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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 2 mars 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 799) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Des habitants de Gand demandent l'abrogation des articles 414, 415 et 416 du Code pénal. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du titre V, livre II du Code pénal.


« Des habitants de Bruxelles demandent que la Belgique soit replacée sous le régime monétaire qui a prévalu en 1848. »

M. Nélis. - Messieurs, la pétition qui vous est adressée porte les signatures d'un grand nombre de négociants très respectables de la ville de Bruxelles ; ils demandent à la Chambre de déclarer le cours légal de l'or en Belgique ; ils signalent la gêne et les pertes que l'état de choses actuel fait éprouver au commerce ; le mal existe, il va chaque jour en augmentant, il importe donc d'en rechercher le remède.

Faut-il, comme le demandent les pétitionnaires, donner cours légal à la monnaie d'or en Belgique ? Faut-il au contraire apporter des modifications à notre système monétaire, ou bien l'intérêt général demande-t-il que l'on maintienne le statu quo, malgré ses nombreux inconvénients, malgré les réclamations incessantes du commerce ? Là est le fond de la question sur laquelle je ne veux pas me prononcer dans ce moment ; mais il me semble que cette question, dont on ne peut méconnaître l'importance, mérite d'être soumise à un nouvel et très sérieux examen. Cet examen aura nécessairement lieu si l'honorable M. Dumortier présente le projet de loi sur la matière, qu'il a promis à la Chambre. En attendant la présentation de ce projet de loi, je propose à la Chambre de renvoyer la pétition des négociants de Bruxelles à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.

Composition des bureaux de section

Les bureaux des sections pour le mois de mars 1860 ont été constitués ainsi qu'il suit.

Première section

Président : M. J. Jouret

Vice-président : M. Jacquemyns

Secrétaire : M. David

Rapporteur de pétitions : M. Snoy


Deuxième section

Président : M. Van Iseghem

Vice-président : M. Coppieters ‘t Wallant

Secrétaire : M. Thibaut

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Troisième section

Président : M. Laubry

Vice-président : M. d’Hoffschmidt

Secrétaire : M. Orban

Rapporteur de pétitions : M. Julliot


Quatrième section

Président : M. Moreau

Vice-président : M. Muller

Secrétaire : M. Goblet

Rapporteur de pétitions : M. Grandgagnage


Cinquième section

Président : M. de Renesse

Vice-président : M. Savart

Secrétaire : M. de Boe

Rapporteur de pétitions : M. de Paul


Sixième section

Président : M. Manilius

Vice-président : M. Van Leempoel

Secrétaire : M. Nélis

Rapporteur de pétitions : M. Hymans

Projets de loi de naturalisation

M. H. de Brouckere. - Messieurs, j'ai l’honneur de déposer sur le bureau 24 projets de loi, relatifs à autant de demandes de naturalisation prises en considération par la Chambre et par le Sénat.

- Impression, distribution et misa à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre VII)

Discussion des articles

Titre VII. Des crimes et des délits contre l’ordre des familles et contre la moralité publique

Chapitre III. Des crimes et délits tendant à empêcher ou à détruire la preuve de l’état civil de l’enfant
Article 420

M. le président. - La discussion continue sur l'article 420 et les amendements y relatifs.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je crois utile de dire, en commençant, que ce que nous demandons avec la commission qui a préparé le projet de loi, avec la commission de la Chambre qui l'a examiné, c'est le maintien de la législation actuelle, telle qu'elles été appliquée et interprétée en Belgique, depuis que le Code pénal y existe, nous ne demandons donc pas une innovation, comme on a eu l'air de le faire croire ; nous demandons, je le répète, la continuation de l'état de choses actuel.

Cet état de choses, quel est-il ? Lorsqu'il s'agit d'enfants légitimes, quand le père et la mère sont connus, les noms du père et de la mère doivent être déclarés dans l'acte de naissance ; lorsqu'il s'agit d'enfants illégitimes, lorsque le nom de la mère est connu, son nom doit être inscrit dans l'acte de naissance. Voilà, encore une fois, le système tel qu'il existe i n Belgique ; voilà l'application qui a été faite de la loi, et jamais aucune cour en Belgique ne lui a donné un autre sens.

Hier et avant-hier, tous les orateurs qui ont pris successivement la parole pour appuyer l'amendement, l'honorable M Orts, l'honorable M. Savart et l'honorable M. Guillery, ont dit qu'en Belgique la jurisprudence avait toujours été très hésitante, qu'il y avait eu des arrêts en sens contraire ; qu'en France il n'en était pas ainsi, qu'on avait toujours appliqué un système différent de celui qui avait prévalu en Belgique, que ce qu'on demandait c'était l'application du système qui existe en France sans contestation. Ces assertions ne sont pas tout à fait exactes.

En Belgique, les cours ont été appelées à décider la question ; la cour de Bruxelles deux fois, la cour de Gand une fois, et la cour de cassation deux fois ; de sorte qu'en Belgique, la question a été résolue par trois arrêts de cour d'appel et par deux arrêts de la cour de cassation ; et tous ces arrêts ont été conformes à la doctrine que je soutiens, aux principes dont on demande l'abrogation dans notre législation.

En France au contraire il y a eu divergence d'opinion ; le nombre d'arrêts dans le sens quo nos adversaires donnent à la loi n'est pas plus grand que le nombre d'arrêts en sens contraire qui existent en Belgique, et plusieurs cours d'appel de France ont admis l'opinion de cours de notre pays qui toutes, moins une, ont été consultées et ont été unanimes.

Ainsi, vous le voyez, la jurisprudence en Belgique est fixée d'une manière bien plus sérieuse qu'en France et elle n'a jamais varié ; elles ont toujours déclaré que quand il s'agissait d'un enfant illégitime, le nom de la mère, quand il était connu, devait être inscrit dans l'acte de naissance. Nous demandons donc la continuation de ce qui existe et nous le faisons en nous appuyant sur une expérience de 50 ans. Nous nous trouvons en présence d’une législation qui existe depuis un demi-siècle en Belgique. (Interruption.)

Je demande où l'on a signalé les inconvénients sérieux de cette législation. Que chacun de son côté, dans la sphère où il a vécu, recherche dans sa mémoire les abus, les dangers qu'il a remarqués ; je ne crains pas d'en entendre signaler de sérieux, de réels.

Et si cette législation ne présente pas d'inconvénient réel, si dans la pratique des choses l'on ne peut pas trouver des raisons sérieuses pour innover, pourquoi apporter des changements à la législation existante ? Pourquoi y substituer un système qui n'a pas pour lui l’épreuve de l'expérience comme celui que nous défendons ?

Messieurs, il ne serait pas d'hommes sages, d'hommes prudents, quand il s'agit de l'état civil des citoyens, de toucher à la législation qui existe quand on ne peut pas signaler les inconvénients auxquels elle a donné lieu.

Maintenant au nom de quels principes demande-t-on une modification ?

J'avais cru très sérieusement que nous modifiions, que nous révisions le Code pénal pour y faire entrer de plus en plus les principes de justice et de morale. C'était mon sentiment et c'est à ce point de vue que la tâche a été entreprise.

Eh bien, messieurs, depuis deux jours je n'ai pas encore entendu parler de justice. J'ai entendu l'honorable M. Savart nous dire : L'empereur a déclaré que l'état civil des bâtards n'avait aucun intérêt pour la société. Voilà le résumé de toute l'argumentation que j'ai entendue jusqu'à présent : là donc où il n'y a pas d'intérêt pour l'Etat, celui-ci ne doit pas intervenir. C'est la doctrine de l'utile dans sa plus franche expression.

Or, si je ne me trompe, le grand reproche que l'on a fait au Code pénal, c'est de ne se préoccuper que de la question de l'intérêt, que de la question de l'utilité, et de ne pas suffisamment se préoccuper de la question morale, de la question de justice.

Ce qu'on reproche au Code pénal, mais c'est d'avoir érigé en délits des faits innocents en eux-mêmes, mais qui pouvaient porter un certain ombrage à l'Etat. Ce qu'on reproche au Code pénal, c'est d’avoir mesuré la peine non pas d'après l'immoralité de l'acte ou la perversité de l’agent, mais d'après le plus ou moins de danger qu'il pouvait y avoir pour l'Etat.

Voilà ce qu'on reproche au Code actuel. Et aujourd'hui, qu’entendons-nous ? Nous entendons cette doctrine se reproduire en plein à propos d'une disposition relative à l'état civil des citoyens. On se demande : Cela est-il utile à l'honneur des familles ? cela est-il utile à l'Etat ? On ne se demande pas ce qui est juste.

(page 800) Est-ce qu'en définitive, en ce qui concerne l'état civil, la naissance de tous les enfants ne doit pas être sur la même ligne ? Est-ce qu’il est juste qu’il y ait dans la société des enfants de l’état civil desquels cette même société ne se préoccupe pas ? Est-ce qu’il est juste que la société ne prenne aucune espèce de garantie pour rattacher l’enfants naturel à une famille ? En vertu de quel principe l’enfant naturel qui, en définitive, est complètement innocent de la faute de ses parents, est-il traité d’une manière complètement différente que l’enfant qui naît dans des circonstances régulières ? Que l’on se demande, en définitive, si là où il y une faute, cette faute doit être expiée par le coupable ou par l’innocent. Je désire qu’on descende au fond de son cœur et qu’on se demande ce qui est juste et ce qui n’est pas juste. Voilà par où il fait commencer, voilà ce dont il fait se préoccuper bien plus que de la question de savoir si l’état civil des bâtards intéresse ou n’intéresse pas la société.

