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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 18 mars 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 941) (Présidence de M. E. Vandenpeereboom, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du 15 mars.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre :

« Les conseils communaux de Viane et de Melsen demandent des modifications à la loi du 18 février 1845, relative au domicile de secours. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Vananderoy, ancien volontaire de 1830, demande la décoration de l'Ordre de Léopold. »

- Même renvoi.


« Le sieur Delvaux, ancien receveur de l'octroi à Quaregnon, demande une pension ou un secours. »

- Même renvoi.


« Le sieur Delisé demande l'abolition des règlements relatifs au mariage des employés de la douane. »

- Même renvoi.


« Les administrateurs du polder Borgerweert et Zwyndrecht demandent une loi accordant une indemnité aux propriétaires dont les biens sont frappés de servitudes militaires, par suite de la construction du nouveau fort de la Tête de Flandre. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion concernant les pétitions relatives aux servitudes militaires.


« Le sieur Van Poucke présente des observations sur le rapport fait à l'Académie royale, au sujet de sa demande concernant le question du diapason. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur de Hansez de Pressenx demande que M. le ministre de l'intérieur applique au commissaire de l'arrondissement de Liège l'arrêté royal du 30 juin 1846, qui défend aux commissaires d'arrondissement, sous peine de destitution, de participer à l'administration ou à la direction de toute société ou établissement industriel. »

- Même renvoi.


« Par 22 messages, en date du 14 mars 1862, le Sénat informe la Chambre qu'il a pris en considération autant de demandes de naturalisation ordinaire. »

- Pris pour notification.


« Par 3 messages, en date du 14 mars 1862, le Sénat informe la Chambre qu'il a rejeté la demande de naturalisation ordinaire des sieurs Jean-Auguste Schnée, Henri Mennig et François-André Speyers. »

- Pris pour notification.


« Par message, en date du 14 mars 1862, le Sénat informe la Chambre qu'il a pris en considération la demande de grande naturalisation du sieur Guillaume Schweitzer, marchand tailleur, à Bruxelles. »

- Pris pour notification.


« Par 3 messages, en date du 15 mars 1862, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi :

« 1° Contenant le budget du ministère de l'intérieur pour l'exercice de 1862 ;

« 2° Qui approuve le traité d'amitié, de commerce et de navigation, conclu, le 4 juin 1862, entre la Belgique et le Maroc ;

« 3° Qui approuve le traité d'amitié, de commerce et de navigation conclu, le 20 juillet 1861, entre la Belgique et le Mexique. »

- Pris pour notification.


« M. de Ridder, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.

Rapports de pétitions

Pétitions relatives à l’établissement des servitudes militaires et à la responsabilité des faits de guerre

M. Pirmez. - Messieurs, il a été démontré d'une manière brillante dans votre dernière séance que la question que nous discutons ne peut pas être traitée isolément, qu'elle n'est qu'une des branches de ce grand problème de la détermination des droits de la société et des droits de l'individu sur la propriété privée.

Les orateurs qui, jusqu'à présent ont soutenu les pétitionnaires ont fait bon marché de l'étendue et de l'importance de ce débat ; ils ne se sont pas préoccupés du point de savoir si la mesure qu'ils réclament ne doit pas être appliquée aux servitudes douanières, aux servitudes des chemins de fer, aux servitudes des forêts, en un mot à toutes ces charges que l'intérêt social fait peser sur les immeubles ; ils ne se sont pas même inquiétés du point de savoir s'il n'y a pas dans le pays d'autres forteresses que celle d'Anvers, où existent des servitudes militaires qui donneraient lieu aux mêmes indemnités que celles qu'ils ont sous leurs murs ; ils ont pris la position commode de traiter une réclamation particulière, en la dégageant des liens qui l'enchaînent à d'autres questions.

Je dois cependant les suivre sur ce terrain et m'occuper spécialement de ce qui concerne Anvers.

Pour formuler la réclamation dont nous sommes saisis, comment s'y est-on pris ?

Voici l'impression que me fait la demande d'indemnité à l'Etat.

Il me semble voir les Anversois ouvrir le livre où se trouve le compte qu'ils ont fait avec le gouvernement. Ils ont regardé le doit du gouvernement, le passif de l'Etat, et ils ont constaté qu'ils y ont inscrit une somme fixée par eux-mêmes pour les servitudes qu'on leur impose.

Quand cet examen a été fait, ils se sont tenus pour édifiés, ils n'ont plus rien voulu entendre, ils ont formulé leurs réclamations, en les accompagnant des invectives que certains créanciers se croient obligés d'adresser à ceux de leurs débiteurs dont ils croient avoir à se plaindre.

Mais on le sait à Anvers mieux que partout ailleurs, on n'est créancier ou débiteur qu'après avoir balancé les deux parties d'un compte.

On n'eut pas dû oublier que vis-à-vis du doit se trouve l'avoir, que si l'Etat a un passif, il a aussi un actif, et si l'on eût consulté l'autre page du compte on y eût lu une somme considérable au crédit du gouvernement pour le dégrèvement de servitudes militaires.

Cet examen complet du compte ne change-t-il pas en débiteur le créancier qui réclame ? Il est impossible de le nier.

Si la création de nouvelles servitudes militaires doit donner lieu à une indemnité au profit des propriétaires grevés, il faut que le dégrèvement des mêmes servitudes donne lieu à la perception d'une somme quelconque par l'Etat qui renonce à son droit de servitude.

Cette conséquence est nécessaire ; et je vous demande, messieurs, la permission de vous le démontrer en droit (très brièvement), en comparant la législation qui nous régit et sous l'empire de laquelle il n'y a pas d'indemnité et le nouveau système légal qu'on voudrait introduire. Ne nous le dissimulons pas, il y a entre ces deux positions juridiques une différence profonde, fertile en conséquences. Il importe qu'elles soient bien constatées.

La propriété, d'après la définition que nous en donne la loi civile, est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue pour qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements.

Les lois et règlements qui interdisent certaines facultés inhérentes en général au droit de propriété, n'ont donc pas pour effet de séparer un des éléments du droit de propriété, de démembrer le domaine ; elles laissent le droit intact, mais seulement elle le resserrent, le compriment dans les limites que comporte la définition de ce droit.

La propriété demeure donc entière, bien que par une prohibition légale, à laquelle on donne souvent le nom de servitudes militaires, on vienne borner les actes de la volonté de celui à qui elle appartient ; et c'est pour cette raison que la jurisprudence décide que la disposition constitutionnelle qui veut que l'on ne puisse être privé de sa propriété sans indemnité, ne s'applique pas à la constitution des servitudes générales d'utilité publique.

C'est, au surplus, ce qui a toujours été admis.

J'ai entendu plusieurs fois, dans la discussion, les honorables députés d'Anvers nous demander qu'on mît la législation relative aux servitudes militaires en harmonie avec notre Constitution de 1831.

Mais ils oublient que si le principe de l'inviolabilité de la propriété se trouve inscrit dans notre Constitution, il est aussi inséré dans toutes les Constitutions précédentes.

La première des lois qui nous régissent, quant aux servitudes militaires, est celle de 1791.

(page 942) Eh bien, messieurs, cette loi a été faite précisément en même temps qu’un Constitution consacrant l'inviolabilité de la propriété dans des termes bien plus forts, bien plus étendus que ceux de notre Constitution de 1831.

Voici ce que porte la Constitution, de 1791 ;

La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.

Et plus loin nous lisons encore : « La Constitution garantit l'inviolabilité des propriétés, ou la juste et préalable indemnité de celles dont la nécessité publique légalement constatée exigerai le sacrifice.

La constitution de 1793 consacrait le même principe.

La loi fondamentale des Pays-Bas le répétait et cela précisément au moment où de nouvelles dispositions législatives étaient introduites quant aux servitudes militaires.

Voici les termes, bien plus larges aussi que ceux de notre Constitution, dont elle se servait :

« La paisible possession et jouissance de ses propriétés sont garanties à chaque habitant.

« Personne ne peut en être privé, que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière à établir par la loi, et moyennant une juste indemnité. »

Vous l'entendez, messieurs ; c'est même plus que le droit de domaine qui est garanti, c'est la paisible jouissance de la propriété.

Cependant la législation qui nous régissait alors comme aujourd'hui, quant aux servitudes militaires, a toujours été considérée comme en harmonie avec les principes de l'inviolabilité de la propriété privée.

C'est que les prohibitions réclamées par la défense des places ne constituent pas un démembrement du domaine comme les servitudes du droit privé, mais une simple limitation de la propriété.

Cette doctrine, messieurs, elle n'est pas de moi, c'est celle qui est admise généralement et qui a la sanction de la jurisprudence.,

Il s'agit aujourd'hui de lui en substituer une autre.

La prohibition de bâtir ou de creuser dans le rayon des places de guerre ne serait plus une simple limitation de la propriété, laissant celle-ci entière et ne faisant que la réglementer ; elle deviendrait une atteinte, un morcellement de la propriété même : l'Etat devrait être considéré comme s'appropriant un des éléments de ce droit, une fraction du domaine, et par suite de cette prise de possession l'Etat devrait indemniser le propriétaire partiellement exproprié.

Voilà le principe.

Il est aisé d'en tirer les conséquences :

Si vous considérez la création de la servitude militaire comme entamant la propriété, vous devez reconnaître que lorsque l'Etat est en possession de ces mêmes servitudes il possède en réalité une fraction de propriété ; qu'il a en définitive, un droit réel, ayant une valeur parfaitement définissable aussi.

Si vous admettez que pour conquérir ce démembrement du domaine, l'Etat doit payer une certaine somme, vous ne pouvez vous refuser à reconnaître que lorsque l'Etat, étant en possession de cette fraction du domaine, vient à la céder aux particuliers qui ont les autres parties du droit de propriété, il peut, s'il ne veut faire une donation, s'en faire donner le prix.

