Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 10 avril 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 1032) (Présidence de M. Vervoort).

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Snoy procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des expéditionnaires au gouvernement provincial du Luxembourg demandent une augmentation de traitement. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de l'intérieur.

« Le sieur Jules Meyer, professeur à Helle, né à Wernigerode (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.

Composition des bureaux de section

Les bureaux des sections, pour le mois d'avril 1861, ont été constitués ainsi qu'il suit :

Première section

Président : M. Muller

Vice-président : M. de Gottal

Secrétaire : M. de Boe

Rapporteur de pétitions : M. Notelteirs


Deuxième section

Président : M. Ansiau

Vice-président : M. De Fré

Secrétaire : M. Orban

Rapporteur de pétitions : M. d’Ursel


Troisième section

Président : M. M. Jouret

Vice-président : M. Magherman

Secrétaire : M. Frison

Rapporteur de pétitions : M. Van Leempoel


Quatrième section

Président : M. Laubry

Vice-président : M. Snoy

Secrétaire : M. de Moor

Rapporteur de pétitions : M. Thibaut


Cinquième section

Président : M. Goblet

Vice-président : M. Nélis

Secrétaire : M. Mouton

Rapporteur de pétitions : M. Verwilghen


Sixième section

Président : M. le Bailly de Tilleghem

Vice-président : M. de Terbecq

Secrétaire : M. Tack

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt

Projet de loi modifiant les droits sur le café torréfié

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi ayant pour objet de modifier le droit de douane sur le café torréfié.

Depuis 1857 le droit sur le café torréfié a disparu, de telle sorte qu'il paye le même droit, que le café non brûlé ; il en résulte que l'introduction du café torréfié se fait à un droit inférieur à celui qu'il devrait payer.

Messieurs, ce projet n'a pas une grande importance, je prie la Chambre de l'examiner le plus promptement possible.

MpVµ. - Il est donné acte à M, le ministre de la présentation du projet de loi qu'il vient de déposer ; ce projet et les motifs qui l'accompagnent seront imprimés, distribués. Comment la Chambre veut-elle que ce projet soit examiné ?

M. Loos. - Il est très désirable que ce projet puisse être voté avant notre séparation. Il a une importance relative assez grande : afin que nous puissions le discuter avant la fin de la session, j'en demanderai le renvoi à une commission.

M. A. Vandenpeereboom. - Je propose de renvoyer le projet de loi dont il s'agit à la commission d'industrie qui est toute constituée, c'est le moyen d'aller plus vite.

- Le renvoi à la commission d'industrie est ordonné.

Pièces adressées à la chambre

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai l'honneur de déposer également sur le bureau le rapport de l'administration des caisses d'amortissement et des dépôts et consignations.

- Il est donné acte à M. le ministre du dépôt qu'il vient de faire. Le rapport déposé sera imprimé et distribué.


« M. Vermeire, retenu par des affaires de famille demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. de Rongé. obligé de s'absenter pour des affaires urgentes, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. Sabatier, retenu par une maladie grave demande un congé. »

- Accordé.


MpVµ. - Voici une lettre que m'adresse M. Coomans.

« Fréjus, 7 avril 1861.

« Monsieur le président,

« Des raisons de santé m'obligeant à passer quelques semaines au midi de l'Europe, j'ai l'honneur de vous prier de demander à la Chambre le congé qui m'est nécessaire. Veuillez, M. le président, faire connaître à mes honorables collègues le vif regret que j'éprouve de ne pouvoir prendre part aux derniers travaux de la session, et surtout de ne pouvoir combattre le projet de loi qui augmente encore nos dépenses militaires, déjà trop considérables.

« Agréez, monsieur le président et cher collègue, l'assurance de mon respectueux dévouement.

« Coomans. »

- Le congé est accordé.

Projet de loi accordant un crédit de 15,561,170 francs au budget du ministère de la guerre

Discussion générale

M. Gobletµ. - Il n'est personne, dans cette assemblée, qui ne mette au-dessus de tout la défense de la nationalité et de l'indépendance de la Belgique. Il n'est personne qui ne sache, lorsqu'il s'agit de ces biens précieux, faire facilement le sacrifice de ses sympathies et faire taire des opinions préconçues.

Nul n'a droit de supposer un seul instant que nos votes ne soient consciencieux et profondément réfléchis.

Nul n'a le droit de mettre un seul instant en doute le patriotisme d'un membre de cette Chambre.

Dans une question aussi grave que celle de la défense nationale, s'il n'y a pas de divergence possible quant au but, il n'est pas moins vrai que quand on examine attentivement l'ensemble de cette question, lorsqu'on se pénètre de toute sa gravité, on n'a pas de peine à se convaincre que la réflexion et la discussion en pareille matière est non seulement utile, nécessaire, mais même indispensable.

Dans un pays de liberté, où la nation se gouverne elle-même, où chacun d'entre nous porte une partie de la responsabilité des actes du gouvernement, il ne nous est jamais permis de nous en rapporter à d'autres qu'à nous-mêmes ; non, nous ne le pouvons, alors que nous engageons les ressources les plus nettes du trésor, alors que nous décidons des mesures qui doivent sauvegarder la patrie et engager l'avenir de la nation, quelle que soit la confiance que nous ayons dans le gouvernement, nous, mandataires de la nation, nous n'avons pas le droit d'abdiquer.

Il faut que nous soyons vis-à-vis de lui d'autant plus exigeants, d'autant plus sévères que les intérêts qui nous sont soumis sont plus importants.

Lorsqu'un ministre vous aura donné la preuve qu'il ne se trompe pas, rvous aura donné la conviction qu'on ne l'a pas trompé et qu'il ne s'est pas laissé aller à des illusions mal fondées, vous pourrez décider, non ce qu'il croira bon, mais ce que vous aurez jugé par vous-mêmes bon et utile.

Contrôle incessant des représentants du peuple, défiance constante sinon des hommes, du moins de leurs entraînements et de leurs faiblesses ; défense raisonnée et incessante de tous les intérêts, quels qu’ils soient, des citoyens, tels sont, messieurs, nul ne peut le constester, le principe fondamental du système représentatif.

Il faut surtout nous armer d'une volonté énergique pour soumettre nos dépenses à de sévères investigations.

Il faut, quand nous votons nue dépense nouvelle, que le pays puisse comprendre, approuver et partager les motifs qui ont décidé de nos (page 1033) convictions ; il faut que nos concitoyens puissent avoir la certitude que les sacrifices qu'on leur impose ne sont ni surabondants, ni inutiles, et que s'il en est que l'indépendance et l'honneur de la Belgique exigent, il importe que jamais un regret ou un reproche ne s'élève contre leur légitimité.

Messieurs, dans le cas spécial qui nous occupe, il s'agit aussi d'une de ces mesures qui semblent être uniquement la conséquence naturelle de notre position. Personne, en effet, ne peut émettre de doutes lorsqu'on demande s'il faut oui ou non une artillerie convenable pour défendre notre territoire. Mais poser ainsi la question, ce n'est pas en donner la solution pratique. Des difficultés nombreuses sont soulevées par l'exécution. Il est évident que l'importance des intérêts multiples qui s'y trouvent engagés, exige des représentants du pays la plus grande circonspection.

Un élément nouveau vient de plus compliquer d'une manière tout à fait exceptionnelle ce débat difficile et d'une solution ardue. C'est la question de confiance illimitée que nous impose l'honorable ministre de la guerre.

Vous le voyez, messieurs, en réfléchissant quelque peu, on est bientôt amené, lorsqu'on vient vous demander 15 millions pour le renouvellement de notre artillerie, à examiner non seulement la légitimité des besoins, mais encore l'excellence des moyens employés et les conséquences inévitables de la voie où s'engage le gouvernement.

Mon opposition se fonde sur des motifs nombreux et divers.

D'abord, parce que je ne puis admettre un seul instant l'opinion de M. le ministre de la guerre, qui tend à soustraire les détails de son administration au contrôle sérieux des Chambres, et qu'il m'est de plus de toute impossibilité d'avoir en lui une confiance illimitée, après surtout les promesses de 1859, qui n'ont été tenues sous aucun rapport.

En second lieu, le gouvernement, en accordant ses sympathies à l'arme prussienne et en préférant le canon Wahrendorff a, selon moi, choisi le canon le moins bon, le moins pratique et le plus dispendieux de l'artillerie nouvelle.

Enfin, d'un autre côté, j'ai de plus la conviction profonde que ces armements, dont l'exagération augmente chaque jour, doivent nécessairement avoir pour nos finances des conséquences désastreuses et créer pour la Belgique, sinon une situation impossible, du moins des embarras sérieux dans l'avenir.

L'honorable général Chazal, en refusant de donner à la section centrale les renseignements sur les détails de son administration, en soustrayant à notre examen tout ce qui peut nous éclairer sur ce qu'il compte faire, sur ce qu'il a fait ; sur tout ce que nous possédons en fait de ressources militaires, sur ce que comporte et doit comporter la défense nationale, a, selon moi, agi d'une manière qui n'est conforme à aucun précédent.

Non seulement cette façon d'agir n'a jamais été admise en Belgique, et je le prouverai, mais elle n'est admise dans aucun Etat constitutionnel de l'Europe.

Nous n'avons pas le droit de savoir combien nous aurons de canons du système nouveau.

Nous n'avons pas le droit de savoir combien nous avons de canons du système ancien.

Nous n'avons pas le droit de savoir ce que contiennent nos arsenaux, en quoi consiste l'armement de nos forteresses.

Mais comment, voulez-vous savoir si l'armement est complet, si l'argent a été bien employé, si on maintient ce système de refus ?

Je répète, messieurs, que jamais en Belgique cette manière de faire n'a été admise, et si parfois il a été déclaré que certains documents, certaines statistiques étaient inutiles à produire en public, s'il a été déclaré qu'il était inutile de livrer à la publicité certains secrets, jamais certes il n'a été admis que c'était parce que les règlements militaires le défendaient.

En 1838, nous étions à la veille d'une conflagration ; un an après notre armée était sur le pied de guerre. Un crédit considérable pour cette époque, presque insignifiant pour l'époque actuelle, car il s'agissait d'un ou de 2 millions, était demandé pour le complément, pour l'amélioration de l'artillerie.

La section centrale du budget de la guerre était saisie alors de tous les documents d'examen possible, pour savoir quel avait été l'emploi de ce crédit, non seulement l'emploi annuel, mais l'emploi même jusqu'au jour de la présentation du budget.

La section centrale nommait M. Desmaisières pour son rapporteur ; et l'honorable membre terminait son travail par des paroles qui prouvent qu'alors on considérait les députés pour le moins comme les égaux des ministres et qu'on ne leur contestait pas le droit d'obtenir tons les documents nécessaires ; la phrase du rapporteur est simple ; elle est digne, mais elle prouve ce que j'avance :

« Nous nous sommes fait renseigner la situation de notre matériel de guerre et nous avons vu avec satisfaction qu'il est aujourd'hui presque complet, même sous le rapport d'une réserve plus qu'ordinaire. Bientôt il ne s'agira plus au budget que de l’entretien et du renouvellement, et nous serons en possession d'un matériel formidable. Désirant qu'il en soit ainsi le plus tôt possible, nous n'avons pas cru devoir opérer d'autre réduction sur cet article que celle d'une somme de 25,000 francs, demandée pour acha1 de bronze neuf, ce bronze pouvant être fourni par les canons et obusiers étrangers en bronze qui existent dans les arsenaux de l'Etat. »

Vous le voyez, messieurs, par cette simple phrase, que la section centrale a été saisie de tous les documents possibles et cela jusqu'à savoir le nombre de boulets qui appartenaient à chaque pièce.

