai soupçonné qu'on pût prétendre qu'un rapport n'était pas soumis à la libre appréciation des membres de la Chambre.

M. le président. - La Chambre rendra cette justice à celui qui a l'honneur de la présider en ce moment, qu'il n'a nullement cherché à empêcher la libre discussion et la libre critique du rapport.

Mais comme président, gardien de vos prérogatives, je dois faire observer les convenances parlementaires. J'ai donc dû rappeler à l'ordre M. Thibaut qui n'avait pas le droit de qualifier comme il l'a fait un document, œuvre d'une commission de la Chambre.

M. B. Dumortier. - Cela n'y fait rien ; nous avons le droit de qualifier l'œuvre d'une commission.

M. le président. - M. Thibaut veut-il en appeler à la Chambre de la mesure que j'ai prise contre lui ? S'il ne le fait pas, je la maintiens.

M. Thibaut. - M. le président, me permettez-vous de continuer ?

Messieurs, je vous ai rappelé que l'honorable M. De Fré a prétendu que le prêtre avait abusé du confessionnal au profit d'une opinion politique.

M. De Fré semble réellement avoir abandonné depuis si longtemps la religion de ses pères, s'être nourri depuis si longtemps de cette religiosité nébuleuse qu'il développait hier à la tribune, qu'il ne sait pas. qu'il a oublié du moins ce qu'est le secret de la confession catholique.

La science juridique aurait pu lui apprendre au moins que ce qu'il affirme, il est dans l'impossibilité de le prouver, car ni lui, membre d'une commission parlementaire, ni un magistrat quelconque n'a pu interroger ni prêtre ni pénitent sur ce qui s'est dit entre eux dans le confessionnal.

Ignore-t-il, M. De Fré, que le prêtre, fût-il accusé spontanément par son pénitent, ne peut se défendre, et que par conséquent toute accusation dans ce cas est suspecte ?

Et ici, messieurs, sur quoi s'étaye M. De Fré, le modéré, l'impartial rapporteur ? Sur un propos de cabaret qui est nié ou rétracté, sous la foi du serment, par celui qui l'a tenu.

Oui, messieurs, la minorité de la commission a eu raison de dire, dans la note jointe au rapport : L'intervention du confessionnal est démentie par le seul témoin entendu qui pût en parler de science certaine.

M. De Fré a lu la déposition de Sterckmans, 56ème témoin, qui raconte ce que, selon lui, Vollen lui a dit le jour des élections, à Louvain.

Vollen, 182ème témoin, à qui on fit connaître sans doute la déposition de Sterckmans, répond sous la foi du serment :

« Je ne pense pas avoir dit à Sterckmans, qu'étant à confesse, le curé, avant de me donner l'absolution, m'aurait demandé pour qui j'aurais voté, que sur ma réponse que je votais pour M. de Luesemans, le curé aurait répliqué : « Dans ce cas, je ne puis vous donner l'absolution. » Le fait n'est pas vrai. Si j'avais tenu un pareil propos, je n'aurais pu le faire qu'en plaisantant et étant ivre ; je ne crois pas avoir rien dit de pareil. J'ai entendu raconter par l'hôte d'un cabaret de Tirlemont, que des paysans avaient été interrogés dans le confessionnal par leur curé et je puis avoir raconté cette histoire à Sterckmans ; il ne s'agissait pas de paysans de ma commune. »

Je dirai maintenant avec la minorité de la commission : « Qu'importe, après tout, que Vollen ait tenu ou n'ait pas tenu le propos que lui attribue Sterckmans ? Il ne reste pas moins constaté que le fait de l'intervention du confessionnal est resté démenti. Vollen a persisté devant le juge d'instruction dans ce qu'il avait dit devant la commission, et Sterckmans lui-même déclare : « Je ne crois pas Vollen capable de faire un faux serment, mais il boit volontiers un verre de trop. »

Je reprends, messieurs, la lecture du rapport.

« Cette instruction nous apprend ainsi, continue M. De Fré, que pour éviter d’être renvoyés du confessionnal sans absolution, de malins campagnards se munissaient d'un numéro du journal catholique le Belge ; ce que voyant, le prêtre absout le pécheur sans lui faire, comme à Vollen, des questions indiscrètes. Ja, ja, dit l'un de ces campagnards, oui, oui, mon Belge a été souvent à confesse. »

Messieurs, l'indignation qu'hier j'ai ressentie quand M. De Fré osait accuser le clergé d'enseigner la doctrine du mensonge, a fait place à un autre sentiment. Je suis triste et humilié de voir sur quel terrain M. De Fré a pore la discussion. Je suis triste et humilié de voir dans le parlement belge un homme, envoyé par la capitale de mon pays, employer contre ses adversaires des moyens aussi misérables.

- Plusieurs membres. - C'est trop fort !

M. B. Dumortier. - C'est un moyen misérable, c'est vrai ; c'est bien dit.

M. le président. - M. Thibaut, je vous engage à vous servir d'expressions convenables et parlementaires. (Nouvelles interruptions.)

Je répète que j'engage l'orateur à se montrer plus modéré dans ses expressions. Je l'invite à continuer.

M. Thibaut. - M. le président, je suis arrivé aux passages du rapport qui méritent les qualifications les plus sévères.

M. le président. - Elles peuvent être sévères et convenables.

M. Thibaut. - Que voulez-vous, M. le président ! quand l'honorable M. De Fré accuse le prêtre d’enseigner la doctrine du mensonge, je ne puis pas faire autrement que de lui dire : Cela n'est pas vrai.

MDolezµ. - Je ne vous conteste pas le droit de dénier ce qu'a dit M. De Fré.

M. Thibaut. - Quand M. De Fré accuse le prêtre de mettre le confessionnal au service des passions politiques, de quel mot voulez-vous que je me serve, si je ne puis pas dire que c'est une calomnie ?

Je vous ai lu, messieurs, les passages du rapport qui concernent le confessionnal.

Voyons ce que disent les témoins.

Sterckmans, membre actif de l'association libérale de Louvain, le même qui a mis Vollen en scène, dépose en ces termes (page 186) :

(L'orateur donne lecture de cette déposition.)

Il faut, messieurs, que je constate ici dans le rapport une grave altération de la déposition de Sterckmans ; c'est la femme du cabaretier qui, selon Sterckmans, a prononcé ces paroles : Ja, ja, mon Belge a été soutient h confesse. Dans le rapport je lis : Ja, ja, dit lu’n de ces campagnards, mon Belge a été souvent à confesse.

La femme d'un cabaretier de Tirlemont est devenue, sous la plume du rapporteur, un malin campagnard.

Dira-t-on que c'est une simple erreur ? Je le désire, mais de l'ensemble du rapport, du texte du paragraphe où l'altération se trouve, de l'effet qu'elle est destinée à produire, on pourrait conclure que ce n'est pas sans dessein que cette erreur a été commise.

Quoi qu'il en soit, c'est sur la seule autorité de Sterckmans et de Servais qui ne déposent pas des faits signalés dans le rapport comme en ayant été témoins, mais comme les ayant entendu raconter dans un cabaret, que le rapporteur a monté toute une accusation infamante contre le clergé, infamante aussi pour les gens du peuple que le rapporteur nous montre comme d'hypocrites imbéciles. Quant à la femme Dierickx, elle n'a pas été interrogée, et Dierickx, qui était présent à la conversation, d'après Sterckmans lui-même, déclare :

(L'orateur donne lecture de cette déposition.)

Messieurs, j'ai contrôlé presque tous les faits cités dans le rapport, et vous devez penser que M. De Fré a réuni tous ceux qui semblaient les plus propres à étayer son système : la corruption des électeurs par le clergé.

J'ai démontré par les dépositions qu'aucun de ceux qui peuvent avoir une certaine importance, n’a été fidèlement rendu, qu’aucun d’eux n’a le caractère que le rapporteur leur attribue.

J'ai démontré en même temps que les accusations les plus graves et les plus positives articulées par le rapporteur ne reposent que sur des propos de cabaret, rétractés ou niés dans l'enquête.

Voulez-vous, messieurs, connaître la véritable valeur de ces propos de cabaret ? Ouvrez l'enquête, aux pages 90, 91 et 92. Là, vous trouverez un témoin qui déclare qu'un électeur, P. Lens, surnommé den Witten, a dit, devant lui, au cabaret, qu'il avait reçu cinq francs du curé de Thildonck, pour voter pour les catholiques, mais qu'il avait voté pour le bon parti. Un autre déclare qu'il a entendu citer le même fait, toujours an cabaret. Voilà bien le genre de preuves que M. le rapporteur affectionne. Or, le curé de Thildonck nie, sous la foi du serment, qu’il a donné cinq francs à den Wilten, et heureusement, il en donne une preuve péremptoire. Den Witten n'est pas électeur.

Den Witten lui-même déclare qu'il n'a pu tenir le propos qu'on lui attribue, puisqu'il n'est pas électeur.

Maintenant, messieurs, que reste-t-il à charge des conservateurs ?

Il reste au moins établi, dit le rapporteur, « que le parti qui a triomphé à Louvain s'est servi de l'argent pour amener les électeurs au scrutin ; que de l'aveu de tous, c'est l'argent qui a fait venir les électeurs au vote ; que sans ces distributions d'argent, le résultat électoral du 14 juin eût été autre, puisque, de l'aveu de tous, sans l'emploi de l'argent, un grand nombre d'électeurs ne seraient pas venus voter »

Voilà certes un argent bien coupable. Il a fait venir des électeurs au vote ! Sans ce maudit argent, un grand nombre d'électeurs éloignés ne seraient pas venus voter et M de Luesemans aurait été élu par les électeurs de la ville dons il est bourgmestre. Comprenez-vous messieurs de la droite, le crime de nos amis politiques du district de Louvain ? Ils étaient trop nombreux ! Les riches ont supporté la dépense de ceux qui ne le sont pas ; ceux-ci ont pu venir voter sans s’imposer de sacrifices, peut-être sans éprouver de pertes, et M. de Luesemans, qui comptait sur leur absence, a été déçu.

