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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 3 mars 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 807) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Des habitants de Termonde demandent l'abrogation des articles 414, 415 et 416 du Code pénal. »

- Dépôt sur le bureau pendant h discussion du titre V, livre II du Code pénal.


« Le sieur Luc, ouvrier à Longvilly, devenu aveugle par suite des blessures que lui ont occasionnées des éclats de pierre dans une tranchée sur le chemin de fer de Luxembourg, demande une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des secrétaires communaux dans l'arrondissement de Bruxelles, prient la Chambre de voter une loi qui fixe le minimum de leur traitement et qui leur accorde un subside sur les fonds du trésor. »

- Même renvoi.


« Le sieur Lamblin, commissaire de police à Chimay, demande que les commissaires de police remplissant les fonctions de ministère public près les tribunaux de simple police reçoivent les ouvrages de droit publiés par le gouvernement et soient admis à prendre connaissance des ouvrages déposés aux greffes des justices de paix. »

- Même renvoi.


« MM. Claes et Fléchet font hommage à la Chambre de 120 exemplaires du mémoire descriptif annexé à la demande de concession d'un chemin de fer d'Ans à Tongres, qu'ils ont formée le 29 février dernier. »

- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.

Ordre des travaux de la chambre

M. H. Dumortier (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je ne sais pourquoi, dans le courant de cette semaine, les sections centrales n'ont pas été convoquées. Lorsque les affaires qui sont actuellement à l'ordre du jour seront épuisées, il n'y aura plus aucun projet achevé. La Chambre sera peut-être dans le cas de devoir s'ajourner faute de besogne. Nous avons le projet de loi sur la police médicale. La section centrale pourrait probablement, en une ou deux séances tout au plus terminer son travail.

M. Vander Donckt. - Non ! non l

M. H. Dumortier. - Si la section centrale ne peut terminer eu une ou deux séances, c'est une raison de plus pour ne pas laisser passer une semaine entière sans la convoquer.

Il y a aussi la section centrale qui s'occupe du projet de loi relatif à la caisse d'épargne qui n'a pas siégé cette semaine.

Je recommande ce point à l'attention du bureau, et je demande que dès le commencement de la semaine prochaine les sections centrales soient convoquées.

M. Orts. - Il est vrai que plusieurs sections centrales, et entre autres plusieurs sections centrales que je préside n'ont pas été convoquées dans le courant de cette semaine. Mais cela a tenu deux à causes, voici la première : quelques-unes de ces sections ne pouvaient délibérer parce que les renseignements qu'elles avaient demandés au gouvernement n'avaient pas encore été complètement fournis.

La seconde, c'est que des membres de quelques sections centrales retenus chez eux comme le prouvent des congés accordés par la Chambre, pour des motifs sérieux, et tenant beaucoup à assister aux discussions, m'avaient demandé d'y assister et ne pouvaient s'y rendre. J'ai cru, notamment pour la section centrale qui s'occupe des modifications au droit d'enregistrement, devoir déférer au désir d'un honorable collègue. Mais il est certain que dès les premiers jours de la semaine prochaine, il sera satisfait au vœu de l'honorable M. Dumortier en ce qui concerne le projet de loi dont je viens de parler. Les obstacles ont aujourd'hui disparu pour la plupart des sections que je préside.

M. le président. - Je ferai remarquer que la prévision de voir la Chambre stater ses séances, parce qu'elle n'aurait plus de travaux prêts ne peut pas se réaliser. Outre les articles du Code pénal renvoyés à la commission et que nous discutons en ce moment, la Chambre a à l'ordre du jour un titre entier de ce Code, et ce titre est un des plus importants, un de ceux qui soulèvent les questions les plus graves.

Les appréhensions, très louables d'ailleurs, de notre honorable collègue, ne peuvent donc se réaliser.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre VII)

Discussion des articles

Titre VII. Des crimes et des délits contre l’ordre des familles et contre la moralité publique

Chapitre III. Des crimes et délits tendant à empêcher ou à détruire la preuve de l’état civil de l’enfant
Article 420

M. le président. - La discussion continue sur l'article 420.

M. Van Volxemµ. - Plusieurs orateurs et, en dernier lieu, l'honorable M. Nothomb, ont passé successivement en revue trois intérêts principaux en présence ; celui de la société, celui de la mère et celui de l'enfant.

Après les paroles éloquentes de l'honorable ministre de la justice, je ne veux pas envisager de nouveau l'intérêt de la société sous tous les aspects où il peut se présenter, je me bornerai à quelques points de vue principaux.

La société a évidemment intérêt à avoir le moins possible d'êtres déclassés ; la conséquence de l'amendement, tout le monde le reconnaîtra, amènera infailliblement une augmentation considérable d'enfants trouvés ou abandonnés. Le système suivi jusqu'ici a au contraire pour effet d'engager les mères à se charger le plus souvent elles-mêmes du soin de leurs enfants, au lieu de les abandonner à la charité publique.

Le système actuel amène la légitimation du tiers des enfants naturels nés à Bruxelles.

Les chiffres cités par l'honorable bourgmestre de Bruxelles ne vous auront pas laissé de doute à cet égard. Tout me porte à croire qu'il en est de même dans toutes les grandes villes et dans le reste du pays. N'est-ce pas là un intérêt social, palpable, évident de premier ordre ?

L'enfant naturel est ou le résultat d'un crime, celui du viol, et alors le Code civil, si sévère sur la recherche de la paternité, l'admet même par exception.

Ou bien il est le fruit de l'adultère, de l'inceste, de la démoralisation, quelquefois de la séduction.

Nous ne devons pas chercher les moyens de tendre une main secourable aux femmes coupables, dans les deux premiers cas. Dans le troisième, les filles mères s'inquiètent généralement assez peu de se compromettre plus ou moins, ce n'est donc que dans le dernier cas, celui de séduction ou de confiance aveugle à des promesses illusoires que le sort de la mère mérite quelque intérêt. Eh bien, messieurs, le système suivi aujourd'hui leur est plus favorable que celui qui résultera immanquablement de l'amendement.

En effet, comme je vous l'ai dit tout à l’heure, d'après ce qui se passe à Bruxelles et dans beaucoup d'autres villes, le tiers environ des enfants naturels reconnus étant légitimés par mariage subséquent, toute mesure qui faciliterait l'incognito des mères viendrait à l’encontre de leur mariage futur, de la réparation de leur faute, l'intérêt bien entendu de la mère est donc plus tôt d'être connue que de ne pas l'être.

L'intérêt de l'enfant.

Cet intérêt bien entendu est encore mieux servi par le système actuel que par celui qu'amènera certainement l'amendement de l’honorable M Orts.

Cet intérêt est triple : moral, physique, légal ; moral d’abord. En effet, si comme je viens de vous le dire, le mariage de la mère suit une fois sur quatre la naissance lorsque le nom de la mère est connu, la restriction mise à cette connaissance viendra bien souvent arrêter un père naturel dans l'intention qu'il pourrait avoir de réparer ses torts. Il se prévaudra près de la victime de la séduction, de l'ignorance où l’on sera de ce qui s'est passé, et tentera peut-être sur d'autres de nouvelles séductions.

Si le mariage même n'a pas lieu, l'enfant naturel a bien plus de chances, dans le système actuel, de se voir élevé par sa mère, de ne pas la quitter, de recevoir incessamment ses caresses, d'être l'objet de son attachement, d'avoir enfin quelqu'un qui se rattache à lui dans la vie.

L'honorable M. Nothomb dit que les mères mêmes qui abandonnent leur enfant, les suivent et ont ainsi l'occasion de leur prouver leur attachement ; que n'est-ce vrai, messieurs. ? Mais hélas ! les faits démontrent trop souvent le contraire. On s'attache nécessairement plus à un enfant qu'on a élevé qu'à un enfant qui, élevé par d'autres, ne vous connaît pas.

L'intérêt physique de l'enfant naturel, le soin de sa sûreté, l'espoir de le voir vivre est bien plus assuré par le mode actuel que par celui que l'amendement introduira. Et voici pourquoi : avant la suppression des tours, une industrie s'était créée, c'était celle d'y porter les enfants qui venaient de naître. Les filles mères confiaient leurs enfants, souvent pour les porter à de grandes distances les premiers jours de leur vie, lorsqu'ils ont besoin de soins si délicats. Aussi, messieurs, la mortalité était-elle effrayante.

Arrivés à l'hospice, on les remettait à des nourrices qui en avaient quelquefois plusieurs à allaiter et qui certes ne pouvaient pas leur donner d’aussi bon lait que celui de la mère ; nouvelle cause de mortalité, augmentée encore par l'agglomération nécessaire dans un même local, malgré tous les soins dont ils étaient entourés. Au bout d'une dizaine de jours, les administrations placent les enfants à la campagne ; nouveau changement, de nourrice, nouveau voyage, par les temps, nouvelle cause de (page 808) mortalité, mortalité beaucoup plus forte à coup sûr que les cas extrêmement rares d'infanticide et d’avortement.

L'honorable M. Nothomb a dit que le nombre des infanticides a considérablement augmenté depuis la suppression des tours. Ce fait n’est nullement prouvé. S'il ressortait si évidemment de la statistique, je ne pense pas qu'on eût oublié de nous fournir quelques chiffres concluants ; si on ne l’a pas fait, c'est que ces chiffres, loin d'être concluants dans le sens qu'on indique, le sont au contraire dans un sens opposé, comme l'a fort bien démontré M. le ministre de la justice.

En comparant les résultats des deux systèmes en présence, soyez sûrs qu'un bien plus grand nombre d'enfants vivra par celui suivi aujourd'hui que par l'autre ; les décès occasionnés par l'infanticide seront beaucoup moins nombreux que ceux causés par les circonstances que je viens d'indiquer.

L'intérêt légal de l'enfant est aussi d'être plutôt naturel reconnu que trouvé et abandonné, comme il la sera la plupart du temps avec le silence facultatif.

Les articles 756 et suivants du Code civil donnent des droits positifs à l’enfant naturel reconnu ; la question de la réserve de l'enfant naturel reconnu, si longtemps controversée, est même aujourd'hui résolue par beaucoup de bons esprits dans un sens favorable.

Ce n'est donc qu'en faveur des enfants incestueux et adultérins que le changement pourrait opérer, car l'article 762 les exclut eux seuls du bénéfice de la reconnaissance. Et, messieurs, devons-nous encourager l’adultère et l'inceste en donnant les moyens d'annuler les dépositions si prévoyantes du Code civil, en facilitant, par exemple, une adoption possible postérieurement, ou bien une institution d'héritier comme étranger. Nous ne pouvons pas aller ainsi à rencontre du vœu du législateur qui est de protéger au contraire la morale et la famille.

Le tort que la mention du nom de la mère dans l'acte de naissance pourrait peut-être faire à l'enfant serait de l'empêcher d'être adopté par elle ; encore cette question est-elle controversée, et la jurisprudence n’est-elle pas constante à cet égard. Et quand bien même on ne pourrait pas adopter un enfant naturel, où serait le mal ? pourquoi faut-il donc le placer par l'adoption à l'égal de l'enfant légitime ? Quelle raison si majeure y a-t-il pour qu'il ne soit pas moins bien traité ? Si l'acte de naissance ne vaut pas comme commencement de preuve par écrit et doit être corroboré par cette preuve, ce n'en est pas moins un indice qui est tout dans l'intérêt de l'enfant.

Mais, messieurs, outre les trois intérêts dont on a beaucoup parlé, n'y en a-t-il pas d'autres dont on n'a encore rien dit et qui sont tout au moins aussi respectables, si pas plus que celui de la mère ? L'amendement n'atteint-il pas l'intérêt des enfants légitimes, du mari, des collatéraux mêmes ? Il atteint les intérêts de l'enfant légitime en permettant d'introduire des étrangers dans la famille, après le décès du mari par exemple, ce qui ferait naître des procès bien plus scandaleux que ceux en désaveu.

Il atteint l'intérêt de l'enfant légitime et celui du mari en permettant de déposer par testament en faveur de l'enfant comme en faveur d'un étranger, en permettant de ne pas se restreindre aux quotités déterminées par le code (articles 756 et suivant). Ce Code posant la règle que l'enfant né pendant le mariage a pour père le mari, la mère par une raison quelconque pourrait vouloir faire disparaître un enfant. Cet enfant n’est-il pas présumé légitime jusqu'au désaveu, n'est-ce pas même, dans bien des cas, un enfant légitime dont on supprimerait l'état ? L'expérience l'a prouvé. Beaucoup d'enfants abandonnés et réclamés plus tard étaient légitimes. Il atteint les intérêts de collatéraux dans le cas où l'enfant notait favorisé par la mère au détriment d'héritiers avec lesquels il eût été simplement en concurrence et pour une quotité réduite s'il avait été reconnu (paragraphe final de l'article 757).

L'amendement atteint les intérêts de la commune et de la province et subsidiairement celui de 1 Etat, en laissant augmenter incontestablement dans l’avenir le nombre des enfants trouvés et abandonnés.

L'article 4 de la loi du 30 juillet 1833 met les frais des enfants trouvés pour moitié à la charge de la commune où ils ont été abandonnés et pour l'autre moitié à la charge de la province ; l'article 3 permet à l'Etat d'allouer un subside qui est porté au budget.

En fait, à Bruxelles cette dépense est supportée par tiers.

Le nombre des enfants trouvés augmentant, cette dépense sera naturellement augmentée dans la même proportion.

Un court historique de l'hospice de la maternité de Bruxelles prouvera que ce n'est pas à tort que je dis que le nombre des enfants trouvés augmentera.

Pendant longtemps les frais occasionnés par toutes les femmes admises sans distinction étaient supportés exclusivement par l'administration des hospices.

La loi du 28 novembre 1828 étant venue autoriser la répétition à charge des communes, domicile de secours, des frais occasionnés par leurs indigents à d'autres localités, l'administration résolut de réclamer, dans certains cas, les frais occasionnés par la mère et l'enfant : elle prit donc des mesures pour être à même de connaître le domicile de secours de la mère, elle engagea à reconnaître son enfant, elle le lui fit allaiter et lui fit prendre l'engagement de l'élever. Néanmoins, l'administration ayant acquis la preuve que les mères qui avaient pris cet engagement ne l'observaient pas et déposaient leur enfant, elle résolut en 1857 de ne plus admettre à la maternité que les femmes qui ont leur domicile, de secours à Bruxelles, que celles qui y demeurent depuis assez longtemps pour croire qu'elles n'y sont pas venues dans le but d'y faire leurs couches, ou bien celles appartenant aux faubourgs ont un certificat de leur commissaire de police.

Est-ce à dire pour cela que les secours urgents ne leur sont pas accordés ? Non, messieurs, aux termes de l'article 12 de la loi du 18 février 1845, et suivant les préceptes de l'humanité, tout secours urgent est accordé sans condition de domicile ni de certificats L'institution des tours a suivi parallèlement celle de la maternité, dont elle était le complément.