Dans la discussion publique, l'honorable M. Brabant, membre de la section centrale, légitimait ainsi la réduction de 25,000 fr., faite sur un crédit déjà assez peu considérable, sur ce que la section centrale avait découvert qu'il était possible de se tromper au département de la guerre, et qu'il était prouvé qu'on n'y avait pas assez soin des deniers de l'Etat.

Dans la discussion publique, dis-je, l'honorable M. Brabant expliquait ainsi son refus d'accorder les 25,000 fr., il entre dans des détails nombreux et ajoute :

« Messieurs, votre matériel s'accroît tous les ans et dans une année où le budget a reçu une assez forte augmentation, dans une année où le gouvernement est obligé de demander des impositions extraordinaires, nous avons cru que le gouvernement trouverait facilement moyen de différer quelques-unes des dépenses portées aux développements du budget, pages 220, 221 et 222. Je prierai ensuite M. le ministre, pour qu'il soit fait un emploi plus sage des fonds que cela ne se fait quelquefois dans cette partie du service. Si ma mémoire est fidèle, nous avions l'année dernière une pièce de canon déjà approvisionnée de 36,000 boulets ; il se trouve que cette année l'approvisionnement de cette pièce a été renforcée de 8,000 boulets, de sorte que cette seule pièce a aujourd'hui, chiffre exact, 44,481 boulets. Cela résulte de l'inventaire qui nous a été communiqué. »

Vous voyez, messieurs, qu'on n'est pas infaillible au département de la guerre et qu'autrefois ce département en Belgique a été tenu de donner les explications les plus détaillées aux membres des sections centrales.

En 1848, en 1851, des comités ont été institués pour établir les bases de la défense nationale. Dans la discussion relative à l'organisation de l'armée, tous les documents, tous les procès-verbaux de ces comités ont été déposés sur le bureau de la Chambre, et vous avez pu voir là ce que comportait l'armement de chaque place ; on ne s'est pas refusé alors, non seulement à vous faire connaître le nombre d'hommes, mais même à vous dire le nombre des canons nécessaires à la défense de toutes nos forteresses.

Si je vais dans d'autres pays, si je m'enquiers de ce qui se passe ailleurs, je trouve aussi que chez toutes les nations constitutionnelles, que chez tous les peuples qui jouissent en liberté d'un régime représentatif sérieux il en est ainsi.

En France, lors de la discussion des fortifications de Paris, le gouvernement n'a rien caché soit à la commission, soit aux membres de la Chambre.

En séance publique, le maréchal Soult ou le commissaire du roi donnait les détails les plus intimes sur l'armement de Paris. Le nombre des bouches à feu, des obus, des outils, des armes de toute espèce pour la bonne défense de la place comme pour la garde de sûreté sont indiqués.

Le maréchal Soult termine en disant :

« J'ai remis à la commission réunie, entre les mains de son président, le tableau de l'armement de Paris, en affûts, en canons de divers calibres, en munitions et même en armes destinées à approvisionner comme réserve les magasins qui auraient été établis. »

Le commissaire du roi allait même si loin, en exposant avec une franchise et une loyauté toutes militaires, les nécessités de la défense de Paris, que M. Thiers, rapporteur de la commission, voyant ses allégations contredites, s'écriait : « L'opposition à la commission doit-elle venir des bancs des ministres ?» L'honorable M. Thiers évaluait l'armement de Paris à 30 millions seulement, tandis que M, Tugnot de Lanoye (page 1034) l'estimait à 43 millions, et il ajoutait : « Il faut bien que la chambre sache quelle est la dépense à faire ; je ne dis pas qu'il soit nécessaire de la faire tout de suite, mais dans les années qui vont suivre. Le budget de l'artillerie devra augmenter annuellement de 7 à 8 millions. Il faut que la chambre en soit prévenue. »

A la même époque, un crédit considérable était accordé pour mettre en bon état tout l'armement de l'armée française et principalement 'e l'artillerie. Nous trouvons dans le Moniteur français les détails les plus intimes non seulement quant à l'emploi des fonds, mais aussi quant à l'état des approvisionnements existants.

Voici ces détails :

Art, 2. Armes portatives.

La principale dépense de cet article, c'est la fabrication de 152,000 fusils de modèle régulier, qui doit prendre dans ce crédit 5,320,000 francs.

Le premier soin de votre commission a été, pour reconnaître l'utilité de la dépense, de s'informer de la situation de nos approvisionnements dans les arsenaux et dans les mains des troupes.

Il résulte de l'état qui nous a été remis que nous possédons en fusils de bon service au 31 décembre 1840, dans les magasins, dans les corps et dans les arsenaux en réparation : 1,771,511 ; divers fusils : 850,216 ; entre les mains des gardes nationaux : 850,876. Total : 3,472,405

Art. 3. Fonderies. Le crédit demandé a pour objet de pourvoir à la fabrication de 1,745 bouches à feu en bronze de divers calibres à commander aux fonderies de guerre.

De 500 en fonte à confectionner dans les établissements de la marine.

De 200 en fonte dites à la Paixhans.

L'état d'approvisionnement en bouches à feu, remis à votre commission, peut se résumer ainsi : Il faudrait, d'après l'avis du comité d'artillerie, dans l'état actuel de nos armements de campagne et des places fortes, y compris les approvisionnements de réserve : 17,418 bouches à feu de tous calibres. Nous en possédons au 1er janvier en bon état de service que 11,341, si nous y joignons les 2,700 qui doivent être fabriqués sur les crédits ordinaires et extraordinaires, nous arrivons à 14,041 pièces. Et il ne manquerait plus qu'environ 3,400 bouches à feu pour être au grand complet d'approvisionnement.

En Angleterre, alors qu'il s'est agi de l'enquête sur la défense nationale, on ne se cachait nullement pour dire et pour déclarer ouvertement tout ce que comportait l'armement de l'Angleterre, quelles étaient ses défectuosités et ses avantages, ce qui manquait et ce qu'il fallait faire encore.

Ainsi, dans un des procès-verbaux de l'enquête faite sous la présidence de sir Harry John, lieutenant général commandant l'artillerie, nous trouvons la déposition du colonel Bingham qui s'exprime ainsi :

« Sans comprendre même les 2,000 bouches à feu que l'on reconnaît devoir ajouter pour la défense des nouveaux ouvrages, il y a actuellement en batteries situées sur les côtes, environ 3,000 canons ; l'année prochaine on ajoutera au moins 1,000 bouches à feu à ces défenses et celles-ci devront être augmentées de 2,000 canons, ce qui fera en tout 6,000 canons, dont la plus grande partie de forts calibres. Outre ces 6,000 bouches à feu, il se trouve encore 23 batteries mobiles de position réparties par tout le pays. «

Et M. Baring, sous-secrétaire de la guerre, a donné, il y a peu de jours, la situation complète en canons Armstrong à la chambre des communes. Il dit le nombre des canons existants, de ceux en construction, leur calibre, où ils sont placés.

Je sais bien la réponse qu'on me prépare : on viendra me dire que, dans la chambre des communes, on ne discute pas les mesures militaires comme ici ; que, quand un ministre demande qu'on ne discute pas, il arrive souvent que, sans opposition aucune, on défère à son désir. Mais, messieurs, c'est qu'en Angleterre, en dehors de la chambre, l'autorité agit au grand jour : on institue des commissions d'enquête ; et, comme vous avez pu le voir en 1859, la commission d'enquête dit tout, depuis le premier mot jusqu'au dernier, quoiqu'il s'agisse de la défense nationale.

Inutile, messieurs, d'insister sur ce point ; la preuve est complète. Mais, me dira-t-on peut-être, vous parlez de grands pays, de pays puissants, qui n'ont rien à redouter de la divulgation de leurs secrets. Pour moi, messieurs, je ne crois pas aux secrets en matière militaire : en définitive, tout homme de guerre qui connaît son métier sait très bien approximativement ce que comporte l'armement d'une place, ce qu'un pays peut mettre en ligne pour se défendre ; et dans tout cela, il n'y en a qu'un seul qui soit trompé si la défense n'est pas complète, c'est celui qui l'a payée et qu'elle doit protéger.

Mais la Hollande aussi est un petit pays. Le ministre de la guerre, cependant, déclarait à la première chambre des états généraux dans la séance du 29 décembre, qu'a son entrée au ministère il avait trouvé dans les arsenaux de l'Etat 12,000 fusils rayés seulement ; que grâce à une activité toute nouvelle on en trouverait 60,000 à la fin de 1861 ; que l’on pourrait ainsi non seulement pourvoir aux besoins de l'armée, mais encore à ceux de la schuttery, qui peut être appelée à se joindre à l'armée en campagne. Impossible, quant à l'artillerie rayée, de dépenser comme les grands Etats de fortes sommes, ajoute le ministre pour un pareil objet quand on est une petite puissance et que l'on a des moyens limités, mais l'artillerie néerlandaise n'en est pas moins en parfait état, grâce à l'économie et à l'habileté avec laquelle s'est opérée et s'opère encore la transformation de cette arme. Il donne ensuite le détail des canons existants, de ceux actuellement transformes, tant pour l'artillerie de campagne que pour celle de siège et va jusqu'à dire où elles se trouvent placées.

Vous voyez, messieurs, par ces arguments, qui ne sont que des preuves positives prises dans les documents officiels, que nulle part, pas plus en Belgique, avant l'époque actuelle, qu'ailleurs, si ce n'est dans les pays où le gouvernement est seul responsable, on ne cache l'état de l'armement de la défense nationale à la nation elle-même ; tandis qu'actuellement chez nous, les choses sont poussées si loin que l'on a même évité de consulter le comité d'artillerie ; ce comité institué par arrêté royal, quelque favorable que fût sa composition au ministère de la guerre, pouvait cependant renfermer des officiers hostiles aux idées préconçues du ministre ; et l'on a voulu éviter la discussion même entre gens spéciaux, parce que d'opinions justifiées et discutées pouvait jaillir la lumière.

Faut-il vous rappeler, messieurs, que, quand il fallait obtenir 50 millions pour construire Anvers, il n'y avait pas de paroles assez affirmatives, pas de déclarations assez positives pour donner à la Chambre et au pays la conviction complète, que les sacrifices si lourds qu'on nous imposait devaient suffire d'une manière à peu près entière à tout ce qu'exigerait la plus belle place d'armes de l'Europe.

Si, messieurs, je n'ai pas pris part à la discussion soulevée par des interpellations récentes, c'est que je pensais, comme l'honorable général Chazal lui-même, qu'une discussion aussi grave ne devait pas être l'objet d'un débat incident.

En présence surtout d'une discussion qui allait surgir et qui devait naturellement soulever l'examen de tout notre système défensif, je croyais inutile d'examiner des faits plus ou moins contestés et dont, en définitive, l'importance relative n'était en quelque sorte qu'un symptôme d'un mal autrement grave. Que des maçonneries aient été enterrées, que quelques milliers de mètres cubes de terre aient été inutilement remuées, que des changements successifs et nombreux aient été apportés aux plans primitifs, ce sont là des faits qui ne sont plus contestés.

Je n'ai nullement le désir ni la volonté de poser ici une question de confiance, mais puisqu'on me demande de voter 15 millions sur la parole d'honneur de M. Chazal, comme disait hier M. Van Overloop, je puis dire qu'ayant toute confiance dans la parole de l'honorable général comme homme, je ne puis admettre aveuglément qu'elle tienne lieu de toute science d'artilleur et qu'elle couvre complètement la responsabilité ministérielle.

Depuis le vote des fortifications d'Anvers, le pays est vivement préoccupé non pas de savoir si ces fortifications sont bonnes ou mauvaises, mais surtout de la question de savoir si les promesses de 1859 ont été tenues ; si la confiance du gouvernement dans l'exécution de cette grande forteresse est toujours bien entière.

Voyons donc ce qui en est.