Les électeurs étaient trop nombreux !

Et c'est le parti qui se dit libéral, qui reprocherait aux électeurs de se rendre au scrutin ! C'est lui qui reprocherait aux citoyens animés d'un (page 361) patriotisme ardent le zèle qu'ils déploient pour exciter leurs concitoyens moins aisés ou plus tièdes à faire usage de leurs droits ? Si cela était, messieurs, quelle preuve ce parti donnerait de son amour pour la liberté, pour l'élargissement des droits politiques et pour l'usage de ces droits !

Ah ! je vous entends. Vous dites que c'est le moyen employé, pour faire venir les électeurs que vous condamnez, soit ; mais si vous êtes logiques et justes, frappez, si vous l'osez, ceux qui ont usé de ce moyen, et respectez l'usage que les électeurs ont fait de leurs droits. Si vous êtes logiques et justes, dites alors : L'élection est bonne, elle est valide ; mais M. Van Bockel, ce digne et respectable citoyen qui a indemnisé des électeurs de sa bourse, M. le curé de Léau, M. le curé de Cappellen, M. le vicaire de Neerlinter, et quelques autres, au nombre de 19, sont blâmables. Ils le sont comme Vanrattenborg, Warnau. Claes, etc, etc. Erigez, si vous voulez, en délit, le fait d'offrir une indemnité de voyage aux électeurs, vous en avez le pouvoir. Mais, où vous arrêterez-vous dans votre vertueuse campagne contre ce que vous appelez bien à tort la corruption ?

N approuverez-vous plus que les élections dans lesquelles tous les électeurs auront payé, de leur bourse, leurs frais de route et de séjour ?

Non, vous n'êtes pas sévères à ce point. L'un des chefs du parti doctrinaire, si j'ai bien retenu le sens d’un discours qu'il a prononcé il n'y a pas bien longtemps permet aux candidats ou à leurs amis, d'offrir des voitures aux électeurs qui n'en ont pas. M. De Fré lui-même permet aux candidats élus et aux candidats désappointés d'offrir à dîner aux électeurs, Après le vote, cher soi, si l'on a un salon assez spacieux pour les réunir. M. De Fré permet même, indulgent qu’il est pour les candidats qui n'ont pas un palais pour demeure, de faire préparer d’avance, dans un hôtel, mais non pas dans plusieurs hôtels, un diner et non pas plusieurs dîners, pour ses amis politiques, que l'on n'invitera, bien entendu, ceci est de rigueur, qu'après le vote.

Voitures et dîners, ceux-ci après le vote, celles-là.....

Est-ce avant ou après le vote !

Grave question que l'honorable M. De Fré résoudra sans doute avant la prochaine élection. Voitures et dîners ne blessent pas la délicatesse. Mais donner à un électeur, petit cultivateur, petit boutiquier, artisan, ouvrier même, cinq francs pour qu'il aille (à ses frais, notez bien, et en se passant de boire et de manger, s'il veut faire un lucre), donner cinq francs à un électeur pour qu'il aille (à cinq, huit ou dix lieues de son village) déposer un bulletin dans une urne, c'est faire d'un citoyen libre, un serviteur à gages. C'est transformer le devoir politique en un service de laquais.

Cette sentence très éloquente, prononcée par le rapporteur, prouverait, lui soit dit en passant, que les conservateurs n'ont distribué de l'argent qu'à des électeurs de leur opinion. Un homme qui a eu l'honneur d'être libéral, ne fût-ce qu'un jour, ne s'abaissera jamais jusqu'au rôle de serviteur à gages et de laquais.

Des indemnités en argent ont donc été données à des électeurs, pour les déterminer à aller voter.

Cela suffit-il pour vicier l'élection ?

L'honorable M. De Fré a cité la législation anglaise. Je ne la connais pas. Mais ce que j'ai pu retenir de son discours d'hier, m’a convaincu qu'en Angleterre, on ne reconnaît qu'une espèce de corruption, celle qui est passible de poursuites correctionnelles. C'est aussi ce que nous soutenons. Le système contraire conduit directement à l'arbitraire.

Messieurs.il est regrettable sans doute que tous les électeurs ne prennent point part aux scrutins. Il est de leur devoir d'abandonner ces jour-là leurs affaires privées, leurs intérêts domestiques, pour s'occuper sérieusement des affaires publiques. Si tous les électeurs se rendaient au scrutin, le gouvernement du pays par le pays ne serait plus une fiction. Mais il faut bien le reconnaître, la loi électorale est elle-même la cause du plus grand nombre d'abstentions. Les réformes à faire ont été maintes fois signalées et le même esprit de parti qui a ordonné l'enquête les a toujours écartées.

Ce qu'il faut, c'est établir enfin une égalité réelle entre tous les électeurs. Ce qu'il faut, c'est décentraliser le scrutin, ou indemniser, au nom du pays, sur les fonds du trésor public, l'électeur qui doit se déplacer ; c'est même comminer des peines contre ceux qui, sans excuse légitime, s'abstiennent de prendre part aux élections.

Aussi longtemps que cette réforme ne sera pas faite, il y aura des abstentions et des indemnités sous formes diverses. C'est un mal, à notre sens ; il paraît que nos adversaires distinguent : ils trouvent que les indemnités sont un mal, quand elles sont données par les conservateurs et que les abstentions sont un bien. L'une chose explique l'autre.

Vous voudriez que les élections se fissent par les électeurs urbains seuls, parce que, dans les villes, la philosophie rationaliste et antireligieuse a fait beaucoup d'adeptes qui sont vos amis politiques.

Vous voudriez empêcher les conservateurs, auxquels vous faites trop d’honneur en les appelant le parti catholique, et que l'on essaye plus souvent d’injurier en les appelant le parti clérical, vous voudriez empêcher les conservateurs d'amener au scrutin les électeurs des campagnes chez lesquels le sentiment religieux, le sentiment chrétien, fondement de l’ordre social, est resté plus vivace.

Vous ne réussirez pas ; et plus vous compterez de succès comme celui de l'enquête de Louvain, plus nous serons près du jour où il y aura justice pour tous.

M. de Boe. - M. De Fré nous disait hier : Si vous trouvez le rapport mauvais, laissez le rapport pour ne vous occuper que de l'enquête. Il paraît que ce conseil, on refuse de le suivre. On discute M. De Fré beaucoup plus que la validation des pouvoirs des députés de Louvain. Il me semble qu'il est temps de remettre la question sur son véritable terrain. la question de savoir si les élections seront ou non validées. Avant d'entrer dans cet examen, je demanderai à dire quelques mots d'une idée émise par l'honorable M. de Muelenaere, dans la séance d'avant-hier.

M de Muelenaere vous disait que nos institutions ont perdu de leur prestige, que de bons esprits, des esprits timides il est vrai, doutaient de l'avenir du régime parlementait e en Belgique.

Lorsqu'un homme politique entend exprimer de pareils doutes, il les combat et il se garde bien de s'en faire l’écho au sein du parlement, et lorsqu'un homme politique de la valeur de M. le comte de Muelenaere les reproduit, on est en droit de se demander s'il ne se fait pas l'écho de ses propres idées et de ses propres sentiments.

Lorsque cette nouvelle génération, qui succède de jour en jour dans le maniement des affaires publiques à la génération de 1830, est entrée dans cette Chambre, elle y est entrée avec la foi dans l'avenir du régime parlementaire, elle y est entrée avec l'amour de nos institutions, amour puisé aux fortes leçons de la forte génération qui nous a précédés dans la carrière.

Plus heureuse que M. le comte de Muelenaere, elle n'a pas douté dans sa première jeunesse, elle n'a pas eu à servir un pouvoir dont tous les actes étaient une négation de ce régime.

N'ayant pas douté à l'origine de notre carrière, nous ne douterons pas à sa fin.

Cette foi, nous la conserverons intacte et lorsqu'un jour à notre tour nous recevrons sur ces bancs la troisième génération libre et indépendante de la Belgique, nous ne lui donnerons pas au déclin de nos ans le triste spectacle d'hommes politiques doutant de la durée et du prestige du régime parlementaire.

Ces institutions, nous voulons les maintenir ; nous voulons pouvoir les transmettre un jour, pures, comme nous les avons reçues. Nous voulons détruire dans son germe ce qui pourrait les détruire. C'est le seul moyen de leur conserver ce prestige dont parle M. de Muelenaere.

De tous les vices qui peuvent altérer le régime constitutionnel et parlementaire, ce régime dans lequel presque tous les pouvoirs reposent sur l'élection, i1 n'en est pas un qui soit plus prompt à s'introduire et qu'il soit plus difficile de déraciner, quand il s'est une fois introduit, que le vice de la corruption électorale. Cent bills rendus par le parlement n'ont pu l'extirper entièrement des mœurs anglaises.

« Chaque institution, chaque chose, chaque homme, disait en 1816 un pamphlétaire, Timon, qui, dans le monde scientifique et politique, a nom de Cormenin, chaque institution, chaque chose, chaque homme porte en soi le ver qui le ronge ; les élections ont aussi leur ver rongeur, qui est la corruption. »

Lorsque la vie politique est active, lorsque dans un collège électoral, que la force des deux partis en lutte se balance, comme à Louvain, chaque vote acquiert une grande valeur ; certains électeurs, selon qu'ils adoptent tels ou tels candidats, disposent de la majorité des voies de leur arrondissement. Si dans de telles circonstances des rapports d'argent s'établissent entre les partis politiques et les électeurs, l'idée de s'assurer des suffrages par des moyens autres que ceux d'une influence légitime ne tarde pas à naître, l'électeur est bientôt disposé à donner à son suffrage une valeur matérielle, et si une répression prompte et vigoureuse ne vient arrêter le mal, les élections perdent leur liberté et leur sincérité et le trafic électoral prend naissance.