Je n'hésite, du reste, pas à dire que si nous ne devons réviser le Code que pour établir ce qui est utile, nous devons abandonner cette œuvre ; vous ne ferez pas aussi bien que ce qui a été fait en 1810.

Mais, messieurs, quel est donc, en définitive, l'intérêt que l'on poursuit ? L'intérêt social ? Je le cherche en vain dans les arguments de nos adversaires. D'abord, le premier intérêt social, c'est d'être juste.

Un autre intérêt social, c'est qu'un individu qui entre dans la société soit, autant que possible, rattaché à quelque chose dans cette société. Autant que possible, maintenez-lui une famille, parce que si vous détachez complètement cet individu de la société, si vous l'y introduisez comme un paria et l'y maintenez, le plus souvent vous y aurez, par votre fait, par votre législation inique, par votre législation barbare, introduit, créé un ennemi.

Est-ce, messieurs, l'intérêt de famille qui exige l'adoption de la proposition ? Mais cet intérêt dont on parle est tout à fait exceptionnel, et je remarque aujourd'hui de nouveau, ce que j'ai remarqué bien des fois pour un cas tout à fait exceptionnel ; on veut nous faire décréter une législation insuffisante pour les cas les plus ordinaires et qui entraînerait infailliblement les abus les plus graves.

Ainsi parce qu'une famille sur mille dans l'espace de dix ou vingt ans aura pu être compromise, vous voulez modifier toute la législation relative à l'étal civil des enfants naturels. Pour ce cas, qui se présentera si rarement, vous allez donner à toutes les femmes sans exception qui accoucheront d'enfants illégitimes et même aux femmes qui accoucheront d’enfants légitimes, le droit de celer le nom de la mère. C’est-à-dire que pour un cas qui se présentera sur des milliers, je le répète, il pourra y avoir en Belgique 11,000 enfants, c'est à peu près le chiffre des enfants naturels, qu'il appartiendra à la mère de faire déclarer sans indication de la femme de laquelle ils sont nés.

Voilà le système proposé : toute femme en couche aura le droit de recommander aux personnes qui l'entourent de celer le nom de la mère. Il n'y aura plus une femme, quelle qu'ait été auparavant la dissolution de ses mœurs, qui ne prenne la précaution de recommander le secret sur son accouchement.

C'est pour la simple hypothèse d'une femme appartenant à une famille honorable et qui s’est compromise que vous modifiez votre législation, dont jusqu'à présent l'expérience n'a dévoilé aucun vice, aucun défaut et que vous voulez entrer dans une voie, dont nul aujourd’hui ne peut calculer les conséquences.

Mais en définitive je suppose que ce cas se présente ! Comme je le demandais tantôt, est-ce que la mère, dans un cas pareil, doit supporter la conséquence du fait qu'elle a posé, ou est-ce l'enfant ? Est-ce la coupable, est-ce l'innocent qui doit être offert en expiation ? La question est là. Je prétends, quant à moi, que ce n'est pas l'enfant. Je dis qu'il faut maintenir le principe de la responsabilité des fautes et que quand vous révisez un Code au point de vue moral et philosophique, vous faites un pas en arrière, lorsque vous défendez le principe contraire.

Maintenant, messieurs, est-ce que vous préviendrez toujours le scandale ? Je ne le crois pas. Je crois que vous l'engendrerez bien plutôt que vous ne le préviendrez. Et en effet qu'adviendra-t-il ? D'abord partout où des enfants seront déclarés sans indication du nom de la mère, il y aura toujours plus ou moins de recherches, surtout dans les cas où la succession à venir de la mère peut offrir quelques avantages à 1'enfant.

Eh bien, pour éviter la honte de la déclaration d'un enfant illégitime vous aurez plus tard le scandale d'un procès ; et vous l'aurez à une époque où il sera peut-être beaucoup plus grand qu'au moment de la naissance. Vous voulez cacher la faute d'une femme, vous voulez l'ensevelir dans le plus profond secret. Qu'en arrivera-t-il souvent ? Que ces femmes contracteront facilement d'autres relations ; que celles-ci seront peut-être suivies de mariage et que le mari apprendra peut-être un jour, par l'action en reconnaissance de la maternité qu'intentera l'enfant naturel, les relations illégitimes qu'avait sa femme avant son mariage. Voilà les conséquences inévitables de votre système. Après le mariage contracté, l'enfant naturel pourra être mis au courant du secret de sa naissance par son père et le scandale éclatera au moment où il retombera sur mari, femme et enfant légitime.

Sous tous les rapports, donc même au point de vue où l'on se place les inconvénients qu'on veut éviter sont infiniment plus grands que les inconvénients que l'on fera naître.

Messieurs, on nous a dit : « Le premier intérêt de l'enfant, c'est de vivre ; votre système mène à l’infanticide. »

J'ai dit tout à l'heure que le système que nous défendons est le système appliqué en Belgique depuis très longtemps ; le système que nos honorables adversaires soutiennent et qui est appliqué en France, devrait, si leur argument est fondé, rendre moins grand le nombre des infanticides. Si le système, tel qu'il existe en Belgique, est une cause d'infanticide, le système contraire doit évidemment rendre ce crime plus rare.

Je me suis donné la peine de comparer, quant à la population, le nombre d’infanticides en France et le nombre d'infanticides en Belgique.

La dernière statistique criminelle française, que j'ai en ma possession, remonte à l'année 1856. Quel a été le nombre des accusations d'infanticide portés en Belgique en 1856 ? Ce nombre a été de 9. Cela constitue en moyenne un infanticide par 481,911 âmes. Je dois dire en passant que ce chiffre n'a rien d'exagéré, qu'il n'est pas hors de proportion avec le chiffre des autres crimes, qu'il n'indique nullement qu'il existe dans notre législation un vice qui pousse à ce crime.

Si je cherche, après cela, quel a été en France le nombre des accusations d'infanticide en 1856, je trouve que ce nombre a été de 190, en moyenne un infanticide par 189 mille âmes ; ainsi en 1856 nous avons eu 9 accusations d'infanticide en Belgique sur 4,500,000 habitants à peu près, et en France, pendant la même année, il y a eu 190 accusations d'infanticide sur environ 36,000,000 d'habitants. (Interruption.)

En 1856, le nombre des naissances en Belgique a été de 142,291 et le nombre des enfants naturels a été de 11,357.

Voilà donc encore un argument qu'il faut laisser de côté, ainsi que celui qui est tiré de la jurisprudence ; l'un et l'autre ne reposent sur aucun fondement sérieux.

Messieurs, on nous a opposé aussi un argument tiré du droit civil ; on nous a dit : Mais à quoi sert votre reconnaissance ? La déclaration qui est faite, dans l'acte de naissance, du nom de la mère, n'a aucune espèce de valeur. Ce n'est ni un commencement de preuve par écrit, ni une preuve complète ; c'est un véritable chiffon de papier.

Messieurs, ici encore comme dans toute cette discussion, nos adversaires vont très vite en besogne. Ces questions sont des questions extrêmement graves, extrêmement difficiles et sur lesquelles la jurisprudence n'a pas dit son dernier mot. C'est encore une grande erreur de croire qu'il y a une jurisprudence fixe sur ces points-là.

Ainsi, messieurs, encore ce matin, je lisais un arrêt de la cour de cassation de France, du 1er juin 1853, qui déclarait, à l'inverse de ce qu'ont soutenu tous mes adversaires, que « l'acte de naissance dans lequel la mère a été désignée sur la déclaration du médecin accoucheur, fait foi, vis-à-vis des tiers, des rapports naturels de filiation et de maternité entre l'enfant et la mère. »

Vous voyez, messieurs, que quand on dit que l'acte de naissance qui contient l'indication du nom de la mère est un simple chiffon de papier, l'on s'aventure beaucoup trop loin.

Mais, messieurs, cette mention du nom de la mère dans l'acte de naissance, ne fût-elle qu'une indication donnée à l'enfant, ce serait encore une chose énorme que de la procurer à cet enfant, auquel la loi donne le droit de rechercher sa maternité ; ce serait une chose énorme que de le mettre sur la voie pour qu'il puisse utilement rechercher sa mère, il pourra, si l'acte de naissance même n'est pas un commencement de preuve par écrit, s'en procurer un, et l'indication du nom de la mère constituera une présomption extrêmement puissante en faveur des prétentions de cet enfant que l'on a privé illégalement de son état civil.

J'abandonne maintenant ce point de droit. En fait, est-il vrai que la déclaration faite du nom de la mère, dans un acte de l'état civil, a pour le public la puissance de la vérité ?

Et à moins que la mère ne proteste contre cette inscription, il sera acquis à l’opinion publique que l’enfant inscrit comme né d'elle est bien son enfant.