L'honorable ministre, d'après ce que nous voyons aujourd'hui, est certain d'avoir les moyens d'achever les fortifications d'Anvers, non pas en érigeant une place forte telle quelle, mais de faire d'Anvers, comme il l'a promis, une place de premier ordre, la plus forte place de l'Europe.

Quand il s'agissait de faire voter par la Chambre les fortifications d'Anvers, les affirmations, les assurances ne manquaient sous aucun rapport. Demandait-on au ministre si les plans avaient été bien étudiés, si le système de fortifications adopté était le résultat d'études consciencieuses, le ministre répondait de la manière la plus affirmative.

Voici un passage de sa lettre adressée à l’honorable M. Orts, président de la section centrale :

(page 1035) « Pour répondre à votre seconde question, j'ai l'honneur de vous faire savoir que les plans des travaux proposés ont été exécutés par un comité d'officiers du génie et de l'artillerie, conformément aux principes généraux adoptés par la commission des vingt-sept.

« Ces officiers ont visité la Prusse, l'Autriche et la France, et ont pu s'enquérir des progrès que les ingénieurs de ces pays ont réalisées dans la construction des grandes forteresses modernes de Parme, Cracovie, Kœnigsberg, Stettin, Paris, Lyon et Cherbourg. On peut donc affirmer que les plans proposés satisfont de la manière la plus complète aux exigences de l'art de l'artilleur et de l'ingénieur.

« Pour satisfaire à votre troisième demande, je joins à la présente le cahier du devis détaillé de tous les travaux. »

Vous voyez, messieurs, nous sommes bien loin de ce type qui constitue l'état actuel des plans ; tous les devis étaient détaillés, tout avait été prévu, il n'y avait rien à reprendre ; les études les plus consciencieuses avaient été faites, les autorités les plus incontestables avaient été consultées ; elles n'avaient rien trouvé à modifier aux fortifications d'Anvers. Puis quand on demandait au général Chazal s'il n'y a pas moyen de diminuer la dépense, si d'après les principes avancés précédemment par des hommes également compétents, on ne pourrait pas faire une partie des fortifications en terre et diminuer les maçonneries, il répond d'une manière plus positive encore. Au point de vue de la force de la place, il n'y a pas moyen d'économiser une brique, de supprimer une escarpe. Voici ce qu'il dit :

« Pour diminuer la dépense, j'ai supprimé toutes les maçonneries dont la nécessité n'est pas évidente. En agissant ainsi, je n'ai fait que suivre les recommandations des plus illustres ingénieurs et me conformer à l'exemple des autres nations. On n'a rien négligé de ce qui peut augmenter la valeur défensive de la place d'Anvers, mais tout en satisfaisant à ce principe matériel, on a pris en minime considération l'intérêt du trésor. Or ne pourrait donc opérer aucune réduction sur le crédit sans porter atteinte à la valeur défensive d'une position qui exercera une influence décisive sur les destinées du pays.

« J'espère que la Chambre donnera son approbation à l'ensemble du projet de loi que j'ai l'honneur de lui présenter. Ce travail est le résultat de longues et consciencieuses études. »

Ainsi lorsqu'il s'agissait de l'intérêt du trésor, des contribuables, il ne pouvait être question de faire une réduction quelconque sur les maçonneries ; c'eût été compromettre la puissance de ces belles fortifications, mais lorsqu'il s'agit de réparer les fautes du département de la guerre, de dérober à la connaissance de ceux qui payent, les erreurs de calculs de ceux qui ont fait des devis et des plans illusoires, la question change de face.

Les destinées du pays ne dépendent plus de quelques murailles de plus ou de moins, et comme il importe avant tout d'arriver à un achèvement de quelque façon que ce soit, on sacrifie facilement, ce qui constitue la puissance d'une place de guerre.

On invoque l'économie heureuse que peuvent amener ces suppressions, on s'en félicite aujourd’hui et on cherche, en invoquant la terrible puissance d'un nouveau projectile à légitimer des modifications que rien ne justifie.

L'honorable général Chazal nous dit, en effet, que depuis l'invention de la nouvelle artillerie rayée, les fortifications en murailles avaient perdu beaucoup de leur valeur, que des obus d'une puissance illimitée pénétraient dans les murailles et y éclataient en ouvrant d'énormes entonnoirs.

Mais, messieurs, ces obus ne datent pas d'aujourd'hui ; mais ils ont été essayés avant 1859, au polygone de La Fère en 1857et depuis lors sur des murailles à Paris, à Douai, et voici ce que je lis dans un rapport dont le Journal de l'Armée belge nous donne communication :

« IL a fallu à l'artillerie rayée moitié moins de coups pour ouvrir la brèche qu'à l'artillerie ancienne et à une distance double.

« Les projectiles pénétraient dans l'épaisseur du bloc de pierre et de ciment à une profondeur de 80 centimètres et faisaient explosion en ouvrant d'énormes entonnoirs. »

Sont-ce les expériences de Juliers qui auraient prouvé la puissance d'un nouvel obus ?

Mais nous avions la brochure du capitaine Weigelt qui est partisan du canon prussien, et qui le vante ; il ne peut cependant s'empêcher de constater que le projectile prussien de 48 livres, tiré à très courte distance, ne pénètre pas au-delà d'un mètre même dans les maçonneries.

Il n'y a donc pas grande différence.

S'il y a une différence, elle est en faveur de l'obus français, qui est tiré à plus grande distance et est d'un plus petit calibre.

Maintenant, quand on a tant voyagé, quand on est allé jusqu'à Cracovie pour recueillir des renseignements sur les murailles et les forteresses, ne pouvait-on se donner la peine d'aller jusqu'à Lille ?

A Lille, pendant qu'on mettait la première pierre à Anvers, on construisait les fortifications de cette place et l'on n'y a supprimé depuis aucune escarpe, aucune muraille.

Je sais que l'honorable ministre de la guerre tient en pauvre estime l'artillerie française et qu'il a peut-être la même opinion du corps du génie, mats je me glorifierais, quant à moi, d'être sur le même pied militaire que la nation française.

D'un autre côté, l'honorable ministre, alors qu'on lui demandait s'il n'entrevoyait pas dans l'avenir des dépenses considérables pour mettre toutes les autres parties de notre défense nationale à la hauteur des nécessités qu'on créait, semblait s'indigner. Répondant à une objection que je lui avais faite personnellement dans la discussion au sujet de la nécessité où nous serions d'augmenter, dans un prochain avenir, notre artillerie, le général Chazal me dit, avec quelque peu d'ironie, que je n'avais pas lu le rapport de la section centrale, où il avait donné les garanties les plus rassurantes en faveur du statu quo.

« L'agrandissement d'Anvers, disait en effet le général baron Chazal à la section centrale, ne nécessitera aucune augmentation du matériel d'artillerie, que celle qui a été demandée de tout temps à la Chambre et qui, en tout état de choses, qu'on agrandisse ou non Anvers, devra toujours avoir lieu.

« Du reste, la Chambre a déjà à plusieurs reprises voté les fonds nécessaires pour satisfaire à ces besoins, et ce qui reste à exécuter actuellement est de peu d'importance.

« Il est à remarquer d'ailleurs que l'agrandissement d'Anvers rendra disponible le matériel de nos places supprimées.

« Le système de transformer nos canons en canons rayés est indépendant du système de défense que nous adopterons. »

Vous le voyez, messieurs, il ne fallait pas s'occuper du renouvellement ou de l'augmentation de notre artillerie ; il restait si peu de chose à faire. Il fallait un esprit bien minutieux pour se préoccuper de cette dépense nécessaire.

Il est vrai que l'honorable général Chazal réservait la question des canons rayés, mais il déclarait en même temps que cette modification radicale de notre artillerie coûterait à peine 5 à 6 francs par pièce. C'était là un avenir tout azuré, tout couleur de rose, qui certes permettait de sacrifier beaucoup au présent.

Messieurs, alors que la demande de 15 millions de francs pétitionnés en 1861 vient démentir si positivement les espérances certaines de 1859, ne sommes-nous pas en droit de nous préoccuper de savoir si c'est là tout ce que doit coûter cette transformation de l'artillerie qu'on entreprend aujourd'hui à grands frais ?

Et cette supposition ne se trouve-t-elle pas confirmée par les conséquences que l'on peut tirer des faits que l'on pose, par le langage des écrits officieux ?

Nous lisons à ce sujet dans le Journal de l'Armée belge, n°114, non pas un article rapporté, dont on n'accepte pas la responsabilité, mais un bel et bon article de fonds, qui jette une triste lueur sur cette question. Ces 15 millions ne sont en définitive que le commencement de ce que l'on compte imposer pour le même objet aux contribuables.

Voici ce qu'on y trouve :

« Le remplacement de la fonte par l'acier et l'application du système rayé ne sont pas les seules réformes à introduire dans l'artillerie de place.

« Chez nous, où la base de la défense nationale repose sur la résistance d'une grande position retranchée, dans laquelle la masse de l'artillerie doit pouvoir se mouvoir comme en rase campagne et produire l'effet qu'elle exerce sur les champs de bataille, en Belgique, disons-nous, calibres et affûts de place doivent également être transformés, c'est à-dire que presque tout notre matériel d'artillerie est à refaire, et si 14 millions peuvent y suffire, la réforme ne nous paraîtra pas trop chèrement payé. »

On le voit, alors même qu'il n'y aurait aucune raison de rayer les canons, encore faudrait-il, pour assurer la défense de notre grande position retranchée d'Anvers, que le gouvernement réformât notre vieux matériel de place, construit dans un autre but et dans d'autres conditions, bon peut-être pour les anciennes forteresses, mais tout à fait impuissant dès qu'il s'agit de défendre notre vaste place de refuge.

Que devient d'après cela le matériel des places supprimées et qui, nous disait-on naguère, devait suffire, à peu de chose près, pour compléter l'armement d'Anvers ? Ce n'est plus que vieux métal et vieux bois.

(page 1036) Aujourd'hui qu'il s'agit de voter 15 millions les mêmes affirmations se reproduisent. Comme lorsqu'il s'agissait de voter 50 millions l'infaillibilité du département de la guerre est mise en avant. C'est même un crime que d'en douter.

Pourtant, messieurs, je le répète, dans le cas présent, pas plus qu'en thèse générale, je n'admets pas que l'on puisse abdiquer sou droit de contrôle et d'examen, quand on a l'honneur de siéger au parlement belge.

Il m'est impossible aussi d'accepter la théorie que l'honorable M. David présente à ce sujet au nom de la majorité de la section centrale dans son rapport si remarquable.

« Il a paru, nous dit-il, à la majorité de la section centrale, que dans ces sortes de questions il y avait danger à intervenir les rôles, que la responsabilité du gouvernement est si directement et si gravement engagée qu'il est impossible que celui-ci, ayant à résoudre une question présentant d'immenses difficultés, ait agi avec légèreté, sans s'entourer de tous les renseignements et de tous les éléments les plus propres à l'éclairer et à le mettre à même d'agir à coup sûr. S'il faisait fausse route, en effet, les conséquences seraient trop fâcheuses, trop graves, puisqu'elles entraîneraient la détérioration de notre matériel actuel, des pertes immenses et la création d'un matériel de guerre défectueux qui nous placerait dans un état d'infériorité vis-à-vis des autres nations ! »

Comment ! parce que les intérêts sont graves, comment ! parce que les conséquences d'une erreur sont désastreuses, nous devons abandonner tout examen sérieux et nous confier à l'infaillibilité du gouvernement ! Mais cette doctrine est celle qui légitime le droit divin, l'absolutisme le plus pur.

Il est certes des questions plus importantes encore que celle des canons rayés, où les conséquences d'une erreur seraient plus désastreuses qu'une perte d'argent et de temps, et dans ce cas pour être conséquent notre honorable collègue devrait nous conseiller, à plus forte raison, de nous taire et d'applaudir une proposition ministérielle, sous peine d'être de mauvais citoyens.

