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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 30 juillet 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1923) (Présidence de M. E. Vandenpeereboom, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaire, lit le procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Charles Lichtaer, reclus au dépôt de mendicité de la Cambre, demande à recouvrerl'a qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger. »

- Renvoi an ministre de la justice.


« Le sieur De Bry prie la Chambre de statuer sur sa demande tendante à obtenir une récompense pour son invention d'un canon revolver. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La veuve Godard demande qu'd lui soit désigné un avocat pour défendre ses intérêts devant les tribunaux. »

- Même renvoi.


« Des industriels à Gand prient la Chambre de décider que le traité qui lui est soumis, si elle juge convenable de le ratifier, ne sera point appliqué aux industries textiles avant le 1er octobre 1864. »

M. Van de Woestyneµ. - Comme il est probable que la commission des pétitions ne pourrait faire un rapport sur cette pétition en temps opportun, j'en demande le renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le traité avec l'Angleterre.

- Adopté.


« Par message du 28 juillet, le Sénat informe la Chambre qu'il a pris en considération la demande de naturalisation du sieur Léonard-François-Martin Klein, et que, d'après le désir de l'intéressé, il a donné à cette demande le caractère de demande de grande naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Par message en date du 28 juillet, le Sénat informe la Chambre :

« 1° Qu'il a rejeté la demande de naturalisation ordinaire du sieur Félix Mœdig ;

« 2° Qu'il a pris en considération 17 autres demandes de naturalisation ordinaire. »

- Pris pour information.

Projet de loi ouvrant des crédits pour l’exécution de travaux d’utilité publique

Discussion générale

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, dans la séance d'hier un honorable député de Mons et un honorable député de Charleroi ont annoncé que si les explications à fournir par le gouvernement touchant la construction du canal d'Ath au couchant de Mons et touchant l'amélioration du canal de Charleroi n'étaient pas propres à les satisfaire, ils déposeraient des propositions formelles en faveur de l'un et de l'autre canal.

J'espère, messieurs, et je pense que les explications que le gouvernement va donner seront de nature à donner à ces honorables membres la satisfaction qu'ils désirent.

Je dois cependant dire que si, contre mon attente, il en était autrement, je me verrais, à regret, qu’on le croie bien, forcé de combattre leurs propositions.

Je devrais le faire, d’abord par une sorte de sentiment de loyauté envers plusieurs autres membres de la Chambre qui ont déposé des amendements au premier projet de travaux publics qui vient d'être adopté par la Chambre, amendements que j'ai dû repousser parce qu'ils se rapportaient à des projets qui n'étaient point suffisamment étudiés.

En effet, l'affaire du canal du Couchant de Mons, en tant qu'il s'agissait d'une combinaison impliquant l'intervention financière de l'Etat et l’affaire de l'amélioration du canal de Charleroi ne sont pas arrivées à maturité quant à l'instruction dont elles doivent nécessairement faire l'objet.

Mais je devrais encore combattre cette proposition, pour un second motif, c’est qu'elle serait éminemment compromettante pour le trésor public, vice que ne présenterait pas en général les amendements soumis au premier projet.

Où en sommes-nous, messieurs, pour le canal du couchant de Mons à la Dendre ?

Permettez-moi, avant tout, de débarrasser ce débat de certaines considérations assez étrangères à la question et sur lesquelles s'est appuyé l'honorable député de Mons qui a pris le premier la parole dans la séance d'hier.

Et tout d'abord, constatons de la part du couchant de Mons ce que j'ai le droit d'appeler un acte d'ingratitude vis-à-vis du gouvernement. Je n'emploie certainement pas une expression trop forte, j'emploie l'expression juste.

M. Carlier. - Je demande la parole.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, pendant des années le couchant de Mons, la chambre de commerce, les diverses autorités constituées, les industriels intéressés ont réclamé du gouvernement, entre autres la construction d'un canal de jonction entre la Lys et l'Yperlée, la canalisation de la Mandel...

M. de Brouckereµ. - Je l'ai reconnu.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - ... la construction du barrage de Deynze, enfin dans ces derniers temps la concession du chemin de fer de Frameries à Chimay.

Il est fait droit par notre projet aux réclamations du Couchant de Mons sur sous ces points dans la mesure où le gouvernement a pu le faire. Il y a plus, quant à la construction du canal de la Mandel, c'est le gouvernement qui en prend les frais exclusivement à sa charge ; et quant au canal de jonction de la Lys à l'Yperlée, le gouvernement vous demande de sanctionner la convention aux termes de laquelle il intervient dans la dépense à concurrence de 2,800,000 francs. Enfin, vous savez, messieurs, que la transformation du barrage de Deynze ne se fait point sans une certaine dépense.

Le gouvernement a fait tout cela, et c'est le lendemain du jour où il dépose son projet de loi, que l'on vient déclarer qu'il n'a rien fait pour le couchant de Mons ou que ce qu'il a fait est dénué de toute espèce d'importance. Eh bien, je n'appelle pas cela de la reconnaissance.

Ce n'est pas lorsque le gouvernement apporte, indépendamment du chemin de fer de Frameries à Chimay, des projets de travaux publics qui coûteront des millions au trésor, et dont le couchant de Mons est certainement appelé à recueillir les fruits, que cette partie du pays, surtout si l'on songe à ses réclamations réitérées pendant des années, serait autorisée à exprimer les dédains qu'elle manifeste aujourd'hui pour ces mêmes travaux.

J'ajoute que le couchant de Mons oublie encore un des premiers articles du projet de loi voté la semaine dernière, celui qui autorise la concession d'un chemin de fer de Gand à Terneuzen. Ce chemin, formant le prolongement du chemin de fer de Hainaut-Flandres, intéresse sans aucun doute particulièrement le bassin de Mons.

Pour ce qui concerne le chemin de fer de Frameries à Chimay, il y a même cette coïncidence que je tiens à noter, que j'ai reçu les instances les plus vives de la chambre de commerce et du comité houiller de Mons et du comité houiller du centre en faveur de ce projet lorsque déjà la convention ayant cette concession pour objet, était signée, c'est-à-dire dans ces tout derniers jours.

Et en même temps que les autorités et les intéressés de toute catégorie venaient ainsi appuyer le chemin de fer projeté, et presque le même jour, on vient déclarer ici, en pleine Chambre, que cette ligne est sans utilité pour Mons. Je ne puis pas, messieurs, accepter une pareille thèse.

L'honorable M. de Brouckere s'est appuyé en second lieu sur la situation industrielle du bassin de Mons. Il a indiqué diverses causes de ce qu'il a appelé la décadence de ce bassin houiller.

Eh bien, ces causes n'existent pas, ou du moins, elles n'ont pas l'importance qu'il y a assignée.

(page 1929) Le bassin de Mons est-il en décadence, messieurs ? Il me semble, au contraire, qu'il est en prospérité, et que sa prospérité même est proportionnellement plus grande que celle d'aucun des trois autres bassins. Voici en effet, des chiffres que je puise dans l'Exposé de la situation de la province de Hainaut ; ce sont donc des chiffres officiels.

L'extraction a été en 1857 de 2,691,000 tonneaux, en 1858 de 2,869,000, en 1859 de 3,007,000, en 1860 de 3,012,000 et en 1861 de 3,247,000.

Ainsi le bassin de Mons n'a pas cessé un instant de se développer ; cependant nous savons tous que la crise industrielle, si intense aujourd'hui, remonte déjà à l'année dernière ; or, vous venez de le voir, même la dernière année, influencée par une certaine période de crise, l'extraction a été plus forte qu'elle ne l'a jamais été. J'en félicite cordialement le bassin de Mons, j'en félicite également le gouvernement : cette décadence invoquée ici n'existe pas.

Mais à quelles causes attribue-t-on cette décadence imaginaire ? En premier lieu au développement du bassin du Pas-de-Calais.

Mais je n'aperçois là qu'un effet extrêmement naturel de la loi de la concurrence que subit le bassin de Mons comme tous les bassins, comme toutes les industries. Le bassin de Mons ne peut pas prétendre au monopole, au privilège pour l'approvisionnement de certains marchés.

On a parlé en second lieu de l'invasion des charbons anglais en France et de celle des charbons français en Belgique.

Je n'ai pas les chiffres des charbons anglais importés en France, mais je crois que jusqu'ici du moins cette importation a été peu importante ; quant à celle des charbons français en Belgique, je possède des chiffres, permettez-moi encore de les citer.

En 1861, la quantité des charbons étrangers de tous pays, introduite en Belgique, n'a été que de 92,771 tonneaux ; 38,704 sont venus de l'Angleterre, 51,429 de la France. 2,638 d'autres pays.

C'est 4,238 tonneaux de moins qu'en 1860, et 17,298 tonneaux de moins qu'en 1859. Est-ce que c'est cette importation qui peut porter un préjudice sérieux au bassin de Mons ? Evidemment non. Enfin, on a dit que les autres bassins avaient été dotés à l'exclusion du bassin de Mons de voies nombreuses de communication qui les ont favorisés outre mesure.

Quand je jette les yeux sur la carte, je vois qu'autour de Charleroi, (c'est principalement à ce bassin, je suppose, qu'on a fait allusion), rayonnent six chemins de fer, plus un chemin de fer en construction, le chemin de fer concédé de Beaume à Marchienne, et je trouve qu'autour de Mons rayonnent de même six chemins de fer, à côté desquels un septième va être concédé, celui de Frameries à Chimay.

Sous ce premier rapport, donc, il y a égalité parfaite entre Mons et Charleroi.

Qu'a-t-on, de part et d'autre, en voies navigables ? Dans l'arrondissement de Charleroi, pour l'exportation, la Sambre, frappée d'un péage assez élevé ; pour l'intérieur, le canal de Charleroi, frappé d'un péage incontestablement élevé encore.

Et dans l'arrondissement de Mons ? Pour l'exportation, le canal de Mons à Condé, frappé de péages moins élevés que la Sambre ; pour l'intérieur ; l'Escaut sur lequel il n'y a pas de péages, et qui offre une navigation aussi facile, aussi économique qu'on peut le désirer.

- Un membre : La navigation n'est pas prompte.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je dis que l'Escaut est une voie navigable aussi facile, aussi économique qu'on peut le désirer.

Il n'est pas possible de le nier pour la descente. Elle est moins prompte à la remonte, c'est vrai, mais la Chambre sait que mon département dispose d'une somme approximativement suffisante pour la canalisation de l'Escaut. Quand la canalisation sera terminée on continuera à descendra aussi facilement qu'aujourd'hui, puisqu'on pourra toujours procéder par bonds d'eau, et on remontera aussi dans les meilleures conditions, en tenant les barrages fermés à de certains jours.

Encore une fois, je félicite le bassin de Mons de ces avantages, mais je constate en même temps qu'il n'est pas dans une situation telle qu'il faille faire pour lui incontinent des sacrifices extraordinaires.

Messieurs, l'industrie houillère du bassin de Mons, comme toutes les autres industries souffrent d'une cause qu'on n'a pas signalée, quelque flagrante qu'elle soit.

Je veux parler de la crise générale et si grave que nous traversons. Voilà de quoi souffre le bassin de Mons ; et lorsque cette crise aura cessé dans un avenir plus ou moins prochain, malgré le Pas-de-Calais et les charbons anglais, il y aura assez de consommateurs pour tous les bassins houillers belges.