Il y a donc deux systèmes entre lesquels il faut choisir.

Dans le système actuel la propriété est limitée sans être démembrée ; l'Etat n'en possède rien, et s'il ne doit rien payer quand la prohibition est imposée, il ne peut rien réclamer quand elle est levée.

Dans le système qu'on nous propose aujourd'hui, l'Etat serait, considéré comme prenant une partie de la propriété ; il devrait payer pour acquérir la servitude, mais il ne devrait y renoncer que moyennant indemnité.

Si j'applique ce nouveau système que je rencontre dans la bouche des représentants d'Anvers, voici les conséquences auxquelles j'arrive.

Vous aurez à indemniser d'abord les propriétaires que les nouveaux travaux d'Anvers grèvent de servitude.

Vous reconnaissez que la même réparation est due aux propriétaires qui ont subi la servitude par suite de la construction des forts de 1848 et de 1852.

Vous ne niez pas qu'il ne faille agir de même quant aux servitudes de Diest ; la construction de la place remonte à une époque assez peu éloignée.

Il sera aussi impossible de refuser l'application aux forteresses élevées après 1845, époque à laquelle nous pouvons parfaitement trouver les propriétaires qui détenaient les biens frappés de servitude.

Je veux aller ici au-devant d'une objection. Je ne prétends pas que tous les dégrèvements doivent donner lieu à une indemnité ; je reconnais volontiers que l'on ne peut rien demander aux propriétaires qui sont déchargés de servitudes récemment établies, qui ont pris naissance dans ce siècle, par exemple. Ainsi, il serait parfaitement absurde de demander quoi que ce soit aux propriétaires d'Anvers qui ont été frappés de servitude, en 1852, et qui vont en être dégrevés. Si les prohibitions eussent été maintenues, ils eussent dû, dans le système où nous nous plaçons, recevoir une indemnité ; on enlève la servitude, on ne fait que les remettre dans leur position première.

Mais, il y a, à Anvers., d'autres servitudes, dont l'origine nous a été racontée dans une précédente séance, et qui remontent à trois siècles.

Pour celles-là il paraît que rien ne serait plus légitime (je parle toujours dans le système des honorables représentants d'Anvers) que d'en faire rendre le dégrèvement aux propriétaires par l'Etat, qui en est investi depuis une époque si reculée.

Il n'est pas, en effet, messieurs, en Belgique, de droit qui ait une consécration plus imposante que le droit de l'Etat sur les propriétés voisines d'Anvers. Ce droit n'a pas été imposé par l'autorité centrale, il est le fruit de l'abandon volontaire qu'en ont fait, dans leur propre intérêt, les habitants de la cité.

Ce droit a été maintenu sans interruption et a ainsi acquis une confirmation trois fois séculaire.

Un semblable droit ne défie-t-il pas en légitimité tous les droits de propriété existant dans le pays ? Il n'en est pas qui puisse s'asseoir sur une base plus respectable et qui soit consacré par une si longue période de temps.

Ainsi donc, il y a là une servitude existante que vous considérez vous, nos contradicteurs, comme un démembrement de la propriété, appartenant à l'Etat depuis trois siècles.

Quand nous le voudrions, trouverions-nous le moyen, pour ce droit de servitude, de donner une indemnité ? On ne viendra pas le prétendre : tous ceux qui possèdent aujourd'hui les biens grevés de ces servitudes les ont achetés lorsque déjà les servitudes existaient.

Ils n'ont acheté qu'une propriété incomplète, ils n'ont par conséquent payé non plus qu'un prix incomplet ; c'est-à-dire que le vendeur a souffert une perte, du chef des servitudes. Si donc il pouvait y avoir lieu à indemnité du chef de ces anciennes servitudes, il faudrait l'accorder non pas aux propriétaires actuels, mais à ceux qui possédaient ces biens du temps de Martin Van Rossum dont on nous a tant parlé. Evidemment, ce serait chose tout à fait impossible que de retrouver ces propriétaires.

Les détenteurs de ces biens que l'on dégrève aujourd'hui vont donc faire un pur bénéfice ; si on ne réclame rien d'eux, c'est un véritable cadeau que l'Etat leur fait d'un démembrement de la propriété (puisqu'on, le considère ainsi) qu'ils n'ont ni acquis, ni payé.

Vous savez tous, messieurs, de quelle importance est cette servitude grevant ces propriétés.

Je ne citerai qu'un fait que j'emprunte à une autorité non suspecte, à notre honorable président. Il nous a dit pendant la discussion de 1858 que le fait de la création de nouvelles servitudes à Anvers avait fait tomber à 9,000 francs une propriété qui avait été vendue 40,000 fr. En sorte que la dépréciation serait de plus des trois quarts.

Eh bien, si les servitudes créées a une assez grande distance de la ville, près des forts construits il y a une dizaine d'années, oui cette importance, quelle doit être celle des servitudes frappant les fonds qui se trouvent sous les anciennes fortifications d'Anvers et touchent la cité ?

Si l'Etat doit payer une indemnité pour les servitudes qui sont établies sur des fonds purement ruraux à plus d'une lieue d'Anvers, il doit lui, ce me semble, tirer quelque parti de ce démembrement de la propriété qu'il abandonne aux portes mêmes de la ville.

Remarquez, messieurs, combien est singulier ce qui se passe à Anvers. La ville tout entière semble s'émouvoir (je dis semble, car il y a quelque, chose de factice dans cette émotion). La ville d'Anvers, dis-je, semble s'émouvoir, parce que, à 5 ou 6 kilomètres dans les campagnes, on impose quelques prohibitions militaires, et elle oublie que sous ses murs on dégrève une quantité considérable de terrain où la servitude a une importance dix fois, cent fois peut-être, plus considérable !

Pour faire une comparaison, je dirai que si on dégrevait le quartier Léopold et la partie d'Ixelles qui touche au boulevard de servitudes que nous y supposons existantes pour les porter aux environs de Boitsfort ou de la Cambre ; on ferait un cadeau aux propriétaires du quartier Léopold et d'Ixelles bien plus important que la charge imposée aux terrains de Boitsfort et de la Cambre.

(page 943) - Un membre. - Les habitants de Boitsfoit réclameraient.

M. Pirmez. - Sans doute, mais on pourrait facilement indemniser les propriétaires de cette commune en demandant aux propriétaires dégrevés une partie insignifiante du magnifique avantage que nous leur ferions.

Pourquoi ne pas faire la même chose à Anvers, si on admet le système de mes honorables contradicteurs ? Il y a là évidemment un moyen facile d'indemniser M. Wood, dont on nous cite la position comme particulièrement digne d'intérêt, et les autres réclamants qui seraient réellement lésés, sans frapper d'une charge bien lourde ceux qui tirent avantage du changement des fortifications.

Une autre considération me semble militer, en cas d'adoption du système des honorables députés d'Anvers, pour qu'on admette la compensation.

Permettez-moi de faire une petite revue rétrospective de ce qui s'est passé à Anvers, des sommes dépensées par l'Etat et des sacrifices faits en faveur des propriétaires qui vont être dégrevés des servitudes existantes.

Le premier projet de fortification d'Anvers à ma connaissance est celui dont il a été question en 1856 ; ce projet était purement militaire, on n'y tenait pas compte des intérêts de la ville d'Anvers, on n'y avait égard qu'à ce qui devait accroître la défense nationale. Ce système consistait à se servir des petits forts construits à une certaine distance des remparts actuels et à les renforcer.

Il suffisait d'une somme de 5,440,000 francs pour donner à ces forts une puissance de résistance suffisante, pour faire d'Anvers une place forte de premier rang. Ce résultat était soumis à une condition toutefois, c'est qu'on maintiendrait libres les abords de l'ancienne enceinte qu'on y exécuterait la loi des servitudes militaires.

On pouvait donc assurer la défense nationale avec une somme de 5 millions de francs. Le système consistait, comme on voit, à avoir une ligne de forts respectables, et derrière l'ancienne enceinte dégagée dans ses abords.

La ville d'Anvers formula de vives réclamations contre ce système.

Les vœux d'Anvers tendaient alors à deux choses : obtenir l'agrandissement de la ville au nord et certaines garanties de sécurité pour la population suburbaine.

Le projet qui nous a été soumis en 1858 satisfaisait à ce double but ; il agrandissait la ville au nord et créait une ligne de citadelles en avant des fortifications de 1852.

Ce projet rendait moins nécessaire l'exécution rigoureuse des lois relatives aux servitudes militaires.

En effet, messieurs, l'enceinte ancienne n'avait plus la même importance, puisque au lieu d'être précédée d'une seule ligne de forts, elle était précédée d'une double ligne de citadelles.

Ce projet de 1858 devait entraîner une dépense de 20 millions de francs. II y avait donc déjà un sacrifice de 15 millions de francs en faveur de la ville d'Anvers, et spécialement en faveur de ces populations suburbaines de la ville. C'était déjà un sacrifice de 15 millions qu'on faisait en faveur d'Anvers, mais qui n'était pas nécessaire pour la défense nationale.

La Chambre se rappelle parfaitement ce qui est avenu de ce projet. Nous avons eu, à cette époque, à Anvers, les mêmes scènes regrettables qui ont été signalées dans ces jours derniers.

M. de Gottal. - C'est une erreur.

M. Pirmez. - Si vous le voulez, je vous montrerai, dans un discours de notre honorable président ou de l'honorable bourgmestre d'Anvers, l'expression des regrets que ces faits avaient fait naître dans son esprit.

Je regrette de ne pas l'avoir sous la main.