Les tours ont été établis en Belgique en 1809. Depuis lors le nombre des enfants déposés a constamment augmenté dans une proportion beaucoup plus forte que celle de la population ; cette circonstance a appelé l'attention, et l’administration a acquis la conviction qu'au fur et à mesure que les tours qui plus tard n'étant plus obligatoires, ont été supprimés dans les différentes villes du pays, le nombre des dépôts allait croisant à Bruxelles.

En 1850, le tour de Mons ayant été fermé, l'administration prit des mesures pour restreindre l'accès du sien, elle le ferma le jour et ne le tint plus ouvert que durant la nuit.

Mais ce n'était qu'une demi-mesure. En 1856 le tour fut entièrement supprimé, un bureau de recueillement fut établi, et des secours furent accordés aux filles, mères et aux femmes mères pauvres. L'effet de ces dispositions fut le suivant : La moyenne des enfants trouvés et abandonnés était : De 1816 à 1825 de 461 par an, de 1826 à 1835 de 482, de 1836 à 1845 de 589 et de 1846 à 1855, de 663 par an.

L'année 1850 a été même jusqu'à 811.

Depuis la suppression, la moyenne est tombée, en 1857 à 64, en 1858 à 63 et en 1859 à 52.

Encore n'y a-t-il dans ces trois derniers chiffres que le quart seulement d'enfants trouvés proprement dits. Acceptez l'amendement, permettez le silence et l'omission du nom de la mère, ce qui n'est aujourd'hui que l'exception deviendra la règle, et vous verrez renaître les moyennes antérieures à 1856. Il en est de même, messieurs, dans toutes le -villes où ont existé des tours et où ils sont supprimés, sans pour cela cependant que le nombre des expositions ait sensiblement augmenté ni celui des infanticides

Il n'y a qu'un intérêt respectable favorisé par l'amendement, c'est celui des médecins et accoucheurs ; il est en opposition avec tous les autres, l'amendement est en contradiction avec l'article 56 du Code civil qu'il faudra changer.

L'honorable M. Guillery a distingué entre l'obligation de déclarer la naissance imposée à l'homme de l'art, et celle de déclarer le nom de la mère.

Mais l'article 56 a un second paragraphe où il dit : L'acte de naissance sera rédigé de suite en présence de deux témoins.

L'article 57 énumérant ce qu'un acte de naissance doit contenir et notamment le nom de la mère, l'acte qui aux termes de l'article 56 doit être rédigé de suite doit donc contenir le nom qui fait corps avec lui. Le médecin qui y intervient doit déclarer le nom de la mère quand il le connaît et qu'il est chargé de faire la déclaration, à défaut d'autres personnes qui doivent la faire avant lui, notamment la personne chez laquelle l'accouchement a lieu. Dans ce cas l’homme de l'art n'est pas obligé par la loi actuelle ; celui-là seul chez qui l'accouchement a eu lieu doit faire la déclaration ; il est punissable s'il ne la fait pas.

Tous les intérêts que je viens de passer en revue sont donc atteints par l'amendement : société, mère, enfant, enfant légitime, mari, collatéraux, commune, province, Etat, tous seront lésés, sauf peut-être les enfants adultérins et incestueux.

Des deux maux devant choisir le moindre, je voterai contre l'amendement.

M. de Gottal. - Messieurs, après les différentes considérations qu'ont fait valoir les orateurs qui ont parlé en faveur de l'un ou l'autre des systèmes qui nous sont proposés, je n'aurai que fort peu d'observations à ajouter.

Je commencerai par faire remarquer que les deux commissions qui ont examiné ce projet, n'ont pas toujours été d’accord, et qu'elles ne sont pas restées stables dans l'opinion qu'elles ont émise. Dans son premier rapport, la commission avait formulé l'opinion que quand il s'agit de filiation naturelle, le médecins, chirurgiens, officiers de l'état civil et sage-femmes, ne peuvent être astreints à révéler le nom de la mère qu'ils n'ont connu que sous le sceau du secret.

On a voulu étendre cette opinion à d’autres personnes. C'est l'objet de l'amendement présenté par l'honorable M. Orts.

L'honorable M. Ch. Lebeau se rallie à cette première opinion de la commission ; l'amendement qu'il a déposé est un amendement rédigé dans les mêmes termes. C'est en faveur de cet amendement que je viens prendre la parole.

En présence des arguments qui ont été produits, la question se réduit à savoir quel est le système qui offre le plus d'avantages oui plutôt (page 809) le moins d'inconvénients ; car ils offrent tous des inconvénients sérieux dans la pratique.

Il s'agit également d'examiner quel est le système qui est le plus en harmonie avec la loi civile qui nous régit, le plus en harmonie avec nos mœurs, avec les principes qui ont été admis jusqu'à ce jour. C'est à ce titre que je crois pouvoir me prononcer pour le système de l'amendement de I honorable M. Ch. Lebeau.

Messieurs, l'extension que nous rencontrons dans l'amendement de l'honorable M. Orts, peut donner lieu à des inconvénients qu'on vous a déjà suffisamment signalés ; je crois que ces inconvénients disparaissent en grande partie dans le système que j'ai l'honneur de soutenir devant vous.

En effet, quand il s'agit d'autoriser seulement les médecins et les autres personnes qui par leur profession même, sont dans le cas et ont l'obligation de donner leur secours aux femmes se trouvant dans cet état, vous n'ignorez pas combien il faut prendre de précautions pour que le secret soit gardé ; vous devez comprendre que ces précautions ne sont prises qu'en vue de sauvegarder des intérêts aussi respectables que ceux qu'on invoque à l'appui du système que nous combattons.

Dans le système du gouvernement, on nous a opposé trois arguments principaux ; on a d'abord invoqué l'intérêt de l'enfant ; ensuite on a argumenté du principe de justice et de responsabilité.

Messieurs, on l'a déjà dit, l'intérêt de l'enfant est un intérêt minime ; cet intérêt n'a pas toujours guidé le législateur dans les dispositions du Code.

C'est ainsi que nous voyons fléchir cet intérêt dans différentes circonstances, par exemple, lorsqu'il s'agit d'enfants adultérins ou incestueux ; ici, au point de vue de l'enfant, l'intérêt est positivement le même, eh bien, cet intérêt cède à des considérations de haute moralité ; ce sont ces mêmes considérations qui militent également en faveur du système que j'ai l'honneur de soutenir.

Je le répète, cet intérêt est minime ; la déclaration du nom de la mère dans l'acte de naissance, on vous l'a suffisamment démontré, n'a aucune portée.

Il est vrai que des auteurs soutiennent que ces déclarations peuvent faire preuve de l'accouchement. Ce système, qui est vivement combattu, conduit à des conséquences qu'aucun de vous ne pourrait admettre, à savoir que ces déclarations feraient preuve de l'accouchement d'une femme, alors même qu'un nom faux ou erroné aurait été déclaré dans l'acte de naissance.

Du moins, dit-on, l'insertion du nom de la mère peut faciliter la recherche de la maternité.

C'est vrai quand il s'agit d'enfant naturel simple, mais lorsque l'enfant naturel a un autre caractère, cette recherche est formellement interdite par l'article 342 du Code civil.

L'honorable ministre de la justice a cité un arrêt de la cour de cassation de 1853 qu'il invoque pour prouver que l’énonciation du nom de la mère dans l’acte de naissance peut faire preuve de filiation, servir de reconnaissance à l’enfant naturel. Je ferai remarquer que cet arrêt est isolé et qu'il décide dans un cas où l’énonciation contenue dans l'acte de naissance n'est pas contestée par la mère. Je doute qu'il se range parmi les partisans de ce système qui conduirait aux plus graves résultats ; une pareille énonciation, si l'enfant s'en prévalait, après la mort de la mère, pourrait servir à elle seule de preuve de reconnaissance ; or certes cette doctrine ne saurait être admise.

Je demande quel intérêt peut avoir l'enfant à cette désignation quand il s'agit d'enfant adultérin. Je sais qu'on a répondu que quand elle était écrite, cette énonciation ne constituait pas pour l'enfant cet état adultérin. Mais s'il veut rechercher sa mère, à quoi cela peut-il aboutir ? Dans certains cas cette énonciation doit avoir les conséquences les plus graves. Cette indication est pour le mari une dénonciation publique de l'adultère de la femme en cas d'absence notoire du mari, alors qu'il est reconnu que cet enfant ne peut pas être né des œuvres du mari ; cependant l’article 420 ne distingue pas, il impose la déclaration du nom de la mère dans ce cas. J'ai à rencontrer ici un argument présenté par l’honorable M. Tack qui, s'il était fondé, devrait avoir une grande influence sur la décision de la question, une valeur très grande pour faire admettre le système du gouvernement.

Il a dit que si on accordait au médecin la faculté de ne pas déclarer le nom de la mère, cette mère pourrait, en reconnaissant ultérieurement cet enfant, l'introduire dans la famille et léser les droits des enfants légitimes.

Examinons l’hypothèse ; l'honorable M. Nothomb a dit que ce cas était très rare ; moi je vais plus loin, je n'en conçois pas la possibilité.

Dans une première hypothèse le mari est présent ; il a connaissance de l’accouchement ; l’intérêt qu'on a invoqué ne peut pas se présenter là car le mari peut intenter une action en désaveu ; s'il laisse expirer le délai dans lequel il peut l'exercer, l'enfant sera légitime ; il en sera de même dans le système du gouvernement, dans le cas où le mari ignore l'accouchement ; si la naissance a été celée, le mari a, pour exercer son action en désaveu, deux mois à partir du jour où h fraude aura été reconnue par lui.

Mais, dit-on, le cas ne peut se présenter sérieusement que quand le mari est absent, après la mort du mari. Vous vous trouvez dans le cas où la naissance a été cachée au mari.

L'article 317 indique la marche à suivre ; je vais vous en donner lecture, après l'avoir entendu vous direz comme moi que le cas est impossible.

« Art. 317. Si le mari est mort avant d'avoir fait sa déclaration, mais étant encore dans le délai utile pour la faire, les héritiers auront deux mois pour contester la légitimité de l'enfant, à compter de l'époque où cet enfant se serait mis en possession des biens du mari ou de l'époque où les héritiers seraient troublés par l'enfant dans cette possession. »

Or, le mari est dans les délais, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, dans les deux mois après la découverte de la fraude, dans le cas où on lui avait caché la naissance de l'enfant, et c'est le seul cas dont il puisse s'agir ici.

Dans ce cas, si la mère voulait reconnaître son enfant adultérin et l'introduire ainsi dans la famille, le seul intérêt que l'enfant aurait, serait de venir prendre part à la succession du père et dans ce cas, il se mettrait en possession des biens, ou il viendrait intenter un procès aux héritiers, il serait repoussé par l'action que la loi accorde à ces héritiers dans l'article 317 du Code civil.

Il peut se présenter un cas cependant au sujet duquel je n'ai pas une opinion bien formée ; mais il est excessivement rare. C'est le cas où, le père étant mort, la mère viendrait à reconnaître son enfant naturel dans un testament qui certainement n'aurait d'effet qu'après son décès. Cet enfant naturel se présentant dans ce cas, ne pourrait venir prendre part à la succession du père. Car, dans ce cas, il serait repoussé, comme je viens de le dire. Mais pourrait-il prendre part à la succession de sa mère ?

Je crois que si une question pareille se présentait devant un tribunal, ce fait que la mère a caché la naissance de l'enfant pendant toute la vie durant du père, qu'elle la cache même pendant toute sa vie durant à elle, qu'elle n'a reconnu cet enfant que dans un testament, qu'en outre cet enfant est né pendant le légitime mariage, qu'il ne devait donc y avoir, si cet enfant était réellement légitime, aucun motif pour l'éloigner, toutes ces circonstances feraient que le tribunal accepterait difficilement une réclamation pareille et qu'il est peu probable que cet enfant fût reconnu, malgré la présomption que les enfants issus pendant le mariage sont censés issus du mari.

On a invoqué également les principes de la justice. Mais ces opinions sont-elles donc si immuables, si inflexibles ? J'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, ces principes fléchissant quand il s'agit d'enfants adultérins et incestueux. Les enfants adultérins, incestueux ont-ils un reproche de plus à se faire que les enfants naturels simples ? Evidemment non, la loi ne les traite pas d'une manière aussi favorable que les enfants naturels simples. Et les enfants naturels simples, n'ont-ils pas également au point de vue de la justice, les mêmes droits que les enfants légitimes ? Voyez cependant la différence que la loi fait entre ces deux catégories ! La justice fléchit encore ici par cette même considération d'intérêt moral, d'ordre social que j'ai signalé et qui milite également pour l'amendement de M. Lebeau.

On a également invoqué le principe de responsabilité.

Je vous le demande, qui sera responsable ? Quel est ici l'auteur principal ? Qui est la cause principale que le nom de la mère ne sera pas déclaré ? Evidemment c'est la mère même. Je le sais, l'honorable M. Nothomb, nous a dit : « Dans aucune législation on n'exige du coupable qu'il se dénonce lui-même. » Mais qu'il me permette de lui observer qu'en demandant et en réclamant même le nom de la mère, vous ne tombez pas dans ce système que je condamne aussi bien que lui. Le délit que la loi punit, ce n'est pas le fait d'accoucher d'un enfant naturel. Le délit qu'elle veut punir, c'est l'omission de la déclaration du nom de la mère, et cette déclaration n'est pas plus difficile à faire pour la mère que pour tout autre. Car la loi suppose la reconnaissance de la mère dans l'acte de naissance, soit que cet acte soit fait par elle-même, soit qu'il soit fait par un fondé de pouvoirs.

Je le sais, une objection se présente à ce système, système que je ne préconise pas, mais qui est, je crois, très fondé en logique et qui devrait être appliqué si vous suiviez ce principe de la responsabilité dont vous argumentez ; une objection se présente : c'est qu'on dira que la mère, dans ce cas, légitimera plus difficilement un enfant naturel, parce qu'en faisant cette reconnaissance, elle se dénonce elle-même et s'expose à encourir la pénalité de l'article 420 du Code pénal.

Mais qui empêcherait le législateur de faire dans ce cas comme dans d'autres, de relever la mère de cette pénalité, alors qu'elle vient elle-même réparer sa faute ? Cette pénalité ne serait appliquée que dans le cas où l'enfant lui-même viendrait à faire reconnaître la maternité.

Eh bien, la mère n'est pas punie, mais vous punissez le médecin, vous punissez le confident naturel et forcé, vous arrivez ainsi à ce système étrange que l'auteur principal n'est pas puni et que le complice le serait.

L'acte de naissance a surtout pour but d'établir la naissance. Il peut établir, il peut prouver la filiation dans certains cas. Mais positivement et ceci, je crois, n'est plus contesté par personne, il ne l’établit pas dans le cas qui nous occupe.

