Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 3 juin 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1423) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone fait l'appel nominal à 2 heures et un quart. Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Lezack prie la Chambre de statuer sur sa demande ayant pour objet le payement du prix qu'il a obtenu au concours institué dans le but de rechercher la meilleure arme de guerre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Prieux, militaire en congé provisoire, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir un emploi dans l'administration des douanes. »

- Même renvoi.


« Le sieur Capouillet propose la révision du cadastre et l'établissement de limites fixes et immuables des propriétés. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Houdeng-Goegnies demandent la construction du chemin de fer de Houdeng à Jurbise par le Roeulx et Soignies. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Hornu demande que le chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand passe le plus près possible de cette commune. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Bouillon demandent que le projet de loi concernant les travaux d'utilité publique comprenne la concession, sur le territoire belge, du chemin de fer projeté de Sedan vers Coblence par Herbeumont, Neufchâteau et Bastogne.

« Même demande des membres des conseils communaux d'Herbeumont, Dohan, Visé, Corbion, Bagimont, Pussemange, Fregny, Hamont, Sensenruth, Rochehaut et d'habitants de Corbion. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Merdorp demandent la construction du chemin de fer de Namur à Landen. »

« Même demande d'habitants de Branchon, Boneffe, Leuze, Thisnes, Grand-Hallet, Crehen, Taviers, Champion, Marchovelette, Ramillies, Wasseiges, Wansin, Noville-sur-Mehaigne, Petit-Hallet, Villers-le-Peuplier, Eghezée, Hanret, Bolinne, Avin, Lens- Saint-Remy. »

- Même renvoi.


« M. le ministre «le la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation du sieur de Borgie. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« MM.de Baillet-Latour, Nothomb et de Moor, obligés de s'absenter pour affaires urgentes, demandent un congé de quelques jours. »

- Accordé.


Il est procédé au tirage au sort des sections pour le mois de juin.

Projet de loi érigeant la commune d’Auderghem

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal.

- Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 69 membres qui ont répondu à l'appel.

Il sera transmis au Sénat.

Ont répondu à l'appel : MM. Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Charles Lebeau, Joseph Lebeau, Loos, Magherman, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch, Thienpont, Van Bockel, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van de Woestyne, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Verwilghen, Allard, Ansiau, Braconier, Carlier, Cumont, Dautrebande, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Haerne, de Muelenaere, de Naeyer, de Renesse, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, Devaux, de Vrière, Dolez, B. Dumortier, H. Dumortier, Dupré, Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jamar, Martin Jouret et Vervoort.

Proposition de loi relatif à l’indemnité pour logements militaires

Lecture

MpVµ. - La proposition de loi déposée par M. Coomans a été lue dans les sections. Elles en ont autorisé la lecture en séance publique. Elle est ainsi conçue :

« L'indemnité pour les logements militaires est fixée à un franc et demi par homme et par cheval. »

L'auteur de la proposition n'étant pas présent, nous remettons a un autre jour la lecture des développements.

M. B. Dumortier. - Mon honorable ami sera probablement en mesure demain de donner lecture des motifs de sa proposition.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère des travaux publics

Discussion générale

M. de Renesse. - Messieurs, le crédit demandé pour l'extension de notre réseau télégraphique national me fournit l'occasion d'émettre quelques courtes considérations sur l'utilité, sur la nécessité même de relier aux lignes télégraphiques, certaines localités chefs-lieux de canton, privées jusqu'ici de chemin de fer.

Sous ce rapport, il y a encore, dans la province du Limbourg, plusieurs cantons très importants qui ne sont pas rattachés au réseau de nos télégraphes, entre autres, les cantons de Looz et de Maeseyck, celui de Tongres allant être relié d'un côté vers Liège et de l'autre vers la ligne ferrée de Maestricht à Hasselt. Si ces parties de provinces ne sont pas encore reliées à des voies ferrées, ou que très imparfaitement, elles semblent avoir des droits incontestables de ne pas être exclus du bénéfice des communications télégraphiques, en attendant qu'elles puissent aussi obtenir des railways, pour les tirer de leur isolement actuel. Si donc le crédit demandé pour l'extension de nos lignes télégraphiques doit surtout avoir pour but de rattacher aux lignes du télégraphe un certain nombre de localités encore éloignées des chemins de fer, je crois devoir attirer l'attention de l'honorable ministre des travaux publics sur la nécessité de donner une communication télégraphique à l'ancienne ville de Looz, chef-lieu de ce canton et à la ville de Maeseyck, chef-lieu d'arrondissement de canton.

Le canton de Looz est l'un des plus importants de la province de Limbourg, non seulement par la concentration de sa nombreuse population, mais surtout par sa richesse agricole ; ce canton est longé par des chemins de fer, à ses deux extrémités, et n'a qu'une halte à Alken, sur les confins de ce canton, à proximité de la ville de Hasselt.

Lorsque en 1837, il a été question de doter le Limbourg d'une voie ferrée, le conseil provincial de cette province avait formellement émis le vœu que le chemin de fer se dirigerait par la partie la plus populeuse et la plus riche du Limbourg, c'est-à-dire de Landen vers Saint-Trond, Looz, Tongres et Maestricht. Une autre direction ayant été décrétée malgré le vœu si manifeste dudit conseil provincial, la commune de Looz et son riche canton se sont vus privés pour le moment d'une voie ferrée, traversant tout leur territoire.

Il est à espérer, pour ce canton, que la lacune de voie ferrée qui actuellement existe entre la ville de Saint-Trond et celle de Tongres, pourra être comblée, dans un avenir rapproché ; le chemin de fer direct de Liège par Tongres et Hasselt, vers la frontière hollandaise, étant une fois décrété il est à supposer que de nouveaux projets de voies ferrées se formeront, pour relier plus directement les chemins de fer intérieurs, et sous ce rapport la contrée si populeuse et si riche en produits agricoles de toute nature, située entre les villes de Saint-Trond et de Tongres, mérite d'attirer l'attention toute particulière du gouvernement et des personnes qui s'occupent de projets de chemins de fer ; il est encore à observer que ce riche canton du Limbourg n'a pas eu jusqu'ici la moindre part des grands travaux publics décrétés depuis 1830, aux frais du trésor public ; il peut donc réclamer avec plus de droit toute la sollicitude du gouvernement et des Chambres.

Le canton de Maeseyck et son chef-lieu, situés à l'extrémité de la province de Limbourg à la frontière hollandaise, vers la Meuse, non rattachés actuellement à aucune voie ferrée, ont aussi des titres incontestables d'être reliés à notre réseau télégraphique eu attendant que la ville de Maeseyck puisse être mise en communication avec notre réseau ferré national, par le railway à diriger de Diest au travers de toute la Campine limbourgeoise vers cette localité, et le chemin de fer néerlandais de Maestricht vers Venloo et le nord de l'Allemagne.

(page 1424) J'ose espérer que l'honorable ministre des travaux publics voudra prendre en sérieuse considération les observations que je crois devoir lui présenter, en faveur des cantons de Looz et de Maeseyck, qui, en partie privés de chemins de fer, ayant largement contribué dans les charges résultant de l'établissement des voies ferrées de l'Etat et des télégraphes, ont des titres très fondés à la justice distributive du gouvernement, et d'être, enfin, tirés de leur isolement, sous le rapport de communications télégraphiques, en attendant qu'ils puissent être rattachés à notre système général de voies ferrées.

- On passe aux articles.

Vote des articles et vote sur l’ensemble

“Art. 1er. Un crédit spécial de trois cent vingt-cinq mille francs (fr. 325,000) est ouvert au département des travaux publics, pour l'extension des lignes et des appareils télégraphiques. »

- Adopté.


« Art. 2. Ce crédit sera couvert au moyen de bons du trésor. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi ; il est adopté à l'unanimité des 68 membres présents.

Ce sont : MM. Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, ï. Lebeau, Loos, Magherman, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch, Thienpont, Van Bockel, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van de Woestyne, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Verwilghen, Allard, Ansiau, Braconier, Carlier, Cumont, Dautrebande, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Muelenaere, de Naeyer, de Renesse, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, Devaux, de Vrière, Dolez, B. Dumortier, H. Dumortier, Dupret, Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jamar, M. Jouret et Vervoort.

Projet de loi relatif aux péages du chemin de fer de l’Etat

Vote de l’article unique

MpVµ. - L'article unique du projet de loi est ainsi conçu :

« Article unique. L'article premier de la loi du 12 avril 1835 (Bulletin officiel, n°196), concernant les péages du chemin de fer de l'Etat, est prorogé jusqu'au 1er juillet 1863. »

- Personne ne demandant la parole, la Chambre passe au vote par appel nominal sur ce projet de loi ; il est adopté à l'unanimité des 69 membres présents.

Ce sont : MM. Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, J. Lebeau, Loos, Magherman, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch, Thienpont, Van Bockel, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van de Woestyne, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Verwilghen, Allard, Ansiau, Braconier, Carlier, Cumont, Dautrebande, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Muelenaere, de Naeyer, de Renesse, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, Devaux, de Vrière, Dolez, B. Dumortier, Dupret, Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jamar, M. Jouret et Vervoort.

Projet de loi érigeant la commune de Framont

Vote des articles et vote sur l’ensemble

« Art. 1er. La section de Framont est séparée de la commune d'Anloy, province de Luxembourg, et érigée en commune distincte sous le nom de Framont.

« La limite séparative est fixée conformément au liséré rouge indiqué par les lettres A B C, au plan annexé à la présente loi. »

- Adopté.


« Art. 2. Le cens électoral et le nombre de conseillers à élire dans la nouvelle commune feront déterminés par l'arrêté royal fixant le chiffre de sa population. »

- Adopté.


Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 66 membres présents.

Ce sont : MM. Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, J. Lebeau, Loos, Magherman, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch, Thienpont, Van Bockel, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Vau Renynghe, Van Volxem, Verwilghen, Allard, Ansiau, Braconier, Carlier, Cumont, Dautrebande, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, Devaux, Dolez, B. Dumortier, H. Dumortier, Dupret, Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jamar, M. Jouret et Vervoort.

Projet de loi instituant une caisse d’épargne et de retraite

Discussion générale

M. H. Dumortier. - Messieurs, le projet de loi sur les caisses d'épargne est, sans contredit, l'un des plus importants qui ont été soumis à vos délibérations depuis longtemps.

A quelque point de vue qu'on se place, on peut se convaincre qu'il touche aux intérêts de l'ordre le plus élevé.

Son but le plus immédiat est d'améliorer la position matérielle et morale des classes laborieuses ; de ces classes si dignes d'intérêt qui travaillent, qui souffrent, et contribuent pour une large part à alimenter le trésor public.

En Belgique, plus que dans d'autres pays, ces nombreuses phalanges de travailleurs ont donné des preuves de patriotisme et de leur respect pour l'ordre.

En votant une loi qui constitue pour elles un véritable bienfait, la Chambre posera un acte éminemment juste et de bonne politique.

D'autre part, quel plus puissant moyen de consolider nos institutions politiques, fruits de tant d'efforts de nos pères, trop souvent le prix de leur sang, que d'inspirer à l'ouvrier l'esprit d'ordre et d'économie ; que de rendre surtout ses intérêts solidaires des intérêts de tous ?

Ne nous faisons pas illusion, messieurs, plus on considère ce qui se passe dans plusieurs pays de l'Europe, plus on doit être convaincu qu'un jour pourra venir où la grande lutte ne consistera plus dans de brillants tournois entre catholiques et libéraux, entre légitimistes, orléanistes et bonapartistes, entre whigs et torys, mais il arrivera un jour où la grande lutte sera entre l'ordre.et le désordre. Qui peut prévoir le résultat de cette lutte suprême ?

Pour que, ce jour-là, l'ouvrier se range sous la bannière des soldats de l'ordre, ne faut-il pas, avant tout, l'y intéresser lui-même ?

Nous espérons que ce sera sous l'influence de considérations de cette nature que tous les membres de cette Chambre examineront consciencieusement et en dehors de toute autre préoccupation le projet de loi sur les caisses d'épargne et de retraite.

Dans beaucoup d'autres pays, les caisses d'épargne sont placées sur tous les points du territoire et mises à la portée de toutes les casses de la société.

Il suffît de jeter un coup d'œil sur les documents qui nous ont été communiqués pour constater que la Belgique est restée, sous ce rapport, dans un état d'infériorité.

En Angleterre on compte 1 déposant sur 15 habitants ; en Ecosse 1 sur 24, en France 1 sur 36, en Autriche 1 sur 34 et en Prusse 1 sur 34.

La Belgique en compte à peine 1 sur 157 habitants, et ces institutions n'existent guère que dans les villes. Les populations rurales, les populations agricoles n'y participent pour ainsi dire pas.

Il existe, en Belgique, un certain nombre de caisses d'épargne créées sans aucune intervention du gouvernement. Rentre d'autant moins dans notre intention de les déprécier, que le gouvernement ne réclame ici en aucune façon un monopole. Il appelle de tous vœux, il favorise même la création du plus grand nombre possible de caisses d'épargne quel que soit leur origine.

Mais actuellement ces institutions privées sont fort loin de répondre aux besoins de toutes les catégories de travailleurs.

Quels sont donc les moyens de donner un plus large développement aux caisses d'épargne, quels sont surtout les moyens de les mettre à la portée de toutes les classes laborieuses ?

Peut-on espérer que l'initiative privée suffira pour atteindre ce but ?

L'exemple du passé doit nous servir d'enseignement pour l'avenir.

L'article 92 de la loi communale porte :

« Dans les villes manufacturières, les bourgmestres et échevins veillent à ce qu’il soit établi une caisse d'épargne. Chaque année, dans la séance prescrite par l'article 70, le collège des bourgmestre et échevins rend compte de la situation de cette caisse. »

(page 1425) Eh bien, messieurs, si l'on en excepte quelques résultats partiels, cette prescription formelle de la loi est restée à l'état de lettre morte.

Les autorités provinciales et communales, l'initiative des particuliers, l'action de l'industrie privée, les sociétés charitables, toutes ces influences réunies ont été impuissantes pour établir en Belgique un système complet de caisses d'épargne. Une des conditions les plus essentielles pour propager l'institution des caisses d'épargne, l'action incessante d'un patronage actif et intelligent, a toujours fait défaut.

Nous croyons que le gouvernement, tout en laissant une liberté entière à l'industrie privée, pourra puissamment contribuer à porter remède à cet état de choses.

Par l'intermédiaire de ses nombreux fonctionnaires, par l'influence qu'il exerce sur les autorités provinciales et communales, le gouvernement éclairera les classes laborieuses sur leurs propres intérêts et contribuera beaucoup à faire entrer l'institution des caisses d'épargne dans les mœurs, dans les habitudes des populations rurales et urbaines.

Ces observations répondent déjà à ceux qui demandent pourquoi le gouvernement réclame ici une intervention.

Je n'ai nulle envie de discuter en ce moment d'une manière théorique et générale la question de l'intervention ou de la non-intervention du gouvernement. Je n'admets pas, pour ma part, en cette matière de système exclusif et absolu ; je crois qu'il faut, jusqu'à un certain point, tenir compte des temps, des lieux, des conditions particulières dans lesquelles se trouvent placés tels ou tels intérêts de tel ou tel pays ; je pense qu'avec des idées exclusives et absolues de non-intervention, on arriverait, dans un petit pays comme le nôtre, aux plus amères déceptions.

Le gouvernement, selon moi, peut et doit intervenir là où un grand intérêt général est en jeu, chaque fois que l'action des particuliers ne peut ou ne veut prendre les mesures que commande ce grand intérêt ; et, je dis, en répétant les paroles d'un des plus grands ministres de l'Angleterre, que si l'intervention gouvernementale devait être généralement supprimée, elle devrait être maintenue en matière des caisses d'épargne.

Dans le cours de cette discussion, j'aurai l'honneur de faire voir à la Chambre qu'en Angleterre, pays de non-intervention gouvernementale par excellence, pays ou tout, dans les plus extrêmes limites du possible, est abandonné à l'initiative privée, les hommes les plus remarquables du parlement et les ministres qui se sont succédé depuis un grand nombre d'années, sans distinction quant aux partis politiques, ont tous réclamé avec force et persistance l'intervention de l'Etat et la garantie du trésor dans l'organisation et l'administration des caisses d'épargne, et, chose qui vous étonnera sans doute, cette intervention et cette garantie étaient réclamées par les chanceliers de l'échiquier, dans l’intérêt même du trésor. C'est qu'il y a intervention et intervention.

L'intervention gouvernementale dans les affaires industrielles et commerciales, par exemple, n'est certes pas de la même nature que celle proposée dans l'espèce.

Dans le premier cas, le gouvernement pourrait sacrifier l'intérêt de tous en faveur de certains privilégiés.

Telle n'est pas la situation dans la matière qui nous occupe. Si le trésor public avait ici à s'imposer un sacrifice (dans un cas tout exceptionnel), ce sacrifice serait fait dans l'intérêt de tous.

Il serait fait directement au profit des classes laborieuses, mais aussi dans un intérêt d'une nature plus élevée et plus générale, dans un intérêt d'ordre, de stabilité et de conservation.

Maie ce qui semble inspirer une certaine appréhension à plusieurs membres de cette Chambre, c'est la garantie accordée par le gouvernement bien plus encore que son intervention administrative.

Voyez, dit-on, à quel danger le trésor sera exposé : lorsque ces caisses d'épargne auront accumulé des sommes considérables et qu'il arrivera une crise politique ou financière, les déposants se précipiteront à la fois vers la caisse pour réclamer leur remboursement ; la panique sera générale ; il sera impossible de satisfaire en même temps à toutes ces exigences ; de là une catastrophe financière inévitable ; et les caisses ne pouvant pas faire face à leurs engagements, le trésor public sera appelé à y suppléer. C'est ainsi qu'en France et en Angleterre le gouvernement a dû s'imposer, à différentes reprises, des sacrifices en faveur des caisses d'épargne.

Messieurs, je comprends, jusqu'à un certain point, cette appréhension, j'avouerai même qu'à une première lecture du projet de loi elle s'était aussi présentée à mon esprit ; mais une étude plus complète, plus approfondie m'a donné la conviction que ces craintes sont, sinon chimériques, du moins beaucoup exagérées. Je suis persuadé que la discussion démontrera qu'on s'est beaucoup mépris sur la portée dangereuse que certains membres de cette Chambre ont semblé attribuer au projet de loi, dans les discussions des sections,

En Belgique, la garantie du gouvernement est nécessaire pour inspirer aux masses une confiance entière et complète dans des caisses d'épargne ; cette confiance est la condition sine qua non, pour généraliser ces institutions.

En présence des crises qui se sont produites dans certaines caisses d'épargne, ce n'est qu'avec une certaine défiance que l'ouvrier leur confie le produit de ses économies ; et cette crainte s'explique d'autant mieux que ces économies sont le prix d'un long et pénible labeur, souvent le résultat de dures privations.

Voulez-vous faire disparaître cette défiance, adoptez une organisation qui, par elle-même, inspire, commande la confiance. Or pour inspirer cette confiance, il faut accorder aux déposants la plus forte de toutes les garanties, celle du trésor public ; il faut placer les caisses d'épargne, pour me servir de l'expression de Mirabeau, sous la sauvegarde de l'honneur national.