L'enquête faite sur les élections de Louvain m'a prouvé que la liberté et la sincérité de cette élection n'étaient pas entières, qu'il y a eu dans ces élections un germe de corruption dû à des distributions d'argent faites aux électeurs, germe qu'il importe d'étouffer avant qu'il ne se propage.

C'est pourquoi, à moins que la discussion n'ébranle mes convictions, et jusqu’ici elle ne les a pas ébranlées, je voterai l'annulation de l'élection de Louvain.

Cette distribution d'argent, on ne la nie pas ; mais on nie que la sincérité et la liberté du vote aient été viciées, on se défend d'avoir corrompu. On présente les distributions d'argent comme faites dans le but d'indemniser l'électeur de ses frais de voyage, comme une économie et un progrès. On est prêt à y renoncer pourvu que les Chambres votent une loi facilitant à l'électeur campagnard l'accès de l'urne, une loi qui établisse le vote au chef-lieu de la commune ou du canton. C'est le vœu de M. Thibaut.

« Ce qui s'est fait à Louvain, dit-on, s'est fait ailleurs. Prononcer, dans ces circonstances, l'annulation de l'élection de Louvain, ce serait poser un acte qui ne serait pas conforme aux règles de la justice. »

C'est là plaider les circonstances atténuantes, c'est se mettre en aveu sur le fait principal, sur l'irrégularité des moyens de brigue usités dans (page 362) ces élections A quoi bon sans cela invoquer l'impunité dont on aurait joui jusqu'ici de ce chef dans cet arrondissement et ailleurs ?

Un pareil argument invoqué par la droite peut paraître étrange, car elle lui a d’avance enlevé toute valeur pur un vote qu'elle émit il y a quelques années à l'occasion de l'élection de Marche.

Le candidat évincé contestait le résultat du scrutin par ce motif que des bulletins, uniformes, jaunâtres, en papier demi-carton portant des épigraphes, des dates, des annotations spéciales, se trouvaient dans l'urne.

Le bureau rejeta cette réclamation, « considérant que toutes ces diverses expressions qui se rencontrent dans ces bulletins sont d’un usage fréquent et se rencontrent également dans plusieurs des bulletins qui nomment M. Jacques, que ni l’extérieur, ni l’intérieur des bulletins ni le contenu ne désignent l'auteur conformément aux dispositions de l’article 31 de la loi électorale, déclare ne pas s'arrêter. »

M. Mersch, président du tribunal de première instance de l'arrondissement, président du bureau électoral, déclare « que dans toutes les élections présidées par lui, et il les a présidées toutes, depuis la loi électorale de 1831, il a remarqué dans bon nombre de bulletins des variantes, des épigrammes, des devises bizarres, de doubles noms, sans que cela ait donné lieu à une seule réclamation. »

La gauche demanda une enquête pour éclaircir le point de savoir si, en mettant de tels bulletins dans l'urne, les électeurs avaient entendu se faire connaître, conformément aux dispositions de l'article 31 de la loi électorale.

La droite refusa l'enquête, annula l'élection et renvoya les candidats devant leurs juges, devant le corps électoral. Elle ne crut pas par ce vote porter atteinte au prestige de nos institutions, elle ne crut pas que l'intérêt de nos institutions, de notre réputation politique, de nos traditions nationales lui commandait de valider une élection qui lui semblât peu sincère. Elle ne crut pas qu'annuler cette élection, c'était déclarer à la face de l'Europe que le peuple belge était tombé à un tel degré d'avilissement que sa consciente politique ne fût pas libre, qu'elle fût à la merci d'un propriétaire et qu’elle agît sous l'impulsion d’une pression illégitime.

La droite a posé à cette époque une rigidité de principes dont on ne peut que la féliciter. L'argument que des bulletins à devises étaient en usage à Marche depuis 24 ans et dans d'autres arrondissements ne l'a pas arrêtée. Elle a pensé que loin d'être un motif de validation cette extension du mal devait être un motif d’annulation. Elle a pensé que valider l'élection c'était sanctionner le mal, l’encourager, le propager ; qu'il fallait étouffer le ver rongeur. Elle a annulé, et du coup elle a mis un frein au dépôt des bulletins marqués dans l'urne.

Grâces lui en soient rendues !

Peut-être un jour, un homme impartial de la droite dira-t-il des libéraux de 1859 : En annulant l’élection de Louvain, ils ont étouffé le ver rongeur du trafic électoral, grâces leur en soient rendues ! En nourrissant cette espérance, j’en appelle de la droite vieillie de 1859, à la droite rajeunie de l'avenir. J'en appelle de la droite usant ses forces, usant le génie de ses hommes d'Etat à la poursuite de la restauration chimérique d'un passé qui a disparu pour toujours, à la droite devenue véritablement conservatrice, c'est-à-dire, servant de contre-poids à l'action trop vive du parti libéral vers le progrès et les idées nouvelles.

Pour disculper les électeurs de Louvain, on inculpe d'autres électeurs :

« Si des électeurs ont été défrayés en argent, dit-on, ce fait n'est nouveau ni dans l'arrondissement de Louvain, ni dans d'autres arrondissements. »

En lisant cette phrase dans le rapport de. la minorité de la commission, je me suis demandé si l’on faisait un aveu, où si l'on lançait une accusation. Est-ce un aveu que le parti conservateur se serait servi de l'argent dans les élections avant 1859 et ailleurs qu'à Louvain ? La révélation est curieuse à noter.

Est-ce une accusation ? Dans ce cas, je dirais qu'elle me semble peu fondée. C'est pour la première lois en 1859 que nous avons entendu parler d'argent distribué aux électeurs, et c'est parce que ce moyen de brigue était nouveau, extraordinaire, qu’il semblait devoir entacher le vote, constituer un germe de corruption, que la Chambre a ordonné une enquête.

II a été souvent question dans cette enceinte de dépenses électorales consistant en dîners, en transports gratuits, mais jamais de distributions d'argent faites aux électeurs. Je ferai remarquer que jamais la Chambre n'a été officiellement saisie de cette question des dépenses électorales ; on peut en conclure que jamais ces dépenses, ces dîners, ces transports gratuits n’ont vicié ni la sincérité, ni la liberté de l'élection : sans cela la partie battue n'eût pas manqué d'en faire l'objet d'une réclamation devant cette Chambre.

Aussi dans cette enceinte, lorsqu'on a critiqué ces frais, n'est-ce pas comme entachant la liberté et la sincérité du vote ; on les a condamnés au point de vue de la dignité du corps électoral, au point de vue de la dignité de la Chambre, au point de vue de l'esprit démocratique de nos institutions gravement altérées par l'obligation où se trouve le candidat de certains arrondissements de disposer d'une fortune considérable pour pouvoir affronter l'épreuve du scrutin avec quelque chance de succès.

Jamais donc jusqu'ici des plaintes contre la sincérité et la liberté d'une élection résultant du chef de dîners et de transports gratuits n'ont été élevées ou reconnues fondées ; jamais la Chambre n'a été saisie du chef de distributions d'argent faites aux électeurs, et si nos adversaires en connaissent, ils feraient bien d'être plus explicites et de compléter l'aveu qu'ils nous en ont fait.

Cet argument que ce qui s'est fait à Louvain s'est fait ailleurs et jadis dans cet arrondissement n'a donc aucune valeur. Il n'en a surtout aucune dans la bouche de nos adversaires qui l'ont d'avance infirmé en annulant l'élection de Marche.

Ces distributions d'argent, dit-on, ont eu pour but d'indemniser l'électeur de ses frais de voyage ; les faits d'achat de vote, de corruption n'existent pas.

« Pas un témoin n'a déclaré, dit-on, qu'on lui avait donné ou offert, de la part du parti conservateur, de l'argent pour son vote ; les faits graves de pression sur des locataires, d'achat de vote, de corruption que la pétition de Louvain avait signalés à notre attention ne sont pas prouvés. »

La droite soutient que la Chambre a virtuellement décidé, en ordonnant l'enquête, que si ces faits n'étaient pas prouvés les élections seraient validées.

Comment ! c'était là l'unique but de cette redoutable enquête contre laquelle on a tant lutté, contre laquelle on s'est déchaîné .pendant des mois ! Voir si, dans les élections de Louvain, il y avait eu trafic, achat et vente de votes ! Et le parti conservateur s'est opposé à cette enquête ! Comment ! On le soupçonne d'avoir trafiqué de suffrages et il ne se lève pas comme un seul homme pour demander, pour exiger une enquête qui sera à la fois une réparation et un moyen de se venger d'une aussi sanglante injure ! On vous offre l'enquête qui produira la lumière et vous n'en voulez pas. Vous refusez cette lumière que l'innocent ne redoute jamais !

Et aujourd'hui que le doute sur l'absence de sincérité s'est changé pour nous en certitude, vous luttez pour la validation des pouvoirs comme vous avez lutté pour le rejet de l'enquête.

De quoi s'agit-il donc ? Qu’est-donc que cette annulation ? Est-ce un acte irrémédiable, est-ce un de ces actes comme il en a été posé si souvent par le parlement anglais ? Est-ce un interdit lancé sur un collège électoral ? S’agit-il d’enlever à Louvain son droit de franchise parlementaire, de déclarer l'arrondissement indigne d'envoyer des représentants dans cette enceinte ?

Non, il s'agit de renvoyer les députés de Louvain devant leurs juges, devant le corps électoral, il s'agit de retremper leur mandat que nous croyons vicié, dans l'épreuve d'une nouvelle élection.