Le premier intérêt de l'enfant, on l'a déjà dit, c'est l’intérêt de vivre, et cet intérêt, la loi le consacre. Et, remarquez bien cette anomalie, ce fait étrange, c'est que dans l'article 421 du Code pénal où la loi dispose contre les personnes qui auraient trouvé un enfant et auraient omis de le remettre à l'officier de l'état civil, dans ce cas où certainement il ne s'agit que de l'intérêt de l'enfant, du désir de voir son existence (page 810) protégée par la loi, dans cet article la loi commine la même peine que dans l'article 420. Ne faudrait-il pas au moins graduer la peine cans ces deux articles ?

Je l'ai déjà dit, quoique cet intérêt d'avoir une filiation est bien grand, il fléchit dans les cas que j'ai signalés. Et cependant, c'est au nom de cet intérêt-là que l'on vient défendre un système qui, dans certains cas, peut exposer la vie de la mère et de l'enfant, qui doit entraîner aux crimes les plus graves.

Je ne vous répéterai pas que la plupart des infanticides, et je dirai presque, tous n'ont d'autre cause que l'envie de cacher une faute.

On a argumenté de la statistique.

Mais si l'on avait été un peu plus loin, si l'on nous avait fourni également les renseignements que le statistique nous donnerait quant aux crimes et délits qui se commettent en France et en Belgique, j'ai la conviction que nous serions arrivés à des proportions identiques. Ce n'est pas seulement la loi qui empêche les crimes et délits, c'est la moralité publique, et je le constate avec plaisir, elle est plus grande en Belgique qu'en France.

Voyons, messieurs, oh nous en arrivons avec le système proposé par le gouvernement.

Ce système oblige le médecin qui est appelé auprès d'une femme sur le point d'accoucher, d'exiger l'autorisation de déclarer le nom de la mère ou de se retirer.

Car vous ne direz pas que le médecin a le droit de s'imposer à cette femme, de l'obliger à user des secours de son art, pour aller divulguer le secret qui lui a été recommandé, pour aller jeter sur toute une famille la honte et le ridicule. Cette honte et ce ridicule sont des préjugés, je suis le premier à le reconnaître. Mais il est de ces préjugés, de ces croyances, de ces opinions erronées, mêmes dont le législateur doit tenir compte et c'est de ceux-là qu'il s'agit.

Je l'ai déjà dit, pour le médecin il n'y a d'autre alternative que de se retirer ou de désobéir à la loi.

Eh bien, savez-vous ce qui peut se présenter ? Une femme a besoin des secours de l'art ; elle appelle un médecin. Le médecin refuse de la soigner, à moins qu'elle ne l'autorise à déclarer son nom.

La femme refuse les secours du médecin, et ce n'est qu'un jour, deux jours après, que, succombant aux tortures morales et physiques, elle appelle l'homme de l'art et l'autorise enfin à révéler son nom. La mère sera accouchée, l'enfant aura vécu, la mère aura peut-être subi le même sort.

On inscrira dans les registres de l'état civil que madame une telle ou mademoiselle une telle est accouchée d'un enfant mort. Voilà l'intérêt de la filiation de l'enfant.

Le médecin qui refuse de déclarer le nom de la mère, alors qu'on lui a imposé le secret, ce médecin accomplit un devoir dont la violation le rendrait coupable aux yeux de la morale.

Messieurs, permettez-moi de vous donner lecture d'un passage d'un rapport qui vous fera connaître l'opinion de la plupart des médecins.

« Le médecin doit obéir à son devoir professionnel, garder les secrets de la malade, déplorer la nécessité dans laquelle il se trouve de désobéir à la loi générale et subir avec résignation la punition qui lui est infligée par les magistrats au nom de cette loi. Est dura lex sed lex.

« Evidemment ce n'est pas dans un esprit de révolte contre la loi que le médecin agit ainsi, c'est parce qu'il trouve dans sa conscience une loi sacrée, supérieure pour lui à toutes les lois humaines, qui émane de son sacerdoce, qu'il ne saurait enfreindre sans déchoir aux yeux de ses confrères, et sans être indigne à ses propres yeux. Cette loi lui commande d'être toujours et partout à ses malades et de ne jamais trahir leur confiance. »

Messieurs, c'est là l'opinion d'un homme de bien, d'un cœur droit et élevé, c'est aussi la nôtre.

C'est aussi la vôtre et je remercie l'honorable M. de Brouckere, qui est cependant l'adversaire de notre système, d'avoir en la franchise de dire que lui, s'il était médecin, ne déclarerait pas le secret qui lui aurait été confié.

Eh bien, messieurs, je le demande, est-il logique, est-il digne d'un législateur de concourir à la confection d'une loi à laquelle il enseigne lui-même à désobéir ?

Je sais, messieurs, qu'il s'élève une objection contre le système que je défends, c'est que ce système, en fait, nous ramène au système de l'amendement de M. Orts. On vous dira qu'aux termes du Code civil le médecin est placé en première ou en deuxième ligne dans l'ordre des personnes qui doivent faire la déclaration ; que, dans tous les cas, il arrive de cet ordre indiqué par la loi avant la personne au domicile de laquelle l'accouchement a lieu, que dès lors il y aura moyen d’éluder la loi.

Ainsi on fera venir un médecin antérieurement, on chargera ce médecin de faire la déclaration et il la fera sans indiquer le nom de la mère. Dans ce cas l'obligation des autres personnes cesse. A cet inconvénient, messieurs, on peut obvier d'une manière très facile, c'est d'introduire dans l'amendement de M. Lebeau un changement de rédaction par lequel on déciderait que le médecin ne sera plus tenu, en cas de naissance d’un enfant naturel, ne sera plus tenu en premier lieu de faire la déclaration, qu'il n'y sera plus tenu qu'après toutes les autres personnes et que quand le nom de la mère lui aurait été confié sous le sceau du secret, il ne devrait pas le faire connaître.

C'est dans ce sens que je désirerais voir modifier l'amendement de M. Lebeau et je ne doute pas que, ainsi rédigé, il n'obtienne l'adhésion générale de tout le monde.

M. Moncheur. - Messieurs, malgré la longueur de ces débats, j'éprouve le besoin de motiver le plus brièvement possible le vote que je vais émettre sur la question qui nous est soumise.

Cette question, messieurs, a été examinée mûrement et à plusieurs reprises dans le sein de votre commission spéciale dont j'ai l’honneur de faire partie, et je vous déclare d'abord que je me suis toujours trouvé dans la majorité qui a adopté le principe de la proposition du gouvernement.

Ce principe, messieurs, n'est point nouveau ; il n'est que la consécration de l'état de choses qui existe déjà en fait et par la force de la jurisprudence, dans ce pays.

Ainsi nous ne tentons pas une expérience nouvelle. Tous les inconvénients que l'on a signalés comme devant être le résultat de la disposition proposée, tous ces inconvénients nous les aurions éprouvés s'ils devaient réellement être la suite de ce système. En effet, depuis la promulgation du Code pénal de 1810, c'est là le système qui a force de loi en Belgique.

Messieurs, quelle est donc la question ? Il s'agit de savoir si tout accouchement doit donner lieu à la déclaration devant l'officier de l'état civil tant des faits de l'accouchement lui-même que du nom tout au moins de la mère, ou bien si l'on doit faire une exception à l'obligation de déclarer le nom de la mère, lorsque celle-ci exige le secret à cet égard.

Ici, messieurs, les membres de la Chambre qui n'adoptent pas le projet du gouvernement et de la commission se divisent ; les uns, les partisans de l'amendement de l'honorable M. Orts, pensent qu'il suffit que la femme exige le secret de n'importe qui, hormis le père, pour que ce secret doive être religieusement respecté.

Ainsi, dans une maison d'accouchement, par exemple, où une femme se serait retirée pour faire ses couches, il suffirait que cette femme déclarât soit aux habitants de cette maison, qui fourraient assister à son accouchement, soit au médecin ou à la sage-femme qu'elle exige le secret relativement à son nom lorsqu'on ferait la déclaration de la naissance de son enfant, pour que le nom de cette femme devenue mère ne fût pas indiqué dans l'acte de l'état civil.

Les autres, et ce sont les adhérents de l'amendement de M. Charles Lebeau, sentent bien que c'est là aller trop loin, et ils voudraient borner l'exception aux médecins, aux chirurgiens et aux sage-femmes.

Or, faut-il, messieurs, admettre l'exception proposée, même dans ces derniers termes ?

Je ne le pense pas, et la discussion, loin d'avoir affaibli ma conviction à cet égard, n'a fait que la fortifier. Je suis convaincu que les honorables collègues qui pensent qu'il faut admettre les exceptions proposées, soit par M. Orts, soit par M. Lebeau, au principe général, déposé dans l'article 420, je suis convaincu, dis-je, que ces honorables collègues se sont laissé impressionner uniquement par les inconvénients qui peuvent résulter du système que nous défendons, mais qu'ils ne voient en aucune manière, et ne veulent point voir, si je puis m'exprimer ainsi, les inconvenants beaucoup plus graves qui résulteraient du système contraire.

Quant à moi, c'est en faisant la balance entre les résultats très fâcheux et certains du système de nos honorables adversaires et les inconvénients possibles seulement du système de la commission, que je suis arrivé à la conviction que ce dernier doit être adopté.

De deux maux, en effet, il faut choisir le moindre.

Messieurs, parmi les honorables membres qui ont soutenu le système contraire à celui de la commission, mon honorable ami M. Nothomb est l'un des plus convaincus. Il a dépeint éloquemment la situation d'une femme qui sur le point de devenir mère, alors qu'elle a le plus grand intérêt à cacher ce fait, et obligée de recourir aux soins d'un médecin, trouverait en lui un dénonciateur ; et il a dit que dans l'alternative où elle sera placée ou d'être couverte de honte, en se livrant à ce dénonciateur, ou de sauver sou honneur par un crime, elle éprouvera la tentation terrible de supprimer l'enfant, qui doit être la preuve de son déshonneur.

Mais, messieurs, ce qu'il y a à répondre d'abord à cet honorable membre, c'est que l'expérience doit le rassurer sur les conséquences si terribles qu'il prévoit ; car, l'expérience et la statistique prouvent que les infanticides sont très rares en Belgique, et qu'ils y sont moins nombreux, avec le système que nous préconisons et qui existe déjà dans ce pays, que dans un pays voisin où la jurisprudence a admis le système opposé.

- Une voix. Et les avortements ?

M. Moncheur. - J'entends qu'on dit : Et les avortements ; mais qui donc vous dit que les avortements sont plus nombreux dans ce pays que dans le pays voisin auquel je viens de faire allusion ?

Il est probable, au contraire, que la proportion est la même entre le nombre de ce genre de crimes dans les deux pays.

Il n'y a donc aucun argument à tirer de ces faits en faveur du système (page 811) des amendements que nous combattons, mais, au contraire, ils viennent à l'appui de notre système.

Mais admettons un instant que des inconvénients assez graves puissent, dans des cas très rares d'ailleurs, être le résultat de ce système, et voyons, d'un autre côté, quels seront ceux du système opposé. J'admets avec l'honorable M. Nothomb, qu'heureusement l'immoralité ne sévit pas en Belgique à un point excessif dans les classes inférieures ; mais l'honorable membre conviendra que les personnes composant les classes inférieures étant infiniment plus nombreuses que les personnes composant les classes élevées, il en résulte qu'en supposant que les classes inférieures ne donnent qu'un nombre proportionnellement égal d'accouchements irréguliers, ce nombre sera beaucoup plus considérable dans les premières que dans les secondes.

Il admettra en outre que les personnes qui composent les couches infimes de la société, sont en général plus exposées que celles qui se trouvent dans des conditions meilleures, ont reçu une meilleure éducation et sont entourées de plus de soins de la part de leurs parents. Il en résulte que le nombre des accouchements, que j'appelle irréguliers, doit être même proportionnellement plus considérable dans les classes inférieures que dans les autres classes.

Eh bien, messieurs, si votre loi déclare formellement, comme on vous y convie, qu'il suffira à l'avenir qu'une femme enceinte exige le secret de son nom, pour que l'indication de ce nom ne puisse être faite dans la déclaration à l'état civil, nous verrons que pour les accouchements irréguliers l'exigence du secret sera la règle et que le contraire sera la rare exception.

Est-ce là ou vous voulez arriver ?

Même, messieurs, en supposant que l'amendement de M. Ch. Lebeau, plus restrictif que celui de M. Orts, soit adopté, on combinera les choses de manière à ne rendre témoin de l'accouchement que le médecin ou la sage-femme seuls, et comme ceux-ci seront déclarés par la loi, exemptés de l'obligation de déclarer le nom de la mère, lorsque elle en aura demandé le secret, il en résultera que les actes de l’état civil des enfants nés dans ces circonstances ne contiendront, en général plus que le fait seul de la naissance, le sexe de l'enfant et un nom quelconque qu'on lui aura donné, et qu'ils ne contiendront plus le nom de la mère.

Quelle en sera la conséquence ? C'est que la plupart des enfants, qui aujourd'hui sont des enfants naturels, ne seront plus à l'avenir que des enfants trouvés. Or, messieurs, il y a une immense différence entre l'enfant naturel et l'enfant trouvé, tant au point de vue de l’intérêt social qu’au point de vue de l’intérêt de l’enfant lui-même.

L'enfant naturel est heureux et fier de sa condition eu égard à celle de l'enfant trouvé. Il a du moins une mère. Il a pu être entouré des soins et de la sollicitude d'une mère, il a, en fait ou en droit, pu jouir d'une légère partie des biens de sa mère.

Et ici, messieurs, je rencontre une objection qu'on n'a cessé de faire contre notre système.

On a dit que la déclaration du nom de la mère, faite par un tiers dans l'acte de l'état civil, ne donne, en aucune façon, le titre et les droits d'enfant naturel à celui que cet acte concerne ; que cet acte n'est, à l'égard de la mère, qu'un chiffon de papier ; enfin qu'il ne constitue pas même, contre elle, un commencement de preuve par écrit de ce qu'il contient puisqu'il n'émane pas d'elle-même. Mais, messieurs, j'accorde tout ce que l'on voudra à cet égard ; je ne veux même pas entrer ici dans les discussions oh l'on s'est engagé sur la valeur des déclarations insérées dans l'acte de l'état civil en ce qui touche les questions de maternité et de filiation, mais j'affirme qu'en fait l'insertion du nom de la mère dans l'acte de l'état civil d'un enfant illégitime lui donne en général du moins tous les avantages d'un enfant naturel.