Les honorables députés d'Anvers, à cette époque, combattaient vivement la loi. Leurs efforts furent couronnés d'un plein succès. Il est étonnant que la ville d'Anvers ne se soit pas souvenue, dans ces derniers temps, de ce qu'elle leur doit de reconnaissance pour ces efforts dévoués qui firent écarter ce projet et avoir amené ainsi la présentation d'une autre loi, bien plus onéreuse pour l'Etat, mais bien autrement avantageuse à Anvers.

Quels étaient, messieurs, les arguments que l'on faisait valoir surtout pour combattre ce projet de 1858, ou de la petite enceinte, comme on l'appelait ? Mais c'est que ce projet ne garantissait pas suffisamment les populations suburbaines des terribles dangers de la guerre. C'est qu'en l'absence de remparts continus reliant les petits forts créés en 1852 permettait, à un moment donné, à l'ennemi d'arriver sous les anciens murs d'Anvers, et à l'armée d'y soutenir un siège dont les conséquences devaient être la ruine des habitations créées sous ces murs, c'est-à-dire, en grande partie au mépris de ces servitudes séculaires que des jugements réitérés étaient venus rappeler aux propriétaires.

Le projet fut donc rejeté.

L'année suivante, nous eûmes un nouveau projet, celui qui a été voté Oh ! cette fois, Anvers ne se plaignit plus. Elle avait atteint un but qu'elle n'avait pas même osé espérer, et ses cinq mandataires, qui avaient combattu comme un seul homme le projet de la petite enceinte, vinrent tous défendre, également comme un seul homme, le projet de la grande enceinte.

M. de Gottal. - Ils étaient quatre seulement.

M. Pirmez. - Soit ; c'est une erreur d'un cinquième. Messieurs, quelle était la différence entre ces deux projets ? La grande différence pour le pays, et il n'y en avait qu'une, c'est que l'exécution de l'un des projets, celui de la petite enceinte, ne devait coûter que 20 millions, et que l'autre, celui de la grande enceinte, forçait à une dépense de 45 millions.

Il y avait donc une différence de 25 millions, dépensés en faveur de qui ? En faveur de la défense nationale ? Nullement.

En 1858, on nous déclarait que les deux projets, au point de vue de la défense militaire, étaient exactement de même valeur, et cette déclaration que les deux projets étaient exactement de. la même valeur était invoquée par les honorables députés d'Anvers lorsqu'ils soutenaient en 1858 le projet de la grande enceinte.

Un nouveau sacrifice de 25 millions de francs a donc été fait par l'Etat uniquement en faveur de la ville d'Anvers et spécialement en faveur des propriétaires des terrains voisins de la ville qui vont être aujourd'hui dégrevés de la servitude militaire.

Eh bien, messieurs, je le demande, ce sacrifice de 40 millions ou de 25 millions si l'on ne veut pas tenir compte de projet de 1856, ce sacrifice en faveur d'une ville, n'est-il pas suffisant, et y a-t-il une autre cité dans le pays qui puisse se vanter d'avoir obtenu de la législature un pareil avantage ? Pour moi, il me paraît que la mesure est comble.

En 1858 et en 1859 lorsque la ville d'Anvers tout entière se levait pour nous demander l'adoption de la grande enceinte, on savait que les nouvelles fortifications entraîneraient des prohibitions militaires ; on n'ignorait pas que plus l'enceinte est grande, plus il y a de servitudes ; les servitudes étaient bien connues ; avons-nous entendu réclamer ? A-t-on, dans les devis présentés, compté les sommes nécessaires pour les servitudes et l'honorable M. Vervoort, qui signalait en 1858 l'avantage qu'il y avait pour les propriétaires frappés de servitudes, à en être dégrevés, nous signalait-il l'indemnité à payer par l'Etat pour le déplacement de son droit ?

Mais non, messieurs, personne alors n'avait celle pensée ; on connaissait la législation sur ce point et on l'admettait.

Si l'on veut aujourd'hui un nouveau système, je ne m'y oppose pus, mais qu'on l'applique dans toutes ses conséquences, qu'on établisse une légère contribution sur ceux pour qui l'on a dépensé tant de millions de francs, sacrifices que leur inobservation des lois a surtout imposé au pays.

Grâce à ces dépenses ils vont se trouver aujourd'hui en possession de. propriétés qu'ils n'ont payées que le tiers, le quart, le dixième peut-être de leur valeur.

- Un membre. - Faites contribuer toutes les villes démantelées, Charleroi notamment.

M. Pirmez. - Je crois que j'ai expliqué la position de la ville de Charleroi dans ce système.

Nous avons à Charleroi deux villes : la ville basse qui est démantelée et la ville haute qui demeure forteresse ; si vous admettez le principe de l'indemnité, je réclame pour la ville haute de Charleroi l'indemnité que l'on demande pour Anvers,

- Un membre. - Et Tournai ?

M. Pirmez. - Si Tournai se trouve dans le même cas, il faut agir envers Tournai comme pour Anvers et Charleroi ; justice pour tous.

Quant à la ville basse, elle eût eu droit à l'indemnité aussi, si ses remparts élevés vers 1817 avaient été conservés. En nous dégrevant on ne fait, comme pour les servitudes attachées aux forts de 1852 à Anvers, que rétablir ce qui existait il y a quarante ans.

Messieurs, est-ce la grande enceinte d'Anvers qui nous dégrève ?

Tout autre système de fortification ne nous eût-il pas dégagé de nos fortifications. Nous ne connaissons les millions dépensés dans l'intérêt d'Anvers, que pour les avoir payés. Ceux que, dans le cas d'indemnité, je voudrais voir imposer, sont cause de ces sacrifices, et ils en profitent.

Que l'on ne se méprenne pas sur ma pensée. En indiquant la compensation (page 944) qui peut s'effectuer, je ne fais que tirer les conséquences du système qui nous est présenté par nos honorables collègues d'Anvers ; je ne demande pas que l'Etat vienne faire un bénéfice ; il faut même qu'il n'en soit pas soupçonné.

Toutes les sommes à percevoir des propriétaires dégrevés devraient donc être employées à indemniser les détenteurs des fonds nouvellement asservis ; et pour qu'il n'y ait pas de doute sur cette affectation de fonds, on pourrait charger l'autorité qui se trouve immédiatement au-dessus de la ville d'Anvers et des communes voisines, de régler cette indemnité.

Que l'on confie au conseil provincial d'Anvers le soin de taxer les héritages dégrevés et de distribuer le produit de cette taxe aux propriétaires qui subissent une perte réelle. (Interruption.)

Je ne sais pas pourquoi cette idée fait rire les honorables députés d'Anvers ; mais il me semble que le conseil provincial est une autorité respectable... (Interruption.)

Si les honorables représentants d'Anvers veulent se charger eux-mêmes de cette répartition, je ne m'y opposerai pas.

Le résultat que j'indique peut, du reste, être atteint sans que nous avyns à faire une loi fiscale spéciale à une localité de la Belgique, ce qui ne serait peut-être pas constitutionnel.

Il y a des jugements au profit de M. le ministre de la guerre, relativement à presque toutes les constructions existantes, il suffirait que M. le ministre de la guerre fût autorisé à renoncer au bénéfice de ces jugements, moyennant une taxe très légère.

On arrivera ainsi à indemniser les propriétaires qui ont réellement à souffrir de l'établissement de nouvelles défenses, ceux-ci sont peu nombreux ; les servitudes naissantes frappent surtout des terres arables dont la dépréciation est nulle, et pour lesquelles, comme a paru le reconnaître M. Vervoort, il n'y a pas lieu à indemnité.

Messieurs, ce simple exposé me paraît rendre injustifiable la vivacité de ces plaintes qui partent d'Anvers.

Je ne conçois même pas comment, à un point de vue quelconque, Anvers peut avoir à se plaindre des travaux de fortifications.

On paraît toujours oublier que cette ville ne vient pas d'être convertie en place de guerre, qu'elle s'est développée dans des conditions que nous n'avons fait qu'améliorer.

On paraît oublier encore que si la possibilité d'un siège peut offrir des dangers, cette double ceinture qu'on a placée autour la garantira, dans presque tous les cas, des horreurs de la guerre.

Je ne parlerai pas des avantages qu'au point de vue de l'honneur cette position fait à Anvers. Un courant glacial s'y fait sentir ; cette cité serait aujourd'hui insensible peut-être aux considérations de gloire et de patriotisme.

Je suis convaincu que ce triste effet sera éphémère et qu'Anvers comprendra la grandeur du rôle qui lui est assigné ; elle appréciera, dans l'hypothèse d'une invasion, cet immense avantage de rester libre et gouvernée par ses concitoyens, quand nous aurons à subir les fonctionnaires étrangers nous apportant leur morgue, et se figurant nous donner la civilisation et peut-être la liberté.

Mais il est d'autres avantages qu'Anvers doit comprendre même à l'heure qu'il est : avant que cette ville soit une fois assiégée, nous aurons dix fois subi le passage des troupes ennemies. (Interruption.) Avant qu'une armée aille faire le siège d'Anvers, les belligérants auront souvent parcouru le pays wallon, et s'y seront rencontrés dans de sanglantes batailles.

Pendant que vous serez derrière vos murs, nous aurons à subir les incursions des ennemis, les impôts dont on charge l'étranger, les contributions de guerre, que sais-je ? nous serons un pays conquis, mais non soumis, j'espère, et nous serons traités comme tel...

S'il est une ville qui n'a pas le droit de se plaindre du système de défense nationale qui a été adopté, c'est la ville d'Anvers.

Toutes nos forces militaires sont destinées à protéger Anvers avant tout, et à livrer pour cette ville les plus suprêmes combats ; on serait tenté de croire que l'armée n'existe que pour sauver Anvers, et c'est Anvers qui se plaint !

(page 949) M. Jacquemyns. - Messieurs, j'ai saisi, il y a quelques jours, l'occasion d’entretenir M. le ministre de la guerre d’un fait qui vient de se passer à Gand, dans le rayon prétendument réservé autour de la citadelle.