Un gouvernement absolu ne fonde-t-il pas son droit d'existence sur la gravité des intérêts dont il est chargé. Sa responsabilité est directe et immense, car seul il veille à la défense nationale, seul il dispose des droits les plus sacrés des individus, seul il a le droit de prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde et à l'indépendance de la patrie. En un mot il agit et pense pour tous ; toute observation, tout conseil devient un crime de lèse-nation, puisqu'il met un entrave à des projets dont seul il a la connaissance et l'appréciation. Il ne peut se tromper ; s'il faisait fausse route, en effet, les conséquences seraient trop fâcheuses, trop graves, puisqu'elles entraîneraient la perte de l'Etat, la ruine de la nation.

L'honorable M. David a-t-il pesé les conséquences du système qu'il invoque pour nous faire admettre le canon prussien ? Je ne le crois pas, et je connais trop son patriotisme et son dévouement aux idées libérales pour ne pas supposer que son amour sans bornes pour l'artillerie allemande et son admiration inusitée pour les mesures du ministre de la guerre l'ont entraîné plus loin qu'il ne le voulait.

Non, messieurs, quelle que soit la difficulté d'une question, quelle que soit la spécialité d'une proposition, nous devons exiger que l'on nous soumette tous les éléments d'appréciation possibles Nous ne devons pas nous en rapporter à d'autres qu'à nous-mêmes pour les décider ; et quand il s'agit des intérêts les plus chers de la patrie, nous est-il permis de nous écrier en nous en lavant les mains : « Nous ne pouvons rien y voir. »

J'en arrive, messieurs, à aborder la question qui nous occupe sous son aspect le plus aride et le plus difficile à saisir. Que la Chambre pourtant ne s'effraye point. Tout en envisageant le débat sous le rapport technique, je ne chercherai pas à lui faire comprendre le mécanisme d'un canon quelconque, ou à lui expliquer comment on construit des armes et des projectiles de guerre.

Nul de nous n'a la prétention de s'initier aux secrets de fabrication ; il nous importe seulement de constater les effets produits par les différentes armes.

En cherchant à obtenir de l'honorable ministre de la guerre des éléments de comparaison, nous ne voulions que former nos opinions au moyen de faits acquis et d'expériences contradictoires.

Il est de ces faits qui sont de notoriété publique ; il en est d'autres qui résultent des documents publiés dans tous les pays où l'on s'occupe de canon rayés. Ces faits et ces documents peuvent nous mettre à même de constater, ce qu'il nous importe uniquement de savoir : la qualité et le coût relatif des différents systèmes employés aujourd'hui en Europe,

Qu'il me soit permis, messieurs, de m'arrêter ici un instant pour exprimer un regret profondément senti. Il s'agit de modifier complètement et d'une manière radicale notre système d'artillerie. Pour tous ceux qui ont un sentiment d'orgueil national dans le cœur, n'est-il pas pénible de voir que dans tout ce corps si savant, si instruit et qui tient si hautement sa place parmi les corps les plus distingués de cette arme en Europe, il n'est pas un homme dont la notoriété, ni la capacité ne puisse s'affirmer en cette circonstance ?

Quand cette transformation sera accomplie, tout ce que l'on pourra dire en faisant l'histoire de notre artillerie, c'est que cet acte important fut consommé sous le ministère du général baron Chazal.

Pourtant, messieurs, ne nous était-il pas possible d'attacher à cette transformation les noms d'officiers, qui auraient sinon inventé, du moins expérimenté ces armes nouvelles, dont il nous . d'adopter la meilleure et la plus pratique pour la défense nationale ?

En France non seulement c'est un officier qui invente le canon rayé, mais encore des expériences utiles sont faites par des commissions. On n'en cache pas les noms, et la publicité n'est pas refusée, le cas échéant, aux procès-verbaux qui constatent les effets véritables des nouveaux projectiles.

En Angleterre c'est un ingénieur civil qui trouve le canon Armstrong, mais quand il s'agit de la défense nationale, la sûreté de l'arme est établie par des commissions d'artilleurs et les noms de ceux qui donnent leur avis et le nom de ceux qui expérimentent, on les dit tout haut. On ne cache pas et les nombreuses imperfections du canon Armstrong et les efforts successifs de ses inventeurs pour l'améliorer tous les jours.

En Suède, c'est Wahrendorff, chambellan et maître de forge, q" invente le canon dit prussien. En Allemagne des officiers écrivent sur les nouvelles armes. En Hollande, en Suisse, les corps d'artillerie sont appelés à donner leur coopération active à des expériences qui doivent décider de l'adoption d'un système ,et si en Russie, en Espagne, en Portugal, en Autriche, en Suisse, en Hollande, les gouvernements choisissent le système de canons rayés se chargeant par la bouche, ce n'est pas sans que les officiers de ces pays en aient reconnu l'incontestable supériorité.

Sommes-nous donc si inférieurs aux autres nations ?

Non, messieurs, cela n'est pas, et pourtant si j'en crois l'honorable ministre de la guerre, en Belgique on n'a fait que des expériences qui ont pu tout au plus constater que nous serions de bons fabricants de canons, de bons fabricants de boulets.

Quant à la confiance que nous devons avois avoir dans, le système que l'on veut nous imposer aujourd’hui, elle a pour base unique les rapports d'agents qui obéissent à leur chef suprême, sur des expériences faites à l'étranger.

Le motif d'économie allégué pour raison, alors qu'il s'agit d'expériences complètes n'est pas sérieux. Ce qui coûte, ce sont les machines et les engins pour faire les canons, mais pour les 1,200 projectiles que l'honorable ministre de la guerre lui-même déclare suffisants pour essayer complètement la bonté d'un canon, il serait facile de prouver par des chiffres que cette dépense n'est pas grande et qu’il n'y a qu'un prétexte peu sérieux dans cette allégation.

Cette absence préméditée da tous documents officiels soit belges, soit de provenance étrangère, que peut posséder le département de la guerre, augmente encore la difficulté pour les membres de la Chambre de se rendre un compte exact de la question. Cependant, messieurs, je vais m'efforcer de vous démontrer quel est le système de canon rayé préférable pour notre pays, et je vous prouverai en m'appuyant, en toutes circonstances, sur des autorités irrécusables qu'il y a d'autres moyens, que ceux tant préconisés de réaliser le but que nous avons si grand intérêt à atteindre, celui d'avoir une bonne artillerie, facile " établir, coûtant peu et qui réserve les éventualités de l'avenir, fait d'une haute importance en présence de modifications nouvelles et probables.

Messieurs, avant d'entamer la discussion des qualités respectives des deux ou trois systèmes qui seuls aujourd'hui sont employés dans les armées européennes, permettez-moi de vous faire une observation sur l'exposé des motifs.

Dans l'exposé des motifs on vous donne le résultat de certaines expériences ; tout en laissant le canon Wahrendorff parfaitement de côté, on ne parle du canon prussien que pour mémoire. Si l'on vous cite des chiffres, ils se rapportent au canon Armstrong ou au canon Cavalli. Quant au canon Armstrong, je vous en parlerai tout à l'heure. Un seul mot du canon Cavalli : Ce canon est abandonné en Piémont ; il n'y est plus considéré comme une arme sérieuse. Et dans tous les cas, s'il (page 1037) l'était encore, l'expérience que M. le ministre de la guerre nous donne concluant serait favorable au système français, et non pas au système du chargement par la culasse, comme celui du canon prussien.

Dans le système prussien, la direction en effet résulte du forcement absolu du boulet dans lequel s'impriment les rayures du canon, tandis que dans le système français et dans le système Cavalli, la direction est donnée au projectile par les tenons adaptés au projectile même.

Lorsqu'on invoque le canon Cavalli et la rectitude de son tir, on donne un argument en faveur de la rectitude du tir des systèmes à tenons qu'ils se chargent par la bouche ou par la culasse.

Messieurs, les qualités du système français sont la solidité, la puissance d'effet, l'exactitude du tir, le bon marché et la simplicité dans l'emploi.

Les premières expériences qui ont été faites sur les canons rayés eurent lieu en 1857. Le système fut examiné, adopté et mis en œuvre en moins d'une année. Le rapport du général Labitte constate les succès les plus éclatants de cette arme de guerre aux divers polygones de France.

Cette artillerie nouvelle avait été employée en Kabylie, dans la première partie de la guerre de Chine, à l'époque de la guerre d'Italie, ce n'est donc pas sans connaissance de cause, ce n'est pas seulement pour produire un effet moral, comme on l'a affirmé, que l'empereur décida l'emploi définitif du système.

Et le développement de l'invention nouvelle et l'application sur une grande échelle prouvent une fois de plus que l'artillerie française était supérieure sous tous les rapports à toutes les artilleries rivales.

Des batteries tout entières furent transportées à Gênes sans canonniers, sans chevaux et remis aux mains d'un personnel qui ne connaissait pas encore le nouvel engin, puisque c'était celui des batteries de canons ordinaires.

Néanmoins elles purent se mettre en campagne et entrer en ligne sans subir le moindre retard.

Magenta et Solferino témoignent plus éloquemment que je ne pourrais le faire de l'admirable simplicité de ce canon rayé dont on a su tirer un si grand parti sans exercice préalable d'hommes qui les voyaient pour la première fois.

A Solferino, les batteries des 1ère et 2ème divisions d'infanterie du 2ème corps (Mac-Mahon), les 12ème, 11ème, 2ème et 13ème batteries des 7ème, 11ème, 9ème et 13ème régiments d'artillerie se portèrent en ligne dans la direction de Mantoue contre l'artillerie déployée à 1,000 et 1,200 mètres du 7ème et 11ème corps en entier, d'une partie du 9ème et de la division de la cavalerie Mensdorff. Le rapport officiel autrichien, parlant de cet engagement à diverses reprises, rapporte ceci :

« Enfin, les deux dernières batteries de réserve furent amenées..., mais au soir..., l'artillerie devait appuyer le mouvement de nos troupes, mais elle ne put cependant le faire avec nous, comme le feu ennemi bien supérieur. »

Si nous récapitulons ce fait d'armes, nous trouvons que l'artillerie autrichienne a l'avantage du nombre. A 1,000 ou 1,200 mètres, le tir de ses pièces de 18 atteint le maximum de sa puissance ; elle est la première en batterie et cependant elle ne peut tenir un instant. Elle se retire si vite, qu'à peine met-elle hors de combat une douzaine d'hommes.

Messieurs, dans toutes les argumentations que j'ai rencontrées jussqu'ici, alors qu'on défend le système prussien, je n'ai trouvé que des comparaisons avec les armes lisses, et je n'ai jamais trouvé de comparaison avec les canons rayés français.

Je ne vous donnerai pas communication des rapports nombreux qui ont été publiés en France et à l'étranger sur la question ; cela est parfaitement inutile ; je répondrai à l'honorable M. Chazal sur les points où il contesterait l'exactitude de mes allégations ; et s'il entre dans des détails techniques, je le suivrai alors sur ce terrain.

Messieurs, tandis que cette réforme s'opérait en France, sans majoration de dépense pour l'artillerie, car il est constaté par les budgets français, que la dotation de cette arme, depuis l'introduction de l'artillerie nouvelles, n'a pas été augmentée sensiblement, l'Angleterre avec son orgueil national, avec cet orgueil qui lui a fait faire tant de grandes choses, n'est pas naturellement restée en arrière : elle a dépensé 50 millions de francs pour le système Armstrong. Qu'a produit cette immense dépense qui viendra encore s'accroître des 20 millions réclamés dernièrement ?

Elle a produit 1,200 canons Armstrong, et en outre l'aveu le plus complet qu'en Angleterre on en est encore aux tâtonnements.