En vain prétendrez-vous que cet acte n'est, vis-à-vis de la loi, qu'un chiffon de papier, qu'il ne donne aucun droit réel à l'enfant, et qu'il n'impose aucun devoir à la mère ; vous pouvez avoir parfaitement raison, à cet égard, en droit ; mais, en fait, tout le monde sait que lorsqu'une femme est déclarée, dans les actes de l'état civil, être la mère de tel ou tel enfant, elle ne répudie point cette qualité, car elle sait que le fait est vrai.

Il s'établit d'ordinaire des liens d'affection entre elle et son enfant ; souvent même, il arrive que l'insuffisance de la déclaration faite par le tiers, dans l'acte de l'état civil, est suppléée par la reconnaissance formelle de l'enfant, soit dans cet acte même, soit par un acte authentique séparé.

Enfin l'enfant qui a été rattaché ainsi, pour ainsi dire, par un fil à sa mère obtient souvent un bonheur bien plus grand encore ; c'est celui de la légitimité, car la mère parvient à obtenir son mariage avec l'homme dont elle a conçu et qui a la preuve, par l'acte de l'état civil, de l'existence et de l'identité de son enfant.

Eh bien, messieurs, si vous admettiez les amendements de nos honorables collègues, vous perdriez tous ces avantages, et au lieu des enfants naturels reconnus ou légitimés, que je viens de vous montrer vous n'auriez plus que des enfants trouvés proprement dits, enfants qui ne se rattachent plus à qui que ce soit dans le monde et restent à la charge de la société.

Voici encore, messieurs, une observation qui est puisée dans les faits, c'est que du moment qu'une femme est inscrite dans un acte de 1 état civil comme étant la mère d'un enfant naturel, les héritiers légitimes eux-mêmes de cette femme, respectant le lien naturel qui existe entre elle et son enfant, ne contestent point, en général, du moins, les droits de celui-ci comme enfant naturel. Ils admettent ces droits comme s'ils étaient parfaitement et légalement établis.

On a encore fait, messieurs, une autre objection, et on dit : L'article 378 du Code pénal déclare que le médecin qui viole les secrets qui lui sont confiés commet un délit ; donc, le secret de l'accouchement qui est confié par la femme au médecin doit être respecté par celui-ci comme tout autre secret, et même à peine de délit.

A cet argument, on a déjà répondu que la loi ordonne formellement à tous ceux qui ont assisté à un accouchement, sans distinction, de faire la déclaration complète de la naissance de l'enfant, dans les termes prescrits par la loi elle-même, c'est-à-dire en y comprenant les noms du père, ou du moins de la mère ; or, que celui qui obéit à la loi ne peut pas commettre un délit.

Donc, que le médecin qui obéit aux articles 55 et 56 du Code civil ne peut se rendre coupable d'une violation de l'article 378 du Code pénal.

Cette réponse me semble déjà péremptoire.

On pouvait même y ajouter que l'article 378 n'est pas conçu dans des termes absolus, et qu'il excepte formellement les secrets que le médecin est obligé, par les lois, de révéler.

Mais, messieurs, il y a encore une autre réflexion à faire sur ce point et j'aurai l'honneur de vous la soumettre.

Evidemment l'article 378 du Code pénal, en défendant aux médecins de violer les secrets qui leur sout confiés, n'a pu avoir en vue que les secrets qui appartiennent à ceux qui les ont versés dans leur sein. Ainsi, quand une personne malade fait la confidence de son mal à un médecin et exige de lui le secret, si ce médecin trahit ce secret, il forfait à son devoir et commet un délit.

En général l'objet de semblable secret ne concerne que celui qui l'a confié, mais comme le but de l'accouchement d'une femme n'est point un fait simple et dont toutes les conséquences appartiennent à la femme elle-même, c'est un fait complexe.

Il produit non seulement une maternité, mais encore une filiation. Il produit un être nouveau qui immédiatement possède des droits naturels et des droits civils ; un être qui, comme homme, possède le droit naturel d'avoir les soins d'une mère, et, comme citoyen, possède le droit civil de jouir d’une place ou en terme de droit, d'un état dans la société. Or, est-ce que la mère est maîtresse de disposer d'avance de ces droits de l’enfant qu'elle porte dans son sein ? Est-ce qu'elle est maîtresse d'anéantir les droits naturels et les droits civils de cet enfant, et de le réduire ainsi à l'état de paria dans la société ? Non sans doute. Donc les circonstances relatives à un accouchement ne peuvent faire l’objet d'un secret ordinaire, appartenant uniquement à celui qui le confie à un tiers, lequel doit le garder. Par des motifs d'un ordre supérieur le fait d'un accouchement est nécessairement placé en dehors des secrets dont parle l'article 378 du Code pénal.

C'est là une espèce de secret dont la femme ne peut disposer à son gré parce qu'il ne lui appartient pas entièrement. Les conséquences de son accouchement, à savoir : le fait de sa maternité future, et le fait de la filiation et de l'état civil de son fruit ne sont point sa propriété à elle seule, mais ils appartiennent aussi à l'enfant qui va naître. Cette distinction, messieurs, me semble très importante.

L'honorable préopinant vient de dire que l'intérêt que peut avoir l'enfant à ce que le nom de sa mère soit inscrit dans l'acte de l'état civil est souvent très minime, et il a cité l'exemple de l'enfant adultérin pour lequel il vaudrait même mieux, a-t-il dit, que le nom de la mère ne fût pas connu que de l'être.

En effet, a-t-il ajouté, l'enfant adultérin n'a aucun droit à la succession de sa mère, tandis que si celle-ci n'était pas connue, elle pourrait lui donner une partie de ses biens par testament.

Mais, messieurs, les legs sont des choses incertaines, tandis que l'enfant même adultérin a droit à une pension alimentaire, l'ouverture dece droit est immédiate et l'enfant le possédera toujours.

Je termine, messieurs, par une dernière observation sur laquelle j'appelle encore votre attention.

Un honorable membre, je crois que c'est M. Ch. de Brouckere, avait dit dans une séance précédente que dans des cas très rares, s'il s'agissait de sauver l'honneur d'une femme ou celui d'une famille entière, s'il s'agissait d'éviter des malheurs, des catastrophes, alors probablement, le médecin, quoique ayant assisté à l'accouchement, se tairait et subirait la peine comminée par la loi ; que dans ce cas le médecin ne serait pas blâmé pour s'être tu en contravention à la loi.

Je suis de l'avis de l'honorable membre, mais on a jeté les hauts cris sur cette réflexion de M. Ch. de Brouckere et on a dit : Qu'est-ce donc qu'une loi qu'on déclare tellement mauvaise, qu'on prévoit d'avance qu'elle sera nécessairement violée ?

La loi, a-t-on ajouté, ne peut punir que des faits immoraux en soi, sinon elle manque d'autorité et elle manque d'efficacité. On la viole impunément, on s'en joue.

Voilà, messieurs, ce qu'on a répondu ; mais cette réponse, quoique spécieuse, n'a aucune valeur. En effet, voulez-vous que je vous cite un (page 812) un autre principe absolu que vous avez introduit dans votre législation, et qui, quoique de loin en loin violé, est cependant maintenu dans toute son intégrité et dans toute son efficacité ? C'est celui de l'antériorité du mariage civil sur le mariage religieux.

Je me rappelle, messieurs, car j'ai assisté à ces belles discussions du Congrès national, je me rappelle que lorsqu'on a établi ce principe inflexible de l'antériorité du mariage civil sur le mariage religieux, des hommes éloquents de cette assemblée ont tracé des tableaux très émouvants, aussi émouvants que ceux qu'on a pu vous faire hier, des inconvénients que pourrait avoir ce principe.

Vous voulez, disait-on, punir le prêtre parce qu'il aura célébré le mariage religieux avant le mariage civil, mais voyez cet homme, qui est au lit de la mort, il a vécu jusque-là en concubinage, et il a des enfants, sa conscience et vivement alarmée, il est bourrelé de remords, il voudrait couvrir sa faute par le sacrement de mariage, il a fait venir un prêtre, ce prêtre est là, mais la mort est proche, les médecins la déclarent imminente le moribond sent que la vie va lui échapper, il n'y a plus moyen de remplir les formalités du mariage civil, que fera donc le prêtre ?

Vous le forcez par votre loi, ou bien à commettre un délit, où bien à laisser mourir le malheureux avec ses remords et ses terreurs, et sans la consolation d'avoir accompli un devoir rigoureux au point de vue religieux.

Voilà ce qu'on disait. Mais qu'est-ce qu'on répondait à cela ? On répondait à peu près ce qu'a répondu l'honorable M. Ch. de Brouckere à l'égard du médecin placé dans un cas extrême. On disait : Dans cette position, le prêtre fera son devoir comme prêtre ; advienne que pourra : il célébrera le mariage religieux in extremis.

Le magistral, s'il l'apprend, fera aussi, de son côté, son devoir contre le prêtre, et la loi sera sauvegardée ; mais si le prêtre subit une peine légère, personne ne le blâmera parce qu'il n'aura fait que ce qui était exigé de lui par ces circonstances tout à fait extraordinaires.

Eh bien, messieurs, ce que l'on a fait relativement à l'antériorité du mariage civil, c'est à peu près ce qu'on vous propose de faire relativement à l'obligation absolue de faire la déclaration circonstanciée de toute naissance dont on a été témoin. La simple défense de la loi et une légère amende comminée contre le prêtre qui célébrerait le mariage religieux avant le mariage civil, suffisent pour maintenir intact le principe absolu de l'antériorité du mariage civil ; mais si la loi établissait des exceptions à cette règle absolue, exceptions au moyen desquelles on pût éluder le principe, vous verriez que l'antériorité du mariage civil serait l'exception et le contraire la règle.

Il en sera de même pour les déclarations de naissance. Une simple amende suffira pour en assurer la régularité, mais les exceptions qu'on vous demande d’établir détruiraient la règle.

J'ai cité l’exemple de l'antériorité du mariage civil, parce qu'il est basé également sur la nécessité d'assurer l'état civil des citoyens.

Messieurs, la règle absolue que nous désirons voir déposée dans la loi en ce qui touche les déclarations de naissance est fondée sur un principe de haute moralité ; nous voulons que la loi indique que sa volonté est que tout enfant connaisse sa mère. En adoptant ce principe et en repoussant les exceptions qui sont proposées et qui finiraient par l'anéantir complétement, la législature se montrera digne de sa haute mission.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, j'ai la mauvaise fortune d'arriver bien tard dans la discussion. Ce n'est pas que mon opinion ait été un seul instant flottante. J'ai demandé la parole à l'ouverture de la séance de jeudi. Beaucoup d'orateurs étaient inscrits avant moi, j'ai dû attendre mon tour.

Maintenant, je le reconnais, la question a été examinée d'une manière à peu près complète. Les honorables orateurs qui ont défendu l'amendement de l'honorable M. Orts en faveur duquel je me prononce, l'ont défendu avec le plus grand talent et j'ajoute avec le plus grand succès.

Peut-être me direz-vous que, s'il en est ainsi, je ferai bien de renoncer à la parole. Messieurs, je vous promets une chose, c'est de renoncer à la plus grande partie des considérations que je comptais développer devant vous. Mais si j'ose vous demander encore quelques minutes de votre temps, c'est que, selon moi, on a compliqué la question, c'est qu'on lui a donné une portée qu'elle n'a pas, et que je désire la simplifier et la ramener à ses véritables termes.

Oui, messieurs, ou était tombé, dès le début de la discussion, dans de singulières exagérations, dans des exagérations dont le plus simple examen suffit pour faire justice. Je croyais, messieurs, qu'on avait répondu à ces exagérations et qu'un y avait répondu d'une manière triomphante. Je pensais, par exemple, qu'il ne serait plus question de ces myriades d'enfants sans état civil, d'enfants abandonnés que l'on a fait tourbillonner à vos yeux, qui ont pu les éblouir un moment et troubler vos imaginations. Eh bien, je me trompais ; hier encore M. le ministre de la justice a répété que si vous n'admettiez pas le projet du gouvernement ; vous vous exposez à avoir annuellement 11,000 enfants trouvés, 11,000 enfants sans état civil. C'est le chiffre de tous les enfants naturels qui naissent annuellement dans le royaume. Mais n'est-il pas évident que l'hypothèse des mères qui ne veulent pas que 1eurs enfants soient inscrits sous leur nom est l'hypothèse exceptionnelle ? Dans les campagnes, par exemple, est-ce qu'il y a beaucoup de mères illégitimes qui ne veulent pas que leur nom figure sur l'état civil de leurs enfants ? Ii y en a fort peu. Dans les petites villes, où tout le monde se connaît, le nombre en est aussi très minime.

Mais on n'a eu en vue que les très grandes villes, une grande ville surtout, et ces grandes villes, elles font l'exception.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous n'en savez rien.

M. H. de Brouckere. - Voulez-vous que je vous le prouve ?

La ville de Bruxelles contient approximativement le 32ème ou le 33ème de la population de la Belgique, je ne garantis pas la complète exactitude de ce chiffre, mais je crois qu'il est très près de la vérité. Eh bien, les enfants naturels qui naissent dans Bruxelles, s'élèvent au 8ème des enfants naturels de tout le pays.

Ce n'est donc pas uniquement d'après ce qui se passe à Bruxelles qu'il faut que nous formulions la loi. Il faut que nous ayons en vue, non pas une ou deux localités, mais le pays tout entier.

Messieurs, ce qui est beaucoup plus exceptionnel encore, c'est l'hypothèse où la déclaration de la naissance est faite par le médecin. J'ose interroger les honorables membres de la Chambre qui sont en état de savoir à peu près à quel chiffre ce nombre s'élève. Combien y a-t-il annuellement de médecins qui font des déclarations de naissance ? Il n'y en a pas dix par an.

- Un membre. - Il n'y en a pas du tout.

M. H. de Brouckere. - On me dit qu'il n'y en a pas du tout.

Il faut qu'il y en ait eu, puisqu'il y a eu des procès. Mais enfin il n'y a pas dix cas par an où le médecin qui a assisté à un accouchement, fait la déclaration de naissance. (Interruption.) J'avoue franchement que je n'ai pas compris. Quatre ou cinq personnes ont parlé à la fois et je n'ai que deux oreilles.

Je répète qu'il n'y a pas dix cas par an où c'est le médecin qui fait la déclaration de l'acte de naissance. Voilà donc la discussion réduite à ses véritables termes. Il n'y aura qu'un petit nombre de cas qui tomberont sous les dispositions pénales dont nous nous occupons, quelle que soit la décision à laquelle la Chambre s'arrête.

Il nous reste maintenant à voir quel est le meilleur des deux systèmes.

Et tout d'abord, avant d'examiner quelles sont les conséquences de chacun des systèmes, je me demande quel est le système le plus juste ?

Et voici pourquoi je demande la priorité à-ce dernier examen ? C'est que M. le ministre de la justice a reproché hier à ses adversaires de parler de beaucoup de choses, mais de ne jaunis invoquer les principes de justice.