Et cette épreuve vous la repoussez comme vous avez repoussé la lumière ! Vous redoutez de paraître devant vos juges rendus à la liberté de leur conscience, comme vous avez redouté de voir paraître au grand jour les pratiques électorales de votre parti à Louvain.

La certitude sur l'absence de sincérité et de liberté existe, ai-je dit et pas n'est besoin pour cela d'une preuve de corruption telle que l'entend l'honorable comte de Muelenaere.

L'enquête a eu pour but de rechercher si de l'argent avait été distribué et si, par suite de l'argent reçu, l'électeur a pu se considérer comme engagé à voter pour certains candidats.

Le fait que la remise de l'argent a été accompagnée de la remise d'un bulletin, le fait que l'argent remis dépassait notablement les frais que l'électeur devait nécessairement faire pour se rentre au scrutin en sont une preuve évidente.

Cette preuve résulte de l'ensemble des dépositions, dans le détail desquelles je ne veux pas entrer. Ceux dont les convictions ne sont pas faites après la lecture de deux rapports et l'audition de cinq discours sur ces détails, le tout précédé de la lecture des pièces, ne seront jamais convaincus.

Je ne ferai qu'une seule observation sur la manière dont on réfute les arguments que la gauche tire de ces dépositions. Lorsqu’elles sont formelles et qu’il est impossible de les nier, on les traite de propos de cabaret. De que les gens prétendons-nous que la conscience n'a pas été libre parce qu'ils ont reçu 15, 10 ou 5 francs ? Des gens gagnant 1 fr. à fr. 1 50 par jour. On veut chercher l'expression de leurs idées et de leurs sentiments ailleurs qu'au cabaret. N'est-ce pas leur lieu de réunion ? Faudrait-il chercher leurs propos dans les hôtels ?

Que dirait-on d'un avocat qui contesterait une déposition, sous prétexte qu'elle repose sur des propos de cabaret ?

Le fait que la commission avait à rechercher n'était pas le fait de corruption tel que l'entend la droite ,tel qu'il est défini par l'article 113 du Code pénal.

Limiter le droit pour la Chambre d'annuler une élection à la preuve des faits prévus par l’article 113 du Code pénal, c'est enchaîner notre droit absolu de contrôle et de décision sur la validité de l'élection des membres du parlement, au texte d'un Code dont naguère encore, lors de cette discussion où M Dumortier proclamait M. De Fré un vrai libéral du Congrès, dont naguère, dis-je, nos adversaires proclamaient les dispositions incompatibles avec l'esprit des institutions inaugurées en 1830.

Pour l'appréciation de la sincérité du droit électoral, sous notre libre Constitution, sous nos mœurs politiques en général si pures, nous irions chercher la définition de la corruption dans le Code pénal de (page 363) l’empire, Code publié en 1810, à une époque où un corps législatif, produit au cinquième ou sixième degré d'un suffrage national, depuis longtemps privé de vie, enregistrait muet les ordres de l'empereur.

L'article 113, même sous ce régime, n'a pas eu pour but de définir la corruption électorale en vertu de laquelle seule le mandat d'un représentant pourrait se trouver vicié. Il a eu pour but de déterminer les cas dans lesquels la justice répressive aurait à intervenir dans l'examen des faits qui peuvent altérer ou vicier une élection. De même les articles 109 et suivants du même Code, l'article 19 de la loi électorale déterminent la criminalité des faits, troubles, violences ou autres qui ont ou auraient vicié l'élection.

Le droit pour la Chambre d'annuler l'élection du chef de troubles ne serait pas le moins du monde limité à la preuve des faits prévus par ces articles.

La preuve du fait réprimé par le Code est donc inutile, le double fait que la commission avait à rechercher :

1° Distribution d'argent ;

2° Distribution d’argent faite de telle façon que l'électeur ait pu se considérer comme engage à voter pour tels ou tels candidats est donc établie.

Le parti conservateur ne nie pas le premier, mais il nie le deuxième. Les distributions d'argent, dit-on, ont été faites uniquement dans le but de défrayer l'électeur. Les dépenses ainsi faites sont inférieures à celles qui se faisaient auparavant en frais de voyage et dîners dans l'arrondissement de Louvain et à celles qui ont eu lieu dans d'autres arrondissements. C'est un moyen économique de remplacer les dîners et les transports gratuits, c'est un progrès.

Ce moyen est économique.

Que ce moyen soit économique, cela est évident. Le candidat aimera mieux donner dix francs en argent qu'un dîner de quinze francs, et le campagnard aimera toujours beaucoup mieux recevoir dix francs en argent, sur lesquels il en économisera sept à huit, et augmentera son pécule, que de recevoir un dîner de quinze francs. Sous ce rapport, c'est un progrès. Mais c'est aussi un progrès au point de vue de l'altération des mœurs électorales. C'est ce que l'histoire du régime électoral chez les deux peuples qu'il a élevés le plus haut prouve surabondamment, le peuple Romain et le peuple anglais. A Rome et en Angleterre, le système électoral a suivi quatre phases.

A Rome, quand les vertus antiques sont en honneur, que la vie est pauvre et austère, le candidat brigue les suffrages, en parcourant le Forum et le Champ de Mars, il invoque les services, la grandeur de ses ancêtres, il fait valoir les services que lui-même a rendus, qu'il peut rendre encore : des motifs purement moraux déterminent le choix des électeurs. Lorsque Rome s'est agrandie, que les trésors de l'Orient y affluent, que les antiques vertus disparaissent, que l'électeur se lasse des plaisirs virils de la vie politique, qu'il préfère aux luttes du Forum les luttes du Cirque, le candidat lui ouvre les portes des spectacles et lui dresse les tables des festins.

Des fortunes considérables s'engloutissent dans ces dépenses, d'antiques familles s'y ruinent.

Les candidats ne tardent pas à chercher un moyen économique de remplacer ces dépenses. Ils trouvent économie à faire des distributions d'argent et bientôt par un enchaînement logique des faits, l'électeur trafique de son vote. Les mœurs publiques se corrompent de plus en plus, les hautes magistratures de Rome sont à l'encan, jusqu'au jour où n'ayant plus de consciences à acheter, l'on trouve que, pour arriver aux places, le meilleur moyen c'est d'enrôler les vauriens de Rome, de leur donner la garde du forum avec charge d'en expulser les partisans de la partie adverse.

Dans le développement des mœurs électorales anglaises, nous trouvons ces quatre phases.

A l'origine le cadet de famille qui presque seul entre dans la chambre des communes invoque les services rendus par le chef de sa maison. Quand la compétition des candidats aux sièges du parlement augmente, le recours à des moyens matériels a lieu, on voiture les électeurs et on tient table ouverte, on dépense des millions, souvent l'on échoue au poll. L'esprit pratique de l'Anglais suggère bientôt un moyen plus économique de briguer les suffrages. On remplace les dîners et les transports gratuits par des distributions d'argent, jusqu'au jour où par un enchaînement logique des faits on trafique des votes, ou l'on recourt aux moyens de sanglante violence dont les élections d'Angleterre et surtout de l'Irlande ont si souvent offert le spectacle.

Rappelez-vous l'enquête, messieurs, et dites-moi si l'arrondissement de Louvain dans ses mœurs électorales n'en est pas arrivé à la troisième et quatrième phase. On distribue de l'argent, on ne trafique pas encore des votes, mais on en trafiquera demain, on ne chasse pas l’électeur de l’urne, mais on a des bandes organisées portant un signe de ralliement prêtes à agir au premier signal.

Ces faits, le parti conservateur semble les déplorer comme nous.

« Mais, dit M. Thibaut, le mal est inhérent à notre système électoral ; c'est le résultat de ce système d’inégalité devant la loi établi pour les électeurs campagnards : tant qu'on n'aura pas accordé à tous les électeurs des facilités égales pour remplir leurs devoirs politiques, c'est-à-dire tant qu'on n'aura pas établi le vote au chef-lieu de la commune ou du canton, les moyens que l'on emploiera contre les distributions d'argent ne seront ni justes, ni constitutionnels, et la pratique électorale de Louvain sera légitime. »

On prend texte des dépenses électorales qu'on a inaugurées, des fautes commises à Louvain, pour demander le changement de l'une des bases fondamentales de la loi électorale ; loi élaborée par le Congrès qui avait écrit en tête de la Constitution le principe de l'égalité devant la loi ; et en attendant on nous demande non pas seulement de passer l'éponge sur le passé, mais de sanctionner légalement par une validation de pouvoirs ce que la droite considère comme parfaitement légitime.

Ce grief, tiré de l'éloignement de l'électeur campagnard de l'urne du scrutin, est tout nouveau. Pendant de longues années le système établi par le Congrès national n'a donné, de ce chef, lieu à aucune plainte. M. de Theux, rapporteur de la loi au Congrès avait trop bien justifié eu quelques lignes le vote au chef-lieu d'arrondissement pour que ce système pût être attaqué. Et cependant à l'époque où M. de Theux écrivait ces lignes. « Quant à la réunion des électeurs la commission a cru devoir la fixer au chef-lieu des districts, les électeurs y trouveront plus de facilité pour s'éclairer sur leurs choix, ils sont moins exposés à subit une influence de localité. » A l'époque où M. de Theux écrivait ces lignes, les communications entre les communes rurales et les chefs-lieux d'arrondissement étaient difficiles, les chemins de fer n'existaient pas, les roules royales et provinciales ne reliaient entre elles que les villes importantes du royaume, la voirie vicinale était dans l'enfance, et il était plus difficile au campagnard de se rendre de sa commune au chef-lieu de son canton qu'il ne lui est difficile aujourd'hui de se rendre au chef-lieu de l'arrondissement.