Si l'extraction de ces bassins s'est fortement accrue, il est une chose qui a augmenté dans une plus grande proportion encore peut-être, c'est la consommation, c'est l'industrie, et bien que les charbons de Mons coûtent plus cher que ceux d'autres bassins, ils trouveront aisément à se placer, parce qu'ils ont des qualités spéciales.

Après cela, je ne conteste pas que, par suite du traité anglo-français, il y a peut-être certaines régions de la France où les charbons de Mons trouveront un placement plus difficile que jusqu'ici. Mais ils trouveront sans peine un placement très avantageux dans d'autres parties de la France, dans l'Est, dans les Ardennes.

Il y aura donc simplement tout au plus une transformation dans le marché de Mons ; mais quant à une décadence, à des menaces de ruine, il n'y en a pas.

Enfin, messieurs, on a invoqué l’intérêt de l'ouvrier. Eh bien ! cet intérêt de l'ouvrier, comme l'intérêt actuel du bassin de Mons, sont tout à fait hors de cause.

De quoi s'agit-il ? Il s'agit de construire un canal qui, en supposant que la Dendre soit canalisée à temps, ne pourra être achevé que dans quelques années.

Je vous demande ce qu'un canal, qui ne peut, dans l'hypothèse la plus favorable, être livré à l'exploitation que dans trois, quatre ou cinq ans, peut faire à la crise présente, soit de l'industrie, soit de l'ouvrier. Il est évident que cet argument n'a pas de valeur.

Je ne critique pas, messieurs, je n'ai pas besoin de vous le dire, le canal destiné à joindre la Dendre au couchant de Mons. Je le critique si peu, que lorsque en 1859, les honorables députés de Mons ont proposé un amendement tendant à autoriser le gouvernement à faire de ce canal l'objet d'une concession, le gouvernement s'est rallié avec empressement à cet amendement.

Mais, dit l'honorable M. de Brouckere, voilà deux ans, voilà trois ans que cet amendement fait partie intégrante de la loi, et n'a reçu aucune exécution. Par conséquent les pouvoirs qui ont été donnés au gouvernement sont insuffisants pour assurer la construction du canal.

Messieurs, c'est une erreur. Si le gouvernement jusqu'ici n'a pas fait usage du droit que lui a été donné de concéder, c'est à des circonstances indépendantes de la volonté d'un concessionnaire qui s'est présenté, et de la volonté du gouvernement, qu'il faut attribuer ce résultat en apparence négatif, et je vais vous le prouver.

A la suite de la loi de 1859, un concessionnaire s'est presque immédiatement offert. Vous vous rappelez que le gouvernement était autorisé à concéder le canal de jonction en donnant en quelque sorte à titre de prime au concessionnaire, le crédit qui avait été voté pour la canalisation de la Dendre, naturellement à charge par le concessionnaire d'exécuter également sur ce crédit les travaux de canalisation de la Dendre même.

Or, dans la combinaison présentée par le demandeur en concession au gouvernement, pour cette dernière canalisation, il a proposé d'effectuer à la Dendre les seuls travaux qui avaient été prévus dans un ancien projet de canalisation que la Chambre connaît.

Aux termes de cet ancien projet, les travaux à effectuer devaient coûter deux millions et demi.

Le demandeur en concession réclamait pour ces mêmes travaux 3,400,000 fr.

Mais ce n'est pas cette majoration de 900,000 fr. qui a arrêté le gouvernement. Ce qui l'a arrêté, c'est que le système de canalisation de la Dendre qui devait coûter, d'après les évaluations primitives, deux millions et demi, avait été reconnu tout à fait insuffisant ; qu’il fallait faire à la Dendre des travaux beaucoup p'us considérables, et voilà pourquoi l’affaire, telle qu'elle était dans son ensemble présentée par le concessionnaire, n'a pu avoir de suite.

Elle a été tenue en suspens, pour donner au gouvernement le temps d'étudier une canalisation de la Dendre plus complète et plus rationnelle.

Aujourd'hui, vous le savez, messieurs, cette étude est achevée et le demandeur en concession dont il s'agit maintient parfaitement sa demande, en ces termes qu'il sollicite une allocation pour les travaux de la Dendre, proportionnée à l'importance plus grande de ces travaux, tout en laissant au gouvernement le choix d'exécuter ces travaux lui-même, ce que je trouve préférable. Il insiste seulement pour que, ces travaux exécutés, il soit autorisé à percevoir un léger péage sur la Dendre canalisée, ce qui est dans l'esprit de la loi du 8 septembre 1859.

Voici donc la proposition qu'il renouvelle, qu'il m'a encore renouvelée hier, avec autorisation de citer son nom. Il s'agit de M. Vanderelst.

(page 1925)

HAMBRE XIES REPRÉSENTANTS, SEANCE DU 30 JUILLET |f33. I

Il sollicite la concession du canal d'Ath à Blaton aux conditions ordinaires c'est-à-dire sans aucune intervention financière de l'Etat, bien entendu moyennant l’établissement d'un péage modéré sur le canal de jonction, et d'un péage beaucoup plus modéré encore sur la Dendre canalisée ; il appose cette seule condition à sa demande, que le gouvernement exécutera les travaux de la Dendre ex même temps que lui les travaux du canal de jonction, et de manière que les deux sections de la voie nouvelle de navigation entre Mons et l'Escaut viennent se compléter à la même date.

Il se déclare du reste prêt à signer le contrat immédiatement, avec versement du cautionnement de 100,000 fr., exigé par la loi de 1856.

Messieurs, je vous le demande, est-ce que en présence de l'annonce ou plutôt du dépôt actuel d'une pareille soumission le gouvernement pourrait donner les mains à une autre combinaison consistant à promettre une garantie d'intérêt de 500,000 fr. ?

Cela n'est pas possible en face d'une démarche aussi décisive. Il n'est pas possible que le gouvernement, rejetant cette offre formelle qui doit donner pleine satisfaction au bassin de Mons, si elle est suivie d'exécution, aille dilapider les fonds de l'Etat au point de donner une garantie d'intérêt qui n'est pas même sollicitée par l'un des concurrents ?

Que répond-on à cela ? On dit que l'entrepreneur ne fera pas son capital. Mais, messieurs, qui a le droit de parler ainsi ? Et en supposant qu'en puisse craindre cet échec, est-ce que la prudence la plus vulgaire n'ordonne pas au gouvernement d'attendre que le demandeur en concession ait eu le temps de réaliser le capital, afin d'apprécier sa capacité financière, non plus sur la supposition, mais sur les faits matériels ?

Le gouvernement ne peut pas aller jeter en quelque sorte à la tête d'autres entrepreneurs 500,000 fr. de garantie d'intérêts pour faire le même travail qu'on lui offre gratis. Si la concession accordée n'était pas mise à fruit, c'est alors, mais alors seulement, qu'il serait opportun d'aviser.

Messieurs, je me borne provisoirement à ces observations et renseignements.

Si l'on porte le débat sur d'autres points, sur ce point-ci par exemple : lequel des deux canaux, de la Dendre à Jemmapes ou de la Dendre à Blaton mérite la préférence ? je démontrerai très facilement, je pense, que les deux se valent au point de vue de l'intérêt de Mons et que surtout, s'il y avait une différence, cette différence ne justifierait pas l'augmentation de garantie des 250,000 francs réclamés pour le canal de Jemmapes.

Voici naturellement la demande subsidiaire que M. Vander Elst a adressée à mon département, c'est si le gouvernement est d'avis qu'il y a lieu d'allouer la garantie d'un minimum d'intérêt, que cette garantie lui soit accordée, non à concurrence de 500,000 fr., réclamés pour le canal de Jemmapes, mais seulement 250,000 fr., somme en rapport avec le capital nécessaire pour le canal de Blaton.

Or, encore ici, messieurs, si une garantie était nécessaire, par simple hypothèse, pourrions-nous, le cas échéant, donner, sans graves motifs, la préférence à 500,000 fr. sur 250,000 fr. ?

Mais non, cela ne se discute pas, et je croirais abuser des moments de la Chambre si je poussais plus loin mes explications sur ce premier point.

En ce qui concerne le canal de Charleroi, je suis également à même de fournir à la Chambre des renseignements que je crois satisfaisants.

Messieurs, ainsi que l'honorable M. Sabatier vous l'a rappelé hier, dans une précédente occasion, un amendement a été annoncé, tendant à allouer au département des travaux publies un crédit de 10,000 francs destinés à payer les frais d'étude des travaux d'amélioration au canal de Charleroi.

A cette époque je déclarai que si on voulait faire décréter l'exécution de ces travaux d'amélioration en principe, c'était prématuré ; que si l'on se proposait de mettre seulement le département des travaux publics à même d'étudier cette question, c'était inutile ; que j'avais dans mon budget des fonds suffisants ; que je disposais également d'agents assez nombreux pour faire procéder immédiatement à ces études.

Eh bien, messieurs, j'ai fait procéder activement à ces études des travaux d'amélioration du canal de Charleroi. Depuis plusieurs mois, un ingénieur, avec l'aide de deux ou trois conducteurs, s'en occupe sans relâche, et l'examen auquel on se livre se fait dans les diverses hypothèses qu'on peut imaginer, pour arriver d'une manière plus ou moins complète à l'amélioration du canal de Charleroi.

Messieurs, voici d'une manière exacte le degré d'avancement des études dont il s'agit. Les biefs 9 à 11 sont complètement étudiés ; il en est de même des biefs 28 à 40, et des biefs 46 à 55 à Bruxelles.

Pour les biefs 12 à 27, 41 à 45, les études sur le terrain sont achevées ; il ne reste plus que les calculs et le travail de cabinet à faire.

Les études sont faites dans trois hypothèses.

Avant peu de mois, nous aurons pour le canal de Charleroi, dans toutes les hypothèses, un travail complet et d'une grande exactitude.

Ce n'est qu'alors que le gouvernement et la Chambre pourront apprécier en connaissance de cause la nature des travaux à entreprendre et l'élévation de la dépense à faire. Aujourd'hui nous ne pourrions encore marcher qu'à tâtons, et je répondrai à l'honorable M. Sabatier qui nous disait hier que la réponse du gouvernement en 1862 est calquée sur celle de 1861, qu'il peut constater maintenant que cette réponse est essentiellement différente.

A cette époque je me référais aux résultats d'un travail fait il y a plusieurs années, et auquel je n'osais plus me fier.

Aujourd'hui je viens annoncer l'achèvement de études nouvelles dans un avenir très prochain. C'est une différence notable et nous nous trouvons en ce moment, vis-à-vis du canal de Charleroi, dans la position oh nous nous trouvions l'année dernière vis-à-vis du chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain, et la Chambre reconnaîtra aujourd'hui que je faisais alors, en ce qui concerne le chemin de fer direct, une promesse des plus loyales, que je ne cherchais pas un échappatoire en invoquant la nécessité d'un ajournement qui probablement ne serait point long.

M. Sabatier. - Nous ne sommes pas d'accord, M. le ministre. Je dis qu'après 15 mois les études ne sont pas aussi avancées qu'elles auraient dû l'être si on avait eu l'intention de faire quelque chose.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - J'affirme que depuis plusieurs mois des agents de l'administration sont spécialement affectés à ce travail. Je vous en indique le degré d'avancement et je vous annonce que dans un avenir prochain il sera achevé. Cela manque-t-il de précision ?