Ces principes sont tellement irrécusables que, dans presque tous les pays où les caisses d'épargne prospèrent, on a senti l'impérieuse nécessité d'y attacher la garantie soit du gouvernement ou des provinces, ou des communes, soit la garantie réelle et pécuniaire des administrateurs ou des actionnaires des sociétés charitables qui les avaient créées.

Tantôt cette garantie est entière et illimitée, tantôt elle se produit dans des conditions plus restreintes.

La garantie illimitée du trésor public existe en Angleterre, en France, dans plusieurs principautés de l'Allemagne.

Cette garantie est partielle dans le royaume de Wurtemberg, en Saxe, dans la Hesse-Electorale, etc.

En Suisse même, la garantie du canton existe dans les cantons de Lucerne, Uri, Schwyz, Glaris, Zug, Soleure, Neuchâtel, Genève, le canton des Grisons.

La garantie des provinces et des cercles existe en faveur d'un assez grand nombre de caisses prussiennes.

Enfin dans beaucoup d'autres pays, les caisses d'épargne jouissent de la garantie communale ; telles sont le plus grand nombre des caisses de l'Autriche, de la Bavière, de la Saxe, du Hanovre, de la Sardaigne, d'un assez grand nombre de principautés allemandes.

Il en est de même pour plusieurs caisses de l'Espagne et de l'Italie.

Dans certains pays où l'initiative des particuliers et surtout celle des sociétés charitables ont plus particulièrement contribué à la création des caisses d'épargne, tels que la Suisse, par exemple, une garantie réelle a été accordée aux déposants.

Mais, dit-on, dans plusieurs de ces pays, ce n'est plus le gouvernement qui garantit, ce sont les villes, ce sont les cantons, les sociétés philanthropiques ; cela est vrai, et si nous avions à choisir entre deux systèmes, la garantie des villes, des provinces, des sociétés charitables ou celle du gouvernement, il est possible que nous préférions le premier système ; mais en Belgique nous sommes loin d'avoir l'embarras du choix.

Depuis un demi-siècle, on attend, on provoque l'initiative des villes et des communes et vous connaissez les résultats qui ont été obtenus.

Nous avons à choisir, non entre ces deux systèmes de garanties, mais entre le système de garanties du gouvernement et le statu quo.

Mais, dit-on, comment éviter la perturbation inévitable qu'entraîneraient de fortes crises produites dans les fonds publics ?

Messieurs, c'est tomber dans une étrange erreur que de croire que les sommes versées dans les caisses d'épargne seraient généralement employées à des placements en fonds publics ; ce serait là une imprudence qu'une administration sage et vigilante ne commettrait pas ; les caisses les mieux administrées ne font, autant que possible, que des placements partiels et provisoires en fonds publics ; or, c'est le même principe qui est adopté par les articles 28 et 29 du projet de loi.

Ces articles laissent, non pas à la Banque nationale, comme on l'a déjà souvent dit, mais au conseil d'administration de la caisse d'épargne, une très grande latitude dans les modes de placement des fonds ; et les avances sur fonds publics belges ou même des Etats étrangers ne figurent à l'article 28 que comme pouvant être, dans des cas donnés, un mode de placement provisoire.

Quant à la Banque nationale, elle ne joue ici que le rôle d'intermédiaire, de commissionnaire pour exécuter les décisions prises par le conseil d'administration de la caisse d'épargne et de retraite. Il importe que ce point soit bien constaté.

S'il est des caisses qui, depuis quelques années, ont traversé des crises de tout genre, ce sont celles de la Lombardie. Or, il est reconnu que les caisses lombardes qui ont adopté le système de placement proposé par le projet de loi se trouvent dans d'excellentes conditions.

(page 1426) Voulez-vous savoir, messieurs, quelle partie de leur actif est engagée dans les fonds publics, voici ce détail :

A la fin de 1857, l'actif de ces caisses se répartissait comme suit :

Prêts hypothécaires, 60 millions.

En avances sur fonds publics, 5 millions.

En fonds publics et emprunts de villes. 5 millions.

Ne perdez pas de vue que le projet de loi renferme plusieurs dispositions destinées à servir de contre-poids à la garantie du gouvernement.

En effet, veuillez fixer un instant votre attention sur les articles 22, 26, 32 et 63 du projet de loi.

L'article 22 est ainsi conçu :

« Le retrait des fonds déposés peut avoir lieu sans avis préalable, si la somme réclamée n'excède point 100 francs. Toutefois, le déposant ne pourra user de cette faculté qu'une fois par semaine.

« Pour toute somme supérieure à 100 francs, il faut prévenir d'avance, savoir :

« Quinze jours pour plus de 100 francs et moins de 500 fr.

« Un mois pour plus de 500 francs et moins de 1,000 francs ; deux mois pour plus de 1,000 fr. et moins de 3,000. »

Ces délais, qui peuvent être abrégés par le conseil d'administration, ne prennent cours qu'à dater du dernier remboursement mentionné sur chaque livret.

« Art. 26. La caisse peut, après en avoir prévenu les propriétaires, convertir en fonds publics belges toutes les sommes nécessaires pour réduire les livrets d'un seul déposant à une somme de 3,000 fr.

« Elle peut agir de même, dès qu'elle a la conviction que, pour éluder éventuellement l'application de cette disposition, divers livrets appartenant à la même personne sont inscrits sous plusieurs noms. »

Il était d'autant plus nécessaire de faire ressortir la disposition de cet article qu'elle semble avoir été perdue de vue dans les critiques qui ont été faites du projet de loi.

Dans ce projet de loi, a-t-on dit, la caisse d'épargne perd son caractère propre. Ce n'est plus une institution créée en faveur de la conservation et de l'accroissement des petits capitaux, c'est une espèce de Banque générale où aucune limite n'est assignée au chiffre des sommes déposées.

Après la lecture de l'article 26, est-il nécessaire d'insister, messieurs, pour vous démontrer que cette disposition à elle seule réduit ces objections à leur véritable valeur.

Faut-il, d'ailleurs, dans l'organisation des caisses d'épargne, assigner un maximum aux dépôts ?

Cette question a été résolue en sens divers.

Dans beaucoup de pays ce maximum existe.

Dans d'autres, où les caisses d'épargne ont acquis un haut degré de prospérité, on se félicite d'avoir laissé, à cet égard, la plus grande latitude aux administrations. C'est cette latitude laissée aux caisses de la Lombardie, qui figurent à juste titre parmi les caisses d'épargne les mieux organisées, qui leur a permis d'accorder des avantages importants aux petits déposants ; les rapports faits par l'administration de ces caisses s'en expliquent catégoriquement.

Le même langage est tenu par l'administration de la caisse d'épargne d'Aix-la-Chapelle, une des meilleures et des plus importantes de toute l'Allemagne. Il en est de même de celles de Silésie, des duchés saxons, de la plus grande partie de l'Italie, de celles de Francfort, de Düsseldorf, de Rotterdam, de Christiania, etc.

En présence de cette diversité de systèmes, que fait le projet de loi ?

L'article 26 consacre un système mixte, éclectique qui assure à l'institution à créer les avantages des systèmes absolus, sans lui en faire subir les inconvénients ou les dangers.

Toutefois, si la prescription de l'article 26 ne semblait pas encore suffisante pour éviter une trop grande accumulation de capitaux, le gouvernement aurait à sa disposition un autre moyen péremptoire : la fixation d’un taux de l'intérêt qui sera déterminé par arrêté royal.

Au surplus, le point de savoir si la loi assignera un maximum aux versement est sans doute d'une importance réelle ; mais quelle que soit la solution de cette question spéciale, cette solution ne renverserait nullement l'économie de l'ensemble du projet de loi.

L'article 32 est ainsi conçu :

« Le fonds de réserve est destiné à faire face aux pertes éventuelles de caisse d'épargne et à rembourser au gouvernement celle qu'il aura supportée en exécution de la garantie prêtée par la loi. »

Ne suffit-il pas de lire ces dispositions pour voir ce que les craintes dont nous parlions tout à l'heure ont d'exagéré ?

L'article 22, à lui seul, est un obstacle à ce que la foule des déposants ne se précipite à la fois, à un moment donné, à la caisse d'épargne pour réclamer des remboursements excessifs et la mettre hors d'état de satisfaire à ses obligations.

Ces grandes crises financières n'ont jamais une durée assez longue pour que les délais stipulés par l'article 22 ne soient pour la caisse une sauvegarde suffisante.

L'article 26 répond à ceux qui redoutent l'accumulation dans les caisses d'épargne de sommes dont l'importance serait sans limite.

Et l'article 32 met le trésor public à même de rentrer dans les avances qu'il aurait faites provisoirement à la caisse d'épargne.

Que si, en parlant de crises, on entend désigner ces bouleversements qui renversent les trônes et emportent les gouvernements, nulle sagesse, nulle prudence ne suffira pour créer des institutions qui puissent toujours résister à ces tempêtes sociales. Ce n'est pas à un tel point de vue que doit se placer le législateur en semblable matière.

Mais ceux qui repoussent la garantie du trésor public ne s'aperçoivent-ils pas que, dans des moments de révolution et de bouleversement, l'intervention du gouvernement sera rendue nécessaire, impérieuse par la force même des choses ?

Faut-il vous rappeler, messieurs, ce qui s'est passé en Belgique et ailleurs dans de pareils moments ?

Le trésor publie n'est-il pas venu en 1837 au secours de la caisse d'épargne établie par la Banque de Belgique ?

En 1848, le gouvernement n'est-il pas intervenu en faveur de la caisse d'épargne afférente à la Société générale ?