Eh bien, messieurs, c'est au nom de la justice, au nom de l'égalité et au nom de la moralité surtout que je donne la préférence à l'amendement de l'honorable M. Orts sur la proposition du gouvernement.

Mettons les deux dispositions en présence et pour faire mieux apprécier le sens et la portée de la disposition présentée par le gouvernement, permettez-moi, messieurs, de la traduire eu termes plus saisissants.

Voici ce que signifie l'article proposé par le gouvernement : Sera condamné à l'amende tout médecin qui ayant été appelé auprès d'une femme souffrante et malheureuse, et ayant reçu d'elle, à titre de médecin, une confidence qui intéresse au plus haut degré sa réputation et sa position, n'aura pas spontanément révélé cette confidence à l'autorité et n'aura pas livré au déshonneur le nom de celle qui lui a fait cette confidence.

Voilà la traduction littérale de la proposition du gouvernement.

Eh bien, je dis que cette disposition est inique et qu'elle est immorale, et je ne comprends pas (je me trompe peut-être mais vous admettrez ma bonne foi) comment cette iniquité et cette immoralité ne sautent pas aux yeux de tout le monde. Comment ? une femme dans le malheur, une femme dans la souffrance, est obligée, pour sauver sa vie, de se confier à un homme de l'art. Elle appelle celui dans lequel elle a le plus de confiance ; elle lui demande s'il lui conservera le secret. Il la lui promet, et vous voulez qu'il trahisse cette promesse et qu'il perde devant le public cette malheureuse femme, qu'il la livre au déshonneur ! Messieurs, si l'iniquité d'une pareille disposition ne vous frappe pas, je vous avoue, quant à moi, qu'elle me révolte au dernier point.

Je n'ai pas besoin de grands efforts pour vous démontrer que cette disposition est inique et immorale, mais l'orateur qui a parlé le premier dans la discussion, celui qui a attaqué le plus vivement l'amendement de l'honorable M. Orts, ne vous a-t-il pas dit avec sa bonne foi habituelle, qu'il reconnaissait que si un médecin é ait appelé au dernier moment auprès d'une femme qui réclamait son secours, et si elle lui demandait le secret, ce médecin était obligé de garder le secret quelle que fut la conséquence de sa conduite ?

C'est-à-dire que cet honorable membre, après avoir attaqué l'amendement de l'honorable M. Orts, et détendu la proposition du gouvernement, vous disait lui-même : Je conseille au médecin de violer la prescription de la loi, et si j'étais médecin, je la violerais moi-même. L'honorable membre avait parfaitement raison, et je vous dis, moi, que vous ne trouveriez pas dans Bruxelles un médecin honorable qui ne vous dît que, placé dans cette position, il violera la loi. Je vous défie d'en trouver un seul. (page 813) Et vous trouvez que cette loi n'est pas inique ! et vous trouvez que cette loi n'est pas immorale !

Oui, le médecin violera la loi, d'abord parce que son honneur, sa délicatesse, qui sont au-dessus de toutes les lois, lui ordonnent de la violer ; et si le médecin avait des sentiments moins élevés, moins nobles, il la violerait par intérêt.

Quand il aura tenu sa promesse et son serment, et qu'il se sera conduit honorablement, on le condamnera à 26 francs d'amende ! Mais ces 26 francs, il les récupérera cent fois par la réfutation d'honnêteté qu'il aura assise d'une manière certaine, par la réfutation de discrétion qu'il aura obtenue et parce que tout le monde honorera sa conduite.

Ainsi vous allez faire une loi renfermant une prescription sanctionnée par l'amende et la prison, et vous reconnaissez vous-mêmes que l’honnête homme violera votre prescription, et vous êtes obligés de reconnaître, après m'avoir entendu, qu'il le fera plutôt par honneur que par intérêt.

De ce que je viens de dire, messieurs, il résulte non pas seulement que la loi est inique ce immorale, et que crois avoir démontré surabondamment, mais qu'elle est inefficace.

J'irai plus loin encore ; votre loi aura un résultat funeste : les premières fois vous condamnerez le médecin à 26 francs d'amende, il payera les 26 francs et, comme je l'ai dit, sa position n'en sera que meilleure.

Je suppose qu'il y ait récidive ; après quelques condamnations les tribunaux deviennent plus sévères ; un médecin est condamné à 8 jours de prison, que lui arrivera-t-il ? Quand il sortira de prison, tous les honnêtes gens iront lui donner la main, lui prodiguer les témoignages de leur sympathie et le féliciter.

Eh bien, un escroc, un voleur, qui a subi un emprisonnement en même temps que cet honorable médecin, et qui sort de prison le même jour qua lui, est témoin des félicitations qu'on adresse à son codétenu ; que voulez-vous qu'il se dise ? La peine d'emprisonnement ne doit rien avoir de déshonorant, puisqu'on félicite celui qui vient de sortir de prison avec moi ! (Interruption.) Récriez-vous tant que vous le voudrez, l'homme sort de prison en même temps que le médecin, et témoin des félicitations adressées à celui-ci, il doit se dire tout naturellement que l'emprisonnement n'a rien de bien flétrissant.

Je dis que vous ôtez aux lois pénales leur force morale, que vous leur ôtez leur prestige.

Messieurs, j'avais perdu de vue tout à l'heure une objection faite par M. le ministre de la justice. M. le ministre de la justice nous a dit : « Mais vous paraissez si indignés de ce que, selon vous, nous ordonnions à un médecin de violer un secret, de manquer à une promesse de discrétion qu'il a faite ; vous vous trompez, ce n'est pas, parce que le médecin a refusé de violer un secret, qu'il est condamné, c'est parce qu'il a omis de remplir une formalité que la lai impose à tout le monde.

Messieurs, c'est là un jeu de mots : votre tort, c'est d’imposer au médecin une formalité qu'il ne faut pas lui imposer, en stipulant une amende et la prison. C’est un jeu de mots, c'est dire : « Je ne vous punis pas, parce que vous avez gardé le secret ; je vous punis, parce que vous n'avez pas parlé. » C'est s’en tirer assez habilement, mais cela ne prouve pas du tout que l'argument ait quoi que ce soit de péremptoire.

Maintenant, messieurs, qu'avez-vous à craindre, permettez-moi de vous le demander, qu'avez-vous à craindre si vous adoptez l'amendement de l'honorable M. Orts ? Je ne veux plus revenir sur l'intérêt de la société, l'intérêt de la famille ; on a assez longtemps disserté sur ces deux intérêts. L'intérêt de la mère, il est évident que c'est nous qui le défendons. Reste l'intérêt de l'enfant, et c'est surtout de cet intérêt que M. le ministre de la justice s'est occupé.

Il nous a reproché de nous occuper toujours d'une mère qui, en réalité, est une femme coupable, et de ne pas nous occuper de l'enfant, qui est une créature innocente. La mère est coupable, je l'avoue ; mais le père n'est-il pas coupable ? La loi ne sévit p s contre le père. Vous allez dire tout de suite : « On ne saurait pas atteindre le père. » Soit, je le sais parfaitement, mais est-ce une raison pour redoubler de rigueur vis-à-vis de la mère ? Voilà ce que je ne m'explique pas.

Ou ne peut pas sévir contre le père, qui est le plus grand coupable ; mais soyons un peu indulgents pour la mère et, tout au moins, ne soyons pas d'autant plus durs envers elle que le principal coupable nous échappa.

Quant à l'enfant, ses intérêts sont-ils compromis ? Je ne le crois pas.

Oh ! j'avoue, parce que, enfin, vouloir prétendre qu'il y a un système sans aucun inconvénient, c'est une erreur dans laquelle je ne tomberai pas, tout système a ses inconvénients ; j'avoue, dis-je, que si vous adoptez l'amendement de l’honorable M. Orts, il y aura quelques enfants dont l'état civil sera incomplet ; mais si vous n'admettez pas l'amendement de l'honorable M. Orts, ces enfants seront sans état civil ; voici comment les choses se pratiqueront et comment je crois qu'elle se pratiquent assez souvent.

La femme, obligée d'appeler un médecin à son secours, lui demandera le secret ; si elle est sûre de sa discrétion, tout se passe comme je vous l'ai dit, le médecin révélera l'accouchement, il ne révélera pas le nom, mais si vous allez sévir si fort contre le médecin, le médecin dira : Vous voulez que je vous promette le secret, je vous le promets, mais à la condition que vous allez, de votre côté, me promettre le secret ; vous ne révélerez jamais que c'est moi qui vous ai aidée. La promesse sera tenue des deux côtés, ct l'enfant sera sans état-civil ; au lieu d'avoir un état civil incomplet, il n'aura pas d'état civil du tout.

Maintenant, trouvez-vous que l'enfant est mieux traité quand il n'a pas d'état civil que quanti il a un état civil incomplet ? N’oubliez pas surtout que pour l’état civil incomplet, nous sommes partisans d’une législation juste et morale, et que vous, qui exposez l'enfant à n'avoir pas d'état civil, vous faites une loi que nous considérons comme inique et comme immorale.

Messieurs, je n'abuserai pas plus longtemps de votre attention. Je vous demanderai seulement la permission de vous dire encore deux mots.

Nous sommes parfois bien durs et bien impitoyables. Parce que c'est à nous qu'appartient le privilège de faire les lois, nous éprouvons peu de scrupule à les faire dans notre propre intérêt à nous.

Avant-hier un honorable orateur nous disait : Il ne faut pas pour décider la question qui nous est soumise, il ne faut pas que nous consultions notre cœur, il ne faut avoir, égard qu'aux faits que l'expérience a bien établis.

Il ne faut pas consulter notre cœur, messieurs ! Le conseil est facile à donner, il n'est pas tout aussi facile à suivre, et je suis persuadé que vous serez tous d'accord avec moi pour reconnaître qu'il n'est personne qui suive moins, dans la pratique, ce conseil, que celui-là même qui nous l'a donné.

Ainsi donc, aujourd'hui nous ne devons consulter que les faits, eh bien, soit ! Mais alors vous allez nous énumérer les faits de toute nature que la disposition dont nous nous occupons peut concerner.

Or on ne nous a parlé jusqu'ici que de ces femmes éhontées, abjectes, qui font de toutes choses commerce, calcul et spéculation. Sévissez contre ces femmes-là si vous le voulez et si vous le pouvez sans atteindre en même temps celles qui ne peuvent pas être mises sur le même rang.

Mais je vous le demande, combien de fois n'arrive-t-il pas dans le monde qu'un homme emploie tous les moyens de séduction en son pouvoir, prodigue l'argent et les promesses ? Puis quand il a atteint son but et que celle qui a été sa victime se trouve dans l'embarras, quand elle aurait besoin de ses conseils et de ses secours, il l'abandonne, il la délaisse.

Et quand cette femme ainsi abandonnée, délaissée, sans conseil, sans secours, quand cette femme commet une seconde faute pour cacher la première, à laquelle elle a été entraînée, nous sommes inexorables à son égard, nous n'avons pour elle ni pitié, ni indulgence : c'est une femme coupable : il faut publier son déshonneur, l'intérêt de la société le réclame. Et pendant que nous parlons si bien, que fait le principal coupable ? Il se promène, la tête haute : la loi ne peut l'atteindre ! Tout au plus tombe-t-il sur lui un blâme de l'opinion publique.

Eh bien, messieurs, j'ai été toute ma vie révolté de l'injustice de nos lois pénales, relativement à tout ce qui concerne les mères illégitimes. Le Code de 1810 renferme des dispositions véritablement draconiennes. Je n'avais pas encore quitté l'université que j'écrivais sur cette matière quelques pages qui ont été publiées dans les Annales parlementaires et que l'honorable M. Lelièvre a bien voulu rappeler dans son rapport. Je professe aujourd'hui les mêmes opinions ; et si je reconnais que le Code que nous discutons renferme, à certains égards, de notables adoucissements, je n'hésite pas à dire que vous n'aurez rien fait, si vous acceptez la proposition du gouvernement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je n'ai pas le secret de faire tomber sous l’application de la loi les coupables que l'honorable M. H. de Brouckere voudrait atteindre. La recherche de la paternité n'est pas jusqu'à présent admise dans nos lois. Si l'honorable membre pense que dans l'intérêt des femmes dont il vient de prendre si éloquemment la défense, ce principe soit utile, je le prie de vouloir bien déposer un projet qui saisisse la Chambre de la question ; mais tant que ce principe na sera pas consacré dans la loi civile, tant que la loi civile prohibera la recherche de la paternité, il ne doit pas s'élever contre une lacune dans la loi pénale, qui n'est que la conséquence forcée du droit civil.

C'est donc par une modification au droit civil que l'honorable M. de Brouckere doit commencer ; tant que la rechercha de la paternité n'est pas admise, il est impossible d'infliger une peine au séducteur qui abandonne la femme qu'il a séduite.

S'il est beau, généreux, s'il est agréable même de venir défendre ici les femmes et d’accuser ceux qui en font l'objet de leur séduction, je crois que nous, législateurs, nous avois un autre rôle, un rôle plus difficile, plus ingrat à remplir ; nous avons à veiller à l'intérêt social, en restant dans la limite de ce qui est praticable, en choisissant ce qui est le plus propre à sauvegarder la morale, ce qui présente le moins de dangers, et tels sont, à notre avis, les caractères de la mesure que nous soutenons.

L'honorable M. de Brouckere a dît en commençant que nous avions compliqué la question, que nous avions créé des fantômes pour effrayer l'imagination des membres de la Chambre ; que, dans la séance d'hier, j'avais fait miroiter devant vos yeux la possibilité d'avoir en Belgique, à un moment donné, 11,000 enfants trouvés.

J'ai soutenu et je soutiens encore qu'avec votre système vous amèneriez dans peu de temps et fatalement ce résultat. Quel est ce système ? (page 814) Il consiste à donner à toute femme qui accouche le droit de cacher son nom lorsque la déclaration n'est pas faite par le père ; il consiste à faire omettre de la déclaration de naissance de l'enfant le nom de la mère, lorsque celle-ci exigera que sur ce point le secret soit gardé par les personnes appelées à faire la déclaration, voilà le système ; l'état civil de l'enfant dépendra de la volonté de la mère.

Quand ce système sera connu de tout le monde, je demande s'il y aura encore beaucoup de femmes qui voudront faire connaître leurs noms.

Peu à peu toutes finirent par dire : « Je puis ultérieurement reconnaître mon enfant, si cela me convient ; mais je commence par cacher mon nom. » Voilà ce que se diront toutes les mères d'enfants illégitimes, et bientôt vous aurez autant d'enfants dans la position d'enfants trouvés que vous avez aujourd'hui d'enfants naturels.

En France, quand une fois la jurisprudence aura la fixité nécessaire, quand elle aura pénétré dans les classes inférieures vous aurez ce que je prédis aujourd'hui.