Quelles sont les conséquences de ce fait ? Mais c'est que la femme qui est regardée comme la mère de l'enfant, n'ayant plus rien à cacher, gardera son enfant avec elle, c'est que cette mère l'entourera de ses soins et de son affection. Et alors, messieurs, s'établit pour l'enfant une possession d'état conforme au titre qui se trouve dans l'acte de naissance, et il ne surgit plus aucune contestation sur l'état civil de l'enfant. Mais que, sur la recommandation de la mère il soit permis aux témoins, quels qu'ils soient, de ne plus déclarer le nom de celle-ci, de même qu'elle cherche à échapper à la honte en ne déclarant pas son nom, elle cherchera à y échapper en ne conservant pas son enfant avec elle, et l'enfant sera abandonné.

Mais, messieurs, on nous a objecté que nous reculions devant un principe que nous avons inscrit en nos lois, dans des cas identiques.

Ainsi vous cherchez à sauvegarder l'honneur des familles en cas d'adultère et d'enlèvement, l'action publique dans ces cas est subordonnée à la volonté du mari en cas d'adultère, à la volonté de la famille quand il s'agit d'enlèvement.

Il y a entre ces cas et ceux dont nous nous occupons une grande différence. Dans ces cas, ce sont les seules personnes intéressées qui (page 801) disposent ; ici il y a un tiers, il y a l'enfant ; c'est celui-là que vous oubliez, c'est sur celui-là que vous rejetez la conséquence de la faute commise par d'autres. Si le mari a été blessé dans son honneur, ce n'est pas un tiers qui souffrira du voile jeté sur la faute de la femme. Le mari a été victime, c'est à lui de savoir ce qu'il doit faire. Mais l'enfant quand il s'agit de naissance illégitime, voilà celui dont il faut sauvegarder les intérêts ; c'est pour celui-là qu'il faut prendre des mesures, des précautions.

Enfin, et c'est le dernier argument que j'ai à rencontrer et qu'on a introduit dans le débat, par suite d'une grande confusion d'idées.

On nous a parlé continuellement de la violation du secret que nous imposions au médecin, de la position de délateur que nous lui faisions.

L'on a comparé l'obligation que la loi impose au médecin de déclarer le nom de la mère, à une obligation que l'on imposerait au confesseur, à l'avocat de divulguer les secrets qui leur auraient été confiés. Je crois que le confesseur et l'avocat ont été introduits dans le débat par tactique parlementaire.

Messieurs, en quoi consiste la disposition dont nous nous occupons ? Où prend-elle son origine ? Quel est le fait que nous punissons ? Il suffit d'examiner ces différentes questions pour vous convaincre que le principe de l'article 378 du Code pénal, qui impose aux médecins, aux avocats le secret, n'a absolument rien à craindre de la disposition que nous proposons.

La loi, dans un intérêt social, exige que la naissance de tous les enfants soit déclarée : elle l'exige d'une manière tellement impérieuse, que, contrairement aux principes généraux, elle ne punit pas seulement l'omission faite à dessein, l'omission frauduleuse, elle punit la simple négligence ; elle punit le père qui, par simple oubli, aura omis de faire la déclaration de la naissance de son enfant. Cette obligation, la loi l'impose à tous ceux qui auront assisté à l'accouchement. Elle ne fait pas d'exception en faveur de l'homme de l'art qui assiste à l'accouchement ; ce n'est pas l'absence de révélation d'un secret qui est punie, qu'il y ait secret ou non, c'est l'omission de la déclaration qui est punie, et cette omission est le fait du médecin.

Un médecin aurait accouché une femme d'un enfant légitime dont on n'aurait aucun désir de celer le nom de la mère et ne ferait pas sa déclaration, qu'il serait poursuivi et condamné.

Vous voyez que ce n'est pas, dans la réalité, la non-révélation du secret que l'on punit, mais l'omission d'une formalité que la loi impose à tous ceux qui assistent à un accouchement.

Cette distinction, qu'il est nécessaire de faire, entraîne des conséquences faciles à saisir. Quand il s'agit simplement d'un fait confié au médecin, personne ne peut avoir la pensée de l'obliger à le révéler ? De même, quand il s'agit, de secrets confiés au prêtre, il ne peut venir à l'idée de quelqu'un de l'obliger à les faire connaître. Jamais, parce que ce sont là des faits qui leur tout étrangers, auxquels ils n'ont participé en aucune manière ; ici il s'agit d'une négligence personnelle du médecin, et c'est celle-là qu'on punit.

Je suppose qu'un individu ait été blessé dans une guerre civile, qu'il vienne se faire panser par un médecin, on fasse appeler un prêtre, jamais on n'obligera le médecin ou le prêtre de révéler l'origine de cette blessure.

Dans le cas d'un accouchement, il s'agit d'un devoir que la loi, dans un intérêt social, impose à tout le monde ; c'est, je le dis de nouveau, la négligence d'accomplir ce devoir, qu'il y ait un secret ou non, que la loi punit.

M. Guilleryµ. - Si le prêtre a été témoin de l'accouchement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous devez aller beaucoup plus loin ; votre système manque de logique, il ne se soutient pas, vous devez arriver à ceci que le médecin ne pourra jamais révéler l'accouchement ; c'est l'accouchement dont, en sa qualité de médecin, il acquiert la connaissance, la femme il la connaît, c'est parce qu'il la connaît qu'on ira le chercher ; il faut donc aller jusqu'à déclarer que les médecins, accoucheurs, sage-femmes, pourront garder le secret sur les accouchements auxquels ils assisteront, et admettre que des enfants pourront venir au monde sans que les gens de l'art soient tenus de les faire inscrire.

Messieurs, si votre système est vrai, il faut le poursuivre jusqu'au bout. Si le système du secret doit prévaloir sur l'intérêt social, il ne faut pas reculer, parce que vous serez beaucoup plus dans la vérité que vous ne l'êtes par votre proposition, car je le répète, ce n'est pas en raison de l'accouchement que le médecin connaît le nom de la femme. Il est au contraire certain que quand le médecin ne le connaîtra pas, il ne cherchera pas à le savoir. Car dans l'exposé des motifs, vous trouvez tout au long qu'un médecin ne doit faire connaître le nom de la femme, et le faire inscrire dans l'acte de naissance, que pour autant qu'il le sache. Je termine en demandant du nouveau que vous adoptiez la proposition du gouvernement.

M. Ch. Lebeau. - Messieurs, la question que soulève l'article en discussion m'a paru tellement grave et importante, que j'ai cru devoir ne pas émettre un simple vote, mais motiver mon opinion.

Vous savez que trois systèmes sont en présence.

Celui du projet, soutenu par l'honorable ministre de la justice, et qui consiste à imposer à toute personne sans distinction ni exception, qui a assisté à un accouchement, à faire la déclaration de naissance prescrite par les articles 55, 56 et 57 du Code civil.

Le second système, qui est le premier système présenté par la commission, obligeait également toute personne à faire la même déclaration ; mais on exceptait les médecins, les chirurgiens, les officiers de santé et les sage-femmes qui sont obligés, comme vous le savez, par la nature même de leurs fonctions, de leur profession à garder le secret, lorsqu'on le leur demande.

Enfin, il y a le dernier système : celui présenté par amendement par l'honorable M. Orts et qui consiste à affranchir les personnes qui ont assisté à l'accouchement, de l'obligation d'indiquer le nom de la mère, lorsque le secret leur a été demandé.

Voilà les trois systèmes.

Je ne me dissimule pas que, quel que soit le système que l'on adopte, il présentera toujours certains inconvénients. Toute la question est de savoir de quel côté se trouveront les inconvénients moindres. Eh bien, pour moi, j'estime qu'on peut, sans de trop graves inconvénients, astreindre toute personne qui assiste à un accouchement à faire la déclaration prescrite par les dispositions du Code civil, mais qu'il faut cependant excepter de cette obligation les médecins, chirurgiens, officiers de santé et sage-femmes qui ont assisté à l'accouchement, lorsqu'on leur demande de garder le secret sur le nom de la mère.

On vous a dit, messieurs, que, dans un intérêt social, la loi devait exiger que la naissance de tout enfant fût déclarée. Cela est vrai, du, moins en règle générale. Mais enfin il faut savoir à qui vous devez imposer l'obligation de faire la déclaration. Devez-vous l'imposer à tout le monde ou devez-vous faire quelques exceptions ? Là est, pour moi, toute la question.

Il faut bien voir, messieurs, quelle sera la position d'un médecin qui sera appelé à assister à un accouchement. Ce médecin ne sera pas la seule personne présente à l'accouchement. La femme qui sera sur le point d'accoucher sera entourée des siens ; il y aura toujours des personnes qui iront appeler le médecin et qui probablement seront aussi présentes à l'accouchement.

Eh bien, si un médecin étant appelé, on lui demande, avant d'assister à l'accouchement, s'il promet, s'il jure de garder le secret sur le nom de la personne qu'il va accoucher, que fera-t-il ?

Vous savez, messieurs, que sous le régime des Pays-Bas, les médecins, après avoir soutenu leur thèse, devaient prêter serment de garder le secret.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est le Code pénal.

M. Ch. Lebeau. - Le Code pénal, comme vous le dites, les oblige également à garder le secret,

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Avec une restriction.

M. Ch. Lebeau. - La question est de savoir si la loi peut les obliger à receler un part et s'il est moral de les affranchir de cette obligation, s'il faut les accoutumer à faire des révélations, s'il faut leur enlever la confiance qu'ils doivent inspirer aux familles et aux malades.