N'en a-t-il pas été de même en France, en Angleterre et dans d'autres pays ? Et cette intervention du trésor public n'est-elle pas une nécessité bien plus dure encore, lorsque elle lui est arrachée, sans que le gouvernement ait eu la moindre action, le moindre contrôle, la moindre surveillance sur la gestion et l'administration d'institutions dont il est appelé à combler les déficits ?

Enfin les hommes d'Etat, comme les publicistes les plus distingués, constatent avec raison que si, dans un cas donné, le trésor public avait à s'imposer certains sacrifices dans l'intérêt des classes laborieuses, le pays tout entier trouverait dans ces sacrifices une compensation au point de vue de l'ordre public et de la stabilité du gouvernement.

Ayez dans un pays, dit M. de Candolle, beaucoup de marchands, beaucoup de capitalistes, beaucoup d'artisans, dont la fortune toute mobilière serait compromise au moindre désordre et vous aurez une cause de stabilité plus grande que celle qui se fonde même sur la propriété foncière.

La question de l'intervention et de la garantie du gouvernement est le pivot de tout le système consacré par le projet de loi. Permettez-moi de résumer aussi succinctement que possible quelques passages des principaux débats qui ont eu lieu, sur ce point, au sein du parlement anglais : Déjà, en 1842, le gouvernement anglais institua une caisse spéciale d'épargne pour la marine militaire et elle adopta comme base de son système le principe de la garantie du trésor.

Quant à la caisse générale d'épargne, elle a été organisée dans ce pays sur les bases suivantes, par un bill de 1828 :

Le gouvernement était responsable et garant envers les déposants, mais cette responsabilité n'existait que du moment où les sommes déposées avaient été réellement versées dans les caisses de l'Etat. Or, il est arrivé fréquemment que ces sommes ont été détournées avant d'avoir été versées réellement entre les mains des commissaires pour la réduction de la dette nationale.

Comme le gouvernement ne possédait aucun moyen de contrôle et de surveillance sur la gestion de beaucoup de caisses créées par des sociétés charitables, il était impossible qu'il prît la responsabilité absolue de faits posés entièrement en dehors de sa sphère d'action.

Cependant les cas de détournement et de faillite des caisses d'épargne anglaises sont nombreux.

Les enquêtes faites de 1844 à 1850 établissent que dans cet intervalle 44 caisses, dont 24 en Irlande, durent cesser leurs opérations.

A la déconfiture de la caisse de Rochdale entre autres, les déposants perdirent plus de 37,000 livres. Le gouvernement couvrit la plus grande partie de ce déficit qui s'élevait à 1,800,000.

A Dublin, ils perdirent 63,000 livres. Le gouvernement prit 30,000 livres à sa charge.

De 1850 à 1857, il y eut des faits de détournement dans 13 caisses.

Dans toutes ces catastrophes financières occasionnées, la plupart, par de mauvais systèmes d'administration ou par l'improbité des administrateurs, le gouvernement fut obligé, non en vertu de la loi, mais par la force même des choses, d'indemniser en grande partie les déposants.

Une pareille situation exigeait des remèdes prompts et efficaces ; aussi (page 1427) en 1850, le chancelier de l'échiquier, M. Charles Wood, soumit au parlement un projet de bill qui proposait de donner aux déposants la garantie complète du gouvernement et d'accorder, d'autre part, à celui-ci le droit de nommer les trésoriers et les contrôleurs de toutes les caisses.

Ce projet de loi fut vivement attaqué en dehors du parlement, par les administrateurs des caisses d'épargne ; après une assez longue discussion, il fut ajourné à la session suivante.

Le ministère whig fut remplacé, le 14 mars 1852, par un ministère tory et le projet de loi de M. Wood vint naturellement à tomber.

Mais dès 1853, M. Gladstone étant devenu chancelier de l'échiquier, proposa un nouveau bill, renfermant toutes les dispositions les plus essentielles de celui présenté par son prédécesseur, notamment en ce qui concernait l'intervention et la garantie du gouvernement.

Les discours remarquables que ce chancelier de l'échiquier prononça en cette circonstance sont de nature à jeter une vive lumière sur cette matière.

« Le grand mal dans la position actuelle des caisses d'épargne, disait M. Gladstone, n'est pas tant dans l'existence d'abus énormes, flagrants, que dans l'absence d'une sécurité parfaite que tout le monde est en droit d'exiger de pareilles institutions.

« La confiance que le public doit placer dans ces institutions ne saurait exister tant que de pareils pertes peuvent se produire. Ce que le parlement doit vouloir assurer, n'est pas que les pertes soient peu nombreuses, mais qu'elles soient inconnues, qu'elles soient impossibles.

« Comment donner cette sécurité absolue ?

« Il n'y a qu'un moyen, c'est d'offrir aux déposants la meilleure garantie que l'on puisse donner dans ce pays, la garantie du gouvernement ; mais on sera unanime pour reconnaître que la garantie du gouvernement ne doit être donnée que dans des conditions déterminées et certaines. Dans ce système l'Etat doit exercer un contrôle permanent sur les recettes et les dépenses des caisses d'épargne, »

Ce langage obtint l'approbation des membres du parlement dont le nom fait autorité en ces matières : citons entre autres MM. Hume, Herbert, Baring, colonel Thompson, Crawford, un des plus ardents adversaires de toute intervention de l'Etat.

Mais en 1853, comme en 1850, les administrateurs des caisses d'épargne firent, dans différents grands meetings tenus à Londres, une vive opposition au nouveau projet de loi. Ils demandèrent instamment une nouvelle enquête, une nouvelle instruction de toute cette affaire, et la session du parlement étant déjà très avancée, le projet de bill subit un nouvel ajournement.

A cette époque des affaires très importantes et surtout les événements politiques détournèrent pendant quelque temps l'attention du parlement de cette grave question.

Enfin le 27 février 1857 un autre chancelier de l'échiquier, sir Georges Cornwall Lewis présenta, à son tour, un nouveau bill ayant principalement pour objet d'accorder aux déposants à la caisse d'épargne la garantie du trésor public.

« Ce que nous proposons, dit-il, c'est d'accorder aux déposants l'avantage de la garantie du gouvernement pour toutes les sommes déposées, dans tous les cas où les caisses d'épargne se seront conformées à certaines conditions à spécifier par le bill.

« De cette manière le gouvernement sera garanti contre les pertes que lui font éprouver les caisses d'épargne, et, d'autre part, il garantira aussi les déposants contre toute perte. »

Avant que la longue discussion à laquelle ce projet de loi donna lieu fût arrivée à son terme, les événements politiques relatifs à la guerre de Crimée amenèrent la dissolution du parlement.

Le projet de loi fut représenté à une session suivante, mais le ministère fut renversé et M. Disraeli remplaça M. Cornwall Lewis comme chancelier de l'échiquier.

M. Disraeli nomma une commission d'enquête qui fit un rapport le 19 juillet 1858. C'est le travail le plus considérable de cette nature qui ait été fait sur les caisses d'épargne.

Enfin, M, Gladstone, étant redevenu chancelier de l'échiquier, développa, dans la séance de la chambre des communes du 20 juillet 1860, les idées qu'il avait émises antérieurement sur la garantie du gouvernement ; il exprima le regret que, dès le principe, cette garantie n'eût pas été accordée aux caisses d'épargne ; ce regret est d'autant plus vif, ajouta-t-il, qu'à défaut d'une garantie complète, légale, « il existe pour le gouvernement une obligation morale de venir, dans des moments de crise, au secours des caisses d'épargne. »

Enfin ce système a prévalu au parlement anglais dans la loi qui a définitivement été faite l'année dernière.

Ce n'est pas seulement au sein du parlement que ce système a été préconisé, il a été également défendu dans la presse.

Le but qu'il faut atteindre, dit entre autres l’Economist, c'est de faire en réalité des caisses d'épargne, ce qu'elles prétendent être et ce que l'on croit qu'elles sont : des établissements gouvernementaux donnant la garantie du trésor, du moment qu'un versement sort de la main du déposant jusqu'à l'heure où il lui est remboursé.

Deux publicistes anglais, Scratchley et Tidd-Pratt, se sont spécialement occupés de la question des caisses d'épargne, et, dans les ouvrages qu'ils ont publiés tout récemment, l'un et l'autre se prononcent en faveur du système de garantie par le gouvernement, moyennant d'accorder à celui-ci un contrôle et une surveillance sur les caisses d'épargne.

Je m'arrête ici, messieurs ; mon intention n'est pas de sortir, en ce moment, de ces considérations générales.

La section centrale a adopté dans son ensemble le projet de loi.

Est-ce à dire qu'elle a pensé qu'il n'y a rien à modifier aux propositions du gouvernement ? Nullement ; M. le ministre des finances déclare lui-même, dans l'exposé des motifs, qu'il n'a pas la prétention d'être arrivé à une combinaison qui ne comporte aucune objection.

Il serait d'ailleurs impossible de formuler sur cette matière un projet de loi qui ne doive recevoir des améliorations, des modifications qui seront indiquées par la pratique et l'expérience.

En Angleterre comme en France et dans d'autres pays, la législature a eu très souvent à s'occuper de questions spéciales, de modifications de détail que l'expérience rendait nécessaires dans l'administration des caisses d'épargne.

Au reste, la discussion elle-même fera surgir des observations utiles.

Ce que nous voulons avant tout, c'est de voir réaliser, sans plus de retard, une mesure qui doit satisfaire à un grand besoin humanitaire, politique et social.

Si la discussion fait surgir des propositions nouvelles, nous les examinerons consciencieusement et nous nous empresserons de nous y rallier s'il nous était démontré qu'elles sont meilleures que celles présentées par le gouvernement.

