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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 5 juin 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1465) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des membres du conseil communal et des habitants de Sivry prient la Chambre d'accorder à la compagnie Delval, la concession des chemins de fer de Frameries à Chimay et de Manage à Momignies par Sivry. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des directeurs de charbonnages prient la Chambre d'accorder au sieur Stevens la concession d'un chemin de fer de Houdeng-Goegnies à Jurbise. »

- Même renvoi.


« Le sieur Jacobs demande qu'en matière de calomnie la durée de la prescription soit portée de trois à cinq ans. »

- Même renvoi.


« Le sieur Bon propose une modification à l'article 176 du projet de loi sur l'organisation judiciaire. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.


« M. Moncheur, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi exemptant des frais de régie les terrains incultes boisés des communes et établissements publics

Rapport de la section centrale

M. Muller. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre, le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi tendant à accorder exemption temporaire des frais de régie, en faveur des terrains incultes boisés, pour le compte des communes et des établissements publics.

Projet de loi relatif au timbre pour les billets au porteur

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale, qui a examiné le projet de loi relatif au timbre pour les billets au porteur.

- Impression et distribution, et mise à la suite de l'ordre du jour.

Proposition de loi relative aux logements militaires

Développements et prise en considération

M. Coomans. - Après les discussions assez nombreuses dont les logements militaires ont été l'objet dans cette enceinte et dans la presse, je n'aurai pas besoin, je pense, de présenter de longs développements à la Chambre pour l'engager à prendre en considération et ensuite à voter le plus tôt possible la proposition de loi que j'ai eu l'honneur de lui soumettre.

L'indemnité de 74 centimes par homme et par jour allouée par le gouvernement aux familles auxquelles il impose le logement d'un soldat, a toujours paru insuffisante.

Elle semblait déjà telle il y a 50 ans, bien que les populations de cette époque fussent habituées pour ainsi dire à des réquisitions plus ou moins arbitraires.

Aujourd'hui, elle est devenue dérisoire depuis que le prix des vivres a doublé comme celui de la terre.

L'équité, le bon sens, la Constitution exigent que l'indemnité soit juste, d'autant plus que l'impôt qui nous occupe pèse presque toujours sur les mêmes familles.

Si toutes les populations belges étaient tour à tour soumises, et dans des proportions égales, aux logements militaires, j'avoue que le chiffre de l'indemnité me serait à peu près indifférent, car l'impôt serait acquitté par tous, et en nature.

On pourrait même dire que, dans celle hypothèse, aucune indemnité ne serait nécessaire.

Mais, alors qu'il est démontré que les logements militaires ne sont imposés qu'à une faible fraction de la population belge et que c'est toujours la même qui les supporte, c'est, de notre part, une stricte obligation de rendre cette indemnité aussi juste que possible.

Il n'est pas dans l'intérêt du gouvernement d'obliger les familles à examiner de près la grave question de savoir s'il a le droit de faire ouvrir la porte de tous les citoyens la nuit comme le jour aux troupes en marche.

Je sais que l'affirmative est soutenue. Pour ma part, je fais, à ce sujet, les réserves les plus formelles. Je réserve expressément la question de principe.

Un honorable membre a cru pouvoir affirmer, l'autre jour, que cette question de principe avait été déjà résolue par les tribunaux. J'ai cherché des preuves de cette allégation ; je ne les ai pas rencontrées dans les volumineuses publications que j'ai consultées.

Il me semble que je pourrais démontrer, sans trop de peine que les deux espèces de lois que l'on invoque en faveur du droit que s'arroge le gouvernement de loger les soldats chez les citoyens, n'ont point ou plutôt n'ont plus de force obligatoire en Belgique.

Ainsi, il y a deux dispositions... légales (je ne sais trop comment les appeler) : l'une est du 15 avril 1814 ; mais celle-là n'est évidemment pas applicable aux logements militaires pour la Belgique entière, attendu que cette disposition légale est toute bruxelloise ; elle ne concerne que la ville de Bruxelles.

Je laisse à part les mesures draconiennes, barbares qu'elle renferme et dont je serais honteux de donner lecture à la Chambre, après avoir entendu dire ici qu'elles sont encore en vigueur en Belgique.

La seconde disposition est du 15 août de la même année, celle-là offre un caractère incontestable de généralité, mais ce n'est ni une loi ni un arrêté royal, c'est une simple instruction donnée au commissaire général de la guerre sur l'exécution des dispositions contenant des mesures concernant le logement et le traitement des troupes en marche.

J'ai promis, messieurs, de ne pas insister beaucoup sur la question de constitutionnalité des logements militaires, mais c'est à la condition que l'iniquité flagrante que j'ai souvent signalée à la Chambre vienne à cesser.

Je reconnais que nos populations se soumettront assez volontiers à la corvée des logements militaires, au moins par patriotisme et à cause de l'intérêt qu'elles portent aux défenseurs de la nation, le jour où l'indemnité payée par le gouvernement paraîtra raisonnable.

Cette indemnité, je propose de la fixer à fr. 1-50 par jour et par homme ainsi qu'à fr. 1-50 par cheval si la nourriture est fournie par les familles. Dans le cas où la ration du cheval serait, comme c'est ordinairement le cas, fournie par le gouvernement, il y aurait quelque chose à réduire du chiffre fixé.

Messieurs, pendant plusieurs années, lorsque nous nous plaignions des logements militaires, on avait accoutumé de nous répondre que nos plaintes n'avaient guère de raison d'être, qu'elles étaient au moins exagérées attendu qu'il n'y avait presque pas de logements militaires ; en vain répondions-nous que le nombre n'y faisait rien, que c'était la question de justice que nous avions à examiner, on s'en tenait à cette fin de non-recevoir et on nous disait : Bah ! il y a si peu de logements militaires que cela ne vaut pas la peine d'en parler.

J'ai répliqué encore à ce prétendu argument, que s'il y avait peu de logements militaires, c'était une raison de plus de rendre l'indemnité juste, convenable et que le gouvernement pouvait faire justice à peu de frais, ce qui est toujours un avantage.

Plus tard, quand les plaintes se sont multipliées et quand elles ont rencontré de l'écho dans cette Chambre, on a changé de thèse, et on a dit que si l'indemnité était convenable et juste, si on la portait à un franc et demi par exemple, il en résulterait pour l'Etat une charge supplémentaire très forte, charge supplémentaire que l'honorable ministre de la guerre a fixée en janvier dernier à la somme de près de 300 mille francs par an.

J'avoue que ce chiffre a été pour moi une désagréable révélation. Je ne me doutais pas que la dépense pût s'élever si haut, je ne croyais pas qu'il y avait en Belgique un demi-million de logements militaires par an. Je n'ignorais pas, il est vrai, que les populations de la Campine en supportaient dans cette proportion, attendu que plusieurs villages reçoivent trente et quarante jours de suite des soldats à loger, mais je ne m'imaginais pas que d'autres localités de la Belgique fussent chargées à peu près dans la même mesure.

(page 1466) Vous comprenez, messieurs, que si l'Etat dépense déjà aujourd'hui 285 mille fr. pour les logements militaires d'après le taux très réduit que nous connaissons, c'est une raison grave de plus pour nous de rectifier cet état de choses et de rendre justice aux familles qui le réclament depuis si longtemps.

En effet, plus il y a de logements militaires, plus il y a de familles vexées ; j'ajoute que plus sera forte l'indemnité à payer par l'Etat, plus aussi, il est clairement démontré que la situation actuelle des choses est inique, intolérable.

Non seulement il y a beaucoup de logements militaires, mais, je ne saurais assez insister sur ce point, ils frappent toujours les mêmes familles.

En croyant me contredire l'autre jour, on a singulièrement fortifié ma thèse ; on a prétendu que beaucoup de localités eu Belgique n'étaient plus frappées de logements militaires, qu'elles en avaient en quelque sorte perdu le souvenir. Cette observation est juste.

Mais elle a une toute autre portée que ne le pensait l'honorable orateur qui l'a présentée.

En effet, si beaucoup de villes et de villages de Belgique n'ont pas à subir des logements militaires, beaucoup d'autres en subissent fréquemment chaque année, et il serait par trop injuste de faire peser un impôt aussi lourd, aussi vexatoire sur quelques familles, toujours les mêmes.

Je m'étonne, je le dis franchement, que cette criante iniquité, que cette flagrante inconstitutionnalité ait été supportée si patiemment, depuis 1830, par mes compatriotes.

On a fait beaucoup de bruit pour bien des griefs qui n'étaient pas aussi sérieux que celui-là.

J'espère que l'on n'essayera pas de démontrer que le 1 fr. 50 c. que je demande comme indemnité pour les logements militaires, est une somme trop forte. On aurait grand tort de le prétendre, d'abord parce que l'allégation serait très inexacte, ensuite parce qu'on opérerait une économie au détriment des familles laborieuses qui ont le plus à souffrir des logements militaires.

Il saute aux yeux que par le temps de cherté générale qui court, on ne peut pas héberger un homme à moins de 1 fr. 50 c. par jour.

La somme n'est pas trop élevée ; c'est pour être certain de réussir que je l'ai fixée modérément à ce taux. Les cabaretiers exigent jusqu'à trois francs par homme.

Messieurs, je prie instamment la Chambre, d'abord de prendre cette proposition de loi en considération, ce qui, j'en suis sûr, aura lieu à l'unanimité ; ensuite de le voter le plus tôt possible. L'époque des logements militaires les plus fréquents est proche ; le temps des manœuvres de Beverloo sera bientôt là ; c'est dans le courant des mois de juillet, d'août et de septembre, qu'il y a le plus de logements militaires distribués dans un certain rayon du camp de Beverloo. La Chambre ne voudra pas que l'injustice qui a été signalée par beaucoup de ses membres et reconnue par tous, dure encore pendant trois mois ; car trois mois, ce serait une année. Il convient que l'acte d'équité que nous allons poser, le soit le plus tôt possible, afin qu'il puisse profiter, pendant la prochaine période des manœuvres de Beverloo, aux familles assez nombreuses qui attendent depuis si longtemps la justice qui leur est due.

- La proposition de M. Coomans est appuyée, prise en considération et renvoyée à l'examen des sections.