Le canon Armstrong a fait ses preuves, comme le canon français, sur le champ de bataille. Bien que ce fût un champ de bataille où le tir ennemi n'était pas fort redoutable, on a pu cependant apprécier certaines de ses qualités ; on a pu apprécier certains de ses défauts, défauts bien considérables ; alors que l'armée française prouvait la solidité, la justesse de son tir, le canon Armstrong, tout en prouvant la justesse de son tir, ne prouvait ni sa solidité, ni sa légèreté.

S'il fallait s'en rapporter aux extraits et aux correspondances des journaux anglais, - je ne parle pas des correspondances des journaux français, car il est admis que chaque auteur déclarera que son système est le meilleur de tous - je pourrais passer condamnation ; je pourrais déclarer que les attaques dirigées contre le canon Armstrong sont le résultat de la concurrence, le résultat de la malveillance ; mais, messieurs, les défauts du canon Armstrong sont constatés par le discours du sous-secrétaire de la guerre lui-même, M. Baring, alors qu'il est venu demander, e 14 mars 1861, 20 nouveaux millions, pour continuer à faire des canons Armstrong.

En répondant à certaines allégations, il avoue implicitement tous les défauts qu'on reproche à cet engin de guerre. Ainsi il constate que le système des canons se chargeant par la bouche n'est nullement abandonné en Angleterre ; il déclare qu'une partie de ce crédit sera employée à faire des canons se chargeant de cette façon d'après un modèle qui n'est pas encore arrêté.

Voulant réfuter les allégations du Mechanics-Magazine, qui prétendent que le plomb se détachant des projectiles aurait occasionné les accidents aux tirailleurs, il est cependant amené à déclarer que s'il n'y a eu personne de tué, il n'en est pas moins vrai que les lames de plomb se sont détachées ; et que peut-être on arrivera à remédier à cet inconvénient, en employant le zinc, c'est-à dire en adoptant un système analogue à celui des Français.

Le sous-secrétaire de la guerre s'émerveille de ce que les batteries envoyées en Chine ont été débarquées sans avarie ; on croirait vraiment qu'il s'agissait de cargaisons de cristaux.

M. Baring constate aussi qu'à plusieurs reprises, dans le cours de cette rapide campagne, les appareils des culasses se sont détériorés. Il avoue que, dans des expériences à courte distance faites sur le canon ordinaire et le canon Armstrong, le projectile d'essai a broyé le canon Armstrong, tandis qu'il mettait tout simplement le canon ordinaire hors de service.

Le sous-secrétaire d'Etat fait un aveu encore plus explicite : il déclare que les canons employés dans la guerre de Chine ont été reconnus défectueux mais qu'il compte bien, grâce aux améliorations futures promises par sir Armstrong, arriver à donner de meilleurs canons à l'armée anglaise.

Enfin, messieurs, le sous-secrétaire d'Etat constate des inconvénients auxquels il promet de parer et il établit surtout la grande difficulté qu'on éprouve à préparer et à régler les fusées.

Maintenant, tout récemment encore, sir William Armstrong, le principal intéressé dans la question, fait un discours d'où il ressort que les éléments du système français sont les meilleurs.

Ainsi, ii dit qu'on ne gagne rien à employer des pièces légères en conservant les mêmes projectiles ; mieux vaut, au contraire, renforcer les affûts, pour parer aux effets du recul. Plus loin l'honorable sir Armstrong constate une chose sur laquelle nous reviendrons ; c'est que les meilleurs canons ne sont pas les canons en acier, quoi qu'en ait dit M. le ministre de la guerre ; mas les canons faits au moyen d'un cerclage. Il s'exprime ainsi :

« Je dirai donc que l'expérience me persuade de plus en plus que la construction des canons au moyen de rubans de fer soudes ensemble sous-forme cylindrique est le meilleur de tous les systèmes, et que je me propose de le suivre dans la construction des pièces des plus forts calibres. En effet, ou peut appliquer ruban sur ruban, et je ne connais aucune limite à la dimension des pièces qu'il est possible de fabriquer par ce procédé. »

Plus loin encore, l'honorable sir Armstrong, qui a besoin de pièces d’une très grande puissance pour forcer les bordages des navires, ne songe pas du tout à trouver la solution de son problème dans les canons se chargeant par la culasse, mais bien dans le système de canons se chargeant par la bouche ; et, en donnant l’explication de ce revirement, il dit qu’en chargeant par la bouche avec des projectiles à tenons, on obtient une rectitude de tirs vraiment admirable. C’est le système français. Voici comment il s’explique. Je demande pardon à la Chambre d’entrer dans ces détails.

- Plusieurs voix. - Non ! non ! continuez.

(page 1038) M. Gobletµ. - Voici comment s'exprime sir Armstrong :

« Dernièrement aussi, j'ai construit une nouvelle pièce se chargeant par la bouche et destinée à lancer des projectiles de 120 livres. Cette pièce est rayée suivant un système que j'ai appelé shunt plan ( à rayures de flanc), lequel permet au boulet de s'introduire aisément quoi qu'il sorte forcé. Je n'ai pas besoin, en effet, de vous dire que rien n'est plus essentiel à la justesse du tir que de lancer le projectile sans qu'il soit influencé par les vibrations de la bouche à feu, et qu'en même temps il est nécessaire pour un canon qui se charge par la bouche qu'il soit facile d'y introduire le projectile. »

Vous le voyez, messieurs, sir Armstrong déclare que le principe du système français est excellent, et qu'il assure une rectitude de tir parfaite et que le chargement par la bouche est très facile.

Maintenant, messieurs, revenons au système prussien, celui dont l'honorable ministre de la guerre nous a le moins entretenus et dont il faut bien cependant que nous parlions un peu.

S'il fallait en croire l'honorable ministre de la guerre et s'en rapporter au peu d'explications qu'il a bien voulu donner à la section centrale, nous n'aurions qu'à le remercier de nous avoir procuré un trésor. Le canon prussien est, selon lui, un mystère dont les adeptes seuls possèdent le secret.

C'est un de ces enfants prodiges dont le père affirme d'abord toutes les qualités et dont les parrains, encore émerveillés de la cérémonie du baptême, viennent ensuite confirmer les brillantes capacités.

Mais, messieurs, le canon prussien, c'est le canon Wahrendorff, peut-être un peu modifié, mais c'est au fond le système Wahrendorff essayé et rejeté dans tous les pays de l'Europe ; en Angleterre, en France, en Suède, en Autriche, en un mot, partout.

La brochure du capitaine Weigelt est venue nous révéler ce que nous avons vainement demandé à l'honorable baron Chazal, c'est-à-dire le résultat, non pas de la fabrication des projectiles, mais des expériences faites, et les effets merveilleux que ces boulets avaient produits contre les murs de Juliers.

Le capitaine Weigelt, voulant donner aux militaires de toutes les armes la véritable portée de ces expériences, relate dans une brochure, les faits tels qu'ils se sont passés, jour par jour ; et, n'ayant rien à cacher, il trouve tout naturel d'en instruire le public.

Il établit qu'aucune comparaison n'a été faite à Juliers avec d'autres canons que des canons lisses ; il constate ensuite que le canon prussien n'a été expérimenté qu'à 840 mètres maximum, ce qui, en définitive, n'est guère que la portée du but en blanc d'une pièce de campagne ordinaire. Je n'abuserai pas des moments de la Chambre en l'entretenant des expériences successives qui ont eu lieu. Permettez-moi seulement d'en citer seule.

On m'a assuré que la traduction de la brochure du capitaine Weigelt n'était pas exacte.

Cela m’importe peu, messieurs, car je me suis donné la peine de traduire moi-même le récit de la sixième expérience, et j'y ai trouvé la confirmation d'un fait qui a été révoqué en doute, bien qu'il eût été énoncé antérieurement par la Gazette militaire de Lausanne, sur des affirmations d'officiers suisses qui avaient assisté à ce tir. Ainsi, dans cette épreuve solennelle, à laquelle assistait le prince de Prusse, on a mis deux jours pour ouvrir une brèche, et encore n'a-t-elle pas été complètement rendue praticable, parce qu'on a craint d'endommager quelques maisons de la ville.

C'était, du reste, une brèche ordinaire ayant 70 pieds de largeur au niveau d'eau et 45 pieds à son milieu, soit en moyenne 15 à 20 mètres.

L'expérience a commencé le 26 septembre 1860 et fut continuée le 27 et la brèche ne s'écroula qu'après qu'on eût lancé 294 projectiles. Le capitaine Weigelt, avec une naïveté remarquable, dit : « Et cela fit bien plaisir à ceux qui, d'après le résultat douteux de l'épreuve précédente où l'on avait tiré 117 coups dans un mur de masque sans résultat remarquable. »

En 1847, en France, à Bapaume on a ouvert également des brèches dans les mêmes circonstances avec 287 boulets ordinaires du calibre de 24 ; or, faites bien attention, messieurs, que le calibre prussien est un gros calibre, car le boulet pesait 48 livres puisque c'était le calibre de 24.

Messieurs, les expériences faites sur le canon français ont été aussi multipliées, aussi concluantes que possible ; elles ont eu lieu à La Fère, à Calais, à Gavre, à Vincennes, à Douai, et les effets de l'obus éclatant dans l'intérieur des murailles dont je vous parlais tout à l'heure, avaient été constatés dès 1857. Rappelez-vous la catastrophe qui eut lieu à Vincennes alors, où le général Ardons perdit la vie.

Dans les essais qui eurent lieu en Angleterre, jamais on n'arriva à cette fixité d'action à cette régularité qu'on obtient en France.

Faut-il rappeler ce fameux canon Lancastre, dont l'effet fut si ridicule à Sébastopol ; faut-il vous parler du système Withworth ?

Aujourd'hui les essais continuent sur le système de canons se chargeant par la culasse, et le canon Armstrong de l'aveu de M. Baring lui-même n'a cessé d'être l'objet d'améliorations nombreuses ; sir Armstrong en convient également.

Messieurs, dans l'exposé des motifs, dans tout ce que nous avons pu apprendre sur le canon prussien, on s'est toujours retranché derrière les expérimentations faites sur le canon Armstrong.

Ce sont les résultats obtenus avec ce dernier canon qu'on invoque, mais si ces résultats sont si décisifs, pourquoi ne prenons-nous pas le canon Armstrong plutôt que le canon prussien qui est plus compliqué, plus fragile, avec lequel on ne peut pas tirer avec de si fortes charges qu'avec le canon Armstrong ? Est-ce parce que la fusée du canon prussien est autre que celle du canon Armstrong ? Cette modification apportée au projectile du canon Armstrong a été une innovation malheureuse.

Le projectile français éclate, la fusée s'enflamme d'elle-même, aux gaz de la poudre, les Prussiens ont imaginé de remplacer la fusée du canon anglais par une autre fusée à percussion aussi, mais dont l'inflammation ne s'opère qu'au point de chute ; si le projectile du canon Armstrong arrive au point, à la distance indiquée, il n'a pas besoin de toucher comme le projectile prussien pour éclater ; on n'a pas besoin par suite de se préoccuper d'une évaluation très exacte de la distance, choses si difficiles à obtenir sur un champ de bataille, dans l'émotion du combat, au milieu de la fumée et des projectiles lancés par l'ennemi.

D'autres vices inhérents au système de chargement par la culasse sont constatés par la difficulté d'une fermeture hermétique. Le canon Armstrong et surtout le canon prussien n'ont jamais été soumis à une lutte avec une artillerie rivale sérieuse.

Ce ne sont pas les armes chinoises qui ont pu faire tort au service de l'artillerie anglaise ; quand les canons Armstrong ou prussiens seront en présence d'un ennemi dangereux, les conséquences de la facilité résultant de la fâcheuse propriété dont jouit ce projectile de faire explosion, rien que par un choc même involontaire, seront désastreuses, s'échappant des mains du canonnier par suite d'une cause quelconque, soit blessure, soit maladresse, l'obus garni de sa capsule éclatera et tuera les servants de la batterie.