Si le médecin promet de garder le secret et s'il ne le garde pas, que sera-t-il aux yeux du malade, aux yeux de la famille, aux yeux de sa clientèle, aux yeux de ses collègues, du public en général des honnêtes gens en un mot ? Il aura manqué à l'honneur, malgré la loi qui le forcera à faire la révélation du secret, parce qu'il n'est pas admis, d'après nos mœurs et d'après la morale sainement entendue, que l'on puisse forcer quelqu'un à révéler un secret, si ce n'est dans des cas extrêmement graves.

Si donc le médecin promet le secret, vous allez le mettre dans la plus fâcheuse position. Pour ne pas encourir le blâme, ou le médecin se laissera condamner, ou il refusera de faire l'accouchement, et faute de médecins capables, l'on devra recourir aux empiriques, ou l'on se passera de médecin, et alors quel sera le sort de l'enfant et de la mère ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Quand cela est-il arrivé ?

M. Ch. Lebeau. - Cela peut arriver fréquemment. Mais avez-vous l'exemple de médecins venant faire eux-mêmes la déclaration ? Pouvez-vous citer beaucoup d'actes de l'état civil où les médecins vont faire la déclaration, surtout nonobstant la défense de la mère ? Il n'y a peut-être pas d'exemple d'un médecin qui aurait fait la déclaration de naissance en indiquant le nom de la mère contrairement au secret qu'il aurait promis à la mère ou aux parents de la mère.

Messieurs, n'avons-nous pas des monuments de la jurisprudence qui viennent nous attester que les médecins préfèrent se faire condamner plutôt que de révéler les secrets qu'on leur confie ? A chaque instant nous avons des condamnations de ce genre,

J'arrive tout de suite à l'objection de l'honorable M. Muller : vous voulez forcer le médecin à faire la déclaration et vous voulez lui imposer l'obligation de révéler dans la déclaration le nom de la mère. Eh bien, que vaut la déclaration du nom de la mère par le médecin ? Remarquez que le médecin qui est appelé par les parents ou par la femme qui est sur le point d'accoucher, peut d'abord très bien ignorer le nom de la mère, Car enfin, si le médecin qui est appelé ne veut pas s'engager sur l'honneur à tenir secret le nom de la mère, on ira chercher un autre médecin qui ne le connaîtra pas, ou l'on ira, s'il le faut, en pays étranger, pour avoir un accoucheur qui ne connaisse pas le nom.

(page 802) Mais que vaudra la déclaration du médecin, eu admettant qu'il aille la faire devant l’officier de l'étal civil ?

De deux choses l'une, ou la mère reconnaîtra l'enfant ou elle ne le reconnaîtra pas.

Pour reconnaître l'enfant, il n'y a que deux moyens : il faut que cette reconnaissance se fasse dans l'acte de naissance ou dans un acte authentique postérieur.

Pour que la déclaration dans l'acte de naissance ait un effet juridique, il faut que cette déclaration émane de la mère ou de son fondé de pouvoir, ou tout au moins que si elle est faite sans l'intervention de la mère, elle ait eu lieu de son consentement et de son aveu, et que cela soit prouvé. Or, la preuve de cet aveu ne pourra résulter que d'un acte écrit ; à cet égard je puis certifier à M. le ministre de la justice que la jurisprudence est constante.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je vous ai cité un arrêt.

M. Ch. Lebeau. - Voici votre arrêt :

« L'acte de naissance d'un enfant naturel, dit cet arrêt, qui désigne la mère de l'enfant fait preuve à l'égard des tiers de la filiation maternelle de cet enfant, lorsque d'ailleurs l'identité de l'enfant n'est pas contestée.

« Il en est ainsi alors surtout qu'en fait il résulte des circonstances de la cause que la désignation faite dans l'acte de naissance l’aurait été avec le consentement de la mère. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Quelle est la date de cet arrêt ?

M. Ch. Lebeau. - Le 1er juin 1853.

« Attendu en outre, ajoute l'arrêt, qu'il a été reconnu en fait par l'arrêt dénoncé, que la filiation et la qualité de sœurs naturelles de Marie-Clémentine-Cornélie et d'Anna-Angelina Jolly, comme nées de la même mère, sont prouvées, non seulement par leurs actes de naissance, mais encore par un ensemble de faits et de présomptions graves, précises et concordantes, appuyés de deux commencements de preuves par écrit, desquels il résulte que la déclaration du nom de leur mère a été faite de son aveu dans l'acte de naissance de chacune d'elles. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai copié textuellement l'ingrès de l'arrêt de la cour de cassation, et il porte : l'acte de naissance dans lequel la mère a été désignée sur la déclaration du médecin accoucheur fait foi vis-à-vis des tiers du rapport naturel de filiation et de maternité entre l'enfant et sa mère.

M. Ch. Lebeau. - Je m'étonne réellement que l'on soutienne qu'un acte de naissance dans lequel la mère n'est pas intervenue, puisse former une preuve ou un commencement de preuve. Cela n'est pas possible. La loi définit un commencement de preuve des actes qui émanent de la personne contre laquelle on veut faire la preuve et qui rendent vraisemblable le fait allégué.

Je vais plus loin. S'il en est ainsi, à quoi bon dire que les enfants devront être reconnus dans leur acte de naissance ? A quoi bon dire qu'ils devront être reconnus dans un acte postérieur, puisqu'il suffira qu'un tiers soit venu faire la déclaration devant l'officier de l'état civil que telle femme est accouchée tel ou tel jour ? Il est inutile alors d'avoir une autre reconnaissance.

Messieurs, pour admettre le système présenté avec beaucoup de talent, je le reconnais, par M. le ministre de la justice, il faut nécessairement modifier les dispositions du Code civil. Car enfin si l'enfant est reconnu par la mère, il est inutile d'avoir une déclaration du médecin ou de toute autre personne indiquant que tel jour la mère a donné naissance à tel enfant. La déclaration de la mère supplée à tout. Mais si un enfant est né et s'il existe un acte de naissance émanant d'un tiers, et si cet enfant n'est pas reconnu par la mère, ou bien la mère aura élevé l'enfant, elle lui aura laissé porter son nom ; elle l'aura entouré de tous les soins maternels. Eh bien, dans ce cas l'enfant ne sera pas encore reconnu. Si vous n'avez que le simple acte de naissance fait par un tiers, sans avoir à l'appui le consentement et l'aveu de la mère résultant d'un acte écrit soit dans un acte judiciaire soit dans un acte extra-judiciaire dans lequel elle aurait pris la qualité de mère, il est évident que l'enfant ne sera pas encore reconnu ; ce sera encore un enfant naturel non reconnu. Pour qu'il en fût autrement, il faudrait modifier les dispositions du Code civil sur ce point.

Je demande à M. le ministre de la justice qui me fait un signe négatif, dans quel cas il y aura des enfants naturels non reconnus. Si vous prétendez qu'il suffit de l'acte de naissance fait par un tiers et de la circonstance que la mère aura élevé l'enfant, pour constituer la reconnaissance de l'enfant, je demande quand il y aura un enfant naturel non reconnu.

Il faudra que ce soit un enfant trouvé, un enfant qui, au moment de la naissance, aura été répudié par sa mère.

Celui-là seul sera enfant naturel non reconnu. Eh bien, la jurisprudence condamne cela. Il faudrait donc modifier la loi civile et dire que tout enfant naturel déclaré au nom de la mère par une tierce personne au moment de la naissance et élevé par la mère, sera un enfant naturel reconnu. Or, je le répète, c'est ce que n'admet pas la loi civile.

Par conséquent, en présence de cette loi, il est évident que vous ne pouvez point faire que l’enfant naturel non reconnu dans un acte par la mère soit un enfant naturel reconnu légalement.

D'ailleurs je ne vois pas pourquoi vous iriez obliger les médecins, les officiers de santé et les personnes qui, par leurs devoirs, par la nature de leur profession, sont astreintes à garder le secret, pourquoi vous iriez les obliger à enfreindre ce devoir naturel, alors surtout que l’acte que vous voulez leur faire poser n'aurait, comme je viens de le démontrer, qu'une utilité très secondaire : donner dans l'acte de naissance un nom de famille à l'enfant.

Mais en fait, ne pourrait-il pas arriver que si vous obligez le médecin à déclarer le nom de la mère, on choisira presque toujours un médecin qui ignore le nom de la mère ? Et que fera ce médecin ? quelle déclaration pourra-t-il faire ?

On pourra induire le médecin en erreur, et dans ce cas qu'arrivera-t-il ?

C'est que vous aurez dans les actes de l'état civil bien plus d'erreurs qu'il n'y en a maintenant.

Il faut donc vous borner à obliger les autres personnes à faire la déclaration de naissance avec toutes les indications prescrites par la loi civile. Les personnes qui entourent la femme sont presque toujours des parents, des serviteurs, des amis ; ces personnes ne peuvent pas ignorer le nom de la mère ; elles sont à même de faire une déclaration sincère et véritable, mais le médecin qui est appelé là, peut-être par hasard, pourra-t-il faire une déclaration de ce genre ?

Je pense donc, messieurs, que les raisons que l'on pourrait invoquer pour obliger les médecins et les officiers de santé à violer le secret qu'ils sont tenus de garder, ne sont pas assez graves et qu'il faut se borner à imposer cette obligation aux autres personnes qui entourent la femme et qui ne peuvent pas prétexter cause d'ignorance.