Projet de loi instituant une caisse d'épargne et de retraite

Discussion générale

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, la loi actuellement soumise aux délibérations de la Chambre, me paraît digne de toute sa bienveillante attention. Il s'agit des caisses d'épargne. Il serait superflu, je pense, de faire l'éloge de ces sortes d'institutions, ou de faire des efforts pour démontrer toute leur utilité, toute leur nécessité même, au double point de vue du bien-être matériel et de la moralisation des classes laborieuses ; elles sont aujourd'hui entrées dans la deuxième phase de leur histoire : c'est celle de leur organisation, question très vaste, très difficile, très compliquée.

Y a-t-il, pour l'Etat, nécessité d'instituer une caisse d'épargne ? Y a-t-il lieu de prendre des mesures législatives pour régler l'organisation de ces caisses en Belgique ?

Pour répondre d'une manière judicieuse à cette double question, il faut se rappeler que nous nous trouvons en présence d'un fait extraordinaire et profondément regrettable. C'est que la Belgique est au dernier degré de l'échelle, par rapport aux autres peuples, au point de vue des caisses d'épargne.

Il n'y a point ou presque point d'autres pays, offrant une civilisation analogue à la nôtre, qui présentent des résultats aussi défavorables que ceux que nous avons malheureusement à constater.

C'est en vain, messieurs, que, pour se consoler de cette situation, on se dit que dans le pays il y a, pour les petites épargnes, un grand nombre d'autres modes de placement que celui des caisses d'épargne proprement dites, et que cette circonstance explique l’état d'infériorité dans lequel nous nous trouvons ; on se dit que les emprunts à primes, entre autres, sont un moyen de placement fort recherché par les petites épargnes.

Messieurs, je ne veux pas certainement contester que ces sortes d'opération soient de nature à attirer une série de petits capitaux ; mais je n'admets nullement que l'on puisse expliquer par cette circonstance la situation fâcheuse que je viens de rappeler. Veuillez, en effet, remarquer deux choses : la première, c'est que d'autres pays, ou les caisses d'épargne sont dans une voie de prospérité remarquable, offrent également aux petits capitaux de nombreux moyens de placement et particulièrement des emprunts à primes. Il en est ainsi en Allemagne, par exemple, où, précisément, l'on a usé et abusé de toutes les façons de tous les modes d'emprunts à primes. Presque partout les moyens de placement sont donc extrêmement multipliés, extrêmement variés, et cependant, dans la plupart de ces pays, pour ne pas dire dans tous, les caisses d'épargne sont dans un état de prospérité qui dépasse de beaucoup la situation dans laquelle elles se trouvent chez nous.

En second lieu, ce qui prouve encore qu'on ne peut pas expliquer de cette manière le peu de succès de nos caisses d'épargne, c'est que les emprunts à primes n'existent ici que depuis un petit nombre d'années. Le premier qui ait été autorisé remonte à 1853, et antérieurement à cette époque, notre situation, quant aux caisses d'épargne, n'était guère plus favorable qu'aujourd'hui.

La véritable cause de ce regrettable état de choses doit donc être cherchée ailleurs. Elle résulte, selon moi, des catastrophes que les caisses d'épargne ont subies dans ce pays à diverses époques.

On avait commencé à les propager avant 1830 ; de grands efforts avaient été tentés pour réussir à les instituer ; on y était parvenu dans un certain nombre de localités ; quelques villes en avaient institué directement, ou avaient pris sous leur patronage des caisses établies par l'initiative de particuliers.

Mais la révolution est survenue, et toutes les caisses ont subi des crises. En 1838, la caisse d'épargne de la Banque de Belgique s'est également trouvée atteinte, et le gouvernement a été obligé de venir à son secours. Enfin, troisième catastrophe : en 1848, les caisses d'épargne se sont encore trouvées dans l'obligation de suspendre leurs payements et de faire de nouveau un appel au concours de l'Etat.

Eh bien, il est naturellement résulté de ces crises successives, que la confiance dans les caisses d'épargne a été complètement ébranlée ; les populations ne sont plus confiantes dans les institutions qu'on leur offre ; de plus, les institutions elles-mêmes sont devenues extrêmement craintives ; elles ont dû s'imposer certaines restrictions, certaines règles dont les conséquences sont de nature à leur nuire plutôt qu'à les avantager.

Aussi depuis longtemps le gouvernement a-t-il été sollicité de toutes parts de faire quelque chose en faveur des caisses d'épargne. Depuis la crise de 1838, des discussions ont eu lieu souvent dans cette Chambre sur les caisses d'épargne ; c'était, en certains temps, l'un des thèmes des débats de cette assemblée. A l'occasion de la crise de 1848, une nouvelle discussion a surgi sur cet objet, et l'on a presque unanimement proclamé sur les bancs de la Chambre la nécessité de l'intervention du gouvernement dans cette matière.

Lorsque j'eus l'honneur de proposer à la Chambre l'institution de la Banque Nationale, j'avais dès lors conçu le projet de créer une caisse d'épargne. L'exposé des motifs du projet de loi sur la Banque contenait ce qui suit :

« Créée en vue de procurer des moyens de placement aux petits capitaux, aux économies des classes peu aisées de la société, et d'encourager los habitudes d'ordre et de prévoyance, les caisses d'épargne ont souvent occasionné des embarras sérieux, à cause de la difficulté de concilier le principe des remboursements, pour ainsi dire instantanés, des dépôts, avec la possibilité de leur assurer un emploi productif. Les combinaisons auxquelles se prêtera la nouvelle organisation permettront, sinon d'arriver à la solution d'un problème qui jusqu'ici a été considéré comme insoluble, au moins d'atténuer considérablement les difficultés. »

Et dans la prévision de la réalisation de te projet, j'ai soumis à la Chambre la proposition d'insérer dans la loi qui instituait la Banque Nationale, un article portant que, s'il était créé une caisse d'épargne, la (page 1467) Banque en ferait le service, aux conditions déterminées par la loi, et la Chambre a adopté cette proposition.

Je prie la Chambre de vouloir bien le remarquer : c'est une condition onéreuse que nous entendions imposer à la Banque Nationale. C'est une condition de son institution, mais, je le fais remarquer dès ce moment, par une étrange interprétation de la proposition que nous soumettons aujourd'hui à la Chambre, quelques personnes se sont imaginé que l’institution de la caisse d'épargne était une faveur que l'on faisait à la Banque Nationale.

M. H. Dumortier. - C'est une erreur.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans aucun doute.

Il y a là, messieurs, vous le verrez un peu plus tard, une étrange méprise. C'est une charge et une charge très lourde, qui même sera peut-être trop lourde pour quelle puisse être imposée sans compensation aucune à la Banque Nationale.

Depuis que la disposition que je viens de rappeler a été insérée dans la loi, bien des années se sont écoulées. L’idée que j'avais conçue alors n'a pas pu se réaliser aussitôt que je l'eusse désiré.

J'ai quitté le ministère peu de temps après, mais en rentrant au pouvoir, j'ai pensé que j'étais tenu, en vertu de cette sorte d'engagement pris devant la Chambre et le pays, de soumettre à la législature ce que je considère comme la meilleure solution de cette difficile question.

De là, messieurs, le projet sur lequel vous avez à délibérer aujourd'hui.

On me rendra cette justice, je l'espère, que dans les longues et laborieuses études auxquelles j'ai fait soumettre ce projet, que dans les travaux considérables auxquels on s'est livré dans mon administration pour étudier toutes les questions qui se rattachent à cette matière si difficile, je n'ai pas cherché à justifier une idée préconçue, je ne me suis pas efforcé d'exalter un système aux dépens d'un autre. Je me suis uniquement attaché à exposer, avec la plus entière bonne foi. à faire connaître toutes les difficultés que présente l'institution des caisses d'épargne, tous les systèmes mis en pratique dans les divers pays, soit en Europe, soit aux Etats-Unis, afin de mettre la Chambre à même de se prononcer en parfaite connaissance de cause sur chacune des questions à résoudre.

Messieurs, les personnes qui ont bien voulu se livrer à un examen sérieux de cette matière et du projet de loi, et parmi ces personnes je rangerai l'honorable rapporteur de la section centrale, qui a fait de ce travail une étude toute spéciale et très consciencieuse, toutes ces personnes sont arrivées à reconnaître que les solutions les plus rationnelles, les plus pratiques des diverses questions qui concernent les caisses d'épargne, sont précisément formulées dans les dispositions du projet de loi qui vous est soumis.

Ce projet, messieurs, n'est ni aussi vaste ni aussi compliqué qu'il le paraît au premier abord. On peut le ramener tout entier à trois grands principes.

Le premier, l'intervention et la garantie de l'Etat. Ce principe est formulé dans l'article premier du projet.

Le second, la nature et l'importance des dépôts. Il est formulé dans l'article 26.

Le troisième, le mode de placement des fonds déposés ; il est écrit dans les articles 27, 28 et 29.

Tontes les autres dispositions sont purement réglementaires ; ce sont les dispositions organiques de la loi ; mais il n'y a point, je pense, dans ces questions de détail, l'objet d'un débat sérieux.

Les véritables difficultés du sujet sont donc renfermées dans les trois principes que je viens d'énoncer, et que je vais examiner successivement.

D'abord, l'Etat doit-il intervenir ; en d'autres termes, y a-t-il lieu pour l'Etat de créer une caisse d'épargne ? Je ne pense pas qu'il y ait de doute sur ce point. Je ne pense pas que nous ayons dans cette assemblée un seul contradicteur.

Si l'Etat doit créer une caisse d'épargne, si la loi doit organiser cette caisse d'épargne, faut-il que l'Etat prête sa garantie ?

Messieurs, cette question elle-même est-elle grave dans le sujet spécial qui nous occupe ? Présente-t-elle une difficulté réelle, une difficulté sérieuse ? Pas autant qu'on le pense. Et pourquoi ? Parce que cette garantie existe. Elle existe de fait. Elle a été appliquée et elle continuera à l'être. Seulement elle existe, elle a été appliquée et elle continuera à l'être, dans la condition la moins favorable, dans la condition la plus fâcheuse, et pour l'Etat lui-même et pour les caisses d'épargne.

Elle s'applique, par une sorte de nécessité sociale, dès que la crise apparaît, alors qu'on a laissé le mal s'opérer, et quand le législateur insouciant n'a pris aucune mesure pour empêcher le mal de se produire et de se propager. Elle existe dans une condition extrêmement fâcheuse, parce que cette garantie, pour ainsi dire tacite, ne peut avoir la conséquence naturelle d'une garantie reconnue, proclamée, c'est-à-dire un encouragement à l'épargne.

C'est la situation que nous constatons aujourd'hui : nous avons bien un certain nombre de caisses d'épargne, mais leurs opérations sont infiniment trop restreintes.