De plus l'ajustement si délicat qui doit empêcher la plus petite fuite de gaz n'est-il pas susceptible de se détériorer au point de mettre la pièce hors dé service par suite de l'atteinte d'un projectile ennemi ?

L'introduction de la poussière et de corps étrangers n'amènerait-elle le même résultat ?

Messieurs, lors de la discussion en section centrale, trois objections qui m'ont paru sérieuses ont été faites par le ministre de la guerre.

Tout en cherchant à prouver que le transport et la manutention des projectiles à chemises de plomb, comme les projectiles anglais et prussiens, ne nécessitaient aucune précaution, il assurait que les boulets français présentaient, au contraire, de très grands inconvénients ; qu'il fallait pour les tenons une précision mathématique difficile à obtenir et que le transport pourrait facilement déranger les tenons et rendre impossible l'introduction du boulet dans le canon.

La deuxième objection c'est que le gouvernement français est décidé dès aujourd'hui à modifier son artillerie, qu'il faisait à cet effet les travaux les plus sérieux ; la troisième était que le prix du projectile français était égal sinon supérieur à celui du projectile prussien.

Ces trois objections, je suis en mesure d'y répondre d'une manière complète.

Il m'a été donné d'assister à toutes les opérations de la confection de canons et de projectiles dans une fonderie et dans un arsenal français ; j'ai vu adapter les tenons au boulet, c'est une des opérations les plus simples et les plus faciles.

Quatre à cinq cents tenons peuvent être placés en un jour par un seul ouvrier.

Cette opération se fait à grands renforts de bras, et à la main avec un marteau de maréchal. Je me suis assuré qu'on ne cessait de fabriquer des projectiles et de rayer des canons ; j'ai même vu monter une machine destinée à rayer des pièces nouvelles, et j'ai pu obtenir le prix de revient exact de chaque coup de canon français.

(page 1039) Le coup de canon français ne revient pas à 6 francs ; le prix du coup de canon prussien dépasse 9 francs ; c'est avoué par le département de la guerre.

Voici la décomposition de ces prix :

Boulet de 12, fonte fr. 2,30

Tenons de zinc (12) : fr. 0,70

1/9 poudre, soit 1 kil. : fr. 1,70

Pour deux tenons. : fr. 0,20

Charge intérieure de l'obus (500 grammes) : fr. 0,85.

Fusée : fr. 0,50.

Total : fr. 6,25.

Vous voyez donc qu'il y a économie dans le système français. Le transport et l'usage de ces projectiles si solides sont faciles, les faits constatent que l'on n'a pas à craindre de mise hors de service par suite de détérioration ; il y a des pièces qui ont tiré jusqu'à 300 coups dans une journée, et il résulte du rapport du général Le Booef qu'une seule pièce a été mise momentanément hors de service pendant quelques heures, parce qu'un sous-officier, trop échauffé par le combat, a voulu appliquer au canon rayé des procédés usités contre l'ennemi, tels qu'on les employait avec les canons ordinaires. Il a mis au-dessus de l'obus une charge à mitraille. Il en résulta quelques désordres dans la pièce qui ont été réparés le lendemain. Voilà tout ce qui s'est produit d'accident de ce genre dans la guerre d'Italie, et tout l'embarras que l'on a eu pour le chargement des canons.

Messieurs, à part les avantages que je vous ai démontrés inhérents au système français, il y a pour nous un avantage sérieux, un avantage réel à l'adopter : c'est l'économie. La transformation de nos pièces de bronze ne souffre pas de difficulté. C'est avoué, cela ne coûte rien. La transformation de nos pièces en fonte peut se faire à raison de 75 centimes le kilo, au moyen de cercles en acier, système que vous avez vu tout à l'heure déclarer le meilleur par sir William Armstrong. Le gouvernement français a fait exécuter 700 pièces de cette espèce par l'industrie française et le brevet du cerclage appartient à MM. Petin et Gaudet qui transforment une pièce ancienne au moyen de 300 fr. et la pièce nouvelle revient à 1,000 fr.

Pourquoi demander tant d'argent ? Est-ce la nécessité des affûts en fer ? Mais de tout temps, non seulement dans le passé mais dans le présent, les affûts en fer ont été déclarés mauvais, détestables, si ce n'est pour des cas très spéciaux quand ils sont complètement à l'abri du feu de l'ennemi, et vous avez vu par ce que je vous ai cité du Journal de l'Armée belge, qu'il faut que notre artillerie soit très mobile. Ces affûts en fer se détraquent complètement au moindre choc. Quand un projectile touche une de ses parties, toutes les autres se brisent et deviennent inutiles, taudis qu'un affût en bois peut essuyer de nombreux coups et peut servir encore après avoir reçu les atteintes de 7 ou 8 boulets.

Des expériences en 1810, en 1814, en 1855 ont fait repousser d'une manière absolue les affûts en fer en France. Je trouve dans l'enquête qui a eu lieu en Angleterre, enquête relative à la défense nationale que j'ai déjà invoquée, la démonstration que les affûts en fer sont désavantageux et j'ai autant de confiance dans les officiers français et anglais qui déclarent les affûts en fer mauvais que dans les officiers prussiens.

Est-ce l'emploi de l'acier qui nécessite ce grand crédit ? Mais alors qu'on peut avoir une bonne artillerie en pièces de bronze et de fonte coulée, l'emploi des pièces d'acier est-il nécessaire ? Pas le moins du monde. L'acier a des qualités de dureté, mais il a de grands défauts, et en France, on n'est nullement décidé à adopter l'acier, si ce n'est dans des conditions très restreintes et quand il est à l'abri des coups de l'ennemi. Les pièces en bronze reçoivent des boulets sans se détériorer complètement, tandis que le choc des boulets ennemis brise l'acier en éclats qui viennent tuer les artilleurs.

L'acier éclate de lui-même, le bronze n'éclate pas ; et l'acier par ses fragments peut en conséquence causer les plus grands désordres dans les batteries

Messieurs, il est un fait excessivement remarquable, c'est que dans les questions spéciales qui nous occupent, en présence des trois systèmes qui se partagent les différentes nations de l'Europe, toutes les nations, sauf la Suède, ont adopté le système français. Le système français est adopté en Espagne, en Portugal, en Italie, en Autriche, en Hollande, tandis que le canon Armstrong reste en Angleterre, l'orgueil national le défend, et que la Prusse adopte le système Wahlendorff par idée politique et pour avoir une arme fédérale.

Le choix du canon prussien viendrait encore rendre notre artillerie plus défectueuse sous le rapport de la diversité du calibre qu'elle ne l'est déjà. Un des grands défauts de notre artillerie, c'est d'avoir beaucoup de calibres différents, c'est de nécessiter l'emploi de projectile divers. Eh bien, par l'adoption du système prussien, tel que l'établit l'honorable baron Chazal, nous aurions non seulement des projectiles pour tous nos canons que l'on conserve, mais encore des projectiles avec chemise de plomb, puis des projectiles pour les canons prussiens à âme lisse ; de telle façon que nous nous éloignons plus que jamais de cette unité de calibre prisée si haut en France et dont les avantages sont si incontestables. -

Ainsi donc, messieurs, avec beaucoup moins d'argent que n'en demande l'honorable ministre de la guerre, j'ai l'intime conviction qu'on effectuerait la transformation de nos bouches à feu et j'ai prouvé surabondamment que j'ai tout aussi à cœur de donner à la défense de mon pays toute la puissance possible que qui que ce soit, tout en me montrant ménager des deniers des contribuables.

tpreuve, alors même qu'elle ne résulterait pas des arguments que je vous ai soumis, elle ressortirait tout entière des paroles de l'honorable ministre de la guerre lui-même, qui nous avait annoncé la transformation de notre artillerie à raison de 5 à 6 francs par pièce.

Cette preuve, je l'obtiens encore par les paroles d'un homme compétent, personnage officiel et dont la position a beaucoup d'analogie avec celle de l'honorable baron Chazal. Cette autorité dont nul ne peut contester le patriotisme et l'intelligence, est le ministre de la guerre de Hollande.

Cet officier supérieur, colonel d'artillerie, s'exprimait ainsi en terminant le mémorable exposé de la situation militaire de Hollande, que je vous ai déjà cité et où il traitait non seulement la question des armes de l'infanterie, mais encore celle de la transformation d'artillerie néerlandaise :

« Pour les frais de tout cela, fusils et canons rayés, une augmentation de 193,000 fl. est demandée au matériel d'artillerie.

« Quand j'entends aujourd'hui que dans un pays voisin dont les moyens sont également limités, il sera demandé prochainement à la législature un crédit de 15 millions de francs seulement pour l'armement d'une position centrale qu'on y construit, je dois cependant demander avec modestie si je ne suis pas un ministre de la guerre à bon marché. »

Et pour bien convaincre ses auditeurs de la sincérité et de l'exactitude de ses évaluations, il ajoute un peu plus loin : « J'estime au-dessous de la dignité personnelle de faire de vaines promesses et des concessions pour gagner mon procès, et je souhaite qu'on n'interprète pas mes paroles dans ce sens. »

En présence d'un langage si ferme et si positif, dont les termes et les conclusions sont si bien en harmonie avec les véritables ressources de la Hollande, comme elles le seraient également avec celles de la Belgique, y a-t-il quelque doute possible ? Le patriotisme de nos voisins du Nord ne peut être mis en question, pourquoi ne pas suivre leur exemple ?

Certes, l'idée de ne pas laisser notre brave armée dans un état d'infériorité relative doit être une des plus graves préoccupations de ceux qui adoptent, comme de ceux qui repoussent le projet de l'honorable ministre de la guerre. Que cette inquiétude ne vienne pas troubler un seul instant nos convictions sur le mérite et l'utilité du système à adopter.

En transformant notre artillerie d'après les principes du système des canons français, nous nous trouverons immédiatement en mesure de parer efficacement à toutes les éventualités possibles. Dans l'état incertain de la question, nous pourrions résoudre ainsi ce problème en apparence si compliqué, si simple en réalité, la transformation utile de notre artillerie.

En quelques mois notre artillerie de campagne sera rayée, et il ne faudra pas certes cinq ans pour établir notre artillerie de siège sur un pied des plus respectables.

Au lieu de millions, ce ne seront que quelques centaines de mille francs qu'il nous faudra, comme en Hollande, et on aurons trouvé le moyen de sauvegarder tous les intérêts véritables de la défense nationale tout en ménageant consciencieusement les intérêts des contribuables.

Lorsqu'il est bien prouvé, messieurs, que nous pouvons ainsi sans violer toutes les lois d'une sage économie, être, sous le rapport de l'artillerie, à la hauteur de la France, de la Russie, de la Suisse, de la Hollande, (page 1040) pourquoi dès aujourd'hui voter les fonds de l'artillerie pour cinq années ?

Il est bien établi que toutes les puissances européennes sans exception, qui ont tout autant que nous intérêt à être bien armées, sont incertaines encore sur l'avenir même le plus prochain de l'artillerie. Rien n'est définitif, pourquoi donc nous engager irrévocablement, en présence des améliorations et des modifications tous les jours nouvelles ?

Et cela pour le système qui seul n'a pas fait ses preuves à la guerre. Avons-nous 15 millions à dépenser si souvent ?

Faisons ce que toutes les nations font autour de nous, et si nous avons attendu longtemps pour commencer, n'allons pas réparer cette première faute en allant trop vite.

En artillerie surtout, disait le général Paixhans, ce grand inventeur de canons d'il y a vingt ans, il faut avant tout de la modération.

Je vous ai dit, messieurs, dans la première partie de mon discours, pourquoi il m'était impossible d'accorder au gouvernement les fonds qu'il sollicite.

Je ne puis admettre que, dans les circonstances présentes, un vote de confiance tienne lieu de toute démonstration.