Ai-je besoin d'ajouter que lorsqu'on plaide la cause de l'amélioration du canal de Charleroi, je n'ai pas à contredire aux considérations qu'on fait valoir en faveur de cette entreprise. Il y a longtemps que nous avons plaidé cette cause nous-mêmes, mon honorable collègue des finances et moi.

L'honorable orateur sait que nous sommes très sympathiques à ce travail et je déclare aujourd'hui de nouveau, que, dans ma pensée, il serait éminemment désirable que le canal de Charleroi eût une section conforme au système général de nos voies navigables.

Que pouvons-nous déclarer de plus ? Quand exécutera-t-on le travail ? C'est une question subordonnée à la situation financière, mais vous ne pouvez nier que le gouvernement n'ait à cœur de profiter le plus tôt possible des ressources financières dont il disposerait pour cette utile entreprise.

J'espère que, moyennant cette explication, les honorables députés de Charleroi n'hésiteront pas à s'en référer à la loyauté du gouvernement et à la bonté de leur cause.

Messieurs, l'honorable comte de Mérode et l'honorable M. Notelteirs se sont occupés des travaux à exécuter aux Nèthes.

L'honorable comte de Mérode s'est en particulier occupé des travaux de Ia Grande-Nèthe. Il m'a demandé où nous en étions pour les travaux et ce que nous ferions encore dans l'avenir.

J'ai déjà exposé la situation à cet égard. Elle est très simple. Un ensemble de travaux a été prévu qui doit coûter, chiffres ronds, 900,000 fr.

La province d'Anvers, les communes intéressées et les particuliers ont promis leur concours. Ce concours a été accepté dans des proportions déterminées. Une convention a été faite avec la province.

La province et les communes s'exécutent régulièrement quant au payement de leur quote-part. Il est évident que le gouvernement doit payer la sienne.

Sur les 900,000 fr. votés par la législature, y compris le concours des autres parties intéressées, 300,000 fr. sont dépensés aujourd'hui. Par conséquent il reste à dépenser 600,000 fr.

A quoi les affectera-t-on ? Aux travaux prévus et qui ont fait l'objet de la convention rappelée.

Dans la note que j'ai fournie à la section centrale en réponse à la question posée par elle à ce sujet, j'ai de plus prouvé que les fonds disponibles pouvaient être regardés comme suffisants pour l'exécution intégrale des travaux projetés. Il sera procédé au parachèvement le plus promptement possible. Il n'y a pas d'obstacle quant à la nature des travaux, ni quant aux crédits.

En ce qui concerne la Petite-Nèthe, l'honorable M. Notelteirs a indiqué une cause qui, d'après lui, provoquerait les inondations dont il s'est (page 1926) plaint. Elles proviendraient d'un volume d'eau assez considérable qui serait déversé du canal de la Campine dans la Petite-Nèthe.

C'est un point qui est contesté. L'honorable M, Notelteirs n'a pas été lui-même très affirmatif. Quoi qu'il en soit, une instruction se fait à cet égard, et s'il était vrai que la cause des inondations constatées et qui sont réellement très fâcheuses, soit le déversement des eaux du canal de la Campine dans la Petite-Nèthe, il est évident qu'en équité et même en droit, le gouvernement devrait y obvier. Je pense, du reste, que ce serait une dépense assez minime.

Je crois pouvoir borner là mes explications pour le moment, et j'attendrai la suite de la discussion.

M. Coomans. - Messieurs, j'ai quelques observations à présenter sur le discours que vient de faire l'honorable ministre des travaux publics.

La finale est satisfaisante en apparence pour les représentants de l'arrondissement de Turnhout, mais je doute fort qu'elle puisse être considérée comme bien sérieuse au fond.

De quoi nous plaignons-nous, depuis bien des années ? Des inondations régulières des deux Nèthes.

Que nous répond le gouvernement, chaque année ? « Nous avons de l'argent pour exécuter les travaux projetés. »

Mais, messieurs, ceci n'excuse pas le gouvernement ; ceci l'accuse.

Si le gouvernement a les fonds nécessaires, que ne les emploie-t-il ? S'il ne les a pas, que ne les demande-t-il ?

J'ai eu l'occasion de le dire et de le prouver mainte fois. Nous sommes inondés chaque année et les dommages occasionnés chaque année par les inondations des deux Nèthes équivalent à plus de la cinquième partie des capitaux qu'il faudrait consacrer à l'amélioration de ces rivières.

Il est impossible qu'un gouvernement intelligent, je ne dis pas seulement juste, mais intelligent, permette la continuation d'un pareil état de choses.

Dans notre conviction, les fonds dont le gouvernement dispose ne suffisent pas pour obvier au mal. C'est donc le devoir du gouvernement, c'est aussi celui de la Chambre de décréter la dépense nécessaire.

Cette année encore, les dommages ont été énormes et ils sont d'autant plus sensibles à la Campine qu'ils portent sur la denrée la plus indispensable à l'agriculture campinoise, le foin. Comment voulez-vous donc qu'il y ait progrès agricole dans des bruyères lorsque la matière première du bétail manque ? Eh bien, chaque année l'inondation vient nous enlever notre produit le plus précieux, le foin.

Le gouvernement, je l'en loue, a fait depuis une douzaine d'années, des sacrifices non pas considérables, mais assez importants pour favoriser la production des prés. Il a organisé des travaux d'irrigation qui n'ont pas répondu à l'attente générale, mais enfin qui ont au moins démontré sa bonne volonté.

Mais, comme le rappelait hier encore l'honorable comte de Mérode, chaque année les inondations irrégulières des deux Nèthes nous enlèvent beaucoup plus de foin que toutes les irrigations ensemble n'en produisent.

C'est là un état de choses intolérable, et je prie instamment le gouvernement de nous dire avec netteté quels sont les moyens qu'il compte mettre en œuvre pour nous délivrer enfin du fléau séculaire que nous subissons. Il ne suffit pas de nous dire qu'il y a des fonds et qu'on les emploiera. Il serait préférable de nous prouver aussi qu'on les emploiera bientôt et puis que cet emploi sera utile, efficace.

Nous nous proposions, dans la conviction où nous étions que le gouvernement ne dispose pas des fonds nécessaires, de présenter un amendement pour lui en allouer ; mais ici je lutte encore une fois contre la terrible objection de l'autre jour : Le gouvernement n'admet pas des amendements ! Messieurs, je ne répéterai pas ce que j'ai déjà dit pour démontrer l'irrégularité de semblables prétentions. J'affirme seulement qu'à mes yeux les véritables représentants des intérêts locaux c'est nous, et non pas le gouvernement ni ses ingénieurs. Je n'admets pas que le gouvernement puisse élever raisonnablement la prétention de connaître mieux que nous les besoins des arrondissements que nous représentons ; c'est précisément parce que les vœux de ces arrondissements doivent se traduire en faits légaux que nous siégeons ici, sous forme d’assemblée nationale.

Je suis conséquent avec mes principes économiques. Je reconnais que presque tous les amendements annoncés dans cette enceinte sont fondés, et quant à moi, je suis prêt à les voter à peu près tous. Je ne sais pas ce que penseront les honorables députés de Mons et de Charleroi des réponses qu'on vient de leur faire. Quant à moi, elles ne me satisfont guère. J'ai été très touché des arguments invoqués hier par les honorables représentants de Mons et de Charleroi ; et cette première impression ne s'est nullement modifiée : je trouve qu'il est utile, indispensable même que le canal de Charleroi puisse répondre à sa destination, destination la plus importante de celle de tous les canaux de notre pays.

Il est bon également que le couchant de Mons puisse satisfaire aussi à toutes les nécessités de sa situation et que le pays puisse profiter le plus économiquement possible des admirables ressources que cette contrée lui offre.

Vous sentez, messieurs, que, me plaçant à ce point de vue, je ne puis pas considérer comme un argument sérieux cette réponse toujours stéréotypée : Les intérêts du trésor ne nous permettent pas d'accueillir vos amendements. D'abord, les intérêts du trésor permettent une foule de choses : ils permettent les gaspillages, ils doivent bien permettre un emploi utile des fonds nationaux.

Or, il n'y a pas d'emploi plus utile de ces fonds que les constructions de chemins de fer et de canaux.

Quoique nous ayons réalisé en Belgique certains progrès sous ce rapport, nous serions bien peu modestes et bien dans l'erreur si nous pensions nous trouver à la tête de la civilisation. En fait de canaux, nous sommes à la queue de la civilisation ; nous sommes bien en arrière des Chinois ! (Interruption.) Oui, messieurs, les Chinois ont des canaux admirables, et si la Belgique avait été gouvernée par des mandarins de troisième ordre, depuis 25 ans, nous aurions eu un canal de Charleroi à Bruxelles large de 50 mètres. (Nouvelle interruption.)

Voilà ma conviction ; quelle que soit la forme dans laquelle je l'exprime, je la tiens pour vraie, bonne.

En vain, le gouvernement nous annonce-t-il qu'il fait étudier la question : cette annonce m'effraye plus qu'elle ne me calme. Je sais ce que c'est que des études, surtout des études gouvernementales : c'est le prétexte le plus honnête pour ajourner et enterrer toute espèce de question qui gêne.

Ce qui vient bien à l'appui du doute que j'exprime, c'est une parole sortie de la bouche de M. le ministre des travaux publics et que j'ai recueillie avec soin : « Il en coûtera bien plus, a-t-il dit, pour élargir le canal de Charleroi que pour en construire un nouveau. » Cela me paraît grave. M. le ministre en sait donc assez déjà pour repousser presque à priori l'élargissement du canal de Charleroi ?

Du reste, peu importe la question de savoir si le canal de Charleroi sera élargi ou si l'on en construira un autre, la vérité est qu'il faut entre Charleroi et Bruxelles de meilleures voies de communication, des voies faciles et à bon marché, n'importe lesquelles.

Voulez-vous, c'est une idée que je caresse depuis longtemps, voulez-vous ne plus construire de canaux ni de chaussées, voulez-vous supprimer tous les canaux de la Belgique et les remplacer par des chemins de fer ? J'y consens, je crois, et à cet égard j'ai pour moi les témoignages d'ingénieurs dont les noms vous paraîtraient sans doute bien respectables, je crois que le beau temps des canaux est passé et je doute qu'il soit prudent d'engager des capitaux trop considérables dans les canaux.

Les canaux étaient une admirable invention non seulement en Chine où ils fleurissent depuis plusieurs milliers d'années, mais même en Belgique, comparativement aux autres voies de communication. Mais depuis l'invention du chemin de fer, l'équilibre est un peu dérangé et j'ai lu avec beaucoup d'intérêt que plusieurs canaux des Etats-Unis ont été transformés en chemin de fer.

M. de Haerne. - On en fait encore d'autres.

M. Coomans. - Oui, mais on en défait également. L'opération, d'ailleurs, est assez simple, on n'a qu'à vider les canaux et à mettre des rails au fond. On a ainsi des chemins de fer à peu de frais qui n'exigent ni passages à niveau, ni travaux d'art.

M. Hymans. - Avec des écluses !

M. Coomans. - Non, il ne faut guère de travaux d'art, on vide les canaux ; on en aplanit le fond et on y pose les rails. (Interruption.)

Ne vous êtes-vous jamais demandé ce que deviendront les canaux et jusqu'où le revenu en baissera le jour où la locomotion sur rails sera perfectionnée, où l'invention d'une force motrice nouvelle diminuera sensiblement les frais de remorquage, où nos longs convois à 100 et à 200 roues seront remplacés par d'immenses voitures contenant peut-être leur remorqueur comme les bateaux à vapeur ?