M. de Renesse. - Etant partisan de toutes les institutions libres qui peuvent contribuer à accroître la prévoyance de la classe ouvrière, amener sa moralisation, et la stimuler à faire des épargnes, afin de s'assurer certaines réserves pour les temps calamiteux, j'eusse été heureux de pouvoir donner mon assentiment au projet de loi instituant une caisse générale d'épargne et de retraite ; mais ce projet établissant des principes nouveaux, non admis dans beaucoup d'autres pays, où en général, les caisses d'épargne sont prospères et ont pris une grande extension dans la garantie directe de l'Etat inscrite dans la loi, je me vois à regret forcé de combattre ces principes, ayant l'intime conviction que s'ils étaient sanctionnés par les différentes dispositions de la loi en discussion, le crédit de l'Etat, et même sa sûreté, pourraient être compromis dans des moments de fortes crises politiques et financières.

Si je reconnais l'utilité, la nécessité même de fonder, de protéger et d'encourager de pareils établissements philanthropiques, je ne puis cependant admettre, avec le gouvernement et la majorité de la section centrale, qu'une caisse générale d'épargne soit créée sous la garantie pécuniaire de l'Etat, qui aurait à en subir par après les plus fâcheuses conséquences.

Si j'approuve le gouvernement de chercher, par sa haute influence, à provoquer le plus possible de ces institutions si utiles à la classe peu favorisée de la fortune, à les protéger et même à les doter de certains privilèges, au moyen de dispositions législatives, je désire, toutefois, que l'Etat s'abstienne d'intervenir directement dans de pareilles affaires financières qui devraient être laissées à l'initiative particulière ; il est, d'ailleurs, constaté par l'exposé des motifs du projet de loi, que dans plusieurs pays, notamment en Suisse, en Danemark et dans plusieurs parties de l'Allemagne, les caisses particulières d'épargne sont très prospères sans l'intervention directe ni la garantie de l'Etat, qu'elles y ont traversé, sans atteintes fâcheuses, plusieurs crises financières et politiques, et sans devoir recourir à la caisse du trésor public, afin de pouvoir remplir leurs engagements.

Si, dans d'autres contrées, moins riches que la Belgique, et où, par conséquent, il n'y a pas autant d'activité dans le travail national, de pareilles caisses d'épargne, dues à l'initiative privée, peuvent rendre des services continus et utiles à la classe ouvrière, sans le concours direct du gouvernement, pourquoi, dans notre pays, n'en pourrait-il pas être de même ?

Si, en Belgique, ces caisses particulières n'ont depuis quelque temps (page 1428) plus pris un plus grand développement, on peut l'attribuer en partie aux différentes crises politiques et financières, se succédant depuis 1848 ; elles ont forcé les sociétés financières ayant établi des caisses d'épargne, de restreindre le taux de l'intérêt à payer aux déposants, et, en outre, de ce que, depuis plusieurs années, il a été question de fonder une caisse générale d'épargne, sous la haute direction de l'Etat et sous sa garantie. Par cette intervention continue du gouvernement, cherchant à étendre ses attributions, il pourrait faire supporter au pays que l'intérêt général semble réclamer qu'il ait lui-même à créer, à diriger et à intervenir directement dans des affaires qui, dans la plupart des autres contrées, restent en dehors de la centralisation administrative de l'Etat, y sont laissés à l'initiative privée et y sont toutes locales, soit paroissiales, communales ou provinciales.

Il me paraît que l'action directe du gouvernement, pour amener nos nombreuses populations ouvrières à faire des épargnes sur leur salaire devrait plutôt s'exercer à stimuler l'instruction primaire, en la dirigeant vers un plus grand sentiment de moralité et de prévoyance, qui laisse actuellement beaucoup à désirer, et alors seulement les caisses particulières d'épargne prendraient une plus grande importance, par les nombreux petits capitaux qui y afflueraient.

Nous voyons, en effet, que plusieurs de nos grandes industries ont établi, avec grand succès, des caisses d'épargne, de prévoyance et de secours mutuels, sans la garantie de l'Etat ; il ne s'agit donc que d'encourager de pareils établissements particuliers et de persévérer dans cette bonne voie.

En établissant, au contraire, une caisse d'épargne officielle, celle-ci absorberait immédiatement toutes les autres caisses privées et finirait, sous ce rapport, par exercer un véritable monopole, ce que l'exposé des motifs du projet de loi semble mieux indiquer, comme étant un avantage de la centralisation, dans une seule main, de tous les capitaux des caisses d'épargne de notre pays.

Je crois, au contraire, qu'il est de l'intérêt général que l'action directe et matérielle de l'Etat ne s'inféode pas aux affaires qui doivent être laissées à l'initiative particulière ; qu'il est plutôt désirable, si de tels établissements de prévoyance se forment dans les diverses parties de notre pays, afin de mettre ces caisses d'épargne plus à proximité des classes ouvrières, que le gouvernement leur accorde la concession légale, avec sa haute surveillance morale, sans toutefois assumer la garantie de leurs actes ni être responsable de leurs engagements financiers ; ce serait se créer de très graves embarras pour le futur ; ce serait exposer les finances du pays à de fâcheuses conséquences dans des moments de grandes crises extraordinaires et imprévues.

Et, en effet, dans une pareille situation, l'Etat se verrait obligé non seulement de décréter le cours forcé de 130 à 150 millions de francs de billets de la Banque nationale, dont une si forte émission n'avait pas été prévue lors de la discussion du projet de loi autorisant l'établissement de cette puissante société financière. Mais, en outre, il devrait se charger lui-même du remboursement des fonds placés à la caisse d'épargnes officielle ; ni la réserve de cette caisse, ni les autres moyens financiers ordinaires de la Banque nationale ne seraient suffisants pour effectuer ce remboursement, parce que, dans de pareils moments de crises extraordinaires et imprévues, l'argent métallique leur ferait défaut, et que les effets et valeurs à courtes échéances ne seraient pas négociables ; il faudrait, au contraire, proroger leur exigibilité de plusieurs mois.

Si la Société Générale a pu, sous sa seule garantie, obtenir au-delà de 60 millions de francs placés à sa caisse d'épargne, l'on peut soutenir, avec un certain fondement, que la nouvelle caisse d'épargnes de la Banque Nationale, garantie par l'Etat, aura le monopole de presque tous ces placements ; qu'ayant des agents partout, cette caisse recevra des dépôts encore plus considérables ; ils pourraient se monter de 200 à 300 mil-ions.

Et cela est présumable puisqu'il n'y aura aucun maximum fixé pour limiter le montant des dépôts par déposant ; quelle serait la position du gouvernement, si la caisse d'épargne, dans ces moments de crises, invoquait la garantie stipulée par l'article premier du projet de loi ?

Il faudrait alors établir, ainsi qu'en 1848, le cours forcé des billets de banque et probablement décréter plusieurs contributions extraordinaires afin de pouvoir faire face à ces dépenses imprévues ; car, ordinairement dans de telles circonstances, l'industrie, le commerce et les institutions financières sont dans un état de souffrance, et l'on ferait nécessairement supporter ces charges extraordinaires à la propriété immobilière qui, actuellement déjà, comparativement à toutes les autres bases imposables, apporte une très large part aux ressources de l'Etat, de la province et de la commune.

le gouvernement stipule, toutefois, dans le projet de loi, pour maintenir purement sa garantie morale et pour ne pas être assujetti, au moment de crise, à des sacrifices pécuniaires très considérables, qu'un fonds de réserve suffisant serait formé, afin de pouvoir parer à toutes les éventualités : ce fonds serait constitué au moyen du total des bénéfices renseignés par les comptes ; mais peut-on réellement espérer que ce fonds de réserve serait suffisant pour faire face à toutes les éventualités, lorsque déjà, en partie, il est destiné à compenser les pertes éventuelles de la caisse d'épargnes, à rembourser au gouvernement ses avances qu'il aurait à supporter en exécution de la garantie, et en outre qu'une portion de ce fonds peut tous les cinq ans être répartie entre les livrets existants, au marc le franc des intérêts bonifiés à chacun pendant les cinq dernières années.

Il est encore à observer que si la nouvelle caisse générale d'épargne doit attirer un grand nombre de petits capitaux, il faut qu'elle puisse payer aux déposants un intérêt assez marquant, et, dans ce cas, il est probable que les bénéfices dont se compose la réserve ne seraient guère très importants, surtout dans les premières années de l'établissement de cette caisse officielle.

Une autre objection très sérieuse à présenter sur la formation de cette caisse, se trouve dans la disposition de l'article 22 du projet, qui n'établit, par déposant, plus aucune limite au maximum des dépôts ; ce principe, beaucoup trop large, semble dénaturer entièrement l'essence des caisses d'épargne ; il en résultera indubitablement que cette caisse d'épargne officielle ne sera plus réellement la banque des dépôts de la classe ouvrière et peu fortunée, mais plutôt une banque de placement pour les capitalistes et autres personnes d'une certaine aisance, qui lui confieront de préférence leurs fonds, comme offrant plus de sécurité par la garantie de l'Etat, que les dépôts en compte courant chez les banquiers. D'après le projet de loi, le gouvernement engage la responsabilité financière du pays pour des intérêts certes très respectables, si l'on n'avait réellement en vue que ceux de la classe ouvrière et peu fortunée, c'est-à-dire les petits dépôts à la caisse d'épargne ; mais l'extension que l'on semble vouloir donner aux dépôts de cette caisse, sans fixer un maximum, fait assimiler la caisse d'épargne générale à toute autre banque, admettant indistinctement tous les dépôts.