Je ne puis non plus supposer qu'il est dans l'intérêt bien entendu du pays de sacrifier en aveugle les deniers du trésor.

Je vous ai prouvé, messieurs, combien il eût été préférable d'adopter, pour modifier notre matériel d'artillerie, un système moins définitif, moins coûteux et plus simple.

Ces motifs suffiraient pour déterminer mon vote hostile au projet de loi, quand même je n'aurais que ceux-là à invoquer ; mais ce n'est encore, selon moi, qu'un des côtés de la question, le moins important de tous.

Un des reproches les plus graves que l'on puisse adresser tout spécialement au département de la guerre, c'est le vague et l'indéterminé ses propositions.

Il semble que l'on prenne à tâche, dans ces questions déjà difficiles, non seulement de dérober à la Chambre les premiers éléments d'appréciation, mais encore que l'on emploie tous moyens pour rendre la question plus confuse et plus compliquée.

En demandant 15 millions pour la transformation de l'artillerie, l'honorable M. Chazal cherche à prouver la légitimité de cette somme, par l'introduction dans les causes de dépenses à faire, des éléments tout à fait étrangers au but indiqué.

Ce crédit sollicité peut, d'après les explications de M. le ministre de la guerre lui-même, se diviser, quant à son emploi, en trois parties distinctes : 1° ce qui concerne réellement la transformation de nos canons, 2° le complément de notre ancien matériel et 3° l'armement de la place d'Anvers.

Mais, messieurs, ne serait-il pas beaucoup plus rationnel et plus régulier de venir demander à la Chambre de voter successivement et séparément ces sommes ? N'est-il pas surtout superflu aujourd'hui de venir demander des fonds, qui n'auront d'emploi que dans cinq années et d'engager ainsi dans l'avenir la responsabilité de la Chambre ?

Certes il est très agréable pour un ministre de la guerre de pouvoir disposer, sous la seule responsabilité, pour les besoins de son département, dont il se croit seul appréciateur, de nombreux millions. Si nous savons parfaitement bien qu'ils sont dépensés pour le département de la guerre, il ne nous est pas moins impossible de savoir s'ils sont bien ou mal employés.

En 1858, le département de la guerre a obtenu 9 millions à dépenser sur simples arrêtés royaux, en trois exercices, ce qui fait 3 millions par an.

Il demande aujourd'hui 15 millions à dépenser en 5 années. Pendant 8 années le budget normal de la guerre ne sera-t-il pas en quelque sorte porté effectivement ainsi à 35,000,000 ?

Est-ce bien là l'intention de la Chambre ? Que ce soit le désir de l'honorable ministre de la guerre, je n'en puis douter ; s'il en est ainsi, la question mérite d'être clairement établie. Elle le mérite d'autant plus, que je vous prouverai que nous serons même alors encore bien loin de la limite des sacrifices qu'il s'agit de nous imposer en temps de paix, et dans la situation la plus normale.

Dans les 15 millions demandés, il y en a quatre, me dit-on, pour compléter notre ancien matériel d'artillerie ; c'est un point décidé depuis longtemps, assure-t-on, et sur lequel il n'y a plus à revenir. Soit ; il est cependant assez étrange que l'on vienne me demander de voter des fonds pour compléter ce qu'on transforme et ce que l'on déclare vieux et à peu près inutile. Ne dois-je pas bien plutôt en présence d'un pareil fait croire à l'augmentation prochaine de notre artillerie, abstraction faite de toute transformation ? Dans ce cas, malgré toutes les espérances d'économies que l'on s'efforce de me faire garder, ne vaudrait-il pas mieux avoir une certitude quelconque, savoir en un mot ce qui nous attend plus tard sous ce rapport ?

Pourquoi encore, à propos de notre transformation d'artillerie, demander aujourd'hui des sacrifices nouveaux par l'armement des fortifications d'Anvers. C'est là un objet tout spécial, tout à fait à part. Si l'on continue à modifier les plans dans l'avenir comme dans le passé, j'ajouterai complètement indéterminé. Aux modifications qu'ont déjà subies ces malheureuses constructions à peine commencées, quel changement n'ajoutera-t-on pas sous prétexte, soit d'économie, soit d'améliorations nécessitées par de nouvelles découvertes d'artillerie et de nouvelles idées d'ingénieurs ! Redoutez-vous donc que la législature à venir ne manque d'intelligence ou de patriotisme, que vous vous empressez tant ? Non, cela n'est pas admissible ; ce serait supposer que la Belgique de l'an prochain ne sera pas, comme la Belgique d'aujourd'hui, dévouée à ses institutions, fière de son indépendance et prête à faire tous les sacrifices légitimés pour sauvegarder sa nationalité. Ce serait nous faire injure, ces serait nier notre foi dans l'avenir.

Si donc du crédit sollicité pour la transformation de l'artillerie, nous déduisons 4 millions pour le complément de notre ancien matériel, 6 millions disignés par l'honorable ministre lui-même pour l'armement de la place d'Anvers, il ne reste effectivement que 5 millions pour la transformation de l'artillerie.

Mais, messieurs, cette manière de procéder doit de toute nécessité amener de graves mécomptes pour le pays. Quelle que soit la sincérité des assurances de l'honorable baron Chazal, il est impossible de ne pas être convaincu qu'une discussion loyale et approfondi sur chacun de ces graves objets ne soit pas préférable.

L'armement d'Anvers ne devait coûter que fort peu de chose en 1859 ; en 1861 il est dit prendre 6 millions sur le crédit des canons rayés.

Avons-nous aussi la certitude que c'est le dernier mot de cette dépense si considérable ? Nullement, messieurs.

Nous ne savons rien de ce que nous avons, rien de ce que nous aurons pour armer notre grande place de refuge, et grâce au système à secrets de l'honorable ministre de la guerre, système si facile, si commode, il ne nous est donné aucun moyen de sortir de ce vague si complet, où, malgré toutes ses bonnes intentions, l'honorable général nous laisse entièrement.

Si je procède, comme le faisait le gouvernement français lors de la discussion des fortifications de Paris, quand il s'agissait d'établir franchement, loyalement devant les chambres, et surtout dans les plus petits détails, les bases du coût de l'armement de la capitale de la France, j'arrive à un tout autre résultat que celui que l'on nous donne comme si bien établi pour le montant des dépenses de l'armement d'Anvers.

En effet, messieurs, l'armement de Paris, calculé par le général Tugnot de Lanoye, dans la séance publique du 30 janvier 1840, nécessitait une dépense de 45,000,000 de francs ; cet officier général prenait pour base l'armement de la place de Valenciennes et concluait, connue je le fais, par analogie.

Paris comme Anvers est une grande place de refuge, l'armée doit y apporter une certaine quantité de ressources en s'y retirant. Paris sur certains points est protégé par la Seine, comme Anvers l'est par les inondations ; toutes ces conditions rendent la comparaison plus frappante encore.

Voici le développement respectif de ces deux places.

Paris.

Enceinte bastionnée de Paris. 38,661 mètres courants.

Enceinte bastionnée des forts. 29,200 mètres courants.

Total 67,861 mètres courants.

Partie entre Auteuil et Montmartre couverte par la Senne : 10,000 mètres courants.

Reste : 57,000 mètres courants.

Anvers.

Développement du corps de place : 18,000 mètres courants

Dehors (il n'y en a pas à Paris) : 4,650 mètres courants.

Forts détachés : 16,000 mètres courants.

Total : 38,650 mètres courants.

Parties de l'enceinte protégées par les inondations : 7,000 mètres courants.

Reste : 31,650 mètres courants.

(page 1041) Ainsi donc, la proportion entre Paris et Anvers est d'environ 57 à 31 ; il en résulte que l'armement de ces deux places, calculé sur des bases identiques, donnera 24 millions pour Anvers, 43 millions étant la dépense à faire à Paris. Cette dépense, messieurs, et je ne crains pas d'être mauvais prophète, n'est nullement exagérée ; et si l'on vient m'objecter qu'une partie de cet armement doit se constituer au moyen de notre ancien matériel, déclaré du reste si défectueux, je puis, d'un autre côté, répondre que je n'ai pas fait entrer dans mes calculs l'armement de la rive gauche de l'Escaut, et que je n'ai nullement tenu compte de l'augmentation dans le prix de toutes choses.

En présence de pareilles prévisions, est-il raisonnable de s'engager dans de semblables dépenses sans bases, sans éclaircissements, sans détails justificatifs ?

Ne serait-il pas préférable que les Chambres et le pays soient une bonne fois éclairés sur l'étendue réelle des sacrifices que notre nouveau système de défense nationale impose aux contribuables ?

Sous le rapport des dépenses militaires nous marchons vers l'inconnu ; j'ai la conviction, et l'avenir m'en apportera la preuve que nous verrons les crédits extraordinaires succéder aux crédits extraordinaires. Millions par millions l'on viendra nous demander les moyens de compléter ce malheureux système inauguré en 1859 ; puis quand les dépenses de premier établissement seront terminées, que notre matériel aura absorbé tout ce qu'il est possible de lui faire absorber, que tout ce chaos en un mot sera débrouillé, n'ayant plus les ressources des crédits extraordinaires, on viendra faire appel au patriotisme des Chambres pour compléter l'œuvre gigantesque en élevant le budget normal de la guerre.

Comme pour l'église de Laeken, on viendra nous mettre en demeure de couronner l'édifice, sous peine de tout perdre, sous peine d'avoir sacrifié inutilement nos ressources les plus nettes, sous peine de mettre en danger la défense nationale.

Lorsque j'attaquais le projet de ces immenses fortifications, placées au point le plus extrême du pays, si j'ai surtout insisté sur la nécessité en cas de l'adoption du système proposé, où serait le gouvernement, où se trouverait l'armée de se réfugier dans cette place avant le commencement même des hostilités, si j'ai insisté surtout sur la nécessité où nous serions d'y concentrer toutes nos forces, en abandonnant tout d'abord le pays et le reste de notre territoire, c'est que j'étais convaincu alors, comme maintenant, qu'il est impossible à la Belgique de défendre à la fois et son territoire et la place d'Anvers, avec les forces dont elle dispose. Ne voulant pas l'exagération de nos travaux militaires permanents, j'étais logique et dans le vrai. Aujourd'hui que tout concourt à prouver justes les conséquences des prémisses posées en 1859, je suis logique encore en signalant au pays les dangers et les embarras de la voie où le gouvernement s'engage tous les jours davantage.

Dans une publication toute récente faite en Angleterre, sous les auspices du gouvernement par un officier général, et qui traite des forteresses des Pays-Bas de 1814 à 1830, il est incidentellement question de notre système de défense actuel. Là encore je trouve la confirmation de cette opinion que l'existence de cette place d'armes à notre extrême frontière n'est pas même aux yeux de l'étranger une position avantageuse à la défense du territoire de la Belgique, tandis qu'elle entraîne notre pays dans une dépense excessive.

La retraite préalable sous les murs d'Anvers de l'armée nationale est aussi une des conséquences naturelles de notre système de défense adopté en 1859, selon l'auteur de cet écrit remarquable. Il établit qu'une fois cette concentration opérée, nous n'avons plus guère à compter sur d'autres que sur nous-mêmes pour nous venir en aide.

On nous laissera garder Anvers, mais nul ne prendra soin de venir immédiatement au secours d'un pays envahi et occupé, on choisira son temps et son heure.

La Hollande seule, que nous couvrirons encore, sera notre alliée fidèle et intéressée à défendre ce point isolé qui la protégera plus que nous.