Dès aujourd'hui, si le taux des péages pour marchandises par chemins de fer était diminué de moitié (et il devrait l'être) que deviendraient les canaux parallèles ?

Regardez le canal de Gand à Bruges, qui ne sert plus qu'aux poissons et même le canal de Bruxelles à Willebroeck, si déchu de son ancienne splendeur !

Je me borne à poser ces questions d'avenir ; je reconnais qu'en ce (page 1027) moment il y a encore des canaux utiles, surtout pour le transport des charbons et des minerais. (Interruption.)

Messieurs, quelle que soit la valeur de cette opinion sur l'avenir des canaux, opinion sur laquelle ou peut varier beaucoup, qui a peut-être le tort d'être exprimée vingt ans trop tôt, quelle que soit cette valeur, il est un point certain, c'est que nous sommes bien loin d'être arrivés en Belgique à un certain degré de perfection en fait de voies de transport, pas même à un degré satisfaisant ; je dis qu'il est déplorable que dans un pays comme la Belgique où la population est si dense, si industrieuse, où le commerce est si important, il est déplorable de voir que dans un pareil pays nos voies de transport restent dans un état voisin de l'enfance.

Nous faisons les canaux pour nous, au lieu de les faire pour nos enfants. Si vous faites des canaux, faites-les bien ; quand vous les trouvez insuffisants, agrandissez-les. Un filet de canal entre Bruxelles et Charleroi, c'est déplorable, c'est fâcheux, c'est ruineux.

Que vient-on nous dire ? Que l'argent manque ! Pour de pareils travaux l'argent ne devrait manquer jamais. Nous votons des sommes énormes pour des dépenses beaucoup plus contestées que celle-là.

Un mot sur le couchant de Mons. M. le ministre pense qu'il pourra s'exécuter sans charge, sans sacrifice pour le trésor, qu'on lui a proposé l'exécution de ce travail d'utilité publique, qu'on lui a même offert un cautionnement.

Je demande pourquoi ce cautionnement n'a pas été enregistré, n'a pas été reçu.

Si M. le ministre pouvait opposer au couchant de Mons cet argument-ci : « Vous aurez votre canal, vous l'aurez à moindre prix ; voici mes preuves ; » j'avoue que l'argument serait concluant ; mais aussi longtemps que vous ne pouvez pas donner cette satisfaction réelle aux représentants de Mons, vous avez tort d'ajourner l'exécution de ce travail d'utilité générale.

Encore une fois je ne comprends pas la vive opposition du gouvernement à admettre n'importe quel amendement même le plus raisonnable. L'autre jour dans la discussion des projets de chemin de fer, il a dit qu'il ne voulait pas recevoir l'autorisation de la Chambre d'accorder la concession du chemin de fer d'Anvers à Gladbach. Aujourd'hui j'apprends avec la plus vive satisfaction que deux ou trois concessionnaires se présentent sur la déclaration du gouvernement que désormais il ne s'opposerait plus à l'exécution de cette voie.

Mes prévisions étaient donc fondées et mes conseils aussi. Après ce que je viens dire de très bon cœur, en faveur des divers travaux d'utilité publique, la Chambre comprendra que je n'ai pas mauvaise grâce à insister sur la satisfaction à donner à l'arrondissement que je représente. Les canaux sont certainement respectables ; je le prouve bien aujourd'hui, puisque je suis prêt à en voter de nouveaux, quoi que leur avenir ne me semble guère assuré ; mais le travail le plus urgent est celui relatif aux rivières ; il y aura toujours des rivières, elles seront toujours à la même place qu'elles occupent aujourd'hui ; il n'y a donc pas de risques financiers à améliorer la navigation et l'écoulement des eaux.

Je le répète en finissant, l'état des deux Nèthes est scandaleux, d'autant plus que la Nèthe et l'Yser sont les seules rivières en Belgique pour l'amélioration et l'entretien desquelles on ait forcé les provinces et les communes à intervenir. C'est la seule application de la loi de 1807, loi raisonnable et juste si on l'applique à tous, mais absurde et injuste dès qu'on ne l’applique qu'à certaines localités. Si les honorables collègues qui ont signé avec moi l'amendement relatif aux Nèthes persistent à le déposer, à quoi je les convie, j'espère que la Chambre l'accueillera avec bienveillance.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je dois dire un mot de la théorie que vient d'émettre l'honorable préopinant, relativement aux amendements, ou plutôt aux reproches, aux accusations qu'il adresse au gouvernement quand il ne se rallie pas aux amendements proposés par les membres de la Chambre. Je m'imaginais à tort, paraît-il, que le gouvernement était parfaitement dans son droit, quand il s'opposait aux amendements. Vous proposez des amendements, c'est votre droit constitutionnel. Le gouvernement ne s'y rallie pas, il me semble que c'est son droit aussi ; il donne ses motifs, la Chambre juge ; les amendements sont bons ou mauvais.

M. Coomans. - Ce n'est pas seulement la Constitution, mais le bon sens qu'il faut consulter.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Le bon sens dit ceci : vous avez le droit de présenter des amendements, le gouvernement dit pourquoi il ne s'y rallie pas, la Chambre juge. A la Chambre de juger du bon sens qui a dicté la proposition, elle est maîtresse souveraine d'accepter ou de refuser.

Si le gouvernement décidait, je comprendrais que vous pussiez l'accuser de trop de rigueur quand il ne se rallie pas à un amendement.

Mais le gouvernement n'a pas plus droit que le premier venu ; c'est la Chambre qui décide en dernier ressort. Faites usage de votre droit, mais permettez au gouvernement d'user du sien en disant les motifs pour lesquels il ne se rallie pas. Vous n'avez à craindre qu'une chose, c'est dans le cas où les amendements sont mauvais ou inopportuns, la condamnation de la Chambre.

Prenez-vous-en à la Chambre et non au gouvernement quand vos amendements ne sont pas admis.

Maintenant, le gouvernement a-t-il tort, a-t-il raison de repousser les amendements qui ont été présentés jusqu'ici et dont la plupart ont été retirés ? Ces amendements sont de deux natures ; ou l'amendement se rapportait à une concession de chemin de fer pour laquelle on ne présentait pas de demandeur ou que personne n'avait étudiée sauf peut-être les députés qui faisaient la proposition ; la Chambre n'avait pas pu en apprécier la portée, ou les amendements se rapportaient à des projets qui entraînaient l'augmentation des allocations portées au projet, et nous entrions en plein dans l'examen de la situation financière ; donc une extrême circonspection nous était commandée.

Et ici je vous le demande, pouvez-vous reprocher au gouvernement de ne pas faire largement les choses en matière de travaux publics. Je ne parle pas seulement de concessions, mais de travaux d'utilité publique exécutés à la charge du trésor. N'est-il pas vrai que mon département a pétitionné depuis trois ans 50 millions de francs, pour les derniers travaux. A quelle époque a-t-on demandé, je ne dis pas plus, mais autant ?

M. Sabatier. - Il reste beaucoup à faire.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Si aujourd'hui nous faisions le canal de Charleroi et celui du Couchant, la situation demeurerait la même, il resterait encore beaucoup à faire.

M. Sabatier. - Il resterait moins.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - S'il ne restait plus que ces canaux à faire, le gouvernement y pourvoirait par des voies extraordinaires pour liquider la situation. Mais lorsque ces questions seront résolues, d'autres surgiront. D'autres, qui sont aujourd'hui au second plan, arriveront au premier. Vous demandez l'élargissement du canal de Charleroi, le canal de la Dendre au bassin de Mons. Mais pourquoi les honorables députés du Hainaut ne demanderaient-il pas la canalisation de la Meuse supérieure ?

M. Wasseigeµ. - Si ces messieurs demandent leurs canaux, nous demanderons à plus forte raison les nôtres.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Vous auriez tort de ne pas le faire.

Je ne vois pas pourquoi Bruxelles ne demanderait pas le raccordement immédiat des stations du Nord et du Midi.

M. Coomans. - C'est indispensable.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - C'est indispensable c'est clair, mais voyez à quelle dépense vous arrivez ! Je ne veux pas pousser plus loin cette énumération. En voilà pour une quarantaine de millions. Mais si vous le voulez, je vous en citerai immédiatement pour cent millions.

M. Coomans. - Soit.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Pouvez-vous vous engager à faire immédiatement pour 100 millions de travaux ?

M. Coomans. - Empruntez-les.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je l'ai déjà dit dans une autre occasion, et permettez-moi de le répéter, parce que c'est un sentiment dont je suis imbu : si vous trouvez une grande satisfaction à voter des travaux, soyez bien certains que j'en éprouve une plus grande encore à les proposer, et que si je pouvais assurer immédiatement et l'amélioration du canal de Charleroi et la construction du canal de la Dendre au couchant de Mons, je n'y manquerais pas. Mais si je ne le fais pas, c'est parce que je prévois que, dans l'exécution, nous dépasserions ce qui serait raisonnable, ce qui serait possible et pratique.

L'honorable M. Coomans a dit un mot que je dois relever, il a dit : Le ministre, en parlant du canal de Charleroi, a montré qu'il en savait assez pour repousser ce travail.

C'est là le contre-pied de la vérité, le contre-pied de ce que j'ai dit, le contre-pied de ce que je pense. J'en sais assez, non seulement pour ne pas rejeter ce travail, mais pour l'admettre en principe. Voici ce que j'ai dit et ce que je répète.

M. Coomans. - Vous avez dit que l'élargissement coûterait plus cher qu'un nouveau canal.

(page 1928) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Qu'est-ce que cela fait ?

M. Coomans. - Cela prouve que son opinion est faite.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - L'honorable M. Coomans paraît savoir mieux que moi ce que je pense. C'est une prétention contre laquelle je dois protester.

M. Coomans. - Je ne juge que ce que vous dites.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Si je me suis mal exprimé, je vais m'énoncer avec plus de clarté. Je dirai pour la seconde fois que j'adhère en principe, sans réserve, à l'amélioration du canal de Charleroi et que le gouvernement fera ce travail le plus tôt possible, c'est-à-dire quand ses ressources lui permettront de le faire sans compromettre la situation financière.

J'en reviens aux travaux des Nèthes.

Il faut bien s'entendre, et il faut que la situation soit claire entre les honorables membres qui représentent cet intérêt et le gouvernement.

Il y a encore 600,000 fr. de disponibles pour les travaux à exécuter à la Grande Nèthe. L'honorable préopinant dit : Dépensez-les. Je suis d'accord avec lui ; mais jusqu'à l'année dernière, on a travaillé.

M. Coomans. - Très peu.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Dans la mesure de ce qui était parfaitement étudié. Je ferai observer à cet égard à l'honorable membre que rien n'est délicat et souvent difficile comme les travaux hydrauliques.

M. de Naeyer. - C'est vrai.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Certainement, c'est vrai.

Sous prétexte d'améliorer une voie navigable, vous pouvez facilement provoquer des désastres. On ne peut y regarder d'assez près.

Si donc les travaux de la Grande-Nèthe ont souffert quelques retards, que l'honorable membre veuille bien l'attribuer à cette cause.

En ce qui concerne la Petite-Nèthe, il n'y a pas de fonds alloués à mon département.

La Petite-Nèthe a été reprise en partie par l'Etat et canalisée sur cette partie. Ce travail est achevé depuis longtemps.

On se plaint des inondations, et l'on attribue la cause de ces inondations au déversement d'une certaine quantité d'eau du canal de la Campine.