De fait, en cas de crise, l'Etat a prêté sa garantie et il la prêterait encore dans des circonstances analogues. Mais en proclamant d'avance cette garantie, il aurait rendu les caisses d'épargne aussi prospère qu'elles le sont peu ; il aurait inspiré la confiance aux populations ; il aurait développé le principe si salutaire de l'épargne. Tandis que, dans la situation actuelle, l'Etat a tout le mal, il n'a pas le bien.

Je dis donc, messieurs, qu'il est impossible de ne pas admettre cette garantie de l'Etat, dont la nécessité ne saurait être contestée, et j'ajoute que du moment que la législature organiserait des caisses d'épargne, ferait une loi sur les caisses d'épargne, il lui serait impossible de décliner cette garantie, qu'on l'eût ou non exprimée dans la loi.

Comment admettre, en effet, que le législateur organise des caisses d'épargne, proclame les principes qui doivent les régir, provoque les populations peu éclairées à confier leurs épargnes à des institutions qu'il a lui-même organisées, et qu'il se déclare en même temps affranchi de toute espèce de garantie, de toute responsabilité ? Ce serait là, messieurs, on doit le reconnaître, une déclaration qui irait presque jusqu'à l'immoralité.

Est-ce d'ailleurs, dans cette matière spéciale (car je suis très peu interventionniste de ma nature), est-ce une chose extraordinaire, exceptionnelle ?

Pas le moins du monde ; l'exception, messieurs, dans presque tous les pays, c'est en réalité l’absence de garantie. Partout elle existe, ou à peu près.

M. de Renesse. - Elle n'est écrite dans aucune loi ; le rapport de la section centrale le constate.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous vous trompez ; vous allez en convenir tout à l'heure avec moi.

Il y a des pays où l'Etat, c'est-à-dire le gouvernement central, donne directement ou indirectement cette garantie.

Il y a des pays dans lesquels cette garantie est indirecte, implicite, où elle résulte de ce que l'Etat reçoit les fonds des caisses d'épargne et s'en trouve ainsi le garant.

Il y a d'autres pays, enfin, dans lesquels des cantons, des provinces, des communes, assument la responsabilité des caisses d'épargne, se portent les garants de ces établissements.

Sans doute, messieurs, si l'on équivoque sur le terme « Etat », on peut dire que là où ce sont des cantons, des provinces, des communes qui sont constitués les garants des caisses d'épargne, ce n'est pas l'Etat proprement dit qui les garantit. On limitera ainsi considérablement les lieux où existe la garantie de l'Etat. Mais c'est là une équivoque dont personne ne saurait être satisfait.

L'Etat, en cette matière, cela signifie toutes les autorités constituées, à un degré quelconque, qui, au nom des contribuables, se portent les garants des opérations des caisses d'épargne. Ce n'est qu'à raison de la garantie qu'on prête à ces institutions et qui peut grever éventuellement la généralité des contribuables, que la question peut se présenter.

L'Etat, en ce sens, c'est donc toutes les autorités constituées. L'Etat, en ce sens, c'est ce qu'on a entendu ici lorsqu'il a été question d'organiser l'instruction primaire. L'enseignement donné par l'Etat devait être organisé par la loi, aux termes de la Constitution ; mais quand on a fait la loi sur l'enseignement primaire, on s'est d'abord demandé si la commune était comprise dans ce mot « Etat » ; et l'on a reconnu presque unanimement que, par l'Etat, la Constitution entendait nécessairement, dans ce cas, les communes. De même donc, vous devez dire que, partout où vous voyez l'intervention, en faveur des caisses d'épargne, des autorités constituées à un degré quelconque, il y a véritablement ce qu'il faut entendre, en cette matière, par la garantie de l'Etat. Ceci établi, je répète que l'absence de cette garantie est l'exception seulement, et nullement la règle, comme on voudrait le faire supposer.

Les publicistes, ceux qui font autorité en cette matière, et notamment un écrivain anglais, M. Scratchley, qui vient de publier un ouvrage sur ce sujet, proclament aussi que la garantie de l'Etat est une nécessité pour les caisses d'épargne. « Tout leur succès, dit-il, est basé sur la garantie de la sûreté des dépôts et des remboursements ; tout dépend de cette condition. » « Il n'y a qu'un remède à l'état actuel des choses, dit-il encore, c'est la garantie nationale.» Il cite un écrivain éminent, disant : « Que si les caisses d'épargne étaient des entreprises particulières, il ne faudrait pas être prophète pour prédire qu'elles ne tarderaient pas à tomber et qu'on les verrait partager le sort de presque toutes les institutions basées sur les préjugés, l’ignorance et la cupidité des masses. »

(page 1468) Il cite également l'autorité de M. Cooke, surintendant des banques de New-York, qui s'exprime ainsi :

« ... Sous l'apparence d'honnêteté, beaucoup de banques (caisses d'épargne) ne sont établies qu'en vue de fraude et de dol..... N'oublions pas que la classe du peuple qui verse les dépôts à la caisse d'épargne, ne peut pas distinguer la bonne caisse de la caisse fallacieuse. Toute leur manière d'être et de vivre, leurs fonctions et occupations ne leur permettent pas de savoir quelles sont les personnes qui méritent du crédit et celles qui sont réellement recommandables. Ils ne peuvent juger que sur les apparences et sont donc toujours exposés à être volés et filoutés par ces banquiers à fracas. »

Ainsi, messieurs, dans la plupart des pays, et en Angleterre particulièrement, en Angleterre où l'Etat n'intervient dans presque aucune affaire de cette nature, le gouvernement, après avoir longtemps résisté, après avoir admis la garantie restreinte aux versements des seules caisses d'épargne qui étaient opérés dans les caisses du trésor, le gouvernement anglais, dis-je, a accepté la garantie formelle des caisses d'épargne, par la loi du 17 mai 181, qui permet de faire des dépôts dans les bureaux de poste désignés par le maître général des postes.

Le texte de la loi anglaise porte ce qui suit :

« Considérant qu'il est reconnu nécessaire d'étendre les moyens aujourd'hui existants pour le dépôt de petites épargnes, et d'affecter à cette administration le service général des postes, et en même temps d'offrir à chaque déposant la garantie directe de l'Etat pour assurer le remboursement tant des prêts ainsi effectués par lui, que des intérêts dus de ce chef. »

Suivent les dispositions qui règlent et qui organisent ce principe, et au nombre de ces dispositions se trouve l'article 6 de la loi, qui est ainsi conçu :

« Si éventuellement le fonds créé en vertu de cet acte était insuffisant pour satisfaire aux demandes de remboursements des déposants, les commissaires de la trésorerie, sur la proposition qui leur en serait faite par les commissaires chargés de la réduction de la dette nationale, pourront combler le déficit à l'aide soit de consolidés du Royaume-Uni, soit de tout autre fonds, et, dans ce cas, les commissaires du trésor de S. M. notifieront ce déficit au parlement. »

Ainsi, messieurs, la situation est donc celle-ci : si vous ne faites rien pour les caisses d'épargne, l'Etat ne sera pas moins responsable de celles qui existeront, et vous n'aurez que. des institutions extrêmement restreintes, dans une situation précaire, dans une situation déplorable.

Si, au contraire, vous organisez des caisses d'épargne, votre garantie ne sera ni plus forte ni plus onéreuse qu'auparavant ; elle sera la même que si vous n'agissiez pas ; mais vous aurez le mérite d'avoir, par la seule proclamation de cette garantie, favorisé le développement des caisses d'épargne, d'avoir créé des institutions éminemment utiles aux classes laborieuses de la société.

Je considère donc cette première question de la garantie comme suffisamment élucidée.

Voyons maintenant, messieurs, la nature et l'importance des dépôts. C'est l’objet de la seconde question, qui peut être ramenée à ces termes : Faut-il fixer un maximum de dépôt ? Il importe, messieurs, de se bien pénétrer de la pensée du projet sous ce rapport. Le projet de loi tend à consacrer, comme résultat des enseignements de la théorie et de la pratique, ce principe qu'il ne faut pas fixer un maximum des dépôts.

Pourquoi ne le faut-il pas ?

Est-ce que nous voulons, par hasard, que la caisse d'épargne puisse recevoir indéfiniment, dans tous les cas, dans toutes les circonstances, toute espèce de dépôt qu'on in riverait bon d'y effectuer ? Quelques personnes se sont imaginé qu'il en était ainsi ; mais je les prie de vouloir bien lire les dispositions du projet. L'article 26 montre clairement que telle n'est point et ne peut pas être la pensée du projet.

L'administration, en vertu de la disposition de cet article 26, a le droit de convertir en fonds publics, après avertissement préalable, tous les dépôts n’excédant 3,000 fr. Ainsi, la règle est le dépôt n'excédant pas cette somme de 3,000 fr., et ce n'est certainement pas un maximum trop élevé ; il devrait être plus considérable : il était de 5,000 fr. en Angleterre. La pensée du projet est donc de faire en sorte qu'on n'ait à la caisse d'épargne que des capitaux résultant véritablement de l'épargne. Mais, messieurs, si nous ne fixons cependant pas un maximum, bien que telle soit la pensée résulte du projet, ce n'est pas qu'il y ait contradiction entre l'absence de cette fixation et la restriction dont je viens de parler ; c'est une nécessité, une nécessité impérieuse ; à moins de circonstances exceptionnelles, la caisse d'épargne n'est régulièrement possible, ni pour les particuliers ni pour l'Etat, qu'à la condition de pouvoir obtenir certains capitaux, qui lui permettent de réaliser des bénéfices pour couvrir les frais d'administration et faire le service des intérêts des petits capitaux d'épargne. Ce point est de la plus haute importance.

Vous allez, je l'espère, vous convaincre tout à l'heure, par des chiffres, qu'à moins de s'exposer à opérer en déficit, on ne doit pas fixer un maximum pour les dépôts.