L'on doit donc se demander si, pour l'avantage d'une très petite fraction de la nation, il est rationnel de vouloir assumer, pour l'Etat, des charges extraordinaires très importantes qui, dans un moment de fortes crises, pourraient exposer la masse des contribuables à subir une très forte augmentation de leurs contributions ?

D'après une nouvelle étude sur les caisses d'épargne, que l'honorable M. Aug. Visschers, membre du conseil des mines, a publiée en 1861, il y est constaté à l'évidence, « que l'expérience dans la Grande-Bretagne, en France et ailleurs, a toujours fait réduire de plus en plus le maximum des dépôts et le taux de l'intérêt ; lorsque partout en ces pays (même en France, comme on se plaît à le dire, cette terre classique de la centralisation), nous voyons l'Etat se placer sur l'arrière-plan, et se borner à autoriser ou à approuver, à encourager des caisses locales, c'est dans notre Belgique communale qu'un projet (qui n'est pas encore converti en loi) tend à faire de l'Etat le caissier, le banquier de tous les capitaux que des particuliers ou des établissements de bienfaisance lui confieraient. »

L'opinion émise par l'honorable conseiller des mines, « contre la centralisation dans une seule main de tous les capitaux des caisses d'épargne », mérite d'être prise en sérieuse considération par la Chambre ; elle émane d'un haut fonctionnaire et publiciste des plus compétents en ces sortes de questions, par suite de ses longues études sur l'amélioration du sort de nos classes ouvrières ; c'est avec le plus grand zèle et une haute intelligence, qu'il s'est occupé depuis longtemps, non seulement au moyen de ses nombreuses publications, de propager les saines idées de prévoyance, mais aussi, par une intervention plus directe, en provoquant l'organisation des caisses de prévoyance et de secours mutuels.

C'est donc avec une certaine autorité que l'on peut citer l'opinion de l'honorable conseiller des mines, lorsqu'il s'agit de créer ou d'encourager de pareils établissements philanthropiques et, d'après différents passages de cette brochure si substantielle, il parait démontré « par l'exemple des peuples voisins, la Grande-Bretagne, la France, que depuis 40 années, l'on n'a cessé d'y réduire le maximum des dépôts, ainsi que le taux de l'intérêt. »

« En France seulement, le taux de l'intérêt que la caisse des dépôts et consignations paye aux caisses d'épargne reste fixé à 4 1/2 p. c, après n'avoir été longtemps que de 4 p. c ; l'Etat, volontairement, y subit une perte en vue d'encourager l'établissement des caisses d'épargne. »

(page 1429) En Angleterre, cependant, depuis peu de temps, le gouvernement a fait une exception en faveur des petits versements faits aux divers bureaux de postes, dont le remboursement est garanti aux déposants ; mais le maximum des dépôts est fixé et ne peut dépasser un taux peu élevé.

En Allemagne, en Suisse, la plupart des caisses d'épargne sont établies par des communes, sons leur responsabilité, ou par des associations particulières, ainsi qu'en France et en grande partie en Angleterre ; l'Etat n'y intervient pas directement pour la garantie ou pour la fondation de ces caisses, sauf l'exception établie depuis peu en Angleterre pour les petits dépôts aux bureaux des postes, et, dans ces pays, l'on n'admet les capitaux que d'après un maximum déterminé, en général peu élevé.

Si en Belgique l'Etat, d'après les principes établis par le projet de loi actuellement en discussion, veut accorder un privilège aussi exorbitant pour la garantie du remboursement des dépôts faits à la caisse d'épargne officielle, sans limiter un maximum déterminé, il pourrait en résulter que d'autres institutions de bienfaisance et de prévoyance réclameraient avec autant de fondement la garantie gouvernementale. Dans un pays de liberté et d'égalité, il ne faut pas avantager quelques-uns au détriment de la grande masse de la nation, et si l'Etat veut être équitable envers tous, il ne pourrait reculer devant les demandes de garanties faites en faveur d'autres établissements de bienfaisance et de prévoyance.

Je crois plutôt, d'après les vrais principes d'une sage économie politique et sociale, que le trésor public n'est pas destiné à poser des actes de pure philanthropie dont on ne pourrait apprécier les conséquences, ni les sacrifices futurs, ainsi que la rédaction de l'exposé des motifs du projet de loi l'indique si bien à la page 105 de ce beau travail, où il dit : « S'il convient que le gouvernement encourage à faire des économies, ce ne doit jamais être au moyen des primes ou avantages qu'il accorderait aux dépens de la généralité des contribuables dont quelques-uns pourraient être plus nécessiteux que ceux que l'on voudrait attirer à la caisse au moyen de ces faveurs. »

Une autre objection très fondée, que je crois aussi devoir émettre contre la création d'une caisse générale d'épargne sous la garantie de l'Etat, c'est celle contre les stipulations du projet de loi chargeant la Banque Nationale non seulement d'encaisser les dépôts pour la caisse d'épargnes officielle, mais surtout d'en soigner les placements et leur réalisation.

N'est-ce pas donner à ce grand établissement financier encore une plus forte importance privilégiée au détriment des autres banques privées ? Ce serait réellement lui accorder le monopole de toutes les affaires financières du pays par la grande accumulation des capitaux dont il pourrait alors disposer, surtout que cette Banque Nationale conserve à sa disposition les nombreux fonds de l'encaisse de l'Etat dont elle ne paye aucun intérêt, et les fonds provenant des emprunts faits par le gouvernement, notamment pour des travaux publics extraordinaires restant effectivement, pendant plusieurs années, en partie dans la caisse de la Banque, ainsi que cela résulte des comptes rendus de la situation du trésor et des rapports de cette société financière.

Ne pourrait-on pas craindre que cette grande institution financière, par la grande influence dont elle disposerait, pourrait parfois peser sur l'action libre du gouvernement, dans certaines circonstances extraordinaires ? Ce serait réellement un gouvernement dans le gouvernement, avec lequel il faudrait compter chaque fois que les intérêts financiers de ce grand établissement de crédit se trouveraient en opposition avec ceux de l'Etat.

D'après ces diverses considérations, que ma conviction intime m'oblige d'émettre devant la Chambre et le pays, contre différentes dispositions essentielles du projet de loi en discussion, je regrette de ne pouvoir donner mon assentiment à l'institution d'une caisse générale d'épargne et de retraite, basée surtout sur la garantie directe de l'Etat inscrite dans la loi, et sans aucune limite fixée à un maximum de dépôt.

M. Tack. - Il n'est personne parmi nous qui ne désire voir prospérer et se développer les caisses d'épargne et de retraite ; nul d'entre nous, je pense, ne songe à contester leur utilité, nul ne songe à mettre en doute les services qu'elles rendent à la société, dans les pays où elles sont organisées sur de bonnes bases. Ces utiles institutions ne rencontrent plus d'adversaires ; elles ne comptent plus, a l'heure qu'il est, que des partisans ; partout elles ont trouvé de chauds défenseurs parmi les savants, les économistes et les hommes d'Etat ; en un mot, elles ont rallié autour d'elles l'élite des esprits les plus éclairés, et l'on peut ajouter que l'expérience est venue confirmer pleinement les espérances de ceux qui s'en sont montrés les plus ardents promoteurs. J'ose à peine, messieurs, de crainte de paraître fastidieux, dire un mot des avantages qui se rattachent aux caisses d'épargne, tellement ces avantages sont connus. Cependant qu'il me soit permis de les énoncer, car ils doivent nous guider dans l'appréciation que nous avons à faire des dispositions de la loi organique soumise ce moment à nos délibérations.

Au point de vue de l'intérêt des classes ouvrières, pour lesquelles elles ont été instituées, les caisses d'épargne sont un moyen de moralisation et une source de bien-être matériel ; elles inspirent à l'ouvrier le goût de la propriété et par suite elles font de lui un père de famille soigneux, rangé, dévoué aux siens, attaché à son intérieur, ayant le sentiment de sa dignité et de ses devoirs.

Elles l'arrachent au vice, à la dissipation et à leurs funestes conséquences.

Elles permettent à l'artisan, au travailleur d'accumuler, d'une manière sûre, le fruit de ses labeurs, de s'assurer une réserve pour les temps difficiles, de former un petit capital, au moyen duquel il pourra peut-être un jour s'élever au-dessus de la condition dans laquelle il est né. D'ouvrier qu'il était, il pourra devenir boutiquier, industriel, commerçant, propriétaire de la maison qu'il habite ; ce qui lui fait défaut pour mettre à profit son intelligence, son énergie, ses forces, c'est le capital ; la caisse d'épargne lui fournit le moyen d'en former le premier noyau, le crédit fera le reste.

Entre temps, il aura gagné en indépendance, à l'égard de son maître ; il sera en position de pouvoir plus librement discuter avec lui les conditions de son travail et de son salaire.

L'ouvrier qui se trouve dans une pareille condition est nécessairement un homme d'ordre ; ce n'est pas lui qui troublera la tranquillité publique ; possesseur d'un modeste pécule confié à la garde d'un établissement de crédit, ce n'est pas lui qui fomentera les émeutes, ce n'est pas lui non plus qui, dans des moments de crise, deviendra un embarras pour la charité officielle. Donc, au point de vue politique, les caisses d'épargne sont un incontestable bienfait. Sous un autre rapport, au point de vue économique, la société a tout à gagner à leur développement : elles ont pour effet de lancer dans la circulation une foule de petits capitaux qui sans elles demeurent oisifs, improductifs, stériles, parce qu'ils sont éparpillés par fractions infimes dans des mains incapables de les faire fructifier ; concentrées dans une caisse commune, elles forment un élément nouveau de production.

Pour qu'elles réalisent tout le bien qu'elles sont susceptibles de faire naître, les caisses d'épargne doivent résoudre le problème que voici : Conserver et garantir contre les chances de perte, tout en les faisant fructifier et en les tenant constamment disponibles, les fonds qui leur sont confiés.