Eh bien, je viens d'avoir l'honneur de dire que si telle était, en effet, la cause de ces inondations, le gouvernement était tenu d'y obvier.

M. Coomans. - Je n'ai pas dit que c'était là la cause.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Mais d'autres l'ont dit. L'honorable M. Notelteirs l'a dit.

M. Notelteirs. - J'ai dit que c'était une des causes.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - On recherche les causes. Si telle est la cause, le gouvernement y obviera aux frais du trésor.

M. Coomans. - Il y a d'autres causes.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Mais précisément quelles sont ces autres causes ? De quelles inondations s'agit-il ? Car, veuillez le remarquer, c'est qu'il est possible qu'en raison de la situation ou de la nature de ces inondations, il s'agisse de travaux à faire, soit par la province, soit par les communes, soit même par les particuliers.

On s'adresse toujours au gouvernement. Eh bien, je voudrais savoir, dans le cas spécial dont il s'agit, par exemple, si ces inondations ne pourraient pas être parfaitement prévenues au moyen de quelques travaux à faire par les particuliers, au moyen de l'institution de wateringues.

De quoi vous plaignez-vous ? De quoi s'agit-il ? Spécifiez, je vous répondrai.

M. Coomans. - Il s'agit d'inondations à Gheel, à Moll, et en amont.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Est-ce que vous prétendez que le gouvernement doit tout faire, et que lorsque l'institution d'une wateringue vous mettrait à l'abri des inondations, le gouvernement doit encore exécuter les travaux à ses frais ? Quant à moi, je ne l'admets pas. Je ferai examiner ce qu'il y a à faire, et le gouvernement se charge de l'exécution des travaux, mais seulement de ceux qui lui incombent.

M. Ch. Lebeau. - Les premières paroles que l'honorable ministre avait prononcées concernant le canal de Charleroi, n'étaient pas aussi précises ni aussi catégoriques que celles qu'il vient de faire entendre en réponse à l'honorable M. Coomans. J'ai l'espoir qu'une troisième explication amènera l'honorable ministre des travaux publics à nous donner complète satisfaction.

C'est dans ce but que je vais prendre la parole, pour chercher à le convaincre que nous ne voulons qu'une chose ; faire reconnaître par le gouvernement, d’accord en cela, je crois, avec la Chambre, qu'il y a nécessité et urgence d'exécuter les travaux nécessaires au canal de Charleroi pour le mettre à grande section.

L'année dernière nous avions présenté un amendement, comme vous l'a expliqué l'honorable ministre des travaux publics. Nous n'avions qu'un but : c'était de faire consacrer le principe de l'exécution du travail. L'honorable ministre a combattu cet amendement, parce qu'il avait les fonds nécessaires pour les études, parce qu'il s'engageait à les continuer jusqu'à ce qu'il connût le chiffre de la dépense, ses sympathies, nous disait-il, comme il vient de le déclarer encore, étant acquises à ce travail.

Dans l'esprit de la Chambre et des honorables membres qui ont assisté l'année dernière à la discussion de la loi du 8 juin, il ne restait je crois, aucun doute que le travail devait être exécuté promptement. C'est à ce point que l'honorable M. Joseph Lebeau avait dit qu'il comprenait les paroles que venait de proposer l'honorable ministre, comme étant un engagement formel de présenter un projet de loi à la session prochaine ; et cela avait été dit sans protestation de l'honorable ministre des travaux publics.

Nous avons donc, messieurs, été surpris, je dois le dire, que les études n'eussent pas été plus promptement terminées et que dans le projet de loi aujourd'hui en discussion, il ne fût pas question de l'élargissement du canal de Charleroi.

Je crois que la Chambre a partagé notre surprise et nos regrets. Car sur six sections, quatre, comprenant 45 membres ont émis le vœu de voir exécuter de suite ce travail indispensable, nécessaire pour établir une communication complète entre deux grands bassins producteurs et les centres de consommation du pays.

La section centrale, messieurs, a examiné cette question à son tour et, à l'unanimité, elle a émis le vœu de voir le canal de Charleroi élargi sur tout son parcours.

Le gouvernement, du reste, messieurs, ne méconnaît pas que ce travail ne soit utile ; il reconnaît même qu'il est nécessaire ; il a fait procéder aux études définitives. Mais il nous dit qu'elles ne sont pas encore terminées ; et que ce n'est que quand elles seront complètes qu'il examinera le point de savoir où il trouvera les ressources nécessaires pour faire face à la dépense,

Quant à moi, messieurs, j'estime que les études sont assez avancées pour que le gouvernement puisse décider la question de principe.

D'un autre côté, le gouvernement peut, avec les études telles qu'elles existent, examiner dès aujourd'hui la question de savoir comment on fera face à la dépense qui est connue déjà très approximativement. Je crois donc que le gouvernement pourrait, sans inconvénient, se prononcer d'une manière beaucoup plus catégorique.

l'honorable ministre vous a dit tout à l'heure qu'il admettait le principe du travail, qu'il admettait que ce travail devait se faire ; mais que la question était de savoir quand on pourrait l'exécuter, comment on se procurerait les ressources nécessaires pour y faire face ; eh bien, c'est un point que le gouvernement est à même de résoudre dans le plus bref délai ; en attendant il pourrait se prononcer sur la question de principe.

Messieurs, quand un travail si nécessaire et qui doit compléter le réseau de nos voies navigables est à l'étude, mais dont la nécessité est reconnue par le gouvernement, il ne faut pas craindre d'en adopter le principe et de donner ainsi satisfaction à nos grandes industries.

On nous a parlé hier de la détresse dans laquelle se trouve l'industrie charbonnière du bassin de Mons.

Cela est vrai, mais cela n'est pas seulement vrai pour le bassin de Mons, cela est également vrai pour tous les autres bassins houillers ; toutes les industries sont d'ailleurs dans un état de souffrance, et si le gouvernement voulait mettre la main à l'œuvre pour l'exécution du travail que nous réclamons, il ne pourrait le faire dans un moment plus opportun et il aurait la main-d'œuvre dans de bonnes conditions, il donnerait du travail aux ouvriers et je crois que l'exécution coûterait infiniment moins que dans les temps ordinaires.

D'un autre côté, messieurs, il y a urgence à exécuter ce travail dans un bref délai. Il se fait en ce moment une transformation au point de vue économique ; partout le régime protecteur est remplacé par le régime de la liberté de commerce ; de sorte que, dans quelque temps, la lutte industrielle s'établira principalement au point de vue des transports.

En effet, les capitaux sont à peu près au même taux dans tous les pays, la main-d'œuvre ne varie pas beaucoup ; on devra donc, je le répète, lutter quant aux prix des transports ; il y aura guerre de péages, ce sera celui qui transportera les marchandises au plus bas prix, qui obtiendra la préférence sur les marchés étrangers comme sur le marché intérieur.

(page 1929) Messieurs, c'est le gouvernement français qui a pris l'initiative des traités de commerce basés sur la liberté ; mais le gouvernement français a eu soin, tout en faisant un traité avec l'Angleterre d'abord et ensuite avec la Belgique, de racheter les canaux et d'abaisser d'une manière très considérable les péages sur ces canaux ; et veuillez remarquer, messieurs qu'en France il n'y a pas de droits de barrière, de sorte que le transport, par terre comme par eau, des matières pondéreuses se fait dans de meilleures conditions qu'en Belgique.

D'un autre côté, les tarifs des chemins de fer en France sont également inférieurs aux tarifs des chemins de fer belges, de manière que sous tous les rapports les transports en France sont moins coûteux qu'en Belgique.

Vous comprenez, messieurs, que le gouvernement belge, qui vient de conclure un traité de commerce avec l'Angleterre ,doit évidemment nous fournir les transports au meilleur marché possible comme cela se fait en France et comme on le fera nécessairement partout.

C'est là le corollaire indispensable des traités de commerce qui sont basés sur la liberté.

Il existe, messieurs, quant aux transports par nos canaux, une singulière anomalie : c'est que les canaux qui servent à transporter les produits étrangers dans l'intérieur de la Belgique, sont plus favorisés que ceux qui servent à transporter les produits de nos bassins dans les centres de consommation.

C'est ainsi que les canaux qui viennent du littoral de la mer sont beaucoup plus faciles et supportent beaucoup moins de droits que le canal de Charleroi, qui relie deux grands bassins au centre, de la consommation intérieure.

Au surplus, la question de l'élargissement de ce canal a été résolue déjà en principe par le gouvernement et la législature.

Lorsqu'on a décrété d’élargir les neuf premières écluses, c'est-à-dire la section du canal qui met une partie du bassin de Charleroi en communication avec la Sambre, de cette manière on a facilité le transport des produits de cette partie du bassin de Charleroi vers la France, transport qui se fait dans de meilleures conditions que celui qui a lieu vers l'intérieur du pays.

Ainsi, l'on peut transporter par bateaux de 230 tonneaux les produits du bassin de Charleroi vers la France, tandis que pour transporter 250 tonneaux de ces produits vers l'intérieur, il faut quatre bateaux ; il en résulte qu'il est plus difficile et plus coûteux pour transporter nos produits vers l'intérieur du pays que vers la France.

Or, je le demande, n'est-ce pas là quelque chose d'injuste et qu il faut faire cesser de suite ?

Sinon, comment veut-on que nos industriels, nos manufacturiers, nos fabricants puissent lutter avec leurs concurrents étrangers ?

Je n'en dirai pas davantage, pour le moment, sur ce point.

Je crois que le gouvernement doit nécessairement se prononcer d'une manière plus catégorique sur la nécessité qu'il y a d'élargir le canal de Charleroi et qu'il doit nous donner sous ce rapport une satisfaction plus complète.

Nous attendrons de nouvelles explications pour savoir si nous devons présenter un amendement.

M. J. Lebeau. - Messieurs, on avait déjà fait allusion à la part que j'ai prise dans le débat qui a terminé, pour ainsi dire, la dernière session.

Ce débat n'avait d'autre importance que d'enager un peu légèrement, selon moi, une question de prérogative. J'y suis donc intervenu dans le dessein, non de m'occuper du fond, mais uniquement de la forme et pour défendre M. le ministre des travaux publies contre la menace de ce que je croyais être un excès de pouvoir de la part de la Chambre, une méconnaissance des droits du pouvoir exécutif.

J'intervins donc au débat sans aucune espèce de prévention, surtout sans aucune espèce d'intérêt personnel. Comme l'incident actuel m'a paru assez important, j'ai mis sur le papier ce que j'avais à dire.

Dans la séance du 13 mai 1861, plusieurs députés du Brabant et du Hainaut présentèrent, comme amendement, l'allocation d'une somme de 10,000 francs pour les études à faire sur l'élargissement du canal de Charleroi.

Le ministre repoussa la proposition par une fin de non-recevoir, prétendant que ce n'était pas là un amendement à une des dispositions de la loi qui était en discussion, mais une proposition nouvelle, soumise aux formalités et aux délais du règlement de la Chambre.

Le ministre ajouta que l'amendement était inutile, attendu qu'il avait les fonds nécessaires pour ce travail préliminaire ; que son intention était d'en faire promptement usage ; il demandait, en conséquence, la question préalable sur l'amendement.

Je partageai cette opinion et je la défendis avec lui.

Voici comme je m'en exprimai, d'après les Annales parlementaires :

« M. J. Lebeau. - Il s'agit ici, messieurs, d'une question de prérogative parlementaire.