« Mais jusqu'à présent, nous dit-on, cela ne s'est pas produit. » Non cela ne s'est pas produit, et la raison en est fort simple : c'est qu'il était impossible que cela se produisît.

Notre jurisprudence y était un obstacle ; la déclaration était exigée de tout le monde ; la jurisprudence reconnaissait que personne n'était exempt d'indiquer le nom de la mère, voilà pourquoi vous n'avez pas eu jusqu'à présent cette omission dans les actes de l'état civil : on ne peut donc pas argumenter de la situation actuelle ; les principes admis, consacrés, rendent cet abus impossible.

Je pourrais après cela rétorquer à l’honorable M. H. de Brouckere, l'argument qu'il nous oppose ; l'honorable membre dit : « Ces cas sont très exceptionnels, très rares. »

Mais si ces cas sont si rares, si exceptionnels, pourquoi voulez-vous modifier une loi contre laquelle personne ne réclame ? Pourquoi courir les hasards d'un système que vous n'avez pas expérimenté dans le pays ? On nous convie à faire une expérience dont nul, à l'heure qu'il est, ne peut calculer les conséquences ; mais c'est parce que nous ne voulons pas faire cette expérience en raison de cas rares et exceptionnels que nous combattons les amendements, c'est précisément parce que nous sommes en possession d'une législation qui n'a soulevé absolument aucune réclamation, que j'adjure la Chambre de maintenir ce qui existe. Il s'agit d'une des questions les plus graves de l'état des citoyens ; et de gaieté de cœur, alors qu'aucune nécessité ne s'est révélée, on viendrait modifier la législation sur ce point. Je ne pense pas qu'une telle manière d'agir fût digne de la législature.

Messieurs, on dit que nous voulons frapper votre imagination. Il n'en est rien ; restons dans la réalité des faits. Parcourez les annales judiciaires, et vous trouverez que 3 fois en 30 ans la question s'est produite devant les tribunaux. (Interruption.)

On a dû poursuivre avant 1853.

M. Orts. - Non.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, en 1847 est intervenu un arrêt de la Cour de Bruxelles.

Cet arrêt résout implicitement la question de savoir si le médecin doit déclarer le nom de la mère ; il prononce l'acquittement de l'homme de l'art, parce qu'il résultait des circonstances qu'il n'avait pas connu le nom de la mère. (Interruption.)

Il est facile de nier, mais je vous répète que cet arrêt existe, je l'ai lu hier ; il a été rendu par la cour de Bruxelles eu 1847, il résout implicitement la question, résolue explicitement par les arrêts de 1853 et1855.

D'où résulte, sans contestation possible, qu'on poursuivait avant 1853, et si l'honorable M. Orts veut avoir la date exacte de l'arrêt de 1847, je la lui enverrai aptes la séance.

J'ai fait parcourir tous les recueils des décisions judiciaires rendues en Belgique ; je n'en ai pas trouvé d'autres sur la question que celles que j'ai citées ; d'où je conclus que la difficulté ne s'est pas présentée plus souvent. Ainsi, parce que trois fois, en cinquante ans, la prescription dont il s'agit semble avoir présenté des inconvénients, nous allons changer de système et ouvrir la porte à tous les abus ? C'est inadmissible.

On nous dit que notre système est barbare, que nous exposons une femme au milieu des douleurs qui la saisissent à révéler le secret de son accouchement ou à se passer de secours.

Il y a, messieurs, beaucoup d'exagération dans les tableaux que l'on vous présente. Quand des faits semblables se produisent, inutile de le dire, ce n'est jamais inopinément ; les douleurs qui saisissent les femmes dans ces circonstances sont prévues longtemps à l'avance ; le jour fatal où elle aura besoin d'un médecin, elle le connaît, et elle prendra tes précautions, il lui sera très facile de changer de pays, de changer de médecin, d'en choisir un qui ne connaît pas son nom et qui par conséquent se trouve dispensé de le révéler.

La femme n'est donc pas surprise et obligée de se confier à un médecin qui trahira son secret. La femme prendra dans ces cas exceptionnels toutes les précautions nécessaires pour rendre la loi sans application. Le cas échéant on l'a dit, le médecin subirait une amende. Mais, s’écrie M. de Brouckere, comment subir une peine et ne pas être déshonoré ? Mais vous énervez vos lois, vous leur faites perdre toutes espèce de prestige. L’honorable M. Moncheur a cité le cas saisissant d'un prêtre procédant dans certain cas au mariage religieux avant la célébration du mariage civil et qui encourt une peine sans cependant être déshonoré.

Pourquoi ne demande-t-on pas qu'on fasse disparaître cette pénalité de nos lois ? Est-ce que le prêtre dont, dans certaines circonstances, la croyance est blessée par votre disposition qu'il regarde comme une atteinte à la liberté de conscience, est-ce que ce prêtre qui aura été condamné pour avoir consacré in extremis une union sans qu'il y ait eu mariage civil, sera déshonoré lorsqu'il aura subi une condamnation ?

Si votre raisonnement est juste, exact, fondé, votre devoir de législateur est de demander que l'article qui punit d'une peine le prêtre qui procède au mariage religieux avant le mariage civil disparaisse de notre législation, car il a les inconvénients que vous signalez dans la disposition du gouvernement.

Messieurs, n'y a-t-il que cette loi qui commine des peines qu'on est exposé à subir sans qu'on soit déshonoré ? La loi prohibe et punit le duel ; cependant il y a encore des duels ; en cas de condamnation, l'homme qui subit une peine de ce chef est-il déshonoré, si du reste il s'est conduit honorablement, si le duel a eu lieu selon les règles de l'honneur ? Est-ce que nous hésiterions à lui tendre la main à la sortie de prison ?

Si donc, comme le disait M. de Brouckere, un escroc sortait en même temps que lui de prison, il pourrait dire aussi : Voilà un homme qui a infligé à un de ses semblables des blessures graves, il a subi de ce chef un emprisonnement, tout le monde lui tend la main, il n'est pas déshonoré, que signifient donc ces lois ? La peine de la prison n'est rien et mon honneur aussi reste intact !

Supprimez donc de vos lois les dispositions contre le duel.

M. H. de Brouckere. - Je n'en serais pas éloigné.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Votre raisonnement, comme vous voyez, prouve beaucoup trop pour prouver quelque chose.

L'honorable M. de Brouckere vient de dire en parlant de la législation sur le duel : Je ne serais pas fâché qu'elle disparût. Je demande s’il en est de même de l'article que je citais tout à l'heure relatif à l'obligation de faire précéder le mariage religieux du mariage civil. L'honorable membre a voté cet article au Congrès et il a entendu lui donner une sanction.

Là aussi la peine n'entraîne pas le déshonneur, cependant vous êtes le premier à la maintenir. Cet argument n'a rien de concluant ; si nous devions faire disparaître du Code tous les articles en vertu desquels un homme peut être condamné sans que la condamnation, en raison de ces circonstances exceptionnelles, entraîne le déshonneur, il en resterait bien peu. Pour les coups et blessures par exemple, il y a bien des cas où un homme emporté peut se livrer à des violences qui entraînent pour lui une condamnation sans le déshonorer ; ce n'est pas la peine qui déshonore, c'est la nature de l'acte. La loi ne perdra rien de son prestige parce qu’exceptionnellement un homme subira une peine qui n'emportera pas une atteinte à son honneur.

L'honorable M. de Brouckere a terminé son discours en nous disant : Prenez garde, si vous exigez que l’état civil soit trop complet, si vous exigez que le nom de la mère y soit mentionné, vous compromettrez complètement l'état civil de l’enfant, on ne fera pas de déclaration du tout, et sa naissance ne sera pas inscrite au registre de l'état civil. A cet argument, je réponds encore par l'expérience : nous pratiquons le système que nous défendons et ce danger ne se réalise pas ; l'expérience est faite ; comment se fait-il qu'il n'y ait plus un seul individu aujourd'hui qui n'ait pas son acte d'état civil ? Les seules personnes auxquelles cet acte fait défaut remontent par leur naissance à l'époque de l’introduction des registres de l'état civil ou aux années de 1813, 1814, 1815, époque de guerre et de bouleversement en Europe.

Hors de là, c'est ce que vous pouvez constater par la conscription, au moins quant à la population mâle, tous sont inscrits aux registres de l'étal civil.

J'ai, je pense, répondu à tous les arguments de l'honorable M. de Brouckere, permettez-moi de rencontrer en quelques mots les objections qui nous ont été adressées dans la séance d'hier.

L’honorable M. Nothomb m'a dit que le système qu'il soutenait n'avait rien d'extraordinaire, de barbare, d'immoral, qu'il pouvait parfaitement l'abriter sous l'autorité des membres du conseil d'Etat, des Siméon, des Thibaudeau et autres.

Mais l'honorable M. Nothomb a complètement déplacé la question. Il a, depuis le commencement de son discours jusqu'à la fin, confondu des choses tout à fait différentes.

Quelle est la question, messieurs, qui a été agitée au conseil d'Etat en 1803 et en 1810 ? Mais en 1803 se présentait la question de savoir s'il fallait punir d'une peine quelconque l'omission des déclarations en général, sans distinction des déclarations d'enfants légitimes ou de celles d'enfants illégitimes. Mais il ne s'est pas du tout agi de la question de savoir quelles étaient les énonciations qui devaient se trouver dans ces actes. Il ne s'est pas agi de savoir si l'omission du nom de la mère dans l'acte devait être puni ou ne devait pas être puni. Et en 1803 on n'a comminé de peine contre l'omission d'aucune déclaration soit des enfants légitimes, soit des enfants illégitimes. On espérait que l'intérêt des familles suffirait pour engager tous les parents à faire cette déclaration.

(page 815) Il y avait une autre raison pour laquelle on n'a pas exigé cette déclaration, raison qui a été indiquée par Thibaudeau dans l'exposé des motifs. Voici ses paroles :

« Pour punir le défaut de déclaration, il faut fixer un délai dans lequel cette obligation devra être remplie, et si, par des circonstances que le législateur ne peut prévoir, cette déclaration n'a pas été faite dans le temps prescrit, il en résultera que l'on continuera à dissimuler la naissance de l'enfant, plutôt que de s'exposer à subir une peine en faisant une déclaration tardive : ainsi, les précautions que l'on croirait prendre pour assurer l'état des hommes ne feraient que le compromettre. »

Voilà les motifs qui ont dicté les dispositions du Code de 1803 ; voilà la raison qui a empêché d'y introduire une peine contre ceux qui omettraient de faire la déclaration à l'officier de l'état civil ; mais encore une fois on ne s'est pas occupé des énonciations à insérer dans l'acte de naissance et du point de savoir si le nom de la mère devrait y figurer.

Je me trompe quand je dis qu'on ne s'en est pas occupé. On s'en est occupé, et des déclarations faites tant par Thibaudeau, dans l'exposé des motifs, que par Siméon, dans le rapport, il résulte clairement qu'en 1803, on entendait bien que le nom de la mère serait inséré dans l'acte de l'état civil.

Voyez, messieurs, ce que disait Thibaudeau dans l'exposé des motifs : « Lorsqu'un individu reçoit le jour, il y a deux choses qu'il importe de constater ; le fait de la naissance et la filiation. » Or, je vous demande s'il est possible de constater la filiation, du moment que vous omettez dans l'acte le nom de la mère d'un enfant naturel.

Voici maintenant ce que disait Siméon :

« e l'obligation de nommer le père, on n'induira point qu'il doit être nommé s'il ne se déclare pas, ou s'il n'est pas connu par son mariage avec la mère. Ainsi que je l'ai dit en expliquant l'article 35, ce sont des faits certains qui doivent être déclarés. L'existence de l'enfant est un fait ; l'accouchement est un fait ; la mère est certaine et connue. Sans doute la naissance suppose un père ; mais quel est-il ? Il est incertain, à moins que son mariage ne le manifeste, ou que, déchirant lui-même le voile sous lequel le mystère de la génération le tient enveloppé, il ne se montre et se nomme. Le sens de l'article 57 est donc qu'on n'énoncera que le père qui veut ou qui doit être déclaré. »

Ainsi, ce sont les faits certains qui doivent être constatés.

L'accouchement est un fait, la mère est certaine et connue, on n'énoncera que le père qui veut ou qui doit être déclaré.

Il n'est pas possible de dire plus clairement que le nom de la mère, sur lequel ne plane aucun des mystères qui couvrent celui du père, devra être inséré dans l'acte de l'état civil.

C'est ainsi qu'on raisonnait en 1803.

Il est vrai que l'on ne prononçait pas de peines contre l'omission de l'inscription de la naissance, dans les registres de l'état civil, cette absence de peine s'appliquait à tous les actes ; mais quant au point spécial dont nous nous occupons, il n'en a été question que dans les termes que je viens d'indiquer et qui prouvent qu'on entendait bien que le nom de la mère serait énoncé dans l'acte de l'état civil.

Maintenant, en 1810, qu'a-t-on constaté ? Qu'il y avait beaucoup de négligence en ce qui concernait les inscriptions dans les registres de l'état civil ; et ce n'est pas l'omission du nom de la mère dans certains actes de naissance qui a fait insérer dans la loi l'article que nous vous proposons, c'est l'omission de la déclaration tout entière, c'est la négligence de faire inscrire à l'état civil aussi bien des naissances légitimes que des naissances illégitimes ; voilà la vérité.

L'honorable M. Nothomb nous a dit qu'après avoir entendu l'honorable M. Pirmez, il avait été porté à accepter le système que vous propose le gouvernement, que telle avait été sa première impression. Messieurs, à moins de suivre ce dicton d'origine récente, qui proclame qu’il faut se défier de la première impression, parce que c'est la bonne, je crois que l’honorable M. Nothomb aurait mieux fait de persister, car les raisons qu’il nous a données hier pour justifier son changement d’opinion, ne me paraissent réellement pas sérieuses.

L'honorable M. Nothomb nous a dit qu'à côté du principe de la responsabilité personnelle, il y avait celui de la conservation personnelle et que ce que nous demandions à la femme, c'était l'aveu de sa faute ; que c’était là en quelque sorte une procédure du moyen âge et qui avait disparu de nos mœurs et que nous ressuscitions.

Messieurs, nous ne demandons rien à la femme, nous n'exigeons d'elle aucun aveu. Nous demandons à des témoins de dire le fait qu'ils savent. Nous ne mettons pas plus ici la femme dans l'obligation de dévoiler un secret et d’accuser sa faute que nous n'y mettons un autre individu accusé, puisque c’est à un accusé que l’honorable M. Nothomb a comparé la femme. Il y a bien plus. La femme est parfaitement libre de choisir des individus qui ne la connaissent pas, de changer de lieu et de faire en sorte que le fait qu'elle ne veut pas divulguer ne soit pas connu. Mais quand l’accouchement a lieu dans le pays et qu'il y a des témoins, la loi leur fait une obligation de dire ce qu'ils ont vu.