Mais, avant tout, voyons quelle est actuellement la situation. Vous êtes les garants des caisses d'épargne qui opèrent dans le pays. Si nous n'avions pas passé par des catastrophes qui ont fait expressément déclarer cette garantie, on pourrait contester mon assertion. Mais les faits sont là : vous êtes intervenus, vous interviendrez encore. Vous êtes donc les garants obliges de toute espèce d'opérations faites par les caisses d'épargne, aussi bien de celles qui existent actuellement que de celles que l'on pourrait créer précisément en vue d'attirer des capitaux. Or, rappelez-vous dans quelle mesure vous avez été garants de la caisse d'épargne de la Société Générale en 1848. On disait alors : si nous sommes garants, nous ne sommes cependant moralement garants que des dépôts de la classe laborieuse, des véritables épargnes ; mais nous ne sommes pas garants d'autres catégories de dépôts, et notamment des capitaux proprement dits qui auraient été déposés à la caisse d'épargne» On a essayé d'établir des catégories, en un mot de décider, mais après coup, cette question du maximum dont nous nous occupons aujourd'hui.

Je vous renvoie à la discussion de cette époque, au discours prononcé par l'honorable M. Malou, le 11 mai 1848. Il défendait les mêmes principes que je défends encore aujourd'hui, principes qui, j'en suis persuadé, sont encore les siens. Voici ce qu'il disait :

« M. Malou. - ... Je dis, messieurs, qu'un vote purement négatif serait un désastre demain. Je ne parle en ce moment que de la caisse d'épargne. Vous voulez tous sauvegarder l'intérêt des caisses d'épargne, non seulement les intérêts des déposants actuels, mais surtout les intérêts d'avenir de cette institution. Eh bien, je le dis avec une conviction profonde, si vous pouviez aujourd'hui émettre un vote négatif, vous auriez décrété par le fait la faillite de la caisse d'épargne.

« Plusieurs membres. - Non ! non !

« M. Malou. - Demain, comme en 1839, si vous voulez sauvegarder l’ordre public dans tous les centres industriels, si vous voulez prévenir qu'une institution si salutaire ne soit perdue pendant un demi-siècle, peut-être, vous devriez faire afficher partout que l'Etat garantit non seulement 20,000,000, mais 45,000,000, non seulement la caisse d'épargne de la Société générale, mais toutes celles qui existent dans le pays.

« L'Etat ne peut pas permettre la ruine de ceux qui ont fait et placé des épargnes sous la foi publique, sous la foi d'une institution garantie en quelque sorte par l'honneur national.... (Interruption.)

« Permettez, messieurs, je vais m'occuper du système des catégories.

« Si vous émettiez un simple vote négatif, vous seriez donc, par la force des choses, amenés à afficher demain dans toutes les grandes villes de la Belgique, que l'Etat ne permettra pas que les déposants à la caisse d'épargne perdent le fruit de leurs économies ; si vous réclamiez, si vous me disiez que vous ne voulez pas le faire, je vous rappellerais ce qui s'est passé en 1839.

« Il ne s'agissait alors que d'une caisse d'épargne spéciale à la capitale ; il ne s'agissait que de dépôts s'élevant à 6 millions, et cependant cette mesure, contre laquelle vous vous récriez, a dû être prise dans des circonstances bien moins graves, elle a dû être instantanée ; j'en appelle aux faits. Cette mesure, vous auriez encore à la prendre, si vous rejetiez le projet, et si vous ne la preniez pas, vous auriez à redouter des inconvénients bien plus grands que la perte éventuelle, très problématique, de quelques millions. »

Et, en effet, messieurs, l'Etat n'a subi aucune perte.

« Vous voulez faire des catégories, continuait M. Malou. Vous dites que le service de la caisse d'épargne de la Société générale n'a pas été ce qu'une véritable caisse d'épargne doit être. J'en demeure d'accord avec vous ; mais le jour où, par une loi, vous aurez établi des catégories entre les déposants, vous aurez ébranlé, anéanti la confiance des populations et l’avenir des caisses d'épargne.

« On dira, et on aura raison de dire : « La législature a fait un jour des catégories, elle a frappé telle classe de citoyens ; une autre fois, sous l'empire de circonstances plus impérieuses, elle me frappera à mon tour. » « La confiance sera perdue, et si la confiance dans les caisses d'épargne est ébranlée, vous prendrez toutes les mesures que vous voudrez, mais de longtemps vous ne les relèverez plus. »

Et la Chambre a rejeté le système des catégories, d'où je conclus que, pareille situation venant à se présenter encore, d'autres catastrophes (page 1469) pouvant avoir lieu pour les caisses d'épargne, à l'égard desquelles vous n'auriez exercé aucun contrôle, aucune surveillance, vous seriez entraînés à prêter la même garantie.

Je vous disais tout à l'heure qu'il est impossible de faire le service des caisses d'épargne, sans mettre à la charge du gouvernement les déficits qui doivent en résulter, ou bien sans offrir à ces caisses les moyens de se procurer quelques ressources pour payer les frais d'administration et servir les intérêts des petits dépôts. Savez-vous à combien s'élève le déficit des caisses d'épargne en Angleterre, quelle est la charge que le gouvernement anglais a assumée de ce chef ?

Le déficit en Angleterre s'élève, à l'heure qu'il est, à plus de 100 millions de francs ; je ne parle que des caisses qui se trouvent en relation avec le gouvernement, qui versent les dépôts dans les caisses de l'Etat ; il en est beaucoup d'autres qui font subir des pertes considérables à leurs déposants.

D'après le bilan qui a été dressé par M. Scratchley, en prenant le moyen terme, le déficit général de ces caisses est évalué à 4,413,900 livres ; ce déficit se compose de divers éléments ; les uns résultent de perte absolue provenant de la différence des intérêts servis et des intérêts perçus sur les sommes employées. Cela constitue une perte sèche, irréparable. Elle s'élève à 3,286,500 liv. sterl.

Il y a ensuite la perte éprouvée sur les rachats, et enfin, le chiffre de 4,413,900 livres comprend aussi la différence entre l'évaluation des fonds d'après le taux des achats et celui auquel on présume qu'on pourrait réaliser.

Sous ce dernier rapport, le calcul du déficit est plus ou moins hypothétique ; on peut dire qu'en cas de liquidation générale, on pourra peut-être réaliser à un taux plus élevé. Mais le contraire peut également arriver. Cette situation obérée des caisses d'épargne n'a pas empêché le gouvernement anglais et tous les hommes d'Etat anglais de persévérer à maintenir les dépôts des caisses d'épargne dans les caisses de l'Etat, et de faire des efforts pour les amener de plus en plus dans ces caisses.

Cette situation existait lorsque le bill du 17 mai 1861 a été porté, lorsque l'Etat a pris l'obligation de garantir les dépôts faits à la poste pour les caisses d'épargne, lorsque, par une disposition que je vous ai citée tout à l'heure, il a autorisé les commissaires du fonds consolidé à payer le déficit annuel, et à le faire connaître annuellement au Parlement, sachant d'avance que cette opération constituerait ou tout au moins pouvait constituer l'Etat en perte.

En effet, messieurs, les personnes qui n'ont pas étudié très attentivement cette matière, s'imaginent que, du moment qu'il y aurait quelque moyen de contrôle pour les versements que l'on ferait dans des établissements privés, par exemple, les caisses d'épargne pourraient s'organiser et se suffire parfaitement.

On s'imagine qu'une caisse d'épargne qui serait constituée dépositaire d'une somme très considérable, soit 20 ou 30 millions, mais en dépôts successifs de 1 fr., par exemple, serait une très bonne affaire pour celui qui se chargerait de sa gestion, même en ne servant qu'un intérêt fort minime. Eh bien, ce particulier se ruinerait. Il aurait 30 millions et il serait ruiné ; il lui serait impossible de faire le service de la caisse sans subir des pertes énormes.

Voici, messieurs, à cet égard des renseignements assez intéressants. J'en ai qui sont officiels, mais non publiés ; ce sont des documents que j'ai obtenus du gouvernement anglais. Mais je me borne à ce qui est connu : C'est le projet de caisse d'épargne de la poste, et c'est le budget préparé pour apprécier comment elle pourrait opérer.

En prenant pour point de départ que, dans un temps très rapproché, cette caisse aura un mouvement égal à celui de toutes les autres caisses anglaises en 1856, c'est-à-dire 1,331,000 déposants, 1,544,000 dépôts annuels et 792,000 retraits, on a trouvé qu'il y aurait à payer :

« Aux percepteurs des postes, pour honoraires, 5,000 liv.

« A l'administration centrale des postes pour correspondance et contrôle, une somme égale, 5,000.

« Pour port d'argent et lettres, 11,500

« Fournitures d'imprimés, 4,000

« Comptabilité de la caisse (200 commis), 34,000.

« Direction supérieure, 4,300

« Dépenses diverses, non-valeurs, etc., 6,380

« Total : 70,180 liv. »

D'où l'on conclut, messieurs, que si l'on ne versait à la poste que par somme d'un schelling, les frais de la caisse s'élèveraient à plus de 60 p. c.

Les caisses d'épargne particulières, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, celles qui sont en corrélation avec le gouvernement, dépensent pour leur service 118,000 livres sterling. On espérait que ce service étant fait par la poste d'Angleterre aux conditions que je viens de vous dire, il en résulterait une économie de 18,000 liv. sterl. Ce n'est qu'une présomption, et il est peu probable qu'elle se réalise. Mais cette économie fût-elle faite, vous voyez à quel chiffre énorme on arrive pour faire le service de la caisse.

La dépense pour ces diverses caisses, en général, monte à 7 sch. par 100 liv. capitaux.

A Manchester, la dépense s'élève à 1 sch. 3 3/4 d. par livret.

A une Banque de Londres, celle de Saint-Martin, à 2 1/2 sch. ou plutôt à 2 sch. 3 d.

A une autre, celle de Bloomfield-street, seulement à 2 sch. 9 d.—A Liverpool, à 2 sch. 5 1/5 d.

A Cork, à 3 sch. 2 d.

Une caisse de Londres n'accorde que 2 p. c. d'intérêt aux dépôts inférieurs à 30 liv. (750 fr.), et 2 liv. 17 sch. 4 3/4 den. sur les dépôts supérieurs ; et malgré cette différence d'intérêt, chaque livret de la première classe laisse une perte annuelle de 8 3/4 den., tandis que la caisse fait un bénéfice de 5 sch. 1/4 den. sur dépôts dépassant 30 liv.

En France, en 1859, les caisses ont dépensé 1,282,700 francs pour l,121,465 livrets, soit fr. 1-15 par livret.

En 1860, ces dépenses ont été de 1,376,865 francs pour 1,218,122 livrets, c'est-à-dire encore 1 franc et des centimes par livret.

Il faut, messieurs, que l'on récupère cette dépense. Il faut que l'on trouve, avec l'institution de la caisse d'épargne, les moyens de faire face à ses dépenses.