Quelques lignes de cet ouvrage vous donneront une idée exacte de ce que j'avance ; j'y lis page X de l'introduction :

« Depuis quelques années plusieurs de ces forteresses ont été démolies (il s'agit ici des forteresses sur les frontières françaises) ou abandonnées comme établissement militaire. Le système de défense qui avait été alors proposé et mis à exécution est entièrement changé. Au lieu d'une ligne étendue de forteresses, demandant de fortes garnisons, il a été trouvé plus opportun pour la force militaire existante en Belgique de former à Anvers une grande place de guerre et en concentrant un corps considérable de troupes autour de cette ville, on croit résister d’une manière plus efficace aux forces envahissantes et préserver ainsi les archives du royaume.

« Ce système vient de recevoir son exécution, et des sommes considérables ont été dépensées pour les ouvrages d'Anvers. Les événements extraordinaires ont eu une grande influence sur la défense du Pays-Bas. En 1789, l'empereur Joseph II d'Autriche, détruisit plusieurs forteresses sur la frontière de France, elles furent rétablies après la guerre de 1815, et elles sont aujourd'hui encore au moment d'être abandonnées, pour un système qui confie presque entièrement la défense du pays à l'armée nationale... Sans avoir la prétention de donner mon opinion sur ce système adopté après de longues discussions à la Chambre belge, on peut cependant avoir quelque égard pour les opinions du duc de Wellington, telles qu'il les a exprimées dans un mémoire de 1814.

Il doit y avoir fort peu de doute, que si on avait demandé l'opinion de ce grand homme de guerre pour son plan de défense, il aurait été différent de celui-ci. Ces forces sur lesquelles il comptait sont maintenant supprimées ; la défense du pays d'après cela est tout à fait dévolue à l'armée nationale. Si nous avions la guerre, l'Angleterre ferait certes encore ce qui serait possible ; et la Hollande se croirait également obligée de venir en aide avec ses troupes, mais ces forces combinées ne seraient qu'une faible défense à opposer aux armées de France.

L'honorable ministre de la guerre, lors de la discussion des fortifications d'Anvers, nous a déclaré solennellement que dans sa pensée l'existence de la plus belle forteresse de l'Europe n'entraînerait nullement l'abandon préalable des autres provinces.

Il nous disait avec sa mâle éloquence qu'il défendrait le territoire pied à pied et qu'il ne se retirerait à l'extrémité du pays que quand le sort des batailles lui aurait été contraire.

Cette conviction, messieurs, je la respecte sans la partager ; je la crois loyale et sincère, mais quand j'entends d'un autre côté l'honorable ministre nous affirmer qu'il entreprendra cette tâche glorieuse sans augmenter notre armée, je ne la crois pas fondée et l'élévation du crédit que l'on nous demande pour l'artillerie en est une des preuves les plus positives.

Cette affirmation, produite encore pour obtenir plus facilement les fonds nécessaires pour les fortifications d'Anvers, est-elle d'accord avec les faits ? Nou, messieurs. Il me serait facile de vous démontrer qu'il nous serait impossible d'encadrer d'une manière convenable plus de 80,000 hommes. Cette armée serait évidemment insuffisante pour la tâche qu'on nous impose aujourd'hui.

C'est cependant sur cette base que les moyens défensifs de la Belgique ont été établis en principe dans la convention de 1831 par toutes les puissances qui lui ont garanti sa neutralité, et que cette défense nationale ainsi combinée a toujours été calculée comme la seule rationnelle et possible pour nous.

Dans les comités de défense de 1848 et 1851, il fut établi par suite de la discussion entre gens compétents qu'une armée de 50,000 hommes effectifs était nécessaire pour tenir utilement la campagne, en s'appuyant sur toutes les places conservées et qui elles nécessitent, pour leur bonne défense, des garnisons de plus de 40,000 hommes, alors que l'on laisse pour un instant Anvers tout à fait de côté.

Vous le voyez, messieurs, l'emploi pour l'armée active, telle qu'elle existe aujourd'hui, était tout trouvé.

Il s'agit d'examiner dès lors la nécessité de la défense de la place d'Anvers.

Il est de toute impossibilité d'admettre que la défense de notre grande place d'armes se recrute uniquement dans les troupes qui seront recueillies dans son enceinte après avoir été repoussées de tous les points qu'elles auraient tenté de défendre. Cette armée amoindrie matériellement, affaiblie moralement, doit trouver dans la place de refuge des éléments susceptibles de lui rendre l'énergie qu'elle peut avoir dépensée.

Vous devez admettre également que l'armée nationale en campagne soit dans l'impossibilité même de se réfugier dans ces immenses remparts et que les forces de l'envahisseur viennent aux abords de cette forteresse empêcher tout moyen de ravitaillement par nos propres forces.

Alors que vous aurez recueilli préalablement dans Anvers tout ce qui constitue la vitalité de la nation, les Chambres, le Roi, le palladium en un nul de toutes nos institutions, pouvez-vous laisser cette ville sans garnison suffisante pour la défendre pendant un certain temps, abstraction faite de tout espoir des secours immédiat ?

La facilité avec laquelle notre pays peut être envahi, les moyens relativement si considérables que pourront employer nos puissants (page 1042) voisins ne doivent pas permettre de repousser le bien-fondé de cette hypothèse. L'opinion de l’honorable ministre de la guerre de 1851 vient à l'appui de ce que j'avance.

L'honorable ministre, dans une communication faite au nom du département de la guerre de cette époque au comité de défense, démontrait parfaitement bien qu'il fallait que nous fussions préparés à nous défendre d'une manière énergique sur tous les points à la fois. Il s'exprimait ainsi dans sa dépêche du 25 mars : « Je ne doute pas qu'on ne trouve dans un tel moment beaucoup de ressources dans le patriotisme et l'énergie des populations. Cependant on ne peut se dissimuler qu'en cas d'attaque subite, et c'est là le cas que nous devons craindre le plus, il serait peu rationnel de compter sur d'autres ressources que celles dont on peut en temps de paix constituer la formation et entretenir les éléments permanents. »

Ainsi, d'aptes cet honorable ministre de la guerre dans sa dépêche, à laquelle adhérait le comité de défense de 1851, le cas d'attaque subit était admis comme le plus probable.

Ilest donc évident qu'il faut à Anvers une garnison assez considérable pour permettre à cette place de résister pendant un certain temps indépendamment de tout secours. Dans l'état des choses, cette fortification immense à la défense de laquelle suffirait à peine notre armée tout entière, n'exigera-t-elle pas au moins une force équivalente à la moitié de nos forces actives ?

Or, pour défendre, avec une armée en campagne, notre territoire et garder les autres points fortifiés du pays, il faudra y employer les 80,000 hommes dont nous avons aujourd'hui l'organisation permanente et nous n'avons rien de disponible par suite pour la garde éventuelle de la position d'Anvers.

La conclusion de cet exposé est facile à établir, puisqu'il nous manque 50,000 hommes et que nous ne pouvons pas appeler dans notre pays les soldais d'autrui avant que nous soyons attaqués, sans manquer à tous les principes, toujours admis, jamais contestés qui nous ont constitués en 1830, il faut évidemment que nous fassions chez nous des soldats pour défendre notre territoire, comme l'exige le système établi en 1859. Il faudra que nous doublions cet impôt du sang, déjà si lourd pour nos classes laborieuses.

Si, d'un autre côté, nous rappelons ces paroles si logiques et si sensées, qu'il n'est pas rationnel de compter sur d'autres forces que celles dont nous pouvons, en temps de paix, constituer et entretenir les éléments permanents, nous devons de toute nécessité arrivera majorer notre budget de la guerre de 15 à 20 millions annuellement, et doubler à peu près cet impôt du sang, qui pèse si lourdement sur les classes moyennes et pauvres de nos campagnes et de nos villes.

Et, nation déclarée la plus pacifique de tous les peuples d'Europe, nous aurons de tous relativement le plus gros budget militaire.

Ne nous fait-on pas entendre déjà que 15 millions pour renouveler notre matériel d'artillerie, c'est bien peu ; ne parle-t-on pas de transformer la cavalerie au lieu de la diminuer ! On dit même qu'il faut plutôt l'augmenter.

N'est-il pas certain qu'avant peu vous serez obligés de doubler pour le moins l'effectif de votre artillerie ?

Les 8,000 artilleurs que comportent au maximum actuellement les cadres de cette arme, sont évidemment insuffisants pour manœuvrer le nombre de pièces de toute espèce que nous aurons. En supposant 4,500 canons pour toute la Belgique, nous sommes encore au-dessous de la vérité, et, d'après les modifications toutes spéciales qu'entraîne le système prussien, aurons-nous assez d'hommes habiles en doublant le nombre de nos canonniers ? C'est là un point douteux.

Ce développement, messieurs, de nos forces militaires permanentes est-il bien rationnel, est-il proportionné avec nos ressources ? Je ne le pense pas ; mais encore le serait-il, il n'en faut pas moins nous en démontrer franchement la nécessité, et il ne faut pas que l'on vienne chaque fois argumenter de ce qui est fait pour nous arracher ce qui reste à faire.

Pour armer Anvers, il faut des canons, nous dit-on. Quand nous aurons des canons, il nous faudra des artilleurs et quand nous aurons beaucoup d'artilleurs, il nous faudra beaucoup de soldats pour les aider et les défendre. Pourquoi nier d'inévitables conséquences ? II vaudrait mieux, je le répète, les avouer franchement et les discuter.

Ne faisons pas de dépenses surabondantes et inutiles ; il nous reste tant à faire, même en dehors de toutes ces nombreuses et lourdes dépenses militaires que je vous ai signalées.

L'armement de l'infanterie est loin d'être au complet, quant à la réserve ; l'armement de la cavalerie est à refaire complètement et l'augmentation de la vie nous imposera bientôt une charge nouvelle et considérable pour majorer la solde de nos troupes.

Enfin, messieurs, une mesure urgente est à prendre, il faut songer sérieusement à armer d'une manière efficace la milice citoyenne.

Mettons dans les mains de la garde civique des fusils comme ceux de nos soldats et n'oublions jamais que dans un pays comme le nôtre le citoyen est le premier défenseur, le défenseur naturel de la nationalité et de la patrie.

Quoi que vous fassiez, nous ne serons jamais une puissance militaire ; quels que seraient nos glorieux efforts, nous ne saurons jamais entretenir les éléments d'une force permanente, en rapport avec celle de nos puissants voisins. Restons donc dans les limites de ce qui est sage, rationnel et possible.

Une armée proportionnée à notre population, en harmonie avec nos ressources, dont les services seront justement appréciés par tous, parce qu'ils ne seront trop à charge à personne, aidée du concours efficace des citoyens bien organisés, doit suffire à la défense de la Belgique.

Puissance neutre, protégée par des engagements solennels, forte de son bon droit, grande par son patriotisme, fière du développement successif de ses institutions libérales et progressistes, notre patrie ne trouvera pas dans des dépenses exagérées et ruineuses des éléments nouveaux de garantie et de sécurité.

Intimement convaincu de cette grande vérité, je repousse, sans appréhension aucune, le projet du gouvernement. Dans tout ce débat je n'ai été guidé que par la pensée énergique d'être utile à mon pays.

Je n'ai montré ni sympathies, ni antipathies internationales ; je ne reconnais pas d'ennemis à la Belgique qui ne provoque personne et qui se fait respecter de tous par une attitude ferme et loyale.

Si l'idée des frontières naturelles trouve parfois certains échos chez les hommes disposés aux méfiances, quant à moi elle ne m'inspire pas une crainte assez absolue, pour admettre bénévolement l'hypothèse humiliante d'un autre Luxembourg ou d'un nouveau Gibraltar.

Si le succès ne couronne pas nos efforts, il ne restera plus qu'un vœu à faire : c'est que l'avenir me donne tort et donne raison à mes honorables contradicteurs.

Que la destinée nous soit prospère, que ces armements hors de toute proportion ne soient pas pour notre chère Belgique, un paratonnerre sans fil conducteur, qui, après avoir attiré la foudre, sera impuissant à la protéger de ses coups.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.