« Or, un tel débat se présentant d'une manière incidentelle et alors que d'autres préoccupations dominent cette assemblée, il serait imprudent, je pense, de trancher une pareille question, ce serait peut-être l'abus de la force.

« Nous sommes les plus forts, c'est pour cela que nous devons être les plus modérés, les plus prudents.

« Je ferai remarquer, au surplus, que le vote qu'on réclame est tout à fait superflu. Si le gouvernement et les Chambres sont de bonne foi (et il n'est pas permis d'en douter), la cause que l'on défend est complètement gagnée.

« Permettez-moi, messieurs, de vous rappeler ce qu'a dit M. le ministre des travaux publics au sujet de la proposition que nous discutons. Les paroles d'un ministre sont en général plus pesées que les nôtres. Eh bien, permettez-moi de vous rappeler le langage de M. le ministre des travaux publics sur cette proposition.

« Cherche-t-on autre chose, dit-il ? Ne pense-t-on pas au crédit qu'il faudrait solliciter à l'avenir, mais veut-on une simple déclaration de sympathie ! Encore alors l'amendement est inutile, attendu que cette sympathie est acquise !

« Je m'en surs déjà expliqué. Non seulement je n'ai pas contesté l'utilité de ce travail, mais j'ai prouvé même que j'avais de mon propre mouvement mis l'affaire à l'étude.

« Ainsi, de la part du gouvernement, on ne peut rien désirer de plus que ce qu'il a fait.

« De la part de la Chambre, dès l'instant que ce travail se présente comme équitable, dès l'instant qu'il n'y a aucune espèce de protestation contre son exécution dans l'avenir, ce silence équivaut à une pleine adhésion. Il est donc constant que les sympathies de la Chambre et du gouvernement lui sont assurées. »

« Eh bien, dis-je, à mon tour : en bon français, cela veut dire qu'au commencement de la session prochaine, le projet de loi vous sera certainement soumis. (Interruption.) S'il ne l'est pas, vous pourrez user de votre droit d'initiative, et en présence d'un pareil langage, je serai très heureux de mettre ma signature à côté de la vôtre. »

Les auteurs de l'amendement persistant à vouloir un vote, je crus qu'il y avait là peut-être une question de prérogative, toujours dangereuse à résoudre, surtout à l'improviste et à la fin d'une longue et fatigante séance.

J'ajoutai que, d'ailleurs, la proposition était offensante pour M. le ministre, puisqu'il déclarait vouloir faire faire ces études et avoir les fonds nécessaires pour cela.

Je persistai à défendre la thèse du ministre, en soutenant qu'il y avait au moins des doutes sur la régularité constitutionnelle de la motion ; que sa réponse constituait un engagement formel. « Il y a, disais-je, engagement moral, selon moi, de la part du gouvernement ; et s'il ne prenait pas l'initiative, moi qui défends ici ce que je crois être les droits du ministère, je me joindrais à vous pour signer une proposition de loi.»

M. Ch. Lebeau regardant, ainsi que moi, la parole du ministre comme un engagement, retira son amendement.

Je ne croirais donc pas pouvoir refuser mon adhésion ni ma signature à un projet de loi, auquel je me suis éventuellement engagé.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, les réclamations qui se font entendre dans cette Chambre ne me surprennent pas ; le gouvernement est accoutumé à de pareils débats. Chaque fois qu'un projet de loi relatif à des travaux publics est présenté, quelque étendu qu'il soit, il ne peut avoir le mérite de satisfaire également, absolument tout le monde. Cependant, cette fois, par une exception unique peut-être, nous avons eu la bonne fortune de voir l'unanimité de la Chambre accueillir la première partie des projets en discussion.

Mais quant à la seconde partie de ce projets dont la Chambre a maintenant à s'occuper, alors qu'il s'agit de travaux à exécuter aux frais du trésor public, et que l'on doit nécessairement montrer la plus grande prudence, nous entendons se produire beaucoup de réclamations.

Messieurs, il y a en quelque sorte un engagement d'honneur pour le gouvernement de combattre ce qu'on qualifie fort improprement d'amendements, c'est-à-dire toutes les propositions nouvelles qu'on veut ajouter au projet de loi.

Dans la première partie du projet, relative aux concessions de chemins de fer, nous avons repoussé d'une manière absolue toute espèce de modifications, c'est-à-dire l'introduction de tout projet nouveau ; nous serions inexcusables aujourd'hui de nous rallier à de nouvelles propositions (page 1930) à insérer dans le projet de loi actuellement en discussion, ce serait manquer à la fois à la logique et aux convenances.

Messieurs, depuis de longues années, nous n'avons cessé de défendre le même système ; toujours, nous avons dit que si des amendements, c'est-à-dire des modifications aux propositions qui sont formulées dans un projet de loi, sont dans le droit de la Chambre, il ne peut être dans son droit d'introduire, dans les projets du gouvernement, sous prétexte d'amendements, des propositions toutes nouvelles et qui n'ont rien de commun avec le projet même.

Ce n'est pas, comme on le prétend, que le droit d'initiative des membres de la Chambre se trouve par-là paralysé ; ce droit peut toujours être exercé : mais il doit l'être autrement ; il doit l'être par la voie d'une proposition régulièrement formulée, qui doit être soumise à l'examen prescrit par le règlement.

M. J. Lebeau. - Je n'ai pas contesté ce principe.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Aussi, c'est bien pour ce motif que vous n'appuieriez pas les amendements, s'ils étaient proposés. (Interruption.)

L'honorable membre ayant à diverses époques soutenu le système que le gouvernement persiste à défendre, ne pourrait appuyer aujourd'hui des propositions qui seraient qualifiées d'amendements, et qui seraient, en réalité des projets nouveaux.

M. J. Lebeau. - Permettez-moi de dire un mot.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Bien volontiers.

M. J. Lebeau. - J'ai dit en propres termes que la réponse faite alors par M. le ministre des travaux publics à M. Ch. Lebeau était un acquiescement évident à ce que demandait l'honorable membre ; et qu'on devait s'attendre par conséquent qu'à la session suivante le gouvernement déposerait un projet de loi. Evidemment, il en était ainsi dans la pensée de M. Ch. Lebeau, puisque c'est en prenant acte des paroles prononcées par M. le ministre des travaux publics, que l'honorable membre déclarait retirer sa proposition.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable membre qui vient de m'interrompre a pu, de très bonne foi sans doute, voir dans les paroles prononcées à cette époque par M. le ministre des travaux publics, l'engagement de soumettre une proposition à la Chambre, mais je déclare que M. le ministre des travaux publics a protesté immédiatement contre l'interprétation de sa pensée dans ce sens ; ce qui fait disparaître toute espèce d'équivoque.

Je reviens donc à la thèse très sérieuse que je soutenais tout à l'heure et dont nous ne pouvons nous départir. Il nous est absolument impossible de considérer comme des amendements des propositions entièrement nouvelles qu'on voudrait introduire dans le projet du gouvernement.

Messieurs, voyez où pourrait conduire un pareil système. Lorsque le gouvernement soumet à la Chambre des propositions, il est tenu de lui présenter des propositions mûrement élaborées, parfaitement étudiées ; il y a des plans, des devis à fournir à l'appui de ces propositions ; toutes ces pièces sont soumises aux investigations de la Chambre ; on examine en sections ; une section centrale examine à son tour d'une manière approfondie ; on fait un rapport, et c'est dans ces conditions que la Chambre aborde la discussion définitive des projets que lui a présentés le gouvernement.

Or, il arrive, et malheureusement trop souvent, que malgré tous ces soins, malgré les précautions les plus minutieuses, des propositions ainsi élaborées, étudiées, examinées, discutées, une fois mises à exécution, laissent encore des mécomptes, et que l'on se trouve fort souvent dans le cas fâcheux de devoir réclamer un crédit supplémentaire. Je n'ai pas besoin de rappeler de quelles vives critiques les actes du gouvernement sont alors l'objet.

Dans le système qu'on appelle du amendements, et qui consiste uniquement à improviser des projets de loi devant la Chambre, on formule une proposition pour l'exécution d'un travail que pas un membre de la Chambre ne connaît, sur lequel il n'y a aucune espèce de renseignement, aucune espèce de document, pas de plans, pas de devis, et dont on ne peut ainsi apprécier la dépense, même d'une manière approximative. Peut-on soutenir que de telles propositions sont suffisamment mûries et peuvent être parfaitement introduites dans un projet de loi qui engage le trésor public ? Est-ce là, messieurs, un système qui puisse être sérieusement défendu ? Au lieu d'agir ainsi, si vous croyez réellement que le gouvernement méconnaît l'utilité, l'urgence même si vous le voulez, de certains travaux, faites un projet de loi particulier ; on le soumettra à l'examen prescrit par le règlement ; on examinera eu sections les plans et devis qu'on aura préparés pour en permettre l'appréciation. Mais conçoit-on qu'on puisse venir proposer à la Chambre de voter des dépenses considérables, des millions, sans savoir même au juste dans quelle proportion l'on engage le trésor de l'Etat, et conçoit-on surtout que l'on puisse considérer de telles propositions comme des amendements aux projets de lois déposés par le gouvernement ?

Je dis que la Chambre commettrait la plus grande imprudence, si elle sanctionnait une telle manière de procéder.

Y a-t-il d'ailleurs quelque motif de suivre une pareille voie, à l'égard du gouvernement, et, j'ose le dire, particulièrement à l'égard de l'administration actuelle ? Sommes-nous des gens indifférents aux besoins du pays ou à ses intérêts ? Sommes-nous restés inactifs ? N'avons-nous rien fait ?

Messieurs, pour ne pas remonter plus haut, je prends les actes de l'administration actuelle, des hommes qui sont encore aujourd'hui au pouvoir. A partir de 181, nous avons soumis à la Chambre des projets de lois que l'on qualifiait alors de projets monstres, contenant une multitude de travaux publics.

Ces projets étaient tellement vastes, qu'on les considérait comme irréalisables, et qu'on proclamait à l'avance qu'ils ne s'exécuteraient point.

Néanmoins, ces projets, convertis en lois, ont été parfaitement exécutés. Nous avons successivement présenté de nouveau travaux, en 1859, en 1861 ; aujourd'hui, en 1862, nous en présentons encore. Nous avons eu recours à un triple système : d'abord, les travaux exécutés par les compagnies sans le concours de l'Etat ; puis les travaux exécutés par les compagnies avec le concours de l'Etat, intervenant par la garantie d'un minimum d'intérêt ; et enfin les travaux exécutés directement par l'Etat. Tout cela a été combiné sur la plus vaste échelle.

Si j'additionne ce qui a été fait dans cet espace de temps, en y comprenant le projet de loi qui vous est actuellement soumis et celui que vous venez de voter, je n'estime pas à moins de 600 à 700 millions la valeur des travaux déjà exécutés, en voie d'exécution ou décrétés par la législature.

Je vous demande donc la permission de continuer à suivre la même voie, avec cette prudence, qualifiée jadis de témérité, que nous y avons mise jusqu'à présent.

Messieurs, il faut nécessairement, lorsqu'il s'agit de travaux à exécuter par l'Etat, que l'on tienne un grand compte de la situation du trésor.