C'est au moment où le réseau des chemins de fer se complète, que de nombreuses routes ont été construites, c'est en ce moment que les plaintes commencent, c'est au fur et à mesure que les moyens de transport deviennent moins coûteux et plus faciles, que les plaintes augmentent ! D'où vient ce fait étrange ?

Ne serait-ce pas qu'au fur et à mesure que le transport devient moins coûteux et plus facile, l'influence du parti conservateur se perd dans les campagnes et que ce parti a conscience de cette perte et qu'il veut ressaisir cette influence, soit par une modification à la loi électorale, soit, dans certains arrondissements, par des moyens que jamais une Chambre ne pourra sanctionner ?

Plus les voies de communication deviennent faciles, plus la droite se plaint des difficultés de transports. On a dit des voies de communication qu'elles seront pour les campagnards du XIXème siècle, ce que l'imprimerie fut pour la bourgeoisie au XVIème siècle. Le paysan s'éclaire au contact de la ville, et lorsque l'on demande une réforme électorale, lorsqu'on demande qu'une loi fournisse à tous les électeurs des facilités égales pour remplir leurs devoirs électoraux ; lorsqu'on demande le vote au chef-lieu de la commune ou du canton, ce que l'on veut c'est d'isoler le paysan du citadin, ce que l'on veut, c'est ressaisir par ce moyen la vieille influence qui s’en va.

En attendant, on distribue de l'argent.

La Chambre est appelée à se prononcer sur la légitimité de ce moyen. Valider l'élection de Louvain. c'est le proclamer légitime, c'est donner une sanction légale à ce qui n’est peut-être pas encore la corruption électorale dans le sens de l'article 113 du code pénal, mais à ce qui le sera demain ; c'est introduire dans nos mœurs le vice, dans nos institutions politiques un germe de mort.

La raison que l'achat des votes n'est pas prouvé, que pas un témoin ne déclare avoir engagé son vote, n'en est pas une. Pour que le mandat d'un député soit vicié, il n'est pas nécessaire qu’il soit le résultat d'un trafic. Il suffit que la liberté et la sincérité du scrutin n'aient pas été entières, et la liberté et la sincérité du scrutin ne peuvent avoir existé là où les électeurs ont reçu de l'un des deux partis ou de tous deux, qu'importe ! des sommes d'argent constituant pour eux un lucre.

La raison que le mal existe ailleurs n'en est pas une. L'impunité du passé ne légitime pas l'impunité du présent et de l'avenir. La Chambre frappe le mal quand elle peut le frapper. C'est ce qu'elle a fait pour les bulletins marqués lors de l'élection de Marche. Si elle agissait autrement, elle manquerait au premier de ses devoirs qui est de veiller à la pureté du mandat qu'elle exerce.

Le résultat d'une élection nouvelle à Louvain importe peu. Si le parti catholique triomphe, ce triomphe ne sera pas la condamnation de l’enquête et du vote d'annulation, il ne prouvera pas que les élections de 1859 ont été sincères, il prouvera que le parti catholique peut réussir par des moyens légaux et loyaux. Nous serons les premiers à l'en féliciter et à nous en féliciter nous-mêmes dans l'intérêt du prestige, de l'avenir de nos institutions et de la dignité de notre pays.

M. Wasseigeµ. - J’étais peu désireux, messieurs, de prendre part à ce débat, lorsque d'honorables membres, beaucoup plus capables que moi, devaient descendre dans l'arène Mais il y a quelques jours, un homme s'est levé dans cette Chambre, et cet homme a dit : « Je voudrais bien voir ta figure de M. Wasseige, quand on discutera les élections de Louvain. »

(page 364) Cet homme, c'était l'honorable M. De Fré.

J'aurais cru manquer de courtoisie envers l'honorable M. De Fré, si je ne lui avais pas fourni l'occasion qu'il m'a demandée en si bons termes. Je désire qu'il examine ma figure, je désire qu'il y voie, telle que je l'éprouve au fond du cœur, la triste impression qu'ont faite sur moi et son rapport et ses discours.

Vous vous rappelez, messieurs, à quelle occasion l’honorable M. De Fré m'a donné ce rendez-vous solennel. C'était lorsque je demandais le dépôt sur le bureau de certaines pièces qui viennent d'être livrées à l'impression et de vous être distribuées, sous le titre excessivement adouci d'observations sur le rapport de la commission. Ces pièces, messieurs, je les avais qualifiées plus sévèrement, je crois que j'étais dans le vrai, et je vais essayer de vous le prouver en quelques mots.

La première pièce, messieurs, est une déclaration de MM. les membres du comité conservateur de Louvain contre un passage du rapport de l'honorable M. De Fré, où l'on trouve ceci ;

« Le notaire Van Orshoven, de Tervueren, dépose que le vicaire de Halle-Boyenhoven a dû recevoir du comité de Louvain 250 fr. pour vingt-cinq électeurs ; il tenait ce fait du frère du vicaire. le docteur Tielemans, qui est venu le confirmer. »

Eh bien, messieurs, ce fait est démenti positivement, passez-moi le mot, par MM. les membres du comité conservateur de Louvain. Est-il mieux établi par les témoins de l'enquête ?

J'affirme que non. M. le vicaire n'a pas été entendu, mais dans les pièces déposées sur le bureau il dénie positivement le fait. Le frère du vicaire, le docteur Tielemans, dépose en ces termes :

« Quelque temps avant les élections étant à Diest avec mon frère le vicaire, il me demanda si je n'avais pas de commission pour Louvain, disant qu'il devait y aller chercher de l'argent pour les élections, si cet argent n'était pas déjà envoyé ; il s'agissait de 250 fr. pour 25 électeurs. »

Pas un mot du comité conservateur de Louvain.

Le notaire Van Orshoven, membre du comité libéral, témoin fourni par l'accusation, est-il au moins plus explicite ? Pas le moins du monde. Nous lisons dans sa déposition :

« J'ai compris également que l'expédition de deux cent cinquante francs avait été faite par le comité électoral catholique, mars je ne puis affirmer positivement aujourd'hui que le mot ait été prononcé. »

Vous le voyez, messieurs, aucune des dépositions contenues dans l'enquête ne vient donner raison aux assertions du rapporteur, et les honorables membres du comité conservateur de Louvain ont pu le démentir.

Il n'y a pas ici la moindre équivoque et rien n'autorisait le rapporteur à nous dire hier que l'on n'est pas allé chercher l'argent c'est qu'il avait été envoyé.

Autre fait, messieurs ; on lit dans le rapport :

« A Rotselaer, cela allait très mal pour les libéraux, depuis que les nommés Leclercq et Pletinckx, accompagnés du curé, avaient distribué de l'argent. »

Eh bien, messieurs, M. Leclercq nie positivement avoir jamais mis le pied à Rotselaer ; Pletinckx, Henri, fait la même déclaration.

Pletinckx, Jacques, affirme également ne pas avoir parlé d'argent au curé, lorsqu'il lui fit une visite complètement étrangère aux élections ; le curé atteste également le fait. Eh bien, malgré toutes ces dépositions précises, concordantes, relatées dans l'enquête, ne prêtant pas à la moindre équivoque, l'honorable M. De Fré imprime le contraire dans son rapport.

Ne suis-je pas, dans ce cas, autorisé à dire ou qu'il n'avait pas lu l'enquête lorsqu'il a fait sou rapport ou bien qu'il y aurait inséré sciemment ce qu'il savait n'être pas la vérité.

M. le président. - Le règlement n'autorise pas un pareil langage ; vous ne pouvez pas dire qu'un de vos collègues a écrit ce qu'il savait n'être pas vrai.

M. Wasseigeµ. - J'ai dit qu'il n'avait pas lu les pièces ou que s'il les avait lues il avait écrit ce qu'il savait ne pas être vrai. Voilà ce que j'ai dit et je le maintiens.

M. le président. - Même sous forme de dilemme, ces expressions ne sont pas convenables.

M. Wasseigeµ. - Messieurs, voici une quatrième réclamation : Le rapport dit : A Léau, le vicaire offre à Baens 5 francs, à Janquin 10 francs, à Koninck 15 francs, « s'ils veulent aller voter avec le bulletin qu'il leur remet. Chez ce dernier, il jette 15 francs sur la table en demandant : Est-ce assez ? à quoi l'électeur surpris réplique : Mais c'est trop, c'est beaucoup trop ! »

Eh bien, messieurs, Baens n'a rien reçu du vicaire de Léau ; le vicaire de Léau ne connaît pas Baens ; Baens ne connaît pas le vicaire de Léau. Koninckx dément positivement le fait, et voici en quels termes :

« Tout ce que j'ai dit jusqu'ici concernant ce qui m'est arrivé au moment des élections a été dit par plaisanterie ; mais aujourd'hui que je dépose sous serment, je déclare que le vicaire est venu me demander d'aller aux élections ; qu'ayant répondu que je n'en avais pas l'intention, il a insisté et m'a remis encore un billet ; puis, comme je parlais de frais de voyage, il a mis la main à son porte-monnaie en disant qu'il y avait là cinq francs que je pouvais prendre pour mes frais de voyage ; j'ai refusé en disant que, si j'allais voter, je le ferais à mes frais ; je n'ai pas été voter. »

Voilà donc un fait qui se trouve encore controuvé, dénié par l'enquête même, quant à deux des trois individus qui y sont cités.

En ce qui concerne Janquin, le fait a été expliqué d'une manière très catégorique et très péremptoire par mon honorable ami, M. Thibaut.

Une autre réclamation nous est encore soumise : c'est la lettre écrite par M. De Becker. Le rapport contenait ceci :

« M. Emile De Becker, qui, d'après sa propre déclaration, a été longtemps mêlé à la vie politique, qui, comme, ancien rédacteur de l'Union de Louvain, apprécie les choses à leur juste valeur, déclare aussi que si on n'avait pas défrayé les électeurs, le résultat des élections de Louvain eût été différent. »

Ce fait capital est donc reconnu par libéraux et catholiques, l'argent distribué avec le bulletin catholique détermina l'électeur à voter.