Dans ce rayon, se trouvent les hôpitaux civils, l'hospice Van Caeneghem, une grande quantité d'établissements industriels, un nombre considérable d'habitations ; c'est un des quartiers les plus populeux de la ville de Gand.

Ces constructions, tant du côté de la ville que du côté du faubourg, commencent au pied même du glacis de la citadelle. Un seul point de ce glacis était demeuré libre.

Il y avait là un triangle dont la base s'appuie contre les glacis de la citadelle sur une largeur de 180 mètres environ.

Ce terrain seul, du côté de la ville et du faubourg, était resté libre au pied du glacis de la citadelle ; un particulier en fit l'acquisition et projeta la construction de 120 maisons d'ouvriers sur ce terrain.

Il n'avait pas besoin de demander l'autorisation à la ville, parce qu'il ne faisait pas de façade à la rue ; mais, se ravisant, il forma le projet de faire du côté de la rue une entrée un peu monumentale ; il soumit dès lors le plan de la façade à la rue à l'autorité communale, pour obtenir son approbation.

Le lendemain même du jour où la demande arriva au conseil communal, celui-ci la renvoya à M. le ministre de la guerre ; et, deux mois après, le pétitionnaire obtint, par l'intermédiaire du collège des bourgmestre et échevins, la réponse dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture ;

« Gand, le 15 janvier 1861.

« Ensuite de la dépêche ministérielle en date du 12 courant, n°13070, 4ème division, j'ai l'honneur de vous faire connaître que le département de la guerre ne peut autoriser le sieur d'Haenens, Charles, à élever les instructions qu'il a projetées dans le rayon réservé de la citadelle de Gand,

« Ci-joint les plans qui étaient annexés à votre lettre rappelée en marge de la présente,

« Le capitaine en premier commandant du génie,

« (Signé) Goffinet. »

M. le ministre de la guerre envoie une dépêche annonçant que ce progrès ne peut pas se réaliser ; et tout est dit.

Mais lorsqu'un homme a le projet de bâtir 120 maisons, il ne renonce pas à la partie pour quelques lignes qu'il reçoit ; et il advint un jour que le pétitionnaire se rappela qu'il y avait des juges à Gand ; il s'adressa d'abord à un avocat, dont l'avis a été pour moi un motif d'étudier sérieusement la question des servitudes intérieures.

La question est d'un si immense intérêt pour la ville de Gand, elle intéresse à un si haut degré l'un des quartiers les plus populeux de la ville, que je serais extrêmement étonné si, parmi les nombreux co-ïntéressés, il n'y en avait pas un certain nombre qui viendraient offrir à M. d'Haenens de payer une part des frais du procès qui doit être intente à ce sujet.

Dans l'une de nos dernières séances, j'ai cru, M. le ministre de la guerre ayant dit qu'il s'était commis une erreur à Tournai, qu'il s'était commis de la même manière une erreur à Gand et j'ai eu l'honneur d'interpeller, à cet égard, M. le ministre de la guerre qui, dans une séance subséquente, m'a répondu que ces constructions ne pouvaient se faire par la raison qu'on demandait à les établir en regard de l'un des bastions de la citadelle.

Je dois l'avouer, je fus d'abord satisfait de cette explication. Elle réussit presque à me convaincre.

Je conçois qu'il peut y avoir quelque danger à construire à proximité des bastions d'une forteresse. Mais à l'examen du plan de la ville, ma conviction changea complètement.

Si l'on ne peut construire sans danger pour la sécurité nationale en regard de l'une des faces d'un bastion, je me demande pourquoi l'Etat lui-même a construit une caserne tout près de l'autre face du même bastion et bien plus près que la construction que l'on demandait à établir près de la première de ces faces.

En effet, la caserne n°1 a été construite par l'Etat lui-même tout près de la face nord du bastion, tandis que les propriétaires demandaient à établir des constructions en regard de la face sud.

Mais il y a plus, messieurs. Est-il bien vrai, est-il bien certain que tout autour de nos forteresse, de nos citadelles, du côté des villes, il faille réserver un espace libre de 585 mètres, où l'on ne peut élever de constructions sans l'autorisation du ministre de la guerre et sans être astreint à démolir lorsque réquisition en sera faite ?

Depuis nombre d'années les constructions se sont multipliées à proximité de la citadelle de Gand, et je doute très fort qu'elles nuisent un jour à la défense. Voici sur quoi mes doutes se fondent : c'est que l'Etat lui-même, il y a une dizaine d'années, a bâti dans le rayon réservé une boulangerie militaire, un magasin de vivres et un magasin d'habillement.

Si réellement la citadelle de Gand a besoin pour sa sécurité d'un rayon de 585 mètres, dans le cas où elle serait assiégé, s'il faut renverser les constructions existantes dans ce rayon, il faudra, dans le cas de siège, détruire immédiatement la boulangerie militaire et le magasin de vivres ; en d'autres termes, affamer la garnison pour la mettre en état de se défendre.

Voilà, messieurs, pour la nécessité. Mais sur quel texte de loi l'honorable ministre de la guerre se fonde-t-il pour soutenir que les servitudes intérieures existent et s'étendent jusqu'à un rayon de 585 mètres ?

Il se fonde sur le texte de la loi de 1791 et notamment sur l'article 30 de cette loi.

Voici cet article :

« Il ne sera à l'avenir bâti ni reconstruit aucune maison, ni clôture de maçonnerie autour des places de première et de seconde classe, même dans leurs avenues et leurs faubourgs. »

Remarquez, messieurs, que la loi ne parle pas du tout de l'intérieur des villes.

« Il ne sera bâti auprès des places fortes de première et de seconde classe, même dans leurs avenues et leurs faubourgs, plus près qu'à 250 toises des parapets des chemins couverts les plus avancés. »

Remarquez que ce texte de loi ne dit pas du tout qu'on ne pourra pas bâtir sans autorisation du ministre de la guerre. Il impose la défense formelle de bâtir, et tout ce que le ministre de la guerre peut autoriser, c'est d'établir des construction déterminées, à rez-de-chaussée seulement.

Le ministre de la guerre ne peut pas plus autoriser dans ce rayon réservé d'autres constructions, que le ministre des finances ne peut se refuser à faire rentrer les impôts.

M. le ministre se fonde également sur l’arrêté-loi de 1815.

Et cet arrêté est basé sur la loi de 1791 qu'il prend en quelque sorte pour point de départ. Mais ici, messieurs, j'ai peut-être quelque avantage sur M. le ministre de la guerre, pour l'interprétation de cette loi, parce que le texte officiel, qui est en hollandais, a été assez mal rendu en français.

Le texte français dit :

« Il est défendu à toute personne de construire ou de reconstruire des maisons ou murailles, de former des élévations, de faire des caves, creuser des puits ou d’autres excavations à une distance de moins de 100 toises ou 1,800 pieds de l’extrémité des glacis les plus avancés des places fortifiées existant en Belgique. »

Le texte hollandais dit : « De buitenste glacïen der fortificatie. »

C'est-à-dire qu'on ne pourra bâtir qu'à une distance de 1,800 pieds des glacis les plus extérieurs. Ce ne sont pas les glacis les plus éloignés, ce sont les plus extérieurs.

Maintenant se présente la question : Où est l'intérieur ?

Tout est là.

Mais l'article 3 ajoute que le ministre de la guerre ne pourra en aucun cas autoriser dans le rayon réservé autre chose que des constructions en bois destinées à la culture.

Or, je vous le demande, messieurs, est-il en Belgique des jugés à qui l'on puisse faire admettre que l'arrêté-loi de 1815 interdise de construire dans les quartiers les plus populeux de nos villes autre chose que des bâtiments en bois pour aider à la culture de nos places publiques et de nos rues ?

Messieurs, de deux choses l'une : ou le département de la guerre n'a pas le droit d'interdire les constructions dans le rayon prétendument réservé du côté des villes, ou bien il n'a pas le droit de permettre autre chose que la construction de bâtiments eu bois.

La loi est formelle : elle ne donne pas un droit de tolérance au ministre de la guerre. Elle lui impose des devoirs absolus.

Evidemment, messieurs, si les servitudes intérieures sont légales, si elles sont nécessitées par les besoins de la défense, le département de la guerre s'est rendu doublement coupable ; il s'est rendu coupable d'une imprévoyance, d'une incurie extrême, en bâtissant dans ce rayon même la boulangerie militaire, les casernes et les autres bâtiments militaires ; il (page 950) s’agit, en même temps, rendu coupable d'intolérance condamnable en permettant aux particuliers de faire des constructions extrêmement coûteuses, constructions dont la défense nationale réclamera quelque jour la démolition.

Et peut-on soutenir que, dans le cas d'une place forte avec citadelle, la citadelle, à elle seule, soit une place forte, et la ville une autre place forte ? Il est clair que la citadelle est un établissement militaire, une dépendance de la place avec le reste des fortifications, un ensemble qui constitue ce qu'on appelle la place forte. On ne peut évidemment admettre que la citadelle, d'une part, la ville, d'autre part, forment chacune une place forte, ayant chacune son intérieur et qu'il faille partir tantôt de l'intérieur de la citadelle, tantôt de l'intérieur de la ville pour déterminer quel est le glacis le plus extérieur.

Soutiendra-t-on que lorsqu'une ville a des remparts et d'une citadelle formant ensemble la place forte, la citadelle devient à elle seule place forte après la démolition des remparts de la ville ?

Mais, messieurs, dans ce cas je supplierais le gouvernement de ne plus démolir aucune fortification, car du moment qu'on démolirait les remparts de la ville, on condamnerait une très notable partie de la cité à une immanquable destruction, par le fait même de la démolition des remparts.