Dans un intérêt social, et dans l'intérêt de l'enfant, on exige pour l'accouchement ce qu'on exige pour la plus petite infraction à la loi et sous aucun rapport, l'on n'a recours à une procédure inquisitoriale.

On nous a dit aussi, et l'on est encore revenu aujourd'hui sur ce point, que la déclaration faite du nom de la mère dans l'acte de l'état civil n'a aucune valeur. C'est encore là une confusion d'idées, vous allez le voir.

L'honorable M. Nothomb disait hier : Si vous donnez à cette déclaration du nom de la mère une valeur quelconque, à quel inconvénient ne vous exposez-vous pas ? Il suffira qu'un individu fasse insérer dans un acte de l'état civil le nom d'une femme comme étant la mère de l'enfant, pour que cette femme soit réputée être réellement la mère de cet enfant, pour qu'elle se trouve liée par cette déclaration.

Messieurs, il n'en est rien ; jamais personne n'a pu soutenir qu'une déclaration semblable eût vis-à-vis de la femme nommée une valeur quelconque. Mais qu'a-t-on soutenu avec raison ? On a soutenu que quand une déclaration pareille n'était pas attaquée par cette mère de son vivant et qu'à cette déclaration venait se joindre une possession d'état constante, cela formait à l'enfant un titre contre des tiers.

Il ne faut donc pas confondre la force probante de cet acte en cas de contestation de l'enfant avec des tiers, et sa valeur en cas de contestations qui pourraient s'élever de la part d'une femme qui réclamerait contre une déclaration faite en son nom.

Un autre argument qui s'est reproduit aujourd'hui dans tous les discours, c'est que la disposition que je soutiens est de nature à entraîner des infanticides. On a dit que c'était la même question que celle des tours.

J'admets bien que la statistique prête à des conséquences fausses. Mais la statistique, quand elle se borne à un chiffre, a une incontestable valeur.

Eh bien, messieurs, le chiffre que je vous ai cité hier est très concluant.

Je vous ai fait connaître le nombre des infanticides en Belgique en 1856 et je l'ai comparé à celui qui a été constaté pour la France pendant la même année.

En Belgique il y avait eu 9 infanticides et en France proportionnellement à la population il y en avait eu plus du double.

Je ne veux pas en conclure que ce résultat est dû à la différence de système dans les deux pays, mais cela indique bien clairement qu'il n'y a pas dans notre législation, telle qu'elle est appliquée, un vice qui pousse à l'infanticide.

Du reste, messieurs, l'infanticide n'a pas pour cause la publicité dont nous nous occupons ici ; l'infanticide a bien plutôt sa cause dans la crainte d'une femme vis-à-vis de ses parents.

L'infanticide est toujours la suite d'un accouchement clandestin. Ce que la femme redoute, ce sont les reproches de la famille, elle craint son père, sa mère, dont elle vient de déshonorer la vieillesse, bien plus qu'elle ne craint de voir déclarer son nom devant l’officier de l'état civil.

On a encore introduit dans ce débat la question des tours, et là encore nos honorables adversaires ont complètement erré. Voici quelques chiffres qui vont l'établir.

En Belgique, messieurs, on a supprimé des tours et on en a maintenu. A Mons, le tour a été supprimé en 1852. Pendant les huit années qui ont précédé cette suppression, le nombre des infanticides a été de 11, et pendant les huit années qui l'ont suivi, il s'est élevé à 12. Différence, en plus, un.

Voici après cela un fait qui prouverait, si cela était nécessaire, que cette augmentation d'un infanticide sur huit ans ne doit pas être attribuée à la suppression du tour.

A Anvers on n'a pas supprimé le tour et pendant les huit années qui ont précédé 1852 il y a eu quatre infanticides, tandis que pendant les huit années suivantes il y en a eu sept ; je ne prétends certes pas que c'est au maintien du tour qu'il faut attribuer cette augmentation qui porte le nombre presque au double, mais je constate que là où il y a eu progression, l'on ne peut pas l'attribuer à la suppression du tour puisque là où les tours ont continué à subsister l’augmentation a même été plus grande.

A Bruxelles depuis 1852 le tour a été « surveillé ». Pendant les huit années antérieures à 1852, il y avait eu neuf infanticides ; il y en a eu onze pendant les huit années qui ont suivi. En 1857 le tour été supprimé. En 1859 je veux bien admettre que ce soit par hasard, mais il n'y en a pas un seul.

Vous voyez bien, messieurs, que des mesures comme celles que nous défendons ne peuvent pas entraîner l'augmentation du nombre des infanticides. Sous ce rapport ta Chambre peut être parfaitement tranquille.

Maintenant, messieurs, je vais vous citer ce qu’a dit un homme qui a fait de la suppression des tours et de son influence, une étude toute spéciale ; M. de Vatteville a fait en 1856 un rapport au ministre de l'intérieur de France sur la suppression des tours dans ce pays et les conséquences de cette suppression. De 1826 à 1853 on a supprimé en France 165 tours et voici ce que dit M. de Vatteville :

(page 816) « Si l'on examine avec attention les tableaux numéros 12 à 20, faisant connaître le chiffre et la proportion des infanticides suivant les mutations opérées dans les départements et la fermeture des tours, on verra que l'exécution de cette mesure n'a nullement influé sur le plus ou moins grand nombre de ces crimes. »

Je n'ai plus, messieurs, que deux mots à dire. Si nous arrivions à ne plus trouver dans les actes de l'état civil des indications rattachant l'enfant naturel à la mère, ce serait, sous tous les rapports, une grave perturbation.

Ainsi, messieurs, vous savez que dans notre pays la nationalité ne dépend pas de la naissance sur le sol ; elle dépend de la qualité des parents ; du moment que dans les actes de l'état civil ne figurerait plus le nom de la mère, vous verriez naître de très grandes, de très nombreuses et de très sérieuses difficultés.

Quant aux questions de domicile de secours, nouvelles difficultés pour constater l'identité des enfants. Déjà la question du domicile de secours donne lieu à des contestations journalières entre les communes ; ces contestations deviendront plus nombreuses et plus inextricables à terminer parce qu'il deviendrait impossible de découvrir où un individu est né.

Sous tous les rapports donc il y a lieu de maintenir une législation qui, je ne saurais trop le répéter, existe depuis très longtemps sans donner lieu à aucun inconvénient.

- La clôture est demandée.

M. Van Overloop (contre la clôture). - Messieurs, la question est très grave, et dans tous les cas il me semble qu'il faudrait entendre l'auteur de l'amendement. Je demande que la discussion ne soit pas close.

M. Orts. - L'amendement que j'ai présenté a été combattu comme dangereux pour l'ordre social, pour la famille, pour les bonnes mœurs ; je demande à la Chambre la permission de le défendre un peu.

M. le président. - La demande de clôture est-elle maintenue ?

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. Van Overloop. - Messieurs, les paroles de l'honorable ministre de la justice ne m'ont nullement convaincu et je voterai l'amendement le plus large, celui qui a été présenté par l'honorable M. Orts.

L'honorable ministre de la justice s'est trompé quand il a examiné l'argumentation de mon honorable ami, M. Nothomb, relative à l'omission de pénalités pour non révélation du nom de la mère, dans le Code civil.

L'honorable ministre a perdu de vue qu'avant la discussion de 1803 sur le Code civil, il y avait la loi de 1792, organique de l'état civil, et que cette loi comminait des pénalités pour défaut de déclaration.

Dans le Code civil, on n'a plus comminé de peine.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est ce que j'ai dit.

M. Tan Overloopµ. - Nous sommes donc d'accord sur ce point, qu'avant 1803, il y avait des peines et que, dans le Code civil de 1803, on a omis ces peines.

Donc l'argument de mon honorable ami, M. Nothomb, reste debout. C'est ce que je tenais à constater.

Messieurs, je place maintenant la question à un autre point de vue.

D'après moi, le principal but de la loi pénale est de sanctionner l'accomplissement d'obligations morales.

Je ne suis pas en principe partisan des lois pénales qui n'ont d'autres motifs que le système utilitaire. C'est précisément parce qu'à mon avis le Code civil a été inspiré par les idées spiritualistes de Portalis, et d'autres jurisconsultes de la même école, que ce Code n'a pas maintenu les peines que comminait la loi de 1792. Au contraire, le Code pénal de 1810, inspiré par des idées utilitaires, a comminé des peines.

Veuillez, messieurs, examiner le Code pénal de 1810 dans son ensemble : ce Code est avant tout utilitaire. Or, quant à moi, je le répète, je ne suis pas partisan des peines comminées uniquement dans un but d'utilité.

Ces peines mettent des entraves à la liberté humaine, dans un intérêt essentiellement variable, alors que, en principe, des peines ne doivent être comminées que dans un intérêt permanent, tel que celui de l'accomplissement des obligations que la loi morale impose à tous les hommes. Or, je ne suis pas partisan d'entraves mises sans nécessité à la liberté.

Cela dit, je demande si, abstraction faite de toute loi positive, il y a obligation morale pour une personne qui a assisté à un accouchement, de déclarer le nom de la mère. Evidemment non. Il n'y a pas même obligation morale de déclarer le fait de l'accouchement. S'il y avait obligation morale, cette obligation incomberait, avant tout, à la mère ; et cependant, dans aucun cas, on n'impose à la mère l'obligation de déclarer, soit son accouchement, soit la naissance de son enfant.

Donc, abstraction faite de la loi positive, il n'y a pas obligation morale de déclarer le nom de la mère qui a mis un enfant au monde.

A un autre point de vue, n'y a-t-il pas une véritable obligation morale de garder le secret sur le nom d'une femme à l'accouchement de laquelle on a assisté, alors qu'on lui a promis le secret ? Evidemment oui.

Donc d'une part, pas d'obligation morale de faire la déclaration ; d'autre part, obligation morale de respecter une promesse faite.

Ces principes posés, quelles seraient, messieurs, les conséquences de la loi ? Et ici je suis complètement d'accord avec l'honorable M. H. de Brouckere : la loi punirait, d'une part, l'accomplissement d'une simple obligation civile ; de l'autre, le respect d'une obligation morale.

Cette loi serait-elle juste ?

Messieurs, j'admets que la loi commine des peines contre des faits qui ne soient par des violations directes de la loi morale, mais alors il faut du moins que la peine soit légitimée par un grand intérêt social et une violation indirecte de la loi morale.

Ici je ne répéterai pas les considérations qu'on a déjà fait valoir ; mais j'ai la conviction intime que l'adoption du système du gouvernement donnerait lieu à peu d'avantages et à beaucoup d'inconvénients, taudis que l'adoption de l'amendement de l'honorable M. Orts donnerait lieu, comme l'a démontré l'honorable M. Nothomb, à beaucoup d'avantages et à fort peu d'inconvénients. Dans cette position, je n'hésite pas à me rallier à cet amendement.

M. le ministre de la justice argumente, dans cette discussion, comme il l'a fait dans des discussions antérieures, de l'existence de la loi actuelle, pour faire passer le projet du gouvernement. -

Mais il me semble, messieurs, que nous n'avons pas exclusivement à nous préoccuper de la loi en vigueur. Nous sommes appelés à faire une nouvelle loi.

S'il s'agissait de maintenir purement et simplement le Code de 1810, nous n'aurions qu'à faire une nouvelle édition de ce Code. Messieurs, notre devoir consiste à modifier le Code là où nous trouvons utile et nécessaire de le modifier.

Je demanderai à l'honorable M. Pirmez, qui m'interrompt, s'il veut le maintien des principes du Code pénal de 1810, relatifs aux coalitions. Il me dit non ; eh bien, il doit donc nous être permis d'examiner s'il est utile de maintenir dans ce Code la disposition dont nous nous occupons.

En présence des considérations que d'autres orateurs ont si éloquemment fait valoir, je n'en dirai pas davantage pour justifier les motifs de mon vote. Je ne pense pas que par là j'aide à encourager l'immoralité ; Dieu m'en garde ! Il est évident que si une femme, adonnée au vice, met au monde un enfant, elle ne reculera ni devant la déclaration de la naissance, ni devant la déclaration du nom de la mère de l'enfant.

Mais quelles seraient les conséquences qu'entraînerait l'obligation de déclarer le nom de la mère, alors que la mère serait une femme séduite ? Elles seraient déplorables. Si la malheureuse femme peut cacher sa faute, les tortures et les angoisses qu'elle aura subies l'empêcheront de retomber.

Si, au contraire, la première faute n'est pas cachée ; je crains fort que la femme ne vienne à réaliser cet adage vulgaire : Il n'y a que le premier pas qui coûte.

M. Orts. - Messieurs, je demande à la Chambre de vouloir bien me permettre de dire quelques mots pour rencontrer les objections morales qui ont été dirigées contre mon amendement, et pour expliquer aussi à l'honorable M. Ch. Lebeau, pourquoi je ne puis accepter, à titre de transaction entre les deux opinions, le sous-amendement qu'il a proposé.

Le but de la disposition que j'ai soumise à la Chambre est de permettre d'une manière efficace, dans des circonstances exceptionnelles, à une mère de conserver le secret de son nom vis-à-vis de l'état civil ; je ne puis accepter le sous-amendement de mon honorable collègue, parce que le but que je me propose d'atteindre, n'est plus atteint avec cet' amendement.

En effet, l'honorable M. Lebeau veut accorder la garantie du secret à l'homme de l'art dont la mère requerra le secours, au moment de donner naissance à son enfant : mais l'honorable membre veut que toutes les autres personnes dont parle l'article 55 du Code civil et qui sont tenues, comme le médecin, de faire une déclaration de naissance, soient obligées de la faire complète.

Messieurs, il faut être logique. Je conçois la logique du système du gouvernement ; je la trouve, seulement impitoyable et dangereuse.

On peut ne pas admettre le secret.

Mais si vous voulez qu'il ne puisse y avoir de secret en matière de déclaration de naissance, il faut vouloir la chose entière. Il ne faut pas donner d'une main à une personne la faculté de garder le secret dans l'intérêt de la mère et en même temps annuler votre concession en retirant de l'autre main cette faculté aux autres témoins nécessaires de l'accouchement. Voilà pourquoi je ne puis accepter l'amendement de l'honorable M. Lebeau.

L'amendement que je propose permet à tout témoin de l'accouchement, sauf au père légitime, la loi n'en connaît pas d'autre, qui fait une déclaration de naissance de se retrancher, quant au nom de la mère, derrière le secret qui a lui a été imposé. Cet amendement offre-t-il les conséquences immorales qu'on a présentées ?

Voilà la seule question que je veux toucher.

Je réponds : Non, aucun des inconvénients qu'on a prêtés à ce système n'est réel ; et mes honorables contradicteurs n'ont pu les puiser que dans des erreurs de droit ou dans de véritables exagérations.