Là, se termine, dans le rapport, la reproduction de la déposition de l'honorable M. De Becker ; et l'honorable M. De Fré disait hier qu'il n'y avait d'autre désaccord entre M. De Becker et lui qu'une différence dans l'appréciation qu'on pouvait faire de cette déposition.

Cette explication n'est pas soutenable ; la déposition de M. De Becker est tellement claire, précise qu'elle ne prête pas à des appréciations différentes. Voilà ce que dit l'honorable M. De Decker.

Si l'on n'avait pas défrayé les électeurs, le résultat des élections de Louvain eût été différent ; sinon, les villes seules ou à peu près auraient pris part au scrutin, que c'était une conséquence de la loi.

Et voilà ce que M. le rapporteur a passé sous silence, parce que cela détruisait l'effet qu'il voulait produire !

Je demande si, en présence de la reproduction complète de la déposition, il eût été possible à M. le rapporteur d'en tirer les conséquences qu'il a voulu en tirer dans son rapport. J’affirme que cela eût été impossible et que c'est de propos délibéré qu'une partie de la déposition a été supprimée dans le rapport...

- Des membres. - C'est une injure.

M. le président. - M. Wasseige, je dois vous interrompre. L'article 19 du règlement porte ce qui suit :

« Toute imputation de mauvaise intention, toute autre personnalité, tout signe d'approbation ou d'improbation sont interdits. »

Vous ne pouvez donc pas, M. Wasseige, imposer à un de vos collègues les intentions que vous venez de lui prêter ; je vous engage à modifier votre langage.

M. Wasseigeµ. - Je demande à M. De Fré de nous dire pour quels motifs il n'a pas donné la déposition complète de M. de Becker, déposition dont la reproduction complète l'aurait mis dans l'impossibilité d'en tirer les conséquences qu'il a déduites dans son rapport.

Je crois qu'en présence de ces explications précises, j'avais le droit, il y a quelques jours, de qualifier, comme je l'ai fait, les réclamations adressées à la Chambre.

Examinerai-je maintenant le rapport de M. De Fré ? J'avoue qu'ici je me trouve singulièrement embarrassé. L'honorable M. De Fré, au commencement de son discours, a déclaré qu'il l’abandonnait, qu'il n'en faisait plus état, qu'il ne se servirait que des dépositions de l'enquête, que le rapport il consentait à en faire le sacrifice.

Il est vrai que peu d'instants après dans un magnifique mouvement oratoire il ressaisissait ce rapport et déclarait qu'il le défendrait mieux que maître corbeau n'avait défendu son fromage.

Puisque M. De Fré aiment tant à citer les fables de la Fontaine, je me permettrai aussi de lui en citer une bien plus applicable au débat qui nous occupe.

Je lui citerai les Animaux malades de la peste ; là l'analogie est aussi complète qu'elle peut l'être, depuis ce loup quelque peu clerc, qui était rapporteur dans l'enquête ouverte devant cette illustre assemblée, jusqu'à ce pauvre animal, ce pelé, ce galeux avec lequel vos feuilles et vos pamphlets ont tant de bonheur à comparer l'électeur campagnard, qu'elles appellent une charrue croyant en Dieu.

Dans cette enquête vous n'avez pas été sans entendre parler par-ci par-là de quelques péchés électoraux d'origine libérale, péchés d'une valeur plus que vénielle ; nous avons vu certain administrateur du bureau de bienfaisance maquignonnant le vote des électeurs à l'aide de l'argent des pauvres ; nous avons vu tel employé des hospices cherchant à imposer un vote, à des électeurs tenant en location des terres dépendantes de son administration ; nous avons vu certain ministre éloigner, au moment des élections, un fonctionnaire suspect de n'être pas assez imbu de ministérialisme.

Mais tout cela n'était que peccadille, et j'ai pu croire un moment qu'ils auraient été complètement escamotés dans le rapport. Mais enfin (page 365) M. De Fré s'est décidé à en parler, mais si peu que pour la beauté de l'art et la gloire de l'opérateur, c'est plus distingué encore que le silence. Voici ce qu'il en dit :

« On a fait grand bruit de la pression exercée sur les locataires des hospices de Bruxelles, sur les fournisseurs du bureau de bienfaisance de Diest, et sur un petit employé de la poste aux lettres de Louvain. L'enquête a enlevé à ces faits tout caractère de gravité. »

Punctum !

Ce petit employé n'est-il pas charmant ? Vous lui fîtes, seigneur, en le faisant changer beaucoup d'honneur. Quant à l'employé des hospices, je répondrai un mot sérieux à l'honorable M. Van Volxem. Il a dit que l'administration des hospices n'avait donné aucun mandat, que l'employé qui s'était rendu dans l'arrondissement de Louvain y était allé de son chef, qu'on ne pouvait pas faire remonter la responsabilité de sa démarche à l'administration des hospices.

Mais, dans la déposition de Verschoet, je lis :

« Je n'ai pas reçu d'ordre de l'administration des hospices, seulement M. Van Schoor, qui savait que j'avais des connaissances dans l'arrondissement de Louvain, m'a engagé à user de mon influence personnelle auprès de mes amis. »

L'administration des hospices n'y est pour rien, je le veux bien, mais M. Van Schoor, administrateur des hospices a dit à M. Verschoet, employé des hospices, et qui était connu, sous cette qualité, des électeurs près desquels il l'envoyait : « Vous irez voir vos connaissances qui tiennent en location des terres des hospices, et vous les engagerez à voter pour les candidats libéraux. »

Mais les électeurs libéraux auxquels s'adressait cet employé des hospices, connaissaient M. Verschoet ; ils savaient qui il était ; il n'était pas nécessaire que sa qualité fût écrite sur son chapeau pour produire l'effet attendu.

M. Van Volxemµ. - Je maintiens que c'est à titre personnel que M. Verschoet a fait ces démarches.

M. Wasseigeµ. - J'arrive à la théorie du dîner libéral dans le rapport de l’honorable M. De Fré. Voici ce que dit ce rapport :

« Le dîner après l'élection ne détermine pas le vote qui a eu lieu . L'électeur a voté, et on peut, sans porter atteinte à son indépendance, l'inviter à dîner chez soi, pour célébrer le triomphe ou se consoler de la défaite.

« On peut d'avance, lorsqu'on n'a pas un salon assez spacieux, faire préparer dans un hôtel un dîner pour ses amis politiques, étrangers à la ville où ils votent. Il n'y a rien là qui puisse blesser la délicatesse. C'est un acte de bienveillance ; tandis que donner à un électeur dix francs pour qu'il aille déposer un bulletin dans l'urne, c’est faire d'un citoyen libre un serviteur à gages. C'est, ô honte, transformer le devoir politique en un service de laquais. »

Vous le voyez, messieurs, c'est un dîner, si vous voulez ; pas un dîner si vous ne voulez pas ; un dîner jusqu'à un certain point, et encore arrive ici le distingue dont on nous fait souvent un reproche ; c'est un dîner sans eu avoir l'air ; un dîner qui se donne à l'hôtel avec un faux air de dîner d'auberge, oui à toute force, un dîner payé par d'autres que ceux qui le mangent, on ne dit pas non, tout cela peut être vrai ; mais enfin ce n'est pas un dîner corrupteur ; et admirez le dernier point : on ne dînera pas avant l'élection qui se fait le matin, on dînera à l'heure où l'on dîne.

Certes, depuis que le monde est veuf de l'ingénieux Lapalisse, beaucoup auraient pu chercher cette miraculeuse théorie du dîner électoral libéral, M. De Fré seul était capable de la trouver.

Quoi qu'il en soit, d'après le système préconisé par l'honorable M. De Fré, il ne faut jamais que l'invitation précède l'élection sous peine d'être corruption. Il fait que le dîner soit modeste, qu'il soit donné entre amis, qu'il soit donné chez soi autant que possible, l'hôtel n'est toléré que lorsqu'on n'a pas de salon assez spacieux.

Messieurs, cela ne se passe pas ainsi de tous côtés, je suis fâché de le dire. Mais je tiens en main et je vais avoir l'honneur de vous faire connaître le cachet du dîner qui se délivrait dans l'arrondissement de Namur par le comité libéral. J'affirme que ce cachet est exact ; il est de notoriété publique à Namur ; je ne crains pas d'être démenti. Ces cachets étaient enregistrés. Le bulletin que je tiens ici porte le n°39.

Il en est tenu note, et semblable cachet est délivré à tous les électeurs libéraux avant l'élection. Il indique l'auberge où l'on doit aller dîner, le nom de l'aubergiste, la date du jour des élections et le timbre de l'association libérale. Mais il porte bien autre chose encore, oh infandum ! que M. De Fré se voile la face, il porte le menu du dîner. Je vais vous le lire :

« Potage à la julienne.

« Bœuf au naturel, avec choux et saucisses.

« Rosbif aux pommes.

« Côtelettes, sauce piquante,

« Rôti de veau ou gigot de mouton,

« Salade,

« Jambon,

« Une bouteille de vin de Bordeaux,

« Dessert. »

Je demande à l'honorable M. De Fré ce qu'il pense de ce menu. Ce menu distribué à l'avance ne paraît-il pas une tentative de corruption bien plus puissanet sur l'appétit de nos électeurs campagnards que la misérable pièce de 5 fr. dont il doit déduire les frais de transport ?