Avons-nous géré d'une manière satisfaisante et qui soit digne de votre approbation, ce grand intérêt du pays, les finances de l'Etat ? On veut bien reconnaître, la section centrale est la première à le proclamer et je l'en remercie, que les affaires financières de l'Etat ont été conduites d'une manière sage et prudente. Mais, aujourd'hui, parce que l'on a en vue un certain nombre de travaux que l'on voudrait voir exécuter le plus tôt possible, quelques-uns même incontinent, on se dit que le système qui a été suivi et que l'on reconnaît bon, pourrait cependant devenir dangereux, et qu'il serait utile de songer dès à présent à recourir à d'autres voies et moyens. La section centrale déclare qu'elle n'hésite pas à conseiller même le recours à un emprunt.

Messieurs, j'en demande pardon à la section centrale, mais je diffère à cet égard complètement d’opinion avec elle. Je considère qu'il serait désastreux... (interruption)... désastreux, je maintiens le terme, de recourir à un emprunt avec la situation financière que nous avons.

M. Sabatier. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il s'agirait, en recourant à un emprunt, d'exécuter un peu plus tôt des travaux qui doivent être faits un peu plus tard, et dont le gouvernement ne conteste nullement l'utilité. Mais, sait-on bien ce qu'il en couterait à l'Etat d'opérer ainsi ?

Messieurs, l'emprunt n'est pas en soi une bonne chose. C'est une chose mauvaise. Il faut emprunter le moins possible. Les emprunts coûtent très cher. Lorsqu'on a le bonheur, tout à fait exceptionnel, de pouvoir faire face avec ses propres ressources à toutes les dépenses ordinaires, et d'avoir encore un excédent à employer annuellement en travaux extraordinaires, en travaux publics, il ne faut rien entreprendre qui puisse compromettre une pareille situation qui a coûté tant de peine à établir. Il faut qu'à tout prix elle soit maintenue.

L'emprunt, qu'on peut faire dans certaines circonstances, qu'on doit faire lorsqu'il y a nécessité, auquel nous avons eu recours, auquel j'ai eu recours moi-même, quand il l'a fallu, l'emprunt engage le trésor dans des dépenses stériles, improductives, qui suffiraient à elles seules, avec un peu de patience, pour permettre l'exécution de tous les travaux qu'on réclame.

Je vais prendre un exemple, messieurs, non pas à titre de critique, car je ne parlerai pas des emprunts faits par nos devanciers, mais je rappellerai l'emprunt contracté par moi, en vertu de la loi du 20 décembre 1851.

(page 1931) Cet emprunt avait été restreint aux limites les plus étroites ; il ne comportait que 26 millions. Je l'ai conseillé par des considérations politiques étrangères aux travaux publics, et surtout parce que nous n'avions pas alors les ressources que nous avons le bonheur de posséder aujourd'hui.

Eh bien, messieurs, vous pouvez juger par le compte rendu de cet emprunt de ce qu'il en coûterait de faire l'opération à laquelle on me convie d'avoir recours.

L'emprunt a été fait à un taux très favorable, au-dessus du pair, à 100 fr. 1/2.

Le trésor a donc reçu 26,130,000 francs pour la valeur de cet emprunt nominal de 26 millions. Mais le trésor a bonifié aux preneurs des intérêts sur les termes à échoir ; il a payé, de ce chef, une somme de 877,760 fr.

Ce n'est pas que cette opération en elle-même cause un préjudice au trésor ; car, l'emprunt devant être fait, si la somme était immédiatement versée au trésor, elle serait absolument improductive d'intérêt, et l'Etat ne bonifierait pas moins les intérêts aux porteurs des titres. Donc, ce n'est pas cette opération de la bonification des intérêts par anticipation, qui est onéreuse au trésor, mais c'est l'emprunt lui-même, qui est une cause de perte, comme je vais vous le démontrer.

On avait accordé la faculté d'anticiper sur les versements, avec bonification d'escompte ; ces anticipations ont eu lieu pour une somme qui a nécessité une dépense de 246,205 fr. ; les commissions de négociation ont exigé 65,000 fr. et enfin l'on a payé pour frais divers de confection de titres, etc., 20,795 fr. ; ce qui fait, avec les 877,760 fr. que je viens d'indiquer, une somme de 1,209,760 fr.

Voilà ce qu'a coûté au trésor un emprunt de 26 millions.

Mais c'est là, messieurs, la plus petite partie des pertes que l'on essuie quand on contracte des emprunts destinés à des travaux publics. Il faut réaliser l'emprunt incontinent ; les fonds sont immédiatement disponibles, mais les travaux ne s'exécutent que successivement.

Pendant longtemps ces fonds restent improductifs dans les caisses du trésor, et l'Etat bonifie néanmoins les intérêts aux porteurs des obligations. Le temps qui s'écoule entre l'époque où les travaux sont décrétés et l'achèvement complet de ces travaux, est parfois beaucoup plus long qu'on ne se l'imagine. Je vous parle de l'emprunt de 26 millions contracté en 1851 ; savez-vous ce qu'il en reste encore aujourd'hui en caisse ? Au 1er janvier 1862, il restait encore en caisse fr. 1,483,948-98. On suppose que la moitié de cette somme sera dépensée en 1862, et le reste en 1863.

Eh bien, si nous faisons le décompte des sommes qui ont été employées sur cet emprunt de 26 millions.et des sommes qui sont restées improductives dans les caisses de l'Etat, et pour lesquelles une bonification d'intérêts a eu lieu, nous trouvons, en perte d'intérêt, une somme de 4,455,721 francs, et en réunissant cette somme à celle des frais que j'ai indiqués tout à l'heure, nous arrivons au chiffre de 5,663,000 fr. qui n'ont pas plus servi au pays que s'ils avaient été jetés à l'eau. (Interruption.) Cela est de toute évidence.

M. Coomans. - Vous ne nous dites pas ce que l'emprunt a rapporté à la grande famille belge et au gouvernement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si vous voulez faire le compte des travaux publics, ce sera une toute autre chose, je parle ici de l'opération financière en elle-même, et je réponds à votre objection en disant que si l'on avait eu le bonheur de jouir d'une situation financière qui eût permis d'exécuter ces travaux avec des excédants de ressources, le pays n'eût pas moins joui des mêmes bienfaits, et n'eût pas essuyé un seul centime de perte. C'est la situation qui nous a été faite en grande partie, par les lois postérieures de travaux publics, que nous exécutons en ce moment.

Qu'on s'imagine donc ce qu'il en coûterait pour négocier aujourd'hui un emprunt de 50 millions, par exemple, afin d'exécuter un peu plus promptement des travaux publics dont l'utilité, la nécessité même, je l'admets, n'est méconnue par personne ?

Mon système est différent. Sans contester le moins du monde, je le répète l'utilité de ces dépenses, je dis qu'il faut les faire avec prudence, dans la mesure de nos ressources.

Mais, nous dit-on, il s'agit de travaux qui doivent servir aux générations futures ; rien de plus juste que de faire supporter par ces générations, une partie des sommes que ces travaux auront coûté. Messieurs, c'est, à la vérité, un lieu commun constamment répété en cette matière ; mais c'est l'idée que je considère comme la plus fausse et la plus malheureuse qu'on puisse concevoir.

On l'a émise toujours, à propos des emprunts ; mais si nos devanciers (et ils s'y étaient bien un peu engagés), avaient appliqué ce système, nous serions aujourd'hui parfaitement paralysés ; et sans la liquidation peu honnête de la fin du dernier siècle, tous les Etats seraient bien embarrassés aujourd'hui en présence des besoins considérables qui sont constatés. Cette liquidation, ç'a été, comme vous le savez, la banqueroute.

Sur quoi, messieurs, repose ce prétendu axiome que les travaux publics doivent servir aux générations futures et que, par conséquent, il est juste que ces générations en payent leur part ?

Il repose sur cette idée bien erronée, que nos successeurs n'auront rien à faire ; que nous nous chargeons de tout faire pour eux. Cela suppose, messieurs, que les sociétés n'ont plus de progrès à réaliser. Or, la vérité est, au contraire, que nos successeurs auront à faire tout autant que nous, et peut-être plus que nous ; et que, par conséquent, à considérer les choses d'un point de vue élevé, on ne devrait pas plus engager l'avenir quant à eux, que nos devanciers n'auraient dû l'engager quant à nous.

En effet, messieurs, considérez ce que les besoins nouveaux ont révélé aux sociétés, seulement pendant le demi-siècle qui vient de s'écouler. L'exécution de travaux publics de toute nature, de voirie, de canaux, de chemins de fer, tout cela n'était pas même pressenti il y a une centaine d'années. On ne supposait pas alors qu'on en viendrait à inventer ce moyen de communication merveilleux, le chemin de fer, qui exige tant de capitaux.

Ainsi, messieurs, ne nous arrêtons pas à cette idée que nous devons nécessairement engager l'avenir, parce que les générations futures profiteront des travaux que nous décrétons actuellement.

En résumé, nous avons une situation qui nous a permis de faire beaucoup jusqu'à présent, qui nous permettra de faire beaucoup encore dans l'avenir. Dans la pensée du gouvernement, il faut tendre, en premier lieu, à achever ce qui est entrepris. Il y a beaucoup de travaux, messieurs, que nous pourrions décréter sur l'heure, pour lesquels nous pourrions vous demander immédiatement les fonds nécessaires, il y des travaux qui sont entrepris depuis dix ans et que l'on continue, à mesure que la situation du trésor le permet.

Ainsi, quel motif y a-t-il de ne pas achever ce travail dont parlait tout à l'heure l'honorable M. Lebeau, et pour lequel il y a eu souvent des réclamations ? Mais les travaux de la Meuse sont entrepris depuis dix ans ; on pourrait, sans le moindre inconvénient car ce sont tous travaux indépendants les uns des autres, établis sur des points du territoire assez éloignés les uns des autres, on pourrait exécuter ces travaux simultanément sur tout le cours du fleuve.

.M. Dechamps. - On a déjà dépensé 25 millions pour la Meuse.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vos calculs ont déjà été suffisamment rectifiés ; mais on aurait dépensé 50 millions, que cela serait parfaitement indifférent quant au raisonnement que je fais en ce moment.

Je n'ai pas à m'occuper de cela, je constate qu'il y a des travaux entrepris depuis dix ans, c'est là un fait indiscutable ; on pourrait les achever plus promptement ; on ne le fait pas, à cause de la situation du trésor ; on a agi avec circonspection, avec prudence, en répartissant sur un certain nombre d'années les travaux à exécuter.

Peut-être va-t-on conclure de là que les travaux les plus désirés sont négligés aujourd'hui. Pas du tout ; je me garderai bien d'assigner l'heure à laquelle ils seront exécutés, mais cette heure ne se fera pas attendre autant qu'on semble le craindre.

Je crois qu'il y a beaucoup mieux à faire que l'emprunt de 50 millions conseillé par la section centrale et qui exigerait une annuité de 2,500,000 fr., ce qui nous priverait des ressources que nous pourrions affecter à l'exécution des travaux publics. Nous pourrions faire une opération fructueuse, au lieu d'une opération onéreuse, et ce sera la conversion, quand elle sera possible. Or en est-on si éloigné ? Si la situation industrielle devenait meilleure, si la situation politique était plus satisfaisante, la conversion serait inévitable dans un temps assez rapproché.