Je proposerai donc, messieurs, d'adopter comme amendement l'article 420 du projet, de la première commission, qui oblige toutes les personnes qui ont assisté à l'accouchement à faire la déclaration de naissance, mais qui dispense les médecins, les chirurgiens, officiers de santé et sage-femmes d'indiquer le nom de la mère lorsqu'elle leur a demandé le secret.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demande la parole en quelque sorte pour un fait personnel. J'ai cité tantôt un arrêt de la cour de cassation de France, en déclarant, du reste, que je n'attache pas une très grande importance à la discussion sur le point de savoir si l'insertion du nom de la mère dans l'acte de naissance de l'enfant constituait un commencement de preuve ou une preuve de filiation. J'ai dit que toutes les questions relatives à cette matière étaient extrêmement controversées.

La Chambre se rappelle que j'ai dit qu'il ne fallait pas aller aussi vite en besogne que l'avaient fait nos adversaires en déclarant que cette déclaration dans l'acte n'avait pas plus de valeur qu'un simple chiffon de papier. J'ai, pour démontrer que la question n'était pas définitivement résolue, cité un arrêt de 1853 et il suffit de le lire en entier pour se convaincre que j'ai exactement cité et que la décision judiciaire dit bien ce que je lui ai fait dire. Le considérant dont M. Lebeau a donné lecture n'est qu'un considérant subsidiaire.

Après avoir décidé la question en principe, la cour ajoute : « Et attendu, en outre, etc. »

Voici, messieurs, ce que porte cet arrêt :

« 2° En ce qui concerne le pourvoi de l'administration des domaines, attendu que, suivant les deux actes de naissance textuellement relatés dans les qualités de l'arrêt dénoncé, Marie-Clémentine-Cornélie et Anna-Marcelina, ont été inscrites l'une et l'autre, aux registres de l'état civil sous le nom de Jolly, comme filles naturelles de la même mère, Clémentine Jolly, sur la déclaration de médecin, qui aurait assisté à l'accouchement de celle-ci ; que cette preuve de leur filiation naturelle, contestée seulement sous le rapport de son efficacité légale, n'a été combattue par aucune preuve contraire de la part de l’administration des domaines et que leur identité n’a, d'ailleurs, été l'objet d'aucune contestation.

« Attendu que les registres de l'état civil, destinés, par la volonté du législateur, à constater l'état des personnes, fait foi des faits déclarés à l'officier public dans les conditions que la loi a déterminées et par ceux à qui elle a imposé le devoir de faire cette déclaration ; qu'il n'y a pas à distinguer, si ce n'est par le degré de foi due à la preuve résultant des actes de naissance, entre l'inscription d'un enfant naturel et celle d’un enfant légitime, du moins quant aux faits dont la certitude peut être affirmée et légalement constatée ; que si, à l'égard de l'enfant naturel, le nom du père, à qui, sans son aveu, on l'attribuerait, ne doit être énoncé par le déclarant, ni mentionné par l'officier public, c'est parce que la paternité est un fait inconnu dont la recherche est interdite et dont la preuve ne saurait être reçue en dehors des conditions et des garanties réglées par la loi civile : « mais que l'accouchement de la mère, c'est-à-dire le fait même de la maternité, étant un fait manifeste dont on peut rendre témoignage avec certitude, doit, aux termes de l'article 57 du Code Napoléon, être énoncé dans la déclaration des personnes à qui l'article 56 donne la mission de déclarer la naissance ; » que le législateur a marqué le degré de foi due à ces constatations, lorsqu'il a pris soin d'en assurer l'accomplissement et la sincérité, soit par la sanction d'une peine correctionnelle contre ceux qui ayant assisté à l'accouchement, n'auraient pas fait la déclaration prescrite, article 346 du Code pénal, soit par la sanction plus (page 803) sévère d'une peine afflictive et infamante contre les auteurs d'une déclaration supposant un enfant à une femme qui ne serait pas accouchée, article 345 du Code pénal ; que des garanties en cette nature seraient sans motif si le législateur eût considéré les déclarations dont il s'agit comme ne devant ni ne pouvant, en aucune façon, même vis-à-vis des tiers et en l'absence de toute contestation de la part de la mère ou de sa famille et de ses ayants droit, établir les rapports naturels de filiation et de maternité entre l'enfant présenté à l'officier de l'état civil et la mère désignée par le déclarant, témoin de l'accouchement. »

Je demande à la Chambre si ce n'est point là la question résolue en droit et in terminis. Comme je l'ai indiqué, la cour de cassation déclare de la manière la plus formelle que la déclaration de l'accoucheur doit avoir une certaine valeur. (Interruption.)

Je viens de vous lire l'arrêt qui décide la question en pur droit ; puis la cour ajoute : « Attendu, en outre, etc., » et si vous voulez lire les notes de l'arrêtiste, vous trouverez qu’il constate que cet arrêt s'écarte de la rédaction consacrée par d'autres arrêts. Et n'est-ce pas là la preuve que ces questions sont encore controversées et que vous avez eu tort de les considérer comme définitivement jugées ?

Du reste, je regarde ces questions comme étant d'une importance secondaire au débat. Ce n'est pas, à mon avis, l'influence que peut avoir au civil la déclaration du nom de la mère dans l'acte de naissance, qui doit déterminer le vote de la Chambre ; celle-ci doit avant tout se préoccuper des questions de justice, de morale et d'intérêt social.

M. Nothombµ. - Je suis partisan de l'amendement de l'honorable président, tel qu'il l'a proposé, et tel que l'honorable M Guillery l’a modifié. J'éprouve, messieurs, comme l'honorable M. Ch. Lebeau, le besoin de motiver mon vote, et cela pour une double raison : d'abord, parce que la question est d'une importance capitale ; tout le monde le sent, ensuite parce que je me trouverai probablement en dissentiment sur cette question avec plusieurs de mes honoraires amis politiques avec lesquels je suis et me plais à être très souvent d'accord.

Hier déjà, mon honorable ami M. B. Dumortier a fait à l'amendement de très vifs reproches : il lui a reproché d'être attentatoire à la sainteté de la famille, de troubler les lois morales, d'être hostile à l'ordre public ; et à l'instant même M. le ministre de la justice nous accuse, nous partisans de l'amendement, de ne tenir aucun compte des sentiments de justice et de n'être, en législation, que des « utilitaires ».

Ce sont là des reproches aussi graves que peu fondés et dont j'ai hâte de me justifier, comme ceux de mes honorables collègues qui partagent mes sentiments. Cette justification me sera heureusement très facile.

Pour la faire, je n'aurai qu'à me placer sous un patronage que personne ne peut récuser : c'est le patronage même des auteurs du Code civil ; je me place sous l'autorité du premier consul, de Thibaudeau, de Siméon, de Tronchet, de Portalis, de tous ces noms illustres qui, je m'imagine, ne passent pas pour être les ennemis de la famille et de l'ordre public, des fauteurs de l'immoralité, des contempteurs de la justice.

Permettez-moi, messieurs, de vous rappeler en quelques mots l'historique de la législation.

Vous verrez ce qu'en 1803 on a voulu et ce que nous voulons aujourd'hui ; vous vous convaincrez combien nous sommes moins larges, moins indulgents que les auteurs du Code de 1803.

La première loi qui a réglé la tenue de l'état civil en France date du mois de septembre 1792. Elle portait entre autres dispositions à l'article 3 ce qui suit :

« Lorsque le mari sera absent, ou ne pourra agir, ou que la mère ne sera pas mariée, le chirurgien ou la sage-femme qui auront fait l'accouchement, seront obligés de déclarer la naissance. »

L'article 4 était ainsi conçu :

« Quand une femme accouchera dans la maison d'autrui, la personne qui commandera dans cette maison ou qui en aura la direction, sera tenue de déclarer la naissance. »

Outre l’énonciation du fait de la naissance, cette loi punissait plusieurs autres indications et spécialement celle du nom de la mère.

L'article 5 punissait d'un emprisonnement de 2 mois ceux qui auraient contrevenu aux prescriptions que je viens de rappeler

Quand il s’est agi de faire le Code pénal, et qu’on a discuté le titre relatif à l’état-civil, voici, au contraire, ce qui s'est passé. Veuillez écouter, messieurs, un passage de l'exposé des motifs présenté par le conseiller d Etat Thibaudeau, le 10 ventôse an XI.