Comment, messieurs, la poste anglaise espère-t-elle réussir ? D'abord par un moyen que vous n'approuverez probablement pas : ce premier moyen, c'est que tout dépôt de moins de 20 livres est improductif d'intérêt.

Les petits dépôts sont ainsi repoussés. Ils ne sont productifs que lorsqu'ils s'élèvent à 20 livres, et ainsi de livre en livre sans fraction. Sans cela, la poste ne pourrait faire le service sans aggraver considérablement la perte qui est déjà prévue.

Maintenant, comment font les caisses d'épargne particulières pour atténuer la perte, pour réussir à couvrir leurs frais ?

Elles ont d'abord les bénéfices sur les livrets dépassant 200 livres, qui cessent de porter intérêt au profit des déposants. Le 20 novembre 1858, il y en avait 497 montant à 328,000 livres, présentant au profit des caisses un bénéfice de 10,648 livres. Il y a ensuite l'intérêt sur l'agglomération des petites sommes, qui n'en produisent pas au profit des déposants. Le plus grand nombre de caisses ne bonifient d'intérêt qu'à partir de 15 ou même de 20 sch., ce qui fait à peu près 2 sch. de bénéfice par 3 livres., Les caisses reçoivent de l'Etat un intérêt plus considérable que celui qu'elles bonifient. La perte n'en existe pas moins, mais elle n'affecte pas l'institution, elle n'affecte que l'Etat,

Enfin, messieurs, la quatrième source de bénéfice pour les caisses, ou d'atténuation de leurs pertes, ce sont les dépôts non réclamés.

En 1858, il y avait en Angleterre 71,954 dépôts, s'élevant à 648,552 liv., et dont les titulaires n'avaient plus donné signe de vie depuis plus de 10 ans. Dans ces conditions, les caisses deviennent légalement propriétaires de ces dépôts.

En dernier lieu, les dons et les donations.

Vous voyez donc, messieurs, que les caisses laissées à elles-mêmes, qui ne peuvent recevoir que de petits dépôts, ou bien sont obligées d'adopter des combinaisons qui les repoussent ou bien sont constituées ont perte.

Nous avons pensé qu'un moyen d'éviter ces pertes, c'était d'appliquer aux caisses d'épargne les combinaisons qui sont adoptées par les banques, et qui leur réussissent à merveille ; nous avons pensé que les caisses devaient pouvoir faire, à l'aide de certains capitaux, des placements variés, des placements nombreux, qui permettraient, à l'aide des bénéfices réalisés par l'emploi judicieux de ces capitaux, de couvrir les pertes résultant des opérations de la caisse d'épargne proprement dite.

Là seulement il y aura, sinon certitude, du moins la plus grande probabilité de ne subir aucune espèce de préjudice. De là, messieurs, la considération qui me porte à ne pas admettre un maximum.

Mais, messieurs, à tout prendre, et d'après les considérations que je viens de faire valoir, en supposant que la Chambre ait décidé le premier des trois principes fondamentaux du projet de loi, une fois qu'elle aurait admis l'institution des caisses d'épargne et la garantie de l'Etat, sans doute l'institution peut marcher même avec la fixation d'un maximum. Mais alors, il faut bien savoir à quoi l'on s'expose et quelle est la responsabilité que l'on assume. Il faut qu'il soit bien entendu que l'on assume le déficit éventuel des caisses d'épargne.

Messieurs, vous pouvez le faire ; vous pouvez admettre le procédé anglais qui est inscrit dans l'article 6 de la loi que je viens de citer.

(page 1470) Mais, quant à moi, je ne crois pas pouvoir admettre un tel système, je ne crois pas pouvoir le conseiller à la Chambre. Si elle l'adoptait, j'en déclinerais d'avance la responsabilité.

Vient maintenant la question des placements. C'est ici surtout, à ce qu'il semble, que les fantômes apparaissent. J'ai entendu prononcer le mot « crédit mobilier », à propos de ces institutions et des placements que je propose de faire.

Messieurs, si j'avais fait tout simplement une contrefaçon de la loi anglaise, de la loi française, ce qui n'était pas difficile, puisqu'il n'y avait qu'à copier, si j'avais copié la loi française surtout, on aurait crié merveille probablement.

Eh bien, pour ma part, je trouve cette loi peu satisfaisante ; je la trouve fâcheuse à tous les points de vue, au point de vue de l'Etat aussi bien qu'au point de vue des déposants, et elle est signalée comme telle en France même par la plupart des hommes qui se sont occupés des caisses d'épargne.

Je citerai en premier lieu M. le baron Dupin, très connu par son zèle ardent en faveur des caisses d'épargne. Il ne peut que déplorer devoir restreindre les opérations des caisses en fixant des maximums qui sont véritablement dérisoires.

J'ai pensé que l'on pouvait mieux faire, j'ai pensé qu'après avoir étudié ce qui se fait partout, on pouvait arriver à des combinaisons d'une certaine nouveauté, mais qui n'avaient rien cependant de bien extraordinaire, de bien effrayant, de bien compromettant.

Je me suis dit : Comment opèrent et les banquiers et les banques ? Comment se peut-il que banquiers et banques trouvent le moyen de recevoir des fonds en dépôt, d'en servir un certain intérêt, de les tenir à la disposition des particuliers, et de ne courir cependant aucun risque ou du moins que très peu de risques, et très peu de chances de perte ?

Les opérations des banques surtout sont celles qui présentent le moins de chances de perte, lorsqu'elles ne s'écartent pas des conditions de leur établissement.

L'institution que nous créons pourrait parfaitement faire des placements du même genre, des placements variés, à l'instar de ce que font les particuliers, et mettre ainsi la caisse à l'abri de toute éventualité fâcheuse.

Grâce à cette combinaison, la garantie de l'Etat deviendrait, on pourrait presque l'assurer à priori, purement nominale, purement morale. Grâce à cette combinaison, la caisse d'épargne serait en mesure de faire face à tous ses engagements, elle pourrait couvrir ses dépenses, servir les intérêts convenables, et ne serait pas dans l'embarras à la moindre crise, car, par la variété des placements, par la sécurité avec laquelle elle les opérerait, elle pourrait facilement, en toute circonstance, rentrer dans les fonds nécessaires pour faire face à toutes ses obligations.

Messieurs, je citais tantôt un écrivain anglais d'un mérite reconnu, une spécialité en cette matière ; il publiait son livre au moment où j'avais l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le projet de loi dont vous êtes saisis. Dans l'introduction de son ouvrage, faisant l'historique des caisses d'épargnes dans les divers pays, il parle notamment de la Belgique, et fait mention du projet de loi qui vient d'y être déposé au moment où il écrit et qu'il ne connaît pas.

Il ignorait donc à quelles conclusions nous avions pu aboutir. Eh bien, ses conclusions à lui sont identiquement les mêmes que celles du projet de loi.

Il demande pour la caisse d'épargne une administration particulière, une commission chargée de surveiller, d'administrer le capital entier des caisses. C'est ce que nous proposons d'établir.

Il demande la garantie nationale, comme je l'ai rappelé tantôt. C'est ce que nous proposons également.

Il s'occupe des placements ; il dit que les difficultés sont graves et que ces difficultés augmenteront de plus en plus à mesure que la caisse grandira en importance.

Il faut s'attendre, dit-il, avec les mesures qu'il conseille, il faut s'attendre à arriver à 100 millions de livres sterlings, et plus. Il est indispensable d'avoir des placements variés. C'est le seul moyen de réaliser, au besoin, sans subir des pertes énormes.

Un quart des capitaux, d'après cet écrivain, doit être maintenu en placement d'une réalisation facile.

La moitié des fonds publics seraient successivement vendus et remplacés par des valeurs produisant un intérêt supérieur, par exemple : Emprunts des comtés et villes ; obligations ou autres engagements autorisés par le parlement ; ainsi on ferait des avances pour le drainage ; sur actions de la Banque ; sur actions et obligations de la société des Indes ; sur les emprunts des Indes ; sur placements hypothécaires ; sur actions des banques écossaises ; à la société pour construire des maisons d'ouvriers et aux sociétés établies pour les constructions en général.

C'est également ce qui se trouve, dans une certaine mesure, dans le projet de loi.

Enfin, il indique la nécessité de tenir deux comptes, l'un des placements définitifs, l'autre des placements provisoires ou temporaires ; distinction qui se trouve également insérée dans le projet de loi.

Il s'occupe enfin d'une autre question que nous avons agitée, celle du maximum, et il se prononce, comme nous, contre la fixation d'un maximum.

Ainsi, messieurs, le projet de loi que nous avons eu l'honneur de soumettre à vos délibérations, nous paraît reposer sur les véritables principes qu'il convient de faire prévaloir en cette matière. Du moment où l'on admet qu'il y a lieu pour le gouvernement de s'occuper, d'une façon quelconque, des caisses d'épargne, de procéder, d'une manière quelconque, à leur organisation, en d’autres termes, d'intervenir dans ces sortes d'affaires, la garantie de l'Etat me paraît inévitable.

Elle existe en fait dans l'état actuel des choses ; il n'y a aucune espèce de raison pour ne pas la proclamer en droit ; il y a, au contraire, tout avantage à la proclamer en droit, parce que, grâce à un engagement pris par la législature, la caisse d'épargne sera dans les conditions nécessaires pour prospérer.

Il est inutile de fixer un maximum de dépôts ; il serait dangereux de le faire ; on ne pourrait prendre cette mesure qu'en engageant la responsabilité de l'Etat, parce que la caisse d'épargne, dans ces conditions, serait probablement constituée en perte, ainsi que je l'ai démontré ; et par conséquent, tout en admettant qu'il faut favoriser le dépôt des petites épargnes, que c'est le but essentiel à atteindre, il faut concéder qu'on pourra admettre des capitaux d'un chiffre supérieur à celui des dépôts de petite importance, afin de pouvoir couvrir, mais dans cette mesure seulement, les frais d'administration de la caisse et servir les intérêts aux petits déposants.

En dernier lieu, il est indispensable que les placements de la caisse d'épargne soient variés, afin de lui permettre en tout temps, dans les circonstances les plus difficiles, de faire face à tous les engagements qu'elle aurait contractés.

Messieurs, je pense avoir suffisamment justifié par les considérations que je viens de vous présenter les principes essentiels du projet de loi sur lequel vous avez à délibérer, et j'ai l'espoir que ce projet obtiendra l'approbation de la grande majorité de l'assemblée.

- M. E. Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil.