Mais enfin il y a bien aussi l'argent libéral. L'argent libéral a beau vouloir se cacher, il arrive par ci par là qu'on l'aperçoit. Mais honni soit qui mal y pense. Il est donné, il est vrai, par des électeurs à d'autres électeurs ; mais c'est par de rares électeurs. « II a été prouvé, a dit l’honorable M. De Fré, que de rares électeurs libéraux ont donné à d'autres électeurs libéraux de l'argent ou remis des coupons de chemins de fer pour se rendre à Louvain. Nous ne louons pas ces faits. (Ils n'en avaient nul droit, puisqu'il faut parler net.) Nous les blâmons aussi quoiqu'ils aient été provoqués par les distributions considérables du parti conservateur. »

Nous avions déjà l'agent provocateur ; l'honorable M. De Fré devait découvrir l'argent provocateur.

Le libéral n'accepte jamais d'argent : c'est la théorie du parti libéral ; tout au plus s'il accepte les frais de voyage ; et l’honorable M. Carlier nous disait l'autre jour, dans un mouvement magnifique, que jamais, dans l'arrondissement qu'il représente, un centime n'avait été dépensé, ni pour frais de transport, ni pour frais de dîner, ni pour dépenses électorales d'aucun genre.

M. Carlier. - Je le maintiens.

M. Wasseigeµ. - C'est admirable, et je vous en fais mon compliment, M. Carlier ; mais je ferai observer à l'honorable membre qu'à l'élection qui nous a valu l'honneur de le posséder dans cette Chambre, sur 3,842 électeurs inscrits il n'en est arrivé que 751 au scrutin et que sur ces 751 l'honorable membre a obtenu 724 suffrages. Il n'y a pas grand mérite dans une élection de ce genre, qui n'est qu'une simple formalité à remplir, et il n'y a pas grand mérite, dis-je, à ne pas faire eux les électeurs et à ne pas payer leurs frais de transport.

Mais dans tous les arrondissements où il y a lutte, je soutiens que les mêmes moyens sont employés par les deux partis ; et dans cette immaculée province de. Liège, qui est votre Eldorado politique, cela ne se fait pas autrement dans certains cantons alors que l'élection est disputée ; je veux parler du canton de Spa, du canton de Hervé, et surtout du canton de Stavelot...

M. Moreau. - Cela n'est pas, on ne dépense rien.

M. Wasseigeµ. -Dans le canton de Stavelot, alors qu'il était réuni à l'arrondissement de Huy. Ce fait a été même une des causes qui ont engagé l'honorable M. de Bronckart, alors membre du conseil provincial de Liège, à appuyer devant cette assemblée la demande de séparation de ce canton d'avec l'arrondissement de Huy. Un des motifs de l'honorable membre était que les sommes à donner aux électeurs pour les faire venir au scrutin étaient trop considérables ; et si mes souvenus sont exacts, l'honorable M. de Bronckart accusait même les électeurs de Stavelot de recevoir des deux mains.

Il en résulte donc que nous devons avouer de bonne foi que dans tous les arrondissements où il y a lutte, les frais de transport et de dîners se payent de la même manière par les deux partis.

Mais on nous objecte : les faits commis par les libéraux n'excusent pas ceux qui se commettent par les catholiques, et c'est de ceux-là seuls que nous avons à nous occuper dans l'enquête de Louvain. C'est possible ; mats au moins ils doivent nous disposer à une indulgence mutuelle. Il résulte de ces faits une chose sur laquelle j'appelle l'attention de la Chambre : c'est qu'alors qu'il est établi que l'électeur est certain de trouver son dîner gratis et son transport gratis, soit qu'il vote pour l'opinion libérale, soit qu’il vote pour l'opinion catholique, il a sa complète indépendance et ne peut plus être accusé de corruption, puisque, des deux côtés, les avantages sont les mêmes.

Passons maintenant à un ordre d'idées plus sérieux, et examinons les faits de l'enquête au point de vue du droit.

Il est reconnu positivement par le rapport et par tout le monde, dans cette Chambre, que les élus de Louvain sont irréprochables ; qu'aucun fait n'est articulé contre eux. Le vote est secret ; les élus sont irréprochables. Ces motifs, en Angleterre, paraissent suffisants pour qu'il n'y ait jamais, dans ce cas, accusation de corruption, et je crois que c'est avec raison ; car il dépendrait toujours d'un tiers, de connivence avec quelques autres personnes, de rendre nulle une élection. Il suffirait d'un concert coupable entre quelques intéressés, pour créer une accusation de corruption que l'on tiendrait sous le boisseau, si le résultat de l'élection était bon, et qu'on livrerait au grand jour, si le résultat était mauvais.

Mais enfin qu'est l'élection dans notre pays ?

L'élection est le résultat des suffrages du plus grand nombre d'électeurs réunis pour donner ce suffrage.

Le suffrage, c'est la manifestation d'une préférence en faveur d'une personne déterminée.

Des bulletins fermés, secrets, déposés dans l'urne par chaque électeur, expriment ces suffrages et portent nécessairement avec eux la présomption de sincérité.

Si cette présomption ne vient pas à céder à une preuve contraire, l'élection est réelle, elle ne peut être annulée.

(page 366) Comment cette présomption peut-elle être détruite ?

Par la preuve que certains bulletins ne contiennent pas l'expression de la volonté libre de celui qui l'a déposé.

Ces écarts ne peuvent avoir leur source que dans deux sentiments, la crainte ou l'intérêt. Nulle part ailleurs.

La persuasion est parfaitement légitime, soit de la part du prêtre, soit de la part du supérieur, de l'ami, elle ne substitue pas une volonté à une autre, elle la fait naître.

L'influence du prêtre est aussi légitime que toute autre ; sans cela, si vous ne lui reconnaissez que le droit de voter, s'il ne peut user en toute liberté de son droit de citoyen, s'il est limité par d'autres lois que la loi communale, qui défend d'extorquer des votes par crainte ou par intérêt, alors vous créez deux catégories de Belges et vous faites mentir la Constitution.

Il n'y a donc lieu d'annuler des bulletins que lorsqu'il est constaté que l'on est parvenu, par la crainte ou par l'intérêt, à substituer dans ces bulletins une volonté étrangère à celle de l'électeur.

Dans ce cas, il y a fraude dans le résultat du scrutin.

Si elle est reconnue, s'il devient constant que les bulletins frauduleux ont été en assez grand nombre pour avoir pu déterminer un résultat différent de celui qu'on devait attendre d'un vote irréprochable, il faut prononcer l'annulation d'une opération qui n'est que le simulacre mensonger d'une élection.

Voilà la règle véritable ; s'il en est une autre, je demande qu'on l'énonce, qu'on la précise, et jusque-là je soutiens que toute discussion en dehors de ce principe s'agiterait dans le faux, irait droit à l'arbitraire érigé en doctrine, à l'omnipotence des majorités, à l'oppression des minorités.

Voyous maintenant ce qui s'est passé à Louvain.

A Louvain, les formes ont été rigoureusement observées ; aucune plainte n'est parvenue de ce chef ; tout s'est passé avec l’apparence de la sécurité la plus scrupuleuse, avec la liberté la plus entière. Tout le monde le dit ; aucun fait n'est reproché ; je me trompe, il y a certains faits reprochés ; nous avons vu le honteux spectacle donné par un malheureux électeur libéral venant comme un esclave déposer dans l'urne le bulletin qu'il tenait levé et qui fut surveillé jusqu'à l’urne même. Nous avons vu des bulletins marqués. Mais ces faits nous sont étrangers ; ils regardent nos adversaires. Et ne croyez pas que ce soient des faits que j'invente à plaisir pour les besoins de la cause ; ils sont palpables ; ils résultent de dépositions catégoriques.

« Le jour des élections, dit Vrysen, au moment du vote, j'ai vu l'électeur Cloedts qui marchait les bras en l'air et tenant un bulletin ; il était suivi par M. Nihoul, dont il est le locataire ; j'ai entendu M. Nihoul dire : Laissez voir le bulletin et marchez. Cloedts a tenu le bras levé jusqu'au moment où il a déposé son bulletin dans l'urne. Je n'ai pas vu M. Nihoul remettre un bulletin à Cloedts, ni celui-ci, montrer son bulletin à M. Nihoul. »

Quant à M. Nihoul, il reconnaît qu'il a distribué trois bulletins marqués, bulletins qu'il aurait pu facilement reconnaître, s'il eût été scrutateur ; mais malheureusement, dit-il, il est arrivé trop tard.

La présomption est donc tout en notre faveur ; présomption de sincérité, présomption de légalité.

Cette présomption est-elle détruite par les faits ? Est-il établi que des électeurs de l'arrondissement de Louvain auraient été sollicités par dons et promesses, ou déterminés par violence ou menace ?

L'enquête a-t-elle établi un de ces faits ? Non, messieurs, le contraire vous a été démontré à l'évidence par les honorables orateurs qui ont parlé avant moi, par l'honorable M. Notelteirs, par l'honorable comte de Muelenaere et par l'honorable M. Thibaut.

Avons-nous employé la violence et la menace ? Mais, messieurs, nous ne sommes pas au pouvoir ; nous n'avons ni places, ni emplois à donner ; nous n'avons pas de subsides à promettre ; nous n'avons pas du fonctionnaires à faire agir ; nous n'avons pas même les pompiers...

M. Allard. - Vous avez les assommeurs !

M. Wasseigeµ. - Qui n'ont jamais égratigné personne. On a essayé néanmoins dans l'enquête d'établir des faits de violences et de menaces à notre charge ; on a parlé d'un article du Moniteur de Louvain, dirigé contre la candidature de M. de Luesemans. On l'a dénoncé, on l'a poursuivi contrairement à toutes les lois sur la matière, contrairement aux circulaires du ministre de la justice qui défendent à un procureur du roi de commencer des poursuites en matière de presse, avant d'en avoir reçu l'avis. On a poursuivi le Moniteur de Louvain, et un arrêt, passé maintenant en force de chose jugée, a déclaré que le rédacteur n'avait fait qu'user de son droit.