Thibaudeau rappelle d'abord pourquoi il y avait eu des pénalités dans la loi de 1792. Elles étaient uniquement motivées par des circonstances de fait, parce qu’on introduisait une loi nouvelle, parce qu'on faisait passer la tenue des registres de l'état civil des mains du clergé dans celles du pouvoir civil, parce qu'il y avait des dissensions religieuses, parce qu’il y avait des obstacles de toute espèce ; voilà comment Thibaudeau explique le côté pénal de la loi de 1792, puis il ajoute :

« Maintenait que les circonstances sont changées... il est inutile d'employer des moyens de rigueur, dont l'effet est d'ailleurs toujours illusoire. La déclaration des naissances n'a donc été conservée que comme conseil et comme l'indication d'un devoir à remplir par les parents ou autres témoins de l'accouchement. On a pensé que la peine ne servirait qu’à éloigner de la mère les secours de l'amitié, de l'art et de la charité dans le moment où, donnant le jour à un être faible, elle en a le plus besoin pour elle et pour lui. Car quel est celui qui ne redouterait pas d'être témoin d'un fait, à l'occasion duquel il pourrait être un jour, quoique innocent, recherché et puni de 2 à 6 mois de prison ?... Ainsi, les précautions que l'on croirait prendre pour assurer l'état des hommes ne feraient au contraire que le compromettre. »

Ainsi donc, dans le Code civil, tel qu'il a été promulgué, ne figurent aucune sanction, aucune pénalité contre ceux qui se borneraient à ne pas indiquer le nom de la mère dans l'acte de naissance, mais il va plus loin et, abolissant tout à fait les pénalités antérieures, il n'en maintient aucune contre ceux qui ne feraient pas même la déclaration du fait de la naissance.

Sans doute, ce système était trop absolu ; mais si je le rappelle, c'est pour justifier l'amendement du reproche d'immoralité, d'iniquité, d'injustice qu'on lui fait si mal à propos.

Certes, les auteurs du Code civil ne passeront jamais, je le répète, pour des fauteurs d'immoralité, et ceux qui aujourd'hui adoptent leurs idées, et seulement en partie, ne méritent pas assurément le blâme qu'on leur a adressé dans la séance d'hier, et que M. le ministre vient de renouveler. Le reproche qu'il nous fait de méconnaître le principe de justice va au-delà de nous ; il frappe ces hommes illustres à qui nous devons le Code civil, ce monument sans égal. En pareille compagnie nous nous consolons aisément de n'avoir pas l'approbation de l'honorable M. Tesch.

En 1830, lorsqu'on a fait le Code pénal, on a porté des peines connue sanction des articles du Code civil, je le sais ; mais pourquoi les a-t-on portées ? Est-ce au nom de la morale ? Est-ce au nom de la sécurité publique ? Est-ce en vue d'un de ces grands principes qu'on prétend que l'amendement viole ? Nullement ; il s'agissait encore alors, comme en 1792, de circonstances de fait ; ainsi que l'a rappelé l’honorable M. Orts, c'était dans le but d'assurer le service de la conscription militaire que l'on a édicté des peines, mais les auteurs du Code pénal de 1810 n'ont nullement cru avoir à restaurer une idée de morale ou de justice méconnue.

Tel était donc le système du Code civil ; mais ce n'est en aucune façon celui de l'amendement.

Ne l'oublions pas, et on le perd peut-être trop de vue, l'amendement maintient la déclaration et du fait de la naissance et du nom de la mère ; cela demeure la règle ; mais il y apporte une seule exception : c'est lorsque la mère a demandé et obtenu le secret.

Alors, et seulement alors, le nom de la mère ne serait pas indiqué. Mais le fait de la naissance, qui est le fait capital pour la société, est toujours et forcément indiqué même par les personnes soustraites à l’obligation de donner le nom de la mère quand elle a demandé le secret.

Ainsi, l'amendement est un tempérament, une transaction entre deux systèmes également absolus et que nous repoussons : le système des législateurs de 1804, des auteurs du Code civil qui étaient d'avis qu'en cette matière aucune peine ne doit être appliquée, et le système de ceux qui veulent frapper indistinctement d'une peine tous ceux qui contreviennent aux prescriptions sur la tenue de l'état civil ; notre amendement est encore un terme moyen entre les opinions de jurisconsultes également extrêmes, entre ceux qui veulent que dans l'acte de naissance de l'enfant né hors mariage le nom de la mère soit toujours indiqué et ceux qui veulent qu'il ne le soit jamais.

L'amendement a pour but de concilier ces opinions extrêmes, contradictoires, et le système qu’il tend à consacrer a été proposé la première fois, l’honorable M. Orts me permettra de le dire sans que son amour-propre de paternité en soit offensé, ce système a été proposé par un des professeurs les plus éminents de la faculté de droit de Paris ; ce système, l'honorable M. Guillery l'a rappelé hier, jouit en outre de l'appui d'une jurisprudence française constante depuis près de vingt ans. Or il est impossible que pendant un si long laps de temps dans un pays comme la France, on voulût suivre une doctrine qui pût mériter le blâme de froisser la loi morale. Si je reviens encore sur ce point, messieurs, c'est que ce reproche, s'il eût été fondé, devait ruiner notre système, et qu'il est bon, qu'il est nécessaire que l'amendement en soit complètement lavé.

Je sais que notre jurisprudence n'est pas conforme à celle de la France, mais elle ne compte que deux décisions sur le point en litige et elles sont assez récentes ; la question n'a donc pas reçu une solution aussi complète et aussi approfondie chez nous qu'en France. J’ajoute, sans vouloir apprécier ici le mérite de cette jurisprudence, que l’arrêt-principe que l’on invoque a été rendu contrairement aux conclusions de de M. le procureur général Leclercq.

Après avoir discuté, messieurs, un peu trop longuement peut-être pour, votre patience, et écarté comme sans fondement - c'est ce que j'avais le plus à cœur - le reproche fait à l'amendement d'être en opposition avec les lois de la morale et la sainteté des liens de famille, je voudrais rencontrer quelques-uns des arguments principaux qui ont été mis en avant, à d'autres points de vue, contre le système que je défends.

(page 804) Je le ferai aussi rapidement qu'il me sera possible, car je n'ai pas la prétention d'ajouter rien de nouveau à ce qui déjà a été dit de si concluant par mes honorables collègues, notamment M. Guillery dans son discours d'hier.

L’honorable M. Tack, combattant hier aussi l'amendement, a indiqué une hypothèse, proposé un exemple qui m'a paru faire une certaine impression sur l'assemblée. Voyez, a dit l'honorable membre, ce qui pourra sortir de l'adoption de l'amendement : une femme, veuve, a un enfant légitime ; elle donne plus tard naissance à un enfant illégitime, le nom de la mère ne sera pas inscrit dans l'acte de naissance, l'enfant ne lui sera donc rien et cette même femme qui n'aurait pu laisser à cet enfant, régulièrement reconnu comme naturel, que le douzième de sa fortune, pourra lui en laisser la moitié ! Ce sera la spoliation de l'enfant légitime, ce sera, s'est écrié l’honorable M. Tack, la fraude à la loi !

Que l'honorable député de Courtrai nie permette de le lui dire ; l'exemple qu'il a choisi, la solution qu'il lui a donnée repose sur une confusion d'idées juridiques, sur une appréciation erronée de la valeur que donne à l'acte de naissance d'un enfant illégitime l’énonciation du nom de la mère quand cette énonciation n'émane pas d'elle-même.

Dans l’hypothèse choisie par l'honorable membre, il dépendra toujours de la mère d’aboutir au résultat prévu, si telle est sa volonté ; il lui suffira pour cela de désavouer l'indication de son nom faite dans l'acte de naissance de son enfant naturel et alors, dans l'opinion même de M. Tack, celui-ci ne lui sera légalement plus rien et elle pourra l'avantager comme elle veut.

Cette conséquence, déplorable sans doute, ne dépend pas de notre amendement, il n'y fait rien, c'est la conséquence du droit civil. Que l'amendement soit adopté ou non, l'hypothèse imaginée par l'honorable M. Tack pourra toujours se réaliser.

L'honorable ministre de la justice vient de reprendre sous une forme plus générale la thèse de M. Tack ; il a discuté ce que vaut pour l'enfant illégitime un acte de naissance où le nom de la mère est relaté. C'est, je le reconnais, une des questions les plus controversées du droit civil, ou pour mieux due, c'a été une des questions les plus débattues, car aujourd'hui l'opinion des jurisconsultes contemporains les plus éminents paraît fixée. Cette énonciation du nom de la mère, faite sans elle, ne prouve rien pour la filiation de l'enfant illégitime ; elle ne lui attribue ni droit, ni titre de famille. Et je doute fort que M. le ministre, quoiqu’il ait paru dire, voulu soutenir comme la partageant, l'opinion surannée des jurisconsultes qui attribuent à l'indication du nom d la mère la valeur, pour l’enfant naturel, d'une filiation et de je ne sais quelle demi-reconnaissance.

Toutefois, M. le ministre, sans se prononcer positivement sur cette question de droit dans laquelle il serait d'ailleurs inopportun d'entrer plus profondément, a émis quelques paroles que je crois devoir relever.

« Mais, a-t-il dit, le nom de la mère que vous inscrivez dans l'acte de naissance fait au moins foi devant l’opinion publique. Il donne à l'enfant vis-à-vis du public le caractère d'un enfant naturel reconnu. »

Eh bien, je dis que si cela est, c'est la condamnation de l'opinion de M. le ministre ; cela pourrait mener très loin, et avoir des conséquences effrayantes.

Quoi ! Il suffirait qu'un individu, dans un acte de naissance, fit faussement, méchamment, insérer le nom d'une femme pour lui attribuer la maternité d’un enfant !

C'est là une chose impossible, d'une iniquité qui serait révoltante ; la conséquence est telle qu'elle enlève toute portée aux paroles de M. le ministre.