Le seul énoncé de cette proposition indique que de sérieuses difficultés entourent immanquablement leur organisation.

La disponibilité incessante du capital est une condition qui semble exclure l'idée d'un placement fructueux avec garantie complète contre toute chance aléatoire.

Et cependant c'est le résultat qu'il importe d'atteindre, c'est la question qu'il faut résoudre à tout prix, au risque d'échouer. On le peut d'une manière presque absolue en soustrayant le déposant aux chances mauvaises pour les faire retomber sur l'Etat ou sur la commune.

C'est le système du projet de loi ; le gouvernement prête sa garantie aux déposants ; je ne suis point hostile à cette garantie, non pas que je croie l'organisation et la prospérité des caisses d'épargne impossibles sans la responsabilité du gouvernement, le contraire est prouvé dans plusieurs pays. En Suisse entre autres, les caisses d'épargnes ne sont régies par aucune disposition législative, elles existent, prospèrent, se développent sous le régime de la liberté ; elles y ont donné, comme le constate l'exposé des motifs « des résultats prodigieux qui dépassent ceux que l'on a constatés dans tous les autres pays. »

Mais si je ne repousse pas la garantie du gouvernement, quoique j'eusse préféré de beaucoup, ainsi que cela se pratique en France, l'intervention des communes, c’est parce que l'épargne du pauvre, de l'ouvrier est tellement sacrée aux yeux de tous, que lors même que la garantie du gouvernement ne serait pas formellement stipulée, le gouvernement ne pourrait pas, dans les cas extrêmes, la décliner.

Le gouvernement n'échappera point à la responsabilité quand bien même il serait entièrement étranger à la gestion des caisses d'épargne.

Nous en avons fait l'expérience ; deux fois il a dû accorder son concours à des sociétés privées, sans que pourtant il y fût obligé.

Si le gouvernement ou la commune accordent leur garantie, la conséquence logique en est qu'il faut les investir d'une action efficace sur les caisses d'épargne ; cette action se traduira ou en une surveillance de chaque instant, en un contrôle sévère et permanent, ou bien en une gestion directe confiée à des agents qui relèvent de lui ; à côté de l'Etat responsable, (page 1430) il faut l'Etat qui contrôle ou qui administre lui-même. C'est à ce dernier mode que M. le ministre des finances s'est arrêté.

C'est là, je pense, une grande innovation ; ailleurs, l'Etat n'intervient pas du tout ; ou, s'il se porte garant, il se borne à exercer le contrôle sur la caisse d'épargne et se charge tout au plus de recevoir les dépôts dans certaines limites et d'en faire le placement.

La combinaison admise par M. le ministre des finances implique l'immixtion la plus entière possible du gouvernement dans les caisses d'épargne, comme corollaire de la responsabilité qu'il assume et de la centralisation à laquelle aboutit le projet de loi.

Je concède pour un instant que cette responsabilité et cette centralisation soient une nécessité, que l'administration des caisses faite au nom et de par le gouvernement soit le seul système qui ait de l'avenir dans notre pays, qui puisse assurer l'extension des caisses d'épargne, leur diffusion dans tout le pays, je demande pour lors que l'action du gouvernement demeure circonscrite dans de justes bornes et n'acquière point des proportions excessives, qu'elle s'applique exclusivement à l'épargne de l'ouvrier et que le gouvernement ne se fasse point, sous quelque prétexte que ce soit, l'intermédiaire officieux des classes aisées, se chargeant, sous sa responsabilité, de placer et de faire fructifier les capitaux des rentiers et des propriétaires.

Je m'explique : Quelles sont les attributions d'une caisse d'épargne ? en faveur de qui les caisses d'épargne sont-elles instituées ? quel est le but qu'on leur a toujours assigné ? dans quelle sphère doivent se restreindre leurs opérations ?

Elles ont été imaginées pour favoriser, encourager, faciliter l'épargne parmi la classe ouvrière. Dans cet ordre d'idées elles ont pour but de recueillir, d'accumuler, de faire fructifier dans les limites du possible et de garantir les petites sommes que le travailleur économise sur son salaire ; elles ont en vue de soustraire ces économies à la tentation du moment et de les convertir en un capital qui pourra servir à son propriétaire dans des moments de détresse, ou l'aider à se créer une position meilleure dans la société.

Mais jamais les caisses d'épargne n'ont été envisagées nulle part comme des institutions ayant mission de se charger de placements définitifs. On l'a dit avec raison, elles sont un moyen d'arriver au placement. Elles sont un lieu de passage, mais non un lieu de placement définitif ; ces idées, auxquelles je m'associe, ont été admirablement bien exposées et développées dans une remarquable brochure, œuvre d'un homme de talent et d'expérience, dont on ne récusera pas sans doute la compétence, pas plus que le savoir et l'érudition par M. Visschers, membre du conseil des mines et président de la commission centrale chargée de la surveillance des sociétés de secours mutuels.

Cet honorable écrivain a fait, à l'appui de sa thèse, l'historique des caisses d'épargne en Angleterre, en France et en Allemagne et il démontre que partout on est resté fidèle au principe qui consiste à encourager les petits dépôts, les fractions, les fragments, les parcelles, les quantités minimes, les modiques économies, ce que l'on appelle en Angleterre les small savings, les petites sommes destinées à recevoir plus tard un emploi fructueux. M. Visschers se prévaut, pour défendre ses idées, de l'autorité de M. Ch. de Brouckere.

Dans la pensée de M. Visschers, la caisse d'épargne, ramenée à son véritable principe, a pour mission de recueillir, de conserver et d'accumuler les petites épargnes et non d'effectuer le placement de capitaux déjà formés.

Est-ce là l'idée que poursuit M. le ministre des finances ? Non ; son projet de loi revêt des proportions autrement vastes et il se résume en ceci : L'Etat se fait banquier et crédit mobilier à la fois. Il crée un puissant établissement financier qu'il gère lui-même par l'intermédiaire d'une commission relevant de lui, avec l'aide et le concours de la Banque Nationale et de la caisse des consignations ; cet établissement est alimenté au moyen des fonds de toutes les caisses d'épargne du pays. Il fait l'escompte de papier de commerce belge et étranger, il fait des avances sur des traites de commerce, bons de monnaies et d'affinage du pays ou de l'étranger ; il fait des avances sur marchandises, warrants et connaissements, sur fonds publics belges et étrangers, sur obligations des communes, des provinces, sur actions et obligations de sociétés belges.

Le gouvernement est responsable des fonds qu'il place, il les garantit contre toute chance de perte et ne se réserve aucune chance de bénéfice ; il opère sur la plus large échelle ; il reçoit non seulement les épargnes que l'ouvrier lui confie, mais il se réserve la faculté d'accepter les dépôts les plus considérables, sans restriction aucune ; il accueille même avec faveur ces dépôts, parce que, pour réaliser de gros bénéfices, il lui faut de gros capitaux ; les petits dépôts, fait-il observer, entraînent à des frais d'administration que ne supportent pas au même degré les valeurs importantes ; sans les gros capitaux, pas moyen de servir un intérêt élevé ; or, c'est par le stimulant d'un intérêt convenable qu'on alléchera les capitaux.

Je comprends que si vous voulez bonifier un fort intérêt, il est essentiel que vous établissiez votre banque sur de larges bases, qu'il faut de toute nécessité opérer sur des capitaux importants, admettre au nombre des participants d'autres personnes que les ouvriers, en permettre l'accès aux rentiers, aux capitalistes, renoncer à l'idée de fixer un maximum de dépôt ou de versement. Mais n'est-ce pas là s'écarter des principes qui dominent la matière et perdre de vue le but de l'institution des caisses d'épargne ? Est-ce bien l'intérêt que recherchent les déposants de la catégorie de ceux que l'on veut favoriser ? Non c'est, la sécurité et le remboursement à volonté qu'il leur faut avant tout ; et quand le gouvernement garantit le remboursement immédiat du capital et en outre un intérêt raisonnable, le déposant pourrait-il se plaindre ?

Un placement solide suppose un petit intérêt, surtout si le capital placé est toujours disponible ; les gros intérêts correspondent à des placements aléatoires, le déposant ne peut prétendre cumuler les bénéfices de chaque genre de placement et éviter en même temps les désavantages qui à chacun d'eux sont inséparables.

Est-il juste que le gouvernement soit tenu de garantir le remboursement, la disponibilité du capital et un intérêt élevé ; est-il prudent qu'il prenne un engagement de cette nature ? Si en se chargeant de la gestion des caisses d'épargne, il prête sa garantie et assure un intérêt correspondant à celui que produisent les placements reconnus les plus solides, n'a-t-il pas rempli toutes ses obligations à l'égard de l'ouvrier ; et dès lors qu'a-t-il besoin de se charger de faire fructifier les capitaux des commerçants, des industriels, des cultivateurs grands ou petits ? N'est-il point généralement reconnu que le taux de l'intérêt n'a qu'une médiocre influence sur les déposants de la classe ouvrière ?

L'Etat se substituant à l'action des particuliers là où son intervention n'est pas démontrée être indispensable, n'est-ce pas là une idée antiéconomique ? N'est-ce pas là provoquer à l'apathie, à l'inertie des forces vitales de la société ?

Que le gouvernement fasse de la bienfaisance et de la philanthropie, on le conçoit jusqu'à certain point ; mais il ne lui appartient pas de placer les capitaux, ni des grands, ni des petits rentiers, moins encore de garantir leur fortune.

Il convient de laisser aux rentiers et aux capitalistes la responsabilité qui leur incombe, et il ne faut pas leur permettre de s'endormir dans une sécurité par trop commode pour eux, par trop gênante pour l'Etat.