M. B. Dumortier. - C'est cela !

M. Jacquemyns. - Le procès de Gand peut durer deux ou trois ans, peut-être plus.

Mais enfin, peut-on s'attendre à ce que le juge, pour un véritable jeu de mots, sur une simple définition, sur la question de savoir où se trouvent l'intérieur et l'extérieur, quel est le glacis le plus extérieur d'une forteresse, le juge, dis-je, puisse condamner à une ruine certaine (car elle serait imposée par la loi même à M. le ministre de la guerre) des constructions qui à Gand, à Anvers, à Tournai, à Charleroi, à Dinant, à Namur et à Huy, s'élèvent à une valeur totale de plusieurs centaines de millions.

S'il en était ainsi, le juge devrait condamner, en même temps, la conduite de tous les ministres de la guerre, sous les deux ou trois gouvernements qui se sont succédé en Belgique.

Il s'agit ici d'une simple définition : c'est là le fil auquel se trouvent suspendues la tranquillité et la fortune de plusieurs milliers de familles. Je me demande si ce ne serait pas douter du bon sens des conseillers en cour de cassation que de croire qu'ils viendraient à le couper.

Et pourtant, le département de la guerre y compte ; il compte que l'arrêt sera favorable à son opinion en ce sens qu'il lui imposera l'obligation d'empêcher les constructions. Mais si je pouvais obtenir de la part de M. le ministre de la guerre un moment de doute, je prendrais la liberté d'appeler son attention sur les conséquences de ce jugement. Ainsi, à Anvers, les terrains situés entre les nouveaux bassins et le fort du Nord sont actuellement grevés de servitudes militaires à cause de l'ancienne enceinte. Or, il est à prévoir que le jugement, dans l'affaire de Gand, tardera assez longtemps pour que les anciennes fortifications soient démolies avant que le jugement soit prononcé en dernier ressort. Par conséquent, ces terrains, aujourd'hui grevés de servitudes, à raison des fortifications existantes, seront dégrevés de ce chef. Ils ne pourront plus, dans ce cas, se trouver grevés que de servitudes intérieures. Et si l'arrêt de la cour de cassation statue que ces servitudes intérieures n'existent pas, ces terrains acquerront une valeur considérable.

On se trompe, messieurs, si l'on pense qu'on ne bâtira pas sur ces terrains : on bâtit à Rotterdam, à Amsterdam, dans des terrains tout aussi marécageux, tout aussi humides que les terrains situés dans le voisinage de la citadelle du Nord ; et la cour d'appel de Gand, par un arrêt encore récent, vient d'allouer aux propriétaires des indemnités à raison de 500,000 fr. l'hectare pour des terrains qui n'ont pas une valeur aussi considérable que celle qu'acquerront les terrains dont je parle.

Dans ces circonstances, en présence de l'arrêt de la cour de cassation, en présence de la démolition des anciennes fortifications, le département de la guerre sera obligé de payer, pour obtenir une simple esplanade, peut-être une somme plus forte que celle que le gouvernement aurait à payer aujourd'hui pour faire cesser toutes les difficultés qui occupent la Chambre et le pays depuis plusieurs mois.

Quelques mots, messieurs, sur les servitudes extérieures. Je ne parlerai que des servitudes extérieures les plus récentes. L'honorable M. de Boe a parfaitement démontré qu'il serait impossible de s'occuper dans cette discussion des servitudes anciennement établies.

Je ne parlerai pas non plus des prétendues pertes que l'interdiction de bâtir aurait imposées à quelques propriétaires de terrains. On peut se dire : Peut-être n'auraient-ils pas bâti ! On peut se demander encore si peut-être, pour beaucoup d'entre eux, l'agrandissement de l'enceinte ne comprendra pas la perte que leur impose l'interdiction de bâtir. Mais en est-il de même des propriétaires des bâtiments existants ?

Un exemple m'a frappé : c'est celui de M. Wood.

M. le ministre de la guerre a beaucoup étudié, il s'est donné beaucoup de mal pour trouver un tracé pour les fortifications qui permît d'éviter la fabrique de M. Wood. Il a peut-être rendu, par ces études, un service au trésor public ; mais à coup sûr, il a rendu un très mauvais service à M. Wood.

Si la fabrique de M. Wood s'était trouvée dans le tracé des fortifications, cet industriel aurait été exproprié et payé, tandis qu'aujourd'hui la chose devient extrêmement douteuse.

A la vérité, M. le ministre de la guerre, continuant ses études, a trouvé moyen d'établir une ressemblance entre un établissement de blanchiment, de teinture et d'apprêt et un moulin.

Je crains bien qu'un de ses successeurs n'aperçoive la différence, car elle me semble assez tranchée, pour qu'on ne puisse pas longtemps confondre ces choses.

Je voudrais vous parler de M. Wood, de cet industriel type d'honorabilité, des industries qu'il a introduites et perfectionnées dans le pays, de la situation longtemps privilégiée de son usine, mais après ce qu'on a déjà dit, je craindrais d'abuser de votre indulgence à m'écouter.

Qu'il me soit seulement permis de vous rappeler que la ville d'Anvers a regretté d'avoir reculé devant l'acquisition d'un puissant engin que cet industriel s'était procuré à ses propres frais pour se mettre à l'abri du désastre d'un incendie, quand il fut atteint par un désastre bien plus grand, par les servitudes militaires, qui viennent clore pour lui la carrière industrielle.

On n'est pas industriel à demi, il faut suivre le progrès et chaque progrès exige de nouvelles constructions.

Dans le rayon d'une forteresse on démolit, mais on n'édifie point. Il n'y a pas de fabrique possible dans le rayon d'une forteresse, quand la loi est exécutée. Entre M. Wood, d'une part et les propriétaires qui avaient quelque projet de bâtir d'autre part, il y a les propriétaires de maisons d'habitation, de maisons de campagne que nous verrons successivement disparaître.

M. Royer de Behr estime qu'ils n'ont droit à aucune indemnité, parce que l'intérêt public doit passer avant l'intérêt privé. Si l'honorable membre s'était maintenu à la hauteur où il se place d'ordinaire pour juger les choses, il se serait aperçu que si l'Etat a quelque intérêt à ne pas payer d'indemnités, d'appointements même, il a un intérêt bien plus sérieux à se montrer équitable, à rémunérer les services rendus.

Si le pays était envahi, si l'impôt ne rentrait plus dans le trésor public épuisé, si les cloches d'Anvers appelaient les citoyens au secours d'une armée qu'on ne saurait plus payer, alors je comprendrais qu'on parlât d'intérêt public et qu'on accueillît avec indignation des demandes d'indemnité ; mais en temps de paix, quand on tient â rémunérer équitablement tous les services, avons-nous le droit de détruire la fortune privée de quelques-uns sans indemnité, par le seul motif que nous avons intérêt à ne pas les indemniser de sacrifices qui, il faut l'espérer, demeureront toujours inutiles.

Messieurs, l'honorable M. Pirmez veut que le propriétaire dégrevé des servitudes militaire paye une contribution au profit de ceux qui sont frappés de nouvelles servitudes. Cela me paraîtrait parfaitement équitable, je l'admettrais avec l'honorable représentant de Charleroi ; mais nous serions en présence d'immenses difficultés devant lesquelles on reculerait comme on l'a fait dans des circonstances semblables.

Ainsi il serait parfaitement équitable, quand l'Etat creuse un canal, établit une route, un chemin de fer, que les propriétaires voisins contribuassent à la dépense dans la mesure dans laquelle ils sont appelés à en tirer profit. Ce principe avait été admis à une certaine époque pour le canal de la Campine ; vous vous rappelez qu'il avait été admis que les propriétaires riverains du canal de la Campine auraient à contribuer pour une part à la construction de ce canal.

Ce principe équitable a été une seule fois appliqué, et on a dû reculer devant l'exécution pratique. Je crains que la même chose n'arrive si on veut lever une contribution sur les propriétés dégrevées, afin d'indemniser celles qui viennent d'être grevées, si juste que soit ce principe.

Il est bien rare que l'Etat recoure à des contributions forcées à charge des propriétaires qui profitent de quelque avantage procuré par lui. Ainsi un particulier possède un bloc de 25 hectares : on y fait passer un canal, une route qui vont augmenter, dans une proportion notable, la valeur de l’immeuble ; il serait bien équitable qu'il cédât au moins (page 951) gratuitement de l'Etat, en compensation de ses sacrifices, le terrain nécessaire pour le canal, la route ou la station de chemin de fer.

L'Etat pourrait au besoin lui laisser la propriété, et n'établir qu'une servitude comme pour les propriétés voisines d'Anvers ; et ici du moins le restant de l'immeuble profiterait dans une si large mesure que l'ensemble vaudrait beaucoup plus qu'auparavant. Cependant, dans ce cas, l'Etat paye largement le terrain dont il a besoin.

Pour justifier les servitudes militaires, on a cité d'autres exemples de servitudes. Ainsi la servitude établie le long des routes a servi d'excuse à des servitudes que l'on établit le long des canaux, et pourtant quant à ces servitudes le long des canaux et rivières, l'administration ne les fait pas valoir lorsqu'elle se trouve en présence d'intérêts sérieux. Ainsi, notamment dans la traverse de la ville de Gand, il y a une foule de constructions qui continuent d'exister sur des terrains frappés de servitude à raison de la proximité des fleuves ou des rivières, et l'administration ne fait pas valoir ces servitudes.

Les servitudes le long des canaux servent d'excuse aux servitudes le long des chemins de fer, et enfin les servitudes le long des chemins de fer, ont servi de prétexte et d'excuse à quelques orateurs, pour justifier les servitudes militaires.

On arrive ainsi par gradation, d'une servitude dont la généralité des propriétaires tiennent à avoir une partie de leurs immeubles grevée, d'une servitude qui frappe toutes les propriétés limitrophes d'une partie quelconque de plusieurs centaines de lieues de route dans l'étendue du pays, à exécuter les servitudes militaires ; c'est-à-dire que tout en admettant qu'il y a abus des principes, on se familiarise avec les abus pour en tolérer de beaucoup plus graves.