M. de Renesse. - Messieurs, pour étayer les observations que j’ai eu l’honneur de présenter à la Chambre, l’autre jour, contre certains principes introduits dans différentes dispositions du projet de loi organisant la caisse d’épargne et de retraire, je crois devoir ajouter quelques considérations contre la garantie de l’Etat inscrite dans la loi, et notamment contre la disposition de l’article 22, qui n’admet aucune limite aux dépôts à la caisse d’épargne.

Les observations que j'ai encore à faire valoir, je les trouve dans l'exposé des motifs du projet de loi et dans le rapport de la section centrale.

L'exposé des motifs, pour démontrer l'inutilité de fixer un maximum pour les dépôts à la caisse d'épargne par déposant, entre dans de longues considérations, d'où il paraît résulter qu'il est préférable, d'après le gouvernement, de ne pas admettre cette restriction aux dépôts ; qu'il est plutôt de l'intérêt de la caisse d'épargne d'y attirer le plus de capitaux possibles, de toutes les catégories de déposants, et que ce n'est qu'au moyen de l'accumulation des ressources de cette caisse, que l'on pourra faire des bénéfices et des placements profitables ; cependant il est constaté par ledit exposé des motifs, ainsi que par le rapport de la section centrale, « que, dans la plupart des pays où il y a des caisses d'épargne, les dépôts ne sont admis que jusqu'à un chiffre déterminé.

« Au-delà de cette limite, la plupart des caisses refusent les versements d'une manière absolue ; d'autres reçoivent encore ces dépôts, mais n'accordent plus d'intérêts pour les sommes excédant le maximum ; d'autres enfin, mais en petit nombre, admettent un intérêt différentiel, selon que les sommes versées excèdent ou n'excèdent pas le maximum. Les pays où l'on prescrit un maximum, sont : l'Angleterre, la France, l'Autriche, la Prusse, le royaume de Suède et Norvège, la Saxe, la Bavière, le grand-duché de Bade, le Danemark, Brème, Hambourg, Pétersbourg, la Lombardie, la Vénétie, Utrecht.

« En Suisse, la plupart des caisses ont fixé un maximum ; ceux des pays qui admettent les versements d'un chiffre illimité sont : le royaume des Deux-Siciles, les Etats-Romains, la Silésie, la régence de Dusseldorf, Francfort et Christiania.

« Dans les duchés saxons, les administrations des caisses d'épargne (page 1471) conservent à ce sujet toute latitude d'appréciation ; elles prennent telle ou telle mesure, suivant les circonstances. »

Lorsque nous voyons que la plupart des pays précités, où les caisses d'épargne ont pris le plus grand développement, y sont prospères et admettent une restriction au maximum des impôts sans la garantie directe du gouvernement, inscrite dans la loi ; pourquoi, en Belgique, voudrait-on dévier de ce principe si prévoyant, qui met une certaine et sage limite à la quotité des dépôts par déposant ; pourquoi vouloir dénaturer l'essence des caisses d'épargne ? Et certes, la nouvelle caisse générale que l'on veut établir d'après les principes indiqués au projet de loi, ne peut plus être considérée comme une véritable caisse d'épargne ; c'est une espèce de société financière d'une nouvelle espèce, qui fera des placements comme toute autre Banque ; par suite de la garantie de l'Etat, elle attirera une masse de capitaux de toute nature et finira par faire la concurrence la plus redoutable à toutes les autres sociétés financières.

La restriction que semblent admettre les dispositions de l'article 26 du projet ne me semble nullement remédier aux grands inconvénients qui peuvent résulter des dépôts non limités, par un maximum pour chaque déposant, puisqu'il est facultatif à la direction de la caisse de limiter ou de ne pas limiter la quotité des dépôts ; pour les uns elle pourra limiter ce maximum, tandis que pour les autres elle pourra admettre les dépôts sans restriction aucune. C'est laisser à la caisse un pouvoir plus ou moins arbitraire, que je ne puis approuver.

Si les rédacteurs du projet de loi ont senti la nécessité d'introduire par l'article 26 un certain tempérament à l'exagération des dépôts, pourquoi ne pas admettre plutôt, dans les dispositions de l'article 22, une limite au maximum des dépôts ?

L'exposé des motifs nous fait connaître que « partout on signale les inconvénients qui résultent de la fixation d'un maximum, pour les versements ; en effet, cette mesure, toujours d'après cet exposé, indépendamment des frais inutiles qu'elle entraîne pour l'administration des caisses, oblige les déposants à des pertes de temps, à des délais, à des frais de déplacement toujours fort préjudiciables. »

Et, cependant, par ce même exposé des motifs, aussi bien que par le rapport de la section centrale, nous apprenons que dans la plus grande partie des pays étrangers où existent des caisses d'épargne et qui y sont très prospères, il y a toujours un maximum fixé par déposant, tandis que le principe illimité des dépôts n'est admis que dans très peu de contrées.

Il me semble aussi qu'il y a une certaine contradiction entre la disposition de l'article 26, qui permet à la caisse de réduire le livret d'un seul déposant à une somme de 3.000 fr., et le grand développement que l'on voudrait donner à la caisse d'épargne officielle en y attirant indistinctement tous les capitaux gros et petits de toutes les classes de la société.

Toujours d'après l'exposé des motifs, le gouvernement ne paraît vouloir exclure personne des avantages que doit présenter cette grande institution financière ; la participation à cette caisse doit être autorisée sans restriction aucune, il ne faut pas la réserver exclusivement à une certaine classe de la société.

Voici le passage de cet exposé qui semble prouver la divergence qui existe entre l'article 26 et l'exposé des motifs :

« La caisse d'épargne, dit l'exposé, doit être assimilée à une banque établie sur de larges bases. Celle-ci, dans l'intérêt de ses opérations, doit toujours accueillir les dépôts importants plutôt que les faibles sommes, car les premiers peuvent seuls, l'expérience le prouve, lui fournir les moyens de bonifier aux autres un intérêt raisonnable.

« Les petits dépôts, à raison même de leur nature, doivent être toujours disponibles, tandis que l'on peut sans inconvénient soumettre le remboursement des plus forts à certains délais. Repousser ceux-ci serait donc augmenter les difficultés de la gestion tout en réduisant les bénéfices de la caisse. »

« D'ailleurs, dit-on plus loin, les caisses d'épargne ne sont pas fondées uniquement dans l'intérêt des travailleurs vivant d'un salaire journalier, mais aussi dans celui de la classe bourgeoise.

« Pourquoi empêcher un déposant d'accroître son dépôt au-delà d'un certain chiffre, de 2,000 francs, par exemple ?

« Pourrait-on écarter les petits rentiers, les employés, les femmes isolées, les orphelins, les mineurs, etc. d'une institution fondée par l'Etat dans l'intérêt général, sans fausser le but même de cette institution ? Il faut donc, aussi bien par équité que dans l’intérêt de la prospérité de la caisse se montrer très large pour l’admission des dépôts de toutes les catégories de citoyens. »

La conclusion que l'on doit nécessairement tirer de ces passages de l'exposé des motifs du projet de loi, me semble prouver que cette caisse d'épargne générale deviendra réellement, dans un avenir rapproché, une banque de placement sur de larges bases, puisque non seulement, d'après le gouvernement, « elle offre l'avantage de centraliser dans une seule main tous les capitaux des caisses d’épargne du pays ; » elle aura donc un véritable monopole au détriment d'autres sociétés financières n'ayant pas la garantie de l'Etat ; mais en outre elle pourra admettre tous les dépôts indistinctement de toutes les classes de la société.

Quant à l'intervention de la Banque Nationale dans les placements et la réalisation des fonds de la Caisse générale d'épargne, elle paraît limitée, d'après l'article 28, à la part de l'actif de cette caisse destinée à être placée provisoirement ; et le placement de la part de l'actif destiné à un placement définitif devra se faire par la caisse des dépôts et consignations, après que les fonds en auront été versés par la Banque Nationale.

D'après une observation de l'exposé des motifs, il semblerait « que c'est principalement à la Banque Nationale de faire fructifier les capitaux de la caisse d'épargne, parce qu'elle pourrait le faire aussi facilement que pour la masse de ceux dont elle dispose aujourd'hui ; elle n'aurait qu'à donner une extension bien limitée à quelques parties de ses opérations, qui rentrent d'ailleurs dans la sphère d'action d'un grand nombre des banquiers les plus solides de l'Europe. » L'on peut donc dire que c'est réellement à la Banque Nationale qu'incombe l'obligation de rechercher les placements avantageux pour les nombreux fonds, sans distinction d'origine, placés à cette nouvelle caisse financière.

Toutes les observations que j'ai cru devoir présenter à la Chambre sur les principes nouveaux, admis en faveur de cette nouvelle institution financière, tendent à constater que l'essence des caisses d'épargne est entièrement méconnue dans les dispositions du projet de loi ; que la vaste organisation de la caisse nouvelle entraînera infailliblement la centralisation d'une grande masse de capitaux entre les mains de cette caisse, au détriment d'autres sociétés financières ; que, pour le futur, le gouvernement se créera de grands embarras financiers, dans des moments de fortes crises politiques et financières, par suite de la garantie inscrite dans la loi ; ce qui pourrait compromettre le crédit de l'Etat.

D'après ces nouvelles considérations, je crois devoir persister dans mon opinion, contraire à la garantie de l'Etat, inscrite dans la loi, et à la non-fixation d'un maximum par déposant.

M. Tack. - Messieurs, dans la séance d'hier, j'ai attribué en partie la cause de l'infériorité relative de nos caisses d'épargne à une triple circonstance, étrangère aux imperfections de l'organisation de ces caisses, étrangère aux principes qu'elles avaient adoptés pour se constituer ; j'ai soutenu qu'il fallait peut-être chercher la raison de l'infériorité qu'on signale dans ce fait que, pour beaucoup de parties du pays, c'est à peine que l'ouvrier peut mettre de côté une petite portion de son salaire pour participer aux caisses de secours mutuels, bien loin d'être à même d'effectuer des dépôts dans les caisses d'épargne.

J'ajoutais qu'il fallait l'attribuer aussi à l'inaction des administrations communales et des établissements de bienfaisance dont on n'avait pas suffisamment stimulé le zèle ni réveillé l'apathie.

Je disais enfin qu'il était évident que dans notre pays les placements de certaines catégories de petites sommes avaient pris une direction autre que celle des caisses d'épargne, et qu'une multitude de petites économies se trouvent placées en fonds publics, en rentes sur l'Etat, en obligations des communes, en obligations de nos chemins de fer et en autres valeurs de ce genre.