L'honorable M. Lebeau vient d'établir d'une manière très nette la valeur de l'indication du nom de la mère dans l'acte de naissance, valeur presque nulle, car elle n'est, quoi qu'on dise, une garantie certaine ni de la filiation, ni du nom, ni des intérêts de l'enfant, et ce qui suffit seul à le prouver, ce sont les dispositions du Code ; c'est l'article 319 qui porte que la filiation de l’enfant légitime et non de l'enfant naturel se prouve par l'acte de naissance inscrit sur le registre de l'état civil et l’article 336 qui porte que la reconnaissance du père sans l'indication et l'aveu de la mère n'a d'effet qu'à l'égard du père.

L'honorable M. Charles de Brouckere, qui a prêté hier au projet du gouvernement l'autorité de sa parole et de son expérience, a combattu l'amendement par divers arguments. Entre autres l'honorable membre produit celui-ci : « Comment pourra-t-on reconnaître plus tard et légitimer au besoin, des enfants dont l'acte de naissance ne contiendrait aucune indication du nom de la mère ? Ces reconnaissances, ces légitimations deviendront très difficiles »

Je réponds que cela pourrait être vrai, mais seulement dans des cas rares et très exceptionnels. Or, on fait les lois, non pas pour les cas exceptionnels, mais pour les cas généreux. Est-ce que la mère qui n'a pas voulu que son nom fût indiqué dans l'acte de naissance abandonne pour cela son enfant ! Non, dans la plupart des cas elle garde son enfant, elle l'élève, elle continue à lui donner ses soins maternels, elle ne le perd pas de vue, et plus tard elle le reconnaît si elle veut, elle le légitime si elle peut.

Et même lorsqu'une mère coupable cache son nom et abandonne son enfant, il lui reste certains moyens de suivre cet enfant, des signes matériels qui l'accompagnent ; cela se fait ainsi. La reconnaissance pourra donc encore se faire. Ces cas d'ailleurs, je le répète, ne seront pas la règle ; communément, la mère garde son enfant ; le sentiment maternel l'emporte sur tous les autres.

L’honorable M. de Brouckere a élevé un autre grief contre l'amendement, en disant : Votre amendement favorise l'adultère ; c'est une prime à l'adultère. Ce sera pour la femme adultère la faculté du cacher son nom. » Ici l'on raisonne encore en vue d'un cas exceptionnel comme si l'amendement, dans la pensée de ses auteurs et de leurs adhérents, favorisait la femme adultère, et était fait en prévision de ce cas. Il n'en est absolument rien. L'adultère n'est, Dieu merci, dans la société qu'une exception.

Et parmi les classes pauvres surtout, auxquelles l'honorable M. de Brouckere a fait allusion, parmi la classe ouvrière dans laquelle, selon lui, le cas se présentera le plus souvent où la mère se cachera afin de ne pas reconnaître un enfant qu'elle laissera sans nom, parmi le peuple, en un mot, l'adultère est très rare.

C'est dans la classe des travailleurs, c'est dans le peuple que, grâce à Dieu, l'esprit de la famille s'est le mieux conservé. Et ce n'est pas chez ces classes que se produisent les faits graves et déplorables que l'on signale.

Dam les classes aisées que se passera-t-il dans la pratique ? Une femme qui ne voudra pas donner son nom à son enfant et qui voudra dérober son crime à son mari ira au loin, dans un endroit où elle sera inconnue et où elle pourra donner le jour à un enfant sans que le médecin même puisse déclarer quelle était la personne.

L'honorable M. Charles de Brouckere hier et M. le ministre de la justice tout à l'heure ont reproché à l'amendement une conséquence qui, si elle était exacte, serait vraiment des plus sérieuses. Selon eux il favoriserait l'abandon des enfants par les familles pauvres surchargées d'enfants.

Qu'arrivera-t-il, a dit M. de Brouckere, dans les familles où il y a quatre, cinq ou six enfants ? On mettra le nouvel enfant à la charge de la charité publique. Ce sera encore un enfant légitime auquel on aura enlevé cette qualité ; c'est un encouragement à briser le lien de la famille.

Messieurs, ce que j'avais l'honneur de vous dire, il y a un instant, du sentiment de famille qui subsiste dans la classe populaire suffit pour faire comprendre que ce seront là encore des cas très rares. Les familles pauvres sont précisément celles qui sont le moins disposées à abandonner leurs enfants. On les voit, au contraire, recueillir souvent des enfants abandonnas.

Le tableau que nous a tracé des cas de ce genre, l'honorable M. de Brouckere n'est pas aussi sombre qu'il l'a fait, et je suis convaincu que ses défiances et ses craintes sont exagérées. Mais je veux même admettre l'hypothèse d'une femme appartenant à une famille pauvre surchargée d'enfants et voulant abandonner son nouveau-né. Elle pourra bien difficilement réaliser ce mauvais dessein, car si elle reste chez elle, comment faire ? Tout le monde connaît sa situation, tout le monde sait qu'elle est enceinte. Il est donc impossible que le jour où son enfant naît, elle ne l'accepte pas, elle et son mari. D'un autre côté, puisqu'elle est pauvre, comment faire des dépenses, comment pourrait-elle aller au loin accoucher clandestinement, cacher son nom et enlever à son enfant sa possession d'état ? Les cas prévus par les honorables MM. Ch. de Brouckere et Tesch ne peuvent guère se traduire en fait.

Je viens d'entendre l'honorable ministre de la justice reproduire un argument que l'honorable rapporteur M. Pirmez avait déjà présenté avec le talent et l'habileté qui le distinguent. C'est celui de la responsabilité morale. Considérez, dit M. Pirmez, que la société moderne est organisée sur ce principe, il est l'essence des pays libres. La responsabilité et la liberté sont afférentes l'une à l'autre. Ce qui s'applique à l'une s'applique à l'autre. Et vous voulez, ajoute l’honorable rapporteur, décharger la femme dans ce que la responsabilité a de plus impérieux.

Cet argument m'avait beaucoup frappé et s'il avait fallu voter après le discours de l'honorable M. Pirmez, je vous avoue que j'aurais hésité. Mais depuis j'ai réfléchi et j'ai reconnu que ma première impression ne devait pas subsister. Certainement il n’y a pas de principe plus élevé que la responsabilité de nos actes ; mais à côté de ce principe, il y en a un qui n'est pas moins grand, et qui est plus puissant, c'est celui de la conservation personnelle. Or, c'est ce principe-là qui est ici en cause, je vais le prouver.

Que veut-on introduire ? l'obligation pour la femme qui va accoucher de faire directement ou indirectement l'aveu de sa faute. Ce que vous lui demandez, à elle, la coupable, c'est un aveu, et vous ne l'imposez jamais à un autre coupable, vous ne l’imposez pas au plus vil criminel. (page 805) Les législations tortionnaires ont demandé cet aveu, mais les législations modernes, celles qui tiennent compte de la liberté humaine, ne l'exigent plus.

Le criminel n'est pas forcé d'avouer et quand il fait cet aveu à son conseil, à son défenseur, celui-ci est tenu de garder ce secret impénétrable dans son sein. N'allez donc pas faire à la femme, blâmable, sans doute, coupable même, mais quelquefois aussi bien digne de pitié, une position pire que celle que vous faites à l'accusé, au scélérat le plus méprisable.

Tout à l'heure l'honorable ministre de la justice a traité sévèrement l'argumentation de l'honorable M. Guillery, lorsque, hier, il a signalé à la Chambre le danger de la voie dans laquelle on entre.

Hier l'honorable M. Guillery vous disait : Prenez garde ! Vous allez obliger le médecin, la sage-femme, tous les témoins qui assisteront à un accouchement, à parler lorsqu'ils ont promis le secret, lorsqu'ils devaient promettre le secret. Mais ne craignez- vous pas d'ouvrir la voie à d'autres violations de secrets ? Ne craignez-vous pas de faire un jour violer le secret que doivent garder et le prêtre, et l'avocat, et le notaire, et toutes ces personnes qui, par état, sont dépositaires de secrets ? On s'est récrié, et M. le ministre vient encore de le faire, en nous disant : C'est une véritable machine de guerre, c'est une tactique, il ne s'agit ni du prêtre ni de l'avocat.

Je le crois, messieurs, je crois que dans l'intention de ceux qui soutiennent le projet du gouvernement, il ne peut pas être question d'attenter à la liberté du prêtre et de l'avocat, mais veuillez examiner le texte de votre projet ; ce texte astreint à l'obligation de parler tous ceux qui assistent l'accouchement, n'importe à quel titre. Ce n'est pas votre intention, dites-vous, de faire divulguer le secret ni par le prêtre ni par l'avocat qui seraient appelés devant le lit du malade, d’une femme en couche près de mourir. Mais votre loi l'y forcera, le texte est absolu. La loi, dès que vous l'aurez votée, vous échappera. Les tribunaux l'appliqueront, non telle que vous l'aurez voulue, mais telle que vous l'aurez faite ; et il se peut très bien que par le système nouveau dans lequel on entre, on soit un jour d'entraînement en entraînement, amené à poursuivre un véritable régime d'inquisition que personne.ne peut admettre dans cette assemblée.