On m'objectera que si une indemnité était allouée à raison de toutes les servitudes, les servitudes militaires, les servitudes pour les routes, pour les chemins de fer, pour les canaux, on ruinerait le trésor public. Je l'admets, mais en même temps, je réponds que cette indemnité contribuerait dans une large mesure à la richesse nationale.

La propriété donne le droit de jouir d'une chose dans les limites déterminées par les lois. Mais plus vous élargirez ces limites, plus vous augmenterez la valeur de la propriété en général. Ce n'est pas seulement dans un intérêt de civilisation, mais dans un intérêt financier, dans un intérêt mercantile, si vous le voulez, et dans l'intérêt du trésor, qu'il convient de respecter et d'étendre les droits de propriété.

Non seulement les servitudes établies le long des canaux, le long des routes, le long des chemins de fer, limitent l'augmentation de valeur que créent ces voies de communication, mais elles déprécient dans une certaine mesure la valeur de toutes les propriétés. Lorsqu'on aura écarté avec éclat le principe de l'indemnité à raison des fortifications militaires, je crains que bien des propriétaires ne cherchent à se reconnaître dans ce dédale des servitudes, qu'ils ne cherchent à peser celles qui existent celles qu'on pourrait éventuellement établir et que la valeur de bien des propriétés ne se ressente des chances de trouble auxquelles leur possession pourrait se trouver un jour exposée.

Si l'on pouvait réduire, par un moyen quelconque, les servitudes militaires autour d'Anvers, à des charges équivalentes à celles des autres servitudes, je m'en préoccuperais peu. Mais les servitudes militaires près d'Anvers présentent un triple caractère qui les sépare complètement des autres servitudes.

Le premier, c'est la sévérité avec laquelle elles seront nécessairement observées. Il est évident que les fortifications d'Anvers, de ce dernier boulevard de notre nationalité, ne seront en mesure de défense complète que lorsque toutes les constructions qui existent dans le rayon réservé, auront disparu. Il ne faut pas juger des servitudes militaires à Anvers par celles déjà bien sévères qui existent près des autres places fortes. Si la citadelle de Gand n'existait pas, je suis persuadé qu'on ne la construirait plus.

Entre nos mains elle serait de fort peu d'utilité ; entre les mains de l'ennemi, elle nous donnerait de graves inquiétudes.

Mais il n'en est pas de même des fortifications d'Anvers.

Nous les construisons en ce moment même comme notre dernier refuge, et si quelque jour elles tombent avec notre nationalité, la manière dont nous les aurons défendues fera juger de notre passé et dictera l'avenir.

Le second caractère gît dans les formes avec lesquelles on en réclamera les privilèges en faveur de l'Etat. Les visites des lieux seront faites ; es ordres seront signifiés par des militaires plus ou moins subalternes, que nulle considération ne doit arrêter et qui auront toujours la conviction que le désir des chefs est nécessairement d'arriver à la destruction des bâtiments.

Le troisième, c'est leur caractère tout local. Nous sommes opposés aux lois exceptionnelles ; nous n'en voulons pas ; et cependant, dans notre système de concentration, la loi sur les servitudes militaires devient l'une de nos lois les plus exceptionnelles, et il est à espérer qu'elle finira par ne trouver son application qu'aux seuls environs d'Anvers.

Je conclus.

Jusqu'à ce que des preuves nouvelles soient apportées, je n'admets pas la légalité des servitudes intérieures, et j'engage instamment M. le ministre des finances et M. le ministre de la guerre à examiner la question, sans idée préconçue. Car elle peut devenir grave dans l'intérêt de la défense nationale et de nos finances.

Quant aux servitudes extérieures, sans entrer dans les détails de la quotité, du mode de répartition de l'indemnité, je ne saurais admettre le principe de la gratuité absolue, parce qu'il ne me paraît ni équitable, ni conforme à l'esprit de notre époque, ni favorable aux intérêts de l'Etat.

(page 944 M. Loos. - Personne plus que moi ne regrette les scènes qui se sont passées à Anvers, et je n'ai pas attendu qu'elles fussent blâmées dans cette enceinte et au Sénat, pour faire connaître publiquement mon sentiment à leur égard.

Mais si je ne suis nullement disposé à les excuser, je ne dois pas permettre non plus qu'on les exagère pour les rendre odieuses. On a prétendu que des paroles irrévérencieuses à l'égard du Roi, qui ont été prononcées dans un meeting, auraient trouvé de l'écho dans la foule. C’est complètement inexact, et c'est contre cette allégation que je sens le besoin de protester.

La population d'Anvers n'a, dans aucune circonstance, donné à personne le droit de douter de son patriotisme, de son attachement sincère et profond à la dynastie. Elle en a donné des preuves trop nombreuses et trop évidentes dans toutes les situations que le pays a traversées, et je prie la Chambre d'être bien convaincue que si, sous ce rapport, je pouvais un seul instant douter des sentiments de mes concitoyens, je ne consentirais pas à garder un jour de plus le mandat qu'ils m'ont confié !

Mais vous-mêmes, messieurs, vous ne mettez point en doute les sentiments patriotiques de la population anversoise et j'ajoute que si vous pouviez en douter pour l'avenir, ce serait un grand malheur.

En effet, croyez-vous que si au jour du danger, alors que l'armée aurait à défendre à Anvers la nationalité belge, croyez-vous que si dans ce moment suprême la population de cette grande cité se montrait hostile au sentiment national, la défense de la place n'en serait pas grandement affectée ?

Mais rassurez-vous, messieurs, rien de semblable n'est à redouter ; je le répète, la population d'Anvers est profondément dévouée au Roi, et je le dis avec une entière confiance, elle saura au jour du danger se montrer digne du pays, à la hauteur de la périlleuse mission qui peut lui être réservée.

Messieurs, je ne vous aurais plus parlé des meetings tenus à Anvers, si dans une autre enceinte on n'avait engagé le gouvernement à ne faire aucune concession, à n'avoir aucun égard aux réclamations d'Anvers, à cause du langage tenu dans ces meetings.

Ce n'est pas, je crois, la première fois qu'il se tient des meetings en Belgique, et l'on sait parfaitement que ces réunions populaires ne sont pas des parlements réglementés, et qu'il y aurait grande injustice de rendre une population entière solidaire des paroles peu mesurées, des paroles coupables même, qui peuvent y être prononcées.

Dans d'autres pays nos aînés dans la pratique des libertés publiques, nous voyons tenir des meetings plus orageux que ceux d'Anvers, sans que jamais on y ait vu un danger pour les institutions. On y fait la part des passions politiques et de l'exaltation populaire, et si ces manifestations ont pour but le redressement d'un grief sérieux et réel, on n'y tient pas compte, pour y faire droit, de la forme sous laquelle ils ont été exposés.

J'espère qu'il en sera de même chez nous en cette circonstance et que les Chambres et le gouvernement feront droit aux justes réclamations d'Anvers.

Au surplus, qu'est-ce qui a fait naître la grande émotion qui règne à Anvers ? Est-ce la question des indemnités pour les servitudes militaires ? En aucune façon, c'est uniquement la prétention exorbitante de l'établissement des servitudes intérieures, rayonnant jusqu'aux établissements du commerce, nouvellement crées avec l'autorisation du gouvernement. J'ai la conviction que si cette prétention, déjà si considérablement atténuée aujourd'hui, ne s'était pas produite, la population ne serait pas sortie des bornes de la modération.

Lorsque la grande enceinte a été votée on n'ignorait pas qu'elle se terminerait au nord par une citadelle, mais cette citadelle paraissait plus éloignée des établissements maritimes et elle devait l'être, en effet, d'après un plan qui avait été remis à l'administration communale, dé la part du département de la guerre, et qui se trouve être aujourd'hui un plan erroné.

Dans tous les cas la citadelle du Nord n'avait jamais été envisagée comme devant pouvoir diriger ses feux vers la ville et avoir besoin, à cet effet, des servitudes intérieures.

Je crois pouvoir affirmer que si la citadelle eût été établie comme on supposait qu'elle devait l'être, et comme on nous fait espérer aujourd'hui qu’elle le sera, c'est-à-dire sans servitudes intérieures, précédée seulement d'un esplanade, domaine de l'Etat, sans batteries casematées et sans autres ouvrages dangereux du côté de la ville, aucune réclamation ne se serait produite ou du moins elle n'aurait jamais provoqué la grande agitation qu'on déplore.

En voulez-vous la preuve, messieurs ? C'est que la citadelle du Nord est en construction depuis deux ans au vu et au su de la population et jamais une voix ne s'était élevée pour protester contre ces travaux. Ce n'est que lorsque l'administration communale a dû faire connaître une dépêche du département de la guerre en date du 5 décembre 1861, que les yeux se sont ouverts sur les dangers dont la ville était menacée par la citadelle.

Voici les termes de cette dépêche qui établit d'abord le droit du gouvernement aux servitudes intérieures :

(page 953) « Comme les lois précitées sont applicables à toute place forte et à tout poste de guerre, par conséquent aussi aux citadelles, le gouvernement ne peut pas admettre qu'il soit laissé autour de la nouvelle citadelle du Nord à Anvers, du côté de la ville, une simple esplanade semblable à celle qui existe aujourd'hui près de l'ancienne citadelle du Sud, attendu que la loi ne fait aucune distinction entre l'étendue delà zone des servitudes militaires des citadelles vers l'extérieur des villes, et l'étendue de cette zone vers la campagne.