M. le ministre des finances me fait dire que ces placements se font grâce aux emprunts à primes ; je n'ai pas articulé l'expression « emprunts à primes. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous y avez fait allusion.

M. Tack. - Pardon, pas le moins du monde ; je n'y ai pas fait allusion, et pour le faire remarquer en passant, je ne suis pas partisan des emprunts à primes, je les considère comme un mal et je désapprouve cette fièvre qui s'est manifestée depuis quelque temps et qui pousse beaucoup de gens à placer leurs fonds dans ces sortes d'emprunts qui sont de véritables loteries.

Mais je n'ai pas prétendu que c'est par suite des emprunts à primes qui ont été autorisés dans notre pays, que les petits capitaux ont fui les caisses d'épargne ; car antérieurement à l'époque où les emprunts à primes ont commencé à exercer leur influence, les placements de modiques sommes en fonds de l'Etat et en obligations de nos sociétés financières, se faisaient déjà sur une grande échelle ; chacun de nous a eu, par sa propre expérience, occasion de le constater.

Mais, reprend M. le ministre des finances, si dans ce pays, les petits capitaux ont la tendance que vous indiquez, pourquoi ne l'ont-ils pas dans d'autres pays ? Ailleurs ils prennent la route des caisses d'épargne.

Cela tient probablement à ce que les fonds belges se trouvent dans (page 1472) une position tout à fait exceptionnelle, et que jusqu'à ce jour ils ont joui d'une grande faveur.

Et en effet, dans les circonstances même les plus difficiles, nous les avons vus se maintenir au taux le plus élevé. Cela se comprend, la confiance dans le gouvernement belge est grande, et par suite, une masse considérable de fonds publics se trouvent entre les mains de petits propriétaires de petits capitalistes, et sont éparpillés dans le pays.

Cette diffusion réagit à son tour sur nos fonds publics ; elle fait qu'ils présentent tant de solidité et sont devenus une occasion de placement recherché au lieu d'être, comme ailleurs, un appât pour la spéculation.

L'honorable ministre des finances affirme que si les caisses d'épargne ont décliné dans notre pays, il faut l'attribuer aux catastrophes que nous avons eues en 1830 et en 1848.

Mais, messieurs, les mêmes catastrophes se sont manifestées également dans d'autres pays.

Ainsi, par exemple, en Lombardie les caisses n'ont-elles pas dû suspendre leurs payements, comme cela avait eu lieu en Belgique ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a pas eu de suspension. On s'est porté garant.

M. Tack. - Je pense que les caisses ont refusé pendant un certain délai le remboursement des dépôts.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Immédiatement de grands propriétaires se sont portés garants.

M. Tack. - En Belgique le gouvernement s'est porté garant ; en somme, il n'y a pas eu de catastrophe en Belgique. Il n'y a pas eu de perte en ce qui concerne les caisses d'épargne, de même qu'il n'y en a pas eu en Lombardie au point de vue des participants.

Je persiste donc à croire que les causes sur lesquelles j'avais appelé votre attention n'ont pas eu d'influence sur ce qu'on appelle l'infériorité de nos caisses d'épargne.

Je n'ai point combattu le principe de la garantie ; je n'ai pas non plus critiqué le mode de placement qui est inscrit dans le projet de loi. Je me suis borné à dire qu'il conviendrait de fixer une limite aux dépôts.

Là est, selon moi, le point capital que nous avons à examiner.

Les dépôts importants sont-ils une condition sine qua non pour qu'une caisse d'épargne puisse fonctionner convenablement ?

Conçoit-on une caisse d'épargne qui fixe un maximum et qui soit bien régie, qui rende tous les services qu'on peut en attendre ?

Je crois qu'on peut répondre affirmativement en invoquant l'expérience de tous les pays.

C'est, dit M. le ministre, une nécessité impérieuse que de pouvoir disposer de capitaux pour des sommes illimitées.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non pas ; mais de la somme nécessaire pour couvrir les dépenses.

M. Tack. - Mais cela se traduit en capitaux considérables.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pas nécessairement.

M. Tack. - Je crois qu'ici l'expérience vaut mieux que tous les raisonnements.

L'honorable M. de Renesse le disait tout à l'heure, partout où le gouvernement prête sa garantie, on a limité le montant des dépôts ; ainsi, il vous a cité, d'après le rapport de la section centrale, parmi les pays où l'on fixe un maximum, l'Angleterre, la France, l'Autriche, la Prusse, le royaume de Suède et de Norvège, la Saxe, la Bavière, le grand-duché de Bade, le Danemark, Brème, Hambourg, etc., tandis que parmi ceux où l'on n'en a pas fixé, on ne compte que les Deux-Siciles, les Etats Romains, la Silésie, la régence de Dusseldorf, Francfort et Christiania.

Non seulement on s'est cru obligé de fixer un maximum dans un grand nombre de pays, mais encore de le réduire successivement. C'est ce qui a eu lieu en France et en Angleterre.

Mais, objecte M le ministre des finances, les caisses de France et d'Angleterre sont détestables, puisque le gouvernement est obligé d'intervenir annuellement pour une somme considérable à l'effet de suppléer au déficit.

Je répondrai que la question est de savoir si le motif pour lequel les gouvernements d'Angleterre et de France se sont trouvés dans cette nécessité est que l'on a fixé un maximum aux dépôts ou bien s'il a sa source dans d'autres causes.

L'honorable ministre des finances lui-même me semble avoir indiqué clairement la raison.

De plus elle est reconnu par les hommes d'Etat d'Angleterre. Le déficit s'explique par la circonstance qu'on avait exagéré l'intérêt payé aux déposants, qu'on l'a élevé beaucoup trop au-dessus du revenu obtenu au moyen des placements faits pour compte de la caisse en fonds de l'Etat.

Aussi a-t-on proposé en Angleterre, pour remédier à ce fâcheux état de choses, de varier davantage les placements, comme vient de le dire l'honorable ministre et de réduire l'intérêt bonifié aux déposants.

Ce n'est pas la question du maximum qui est ici en cause ; à l'égard de la variété des placements, j'admets complètement les idées que M. Je ministre des finances a développées dans cette enceinte comme celles qui sont consignées dans l'exposé des motifs.

M. le ministre nous a parlé de catégories de participants. A ce sujet, il a cité l'opinion de M. Malou.

Il est impossible, nous dit-il, d'admettre des catégories de déposants. Je ferai remarquer d'abord que d'après le projet de loi on établit des catégories de participants.

Ainsi l'administration de la caisse se réserve la faculté d'accepter le dépôt de tel individu et de repousser le dépôt offert par tel autre.

J'ajouterai que vous confondez la question des catégories de participants avec celle du maximum.

Certes elles ont des points de contact, mais au fond elles sont tout à fait distinctes ; et puis vous parlez de 1848 ; or il s'agissait à cette époque de statuer sur le passé, de savoir si l'on donnerait une espèce d'effet rétroactif à la loi pour les uns et point pour les autres. La différence, sous ce rapport, est énorme.

Si vos caisses n'ont pas prospéré, est-ce parce que les capitaux importants leur ont manqué jusqu'à ce jour ?

Mais point du tout.

Voyez le tableau qui figure à la page 9 de l'exposé des motifs ; il y a là une chose assez frappante.

La moyenne des livrets est plus élevée en Belgique que partout ailleurs sauf pour ce qui concerne les caisses américaines. Ainsi en Belgique, cette moyenne s'élève à 840 fr. 81 c.

En Angleterre, elle n'est que de la moitié, soit 430 fr. 60 c.

En France, elle n'est que de 284 fr. 95 c.

Vous le voyez, j'ai raison de dire que ce ne sont pas les dépôts d'une certaine importance qui ont fait défaut à nos caisses d'épargne.

C'est bien le contraire, mais ce qui leur manque ce sont les petits dépôts.

Il s'agit maintenant de savoir si vous les attirerez davantage en promettant un intérêt tant soit peu plus élevé.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous commettez une erreur.

M. Tack. - Je vois que la moyenne des livrets en Belgique est de fr. 840-81.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais à côté de la somme de fr. 27,782,078, montant total des dépôts, il y a une note qui dit : y compris fr. 6,352,184-24 versés par environ 4,200 administrations publiques. Ce sont des versements qui ne rentrent pas dans la catégorie de la caisse d'épargne.

M. Tack. - Mais je soupçonne fort que dans d'autres pays il y a des versements de cette espèce.

Je vois dans les documents qu'on vous a communiqués qu'on reçoit ailleurs le versement des caisses de secours mutuels et autres.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pas en France.

M. Tack. - Encore une fois, ce qui manque à nos caisses d'épargne, ce sont les faibles dépôts.

Maintenant, je le demande de nouveau, les attirerez-vous en accordant un intérêt légèrement supérieur ? Je ne le pense pas. Généralement ou est d'accord que l'intérêt est sans influence sur la catégorie des modiques versements ; les participants qui font ces versements tiennent peu compte de l'intérêt ; ce qu'ils veulent avant tout, c'est la sûreté du placement, et c'est la faculté de pouvoir, quand bon leur semble, retirer les fonds placés.

M. le ministre nous dit : J'accepte très bien le maximum, mais c'est à la condition que vous chargiez l'Etat de combler le déficit. Du moment que vous admettez un maximum, vous vous trouvez immanquablement devant un déficit annuel, inévitable.

Messieurs, je ne comprends pas comment cela est possible. Si l'on songe que, dans le projet de loi, il y a une disposition qui laisse à la caisse d'épargne la faculté de fixer le taux de l'intérêt, il ne lui sera pas impossible d'établir un rapport exact ou tout au moins très approximatif entre les sommes obtenues à l'aide des placements divers qu'elle aura faits et le montant total des intérêts bénéficiés aux déposants.

Cette fatale nécessité pour l'Etat de combler le déficit du moment qu'un maximum est fixé me paraît moins qu'évidente.

M. le ministre citait tout à l'heure les caisses d'Angleterre et les caisses françaises, et trouvait leur organisation mauvaise parce que leurs comptes annuels aboutissent à des déficits.

(page 1475) Mais il existe des caisses organisées d'après les bases du projet de loi, ces caisses aussi ont adopté un maximum et les capitaux ne leur ont pas fait défaut. Telle est, entre autres, la caisse de Berlin.