(page 817) Et d'abord tenons compte d'un sentiment profondément en jeu dans la question actuelle. Croyez-vous qu'il y ait dans le cœur d'une mère une propension bien profonde à cacher son nom au moment de la naissance de son enfant ? Croyez-vous qu'il lui est possible de dire son nom et d'assurer l'état de son enfant, la première pensée de la mère ne sera pas de proclamer sa maternité aux yeux de tout le monde ?

Ce sentiment, vous ne pouvez le nier, il est dans le cœur humain. Il est dans le cœur de la mère surtout, et si la mère peut reculer, pour la manifester, c'est en face, croyez-le bien, d'un danger immense, je ne dirai pas pour sa personne, elle ne le craindrait pas, mais pour son honneur et pour celui de la famille à laquelle elle appartient. Si cet honneur n'est pas en jeu, s'il n'est pas gravement compromis, la mère ne se taira pas ; la puissance, l'énergie du sentiment maternel est votre garant !

Dès lors, l’honorable M. H. de Brouckere avait parfaitement raison de dire que mon amendement se réduit à introduire dans la loi une exception pour des cas tellement rares et graves que pas un de vous n'ose aborder en leur présence la difficulté en face et que vous vous tirez d'affaire par cet expédient misérable : Votez la loi, on ne l'exécutera pas.

Si donc ma proposition est faite pour des cas graves, pour des cas exceptionnels, il ne faut pas craindre de transformer en 11,000 enfants sans nom, sans lien de famille, les 11,000 enfants naturels auxquels malheureusement les mœurs de notre Belgique permettent encore de naître chaque année sur notre sol. De ce chiffre décomptez les mères chez qui le sentiment de la maternité sera le plus fort et vous aurez un large calcul à établir en faveur de la moralité publique et de l'esprit de famille.

On me dit : Votre amendement ouvre la porte à d'autres grands dangers. Il favorise l'introduction d'enfants adultérins dans la famille, au mépris des droits de la famille légitime, des enfants légitimes ; il permet de donner au fruit de l'union illégitime des richesses qu'on ne pourrait lui donner ; il fournit le moyen d'enlever à un enfant légitime la position que la loi et la morale lui assurent. Erreur ! erreur profonde ou exagération !

Il est impossible que, dans mon système, un enfant légitime, par suite de la faculté de celer son nom, que j'accorde exceptionnellement à une mère, puisse être soustrait à la protection que la loi lui assure, et voici comment ce secret exige la participation de l'accoucheur.

Quel est l'homme de l'art, quel est le médecin, quel est l'honnête homme qui se prêterait à une promesse de secret, lorsqu'il saura que cette promesse de secret n’a d'autre but que de soustraire un enfant légitime à la protection de la loi et de lui enlever les droits que sa qualité d'enfant légitime lui alloue dans la société ? Le médecin dans ce cas refusera le secret.

Il dira : Je veux bien tenir un nom secret pour sauver l'honneur d'une mère coupable et malheureuse, pour sauver l'honneur de sa famille surtout, mais pour commettre un crime sans excuse contre un enfant, contre la société, contre la famille, jamais !

Et le père qu'on oublie ! Le supposez-vous aussi disposé à trahir son devoir de père de connivence avec la mère et l'homme de l'art, et tous les trois prêts à commettre le crime de suppression d'état ?

Où est maintenant l'intérêt de la mère dans cette situation à violer et la loi civile et la loi morale ?

L'on dit (et j'ai entendu cette objection non pas à la tribune mais en conversation dans la Chambre derrière moi ) : On peut vouloir enrichir certains enfants légitimes au détriment des autres ; on peut vouloir rétablir le droit d'aînesse ! ! Une mère de famille imposera le secret de la naissance d'un second, d'un troisième, d'un quatrième enfant pour enrichir le premier-né ? Et vous croyez cela ? Mais si vous croyez cela, vous n'êtes plus des législateurs sérieux.

On vous a dit : Cette faculté de la mère de famille qui a commis une faute d'aller déclarer le fait de la naissance, et d'imposer le secret sur son nom, peut avoir pour résultat, en sens inverse, d'introduire dans la famille le fruit de l'adultère.

Ici je ne comprends plus mes adversaires. Car dans ce cas la loi protège et protége efficacement.

Comment ! parce qu'une femme mariée aura été clandestinement donner le jour à un enfant adultérin et n'aura pas fait connaître le nom qu'elle porte, vous croyez que cet enfant pourra entrer facilement dans la famille légitime ? Par où et par quel moyen ? Mettez-vous donc d'accord dans vos objectons. Vous affirmez là que le secret empêche de retrouver la mère, et par une contradiction étrange, une contradiction inexplicable, vous dites ici que l'enfant pourra pénétrer facilement par une espèce de pont que l'on dresserait tout exprès, dans la famille légitime, à l'aide du même secret ?

Encore une fois cela est illogique, cela n'est pas sérieux. Voici comment, dans ces circonstances fatales, la faculté que je propose d'accorder, protège au contraire l'honneur et la paix de la famille, comment elle conserve la religion du monde pour le lien de famille, en écartant comme inutiles les procès scandaleux qui relâchent ce lien et font douter de sa solidité.

Si une femme mariée a donné le jour au fruit de l'adultère, c'est un mal sans doute. Maissti cette mère coupable a célé son nom, l'enfant qu'elle aura mis au monde ne viendra jamais troubler l'état de la famille régulière. Cela lui est impossible, il n'a ni acte de naissance, ni titre, ni possession d'état, et s'il essaye, il sera toujours facile de le repousser. Qu'au contraire vous forciez la mère à faire connaître son nom, non seulement il faut que son honneur soit compromis, mais vous condamnez le père à protéger le nom et le patrimoine de ses enfants légitimes par une action en désaveu. L'enfant adultérin, grâce à vous, acquiert un titre présomptif dont le mari outragé doit énerver l'effet en l'attaquant au plus vite.

Si chacun de vous, messieurs, pouvait juger la question que je discute maintenant au point de vue de ces confidences personnelles que tout le monde reçoit lorsqu'on est mêlé, comme médecin, comme prêtre, comme avocat, aux secrètes misères de la société, il n'y aurait pas deux opinions dans cette Chambre. Et voyez ceux qui soutiennent mon amendement. Tous par leur position, ont été, pendant une bonne partie de leur vie, les confidents forcés des misères de famille, pour les guérir ou les pallier.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et ceux qui le combattent aussi.

M. Orts. - Eux ont compris par expérience qu'en dévoilant certaines plaies sociales on enfante les procès en désaveu, on atteint l'honneur et le patrimoine légitime des familles, on compromet l'avenir moral et matériel des enfants déjà trop malheureux d'avoir une mère coupable, et tout cela sans savoir aucun intérêt sérieux.

On a été jusqu'à dire, et c'est l'honorable M. Moncheur : » Au cas de naissance adultérine, en défendant de citer le nom de la mère dans l’acte de naissance, vous portez un préjudice à l'enfant. L'enfant adultérin a des droits devant la loi, il a droit à des aliments. »

Des aliments achetés au prix de son déshonneur et du déshonneur de toute une famille !!! Oh ! le bel intérêt à sauvegarder !

Mais cela est-il même vrai ? Non, messieurs, cela n'est pas vrai. Une erreur de droit profonde a été commise ici par l'honorable M. Moncheur, dans un moment de distraction ou d'irréflexion. Voici la loi : Personne n'a le droit de prouver ou de réclamer une filiation adultérine.

On a beau inscrire sur l'acte de l'état civil qu'un enfant est né de telle mère mariée et prouver plus tard qu'il est adultérin, la justice n'écoute pas la preuve ni pour ni contre l'enfant. Cela est censé non avenu. L'enfant adultérin n'entrera dans la société comme tel que quand la société sera forcée de l'admettre indirectement, par la force des choses, comme conséquence de décisions judiciaires portées sur d'autres questions que celle de la filiation. On peut citer deux ou trois cas soigneusement déterminés par la loi, cas de condamnation ou d'annulation de mariage pour bigamie ; le cas de désaveu, admis, et le rejet d'une action en réclamation d'état dirigée contre une femme mariée dont le mari conteste sa paternité.

Jamais par son acte de naissance l'enfant adultérin ne peut acquérir le droit de réclamer des aliments en justice ; il faut un arrêt qui constate pour ainsi dire, malgré lui, l'état adultérin pour d'autres raisons que l'acte de naissance. Donc, il n'est pas exact de prétendre qu'on fasse le moindre tort à cette catégorie d'infortunés, en ne mentionnant pas leur état dans l'acte de naissance.

On a dit à nos adversaires qu'ils changent la loi, qu'ils veulent modifier sa pensée primitive, qu'ils méconnaissent l'esprit des créateurs du Code. M. le ministre nous répond : C'est vous qui voulez innover. Nonobstant sa dénégation, je persiste et je répète : Depuis que le Code existe, dans les pays où on l'a fait, sa disposition a été comprise et pratiquée par les tribunaux, par les médecins, par tous les citoyens, comme nous l'interprétons, comme nous voulons qu'on le pratique, et la morale publique n'a pas été compromise ou ébranlée en France, ainsi qu'on voudrai le faire croire. (Interruption.)

En Belgique ? Je vais y venir ; mais, auparavant, j'ai le droit de parler de la France, car la loi a été faite en France par des Français, pour des Français, interprétée et appliquée par des Français, et si elle est appliquée chez nous, c'est parce que nous avons été Français.

J'ai dit à M. le ministre de la justice qu'en Belgique le passé était pour moi ; que ce qu'il avait pour lui, c'était un présent assez récent.

M. le ministre, répondant à une interruption de ma part, a objecté un arrêt de 1847 statuant sur le refus d'un médecin de révéler le nom de la mère accouchée dans un établissement que ce médecin dirigeait, et l'acquittant.

Je conviens que reportant les premières poursuites de ce genre à 1853 j'ai fait tort à M. le ministre de six ans et je m'en confesse à lui. Mais de 1810 à 1847, je demanderai à sous le gouvernement français, sous le gouvernement des Pays-Bas et sous le gouvernement de 1830 jusqu'à 1847, l'honorable ministre a trouvé quelque exemple de poursuites intentées contre des médecins ou autres personnes qui avait refusé de faire connaître le nom de la mère d'un enfant illégitime à la naissance duquel ils avaient assisté ; je dis que cette exigence est uns innovation contraire à la pratique constante des tribunaux, des officiers de l'état civil et du corps médical, en Belgique pendant trente-sept années.

Si le ministre veut se convaincre de la vérité de ce que j'avance, qu'il demande des renseignements, non pas aux dossiers de son ministère, mais au corps médical ; il verra combien de médecins ont fait des déclarations de naissance comme je veux permettra encore d'en faire et combien de médecins ont été poursuivis, de 1810 à 1847, pour les avoir faites.

Maintenant, permettez-moi, messieurs, ces reproches d'immoralité écartés, de vous montrer ce qui se produira si le système que vous produisez, système qui sera fixé par la loi, qui n'aura plus le bénéfice du (page 818) doute ou des variations de la jurisprudence, si votre système vient à être adopté par la Chambre.

Vous vous trouverez quoique votre loi fasse devant des impossibilités morales d'exécution où l'obéissance à la loi sera vaincue, vous le savez si bien, que vous nous engager à voter la loi en disant : On ne l'exécutera pas dans les cas où vous ne voulez pas qu'on l'exécute. D'autres ont dit : On s'abstiendra de déclarer la naissance, car la peine sera la même que pour une déclaration incomplète et le délit plus difficile à constater.

Ils ont eu raison ceux qui parlaient ainsi, mais ils n'ont pas tout dit. Permettez-moi de parler en homme pratique, en homme qui par état a vu et su beaucoup de choses tristes et secrètes, choses douloureuses que pour vous éclairer il peut dire, sans commettre d'indiscrétion, sans révéler de secret, car tout en disant ce qu'il a vu, ce qu'il voit, il peut taire et taira les noms.

Le passé me montre l'avenir.

La loi votée, vous verrez, je crains d'être trop bon prophète, vous verrez le médecin appelé à la condition de taire le nom de la mère, donner ses soins comme devant. Martyr du devoir professionnel il risquera l'amende et la prison même en cas de récidive. Mais il cherchera à s'en garer, à s'en défendre ; pour y parvenir que va-t-il faire ?

Il ne peut pas faire de déclaration de l'accouchement du tout, la contravention peut être encore assez facilement constatée ; faire une déclaration incomplète, cela se verra de suite, que fera-t-il ? Une déclaration sous un faux nom. Le médecin ira à l'état civil et déclarera que tel jour à telle heure est né un enfant de tel sexe de madame une telle... le premier nom venu. Et l'officier de l'état civil comme le parquet n'y verra que du feu.

Puis, comme en pareille circonstance, le premier nom venu est celui qui se présente le plus facilement à la mémoire, il arrivera que ce nom sera souvent celui d'une personne existant quelque part, et cette personne se trouvera gratifiée d'un enfant sans s'en douter. (Interruption.)

Ceux qui n'ont pas vécu dans l'atmosphère des procès et des procès de grande ville, peuvent rire ; mais ceux qui ont vécu dans les tribunaux savent que ces fraudes sont fréquentes et faciles.

Qu'aurez-vous fait alors, grâce à votre Code impitoyable ? Vous aurez compromis la tranquillité et l'honneur de beaucoup de familles innocentes parce que le médecin aura choisi un nom à nombreux homonymes croyant prendre un nom en l'air.

Tout en entendant garder le secret demandé, vous aurez fait pis encore. Vous excitez l'homme de l'art, pour échapper à votre loi, à commettre une faute plus grande. Vous le poussez à faire un faux pour éviter une contravention, un délit correctionnel. Et son intérêt l'engage à agir de la sorte, car le crime est ici plus difficile à découvrir que le délit et la répression moins certaine. Quand la loi est contraire au sentiment du juste, au sentiment de l'honneur, l'honnête homme qui voit qu'une contravention le conduira devant un tribunal correctionnel ou s'attend à une peine certaine se dira : « Mieux vaut s'expliquer devant le jury. »

Le jury n'est pas l'aveugle esclave des lois que la conscience publique condamne. Le jury consulte son cœur et son bon sens de citoyen, et devant lui, devant son omnipotence tous les médecins martyrs de l'honneur seront acquittés.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. Pirmez, rapporteur. - MM. Van Overloop et Orts viennent de parler contre la proposition du gouvernement, n'est-il pas juste d'entendre le rapporteur de la commission qui la soutient ?

- Plusieurs voix. - Aux voix ! aux voix ! la clôture !

- La clôture est mise aux voix.

M. le président. - Il y a doute, la discussion continue.

- Un grand nombre de membres. - A mardi ! à mardi !

- La discussion est continuée à mardi.

La séance est levée à 4 heures 1/2.