« La zone des servitudes militaires de la citadelle du Nord, doit donc être déterminée conformément à l’arrêté-loi du 4 février 1815 et avoir, par conséquent, partout une profondeur de 585 mètres, à partir de l'extrémité du glacis le plus, avancé des ouvrages. »

(page 945) Avant de faire connaître le contenu de cette dépêche au conseil communal, j'ai prévenu l'honorable chef du département de la guerre, de l'effet désastreux qu'elle devait produire, de l'inquiétude légitime qu'il allait faire naître dans tous les esprits, et je l'ai supplié de borner ses prétentions, quant à la citadelle du Nord, aux conditions qui régissent les citadelles en général.

Toutes mes démarches étant restée 'sans succès, j'ai dû produire la menaçante dépêche et la terreur s'est emparée des esprits Le conseil communal s'en est d'abord occupé, et délibérant librement et sans pression du dehors, a arrêté les termes d'une réclamation adressée au département de l'intérieur.

Cette réclamation, distribuée aux membres de la Chambre, établit d'abord que le département de lâ guerre n'est pas fondé, aux termes des lois existantes, à établir à l'intérieur de la ville une zone de servitudes.

Elle conclut à demander la suppression de toute servitude intérieure, pour n'admettre qu'une esplanade, devant dans tous les cas se borner au Vorsche-Schyn, soit à 250 mètres environ du glacis.

Cette réclamation si modérée, si légitime, si respectueuse, n'eut pas plus de succès que toutes mes démarches antérieures. Elle resta même sans réponse.

Et l'on s'étonne après cela que la population s'émeuve et que dans son inquiétude elle se laisse aller à des démonstrations peu mesurées !

Mais qu'on essaye donc d'appliquer aux citadelles de Gand, de Tournai et d'autres villes le système qu'on prétendait mettre à exécution à Anvers, et on verra si les clameurs de ces localités resteront au-dessous de celles d'Anvers.

On me dira qu'à Anvers les terrains sur lesquels la servitude devait s'établir ne sont point bâtis ; cela est vrai, mais est-il moins vrai que la population, voyant la plaine immense qu'on entendait conserver devant la citadelle et qui s'étendait jusque contre les bassins du commerce, ne devait pas s'imaginer qu'on entendait défendre la citadelle du côté de la ville avec non moins de vigueur et d'énergie que du côté du dehors, et alors n'était-il pas évident qu'on devait entrevoir la ruine des établissements maritimes et peut-être de toute la ville ?

C'est sous cette fatale impression que la chambre de commerce a fait entendre ses réclamations et que, vendredi dernier, le conseil communal lui-même, malgré les explications rassurantes données par la dépêche du ministre de la guerre, en date du 28 février, de la concession qu'il s'y montre disposé à faire quant au rayon des servitudes, demande aujourd'hui la suppression des deux citadelles.

Je dois convenir que le vœu que vient d'émettre le conseil communal, s'il pouvait se réaliser, ferait disparaître toutes les inquiétudes qui se sont emparées des esprits. Je l'appuierais donc vigoureusement si je pouvais entrevoir la chance de faire modifier le système de défense adopté par le gouvernement et approuvé par les Chambres. Mais s'il ne pouvait être satisfait à ce vœu du conseil communal, on peut cependant donner à la population des garanties réelles que les constructions du côté de la ville seront établies de telle sorte qu'elles ne puissent jamais mettre en péril la sécurité de la ville et surtout celle des établissements du commerce.

A cet effet, je demande formellement, si les citadelles doivent être maintenues, qu'il n'y ait point de zone de servitude intérieure et que le gouvernement se borne à posséder, du côté nord de la ville, une esplanade comme il en possède une au sud et comme il en existe à toutes les autres citadelles du pays.

A cette demande, le gouvernement peut satisfaire immédiatement et sans le concours de la législature, la loi l'y autorise ; car ce qu'il a pu faire légalement pour Tournai et pour Gand, il doit pouvoir le faire pour Anvers.

Je me suis trouvé naturellement entraîné à vous parler de ce qui cause toute l'agitation qui se produit à Anvers quoiqu'en réalité ce ne soit pas la question dont il s'agit dans la pétition du conseil provincial, le seul objet qui pour le moment soit à l'ordre du jour, l'indemnité pour la moins-value des terrains frappés de servitudes.

Messieurs, je demande avec une entière confiance, y a-t-il dans cette enceinte un seul membre qui conteste l'équité de cette indemnité ?

Pour ma part, je n'ai entendu personne mettre en doute la question d'équité. Et, en effet, les juges eux-mêmes, en décidant que, d'après les lois encore en vigueur, l'Etat ne pouvait être tenu à payer cette indemnité, ont reconnu cependant qu'en équité il y aurait justice de l'accorder.

D'un autre côté, un pays voisin qui, comme nous, possédait dans son arsenal des lois surannées, les mêmes armes que nous, a cru que sa constitution nouvelle était la loi suprême et s'en est inspiré pour faire prévaloir le régime équitable et libéral qui en forme la base.

La France elle-même, en réalisant le système des fortifications de Paris, n'a pas cru devoir s'en tenir rigoureusement aux droits que lui donnait la loi de 1791, faite chez elle ; elle a préféré procéder par ménagements, et plutôt que d'occasionner la ruine des particuliers possesseurs des terrains les plus dépréciés par les servitudes, elle a trouvé plus équitable de faire l'acquisition de ces terrains par voie d'expropriation, pour les revendre ensuite frappés de servitude.

Et nous, messieurs, en Belgique où le peuple prend une part si large au gouvernement du pays, nous voudrions nous montrer moins équitables, moins libéraux, moins justes qu'on ne l'est dans tous les autres pays de l'Europe ? Cela me paraît impossible. Avec une Constitution qui déclare tous les Belges égaux devant la loi, et conséquemment devant l'impôt, nous voudrions faire peser sans indemnité des charges ruineuses dans certains cas, sur une catégorie de citoyens, appelés à devoir un jour supporter tous les périls inhérents à la défense de la nationalité, je le répète, cela me paraît impossible.

Mais, nous dit-on, nous ne sommes pas assez riches pour pouvoir être équitables, il y a d'autres injustices à réparer, d'autres servitudes qui réclament des indemnités.

Chacun de vous, messieurs, a déjà répondu à de semblables fins de non-recevoir. Si l'on ne pouvait réparer une injustice, redresser un grief, qu'après les avoir réparées ou redressées tous, on ne satisferait à aucun. On eût été mal venu sans doute, lorsqu'on proposait l'abolition de l'octroi, de prétendre qu'il fallait en même temps abolir la douane et la conscription.

Procédons avec ordre au redressement de toutes les charges inutiles ou surannées, de toutes les injustices au fur et mesure qu'elles se présenteront devant nous et alors nous serons certains de progresser dans l'amélioration du sort de tous les citoyens.

Qu'on ne fasse pas non plus un monstre de l'indemnité qui pourrait être due du chef de la moins-value des propriétés frappées de servitudes militaires.

Il en est sans doute qui subissent une dépréciation considérable, mais le plus grand nombre n'aurait pas droit à une indemnité. La loi hollandaise qui sous tous les rapports me paraît marquée au coin de l'esprit d'équité et du plus grand sens pratique, établit des règles que nous aurions à adopter et qui.me semblent devoir mettre le gouvernement à l'abri de toutes les prétentions injustes ou exagérées. Cette loi fonctionne depuis quelques années dans les Pays-Bas et je ne sache pas qu'elle ait imposé des charges trop lourdes au trésor de ce pays.

Anvers est destinée à devenir le boulevard de la nationalité belge, disposez donc les habitants à supporter avec patriotisme tous les sacrifices qui pourront leur être imposés à l'heure du danger. Faites qu'ils aiment le pays comme la terre la plus libre du monde et qui, sous les rapports de la justice et de l'équité, n'a rien à envier à aucune autre nation.

J'espère donc, messieurs, qu'adoptant l'esprit et les conclusions du rapport qui vous est présenté par votre commission, vous prononcerez le renvoi aux ministres de la guerre et des finances, de la pétition du conseil provincial d'Anvers.

M. Debaetsµ - Messieurs, je n'ai pas l'intention d'entrer dans la discussion d'une question qui a été traitée par différents orateurs beaucoup mieux qu'elle n'aurait pu l'être par moi.

Néanmoins, la déclaration faite par M. le ministre de la guerre m'a forcé de prendre la parole.

Il a dit que le gouvernement conserve une zone de servitude d'un rayon de 585 mètres sur les agglomérations mêmes des villes. Cette déclaration, messieurs, nous a frappés de stupeur. Je suis certain qu'à Gand pas dix personnes, si tant est qu'il en est une, ne s'étaient imaginé que trois quartiers de la ville fussent frappés de servitudes militaires, c'est-à-dire, se trouvaient sous l'arbitraire du ministre.

Il ne s'agit de rien moins que du quartier de Saint-Pierre presque tout entier, d'une partie du quartier de Sainte-Anne et d'une partie d'Akkergem, c'est-à-dire toute la partie sud de cette grande ville. Je vois M. le ministre des affaires étrangères faire un geste qui semble dire que le gouvernement ne s'avisera jamais d'user du droit qu'il prétend avoir. Je répondrai à cela tout à l'heure.

On dit que pour la bonne défense des citadelles une zone de servitude est nécessaire ; j'admets qu'au point de vue militaire cela est très possible. Mais ce qui est certain, c'est que les villes sont nécessaires au pays, et avant de discuter s'il faut, oui ou non, assurer le maintien des citadelles, il conviendrait bien d'examiner un peu aussi si l'intérêt du pays exige, oui ou non, le maintien de nos villes.

J'ajoute, messieurs, que les servitudes militaires que le gouvernement prétend maintenir à l'intérieur des villes sont une chose parfaitement inutile.

(page 946) Ces servitudes sont inutiles en droit puisqu’elles sont inutiles en fait.

Quoi ! les particuliers bâtissent, les villes bâtissent, et vous, gouvernement, vous avez bâti et vous bâtissez constamment dans la zone intérieure, et dans cette même zone, vous prétendez maintenir votre droit de défendre d'y bâtir !