Permettez-moi, messieurs, de vous lire un passage de l'exposé des motifs relatif à cette utile institution :

« Cette caisse n'avait réuni, en 1829, que 198,238 thalers appartenant à 17,405 déposants ; et, de 1830 à 1853, le nombre des livrets et le chiffre des dépôts diminua encore dans une certaine proportion, par suite des circonstances politiques et du choléra.

« Mais elle reprit ensuite un élan extraordinaire, que même les commotions de 1848 ne purent que très légèrement ralentir, car, à la fin de cette année, la caisse d'épargne de Berlin devait encore 823,789 thalers à 20,846 déposants, et à la fin de l'année 1849, le chiffre des dépôts avait augmenté de 592,770 thalers, et s'élevait à la somme de 1,416,560 tha ers, appartenant à 30,292 déposants.

« Cette prospérité effraya la commune et l'amena à décréter, le 12 août 1850, la liquidation de l'ancienne caisse d'épargne et la constitution d'une nouvelle caisse, où le maximum des versements mensuels était réduit de 25 à 10 thalers, et celui des dépôts de 500 à 100 thalers. On n'admit sous ce rapport d'exception que pour les sociétés de secours mutuels. »

Pour le faire remarquer en passant, vous voyez, messieurs, que, dans d'autres pays, certaines sociétés particulières ont le droit de participer aux caisses d'épargne et y versent des sommes plus considérables que les déposants ordinaires.

« Les délais pour les remboursements furent en même temps modifiés, tandis que le minimum des versements était abaissé d'un thaler à 5 gros.

« Ces changements eurent d'abord un résultat fâcheux, car, au lieu d'un million et demi de thalers réunis dans l'ancienne caisse, la nouvelle, à la fin de 1851, après la liquidation complète de la première, ne possédait guère que 900,000 thalers ; tandis que le nombre des déposants était réduit de 30,300 à 27,000.

« Depuis lors cependant cette caisses constamment progressé ; et à la fin de 1858 elle avait repris sa position de 1830 et comptait un capital de 1,588,707 thalers, appartenant à 45,887 déposants. »

Ainsi, on n'a pas appréhendé que la caisse'serait tombée, parce qu'on réduisait le maximum, et en fait la caisse n'a fait que prospérer.

« Le tiers environ des capitaux est placé en fonds publics ; un sixième en obligations de la province et de la commune ; un tiers en actions des chemins de fer, et le sixième restant en lettres de gage et en prêts hypothécaires. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Qui fait les frais de la caisse ?

M. Tack. - La commune est responsable.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et elle fait toutes les dépenses.

M. Tack. - Mais où est le déficit ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il figure dans les comptes de la ville de Berlin, et c'est elle qui fait toutes les dépenses.

M. Tack. - Je suis étonné que cela ne soit pas signalé.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela n'était pas nécessaire ; cela va de soi.

M. Tack. - Là où l'on a repoussé le maximum, on a introduit d'autres restrictions. Ainsi, par exemple, on a réduit l'intérêt du moment que le dépôt excédait une certaine somme. C'est-à-dire qu'on a payé un intérêt différentiel pour les excédants. Ailleurs, on a refusé tout intérêt sur les sommes dépassant le maximum, ou bien encore on a stipulé de longs délais pour les remboursements ; mais selon moi, les délais trop longs ne sont pas une bonne chose parce qu'il faut viser avec soin dans l'organisation de caisses d'épargne au profit des petits déposants, à la disponibilité immédiate de leurs capitaux.

Mais, fait-on observer, nous avons aussi inscrit dans la loi un tempérament qui a la plus grande analogie avec la règle du maximum ; nous avons stipulé un véritable maximum. Lisez l'article 26 ; il permet à l'administration de la caisse de refuser les dépôts qui excèdent le chiffre de 3,000 francs.

Eh bien, messieurs, c'est, selon moi, le plus mauvais de tous les tempéraments ; pourquoi ? Parce que, comme l'a dit tantôt l'honorable M. de Renesse, c'est un moyen tout à fait arbitraire ; c'est un pouvoir discrétionnaire laissé à la caisse. Ainsi, il sera loisible à l'administration de la caisse d'accepter un dépôt de 10,000 francs, s'il est apporté par telle personne et de refuser un dépôt de 4,000 francs s'il est apporté par telle autre. C'est là un pouvoir discrétionnaire dont je ne veux pas, parce que je n'admets pis ce qui peut éventuellement prêter au favoritisme et donner lieu à de graves abus.

Quant à moi, je désire prémunir les administrateurs des caisses d'épargne contre leurs propres écarts.

L'abus est possible, cela est évident ; tout le succès du système, et l'auteur de l'exposé des motifs l'avoue, repose sur la prudence des administrateurs.

Je ne verrais aucun mal à ce que, par exemple, on introduisît quelques exceptions au point de vue du maximum, pour les mineurs, pour les militaires et pour certaines catégories d'individus, pour les sociétés de secours mutuels, pour les sociétés de bienfaisance, etc.

Malgré tout ce que M. le ministre des finances nous a dit, je demeure convaincu qu'on peut convenablement organiser une caisse de retraite en se plaçant sur un pied plus modeste que ne le veut le projet de loi.

En dépit du maximum, de nombreux capitaux afflueront immanquablement à la caisse.

J'ai cité l'exemple de la Société générale, en 1848, qui avec un maximum de 4,000 francs a vu affluer dans ses caisses la somme énorme de 60,000,000 de fr. Or, vous avez bien d'autres éléments de succès que la Société générale, vous les vantez beaucoup ; vous avez à votre disposition, nous dites-vous, les agents du gouvernements, les fonctionnaires publics, le service de la Banque Nationale qui vous est assuré par la loi ; vous stimulerez le zèle des administrations communales ; vous comptez faire usage de votre influence morale qui est très grande, et puis, vous avez la garantie de l'Etat, garantie qui n'existait pas en 1848.

Elle existait moralement, c'est vrai, mais aujourd'hui qu'elle sera inscrite dans la loi, qu'elle sera certaine, il est évident que vous verrez affluer les capitaux en masse, de sorte que vous ne devez pas redouter de ne vous trouver en face que de petits dépôts ; non, vous aurez des dépôts de mille, deux mille, trois mille francs ; ceux-là seront nombreux.

Et n'est-ce pas, messieurs, une grave imprudence de permettre l'exagération des dépôts, n'est-ce pas compromettre la garantie même ?

Oui sans doute, car elle ne se justifie qu'autant qu'il y a nécessité absolue de l'accorder, qu'autant qu'elle s'applique aux petites épargnes, aux économies du pauvre.

Du moment que vous retendez à l'épargne du riche, elle n'a plus de raison d'être ; c'est s'exposer à la faire déconsidérer pour l'avenir que de lui donner des proportions outrées.

Même avec un maximum dans les conditions avantageuses que vous leur faites, vous arriverez au monopole des caisses d'épargne ; plus aucune ne pourra exister à côté de celle de l'Etat, à moins qu'elle ne consente à jouer le rôle d'humble satellite, à se placer sous son autorité.

N'est-ce point assez ?

Vous avez beau vanter l'excellence de votre système, je réponds par vos propres paroles.

« L'obligation de recevoir et de rendre productive une masse énorme de capitaux, dites-vous à la page 16 de l'exposé des motifs, peut devenir un grand embarras. »

Oui, cela est incontestable ; pourquoi donc ne pas prendre des mesures pour éviter cet embarras ? Vous le pouvez en limitant les dépôts. Sinon, comme le font observer les administrateurs de la caisse d'épargne de Paris, vous êtes exposé à des risques contre lesquels il n'est pas toujours possible de se prémunir.

L'honorable ministre citait tout à l'heure l'autorité d'un publiciste anglais ; il disait que Scratchley se prononçait contre le maximum. Je pense que c'est là une erreur. Dans une brochure que je tiens à la main et dont l'auteur, M. Visschers, aura puisé ses renseignements à des sources exactes, je lis à la page 32 :

« M. Scratchley recommande de fixer le taux de 3 p. c. par an pour les sommes qui n'excèdent pas 100 livres (2,500 fr.) ou jusqu'à concurrence de ces sommes pour les dépôts plus élevés. Pour le surplus jusqu'au montant de 200 livres (5,000 fr.) l'intérêt serait de 2 1/2 p. c. Il propose de plus de supprimer la limitation qui existe aujourd'hui pour les versements à opérer dans le cours d'une année en maintenant un maximum pour les dépôts et d'apporter quelques restrictions au droit que les déposants ont d'obtenir leurs remboursements à la première demande. »

C'est donc bien à tort que M. le ministre a invoqué l'autorité de Scratchley. Je crois que nous devons être d'autant plus sévères que nous accordons au gouvernement un pouvoir plus grand. Nous allons plus loin que partout ailleurs ; chez nous le gouvernement gère, administre, est responsable ; dans les autres pays, des intermédiaires sont responsables comme le gouvernement. Ici, le gouvernement lui-même, et lui seul, est engagé directement vis-à-vis des déposants.

M. le ministre me reproche d'avoir dit que l'institution qu'on propose (page 1474) de fonder par le projet de loi est une espèce de crédit mobilier ; je n'ai eu aucune intention mauvaise en me servant de cette expression. Qu'est-ce donc que l'institution financière que vous créez ? On ne peut pas l'assimiler à une banque ; elle est banque d'escompte, mais elle est aussi autre chose ; elle prête sur actions des sociétés belges, sur obligations, sur fonds publics, sur warrants, sur hypothèques.

Elle a donc d'autres attributions que celle d'une banque, je ne pense pas que M. le ministre des finances voudrait reconnaître à une banque anonyme d'escompte le droit de faire tous les genres de placement qui figurent au projet de loi.

Je conclus en répétant qu'il serait sage, prudent et juste de fixer, comme on a fait partout où l'Etat, la commune, la province interviennent, un maximum passé lequel la caisse d'épargne ne pourrait plus recevoir de versements d'un même participant, ou, si on l'autorise à les accepter, ce serait seulement pour les garder, et sans payer d'intérêts.

- La discussion est continuée à demain.

Projet de loi autorisant l’échange de parcelles de terrain occupées par l’école vétérinaire

Dépôt

MiVµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi ayant pour objet d'autoriser l'échange de deux parcelles de terrain appartenant à l'Etat et occupés par l'école vétérinaire.

- Il est donné acte à M. le ministre du dépôt de ce projet.

La Chambre en ordonne l'impression, la distribution et le renvoie à l'examen des sections.

La séance est levée à 4 3/4 heures.