On a cherché à faire croire qu'il y avait eu des pressions illégitimes de la part de certains propriétaires sur leurs locataires ; on a parlé d'une lettre écrite à Jean Coel, de Neerlinter ; mais ce moyen a encore fait défaut à nos adversaires.

Coela déclaré positivement que cette lettre ne contenait pas de menaces ; la lettre a été retrouvée ; elle est au dossier, et confirme le fait. Les lettres qui se retrouvent ne portent pas bonheur à nos adversaires, témoin celle d'Hermans-Noten, le fameux membre du bureau de bienfaisance de Diest.

On a donc dû renoncer à ces moyens pour s'en tenir à la question d'argent. «Il y a eu corruption, » a-t-on dit. On a cherché longuement à trouver des définitions de cette corruption ; on a été en chercher dans des lois étrangères à la matière qui nous occupe ; on a été en chercher dans des législations étrangères même à notre pays.

On a fait des efforts inimaginables pour trouver cette définition là où elle n'était pas, parce qu'on savait que là où elle était, elle condamnait le système qu'on veut faire prévaloir. En effet une définition est dans un texte de loi ; elle est dans l'article 113 du code pénal. Voici ce que dit cet article :

(L'orateur donne lecture de cet article.)

Mais l'honorable M. de Boe vous a dit, messieurs, que cet article si trouvait dans un code suranné où nous ne prenions que ce que nous trouvions bon d'y prendre, tandis que nous reproduisions ce qui nous était favorable. Mais cet article a été rajeuni, comme dans les questions de la liberté de la chaire.

Si je puis m'exprimer ainsi, c'est dans nos lois électorales qu'il est rappelé et que vous imposez l'obligation de l'imprimer en toutes lettres dans toutes les salles où se font des élections. En effet, dans chaque bureau électoral, les articles 111, 112 et 113 du Code pénal doivent être affichés, pour que les électeurs sachent à quoi ils s'exposent, quels sont leurs droits et les limites assignées à ces droits.

Voilà où est la définition de la corruption, et où vous ne la cherchez pas, parce que vous avez bien qu'avec cette définition vous ne trouveriez pas dans l'enquête des éléments suffisants pour démontrer qu'il y a eu corruption dans les élections de Louvain.

Il est constaté que de l'argent a été donné, j'en conviens, il en a été donné et par les catholiques et par les libéraux, mais c'est à titre de frais de déplacement, c'est pour déterminer les électeurs à venir voter, et ce n'est nullement pour déterminer leur vote. Or c'est seulement quand l'argent a pour conséquence de déterminer le vote de l'électeur qu’il constitue la corruption.

Messieurs, j'aurais bien des preuves à donner de ce que j'avance, el d'abord, il est constaté que pas la moindre somme n'a été donnée à aucun électeur de la ville de Louvain ni même à aucun électeur des 31 communes du canton de Louvain. Voilà, messieurs, une présomption bien forte que l'argent n'a été donné que pour frais de déplacement. S'il y avait eu achat de votes, condition essentielle pour qu'il y ait corruption, l'argent aurait pu servir aussi bien à corrompre des électeurs de Louvain que ceux des communes éloignées.

Et puis, messieurs, pas une seule poursuite n'a eu lieu. Cependant celui qui demande l'argent et celui qui en reçoit tombent tous deux sous l'application de la loi, et le parquet de Louvain, si vigilant, qu'il poursuit même le Moniteur de Louvain sans autorisation, le parquet de Louvain n'a fait aucune poursuite, pourquoi ? Parce qu'il savait bien que devant la magistrature belge, froide, impartiale, exempte des égarements de l'esprit de parti, ce n'est pas avec des propos de cabaret qu'on peut obtenir une condamnation. Pas de poursuite ; présomption irréfutable qu'il n'y a pas eu de corruption.

Messieurs, ces présomptions ne sont nullement détruites par l'enquête. Ou vous a déjà prouvé bien des fois que tout l'argent donné a été donné pour frais de déplacement.

Un de vos témoins de prédilection vous condamne lui-même de la manière la plus formelle, je veux parler du témoin Michiels. Le témoin Michiels, dans un passage que l'honorable M. De Fré a eu soin d'omettre bien qu'il ait cité tout ce qui précède et tout ce qui suit, parce que pour me servir d'une expression que M. De Fré affectionne, ce passage « l’étreignait à la gorge », le témoin Michiels dit ce qui suit :

« Si j'ai écrit et signé qu'il n'est pas à ma connaissance que des membres du clergé aient donné de l'argent dans ma commune pour corrompre des électeurs, j'ai voulu dire qu'aucun électeur n'a contracté l'engagement de voter pour les candidats catholiques à cause de l'argent reçu et qu'on ne leur a pas fait contracter un semblable engagement, qu'il n'y a pas eu corruption électorale tombant sous l'application du Code pénal.

Vous le voyez, messieurs, cette déposition est catégorique el elle émane, je le répète, d'un de vos témoins de prédilection.

D'ailleurs, messieurs, si l'on prétendait que ces marchés aient eu lieu, comment prouverait-on que ceux qui ont reçu de l'argent ont réellement voté comme ils s'étaient engagé à le faire ; comment le prouverait-on si ce n'est par les billets marqués ?

Eh bien, des billets marqués nous n'en avons pas, nous catholiques ; s'il y a des billets marqués, ce sont des billets libéraux.

Ainsi, messieurs, les présomptions favorables ne sont pas détruites par l’enquête. Il n'y a pas eu de corruption, il n'y a eu que des frais de déplacement et ces frais ne peuvent pas vicier l'élection, je crois l'avoir démontré à toute évidence.

Qu'importe maintenant que les frais de déplacement aient varié avec les lieux et les distances et selon la générosité de celui qui les payait Cela ne peut pas en changer le caractère, cela ne peut pas faire que l'argent donné ait eu un autre but, un autre résultat que de faire arriver au scrutin un plus grand nombre d'électeurs. Or ce résultat est (page 367) parfaitement légitime, parfaitement conforme au vœu de la loi et à l'essence du gouvernement parlementaire.

Je répondrai quelques mots à diverses assertions contenues dans le discours que nous avons entendu tout à l'heure.

L'honorable M. de Boe a parlé de l'élection de Marche ; il a dit qu'il n'y avait pas évidence et qu'il aurait fallu une enquête, à laquelle la droite s'était opposée. J'avais l'honneur de faire partie de la commission chargée de la vérification des pouvoirs de M. Orban-Francotte et si l'honorable membre, qui vient de se rasseoir, en avait également fait partie, il n'aurait pas dit qu'il n'y avait pas évidence.

En effet, messieurs, nous avons des catégories nombreuses de bulletins portant des désignations spéciales parfaitement faciles à reconnaître. Il y en avait qui portaient, par exemple :

« M. Orban, ami du bon vin.

« M. Orban, ami des jolies femmes.

« M. Orban-Francotte, ami des charbonniers.

« M. Orban, ami des Ardennes, etc., etc. »

Une autre catégorie portant :

« M. Orban-Francotte, propriétaire à Sainte-Ode

« M. Orban-Francotte, propriétaire à Liège.

« M. Orban-Francotte, propriétaire en Belgique. »

Tous ces bulletins étaient joints au procès-verbal de l'élection et nous y avons vu la preuve évidente que le secret du vote avait été violé.

Le texte de la loi était en notre faveur et ce texte nous l'avons appliqué malgré les libéraux qui étaient alors à la Chambre, qui ne vous ont pas suivis et qui se sont abstenus au moment du voie.

On vous a parlé, messieurs, des élections de Rome et d'Athènes ; mais messieurs, lorsque les mœurs républicaines se furent altérées à Rome et ii Athènes, qui donc a introduit la brigue, la corruption, les violences dans les élections ? Mais ce furent les démocrates, c'est-à-dire les libéraux de l'époque ; à Rome ce furent César et les siens ; à Athènes ce furent Alcibiade et Périclès. Et qui protesta contre cette altération de la Constitution ? Mais ce furent les conservateurs du temps : à Athènes les Aristide et les Phocion, à Rome les Caton et les Cicéron.

On vous a parlé aussi des assommeurs de Rome et on a voulu faire, à cet égard, un rapprochement ; mais, messieurs, les assommeurs de Rome étaient chargés de chasser, d'éloigner les électeurs de l'urne électorale. S'il y a eu une garde de sûreté à Louvain, c'était, au contraire, pour rendre facile à tous l'accès du scrutin.

Un mot, messieurs, et je finis. Vous jugerez sur les dépositions, mais sur toutes les dépositions, et à cet égard, je dirai à l'honorable rapporteur de la commission qu'il est peu digne, peu généreux de venir, à l’abri de son inviolabilité parlementaire, traiter ici de faux témoins, des gens qui ne peuvent pas se défendre ; cela est surtout peu digne, peu généreux alors que vous aviez le droit et j'ajouterai le devoir de faire poursuivre ceux que vous accusez ici de faux témoignage.

Devant les tribunaux, ils auraient pu se défendre, mais vous ne les avez pas poursuivis parce que vous saviez bien que la magistrature belge est loyale, impartiale, à l'abri de l'influence des passions politiques et que vos poursuites n'auraient abouti qu'à l'acquittement des prévenus et à la confusion de ceux qui les auraient dénoncés.

J'espère que tous nous jugerons comme la magistrature belge, froidement, loyalement, et sans passion, que nous jugerons sur les dépositions complètes et sur toutes les dépositions. Je ne doute pas qu'alors nous ne voyions bientôt se rouvrir les portes du parlement pour nos honorables collègues de Louvain, dont nous déplorons depuis si longtemps l'absence.

- La séance est levée à 4 heures et demie.