Il est évident que lorsqu'une chose devient tout à fait inutile en fait, il ne faut pas la maintenir en droit. Car ce droit n'est plus alors que de l'arbitraire, arbitraire d'autant plus odieux qu'il est sans objet.

Je termine, messieurs, en déclarant qu'aussi longtemps que le gouvernement maintiendra ses prétentions quant aux servitudes à l'intérieur des villes, je serai forcé de voter contre tous les budgets de la guerre.

MgCµ. - Je désire donner une simple explication en ce qui concerne les servitudes à l'intérieur des villes.

Lorsqu'on a construit des citadelles attenantes pour ainsi dire aux habitations des villes, il faut souvent, pour former les esplanades, exproprier des constructions particulières, comme cela a dû avoir lieu pour Tournai, par exemple, et alors il arrive que l'esplanade appartient à l'Etat.

Lorsque la citadelle ne serre pas de très près les habitations, on forme l'esplanade en défendant d'élever des constructions sur les terrains vagues qui séparent la fortification des agglomérations de maisons.

C'est ainsi qu'à Gand, la zone réservée ne s'étend en fait que sur des terrains découverts ou des jardins et s'arrête aux habitations de la ville.

Tel est d'ailleurs le sens des instructions que j'ai données tout en rappelant les dispositions légales sur la matière.

L'honorable M. Jacquemyns prétend à tort que l'on a élevé une caserne dans la zone où l'on défend de bâtir. Cette caserne existait avant la construction de la citadelle de Gand, et elle a servi à démontrer combien les constructions sont nuisibles à la défense des forteresses, car en 1830, les Hollandais retirés dans la citadelle se sont vus obligés d'en démolir une aile entière pour déloger les Belges qui s'en étaient emparés et qui de là plongeaient leurs remparts.

A Anvers, messieurs, la situation est tout autre. Le fort du Nord se trouve â une très grande distance de la ville et il n'existe dans la zone de servitude aucune habitation.

Indépendamment de cette zone qui est de 585 mètres et qui existe de temps immémorial ; il y en a encore une, également de 585 mètres, qui s'étend devant les fortifications de la partie nord de la vieille enceinte.

Eh bien, messieurs, comme cette enceinte doit disparaître, nous avons depuis longtemps supprimé sa zone de servitude. En outre, pour favoriser le développement des constructions maritimes, nous avons diminué de plus de la moitié la zone de la citadelle Nord, qui ne conserve en définitive que la largeur absolument indispensable de 250 mètres.

Ainsi donc à Anvers nous avons fait toutes les concessions imaginables. L'honorable M. Loos vient de rappeler ce que j'écrivais au mois de décembre dernier, à l'administration communale pour lui faire connaître les droits que la loi accorde au ministre de la guerre.

Je rappellerai également que j'étais disposé à abandonner la moitié d la zone de servitudes ; que j'étais prêt à régler de la manière la plus bienveillante, avec l'autorité communale, tout ce qu'il y avait à faire à cet égard ; j'ai même prié l'autorité communale de me communiquer le plan des constructions qu'on voulait élever à proximité des bassins, et j'ai déclaré que je ferais tout ce qui dépendrait de moi pour ne pas en entraver l'exécution.

Messieurs, la loi existe, je devais la maintenir, mais en l'appliquant avec la plus grande modération.

M. Debaetsµ. - Messieurs, les observations que vient de présent ter M. le ministre de la guerre, démontrent que j'avais parfaitement raison. M. le ministre de la guerre dit : « En fait, je n'exécute pas la loi » Or, je réponds à M. le ministre de la guerre :. Vous n'avez pas le droit de ne pas exécuter la loi. »

Au surplus, si un successeur de M. le ministre de la guerre jugeait qu'il fallût aller au-delà de la zone dans laquelle le gouvernement se renferme aujourd'hui arbitrairement, par un sentiment de bienveillance, dans de bonnes intentions, je le reconnais, mais arbitrairement, puisque c'est contrairement à la loi ; si, dis-je, un successeur de M. le ministre de la guerre étendait la zone pour y exercer rigoureusement le droit de servitude que le gouvernement s'arroge, et si les Gantois venaient se plaindre, il leur répondrait : « C'est la loi. »

Or, je demande que le gouvernement nous mette à l'abri des zones, non par un acte de son bon vouloir, non par une mesure qu'il peut révoquer ou changer, mais par une disposition législative.

Je veux que les habitants des agglomérés, actuellement soumis à la volonté variable du gouvernement, soient rassurés par la loi, et que dans chaque ville le périmètre de servitude, s'il en faut, soit circonscrit dans les limites strictement nécessaires, et qu'il soit en outre délimité d'une manière ostensible et complète.

M. B. Dumortier. - Messieurs, dans une question aussi grave et qui touche de si près aux intérêts les plus chers de nos villes, il ne faut pas d'équivoque ; il faut que chacun connaisse la position nette qui sera prise, que chacun puisse l'apprécier. Or, ce que je vois dans tout ceci, c'est que nous marchons d'équivoque en équivoque. M. le ministre de la guerre vous dit : « Le gouvernement maintiendra la loi. » Mais M. le ministre de la guerre a oublié de nous prouver qu'il a pour lui la loi ; je crois lui avoir démontré que la loi est contre lui ; que la loi parle, dans toutes ses dispositions, de servitudes autour des places fortes, en dehors des places fortes ; il n'y a dans la loi pas un seul mot qui autorise le gouvernement à créer des servitudes militaires sur les populations agglomérées des villes, en dehors de l'esplanade qui lui appartient.

Il ne suffit pas de dire : « J'ai la loi pour moi ; » il faut le prouver. Je n'entends aucun membre de cette chambre soutenir que le gouvernement a la loi pour lui ; je vois au contraire plusieurs de mes honorables collègues prétendre que la loi est en opposition formelle avec les prétentions du gouvernement.

M. le ministre de la guerre ne cesse de dire : « J'ai la loi pour moi. » S'il en est ainsi, voyons ce qu'il en adviendrait pour Anvers. La ville d'Anvers serait soumise à une zone de servitude qu'elle ne soupçonne pas ; toute la partie méridionale, jusqu'à la salle de spectacle, serait comprise dans le rayon de servitudes ; je viens de le mesurer sur la carte : les 585 mètres, pris du pied des glacis de l'esplanade de la citadelle, s'étendraient dans l'intérieur d'Anvers, jusqu'à la salle de spectacle.

Il ne faut pas, je le répète, d'équivoque en cette matière. Jamais à aucune époque, ni sous le gouvernement de la république qui a fait la loi, ni sous le gouvernement despotique et militaire du premier empire, ni sous le gouvernement du roi Guillaume, ni sous le gouvernement belge, l'administration n'a prétendu que la loi lui accordait le droit d'avoir des servitudes militaires dans les parties agglomérées des villes ; et voilà qu'un ministre, subitement illuminé, vient, plus de 70 ans après que la loi est exécutée de cette manière, prétendre que la loi lui donne le droit de créer des servitudes militaires dans l'intérieur des villes ! Il faut que cette prétention ait un terme ; il faut que chacun sache s'il peut dormir tranquille chez lui ; il faut que chacun sache si nous sommes sous le régime du sabre ou sous le régime de la liberté.

M. Allard. - Messieurs, c'est dans l'exécution que le gouvernement hollandais a donnée à l'arrêté-loi de 1815 que nous devons chercher à interpréter. Or, le gouvernement hollandais n'a jamais entendu que cet arrêté-loi s'appliquât à l'intérieur des villes.

En effet, j'ai vu, à l'époque à laquelle les travaux de la citadelle de Tournai n'étaient pas encore terminés, construire dans cette ville une maison sur l'esplanade, et je me suis assuré qu'on n'a pas demandé alors d'autorisation au gouvernement des Pays-Bas et qu'il n'y a eu aucun obstacle à la construction de cotte maison.

Il s'agit la maison Tonneille, qui est près de l'hospice de la Vieillesse qui tient au glacis.

L'administration des hospices de Tournai a fait construire une partie de l'hospice de la Vieillesse en 1840 ; j'ai fait compulser les procès-verbaux de l'administration des hospices, à l'effet de savoir si on avait adressé une demande à l'autorité militaire, et si l'autorité militaire avait fait quelque obstacle à la construction du bâtiment qui touche à l'esplanade, et qui domine entièrement la citadelle. Voici, messieurs, la lettre que j'ai reçue à ce sujet de M. le secrétaire de l'administration des hospices ;

« Monsieur,

« J'ai l'honneur de vous informer que j'ai parcouru les procès-verbaux des séances de 1840 à 1835, et que je n'y ai trouvé aucune trace de demande d'autorisation de bâtir faite à l'autorité militaire. L'arrêté d'autorisation par la députation est du 12 mai 1837, puis il y a eu modifications des plans jusqu'en 1840, époque du commencement des travaux. Ce n'est que postérieurement que l'on est entré en relations avec l'autorité militaire pour baisser le pavé, afin de faire le bâtiment front à rue, mais il n'y a pas été donné suite. »

Il résulte de cette lettre que nous n'avons pas demandé d'autorisation à l'autorité militaire pour construire ce bâtiment, que par conséquent elle n'a rien eu à décider à ce sujet, et que nous ne sommes entrés en relation avec elle que pour faire baisser le pavé de la rue qui tient au glacis.

Vous voyez donc, messieurs, que le gouvernement hollandais, et plus tard le gouvernement belge, n'ont jamais entendu que les servitudes (page 947) s’appliquaient à l'intérieur des villes. J'ai, pour ce qui ce qui me concerne, vu construire des maisons près de la citadelle de Tournai, sans qu'aucune demande fût adressée par les propriétaires à l'autorité militaire.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.