Mais j'arrive à ce qui est pour moi la grande objection contre le projet du gouvernement ; à ce qui pour moi est le côté élevé de la question, le côté qui la domine et qui seul suffirait pour me faire rejeter le projet du gouvernement et de la commission ; je dis que votre projet, s'il devient loi, provoquera forcément, fatalement, aux attentats contre la vie des enfants, aux avortements, aux suppressions et aux infanticides.

L'honorable ministre nous a lu tantôt une statistique d'où il résulterait que cette crainte est chimérique, que c'est un tableau de fantaisie et qu’en France où l'on a la législation que nous voulons introduire, le nombre des infanticides se balance avec celui que l'on constate en Belgique.

Je sais, messieurs qu'à l'aide de la statistique, on peut prouver bien des choses. Je ne puis suivre M. le ministre sur ce terrain, n'ayant pas cette statistique sous les yeux. Mais ce que je sais, c'est qu'il y a quelque chose qui vaut mieux que la statistique la plus artistement arrangée, c'est l’expérience et la connaissance des instincts et des passions du cœur humain.

Je dis que le projet, tel qu'il est proposé, placera inévitablement la mère, dans beaucoup de cas, entre son honneur et la vie de son enfant. Vous invoquez une statistique des infanticides, mais connaissez-vous le nombre de ceux qui restent inconnus, nombre qui n'est que trop grand ? Connaissez-vous le nombre des avortements qui est p'us grand ?

Vous mettez la femme dans une terrible alternative, entre sa honte ou son enfant, dans une redoutable tentation qu'une législation prudente doit éviter.

Il est imprudent, nous dit l'honorable ministre, de donner une prime à la débauche et à la perversité des mœurs. Cela est vrai, et telle n'est pas notre pensée ; mais ce qui est plus imprudent encore, c'est de donner la tentation de commettre le crime, et votre loi, si elle est appliquée, provoquera à des attentats, j'en ai la conviction, contre les enfants. Votre loi forcera, l'expérience, nous le prouve, bien des fois la femme à chercher dans le crime un refuge contre le déshonneur.

J'ai parlé, messieurs, d’expérience, qu’il me soit permis d'invoquer la mienne et de faire appel à celle de tous les magistrats. J'ai interrogé souvent dans ma vie des femmes accusées d'infanticide ; huit fois sur dix, j'ai reconnu que c'est la peur de la honte qui les a poussées au crime ; égarées, affolées par r eue crainte du déshonneur public, elles deviennent criminelles. Eh bien, cette honte, vous allez la rendre obligatoire, fatale, inévitable. Quoi que puisse faire la femme, elle sera nécessairement dénoncée ; les personnes qui l'entoureront seront pour elles des dénonciateurs, le médecin qu’elle aura appelé, en qui elle aura confiance, la sage-femme à qui elle aura livré son secret deviendront contre elle des dénonciateurs qui, après l'avoir soulagée, après lui avoir conservé peut-être l'existence physique, iront, par déclaration de son nom, la tuer moralement en lui imprimant un stigmate qui ne s'effacera jamais !

Ce système serait ainsi tantôt inhumain si vous voulez forcer la femme à faire ses couches sans qu'elle ose appeler le médecin ou la sage-femme, ce qui amènerait souvent la mort de l'enfant ; ou il serait dangereux, parce que menaçant le femme de l'opprobre qui résultera pour elle de la publicité, vous la mettrez bien des fois dans la cruelle tentation de supprimer la cause de cette honte.

Est-ce donc là, je le demande, la protection qu'il faut réserver à l'enfant ?

Vous vous préoccupez, et avec raison, de l'avenir de l'enfant. Vous voulez lui garantir l'existence, lui faire une famille Et vous commencez par compromettre son existence au lieu de la protéger, vous le vouez bien malgré vous à une mort trop souvent certaine.

On a parlé, messieurs, de la question des tours. J'en dirai un mot. Il y a, quant aux effets, certaine analogie entre la suppression des tours et le projet de loi tel qu'il est en discussion. Le grand argument contre la suppression des tours, c'est qu'elle augmente le nombre des infanticides ; c’est également mon principal argument contre le projet du gouvernement. Ce qui conduit surtout à l’infanticide, c'est la crainte de voir se divulguer le secret de la naissance.

Or, le projet que je combats et la suppression des tours ont cela de commun : la divulgation de ce secret ; la conséquence devra être commune aussi. L'honorable M. Ch. de Brouckere est un des partisans les plus anciens et les plus convaincus de la suppression des tours ; je le sais, car il y a quinze ans j'avais l’honneur de siéger sous sa présidence dans une commission qui avait à s'occuper de cette question ; alors déjà l'honorable membre soutenait que supprimer les tours serait supprimer la débauche dans sa racine. J'ai dès lors combattu l'honorable membre et depuis tout ce que j'ai appris et observé m'a convaincu de plus en plus que fermer absolument les tours serait provoquer à quelque chose de bien plus grave qui la débauche même, les attentats contre la vie de l'enfant.

Ce matin je causais avec un médecin très distingué de la capitale qui est par position parfaitement au courant des faits relatifs à cette question ; il m'a autorisé à déclarer que depuis la suppression du tour à Bruxelles, le nombre des infanticides a considérablement augmenté. (Interruption.) Je rapporte ce qu'on m'a dit. Je dirai le nom du médecin à M. de Brouckere, s'il le désire.

Le même motif qui m’a toujours fait combattre la suppression absolue des tours, me fait aussi combattre le projet du gouvernement. Les mêmes considérations, remarquez-le, messieurs, peuvent s'invoquer de part et d'autre : On réclame la suppression des tours, au nom de la morale, au nom de la famille, au nom de la pureté des mœurs. Or, ce sont précisément les mêmes arguments qu'on invoque aujourd'hui contre l'amendement que je soutiens.

Eh bien, j'ose l'affirmer, plus d'un vote sera émis contre l'amendement qui ne serait pas acquis à la suppression des tours ; et cependant au fond la question est la même.

On l'a déjà dit et cela est exact : trois intérêts sont en cause : celui de l'enfant, celui delà mère et celui de la société ; deux de ces intérêts peuvent être contradictoires. Il s'agit de savoir lequel l'emportera. L'intérêt de l'enfant est celui dont nos adversaires se préoccupent le plus. Que donnent-ils à l'enfant par le projet de loi ? lui donnent-ils quelque chose de sérieux ? Lui donnent-ils un titre, une famille ? Lui donnent-ils au moins toujours une mère ? Non c'est tout au plus une présomption. Ce n'est pas même un commencement de preuve par écrit. Ce n'est vraiment que l'apparence d'un droit. Mais ce qui n'est qu'une apparence pour l'enfant, devient une terrible réalité contre la mère. En n'obligeant pas les personnes qui assistent à l'accouchement à dévoiler, quand le secret est demandé, le nom de la mère vous lui épargnez l'opprobre, vous lui permettez, dans bien des cas, de revenir à une vie meilleure. Toutes les femmes qui donnent naissance à un enfant hors du mariage ne sont pas nécessairement et irrémédiablement corrompues. Elles sont blâmables toujours, mais très souvent aussi elles sont dignes de commisération ; séduites, trompées, conduites au vice par des promesses fallacieuses, elles ne sont pas toutes perdues sans espoir.

Eh bien, messieurs, si vous allez ordonner que dans un acte public leur nom soit toujours mis, faire irrévocablement dresser l'acte de leur honte, vous aurez fermé à beaucoup d'entre elles le retour à une via honnête.

Sons doute parmi ces femmes il en est pour qui la honte est un élément, une spéculation même, mais croyez-vous que celles-là seront blessées de la divulgation de leur nom ? Mon Dieu non. Que leur importe ? Elles laisseront inscrire leur nom, elles demanderont même qu'on l'inscrive, quitte après à ne pas s'occuper de l'enfant et souvent tant mieux pour lui. Mais quant à celles qui sont plus malheureuses encore que coupables, elles qui peuvent encore revenir à une vie pure, quelle position leur faites-vous ? En divulguant leur faute, en les mettant au pilori de la publicité, vous les perdez à jamais. Singulière loi, vraiment, (page 806) qui frappe les moins coupables et qui n'atteint pas celles qui méritent toute sévérité.

L'intérêt social, en quoi réellement consiste-t-il Il consiste à diminuer, autant que possible, les chances de crime.

Là est la morale, là est aussi la vraie justice. C'est à conjurer ce danger qu'une bonne législation, faite pour les hommes tels qu'ils sont et non tels qu'ils devraient être, c'est à cela qu'une prudente législation doit s'attacher. Nous le savons, notre système est loin d'être sans inconvénients, il en a de sérieux, nous ne le cachons pas. Vous aurez sans doute, si vous adoptez le projet du gouvernement, quelques enfants abandonnés de moins, mais vous aurez aussi des infanticides, des attentats de plus. C'est cette conviction, profonde chez moi, qui me fait voter résolument contre le projet du gouvernement et en faveur de l'amendement de M. Orts.

Je n'accepte pas, au moins quant à présent, l'amendement de l’honorable M. Lebeau. Je le caractérise en deux mots : il est incomplet, illogique il retire d'un côté ce qu'il donne de l'autre ; il a les inconvénients du système que je critique et n'en offre pas les avantages. Avec l'amendement de l'honorable membre, le secret ne serait pas sauvegardé, et c'est ce secret que je considère, dans bien des cas, comme pouvant seul protéger l'enfant et la société contre les plus grands attentats.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.