Pour dire ma pensée en un mot, je crois que le projet de loi met entre les mains du gouvernement un levier trop puissant et un pouvoir dangereux, dont il lui serait facile d'abuser.

Le système est bien coordonné, je n'en disconviens pas ; il ne présente rien de nouveau au fond, car il a été essayé ailleurs avec succès ; il fonctionne notamment en Autriche ; là aussi les caisses d'épargne escomptent des papiers et valeurs de l'Etat ou des lettres de change, font des avances sur fonds publics, sur actions, sur hypothèques.

Mais avec cette différence c'est que ce sont des associations particulières qui les dirigent, les gèrent sous leur responsabilité ou bien lorsque ce sont des communes, le taux de l'intérêt est modéré, il diminue en proportion de l'augmentation du chiffre des dépôts, un maximum est fixé pour les dépôts, afin d'écarter les capitaux des riches.

Dans le projet qu'on nous présente, rien de pareil ; tout est centralisé entre les mains du gouvernement, et la caisse d'épargne peut accepter telle somme que bon lui semble, si importante qu'elle soit ; il n'y a point de limite.

Là est, selon moi, le mal. Je voudrais, si le projet de loi est adopté, et si aux caisses d'épargne administrées par les communes ou placées sous le patronage de particuliers, l'on préfère une institution dirigée, gérée, administrée et garantie par le gouvernement, au moins on n'y donne pas une extension inutilement démesurée qui puisse éventuellement engager lourdement sa responsabilité.

Le meilleur moyen de réduire l'institution à des proportions convenables, c'est d'arrêter un maximum au-delà duquel il ne sera pas permis à la caisse de recevoir des dépôts.

Partout où l'Etat et les communes sont intervenus pour accorder directement ou indirectement, partiellement ou totalement, leur garantie aux caisses d'épargne, en Angleterre, en France et ailleurs, on a admis le principe du maximum des dépôts, Pourquoi dévier, en Belgique, de cette règle que prescrit la prudence la plus élémentaire ?

Les sociétés privées seules se sont affranchies parfois de la règle du maximum. Mais elles ont eu soin alors de ne s'obliger à payer qu'un intérêt très minime. D'autres ont réduit l'intérêt, en proportion de l'augmentation du chiffre de dépôts ; d'autres ont stipulé de longs délais pour (page 1431) le remboursement, tout en repoussant la régie du maximum ils ont opposé aux dépôts trop considérables des obstacles indirects.

Le projet s'écarte donc, sous ce rapport, des précédents consacrés par l'expérience dans d'autres pays.

En France, en Angleterre, le gouvernement a été forcé de réduire successivement le taux du maximum pour se soustraire à une intervention devenue trop onéreuse.

Craint-on pour notre pays que les capitaux fassent défaut ? L'expérience n'est-elle pas là pour prouver que les caisses d'épargne n'ont guère été embarrassées par le manque de capitaux, mais par le trop-plein, et la Société générale avec un maximum de 4,000 fr., et une bonification d'un intérêt de 5 p. c. seulement, n'avait-elle pas à répondre, en 1848, de 60,000,000 de fr. ?

Pour mon compte, je voudrais que le maximum du chiffre du dépôt fût fixé à 3,000 fr. par la loi, pour la caisse d'épargne aussi bien que pour le déposant ; j'ai peur d'exagérer la garantie du trésor public, et je n'aime pas d'outrer l'intervention gouvernementale.

Je sais qu'on me répondra : Nous avons combiné les choses de telle manière que la garantie de l'Etat ne sera qu'une garantie morale : nous avouons que le trésor public, étant « alimenté par les contribuables, dans le but de leur rendre des services, aucune partie de ses revenus ne saurait, sans injustice, être distraite au profit d'une classe d'habitants, et dans un autre but que celui de l'utilité publique, » mais pareil détournement n'est pas à redouter, nous avons pris nos précautions ; notre caisse d'épargne est tellement bien organisée qu'elle n'est exposée à aucun danger. En temps normal, je le veux bien, mais surviennent des crises, pouvez-vous répondre que vous les passerez sans secousses ?

Il serait téméraire de l'affirmer, car enfin vous serez parfois amenés à faire des placements plus ou moins chanceux ; tout roule en grande partie, dans votre système, sur la prudence des administrateurs de la caisse ; sans doute, votre choix tombera sur des hommes habiles, vigilants, probes, honnêtes ; mais encore sont-ils sujets à se tromper ; je sais que vous avez eu soin de stipuler une réserve pour tenir, le cas échéant, l'Etat indemne des pertes qu'il pourrait essuyer ou prémunir la caisse contre des éventualités subites et imprévues. Je n'ignore pas que vous avez l'intention de ne faire que des avances à court terme et de n'escompter que du papier solide (revêtu de trois signatures), que vous échelonnerez convenablement les remboursements et surtout le retrait des grosses sommes ; que vos placements seront variés ; qu'une partie en sera faite à l'étranger, que les immobilisations seront faites avec circonspection ; qu'enfin vous vous réservez la ressource des emprunts pour les temps de gêne ; eh bien, malgré toutes ces mesures encore pourrez-vous être exposés à des mécomptes et à des déconvenues.

D'autres vous ont précédés dans la carrière et se croyaient invulnérables, et cependant ils se sont trouvés en face d'embarras réels et de graves complications, obligés à faire d'énormes sacrifices. Plus vous aurez de capitaux, plus vous serez tentés de faire des placements chanceux et plus grand sera votre embarras au jour de la panique.

Il vous faudra bien rembourser alors, si pas à l'instant, dans six mois, terme le plus long des délais que stipule le projet de loi ; le pourrez-vous sans perte ? A quel taux réaliserez-vous alors les fonds publics que vous aurez acquis chèrement ? Pourrez-vous vous en débarrasser à moins de vous résignera d'énormes sacrifices ?

Ne vous arrivera-t-il pas ce qui est arrivé au gouvernement français en 1848 ? Votre intervention ne diffère, au fond, de celle du gouvernement français qu'en ce que vous gérez vous-mêmes et que vous adoptez certains autres modes déplacement ; vous vous flattez de ne pas diriger vers le trésor public les fonds des caisses d'épargne ; vous ferez, dites-vous, des placements divers. Mais êtes-vous bien sûr que l'escompte offrira toujours un débouché suffisant à vos capitaux ?

La Banque Nationale et les autres institutions de crédit érigées notre pays ne suffisent-elles pas à tous les besoins ? Il est vrai que vous ouvrez devant vous un champ vaste et presque sans limites comme vous le déclarez dans l'escompte des valeurs étrangères ; mais cette exportation de nos capitaux, pour aller alimenter le travail à l'étranger, est-elle une chose à conseiller ? Je vous laisse le soin de répondre.

Du moins si vous tenez absolument à centraliser les caisses d'épargne entre les mains du gouvernement, à lui en confier la gestion, si vous préférez à l'intervention directe et à la responsabilité des communes, celle de nos capitaux, pour aller l'Etat, restreignez-les dans de sages limites, bornez-vous à ce qui est nécessaire, juste et prudent.

Je sais bien que vous m'objectez que les caisses d'épargne n'ont pas atteint, en Belgique, le développement qu'elles ont acquis ailleurs, que sous ce rapport nous sommes dans un état d'infériorité marquée par rapport à d'autres.

D'abord n'exagérons pas les choses, ne soyons pas modestes à l'excès. Remarquons que, dans notre pays, les petits capitaux ne sont pas sans emploi utile ; ils ont depuis quelque temps pris une autre direction que les caisses d'épargne, voilà peut-être le secret de l'infériorité relative de celles-ci. J'ai peine à croire qu'il y ait beaucoup de capitaux oisifs en Belgique.

Le petit cultivateur, le petit commerçant, lo domestique même, n'est pas embarrassé aujourd'hui de placer ses épargnes ; la confiance dont jouit le crédit du gouvernement et des communes, aussi bien que le crédit privé, fait du progrès ; beaucoup de petites sommes sont placées en fonds publics, en obligations des communes, en obligations de nos sociétés financières, de nos sociétés industrielles, de nos chemins de fer ; la cote de la bourse pénètre aujourd'hui an fond de nos campagnes ; on se familiarise avec le crédit public et le crédit privé. Pourquoi voulez-vous détourner ce courant, et vous charger de faire pour le public ce que le public fait spontanément, prendre sur vous une garantie qu'il a prise volontairement sur lui ?

Ces sortes de capitaux n'appellent nullement vos soins ; ce qu'il convient de faire c'est de pousser par tous les moyens à l'accumulation des petites épargnes ; pour réussir, pas n'est besoin d'organiser, pour le mettre aux mains de l'Etat, un établissement financier colossal. Si les caisses d'épargne n'ont pas fleuri davantage chez nous jusqu'à ce jour, ce n'est pas à défaut d'institutions convenablement organisées, c'est peut-être que dans certains centres les salaires sont réduits au point qu'il est difficile à des catégories entières de travailleurs de faire des économies, et que c'est tout au plus s'ils peuvent réunir de quoi participer aux sociétés de secours mutuels.

Peut-être les autorités locales n'ont-elles pas assez fait jusqu'à présent pour propager les caisses d'épargne ; déterminez-les à donner plus d'encouragement à ces institutions, à les mieux faire connaître aux classes ouvrières sur lesquelles elles disposent d'une influence bien plus grande que celle du gouvernement, vous aurez fait plus par là en faveur des classes inférieures qu'en attirant dans la caisse au gouvernement les capitaux de ceux qui n'ont nul besoin de son intervention pour les faire fructifier.

- La séance est levée à 4 heures et demie.