Quand vous aurez le 2 1/2 à 60, (déjà il est à peu près à ce taux), les 4 1/2 montant par la force des choses, par l'abondance des capitaux et la confiance publique au-dessus du pair, la conversion deviendra inévitable et facile. J'en parle résolument, dès aujourd'hui. Je ne veux pas de conversion factice, je veux qu'elle résulte de l'état du marché ; quand l'abondance des capitaux est telle que les capitalistes se contentent d'un intérêt moindre que 4 1/2, la conversion est naturelle, elle est légitime, elle se fait dans des conditions qui ne peuvent souffrir aucune contestation.

Je dis que nous y marchons ; au lieu de parler d'un emprunt inutile qui peut déprimer nos fonds et compromettre notre situation financière, je parle de la conversion très résolument.

Eh bien, messieurs, entre les deux systèmcs, celui de la section centrale qui va à l'emprunt, et le mien qui va à la conversion, quelle est la (page 1932) différence ? Elle est énorme. Je ne parle plus de ces calculs que j'ai faits tout à l'heure, mais de l'annuité ; ce qui resterait applicable aux travaux publics, à combien s'élèverait-il ?

En supposant la conversion en 4 pour cent, simple hypothèse, elle laisserait un nouvel excédant de 4,651,000 fr. Comme, dans le système d'emprunt, il faudrait inscrire au budget une annuité de 2,500,000 fr., il y a entre mon système et celui de la section centrale une différence de 7 millions de francs par an, au profit du trésor public, c'est-à-dire tout ce qu'il faut pour faire tout ce que vous demandez, dans un délai très court.

Serait-il raisonnable, dans une pareille situation, quand nous avons exécuté tant de travaux que nous pouvons en exécuter tant d'autres encore, avec nos seules ressources, serait-il raisonnable, pour hâter un peu l'exécution de quelques travaux désirés, d'engager le trésor dans l'opération ruineuse d'un emprunt de 50 millions, sur lequel on perdra 10 millions au moins, qui est, je pense, la somme nécessaire pour l'exécution du canal de Charleroi ?

Je crois qu'en présence de considérations d'une telle nature, les honorables auteurs des discours, je ne dis pas des amendements, je ne pense pas qu'il en ait été produit, seront d'avis qu'il n'y a pas lieu d'en soumettre à la Chambre.

Encore une fois, soyez-en bien convaincus, ce n'est pas une fin de non-recevoir de ma part, bien loin de me prononcer contre les travaux dont on a parlé, j'ai déclaré à diverses époques que ces travaux devaient être exécutés. Quand le seront-ils ? Dès qu'on le pourra. Il me semble que rien de plus satisfaisant ne peut être dit aux honorables membres que ce que je viens d'énoncer.

Je rappelle qu'il y a deux ans, quand on réclamait avec tant d'insistances la réduction des péages sur le canal de Charleroi, je disais :

« Vous faites une faute. » Non pas que, selon moi, les péages ne fussent trop élevés, qu'il n'y eût pas lieu de les réduire, mais parce que je pensais qu'il était préférable de conserver ces ressources pour les affecter à l'amélioration du canal.

.M. Dechamps. - Nous aurons l'un et l'autre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On l'a dit aussi à cette époque :

« Le consommateur, disais-je, puisque c'est lui que l'on veut favoriser, serait grevé (pas le maintien du péage), mais dans une proportion minime, si minime que la charge ne peut assurément exercer d'influence sur le développement de la consommation ; «ous réserveriez les moyens de réaliser d'importantes améliorations. »

Un membre m'interrompit pour me dire : « On les ferra tout de même. »

. Et je repris : « J'entends bien ; c'est ce système que je ne trouve pas prudent. On veut commencer par supprimer les recettes, sauf à chercher ultérieurement d'autres ressources pour faire face aux dépenses (…)

« Il y a des améliorations à faire ; nous les signalons ; mais leur exécution est subordonnée à une question préalable : A-t-on trouvé le moyen d'assurer l'alimentation du canal ? Si on le trouve, je dis qu'il faut les exécuter. »

Je répète ce que je disais alors, mais n'insistez pas pour que cette proposition soit soumise à la Chambre avant que la situation du trésor le permette. Voilà à quoi se borne la résistance du gouvernement aux réclamations qui ont été faites.

M. Carlier. - Dans le débat engagé devant la Chambre, des idées nouvelles ont été introduites par M. le ministre des finances, sur lesquelles je demanderai le temps de réfléchir avant de présenter les observations à l'aide desquelles je crois devoir appuyer la motion présentée dans la séance précédente par mon honorable collègue M. de Brouckere. Je demanderai à la Chambre la permission de ne l'entretenir sur ce sujet que dans la séance de demain.

Mais si je demande à remettre à demain les observations que je me propose de présenter sur cet objet, il en est d'autres que je ne puis pas ajourner.

Je profiterai de mon tour de parole pour appeler votre attention sur un objet qui me paraît digne de toute la sollicitude du gouvernement et de la Chambre.

Des troubles sont sur le point d'éclater au Borinage. La détresse dans laquelle se trouvent les ouvriers borains pourrait amener des événements déplorables.

Mon honorable collègue de la députation de Mons, M. de Brouckere, dans la séance d'hier, vous a fait un tableau émouvant de la situation où se trouvait cette population ouvrière considérable, vaillante et digne, je le répète, de toute votre sollicitude.

Ce tableau n'était pas inspiré par les besoins de la cause. La misère est réellement grande dans le Borinage et je tiens des sources les plus dignes de foi qu'il existe telles familles de six personnes qui doivent vivre sur le salaire gagné par un enfant, salaire d'un franc par jour, je tiens de témoignages aussi certains qu'il est telle bouche dans ces contrées qui chaque jour ne peut pas goûter du pain.

Je n'attribue nullement au gouvernement cet état de choses. Mais je crois qu'il dispose en ce moment d'un moyen de calmer, sinon complètement, ou moins pour une notable partie, les souffrances endurées par les ouvriers borins.

Vous avez voté la démolition de la forteresse de Mons. Si cette démolition pouvait être exécutée maintenant, elle donnerait aux ouvriers du travail et elle leur assurerait du pain.

Voici six semaines que le gouvernement a assuré la démolition de la forteresse en traitant avec la ville de Mons. Mais depuis cette époque, les plans, les devis et les cahiers de charges nécessaires pour l'entreprise de la démolition sont soumis au gouvernement. Si, durant ces six semaines, ces plans, devis et cahiers des charges avaient pu recevoir approbation, très vraisemblablement la situation du Borinage ne serait pas ce qu'elle est. De nombreux ouvriers eussent pu trouver de l'ouvrage dans les travaux de démolition de la forteresse : aucun trouble n'aurait éclaté ; et le calme restant dans ces contrées, les travaux ordinaires eussent pu y continuer, sinon dans une mesure normale, au moins dans une mesure qui eût suffi en grande partie aux besoins des ouvriers. Un retard anomal a lieu dans cette affaire. Ce retard, je ne l'attribue nullement au gouvernement, je sais de quelles excellentes intentions il est animé, mais ce retard, je crois pouvoir l'attribuer au zèle outré de quelque fonctionnaire qui, voulant apporter des soins extrêmes au travail dont il est chargé, n'a pas fourni en temps utile au département des travaux publics les plans, devis et cahiers de charges dont je parlais tout à l'heure.

A raison de cette situation de la classe ouvrière si digne d'intérêt, je demande à M. le ministre des travaux publics d'activer, autant qu'il est en lui, avec l'énergie la plus grande le retour des pièces que je signale à son attention, et de terminer dans le délai le plus rapproché, de terminer immédiatement s'il est possible, les négociations qui sont en cours avec la ville de Mons pour assurer l'exécution du travail de la démolition de la forteresse.

L'on ne doit pas seulement dire ici que le temps est de l'argent, le temps, dans la situation actuelle, est le salut d'une population intéressante, qu'il est du devoir du gouvernement d'aider dans la mesure du possible, et je suis certain que je ne l'aurai pas mis inutilement en demeure, comme je le fais en ce moment.

Je suis persuadé qu'il s'empressera de mettre la main à l'œuvre et d'assurer du pain aux populations que je recommande à sa sollicitude.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Comme l'honorable membre vient de le rappeler, une convention a été passée entre la ville de Mons et les départements des finances, de la guerre et des travaux publics pour la démolition des fortifications. Les trois départements ont mis dans la négociation de cette affaire la plus grande activité possible et elle a été terminée, je pense, à l'entière satisfaction de la ville de Mons.

M. Carlier. - C'est vrai.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Reste l'exécution. Les plans, comme vient de le dire l'honorable membre, ont dû être renvoyés à l'ingénieur de la province pour la vérification de certains détails. L'ingénieur se trouve déjà depuis quelque temps en possession de ces plans et j'en attends le retour à chaque instant ; mais si le retour devait tarder de quelques jours, je prendrais les dispositions nécessaires pour qu'en l'absence même d'une approbation régulière, la ville pût mettre immédiatement la main à l'œuvre ; on le pourra facilement. Il y a toujours certains travaux relativement auxquels il n'y a pas de difficultés.

Je prendrai donc des dispositions, de concert avec l'autorité communale de Mons, pour que la main soit mise à l'œuvre sans autre ajournement, et en tout état de cause.

M. Notelteirs. - Je constate, quant à la Petite-Nèthe canalisée, que M. le ministre vient de renouveler la déclaration que les riverains ont le droit d'exiger les travaux nécessaires pour l'évacuation des eaux. Devant cette déclaration, si souvent répétée, je me demande comment il se fait que le gouvernement n'exécute pas ces travaux.

La cause des inondations ne résulte pas seulement du déversoir dont j'ai parlé hier, mais aussi de la suppression des anciennes voies d'écoulement ; les nouvelles voies ne sont pas jusqu'à présent complètement établies. L'on a laissé au beau milieu de la vallée des lacunes qui empêchent les nouvelles voies de fonctionner ; les travaux complémentaires qui restent à faire sont la suite nécessaire de la canalisation, ils sont donc à charge du gouvernement.

Quant à la Grande-Nèthe, je ne dois pas répéter ce que j'ai eu l'honneur (page 1933) de dire hier ; seulement je répète que je suis d'avis que le crédit voté ne sera pas suffisant, et je dois insister de nouveau sur ma demande au sujet des travaux nécessaires pour isoler la ville de Lierre. J'ai dit et je répète qu'à mon avis, abandonner ce projet, c'est condamner la ville de Lierre à des inondations inévitables.

J'ai demandé à M. le ministre si la ville de Lierre a été consultée sur cette question. M. le ministre n'a pas jugé à propos de répondre à ces demandes.

Elles sont cependant bien sérieuses, car il importe de tranquilliser les habitants et de donner satisfaction aux intérêts si majeurs si longtemps en souffrance.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère des travaux publics

Dépôt

Projet de loi autorisant la vente d’une parcelle domaniales à la ville de Liége

Dépôt

Projet de loi portant le budget du ministère des finances de l’exercice 1863

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer :

1° Un projet de loi qui alloue au département des travaux publics un crédit spécial de 70,000 fr. destiné à solder des créances arriérées résultant d'une réclamation reconnue fondée par jugement et intervenue à l'occasion de la construction du chemin de fer de l'Etat.

2° Un projet de loi qui autorise le gouvernement à vendre, à main ferme, à la ville de Liège, moyennant la somme de 4,000 francs, des parcelles de terrain provenant du lit du bras de l'Ourthe, supprimé conformément au plan d'alignement approuvé par arrêté royal du 23 octobre 1861 ;

3° Le budget du ministère des finances pour l'exercice 1863.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et les renvoie à l'examen des sections.

La séance est levée à 4 heures 3/4.